LES ENFANTS DE NUIT
Les images s’enlacent, se poursuivent, se chassent…
Et je n’avais pas son sourire.
Quand elle eut terminé, elle se saisit de moi. Avec la même aisance, elle s’appliqua sur mes yeux et mes sourcils. Elle me refaçonna à sa manière. Le résultat était vraiment pas mal. Mais je ne me suis pas
marchait avec une confiance toute lumineuse, alors que la ville inspirait de plus en plus la retenue. Les rues s’obscurcissaient, et révélaient des couleurs artificielles. Des néons, des affiches, des vitrines opaques, des fenêtres éclairées devant lesquelles s’animaient des ombres pantomimes…
La voiture de police passa comme un éclair dans l’avenue. Il n’y a pas de repos pour les enfants de nuit. Seulement des sommeils dépouillés de rêves et des jours sans soleil.
§
J’avaisJ’étaisreconnue.dépossédée.toujoursdes cernes sous les yeux.
Elle se maquillait avec des gestes d’oriflammes. Et je la regardais. Ses dessins prenaient sens au fur et à mesure, et, à la manière d’une peinture expressionniste, chaque trait qui semblait dissonant devenait nécessaire. Dans la glace, mon reflet, je le savais plaisant. On me l’avait déjà fait comprendre. Les proportions étaient simplement harmonieuses à l’œil. Mais il n’y avait rien que le strict minimum. Je remarquais que l’ourlet de ma bouche n’était pas souligné par un éclat de blanc. J’avais des cernes sous les yeux.
Alyssa§
Les passants appartenaient à ce monde de la nuit, s’y assimilaient. Ils glissaient devant les façades et disparaissaient aux intersections. Une musique tituba entre les murs sales et nous parvint. Nous nous serrâmes sur le trottoir de fortune Son corps tremblait tout contre le mien. Cherchait il la fusion ? C’était un rire profond qui secouait ses côtes.
Elle disparut dans la salle de bain, et il me sembla que je n’avais alors d’autres choix que de la suivre. Sa silhouette se dédoublait dans la pénombre. Même immobile, il semblait que son corps fut animé d’une onde qui faisait rebondir ses formes une à une. Ses cheveux étaient une mer noire et Etumultueuse.llemeditd’allumer, et je m’exécutais. Je n’étais pas du genre timide ou soumise, on me qualifiait souvent d’exubérante, mais à ses côtés je me sentais fade. Je ne trouvais pas mes mots, j’étais maladroite, je passais en arrière plan.
Les néons du miroir s’éclairèrent, et enrobèrent la pièce de leur lumière clinique. L’ampoule mourante se sentit inutile et s’éteignit. Dehors le ciel devenait indécis. Il enfilait sa robe mauve pâle de soirée. Une heure plus tôt, quand nous nous étions levées, il faisait un plein jour. Le temps me parut si triste et si beau à la fois.
L’ampoule agonisait faiblement au dessus d’elle. Elle n’avait pas besoin de cela. Elle n’était pas vraiment belle, objectivement. Pourtant c’était sûrement l’une des premières choses que l’on dirait d’elle. Les reflets de lumière tombaient parfaitement sur son visage. C’est parce qu’ils avaient été dessinés au correcteur de peau.
Qu’est ce que la vérité ?
Le creux du jour tenait parfaitement dans le creux de sa main. Il savait me faire croire que son éclat était mien. Il pouvait me convaincre de m’en recouvrir. Il semblait sincère quand il me parlait de ces gens qui trichent, qui, même scintillants ne sont que des lunes, des miroirs réflecteurs, quand j’avais de véritables étoiles juste enfouies sous ma peau. Des étoiles cachées qu’il voulait révéler.
Elle remarqua que de toute manière, elle finissait à chaque fois par se laisser surprendre. Et par se faire trahir. Elle haussa les épaules. Elle me dit qu’elle, au moins, elle avait l’habitude, qu’elle s’en sortirait. Mieux vaut ne pas qu’il l’aime.
n’y eut jamais l’ombre d’un rêve, ou d’une pensée silencieuse, s’il n’y eut jamais le frôlement d’un autre corps pour me bercer, à la place du poids pesant de l’absence dans le lit, il y eut des moments de Quanddouceurilparvenait parfois à se glisser entre les draps. A cette heure perdue du jour qui n’existe pas vraiment encore. Et sa main en silence me faisait miroiter les longues soirées d’été après des journées assommantes, l’insouciance d’une jeunesse à la plage sur un sable mouillé, l’insolence d’une après midi juste tiède et enveloppante.
Je ne sus jamais ce qu’Alyssa faisait de ses nuits. Elle ne répondait déjà pas souvent aux questions qu’on lui posait, mais celles qui concernaient son travail passaient complètement inaperçues Pourtant, elle assumait ses fantaisies, même les plus outrageantes et je l’imaginais mal honteuse à ce Jepropos.l’aialors
Je ne sus jamais ce que je pus lui apporter. Peut être avait il trop d’étincelles en lui pour les contenir Peut être que l’ombre, un temps, peut donner de la profondeur à un astre incandescent. Peut être peut on se lasser d’une lumière si franche ?
Mes yeux glissèrent le long de la dentelle de son corsage.
Il parlait avec ses mains. Avec tout son être. Comme un danseur inerte trop empli de musique.
Tu devrais faire attention surtout, à ne pas l’aimer de ton côté, lui répondis je.
toujours considérée comme une Belle de Nuit. Elle ne parlait que d’hommes et n’avait rien de la biche farouche. Quelque chose dans sa manière d’être suggérait son besoin de transmettre, de partager son surplus de tendresse, de vivre un peu pour les autres, ou au travers des autres. Elle respirait l’amour qu’elle donnait sans compter, et qu’elle crevait de recevoir. Loin d’être vulgaire je lui prêtais des allures de geisha. Le vent s’engouffrait dans ses vêtements de manière frivole. Ces flammes se soulevaient autour d’elle comme d’étranges oiseaux. Elle était le phœnix qui toujours renait de ses cendres. Elle était le dragon, et pourtant, si souvent la proie. Elle était la douce effraie sans ailes.
S’il§
Parfois au couché, son sourire était brisé. Il me faisait penser à une boîte à musique qui n’aurait plus joué depuis longtemps. A mon réveil elle occupait déjà la salle de bain. Son maquillage était plus naturel. Et il me semblait qu’elle ne faisait plus que de la peinture en bâtiment, pour couvrir les bleus sur son visage.
J’ai rencontré quelqu’un, mais je ne vais pas faire d’efforts S’il s’attache alors que je ne l’aime pas, je n’aurai que des problèmes.
A plus tard.
sur mon front. Une fois. Puis hésitait. Une autre fois. Il montait la couverture jusqu’à mon nez.
Mon rôle concernait les mélanges des cocktails. Je devais manipuler les bouteilles et les verres. Les quantités importaient peu. Les prix étaient bas, l’alcool était mauvais, et les clients se resservaient jusqu’à ce qu’ils soient complètement incapables de le faire. La salle était enfumée de cigarettes et de tant d’autres choses. Mon plaisir le plus subtil était de manier les couleurs. Il m’était rare de pouvoir contempler des nuances aussi pures.
Tous les matins, il me disait bonne nuit comme on dirait au revoir.
J’analysais les gens aussi, quand j’en avais l’énergie. C’était un peu un safari au milieu d’une jungle sordide. Les lionnes étaient arrogantes et affichaient ce sourire faux, rempli de dents. Certains serpents s’enroulaient insidieusement autour de corps exsangues, difficilement identifiables tant ils étaient investis. On aurait dit une exécution publique. Un troupeau de zèbres se bousculait au milieu. Transpirant les uns contre les autres jusqu’à ne plus savoir qui ils sont. Perdus, morts dans la foule.
travaillais au bar Korrigan, qui était un bar chimérique.
Je m’arrêtais à l’entrée et Alyssa continuait sa route, comme si nous ne nous connaissions pas. Au milieu des deux colonnes de pierre, nouées de veines de lierre et animées d’un cœur en flambeau, le vigile ressemblait à un colosse endormi. La courbure de son dos et la proéminence de sa mâchoire l’accablait d’une image transhumaine de crocodile. Il me laissait passer avec un grognement sourd, et je l’imaginais volontiers à la fin de son service, dévorer les clients les plus alcoolisés derrière l’établissement, dans les premières lueurs sanglantes du jour.
IlIDélicatementm’embrassait..rrépressiblement.posaitseslèvres
La salle était vaste, rythmée de colonnes et d’arcs qui formaient des alcôves et des espaces plus ouverts. Il n’y avait pas de fenêtres, mais des plantes étranges qui frémissaient sous un vent chaud, imaginaire. Le bar était éclairé d’un puissant faisceau qui formait un écran, si bien qu’on ne voyait, du côté des serveurs, que les silhouettes qui osaient s’en approcher assez. Les clients surgissaient des ténèbres et s’y replongeaient.
Je§
A force de demandes et de musique, j’avais du mal à tenir debout. Mes jambes se dérobaient, j’étais prise de vertiges. Le décor tournait dangereusement. Tout devenait flou. Sauf une image. Son visage retint mon œil immédiatement. Je ne distinguais aucun trait sous la lumière. Rien qu’un cercle blanc d’opaline, flottant au milieu d’un carré court et noir de forêt. Elle commanda un expresso. Posant sa main sur le comptoir, son col s’assouplit et révéla, au creux de son épaule, juste au dessus du sein, un tatouage arc en ciel.
Il
Je n’avais jamais vu d’arc en ciel.
Cette§
Elle me rappelait toujours de prendre mes vitamines.
Je crois qu’elle ne pardonna jamais à mon père de m’avoir soustraite à sa chaleur. De m’avoir enfermée dans ses songes. Elle semblait anxieuse. Je devinais sans le comprendre, que le monde d’en haut aussi, devait avoir son lot de malheurs.
J’avais renoncé. J’avais oublié. Je ne savais plus rien.
Ma§
Se relever, chaque nuit, esclave de ceux qui rêvent, de ceux qui vivent Se lever avec la lune et chasser inlassablement le soleil. Deux amants prisonniers d’un destin cruel. Je me suis souvenue. Je me suis souvenue des jours où il était là. Et sa présence au monde suffisait à me faire briller. Je me suis souvenue lui avoir murmuré pendant son sommeil, que j’avais vécu les instants les plus heureux de ma vie. Je n’avais pas 18 ans. Et que cela cesserait. Et que je n’aurais plus aucune échappatoire. Pas même le temps. Il n’y a pas de remède au bonheur. Pas de remède à la vie Je me suis souvenue de ma mère. De mon père. Je m’en souvenais comme d’un souvenir qui ne m’appartient pas. On m’avait parlé de ces pays, où six mois de l’année il fait nuit. Pour tout le monde. Où six mois de l’année il fait jour. Et tout le monde sourit.
J’habitais encore cette maison où elle s’est endormie. Je dormais dans son lit encore empreint de ses Jesonges.nevoulus plus de part d’ombres. Il n’y avait plus de place dans mes yeux pour les larmes. Et je marchais vers l’aube.
Elle m’appelait son petit rêve ; Je m’éveillais quand elle fermait les yeux.
femme du jour, je l’ai suivie. Peut être pour sortir du cauchemar. Peut être, pour ne pas quitter encore une fois un être lumineux. Peut être seulement pour voir un arc en ciel.
Que s’était il passé jusqu’ici ? Combien de fois étais je revenue sur mes victoires solitaires ?
peau était comme couverte de tatouages. Si translucide qu’elle laissait transparaitre des motifs organiques. Comme la preuve que j’avais un cœur. Fille à la peau bleue. Enfant de nuit. A l’âme glacée
Mon père me dit une nuit qu’elle était partie, transpercée de lumière.
§Ma mère vivait avec les autres. Quand j’étais petite, elle se réveillait plus tôt le matin pour me raconter une histoire. Sa robe de chambre de soie immaculée sentait le café. Sa présence fantomatique à mes côtés me rassurait. Elle respirait fort, un long ronronnement qui m’aidait à Lorsquem’endormir.jeme levais, elle était dans son lit. Parfois je passais devant sa porte au moment où elle éteignait la lumière. Sa peau était d’un caramel nacré. Elle avait le teint d’une poupée que l’on conserve sous cloche. Le soleil devait attendre éternellement devant ses fenêtres, puisque les derniers rayons du jour filtraient toujours entre les rideaux, aussi inatteignables que la douceur d’une caresse lointaine.
Je t’ai menti. J’ai encore été heureuse.
Et le ciel était bleu. Le ciel pouvait il l’être ?
Je n’aurais jamais connu cette vie, que par bribes. J’ai collectionné les petits éclats. Et voilà qu’ils m’assiègent. Je n’aurais jamais connu cette vie. J’en aurais peut être connu le meilleur. Le contraste.
Je§ me suis couchée en même temps que lui. Aveugle.
Je me suis assoupie et ma nuit se remplit d’images, de couleurs, de sensations. Mon esprit libérait cette énergie si longtemps contenue. Ma nuit filmait des rêves. En couleur, sur fond noir. Sous la lune et les étoiles.
Mais il n’y eut personne.
La ville était la même.
Comment aurais je pu le deviner ? Cette place ne pouvait être celle que j’avais traversé la veille. L’eau était claire, si claire, je n’avais jamais connu jusque là la vraie couleur de l’eau. Ce devait être la couleur de la vie elle même. Et les gens. Les gens étaient vêtus, et parfumés de fleurs Leurs lèvres se déclinaient du rouge martini au bloody mary. Ils portaient cette lueur qu’Alyssa avait toujours cherché à reproduire. Ils la portaient naturellement. Et à ce moment je compris qu’elle avait dû la connaître pour ressentir ce manque.
La chaleur piquait ma peau de mille aiguilles. Je naissais au monde, de manière douloureuse et nécessaire. Je séchais mes plaies. Mes pensées suintaient encore. J’avais déjà trahi, mais pour la première fois je ressentais la peur. Ils n’avaient plus rien à me prendre, qui puisse me faire souffrir. Et pourtant j’étais terrifiée. Qu’ils viennent. Qu’ils me dénaturent encore en fois. Qu’ils finissent par faire de moi le monstre qu’ils voulaient que je sois. Qu’ils ont toujours su que j’étais.
Il fait bon simplement, se coucher au soleil et attendre la mort.
J’avais§
erré des heures. Des heures immobiles. Et tout mon être semblait saturé de cette luminosité ambiante. Je me sentais flottante. Je me sentais vivante. Apaisée.
Pour la première et la dernière fois, je rêvais.
Elle pénétra dans la ville. J’attendis à l’entrée. J’attendis les yeux fermés, que le soleil m’enterre.
Le soleil se couchait déjà. J’étais dans la chambre de ma mère. Pour la toute première fois, les rideaux étaient ouverts. Son odeur depuis longtemps s’était évanouie. Comme son reflet dans le miroir antique. Tout se saupoudra doucement de safran. Je regardais l’astre encore jaune. Je le regardais descendre. Captivée. Le cercle engloutit tout dans sa lumière.
Je regardai le soleil jusqu’à ne plus rien voir.
Et le soleil leur donnait vie. Comme un ancien manège dont il serait la pile.
Les gens étaient légers. Ils n’avaient rien d’autre à porter, aucun éclat de miroir brisé, aucune pierre noire, aucune obscurité. Ils étaient comme l’eau, transparents. Ils pliaient et dépliaient leurs jambes aux terrasses des cafés.
La lumière fait mal aux yeux, mais je crois que l’on s’y fait…