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Le régime fiscal applicable d’après les normes internationales
rémunérations sont soumises à l’impôt à la source dès le premier jour de travail (Commentaire de l’Ordonnance du DFF sur l’imposition à la source). C’est d’ailleurs ce que prévoit expressément l’article 4 de la nouvelle Ordonnance du DFF sur l’imposition à la source dans le cadre de l’impôt fédéral direct (Ordonnance sur l’imposition à la source, OIS) du 11 avril 2018 qui entrera en vigueur le 1er janvier 2021. Il ressort de ce qui précède que les travailleurs détachés, assujettis de manière illimitée ou limitée en Suisse, resteront sauf exceptions soumis à la taxation ordinaire. Ainsi, en est-il par exemple d’un ressortissant italien, employé d’une société italienne, qui vient travailler dans le cadre d’une mission en Suisse pendant 10 mois (permis L détaché) avec sa famille. Bien entendu, cette situation soulève des questions en matière de double imposition et la CDI avec l’Italie doit être examinée afin de déterminer qui de l’Italie ou de la Suisse taxera le contribuable sur les revenus provenant de son salaire. Le travailleur détaché doit donc remplir une déclaration fiscale annuelle dans les délais et y joindre tous les documents nécessaires, en particulier son certificat de travail mentionnant tous les revenus du travail, réguliers ou irréguliers, réalisés dans le monde entier pendant la période fiscale (l’année civile en Suisse). Il doit également déclarer ses autres revenus suisses et étrangers (s’agissant du travailleur détaché assujetti de manière limitée en Suisse, les revenus étrangers sont pris en compte uniquement pour la détermination du taux).
LE RÉGIME FISCAL APPLICABLE D’APRÈS LES NORMES INTERNATIONALES
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On a vu en introduction qu’en présence d’éléments d’extranéité, il convient dans un premier temps d’examiner le droit fiscal interne suisse au niveau de la résidence et du domicile, puis d’étudier la convention de double imposition (CDI) éventuellement applicable afin de régler les conflits de taxation. Les CDI signées avec la Suisse, qui reprennent généralement les règles contenues dans le Modèle de convention concernant le revenu et la fortune de l’Organisation de coopération et de développement économiques (CM-OCDE), contiennent tout d’abord des clauses de résolution des conflits de résidence et de domicile fiscal.
Comme point de départ, l’article 4 paragraphe 1 CM-OCDE stipule que l’expression « résident d’un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie à l’impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui
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ne sont assujetties à l’impôt dans cet État que pour les revenus de sources situées dans cet État ou pour la fortune qui y est située. Il ressort de ce qui précède que la notion de résidence et de domicile est définie par renvoi au droit interne, en l’espèce le droit suisse pour la Suisse et le droit étranger pour les autorités fiscales étrangères. Ainsi, en présence d’éléments internationaux, l’application de l’article précité interprété d’après le droit interne de chaque État entraîne le risque qu’une personne physique soit considérée comme résident fiscal des deux États contractants en même temps. Il en résulte une double résidence et partant une double imposition en Suisse et à l’étranger. L’article 4 paragraphe 2 CM-OCDE permet de résoudre ce conflit fiscal par un système en cascade (« tie breaker rules »). Ainsi, lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident fiscal de chacun des États contractants, le cas est résolu d’après les règles suivantes :
1) La personne est considérée comme résident de l’État contractant où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent ; On vise ici toute forme d’habitation (maison, appartement, etc.) en pleine propriété ou en location à condition que le logement présente un caractère durable, à savoir qu’il soit à disposition de l’intéressé en tout temps, d’une manière continue et pas occasionnellement pour effectuer un séjour (Commentaire OCDE n. 13 ad. art. 4). Ainsi, le travailleur qui séjourne alternativement dans divers hôtels de Suisse ne saurait disposer, à notre sens, d’un foyer d’habitation permanent en Suisse.
2)
3)
4) Si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux États, elle est considérée comme un résident fiscal seulement de l’État avec lequel elle possède les liens personnels et économiques les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ; C’est généralement ce critère qui permet de déterminer la résidence ou le domicile fiscal du contribuable dans le cadre de l’application des CDI. Si l’État contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d’un foyer d’habitation permanent dans aucun des États contractants, elle est considérée comme résident de l’État contractant où elle séjourne de façon habituelle ; Si cette personne séjourne de façon habituelle dans chacun des États contractants ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d’eux,
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elle est considérée comme résident fiscal de l’État contractant dont elle possède la nationalité ;
5) Enfin, si cette personne possède la nationalité de chacun des États contractants ou si elle ne possède la nationalité d’aucun d’eux, les autorités compétentes des États contractants tranchent la question d’un commun accord.
Comme déjà relevé, le Tribunal fédéral suisse estime qu’en droit fiscal international, la notion de « retour régulier » et de « fonction dirigeante » ne trouve pas application comme c’est le cas en matière intercantonale. Ainsi, les intérêts professionnels du contribuable ne revêtent pas plus d'importance dans l'examen global que ses relations avec les proches et avec la société, ses intérêts politiques, culturels, ou encore ses loisirs ; les intérêts professionnels ne revêtent une importance plus grande à cet égard que lorsqu'ils constituent une part prépondérante de l'ensemble de ses intérêts (arrêt 2C_1139/2012 du Tribunal fédéral du 20 juillet 2015). Pour déterminer le centre des intérêts vitaux de l’intéressé, on tiendra ainsi compte de ses relations familiales et sociales, ses occupations, ses activités politiques, culturelles ou autres, le siège de ses affaires ainsi que le lieu d’où il administre ses biens (Commentaire OCDE n. 15 ad. art. 4). Enfin, on relèvera la particularité de la CDI avec la France qui confond la notion de foyer d’habitation avec celle du centre des intérêts vitaux et qui retient uniquement le lieu avec lequel le contribuable entretient les relations personnelles les plus étroites. Aussi, la CDI avec l’Allemagne, la Hollande ou la Suède accorde un droit d’imposition concurrent à l’État de départ pendant une certaine période d’attente (5 ans pour l’Allemagne). Lorsque le pays de domicile ou de résidence fiscal du contribuable a été identifié sur la base de la CDI, il reste à déterminer quel État est en droit d’imposer le revenu provenant de l’exercice de l’activité salariée du travailleur, d’après les règles de partage de la convention. Ainsi, d’après l’article 15 paragraphe 1 CM-OCDE, sous réserve d’exceptions (par exemple pour les artistes ou les sportifs, les jetons de présence ou tantièmes des administrateurs de sociétés, les pensions et les retraites) les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident fiscal d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État. Il ressort de ce qui précède que l’imposition du revenu provenant de l’exercice d’une activité lucrative dépendante appartient en règle générale à l’État dans lequel le travail est exercé.
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A noter que la CDI-Allemagne contient une règle particulière : d’après l’article 15 paragraphe 4, une personne physique qui est un résident fiscal d’un État contractant mais exerce une activité en tant que membre du directoire, directeur, gérant ou fondé de pouvoir d’une société de capitaux qui est un résident de l’autre État contractant, reste imposable dans l’État de résidence pour les rémunérations qu’elle reçoit pour cette activité, si cette activité ne produit des effets qu’en dehors de cet autre État.
Il existe toutefois certaines exceptions parmi lesquelles (paragraphe 2) la « clause du monteur » : la primauté du lieu de travail est remise en cause si le travailleur séjourne dans l’autre État pendant une période ou des périodes n’excédant pas au total 183 jours durant toute période de douze mois commençant ou se terminant durant l’année fiscale considérée, et les rémunérations sont payées par un employeur, ou pour le compte d’un employeur, qui n’est pas un résident de l’autre État, et la charge des rémunérations n’est pas supportée par un établissement stable que l’employeur a dans l’autre État. Cette exception vise expressément les travailleurs détachés, permettant à un employeur étranger d’envoyer des équipes en mission dans l’autre État, sans que les employés ne soit soumis à l’impôt sur le salaire dans ce dernier pays. Elle se retrouve notamment dans les CDI signées par la Suisse avec ses voisins comme la France, l’Italie ou l’Allemagne. Le décompte des 183 jours s’effectue en tenant compte de tous les jours de présence physique du travailleur sur le territoire. La durée des rapports de travail n’est ainsi pas déterminante mais le nombre de jours effectifs de séjour, étant précisé que toute fraction de journée compte comme journée entière de présence. Il en va de même des jours d’arrivée et de départ, les jours fériés et les week-ends (Commentaire OCDE n. 5 ad. art. 15). On relèvera que la Suisse utilise dans ses CDI le terme « au cours de l’année fiscale considérée » plutôt que la formulation « au cours de toute période de 12 mois commençant ou se terminant durant l’année fiscale considérée ».
A noter que la clause du monteur peut donner lieu à des abus notamment en matière de location internationale de main-d’œuvre (Commentaire OCDE n. 8.1ss ad. Art. 15). En effet, un employeur local désireux d’engager du personnel pour une courte durée peut être tenté de recourir à un intermédiaire établi à l’étranger qui se présente comme employeur et loue le travailleur à l’employeur local, afin d’éviter l’imposition dans le pays d’exercice temporaire de l’activité lucrative. Aussi, il sied de déterminer si l’on se trouve en présence d’un véritable détachement de travailleurs résultant d’un contrat de prestations de services entre deux entreprises ou d’un montage fictif (relation d’emploi salarié). Enfin, des problèmes épineux peuvent survenir en présence de location de services entre
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sociétés d’un même groupe. Une directive du SECO a d’ailleurs été émise en 2017 sur cette dernière problématique, notamment au niveau des autorisations nécessaires (intitulée « Location de services intragroupe – Évaluation de l’obligation d’autorisation / Directive 2017 : précision des Directives et commentaires relatifs à la LSE ») La Suisse, comme d’autres pays, a mis en place une liste de critères permettant de détecter les abus (voir par exemple la circulaire n°45 de l’Administration fédérale des contributions (AFC) du 12 juin 2019 sur l’imposition à la source. Parmi ces critères, on citera (Commentaire n. 8.12ss ad. art. 15) : La nature des services fournis par l’employé et son rôle dans l’entreprise ; La société qui est habilitée à donner des instructions sur la manière dont les travaux doivent être effectués ;
L’entreprise qui met à disposition le matériel et l’outillage nécessaire à l’exécution du travail ;
La société qui contrôle le lieu où le travail est effectué, qui a la responsabilité du travailleur et qui assume les risques du travail fourni ; Le nombre de salariés détachés et leurs compétences. Les arrangements financiers convenus entre les deux sociétés, même si ce facteur n’est pas déterminant à lui seul. Sur la base de ce qui précède, on peut envisager les divers scénarios suivants : 1) Un travailleur, résident fiscal en Italie, est détaché par son employeur italien chez un client en Suisse pour effectuer le montage d’une machine. La durée de la mission est de 60 jours durant l’année fiscale 2020 (=> autorisation de travailler via la procédure de notification suisse uniquement). Le travailleur restera imposé en Italie sur les revenus de son travail en vertu de l’article 15 paragraphe 2 CDI-Italie.
2) Un travailleur, résident fiscal au Portugal, vient travailler à Zurich pour le compte d’un employeur suisse pour une période totale de 5 mois (permis L) durant l’année fiscale 2020. Il sera imposé en Suisse sur les revenus de son travail en vertu de l’article 15 paragraphe 1 CDI-Portugal.
3) Une multinationale basée en France envoie dans sa nouvelle filiale de Genève l’un de ses directeurs (résident fiscal en France) durant 4 mois afin qu’il forme le management et transmette la culture du groupe (=> autorisation 4 mois non contingentée). L’article 17 paragraphe 2 CDI-
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