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La notion de domicile et de résidence au regard du droit interne fiscal suisse
Si la conclusion est positive, il sied alors d’examiner les règles de conflit d’assujettissement prévues par les éventuelles conventions de lutte contre les doubles impositions signées par la Suisse.
Une fois le domicile fiscal déterminé d’après la convention, on se reportera aux dispositions spécifiques de celle-ci afin de savoir quel pays est en droit d’imposer le travailleur.
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LA NOTION DE DOMICILE ET DE RÉSIDENCE AU REGARD DU DROIT INTERNE FISCAL SUISSE
D’après les articles 3 et 6 de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD ; RS 642.11), les personnes physiques sont assujetties de manière illimitée en Suisse, à savoir sur leurs revenus mondiaux, lorsqu’au regard du droit fiscal, elles sont domiciliées ou séjournent en Suisse. Une personne a son domicile en Suisse au regard du droit fiscal lorsqu’elle y réside avec l’intention de s’y établir durablement. Une personne séjourne en Suisse lorsque, sans interruption notable, elle y réside pendant 30 jours au moins et y exerce une activité lucrative.
La Loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID ; RS 642.14), destinée aux impôts cantonaux et communaux, prévoit des dispositions quasi-identiques même si les notions de domicile et de résidence ne se recoupent pas parfaitement avec l’impôt fédéral direct. A) Le domicile fiscal en Suisse
Le domicile au regard du droit fiscal est une notion autonome du droit civil, même si la définition donnée par la loi fiscale est très proche de l’article 23 du Code civil suisse.
La création d’un domicile fiscal suppose deux conditions cumulatives, l’une objective, à savoir le séjour en un lieu donné et l’autre subjective, l’intention de s’y établir durablement. La première condition requiert la présence d’une personne physique en un lieu donné. On entend par là le lieu où le contribuable passe ses nuits et non celui où la personne travaille pendant la journée. La loi ne précise pas la durée minimale et il n’importe pas que le séjour soit de durée déterminée ou limitée.
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La seconde condition représente le centre des intérêts personnelles et économiques du contribuable. Là encore, le contribuable ne doit pas nécessairement avoir la volonté de faire de ce lieu le centre de ses intérêts vitaux pour une durée illimitée ou indéterminée. On relèvera encore que le lieu où les papiers sont déposés ou celui de l’exercice des droits politiques (domicile politique) n’est pas décisif mais constitue uniquement un indice du domicile fiscal. De même, le lieu où la personne possède le centre de ses intérêts personnels se détermine selon des critères objectifs et non d’après les seules déclarations du contribuable. On ne peut donc pas librement déterminer son domicile fiscal.
Enfin, il y a lieu d’appliquer le principe de la rémanence du domicile fiscal en ce sens qu’il ne suffit pas, pour admettre la constitution d’un nouveau domicile fiscal, d’avoir coupé les liens avec le domicile antérieur ; il faut au contraire s’en être constitué un nouveau. Ainsi, le contribuable qui abandonne son domicile suisse pour partir à l’étranger conserve son domicile fiscal au lieu de son ancien domicile tant qu’il ne s’en est pas constitué un nouveau au lieu de sa nouvelle installation. Il en va ainsi par exemple du globe-trotteur qui a formellement quitté la Suisse pour vivre sur son bateau et faire le tour du monde. Celui-ci reste assujetti illimité en Suisse tant qu’il ne s’est pas constitué un nouveau domicile fiscal et quand bien même il aurait vécu plusieurs années sur son embarcation. Il ressort de ce qui précède que le contribuable, au bénéfice d’un permis B ou L, qui décide de s’installer et de travailler en Suisse (pour un employeur suisse ou étranger, en tant que travailleur détaché ou non) avec son conjoint et ses enfants, sera dans la plupart des cas considéré comme domicilié fiscalement en Suisse. Il importe peu que la famille anticipe de séjourner dans notre pays pour une durée de quelques mois uniquement. La situation est en revanche plus complexe lorsque le contribuable séjourne alternativement en plusieurs endroits. On pensera par exemple à celui qui, sans avoir le statut de frontalier, travaille en Suisse avec un permis B ou L, mais retourne très régulièrement (par exemple le week-end) auprès de son conjoint et de ses enfants dans un autre pays. On assiste ici à une dichotomie entre les intérêts économiques créés par l’exercice d’une activité lucrative et ceux personnels tenant au lieu de résidence de la famille. La jurisprudence en la matière est complexe mais peut être résumée comme suit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_580/2017 du 16 mars 2018) : « Si une personne séjourne alternativement à deux endroits, ce qui est notamment le cas lorsque le lieu de travail ne coïncide pas avec le lieu de résidence habituelle, son domicile fiscal se trouve au lieu avec lequel elle a les relations les
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plus étroites (ATF 132 I 29 consid. 4.2 p. 36 ; 131 I 145 consid. 4.1 p. 149 s. ; 125 I 458 consid. 2c p. 467). Pour le contribuable exerçant une activité lucrative dépendante, le domicile fiscal se trouve en principe à son lieu de travail, soit au lieu à partir duquel il exerce quotidiennement son activité lucrative, pour une longue durée ou pour un temps indéterminé, en vue de subvenir à ses besoins (cf. ATF 132 I 29 consid. 4.2 p. 36 ; 125 I 54 consid. 2b p. 56). Pour le contribuable marié qui exerce une activité lucrative dépendante sans avoir de fonction dirigeante, ainsi que pour les personnes vivant en concubinage dans la même situation, les liens créés par les rapports personnels et familiaux (époux, concubin, enfants) sont tenus pour plus forts que ceux tissés au lieu de travail ; pour cette raison, ces personnes sont imposables en principe au lieu de résidence de la famille, même lorsqu'elles ne rentrent dans leur famille que pour les fins de semaine et durant leur temps libre (cf. ATF 132 I 29 consid. 4.2 p. 36 ; arrêt 2C_163/2015 du 20 août 2015 consid. 5.2). Il en va différemment en principe lorsque le contribuable exerce une activité lucrative dépendante dans une fonction dirigeante. Dans ce cas, il faut présumer que le centre de ses intérêts se trouve au lieu de son travail. Cette présomption peut être renversée en prouvant l'existence de rapports particulièrement intenses avec le lieu de résidence de la famille (cf. ATF 132 I 29 consid. 4.2 p. 37 et 5.3 p. 41 ; arrêt 2C_301/2017 du 13 novembre 2017 consid. 4.2). Les principes qui précèdent s'appliquent également au contribuable célibataire, séparé ou veuf, car la jurisprudence considère que les parents et les frères et sœurs de celui-ci font partie de la famille. Toutefois, les critères qui conduisent le Tribunal fédéral à désigner non pas le lieu où le contribuable travaille, mais celui où réside sa famille doivent être appliqués de manière particulièrement stricte, dans la mesure où les liens avec les parents et la fratrie sont généralement plus distants que ceux entre époux et avec les enfants (ATF 125 I 54 consid. 2b/bb p. 57). En pareilles circonstances, la durée des rapports de travail et l'âge du contribuable ont une importance particulière. Le Tribunal fédéral considère ainsi que les relations du contribuable célibataire avec ses parents sont en général moins étroites, lorsque celui-ci a plus de trente ans et qu'il réside sur son lieu de travail de manière ininterrompue depuis plus de cinq ans (cf. ATF 125 I 54 consid. 2b/bb p. 57; arrêts 2C_311/2014 du 30 avril 2015 consid. 2.2 ; 2C_854/2013 du 12 février 2014 consid. 5.1 et les références citées). Ainsi, en présence d'un contribuable de plus de trente ans qui exerce une activité lucrative dépendante, on présume qu'il a son domicile fiscal principal au lieu où il séjourne durant la semaine et à partir duquel il se rend à son travail. Cette présomption peut être renversée si le contribuable rentre régulièrement, au moins une fois par semaine, au lieu de résidence des membres de sa famille et qu'il
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parvient à démontrer qu'il entretient avec ceux-ci des liens particulièrement étroits et jouit dans ce même lieu d'autres relations personnelles et sociales (cf. arrêts 2C_1045/2016 du 3 août 2017 consid. 3.4 et les arrêts cités ; 2C_518/2011 du 1 er février 2012 consid. 2.2). » On relèvera que cet arrêt a été rendu dans un contexte de droit fiscal intercantonal et non international. Or, en droit international tout comme pour l’impôt fédéral direct, il convient d’appliquer en premier lieu le principe de l’unité du domicile fiscal. On ne saurait ainsi avoir des domiciles fiscaux alternants ou même des séjours saisonniers. En second lieu, le droit fiscal international ne connaît pas la notion de « position dirigeante », si bien que le simple fait d’avoir une activité professionnelle intense (poste à responsabilité avec sous ses ordres un personnel nombreux), ne saurait ispo facto faire passer les liens sociaux et familiaux au second plan. Au contraire, il convient à notre sens de privilégier les rapports personnels plutôt que les liens économiques. On peut déduire de ce qui précède que le contribuable, au bénéfice d’un permis B ou L, qui n’a aucun lien avec la Suisse hormis son travail auprès d’un employeur local et qui rentre régulièrement dans son pays d’origine (par exemple en fin de semaine) auprès de sa famille restée à l’étranger ne devrait pas être considéré comme domicilié fiscalement en Suisse, faute d’intention de faire de la Suisse le centre de ses intérêts vitaux, et ce peu importe qu’il exerce ou non une fonction dirigeante au sein de l’entreprise. Bien entendu, une analyse au cas par cas devrait être faite selon des critères objectifs (par exemple l’achat d’un bien immobilier en Suisse, le lieu de réception de la correspondance, la destination des appels téléphoniques, le pays de l’assurance-maladie, la vie associative et les loisirs, vacances et séjours de la famille en Suisse, etc.).
B) La résidence fiscale en Suisse
Comme il l’a été relevé ci-dessus, un assujettissement illimité aux impôts en Suisse peut être fondé non seulement sur le domicile fiscal mais également sur la résidence qualifiée. Ainsi, la personne physique qui séjourne et travaille en Suisse pendant 30 jours sans interruption notable est considérée comme résident fiscal dans notre pays. Il convient d’emblée de préciser que cette disposition devrait s’appliquer de manière restrictive et à titre subsidiaire. Des interruptions régulières, mêmes brèves, suffisent à faire obstacle à l’assujettissement illimité. On ne saurait ainsi additionner de petites unités de temps, une certaine continuité est exigée. Ainsi, le travailleur détaché, le frontalier ou même l’employé d’une société suisse qui exerce une activité dépendante pendant de courtes périodes, durant la semaine par exemple, n’est pas considéré comme résident fiscal en Suisse (article 91 LIFD).
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Sont dès lors en principe immédiatement exclus les travailleurs faisant l’objet d’une procédure d’annonce en Suisse de même que ceux au bénéfice d’une autorisation 120 jours ou 4 mois qui rentrent dans leur pays d’origine les week-ends ou qui ne séjournent pas en Suisse plus de 30 jours d’un seul bloc. A noter que si la durée minimale est dépassée, l’assujettissement fiscal illimité en Suisse rétroagit au premier jour du séjour. Aussi, dans le décompte, il convient de prendre en considération les jours d’arrivée et de départ, les samedis, les dimanches et les jours fériés ainsi que les vacances passées en Suisse.
C) Conséquences fiscales et fardeau de la preuve
En cas d’assujettissement illimité, le travailleur sera imposé en Suisse sur ses revenus mondiaux (au niveau fédéral, cantonal et communal) ainsi que sur sa fortune mondiale (au niveau cantonal et communal uniquement), sous réserve d’exceptions du droit interne suisse (par exemple sur les revenus et la fortune provenant d’immeubles situés à l’étranger ou les établissements stables/entreprises situés également hors de Suisse) ainsi que des règles prévues par les conventions internationales de lutte contre la double imposition. L’assujettissement débute le jour où le contribuable prend domicile en Suisse ou y commence son séjour au regard du droit fiscal (article 8 LIFD). Au niveau fédéral, les travailleurs détachés assujettis de manière illimitée en Suisse, occupant une fonction dirigeante ainsi que les spécialistes disposant de qualifications professionnelles particulières, peuvent faire valoir des déductions complémentaires prévues par l’article 2 alinéa 2 de l’Ordonnance du Département fédéral des finances concernant les expatriés du 1er janvier 2016 (Oexpa ; RS 642.118.3) en sus des frais professionnels prévus par l’Ordonnance du 10 février 1993 sur les frais professionnels. Cela concerne en particulier les frais nécessaires de déménagement, les frais nécessaires de voyage aller-retour au début et à la fin des rapports de travail, les frais de logement en Suisse si l’expatrié conserve à l’étranger une habitation permanente destinée à son usage personnel ainsi que les frais pour l’enseignement en langue étrangère dispensé par une école privée aux enfants mineurs de langue étrangère, dans la mesure où les écoles publiques n’offrent pas d’enseignement dans leur langue. Des conditions restrictives s’appliquent toutefois. Depuis 2016, les spécialistes qui exercent en Suisse une activité temporaire de salarié ne peuvent toutefois plus bénéficier de l’Oexpa. Conformément aux articles 123 et suivants LIFD, il appartient aux autorités fiscales d’établir d’office les éléments constitutifs d’une résidence ou d’un domicile fiscal en Suisse. Toutefois, le contribuable est tenu de collaborer à l’établissement des
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