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Hériter des Mémoires olympiques

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Parutions

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par Jean-Pierre Guilbert Vice-Prés. CDOS 59

Le véritable pouvoir de l’historien tient à sa capacité à transcender les connaissances. Sa tâche, pour rappeler Andrew Lawler, archéologue, est bien de ramener celles et ceux qui sont morts il y a fort longtemps et de les ressusciter en des individus qui, comme nous, ont lutté et aimé, créé et qui, à la fin, ont laissé derrière eux quelque chose d’eux-mêmes. Nous n’apprivoisons pas assez la mort. N’oublions pas qu’elle est inhérente à la vie. Il faut parler des disparus pour qu’ils restent vivants. Si par pudeur, on évite d’évoquer leur mémoire, alors on les enterre pour de bon.

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Le présent article concernant les gymnastes composant l’équipe de France de gymnastique artistique aux Jeux olympiques d’Anvers en 1920, vise à réhabiliter la mémoire de certains d’entre eux, comme ont tenté de le faire de nombreux historiens avant moi. Tous ont buté sur trois d’entre eux : Alfred Buyenne, Louis Kempe et Emile Martel dont les noms ont été mal orthographiés ou tout simplement largement modifiés. Il faut savoir que pratiquement tous sont originaires du département du Nord (la région valenciennoise, la région lilloise et la région SambreAvesnois). La plupart d’entre eux y ont vécu, s’y sont entraînés pour devenir des pionniers d’une aventure olympique où la solidarité est une valeur cardinale, à la sortie d’une guerre dominée par l’indicible et l’innommable. La recherche, longue et passionnante, a été accomplie à partir de la liste des gymnastes dont je disposais, du palmarès des Jeux de la VIIème olympiade, du rapport olympique datant de 1957, d’une photo originale de cette équipe réalisée à l’époque à Anvers (1920), d’articles de journaux et de diverses photos trouvées dans les associations qu’ils ont fréquentées ou de témoignages de descendants. Tous ces arguments et preuves ont permis de rétablir une vérité pour de nombreuses personnes (famille, historiens, instances…) pour qui ces sportifs étaient passés dans l’oubli. Cet oubli s’est construit par l’intermédiaire de noms erronés que nous pouvons retrouver dans plusieurs ouvrages (La Galaxie olympique de Nicole Pellissard-Darrigrand chez Atlantica ; Le dictionnaire des médaillés olympiques français de

Stéphane Gachet chez la Maison d’édition ; Olympiens de Serge Laget et Alain Lunzenfichter chez Atlantica).

A Anvers en 1920, le nombre de gymnastes par équipes doit être de 24 pour certaines d’entre elles, de 16 à 24 pour d’autres. A la lecture des différents palmarès, on se rend compte que l’Italie l’emporte devant la Belgique et la France. Pourtant le rapport olympique de 1957 émanant du Comité Olympique Belge précise en page 63 que le titre revient bien à l’Italie mais que la France est seconde et la Belgique troisième. L’équipe gagnante a 27 médaillés, la Belgique 24 et la France 26. Deux photos où figurent les gymnastes français ont été réalisées à l’occasion du concours par équipes (La France n’a pas participé au concours par équipes méthode suédoise). La première reprend uniquement les vingt-six gymnastes présents lors du concours par équipes, la seconde rassemble les titulaires (épreuve individuelle et par équipes), les remplaçants et tous les officiels.

Avec l’aide de Patrick Boquet-Boitelle, généalogiste, nous avons pu rassembler un document où se trouvent tous les actes de naissance et de décès des 26 médaillés français (voir page suivante).

Trois personnes y ont retrouvé leur véritable identité: 1 – Alfred Buyenne s’appelle en réalité Alfred Bruyenne. Né le 8 avril 1882 à Lille et décédé le 10 novembre 1962 à Lille. Il était licencié à La Lilloise comme Eugène Pollet, Julien et Paul Wartelle (article du Grand Echo du Nord du 11 juillet 1927). 2 – Louis Kimpe s’appelle en réalité Louis Quempe. Il est né le 17 août 1883 à Valenciennes et est mort le 9 février 1961 à Lille, enterré au cimetière de Valenciennes Nord. Il était licencié à l’En Avant puis à La Vaillante avant que les deux associations forment l’Union Française Valenciennoise. Un article de presse du 27 février 1963 émanant de Nord-Matin et relatif à Victor Duvant, membre de cette même équipe de France et dernier survivant de Valenciennes, rappelle les faits. Son nom, est alors écrit Kemp par le journaliste. Cependant, il figure bien dans les résultats de nombreuses épreuves gymniques de la presse des années 1906 à 1927 sous le nom de Louis Quempe comme à l’état civil (acte de naissance et de décès) et sur sa tombe. Les historiens ont retenu dans un premier temps le nom d’Alfred, Louis, Joseph Kimpe mais cette personne, née le 12 mai 1898 à Tourcoing, est décédée dans cette même ville le 31 août 1970. Elle n’est mentionnée dans aucun article faisant référence aux sports et à la gymnastique en particulier. L’article de Nord-Matin du 27 février 1963 parle clairement d’un Louis Kemp (… « L’un des quatre gymnastes valenciennois »…) licencié dans une association valenciennoise et décédé bien avant 1963. 3 – Emile Martel s’appelle en fait Emile Boitelle. Grâce à un hasard téléphonique, j’ai retrouvé son petit-fils Patrick qui se bat depuis plus de vingt ans pour réhabiliter son grand-père. Il m’a fourni une photo où il est seul avec le sokol de l’équipe de France de 1920 et on peut facilement l’identifier sur la photo de l’équipe de France de la même année. Il était licencié à La Jeunesse du Marais de Lomme (région lilloise). Les références, viennent essentiellement du journal « Le Grand Echo du Nord Emile Boitelle - JO Anvers 1920 © Droits réservés

de la France » (20 juin 1906, 8 juillet 1909, 27 juin 1911, 27 juin 1913, 11 juillet 1927…), et L’Egalité de RoubaixTourcoing du 8 juillet 1908.

Réveiller les mémoires de l’oubli, c’est l’occasion de ne pas oublier ceux qui ne sont plus là et qui pourtant avant nous, ont oeuvré pour permettre à des héritiers de transmettre un héritage de générations en générations. Se souvenir est un acte qui fait de la culture une manifestation de la mémoire collective, lorsque celle-ci fait oeuvre de continuité historique.

A ce titre, la culture se situe hors du temps et elle ose chercher dans le passé des faits qui donnent forme à ce qui est éprouvé dans le temps présent par ceux et celles qui ont pour missions de transmettre un héritage.

N’oublions pas nos mémoires olympiques !

Jean-Pierre Guilbert

2ème Semestre 2022

TABLEAU DES 26 MÉDAILLÉS FRANÇAIS

Gymnastique artistique - Concours général par équipes France

Georges Berger (1/05/1897 à Louvroil (59), 16/11/1952 à Trith-Saint-Léger (59), Ouvrière Valenciennoise), Emile Bouchès (03/07/1896 à Maubeuge (59), 12/06/1946 à Maubeuge, La Maubeugeoise), René Boulanger (22/04/1895 à Hautmont (59), 12/08/1949 à Hautmont, La Haumontoise),

Alfred Buyenne (mentionné dans l’article)

Eugène Cordonnier (16/11/1892 à Loos (59), 03/01/1967 à Bondy (93), Haubourdin), Léon Delsarte (19/11/1893 à Valenciennes (59), 24/01/1963 à Valenciennes, Ouvrière Valenciennoise), Lucien Demanet (06/12/1874 à Limont-Fontaine (59), 20/06/1943 à Denain (59), La Haumontoise puis Denain), Paul Durin (03/01/1890 à Maubeuge (59), 24/05/1953 à Maubeuge, La Maubeugeoise), Victor Duvant (03/03/1889 à Valenciennes (59), 13/09/1963 à Valenciennes, Union Sportive Valenciennoise), Fernand Fauconnier (16/04/1890 à Marpent (59), 28/04/1940 à Hautmont (59), La Haumontoise), Arthur Hermann (16/10/1893 à Mulhouse (68), 28/03/1958 à Belfort (90), La Belfortaine), Albert Hersoy (19/09/1895 à Hautmont (59), 24/07/1979 à Maubeuge (59), La Haumontoise), Alphonse Higelin (26/04/1897 à Mulhouse (68), 21/06/1981 à Mulhouse, Cercle Catholique Saint-Joseph Mulhouse), Georges Hoël (17/07/1890 à Cambrai (59), 06/01/1967 à Cambrai, Cambrai),

Louis Kimpe (mentionné dans l’article)

Georges Lagouge (05/11/1893 à Neuf-Mesnil (59), 08/09/1970 à Vieux-Mesnil (59), La Haumontoise), Paulin Lemaire (18/12/1882 à Maubeuge (59), 17/10/1932 à Maubeuge, La Haumontoise), Ernest Lespinasse (20/10/1897 Hautmont (59), 22/11/1927 à Hautmont, La Haumontoise),

Emile Martel (mentionné dans l’article)

Jules Pirard (28/05/1885 à Hautmont (59), 22/12/1962 à Hautmont, La Haumontoise), Eugène Pollet (29/09/1886 à Lille (59), 16/12/1976 à Lille, La Lilloise), Georges Thurnherr (16/04/1886 à Eglingen (68), 06/04/1956 à Belfort (90), La Belfortaine), Marco Torres (22/01/1888 à Sidi Bel Abbes (Algérie), 15/01/1963 à Marseille (13), Espérance d’Oran), François Walker (03/06/1888 à Lunéville (54), 06/08/1951 à Clichy (92), Clichy ?), Julien Wartelle (26/01/1889 à Lille (59), 22/08/1953 à Lille, La Lilloise), Paul Wartelle (09/01/1892 à Lille (59), 07/12/1974 à Lille, La Lilloise).

L’entraîneur de l’équipe de France était Georges Paillot né à Reims le 2 mai 1867 et décédé à Maubeuge le 29 juillet 1944. Il reçut la Légion d’honneur en 1928.

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