Mémoire.Clément Guénégo

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citer ici l’anglais John Ruskin, et son antagoniste le français Eugène Viollet-le-Duc, l’italien Camillo Boito ou encore Aloïs Riegl. Pour ces théoriciens, la ville de Rome, visitée, étudiée, dessinée, relevée a joué un rôle important dans le développement de leur réflexion. C’est sur le dernier d’entre eux que j’aimerais m’attarder plus particulièrement ici.

Enfin, les monuments de l’ancienneté comprend les œuvres dont l’aspect extérieur révèle le travail du temps, qui définit pout tous une distance avec l’instant actuel. La valeur d’ancienneté d’un monument est dans la droite lignée de Ruskin et sa théorie développée autour de la patine du temps.

En effet, elle repose sur les traces perceptibles loïs Riegl, philosophe, historien de l’art et que le temps laisse sur un monument. Ces traces conservateur de musée viennois de la fin du XIXe témoignent de l’«activité destructrice de la nature» siècle, expose sa théorie dans un ouvrage fondateur qui reprend ses droits et perpétue ainsi le cycle de pour la discipline patrimoniale: «Der moderne Denk- vie de tout organisme, de sa genèse à sa disparition. malkultus, sein Wesen, seine Entstehung», traduit Toute intervention de l’homme est alors contraire à en français sous le titre de «Le Culte Moderne des ce processus naturel d’évolution. Monuments» 60. Il y développe une démarche analytique articulée autours de valeurs induisant des Par cette théorie analytique du monument, Riegl préconise une étude approfondie préalable à toute principes de conservation. action restauratrice. Ainsi, la désignation comme Tout d’abord, l’auteur définit trois classes de monu- monument historique et la démarche à adopter en ments: les monuments voulus, les monuments histo- matière de restauration dépend de la ou les valeurs riques et les monuments de l’ancienneté. Liés entre eux caractérisant le monument en question. (les monuments voulus constituent une partie des monuments historiques qui constituent eux même une pari la Colonne Trajane, commémorant les conquêtes tie des monuments de l’ancienneté), ils se différencient militaires de l’empereur ou le Vittoriano, monument par une «extension croissante de la valeur de mémoire». élevé à la gloire de l’unificateur de l’Italie, Victor Emmanuel II, voisins, se classent clairement comme Les monuments voulus, distinguent les œuvres qui des monuments voulus, les Marchés de Trajan se par volonté préalable de leur auteur, commémorent définiront plutôt comme un monument historique, un évènement précis du passé. Cette valeur com- tant leur conception par Appolodore de Damas était mémorative des monuments rejette la «patine du animée d’un besoin fonctionnel plus que fastueux et temps» en prônant l’immuabilité du monument face commémorationnel. Leur intérêt patrimonial fut mis en avant que bien plus tard. En effet, une fois la pluaux actions du temps. part des édifices antiques rendus à l’état de ruine, Les monuments historiques regroupe les édifices qui par la négligence humaine ou le travail érosif de la évoquent un moment précis du passé mais n’ayant nature, les Marchés constituèrent un témoignage pas eu cette volonté de conservation préalable. La fiable et rare de l’architecture antique et de la vie sélection s’est fait à posteriori, pour leur rôle mé- économique et culturelle de l’Empire au IIe siècle de notre ère. moriel vis à vis des générations futures.

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Par leur histoire continue et les traces montrant les différentes phases d’occupation différentes, le complexe pourrait logiquement être aussi porteur d’une valeur d’ancienneté. Les modifications architecturales, exposant par leurs style, leurs matériaux utilisés, traduisent avec évidence une histoire ancienne et une réelle distance avec le temps actuel. Cependant, le propos développé dans la dernière partie nuance ce discours. Riegl y évoque le rapport entre le culte du monument et les valeurs dites d’actualités qui sont au nombre de deux: la valeur utilitaire et la valeur d’art, elle même divisée en valeur de nouveauté et valeur d’art relative. C’est surtout la première qui s’applique ici. Pour Riegl, la valeur utilitaire, c’est à dire la capacité d’un édifice à accueillir un usage, doit être tant que possible maintenue car «une partie essentielle du jeu vivant des forces naturelles serait irrémédiablement perdue avec la surpression de l’utilisation du monument» 61. Mais l’usage actuel d’un monument historique présuppose une conservation «sécuritaire» de l’édifice, puisqu’un «bâtiment ancien encore en usage doit être conservé dans un état tel qu’il abrite les hommes sans danger pour leur vie ou pour leur santé.» 62. Cette valeur d’actualité est donc en conflit direct ave la valeur d’ancienneté. Ainsi, les travaux RIEGL Aloïs, Der Moderne DenkmalKutus, sein Weisen, seine Entstebung, Vienne, Braümuller, 1903 ( Le Culte Moderne des Monuments, traduit et présenté par Jacques Boulet, Paris, Editions de l’Harmattan, Collection Esthétiques, 2003). 61 RIEGL Aloïs, Der Moderne DenkmalKutus, sein Weisen, seine Entstebung, Vienne, Braümuller, 1903 ( Le Culte Moderne des Monuments, traduit et présenté par Jacques Boulet, Paris, Editions de l’Harmattan, Collection Esthétiques, 2003), p.93 62 RIEGL Aloïs, Der Moderne DenkmalKutus, sein Weisen, seine Entstebung, Vienne, Braümuller, 1903 ( Le Culte Moderne des Monuments, traduit et présenté par Jacques Boulet, Paris, Editions de l’Harmattan, Collection Esthétiques, 2003), p.92 60


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