Mémoire. Nantes, la Loire retrouvée#

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Préambule

La planète compte cent-treize agglomérations de plus d’un million d’habitants. Seulement vingt-huit se sont développées sans rapport avec l’eau. Parmi les dix plus grandes agglomérations françaises, aucune n’est construite sans rapport à l’eau; qui plus est, seules Marseille et Nice bâties au contact de la Méditerranée, ne se sont pas implantées aux abords d’un fleuve. Historiquement, les premières civilisations urbaines se sont implantées dans un petit nombre de vallées majeures : Nil, Tigre, Euphrate, Indus, Fleuve Jaune…

Ces trois constats permettent de mettre en lumière que parmi la multitude de façons de faire la ville que l’on peut observer autour du monde, selon les différentes cultures, les climats, la géographie… une seule constante semble s’établir : une ville ne peut se développer sans rapport à l’eau. En outre, plus que littoral, ce rapport est majoritairement fluvial. En effet, confluence, île, méandre, embouchure, delta et estuaire, lieu de franchissement, sont autant

d’emplacements

stratégiques

l’homme

nomade

s’est

naturellement

et

prioritairement sédentarisé.

On peut donc se demander quelles sont les raisons qui ont ainsi amené la ville a entretenir une relation si étroite avec le fleuve. Tout d’abord, il offre un apport durable en eau, ressource vitale par excellence et nécessaire à l’essor d’une population citadine. Par ailleurs, il apporte une protection militaire en constituant une « muraille naturelle » aux franchissement maîtrisés; il est également un élément de pouvoir : en contrôlant un point stratégique du cours d’eau, une ville exerce son emprise sur un territoire beaucoup plus étendu, aussi bien que culturellement qu’économiquement et militairement. Enfin, le fleuve apporte richesse et prospérité économique. Il permet la pêche ou autres activités halieutiques, l’agriculture par le biais de l’irrigation (la civilisation égyptienne aurait-elle eu un tel rayonnement si le Nil n’avait pas permis l’agriculture par ses crues fertiles ?), ou plus récemment le développement de l’industrie, et de tous temps le commerce. Un port a toujours été, en effet, un atout 2


exceptionnel dans le développement d’une ville (Athènes aurait-elle exercé sa suprématie sur la Méditerranée sans le Pirée, son avant-port?). Un fleuve a par ailleurs toujours apporté l’énergie nécessaire aux activités économiques : moulins à eau du Moyen Age, turbines de l’ère industrielle, barrages et usines hydroélectriques de l’époque moderne. Néanmoins, l’urbanisation en bordure de fleuve n’est pas sans conséquences négatives. Au cœur d’un espace anthropisé, il constitue un élément incontrôlable par ses crues, ses berges plus ou moins stables, les fluctuations du niveau d’eau selon les saisons ou liées au marnage pour les villes de fond d’estuaire. Par sa salubrité parfois douteuse, il peut se transformer en vecteur d’épidémies (choléra, paludisme…). Son franchissement est parfois difficile et il constitue une fracture entre les deux rives et leurs arrière-pays. Axe de circulation majeur depuis la mer, il constitue une entrée facile à l’intérieur des terres pour d’éventuels envahisseurs (invasions vikings aux Moyen-âge).

A la fois nourricier et destructeur, le fleuve se trouve ainsi au centre des préoccupations de l’homme urbain qui n’aura de cesse de le maîtriser, le dompter, l’assujettir.

Au XIXe siècle, la relation entre la ville et son fleuve se trouva profondément modifiée. L’avènement de l’ère industrielle vit la fonction utilitaire du fleuve, dompté par l’homme comme jamais auparavant, primer sur toutes les autres. En effet, l’installation d’infrastructures portuaires et industrielles toujours plus importantes, a coupé irrémédiablement la ville de son cours d’eau. Ce dernier fut réduit à un rôle de desserte, autour de laquelle se concentrèrent les activités polluantes et bruyantes que la ville cherche à oublier mais qui pourtant la font vivre. Cela acheva de dégrader l’image du fleuve, dont la ville s’éloigna progressivement et durablement pour s’étendre vers l’arrière pays. Ainsi, le géographe Pierre Lavedan n’hésite pas à écrire en 1959 « Les villes n’aiment pas les fleuves , dont pourtant elles ont vécu. »1. Pour appuyer ce jugement, le professeur de l’institut d’Etudes Politiques, Jean Labasse cite trois types de situations : « la couverture de la rivière par des constructions ou une voie de circulation , entrainant ainsi la suppression pure et simple d’une section de son cours ; l’emprisonnement de la rivière, enfermée entre les maisons qui la

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Pierre Lavedan (1959), Géographie des villes, Paris, Gallimard, p.16

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flanquent sans chemin intermédiaire ; la dénaturation de la rivière par la circulation sur ses berges. »2. Le premier et le dernier point sont particulièrement intéressants. En effet, dès l’origine de l’urbanisation, les principaux axes de circulations terrestres, se sont implantés selon le fleuve : perpendiculairement et surtout parallèlement. Le règne de l’automobile s’amorçant au moment où le fleuve perdait de son utilité, il fût simple de le sacrifier au profit de cette dernière. On céda encore une fois au principe utilitaire : les quais ont été élargis, les voies sur berges créées, des bras de fleuve comblés pour permettre une entrée rapide dans le cœur des villes. De la même façon, ces « autoroutes urbaines » ont interdit toute relation entre la ville et son fleuve.

Cependant, depuis les années 1980, la donne a profondément changé. Les départs, souvent en aval, des installations portuaires et industrielles polluantes et parfois dangereuses, à l’étroit et difficilement accessibles en centre-ville combinés à l’émergence d’une pensée mettant en avant des considérations environnementales et de confort de la vie urbaine, ont amené la plupart des villes fluviales a amorcer un retour vers le fleuve. Ainsi en France, Lyon, Bordeaux ou encore Nantes, pour ne citer qu’elles, ont vu se libérer des espaces en bords de fleuve au potentiel exceptionnel. C’est donc légitimement que des pouvoirs municipaux forts et très implantés localement ont lancé de grands travaux visant à aménager les territoires rivulaires : au-delà de ces simples espaces, c’est un phénomène de valorisation du fleuve qui est en marche.

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Jean Labasse (1987), « Réflexions d’un géographe sur le couple ville‐fleuve », in Comité des travaux historiques et scientifiques, 1989, La ville et le fleuve (colloque tenu dans le cadre du 112e Congrès national des Société savantes, Lyon, 21‐25 avril 1987), Paris, Editions du Comité des travaux historiques et scientifiques, p.16

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Introduction

Le phénomène urbanistique de retour vers le fleuve, décrit dans le préambule, a été l’objet, entre autres, d’un cours que j’ai suivi à l’ENSAPVS en deuxième et troisième année de licence intitulé « la ville devenue métropole » dispensé par Jean-Yves Chapuis, par ailleurs maire adjoint à l’urbanisme de la ville de Rennes, où les rives de Vilaine ont été profondément transformées ces dernières années. Ce cours ainsi que différents cours d’urbanisme et de géographie des villes ont suscité en moi cet intérêt pour la relation entre les villes et leurs fleuves. Par ailleurs, sur le plan personnel, j’ai grandi et passé ma jeunesse dans la région de Nantes-Saint Nazaire. J’ai donc observé au plus près le déroulement de cette prise de conscience du fleuve et les aménagements qui ont suivi.

Le cas de Nantes étant un bon exemple de cette idée et ayant une connaissance réelle de la ville et ses rives, c’est naturellement et logiquement que j’ai décidé, pour illustrer mon propos sur le couple ville-fleuve, de recentrer mon étude sur Nantes et son fleuve : la Loire.

En effet, après avoir bâti sa prospérité grâce à son fleuve, Nantes s’en est détournée spectaculairement et douloureusement de son fleuve, dans la première moitié du XXe siècle. Les réflexions et aménagements lancés depuis une vingtaine d’années sont en train de changer durablement le visage de la ville, en recréant une relation à la Loire. Ma réflexion exposée ici s’est donc articulée autour d’une problématique qu’on pourrait définir ainsi : quelles sont les raisons qui ont poussé Nantes à chercher à retrouver la Loire, et par quel biais cette volonté s’effectue ?

Afin d’appuyer mon travail, j’ai effectué des recherches dans plusieurs bibliothèques (ENSA Paris-Val de Seine, ENSA Nantes, Cité de l’Architecture et du Patrimoine…) où j’ai pu ainsi travailler à partir de différentes sources bibliographiques. Au premier rang de celles ci je citerais l’itinéraire mémoriel, comme le définit la Pléiade, écrit par Julien Gracq, « la Forme d’une ville », où l’écrivain, géographe âgé, se remémore les souvenirs du jeune lycéen qu’il était découvrant le Nantes des années 1920 ainsi que la revue « Place Publique » où des 5


architectes, urbanistes, géographes, historiens, sociologues, économistes, universitaires, ou encore élus expriment leurs savoirs, leurs point de vue sur l’actualité urbanistique et culturelle de la région Nantes-St Nazaire. J’ai également rencontré et interrogé Elisabeth Georges, architecte-urbaniste de l’Atelier Ruelle, en charge du réaménagement du quartier Malakoff-Pré Gaucher, en bord de Loire d’une part, et Jean-Pierre Branchereau d’autre part, géographe, professeur à l’IUFM des Pays de la Loire et membre du Conseil de développement de Nantes métropole, qui m’ont fait partager leurs savoir et expériences sur le sujet.

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Du fleuve perdu La première moitié du XXe siècle marqua un tournant irrémédiable dans la relation de Nantes à la Loire. C’est en effet pendant cette période que se déroula la « séparation de corps »3 décrite par Julien Gracq. Elle peut paraître surprenante. Nantes avait toujours vécu d’eau, la plaçant au centre de son espace urbain et y tirant richesse et rayonnement. En effet, elle s’est implantée à la confluence de la Loire et de l’Erdre (sur la rive droite) et à proximité directe de la confluence avec la Sèvre (sur la rive gauche), en fond d’estuaire, lieu de convergence entre la Loire fluviale et la Loire maritime, où de nombreuses îles ont permis un franchissement aisé. 4 Pourtant, la Cité des Ducs de Bretagne se sépara bel et bien de celle par qui elle était née et avait prospéré. La fracture s’immisçant dès 1857 par la traversée du centre ville par le train rejoignant Saint Nazaire, à l’Ouest, s’accéléra de manière significative au XXe siècle. En 1917, les Américains doublent la voie ferrée pour permettre une meilleure liaison avec le port de débarquement, St Nazaire, encombrant de manière importante les quais et supprimant une grande partie des possibilités de passage entre le quai et la ville. Contrairement à d’autres villes fluviales, les installations industrielles et portuaires n’ont pas véritablement contribué à cette fracture ; elle se sont en effet installées sur les différentes îles de Loire, plus ou moins marécageuse où la ville n’avait pas souhaité se développer jusqu’alors. La

séparation

s’acheva

douloureusement par le comblement des bras nord de la Loire, irriguant le centre même de la ville. Ainsi, de 1926 où on combla le bras de la Bourse à 1946 où on termina de combler la confluence de l’Erdre, lieu même de l’implantation originelle, Nantes perdit son statut de « Venise Fig. 1 : Chantier de comblement de la Loire, transformée

de l’Ouest ».

selon Gracq, « en fleuve de sable »

3 4

Julien Gracq, (1985), la Forme d’une ville, Paris, Editions José Corti, p119 Une vue aérienne annotée explicitant les différents lieux cités dans ce rapport est visible en annexe, page 26.

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Fig. 2 : Des îles de Nantes, en 1888…

Fig. 3 :… à l’Ile de Nantes, en 2010.

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Les raisons de cette fracture douloureuse et profonde furent multiples.

Naturelles d’abord. Depuis quelques siècles déjà, la Loire avait vu son niveau baisser et son estuaire progressivement s’encombrer de bancs de sable ou de vasières. Ainsi à marée basse, il arrivait régulièrement que les bras nord, au débit mineur, se trouvent à sec, à la vue et l’odeur peu digne d’un centre ville bourgeois. En outre, les crues de Loire étaient récurrentes et inondaient régulièrement les quartiers bas de la ville. La présence d’un élément naturel incontrôlable en plein centre dérangeait. La Loire était, et bien que l’on ait tendance à l’oublier demeure, dangereuse. Souvent paisible en surface, le rapport de force entre le flot maritime et le débit fluvial crée tourbillons, remouds, courants, fosses et bancs de sables en perpétuels mouvements. De ce fait, noyades et accidents étaient dramatiquement

récurrents. Ainsi, par

exemple, dans les années 1970, une trentaine d’enfants trouvèrent la mort dans l’affaissement d’un banc de sable dans les

Fig. 4 : Inondation de 1936, une des nombreuses de

environs d’Angers.

ce début de XXe siècle.

Economiques ensuite. Crée en 1856, à une époque où les bateaux avaient besoin d’un tirant d’eau de plus en plus important, Saint Nazaire, l’avant port Nantais, entraîna le lent déclin de celui-ci. Les activités furent progressivement transférées en aval, et les imposants bateaux de commerces familiers des Nantais, désertèrent le Quai de la Fosse 5. La Loire avait perdu une grande partie de son incontournable intérêt économique d’antan. Historiques pour continuer. La révolution industrielle entraînant le développement du chemin de fer, le fleuve perdit rapidement son exclusivité comme grande voie de communication. La gare de la compagnie d’Orléans qui s’installe à proximité directe du Château des Ducs, et la gare de l’Etat qui prend place plus tard sur l’île de la Prairie aux Ducs, en plein cœur des installations industrialo-portuaires, ont permis une desserte aisée du centre ville et des zones d’activités économiques. La Loire, comme axe de communication, a donc été relégué au second rang. En outre, elle a aussi occupé un rôle plus trouble dans l’esprit des Nantais. Si elle a apporté prospérité, elle fût aussi vectrice de traumatismes restés encore 5

Cf. vue aérienne annotée, p. 26

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vivaces. La Terreur mise en place par Carrier et ses « déportations verticales » fit environ 20 000 morts par noyade ou encore le commerce triangulaire à partir duquel la ville a développé considérablement sa richesse font de la Loire un fleuve au rôle ambigu. Scientifiques ensuite. Pour faire face au problème d’ensablement et d’envasement de l’estuaire, à une époque où des navires au tirant d’eau toujours plus grand avaient besoin de remonter jusqu’à Nantes, on pensait en effet, dès le XIXe siècle, qu’en limitant le nombre de bras et en concentrant donc le débit dans deux bras principaux, le fleuve s’autodraguerait. Pratiques, enfin. Ce furent elles qui précipitèrent les comblement orchestrés par les ingénieurs des Ponts et Chaussées contre lesquels la municipalité a lutté jusqu’au dernier moment. En effet, la double voie de chemin de fer qui traversait la ville entraînait de nombreux accidents aux passages à niveaux et une pollution importante. Le comblement des bras nord de la Loire permit donc ainsi de faire passer le train en souterrain et ainsi libérer les quais, devenus de ce fait boulevards urbains. La ville, à qui l’Etat avait interdit de lotir ces espaces, créa ainsi de grands axes d’entrée rapide dans le centre ville ou des zones de stationnement, une aubaine à une époque où le règne de la voiture individuelle s’amorçait. Pour ces raisons, l’eau dans lesquels se miraient les façades des hôtels particuliers du XVIIIe siècle de l’Ile Feydeau fut remplacée par un océan d’asphalte engloutissant les ponts et la halle aux poissons qui se dressait à la proue de cette île, ouverte vers l’estuaire, fut privée à tout jamais des quais sur lesquels les bateaux chargés de poissons accostaient.

A la fin des années 1980, une première réflexion sur la question du fleuve perdu fut menée lors de l’aménagement du Cours des Cinquante Otages (construit sur l’ancien cours de l’Erdre) et des abords de l’île Feydeau. Pour intégrer le tramway dans la ville, l’équipe Bruno Fortier et Italo Rota imagina une trame verte en lieu et place de la Fig. 5 : Grâce à B. Fortier et I. Rota, l’île Feydeau

Loire disparue et reconstitua les quais,

a retrouvé son insularité perdue un demi-siècle plus tôt redonnant à Feydeau son caractère insulaire.

Cette première opération, mise en œuvre sous la toute jeune municipalité Ayrault, l’incita a faire du retour à la Loire une figure de proue de ses mandats successifs. Après l’avoir perdue, Nantes partait de nouveau à la recherche de son identité fluviale.

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Du fleuve retrouvé Quand on l’interroge sur le monument nantais disparu lui manquant le plus6, Jean Marc Ayrault n’hésite pas à déclarer : « J’évoquerais […] une mémoire vive que je porte en moi comme tout Nantais : celle de la Loire, du temps où le fleuve entrait dans la ville, où les pouls de la ville et de la Loire battaient au même rythme. ». Ainsi depuis quatre mandats, la municipalité qu’il conduit a mis en place une réflexion globale sur la relation entre Nantes et la Loire, dans l’objectif de replacer le fleuve au centre pour permettre le développement de la ville. Il est vrai que le port tombé progressivement en déshérence au profit d’un transfert en aval, à Cheviré et surtout à Saint-Nazaire avait émis son dernier souffle en 1987, date de la fermeture des chantiers navals Dubigeon, derniers encore en activité à Nantes. Il laissait derrière lui des friches industrielles sur la Prairie aux ducs. Fait rare dans l’histoire d’une ville, des espaces immenses se libéraient en plein cœur de l’agglomération. A l’étroit sur la rive droite, Nantes voyait dans ces espaces insulaires l’occasion rêvée de bâtir le centre moderne, pendant au centre historique lui faisant face, qui lui manquait pour se développer au rang de métropole européenne. Dès son arrivée à la mairie, Jean-Marc Ayrault a fait de l’urbanisme une priorité, voyant dans l’action urbaine « un levier pour fédérer les Nantais, redonner sa fierté à la ville, en diffuser une image positive »7.

Fig 6 : l’Ile de Nantes,

une

centralité au très fort potentiel.

6 7

Antoine Gazeau et Nicolas de la Casinière, (2011), « Nantes, les monuments disparus », L’Express, n°3119, p66 Ariella Masboungi, (2003), Nantes, la Loire dessine le projet, Paris, Editions de la Villette, p17

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Il demanda donc une étude à Dominique Perrault et François Grether sur la question de ce territoire inexploité. Ils proposèrent d’aborder l’île comme une unité, la penser dans sa totalité. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cela était loin d’être évident. Ce qu’on appelle actuellement « Ile de Nantes », est une appellation datant de cette étude. Aujourd’hui unique, elle était, en effet, composée d’une dizaine d’îles à l’origine, séparée les unes des autres par des bras de Loire plus ou moins morts (ce qu’on appelle des boires), parfois à sec à marée basse, et comblés naturellement ou par l’homme à l’occasion des grands travaux de comblement déjà évoqués. Ainsi se libérait un territoire de 350 hectares très peu urbanisé, en dehors des abords de la « ligne de pont » historique, où un bâti de type faubourg s’était déjà implanté, et la ZAC Beaulieu des années 1970, constituée de quelques tours de 50 mètres de haut et barres, très peu dense, localisée à l’est de l’Ile. Au sein de cet espace insulaire central, libéré par le départ du port, les quais occupent une place de premier ordre. N’appartenant plus aux seuls industries et chantiers navals, ils sont redevenus espaces publics. Par la réappropriation de ses franges par la ville, c’est la Loire elle-même qui est redevenue publique. Le Plan Guide de Chemetoff, visible en annexe p.25 de ce dossier, ne prenant pas seulement en compte les 350 hectares de l’île mais également les 300 hectares de Loire alentours illustre cette volonté. L’heureuse redécouverte de cet espace public oublié se fait dans un contexte d’émergence de la part d’une société majoritairement urbaine, d’aspirations à des notions de confort et loisirs urbains et d’intégration de la nature en ville. Les Nantais ont ainsi vu depuis une dizaine d’années les quais délaissés et les terre-pleins devenus parkings, se transformer en promenades urbaines, parcs, lieux conviviaux et festifs, propices aux rencontres ou à des manifestations culturelles évènementielles.

Fig. 7 et 8 : Les quais redevenus espaces publics, fréquentés à nouveaux par Les nantais. Ici, devant l’école d’architecture .

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Le Quai des Antilles8, lieu intense d’activités indutrialo-portuaires il y a encore une trentaine d’années est ainsi devenu un lieu de promenade favori des Nantais, dès le retour des beaux jours. Les terrasses de café bondées ont aujourd’hui pris place devant le Hangar à Banane, là où transitait les marchandises hier. Ce bâtiment emblématique de l’île s’est rapidement imposé dans l’affectif collectif. Certains déclarent l’aimer car « Jusqu’à présent il n’y avait rien à Nantes au bord de l’eau. », témoignant ainsi de cette volonté d’appropriation du fleuve, d’autres apprécient la proximité de ce lieu de sortie à « l’esprit décalé » à deux pas du centre, tous se sont appropriés le lieu, à la pointe ouest de l’île, véritable proue sur l’estuaire.9

Fig. 9 : Les Quais des Antilles, lieu apprécié des Nantais le jour…

Fig. 10 : … comme la nuit. Les anneaux lumineux de Daniel Buren, offrant des cadrages successifs sur la ville ou sur l’estuaire, ont contribué à cet engouement immédiat.

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Cf. vue aérienne annotée, p.26 Frédérique de Gravelaine, (2009), « Le Hangar à bananes : être touriste dans sa ville », Place Publique, Hors‐ série : La Loire au centre, p33 9

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Si la Loire est, on l’a vue, redevenue la matrice du développement urbain de Nantes, la démarche de renouement avec le cours d’eau est autrement plus ambitieuse.

A l’heure de la mondialisation et de la métropolisation, les différents pouvoirs publics se sont accordés pour dire que le développement de Nantes ne pouvait être pensé sans sa façade littorale. Plus que jamais, comme le déclare l’écrivain Jacques Boislève, « qu’il s’agisse de l’agglomération nantaise ou de l’estuaire, c’est la Loire qui se trouve replacée au centre du jeu»10, s’imposant comme le trait d’union incontournable entre les pôles de la métropole en devenir. En effet, elle est le lien assurant l’équilibre entre Nantes, centre tertiaire et de pouvoir administratif et décisionnel, Saint-Nazaire et sa région, poumon économique industriel et le duo La Baule-Presqu’île guérandaise, place touristique et hôtelière réputée. Cette métropole ligérienne possède donc conjointement les trois sources de revenus nécessaire à son développement : publique, productive et résidentielle11. Cette situation d’équilibre peu courante fait dire à la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), qu’avec Bordeaux, Nantes est la seule métropole de l’Ouest français pouvant prétendre à une dimension européenne.12 C’est pourquoi, hier rivales aujourd’hui amies, « Nantes et Saint-Nazaire engagent de fécondes interactions en vue d’atteindre la masse critique sans laquelle la Ville Atlantique restera a jamais un mythe »13. Les moyens mis en œuvre concernent de nombreux domaines : administratif, tout d’abord, par la dotation d’un SCOT commun aux cinq communautés de communes de l’estuaire (on remarquera cependant l’absence du Pays de Retz, au sud de l’estuaire), politique ensuite, par des décisions communes aux deux maires, de la même couleur politique, culturel également par le biais de la biennale d’art contemporain Estuaire, ou des actions de la compagnie Royal De Luxe, logistique enfin, par la multiplication des liaisons ferroviaires mais surtout par le projet d’implantation du nouvel aéroport nantais, à mi-chemin entre les deux villes… On peut également évoquer une réflexion urbaine similaire : si Nantes retrouve actuellement son fleuve, Saint Nazaire l’avait précédé. Coupé de son port et du fleuve par un plan de reconstruction du centre ville, rasé à 90% pendant la guerre, totalement étranger aux particularités du site et de façon dramatique par la base sous-marine nazie, la ville a 10

Jacques Boislève, (2007), « Nantes‐sur‐Loire : un territoire en projet. », Place Publique, n°2, p51 Laurent Théry et Stanislas Mahé, (2007), « L’estuaire, matrice de la métropole », Place Publique, n°3, p47 12 Ariella Masboungi, (2003), Nantes, la Loire dessine le projet, Paris, Editions de la Villette, p 183 13 Jacques Boislève, (2007), « Nantes‐sur‐Loire : un territoire en projet. », Place Publique, n°2, p52 11

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développé le projet « ville-port » redynamisant la zone portuaire. La conception de ce dernier a été orchestré par Laurent Théry, qui une fois cette mission lancée, a occupé les postes de directeur des services de Nantes Métropole puis de Directeur de la Société d’Aménagement de la Métropole Ouest Atlantique, la Samoa, mettant ainsi son talent d’urbaniste au profit à la fois des deux villes puis de la métropole qui en naît. Nouant des liens durables avec SaintNazaire et la façade littorale, Nantes ne délaisse pas pour autant sa voisine angevine.

En effet, en amont, Angers a connu un développement similaire à Nantes au XXe siècle. Comme Nantes a perdu ses chantiers navals, Angers a vu disparaître son industrie ardoisière. Elle s’est donc tournée elle aussi vers le tertiaire. Occupant une place centrale au sein de la région Pays de la Loire mais souffrant de l’effet « sous-prefectoralisation », c’est en s’associant à Nantes qu’elle assure son statut d’agglomération régionale.14 Là aussi, certes dans une moindre mesure, la Loire est le vecteur de ces liens.

Il apparait donc clairement qu’en tournant de nouveau son regard vers la Loire, Nantes a insufflé un nouveau souffle à son développement urbain, à la fois à l’échelle de la cité et de la région.

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Jean‐Pierre Branchereau, (2011), « Angers‐Nantes : deux histoires, deux cultures, un avenir commun ? », www.nantes‐citoyenneté.com, p2

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De l’effectuation de cette réconciliation

La prise de conscience de la nécessité de renouer avec le fleuve pour les diverses raisons énoncées a eu lieu vers le milieu des années 1990. Après le temps nécessaire à la conception et à la maturation d’un projet d’une telle ampleur, le visage de Nantes a clairement changé depuis une dizaine d’année. Nous avons donc le recul et les éléments nécessaires pour comprendre comment ce retour vers la Loire s’opère.

La stratégie de développement a tout d’abord replacé la Loire au centre de l’espace urbain. Elle n’est plus traitée, il est vrai, comme une « servitude polluante et gênante, […] soigneusement tenue à distance, isolée de la ville. » telle que l’a connu Gracq dans les années 1980.15. En effet, l’installation sur l’île ou ses rives de nombreuses institutions publiques ou privées ont permis de rendre à la Loire ses lettres de noblesse, en amenant les Nantais a de nouveau traverser la Loire et arpenter ses quais. Si le conseil de région et le tribunal des Prud’hommes s’étaient déjà implantés sur l’île dans les années 1970 et 1980, c’est la construction, en 2000, du nouveau palais de justice, conçu par Jean Nouvel, au débouché de la passerelle Schœlcher, premier franchissement exclusivement piéton qui a marqué le début de la réurbanisation réelle de l’île. Nombreux sont les édifices occupant un rôle important à avoir suivis cet exemple. Ainsi se dessine actuellement un Quartier de la Création, regroupant deux écoles nationales d’art, d’Architecture et des Beaux-arts, un centre culturel consacré aux musiques contemporaines (la Fabrique), les Machines de l’Ile, association culturelle construisant des animaux mécaniques, dans la lignée directe de l’illustre nantais Jules Verne (et du passé industriel du lieu) et dont l’éléphant est devenu l’emblème du renouveau de la ville, des bureaux ou magasins destinés à des activités artistiques (agences d’architecture, de design, de publicité…) etc. A l’horizon 2015, le CHU, localisé sur la rive droite, enjambera lui aussi la Loire pour implanter une partie de ses activités sur l’Ile. Le transfert total de l’hôpital à cet emplacement 15

Julien Gracq, (1985), la Forme d’une ville, Paris, Editions José Corti, p125

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est régulièrement évoqué mais soulève de nombreuses questions, en particulier quant à l’inondabilité possible du site à long terme dû à un rehaussement du niveau du fleuve. Des initiatives privées accompagnent conjointement cette volonté publique. Faisant face ,sur la rive gauche, au site du futur CHU, les Nouvelles Cliniques Nantaises viennent de s’implanter à la confluence de la Loire et de la Sèvre. Le

quartier

d’affaire

Euronantes localisé au sud de la gare cherche à traverser la Loire et s’étendre sur la partie est de l’Ile, centralisant de nombreux

sièges

sociaux

régionaux. La démarche d’aménagement Fig. 11 : Le quartier d’affaire Euronantes, se développant de part et

de l’Ile se voulant mixte, un certain nombre d’immeubles de

d’autre du bras de la Madeleine.

logements ont vus le jour ou sont en conception, le Plan Guide prévoyant 13 000 habitants supplémentaires sur l’Ile16. Cette alchimie savamment orchestrée de bâtiments publics, bureaux et logement assure la mixité nécessaire à l’émergence d’un espace urbain vivant et approprié rapidement.

Si cette stratégie de développement urbanistique a pour effet de replacer la Loire au centre, d’un point de vue plus sociologique, elle a aussi pour conséquence de replacer la Loire au centre de la vie des Nantais. La réconciliation des Nantais, cette fois, avec leurs fleuve s’est fait principalement par le biais de la culture. En effet, pour Jean Marc Ayrault urbanisme et culture sont indissociables et vecteurs de développement urbain. Pour lui, « urbanisme et culture forment un tout , pour rendre compte de la vie dans ce qu’elle a de profond, solide mais aussi fragile, mouvant… »17 . Il renchérit en affirmant que « l’aménagement de la ville est un acte culturel. »18. L’urbanisme rend donc possible la culture, tandis que la culture magnifie l’urbanisme. L’importance du Quartier de la Création ou du Quai des Antilles déjà évoqués en témoigne. Par ailleurs, tout comme Saint-Nazaire a célébré la reconquête de son port par le 16

Cf. annexe p.25 Ariella Masboungi, (2003), Nantes, la Loire dessine le projet, Paris, Editions de la Villette, p18 18 Alexandre Chemetoff, (2010), Le Plan Guide (suite), Paris, Chemetoff et associés, p70 17

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festival métissés des Escales, Nantes a inauguré la pointe ouest de l’Ile (regroupant le Quai des Antilles, le parc des Chantiers et les nefs des Machines de l’île) par le lancement de sa biennale d’art contemporain Estuaire et les premiers pas dans la ville de l’éléphant des Machines. Ainsi, Chemetoff raconte « Je fus saisis d’une émotion particulière lorsque je vis arriver, dans le parc des Chantiers encore en travaux, la foule qui envahissait les lieux. Je comprenais que chacun découvrait dans les aménagements le souvenir enfoui d’une mémoire longtemps refoulée, celle de la Loire retrouvée et des chantiers fermés désormais ouverts au public : un souvenir transformé. ».

De plus, les volontés de ce dernier édictées dans le Plan Guide, ne sont pas étrangères à cette idée. En effet, si le premier des trois

thèmes

est

« retrouver la Loire », le deuxième est « commenFig.12 : Le Parc des chantiers au premier plan et les nefs Dubigeon,

cer par les espaces

de l’île à l’arrière plan abritant les Machines

publics ». De cette façon, les espaces publics

nouvellement créés (parc des Chantiers, parc des Fonderies, parvis de la gare de l’Etat, quais…) sont réellement de qualités et très appréciés des Nantais. Par ailleurs, les différents acteurs du renouveau urbain de la ville ont émis une volonté forte de regarder le fleuve par tous les moyens. Ils souhaitent, dans la mesure du possible, mettre en relation chaque quartier, chaque espace public, chaque bâtiment avec le fleuve. A l’échelle urbaine, cette volonté a été exprimée dès l’origine des différents projets. Le Plan Guide d’Alexandre Chemetoff pour l’Ile de Nantes a pour premier des trois grands thèmes « retrouver la Loire ». L’urbaniste a traduit cette volonté en trois types d’actions : continue, avec la création d’un maillage de voirie perpendiculaire à la Loire, jusque là inexistant, l’aménagement des quais en promenade ininterrompue… ponctuelle, par la mise en place de pont et passerelles, de pontons… et spectaculaire, par le biais de deux bassins faisant entrer la Loire au centre de l’île.

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Fig. 13 : Retrouver la Loire, c’est aussi l’intégrer au sein même de l’île. Ici, le Bassin de la Loire Fluviale, à l’est de l’île.

L’Atelier Ruelle dans son travail d’aménagement urbain visant à désenclaver le quartier réputé sensible de Malakoff19 a également proposé cette idée sans que cela ne soit demandé explicitement par la municipalité. Selon les propos d’Elisabeth Georges, architecte associée de l’Atelier, une des principales préoccupation a été de « rendre la Loire à Malakoff ». Elle surenchérit en déclarant : « La commande politique était le désenclavement du quartier. Nous avons en outre mis l'accent fortement sur l'établissement de liens généreux avec la Loire sur toute la façade du quartier dont le linéaire est considérable. ». Pour cela, ils ont développé les espaces publics connectés aux rives, les percée physiques ou visuelles de l’intérieur du quartier vers le fleuve, les jardins résidentiels ouverts sur la Loire pour les tours existantes. Ils ont également entre autre, ordonné la démolition d’une tour, permettant ainsi à la rue de Chypre, percée dans le prolongement d’une rue déjà existante de déboucher sur la Loire ou encore de nouvelles constructions, orientées vers le fleuve. L’acte majeur de cet aménagement est la création d’une nouvelle avenue prolongée par le pont Tabarly, « qui relie la gare à la Loire et l'île de Nantes en passant par Malakoff qui devient ainsi l'un des lieux privilégiés de contact entre la ville et son fleuve. ». Le pont Sédar Senghor, dans la continuité du pont Tabarly, élargit l’impact de cette avenue au Sud-Loire. Grâce à la réflexions des urbanistes de l’Atelier Ruelle, la voirie du quartier, conçue dans les années 1970 parallèlement à la Loire est donc ainsi remplacé par une avenue perpendiculaire, ouvrant considérablement le quartier vers le fleuve et la ville.

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Cf. vue aérienne annotée, p.26

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Fig. 14 : le pont Tabarly et le débouché de l’Avenue de Berlin sur l’Ile de Nantes, en chantier. La Loire rendue au quartier de Malakoff

l’arrière

plan),

le

désenclavera.

On constate aussi facilement cette volonté à l’échelle architecturale, en observant les différents bâtiments nouvellement construits. Il semble que chaque architecte ait interprété à sa manière ce thème du plan guide. Ainsi, dans la nouvelle école d‘architecture, Lacaton & Vassal offrent le toit à la ville en le rendant public, comme un balcon sur la Loire. Christian de Portzamparc fait pivoter ses bâtiments pour que, désaxés, ils profitent de percées visuelles rendues possibles. Hervé Beaudoin étend ses logements sur la Loire par de spectaculaires terrasses lancées au dessus du quai. Chemetoff dans sa réhabilitation des anciens chantiers Dubigeon ouvre les nefs sur la Loire. Nicolas Michelin place ses trois bâtiments de logements en quinconce garantissant ainsi une vue sur Loire pour tous. Dans leur parking silo, l’agence Barto & Barto met en place un jeu de rampes piétonnes en façade reprenant élégamment le mouvement du pont Anne de Bretagne tout proche, comme un envol vers le fleuve.

Fig. 15 et 16: Le parking de Barto & Barto « s’envolant » vers le pont A.de Bretagne ou le logements d’Hervé Baudoin avec ses terrasses surplombant les quais : deux illustrations de cette volonté architecturale de « retrouver la Loire ».

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Olivier Flahault et son Nantilus vont encore plus loin. Plutôt que de regarder la Loire, ce bâtiment accueillant un restaurant, un bar et une salle de conférence, a pris le parti audacieux de s’y installer. Amarrer à 16 mètres, face au parc des chantiers, ce bâtiment vivra au rythme des marrées et des fluctuations de la Loire. Ces réalisations récentes répondant à l’exigence de « retrouver la Loire », ont ainsi changé le paysage urbain nantais, que ca soit à une échelle urbaine ou de façon plus anecdotique à une échelle architecturale.

Fig. 17 : Le Nantilus, une façon spectaculaire de renouer avec la Loire.

La Loire a également retrouvé un rôle majeur dans l’espace urbain, puisqu’on la considère à présent non plus comme une barrière mais comme un outil de désenclavement. L’Atelier Ruelle dans son travail de transformation du quartier Malakoff, a cherché à le relier à la ville au nord mais également à la Loire au sud. Ainsi, le pont Tabarly conçu par Marc Barani relie à présent le quartier à l’ile de Nantes et par le biais du pont Sédar-Senghor de Marc Mimram dans la continuité, au sud-Loire. Par ailleurs dans ce quartier, le travail mené actuellement consiste également en une revalorisation des berges de Loire pour déstigmatiser le quartier. Les cheminements en bords d’eau sont en cours d’aménagement pour permettre la promenade piétonne ; cet aménagement a été couplé depuis au projet « Loire à Vélo » visant une continuité de voies cyclables en bord de Loire sur plus de 800km. Par ailleurs, plusieurs décennies après l’arrêt du trafic des « roquios », navettes de l’entre-deux guerre reliant le centre ville et Trentemoult20 et Chantenay, faubourgs ouvriers, la ligne de bateau-bus reliant Trentemoult, au centre-ville a permis de redonner un second souffle à ce village de pêcheur pittoresque et à présent très en vogue, auparavant coincé entre 20

Cf. vue aérienne annotée, p.26

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la Loire et une voie rapide et éloigné des franchissements existants. Plus que ce simple village, c’est la partie sud de l’agglomération que cette ligne empruntée par plus de 400 000 personnes par an a relié de façon plus évidente à la ville. Le fleuve a donc prouvé qu’il pouvait, au lieu d’éloigner, également rapprocher et servir de support à des déplacements urbains efficaces.

Enfin, ce retour vers le fleuve ne pouvait s’effectuer sans une réconciliation, au sens premier du terme, avec la Loire, fleuve qui apporta parfois malheur et souffrance. Un premier pas avait été effectué quand en 2000, on avait choisir de baptiser la passerelle piétonne menant au palais de justice du nom de Victor Schoelcher, abolisseur de l’esclavage. La démarche était cependant plus ambitieuse : il se construit actuellement, Quai de la fosse lieu de départ des bateaux du commerce triangulaire, à deux pas de cette passerelle, un mémorial de l’esclavage conçu par l’artiste Krzysztof Wodiczko et l'architecte Julian Bonder. Le maire évoque ainsi une volonté d’ « être lucide sur notre propre histoire »21.

21

Jean Marc Ayrault : un mémorial à Nantes, 29.01.2010, 2 : 53 mn , www.jmayrault.fr

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Conclusion

Aujourd’hui, en 2011, nous bénéficions du recul nécessaire pour pouvoir établir un premier bilan. Puisque Nantes s’était séparée durement de son fleuve au début du XXe siècle, on peut réellement affirmer que la réconciliation avec la Loire entreprise il y a quelques années s’effectue déjà concrètement, et va continuer à le faire dans les années qui viennent. En effet, cet écrit a eu pour but de l’illustrer, les mécanismes de fabrication de la ville ont été durablement orientés dans cette volonté de proximité à la Loire. Dorénavant, Nantes ne pourra être considérée sans son fleuve. Elle est en train de retrouvé son caractère ligérien perdu. Les pouvoirs publics ont eu à cœur de faire mentir Julien Gracq quand il déclarait dans les années 1980 : « Ni réellement bretonne, ni vraiment vendéenne, elle n’est même pas ligérienne, parce qu’elle obture plus qu’elle ne vitalise, un fleuve inanimé. »22. Ainsi, en revalorisant ses espaces rivulaires, en redevenant ligérienne donc, la cité des Ducs de Bretagne retrouve son statut d’entrée majestueuse de la Loire fluviale et n’est plus ce goulot pollué et délaissé qui faisait mourir la Loire avant même qu’elle n’atteigne véritablement l’estuaire. Par ces actions, la Loire est sortie de sa torpeur et réinvestit la ville. Ainsi, si le noyau médiéval et renaissance se trouve dans le quartier du Bouffay et autour du château, si le centre du XVIIIe siècle est dessiné par le triptyque des places Royale, du Commerce et Graslin, si les urbanistes des années 1970 ont voulu faire de la Tour Bretagne une nouvelle centralité, il semble apparaitre de plus en plus clairement que le centre du XXIe siècle ne sera autre que le fleuve lui-même auquel lui serait rendu ses lettres de noblesse. Nantes sur Loire est donc en train de supplanter la Nantes que nous connaissons. Laurent Théry évoque « un centre élargi baigné par la Loire et une métropole dans laquelle le fleuve devient le cœur d’un processus de développement. »23.

22

Julien Gracq, (1985), la Forme d’une ville, Paris, Editions José Corti, p193 Laurent Théry, (2009), « Le fleuve matrice de la ville : une découverte récente », Place Publique, Hors‐série : la Loire au centre, p18 23

23


Ce phénomène qui dessine le visage de la Nantes de demain se retrouve couramment en France : Lyon, Bordeaux ou Rennes l’ont précédée, Paris, Angers, Arles, Valence, Rouen, entre autres, amorcent actuellement une pensée similaire. Selon de nombreux urbanistes, ce renouement au fleuve constitue l’un des grands enjeux de ce début de XXIe siècle. Après un siècle de négation du fleuve, on se rend compte que la ville ne peut s’en passer. Richesse économique, industrielle, géopolitique et urbanistique, le fleuve est également vecteur de rêves, d’histoires, d’utopies, de bien être mais aussi de peurs et de mystères : on le redécouvre aujourd’hui.

Par ailleurs, quand Gracq déclarait « Mais à Nantes, avec la trop large percée centrale qui a remplacé les bras comblés du fleuve, la ville n’a pas gagné en étrangeté, elle a perdu en équilibre. »24, il mettait en lumière un rapport important. Il est vrai que si Nantes existe par la Loire, Lyon par le Rhône, Bordeaux par la Garonne, ces fleuves, en quelque sorte n’existeraient pas si ils ne s’écoulaient pas depuis des siècles sous les ponts de ces villes. En revalorisant leurs fleuves, ces villes rétablissent un équilibre perdu, nécessaire à un urbanisme durable et sain. Il apparaît clairement que pour s’inscrire dans un développement viable, les « anciennes » villes fluviales doivent le redevenir. En quelque sorte, la ville de demain sera fluviale ou ne sera pas.

24

Julien Gracq, (1985), la Forme d’une ville, Paris, Editions José Corti, p113‐114

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Annexes

Fig. 18 : Le Plan Guide d’Alexandre Chemetoff, un outil de fabrication de la ville interactif et progressif. Ici, état en juillet 2007. En rose clair est représenté le bâti existant, les différents nuances plus foncées expriment le bâti réhabilité, nouveau ou en projet.

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Fig. 19 : Vue aérienne du cœur de l’agglomération nantaise, annotée et explicitée

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Bibliographie

Ouvrages .

Alexandre Chemetoff, (2010), Le Plan Guide (suite), Paris, Editions Alexandre Chemetoff & associés, 104 p.

.

Collectif (1989), La ville et le fleuve, Actes du colloque tenu dans le cadre du 112e congrès national des sociétés savantes, Lyon, du 21 au 25 avril 1987, Paris, Editions du comité des travaux historiques et scientifiques, 446 p.

.

Laurent Devismes, (2001), Centralité émergente, la fonction miroir de l’île de Nantes, Versailles, Editions VRD ENSA Versailles

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Laurent Devismes (sous la direction de), (2009), Nantes, petite et grande fabrique urbaine, Marseille, Editions Parenthèses, collection la ville en train de se faire, 272 p.

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Julien Gracq, (1985), la Forme d’une ville, Paris, Editions José Corti, 213 p.

.

Pierre Gras, Albert Jaubert, François Guy, (1995), Révélateurs de ville, Lyon travaux récents de l’agence d’urbanisme, Wavre, Editions Mardaga , 173 p.

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Ariella Masboungi (sous la direction de), (2010), La ville est une figure libre. Laurent Théry, Grand Prix de l’urbanisme 2010, Marseille, Editions Parenthèses, collection Grand Prix de l’Urbanisme/Ministère de l’Equipement, 128 p.

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Ariella Masboungi (sous la direction de), (2003), Nantes, la Loire dessine le projet, Paris, Editions La Villette, 191 p.

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Claude Prelorenzo (sous la direction de) (1993), La ville au bord de l’eau, Marseille, Editions Parenthèses, collection ville et ports, 109 p.

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Anne Vauthier‐Vézier, (2007), L’estuaire et le port. L’identité maritime de Nantes au XIXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 236 p.

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Articles de presse .

Emmanuel Guimard (2008), « A Nantes, la Loire redevient un fleuve d’agrément », Les Echos, 16 juillet 2008

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Joseph‐Stany Gauthier (1939), « Un fleuve : la Loire, Une ville : Nantes », Nantes, numéro spécial de la revue Urbanisme, p 3 à 12

.

Antoine Gazeau et Nicolas de la Casinière, 2011, « Nantes, les monuments disparus », L’Express, n°3119

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revue Place Publique, numéros 2, 3 4, 14, 15, 19 et hors‐série : La Loire au centre, (numéros consultés en intégralité)

Sites web .

www.archives.nantes.fr

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www.estuarium.org

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www.iledenantes.com

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www. jmayrault.fr

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www.nantes.fr

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www.nantes44.com

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www.nantes‐citoyennete.com

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www.nantesmetropole.fr

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www.nantessaintnazaire.fr

.

www.petite‐planète.nantessaintnazaire.fr

.

www.samoa‐nantes.fr

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Table des illustrations .

Fig. 1 : archives municipales de Nantes

. . .

Fig. 2 : Hugo d’Alessi, vers 1888, in Ville de Nantes, Loire inférieure

. . . . . . . . . .

Fig. 3 : André Bocquel, www.samoa.fr Fig. 4 : archives municipales de Nantes Fig. 6 : www.samoa‐nantes.fr Fig. 9 : www.samoa‐nantes.fr Fig. 10 : Vincent Jacques, www.samoa.fr Fig. 11 : www.samoa‐nantes.fr Fig. 12 : Vincent, Jacques, www.samoa.fr Fig. 16 : www.samoa‐nantes.fr Fig. 17 : Flahault design & associés Fig. 18: Ateliers de l’Ile de Nantes, in Samoa (2007), Ile de Nantes, Un grand projet pour une métropole Européenne, Nantes, Editions Samoa Les Figures 5, 7, 8, 13, 14, 15 sont des photos personnelles prises in situ les 12, 13, 14 et 17 Avril 2011. La figure 19 est une vue aérienne issue de www.maps.google.fr, annotée et modifiée par mes soins.

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Remerciements Je tiens à remercier sincèrement, d’une part, Elisabeth Georges, architecte de l’Atelier Ruelle, et Jean Pierre Branchereau, géographe, pour le temps consacré et les savoirs partagés. Ils m’auront été d’une grande aide dans l’élaboration de ce rapport de licence, par le biais des rencontres réalisées lors de ma phase de recherches, des documents transmis à ce moment là ou ultérieurement et des avis et conseils prodigués lors de la rédaction de ma réflexion. L’intérêt qu’ils ont porté à mon travail l’aura considérablement enrichi. Je tiens également à remercier, d’autre part, Ioana Iosa, membre du Centre de Recherche sur l’Habitat de l’ENSAPVS, ma monitrice qui aura répondu à mes interrogations, et aiguillé ma pensée, ainsi qu’Alain Farel, mon tuteur, qui m’aura aidé au choix du sujet et à l’organisation de mon étude.

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Table des matières Préambule

…………………………………………………………………………………………………….

page 1

Introduction

…………………………………………………………………………………………………….

page 4

Du fleuve perdu

………………………………………………………………………………………..

page 7

Du fleuve retrouvé

…………………………………………………………………………................

page 11

De l’effectuation de cette réconciliation

…………………………………………………..

page 16

Conclusion

……………………………………………………………………………………………………..

page 23

Annexes

……………………………………………………………………………………………………..

page 25

Bibliographie …………………………………………………………………………………………………….

page 28

Table des illustrations …………………………………………………………………………………………

page 29

Remerciements

……………………………………………………………………………………….

page 30

Table des matières

…………………………………………………………………………………………

page 31

31


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