Présentation et analyse de l’agence Kuncho.
Kuncho est une jeune agence éthiopienne de design africain contemporain. Inspiré par l’identité africaine et intrinsèquement motivé par le mouvement AfreeCon (Africa, a free continent), ce studio de création souhaite mettre en valeur et renforcer la richesse de cette culture à travers différentes échelles de design, des accessoires en cuir à l’architecture d’un bâtiment. Selon les Kunchos, être « AFreeCon » ne signifie pas être noir, mais incarner l’esprit et l’essence africaine. Ce n’est pas une question de génétique, mais une attitude envers la vie. Vivre, à la manière africaine.
« We believe in innovation that is rooted. In progress that is informed by the rich African past. Our mission : create a lifestyle and culture inspired by the African essence through contemporary design. »
Cette aventure débute en 2016 à Addis Abeba, sous l’impulsion de deux frères, alors étudiants à l’Ethiopian Institute of Architecture, Building Construction and City Development (EIABC), Natnael et Kidus Yohannes. L’entreprise familiale se fait d’abord connaître pour sa conception et réalisation de carnets en cuir. Leur succès les encourage à développer de nouveaux produits et s’engager dans le prêtà-porter, en produisant des sacs à dos en cuir. En 2018, Dawit Gudisa (ami de promotion de Kidus, très proche de la famille) et Clémentine Gérard (épouse de Natnael, amie de Kidus et Dawit) s’associent à l’équipe. Une première commande architecturale et scénographique à destination d’une société nationale d’audiovisuel, ouvre l’exploration de nouvelles échelles de production.
Par la suite, les offres en architecture sont suffisantes pour alimenter l’agence et se pose la question : Kuncho poursuit-elle son activité dans le cuir en parallèle ? Les quatre architectes ont initialement été connu·e·s pour leurs créations originales en cuir, il·elle·s ont fidélisé une communauté attentive à leurs productions. Mais surtout, il·elle·s affectionnent leur pluridisciplinarité : user de leurs mains
et compétences en conception dans d’autres domaines que l’architecture même. Kuncho fait alors le choix de la diversité : une gamme de produits limitée, qui privilégie la qualité plutôt que la quantité. Ses membres prennent également conscience qu’il·elle·s ne souhaitent pas s’arrêter au travail du cuir, mais prolonger leurs recherches en design avec d’autres matériaux locaux. Kuncho se diversifie, à commencer par le prototypage et la fabrication de mobiliers en bois éthiopien. Depuis, le studio de création poursuit son ascension dans le monde du design éthiopien, gagnant en notoriété dans le milieu de la mode (The Bag Show, défilé d’excellence où les meilleur·e·s créateur·rice·s éthiopien·ne·s sont invité·e·s à dévoiler une collection de sacs uniques, mars 2020) comme celui de l’architecture (Simien Lodge, projet ambitieux de réhabilitation du plus haut hôtel d’Afrique, situé au Simien Mountains National Park, 2020). Et ce en dépit d’une actualité mouvementée (épidémie mondiale covid-19 depuis décembre 2019, guerre civile entre l’armée fédérale éthiopienne et le Front de Libération du Peuple du Tigré (TPLF) depuis novembre 2020).
Pour le moment, les activités de l’agence sont globalement divisées en deux missions, l’architecture et le cuir, regroupées sous une identité commune, Kuncho. D’un point de vue juridique, la structure a pour statut une « Public Limited Company (PLC) » avec un « Chief Executive Officer (CEO) » à savoir Natnael (frère aîné à l’initiative du projet) et trois architectes associé·e·s : Kidus, Dawit et Clémentine. Financièrement, l’agence a bénéficié d’un programme d’incubation et d’accélération de start-up innovantes africaines, IceAddis JumpStart. Par ailleurs, des proches de Natnael ont investi dans Kuncho et participé à son évolution rapide. En 2020, un atelier de production de 85 m² est ouvert à Addis Abeba, équipé de plusieurs machines à coudre, une machine à biseauter, une découpe laser. L’équipe acquiert du matériel de construction, dont de nombreux outils pour travailler le bois. Quatre personnes sont désormais employées pour assurer la production quotidienne des collections en cuir imaginées. Une comptable et quelques ouvriers constants accompagnent également l’équipe. Ainsi, le capital croissant de l’entreprise permet d’embaucher de plus en plus d’effectifs. Aussi, un constat des quatre associé·e·s encourage ces transformations : une équipe composée uniquement d’architecte manque d’efficacité et
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nécessite de nouvelles compétences, il·elle·s perçoivent les limites de leur formation et décident d’agrandir la famille des Kunchos. Travailler avec du personnel éthiopien qualifié, pour concevoir et construire la structure d’un bâtiment jusqu’à la housse d’un coussin. Malgré cette ascension, les quatre architectes font le choix de ne pas (ou peu) se rémunérer : il·elle·s réinvestissent tout leur capital dans l’entreprise, pour soutenir une progression exponentielle. Pour concrétiser leur rêve, il·elle·s ont décidé de se sacrifier momentanément au service d’une vision commune.
« We serve and collaborate with those fascinated by the African spirit & its essence and are willing to contribute & be the spark to the beginning of the African renaissance. »
Le studio de création a défini son marché cible comme des client·e·s du monde entier, des hommes et des femmes de 30 à 70 ans, qui ont une chose en commun : les même valeurs que les leurs. Pour ma part, je qualifierai les milieux visés par leur filière en architecture comme aisés, dont la communauté internationale et les expatrié·e·s présent·e·s en Éthiopie. L’agence démarche les organismes gouvernementaux, les ambassades, les hôtels, les grandes entreprises et bureaux, les riches particulier·e·s, etc. Ces revenus permettent à Kuncho de croître et d’embaucher des locaux, mais aussi d’imaginer des projets sociaux, bénéfiques à la population éthiopienne dans son ensemble (projet d’école itinérante en cours).
Dans le secteur du cuir, les différentes classes sociales éthiopiennes semblent davantage représentées : toutes les gammes de prix sont disponibles. Lorsque les ventes s’adressent à la communauté internationale, une forte augmentation tarifaire est appliquée sur les mêmes produits. En effet, la stratégie actuelle de Kuncho est de s’adapter aux portefeuilles des client·e·s visé·e·s. Des marges plus importantes sont réalisées lorsque l’agence s’adresse à un public étranger, pour permettre à des éthiopien·ne·s aux revenus plus modestes d’acquérir des produits de qualité. Le fonctionnement, les marchés cibles, la stratégie de développement et de communication de Kuncho diffèrent d’une agence d’architecture traditionnelle. Sa production d’accessoires en cuir et, plus récemment, de mobiliers en bois, nécessite un plan de markerting, de vente, de distribution. Pour vendre ses produits et atteindre son marché cible, l’agence prévoit d’utiliser une
force de vente directe (ouverture prochaine d’une boutique Kuncho), des détaillants (collaboration avec des commerçants locaux) et internet (ventes en ligne). En parallèle, les Kunchos organisent des événements à Addis pour toucher de nouveaux·elles client·e·s tout au long de l’année. En terme de communication, l’agence utilise les réseaux sociaux pour fidéliser et informer les consomm’acteur·rice·s des dernières nouveautés. Et promouvoir ses projets architecturaux.
En cours de construction, leur studio de création évolue néanmoins à une vitesse folle. Tout en respectant un cadre de travail humain, et sans faire d’impasse sur ses valeurs fondatrices.En perpétuel mouvement et remise en question, les Kunchos ont récemment déterminé leurs principes directeurs, intemporels, ceux qui doivent les guider dans leur avancée :
1) CULTURAL CONSCIOUSNESS.
2) SOCIAL INTELLIGENCE - ENTHUSIASM & SPONTANEITY.
3) CREATIVITY & AUTHENTICITY.
4) HUMILITY & COMPASSION.
5) COMMITMENT TO THE SHARED VISION.
D’autre part, l’équipe a défini « The Kuncho Way », soit son processus de travail éprouvé et formulé dans le but d’être communiqué :
1) OBSERVE the context, understand the existing, draw the as build.
2) THINK to come up with a unique and adapted design, make prototypes, find the best way.
3) CREATE and bring our designs to life, supervise the construction and production.
4) DELIVER the completed project, prioritising quality and efficiency.
5) FOLLOW UP to ensure satisfaction of every party.
Suite à une présentation du studio de création et une transmission de leur raison d’être, l’équipe me confie, entre autre, le design, puis le chantier de ses nouveaux locaux : un bureau de 55 m², implanté au cœur de la capitale.
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Présentation et analyse de l’agence Kuncho.
Natnael Yohannes Chief Executive Officer (CEO) Co-fondateur de Kuncho Architecte, diplômé à l’EIABC en 2016 Tuteur de ce stage
« They didn’t know they can do that ! » Natnael pushes to always aim higher, dream bigger in order to do better.
Kidus Yohannes Artistic Director
Co-fondateur de Kuncho Architecte, diplômé à l’EIABC en 2017
« We have to eat African, dress African, design African, LIVE AFRICAN. » Kidus wants to inspire and be inspired to help building AFreeCon.
Dawit Gudisa Project Manager
Associé de Kuncho Architecte, diplômé à l’EIABC en 2017
« Know your history to understand your present so you can shape your future. » Dawit is proud of the African history and burns to participate writing it today.
Clémentine Gérard Chief Operating Officer (COO) Associée de Kuncho Architecte, diplômée à l’ENSAN en 2020
« Let’s be bold, let’s be respectful, let’s make a change ! » Clementine likes to anticipate and wants to shape a better place for the next generations to come.
Carole Lyssandre
Stagiaire à Kuncho Septembre - Novembre 2021
En amharique, Kuncho signifie sommet. Ce mot désigne également la coupe traditionnelle des enfants éthiopien·ne·s qui habitent les montagnes. Pour le studio de création, Kuncho raconte l’histoire de jeunes éthiopien·ne·s qui visent le sommet, sans jamais oublier d’où ils viennent et ce qui anime leur cœur.
Missions et projets au sein de l’agence.
Kuriftu & Boston Day Spa contest.
Missions effectuées :
• modélisation de l’existant ;
• participation aux réflexions sur le projet ;
• aide à la réalisation des images de rendu et la communication du projet.
Maître d’ouvrage : Kuriftu Resort
Architecte en charge du projet : Clémentine Gérard
Localisation : Addis Abeba
Programme : aménagement intérieur (dont conception et réalisation d’un mobilier unique) de bureaux luxueux pour le complexe hôtelier Kuriftu (bureaux, salles de réception, de vente et de finance, cuisine) et le Boston Day Spa (salles de réception, massage, épilation, manucure et pédicure)
Surface : 530 m²
Coût de construction : 6 000 000 ETB ≈ 105 375 €
Tadiwos Belete est un riche entrepreneur éthiopien, magnat de l’hôtellerie, attaché aux traditions et savoir-faire de son peuple. Il découvre Kuncho grâce à leur projet pour l’agence immobilière Kefita. C’est un moment clé, car Mr Belete souhaite réaménager ses bureaux. Il est déçu des derniers architectes auxquels il a fait appel dans son immeuble, pour l’aménagement d’un de ses restaurants gastronomiques. Le résultat n’est pas à son goût : les matériaux et le mobilier (certes de luxe) sont importés de Chine, le rendu est tape-à-l’œil et clinquant. Il est très intéressé par les valeurs de Kuncho car il aspire à un design contemporain mais authentique, qui promeut la richesse de son pays. Il affectionne particulièrement le côté artisanal de la production, qui rend chaque pièce unique.
Pour ce projet, Tadiwos Belete ne donne pas de budget : les agences sont libres dans leur proposition. Agences au pluriel, car il laisse sous-entendre que c’est un concours où d’autres participent. Pendant près d’un mois, Clémentine a consacré la majorité de son temps au design de ce projet. Chaque semaine, un rendu était organisé : Mr Belete et l’équipe du Kuriftu faisaient part de leurs remarques et améliorations vis-à-vis du projet présenté, puis encourageaient les architectes à produire de nouveaux rendus visuels.
Ce projet reste à ce jour sans réponse. La veille de notre rapatriement, Tadiwos Belete est parti se réfugier à Dubaï, le temps que la situation se calme.
21 Réception bureau © C. Gérard & C. Lyssandre. Cuisine bureau © C. Gérard & C. Lyssandre. Réception Spa © C. Gérard & C. Lyssandre. Pédicure spa © Clémentine Gérard. Bureau de Tadiwos Belete © Clémentine Gérard.
Missions et projets au sein de l’agence.
Piassa - Urban Memories.
Au cours de ce stage, j’ai également été témointe des autres activités qui animaient Kuncho. J’ai été à plusieurs reprises dans leur atelier de fabrication où sont produits leurs articles en cuir. J’ai eu la chance de suivre leur progression et d’observer (de loin) le lancement de leur collection de sacs Piassa - Urban Memories, dont voici quelques extraits.
Affiche pour l’inauguration de la collection. Zoom sur les Fannypacks & Pouches. Modèle de Kuncho et Kidus Yohannes. Abel Yohannes, responsable de l’atelier cuir.
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Photoshoot collection PiassaUrban Memories © Kuncho.
Les conditions de travail dans un pays en guerre.
« Ça va ? Tu te sens comment toi ? »
En première impression, on pense que le quotidien d’Addis Abeba suit son cours. Les personnes que l’on rencontre nous communiquent leur joie de vivre ici et la richesse de la culture éthiopienne. Lorsqu’on a un moment de libre, on arpente la ville et ses paysages alentours. On est émerveillé par chaque nouvelle découverte. Je n’ai pas connu le pays en temps de paix, je n’ai pas de référentiel pour comparer.
Puis, on remarque : les commerces tigréens fermés, les conversations qui changent, l’inquiétude dans les regards. Le TPLF se rapproche de la capitale. La tension monte. On suit tous les jours les informations. Quand on se retrouve, on parle de l’actualité de la guerre. Le gouvernement bombarde une de ses propres villes, Mekele. On entend parler des fouilles à domicile. Des amies se font dénoncer : heureusement, elles ont la double-nationalité. « Elle écoute de la musique tigréenne sur sa terrasse, c’est sûrement pour ça la délation. » Elle se fait accompagner à l’aéroport par l’ambassade française, pour être sûr qu’on la laisse quitter le pays. On commence à comprendre. Le soir, quand on rentre du chantier, des bouchons se forment : les militaires fouillent chaque voiture. Les randonnées sont annulées. On ne peut plus sortir de la ville. Les appels de l’ambassade française se font réguliers. « Pourquoi restezvous ici ? » « Vous n’êtes pas essentielle. » La communauté internationale s’en mêle. À Washington, une alliance est signée. La propagande américaine fait son œuvre. « Ne sors pas aujourd’hui, il y a des manifestations contre les américains. » « Ne prends pas des risques inutiles. » « C’est pas marqué sur ton front que t’es française. » Une fois, on nous insulte. « White people, go back to your land ! » Petit à petit, on s’enferme chez nous. Tout
se rapproche. « If the fucking USA sends its army, I will fight for my country. » La cousine de notre voisine tigréenne se fait arrêter, c’est la prison. Elle héberge désormais son cousin. La professeur d’amharique de Clémentine poursuit ses cours, et pourtant. Elle aussi a un nom de famille tigréen. On reçoit des messages inquiets, des appels de nos proches. Natnael et Clémentine évoquent le Kenya. Ce serait temporaire, bien sûr. On prépare ses papiers. Une à une, les ambassades rapatrient leurs ressortissant·e·s. C’est notre tour. « La France affrète un charter, préparez votre départ. » Le lendemain, Abiy Ahmed, premier ministre, annonce son départ au front.
En Éthiopie, je n’ai pas été directement confrontée à la guerre. Mais sans nul doute, son spectre était là.
D’un point de vue psychologique, les appels récurrents de l’ambassade française pour nous inciter à partir ont été particulièrement anxiogènes. Les médias internationaux et leur déformation de la réalité nous ont aussi mené la vie dure. Néanmoins, je ne me rappelle pas avoir eu un réel sentiment d’insécurité sur place. Une fois la prise de position (mal masquée) des États-Unis dans le conflit armé, la situation est devenue plus compliquée pour les personnes blanches. Mais nous n’avons jamais été une cible.
Au niveau du travail à l’agence, il y a eu plusieurs indicateurs. Pour commencer, la pénurie des matériaux : les stocks, déjà mis à mal par la crise sanitaire, sont devenus rares et précieux. Puis, les prises de retard des chantiers, qui finissent par devenir des arrêts. Le plus représentatif est celui d’Umoja : à peine entamé, le chantier a pris fin en raison de la guerre. Le permis de construire est gelé. L’événement d’inauguration est avorté. Le bar-restaurant a fait appel à un jardinier pour remettre des plantes d’ornementation et arbustes là où nous les avions (soigneusement) déterré. Symboliquement, c’est ironique de voir cette terrasse de nouveau investie alors que quelques jours plus tôt, on suait à niveler le sol et préparer le terrain pour la construction. Mais ça parait logique finalement, l’ambiance chantier pourrait incommoder les client·e·s encore présent·e·s.
En ce qui concerne le concours lancé par Tadiwos Belete pour les bureaux Kuriftu & le Boston Day Spa, son départ précipité sans laisser un mot à notre sujet m’a laissé pantoise.Bilan critique : retour sur expérience, les divers enjeux soulevés.
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Bilan critique : retour sur expérience, les divers enjeux soulevés.
Kuncho et l’entrepreneuriat, en autodidacte : ses joies, ses contraintes.
Natnael, Kidus, puis Dawit et Clémentine : il·elle·s s’associent et forment une agence multidisciplinaire en sortie d’étude. Sans expérience préalable, il·elle·s apprennent sur le tas, s’entraident, mènent une barque, qui devient voilier, pour grandir en véritable vedette. Cette aventure collective est un beau défi, complexe, aux nombreux enjeux.
Les grands +
• L’ouverture des possibles en sortie de master : à la clé, ce sont des responsabilités, un métier qui a du sens et beaucoup de liberté. Se lancer aussitôt à la tête d’une agence en refroidirait plus d’un·e. On pourrait dire, quand on ne sait pas, on ne fait pas. Mais en même temps, comment réinventer ce monde qui marche sur la tête si nous sommes constamment conditionné·e·s par nos expériences passées ? Les erreurs sont formatrices. Le processus est stimulant et génère une certaine créativité décomplexée dans la conception. En fait, quand on ne sait pas, on cherche. Et si on ne trouve pas, on invente. On développe de nouvelles ressources et compétences. Si nécessaire, on demande de l’aide. Sans peur, tout devient possible. À vrai dire, je ne suis pas sûre que les manières de faire de Kuncho soient toujours orthodoxes. Particulièrement pour la construction. Mais la démarche reste intéressante, empirique, mouvante et ouverte à la remise en question.
• L’équipe met en action ses valeurs et développe son propre processus. Kuncho, c’est avant tout des jeunes engagé·e·s qui souhaitent faire bouger les lignes à leur échelle. Grâce aux investisseur·se·s de départ, l’agence peut choisir ses projets, sans mettre à mal ses convictions. Certes, il·elle·s visent d’abord les projets luxueux pour pouvoir ensuite avoir un impact social. C’est un parti pris. Qui leur permet dors et déjà d’embaucher des éthiopien·ne·s à leur côté. Car, comme il·elle·s disent : « UBUNTU ! How can one of us be happy if all the others are not ? »
• Le cadre de travail et l’ambiance sont très qualitatives. On bosse, oui, mais en s’amusant. Il faut prendre du plaisir, c’est important. Personne n’est stressé, il n’y a pas de pression imposée. En tant que stagiaire, je n’ai jamais eu d’étiquette et on m’a naturellement intégré.
Une hiérarchie est présente, effectivement, mais elle se remarque surtout vis-à-vis de la répartition des responsabilités : Natnael, à lui seul, est indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise. Mais quel que soit ton statut, tout le monde met les mains à l’ouvrage sur les chantiers. Il n’y a pas de tâche dévalorisante. Le midi, on mange tous et toutes ensemble, en cercle, autour du même plat. On se connaît ou on apprend à se connaître, on se respecte, on s’écoute, on échange. C’est simple, c’est beau, et c’est humain. Pour l’anecdote, Kidus et Dawit m’ont demandé de designer un meuble pour ranger nos chaussures et enfiler nos chaussons, à l’entrée du bureau. Natnael, lui, rêvait d’une banquette confortable pour faire des siestes. Je précise, c’est un open space, tout se voit. Je vous laisse imaginer un patron français, en pantoufles, qui pique un somme en journée au milieu de ses employé·e·s, la déconvenue générale. Avant, Clémentine, Dawit, Kidus, Natnael, mais aussi Baryaw (cousin de Natnael et Kidus, employé sur les chantiers) et Abel (frère cadet de Natnael et Kidus, aujourd’hui en charge de l’atelier de production en cuir) étaient en colocation. Par soucis financier, leur lieu de vie était également leur lieu de travail, il·elle·s recevaient les autres employé·e·s sur place. Certes, il y a pour la plupart les liens du sang. Mais je crois aussi que Kuncho a beaucoup à nous apprendre sur une vie harmonieuse en communauté.
• Les compétences des architectes associé·e·s sont complémentaires. Le fonctionnement de l’équipe met en lumière les qualités naturelles de chacun·e. Chaque membre apporte énormément. Natnael a l’entrepreneuriat dans les veines et un esprit très pragmatique. Sa capacité à gérer une entreprise fait vivre l’agence. Clémentine, très organisée, supervise les troupes. Le regard vers l’avenir, elle fixe les objectifs à atteindre ; sa sensibilité écologique (en lien avec sa propre culture) a beaucoup fait évoluer la vision de Kuncho. Kidus, lui, est particulièrement original et créatif. Les designs qu’il propose sortent toujours du lot, mais sont souvent confrontés à la réalité des chantiers. Le reste de l’équipe œuvre alors pour rendre possible ce qu’il a imaginé. Dawit, enfin, est un caméléon : il remplit toutes les fonctions restantes, que ce soit architecte, chef de chantier ou responsable clientèle. Son sens inné du relationnel (et son humour) permet à l’agence de décrocher de nombreux contrats. Sur place, j’ai été surprise de découvrir que mes partenaires étaient de véritables
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Bilan critique : retour sur expérience, les divers enjeux soulevés.
couteaux suisse : il·elle·s ont tou·te·s une très bonne connaissance des outils informatiques (Autocad, Rhino, 3Ds, Suite Adobe, logiciels de gestion, etc) et de nombreuses ressources dans le domaine constructif comme artisanal (électricité, plomberie, maçonnerie comme travail du bois, du cuir, etc). Enfin, la routine n’existe pas : les missions sont variées, on suit les projets dans toutes leurs étapes, on se renouvelle sans cesse. Vivre Kuncho, c’est parfois des (légers) soucis, mais c’est surtout le remède contre l’ennui.
Et le revers de la médaille : les - présents
• La diversité des activités de Kuncho est stimulante, certes, mais soulève de nombreuses problématiques. À commencer par celle d’une identité commune pour deux missions distinctes : le design d’objets (ici en cuir) et les projets architecturaux. L’équipe souhaite effacer la frontière qui existe entre ces deux activités. Pourtant, les emplacements géographiques de l’atelier de fabrication et du bureau, fraîchement acquis, sont opposés dans la ville. Car chacun répond à des besoins spécifiques. Le besoin de visibilité pour le bureau, celui d’espace pour l’atelier.
On comprend que la séparation ne s’évalue pas par rapport au processus de réflexion et de conception (si ce n’est l’échelle du projet qui varie, il semble similaire). Mais plutôt parce que ces deux activités répondent à des stratégies de gestion différentes. Vouloir symboliquement les rassembler entraîne un flou, perceptible dans les statuts de l’agence comme sa trésorerie. Pour être dans les règles, il faudrait déclarer deux licences, deux bilans comptables et avoir deux entités Kuncho, sans vase communicant. L’absence de suivi précis des comptes entraîne un manque de lisibilité des bilans annuels. À l’avenir, l’agence devra enregistrer toutes les ventes et achats pour calculer le capital, la marge brute et le profit de l’année suivante.
Enfin, Kuncho, jeune agence en construction, a fait le pari (risqué mais ambitieux) de lancer plusieurs activités dans un même temps. L’équipe est sur tous les fronts : en parallèle, elle doit développer et stabiliser la production en cuir et ses projets d’architecture. C’est énergivore, elle peut se disperser, mais semble toujours atteindre tôt ou tard ses objectifs. Aux yeux du grand public, Kuncho a gagné sa place : à Addis Abeba, le studio de création est perçu aujourd’hui comme une référence dans tous ses domaines d’activités.
• Il n’y a pas de barrière entre vie personnelle et professionnelle, cette joyeuse proximité est à double tranchant. Il devient difficile de prendre des moments en famille, sans évoquer le travail. Natnael plaisante : « It’s natural, Kuncho is our first baby ! » Sur leur site web, on peut d’ailleurs lire : « Our always-ready team is navigating a blurred line between work and life. WORK and LIFE is synonymous. » L’avantage, c’est que chaque expérience nourrit le projet. Par exemple, un brunch le dimanche au Galani Coffee où le lieu nous séduit, et hop, une collaboration avec les propriétaires est lancée. La contrainte, c’est qu’il n’existe pas de lâcherprise.
• Les quatre (à nuancer par la suite) architectes associé·e·s sont au four et au moulin. Certes, il·elle·s développent de nombreuses qualifications, mais manquent parfois de temps pour faire fructifier leur affaire. Au sujet du bureau, Natnael nous confie : « This is my last worksite. » Consciente de cette impasse, l’agence souhaite collaborer avec des entreprises partenaires et agrandir la famille des Kunchos. Le seul bémol : à de nombreuses reprises déçu·e·s par d’autres professionnel·le·s, l’équipe joue la prudence et a parfois du mal à donner sa confiance à des inconnu·e·s qui n’ont aucun lien avec elle.
• Sans expérience préalable, l’équipe est en recherche de légitimité et, de surcroît, a une furieuse envie de percer. Pendant plus de trois semaines, Kuncho a accepté de travailler sans être payé pour le magnat de l’hôtellerie Tadiwos Belete. Si le projet est retenu, il·elle·s touchent le gros lot. Sinon, tant pis. Certes, Monsieur Belete semble sympathique, mais à mon sens c’est de l’exploitation. Ce dernier leur a fait miroiter un avenir à l’abri du besoin, en laissant penser que si le travail réalisé aux bureaux Kuriftu & au Boston Day Spa le satisfaisait, il ouvrirait ses portes sur d’autres projets. De plus, l’agence obtiendrait un carnet d’adresses non négligeable pour son ascension. Et une notoriété dans le milieu du luxe. « Si ils nous prennent, tu te rends compte de l’opportunité ? » De quoi faire rêver. Par ailleurs, je tombe par hasard sur une pile de mise en demeure au bureau. Rédigées par l’agence, elles sont à l’attention de maître·sse·s d’ouvrage dont les projets sont terminés. Dawit m’explique qu’ici, si tu ne relances pas constamment les client·e·s, tu n’es pas sûr d’être payé. Kuncho attends certains virements depuis plus d’un an.
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L’interdépendance des membres de l’équipe rend difficile l’organisation générale du travail. Il existe également de nombreux problèmes de communication en interne, la circulation des informations n’est pas fluide. Il n’y a pas de programme précis établis pour le lendemain, ou pour la semaine. Pour illustrer cette situation, voici quelques exemples : Natnael, CEO de l’entreprise, est un autodidacte constamment en train de regarder de nouvelles vidéos pour se documenter, zappant d’un cours sur la gestion d’entreprise à une démonstration des différents types d’assemblages en bois. Son statut et ses connaissances lui confère un rôle très important dans l’agence, dont les chantiers. Il en est de même pour Clémentine et Dawit. Lorsqu’aucun d’eux·elles n’est présent, le travail peut être paralysé. Ou du moins, fortement ralenti. Et ce, pour deux raisons : soit ils·elles n’ont pas communiqué leurs directives et les ouvrier·e·s n’ont pas connaissance de toutes les étapes du projet, soit les personnes présentes sur place ne sont pas qualifiées pour réaliser le travail demandé.
Dans ce dernier cas, un réel enjeu de transmission se pose. Baryaw, par exemple, a trois ans d’ancienneté chez Kuncho. Tous les jours, il se rend sur les chantiers et aide, à sa manière. Certes, quand Natnael fait des découpes complexes, elles sont plus propres et précises. C’est plus rapide. Mais lorsqu’il n’est pas là, personne n’est en capacité de les faire. Si les ouvrier·e·s ne sont pas d’un naturel à être autonome et prendre leur propre décision, il·elle·s se retrouvent à attendre patiemment le retour d’un·e responsable. C’est pourquoi il est important de former chacun·e de ses employé·e·s, par soucis d’efficacité. D’autre part, Natnael ne communique pas toutes les informations dont il dispose au reste de l’équipe. Non par manque de transparence, mais simplement car il n’y pense pas vraiment. Sans l’ensemble des informations, il est difficile de s’organiser. Par exemple, il nous est déjà arrivé de l’attendre plusieurs heures dans un café, Clémentine, Dawit, Hugo et moi. Nous avions besoin des clés du bureau qu’il était alors le seul à avoir, il avait oublié de nous prévenir qu’il avait des réunions planifiées. Ou encore, le matin, lorsque nous décollions de l’appartement Hugo et moi : nous partagions le taxi avec Natnael, sans savoir que ce dernier avaient divers petits détours à réaliser avant de se rendre sur le chantier. Parti·e·s à 8h30, nos journées de travail effectif commençaient parfois à 11h.
Par ailleurs, Kidus, directeur artistique de l’agence, est peu présent chez Kuncho depuis un an. Et ce, car il est également devenu directeur artistique de Chapa, une start-up éthiopienne de services financiers en ligne et d’ingénierie de données. Depuis, il peine à conjuguer ses deux statuts. À Kuncho, son absence se fait ressentir dans l’équipe et ralentit les projets en cours. Ses missions ne sont pas données à d’autres personnes, elles s’accumulent. Par exemple, la construction du concept store d’Umoja aurait dû être terminée avant mon arrivée en Éthiopie. Des projets de plus petite envergure, comme le photoshoot de la collection Piassa - Urban Memories, ont pris plusieurs mois de retard.
• Cette dernière donnée amène un nouveau sujet : Kuncho est une entreprise familiale avec une équipe fusionnelle, où la proximité des membres est telle qu’elle rend difficile une remise en question de leur statut. La présence des quatre associé·e·s est essentielle au bon déroulement de la machine. Car il·elle·s ne savent pas déléguer leur fonction. Donc si il·elle·s ne sont pas là, tout se complique. Comme avec l’absence de Kidus qui se trouve majoritairement à Chapa. Comme quand Clémentine est contrainte de rentrer en France, et que sans nouvelles détaillées des avancées de l’agence, elle finit par stagner en télétravail. Comme la fois où Natnael a pris deux mois de vacances, et que le bilan financier de la boîte a chuté en son absence. Et si je ne peux pas vous donner d’exemple avec Dawit, c’est uniquement parce que pour le moment, il a toujours été présent.
Pour finir ce listing, une anecdote du projet Kuncho Office. Pour le moment, l’agence fonctionne sans atelier de construction : tout est réalisé sur place. Au cours du chantier, il y a eu de nombreuses plaintes de voisinage (entreprises du tertiaire) dans l’immeuble, nous concernant. Trop de bruits, trop de poussière : c’est incommodant. Soucieux·ses d’entretenir de bonnes relations, Natnael nous propose de venir travailler lorsque le bâtiment est vide. Nous décidons alors de nous lever à 4h du matin pour poursuivre le chantier jusqu’à 8h45, heure des premier·e·s arrivé·e·s. Par moment, nous inversons : nous débutons à 19h, et nous finissons tard dans la soirée. Natnael reste même travailler une nuit toute entière sur place, à la lampe. Pour moi, ce sont des souvenirs amusants et joyeux. Ils restent néanmoins représentatif du besoin pour Kuncho de continuer à s’agrandir.
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Bilan critique : retour sur expérience, les divers enjeux soulevés.
De nouveaux locaux permettraient des conditions de travail plus confortables. Cela tombe bien, ouvrir un atelier de fabrication du bois, c’est l’une des prochaines étapes du business plan réalisé par Clémentine.
Pour conclure cette partie, Kuncho a conscience de ses points forts et ses faiblesses. Objectivement, l’agence n’a pas besoin de mes commentaires pour se remettre en question. Son équipe apprend tous les jours et cherche continuellement à s’améliorer. Je dresse ici un constat en date de mon stage (novembre 2021), et je suis heureuse de pouvoir souligner que leurs points forts sont d’ores et déjà bien plus impressionnants que leurs faiblesses.
Une expérience en agence sur un autre continent : l’interculturalité.
ai déjà réalisé un certains nombre de voyages sur de longues durées, en Europe, en Asie. L’Éthiopie est ma première expérience sur le continent africain. Sur place, tout me semble nouveau. Je découvre une culture, très riche, avec ses propres normes. Je vis, j’observe, je m’adapte en conséquence. Un phénomène d’acculturation a lieu.
Pour commencer, je ne parle pas la même langue. Clémentine devient notre professeur d’amharique, je révise mon anglais avec Natnael et j’apprends progressivement le vocabulaire des outils du chantier. Par chance, les quatre associé·e·s de Kuncho sont anglophones. En revanche, les artisans rencontrés parlent uniquement amharique. Pour être honnête, je n’ai pas de facilité particulière pour l’apprentissage des langues ; la communication passe beaucoup par les gestes. Forcément, cela génère des erreurs d’incompréhension, voir des situations cocasses :
• Sur le chantier du bureau, avec Hugo et l’électricien, nous avons passé une demijournée à reprendre tous les guides du système électrique tracés par Natnael et Dawit au plafond la veille. Visiblement, nous ne nous sommes pas compris au téléphone ; un ancien plan partagé avait été pris comme référence, et non celui actualisé.
• Sur le chantier d’Umoja avec Baryaw qui, dès que j’ai le dos tourné, cherche à couper le tronc des arbustes et déracine brutalement les plantes présentes. Notre travail consiste à préparer le terrain pour la construction du concept store, tout en préservant le plus possible ces plantations. C’est-à-dire qu’il faut, avec douceur et amour, en conservant bien les racines, les déplacer dans le jardin. Mais Baryaw s’obstine à tout vouloir tuer. Pour lui, pas besoin de racines : si on coupe une branche et qu’on la pose dans la terre, ça pousse ! Et puis creuser des trous, c’est beaucoup d’effort... « Baryaw, don’t kill the plants ! » Si je ne l’interrompt pas, il continue. Je suis folle. Je ne comprend pas, je perd mon sang-froid. Après plusieurs heures d’agacement, je prend conscience à la pause repas que depuis le début, il dit oui de la tête sans comprendre ce que je lui demande en anglais. « Carole, what is trees, plants, roots ? » À ce moment là, je me suis sentie très bête.
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J’
En Éthiopie, il faut apprendre à s’adapter aux évènements. Vivre au jour le jour. Certes, l’équipe Kuncho a des problèmes d’organisation. Mais il est aussi difficile ici d’établir des prévisions, car rien ne se passe jamais comme imaginé. Je l’ai compris dès mon premier jour à l’agence, lorsque les gardiens de l’immeuble où Kuncho loue le bureau que je m’apprête à désigner, ont perdu les clés. Pendant une semaine, sans possibilité de prendre des mesures sur place, je dessine et déduis mes côtes à partir de photographies. C’est un exercice complexe, surtout lorsque l’on doit réfléchir à l’échelle du mobilier. Et personne ne relève vraiment cette situation car finalement, ce type d’événement, c’est banal.
L’anecdote précédente soulève un autre sujet : en Éthiopie, les délais des projets sont démultipliés. D’abord, parce que le caractère incertain des événements transforme chaque démarche en une aventure à part entière, même pour les éthiopien·ne·s. Ensuite, parce que la ville d’Addis Abeba connaît une explosion démographique, sans réelle planification de développement urbain. Les infrastructures sont insuffisantes pour répondre aux besoins de la population dans son ensemble. Les transports en commun ne sont pas (ou peu) développés, le réseau routier est inadapté, les embouteillages sont fréquents. Tous les déplacements prennent du temps. Pour se rendre chez soi, sur son lieu de travail, aux rendez-vous. Par ailleurs, le gouvernement opère des coupures en alimentation électrique et hydraulique dans les quartiers. Parce qu’on ne peut pas alimenter tout le monde en même temps, c’est évident. Donc on coupe tour à tour, sans avertissement. Sur les chantiers, c’est difficile d’utiliser des machines électriques sans électricité. Et puis pour d’autres raisons, on coupe aussi internet. Comme ça. Oui, c’est facile d’organiser ses journées de travail en Éthiopie. Comme ses douches ou ses repas d’ailleurs.
Pour finir cette parenthèse, travailler avec du bois éthiopien demande également une certaine planification des chantiers. Lorsqu’on achète le bois, il vient d’être coupé. Les stocks de réserve sont inexistants. Pour pouvoir l’utiliser, il faut attendre plusieurs mois qu’il sèche. Sinon, la construction bouge.
Sur le chantier, les ouvrier·e·s ne sont pas toujours soigné·e·s. Garante d’un travail de qualité auprès de ses client·e·s, l’équipe Kuncho est très vigilante et gère quotidiennement les imprévus :
• Pendant le chantier à Kefita, j’ai eu droit à mes premières boulettes. Baryaw, roi de l’efficacité, met à niveau du mur les plinthes récalcitrantes à l’aide de grands coups de pieds. Oups, un trou. Grey, lorsqu’il se trompe d’angle dans les découpes, pose les plaintes à l’envers. Enfin, on finit le chantier à quatre pattes en train de lessiver au White Spirit les tâches de peinture, de mastique, de colle, de vernis, de crasse sur le carrelage, le parquet neuf, les vitres, les murs. Pourquoi ? Parce qu’aucun·e ouvrier·e ne protège les surfaces pour réaliser son travail. Et ce, même lorsque des matériaux neufs sont posés.
• Au bureau, on assemble des étagères en panneau MDF à une structure en bois brut. Je missionne les ouvriers présents de poncer légèrement les angles de nos découpes, pour que l’encastrement soit parfait. Quand je retourne les voir, ils ont poncé si fort qu’ils ont transformé les encoches en trous. Natnael, après leur avoir passé un savon, me lance : « Don’t worry, imperfect work is beautiful too. » Je prend alors conscience des différences sur nos normes de travail et nos attentes de résultat. Plutôt que de recommencer ces pièces pour que tout soit parfait, on préférera adapter le design pour qu’elles soient simplement moins visibles. Cette manière de penser et relativiser, c’est sincèrement intelligent. C’est se concentrer sur l’essentiel et économiser des matériaux, du temps, de l’argent. Mais sur le moment, je ne le vois pas de cet œil. Au bureau, ce n’est pas la première fois que je me sens en tension parce que tout ne se passe pas comme je l’avais dessiné et décidé. J’ai l’impression de devoir sacrifier une partie du design qu’ensemble, nous avions choisi. « In your architecture schools, did no one teach you to let your design live ? » Pas vraiment non. J’en discute le soir avec Clémentine : « Ne reste pas bloquée sur des détails ou des modifications, c’est beaucoup d’énergie en vain. [...] Sur mon premier chantier ici, je suis passée par là moi aussi. Mais tu verras, à la fin, tu seras heureuse et fière du travail accompli ! » À cette discussion, j’ajouterais une anecdote du chantier Kefita, concernant la table de la salle de réunion : « Mais Carole, pourquoi poncer plus ou peindre le dessous d’une table ? En réalité, qui va voir le dessous ? On ne regarde jamais ! » C’est vrai, ce serait utiliser des matériaux coûteux inutilement et perdre un temps précieux. Là encore, je m’étais sentie confrontée à mon désir ardent de perfection. Mais sur les chantiers éthiopiens, c’est le sens du pragmatisme qui l’emporte...
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Bilan critique : retour sur expérience, les divers enjeux soulevés.
...et qui me fait prendre du recul sur le perfectionnisme maladif inculqué par notre société, où le détail prend le pas sur le global.
Sur les chantiers éthiopiens, il n’y a pas de rangement, ni de nettoyage en fin de journée. Lorsque nous posons les cloisons du bureau, je perds beaucoup de temps à trouver les outils, surtout les petits, le foret, les vis, les chevilles, etc. Comme rien n’est rangé, tout devient désordonné dans mon esprit. Avec Hugo, on décide d’organiser une bonne fois pour toute le chantier. En fin de journée, on cherche à installer une routine : on ne part pas sans avoir passer le balais et trié les déchets. Parfois, c’est décourageant. Il suffit qu’on s’absente quelques heures pour que ce soit de nouveau le bordel. Clémentine m’indique qu’elle fait aussi la police du rangement sur ses chantiers. Quand elle passe nous voir, elle rit : « It’s farenge [signifie étranger blanc en amharique] worksite here ! » Natnael plaisante : « It’s true, we don’t have this science of tidying up. » Cependant, il demande à Clémentine si elle pourrait designer un mobilier robuste et bon marché pour organiser et ranger les prochains chantiers. Un investissement pour gagner en efficacité, finalement.
Sur les chantiers, on ne porte pas non plus de protection. Ni pour ses mains, ses yeux, ses oreilles ou sa tête. Quel que soit les outils qu’on manipule, ou la tâche qu’on effectue. Tou·te·s les ouvrier·e·s sont jeunes, jouent facilement avec leur santé et ne voit pas les conséquences sur le long terme. Aussi, les règles de sécurité sont approximatives. Par exemple, pour travailler, on mets des fils dénudés dans les prises électriques. Une fois, en débranchant le soir, je me prends une sacré châtaigne. Natnael me montre alors sa paume de main : au centre, une cicatrice. C’est une brûlure électrique : le courant qui a traversé son corps a laissé des marques aux points de contact avec sa peau. J’imagine qu’il a du avoir peur. Pourtant, il ne porte toujours pas de gants. Selon lui, ce serait même dangereux avec l’usage des scies. Enfin, j’ai été surprise d’apprendre et constater qu’ici, c’est l’architecte qui doit fournir aux artisan·e·s les matériaux de construction, mais aussi tous leurs outils de travail !
Pour clôturer l’épisode chantier, une dernière anecdote, révélatrice de nos différences culturelles. Au bureau, je demande à Natnael où je peux trouver un marteau. Les yeux écarquillés, il commence à se marrer : « That’s a farenge request ! » En Éthiopie, personne n’investit inutilement dans un marteau non...
...ici, on prends la première chute de bois qu’on trouve et on cogne avec !
Comme nous avons pu le relever, la main d’œuvre éthiopienne est très attractive. L’artisanat local, qualitatif et accessible, ouvre les possibles à l’architecte designer. Tissus, bambou, poteries... Le.la concepteur·rice dessine avec précision, puis orchestre la production. Ou encore, offre de la liberté aux artistes. Par exemple, pour le projet Simien Lodge (2020), Clémentine a imaginé le design des paniers tressés comme celui des coussins, ou encore les cadres des miroirs en bambou. Pour la production, des artisan·e·s locaux ont ensuite pris le relais. Les toiles qui décorent les murs sont réalisées par une artiste locale. Et c’est dans cette direction que Kuncho souhaite évoluer. À l’avenir, pour le mobilier, le studio de création réalisera les prototypes en atelier, puis, si nécessaire, il demandera à des artisan·e·s qualifié·e·s de les produire en série.
Enfin, les projets réalisés par Kuncho en Éthiopie répondent à une autre réalité climatique. Addis Abeba, capitale la plus élevée d’Afrique (2600 mètres d’altitude) possède un climat tropical (la fameuse saison des pluies) tempéré. Sans hiver, il n’est pas nécessaire de se protéger du froid. Seulement de la pluie. C’est pourquoi les projets architecturaux ne comportent pas d’isolation, et ont un dialogue différent avec leur environnement, plus ouvert. Le concept store dessiné par Kidus au bar & restaurant Umoja en est une belle illustration.
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Colonialisme, influences occidentales et Chinafrique : quel impact dans l’architecture et le paysage urbain ?
Éthiopie, comme la plupart des pays africains, a tendance à valoriser ce qui est importé plutôt que la production locale. Pour certain·e·s, c’est parce que c’est attractif (importation chinoise notamment) mais pour d’autres, c’est uniquement parce que dans leur esprit, le luxe viendrait de Dubaï, d’Europe ou d’Amérique. Malheureusement, les représentations occidentales de richesse se diffusent et les préjugés ont la peau dure. Par ailleurs, l’Éthiopie a trop souvent été stigmatisé pour sa pauvreté et ses épisodes de famine. Son peuple souhaite se détacher de cette image, il aspire incarner richesse et prospérité. Même si cela peut signifier copier tant bien que mal l’Occident, sans mettre en avant la beauté de sa propre culture. Construire avec des matériaux importés et avoir une mise en œuvre bâclée, car elle ne correspond pas aux savoirs faire-locaux. « Ce n’est pas grave, cela ressemble, de loin, au luxe que l’on observe dans les films. » ironise Clémentine.
L’équipe Kuncho n’est pas d’accord avec cette hypothèse du luxe dont l’Occident serait emblématique. L’Afrique a tant à offrir, pourquoi détourner le regard ? C’est le berceau de l’humanité ; sa culture, son histoire, ses traditions doivent être chéries, honorées et partagées. Ses trésors, en revanche, ont suffisamment été aux mains des étranger·e·s. À travers l’architecture et le design, Kuncho a un pouvoir de transmission. Promouvoir la diversité et la richesse de ce continent, pour le rendre plus indépendant que jamais. AFreeCon.
Présente partout en Afrique, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Éthiopie. La deuxième puissance économique mondiale investit tous azimuts dans ce pays d’environ 100 millions d’habitants, qui affiche en 2018 la plus forte croissance du continent (+ 8,5 %, selon le Fonds monétaire international). [...] L’Éthiopie a besoin de ces investissements, elle qui a la ferme intention d’entrer dans le club des nations à revenus intermédiaires d’ici à 2025.
L’Éthiopie, symbole de la « Chinafrique », Le Monde, 19 juin 2018.
Les récentes infrastructures d’Addis Abeba sont terriblement représentatives de cette situation. Le gratte-ciel de la Commercial Bank of
Ethiopia, réalisée par une compagnie chinoise, dénote dans le paysage et traduit à lui seul ce constat. Les panneaux des plus gros chantiers de la ville sont écrits en chinois, et même les personnages incrustés sur les images de rendu sont chinois. Quant à la main d’œuvre employée sur ces chantiers pharaoniques ? Chinoise, évidemment. D’autre part, les immeubles d’influence occidentale, construits par les éthiopien·ne·s, ne correspondent pas à leur mode de vie et leurs compétences constructives. Dans les rues, on remarque de nombreuses curiosités. Des colonnes électriques qui courent sur les façades, des escaliers en colimaçon, sans garde-corps, ajoutés sur les immeubles comme « sortie de secours », des bâtiments entiers où chaque baie vitrée est taguée d’une immense croix blanche « pour les oiseaux ». À cela, le non respect des techniques traditionnelles et des coutumes locales dans le secteur constructif emmène avec lui un autre problème : une perte des savoir-faire ancestraux.
Maintenant le contexte global replacé, détaillons ce que Kuncho met en place pour contrer ce constat, mais aussi comment ces diverses influences extérieures impactent l’agence et son fonctionnement. Pour commencer, elle emploie de la main d’œuvre éthiopienne. Lorsque l’équipe choisit de faire appel à des artisan·e·s ou des artistes, ce sont toujours des locaux. Et des individu·e·s qui ont à cœur de promouvoir la culture africaine. Par ailleurs, tous les designs sont inspirés de la beauté et la richesse de leur pays. C’est la première valeur qu’il·elle·s ont défini comme guide et motivation dans leur travail :
1) CULTURAL CONSCIOUSNESS. Do, Dress, Drink, Dine, Die African. Learn & speak african languages. Learn & teach your history. Explore & travel all across Africa.
Dans la rédaction de leur business plan, les architectes associé·e·s précisent : « Wearing & using our products, we want people to feel proud. Proud of where they come from with all the rich history and diverse cultures. We aim to produce contemporary design through an African lens. » À Kuncho, on est fière d’être éthiopien·ne, et plus largement, africain·e. Leur objectif, c’est communiquer cette fierté. Pour cela, il·elle·s travaillent exclusivement avec des personnes qui mettent en avant ces valeurs. C’est valable aussi pour le choix des client·e·s.
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Autour de ces convictions fortes, un réseau d’entraide et d’amitiés s’est formé. Plusieurs fois durant mon stage, j’ai vu Natnael quitter un chantier pour donner son aide et proposer ses compétences à d’autres jeunes entrepreneur·se·s, animé·e·s par la même flamme. Et ce, pour des tâches diverses, comme modéliser et conseiller un entrepreneur paysagiste qui galère en informatique, produire la communication d’un ami à la tête d’une boutique de cosmétiques africaines, témoigner de son expérience auprès d’étudiant·e·s architectes qui souhaitent, eux·elles aussi, monter leur propre agence. Pour rappel, une partie des investisseur·se·s de Kuncho sont aussi des ami·e·s proches de l’équipe, qui souhaitent les soutenir dans leur démarche et croient en leur réussite.
Le studio de création utilise le plus possible des matériaux locaux. Le cuir, le tissu, le bambou, le bois... sont éthiopiens. Il est intéressant de remarquer que Clémentine a apporté une certaine conscience écologique à l’équipe, propre à son bagage culturel. À son arrivée, c’est elle qui s’est battue auprès de ses coéquipiers pour utiliser l’eucalyptus et le bambou, espèces endémiques d’Éthiopie, dans leurs designs. Initialement, l’agence optait pour le bois importé. Parce que l’eucalyptus et le bambou sont les matériaux du pauvre, ils représentent les maisons en terre aux toitures de tôle. Les autres membres avaient peur que leurs client·e·s perçoivent ce choix comme un manque de professionnalisme. Suite au projet du Simien Lodge, dessiné par Clémentine en 2020, Kidus, Dawit et Natnael furent définitivement convaincus. À leur tour, ils ont intégré ces essences dans leur conception.
Kuncho a parfois du mal à trouver des ouvrier·e·s du bâtiment qualifié·e·s. Par exemple, l’agence avait fait appel à un artisan du bois pour la réalisation d’une table. Ce dernier a fini par leur rendre des planches de bois brut mal assemblées, abîmées, avec des jeux. La table était inutilisable. Ces matériaux, coûteux et précieux, ne peuvent être gaspillés. L’équipe a donc pris son mal en patience, disloqué puis poncé les planches, pour pouvoir les recycler dans un autre projet. En déléguant pour gagner du temps, c’est tout le contraire qui s’est passé.
de l’environnement, surconsommation) mais qui reste pauvre, sans perspective d’évolution économique à venir. Au retour de cette expérience, une idée germe dans l’esprit de l’équipe : puisque les artisan·e·s qualifié·e·s éthiopien·e·s se font rares et qu’il existe des milieux reculés où des jeunes sont désœuvré·e·s, pourquoi ne pas créer une école itinérante pour les former ? Professionnalisante, elle rémunérerait ses étudiant·e·s pour participer à des chantiers, sur lesquels il·elle·s expérimenteraient des techniques constructives traditionnelles. « Ethiopian Skill School - Compile, adapt and teach traditional construction methods using only local materials. Execute these materials to build comfortable housing structures, in isolated places. » Le projet est encore à l’état d’embryon (développement du concept, recherche de financement) mais il est prometteur. Enfin, dans les quatre architectes associé·e·s, on trouve trois éthiopiens, et une française. Au même titre que Natnael, Kidus et Dawit, Clémentine a beaucoup apporté depuis son arrivée à l’agence. Elle est très bien intégrée, et vit à la manière d’une « habesha » [habitant·e éthiopien·ne, en amharique]. Pourtant, sa couleur de peau raconte une autre histoire, celle d’une « farenge » [étranger·e, en amharique]. Quel impact dans le fonctionnement de l’agence ? Outre l’aspect financier (Clémentine a bénéficié d’un capital économique supérieur à sa naissance), un paradoxe a lieu au sein de l’équipe. Pour le moment, elle a été responsable conception des plus gros projets architecturaux (Simien Lodge, Kuriftu & Boston Day Spa), ceux où les maîtres d’ouvrage exigeaient un design à l’image de la richesse leur pays. Pour quelles raisons ?
D’abord, si on observe les dessins de Clémentine, on remarquera qu’ils reprennent des codes ethniques plus évidents. Mentalement, ses visuels nous plongent directement dans la culture africaine et ses traditions. Ou du moins, l’idée qu’on s’en fait. Par contre, si l’on regarde les dessins ou les références d’un membre comme Kidus, on observe plus de mélange. Il puise ce qu’il lui plaît dans d’autres pays et s’autorise à s’inspirer de la culture japonaise, par exemple, qu’il admire beaucoup. Son style est plus épuré et minimaliste. L’Afrique est là, mais par touches ; son esprit, puissant, se ressent, mais le langage est plus subtil. Le résultat de ses visuels est un métissage. On comprend alors que Clémentine est en phase d’assimilation de cette culture :Bilan critique : retour sur expérience, les divers enjeux soulevés.
Le projet du Simien Lodge, situé dans un environnement isolé, a amené un autre constat : ici, on trouve une population jeune, dans un cadre de vie encore protégé des dérives du capitalisme (pollution, dégradation
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son design africain est franc et assumé, il ne laisse pas de doute possible. Kidus, éthiopien de naissance, jouent avec les codes et représentations de sa culture ; ils sont présents, mais détournés. D’une certaine manière, on peut dire que son design démontre qu’il n’a pas à prouver son appartenance à ce peuple. Ce paradoxe se retrouve aussi dans les choix exprimés par les client·e·s. Dans le secteur du luxe, les projets sont plus faciles à obtenir lorsque Clémentine est présente car elle est blanche : c’est gage d’un travail de qualité. Ainsi, les maîtres d’ouvrage réclament une conception et production éthiopienne, mais restent séduit·e·s par les standards des constructions européennes.
Bien sûr, être blanche a aussi son lot d’inconvénients. « Farenge », dans le regard des éthiopien·ne·s, c’est synonyme de richesse. On va beaucoup plus nous solliciter dans la rue, et plus facilement être la cible de vols. Dans le cadre du travail à l’agence, nous ne pouvons pas acheter des matériaux de construction nous-même. Les prix ne sont pas affichés, ils flambent dès notre arrivée en boutique. Et avec notre couleur de peau, impossible de négocier les tarifs locaux. Pour le chantier du bureau, cela induit un doubletravail : nous partons repérer une première fois les matériaux sur le marché (il n’existe évidemment pas de catalogue en ligne) ; le lendemain, Dawit retourne discuter des prix, seul.
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Conclusion.
Ce que j’ai appris au contact de Kuncho...
Kuncho, c’est une véritable famille. Ce stage en agence fut riche d’apprentissage et d’amour. Leur joie est contagieuse, et leur production reflète leur plaisir à travailler. L’équipe s’amuse et développe des sujets qui lui tiennent à cœur. À leurs côtés, j’ai retrouvé cette ambiance particulière, propre à nos études d’architecture, où l’on partage tout avec ses partenaires de projet. Sauf qu’ici, la demande n’est pas fictive et les projets sont ancrés dans la réalité. Cet environnement de travail, très qualitatif, permet à chacun·e de s’épanouir. Il donne une grande liberté, propice à la créativité. Je souhaite conserver cette dimension dans ma future profession. Exercer le sourire aux lèvres, en plaisantant avec mes ami·e·s, dans un métier qui correspond à mes valeurs. Avoir un sentiment de satisfaction en fin de journée, être fière de ce que je fais.
Sur place, je n’ai pas souffert d’une routine, la variété des activités m’a tenu en haleine. C’est venu confirmer une pensée qui germe depuis longtemps dans mon esprit : je ne supporte pas d’être enfermée. Dans une pièce, comme sur une mission. Pour mon bien être personnel, j’ai besoin de diversité. Me sentir stimulée à chaque instant, quitte à parfois me disperser et perdre en efficacité. Je ne suis pas une machine de production, je suis un être vivant.
Kuncho, c’est une ode à l’action. L’équipe n’a pas toujours conscience de son discours politique dans ses projets, car ils·elles parlent avec des actes, et non avec des mots. Leur détermination est inspirante, elle encourage à agir. J’aurais aimé découvrir l’Éthiopie et l’agence dans d’autres circonstances. Néanmoins, en dépit du climat politique présent, cette expérience fut si riche qu’elle m’incite à revenir explorer le pays en temps de paix.
En ce qui concerne les projets auxquels j’ai participé, j’aurais aimé trouver une dimension plus sociale dans ma production. Clémentine, qui me connaît cet attrait, m’avait proposé de travailler sur leur concept d’école itinérante et
solidaire. Mais d’abord, l’agence avait besoin que je dessine leur bureau, puis que je prenne part au chantier. Je ne m’en plains pas, j’ai même été très heureuse car le travail manuel était une de mes demandes explicites pour ce stage. En raison de mon rapatriement, je n’ai malheureusement pas pu participer à l’ « Ethiopian Skill School ». Dommage. Cette anecdote pour soulever un point : travailler sur des projets luxueux ne remplit pas mon besoin de sens. Ces derniers ouvrent de nouveaux possibles en terme de créativité (sans contrainte monétaire, on se prend à rêver) et apportent une stabilité financière nécessaire. L’équipe peut ensuite se permettre d’avoir un impact social. Mais je sens que ce n’est pas encore ma place. C’est donner beaucoup de mon énergie à des personnes qui ont déjà atteint une certaine qualité de vie. Dans l’idée, je préférerais davantage réserver mon temps à la démocratisation d’une architecture qualitative pour tou·te·s.
Je me rend compte aussi que je ne souhaite pas m’installer en dehors de la France. Beaucoup d’autres pays m’attirent sincèrement, mais je ne me sens pas légitime de défendre mes idées et remettre en question une culture qui n’est pas la mienne. Et ce notamment car je suis consciente de notre passé colonialiste et comment, aujourd’hui encore, notre gouvernement tire parti et exploite les richesses d’ailleurs. Notre niveau de vie a fait, et continue de faire le malheur de beaucoup de pays. En revanche, je suis très admirative de Clémentine qui, sans s’imposer, n’hésite pas à faire part de ses divergences d’opinion à son équipe. C’est ce riche et savant mélange des cultures qui m’a beaucoup séduite dans la relation des quatre associé·e·s.
Les profils des membres de Kuncho (jeunes architectes diplômé·e·s engagé·e·s), leurs convictions, l’échelle humaine et la dimension sociale de leurs projets, la pluridisciplinarité de leur agence et la juste nécessité de ne pas dissocier travail manuel et intellectuel... sont autant de graines qui viennent fertiliser mes projections futures.
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Conclusion.
Plus tard, je serais... travailleuse sociale aux compétences spatiales, au service de l’humain et de son environnement ?
Au cours de mon master, plusieurs expériences personnelles m’ont beaucoup nourri. Elles sont les points de départ de ma quête d’architecture engagée :
• En 2018 (au retour de mon année de césure en Asie) la création de l’association étudiante « Coucou c’est Nous » m’a beaucoup appris. Chaque semaine, nous organisons des cours de français et des ateliers à destination des personnes exilées. Nos objectifs étaient de faciliter leur intégration sur le territoire, et plus simplement, nouer du lien ensemble. Je pense qu’apprendre à les connaître et comprendre leur situation nous aide à penser et tendre vers un paysage urbain commun, adapté aux besoins de tou·te·s.
• En 2019, dans le cadre de mon mémoire, j’ai découvert l’émergence d’une société utopique, enviable et soutenable. Pendant plusieurs mois, je me suis immergée dans le quotidien de communautés alternatives et décroissantes. Étudier des projets concrets, inspirants et positifs, qui cultivent la beauté de notre monde et respectent les êtres vivants, m’a donné espoir pour les générations futures.
• Sur place, j’ai fait la rencontre de l’association « Hameaux Légers », qui lutte pour la démocratisation des habitats réversibles sur le territoire français. Ces formes d’habiter, peu onéreuses et écologiques, facilitent l’accès à la propriété (sans s’endetter) et rétablissent notre lien à l’environnement. Séduite par leurs valeurs, j’ai démarché une équipe enseignante à l’ENSA Nantes et monté un partenariat : de ce fait, une vingtaine d’étudiant·e·s en master (dont moi-même) ont réalisé un semestre de projet sur cette thématique (cf ProtoLab 2021). Car je suis intimement convaincue de la pertinence et la nécessité de changer d’imaginaire collectif. Ces propositions d’habitats, qui répondent aux enjeux sociaux et environnementaux actuels, doivent être intégrées à notre corpus de référence en études d’architecture.
• Une fois mon projet de fin d’études réalisé, je n’ai pas le temps de faire un bilan personnel que me voilà déjà en route pour l’Éthiopie. Kuncho est la dernière pièce de ce puzzle. Voir mes ami·e·s rêver grand m’inspire et m’invite à continuer d’agir pour ce en quoi je crois.
« L’architecte, c’est le médecin de l’invisible. » Citation de Terra, architecte de formation et habitante de l’Écohameau du Ruisseau, rencontrée durant mes expériences immersives dans les écolieux (2019).
Cette phrase résonne profondément en moi. L’architecture construit le rapport à l’espace dans lequel nous vivons. De manière plus sensible, les espaces que nous concevons ont un impact sur nos corps, notre relation aux autres, à l’environnement. En confiant aux architectes l’espace qui nous entoure et nous abrite, nous les laissons agir sur l’enveloppe qui succède notre peau. Métaphoriquement, nous leur confions notre seconde peau. Au même titre que notre discipline est en capacité de prendre soin de notre environnement, naturel, humain comme construit, elle peut aussi l’impacter négativement (souvent involontairement). J’aimerais être une architecte dont les projets offrent un accueil inconditionnel aux futur·e·s usager·e·s. Pour accompagner l’autre sous toutes ses dimensions, je souhaite me mettre dans une posture d’écoute. Co-concevoir des projets écologiques qui participent au bien-être de personnes en situation de mal logement, me semble être ma voie. Je ressens le besoin de participer à l’émergence d’un nouveau monde, tout en restant au contact de la matière et du vivant.
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Annexes.
GRILLE D'EVALUATION PAR LA STRUCTURE D’ACCUEIL
ETUDIANT NOM ENSEIGNANT REFERENT AGENCE
NOM MAITRE DE STAGE ADRESSE VILLE Téléphone MAIL
Carole Lyssandre Jérôme Sautarel Kuncho Trading PLC Natnael Yohannes Gabon st, Meskel Flower Addis Ababa, Ethiopia +251967995384 kunchodesign@gmail.com
Intérêt du stagiaire pour le travail effectué ? Pas d’intérêt du tout Beaucoup d’intérêt
Esprit d’analyse et de synthèse du stagiaire
Autonomie
Esprit d’initiative Adaptabilité et réactions aux critiques Esprit d’équipe
Respect des délais
0 105 0 105 0 105 0 105 0 105 0 105 0 105
Quels sont les apprentissages que l’étudiant a développé pendant son stage ?
Carole a développé sa capacité à répondre rapidement à une commande, son travail était d’autant plus compliqué que son client était l’agence directement. Elle a également eu l’occasion d’apprendre des techniques de construction et de menuiserie lorsqu’elle a participé à la construction de ses designs.
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GRILLE D'EVALUATION PAR LA STRUCTURE D’ACCUEIL
GRILLE D'EVALUATION PAR LA STRUCTURE D’ACCUEIL
Quels sont les savoir-faire que l’étudiant a apporté à l’agence ?..................................................................................................................................... ........................................................................................
Carole a su instaurer une rigueur dans la communication, l’organisation et l’execution. Les frustrations liées au choc des cultures et des manières de faire l’ont poussé à se faire entendre et apporter des solution de part sa grande capacité à communiquer.
GRILLE D'EVALUATION PAR LA STRUCTURE D’ACCUEIL
Quels sont les savoir-faire que l’étudiant a apporté à l’agence ?.....................................................................................................................................
Observations :………………………………………………………………………………………………
Carole a su instaurer une rigueur dans la communication, l’organisation et l’exécution. Les frustrations liées au choc des cultures et des manières de faire l’ont poussé à se faire entendre et apporter des solutions de par sa grande capacité à communiquer.
Quels sont les savoir-faire que l’étudiant a apporté à l’agence ?.....................................................................................................................................
GRILLE D'EVALUATION PAR LA STRUCTURE D’ACCUEIL
Fait à Signature
Un contexte de stage particulier, entre découverte d’un pays et de ses pratiques, guerre et pratiquer auprès d’une agence peu conventionnelle. Carole comme l’agence a beaucoup appris lors de ce stage et nous serions ravis de retravailler avec elle un jour.
Observations :………………………………………………………………………………………………
Quels sont les savoir-faire que l’étudiant a apporté à l’agence ?.....................................................................................................................................
Fait à Signature
Un contexte de stage particulier, entre découverte d’un pays et de ses pratiques, guerre et travail auprès d’une agence peu conventionnelle. Carole, comme l’agence a beaucoup appris lors de ce stage, et nous serions ravis de retravailler avec elle un jour.
Observations :………………………………………………………………………………………………
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Fait à Signature
Addis Ababa
Fait à Signature
Addis Abeba, le 19/01/2022.
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Annexes.