

La Ronde en Action Une quête d’architecture engagée
Carole Lyssandre - Notice de Projet de Fin d’Études Studio ProtoLab 2021
Sylvain Gasté, Saweta Clouet, Wilfrid Lelou, Hélène Guillemot Juin 2021 - ENSA Nantes
« Désormais, la plus haute, la plus belle performance que devra réaliser l’humanité sera de répondre à ses besoins vitaux avec les moyens les plus simples et les plus sains. Cultiver son jardin ou s’adonner à n’importe quelle activité créatrice d’autonomie sera considéré comme un acte politique, un acte de légitime résistance à la dépendance et à l’asservissement de la personne humaine. »
Pierre Rabhi, Vers la Sobriété HeureuseRemerciements.
À l’équipe pédagogique ProtoLab, pour leur engagement et leur bienveillance tout au long de ce semestre. L’horizontalité de vos échanges est source de bien-être dans ce studio. À Sylvain Gasté, pour avoir ouvert le prototypage aux habitats réversibles. À Hélène Guillemot, pour m’avoir accompagnée sur cette notice.
À Christo, Cloé et Guillaume : vous êtes des belles personnes et de merveilleux·ses coéquipier·ère·s, je suis heureuse de travailler avec vous sur ce projet.
À toute l’équipe étudiante ProtoLab, pour cette ambiance de folie ! À nous tou·te·s, nous formons un beau collectif soudé.
À Reynald, Aristote, Xavier et l’équipe Hameaux Légers, pour m’avoir fait découvrir de nouveaux modes d’habiter.
À Clémentine, Thomas et le collectif d’habitant·e·s de Saint-André-des-Eaux, pour votre accueil, votre temps et votre investissement dans ce projet.
À la Maison du Peuple, pour tout ce qu’elle m’a appris et continue de m’apprendre aujourd’hui.
À Jean-Louis et Alexis, pour leur rôle indispensable dans ce projet.
À tout·e·s les bénévoles et apprenant·e·s de Coucou c’est Nous, pour la simplicité de ces moments partagés.
À mes ami·e·s de l’école d’architecture, qui m’ont apporté beau coup de bonheur dans ces études : Hugo, Clémentine, Marie, Lucie², René, Brody, Mathilde, Joséphine, Victor, Malou, Charlotte, Violette.
À ma famille, et particulièrement ma maman, pour avoir toujours été présente. Ta force et ta beauté sont un exemple pour moi. À Saskia, ma grande sœur, pour son humour et sa motivation joyeuse.
À Leah, pour ton soutien, ton amour et ton inspiration.
À Noée, pour ta sensibilité, ton authenticité et pour tout ce que tu m’apportes quotidiennement.
À Leïla, Soraya et Delphine, mes sœurs de cœur.
À Hugo, pour avoir accepté de vivre l’aventure d’un PFE à nos cô tés. J’ai de la chance d’être aussi bien accompagnée, je t’aime.
À mes colocataires, Lucien et Basile, pour votre soutien, vos dîners exquis, vos câlins, votre humour, votre amour. Merci mon petit coloc en sucre d’orge pour tes dessins, ils sont parfait !
À ma meilleure amie et partenaire de projet, Émilie. Finir mes études avec toi est la plus belle chose qui pouvait m’arriver. Je t’aime très fort, merci pour tout.
Avant-propos
Introduction
1. Retour sur l’habitat réversible et la vision Hameaux Légers : combat, avantages, limites Clémentine, Thomas et Maël quittent l’aventure
2. Mon engagement associatif : de Coucou c’est Nous à la MdP Épilogue
Conclusion
p.11 p.12 p.25 p.70 p.79 p.96 p.98
Prête à commencer ?
Heu... Je sais pas, je crois que j’ai le trac !

Tu restes avec moi hein ?!

Avant-propos.
Attention, La Ronde en Action - Une quête d’architecture en gagée vient en seconde lecture de notre notice La Ronde, ou le ré cit d’un caisson vagabond. Dans cette réalisation commune à notre groupe, vous trouverez tous les éléments clés pour une compré hension globale de notre projet.
Ici, je vous livre un témoignage de mes expériences propres en études d’architecture, dont ProtoLab 2021 est l’aboutissement. Pour participer à la mise en récit de ce texte, Lucien Gurbert (https://lucien-gurbert.com/) a réalisé plusieurs illustrations. Elles me mettent en scène avec mon fidèle acolyte (fictif) le chat noir, et d’autres personnages bien réels. Cette mise en récit vous permettra, je l’espère, de prendre plaisir à lire ce texte autant que j’ai pris plaisir à l’écrire.
N.B : cette notice est datée de juin 2021 ; depuis cet écrit, l’hameau léger du Placis s’est bel et bien concrétisé à Saint-Andrédes-Eaux, et l’association Hameaux Légers connaît un réel essor. Pour plus d’informations : https://hameaux-legers.org/
En guise d’introduction.
Comment suis-je arrivée en ProtoLab 2021 ?
Lorsque débute mon master, je me trouve dans un moment char nière de mon parcours universitaire : je suis en quête de sens dans mes études d’architecture. D’une part, je suis stimulée par les recherches sur la spatialité, la conception globale d’un projet, son insertion au site (paysage, environnement social et politique). D’autre part, je m’interroge sur l’impact écologique du bâtiment, la pertinence d’une densification urbaine démesu rée, le rôle de l’architecte sur le mal ou non logement. Bien que nous soyons dans le cadre de projets fictifs, je n’ai pas le sentiment que mes convictions personnelles transparaissent dans ce que je produis à l’ENSA Nantes.
Lors de mon mémoire, je m’intéresse à plusieurs collectifs autogé rés aux modes de vie alternatifs. Curieuse, je souhaite découvrir de mes propres yeux l‘émergence de ces micro-sociétés ; je décide de séjour ner deux semaines dans chaque écolieu étudié. Ces immersions me per mettent de comprendre leur organisation, les enjeux et problématiques qu’impliquent ces choix de vie. Elles me donnent surtout goût à la culture ambiante, propre à chaque lieu visité. Sur place, je prend part à la vie col lective : j’aide aux tâches quotidiennes, j’explore les instances décisionnelles de gouvernance partagée, j’apprends les principes de permaculture, je par ticipe à l’autoconstruction des habitats, etc. Toutes ces pratiques raisonnent en moi.
Les habitant·e·s de ces écolieux souhaitent incarner un changement de modèle sociétal possible et enviable. Certain·e·s s’engagent dans des luttes médiatiques, pour partager leur existence et témoigner des bienfaits de ces choix de vie. Toutefois, ce voyage en décroissance me questionne : quelles répercutions ces écolieux ont-ils à l’échelle nationale ? Sont-ils réellement accessibles à tou·te·s ?
L’association Hameaux Légers à Langouët, 2019 Aristote, Reynald, Thibault et Xavier sont ici présents

Dans ce contexte, je rencontre les Hameaux Légers lors d’une ex périence immersive dans l’écolieu le Hameau des Buis, à Lablachère (Ardèche) en mai 2019. L’association affiche un combat à l’échelle nationale pour démocratiser d’autres manières d’habiter. Je suis immédiatement at tirée par la philosophie et la dynamique de ce jeune collectif, qui semble mettre le doigt sur une forme d’architecture répondant aux enjeux sociaux et écologiques actuels. À leur contact, je prend conscience de ma mécon naissance sur l’habitat réversible, ses caractéristiques, ses déclinaisons, les règles d’urbanisme qui l’entourent.
Mon semestre de mémoire touche à sa fin, je dois retourner à l’école. Une idée me traverse alors l’esprit : et si un partenariat entre les Hameaux Légers et l’ENSAN était monté, pour que d’autres étudiant·e·s aient la possibilité de découvrir ces modes d’habiter ?
ProtoLab 2018
sept 18 - janv 19
Je découvre un studio de projet où l’expérimentation par la matière est au cœur de la concep tion architecturale. Ce laboratoire de prototypes est encadré par une équipe pédagogique bienveillante et engagée, qui offre aux étudiant·e·s une certaine liberté de créer. Ce processus de recherche est innovant, il valorise le cheminement de la réflexion et accueille l’échec : ce n’est pas une fatalité, mais une étape qui vient enrichir le projet.
Rencontre des Hameaux Légers
mai 19
Durant mon séjour au Hameau des Buis, ancien QG des HL, je fais la connaissance de Xavier, qui coor donne Hameaux Légers depuis 2019. Il m’invite à observer l’organisation de l’association et parti ciper à leurs réunions.
WAI des Hameaux Légers
sept 19
Lors de ce Week-end Architecture Inspirée, je rencontre Reynald et Aristote, premiers liens du Cercle Architecture et Autonomie des Hameaux Légers. J’impulse l’idée d’un partenariat avec l’ENSA Nantes : leur action pourrait ainsi rayonner dans un cadre pédagogique, auprès de futur·e·s concepteur·rice·s de nos territoires. Très intéressés, les membres de l’association m’expliquent leur projet d’écocentre à Langouët : peut-être les étudiant·e·s pourraient-il·elle·s prototyper des habitats réversibles témoins ?
Proposition du projet à Sylvain Gasté sept 19
Accompagnée de Leah (ma meilleure amie et comparse d’Asie), je propose à Sylvain, enseignant référent de ProtoLab, que son stu dio traite la thématique de l’habitat réversible. En partenariat avec Hameaux Légers, l’association financerait les prototypes réalisés par les étudiant·e·s au cours du semestre. Il accepte... je suis folle de joie ! L’unique condition : cette session aura lieu en mars 2021.
Organisation, imprévus et premiers aléas oct 19 - oct 20
Pendant un an, je reste en contact régulier avec Reynald et Aristote. Je suis les avancées des préparatifs du studio de projet, j’aide ponctuellement l’association (rédaction dossier de subvention). Lorsque le résultat des municipales tombent, j’assiste à une première désillu sion : Daniel Cueff, maire de Langouët depuis 1999, n’est pas réélu. En conséquence, le projet d’écocentre dans cette commune est abandonné. L’association rebondit rapidement : le 1er octobre 2020, elle déplace son QG à Lancieux (Côtes-d’Armor). Pour cela, Hameaux Légers utilise l’article 421-5 du code de l’urbanisme, permettant d’installer sans autorisation des constructions ou installations temporaires directement liées à une manifestation culturelle, pour une durée ne dépassant pas un an. L’as sociation s’implante ainsi sous forme d’un espace d’expérimentation et d’exposition sur l’habitat réversible.
Première rencontre ProtoLab x Hameaux Légers nov 20
Sylvain et Reynald se rencontrent pour la première fois à Nantes, à l’agence Alter Smith. Comme une petite souris, je m‘infiltre dans les coulisses d’un studio de projet. Pour cette nouvelle session ProtoLab, Hameaux Légers propose la construction de quatre habitats réversibles démontables, qui prendront place temporairement à Lancieux. Témoins, ces habitats seraient supports de communication et permettraient l’héberge ment ponctuel de bénévoles, pour leur futur écocentre. Pour cela, l’association suggère un financement à hauteur de 30000€ (soit 7500€ par prototype). En réponse, Sylvain énonce le cadre pédagogique : les étudiant·e·s n’ont pas d’obligation de résultat, nous ne sommes pas dans un rapport maîtrise d’ouvrage - maîtrise d’œuvre. Le prototypage est un avancement de recherche, il ne constitue pas un produit fini. Si l’association s’engage avec ProtoLab, elle doit avoir conscience de cet impératif. Ensemble, les partis s’accordent : l’aventure ProtoLab 2021 et Hameaux Légers se concrétise !
Deuxième rencontre ProtoLab x Hameaux Légers x étudiant·e·s déc 20
Parallèlement, je discute de ce pro jet avec les copain·e·s de l’ENSAN : un petit groupe d’étudiant·e·s intéressé·e·s par ce sujet et très motivé·e·s pour prendre part à ce studio se constitue. Une deuxième rencontre à Alter Smith est organisée, avec l’équipe pédagogique ProtoLab et des membres des Hameaux Légers. À ce rendez-vous, sont présent·e·s : Sylvain et Wilfrid ; Aristote et Reynald ; Basile, Émilie, Étienne, Louise, Morgan, Noée, Raphaël, Violette. Collectivement, nous réfléchissons aux modalités pratiques et pédagogiques à mettre en place dans le cadre de ce partenariat. Cette démarche collaborative est très enrichissante : en tant qu’étudiant·e·s, nous sommes heureux·ses et reconnaissant·e·s de pouvoir contribuer activement à ce processus de réflexion. Toutefois, chacun·e connaît la règle du tirage au sort dans notre école, et rien ne nous garantit à ce moment là de pouvoir participer à ProtoLab 2021. À la fin des choix pédagogiques, lorsque 21 étudiant·e·s sont inscrit·e·s dans le studio, Sylvain augmente sa jauge pour que tout le monde puisse bénéficier de cet enseignement.
Expulsion de Lancieux : où va t-on construire ? févr 20
Les Hameaux Légers ne parviennent pas à établir de bonnes relations avec la mairie de Lancieux. La préfecture intervient en rappelant l’interdiction d’or ganiser des manifestations culturelles en temps de crise sanitaire. Afin de ne pas compromettre la réalisation de futurs projets dans les Côtes-d’Armor, l’association démonte ses installations et quitte les lieux. Le projet d’écocentre est momentanément abandonné, comme les habitats réversibles témoins qui devaient l’alimenter. Lorsque j’apprends la nouvelle, je commence à angoisser : était-ce raisonnable d’embarquer tout ce beau monde dans ce navire qui tourne à la dérive ? Va t-on réussir à trouver un nouveau site de projet dans un temps si court ? Est-il toujours question de réaliser des prototypes financés par l’association ?
Lancement ProtoLab 21
févr 20
Une semaine après le lancement du studio, l’équipe Hameaux Légers trouve une solution : notre sujet portera sur la construction de trois habitats réversibles démontables, dans le cadre de la création d’un écohameau à Saint-An dré-des-Eaux. Le hic ? Ce n’est plus l’association qui prend en charge le financement des prototypes, mais les futur·e·s habitant·e·s de ces habitats, membres des Hameaux Légers. Reynald et Aristote ne sont plus en charge de la communication de l’association avec l’équipe pédagogique : Xavier, porteur du projet, prend la relève. Par ailleurs, ProtoLab est mis en lien avec Saint Benoît Labre, une association qui lutte contre la précarité et s’engage notamment dans l’accueil et le relogement des sans-abris. Aussi, un quatrième prototype est proposé dans le cadre de la réhabilitation et l’extension d’une maison située dans la périphérie de Rennes Métro pole, pour reloger dix personnes aujourd’hui en situation de sans-abrisme. Après ces nombreux rebondissements, l’aventure ProtoLab 21 peut enfin débuter !
Heu... Vous avez failli être dans la merde hein. J’attends de voir la suite moi !

YES ! Tout se passe comme sur des roulettes !
Bon, tu me chauffes les oreilles depuis plus d’un an avec cette histoire d’Hameaux Légers, mais... C’est quoi un habitat réversible ?

1. Retour sur l’habitat réversible et la vision Hameaux Légers : combat, avantages, limites
Le KG de l’association Hameaux Légers à Lancieux, 2020 De gauche à droite : Maison Nomade, Cahutes, Yourte

Ce que les Hameaux Légers caractérisent comme habitat réversible, c’est communément ce que l’on désigne sous le nom d’habitat léger. En raison des représentations collectives sur ce type d’habitat (cf l’histoire des trois petits cochons et la maison de paille qui s’envole) l’association a souhaité faire peau neuve et démocratiser ces constructions sous un nouveau nom.
L’habitat réversible est un habitat aux fondations réversibles, c’està-dire démontables et déplaçables facilement, qui n’artificialisent pas les sols. L’association a classé les différentes typologies d’habitats réversibles en quatre grandes familles : mobile, transportable, démontable et biodégradable.
Dans le cadre de notre projet à Saint-André-des-Eaux, la demande du collectif d’habitant·e·s correspond à de l’habitat réversible démontable. Selon la définition proposée par l’association, l’habitat démontable est conçu pour pouvoir être désassemblé, déplacé et ré-assemblé facilement. Son montage & démontage prend 2 à 10 jours, et il peut être transporté à l’aide de petits camions ou remorques ne nécessitant pas de permis poids lourds. Construire ce modèle d’habitat, pensé en lien avec son environnement puis finalement déplacé ailleurs, soulève un premier questionnement dans notre groupe : le rapport au site.
C’est pas parce que c’est démontable qu’il faut négliger votre relation à l’environnement dans ce projet !
Justement, c’est la première limite que nous avons perçu : nous avons cher ché à concevoir en conséquence. M’ouais... Et en quoi ce modèle d’habitat vient répondre aux enjeux sociaux et écologiques actuels ?
Je vais te faire un petit résumé en 3 points de ce que j’ai appris cette année au contact des Hameaux Légers.


Les habitats réversibles présentent de nombreux avantages, qui m’ont beaucoup séduite.
D’un point de vue écologique, ils réduisent considérablement notre impact sur l’environnement. Selon le Ministère de la Transition Écologique, l’artificialisation des sols participe à l’accélération de la perte de biodiversité, au réchauffement climatique, à l’amplification des risques d’inondations (phénomène de ruissellement), à la réduction de la capacité des terres agricoles à nous nourrir. De plus, en lien avec les valeurs de leurs concepteur·rice·s, ces habitats ont vocation à être construits avec la plus faible empreinte carbone possible, en matériaux biosourcés, locaux ou issus de la filière du réemploi.
D’un point de vue social, ils participent à la lutte contre le mal logement. Abordables financièrement, ces habitats facilitent l’accès à la propriété des foyers et évitent de s’endetter sur le long terme auprès des banques. Selon l’Observatoire Crédit Logement CSA, la durée moyenne des crédits immobiliers des particuliers en 2021 est de 230 mois, soit plus de 19 ans. Par ailleurs, les habitats réversibles sont accessibles à l’auto construction, ce qui limite les dépenses de mise en œuvre.
« Dispositions relatives aux résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs : Art. R.* 111-46-1. – Sont regardées comme des résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs les installations sans fondation dispo sant d’équipements intérieurs ou extérieurs et pouvant être autonomes vis-à-vis des réseaux publics. Elles sont destinées à l’habitation et occupées à titre de résidence principale au moins huit mois par an. Ces résidences ain si que leurs équipements extérieurs sont, à tout moment, facilement et rapidement démontables. »
Extrait du Décret n°2015-482 du 27 avril 2015, Journal Officiel de la République Française
D’un point de vue juridique, ils peuvent faire l’objet d’installation sur des terrains non constructibles, limitant ainsi le coût du foncier. Depuis la loi ALUR (2014), ce type d’habitat rentre dans le cadre de « résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs ». Par révision ou modification du Plan Local d’Urbanisme (PLU ou PLUi), les communes ont le pouvoir de créer des pastilles (avec approbation de la Direction Départementale des Territoires) représentant des exceptions à la non constructibilité dans des zones naturelles et agricoles : ce sont des STECAL (Secteur de Taille et de Capacité d’Accueil Limitées).
C’est intéressant, mais rien de bien nouveau là-dedans. Les yourtes, ça fait depuis longtemps que ça existe !

Attends, laisse-moi terminer... Reprenons la définition des Hameaux Légers pour mieux comprendre l’ambition de leur mission.

« Un hameau léger est un lieu de vie participatif accueillant un petit nombre d’habitats réversibles, accessible aux foyers à ressources mo destes, réalisé en partenariat avec la commune qui l’accueille. » Définition communiquée par Hameaux Légers sur leur site
Plus concrètement, la démarche de l’association présente cet as pect intéressant : la création et l’accompagnement de collectifs alternatifs autonomes et résilients sur notre territoire.
Moi, leur discours, ça m’inspire l’utopie d’une société sans domination et sans exploitation, où les individu·e·s coopèrent librement dans une dynamique d’autogestion. Une société basée sur la solidarité, la complémentarité de la liberté de chacun·e et celle de la collectivité, l’égalité des conditions de vie et la propriété commune autogérée...

Mais, mais, mais... Tu rêves ! La formation de communautés locales et autonomes sur notre territoire, ce n’est pas une idée nouvelle ! Et si cela fonctionnait, on le saurait. Tes Hameaux Légers, ce sont loin d’être des révolutionnaires ! Laisse-moi te remettre les pendules à l’heure.



Historiquement, les premiers mouvements communautaires de ce type en France sont apparus en 1909 avec l’individualisme libertaire, un courant de l’anarchisme qui prône la liberté des choix de l’individu face à ceux imposés d’un groupe social. En opposition avec le phénomène d’industrialisation, leurs partisan·e·s se sont regroupé·e·s hors des villes pour mettre en cohérence leurs idées et leurs actes, à travers une culture de la terre et la pratique de vies alternatives. Écrasé·e·s par le pouvoir politique en place, leur existence fut limitée à quelques années seulement.
Ces initiatives préfigurent le retour à la nature des années 70. À la fin des Trente Glorieuses, la société consumériste n’offre pas d’horizons satisfaisants pour les jeunes générations. Elles partent alors en quête d’une ruine isolée ou d’un hameau abandonné où il serait possible de s’installer en groupe, pour vivre dès maintenant autrement : un exode urbain éphé mère est amorcé. Ce courant est à la fois politique, spirituel et non matérialiste. Il introduit pour la première fois une sensibilité écologique dans l’imaginaire collectif. Ce phénomène tend rapidement à s’essouffler : le conflit humain rattrape la vie en collectivité.
Très bien, mais depuis d’autres initiatives sont nées. Et certaines fonctionnent ! J’ai passé 3 mois sur place et écrit un mémoire de 200 pages sur le sujet.

« Une sorte de pensée unique, commune à presque toute la classe politique française, affirme que notre bonheur doit impérativement passer par plus de croissance, plus de productivité, plus de pouvoir d’achat, et donc plus de consom mation. (...) La croissance constitue-t-elle un piège ? Fondée sur l’accumulation des richesses, elle est destructrice de la nature et génératrice d’inégalités sociales. Durable ou soutenable, elle demeure dévoreuse du bien-être. C’est donc à la décroissance qu’il faut travailler : à une société fondée sur la qualité plutôt que sur la quantité, sur la coopération plutôt que la compétition, à une humanité libérée de l’économisme se donnant la justice sociale comme objectif. »
Serge Latouche, économiste français et penseur
de la décroissance

Au regard de mes expériences immersives en 2019, il existe des lieux de vie en France qui répondent à des logiques similaires, apparen tés à l’idéologie de la décroissance. Ces écolieux permettent à leurs habitant·e·s de satisfaire leurs besoins essentiels (ou une grande partie), en exerçant une empreinte écologique moins forte mais aussi plus positive, que ce soit pour l’environnement (enrichissement des sols grâce à l’ap plication de la permaculture, création d’énergies renouvelables sur site, réemploi, etc.) ou pour leur bien-être individuel (liberté, pratiques en lien avec leur motivation intrinsèque, meilleure qualité de vie, etc.). Selon la vision qu’il·elle·s partagent, cet acte d’authentique liberté représente une forme d’insurrection au capitalisme et au modèle néolibéral.
Ces modes de vie alternatifs impactent considérablement ces collectifs sur leur manière de penser leur environnement, naturel comme construit. Je vais te donner un petit aperçu en prenant l’exemple de trois d’entre eux.




Située à Moisdon-la-Rivière (Loire-Atlantique), la Maison Auto nome est le point de départ de l’Écohameau du Ruisseau. Initié en 1976, ce projet correspond à un laboratoire d’expérimentations visant l’autonomie sur tous les domaines de la vie (énergie, construction, eau, alimenta tion, etc.). En 2019, cette alternative rassemble huit habitant·e·s, dont deux enfants, constituant trois foyers.
Autodidactes, les alternatifs rencontrés entreprennent cette li berté de faire avec leurs mains. Le Hangar Commun de l’Écohameau du Ruisseau semble s’inspirer des Earthship de l’architecte américain Michael Reynolds. L’espace commun est en partie chauffé par la verrière orientée plein Sud, avec un système de « serre froide » (qui chauffe avec le soleil mais ne conserve pas la chaleur). Des déchets sont utilisés dans le pro cessus constructif de leurs maisons (fondations sur pneus) et l’ornemen tation de leurs murs terre-paille (bouteilles en verre, mandalas d’éclats de porcelaine). Néanmoins, au même titre que le travail d’un·e architecte, les habitant·e·s s’affranchissent ici de ces inspirations : il·elle·s les adaptent à leurs besoins, à ceux du site, et prennent plaisir à innover.
Sur place, je découvre avec surprise le Zome : un bijou d’autoconstruction, temple à vocation spirituelle. Réalisé en 1999 par la famille Baronnet, Jean-Claude Lipnick et des membres de l’association HEOL, cet édifice serait le premier de son genre a avoir vu le jour en France.



Localisé dans le parc forestier du Luberon (Vaucluse), la Multiver sité Bidouill’Art éprouve depuis 2003 de nouvelles formes d’autoconstruction et d’autonomie énergétique. Aodrenn, fondateur et habitant du lieu, conçoit des habitats réversibles, des véhicules solaires et des décors de spectacles médiévaux fantastiques, avec pour unique ressource des ma tériaux issus de déchetteries ou de la nature avoisinante. Ce personnage se veut pionner dans ce qu’il appelle « l’architecture vivante et naturelle ». Pour cela, il intègre les peupliers du site dans ses techniques construc tives : vivants, ces arbres constituent la structure de ses constructions. Le tronc est utilisé comme un poteau, certaines de ses branches principales comme des poutres. Par exemple, son atelier est construit en symbiose avec sept peupliers, qui font des rejets à l’extérieur. Nous nous trouvons alors dans le cas inverse d’une construction classique : ce ne sont pas les murs qui supportent le toit, mais le toit auxquels sont suspendus les murs. Il explique : « Si je ne les fixe pas au sol, c’est pour qu’ils gardent un peu de mobilité lorsque l’arbre grandit. »
Suite à des relations interpersonnelles conflictuelles et plusieurs attaques de la Direction Départementale des Territoires, la Multiversité Bi douill’Art fut dépossédée de la majorité de ses habitant·e·s. Il est possible qu’un jour, ce projet disparaisse et ces expérimentations, détruites. Mais pour le moment, Aodrenn s’en est toujours sorti grâce à l’usage de son fameux « aïkido juridique ».



Créé en 2017, cet hameau regroupe vingt-cinq habitant·e·s, dont huit enfants, à Le Fossat (Ariège). Inspiré de l’éducation démocratique (certain·e·s habitant·e·s sont les cofondateur·rice·s de l’École Dynamique, à Paris), chacun·e évolue sur un pied d’égalité, quelque soit son âge. Rien n’est obligatoire : la culture du lieu prône la liberté individuelle comme valeur fondamentale.
La bâtisse du domaine est commune à tou·te·s, elle est au cœur de la vie collective. Au rez-de-chaussée, on retrouve des espaces parta gés avec un salon, des salles multi-usages (réunions, bibliothèque, salle de jeux, salon annexe), la cuisine, la buanderie, le cellier. Aux étages, des ac tivités plus silencieuses (bibliothèque, bureau numérique) et des espaces plus intimes (chambres, salles de bains individuelles et communes). Lors de ma venue, les combles étaient aménagés en dortoir pour accueillir les volontaires. En journée, les habitant·e·s l‘investissent pour différentes acti vités ressourçantes (cercles de parole, méditation, yoga, etc.). Cette « colocation XXL » est complétée par l’installation d’habitats réversibles, auto nomes et à usage individuel. En recherche d’intimité, leurs dispositions se concentrent et rayonnent curieusement autour de la bâtisse. Bien que le domaine soit vaste (50 ha), on comprend que l’implication des foyers dans les prises de décisions collectives et la mutualisation des espaces de vie, induit cette grande proximité. Ici, l’innovation de l’écolieu ne réside pas dans les formes architecturales explorées, mais dans la manière d’envisager la vie collective et l’organisation des espaces qui en découlent.
Mouvement Colibris - Carte « Près de chez Nous » colaborative, écologique et solidaire Pour identifier les acteur·rice·s locaux engagé·e·s dans la Transition

Au cours de mon mémoire, je me suis intéressée à la probléma tique suivante : Les écolieux peuvent-ils être des modèles écologiques soutenables à l’échelle de notre société ? Durant mes immersions, j’ai ana lysé les écolieux sous deux angles : l’autonomie, indispensable pour que chaque individu soit souverain de sa propre vie, et le facteur humain, défi majeur du vivre ensemble. Je me suis alors aperçu que le principal obsta cle des écolieux est, au même titre que les expériences passées, le conflit humain. Pour éviter toute implosion fatale, il est essentiel de ne pas se focaliser uniquement sur l’autonomie, très énergivore. Prendre soin des relations humaines, comme à l’Écohameau du Ruisseau ou au Village de Pourgues, est une composante indispensable à la réussite de ces projets. J’en ai conclu que ces alternatives ne pouvaient pas être des modèles éco logiques transposables tels quels à l’échelle d’un pays, car ces initiatives fonctionnent essentiellement en raison de leur taille humaine.
En revanche, imaginer des réseaux d’écolieux agissant localement à travers notre territoire pourrait être une solution adaptée pour répondre aux maux de notre société. Comme en permaculture, l’idée se rait de créer un écosystème pluriel et varié, favorisant la biodiversité pour assurer sa pérennité. On pourrait ainsi construire un réseau d’entraide de projets autonomes mais solidaires pour capitaliser les forces et éviter une dépendance envers un pouvoir central.
En cela, l’action des Hameaux Légers et le projet d’écohameau de Saint-André-des-Eaux suscitent particulièrement mon intérêt. Et ce, bien plus que si nous avions construit des habitats réversibles témoins à Lancieux !
Justement, en parlant de SaintAndré-des-Eaux... Plutôt que de t’égarer sur ton voyage en décroissance, dis-nous en plus sur ce collectif !

Le constat est le suivant : il est très difficile de réunir, seul ou en famille, toutes les conditions nécessaires à son autonomie. La mutualisation positionne l’inclusion au centre du collectif, elle sort du dogme de la normalisation à outrance pour tenir compte des particularités de chacun·e et cultiver la différence. Vivre ensemble avec des profils variés induit une complémentarité des compétences, des bien-matériels et des savoir-faire transmis. Le pouvoir de la mutualisation implique une circulation des ressources à travers le partage et induit une véritable économie du don, source d’émancipation de notre société moderne désuète.

Le collectif d’habitant·e·s de Saint-André-des-Eaux, constitué de plusieurs membres Hameaux Légers, nous laisse supposer que leur vi sion d’un hameau léger est la suivante : « un lieu d’habitats écologiques, conçus et gérés par leurs habitant·e·s en gouvernance partagée. »
Suite à nos rencontres et échanges avec les habitant·e·s, nous comprenons plus précisément leur manière de concevoir le quotidien ensemble : en plus d’une gestion collective du site, les huit foyers souhaitent partager des espaces de vie communs. Lors d’une réunion sur l’aménagement du lieu, il·elle·s nous invitent à imaginer le terrain comme une im mense colocation, où les espaces extérieurs symbolisent aussi des pièces à vivre. Pour ces raisons, le fonctionnement de ce collectif pourrait être apparenté à celui du Village de Pourgues.
Dans leur cahier des rêves, les habitant·e·s nous indiquent plus pré cisément les espaces qu’il·elle·s souhaitent mutualiser : une cuisine com mune, un espace de vie propice à la rencontre, des sanitaires (douches, toilettes sèches), une buanderie, un espace de coworking, un atelier de bricolage, un local vélo, un abris à bois, une zone de compostage, un trai tement collectif des eaux usées, et pourquoi pas un potager. Cette liste, non exhaustive, réduit considérablement les besoins de leur habitat réver sible individuel, dont l’objectif principal est d’être source d’intimité.
Première projection, une semaine après notre découverte du site et du collectif

Les futur·e·s usager·ère·s du site perçoivent leur implantation se lon une gradation de différents cercles d’intimité : d’abord, on retrouve l’intimité personnelle ; puis intervient celle du foyer, celle à l’échelle col lective, celle des visites ponctuelles de leurs proches (ami·e·s, famille), et enfin le lien avec l’extérieur.
Ces informations en main, nos réflexions sur l’aménagement dé butent. Nous cherchons à prendre en compte les déambulations et les seuils d’intimité de chacun·e dans la répartition des espaces. Le Jardin des Saules nous inspire beaucoup, nous utilisons la végétation pour signaler des paliers. Par exemple, nous souhaitons mettre en œuvre un talus face à la longère, riche de biodiversité, pour signifier une délimitation tout en préservant une perméabilité visuelle entre parcelles voisines.
Ci-contre, une première projection du site proposée par notre groupe. Nous retrouvons ici une composition spatiale et une évolution graduelle de l’intimité. Face à la route départementale, la « vitrine du projet » : nous donnons à voir sur la rue un jardin d’ornementation et des espaces collectifs de travail, démontrant ici l’activité et la production du lieu aux curieux·se·s. Au cœur du terrain, les espaces de vie collective, avec une transformation du hangar existant en scène ouverte. Enfin, une répar tition des habitats individuels en fond de parcelle, abrités des regards par la haie (actuellement) monospécifique de thuyas. Le point de fuite de la parcelle triangulaire nous emmène à observer le jardin de phytoépuration, qui termine sa course dans une mare d’agrément. Cette proposition est loin d’être définitive, mais elle constitua une base solide dans nos avancements et échanges avec le collectif.

Cependant, le collectif rencontre des difficultés pour s’implanter à Saint-André-des-Eaux. Les membres du projet ont déjà l’expérience de la vie collective tou·te·s ensemble : ici, il ne s’agit pas d’une tension dans la constitution d’un groupe. Mais alors, quels sont les freins de leur installation ?
Depuis janvier 2021, il·elle·s louent un gîte situé à proximité du centre-bourg et forment une colocation, en attendant l’hypothétique si gnature d’un bail emphythéotique, promis par les élus municipaux « dans les semaines à venir ». Selon Hameaux Légers, ce contrat permet au locataire du terrain d’avoir un “droit d’usage” encadré et sécurisé dans un temps long (jusqu’à 99 ans), contre un (faible) loyer, sans possibilité de modification unilatérale du bail. Il permet de dissocier la propriété de l’habitat, la propriété du terrain et le droit d’usage du terrain, pour permettre à chacun·e d’avoir la sécurité de son logement, sans spéculation possible sur la terre.
Ici, la commune de Saint-André-des-Eaux a proposé aux collectif d’habitant·e·s un bail emphythéotique de 80 ans, avec un prix de location annuelle de 1€/m², soit 5000€ à l’année (environs 50€ par mois, par foyer).
COLLECTIF D’HABITANTS CONTRE LE PROJET ‘‘HAMEAUX LÉGERS’’
22630 SAINT-ANDRÉ-DES-EAUX
Notre collectif vient d’adresser une pétition (attestée par huissier de justice) contre le projet ‘‘Hameaux Légers’’ uniquement à Monsieur le Maire et aux Élu(e)s de SaintAndré-des-Eaux. Voici un extrait du courrier accompagnant la pétition :
Monsieur le Maire, Monsieur et Madame les Adjoints au Maire, Mesdames et Messieurs les Conseillers Municipaux
Considérant l’éloignement de la date de rendez-vous proposée par Monsieur le Maire (au 4 mai 2021), nous estimons nécessaire de porter à votre connaissance la pétition rassem blant 115 signatures. Une vingtaine de personnes a minima, bien qu’opposées au projet, n’ont pas souhaité signer la pétition.
ÉLECTIONS MUNICIPALES - SAINT-ANDRE-DES-EAUX 2020 (source site gouvernement)
Votants 80,69% 209 Exprimés 78,76% 204
Il apparaît clairement dans ces chiffres qu’une large majorité d’habitants ne souhaite pas l’aboutissement du projet ‘‘Hameaux Légers’’.
Pour de nombreux motifs déjà exposés, le collectif demande l’abandon définitif de ce projet par un vote à la prochaine réunion du Conseil.
À notre grande surprise, nous apprenons que les Hameaux Légers répondent, dès le lendemain, par la distribution d’un tract publicitaire. Comment sont-ils au courant de la remise de la pétition puisqu’ils n’en sont pas les destinataires ??? Si nous avons bien compris, les Hameaux Légers se seraient (déjà) substitués aux responsables communaux et seraient la nouvelle gouvernance de Saint-André-des-Eaux. Nos interlocuteurs sont et seront exclusivement les élus de notre commune.
Mais alors, où se trouve le problème ? Pourquoi le bail n’est-il toujours pas signé ?
Comme nous avons pu le voir dans notre notice commune, SaintAndré-des-Eaux est paysage de nombreux clivages politiques. Plusieurs tracts à l’encontre du projet d’écohameau ont circulé, aboutissant à une pétition rassemblant 115 signatures d’andréanais·es, exigeant au conseil municipal un abandon définitif du projet. À titre informatif, la commune compte 358 habitant·e·s au total en 2018.

Autre précision : les tracts publicitaires ainsi que le texte cicontre nous ont été communiqué en début de semestre par le collectif d’habitant·e·s de Saint-André-des-Eaux, très transparents sur la situation qu’il·elle·s traversent actuellement.
Pouah, ça pue très fort quand même ton affaire !
Hey Reynald, ça fait un bail ! Un coup de Trafalgar aux municipales tu dis ? Merde... T’inquiètes. Non, Lancieux je ne connais pas. Au final on construirait sur les côtes bretonnes ?! La classe !
Allô Carole ? Oui, c’était pour te dire que notre projet d’écocentre se tiendrait bien à Langouët !


Mais heu, ProtoLab ça commence la semaine prochaine... C’est chaud là non ?!
Salut Carole ! Heu... On part de Lancieux en raison d’un arrêté préfectoral lié à la crise Covid-19... Mais t’en fais pas, on va régler le problème !


On va peut-être devoir partir de Saint-André-des-Eaux... Mais avec le collectif, on est déjà sur un autre coup ! Ça se passera à Plessé, juste à côté de Nantes.

C’est bizarre, mais j’ai comme un sentiment de déjà-vu...

Comme vous l’aurez compris, ce n’est pas la première fois que ce collectif rencontre des difficultés à s’implanter sur un territoire. Or, parmi les habitant·e·s de Saint-André-des-Eaux se trouve Xavier, coordonnateur des Hameaux Légers depuis 2019. Il est l’un des seuls à disposer d’une vue d’ensemble sur l’action de l’association et bénéficie d’un réseau im portant. À cela s’ajoute la connaissance du sujet, la culture juridique appropriée, les conditions optimales pour pouvoir consacrer du temps et de l’énergie à ce projet (jeune trentenaire sans enfant, sans soucis financier particulier).
Une question se pose alors : si Xavier ne parvient pas à mettre en place un écohameau pour ses propres besoins, alors qui ? Les habitats réversibles sont-ils réellement accessibles à tous et à toutes ?
Hameaux Légers - Carte des Trésors
En pictogrammes verts, 81 communes « probablement accueillantes »

À l’échelle nationale, Hameaux Légers et HALEM (HAbitants de Logements Ephémères ou Mobiles) sont les deux référents dans la lutte pour démocratiser ces modes d’habiter.

Bien que leur combat soit légitime, leur action louable et leur communication dernier cri, l’association Hameaux Légers se confronte à de nombreux obstacles lorsqu’il s’agit de faire émerger concrètement des écohameaux. Saint-André-des-Eaux étant actuellement le projet vitrine de l’association, nous sommes en mesure de nous demander si leur carte aux Trésors, qui se veut notamment être le reflet de « communes accueil lantes » sur notre territoire, n’est pas quelque peu illusoire.
Ouais, te fatigue pas, on a com pris. Autrement dit, le monde des hameaux légers, c’est pas pour demain !
Petit point info sur la ZAD de NDdL : des habitats réversibles autoconstruits dans l’illégalité, qui militent aujourd’hui pour se faire accepter
Elle est tombée, on s’en relève.
Pas d’autre choix que celui de s’en remettre. La cabane nous a apporté bien plus que sa destruction nous enlève. ’’
Récit d’une habitante de la ZAD de NDdL pour la chronique de lundimatin#188, le 23 avril 2019 Extrait d’une scénographie réalisée pour la ZAD de NDdL
Évènement « Grandes Portes Ouvertes », dimanche 27 septembre 2020

Aujourd’hui, le PLUi d’Erdre et Gesvres nie l’existence de la ZAD de NDdL : sur 1500 pages d’écrits planificateurs, seule une ligne mentionne l’abandon du projet d’aéroport et les 40 ans d’histoire qui ont forgé ce territoire et son avenir. Représenté par une zone agricole et une zone naturelle, le PLUi ne rend pas compte de la diversité et de la richesse du bocage habité, de son environnement naturel comme construit.
Dans le cadre d’un projet court à l’ENSAN dont la finalité était une exposition prenant place à l’Ambassada (ZAD NDdL, évènement Grandes Portes Ouvertes du 27/09/20) voici un extrait d’un texte que j’ai rédigé :
Les habitant·e·s de la ZAD ont historiquement habité le bocage pour le défendre, et poursuivent cette occupation en inventant de nouvelles manières de vivre un territoire. Pour préserver la biodiversité des lieux et limiter l’artificialisation des sols, il·elle·s ont fait le choix de vivre en habitats réversibles. Ces bâtis sont désormais indissociables à la préservation de la ZAD, pour échapper à l’agriculture intensive, protéger les haies et les mares et rendre cette zone rurale infiniment plus vivante que les allées immaculées des zones d’activités du monde entier.
Considérés comme hors normes, ces habitats sont aujourd’hui menacés car non légalisés par un PLUi qui a sciemment oublié de les comptabiliser. La lutte d’aujourd’hui, moins médiatisée, est pourtant réelle et œuvre pour le bien commun : les élus locaux doivent reconnaître l’existence de la ZAD, faire bouger les lignes de la législation et ainsi, pérenniser cette expérimentation singulière.
Un membre des Hameaux Légers nous a répondu qu’il ne pouvait pas nous aider car l’association travaillait uniquement dans la légalité.

Citation d’une habitante de la ZAD de NDdL, installation de l’exposition dans la Zbeulinette


Quelle place pour l’illégalité dans la défense des habitats réversibles ?
Contrairement au parti pris des Hameaux Légers, nous nous trouvons ici dans une action offensive, où occuper un territoire dans l’illégalité a plusieurs ambitions : modifier le PLUi localement (en faveur de la ZAD de NDdL) et impacter les textes législatifs à l’échelle nationale (en faveur des habitats réversibles dans leur globalité et donc du bien commun).
Source d’instabilité pour les habitant·e·s de la ZAD de NDdL (risque d’expulsion et destruction de leurs habitats), cette lutte politique est-elle plus enviable ? Les associations qui œuvrent à l’échelle nationale devraient-elles prendre part à ces combats jugés illégaux ? Pour une démocratisation de modes d’habiter aujourd’hui marginalisés, qui favorise rait l’accès aux habitats réversibles à toutes et tous ?
En ouverture de sujet, la Désobéissance Fertile est un bon exemple de désobéissance civile qui n’attends pas que les lois changent pour agir et propose dès maintenant à chacun·e d’entre nous de devenir les gar dien·ne·s du Vivant.
Clémentine, Thomas et Maël quittent l’aventure Quelles limites dans la convention et la communication ?
Le retrait de Clémentine et Thomas au moment de s’engager fi nancièrement dans le projet soulève de nombreuses questions.
Comment se fait-il qu’un mois seulement avant notre soutenance, le couple prenne tout juste conscience des enjeux du prototypage et ses conséquences ? Dans le cadre de la mise en place du partenariat Hameaux Légers, Sylvain était en relation avec Reynald et Aristote. Pour en avoir été témoin, il leur énonça clairement le cadre pédagogique de ce studio de projet. Or, ni Reynald ni Aristote ne font parti du collectif d’habitant·e·s de Saint-André-des-Eaux. Au cours du semestre, Xavier s’est proposé comme nouvel intermédiaire privilégié. Aucune rencontre n’a alors été organisée entre les habitant·e·s et l’équipe pédagogique de ce studio : pourtant, ce rendez-vous aurait pu être source de compréhension mutuelle et clarifier les attentes de chacun·e.
Comment avons-nous pu glisser dans un rapport maître d’ouvrage - maître d’œuvre si facilement ? Le crédo de ProtoLab est l’expé rimentation par le prototypage : selon l’équipe pédagogique, les étu diant·e·s n’ont aucune obligation de résultat. Ce processus se révèle bénéfique dans notre posture de recherche, accueille l’erreur et donne libre cour à notre créativité. Mais jusqu’où pouvons-nous pousser l’expé rimentation, lorsque nous construisons un habitat individuel pour une famille, avec ses propres économies ? Investirait-elle réellement dans ce projet sans attente de résultat ? Enfin, le sujet du prototypage est-il adapté à cette situation ? Puisqu’il n’est plus question ici d’une association qui finance des prototypes mais de particulier·ère·s qui financent leurs habitats, ce partenariat est-il toujours approprié dans un cadre étudiant ?
Clémentine, Thomas et Maël quittent l’aventure Etaient-il·elle·s vraiment prêt·e·s à investir dans un habitat autoconstruit et minimal ?
D’après nos échanges avec la famille, La Ronde aurait pu être une réponse concrète à leurs besoins. Elle correspondait à leur budget, leurs envies, les usages qu’il·elle·s projetaient. Pourtant, angoissé·e·s à l’idée d’habiter un prototype réalisé par des étudiant·e·s, nous avons observé, impuissant·e·s, une perte de confiance de nos commanditaires au fil des semaines. Il·elle·s souhaitaient toujours davantage de pièces justificatives techniques, pour prouver que cet habitat fonctionnait. Plus nous propo sions des réponses à leurs questions, plus leurs doutes semblaient s’instal ler. Pour finir, Clémentine et Thomas nous ont confronté à une impossible requête : construire un habitat réversible fini dans le délais imparti.


Conscient·e·s de son caractère irréalisable, cette demande mit un terme à notre collaboration. Avec du recul, plusieurs éléments au cours de ce semestre auraient pu nous mettre sur la piste de ce dénouement.
En fait, je crois que 16 m² c’est trop petit pour moi...
Nous ne voulons pas prendre le risque d’investir dans un habitat avec des malfa çons.
On a hésité à s’engager dans ce partenariat... L’autoconstruction, ça peut vite devenir la galère. Pour le moment, notre solution ce serait un mobile home clé en main.
Clémentine, Thomas et Maël quittent l’aventure Et maintenant, quel sens donner à ce projet ?
Si La Ronde ne voit pas le jour à l’écohameau de Saint-André-desEaux, quel sens lui donner ? Allons-nous prendre le risque de chercher de nouvelles pistes, en dépit d’un timing très serré ? Pour ma part, il m’est inimaginable de me tourner à présent vers un projet uniquement papier. J’ai besoin de comprendre la raison pour laquelle je produis et j’investis mon énergie. J’ai besoin de savoir que ce que je fais trouvera une utilité.
Depuis mon entrée en master, j’ai eu deux expériences de studios très contrastées. Pour commencer, j’ai eu l’opportunité de participer à Pro toLab 2018-2019. L’équipe pédagogique, bienveillante et engagée, nous a donné goût à l’expérimentation et surtout, le droit à l’erreur. Avant, je ne me sentais pas légitime de construire. L’accueil de l’échec dans le processus de création m’a encouragé à me dépasser et tester de nouveaux procédés, de façon décomplexée. Répondre à une commande réelle, être au contact des usager·ère·s pour concevoir un projet, avoir un travail intimement lié à la matière, ont considérablement enrichi mon processus de création au cours du semestre. Ces caractéristiques correspondent désormais à ce que je recherche dans un cadre pédagogique.
Au sujet de ma deuxième expérience, mon discours ne peut pas être aussi positif. La réticence de nos enseignants encadrants pour conce voir un bâtiment à partir de matériaux de réemploi m’a littéralement décon certée. Comme nous étions dans le cadre d’un projet fictif et d’une relation hiérarchique, avec mon binôme, nous avons machinalement finit par plier à leur volonté. En soit, j’aime beaucoup la forme courbe de notre projet et les usages imaginés pour l’habiter. Mais heureusement pour notre planète, cette immense infrastructure ne verra jamais le jour !





2. Mon
engagement
associatif : de Coucou c’est Nous à la MdP

Au cours de mon voyage en Asie, ma prise de recul sur ma licence me fait prendre conscience que je ne souhaite plus mettre mes valeurs et engagements personnels de côté dans mes études.
À mon retour sur Nantes en 2018, je suis frappée par l’impact de la crise migratoire sur la ville : face à la place du commerce, près de 500 exilé·e·s ont installé leur campement de fortune au square Daviais. Avec Lucie et René, deux ami·e·s de l’école d’architecture, nous décidons d’aller à leur rencontre.
C’est ainsi que nous découvrons l’action de L’Autre Cantine, jeune association née de la situation de crise alimentaire que vivent les exilé·e·s à Nantes. Pendant un mois, nous participons aux réunions du lundi soir, nous nous investissons dans la cuisine et la distribution de repas aux personnes dans la rue. Durant ces dernières, je me rend compte que j’ai du mal à créer du lien avec les individu·e·s qui se trouvent face à moi : les tempo ralités sont trop courtes, le nombre et le turnover trop grands, la relation asymétrique. Dans ces conditions, je ne parviens pas à établir un cadre de confiance avec mes interlocuteur·rice·s.

Par la suite, nous faisons la connaissance de Jean-Louis, responsable de l’association Du Monde dans la Classe. Avec d’autres bénévoles, il·elle·s offrent des cours de français du lundi au vendredi aux exilé·e·s. Toutefois, cette initiative rencontre des difficultés : le collectif ne possède pas de locaux, les cours sont donnés à Wattignies, dans la rue. L’hiver ar rive et avec lui, les nombreuses journées de pluie et les baisses de tempé rature nantaises.
Une idée nous vient alors : et si nous faisions rayonner cette action à l’école d’architecture ?
Dans la foulée, l’association Coucou c’est Nous est créée.
Coucou c’est Nous - Activités sportives sur le toit de l’ENSAN

Tous les samedis, avec une dizaine d’étudiant·e·s motivé·e·s et engagé·e·s, nous organisons des cours de français à l’ENSAN, de 10h à 12h. De manière plus ponctuelle, nous réalisons également d’autres ateliers : activités sportives, artistiques (dessin, cuisine, etc.), jeux de société, repas partagés, projections de film, échanges interculturels, etc. Ensemble, nous aspirons à créer un lien plus pérenne entre bénévoles et apprenant·e·s.
Par ailleurs, cette initiative citoyenne et solidaire révèle un enga gement humain que nous souhaitons valoriser dans nos études d’architec ture. En tant que futur·e·s acteur·rice·s de la ville, il nous apparaît comme essentiel que ces professions soient sensibilisé·e·s aux problématiques sociétales actuelles et à venir. Aussi, il nous semble indispensable d’être au contact de populations encore largement marginalisées, et ce jusque dans leur pratique de la ville et leur expérience de l’habiter, afin de mieux pouvoir les comprendre et les intégrer par la suite dans la fabrique de nos territoires.
Coucou c’est Nous - Soirée jeux et repas partagé à notre grande colocation

À notre échelle, nous souhaitons lutter contre ce constat : en tant qu’étudiant·e·s, trop souvent nous avons tendance à prendre la parole et dessiner au nom d’individu·e·s dont nous n’avons pas idée de l’expérience réelle... Par le biais de cette association, nous souhaitons prendre conscience de qui sont ces personnes dont nous parlons aujourd’hui dans le cadre de notre cursus (studios de projet, mémoire, cours magis traux, etc.) et pour qui demain, peut-être, nous imaginerons des projets construits.
Toutefois, cette initiative me questionne personnellement : quel impact mes valeurs ont-elles réellement dans ma pratique de l’architecture et ma conception de l’espace ?
Deux engagements importants se superposent alors dans ma vie. D’une part, mon exploration des écolieux et mon rapport à l’autoconstruc tion m’ont permis de découvrir les Hameaux Légers. Séduite par les avantages de l’habitat réversible, je souhaite participer à l’émergence de ces lieux de vie pour toutes et tous. Or, j’ai le sentiment d’investir mon temps et mon énergie auprès d’individu·e·s qui ont déjà accès une qualité de vie intéressante (en mesure de répondre à leurs besoins fondamentaux sans difficulté, libres, épanoui·e·s).
Avec Coucou c’est Nous, je n’ai pas de pratique spatiale mais je crée du lien social.
Coucou c’est Nous - Trombinoscope de rentrée, réalisé le 24/10/20















Cependant, je perçois des limites au cadre. À Coucou c’est Nous, nous avons des rendez-vous hebdomadaires avec les apprenant·e·s, mais ici encore sur des temporalités courtes. Dans la plus grande simplicité, nous échangeons, nous rions, nous apprenons mutuellement les un·e·s des autres. Une certaine pudeur nous empêche néanmoins d’évoquer les sujets complexes : les difficultés rencontrées, les parcours qui les ont mené ici, leurs conditions de vie et d’hébergement à Nantes.
Je me rappelle d’une conversation interceptée lors du tri des dons de vêtements à L’Autre Cantine :
« Les gens ne comprennent rien, ça ne sert à rien de nous filer n’importe quoi ! Ces personnes ne veulent pas se faire remarquer mais se fondre dans la masse ! »
Ainsi, je me confronte moi-même à leur invisibilisation dans la ville : si je les rencontrais dans d’autres conditions, je n’aurais aucune idée qu’il·elle·s puissent vivre dans un squat, dans l’espoir de recevoir des pa piers et pouvoir travailler.
Plusieurs apprenant·e·s viennent régulièrement, mais nous consta tons aussi un turnover dans les habitué·e·s. Je ne connais pas tous les prénoms, je ne comprends pas où certain·e·s sont passé·e·s. Je me sens mal à l’aise avec cette situation. Qui sont réellement ces personnes ? Pourquoi les englober sous le nom de ‘‘migrants’’ ? Serait-ce une masse informe, comme nos pouvoirs publics peuvent le laisser penser ? Un besoin de les nommer, les connaître, les individualiser.
Manifestation du 18/12/20 - Journée internationale des exilé·e·s et réfugié·e·s En tête de cortège bras dessus, bras dessous avec Fatima

À l’annonce du premier confinement, l’ENSAN ferme ses portes. Nous sommes nombreux·ses à quitter Nantes, la distance nous fait perdre en grande partie les liens créés, d’une beauté fragile. À la rentrée sco laire, nous nous battons pour récupérer des locaux au sein de l’école et permettre à notre action de continuer d’exister. Nous finissons par obtenir gain de cause (avec de nombreuses modalités liées au Covid-19) : le sa medi 24 octobre, nous donnons le premier cours depuis le début de cette crise sanitaire. Heureux·ses de nous retrouver, nous ne nous doutions pas que le jeudi 29 octobre, un deuxième confinement prendrait effet...
Lassée par cette immobilisation mortifère, je reprend contact avec Jean-Louis : nos associations convergent, nous visitons ensemble plusieurs lieux qui pourraient accueillir nos cours. Nous choisissons de prendre place à la Maison du Peuple, en centre ville de Nantes. Avec ce confine ment, j’ai plus de temps libre : pendant trois mois, je suis tous les jours sur place (hors dimanche). Tous les matins, je retrouve Teddy, Unda, Saber, Alnazir, Alrashed, Fatima, Eyob, Ali, Yemane, Misgna, Abdelbagi, Ahmed, Adam, Mohammed, Moussa, Ousman, et tant d’autres. Un lien différent se crée, je décide même de passer Noël à leur côté.
Ici, je suis sur le terrain, à la source de l’information. Ici, je touche du doigt les enjeux et problématiques liés à l’accueil des exilé·e·s à Nantes. Ici, je développe de véritables relations.
«
On est instrumentalisé comme on instrumentalise.
Le diocèse, il veut vendre. Le promoteur, il veut une galerie marchande. La mairie, elle veut un contrôle du territoire et une rentrée d’argent. Nous, on est des shlags. Et ce quartier, il préfère une galerie marchande aux shlags. Le jour où on sera un outil inutile, on se fera virer. »

« On nous reproche d’utiliser les migrantes comme bouclier politique à la MdP. J’ai conscience qu’on instrumentalise des familles. En attendant, notre bouclier politique, on vit avec lui.
On a une proximité dont les politiques sociales, mairies et autres acteurices de l’instrumentalisation ne se doutent pas. Quand on doit nourrir notre bouclier politique, on le sait. Quand il a froid, on le sait. Quand il a besoin de papiers, on le sait. Quand on doit mettre des gens dehors parce qu’iels ont foutu le bordel, on le sait. »
« Talensac, c’est comme une immense colocation ! C’est beau à voir, c’est rare que ça se passe aussi bien en squat ! »
« Putain, le squat de l’Orangerie c’est du n’importe quoi... Ils sont 200, en plein hiver, sans électricité ! Pas de chauffage, ni de lumière... Mais ils attendent quoi les pouvoirs publics ? Qu’ils crèvent ?! »
« Aujourd’hui, on va faire une minute de silence toustes ensemble. L’Orangerie a encore entraîné un drame... Il s’est suicidé, a seulement 27 ans. »

Aujourd’hui, nous co-concevons avec les usager·ère·s de la Maison du Peuple : ensemble, nous dessinons une nouvelle Ronde. Suite à la rétraction de la famille de Saint-André-des-Eaux, notre groupe a explo ré diverses pistes (détaillées dans la notice commune). Une semaine plus tard, nous avons fait le choix de nous positionner à la MdP.
Outre notre capacité humaine à rebondir, quelles sont les raisons pour lesquelles nous avons pu facilement adapter notre projet à un nou veau contexte ? En guise d’explication, ce petit éloge rédigé à l’attention de notre caisson vagabond :
Notre caisson vagabond a de nombreuses qualités. Il peutêtre perçu comme une brique de chantier isolée, qui n’a pas besoin de mortier. Un gabarit, et le voilà démultiplié. Ses verticaux sont spéciaux : contreventement et parement deviennent mobiliers, source d’usages et de créativité. Avec quelques boulons, nous les assemblons comme nous le souhaitons : façade modulaire, parois habitées, cercle tronqué. Ses fondations sont légères, elles se posent où l’herbe semble la plus verte. Démontable et remontable, il est adaptable. Notre caisson vagabond a tout de bon : petit aventurier, il prend plaisir à voyager. Ouvert d’esprit, il se construit au fil des rencontres et des histoires, passées et à venir. En lui donnant la liberté de partir, il nous offre la liberté de s’installer.
Réponse mail de François Prochasson, suite à l’envoi d’un dossier de présentation du projet

Bref épilogue.
En début de semestre, je me rappelle avoir hésité à me position ner entre les deux sujets proposés : construire un habitat réversible participant à l’émergence d’un écohameau, ou un prototype qui réponde aux besoins de personnes en situation de sans-abrisme ? Comme je m’étais préalablement investie avec Hameaux Légers, je finis par choisir l’écoha meau à Saint-André-des-Eaux. Toutefois, une petite voix me chuchotait que j’aurais adoré travailler sur le sujet amené par Saint Benoît Labre. Fi nalement, lorsque Clémentine et Thomas ont quitté le projet, nous avons eu (en quelque sorte) la chance de pouvoir explorer une nouvelle thématique, en lien avec le mal ou non logement : la co-conception d’un espace prenant place dans un squat, en réponse aux besoins exprimés par ses usager·ère·s.
Durant nos recherches de pistes de projets, nous avons participé à une réunion organisée par le DAL (Droit Au Logement) au théâtre Graslin occupé. Ce soir là, nous faisons la rencontre de François Prochasson, élu à la mairie de Nantes-Métropole, Vice-Président du Droit au logement et logement social. Bien que cette piste n’ait pas abouti pour ce Projet de Fin d’Études, nos échanges m’ont permis de réaliser que la question de l’habitat réversible est actuellement explorée par nos pouvoirs publics comme réponse tangible à la crise du mal logement.
Et si, par la suite, je m’orientais vers la co-construction d’habitats réversibles en lien avec le sans-abrisme ?
Le mot de la fin : plus tard, je serais... travailleuse sociale aux compétences spatiales ?
Au cours de mon master, plusieurs expériences personnelles m’ont beaucoup nourri : j’ai découvert l’émergence d’une société utopique enviable et soutenable auprès des écolieux visités, j’ai fait la rencontre des Hameaux Légers et de nouvelles formes d’habiter, j’ai créé des liens particuliers avec Coucou c’est Nous et appris de tou·te·s, sans regard sur l’étiquette d’exilé·e. À ma grande surprise, ce semestre en ProtoLab a été pour moi une manière de réunir et concrétiser tout ce qui m’a tenu à cœur pendant ces trois dernières années. Je ne pouvais pas rêver mieux pour finir mes études en beauté.
Les nombreux rebondissements de notre projet nous ont amené à explorer deux thématiques d’apparence distinctes, et pourtant si proches : d’une part, la création d’un habitat réversible pour répondre aux besoins d’une famille, dans le cadre de l’émergence d’un écohameau ; d’autre part, la co-conception d’un espace qui participe au bien-être de personnes en si tuation de mal logement. Au regard de cette expérience particulière et de mon vif intérêt pour les deux sujets, je pense m’orienter comme travailleuse sociale aux compétences spatiales. Par ailleurs, je ressens le besoin de rester au contact de la matière, au même titre que celui de l’humain.
Pour finir, ce semestre fut loin d’être linéaire. La démarche empirique que je convoitais préalablement s’est transformée, en raison de nos péripé ties, en organisme vivant incontrôlé : nous sommes ici dans une forme d’architecture de l’improvisation. Ce processus est enrichissant, mais il est aussi épuisant... Il est 5h47 du matin, et je suis en pleine rédaction de ma conclusion. J’aimerais pouvoir et savoir trouver un équilibre dans ma pratique à ve nir : être engagée et servir le bien commun, tout en respectant mon bien-être individuel.
Aux chemins des possibles, lequel choisir ? En quête de sens, récits et témoignages d’expé riences au cours de mes études d’architecture, dont ProtoLab 2021 est l’aboutissement.
