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« Il faut renoncer au mauvais goût de vouloir être d'accord avec le plus grand nombre. » Friedrich Nietzsche

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n ne peut manquer d'être surpris de voir que le thème récurrent du bien et du mal continue d'être régurgité à chaque génération, comme si le sujet était si épais qu'il exigeât pour sa digestion un estomac de ruminant plutôt que celui d'un humain. Mais il se fait que ce thème est éternel et les choses éternelles ne se résolvent pas d'un coup de plumeau, elles sont au contraire continuellement actualisées dans le cadre de l'évolution des groupes. La partie de nous qui est en communion avec le maremagnum de l'inconscient collectif respire constamment dans la continue transition du changement, dans le questionnement perpétuel, pour que les ajustements indispensables de l'évolution aient lieu. Dans ce magma essentiel, chacun d'entre nous se positionne continuellement, poussé par son propre besoin de révision, car c'est n'est qu'ainsi que la croissance consciente est possible. Si on prend le point de vue de l'hélicoptère, autrement dit suffisamment de perspective et de distance, bien et mal sont les adjectifs de forces majeurs indifférenciées. Si tout provient d'une explosion initiale de l'Un en mouvement (uni-versus), « tout » était contenu dans cette monade primordial ; et le bien et le mal, le positif et le négatif, ne sont que des polarisations postérieures (si on peut dire… puisqu'il n'y avait de fait ni espace ni temps !). Ce sont donc des adjectivisations, la plupart du temps moralistes, qui, si on les considérait avec un peu plus de rigueur, seraient simplement énergétiques, surgies d'une force unique qui se polarise jusqu'à l'infini. Cette énergie qui, comme telle, ne se créé, ni se détruit, déambule dans la transformation constante, suivant des modèles qui répondent à un ordre… Ou pas ? Voilà le grand acte de foi de la philosophie et de la science : existe-t-il un ordre ou pas ? Mais ordre et chaos ne sont-ils pas en eux-mêmes déjà une paire d'opposés ? L'une des raisons du succès du Yin et du Yang dans notre culture moderne se base sur leur neutralité morale. Car même les termes « positif » et « négatif », quand ils sont utilisés scientifiquement, contiennent dans leurs ciments sémantiques un certain positionnement, une certaine qualification prédéterminante. Yin et Yang, en tant que mots étrangers, surmontent cette épreuve et permettent d'approcher avec une certaine impeccabilité un sujet qui a toujours détraqué les esprits les plus illustres. Pour les Grecs classiques, la polarité essentielle n'était pas le Chaos, mais ses enfants, Eros et Eris, l'amour et la guerre. Castaneda donne une autre lecture à ce Chaos primitif et l'appelle « ce que l'on ne peut connaître ». L'inconnaissable est un concept que déteste la philosophie, mais il est pourtant sage de reconnaître nos limitations structurelles devant certains sujets qui dépassent notre capacité, non pas à la manière de l'argumentation religieuse qui pose ce « mystère » comme la base d'une limitation face au plan de « l'ignoré », de « l'inconnu ». Non ! Devant l'inconnu, l'esprit de l'homme se redresse et doit le faire, tel Prométhée, qui vola le feu aux dieux (la conscience) pour le donner aux hommes. C'est là la base de l'évolution et de la croissance, de la transgression et de la transcendance qui nous permettent d'aller vers l'avant, vers le haut, vers l'intérieur et vers le Tout. Ce que l'on ne peut connaître ressemble un peu à la possibilité qu'aurait un être bidimensionnel d'interpréter la nature d'une pyramide frappant un plan, lequel constitue son univers perceptif. Cet exemple, qui n'est pas de moi mais de Shidoshi Juliana, illustre parfaitement l'idée à laquelle je me

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« Le drame n'est pas de choisir entre le bien et le mal, mais entre deux biens. » Georg Wilhelm Friedrich Hegel

réfère en citant Castaneda quand il parle de « ce que l'on ne peut connaître ». L'être bidimensionnel percevrait la pyramide comme quatre lignes unies qui augmenteraient ou diminueraient suivant le mouvement de la pyramide entrant en collision avec le plan de réalité qui constitue son univers. Pourtant, affronter cette question continue de nous inquiéter comme si le doute offensait. En nous afférant à un clou ardant, nous essayons de nous dispenser de notre responsabilité plutôt que d'assumer que toute décision est et sera toujours nôtre. Socialement, n'en parlons pas, car devant la crainte des « justifications dangereuses », les philosophies modernes tremblent. Le pauvre Nietzsche eut la malchance de devoir justifier le nazisme, pour ne pas dire de se convertir d'une manière ou d'une autre en son leader philosophique ou son précurseur. La coocurrence spatio-temporelle des deux événements ne fut pas un hasard, mais cela répond à la loi de la synchronie, par de la cause à effet. Qu'Hitler admirât Wagner ou que certains nazis fussent fascinés par Nietzsche, ne le rend pas coupable (ni même moralement) de leurs crimes, tout comme le couteau de cuisine n'a rien à voir avec le fait qu'on l'utilise pour peler les légumes, ou qu'un mari outragé s'en serve pour trucider son épouse. Le « bonisme » est encore plus dangereux, parce qu'il rend inapte au jugement et cette absence d'authenticité pousse l'individu à ne tenir compte de l'opinion de personne et à finir par tout interdire. En Espagne, on ne peut pas vendre de nunchakus parce qu'un imbécile les utilisa pour rompre le crâne de quelqu'un, mais l'autre jour, le coupable fut un tournevis… Tremblez messieurs les électriciens ! La « chose » n'est pas son usage et en philosophie encore moins. Reconnaissons cependant la difficulté implicite à nous mouvoir dans la terminologie de la dualité. Lumière et obscurité, positif et négatif, bien et mal… sont des mos qui nous positionnent toujours dans une direction préconçues. Le leurre de ces termes est servi parce que le cerveau humain est prédéterminé à toujours choisir. Cette fonction, si pratique pour notre survie, est cependant, en soi, perverse pour traiter de la Vérité avec majuscule. Peut-être, après la propre morale comme outil pour conjuguer les coutumes d'un temps, est-ce là l'une des principales causes de notre confusion en cette matière, glissante s'il en est. L'intelligence nous incline cependant dans des directions plus subtiles quand nous considérons ce thème depuis une perspective scientifique. Si l'énergie ne se crée ni ne se détruit, la même quantité indifférenciée de ce qui « est » se manifestera de manière différenciée toujours en équilibre permanent. Quand la police occupe le quartier chinois, les putains et les macs ne disparaissent pas… ils vont de l'autre côté. Les moralistes disent : « Les putes et les macs sont mauvais ! », mais le sage regarde toute chose et comprend qu'on ne peut mettre de limites à ce qui n'en a pas. La frontière du bien et du mal se dissout quand la vue va au-delà de l'espace-temps, ce qui était bon hier est mauvais aujourd'hui, ce qui est mauvais ici est bon là-bas… Un argument difficilement acceptable pour les esprits courts, qui dans leur besoin d'être tenus veulent tout fixer, obtenant ainsi, infailliblement et toujours, le contraire de ce qu'ils poursuivent. Le proverbe le dit mieux que moi : « L'enfer est pavé de bonnes intentions ! ». Le couteau n'est pas un outil du mal. Grâce à lui, nous pouvons préparer de bons repas et faire beaucoup d'autres choses qui rendent le monde meilleur. C'est la main qui l'empoigne qui fera la différence. Rien ne remplace les


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