BABEL IN THE DARK I Babel dans le noir

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BABEL DANS LE NOIR

perceptions du piéton et ses représentations Bertilla Martin de Baudinière

BABEL 2013 Séminaire Paris/métropoles 2 0 1 3 - 2 0 1 4 École d’architecture de la ville et des territoires à marne-la-vallée



Babel DANS LE NOIR Perceptions du piéton et ses représentations Bertilla Martin de Baudinière

« Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! [...] confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. »

extrait de l’Ancien testament Gn 11,1-9 Bible de Jérusalem, Le Cerf, Paris, 1956 (1ère édition)


Table des matières Introduction

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1 Aménagements de l’espace public pour le piéton

1.1 Vers une appropriation de l’espace public

14 14

Piétons et espaces publics : de quoi parle-t-on ? 14 Appropriation et perception de l’espace 16 Les aménagements de l’espace public, cristallisation des conflits d’usage 16

1.2 Théories et méthodes

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1.3 Perceptions urbaines comparées du malvoyant et du voyant

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La ville aveugle, pourquoi ? Quels aménagements Les capacités et les obstacles du parcours malvoyant Retour d’expérience sur Les repères urbains du malvoyant Les repères urbains du voyant

23 25 26 28 36

2 Espace public piétonnier en projet : La place de la République 2.1 Transformations morphologiques de la place de la République

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2.2 Analyse des points de vue des acteurs, regards croisés

Représentation en plan, grande échelle de projet infra-structurel Représentation en trois dimensions, petite échelle de projet

5

42

49 50 56


3 Usages et usagers de l’espace public

3.1 Grande échelle d’usage d’un espace commun

3.2 appropriations de territoires par l’usager

68 68

Flux et foules avant/Pendant/après Repères et points de vue sur la place de la République

Usages et PROVENANCES Usages et territoires Appropriation de l’espace public en espace domestique Retour sur les trajectoires du malvoyant

68 80

84 86 94 107

Conclusion

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Références bibliographiques

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Remerciements

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ANNEXES

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« Aussi la nomma-t-on Babel, car c’est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c’est là qu’il les dispersa sur toute la surface de la terre. » extrait de l’Ancien testament Gn 11,1-9 Bible de Jérusalem, Le Cerf, Paris, 1956 (1ère édition)

Les habitants de Babel parlaient tous la même langue lorsqu’ils entreprirent de construire la tour qui atteindrait le ciel. Le mythe de Babel est non seulement l’image d’une ville en infinie mutation pour atteindre une cible inatteignable ; mais surtout l’image d’une construction entreprise autour d’un lieu unique par un seul peuple communiquant avec la même langue. Babel, la tour, comme la ville de Babylone, sont aussi l’image d’une défaite, l’arrêt de la construction, l’inachèvement, suite à la dispersion des peuples et du langage par Yahvé. L’entreprise collective s’effondre et fait place à l’individu. La défaite de Babel est alors le signe du début du multiculturalisme. La cohabitation des langues et la multiplication des points de vue sont devenues les outils de projet de villes accumulant les différences, non plus dans un seul lieu, mais répandues sur la Terre. Cette recherche a pour objectif d’examiner quelques uns de ces langages qui permettent de décrire, projeter puis pratiquer la ville. Nous utilisons le mot langage au sens large: “La définition la plus générale qu’on puisse donner du langage 8


Plan tactile du transport parisien, lignes de RER, réalisé à la l’imprimante thermique

Plan tactile de parcours de course à pied pour aveugles à Versailles Les plans tactiles pour les malvoyants traduisent un monde perceptif différent. Source : Pierre Pardo, association Valentin Haüy


est d’être un système de signes (...). Par signe, il faut entendre tout symbole capable de servir de communication entre les hommes.” 1 Le langage est donc l’ensemble des signes qui, dans la ville, permettent aux habitants de communiquer et de s’entendre malgré leurs points de vue et leurs mondes perceptifs distincts. «Lorsque la découverte s’est muée en habitude, en accoutumance de l’espace des quartiers et que nous commençons à nous retrouver, cette claire vision s’estompe pour laisser place à un aveuglement propice à la reconnaissance automatique des lieux.» Paul Virilio, Ville panique. Ailleurs commence ici, Galilée, 2004. dans Paris/Babel sous la direction de David Mangin, 2013.

Notre monde perceptif s’appuie fortement sur la vue. Cependant, elle peut aussi manquer. Afin d’amorcer ce travail, nous allons nous affranchir des discours convenus, et nous projeter dans un monde perceptif méconnu : la malvoyance. La personne malvoyante nous présente le paradigme d’une ville épurée de ses repères les plus évidents, les repères visuels. Elle nous fait part d’un monde perceptif particulier qui conduit à un langage minutieux. Les malvoyants suivent dans la ville leurs géométries2 propres, qui sont leurs références et leurs repères. Nous les côtoyons aussi quotidiennement. L’étude de ce cas particulier de citadin est le point départ de cette recherche. Il nous permettra d’observer les caractéristiques invisibles de l’orientation et des usages de la ville, et de discerner une possible «cécité du voyant3». Les usagers de la ville tout comme ses acteurs4 ne sont pas épargnés. Leurs points de vue diffèrent et donc leurs langages. Nous l’observerons à travers leurs différentes représentations de l’espace urbain et leurs manières de le décrire. A l’image de Babel ce n’est pas un seul peuple et une seule langue qui crée la ville, mais plusieurs acteurs et plusieurs écritures, qui doivent se faire comprendre par une multitude d’usagers. Le terme usager est à comprendre comme « utilisateur » mais aussi comme « personne qui utilise une langue» : «Tout langage, à mesure qu’il se perfectionne, ou, plutôt, que ses usagers se perfectionnent et le possèdent mieux, tend à devenir plus elliptique.»5 1 VENDRYES, J., Le Langage, introduction linguistique à l’histoire, 1921, p.19. (réédition Albin Michel, 1968) , source CNRTL. 2 Les géométries font référence à des éléments linéaires, des continuités et des ruptures que l’observateur utilise pour s’orienter mais qui n’ont pas toujours été conçus comme tel. Nous explicitons cette notion un peu plus loin. 3 Cette notion fait référence à la citation de Paul Virilio précédente. Paul Virilio, Ville panique. Ailleurs commence ici, Galilée, 2004. dans Paris/Babel sous la direction de David Mangin, 2013. 4 Les acteurs sont l’ensemble des concepteurs, des analystes, et des institutions. 5 HUYGHE, Dialogue avec le visible, Flammarion, 1955, p. 118. Source CNRTL.

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Afin de pouvoir analyser la confrontation des points de vue d’acteurs et d’usagers, nous opterons pour un terrain d’étude sur lequel les «habitudes6» sont en cours de mutation dans un même espace. Nous choisirons ainsi la place de la République à Paris qui est une «infrastructure des usages multiples»7. Tous les usages y ont été anticipés sans en décider aucun, ce qui nous permet d’observer les appropriations spontanées de l’espace commun. Ces observations nous permettront d’interroger les concordances entre les regards des acteurs et les repères des usagers.

Notre méthode a consisté à analyser les «cartes mentales» des trajectoires et des espaces du piéton. Nous avons ensuite donné la parole aux acteurs et aux usagers à travers de nombreux entretiens, qui sont venus appuyer nos observations sur le terrain. Ces sources sont encadrées d’un pointillé bleu. L’abondance des points de vue recueillis se manifeste à travers la diversité graphique de ce mémoire.

6 Op. Cit.Paul Virilio 7 Pierre-Alain Trévelo, Conférence «Infrastructures» novembre 2013, EAVT, Champs-sur-Marne.

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« Quoi de plus accessible, en apparence, que l'immense Sahara, ouvert à tous ceux qui veulent s'y engloutir? »1

1

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BENOIT, P., L’Atlantide, 1919, p.32, dans CNRTL.


1

aménagements existants de l’espace public pour le piéton

1.1 vers une Appropriation de l’espace public Piétons et espaces publics : De quoi parle-t-on ? De ses prémisses à son apogée du milieu des années 80, la question du piéton semble être de retour avec l’insistance des politiques d’accessibilité et de mobilité dans la ville. Cela s’observe par l’évolution des terminologies employées par les spécialistes. De la notion de déplacement, on a dérivé vers le terme de mobilité puis d’accessibilité1. Il est nécessaire de clarifier ces notions car leur succession dans l’histoire n’est pas anodine et révèle une évolution des mentalités et des réflexions. Le déplacement se réfère à un changement de position ou de direction. La notion de mobilité incorpore quant à elle une potentialité et une temporalité. Elle est le caractère de ce qui est susceptible de mouvement. Enfin, le terme d’accessibilité revêt à la fois le droit et la possibilité qu’a quelqu’un d’accéder à quelque chose dans le sens où cette chose devient abordable. On dit aussi qu’est accessible quelque chose d’intelligible, de compréhensible à un tel point que l’on peut se l’approprier aisément, dans le temps comme dans l’espace. L’espace accessible est alors un équilibre entre l’infrastructure du déplacement et l’espace humain, dans une «logique d’appropriation sociale»2. 1 TERRIN, Jean-Jacques, Le piéton dans la ville, Marseille, Parenthèses, 2011. 2 GODARD, F., «La chaussée est à nous, des usages de la rue à la régulation urbaine», dans Ascher, F., Apel-Muller, M., La rue est à nous, Vauvert, Au diable vauvert, 2007, dans Terrin, Jean-Jacques, ibid. p.13.

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Les places de Paris constituent un réseau.

Ces places sont les connexions dont les rues sont les accès.

Les places sont connectées ...

... par les rues qui en sont les accès ...

...et permettent de les occuper ...

... d’y former des territoires distincts mais qui coexistent; eux aussi, connectés.

Les places de Paris, des espaces de connexion Illustration BMB

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L’espace accessible est donc un espace public que chacun est en mesure de s’approprier avec ses outils. A qui est-il destiné ? De quel espace public parle-t-on ? Nous nous intéressons à l’espace «ouvert à tous ceux qui veulent s’y engloutir»3, à l’espace où se confrontent les points de vue d’usagers communiquant à l’aide de langages différents. Il est inutile de rappeler que l’espace public peut se comprendre au singulier comme au pluriel4. Au singulier, il est l’espace public politique, le lieu tangible du débat et de la pratique démocratique. Nous nous intéressons davantage au pluriel : aux espaces publics qui offrent une «commune visibilité»5 des lieux, qui font «émerger un espace commun»6. Nous nous attacherons plus encore à l’espace de connexion, dont les rues sont les «accès». Cet espace est le lieu de «rassemblement et de transit», qui va accueillir l’espace du public et se différencier ainsi de l’espace commun.7 Nous observerons donc l’appropriation de des espaces du public. Comment se l’approprie-t-on, comment l’occupe-t-on et avec quels outils ? «Comment fait-on pour occuper un lieu qui, en théorie, appartient à tous ? Que se passe-t-il lorsque le public, soudain, occupe son espace ? [...] que la sphère institutionnelle a tendance à s’approprier »8 ? L’espace public est en effet organisé par la puissance publique mais habité par tous, «ce public mouvant, composé de consommateurs et d’usagers, mais aussi de flâneurs, d’errants, de foules plus ou moins soumises aux itinéraires balisés par l’autorité»9. Les acteurs imaginent les bases mais laissent une marge de liberté qui permet l’appropriation. C’est pour cette raison qu’il est primordial de se demander pour qui nous faisons l’espace public ? Et où ? Quel est le contexte ? Quel est l’objectif ? «Comment, sans rendre service à l’usager, lui permettre de se servir ?»10 3 4 5 6 7 8 9 10

BENOIT, P., L’Atlantide, 1919, p.32, dans CNRTL. PACQUOT, T. L’espace public. Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2009. MONGIN, O. (2012). Métamorphose de l’espace public. Esprit, nov. 2012, p.73. Ibid. Ibid. BEJA, A. (2012) Foules indignées, places occupées. Esprit, nov. 2012, p.85. Ibid. Ibid.


Appropriation et perception de l’espace Les laboratoires du Cresson appelés Ambiance architecturales et urbaines de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble sont à l’origine des études récentes concernant la perception du piéton. Ils se rejoignent autour de l’idée que l’accès du piéton à la ville «résulte d’un ancrage pratique et perceptif »11. Les chercheurs de ces laboratoires élargissent la notion d’accessibilité développée dans les Plans de Déplacement Urbain (PDU), tel que celui de la Région Ile-deFrance approuvé en décembre 2000. Alors que le PDU considère l’accessibilité urbaine comme le simple acte de se déplacer, les chercheurs revendiquent une dimension qui n’est pas seulement physique mais perceptive et sociale. Leurs études sont intéressantes pour notre sujet dans le sens où elles traitent des inadéquations entre «les ressources présentes dans le lieu, la perception , et l’action du passant»12. Les aménagements de l’espace public, cristallisation des conflits d’usages L’aménagement de l’espace public matérialise les points de vue des différents usagers. Ces aménagements urbains balisent ou manipulent les déambulations qui seraient autrement hasardeuses. Les usagers confrontés à ces balises, ne les suivent pas toujours et prennent des libertés. Ils s’approprient le langage urbain. Ces aménagements ont pour vocation d’être intelligibles par tous les usagers. Nous observons cependant que différents types d’aménagements correspondent à différentes manières de communiquer l’espace urbain. En reprenant notre métaphore du langage, les aménagements urbains sont autant de signes qui permettent aux usagers de communiquer entre eux. Ils rendent lisible un espace qui se dit commun, accessible, donc intelligible par tout type d’usager. Afin de dépasser l’exemple commun du potelet nous pourrons évoquer l’aménagement récent des passages piétons tests mis en place par la Direction de la Voirie et des Déplacements (DVD) de la Ville de Paris. Ces tests de franchissement soulignent 11 THOMAS, R. L’accessibilité des piétons à l’espace public urbain : un accomplissement perceptif situé. Espaces et sociétés, 2004, n°113-114, pp. 233-249. 12 Ibid.

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exactement cette problématique du langage urbain matérialisé par les aménagements. La matérialisation du passage clouté n’est entrée en vigueur que lorsque la présence trop importante de la voiture demandait une nouvelle technique de cohabitation. Les rayures blanches sur sol noir de l’espace public parisien est depuis peu réinterprété pour symboliser les traversées appelées zones de rencontre. Il semblerait que la direction habituelle donnée aux bandes blanches induise une priorité à la voiture plutôt qu’au piéton. Ces nouveaux passages cloutés sont un bon exemple, ils matérialisent en effet les zones de rencontre entre piétons et voitures, auprès desquelles les véhicules motorisés doivent atteindre le maximum de 30 km/h voire 20 km/h. Cette démarche a été entreprise sur près de 137 km de voies parisiennes13. Non seulement ils signalent à la voiture une entrée en zone de rencontre, mais au piéton également. Les zones de rencontre ont été pensées en fonction des endroits où la chaussée était déjà utilisée par les piétons pour leurs déplacements, c’est-à-dire, là où il y avait un usage préexistant. Ainsi, ces signes ne font qu’accompagner et renforcer une tendance déjà entamée naturellement en lien avec l’usage de la zone concernée. La question qui était posée aux piétons lors des concertations était «Comment investir la rue pour qu’il y ait une véritable appropriation de la voie ? 14». On parle donc d’une superposition d’usages et d’usagers matérialisée par «une appropriation de la voie », le signe marquant la fin d’un bornage et le début d’une communication plus accrue et naturelle entre différents types d’usagers. Comme le souligne Alain Boulanger, responsable du partage de l’espace public à la DVD : «Les formats actuels d’alerte des zones 30 ne sont pas compris de la même manière par les usagers et par nous, ils manquent de lisibilité[...]»15. Renverser la direction des lignes blanches pour les orienter dans le sens de traversée du piéton, est à la fois un signe qui annonce à la voiture qu’elle passe une borne, traverse des lignes blanches, qui visuellement sont une limite pour la voiture, et une invitation au piéton à prolonger sa marche dans la continuité de son mouvement.

Plusieurs tentatives de communication de la traversée en zone de rencontre. Illustration BMB, à partir de documents de la DVD.

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13 Source : groupe Chronos 14 BALDASSI, M. (2013) Réinventer les passages piétons. Tiré de groupechronos.org. 15 Ibid.


Les autres techniques de marquage au sol sont chacune des tentatives de langage, de signalétique en phase de test à Paris pour observer leur impact sur la perception de l’usager. Cette expérience nous intéresse car elle symbolise les différents degrés de lecture des aménagements et montre qu’ils accompagnent une tendance déjà ancrée dans les usages. La ville recèle ainsi d’un ensemble de signes sur les usages à adopter. Ils se concentrent sur les bordures de trottoir et prennent la forme de potelets, de bandes podotactiles, de plans inclinés, de bateaux, de passages piétons. Ces signes marquent plus que tout les limites d’usages, les frontières où des conflits d’usages pourraient se produire. Selon le point de vue de l’usager ces signes marquent une limite ou une rencontre. Ils nous intéressent car ils représentent des bornes successives dans un parcours ponctué de repères matériels et immatériels. Après avoir relevé différentes échelles et formes de repères déjà théorisés pour composer une «boîte à outils16», nous allons nous tourner vers notre premier sujet d’étude, celui des repères de la personne malvoyante, afin de déceler les caractéristiques «invisibles» de la mobilité.

16 Nous allons extraire des théories de l’orientation et du repère urbain une liste de typologies qui nous aideront à poursuivre l’analyse.

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M. B a une image sectorisée de Paris.

«Paris, mes repères, ma trajectoire quotidienne.» Cartes mentales de deux habitants du 11e.

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«La région métropolitaine est aujourd’hui l’unité fonctionnelle de notre environnement, et il est désirable que cette unité fonctionnelle puisse être identifiée et structurée par ses habitants.» Kevin Lynch, L’image de la cité (1960), Dunod, Paris, 1999, p131

1.2 Théorie et méthode « Quel est le centre ? Comment est-il perçu, reconnu, vécu ? La réponse ne peut pas être unique, et la question oblige à distinguer des catégories non pas tant par aires culturelles ou par typologies de villes que selon le fait que le processus de reconquête des centres anciens est plus ou moins avancé.»1 La perception piétonne peut s’étudier à l’échelle de la ville comme à l’échelle d’un terrain plus petit. Les habitants sont les «experts de leur quotidien, avec des analyses très fines de l’espace public»2. Lorsqu’il leur est demandé de représenter leurs lieux de vie dans la ville, à plus grande échelle, l’embarras s’installe. «Quelle est la forme de Paris ? Où est située la gare de Lyon ? Le 12e arrondissement est-il rive droite ou rive gauche ?» Le centre de Paris n’est pas tant la question qui met les habitants en désaccord. Ce qui est certain c’est que leurs centres personnels sont décentrés et s’organisent autour de leurs espaces quotidiens. Nous avons testé très rapidement cette idée auprès de voyageurs parisiens à bord d’un TGV, donc loin de leur lieu de résidence. Nous leur avons démandé tout d’abord de représenter leurs repères à Paris, puis leur trajet quotidien. Leur dessin de Paris reste très succinct comparé au dessin de leur quartier, toujours très renseigné. «Sa [cette étude] première préoccupation sera ce qu’on peut appeler les «images collectives», représentations mentales communes [...] Les systèmes d’orientation utilisés dans le monde varient largement d’un endroit à un autre, changeant selon les cultures ou les paysages [...]»3 D’après nos enquêtes sur la trajectoire de la personne malvoyante, et d’après les études menées conjointement par les acteurs et «analystes», nous notons que l’ «image collective» dépasse les notions de culture (sur les croquis ci-contre, Paris garde sa forme concentrique générale) mais elle diffère de l’«image mentale»4, personnelle, qui varie en fonction des usages.5 1 PANERAI, P., DEPAULE, J.C.,DEMORGON, M., Analyse urbaine, Ed. Parenthèses, 1999. p.135. 2 Observation de Suzel Balez, Bazar Urbain, lors de l’interview cité précedement. 3 LYNCH Kevin, L’image de la cité (1960), Dunod, Paris, 1999, p136. 4 C’est ce que confirme The view from the road de Kevin Lynch, avec une analyse visuelle liée à la vitesse des transports. 5 M. B a une image mentale sectorisée de Paris, voir dessin ci-contre.

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Kevin Lynch en 1960 publie L’image de la cité dans lequel il fait une liste des éléments repérables de la ville : les voies, les limites, les quartiers, les nœuds, les points de repères. En 1963, il affine sa recherche à travers l’ouvrage The view from the road 6 et prend en compte la notion de mouvement lié à la voiture et au paysage suburbain. La technique, la mobilité automobile permet de décupler la perception de la ville et les capacités d’orientation de l’époque. Ce mode de perception donne naissance à l’analyse séquentielle. L’ouvrage The view from the road propose d’autres outils, parmi eux : les points de décision, les zones de confusion, la rotation du champ visuel et la classification des repères (majeurs, mineurs) et la nouvelle notion de but : principaux, secondaires, mineurs. « Le regard s’attarde quelque peu sur les façades, des signes secondaires apparaissent […] le promeneur, le géographe s’interroge. Comment comprendre cette multiplicité d’images différentes ? Quels principes ont à l’origine organisé ces espaces ? Quels principes les défont ? N’y a-t-il pas malgré tout des permanences dans la forme matérielle et les activités de la ville, dans l’utilisation qu’en font les habitants, les passants ? »7 Philippe Panerai reprend cette étude de l’œil du piéton dans son ouvrage Analyse urbaine. Les architectes sur le terrain deviennent de « simples promeneurs dans la ville, [...] attirés par des signes divers »8 : Il énumère, de nouveau, les éléments identifiables de l’espace urbain. Les voies sont interprétées en tant que parcours et les quartiers sont traduits par secteurs. Il observe que l’identification de ces éléments définis par Kevin Lynch « ne recoupent pas obligatoirement la reconnaissance d’éléments morphologiques simples […] ni avec le repérage d’un lieu défini exclusivement à partir de critères d’usages ou de données symboliques »9. Suite au relevé des outils de l’Image de la cité, Philippe Panerai intègre également ceux de The view from the road afin de définir des panneaux. Une fois les panneaux définis, il se pose la question de leur enchaînement, de la « constitution de séquences». 6 Donald Appleyard, Kevin Lynch, John R. Myer, The view from the road, MIT Press, Cambridge, 1964. 7 PANERAI, P., DEPAULE, J.C.,DEMORGON, M., Analyse urbaine, Ed. Parenthèses, 1999. p.34. 8 Ibid. 9 Ibid.

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«Identifier les éléments du terrain [..] ce n’est pas seulement une affirmation du visible mais une lecture de différents points de vue qui fait intervenir le mouvement de l’observateur.»10 Ces auteurs nous parlent essentiellement de ce que Philippe Panerai appelle le « paysage immédiat ». Celui-ci se réfère à la voie, au champ visuel, aux symboles, aux concentrations d’activités, et aux séquences. Le territoire immédiat et perçu s’attache à « ce qui frappe ». Edward T. Hall dans son ouvrage La dimension cachée 11, aborde cette idée de perception de l’espace à travers le prisme de la sphère corporelle et de l’influence de la culture dans la vie sociale : « Le territoire est au plein sens du terme un prolongement de l’organisme, marqué de signes visuels, vocaux et olfactifs. L’homme lui aussi s’est créé des prolongements territoriaux matériels, ainsi qu’un ensemble de signes territoriaux visibles et invisibles. Aussi, dans la mesure où la territorialité est relativement fixe, j’ai nommé ce type d’espace au niveau proxémique, espace à organisation fixe. » 12 Les outils d’analyse d’ Edward T. Hall sont directement liés à l’homme. Ils sont liés à son espace sensoriel, ses récepteurs à distance et les récepteurs immédiats, ainsi qu’à ses usages liés à sa culture, à sa physiologie, à sa micro-culture : « les éléments micro culturels sont représentatif d’un large groupe culturel autant que des micro variations que chaque individu introduit dans la culture et qui le rendent unique. » 13. Ces outils se réfèrent aussi à l’organisation de l’espace personnel. Il différencie l’organisation de son espace matériel fixe, de l’organisation de son espace semi-fixe (sociofuge, sociopète) qui influencent son dynamisme dans l’espace. « Il est essentiel de comprendre que l’espace à caractère fixe constitue le moule qui façonne une grande partie du comportement humain. » 14

10 Ibid. p.43 11 Hall, Edward Twitchell, 1966, La dimension cachée, Editions du Seuil, Paris (2e éd. Fr. 1971) 12 Ibid. p.131 13 Ibid. p.142 14 Ibid. p.136

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1.3 Perceptions Urbaines comparées du malvoyant et du voyant La ville aveugle, pourquoi ?

Vision parcellaire

Perte de vision centrale

La perception de la personne malvoyante est un fil conducteur de ce mémoire. Il permet de révéler les géométries qui influencent les usages de l’espace. Cette question se divise en deux temps. Comment anticiper l’usage d’un individu ? Comment celui-ci tient réellement compte de ce qui a été anticipé ? Les aveugles suivent dans la ville leurs géométries propres, leurs géométries sonores, tactiles et lumineuses. Leurs parcours dessinent dans nos rues des géométries qui nous sont pour la plupart inconnues. Les réglementations de la ville font partie de leur vocabulaire urbain mais ils ont su aussi se créer le leur à part entière. Il y a le malvoyant, l’aveugle, et tous les degrés de malvoyance que l’on peut trouver entre les deux. Une seule norme ne leur suffit donc pas, d’autant plus qu’elle est le plus souvent obsolète. La personne aveugle, avec toutes les nuances qu’il nous apporte, est notre porte d’entrée vers une nouvelle découverte de l’espace urbain, axée sur le langage de la ville, ses repères et les capacités de chacun à s’y orienter. Nous étudierons les outils d’orientation du citadin aveugle, puis voyant, à l’aide de cartes mentales. La carte mentale est une représentation de l’espace. Elle a ses limites dans le sens où elle multiplie la distance de la perception de l’individu, à sa représentation mentale, à sa transcription dessinée puis à l’interprétation de l’interlocuteur. Cependant elle a pour avantage de donner à voir la représentation mentale de l’espace d’un individu, en plan, en perspective, en succession d’étapes. Ceci ne pourrait être traduit en mots. C’est un point de vue qui n’est pas souligné par les détracteurs de la carte mentale. Nous allons laisser de côté, pour un temps, «les moyens spécifiques des analystes»1 et observer comment le citadin nous communique son milieu et son vécu. Qui sont Les personnes concernées ?

Vision tubulaire Les degrés de malvoyance

Illustration BMB, à partir des documents de l’Association Valentin Haüy.

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Les études menées depuis quelques années sur l’accessibilité du piéton à l’espace public remettent profondément en question la question du handicap des 1

PANERAI, P., DEPAULE, J.C.,DEMORGON, M., Analyse urbaine, Ed. Parenthèses, 1999. p.135.


personnes. Déjà, depuis l’avènement de l’accessibilité urbaine, l’idée de handicap des personnes a été remise en question pour se focaliser plutôt sur la notion de situations urbaines handicapantes. Le point de vue de la personne handicapée est alors devenu une porte d’entrée d’observation de l’espace urbain : « Le détour par l’expérience cheminatoire de la population handicapée constitue un outil heuristique pour penser l’accessibilité de tous à l’espace public urbain »2.

Hemianopsie

Rétinite pigmentaire

Diminution de contraste Les degrés de malvoyance

Illustration BMB, à partir des documents de l’Association Valentin Haüy.

En ce qui concerne la cécité en France, 3.1 millions de personnes déclarent une atteinte visuelle soit 4.7 % de la population, 55 000 souffrent de cécité complète, 225 000 de cécité partielle. Le handicap sensoriel concerne 11.4 % de la population3. L’Organisation Mondiale de la Santé ajoute qu’une personne est handicapée lorsque son «intégrité physique ou mentale est progressivement ou définitivement diminuée, soit congénitalement soit sous l’effet de l’âge, d’une maladie ou d’un accident, en sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouve compromise». Autrement dit, nous pouvons tous potentiellement nous retrouver en situation de handicap. La cécité concerne, plus particulièrement, selon l’Encyclopédie Médicale, les personnes dont la vision centrale du meilleur œil, est inférieure ou égale à 1/20ème de la normale. L’amblyopie ou la mal-voyance concerne les personnes dont cette valeur est inférieure ou égale à 4/10ème de la normale. On observe donc que la malvoyance est souvent considérée comme relative à une norme. Les personnes malvoyantes ont une palette de moyens de compensation qui varient selon la luminosité ambiante et l’éblouissement4. Ces éléments de compensation sont l’ouïe, la perception des masses, le toucher, l’odorat, la mémorisation, les aides humaines et animalières. Nous nous intéressons particulièrement à la perception des masses et à la mémorisation. La perception des masses est la capacité à ressentir la présence ou l’absence d’une masse dans le paysage urbain. Nous verrons par des études de cas que ce moyen de compensation est particulièrement efficace. Il semble être considérablement 2 THOMAS, R. L’accessibilité des piétons à l’espace public urbain : un accomplissement perceptif situé. Espaces et sociétés, 2004, n°113-114, pp. 233-249. 3 INSEE, 2000. 4 CFPSAA, Les besoins des personnes déficientes visuelles, accès à la voirie et au cadre bâti, 2010

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Bande de guidage

Potelets contrastés

E.O.

alimenté par les information sonores que peut analyser le malvoyant. La perception des masses peut permettre jusqu’à l’identification des matériaux des parois qui ne donneront pas les mêmes sensations. Le moyen de compensation sonore permet aussi de distinguer les matériaux. Ainsi la personne malvoyante peut suivre l’écho d’une façade, déterminer une ouverture, un auvent, un encastrement. Tous ces éléments sont des éléments passifs. Le citadin malvoyant peut aussi identifier par le son des éléments actifs, le bruit de passage de voiture ou le retentissement de pas sur une place en sont des exemples. Le toucher se fait sentir à travers la canne blanche et les pieds notamment. Ils sont les outils de lecture du vocabulaire urbain aménagé par les services techniques. La mémorisation est ce qui permet de se reconstituer une image mentale de ce qu’il ne voit pas. Cette image mentale peut évoluer avec les changements de l’espace urbain. Cette image mentale est différente si le lieu est connu ou non. Lorsque le lieu est connu, la personne malvoyante peut ajouter à sa lecture son propre vocabulaire, lorsqu’il n’est pas connu, elle dépend directement des aménagements de la ville qui lui sont destinés. Quels aménagements ?

Bande d’éveil

Barrière de Saint André

D’après les recherches des laboratoires du Cresson, les transformations de la ville concernant le handicap sont le reflet de la mobilité du citadin malvoyant. De la même manière les transformations de la ville concernant les différents usagers sont le reflet de l’ensemble des mobilités citadines. Les moyens améliorant l’accessibilité de personnes handicapées peuvent faciliter la mobilité de l’ensemble de la population5. L’accès à l’espace public de la ville se heurte davantage à des handicaps de situation plus qu’à des handicaps de personnes. L’étude de la personne aveugle souligne l’ensemble des barrières à la mobilité et l’ensemble des aménagements favorisant la mobilité. Parmi les aménagements favorisant la mobilité on trouve ceux qui ont été qualifiés de « prothèses » de l’espace urbain, dites des « prothèses architecturales ». Les plus communément rencontrées sont les bandes d’éveil de vigilance et les bandes de guidage au sol. Les premières marquent des limites, les deuxièmes signifient un parcours.

Les aménagements, un langage urbain Illustrations BMB

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5 THOMAS, R. Les trajectoires de l’accessibilité. Bernin, A la Croisée, Coll. « Ambiances, Ambiance », 2005.


D’autres recherches urbaines plus récentes poursuivent ces efforts. Il y a deux méthodes : la méthode palliative et la méthode dite créative. Cette dernière viserait plutôt à éliminer les situations de handicap liées à un aménagement inadéquat. C’est cette dernière méthode qui vise à être efficiente à la fois pour tous les types de handicaps mais aussi pour l’ensemble de la population. Ce serait le vocabulaire intelligible par tous de la ville de Babel, sans lieux résiduels aux pratiques uniques, dédiées seulement à certaines personnes. les aides, les obstacles et L’espace sensoriel du parcours de la personne malvoyante Un lieu accessible, pour la personne malvoyante, est celui qui permet une bonne lecture de l’espace, pour se situer correctement, et pour accéder aux informations dont elle a besoin. Les capacité de déplacement du passant s’effectuent selon deux aptitudes : l’aptitude extéroceptive et l’aptitude adaptative. La première reçoit et analyse les données du monde extérieur, la seconde permet, en fonction des résultats de la première, de gérer ces informations et d’anticiper les mouvements. Il y a aussi plusieurs types de données offertes par l’environnement : les données auditives et les données tactilo-kinestétiques. Les premières offrent une image du lointain, et les secondes des éléments plus proches. Les aides ou des obstacles au déplacement sont surtout des objets « ambivalents, dont l’opérationnalité dépend aussi bien de l’action à accomplir, des besoins de l’usager que de la place même de l’objet dans l’espace et dans la trajectoire du passant »6 Tous les sens du piéton seraient mobilisés, quelque soit l’usage qu’il souhaite faire du lieu, sa lecture de l’espace et son « langage » urbain. Le piéton en marche « actualise » sa lecture de l’environnement au fur et à mesure de son déplacement et en faisant recours successivement et conjointement à différents sens. Ces lectures de l’espace ne servent-elles que la locomotion ? 6 THOMAS, R. 2001.

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Nous avons décrit le sujet, il nous reste à décrire la scène: nous allons faire un état des lieux non exhaustif des ressources et des contraintes de l’espace public parisien, en observant toujours la malvoyance comme une expérience de la mobilité urbaine parmi d’autres. La ville de Paris mène une politique d’intégration des personnes en situation de handicap. Elle se traduit par le plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics de Paris (PAVE) édité en septembre 2012 par l’Agence de la mobilité de la Direction de la voirie et des déplacements. On parle plus largement de personnes à mobilité réduite (PMR) pour décrire l’ensemble des personnes en situation (définitive ou temporaire) de handicap. Ce sont aussi bien les personnes âgées que les personnes chargées de courses, équipées d’une poussette, etc. Cela représente, selon une enquête HID, près de 30% de la population (26.4% des français, soit 11 840 208 individus). Plus qu’une simple question d’intégration, il s’agit d’assurer une continuité de la chaîne de déplacement. L’élaboration du PAVE s’est construit autour de dix itinéraires acheminés par des personnes en situation de handicap. Cette étude a montré qu’une difficulté est rencontrée en moyenne tous les dix mètres. Ces difficultés sont pour beaucoup surmontables, d’autres sont réellement des blocages. Certaines sont dues à l’aménagement technique urbain mais beaucoup relèvent des pratiques des différents acteurs et usagers de l’espace. Le PAVE est avant tout un référentiel technique spécifique à l’espace parisien et à son vocabulaire. Le PAVE est intéressant pour notre recherche du langage urbain car il relève les situations et les objets qui forment le parcours borné du passant malvoyant. Tous ces éléments du paysage urbain, que nous côtoyons sans voir, constituent un alphabet qui rend l’environnement lisible. Le braille serait pour le livre ce que ces aménagements peuvent être à la ville. Nous en avons constitué un dictionnaire non exhaustif, tentons maintenant d’écrire une phrase. Nous avons réalisé pour cela deux types de trajectoires avec une personne malvoyante : un parcours dans les couloirs de métro parisien au niveau d’une correspondance et une carte mémoire de la rue de Bagnolet après l’avoir parcourue à pied.

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Retours d’expérience sur Les repères urbains du malvoyant Restitution d’un parcours borné dans le métro parisien Afin de comprendre les repères nécessaires au cheminement de la personne malvoyante nous avons fait un essai de parcours dans le métro parisien, à la station du Père Lachaise, avec Mme C., qui a toujours été malvoyante (1/10e) puis qui a perdu la vue petit à petit. Elle est maintenant aveugle depuis quinze ans. La station du Père Lachaise permet de faire la correspondance entre les lignes 2 et 3 du métro. Les correspondances de métro sont pensées par la RATP assez finement pour faciliter l’orientation des voyageurs. On observe qu’il y a les parcours proposés et les parcours d’usage. Il s’agit d’aller toujours au plus rapide ou au plus confortable. Le parcours du métro est intéressant dans un premier temps car les choix directionnels sont moins nombreux qu’en surface: le parcours au sein des couloirs est réellement borné et il n’y a que peu de place pour la préférence du piéton. Cela nous permet d’observer très concrètement les éléments nécessaires à l’orientation sans l’usage de la vue sur un circuit minimum.

O queue de train

direction sonore du train

tête de train

perception de masse limite quai limite podotactile guidage lumineux des néons

escalier montant

parcours borné limite mur

perception du quai

Représentation du parcours borné de la personne malvoyante sur le quai de la ligne 2 à Père Lachaise. Illustrations BMB

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Schéma spatio-temporel du parcours borné dans les couloirs du métro Père Lachaise. Illustrations BMB

Arrivée

On arrive dans le prolongement du quai, en queue.

tête de train

Suivre le couloir. Tourner à gauche. Descendre l'escalier.

limite quai limite podotactile guidage lumineux des néons

escalier montant

On arrive à un carrefour : A 12 H, un escalier descendant A 3 H, un couloir. Prendre le couloir à 3 h.

limite mur

Suivre le couloir en laissant, à gauche, un couloir. Prendre le couloir à 2 h. On arrive à un carrefour : A 9 H, un escalier montant A 12 H, un couloir A 2 H, un couloir.

Monter le double escalier à 12 h. Tourner à gauche. Suivre le couloir. A 9 H, un couloir A 12 H, un double escalier montant.

parcours Départ

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En tête, monter l'escalier dans le prolongement du quai. On arrive à un carrefour :


Le circuit parcouru avait été mémorisé par Mme C. auparavant.1 Sa méthode de mémorisation suit un schéma horaire. Ce schéma mémorisé intègre toutes les possibilités de circuit. Ici il y en a deux : à la sortie sur le quai de la ligne 2, soit on prend le couloir, soit on monte l’escalier. Dans chaque cas le parcours est mémorisé pour atteindre la ligne 3. Par exemple Mme C. saura qu’à la sortie, en tête, il y a un escalier dans le prolongement du quai, qui mène à un carrefour. Voici le schéma mémorisé : 1 Mme. C. A élaboré l’outil de recherche Métro-connexion : c’est 1942 descriptions de correspondances, soit 105 stations, dans le réseau de transport de paris.

Arrivée

r

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couloir 2

couloir 1

train quai Départ

escalier

Du quai au couloir de métro : le parcours borné, correspondance ligne 2/ligne 3 à Père Lachaise. Illustrations BMB

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ÂŤ Sounds of emptiness echo from the neighboring garage, drawing in me. I resist and follow a straight line. I advance my right foot, the cane touches the floor to my left, I advance my left foot, the cane traces an arc and touches the floor to my right. Whether or not I progress in a straight line depends on how uniform the arc is. Âť Hugues de Montalembert, Invisible, New York, Atria books, 2010, p.47-56.

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Ceci se poursuit ainsi jusqu’à l’arrivée sur le quai de la ligne 3 dans la direction voulue. Nous avons donc ici une première image mentale du parcours horaire qui permet à Mme C. de faciliter son déplacement : «là il va falloir prendre le couloir à 16h». Il y a d’autres types de repères. Mme C. s’aide des repères de distance : «Depuis le quai, on fait neuf ou dix mètres...» Ces repères de distance sont relevés par une simple évaluation du nombre de pas. Ensuite, elle fait appel à la perception des masses («on sent qu’on arrive sur une place, et on sait que lorsqu’on est sur la place, il y a l’escalator») à laquelle s’ajoute la mémoire du parcours («je suis le parcours que je me suis fait dans ma tête, et puis si on le fait souvent on s’en rappelle bien»). On retrouve aussi une perception des contrastes : «Les néons du quai ça m’aide. Ça me donne une direction.» Il faut bien sûr rappeler que le chemin est facilité par le bornage extrême du parcours du couloir : «A la Défense, vous n’avez pas de repère du tout, ou alors il faut faire le tour. […]Sinon pour la place de la Bastille, c’est difficile de la traverser, si on connaît le métro, on passe par en-dessous et on arrive de l’autre côté.» Il y a, enfin, les obstacles, qui sont des repères qui n’ont pas été pensés en tant que tel : «Si on les connaît c’est plus des obstacles, c’est des repères. On sait qu’on arrive à tel endroit. C’est comme un chemin balisé quoi. Un commerçant qui va mettre son étalage pour moi ce n’est pas un inconvénient parce que ça me dit que je suis arrivée à un niveau, sinon la route est monotone.»2 2 Extraits d’un parcours commenté dans le métro avec Mme C., mai 2013.

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ReprÊsentation du parcours de Mme C. et de ses repères rue de Bagnolet. Illustrations BMB

metro kiosque

boucher cabine

feu

3325 m


Restitution de parcours dans la rue de Bagnolet : une succession/substitution de repères spatiaux et d’usage : Mme C. a réalisé un dessin en plan du parcours à réaliser de mémoire depuis son lieu de résidence, jusqu’au métro. Depuis chez elle, «à gauche tout de suite il y a le feu rouge», le feu est le premier élément de mobilier urbain qui permet de se repérer. En effet, «l’homme est lui-même un repère dans l’espace et l’espace se structure par sa présence3» . Il est donc important de pouvoir se localiser rapidement dans l’espace urbain pour pouvoir 3

MARIANI-ROUSSET, S. Op. cit.

1. La rue Monte Cristo 2 3

bande d’éveil 2

1

traversée

2. La cité Aubry

Carte mentale de Mme C.

début de

parcours

3. Le boulevard de Charonne

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« Le parcours est à la croisée des chemins entre le visiteur et le concepteur : c’est l’utilisation par l’un de l’espace organisé par l’autre. » Mariani-Rousset, (2001). La méthode des parcours dans les lieux d’exposition, dans l’ouvrage de Michèle Grosjean et Jean-Paul Thibaud, 2001 : L’espace urbain en méthodes, Éditions Parenthèses, Collection Eupalinos, Marseille.

ensuite analyser plus finement son environnement immédiat et s’orienter : « Dans tout déplacement, il est nécessaire de localiser la zone où l’on se trouve, puis de se repérer dans un espace plus restreint afin de s’orienter dans la direction souhaitée. »4. Nous allons suivre le parcours de Mme C. représenté sur la page précedente. Mme C. fait tout d’abord appel à la perception des masses : « Avant il y avait une petite impasse, mais une petite impasse ce n’est pas une rue [...] puis là c’est le boulevard à traverser c’est le grand boulevard qui se dédouble ». Son pied lui a transmis une information podotactile pour lire la nature du sol : « on sent les trottoirs de chaque côté ». Mme C. fait ensuite une sorte de relevé, une énonciation exhaustive, des rues sur le trottoir parcouru : «la rue Orteau, la rue Monte Cristo, la rue Planchat, une petite impasse», puis elle relève des locaux d’activité : «un cordelier, un pharmacien au coin de la rue Monte Cristo». Elle mesure la distance au ressenti « à la moitié du trottoir j’ai mon boucher » puis elle relève un obstacle « puis un peu plus loin il y a une cabine téléphonique entre Monte Cristo et Planchat[...] marchand de journaux, le métro [...] il y a une plate-forme au milieu du boulevard, le boulevard de Charonne, il faut le traverser deux fois». Elle élimine de son parcours ce qui semble ne pas faire appel à son domaine perceptif : « Face à la rue Planchat il n’y a rien d’extraordinaire, il y a beaucoup de magasins mais j’y vais pas. » En fin de parcours, au boulevard de Charonne, Mme C. exprime la perte de repère : « Il y a quelque chose qui va en biais donc si je vais par là je sais pas je me paume » . Certains lieux ne lui permettent pas un parcours linéaire : « boulevard de Charonne c’est pas facile, le boulevard est très large, il y a un café on se balade entre les arbres, les motos »5. Nous noterons qu’à aucun moment Mme C. ne compte ses pas : «On compte pas tous les pas ça serait insupportable, quand on arrive au bout de la rue ça se sent, on l’entend, on évalue la distance quand même, on sent le vent, on entend qu’il y a une rue ». Plutôt que de compter, elle note une succession de bornes de repère. Nous notons deux types de repères : les repères spatiaux et les repères d’usage. Les repères spatiaux sont ceux qui remplacent notre environnement visuel et qui 4 CFPSAA, Op. cit. 5 Extraits d’un parcours commenté avec Mme C., mai 2013.

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nous aident à nous diriger. Nous pouvons compter parmi ceuxci la linéarité du trottoir. Ce repère directionnel, qu’est la bande de trottoir, est substitué par la bande de guidage qui indique qu’une ligne de parcours est possible. Les repères d’usage sont ceux qui aident à l’utilisation des ressources de l’espace urbain, les boites sonores des feux rouges en sont un exemple. Nous pouvons relever que la personne malvoyante ne souligne pas, dans ce discours, la présence d’aménagement d’aide au parcours, que ce soit des repères spatiaux ou d’usage. Cependant, elle énumère tous les éléments de l’espace urbain qui lui constituent son langage personnel de lecture de l’espace. N’ayant pas les mêmes facultés de perception, les malvoyants font usage des aides qui ont été mises à leur disposition mais ils ont aussi pris l’habitude de s’approprier le langage urbain partagé par tous. Les repères urbains du voyant Nous venons de remarquer que les repères du piéton malvoyant dans l’espace urbain sont des substitutions de l’espace visuel qui aident à l’orientation spatiale et à l’usage de l’espace urbain. Ce qui implique donc que l’espace urbain du piéton voyant est lui aussi parsemé de repères urbains, qui bornent un circuit implicite ou explicite dans la ville.

Source : Dessin de Stevenson (1976). The New Yorker Magazine Inc.

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Chaque usager porte un regard différent sur son environnement. Parcours de l’EAVT au RER A Cartes mentales réalisées par les étudiants de l’EAVT, sous les consignes de BMB

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Des représentations similaires d’un même trajet. Parcours de l’EAVT au RER A Cartes mentales réalisées par les étudiants de l’EAVT, sous les consignes de BMB

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tabac boulangerie pharmacie

porche

ENPC «rue»

Schémas spatio-temporel des cartes mentales. Schéma de BMB

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Pour tenter de relever ces outils d’orientation du voyant, nous avons réalisé une expérience avec des étudiants en architecture sur leur chemin privilégié de l’École de la Ville et des Territoires à la station du RER A de Noisy-champs. Nous leur avons demandé de réaliser de mémoire une série de cartes mentales de leur trajectoire avec leurs outils de représentation propre. La confrontation de ces dessins montre que les étudiants ont des manières très distinctes de représenter leurs trajectoires. De plus ils semblent l’interpréter très différemment. Les étudiants relèvent également deux types de repères, les repères spatiaux ( perception des masses, directions, ... ) et les repères d’usage (boulangerie, tabac, pharmacie, ...) Il y a autant de façons de représenter que de points de vue. La question de la représentation de l’espace public relève des points de vue, des angles d’observation, de la perception que chacun se fait de l’espace public et de ses éléments structurants. Chaque usager porte un regard différent sur son environnement. De plus, chaque corps de métier qui conçoit cet espace «a une perception sélective, partielle, [...] de ce qui se passe réellement sur le terrain. En fait les représentant de ces corps de métiers ont tendance à interpréter en fonction de leur grille de compétence»6. Nous pouvons nous demander comment ces concepteurs prévoient les usages à travers leur «grille de compétence» : « Pour le concepteur, le gestionnaire du lieu, les agents, il y a en effet une logique de cheminement, de répartition des espaces et des ressources. Affaire de point de vue naturellement : « c’est le voyageur et sa myopie qui font le labyrinthe, et non pas l’architecte et ses perspectives. [...] »» 7 Nous avons dégagé les caractéristiques du cheminement du piéton malvoyant, nous allons porter notre regard maintenant sur un site unique pour y confronter les regards des concepteurs et des usagers. Nous allons donc poursuivre notre étude sur le terrain de la place de la République, où se croisent les usagers et leurs usages ainsi que le regard des concepteurs. 6 COSNIER, J., (2001). L’éthologie des espaces publics. dans GROSJEAN, Michèle et THIBAUD, Jean-Paul, 2001 : L’espace urbain en méthodes, Éditions Parenthèses, Collection Eupalinos, Marseille. p.27. 7 ROSENSTIEHL, P., « Les mots du labyrinthe », dans Cartes et figures de la terre, cité par LEVY, E., dans L’espace urbain en méthodes, Éditions Parenthèses, Collection Eupalinos, Marseille, 2001, p.48

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«Ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s’y établirent. Ils se dirent l’un à l’autre: [...] « Allons! Bâtissonsnous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre.»1

1

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Extrait de l’Ancien testament Gn 11,1-9 Bible de Jérusalem, Le Cerf, Paris, 1956 (1ère édition)


2 L’espace public piétonnier en projet 2.1 Analyse par l’histoire des transformations réelles et symboliques Le terrain de notre enquête, la place de la République, est une création Haussmannienne. Nous verrons par son évolution morphologique que le moment de sa création, à l’emplacement de l’ancienne porte du Temple de l’enceinte de Charles V, est une rupture : une rupture morphologique, d’usage et d’usagers. A l’échelle temporelle de la formation d’une ville, l’usager et le concepteur créent conjointement des lieux. Ici, la présence des templiers installés au XIIe siècle à la porte du Temple amène et crée l’extension d’un quartier autour du commerce. La création de la place est le résultat d’une évolution lente du tissu urbain qui s’étend du XIIe siècle au XIXe et qui donne lieu finalement à la Place du Château d’Eau. Le percement des nouveaux axes est une rupture qui a eu lieu au milieu du XIXe siècle, qui dessine et fixe durablement ce qui est aujourd’hui la place de la République. Nous allons retracer rapidement cette évolution sous le prisme des caractéristiques relevant des usagers et concepteurs.

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Cours planté d’arbres de St Denis à la Bastille

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1670 avant 1600

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1705-1765

Une urbanisation affirmée au sud de la porte du Temple ...

Morphogenèse de la place de la République

Illustration BMB d’après les documents de l’APUR et le mémoire Grands Boulevards, Dumont, V., Babel, 2012.

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Création de la place du Château d’eau

1808 1765-1810

1854 1810 -1848

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Construction des Magasins Réunis e ce Eugène Projet non réalisé de l’Orphéon de G. Davioud

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1904 -1935

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1848 - 58

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Création de la nouvelle place de la République

2013

1883 2012

2114 ?

Piétonisation de la place Boulevards à double sens

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Le Moyen-Age des templiers Le XIIe siècle est celui de l’arrivée des membres de l’Ordre du Temple, ordre militaire et religieux issu de la chevalerie chrétienne de l’époque. Ils s’installent à la maison du Temple, un grand terrain qui leur est donné en 1170 entre l’enceinte de Philippe Auguste (1190) et de celle de Charles V (1367-1383). Leurs activités commerciales attirent un grand nombre d’habitants qui s’installent autour. Au sein du quartier du Temple, se trouvent alors essentiellement des fondations religieuses. De grands hôtels se développent dès les XVIe et XVIIe siècles pour assurer l’accueil de la noblesse. De nombreux hôtels particuliers voient aussi le jour. Par ailleurs, une classe populaire loge dans les quartiers aux rues plus étroites du marais. Avant la destruction de l’enceinte, ce quartier comportait déjà une multiplicité d’usages et d’activités qui se côtoyaient : la noblesse de robe et d’épée, les commerces, et la ville populaire. Dès 1615, une formation linéaire de maisons borde un chemin menant à Belleville, qui est encore éloigné par des champs. Des maisons dédiées plutôt au loisir et à la promenade s’y construisent. Au Nord-Est de la place, on retrouve les activités liées aux divertissements: les guinguettes, les cabarets, qui se développent autour du commerce de l’alcool ne subissant pas d’octroi.

Le quartier, alors déjà très diversifié et animé accueille aussi des manifestations populaires, sous forme de défilés suivant La place est régularisée et agrandie et passant Cours planté d’arbres de St Denis à la Bastilleun parcours depuis Belleville jusqu’à la Bastille, Construction de la caserne du Princ donc géographiquement par l’actuel quartier de la place de la République, en prenant la rue du Temple et ce qui deviendra la rue du Faubourg du Temple. Cette activité se concrétise lorsque Louis XIV ordonne la destruction des enceintes et que cette portion de la ville, linéaire, est remplacée par une longue ballade plantée. Elle renforcera cette destination de promenade surélevée avec vue sur les terrains agricoles environnants. La création d’une longue promenade plantée concrétise et renforce les usages existants d’un quartier de loisir. Installation d’amuseurs publics « Ils trouvèrent une vallée ...» et des théâtres

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Création de la place du Château d’eau


res de St Denis à la Bastille

1670

Construction des Magasins La place est et agrandie Époque du hameau derégularisée la Courtille. Construction de la caserne du Prince Eugène Projet non réalisé de l’Orph Au XVIIIe siècle, le hameau de la Courtille était essentiellement lié aux divertissements et au commerce. La proximité de la Courtille à l’enceinte de Charles V rend le commerce attractif. Ce commerce se spécialise rapidement autour de l’alcool et des usages qui en découlent, de la fabrication à la consommation, du tonnelier au cabaret.

Les grands travaux de nivellement Lorsque les Grands-boulevards sont construits, une période de grands travaux aura des conséquences sur le lieu d’aménagement de la future place de la République. Les cours plantés étant situés sur l’ancien site de l’enceinte, il a fallu Installation d’amuseurs publics détruire le mur, aplanir le bastion (emplacement plus exact de et des théâtres Création de la place du Château d’eau la place d’aujourd’hui), et combler le fossé. Lorsque, en 1741, est construite l’enceinte des fermiers généraux, l’activité des cabarets s’exile du quartier du faubourg du Temple. C’est une autorisation d’installation des amuseurs publics sur le Boulevard du Crime (boulevard du Temple), qui redonne vie à ce quartier de promenade devenant peu à peu un quartier de théâtre. C’est aussi à ce moment-là que se crée une centralité autour du vide de ce qui est devenu et deviendra une « place », entre les cafés et les jardins, où virevoltent les acrobates, vers le centre de Paris, et les théâtres vers l’extérieur. Le premier théâtre est ouvert en Affirmation d’une centralité de loisir autour 1759 1808 1854 1830. 1866 1750 et atteint sa plus belle époque dans les années du berceau de la place en devenir.

« et ils s’y établirent» 1705-1765 1680

mée au sud de la porte du Temple ...

1765-1810

1810 -1848

1848 - 58

Une respiration entre deux quartiers Cette centralité est aussi bien irriguée. Elle est desservie par la rue du Faubourg du Temple, puis la rue de Lancry et la rue de la Douane. A l’Ouest du canal Saint-Martin, inauguré en 1825, se concentrent des distributeurs de denrées, comme les entrepôts de charbon, des greniers de réserve, et les entrepôts de la douane. A l’Est, se développe plutôt l’industrie : la métallurgie, la poterie, la faïence, la filature, la chimie et le papier peint. On comprend alors les ouvriers du côté de dulafaubourg ... qui change de bord lors de que l’ouverture du canalse logent Régularisation place à l’extérieur des murs. La rue du faubourg du Temple continue Percement des boulevards à être le lieu de passage entre Belleville et le Boulevard, où s’installent de nombreux magasins. Cette activité est toujours d’actualité aujourd’hui et cet usage fait de la rue du faubourg du Temple aujourd’hui l’axe majeur vers Belleville.

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eurs publics Création de la place du Château d’eau

759

Surveillance. En1854 est construite la caserne du Prince Eugène qui deviendra la caserne Vérines. En 1857, la Garde Impériale est accueillie au sein de celle-ci. Elle a pour rôle de surveiller et prévenir 1854 1866 des quartiers populaires. d’éventuels soulèvements

La place du Château d’eau est nommée. 1808 «Faisons nous un nom.»

-1765

1765-1810

Inauguration du monument de la Ré La place est nommée. La fontaine de la place du Château d’eau est inaugurée en 1811 et tient son nom d’un réservoir situé au nord du Boulevard du Temple. Elle souligne la fin des travaux du canal de l’Ourcq et l’arrivée de l’eau à Paris.

1810 -1848

1883

1848 - 58

Géométrisation de la place. Suite aux décrets de 1857 et 1858, plusieurs axes sont percés : le boulevard du Prince Eugène (Boulevard Voltaire), le boulevard des Amandiers (avenue de la République), la rue Turbigo. Par ailleurs, le nord du Boulevard est détruit avec ses théâtres.

Désignation La place est désignée pour être un des grands carrefours de la ... qui change de bord lors de l’ouverture du canalrive droite. Régularisation de la place

Construction des Magasins Réunis La place est régularisée et agrandie Percement des boulevards réalisé de l’Orphéon de G. Davioud Construction de la caserne du Prince Eugène Projet non

Création du pôle d’échange métro Rép

Reprise de la géométrie En 1865, la place est redessinée et accueille deux squares allongés dans le prolongement du boulevard Voltaire. Elle est bordée par les seuls bâtiments imposants de la caserne et des Magasins Réunis (1866).

Fin des festivités Un projet qui n’a jamais été réalisé accueillait un orphéon au Nord Ouest de la place et orienté vers le boulevard Voltaire. La rotonde de Paphos est rasée à l’angle de la rue et du boulevard 1904 -1935 du Temple.

La place est affirmée et cadrée par sa géométrie. «Et ne soyons pas dispersés.»

La rigidité haussmannienne Inauguration du monument de la République La place est alors dans sa forme la plus rigide. Elle est bordée de grands axes haussmanniens, de plantations régulières et d’éclairages, la stature d’une place centrale. Son aménagement prend en considération les différences de niveau entre le nord et le sud de la place, qui résultent de la différence entre les deux côtés de l’enceinte.

on de la place du Château d’eau

1808 1765-1810

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1854 1810 -1848

1848 - 58

1866

1883

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n des Magasins Réunis éalisé de l’Orphéon de G. Davioud

Création du pôle d’échange métro République

Un embourgeoisement précoce Avec ces rénovations, l’industrie fuit le quartier des faubourgs au sein duquel le prix des terrains augmente. L’ancien faubourg 1904 -1935 populaire et industriel est rénové mais reste cependant un quartier commercialement actif. Inauguration du monument de la République

La statue érigée sur la place est un repère à 1883 l’échelle de la ville. «Bâtissons-nous une tour.»

ge métro République Davioud Création du pôle d’échange métro République

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La place prend un statut d’infrastructure 1904 -1935 urbaine et devient le toit du réseau de métro. «Bâtissons-nous une ville.»

Création de la nouvelle place de la République

Vers la composition centrée La place de la République se centre autour de la statue en 1884. On lui donne son nom actuel de place de la République en 1889. La statue fait face au centre de Paris. La place a déjà, alors, son statut d’infrastructure urbaine. En plus d’être un giratoire automobile, elle est le nœud de rencontre de nombreux transports en commun existants jusqu’à l’ouverture du métro en 1900. Quatre porte-oriflammes, encadrant la statue, renforçaient cette centralité giratoire jusqu’en 1988. La place de la République est alors un rectangle de 280m de long par 120m de large au carrefour de sept 2013 axes. 2012

Piétonnistation et infrastructure de l’événement Cent ans plus tard, l’usage majoritairement automobile de la place devient obsolète. La géométrie centrée de la place est asymétrisée, l’infrastructure urbaine est recomposée pour redonner un espace au piéton. La place s’adapte à la tendance grandissante de la piétonnisation, qui court dans les villes contemporaines1, mais sans évincer radicalement la voiture. Ce projet a été la source de nombreuses concertations et débats pour définir des enjeuxPiétonisation communsdeetlanécessaires. L’ambition place était alors deBoulevards réaliser unà double projet sens unique qui réponde aux enjeux de chacun. « Il y a eu énormément de choses de faites, un peu dans la

Création la nouvelle place de la République ion du monument de de la République Création de la nouvelle place de laun République surenchère. C’était peu de reflet de la préoccupation de la DVD

de bien faire, car c’était leur seul gros projet, [...] le projet phare de la mandature de Delanoë allait être ce projet-là. Il y avait une pression et des enjeux. »2

?

La place et son infrastructure sont reconfigurées. Elle 2013 réintègre une échelle 1883 piétonne.

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Réaliser une place « de tous les possibles » c’est aussi faire en sorte que cet espace réponde aux usages changeants et s’intègre le plus durablement possible dans le temps.

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1 PANERAI, Philippe, Paris Métropole, formes et échelles du Grand Paris, Editions de la Villette, Paris, 2008, 2013 p.198. Philippe Panerai décrit en 2008 une nouvelle place piétonne à Hammersmith à Londres. En 2014, Times Square à New York se vide de ses voitures et fait place à l’évênement. 2 Suzel Balez, Bazar Urbain, interview du 27 novembre 2013 à l’ENSA-V

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2.2 Analyse des points de vue des acteurs, regards croisés Le piéton a un regard sur son environnement perçu qui est personnel et qui lui permet de se repérer. Lors de son parcours il est confronté à des conventions. Ce sont les conventions de l’aménagement auquel le piéton est habitué ou non. Le piéton interroge ces repères normés : « Est-ce que je peux traverser ? Est ce que je peux prendre cette voie ? ». Il s’y adapte : « Je vais attendre au passage piéton ». Ce contexte auquel il s’adapte est dessiné par les concepteurs du lieu, et pensé par des acteurs qui jouent «[...] un rôle de régulateur global»1. Comment ont-ils pris ces décisions ? Les acteurs ont-ils anticipé des usages ? Ont-ils suivit une tendance amorcée, une norme ? Il semble nécessaire, du point de vue de la méthode, de lever «l’ambiguïté due à la confusion entre les moyens spécifiques des analystes (architectes, urbanistes) et à la perception de la ville par ses habitants [...] »2, avant de poursuivre notre recherche sur le terrain. Nous allons présenter les différents corps de métier ayant un regard sur le projet selon leur mode de représentation de l’espace. Nous porterons une attention particulière aux intentions qui fondent leurs propos. 1 JOSEPH, I., GRAFMEYER, Y., L’école de Chicago, naissance de l’écologie urbaine. Flammarion, 2009 (1979). p.15 2 PANERAI, P., DEPAULE, J.C.,DEMORGON, M., Analyse urbaine, Ed. Parenthèses, 1999. p.135.

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Représentation en plan, perception de la grande échelle de projet infra-structurel La ville _ Direction de la Voirie et des déplacements (DVD), Mairie de paris Hélène Driancourt, chef de projet de la DVD et Julie Roussel, sociologue psychologue de la DVD

Zones 30 existantes

« On prend l’espace public comme un système. Il y a une inflexion interne à la DVD qui tend vers des projets tels que Paris piéton avec d’autres directions de la Ville de Paris et de nombreuses concertations » « A travers cette démarche on cherche à inciter les gens à marcher davantage. Nous repérons les aménagements décourageants et incitatifs [...] Notre méthode est transversale et participative. Nous élaborons une sorte de cahier des charges du confort piéton afin de rééquilibrer l’espace public en faveur du piéton. »

Extensions de zone 30

« C’est plutôt la RATP qui étudie les flux. Nous étudions surtout les vues du piéton dans l’espace public et sa situation de séjour plus que de trajectoire. Dans le cas de la place de la République c’est le collectif du Bazar Urbain qui s’est chargé de cet espace. » « La notion de flux piéton est différente de celle de l’espace public partagé, que nous étudions ici et qui traite plutôt de renverser la tendance voiture/piéton. » Hélène Driancourt et Julie Roussel, Direction de la Voirie et des Déplacements de la Ville de Paris, interview du 13 novembre 2013.

Zones 30 existantes et extensions

La rue en partage

Illustration BMB (d’après la Ville de Paris, DVD)

Chaque corps de métier a un point de vue sélectif de l’espace qu’il conçoit. Ce point de vue sélectionne ce qui dans l’espace urbain concerne le projet à concevoir. Dans le cas de la Ville de Paris, il y a plusieurs domaines concernés. Afin de créer l’espace de la place de la République, la Ville de Paris nécessite d’une diversité d’acteurs et d’une gouvernance de projet complexe.1 Cette complexité de l’organisation institutionnelle de Paris se retrouve dans la diversité des approches de l’espace urbain. Nous avons rencontré quelques acteurs pour comprendre le système. Nous avons relevé principalement une grande diversité des points de vue au sein des même services. 1 TERRIN, Jean-Jacques, Op. cit.

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Évolution annuelle de la circulation dans Paris Une infrastructure urbaine, flux avant Illustration BMB (d’après la Ville de Paris, DVD) intra-muros sur le réseau instrumenté Illustration BMB (d’après la Ville de Paris, DVD)

Une infrastructure urbaine, flux projetés Illustration BMB (d’après la Ville de Paris, DVD)

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Une infrastructure urbaine, flux projetés Illustration BMB (d’après la Ville de Paris, DVD)


Espaces civilisés et couloirs de circulation protégés

Illustration BMB (d’après la Ville de Paris, DVD)

Lieux d’expérimentation des nouveaux marquages au sol à Paris Illustration BMB (d’après la Ville de Paris, DVD)

La structure responsable des espaces publics de Paris est organisée en différentes directions : la Direction de la Voirie et des Déplacements, la Direction de l’Urbanisme, des Espaces Verts et de l’Environnement, de la Propreté et de l’Eau. Cela complexifie les points de vue sur l’espace public et diversifie les compétences. L’ Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) est, quant à lui, une association à but non lucratif contribuant à élargir la politique parisienne à l’échelle de la métropole. Chaque secteur possède ses traditions et chacun porte un regard sur les projets, s’y ajoutent les points de vue des municipalités, des services de l’Etat, des opérateurs et des citadins qui participent à des associations, des concertations, ou des conseils de quartier. Le point de vue de la Ville de Paris repose sur une conception plus statistique que qualitative. Il est fondé sur des données chiffrées mesurant ce qui peut l’être, tel les flux (motorisés), les expositions (au bruit, au vent, au soleil), la structure sociale et spatiale (démographie, emploi, commerce, etc.). Pour mesurer des caractéristiques plus sensibles de l’espace urbain, les outils s’amenuisent. Il s’agit des flux et des usages piétons. La question du piéton au sein de la Direction de la Voirie et des Déplacements est un question récente, qui date d’il y a un a un peu plus d’un an1. Elle concerne un secteur de la Direction particulier qui est l’Agence de la Mobilité. Ce secteur développe un point de vue tout à fait différent qui permet de mesurer ce qui ne l’était pas, ou tout au moins de l’approcher. Ces outils utilisent des méthodes d’enquête, qui intègrent des psychologues et des sociologues au sein du service ainsi que des équipes de simulation virtuelle. Les élus portent leur regard sur une échelle plus grande de la ville. Ils ont un « regard distancié et prospectif »2 : « fermer la circulation d’un côté et la reporter sur l’autre, c’est une perspective […] intéressante […] on va participer de manière cohérente à continuer à réduire la place de la voiture dans la ville »

Lieux de création de zones de rencontre

Illustration BMB (d’après la Ville de Paris, DVD)

1 Julie Roussel, psychologue sociologue, Direction de la Voirie et des Déplacements de la Ville de Paris, interview du 13 novembre 2013. 2 BAZAR URBAIN, Place de la République en marches, Mairie de Paris, février 2009

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Éléments de repère lors d’un passage à travers le «flipper» des Halles Illustration BMB

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La RATP Valérie Geburtig, chef de projet de la RATP, responsable du projet RATP des Halles Comment avez-vous procédé pour aménager les nouveaux espaces de la gare en fonction des flux anticipés ? «Nous avons procédé à un comptage des flux au niveau de la gare que nous avons utilisé au départ pour un logiciel de simulation virtuelle de flux. Celui-ci nous a confirmé ce que l’on pensait déjà, et nous avons retrouvé les points de congestion connus. Nous avons agrandi les espaces au niveau de ces points de congestion. » « Le point négatif est que les gens se perdent. Même les habitués s’aident de la signalisation pour s’orienter» « On a proposé un agrandissement de la salle basé sur les flux et des signalisations plus organisées. » « Dans la salle on dégage 200 mètres de visibilité. La forme rectangulaire de la salle devient évidente, ce qui est un repère nécessaire pour l’orientation des voyageurs. Le manque de visibilité est inconfortable. Comme repères visuels nous mettons en place un mail commercial, un système de repère droite/ gauche en plus du carrelage rouge/bleu. Les totems restent ronds pour les flux. Ça élargit l’angle de vision, facilite les croisements. C’est une norme de dés-enfumage aussi. » « Nous organisons les secteurs à l’aide de logos, de couleur et de temps de parcours. Ce système est fait de telle sorte à inviter les gens à sortir et à marcher vers leur destination en surface au lieu de suivre aveuglément les signalisations de sortie. Nous ajoutons à cela également les orientations nord/sud/est/ouest qui nous semblent plus pertinentes que Rambuteau/Berger/Lescot» « Les calculs d’évacuation sont les principaux facteurs d’anticipation des flux. » Valérie Geburtig, chef de projet à la RATP, entretien téléphonique du 22 novembre 2013

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Valérie Geburtig nous décrit ainsi les aménagements concernant l’optimisation des flux dans la salle d’échanges des Halles. Cela nous donne une bonne approche des recherches de la RATP. Au sujet de la place de la République les services techniques de la RATP nous ont dit : « On a ici 15 000 voyageurs par jour qui fréquentent la station République. 15 000 voyageurs, c’est une petite ville. Je pense que l’on a plus de monde sur l’accès principal, là, parce qu’on a la salle de billets. »1 Selon la DVD, la RATP est un exemple en ce qui concerne la gestion des flux piétons, des techniques de signalétique et l‘orientation2. Ils font appel à des techniques plus avancées de repérage des mouvements piétons pour optimiser leurs parcours et le service. Les espaces sous-terrains de la RATP sont optimisés pour la circulation, en allant au plus efficace nous confirme Valérie Geburtig au sujet des de la salle des échanges des Halles sur laquelle elle travaille. Nous prendrons ainsi le temps d’étudier le champs de la simulation virtuelle.

1 BAZAR URBAIN, Place de la République en marches, Mairie de Paris, février 2009 2 Hélène Driancourt, Direction de la Voirie et des Déplacements de la Ville de Paris, interview du 13 novembre 2013.

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Représentation en trois dimensions, petite échelle de projet Les chercheurs en simulation Le LIP6 à Paris et le LIMSI à Orsay Nicolas Sabouret, chercheur en intelligence artificielle, Frédéric Vernier, chercheur en interaction homme-machine Comment la simulation artificielle peut-elle anticiper des flux réels de la place de la République ? « Chez nous il y a deux secteurs : l’I.A. et l’I.H.M. L’I.A. C’est le secteur d’intelligence artificielle qui élabore des simulateurs de décision multi-critères. L’I.H.M. est le secteur de recherche Interface Homme Machine qui concerne par exemple certains logiciels GPS. En trois mots nous nous divisons entre l’édition, la navigation et la visualisation. Dans la simulation multi-agents, les agents décident les uns les autres et s’adaptent progressivement aux contraintes. C’est l’exemple du périph’. Nous avons fait une simulation où chaque agent s’engageait sur le périph’ en même temps car ils avaient les mêmes horaires de travail. Petit à petit le trafic est plus fluide car les travailleurs s’arrangent pour éviter les heures de pointe. Les conducteurs adaptent leurs habitudes pour qu’elles soient plus compatibles avec celles de leur environnement. » « Il y a des processus de décision individualisés et des processus de décision centralisés. Les décisions sont liées à l’activité. On pourrait imaginer une étude de l’impact de l’aménagement sur le comportement en générant des population d’usagers. » Fréderic Vernier me montre son travail cartographique sur Paris qui permet de visualiser les sites les plus accessibles ou desservis de Paris en fonction d’un ensemble de facteurs dont la place de la République : «La carte retient plusieurs facteurs qui sont les lignes, les positions géographiques, les stations vélib’, les limites, les degrés de discrétisation de la surface. Pour chaque point, il y a une moyenne pondérée de ces facteurs. Chaque point a un repère x,y et une valeur pondérée. » Nicolas Sabouret, chercheur en intelligence artificielle et simulation multi-critères et Frédéric Vernier, chercheur en interaction homme-machine, interview du 14 novembre 2013, au LIMSI à Orsay.

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Il est nécessaire d’expliciter ces propos : Les maquettes de simulation urbaine représentent les processus et les interactions dynamiques d’une ville. Les modèles théoriques et mathématiques ont été longtemps utilisés afin de réduire la complexité urbaine et de transmettre une compréhension claire et concise de la ville. Cependant depuis les premiers efforts de développement de modélisation urbaine de nombreuses critiques se sont attaquées à la viabilité de tel modèles comme en 1973, Douglas B. Lee Jr qui exprime à travers son article Requiem for Large Scale Urban Model, le manque de théorie, de moyens informatiques et de données ainsi que le manque de théorie du comportement. Les chercheurs en intelligence artificielle ont une approche de l’espace urbain très liée à l’usage et au sein de laquelle le contexte visuel n’a que peu d’importance. Le contexte n’est d’ailleurs matérialisé que pour être rendu intelligible pour les clients. Le travail de ces chercheurs consiste essentiellement à simuler l’espace urbain au préalable des projets pour montrer leur faisabilité ou la discuter. Il se doivent donc de représenter l’espace urbain au plus proche de la réalité pour que leurs résultats soient crédibles. Il est donc assez facile d’observer cette réalité à travers leurs simulations.

Interaction des modules sémantiques et décisionnels des agents Travaux du LIP6, K. Harkouken

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Les chercheurs et ingénieurs du Laboratoire d’Informatique de Paris 6 de l’Université Pierre et Marie Curie à Paris nous présentent leurs travaux de simulation virtuelle de la ville. Nous allons expliciter tout d’abord leur méthode : Leur objectif est de modéliser les données sémantiques d’un environnement virtuel urbain. D’une part sont répertoriées les informations sémantiques de l’environnement virtuel appelé module sémantique. D’autre part il y a un module de décision. Il utilise les données relevées par le module sémantique et il choisit en conséquence l’action des agents. En d’autre termes il s’agit de repérer les éléments connus de l’environnement, leur signification. L’action des agents est établie par rapport à ces repères. Ces interactions permettent de simuler la ville virtuelle voulue. La question intéressante est de savoir quels objets de l’environnement urbain utiliser pour réaliser une action donnée. Dans l’environnement virtuel en effet, les objets sont substitués par des données sémantiques qui représentent des fonctions et des types d’utilisation de l’objet. Ainsi les chercheurs partent


du principe que chaque objet de l’environnement propose plusieurs services, contraintes d’utilisation et de disponibilité. Il y a au sein des laboratoires de recherche plusieurs secteurs de recherche. Chacun apporte une nouvelle richesse à la définition de leur monde virtuel. Les laboratoires en intelligence artificielle du LIP6 de l’Université Pierre et Marie Curie s’intéressent à la conception de systèmes intelligents. Les agents ne connaissent pas la carte. Ils peuvent, des plus simples aux plus complexes, avoir une capacité d’apprentissage ou non. Les agents simples gèrent des trajectoires d’un point A à un point B selon, le plus souvent, la géométrie d’une ligne pré-établie. Les agents plus complexes peuvent reconnaître des images (par des systèmes RGD ou pixels), et accordent des valeurs différentes à plusieurs types d’action. Ils ont des « jauges » émotionnelles qui leur permettent de hiérarchiser leurs actions grâce à une valeur située entre 0 et 1. Ils peuvent gérer et planifier un emploi du temps. Les critères importants pour élaborer le modèle d’une place sont la géométrie, la taille de la place ainsi que la taille des bâtiments et les façades. La place devient une surface navigable. Les façades seront bientôt relevées par reconnaissance automatique. Pour se déplacer les agents utilisent le système de pathfinding entre les points A et B sur une surface navigable qui sera soit un ensemble de lignes ( la route devient une arête comme sur Googlemaps ou GPS ) soit une surface quadrillée ou triangulée. Ce sont les graphs (de grande échelle) ou les navmesh (de petite échelle). Ces triangles sont plus ou moins grands en fonction de la précision nécessaire à un point précis de la carte. Structure navigable de la simulation de la place de la République travaux du LIP6 et du LIMSI

Il y a trois échelles d’étude : l’échelle macro, micro et méso. L’échelle macro est la grande échelle de déplacement : elle utilisera le graph et gère les grands flux. Le macro organise les agents en groupes. Le micro est la petite échelle qui sert à gérer chaque agent individuellement. L’échelle méso est entre les deux premières. Elle sert à simuler des espaces comme les gares où les déplacements se font à plusieurs échelles différentes, entre les flux de trains et de personnes.1

1 Toutes ces informations sont tirées d’interviews et de visites de laboratoires des chercheurs du LIP6, Corentin Deluce, Kenza Harkouken et leurs associés qui ont eu lieu en octobre et novembre 2013.

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Les équipes de concertation Bazar urbain et ville ouverte Suzel Balez, architecte et associée de l’équipe de concertation Bazar Urbain Avez-vous, suite à la concertation, imaginé une forme de projet ? «Notre but du jeu c’est de faire ressortir les enjeux, on ne fait pas le projet, ça nous arrive de faire des propositions de phasage […] Beaucoup d’architectes auraient pu arriver aux mêmes résultats d’enjeux avec de l’intuition, nous on met la population en projet.» « Dans le processus de mise en projet, les gens sont toujours conscients, c’est rare que les gens voient l’aménagement urbain avec seulement le petit bout de leur lorgnette, la plupart du temps ils sont conscients que leurs besoins ne sont pas forcément les besoins des autres. Mais quand on met en regard les paroles des autres c’est déjà très riche et c’est déjà mettre en projet. On a déjà beaucoup de fois débloqué des situation qui étaient bloquées administrativement juste parce qu’on a permis aux uns et aux autres de s’apercevoir du point de vue des uns et des autres. […] C’est une mise en projet […] Ce n’est pas unidirectionnel, ça se répond. » Quelle importance a l’étude du piéton dans l’élaboration d’un projet urbain ?

«Douze marches sur la place»

Illustration BMB d’après le livret République de Bazar Urbain

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«C’est des choses qui vont évoluer dans le temps, parce que pour l’instant les ingénieurs, parce que c’est des services où il n’y a quasiment que des ingénieurs, travaillent pas tellement sur cette question en soi, c’est en ce moment que ça devient émergent, la marche en ville, les enjeux de santé publique, etc et d’ailleurs pour moi les architectes ont vraiment une carte à jouer. C’est à dire par exemple au Canada, ils ont une approche santé publique du déplacement piétonnier qui devient réglementaire et ridicule. C’est magnifique que le trottoir fasse bien cinq mètres et demi et que le poteau soit bien au bord du truc mais ça fait des espaces qui sont peut-être un peu plus praticables mais ils sont tellement ennuyeux que personne n’a envie d’y marcher, donc c’est contre productif par rapport aux enjeux qui sont de vouloir favoriser la marche en ville»


« Ce lieu particulièrement n’a ni une échelle locale ni même une échelle parisienne, il a aussi une échelle internationale, le fait qu’il y a les manifs, que les réfugiés du monde entier y échouent, ça fait partie des connections de ce lieu . On part toujours de l’usager, du parler de l’usager, c’est notre ciment.» Comment arrive-t-on à montrer tous les types de cultures et d’usagers qu’il y a sur une place ? «On a fait des marches plutôt thématiques, d’habitude on préfère mélanger les gens, mais le problème c’est l’accès à la parole. Ce qui est intéressant dans le fait de parcourir le terrain c’est qu’on fait tomber beaucoup de discours convenus. Souvent les élus, les techniciens ne fréquentent pas forcément les lieux sur lesquels ils travaillent. […] La problématique dans nos démarches toujours in-situ, c’est justement de faire que le site, à un moment donné il déborde tous les préjugés et toutes les idées préconçues que vous pouvez avoir et il est fort par l’expérience même que vous êtes en train de vivre » Suzel Balez, Bazar Urbain, interview du 27 novembre 2013

Le point de vue sur l’espace public des équipes de concertations est celui de la marche et de l’usage. La question de l’orientation dans l’espace public structure fortement leur approche : « un enjeu dans la place de la République c’est être capable de s’orienter parce que c’est un lieu où l’on se perd..». Les équipes de concertation travaillent à toutes les échelles. Elles questionnent une diversité d’acteurs autour d ‘un même lieu : « on a permis aux uns et aux autres de s’apercevoir du point de vue des uns et des autres. […] C’est une mise en projet »1

1 Suzel Balez, Bazar Urbain, interview du 27 novembre 2013 à l’ENSA-V

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Les comités de quartier et les employés des services techniques Au sein du département des déplacements et de la voirie, il y a d’une part les services techniques et d’autre part les élus. Les employés des services techniques ont tendance à resserrer leur point de vue. Ils ont une connaissance précise des enjeux de la gestion quotidienne de l’espace public : «Les grilles d’arbres avaient tendance à bouger un peu sur cette place surtout pendant les manifestations» «En été, on a du mal à voir si c’est abandonné ou quoi par contre l’hiver on le voit, quand c’est abandonné ça pourrit tout de suite.» Les comités de quartiers, les conseils de quartiers, les associations (liées au déplacement, au handicap, à la solidarité) peuvent témoigner vécu quotidien des riverains de leur espace public. Les associations ont un regard très orienté sur ce qu’elles défendent : «Les associations de déplacement comme du patrimoine, il n’y avait que du discours convenu, au lieu de dire à un moment : « oh à cet endroit finalement ça passe assez bien ! », ce n’était que : « il nous faut des pistes cyclables ». C’est comme si le lieu n’existait pas. »1 Les chercheurs en sciences sociales

Les Halles, Paris sous sol. Flux et regards sous contrôle Photographie : Anne Jarrigeon

«Les configurations spatiales avaient une importance sur la manière dont la vie sociale allait se déployer. Je m’intéressais à la manière dont l’usager est prévu dans les programmes et les dispositifs eux-mêmes. Quel est la place du citadin, quel citadin... ? […] Dans quelle mesure on peut programmer l’usage social d’un espace ? Quel est le rôle de la programmation spatiale dans ce qui est la conformation de la vie sociale ? L’usage est une façon de prendre au sérieux le fait qu’il y a au préalable un dispositif par rapport auquel les pratiques vont se déployer et constituer une interprétation.»2 Les chercheurs en sciences sociales ont des approches orientées 1 BAZAR URBAIN, Place de la République en marches, Mairie de Paris, février 2009 2 Anne Jarrigeon, extrait de la table ronde « Aller retour sur quelques espaces public parisiens» du 3 novembre 2013.

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sur les questions de l’individu et de la collectivité. Ils portent leur regard sur les modes de vie, les usages de l’espace public et la diversité des pratiques sociales de la mobilité et des activités piétonnes3, leur mode de représentation est principalement descriptif, filmique et photographique. La presse La presse porte un regard que nous allons prendre le temps de définir également. Le journaliste s’intègre dans le lieu et l’observe, dans le cas de l’espace public, il est en position de « témoin » ou d’acteur : « ...parfois je me présente en tant qu’acteur... » «Et je me suis dit finalement je vais tenter le truc, m’installer trois jours sur la Place de la République. Ça vaut le coup de tenter. »4

Illustration de la place de la République

Le journaliste raconte, il raconte ce qui est, tel qu’il croit qu’il est, mais cherche aussi les bons personnages pour raconter son histoire, et donc transforme le lieu dans son récit. La question n’est donc plus comment on observe ce genre de lieu mais plutôt comment on le raconte.

Illustration : Adrien Collino, source : revue Snatch

3 Source : Lab’urba 4 Loïc Rechi, extrait de la table ronde « Aller retour sur quelques espaces public parisiens» du 3 novembre 2013.

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«On pouvait imaginer tout simultanément» Source : agence TVK

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Les architectes, Agence TVK

«On nous disait : « grande place, petit module » et on nous disait encore : « grande place, occupez l’espace ». Et nous, nous pensions exactement l’inverse, c’est à dire, plus la place est grande plus il faut la vider et lui donner cette sensation de très grand espace et lui donner cette sensation de très grande plate-forme, d’espace capable sur lequel on pouvait imaginer tout simultanément.»1 «Ce sont les images collectives qui intéressent les urbanistes dont l’ambition est de modeler un environnement destiné à être utilisé par beaucoup de gens.»2 Les architectes représentent l’espace dans toutes ses dimensions. Ils projettent leur image du projet sur le site. L’architecte aborde toutes les échelles, mais il a ceci de particulier qu’il met en scène une ambiance. Dans ce cadre comment cherche-t-il à anticiper les usages ? « Certes, l’architecture, l’urbanisme, posent les bases de l’utilisation de l’espace public, mais ils doivent laisser de la marge, du jeu, pour l’appropriation de ces lieux par le public. Dès lors il faut donner la primauté à la question de l’accès, et pour cela penser l’espace public au sein d’un site, d’un contexte, d’une mission [...] »3 L’architecte passe « de ce regard gratuit à un regard investigateur. Avec […] un carnet et un crayon [il donnera] de la substance aux choses observées »4, l’architecte connaît « la chair » et le « squelette ». Il est intéressant de retracer les points de vue des acteurs pour comprendre si leur angle d’approche a une influence sur celui de l’usager. Nous relèverons les enjeux généraux énumérés lors des ateliers de concertation : la volonté de concevoir une place attractive et lisible à toutes les échelles locales et métropolitaines, opérer le lien avec les quartiers environnants, favoriser un nouveau partage de l’espace public sans saturer 1 Pierre-Alain Trévelo, TVK, extrait de la table ronde « Aller retour sur quelques espaces public parisiens» du 3 novembre 2013. 2 LYNCH Kevin, L’image de la cité (1960), Dunod, Paris, 1999, p136. 3 BEJA, A. Op. cit. 4 PANERAI, P., DEPAULE, J.C., DEMORGON, M., Analyse urbaine, Op. Cit. p.13

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Ensemble des usages imaginés sur la place par les architectes, ce sont des activités de loisir, «On pouvait imaginer tout simultanément» Illustration BMB

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l’espace (il est sous-entendu ici partage de l’espace de mobilités), mettre en valeur le symbole, préserver la dimension populaire et raccrocher les îlots aux rives. Nous mettrons l’accent sur la volonté des acteurs de créer un espace plus polyvalent, permettant les usages ordinaires, sans exclure les plus démunis, en équilibrant le quotidien et l’exceptionnel.5 Comment ces objectifs ont-ils été réalisés sur la place aujourd’hui ? Comment se dessine un tel espace public aux multiples échelles de lecture? Nous allons délimiter le terrain de notre étude aux repères des usagers à l’échelle de la ville dans un premier temps. Puis nous réduirons ce périmètre à l’échelle locale de la place de la République. Nous nous intéresserons ainsi au projet de l’espace du public, à l’anticipation et à l’observation des usages en formation sur un nouveau territoire.

5 Ces enjeux sont extraits du compte-rendu de l’atelier de concertation «Réaménagement de la Place de la République» du 10 juin 2010, à la mairie du IIIe arrondissement de Paris. A cette date, le projet architectural était déjà retenu, et il était question de vérifier son adéquation avec les attentes énumérées en première phase de concertation. Les architectes étaient présents aux côtés des équipes de concertation, le gestionnaires et des élus.

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3 usages et usagers de l’espace public de la place de la République 3.1 Grande échelle d’usage d’un espace commun Flux et foules avant / Pendant / après Les mouvements de flux et de foule sont rarement représentés par les acteurs, les concepteurs et les gestionnaires de projet. Ils peuvent pourtant être simulés. Nous l’avons observé grâce aux recherches en intelligence artificielle. S’ils ne peuvent pas être mesurés précisément comme les flux automobiles, ils simulent cependant une situation la plus vraisemblable possible. La méthode des chercheurs en simulation, pour faire preuve d’un résultat le plus crédible à nos yeux est relativement simple. Elle associe le piéton à l’usage. C’est à partir de cette association qu’ils simulent les flux, les mouvements de foules et de congestion. Pour représenter les flux et la foule, nous allons associer nos observations sur le terrain aux expériences restituées par les piétons à travers leurs cartes mentales et leurs propos. Flux et foules antérieurs au projet Les flux étaient essentiellement des flux automobiles. Les flux piétons à l’emplacement de l’actuelle place étaient très réduits. Un piéton traversait la place uniquement en cas d’extrême nécessité. Suzel Balez a aussi relevé cet évitement lors de marches de concertations :

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Description de la place de la République antérieure par un riverain. Relevé de ses repères et des usages mémorisés. Carte mentale de riverain, octobre 2013.

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Suzel Balez, architecte et associée de l’équipe de concertation Bazar Urbain « Les gens nous avaient dit qu'ils fréquentaient la place plutôt les dimanches ou les jours de manif, particulièrement les riverains. Ils évitent la place, c'est pour eux un trou noir, ils y vont uniquement lorsqu'il y a moins de circulation ou pas du tout comme un jour de manif. C'est pour eux un gouffre qu'il faut contourner systématiquement car c'est un endroit désagréable, inhospitalier. »

Mme D., Commerçante pharmacienne rue du Faubourg du Temple, interview du 16 novembre 2013 “Avant les travaux la place était pour moi une place que je qualifierai d’une tristesse infinie et non pratique. A savoir que c’était extrêmement difficile en tant que piéton de la traverser, ça correspondait à une frontière entre le 11e et le 3e. Il fallait réellement passer plusieurs feux rouges avant d’arriver de l’autre côté, vous aviez des voitures qui allaient dans tous les sens. On avait pas envie d’y rester, on avait vraiment envie de s’échapper de cette place et je pense que c’était aussi bien pour les piétons que pour les gens qui avaient des voitures parce que c’était un lieu de passage. Pendant les travaux, bon ça a duré quand même un an et demi, bon, en tant que commerçante, moi j’ai eu des retombées extrêmement négatives. A savoir qu’il y a eu une baisse de fréquentation importante, si vous voulez, moi je suis rue du faubourg du temple, le début de la rue du faubourg du temple arrive sur la place,vous aviez sans arrêt des modifications de parcours piétonniers avec des barrières qui allaient dans tous les sens, l’hiver il pleuvait, il y avait de la boue, c’était le far ouest. Donc les gens qui ne connaissaient pas le quartier ne prenaient pas cette rue.»

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Les usages et usagers, flux et floules, ponctuellement localisés sur la place antérieure de la République, leurs emprises sont minimales. Illustration BMB

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L’importance de ce flux automobile a réduit la place réservée aux piétons à deux îlots centraux en autarcie des quartiers riverains. On peut noter des usages localisés, comme les aires appropriées par les sans-abris, les zones réservées aux bénéficiaires des Restos du coeur, les kiosques, les manèges, et les emprises des manifestants. La place en transition Une phase importante est l’étape intermédiaire des travaux qui ont eu des retombées sur les usagers. Elle est systématiquement relevée lors des entretiens avec les commerçants. La nouvelle place ne semble pas avoir participé à une augmentation de leur chiffre d’affaire depuis le mois de juin 2013. Leurs recettes sont les «mêmes qu’avant». Les commerçant nous parleront malgré tout systématiquement de la période de travaux. C’est ainsi que Mme D., pharmacienne rue du Faubourg du Temple a «eu des retombées extrêmement négatives. A savoir qu’il y a eu une baisse de fréquentation importante»1 . Les commerçants alentours observent globalement un retour à la normale de leurs chiffre d’affaire. Ce qu’ils observent comme changement est de l’ordre de la clientèle. « Il y a un mélange, il y a une clientèle fidèle du quartier, enfin disons habituelle, et il y a une clientèle de passage. C’est celle de passage qui manquait. Ça a été la deuxième partie. [...] Au niveau clientèle habituelle ça va, ça n’a pas changé, c’est la clientèle de passage qui a changé, peut-être un peu plus importante sur les touristes, j’ai toujours eu quelques touristes avec le canal Saint-Martin, là il y a en a un petit peu plus, on parle anglais tous les jours.» Mme D. Pharmacienne

1 Extrait de l’interview Mme D., Commerçante pharmacienne rue du Faubourg du Temple, interview du 16 novembre 2013

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Deux types de trajectoires aujourd’hui : traverser et contourner. Illustration BMB

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Analyse des trajectoires

La place attire les habitants de l’ensemble de Paris intra-muros depuis qu’elle a une valeur d’usage et non plus que de passage. Illustration BMB

La restructuration de la place favorisant le piéton a un impact sur les trajectoires des riverains des quartiers environnants. Nous avons relevé quelques trajectoires antérieures et actuelles des piétons de passage sur la place. Monsieur X, aujourd’hui emprunte la place quotidiennement pour aller du Marais à Belleville en passant par la rue Vieille du Temple, la Mairie du IIIe et le Square du Temple. Auparavant, il allait à Belleville en passant par la rue des Filles du Calvaire. Autrement dit, l’ouverture de la place piétonne change les habitudes de trajectoire. Ces trajectoires s’effectuent pour le piéton selon le même principe de succession de «bornes» que la personne aveugle2. La place qui était un centre de convergence et de connexion infrastructurelle, adopte le même statut pour le piéton. Elle est aussi un lieu de destination à l’échelle de Paris. L’espace public de la place de la République attire les parisiens de quartiers plus lointains depuis qu’elle a acquis un usage propre. La place de la République est un repère de la carte mentale du promeneur riverain et parisien à l’échelle de la ville.3 Ce centre, qui est un centre secondaire au centre géographique de Paris, est le «noyau qui polarise les flux, que ce soit pour les déplacements de travail, ou pour ceux qui sont voués au loisir.4» Monsieur X décrit son trajet ainsi : «Marais-Hôtel de Ville -rue Vieille du Temple-rue du journal Libération-Mairie du IIIesquare du Temple-Belleville», voir également dessins en annexes. 3 Nous verrons ensuite quels sont ses outils, pour se situer et s’orienter, une fois au sein du repère urbain qu’est la place. 4 CLERVAL, Anne. Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale. La Découverte. Paris. 2013. p.119

Les trajectoires des piétons décrivent un périmètre d’attraction autour de la place. Illustration BMB

Avant Après

Pour les habitants des quartiers limitrophes la place devient un nœud repérable dans leur parcours. Illustration BMB

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Séjour 16h

Séjour 18h

Illustration B. Baudinière_octobre 2013

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Séjour 20h

Séjour 21h

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Plage horaire d’occupation de la place au cours de la journée en fonction des différentes catégories d’usagers1. Illustration BMB

En semaine

Le week-end

1 Ces catégories d’usagers ne sont pas exhaustives et peuvent se croiser. Un usager de la place peut appartenir à deux ou trois catégories : riverain de Belleville, skateur et consommateur en est un exemple, jeune riverain du quartier Temple en est un autre.

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«Peu à peu la foule augmentera, et tous se demanderont l’un à l’autre ce que l’on regarde» Louis Sébastien Mercier dans Paris/Babel sous la direction de David Mangin, 2013.

Analyse de répartition des foules Une journée d’observation de terrain permet d’évaluer la fréquentation spatio-temporelle des différents espaces dont la place est constituée. Nous avons évalué ces répartitions à l’aide d’une classification préalable des usages. Les usages observés sont liés tout d’abord à deux catégories, celle du passage et celle du séjour. Nous avons déjà identifié les traversées piétonnes qui sont similaires aux trajectoires des vélos, autorisés sur la place. Intuitivement les activités semblent se répartir spatialement. Les usages se sont implantés très tôt à l’ouverture de la place. Ils ont conservé et ils conservent toujours aujourd’hui leur territoire. De toute évidence il arrive que ces territoires se chevauchent, il y a toujours des exceptions. Ce que nous observons ici est la tendance générale. Parmi les usagers, il y a le citadin éloigné et les riverains. Le citadin éloigné est le parisien ou l’habitant métropolitain qui vient sur la place avec un objectif d’usage spécifique : il vient faire du skate, faire des courses à Gosport, donner rendez-vous à un ami au café des Mondes et Médias. Il peut aussi simplement traverser la place et y séjourner comme une halte sur son parcours. Le riverain est celui qui va traverser la place tous les jours, il n’y fera pas forcément de halte. Il vient sur la place en fin de semaine, la place est pour lui un square de quartier. Les usages spécifiques que l’on trouve sur la place et dont on observe des emprises pérennes sont ceux liés aux activités sportives, au jeu, à la manifestation au rendez-vous et à la discussion de groupe. Les emprises liées au repos, le temps d’une pause, sont éphémères. Nous observons que ces usages se regroupent dans le temps le weekend, surtout le dimanche après-midi. 18 500

19 000

14 000

8 500

Comptage des piétons sur la place par heure le 11 septembre 2008.

8h

13h

18h

20h

Illustration BMB, d’après l’APUR

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Perception du dÊgagement de la place depuis les axes de la place reliant les points de repères principaux Illustration BMB

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Repères et points de vue sur la place de la République

Belleville

La place de la République est donc un centre secondaire au centre géographique de Paris. Elle est un repère urbain, au carrefour des axes et des accès qui mènent à d’autres repères et connexions. Ces grands axes qui orientent les trajectoires traversent la topographie du site avec rigueur ce qui diversifie les points de vue que l’on peut porter sur le centre. Quelle image a-t-on de ces grands axes sur le terrain? Quelle perception a-ton de cet espace commun depuis les quartiers alentours ? La statue est l’expression d’une centralité. Son orientation vers le centre de Paris indique au promeneur sa position géographique relative. La perception du dégagement à la fin de chaque axe laisse deviner également une centralité, cette fois par le vide. Le promeneur peut s’orienter par rapport à celui-ci par la direction des bâtiments vus en perspective en fond de scène. Chaque porte d’entrée sur la place depuis les quartiers riverains constitue un point de vue.

Temple

Barbès

Gare de l’Est

Filles du Calvaire

Nation

Perception d’un centre

Bastille

Porte Saint Martin Château d’eau Porte Saint Martin

Parmentier/ Oberkampf

Quatre grands axes de repère traversant la place Illustration BMB

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« La ville de Paris n'a fait qu'accompagner le truc [le mouvement gentrificateur], il n'y a rien d'innovant […] faire du vide à la rigueur mais c'était déjà du vide, c'est toujours plus joli mais est-ce que ça change vraiment la nature du quartier du territoire, non […] et si oui effectivement ça a un peu changé notre espace de vie et bien moi je retourne la question : « au service de qui ? » « Les lignes elles bougent tout le temps, la question c'est : au service de qui ? » Point de vue sur le projet d’un libraire de Belleville

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Contextualisation sociale de la place de la République La place de la République en tant que centre ne fait pas intégralement partie d’un quartier, on parle du pôle République. Elle est au croisement de trois arrondissements, le 3e, le 10e et le 11e. Elle est au carrefour de plusieurs quartiers et micro-quartiers : le quartier des Arts et Métiers, le quartier de la Porte Saint Martin, celui de l’Hôpital Saint Louis, du faubourg du Temple, du canal Saint-Martin, de Saint-Marthe, du BasBelleville. Le tissu est plutôt ancien, avec des bâtiments de type faubourg et haussmannien dont la qualité est inférieure à celle des bâtiments des quartiers du Marais. Les quartiers sont plus dégradés au Nord-Est de la place ; au Sud et à l’Est du 10e arrondissement. Ils sont globalement marqués par une population jeune. La taille moyenne des ménages n’est pas homogène de part et d’autre de la place. Entre le boulevard Saint-Martin et la rue du Faubourg du Temple les grandes familles sont plus nombreuses qu’entre le boulevard du Temple et la rue du faubourg du Temple. Au sud elle est similaire à la moyenne parisienne (1.87). Ce n’est pas le cas des quartiers de Belleville, dans l’axe immédiat de la place et dont la taille des ménages est une des plus importantes de Paris. Plusieurs dominantes simultanées de catégories socioprofessionelles sont présentes autour de la place et dans les quartiers qui la bordent. C’est une zone de répartition homogène prise en étau entre les quartiers du Marais et de Belleville dont les dominantes socioprofessionnelles sont opposées. La place est aussi une connexion entre les quartiers de Paris aux origines les plus diversifiées. A Paris, en moyenne, la part de population étrangère par rapport à la population totale est de 14.5%. Autour de la place est de 18.3% dans le 3e, de 17.2% dans le 10e et de 16.5% dans le 11e. Le maximum est de 19% au Sud-Est du 10e arrondissement, au Nord du boulevard Saint Martin et au Nord Est de la rue du faubourg du Temple jusqu’aux quartiers de Belleville à la forte dynamique d’immigration. L’ensemble des études démographiques autour de la place montrent qu’elle est une rotule entre des quartiers aux catégories socioprofessionnelles et culturelles diverses et à proximité de spatialités immigrées qui se recomposent périodiquement. C’est cette diversité de population qui se rencontre sur la place de la République, lieu de rassemblement cosmopolitain. Cette diversité et ces dominances démographiques multiples


peuvent être regardées d’un autre oeil. Affirmer plusieurs dominances c’est également montrer qu’il n’y en a pas, que ces données démographiques souples sont propices au changement et à l’évolution progressive. La cohabitation des multiples catégories socioprofessionnelles associée au tissu ancien et en mauvais état, qui caractérise ces quartiers de faubourg, c’est laisser entrevoir la gentrification du quartier qui ne s’est pas fait attendre. La taille des ménages est globalement peu élevée comme nous l’avons dit, et globalement en baisse1. Selon Anne Clerval, les ménages sont les principaux acteurs de la gentrification à Paris , «comme à la fin des années 1970 autour de la rue Daguerre, ceux qui s’installent [...] dans le faubourg du Temple vingt ans après cherchent à concilier deux priorités ; habiter Paris et trouver un logement abordable [...] le choix du quartier étant secondaire»2. Ce phénomène de gentrification est lié au renouvellement des commerces et notamment des cafés dans ces quartiers. Autour de la place de la République, les cafés étaient déjà nombreux. Il y a toujours eu d’ailleurs, comme nous l’avons vu, une tradition de sortie et de loisir autour des Grands Boulevards, mais leurs patrons se renouvellent et s’adaptent aux nouveaux habitants à la recherche d’une image décalée et hybride. Cette reconversion du quartier est à l’échelle du logement et des commerces une confrontation de territoires : «ces quartiers immigrés représentent un contexte local perturbateur face aux facteurs structurels de la gentrification [...] dans ces quartiers, la concurrence entre les dynamiques d’immigration et de gentrification se marque dans la spécialisation très locale de commerces.»3 Cette confrontation de territoires est très lisible dans l’enchaînement des enseignes depuis la place, le long de la rue du faubourg du Temple jusqu’au boulevard de Belleville. On y observe cette «hétérogénéité sociale à l’échelle micro locale»4 qui divise la fréquentation des commerces selon les heures de la journée. Qu’en est-il de l’espace public que nous avons décrit jusque là, de ce lieu de rassemblement commun ? Comment la complexité de ce quartier parvient-elle ou non à y cohabiter ? 1 APUR, Projet d’aménagement de la place de la République, Ville de Paris, 2008. 2 CLERVAL, Anne. Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale. La Découverte. Paris. 2013. p.102. 3 Ibid. p.126-27 4 Ibid. p 130

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«La ville est ce milieu particulier qui, loin de contraindre les individus à s’y adapter, suscite les excentricités [...]. C’est précisément cet éclatement de la ville en micro-sociétés qui est à l’origine de son attrait, puisqu’il assure à tout individu la possibilité de trouver quelque part son milieu» Isaac Joseph et Yves Grafmeyer, L’école de Chicago, naissance de l’écologie urbaine. Flammarion, 2009 (1979). p.14

3.2 appropriations de territoires par l’usager

La confrontation des territoires est facilement lisible dans l’espace de la rue du faubourg du Temple, où les enseignes s’enchaînent jusqu’à Belleville. Nous pouvons y lire les différentes cultures qui se côtoient dans le même espace public de la rue. Comment cette multitude d’usagers s’approprie l’espace lorsqu’elle arrive sur la place de la République dont les usages existants ont été bouleversé par un nouveau projet? Quels les lieux de rencontre, quels espaces de stationnement improvisés vont-ils organiser dans cet espace qui n’a pas encore de marques d’usage ? «La cohabitation des différents usages et le partage des territoires ne s’effectuent pas sans heurts», nous affirme Eric Charmes1 au sujet de la chaise de café qui exceptionnellement avait été déplacée de son emprise de terrasse sur l’espace de la rue des Cascades. Cependant dans ce cas il y a déjà deux territoires définis : la terrasse du café et le trottoir du la rue. Chacun impliquant déjà un usage. Sur la place de la République où les usages ne se sont pas entièrement constitués, comment les usagers se démarquent-ils et défendent leurs espaces ? Comment les ont-ils défini et en fonction de quels critères ? Ces usages répondent-ils aux enjeux soulevés par les acteurs lors des phases de concertation ?

1 CHARMES, Eric, La rue, village ou décor ? Grânes, Creaphis, 2006, p.103.

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Les usagers venant du quartier du faubourg du Temple investissent essentiellement la plate-forme Nord de la place. Illustration BMB

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Usages et PROVENANCES Le contexte cosmopolite du pôle République induit une diversité de points de vue d’usagers en fonction de leur provenance dans le quartier. En effet : « L’expérience vécue varie également en fonction des appartenances culturelles et des positions sociales : suivant que l’on est riche ou pauvre, suivant que l’on appartient à un groupe minoritaire ou à un groupe majoritaire, suivant le parcours social que l’on a suivi, les rapports à autrui et aux ambiances de la rue ne sont pas les mêmes.»2 Lorsque nous parlons de provenance nous indiquons tout d’abord le lieu d’où le promeneur est venu pour s’installer sur la place. Nous prendrons alors deux exemples pour illustrer cette approche : les usagers venant du Sud et de l’Est du 10e arrondissement par le quartier du faubourg du Temple d’une part. Ces promeneurs font à la fois référence aux quartiers plus populaires mais aussi aux nouveaux habitants plus aisés du quartier. Certains touristes venant du canal Saint Martin sont susceptibles également de côtoyer ce terrain. D’autre part nous regarderons les usagers arrivant du 11e et du 3e arrondissement par la rue du Temple notamment. Ils nous permettront de situer globalement deux grandes emprises très distinctes que nous subdiviserons plus finement en fonction des usages par la suite. 2 Ibid. p 112

Les bancs sont des lieux de rencontre pour une ou deux personnes. Le calme n’attrait pas les grands groupes de jeunes. Illustration BMB

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Un jeune couple déjeune sur la limite que forment les marches. Illustration BMB

Une famille asiatique transforme les marches des terrasses en salon familial. L’espace public est une extension de leur espace privé. Illustration BMB

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Les usagers venant du quartier du faubourg du Temple Sur les bancs de la plate forme Nord, on y vient pour discuter en petits groupes. Les bancs sont des extensions de salon et de salle à manger. On s’y assoit en famille ou avec un ami ou deux. Les groupes y sont très restreints : Nous questionnons un jeune couple assis : «On vient ici parce que c’est plus calme, il y a moins de monde que de l’autre côté, nous avons marché depuis le canal et nous allons au Mc Do.» Un arrêt rapide sur un coin de banc, le temps de trouver son chemin Illustration BMB

En effet cette plate-forme est adossée à la Caserne qui en fait un territoire plus calme car il n’est pas à proximité des enseignes comme c’est le cas sur l’autre esplanade. De nombreux usagers des bancs sont des gens de passage qui s’y installent pour un très court terme. Le renouvellement des usagers y est alors très rapide. Toutes les demi-heures environ les personnes sur ce territoire sont remplacées. La très forte perspective créée par l’alignement des arbres oriente la trajectoire des passants qui l’utilisent comme une allée plantée.

Une limite opaque selon l’angle de vue. Photographie BMB

L’alignement des arbres forme une allée qui est suivie par les passant pour traverser l’esplanade. Illustration BMB

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PÊrimètre des usagers venant de la rue du Temple Illustration BMB

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Les usagers venant de la rue du Temple Surtout en été, le foisonnement d’activités présent sur les trottoirs Sud se retrouve sur le territoire Est de la place. Alors que l’esplanade Nord était le salon familial, la plate-forme Est et son prolongement jusqu’à la voirie prend un air de préau d’école. Il est lui-même subdivisé en plusieurs espaces d’usages différents : l’esplanade, les emmarchements Nord et Est, l’aire d’assises linéaires, et l’aire dégagée : une place dans la place allant d’une bouche de métro à l’autre.

Les marches sont une estrade pour les artistes de rue Illustration B. Baudinière

Un des principaux enjeux et attentes énumérés lors de la première phase de concertation était celui de concilier les deux échelles, locale et métropolitaine. Au niveau du projet cela s’opérait en créant un large vide au sud de la place différencié par rapport aux terrasses nord destinées à des manifestations locales. Dans la pratique l’ensemble du Sud-Est de la place tend à l’échelle métropolitaine et le Nord-Ouest à l’échelle locale. Il semblerait que le mobilier urbain favorisant la convivialité, dans le but de créer une échelle locale, profite d’avantage aux usagers de passage et que l’échelle locale s’observe d’avantage dans le détournement de l’espace prévu. L’échelle locale est perceptible par l’usage et le stationnement impromptu.

Au sud l’espace est accaparé par de plus grands groupes, plus jeunes Illustration BMB

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La trajectoire du touriste Illustration BMB

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Les usagers touristes L’usager touriste s’oriente à l’échelle de Paris en utilisant la place comme un repère important. La place est une étape sur sa trajectoire. Il vient généralement du Marais ou de Bastille et se dirige vers le canal Saint-Martin, en passant par la rue du faubourg du Temple, la rue Beaurepaire ou la rue Leon Jouhaux. Lorsqu’il s’agit de s’orienter sur la place elle-même, le passant ne fait plus appel à des repères ni de la ville, ni du quartier. Il change drastiquement d’échelle et se repère par rapport à son périmètre visuel et connu. Lorsqu’il lui est demandé de représenter les repères urbains de sa trajectoire, l’usager dessine en plan (voir carte mentale ci-contre). La représentation de ses repères à l’échelle de la place se fait pour une majeure partie en plusieurs dimensions, souvent un mélange de perspective, de plan et d’axonométrie. Parmi les éléments relevés systématiquement par les promeneurs non parisiens il y a la bouche de métro centrale et la statue. Il est étonnant d’observer que l’usager représente systématiquement également son moyen de transport.

Le touriste se fait prendre en photo

Le terrain sur lequel les usagers touristes étrangers sont observés est au sud de la statue de la République, à l’arrivée de la rue du Temple. Le rebord du bassin de la statue devient un promontoire. Les touristes s’y installent pour se faire prendre en photo. Ce qui est plus étonnant est qu’ils ne se contenteront pas du rebord du bassin. Il semble naturel de dépasser la limite du bassin d’eau pour s’élever aux abords de la statue. La hauteur du rebord qui permet à l’usager de s’asseoir devient également une marche et un prétexte pour faire directement usage du socle de la statue. Le visiteur métropolitain L’usager métropolitain est celui qui comme le touriste utilise la place pour sa valeur de repère dans la ville. Il en fait donc usage comme un point de rendez-vous. On le retrouve le plus souvent à s’appuyer sur les barrières des bouches de métro, à attendre quelqu’un, assis sur le pourtour du socle de la statue ou au café des Mondes et Médias.

Le métropolitain prend rendez-vous autour des bouches de métro.

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Les commerces de prêt à porter des 3e, 10e et 11e arrondissement attirants les riverains. Illustration BMB (source APUR)

Enseignes donnant sur la place ayant une influence métropolitaine, en rouge ceux repérés sur les cartes mentales d’usagers. Illustration BMB (source APUR)

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«Les limites sont les éléments linéaires que l’observateur n’emploie pas ou ne considère pas comme des voies. Ce sont des frontières entre deux phases, les solutions de continuités linéaires : rivages, tranchées de voies ferrées, limites d’extensions, murs.» LYNCH Kevin, L’image de la cité (1960), Dunod, Paris, 1999, p54.

Usages et territoires La provenance des usagers n’est pas le seul critère qui va nous permettre de révéler des territoires d’appropriation de l’espace. En tout cas pas pour l’instant, «il est trop tôt pour tirer des conclusions sur les usagers de la place. Les habitudes ne sont pas encore installées.1» Nous poursuivons ainsi par l’analyse des périmètres sous le prisme des usages. L’usager consommateur Il y a plusieurs échelles de commerces aux abords de la place de la République. Un premier type de clientèle arrive sur la place par le métro pour se diriger vers les petites enseignes qui longent les rues secondaires des quartiers alentours. C’est ainsi qu’un citadin arrivant de proche banlieue sortira par la bouche de métro du faubourg du temple pour se diriger directement vers les boutiques entre le canal et le boulevard de Bellevile. Un autre type de clientèle se réfère uniquement aux enseignes franchisées bordant la place. Elles sont des éléments structurants des traversées et des usages des différents territoires de l’espace public. Nous l’avons déjà observé à travers le regard posé sur la terrasse Nord. Les usagers de cet espace font référence à maintes reprises au restaurant Mc Donalds situé de l’autre côté. Cette proximité influence leur choix d’espace à utiliser sur la place. Ils se fournissent au restaurant et vont consommer sur l’espace public. Les enseignes franchisées du pourtour de la place, bien qu’éloignées de l’îlot central, en influent les usages. Les autres enseignes, non-alimentaires, ne projettent pas d’usage au delà des trottoirs réaménagés. Ceux-ci ont été pensés pour anticiper plusieurs usages simultanés : «Les trottoirs sont conçus pour permettre le voisinage d’usages différents. Ils sont composés de plusieurs parties, correspondant à plusieurs rythmes. Une première bande, le long des façades, est pensée pour la flânerie. Une seconde s’adresse à la marche plus rapide. Elle voisine la piste cyclable bidirectionnelle.»2 1 Affirmation de Philippe Chouard lors d’une entrevue à la DVD. Octobre 2013. 2 HERTENBERGER, Vincent. Extrait du compte-rendu de l’atelier de concertation «Réaménagement de la Place de la République» du 10 juin 2010, à la mairie du IIIe arrondissement de Paris.

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Les enseignes sont des destinations qui orientent les flux et déterminent l’usage des différents secteurs de la place. Illustration BMB à partir de photographies de l’APUR et de

Commerces de la place de la république Illustration BMB

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Les «parties» dédiées aux différents flux se superposent.

Sur le terrain, nous observons plusieurs rythmes piétons mais ils ne sont pas organisés. Ces «parties correspondant à plusieurs rythmes» n’organisent pas la déambulation du promeneur, au contraire, ces parcours se superposent, et se croisent. Cette foule attire, aux sorties de métro, les vendeurs à la sauvette, les marchands de marrons et les bénévoles WWF. Les cartes mentales des promeneurs indiquent clairement que ces enseignes sont devenues des repères d’importance majeure qui balisent leur parcours et le rythme.

Les vendeurs à la sauvette rôdent à la sortie du métro

Les enseignes de la place sont devenus les repères majeurs du parcours.

Carte mentale de jeune promeneur consommateur.

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Terrain protégé de la terrasse Nord.

Un père et sa fille questionnent la limite du «terrain»

Terrain Nord Ouest occupé par les familles et les enfants idéalement cerné par un alignement de bancs.

Un père et son fils se séparent à la limite du «terrain»

Illustration BMB

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Les territoires du loisir

Délimitation de l’aire protégée de la terrasse Nord : bande podotactile et marches Photographies BMB

Les usagers de ces territoires de loisirs que nous allons décrypter sont essentiellement des enfants et des jeunes, parfois de jeunes adultes. Ils donnent l’impression d’occuper la majeure partie de la place et découpent leurs terrains en micro territoires en faisant un usage très précis du mobilier urbain et du dallage. Cette catégorie d’usagers est très sensible aux lignes qui forment leur terrain de jeu et celui-ci organise leurs espaces. Les familles choisissent leurs terrains en fonction des trajectoires des passants qui traversent la place. Une mère avec ses enfants recherche des espaces calmes sans trop de passage pour garder un champ de vision dégagé. Elle cherche ensuite un espace borné, pour fixer des repères de limite à ne pas dépasser pour la sécurité de ses enfants. Elle va privilégier la terrasse Nord, qui, nous l’avions vu précédemment n’accueille que peu d’usagers. Elle s’y installe car les escaliers permettent de clore un espace jusqu’à la limite que forment les bancs et l’alignement d’arbres. Cet espace a des délimitations claires et sensibles configurées par les bandes podotactiles. Au sud le dallage du miroir d’eau délimite dans l’espace une bordure qui en fait une micro-esplanade, les familles se concentrent sur cette aire comme si elle était une pièce fermée aux murs invisibles.

Délimitation de l’aire protégée de la terrasse Nord : grille, dalle, évacuations d’eau Photographies BMB

La micro esplanade est une pièce aux murs invisibles. Illustration BMB

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Les territoires des sports de glisse Illustration BMB

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Les territoires de la glisse

Une centralité décalée.

La place de la République autorise le vélo à côtoyer les espaces des piétons. Ce ne sont pas les seuls, les sports de glisse sur la place sont extrêmement variés, ils regroupent les rollers, les patins à roulettes, les trottinettes, les skates et les bmx. Non seulement ces différents mode de locomotion doivent se partager l’ensemble des terrains propices mais en plus ils attirent un amas de jeunes qui échouent sur leur repère de prédilection: la plate-forme en bois de l’extrémité Sud Est de la place. Ils s’y attroupent jusqu’à en recouvrir la totalité de vêtements, de sacs à dos, de canettes, de paquets de cigarettes, de bières et sodas. Le repère disparaît derrière la masse humaine. Leur repère géographique est décentré par rapport à la plupart des usagers de cette place. Leur perception du centre est décalée au Sud Est de la statue.

Carte mentale d’un jeune skater.

Le repère disparaît derrière la masse humaine. Illustration BMB

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L’usager skater fait non seulement une énumération très fine des détails architecturaux et de mobilier de la place mais il leur attribue un vocabulaire propre. Chaque détail est associé à un mouvement ou à une figure et à une dénomination : manual, grind, flat et curb.

Support du curb. : un angle de la plate-forme bois Photo BMB

Les différents terrains de jeu improvisés, leurs limites, et la direction de leurs traversée. Illustration BMB

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Typologie et morphologie des manifestations Il y a une culture de la manifestation sur la place de la République qui s’est toujours révélée fortement perturbatrice : «On se mettait autour de la statue et on bloquait la circulation. Notre principe était de dire: on veut donner de la place à la manifestation et de la place qui ne soit pas sur la voirie, qu’on manifeste sans bloquer le système. Ça a été la quête...qui rencontrait la réflexion sur les usages.»1 Organisation événementielle autour de la statue

1 Pierre-Alain Trévelo, extrait de la table ronde « Aller retour sur quelques espaces public parisiens» du 3 novembre 2013.

Illustration BMB

Installations pérennes de manifestations v/s manifestations temporaires Illustration BMB

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Le mobilier dans les restes de manifestation du DAL suggèrent une installation de longue durée. décembre 2013 Illustration BMB

Une installation qui change la perception de la place. octobre 2013. Illustration BMB

Installation d’un coin cuisine pour se ravitailler pendant une manifestation pour la libération de Gbagbo. octobre 2013. Illustration BMB

Afin de prendre possession de l’espace nécessaire, les manifestants imaginent différentes «mises en scène». Plusieurs espaces de la place se prêtent à des scénarisations différentes. Un premier espace est celui bien connu où se sont installés les manifestants du Droit au Logement pendant plusieurs semaines en automne 2013. Ils étaient installés entre la chaussée et la première rangée d’arbres au sud ouest de la place, le long du boulevard. Cette installation leur permettait d’être extrêmement visibles à la fois depuis le point de vue du conducteur et celui du promeneur. En prenant cette forme linéaire, ils laissaient librement passer le flux piéton. Leur territoire linéaire s’appuyait sur les socles des arbres permettant d’arranger à l’intérieur des espaces domestiques. Cet espace domestique pouvait s’ouvrir sur l’esplanade pour organiser des rencontres et manifester plus activement. Dans ce cas leur territoire s’étirait jusqu’à la rangée d’arbres sud de la terrasse est, et accaparait alors tout passant sur cette trajectoire. Une autre scénarisation pouvait prendre place au même moment sur l’esplanade nord. En étirant leurs banderoles d’un arbre à l’autre en travers de la place, les manifestants optent pour une disposition transversale à la direction de la place. Ils font face à la bouche de métro et sont également visibles de tous les passants. Ils ne peuvent pas occuper physiquement toute cette surface, mais leur présence de part et d’autre crée un franchissement lorsque l’on passe en dessous. La plate-forme des skates peut se transformer épisodiquement en podium pour accueillir des discours. L’orateur se trouve alors face à toute la longueur de l’esplanade centrale, qui devient une très grande salle de spectateurs. Quelques manifestants préparent alors le buffet de rafraîchissements en s’aidant des arbres comme fond de salle. Le centre sensible de la place est alors entièrement repoussé jusqu’à l’embouchure sud de métro. Une mise en scène similaire existe au nord de la statue, à l’arrivée de la rue du faubourg du Temple sur la place, la légère inflexion du sol crée un parvis qui peut accueillir, de même, des discours ou des petits événements. L’installation favorise un échange moins hiérarchique que sur le promontoire. Une dernière situation est une installation faisant la circonférence de la statue et permettant une visibilité dans toutes les directions à partir du centre. 104


Appropriation de l’espace public en espace domestique Les recoins des sans-abris La manifestation est une forme d’appropriation de l’espace du public en espace public politique. Il arrive également, comme nous l’avons vu avec les manifestants du DAL, qu’ils transforment l’espace du public en espace domestique. Nous nous intéressons maintenant à d’autres typologies d’appropriation de l’espace qui donnent un caractère domestique à l’espace commun. Les sans-abris métamorphosent la place de la République en une place centrale autour de laquelle gravitent les recoins habités. Ces recoins constituent des micro-pièces de vie où sont installés méthodiquement les biens de ces usagers durablement implantés.

Les espaces domestiques dans l’espace du public : les recoins des sans abris et la cuisine des restos du coeur. Illustration BMB

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Le secteur des restos du coeur

L’espace est très organisé et divisé entre les différents secteurs de restauration. Illustration H.F. Restos du coeur, République du jeudi. 02.01.14

Les soupes populaires aménagent le secteur sud-est de la place trois fois par semaine. Les mardis, jeudis et samedis. Chaque livraison est organisée par un différent responsable qui est charger de désigner et aménager son espace de restauration. La mairie proposait trois secteurs. Le premier était au pied de la statue, le second sur la terrasse nord -ouest, le troisième à son emplacement actuel. Ce dernier a été choisi pour sa configuration spatiale. En s’installant dans cette zone de la place, les organisateurs anticipent les espaces de file d’attente, les différentes étapes de distribution et l’espace de dégustation et de rencontre. La situation en angle installe la distribution hors des trajectoires piétonnes et plus la proximité à la voirie crée une limite où stationne le camion. Les troncs d’arbres deviennent les supports de ruban de files d’attente qui cloisonnent les espaces. La plateforme en bois devient un banc depuis lequel les bénéficiaires font face à un espace commun de discussion central. Une fois encore le centre géométrique de la place est décentré au sud ouest. Une autre installation aurait été située sur la terrasse nord ouest, mais l’organisation y était plus complexe et moins conviviale. Les bénéficiaires était contraints de dîner assis sur les marches et donc de faire face à la façade de la caserne plutôt qu’à un espace partagé. Cette configuration donne lieu à des conflits d’usage, qui peuvent être parfois violents entre les bénéficiaires et les skates qui, trois fois par semaine, doivent concéder leur territoire.

Les soupes populaires reconfigurent une section du site Illustration BMB

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Retour sur les trajectoires du malvoyant Expérience de cheminement à l’aveugle sur la place de la République L’analyse de la place sous le prisme de l’usager a été menée grâce aux interview et cartes mentales effectuée sur le site afin de relever les éléments d’une place perçue en se libérant des «moyens spécifiques des analystes1». La majorité des dessins ont été réalisés au début du mois d’octobre 2013. Nous avons pu observer que ces usagers voyants représentaient systématiquement en premier lieu les éléments de leur environnement liés à une activité ou à leur mouvement: les enseignes, le café, les jeux de la ludothèque. Ils dessinent également les repères convenus : la statue. Les repères architecturaux, la géométrie de la place, et son infrastructure sont minoritairement relevés ou de manière inexacte. La géométrie de la place, par exemple, a été montrée plusieurs fois ronde ou ovale2, nous pouvons imaginer que c’est la trajectoire circulaire de son parcours sur la place qui influe son image 1 Op. cit. PANERAI, P., DEPAULE, J.C.,DEMORGON, M., Analyse urbaine, p.135. 2 Voir les dessins en annexe

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La place invisible, trajectoire du malvoyant Illustration B. Baudinière

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mentale. L’usager ne perçoit que très peu l’effet de dissymétrie de la place mais il sait qu’elle se raccroche aux îlots nord est, car cette continuité est un élément géométrique dont il fait usage lorsqu’il traverse le couloir de taxis et de bus. Nous avons réalisé une marche commentée sur la place avec Mme C.3 et M. T. Mme. C est la aveugle et M. T est malvoyant et handicapé. Il ne perçoit les sources lumineuses uniquement. Lors du parcours, il marquent les bornes des différents éléments de sol de la place qui constituent pour eux des repères utiles. La grille d’évacuation au sud est de la place est étonnamment un repère important car il est très identifiable. Les malvoyants ont aussi repéré les terrasses, non pas au toucher mais grâce au son des voix des piétons se promenant dessus. Le son leur permet également de percevoir la différence de bruit de voiture de part et d’autre de la place et donc son asymétrie. Enfin la couleur blanche du café pourrait être perceptible, mais c’est surtout sa masse qui est perçue : elle coupe à la fois du vent et du son de la voie. Les personnes malvoyantes repèrent des lignes qui forment des géométries sur la surface de sol de la place. Ces mêmes lignes ne sont pas toujours représentées par les voyants qui pourtant s’en servent pour délimiter des terrains d’usage.

«C’est le bus qui passe.» (1)

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«Il n’y a que la différence de sol, ça descend un petit peu, ce n’est plus le même sol.» (2) «On entend plus les voitures à gauche, c’est le boulevard.» (2)

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«Pas grand monde ce matin.» (5) «Ils ne les ont pas faites très claires ces bandes de vigilance, si ? Je ne les vois pas, ça dépend de la lumière, ça change chaque jour.» (5)

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Les géométries sont-jacentes de la place

Cartes mentales de malvoyants et handicapés moteurs réalisées après une marche sur la place.

3 Mme C. Est la personne avec qui nous avons déjà réalisés les expériences à Alexandre Dumas et rue de Bagnolet.

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Expérience de la structure sonore de l’espace de la place de la République L’illustration colorimétrique de la place est réalisée par un ingénieur son, qui associe une couleur à chaque type de sonorité. Les bruits de voix sont bleus, ceux de la voirie sont verts. Les bruits accidentés prennent des couleurs chaudes. Ce sont les bruits des skates et rollers notamment.

Colorimétrie des sons de la place depuis le pourtour sud-est de la statue Illustration J.S.Galvan

Nous avons réalisé avec l’ingénieur son un montage qui relève les différentes «couleurs» de cet espace urbain. Il y a une structure fixe qui correspond à quatre enregistrements des quatre côtés de la place ainsi qu’une structure mouvante composée d’un enregistrement des éléments évolutifs ( piétons, skateurs, promeneurs, manifestants, automobiles), en utilisant le principe dit de «field-recording». Ce dispositif sonore permet de varier le spectre de perception auditive de manière à recomposer l’espace représenté et reproduit de la place de la République. Ce travail1 est à écouter au casque ou sur deux haut-parleurs (en stéréophonie) afin d’entendre les effets panoramiques de la spatialisation sonore.

Plan de disposition des micros fixes Illustration J.S.Galvan

1 Enregistrement à écouter en fin d’ouvrage. Réalisé en collaboration avec J. S. Galvan, ingénieur son.

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Babel la tour ou Babel dispersĂŠe : la multiplication des usages sur une infrastructure des possibles et son nĂŠgatif

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Faire une recherche sur la perception de l’espace du piéton, c’est courir le risque d’y intégrer une part de subjectivité. Le travail d’écriture transcrit toujours un point de vue, tout comme la lecture de l’espace. C’est la raison pour laquelle nombre de documents et de propos recueillis sur le terrain y ont été intégrés. L’étude de la perception de l’espace par les malvoyants a apporté différentes échelles de lecture de l’espace et de ses repères. La personne aveugle semble se guider grâce aux lignes du paysage urbain qu’elle perçoit et qu’elle ponctue de bornes le long de son parcours. Le piéton voyant relève les mêmes lignes, mais définit davantage des surfaces dont les limites correspondent aux contours relevés par les personnes malvoyantes. Le piéton retrace ainsi les limites de son territoire en fonction de ses usages. L’évolution et le déplacement de ces limites constituent une partie des caractéristiques d’un territoire métropolitain, croisant plusieurs échelles et laissant plusieurs langages s’y exprimer. Ces lignes déterminent une quantité de terrains correspondant à des usages définis. Ces terrains sont propices à l’émergence d’activités, d’attractions et d’événements qui peuvent aussi être des repères urbains du piéton. Ces activités sont souvent imaginées en amont. Pourtant, laisser place à l’imprévu permet davantage à l’usager de définir luimême les lieux de polarité urbaine.

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Un nombre important d’études et de concertations ont permis d’évaluer les enjeux de la place de la République. Bien que la ville anticipe quelques usages en priorité, il est néanmoins complexe de répondre aux exigences de tous les points de vue. Pour nombre d’entre eux, elle leur offre simplement la possibilité d’exister sur une place dont la souplesse s’adapte à l’évolution des usages dans le temps. Cette recherche montre les lignes structurantes, permanentes et éphémères, qui permettent la flexibilité des espaces des publics. Ils peuvent ainsi former un tout ou coexister indépendamment.

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rÉférences bibliographiques

Ouvrages Jean-Jacques Terrin, Le piéton dans la ville, Marseille, Parenthèses, 2011. Thierry Pacquot, L’espace public. Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2009. Olivier Mongin. Métamorphose de l’espace public. Esprit, nov. 2012. Michèle Grosjean et Jean Pierre Thibaud, L’espace urbain en méthodes, Marseille, Éditions Parenthèses, Collection Eupalinos, 2001. Anne Clerval, Paris sans le peuple, La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013. Eric Charmes, La rue village ou décor, Grânes, Creaphis, 2006. Isaac Joseph, Yves Grafmeyer, L’école de Chicago, naissance de l’écologie urbaine. Flammarion, 2009 (1979). Kevin Lynch, L’image de la cité (1960), Dunod, Paris, 1999. Donald Appleyard, Kevin Lynch, John R. Myer, The view from the road, MIT Press, Cambridge, 1964. Edward Twitchell Hall, 1966, La dimension cachée, Editions du Seuil, Paris (2e éd. Fr. 1971) George Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Paris, Éd. Christian Bourgeois, 2000. Philippe Panerai, Jean Charles Depaule, Marcelle Demorgeon, Analyse urbaine, Ed. Parenthèses, 1999. David Mangin, Philippe Panerai, Projet urbain, Ed. Parenthèses, 1999. David Mangin (sous la dir. de), Paris/Babel, une mégapole européenne, Editions de la Villette, 2013. Rachel Thomas. Les trajectoires de l’accessibilité. Bernin, A la Croisée, Coll. « Ambiances, Ambiance », 2005. CFPSAA, Les besoins des personnes déficientes visuelles, accès à la voirie et au cadre bâti, 2010.

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Articles et publications Rachel Thomas. L’accessibilité des piétons à l’espace public urbain : un accomplissement perceptif situé. Espaces et sociétés, n°113-114, 2004. Rachel Thomas, La mobilité urbaine des personnes aveugles et malvoyantes. Document de synthèse, Institut pour la Ville en Mouvement, CRESSON CNRS UMR 1563 Ambiances Architecturales et Urbaines. 2001. Rachel Thomas, Cheminer l’espace en aveugle : Corps stigmatisé, Corps compétent, Alinéa, 2009. Anne Jarrigeon. «Beaubourg, les Halles, la Villette : comment trouver sa place ?». Esprit. Novembre 2012. Olivier Mongin. «L’espace public : au singulier et au pluriel». Métamorphose de l’espace public. Esprit. Novembre 2012. BAZAR URBAIN, Place de la République en marches, Mairie de Paris, février 2009 Loic Rechi, Nouvelle tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Revue Snatch, 2013. APUR, Projet d’aménagement de la place de la République, 2012.

Mémoires Babel Valérie Dumont sous la direction de David Mangin, Grands Boulevards, Mémoire Séminaire Babel, 2012. Elsa Nouguès sous la direction de David Mangin, Babelville, Co-habitation, Co-présence, Confrontation, Mémoire Séminaire Babel, 2011. Web Paris info : www.parisinfo.com www.groupechronos.org 118


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REMERCIEMENTS Je remercie toutes les personnes qui ont participé de près et de loin à l’élaboration de ce mémoire. Je remercie les flâneurs, les dessinateurs, les écrivains, les chercheurs, les musiciens, les ingénieurs et les architectes qui ont pris le temps de partager leurs regards. Je remercie David Mangin, pour les pistes et les ouvertures suggérées tout au long de ce travail. Je remercie Shahinda Lane pour son soutien, sa patience et ses conseils. Je remercie Pierre Alain Trévelo, Vincent Hertenberger, Anne Jarrigeon, Loic Rechi, Bernard Pothier et Suzel Balez pour leurs précieuses informations et leur participation aux tables rondes et aux entretiens. Je remercie particulièrement Chantal Colos d’avoir été un guide exeptionnel lors de nos déambulations urbaines. Je remercie aussi Pierre Pardo et Noelle Roy, ainsi que tous les membres de l’Association Valentin Haüy de m’avoir chaleureusement ouvert leurs portes au début de cette étude. Je remercie les chercheurs Corentin Deluce, Kenza Harkouken, Nicolas Sabouret et Fredéric Vernier d’avoir pris le temps de me présenter leur métier passionnant. Je remercie Julien Sanchez Galvan pour sa création sonore, son regard, son écoute, et pour l’inspiration qu’il m’a apportée. Je remercie ma famille, Bertille, Thierry, Arthur et Jacques pour toute leur énergie. Je remercie Rosalie pour sa superbe carte mentale. Je remercie Anne pour son optimisme et sa bonne humeur. Enfin, je remercie Camille, Sylvie et Guillaume pour leur précieux et chaleureux soutien.

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Tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes mots. Comme les hommes se déplaçaient à l’Orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s’y établirent. Ils se dirent l’un à l’autre: « Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu! » La brique leur servit de pierre

et le bitume leur servit de mortier. Ils dirent: « Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux! Faisons-nous

un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre. ». Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé

dit: « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises! Maintenant, aucun dessein ne sera

irréalisable pour eux. Allons! Descendons! Et là, confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. » Yahvé les

dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de construire la ville. Aussi la nomma-t-on Babel, car c’est là que Yahvé confondit

le langage de tous les habitants de la terre et c’est là qu’il les dispersa sur toute la face de la terre. autres. » Yahvé les dispersa de là sur

toute la face de la terre et ils cessèrent de construire la ville. Aussi la nomma-t-on Babel,, car c’est là que Yahvé confondit le langage de tous

les habitants de la terre et c’est là qu’il les dispersa sur toute la face de la terre // Bible de Jérusalem, Le Cerf, Paris, 1956 //Tout le monde

se servait d’une même langue et des mêmes mots. Comme les hommes se déplaçaient à l’Orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils

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la terre et c’est là qu’il les dispersa sur toute la face de la terre // Bible de Jérusalem, Le Cerf, Paris, 1956 //Tout le monde se servait d’une

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Ils se dirent l’un à l’autre: « Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu! » La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de

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Ils se dirent l’un à l’autre: « Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu! » La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de

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