

No 39 � JANVIER 2025

No 39 � JANVIER 2025
REVUE SCIENTIFIQUE DE L’AZ GROENINGE
Centre d’implants cochléaires
az groeninge : innovation technologique et médicale
Renouvellement de l’accréditation européenne OECI pour notre « Centre cancer »
Dyspnée : nouvelles ondes diagnostiques
Dr Reginald Moreels au micro de Dr Rik Demaerel
Lettre à Elise Chronique L’équipe
Le Greenhouse introduit ses projets : innovations dans les soins avec des lunettes intelligentes et SEPSIS Connect
Chère lectrice, Cher lecteur,
Le silence était palpable. Mais nous sommes arrivés à bon port avec ce numéro d’Acta. Plus complexe encore que les choses de l’état. C’est du moins l’impression qu’on a eue. Mais entre-temps, Courtrai a formé une coalition avec la femme de tête et bourgmestre Ruth Vandenberghe, la Flandre gouverne goulûment et nous observons avec méfiance le deuxième tour de manège de Trump. Paul Jambers a encore une toute petite longueur d’avance sur la réalité fédérale.
Dans cette édition, le plat principal vous est servi par le service ORL. Présentation par la chef de service Kathie Vierstraete et son équipe. Michiel Claerhout est à la tête du centre d’implants cochléaires qui regroupe Courtrai et Izegem. L’univers magique de la chirurgie endoscopique de l’oreille se glisse dans le sillage des implants cochléaires. Et une mise en bouche tout aussi innovante vous est servie par Caroline de Beukelaar (manager du Greenhouse) et son collègue en soins intensifs Wouter de Corte, tous deux très impatients de voir le prochain numéro d’Acta qui sera entièrement dédié à l’innovation et la recherche au sein du Greenhouse.
prétention avec un unique collègue et ami. Et même si Reginald Moreels a loupé de près le titre de Belge de l’année, il a quand même été reçu par le pape et nommé Commandeur de l’ordre de la Couronne. Plus qu’assez de sujets pour un entretien inspirant. Notre collègue en neurochirurgie Rik Demaerel a piégé le grand homme dans sa ville natale à Ostende.
Sur la scène internationale aussi, nous avons fait du bruit ces derniers mois. Notre accréditation OECI (cancer) a été renouvelée et juste pour votre information, l’az groeninge a été élu meilleur hôpital non universitaire par le magazine Newsweek.
« L’univers magique de la chirurgie endoscopique de l’oreille se glisse dans le sillage des implants cochléaires »
La ville de Courtrai a présenté son accord gouvernemental avec brio, notre hôpital ne veut pas être en reste. La partition de l’az groeninge sonne toutefois compliquée ; plus que jamais nous accordons nos violons avec ceux d’Izegem. Pour une sonate E-17 subtile. Vivace ma non troppo.
Beethoven l’a composé pour une femme, Elise. Nous l’avons écrit pour vous. Nous vous souhaitons une bonne lecture avec plus d’un stimulus sensoriel. Hormis le son, Al Pacino avait besoin d’odeurs.
Nous prêtons, par ailleurs, une oreille attentive à l’équipe de soins de plaie et faisons écho à notre collègue en cardiologie, Mathias Claeys qui expose son approche de la dyspnée au moyen de l’échocardiographie à l’effort. Si vous en avez déjà le souffle court et décidez de rester calme, poursuivez votre lecture, car nous vous offrons une interview sans
Alors voici une fragrance d’Acta à goûter sans modération !
Votre serviteur, Jeroen
COUVERTURE : de g. à dr. Valerie Brille, Dr Kathie Vierstraete, Dr Michiel Claerhout et Fien Dewitte
MENTION
ACTA GROENINGE Revue semestrielle qui a pour objectif de donner un aperçu des activités médicales, infirmières et organisationnelles de l’az groeninge.
COMITÉ DE RÉDACTION Dr Jeroen Ceuppens et Dr Eline Depuydt (Rédacteurs en chef), Dr Kathleen Croes, Dr Marc Decupere, Guido Demaiter, Dr Tom Moerman, Dr Hans Detienne, Stefaan Lammertyn, Silke Remmery et Annelies Feys (Coordination), Bram Claeys, Melissa Defreyne, Dr Gert-Jan Vereecke, Dr Jonas Dewulf
ADRESSE DE RÉDACTION Dr Jeroen Ceuppens, Pres. Kennedylaan 4 | 8500 Courtrai ; tél. 056 63 34 20, jeroen.ceuppens@azgroeninge.be
MISE EN PAGE SIX creative agency
PHOTOGRAPHIE Christophe De Muynck - Hervé Debaene - Kurt Desplenter
ER Inge Buyse, Pres. Kennedylaan 4, 8500 Courtrai
L’az groeninge est un membre du réseau hospitalier E17
Uitgegeven in opdracht van het wetenschappelijk comité van az groeninge
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Photo 1 : BAHA 6 Max de Cochlear, compatible avec l’implant Oticon (Source : www.hoorzaken.nl/nieuws/cochlear-baha-6-max-nieuwe-krachtigeen-slanke-geluidsprocessor/)
Une Bone Anchored Hearing Aid (BAHA) ou encore « prothèse auditive à ancrage osseux » est une solution auditive spécialement conçue pour les personnes qui souffrent d’une surdité de conduction, d’une perte d’audition mixte ou d’une surdité unilatérale. Le système transmet le son au moyen de vibrations par l’oscillateur jusque dans l’oreille moyenne, contournant dès lors la voie classique par le tympan et l’oreille moyenne. La prothèse est constituée d’un petit implant en titane qui est mis en place dans l’os crânien par chirurgie, ainsi que d’un processeur vocal externe qui capte le son et le transforme en vibrations (Photo1)
TECHNIQUE MINI-INVASIVE VERSUS TECHNIQUE CLASSIQUE
Traditionnellement, l’implantation d’une BAHA est réalisée au moyen d’une technique qui exige une incision relativement importante d’une part et le détachement de la peau du crâne d’autre part. En revanche, la technique de chirurgie mini-invasive Ponto (Minimally Invasive Ponto Surgery – MIPS) de l’entreprise Oticon applique une approche chirurgicale particulière qui, avec un ensemble d’outils spécifiques, permet de pratiquer toute l’opération par une seule incision cutanée de 4 mm seulement. Une extension de cette technique MIPS est la technique
MONO qui applique les mêmes principes, mais utilise non pas deux, mais un foret, réduisant davantage la durée d’opération.
AVANTAGES DE LA TECHNIQUE MINI-INVASIVE :
• Plus courte durée d’opération : les patients sont moins longtemps sous anesthésie.
• Moins de douleurs postopératoires : grâce à la cicatrice significativement plus petite sous la peau.
• Plus faible risque de complications : moins de risque d’infection et de problèmes osseux.
• Moins de cicatrices : la totalité de l’opération est réalisée par une petite incision cutanée par laquelle l’implant est également mis en place, ce qui ne laisse aucune cicatrice visible.
(Photo 2)
A. (Gauche) Guide synthétique placé dans une incision cutanée de 4 mm pour protéger la peau du foret. (Droite) Introduction du foret dans le guide synthétique en vue de pratiquer l’ouverture dans l’os crânien.
B. Diagramme du guide synthétique avec le foret contre l’os à travers la peau.
C. Implant mis en place avec processeur BAHA fixé (Source : https:// www. audiologyonline.com/ask-the-experts/what-mips-and-it-different-20871 en Oticon medical)
Outre l’évolution dans le domaine de l’implantation BAHA, la chirurgie endoscopique mini-invasive de l’oreille se développe, elle aussi, très rapidement. Pour parfaitement visualiser la zone à opérer sans réaliser d’importantes incisions, cette technologie a recours à un endoscope, un fin tube rigide muni d’une caméra chirurgicale.
• Meilleure visualisation : l’endoscope offre une visualisation supérieure du tympan, des osselets et de l’oreille moyenne par une petite incision seulement dans le conduit auditif.
• Moins de cicatrices : grâce à la taille moins importante des incisions, les cicatrices visibles sont réduites.
• Moins invasif : grâce au nombre de cicatrices plus restreint, la durée de l’anesthésie et les douleurs postopératoires sont elles aussi réduites, alors que le rétablissement est plus rapide.
• Large champ d’application : la chirurgie endoscopique de l’oreille peut être appliquée à différentes interventions, dont le traitement indiqué pour une perforation du tympan, le traitement des cholestéatomes (production cutanée anormale dans l’oreille moyenne) et la reconstruction des osselets.
(Photo3)
A. Vue du tympan classique par microscope
B. Vue du tympan par endoscope
(Source : illustration légèrement modifiée de www.researchgate.net/ figure/ Anatomy-illuminated-by-microscopeversus-endoscope-A-The-size-andshape-of-the-external_fig1_349122919) Licentie: www. creativecommons. org/licenses/by-nc-nd/4.0/)
Le Dr Michiel Claerhout a fréquemment eu l’occasion de pratiquer les techniques MIPS/MONO ainsi que la chirurgie endoscopique de l’oreille pendant son assistanat chirurgical en otologie avancée et implantations auditives à l’hôpital londonien Guy’s and St. Thomas’ sous la direction du professeur Dan Jiang. Il s’est construit une expertise en procédures miniinvasives lui permettant d’introduire avec brio ces techniques dans notre hôpital.
Par l’adoption de ces méthodes avancées, nous améliorons grandement la prise en charge de nos patients. En effet, notre ambition ne se limite pas au meilleur résultat médical possible, nous visons aussi le plus confortable traitement possible.
En octobre 2023, l’équipe ORL de l’az groeninge a accueilli le Dr Michiel Claerhout qui a terminé son assistanat chirurgical en otologie avancée et implantations auditives à l’hôpital londonien Guy’s and St. Thomas’ sous la direction du professeur Dan Jiang. Riche de ces connaissances et expériences, le docteur Claerhout a ouvert un centre d’implants cochléaires à l’az groeninge avec l’aide du service ORL et de ses audiologistes Valerie Brille et Fien Dewitte. Le centre propose une solution auditive aux patients nés sourds ou dont le problème d’audition est tel qu’une prothèse auditive classique n’a plus l’effet escompté.
Alors qu’ils constituent la solution la plus courante aux problèmes d’audition, les appareils auditifs ne sont plus adéquats en cas de pertes auditives sévères. Mais l’implant cochléaire (IC) peut offrir une solution. Cet implant contourne les cellules ciliées endommagées dans la cochlée (organe de l’ouïe dans l’oreille interne) et envoie des signaux électriques par le nerf auditif jusque dans le cerveau où ils sont interprétés comme un son. Un IC est constitué de deux parties : un processeur externe qui détecte le son et le transmet à un implant interne placé derrière l’oreille sous le cuir chevelu (Photo1)
Un appareil auditif classique capte le son au moyen d’un microphone à proximité du pavillon auriculaire. Le son est ensuite amplifié et transmis au tympan, l’oreille moyenne et finalement l’oreille interne. Les cellules sensorielles (cellules ciliées) dans l’oreille interne transforment le son en signal électrique avant de le transmettre au nerf auditif et au cerveau.
(Source : RespectCE/Wikimedia Commons, CC BY-SA)
Lorsque l’ouïe est trop affaiblie en raison d’une lésion à hauteur des cellules ciliées, la transmission du son vers le nerf auditif et le cerveau laisse à désirer. Dans ce cas, entendre, mais surtout comprendre et interpréter sont compliqués (difficultés à suivre une conversation dans un environnement bruyant, p. ex.). Un appareil auditif ne peut amplifier le son à l’infini. On se heurte donc à ses limites. Mais heureusement, un implant cochléaire peut offrir une solution dans ces cas-là (Photo2)
Un implant cochléaire fonctionne d’une tout autre manière qu’un appareil auditif classique. En effet, il contourne la partie endommagée de l’organe de l’ouïe et stimule directement le nerf auditif. Le son est capté au moyen du microphone d’un processeur vocal près de l’oreille. Ce processeur traite et transforme le son en code numérique qui est ensuite transmis à la partie interne de l’implant cochléaire, placée sous la peau. Le code indique les électrodes à stimuler dans l’oreille interne. Les signaux électriques sont transmis au nerf auditif et finalement au cerveau où le son peut désormais
(Source : https://www.optimumclinics.nl/een-hoortoestel-is-een-hoortoestel-toch/)
être perçu et interprété/compris. En d’autres termes, l’implant cochléaire contourne les structures endommagées pour directement stimuler le nerf auditif (Photo3).
Comparons l’appareil auditif à une canne et l’implant cochléaire à une prothèse de hanche. Lorsque la hanche est légèrement usée, la canne peut améliorer la fonction de marche. Lorsque la hanche est toutefois très fortement usée, sa fonction de marche ne peut qu’être améliorée en la remplaçant par une prothèse.
L’IC est un implant qui doit être posé lors d’une intervention chirurgicale. La bobine interne est placée sous le cuir chevelu et l’électrode dans la cochlée. La partie interne est commandée par le processeur vocal de la partie externe, maintenue en place par un aimant sur le crâne et un crochet à hauteur du pavillon auriculaire.
Après l’opération, l’utilisateur de l’implant cochléaire ne pourra pas immédiatement entendre et comprendre. Le cerveau doit effectivement réapprendre à reconnaître et interpréter le son et la parole, ce qui demande un certain temps. Plus l’utilisateur n’a pas traité de son avant l’opération, plus cet apprentissage sera long et difficile. Il est donc capital d’agir rapidement et de mettre en place une rééducation auditive intensive pour obtenir un résultat satisfaisant.
Les trois à six premiers mois qui suivent l’opération, les audiologistes spécialisés en implants auditifs assurent le suivi de l’utilisateur d’un IC. Ces consultations de suivi sont l’occasion de programmer l’IC et de progressivement augmenter le son jusqu’à ce que l’utilisateur puisse
comprendre la parole. Par ailleurs, l’utilisateur devra régulièrement se rendre dans un centre de rééducation spécialisée où la rééducation auditive est au cœur des choses. Il s’y entraînera à entendre et à comprendre la parole au moyen d’un IC, mais aussi à comprendre des situations auditives plus complexes, comme des discussions dans un environnement bruyant par exemple. Le but est d’atteindre le meilleur niveau possible de (ré) intégration de la société entendante.
Les coûts de l’implant cochléaire, l’opération et la rééducation sont estimés à 45 000 euros pour la société. Si la personne répond à toutes les conditions (perte auditive sévère testée au moyen de trois appareils auditifs différents), l’opération, la partie interne et la partie externe de l’implant cochléaire seront entièrement prises en charge par la mutualité. La rééducation aussi est remboursée en grande partie. Le patient ne doit donc que payer sa quote-part personnelle. En vue de vérifier le remboursement, des tests sont effectués préalablement à l’intervention et dans certains cas, l’équipe introduit aussi un dossier auprès de l’INAMI.
L’az groeninge a un partenariat avec trois entreprises d’implants cochléaires (Advanced Bionics, Cochlear en MED-EL). Bien que chaque implant cochléaire offre le même résultat auditif, ils se distinguent en termes de durée de batterie, connectivité à un smartphone, options sous eau, streaming et comptabilité avec un appareil auditif classique. S’agissant d’un choix à vie, notre centre accompagne le patient de A à Z dans son choix.
Photo3: représentation schématique de la partie interne et externe d’un implant cochléaire
(Source : https://www.entandaudiologynews.com/features/ent-features/post/cochlear-implants-and-therapeutics-a-natural-partnership)
MANAGER DES SOINS LOUIS VAN SLAMBROUCK
L’Organisation of European Cancer Institutes (OECI) est un acteur principal dans l’amélioration des recherches et des traitements liés au cancer en Europe. Elle octroie son accréditation aux institutions qui répondent aux normes les plus élevées en matière de soins, de recherche et d’éducation oncologique.
Le renouvellement de l’accréditation OECI est une confirmation de la qualité et du dévouement des soins oncologiques dispensés à notre hôpital. Mais l’accréditation prouve aussi que l’az groeninge répond aux normes européennes les plus strictes et poursuit l’excellence. Finalement, elle renforce notre image de centre oncologique de premier plan et ouvre les portes à davantage de partenariats avec de grandes institutions européennes.
Cette performance est le résultat de l’immense engagement et
dévouement dont ont fait preuve nos collaborateurs, collaboratrices et médecins. Le travail acharné, la passion et la poursuite d’une amélioration continue l’ont rendue possible.
Alors que nous célébrons cette étape importante, nous poursuivons nos efforts communs qui visent une amélioration continue et une plus grande innovation, des services d’oncologie toujours plus performants et des normes encore plus élevées pour les soins aux patients et la recherche scientifique.
Un grand merci à ceux et celles qui ont contribué à ce renouvellement. Considérons-le comme un petit coup de pouce pour poursuivre notre mission commune : dispenser les meilleurs soins à nos patients.
Le certificat a été discerné officiellement en juin 2024 à l’occasion des OECI Oncology Days à Helsinki.
Manager des soins Louis Van Slambrouck
Très souvent, la dyspnée est un symptôme qui pousse le patient à venir consulter. Mis à part les maladies cardiaques et respiratoires, le diagnostic différentiel est particulièrement vaste et comprend aussi l’obésité, le déconditionnement et même des myopathies métaboliques rares. Parfois, le diagnostic est évident, mais de plus en plus souvent, l’essoufflement demeure (partiellement) inexpliqué après l’évaluation initiale, ou la mesure dans laquelle les différentes comorbidités y contribuent séparément et le domaine dans lequel un traitement pourrait améliorer les symptômes restent flous.
Pour y répondre, l’az groeninge tente d’aborder le patient dyspnéique de façon holistique. L’utilisation de l’échocardiographie à l’effort, accompagnée par la mesure de consommation d’oxygène simultanée, occupe une place centrale dans cette approche. Le but de l’échocardiographie cardiopulmonaire à l’effort (Cardiopulmonary Exercise Testing – CPET) est de différentier et de quantifier les limitations cardiaques, pulmonaires ou périphériques à l’effort comme cause de l’essoufflement.
Cet article développe plus en détail les différents aspects de l’échocardiographie CPET. Il met en lumière les avantages de l’épreuve à l’effort, identifie les patients les plus adaptés pour cet examen et décrit le protocole. Finalement, il dépeint une série de modèles récurrents dans la limitation à l’effort.
« TO ASSESS EXERTIONAL BREATHLESSNESS, YOU MUST EXERT THE BREATHLESS. »(1)
Ce titre tiré d’un éditorial d’André La Gerche et Guido Claessen résume
l’essence de l’évaluation d’aptitude à l’effort. Examiner le patient pendant l’effort permet tout d’abord d’avoir un aperçu unique sur la pathophysiologie de sa limitation à l’effort. Secundo, l’effort peut démasquer des anomalies dissimulées au repos. Un exemple classique est l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection conservée (HFpEF) où les anomalies peuvent être observées très tôt à l’effort, mais seulement dans un stade avancé au repos. Grâce à cette détection précoce, un traitement peut être plus rapidement mis en place. Finalement, l’aptitude à l’effort est, en soi, un facteur pronostique très puissant et dès lors très appréciable pour la stratification du risque.
QUELS PATIENTS TIRENT PROFIT DE L’ÉCHOCARDIOGRAPHIE CPET ?
Une condition sine qua non est d’être en mesure de fournir un certain degré d’effort. Les patients qui présentent des symptômes sévères à l’effort minimal ou dont la mobilité est fortement réduite ne sont pas de bons candidats. Il faut, par ailleurs, un degré minimum d’échogénicité.
Finalement, les troubles cardiaques ou respiratoires courants doivent être exclus, ce qui explique que le patient ne peut qu’être renvoyé après une évaluation cardiaque et/ou pulmonaire. Globalement, l’évaluation d’aptitude à l’effort est indiquée à trois grands groupes de patients :
1. Dyspnée inexpliquée ou persistante. Les patients de ce premier groupe présentent une dyspnée permanente alors qu’aucune explication n’a été trouvée ou que la mise en place d’un traitement validé n’a pas permis d’observer une amélioration.
2. Divergence entre la pathologie et les symptômes. Ce groupe rassemble les patients asymptomatiques souffrant d’une pathologie grave (grave insuffisance mitrale sans symptôme, p. ex.) ainsi que les patients présentant des symptômes disproportionnés (insuffisance mitrale légère ou modérée avec symptômes prononcés, p. ex.).
3. Cas limites. Les patients dont l’évaluation au repos est peu concluante en raison d’un chevauchement entre la pathologie et la physiologie normale (athlètes d’endurance avec une fonction cardiaque bassenormale au repos, p. ex.) ou dont les anomalies ne se présentent qu’à l’effort (certaines anomalies coronaires ou une obstruction dynamique de la chambre de chasse en cas d’hypertrophie cardiomyopathie, p. ex.).
Avant l’examen réalisé en position semi-couchée, le patient prend place sur un vélo horizontal. Un tensiomètre et un ECG standard à 12 dérivations sont reliés au patient qui porte un masque ajusté en vue d’enregistrer les échanges gazeux et la ventilation au cours de l’examen. Dans un premier temps, l’examen réalise les mesures au repos, c’est-à-dire l’ECG, la tension, la spirométrie, les échanges gazeux et l’échocardiographie au repos. Les mesures à l’effort sont, quant à elles, réalisées dans un second temps.
Pour les mesures à l’effort, l’az groeninge applique le protocole RAMP qui consiste à augmenter progressivement, mais continuellement l’intensité de l’effort. La vitesse d’augmentation est adaptée à la condition escomptée du patient. Le but est d’atteindre un effort d’une durée de 10 à 20 minutes. Pendant l’effort, nous enregistrons continuellement l’ECG, la tension et les échanges gazeux. À deux moments spécifiques (premier seuil anaérobie et juste avant l’effort maximal), l’intensité est temporairement maintenue à un degré constant, l’occasion de réaliser une nouvelle série d’échos.
Le patient poursuit jusqu’à épuisement et relâche finalement l’effort (phase de récupération) tandis que nous prenons une dernière série d’échos. Après l’examen, les données collectées sont analysées hors ligne en vue d’établir un rapport détaillé.
Cette dernière partie soulève brièvement les modèles spécifiques de la limitation à l’effort. Une description détaillée dépasse, de toute évidence, le cadre de cet article, mais un bref exposé permet néanmoins d’offrir un aperçu des possibilités de cette technique et illustre l’interaction entre les différents modèles. Notons, par ailleurs, qu’ils ne s’excluent pas l’un l’autre ; l’aptitude à l’effort d’un même patient peut donc être limitée pour différentes raisons.
1. Limitation cardiaque. Dans la pratique, il s’agit d’une augmentation insuffisante du débit cardiaque pendant l’effort en raison d’une incompétence chronotrope et/ou d’une augmentation insuffisante du volume d’éjection systolique qui peut, à son tour, être causée par un dysfonctionnement systolique ou diastolique, une maladie vasculaire pulmonaire ou une insuffisance mitrale. Heureusement, ce sont là des
paramètres mesurables. Il est donc primordial de faire une analyse approfondie des échographies à l’effort.
2. Limitation respiratoire. À l’exception des athlètes d’endurance de haut niveau, les limites respiratoires ne sont jamais atteintes à l’effort. Lorsque le pic de ventilation atteint la ventilation maximale volontaire ou lorsqu’une désaturation significative se produit à l’effort, elle est aussi limitée d’un point de vue respiratoire.
3. Limitation périphérique. Elle se distingue par une extraction d’oxygène périphérique amoindrie à hauteur des muscles en raison d’une pathologie métabolique rare ou d’une maladie mitochondriale, mais il s’agit bien plus souvent d’un déconditionnement qui se caractérise aussi par une capacité aérobique limitée (rapide production de lactate) et un court laps de temps avant le premier seuil anaérobie.
4. Limitation fonctionnelle ou psychogène. Lorsque l’effort est interrompu avant l’apparition de lactate (mesurable objectivement par les échanges gazeux) et qu’aucune autre limite (respiratoire ou cardiaque) n’a été atteinte, il s’agit d’un effort sous-maximal volontaire qui peut être expliqué ultérieurement en fonction du contexte.
L’approche holistique et détaillée de l’échocardiographie CPET nous permet de mieux comprendre et traiter la complexité de la dyspnée. Avec cette technique de pointe, nous avons l’ambition d’obtenir un diagnostic plus précis qui bénéficiera au patient parce qu’un traitement adéquat pourra plus rapidement être mis en place. Nous espérons ainsi améliorer sa qualité de vie et son pronostic.
Symptôme très fréquent, la dyspnée peut avoir de multiples causes. À l’az groeninge, les patients atteints d’essoufflement peuvent compter sur une approche holistique où l’échocardiographie à l’effort et la mesure simultanée de la consommation d’oxygène (échocardiographie CPET) sont indispensables pour déterminer la cause. Cet article élabore les avantages d’une évaluation d’aptitude à l’effort, les meilleurs candidats pour cet examen et le protocole appliqué. De grande valeur pronostique, l’échocardiographie à l’effort permet d’identifier les anomalies invisibles au repos. L’échocardiographie CPET bénéficie particulièrement aux patients atteints d’une dyspnée inexpliquée ou dont la pathologie et les symptômes ne coïncident pas. Son protocole comprend des mesures au repos et à l’effort sur un vélo horizontal spécialement conçu à cet effet. Pour distinguer les limitations cardiaques, respiratoires et périphériques à l’effort, l’échocardiographie CPET est suivie d’une analyse détaillée des données.
Références :
1. La Gerche A, Claessen G, Burns AT. To assess exertional breathlessness you must exert the breathless. Eur J Heart Fail. 2013;15(7):713-4.
Le 21 mars 2024, le centre de rencontres de l’az groeninge a accueilli le premier séminaire dédié aux soins de plaie. L’occasion de se pencher sur les escarres de décubitus, mais aussi sur la prévention, l’alimentation et bien d’autres éléments allant de pair. Cette thématique étant pertinente au-delà des frontières des établissements et services de soins, le séminaire pluridisciplinaire a souligné la collaboration interdisciplinaire et transmurale.
L’escarre de décubitus se définit comme une lésion de la peau et/ou du tissu sous-cutané, souvent située à hauteur d’une excroissance osseuse. Chez le patient (partiellement) immobile, la pression et les glissements peuvent provoquer la déformation de tissus mous, comprimant les vaisseaux sanguins locaux et entraînant potentiellement une anoxie qui peut, à son tour, causer de sévères lésions (1). Dans les hôpitaux belges, près de 12 % des patients présentent une escarre de décubitus (2). Dans les maisons de repos et au domicile des patients, elle n’est pas rare non plus.
L’escarre de décubitus a un impact important sur le patient et son entourage. Notamment en raison de la douleur, de l’autonomie réduite, d’une morbidité et mortalité accrues et d’une plus longue durée d’hospitalisation. Par ailleurs, l’escarre de décubitus fait pression sur le système de santé qui devra déployer plus de moyens pour l’hospitalisation et le traitement du patient qui en souffre. Selon une étude comparative entre la prévention et le traitement d’une escarre, cette première coûterait entre 2,65 et 87,57 € par patient par jour, alors que les coûts du traitement peuvent monter à 470,49 € par patient par jour (3), ce qui souligne aussi l’importance économique d’une politique de prévention.
Le séminaire a donné la parole à différents intervenants qui se distinguaient par des connaissances et savoir-faire variés. Le gériatre Dr Mouton a ouvert le bal en soulignant notamment la pertinence de la prévention qui commence par l’identification des patients à risque au moyen d’échelles de risques scientifiquement étayées. À l’instar de l’UZ Louvain, l’az groeninge travaille avec le Risicowijzer, un outil intégré au dossier patient informatisé. Une observation clinique reste néanmoins indispensable pour obtenir un tableau complet. L’utilisation purement routinière de l’indicateur cité plus haut peut effectivement omettre certains patients qui sont pourtant à risque. L’observation clinique consiste essentiellement à vérifier les rougeurs cutanées qui ne s’atténuent pas en exerçant une pression, une indication précoce du développement d’une
escarre de décubitus. En cas de rougeur non atténuable, la mise en place opportune de mesures préventives est indispensable. Il s’agit ici d’une approche intégrée où les contrôles réguliers, l’utilisation de dispositifs atténuant la pression, les changements de position adéquats et les soins cutanés adaptés occupent une place centrale.
Mais l’alimentation aussi joue un rôle clé dans la prévention et le traitement de l’escarre de décubitus, un sujet qui a été largement exposé par Mme Kelly Vandendriessche, chef du service de diététique générale de l’az groeninge. Pour prévenir la formation d’une escarre, l’organisme a souvent besoin d’un apport énergétique plus élevé. L’objectif est d’absorber 30 à 35 kcal par kilo de poids. Pour une cicatrisation optimale, le corps a besoin de plus de protéines. En cas de dénutrition s’accompagnant d’une escarre, le patient devra consommer 1,25 à 1,50 g de protéines par kilo de poids. L’état nutritionnel des patients est régulièrement vérifié au moyen de l’outil de dépistage NRS-2002 qui permet d’identifier l’état de dénutrition en temps utile.
La prévention constitue donc la base, mais en cas d’escarre, elle ne suffit plus. Avant d’entamer le traitement, le patient fera l’objet d’une évaluation complète où des facteurs comme la morbidité, l’incontinence
Tableau 1 : thérapie par pression négative : aperçu par indication, az groeninge (2022-2023)
et les facultés de rééducation doivent être méticuleusement examinés. La pathogenèse de l’escarre de décubitus étant multifactorielle, le premier choix se porte généralement sur un traitement conservateur, c’est-à-dire des soins de plaie locaux dans un souci curatif ou pour préparer au mieux la plaie à une intervention chirurgicale.
Une des méthodes les plus efficaces dans le traitement conservateur est la thérapie par pression négative, également connue sous le terme anglais « Vacuum Assisted Closure » (VAC). Cette méthode active de traitement de plaie consiste à exercer une pression négative sur la zone lésée, ce qui permet d’évacuer l’excès d’exsudat tout en améliorant la circulation et stimulant la production de nouveaux tissus. Spécialisée en thérapie VAC, l’équipe de soins de plaie de l’az groeninge joue également un rôle important dans l’organisation de cette thérapie dans l’hôpital et en dehors (voir tableau 1). Mme Sara Labeeuw, infirmière spécialisée en soins de plaie, en a amplement parlé pendant le séminaire.
Dans certains cas, l’escarre de décubitus doit toutefois faire l’objet d’une chirurgie. Le chirurgien plastique Dr Luyten a donné une présentation sur ce type d’interventions chirurgicales. Elles sont nécessaires dans les cas urgents de septicémie et indiquées dans les cas non urgents des catégories d’escarre 3 et 4(4). Le débridement méticuleux de la plaie est une première étape essentielle. Souvent, le chirurgien a recours au système d’hydrochirurgie Versajet qui permet de procéder à un débridement optimal des tissus grâce à un jet sous haute pression.
Photo 1 : catégories d’escarres de décubitus
Récemment, cette technique a été jugée plus efficace que le débridement par chirurgie classique (5). Si le patient a été préparé comme il le faut et l’indication correctement posée, la seconde étape est la chirurgie réparatrice : après le débridement, l’escarre de décubitus est rétablie au moyen d’un lambeau musculo-cutané ou fascio-cutané.
LARGE SPECTRE ET COLLABORATION
Outre les escarres de décubitus, l’équipe de soins de plaie de l’az groeninge se charge de beaucoup d’autres choses encore. Ainsi, elle contribue à améliorer la qualité de la politique de soins de plaie. Elle favorise aussi l’innovation en jetant un œil critique sur les études et les dispositifs que les firmes viennent présenter. Mais l’équipe prend également le temps de collecter des données pertinentes. À ce sujet, une collaboration avec le service d’analyse de données et le service de qualité a permis de développer un tableau de bord en Power BI qui reprend les données liées aux escarres. Un exemple concret d’un tel tableau est le
>> suite à la page 16
2 : capture d’écran tableau de bord : enregistrement indicateur de risque à l’admission et pendant l’hospitalisation, az groeninge (2023)
screening des patients présentant un risque accru d’escarre de décubitus lors de l’admission et plus tard, pendant l’hospitalisation (voir photo 2). Les données sont extraites du dossier patient informatisé sans que le personnel infirmier doive procéder à des encodages supplémentaires. Finalement, l’équipe donne de très nombreux avis concernant les soins de plaie aux patients hospitalisés. Les consultations en ambulatoire à ce sujet sont, elles aussi, en hausse (voir graphique 1). Lors de ces consultations, l’infirmière spécialisée en soins de plaie reçoit le patient de manière
autonome pour un conseil lié aux soins de plaie. Une collaboration poussée avec les professionnels de la santé au sein même de l’hôpital (médecins spécialistes, p. ex.) et en-dehors (infirmières à domicile, médecins généralistes et personnel soignant dans les maisons de repos) doit alors
Graphique 1 : aperçu évolution consultations au lit du patient et en ambulatoire, az groeninge
être mise en place en fonction de l’escarre et de la situation du patient. Ceci n’est que la pointe de l’iceberg des nombreuses tâches de l’équipe de soins de plaie, mais elle n’en donne pas moins une vue sur les missions dans lesquelles l’équipe s’investit avec beaucoup d’enthousiasme. Pour mieux comprendre notre travail, n’hésitez pas à consulter notre nouveau site web :
www.azgroeninge.be/nl/patient/diensten/wondzorgcentrum
1) V&VN. Richtlijn decubitus. 2021: https://www.venvn.nl/media/adujx1ja/20210224-richtlijn-decubitus.pdf
2) KCE. Een nationale richtlijn voor de behandeling van decubitus. 2013: https://kce.fgov.be/sites/default/filegrs/2021-11/KCE_203As_ Behandeling_doorligwonden.pdf
3) Demarré L, Van Lancker A, Van Hecke A, Verhaeghe S, Grypdonck M, Lemey J, Annemans L, Beeckman D. The cost of prevention and treatment of pressure ulcers: A systematic review. Int J Nurs Stud. 2015 Nov;52(11):1754-74. doi: 10.1016/j.ijnurstu.2015.06.006. Epub 2015 Jun 25. PMID: 26231383.
4) Conway H, Griffith BH. Plastic surgery for closure of decubitus ulcers in patients with paraplegia; based on experience with 1,000 cases. Am J Surg. 1956 Jun;91(6):946-75. doi: 10.1016/0002-9610(56)90327-0. PMID: 13313906.
5) Shimada K, Ojima Y, Ida Y, Matsumura H. Efficacy of Versajet hydrosurgery system in chronic wounds: A systematic review. Int Wound J. 2021 Jun;18(3):269-278. doi: 10.1111/iwj.13528. Epub 2021 Mar 23. PMID: 33759367; PMCID: PMC8244081.
Bienvenue au Greenhouse. Là où se cultive l’avenir des soins de santé ! Un pôle d’innovation reflétant la culture de notre hôpital qui place la collaboration, la créativité et l’amélioration continue au cœur des choses. L’innovation, la recherche et la formation sont ancrées dans notre ADN et nous préparent ainsi aux défis des soins de santé d’aujourd’hui et de demain.
Au Greenhouse, nous labourons la terre qui fertilisera les idées, la recherche et la formation. En tant que catalyseur d’initiatives internes, nous poussons les professionnels de la santé à semer et cultiver leurs idées innovantes.
The Greenhouse offre le soutien et les facilités nécessaires à l’épanouissement des concepts, et accueille aussi les partenaires externes et start-ups. Ensemble, nous explorons de nouveaux horizons et développons des solutions dans le but d’améliorer les soins et de placer le patient au cœur des choses.
Notre environnement inspirant facilite l’intégralité du processus, du semis d’idées à la récolte des résultats tangibles. The Greenhouse transforme l’ambition en action, fait fleurir de nouveaux concepts et donne vie aux technologies. La formation continue étant notre mot d’ordre, nous incitons tout un chacun à se développer un peu plus tous les jours, et à s’épanouir professionnellement et personnellement.
Rejoignez notre mission et façonnez, vous aussi, les soins de demain. Au Greenhouse, vous découvrirez comment nous semons les graines de l’innovation pour un avenir plus sain dans lequel les idées s’épanouissent et contribuent à la qualité des soins de santé. Nous vous dévoilons, en première, deux de nos projets. Ensemble, récoltons ce que nous avons semé !
CAROLINE DE BEUKELAAR
MANAGER THE GREENHOUSE
DR WOUTER DE CORTE
MEDICAL LEAD THE GREENHOUSE
CONTACT : www.the-greenhouse.be caroline.debeukelaar@azgroeninge.be thegreenhouse@azgroeninge.be
Le projet Smartglasses est une initiative de l’az groeninge en collaboration avec l’AZ Maria Middelares, l’hôpital Jessa, la Wit Gele Kruis Flandre occidentale, IntelliProve et Proximus. Smartglasses introduit des lunettes intelligentes dans le secteur des soins de santé afin de soutenir les prestataires de soins dans leurs activités. Le projet étudie notamment si elles offrent une plus-value en termes de réduction de la charge administrative des prestataires de soins, satisfaction du patient et autres indicateurs socioéconomiques. Le projet Smartglasses est entièrement financé par le SPF Santé publique.
ÉTUDE SUR LA PLUS-VALUE DES LUNETTES INTELLIGENTES
La plus-value des lunettes intelligentes dans le secteur des soins de santé sera analysée au moyen d’une étude qui compare un groupe témoin à un groupe expérimental. Cinq cas pratiques, attribués aux différents partenaires, s’inscrivent dans cette étude :
• Cas 1 : l’équipe d’intervention paramédicale (PIT) emporte les lunettes intelligentes dans l’ambulance, ce qui permet au médecin urgentiste à l’hôpital d’observer à distance et de prêter main-forte. Le service d’urgence de l’hôpital Jessa à Hasselt se chargera de ce premier cas pratique.
• Cas 2 & 3 : communication entre différents campus au sujet des patients avec un score élevé d’alerte précoce (Early Warning Score — EWS) qui présentent les symptômes d’un AVC. L’AZ Maria Middelares et l’hôpital Sint Vincentius Deinze mèneront cette partie de l’étude.
• Cas 4 : soins de plaie où une infirmière spécialisée observera à distance et conseillera le service où le patient est hospitalisé. Les sites kennedylaan et reepkaai de l’az groeninge conduiront cette étude.
• Cas 5 : collaboration entre l’hôpital et les soins à domicile. Les lunettes permettant notamment à l’infirmière à domicile d’observer les derniers soins de plaie dispensés au patient hospitalisé avant son retour chez lui. Ce volet de l’étude est également mené par l’az groeninge en collaboration avec les soins à domicile de la Wit-Gele Kruis.
À travers ces différents cas, nous souhaitons prouver que les lunettes intelligentes peuvent contribuer au soutien des professionnels de la santé et à l’amélioration des soins aux patients.
Allant encore plus loin, le projet Smartcare intègre un logiciel IA aux lunettes intelligentes. IntelliProve, une start-up gantoise a développé un logiciel qui permet de mesurer des paramètres vitaux comme le rythme cardiaque et la respiration en filmant le visage du patient pendant une vingtaine de secondes. Dans un avenir proche, nous souhaitons y ajouter d’autres paramètres telles que la tension, voire la mesure de douleur (VAS).
Un deuxième objectif notable est la connexion des lunettes intelligentes au dossier patient informatisé (DPI). Dans un cas de figure idéal, le prestataire de soins se connecterait au système DPI au moyen des lunettes. Ensuite, il scannerait le bracelet d’identification du patient pour avoir accès à son dossier patient et directement ajouter toutes les données collectées comme les paramètres vitaux, images médicales… Cette technologie ne se connecte toutefois pas si facilement à chaque système DPI et cet objectif constitue donc un défi de taille.
L’image cicontre est le dispositif RealWear, une paire de lunettes intelligentes et un dispositif Android autonome en un.
En effet, le RealWear est équipé d’un petit écran, d’une caméra et de plusieurs microphones qui permettent d’utiliser différentes applications, dont Microsoft Teams. Les professionnels de la santé peuvent dès lors passer un appel vidéo durant lequel l’interlocuteur observe littéralement par les yeux de l’utilisateur. Finalement, le RealWear permet aussi de prendre des photos via de simples commandes vocales comme « prendre une photo ».
Si vous voulez plus d’infos ou voyez les possitilités de mener un cas d’étude spécifique dans votre service, contactez-nous à l’adresse thegreenhouse@azgroeninge.be.
SEPSIS Connect, un projet précurseur sous la direction de l’az groeninge et en collaboration avec l’hôpital Oost-Limburg, la clinique Sint-Jozef Izegem, Proximus NXT et imec souhaite introduire une méthode innovante pour dépister le sepsis dans un stade précoce. Le SPF Santé publique assure l’intégralité du financement de ce projet. Constaté annuellement chez des milliers de patients en Belgique, le sepsis est une complication engageant le pronostic vital. Causée par une infection, elle peut provoquer le dysfonctionnement d’un organe vital, mais est rarement observée à temps. Avec SEPSIS Connect, nous déployons des solutions technologiques pour tenter de résoudre ce problème.
Aux États-Unis, le sepsis est à l’origine de près de la moitié des décès dans les hôpitaux. En Belgique, une approche systématique pour une détection précoce fait défaut. L’objectif du projet SEPSIS Connect est de combler cette lacune par l’utilisation d’une technologie innovante comme des biocapteurs et l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans le processus de soins.
BIOCAPTEURS INTELLIGENTS ET ALARME PILOTÉE PAR IA
Les biocapteurs de pointe, capables de surveiller les patients en continu dans et en dehors de l’hôpital, constituent le pilier central de ce projet. Ils enregistrent en temps réel des paramètres vitaux tels que le rythme cardiaque, la fréquence respiratoire et la tension ; des mesures essentielles pour identifier le sepsis. Grâce à cette surveillance continue, les prestataires de soins peuvent réagir rapidement à la dégradation de l’état de santé du patient, augmentant significativement ses chances de survie. L’az groeninge se concentrera sur la surveillance des patients à risque au moyen de biocapteurs dans l’hôpital même. L’hôpital Oost-Limburg se concentrera sur la surveillance des patients à risque à domicile. Finalement, la clinique Sint-Jozef Izegem démontrera que ce type de projet est évolutif et donc facilement extensible à d’autres hôpitaux. Dans une prochaine phase du projet, la Sint-Jozef Izegem se chargera aussi de la mise en œuvre du modèle à distance.
Le partenaire imec développera un système d’alarme piloté par intelligence artificielle et basé sur l’apprentissage automatique (machine learning – ML)
afin d’identifier les régularités et les anomalies. Lorsqu’un patient présente les symptômes de sepsis, une alarme se déclenchera automatiquement chez les prestataires des soins. La technologie basée sur l’IA doit pouvoir présenter des éléments explicites pour permettre aux professionnels de la santé de comprendre pourquoi l’alarme s’est déclenchée. En effet, c’est un aspect crucial si l’on veut que cette technologie inspire la confiance et soit donc efficace.
Proximus NXT contribuera à l’infrastructure technologique par une connectivité 5G fiable et sûre au domicile des patients, permettant le suivi chez eux et réduisant dès lors la charge sur les hôpitaux. Grâce à cette infrastructure, les patients peuvent se rétablir à domicile tout en bénéficiant d’un suivi médical continu.
Le projet souhaite aussi sensibiliser les médecins généralistes et les infirmières à domicile au sepsis. L’association entre nouvelles technologies, formations et éducation permettant de détecter le sepsis dans un stade précoce, les patients bénéficient plus rapidement des soins adéquats. Pour ce volet du projet, nous coopérerons avec le partenaire externe UZA et différentes associations de patients.
Le coup d’envoi du projet SEPSIS Connect a été donné le premier juin 2024. Il se clôturera le 31 décembre 2025. En plus d’améliorer l’approche du sepsis, il permet d’appliquer la technologie à d’autres pathologies. À long terme, les technologies développées pourraient être déployées pour surveiller les patients atteints d’une maladie chronique ou nécessitant des soins postopératoires, par exemple. Le projet marque une étape importante dans la transition des soins réactifs aux soins proactifs, où les solutions numériques occupent une place centrale.
Grâce à la coopération entre différents hôpitaux, partenaires technologiques et prestataires de soins, SEPSIS Connect apporte une solution innovante qui peut sauver des vies. Mais SEPSIS Connect a aussi le potentiel de fondamentalement améliorer le système de santé en Belgique.
Si vous souhaitez en savoir plus ou avez une idée similaire, contacteznous à thegreenhouse@azgroeninge.be ou au 056 63 63 58.
DR JEROEN CEUPPENS ET DR ELINE DEPUYDT
Cette année aussi, notre équipe éditoriale en chef a l’ambition de vous réjouir avec une série de mises à jour intéressantes, les réalisations scientifiques et les nouvelles recrues de notre hôpital afin de donner à nos talents in-house une oreille, un visage et une voix.
Une ambition partagée par l’intégralité de la rédaction, mais aussi par les multiples autrices et auteurs que nous aimerions, par la même occasion, remercier pour leurs dévouement, idées et contributions.
Innovation à l’honneur dans le prochain numéro, avec en vedette The Greenhouse !
Vendredi matin, 18 octobre 2024. Les températures ont légèrement monté et il pleuvine. Les rues d’Ostende glissent très fort, on dirait des patinoires. Nous nous rencontrons au Cappuccino où nous parlerons de la vie. La meilleure manière d’inspirer, c’est de se réunir avec les bons bipèdes. Alors aujourd’hui, je rencontre le Dr Réginald Moreels.
J’ai écouté vos interviews et lu vos livres. Ça m’a donné envie de mieux vous connaître. Pour commencer sur une note légère, suivez-vous un rituel matinal ?
Je prends toujours le déjeuner avec ma femme. C’est le repas le plus important de la journée. Après m’être levé, je fais le café. Je prends systématiquement un déca. Quand je dois prendre mon déjeuner ailleurs, je prends un cappuccino.
Aujourd’hui, nous sommes dans un de mes endroits préférés à Ostende. Le Cappuccino, bar matinal, est un véritable moulin. À cette heure-ci, il fait encore calme, mais il faudra bientôt se battre pour avoir une place. J’y passe toutes mes interviews. Et puis ici, le cappuccino est excellent.
Suivez-vous encore les actualités ? Qu’est-ce qui vous occupe en ce moment ?
Certainement, je suis tout ça de très près. Chaque matin, je parcours les quotidiens De Standaard et De Morgen. Je me passionne particulièrement pour l’actualité internationale. Je regarde également les infos françaises, tous les jours France24 par exemple, surtout les débats géopolitiques me fascinent. Et puis je lis pas mal de périodiques français aussi.
J’espère qu’on accordera plus d’importance aux « conflits négligés », c’est-à-dire les conflits dans des pays tels le Nigéria ou le Soudan qui ne sont guère couverts par les médias… Des choses que nous ne pouvons même pas nous imaginer s’y produisent et provoquent des dizaines de millions de victimes. Pourtant, ces conflits n’ont aucune couverture médiatique… Pas plus tard qu’hier, je rédigeais encore une tribune pour un journal, une proposition pour une journée internationale dédiée à ces zones oubliées.
J’ai écouté votre interview sur Touché. Vous avez utilisé les mots « sobriété » et « heureux ».
Ces termes viennent d’un livre de Pierre Rabhi où il cite « L’idée de la sobriété heureuse est donc de sauter du wagon de la croissance infinie pour se reconnecter au temps et à la terre. C’est la volonté de vivre plus simplement et d’agir en accord avec ça. » Quelle est votre manière d’adhérer à cette notion ?
Tout au long de ma vie, la sobriété était à mes côtés. J’étais très jeune quand je suis devenu indépendant et financièrement, j’ai très vite gagné mon pain. Étudiant, je vivais déjà de manière sobre en
combinant mes études avec un travail. Et aujourd’hui, je continue de vivre modestement. Je n’envie pas ceux qui possèdent plus que moi ; et être propriétaire d’une villa, non merci. Cette sobriété était également présente pendant ma maladie. Chacun surmonte ses traumatismes à sa manière et chez moi, l’anorexie était comme un ascétisme destructeur.
Le plus grand luxe est un peu comme ce cappuccino. Et les livres, bien entendu. Je donne régulièrement des conférences, mais ne demande pas forcément une rémunération. En revanche, un chèque-cadeau d’une librairie me fait toujours plaisir. J’achète énormément de livres en néerlandais et en français. J’aime chiner dans différentes librairies comme DS boekhandel, Fnac, Filigranes à Bruxelles ou Corman à Ostende. Une fois que je les ai lus, je passe la majorité à mon entourage.
La phrase « appeler un chat un chat » revient souvent dans vos interviews. Reflète-t-elle une certaine philosophie de vie ?
Je suis franc, c’est une de mes caractéristiques. On sait ce que je pense. Pendant mon mandat de ministre, j’ai dû procéder à un licenciement. Je savais que la personne en question pouvait commencer ailleurs, et je n’y suis donc pas allé par quatre chemins. Des années plus tard, elle m’a avoué que c’était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Je ne veux blesser personne, mais j’ai remarqué que l’honnêteté pure blesse rarement. Tout est une question de mots justes. Cette honnêteté implique aussi que je fais confiance à tout le monde, mais si on me trahit, c’est fini.
Vous me disiez retourner à Beni dans quelques jours. Au programme ?
Je m’envole après-demain pour une courte mission. Peu d’endroits ont l’air aussi abandonnés et défavorisés que Beni, alors que la région n’est pas en guerre à proprement parler. Beni est chroniquement sous tension et n’arrive pas à sortir du marasme, ce qui explique pourquoi les organisations humanitaires classiques s’en soucient moins. UniChir est opérationnel depuis un an maintenant. Je suis encore très impliqué dans l’organisation et essaye donc de m’y rendre plusieurs fois par an. La chirurgie reste une véritable vocation, un artisanat unique. Plus encore que la médecine, elle est très intense dans le sens où le patient confie son intégrité physique au médecin. Je n’ai jamais pratiqué pour le prestige uniquement. Je sens d’ailleurs que la nouvelle génération de chirurgiens est moins dans la poursuite de cette réputation. Je reconnais ça dans ma fille Nathalie, par exemple.
Vous omettez parfois votre engagement, parlant plutôt de l’expression d’une facette légèrement égoïste. Ainsi, vous le feriez en partie pour l’énergie vitale que ça vous donne. La gratitude d’autrui vous apporterait beaucoup, mais dans une interview récente je lisais que la gratitude ne peut que rendre
heureux lorsqu’on est en mesure de l’accepter, et que l’acceptation est plus facile lorsqu’on s’aime soimême. Êtes-vous d’accord avec ça ?
Tout à fait. Notre société occidentale n’est pas toujours facile et je peux comprendre que certaines personnes sont au bout du rouleau et partent vers de meilleures contrées. Dans ces cas précis, je pense pourtant qu’elles ne trouveront pas leur bonheur dans une autre société. Tout commence par être heureux soi-même, tels que nous sommes. C’est l’unique manière de se déplacer dans l’autre. Un autre qui ne peut être utilisé comme parc à containeurs pour nos frustrations.
Je suis un adepte de l’altruisme réciproque. Mais je ne suis pas un martyre pour autant parce que je veux quelque chose en retour de mes bonnes actions. Et dans la plupart des cas, la gratitude est amplement suffisante. Cette vision s’inscrit dans certaines religions. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », c’est une leçon qu’on retrouve aussi bien chez Jésus que Siddharta. Mais Jésus y a ajouté quelque chose que je trouve encore plus formidable : « pardonnez vos ennemis ».
Pourtant, vous disiez à l’instant que si quelqu’un vous trahit, c’est fini ?
Je ne dis pas que ça sera simple, mais je ne vais jamais essayer de récupérer quelqu’un qui m’a trahi.
Vous vous décrivez comme démocrate-chrétien de gauche. Ces mots veulent-ils encore dire quelque chose aujourd’hui ?
Je suis de gauche, adepte du personnalisme, croyant qui se cherche, socialement engagé, éthiquement progressif et militant pour la paix et la justice. Pour ce qui est du personnalisme, je le résumerais en disant que l’humain devient plus humain au contact de l’Autre et d’Autrui. Je m’inspire du marxisme, mais le tempère avec les caractéristiques du capitalisme original qui stimule l’entrepreneuriat social. J’ai des frissons quand je vois le néocapitalisme et le fondamentalisme du marché actuel.
Ces dernières années, je penche encore plus à gauche. Je m’inquiète beaucoup de l’aigrissement de notre société et du populisme qui en use et abuse. Tout le monde semble migrer vers la droite. Le front gauche d’antan (SP.A, Vooruit) n’a plus rien de gauche pour moi. Ces partis aussi se droitisent. En plus, je pense qu’un tunnel souterrain se creuse entre la NVA et le Vlaams Belang, tout comme le lien entre les personnes de droite du CD&V et de la NVA se renforce. D’ailleurs aujourd’hui, le « C » représente le « centre », le CD&V n’a donc plus rien de chrétien. D’après moi, on ne peut absolument pas aligner l’extrême gauche et la droite. Une société de droite restreint la solidarité mutuelle qui crée justement la richesse de notre société occidentale. Je suis contre l’extrême droite, tout comme je suis contre la tendance de droite aussi.
Il est évident que le PTB commet des erreurs et doit enterrer certains points de vue (sur le communisme, p. ex.). Le parti ne souhaite toutefois pas instaurer le communisme et lutte plutôt en faveur du modèle Kiwi qui œuvre
pour une plus grande solidarité et un vrai système social. Je pense qu’avec les écolos, c’est le seul parti encore de gauche aujourd’hui.
Qui inviteriez-vous à votre dîner de rêve ? Tout à l’heure, vous avez montré votre fascination pour notamment Marx et Jésus.
Si je peux vraiment choisir, j’aimerais aller au restaurant avec Socrate. J’ai fait mes études chez les jésuites et leur message clé « douter toute une vie » est ancré en moi. Mais maintenant que vous en parlez, un têteà-tête avec Jésus pourrait être intéressant… Dommage que ça risque aussi d’être le dernier repas du soir (rire)
Le pape aussi m’a impressionné. Je lui ai parlé une vingtaine de minutes et c’était un moment très spécial. Sa dernière visite a fait couler beaucoup d’encre et c’est vrai qu’il aurait mieux fait de ne pas s’exprimer sur certains points. Je pense que d’un point de vue éthique, le pape François est trop conservateur, mais il n’en reste pas moins prophétique, un leader mondial qui peut contribuer à la lutte contre la pollution et l’actuelle production d’armes scandaleuse ainsi que le commerce qui va de pair.
Eh oui, tout cela prouve bien que la religion reste importante pour moi. Je me souviens d’une conversation avec Rik Pinxten, anthropologue résolument athée. Nos visions du monde étaient incompatibles, mais nous nous respections malgré tout. Ainsi, j’ai été invité à donner une conférence au Humanistische Vrijzinnige Vereniging van Vlaanderen (dont il était le président). Devant une salle pleine à craquer, il m’a présenté comme son ami. Il a ajouté qu’en revanche, je n’étais pas son frère. J’ai rétorqué qu’à partir du moment où nous nous respectons, nous sommes tous des frères. J’ai une sainte horreur des attaques personnelles et cultes de la personnalité.
Vous avez récemment été nommé Commandeur de l’ordre de la couronne. Que vous étiez très heureux est probablement peu dire ?
Je marchais dans la rue quand j’ai eu un coup de fil du Palais. Je devais libérer le 21 novembre et j’ai donc avancé mon vol retour depuis le Congo au 19. J’étais effectivement très fier. Je suis royaliste et constate qu’il y a des avantages à une monarchie constitutionnelle avec des compétences limitées. C’est une belle figure de pont.
Je respecte notre roi actuel autant que je respectais le roi Baudouin. Il fait un parcours sans faute, s’en tient à ses compétences, mais enfile également ses bottes pour patauger dans la boue quand le pays est touché par une inondation. J’apprécie donc fortement cette nomination. Et puis c’est aussi un signe symbolique que ma carrière touche à sa fin (sourire nostalgique).
J’ai lu que vous restiez perplexe par cette énorme souffrance que l’humain peut causer à autrui. Récemment, avec quelques amis, nous avons réfléchi à la question suivante : l’homme est-il bon ou mauvais ? L’avant-dernier livre de R. Bregman en a fait une thèse populaire. Qu’en pensez-vous ?
J’y ai réfléchi très très souvent et j’ai mené beaucoup de débats à ce sujet. Mais personnellement, je pense tout le contraire. À la base, une profonde introspection qui s’articule autour de la question clé « Suis-je bon moimême ? » ? J’ai étudié toutes les facettes pour arriver à la conclusion que l’homme est intrinsèquement mauvais. Mais cette vision donne un sens à nos vies, parce qu’on doit tous les jours essayer de devenir une meilleure version de soi-même. Si on était des anges dès la naissance, nos vies auraient moins de sens. J’avoue aussi que cette vision négative est partiellement due à mes traumatismes : ma période chez Médecins Sans Frontières, mon enfance malheureuse…
Quelle est votre odeur préférée ?
C’est une bonne question. Mais difficile, parce que je n’ai jamais dû y répondre avant. Je ne reviens plus sur son nom, mais c’est une sorte d’huile que j’applique sur mes jambes. J’aime l’odeur du thym aussi. Si vous m’aviez demandé mon goût préféré, ça aurait été beaucoup plus simple. Je raffole du sucre !
Y a-t-il encore quelque chose sur votre liste de désidérata ? Quelque chose que vous aimeriez avoir accompli dans un an ?
(Longue réflexion) J’aimerais encore avoir un mandat, un mandat de négociation pour être plus précis. Et puis, ils peuvent m’appeler aujourd’hui au poste de secrétaire d’État à l’Asile et la Migration. J’aimerais également devenir aumônier de prison. Une fonction qui, d’après moi, me permettrait d’améliorer un peu le monde.
J’ai essayé de relier deux passages de votre livre. D’une part, une phrase dans laquelle vous faites référence à vos études chez les jésuites (« Vérifier ce que l’autre pense et pourquoi il le pense en vaut la peine ») et d’autre part, une phrase qui renvoie à Pat Patfoort, une anthropologue dont la thèse selon laquelle l’humain devrait interagir plus équitablement dans un conflit vous a fort impressionné. Pouvez-vous faire le lien entre ces deux phrases et expliquer dans quel sens elles agissent sur vos interactions ?
J’ai rencontré Pat Patfoort à l’occasion d’une formation sur la prévention de conflits en Norvège. Ma famille et moi passions par une phase difficile. Son modèle MmE (majorité vs. minorité) soutient que l’autre doit toujours être considéré comme équivalent, ce qui évite de tomber dans une lutte entre le vrai et le faux. Développer et appliquer la non-violence permet de se placer
soi-même dans une position moins majoritaire et l’autre dans une position moins minoritaire. Au cours d’une discussion, on devrait moins se focaliser sur nos propres arguments et d’autant plus sur les fondations communes. La première étape, c’est d’écouter. L’étape la plus difficile, c’est de s’imaginer pourquoi l’autre pense X ou Y. Mais si on y arrive, on se rapproche plus facilement de l’autre.
Pendant les moments difficiles aussi, ma femme et moi avons poursuivi le dialogue. Les jeunes d’aujourd’hui abandonnent vite, alors que nous n’avons pas arrêté de travailler à notre relation. Pour résoudre les disputes et nous comprendre, ma femme et moi utilisons le mot « PAT », c’est-à-dire que nous prenons le temps de vraiment nous écouter. Dans une relation durable, les valeurs partagées et une direction commune sont très précieuses.
Dans votre vision sur la coopération au développement, j’ai lu que « Chaque société est en développement constant, à un rythme qui lui est propre ». Que pensez-vous de notre société actuelle ? L’observez-vous d’un œil plutôt positif ou négatif ?
Quels signes positifs décelez-vous ?
Je ne suis certainement pas aigri. Je dirais que je suis positif, mais avec une certaine nuance.La technologie peut nous apporter énormément, mais aujourd’hui, tout va vraiment très vite. D’après moi, la révolution technologique actuelle (IA) n’est pas comparable à la précédente. C’est la première révolution où la machine s’autoaméliore et s’autorenforce un peu plus tous les jours. Ce qui est donc différent de l’ampoule, le téléphone, l’internet… Quand je vois l’impact de cette technologie sur les armes utilisées aujourd’hui, j’en ai littéralement des frissons.
J’aimerais parler du titre de votre essai L’homme remèdepourl’homme. Vous confrontez cette expression africaine à notre Homehomini lupus occidental[L’hommeestunlouppourl’homme, NDLR]qui fait référence aux atrocités dont l’homme est capable. La vision africaine sur l’individu et la société est-elle donc si différente de notre vision occidentale ?
Plus je me rends à Beni, moins je comprends les enjeux. Je n’idéalise pas. Il vaut toujours mieux voir les gens tels qu’ils sont. On pourrait dire qu’il y a une plus grande solidarité en Afrique, mais j’ajouterais que cette solidarité
est ethniquement plus soudée. Dans les cultures africaines, j’éprouve des valeurs qui sont moins présentes chez nous. En Afrique, l’hospitalité va beaucoup plus loin que chez nous. C’est beau. Dans les liens ethniques qui les unissent, ils sont également plus ouverts à aider l’autre. Sans parler du respect des anciens que nous avons perdu depuis longtemps en Occident. En Afrique, l’euthanasie ne serait même pas envisagée. On y applique la sédation palliative, mais ça ne va pas plus loin que ça.
Pour donner une place dans ma tête à ces différences sociales très marquées, j’aime renvoyer à La Cathédrale de Rodin, deux mains qui s’entremêlent sans toutefois se toucher.
Un autre concept est l’égonationalisme, un sentiment qui pousse les gens à se replier sur eux-mêmes et à uniquement interagir avec ceux et celles qui partagent les mêmes convictions en raison de frustrations concernant des sujets qu’ils ne comprennent pas. Une de vos propositions pour lutter contre ce sentiment était Kleurbekennen[Avouersacouleur,NDLR]. Avec cette série de cours, vous souhaitiez transmettre un regard mondial aux enfants pour supprimer les peurs et renforcer la tolérance. Je me tourne vers l’avenir maintenant : avez-vous d’autres propositions pour restreindre la méfiance face à l’autre ?
J’étais fier de ce programme et sa suppression est un point sensible. Nous voulions redonner la formation au monde à l’éducation. Avec Kleur Bekennen nous apprenions aux enfants, peu importe leur couleur de peau, de considérer l’autre comme égal. Nous voulions aussi leur transmettre le sens de la responsabilité qui vient avant la liberté. Enfin, un dernier segment était dédié à la justice et à l’équité.
Je m’attarde sur deux passages de votre livre. Le premier parle de vos interactions avec les membres de votre cabinet lorsque vous étiez ministre. Vous déléguiez tellement de projets que la pression était si importante pour certains qu’ils ont décroché. Pourtant, un autre passage parle du respect du rythme. Vous y plaidez d’ailleurs pour le maintien d’un jour férié. Pour vous, le repos devrait être un droit constitutionnel. Ces passages se contredisent légèrement. Avez-vous évolué à ce sujet ?
C’est effectivement difficile pour moi de me reposer… Dans mes années politiques, j’étais littéralement inarrêtable. Quatre ans avec des nuits de quatre heures, sans pause. Et pourtant, les plus beaux moments de repos sont le dimanche matin quand je fais mon tour de salle auprès de mes patients. Je m’installe un instant sur le lit d’un patient et me repose. Je comprends donc l’utilité du repos, mais moi, je n’y arrive pas… Aujourd’hui, je travaille souvent dans l’abbaye Sint-Andries à Zevenkerken. J’y écris et j’y lis. Ça me calme.
La prochaine question s’intéresse à notre tendance à condamner notre « propre culture », un phénomène récurrent chez certaines personnes qui se passionnent de la culture africaine, des philosophies asiatiques… Nous n’avons plus de religion et il nous manque donc une certaine spiritualité. À différentes reprises dans votre livre, vous soulignez votre fascination pour la culture et la religion. Êtes-vous toujours aussi fasciné ?
J’ai toujours été en quête de spiritualité et j’ai toujours continué de chercher. Je pense que c’est en cherchant justement qu’on devient humain et qu’on transmet la spiritualité. Je n’ai jamais fait de yoga et la méditation n’est pas mon truc, mais j’ai fait mes expériences asiatiques. J’ai rendu visite à Thich Nhat Hanh, Vietnamien exilé et fondateur du Village des pruniers dans le sud-ouest de la France. J’y ai fait connaissance de la marche méditative [apprendre à se concentrer sur sa respiration et son environnement en marchant, NDLR]. C’est aussi le fondateur du bouddhisme engagé qui ne met pas l’accent sur l’individu, mais sur le monde et les personnes qui l’entourent. J’y crois très fort, mais Thich Nhat Hanh voulait que je reste fidèle au christianisme où je pourrais tout trouver d’après lui. Je reste donc fidèle au navire sombrant qu’est le christianisme.
Aujourd’hui, l’acceptation de l’islam versus le rejet du christianisme est trop déséquilibrée. Les autres religions doivent pouvoir respecter nos valeurs. Dans notre société, l’impact du christianisme est indéniable. Et ce sont les fondations de la pollinisation entre religion (hétéronomie) et lumières (autonomie) qui donnent à notre société ce qu’elle a de plus beau.
Dans votre livre, j’ai été touché par votre vision sur la communication avec les patients : honnêteté pure et vérité absolue versus édulcorer et entretenir l’espoir. Pouvez-vous en dire plus ?
Hier, j’ai rendu visite à un ex-collègue qui voulait me voir une dernière fois. Sur son lit de mort, il a fondu en larmes lorsqu’il a expliqué avoir reçu son diagnostic d’un médecin masqué. Le message avait été résumé en quelques mots : « Carcinome indifférencié. Nous ne pouvons rien faire. Nous proposons la mise en place d’un trajet de soins palliatifs. ». Dissimulé derrière un masque, un inconnu vous dit en une minute chrono que vous êtes condamné à mort.
J’ai une autre vision sur la relation d’un médecin avec ses patients. La vérité nue ne doit pas forcément être dite ; il faut laisser une lueur d’espoir. Et nous ne sommes pas des prophètes non plus, le nuancement reste donc de vigueur. À la fin, nous sommes nombreux à avoir besoin de cette étincelle d’espoir. Je suis décidément un rebelle et milite même contre la mort.
DR BART VAN GELUWE
« Si j’ai encore une minute pour une rédiger la chronique d’ACTA ? »
J’étais sur le point de quitter la cafeteria de l’az groeninge, à contrecourant, et un bol de soupe fumante dans la main. Un moment auquel j’aspirais tous les jours : quatre minutes de pause sur l’heure du midi. Juste assez pour marcher de la cafeteria à mon bureau en me délectant d’un bon potage. Mais au moment où je m’y apprêtais, Stefaan arriva dans mon champ de vision.
« On finalise le prochain numéro d’ACTA Groeninge. Il ne nous manque plus que la chronique. Tu pourrais écrire un truc aussi cette fois-ci ? »
« Bien sûr Stefaan », lui répondais-je. Comme si j’avais tout mon temps et rien d’autre à faire. « La date limite ? »
« Demain », me répondit-il avec un regard qui ne ferait pas ciller Poutine. Son visage tendu, sans l’ombre d’un sourire, semblait dire que cette réponse n’avait rien d’une blagounette. « Il faut tout envoyer à l’imprimeur demain au plus tard. »
Je ne voulais plus qu’une chose, quitter la cafeteria au plus vite.
Une besogne de plus alors que j’étais déjà désespérément en retard avec tout le reste ! Pourtant, je m’entendis dire « Ça marche. Et cette chronique, de quoi doit-elle parler ? ».
« Dans cette édition, on évoque les implants cochléaires du Dr Claerhout.
Entre autres. Il y a aussi un article sur la thérapie par la musique en onco et un autre sur le son et les échos. Donc… écris quelque chose. » Et il disparut. Avec, dans les mains, son plateau-repas où reposaient ses couverts et sa serviette. Direction la queue du premier buffet chaud.
Implants cochléaires, thérapie par la musique, son… Ces mots se bousculèrent dans mon esprit lorsque j’avalai ma première gorgée de
soupe, me dirigeant vers mon bureau. Ils s’estompèrent lentement, envahis par les notes toujours plus fortes du piano à l’accueil que je devais traverser pour rejoindre mon bureau. Une jeune fille y jouait la Lettre à Elise de Beethoven. Mes pensées s’égarèrent : qui pouvaitelle bien être, cette Elise ? Apparemment, elle n’aurait jamais existé. Initialement, Beethoven aurait appelé son morceau Lettre à Thérèse, d’après la dénommée Therese Malfatti, une de ses élèves qui était, jadis, au centre de son attention. Lorsqu’après sa mort, la pièce fut publiée, le titre a probablement été mal interprété comme Lettre à Elise en raison de l’écriture indéchiffrable du compositeur. « Une écriture probablement plus illisible encore que celle d’un médecin », me suis-je dit.
Je n’ai aucune idée de la valeur historique de cette anecdote. Tout comme je ne saurais affirmer la véracité de la légende qui entoure les quatre premières notes de la 5e symphonie du compositeur allemand.
L’illustre ta-ta-ta-taa en a fait une des pièces les plus célèbres au monde. D’après ce qu’on dit, Beethoven jouait du piano jusque tard le soir, au grand dam de ses voisins qui, un jour, frappèrent à sa porte : courtcourt-court-long…. À l’époque, il souffrait déjà de surdité et aurait perçu les coups sur la porte plus sourdement, de manière plus atténuée ; les transformant en son célébrissime ta-ta-ta-taa. Composer des chefs-d’œuvre alors que son ouïe le quittait peu à peu, quelle terrible épreuve ! L’ironie de Beethoven est qu’il composa quelques-unes de ses plus brillantes compositions au cours de sa surdité croissante. En effet, au moment de sa 9e symphonie, il était sourd comme un pot. « Que n’aurait-il pas réalisé avec un implant cochléaire ? », me demandais-je en ouvrant grand la porte de mon bureau.
Mon bol de potage était vide et la chronique fin prête.
Délai respecté. Stefaan satisfait.