Lu si ... 3

Page 1

Lu si… musicalement... Edition 21 juin 2012 — n°3 — Prix France 2,20 €

ARIANE

E

LLE était si belle ! Longs cheveux d’ébène, yeux vert sombre en amande. Un visage d’ange, disait-on. Un corps désirable, souple et gracile ; une peau soyeuse et des mains fines… Oui, elle était adorable et adorée, adulée, admirée… Mais aujourd’hui, la voilà si seule devant le miroir, dans sa dernière chambre. Elle n’a pu emporter que quelques meubles, le fauteuil, la télévision. Et elle a dû se séparer du chat, le confier à une voisine. Elle a beaucoup pleuré. On s’attache tellement à un animal si discret, si câlin… Le soir, il venait se faire caresser, s’endormait sur ses genoux, lui communiquait un peu de sa chaleur… Tout est si froid, ici. Très propre ; trop propre. Ça sent le détergent jusque dans la salle à manger. Les odeurs, bonnes et mauvaises, se mélangent. Son chat, lui, sentait si bon, quand elle l’embrassait derrière ses petites oreilles veloutées. Fin de la tendresse et de la douceur… Pourtant, ils sont gentils dans cette maison, on ne peut vraiment pas se plaindre. Mais il manque tant de choses, pour qu’on y soit heureux ! Et il y a ce bruit de fond permanent, dans les couloirs et les pièces communes. Ils appellent ça de la musique. Pour détendre l’atmosphère, disent-ils. Peut-être ont-ils peur du silence… Le miroir est bien placé, on peut s’asseoir devant. Comme autrefois, dans les loges… Elle aimait se maquiller seule, avant le spectacle, tout en préparant sa voix. Se faire des chignons magnifiques. Souligner ce regard qui allait capter son public, accentuer cette bouche, qui allait chanter Mozart, Puccini, Strauss. Voi che sapete che cosà è amor… Cherubino, son premier rôle ; puis la Comtesse : Porgi amor, et enfin Madeleine, sa préférée, l’héroïne de Capriccio, à qui elle s’est tant identifiée : Prima le parole, dopo la musica. Ou le contraire… Elle non plus n’a jamais pu choisir entre le texte et la musique, l’écrivain et le compositeur… Mais quelle importance, finalement ? Tout cela est si loin, comme les images d’un rêve qui s’évanouissent avec le jour et ne laissent qu’une impression vague et fugitive… Oui, quelle importance aujourd’hui, puisqu’elle est ici comme n’importe quelle femme ? Comme celles qu’aucun public n’a jamais applaudies, rappelées, ovationnées. Une très vieille dame dans un fauteuil roulant, que personne ne vient plus jamais voir. Un petit visage défait qui interroge le miroir et se souvient des bonheurs enfuis… Danalyia

Licence pour usage personnel


«

LE

MOT DE LA RÉDACTION

Mais c'est qu'il est peut-être impossible de parler de la vraie musique, celle qui impose sa pure présence, comme une âme délivrée de toute contrainte charnelle, dans un espace et un temps qu'elle invente en même temps qu'elle s'y déploie. » Si Bernard Pinguaud semble douter dans L’Andante inconnu du pouvoir des mots quand vient le temps de nommer les sons, le numéro courant de Lu si… a choisi de se servir du prétexte de la Fête de la musique pour célébrer la parole. Langue du cœur, la musique nous parle, nous émeut, nous console. Quelques notes d’une chanson suffisent pour nous amener ailleurs, nous rappeler l’adolescente maladroite ou l’enfant renfrogné, un amour perdu, mais jamais oublié, la voix ou le geste d’un parent, faire remonter le goût âpre des regrets. Nos auteurs l’ont compris et ont su s’en servir comme impulsion, comme pulsation. Certains, avec un plaisir certain, ont choisi d’aborder le thème à contrepied. D’autres ont soulevé un pan du voile dont se couvre toujours la nostalgie. Tous ont démontré combien cette langue universelle pouvait tout exprimer. Liée depuis l’enfance à un instrument qui se pratique en solitaire, rien ne me transporte pourtant autant que la musique de chambre : partager avec d’autres les subtilités d’une partition, laisser une intonation, un accent, une respiration, me traverser comme une onde amoureuse. En unissant mes mots à ceux de ces autres, je ressens autrement cette si troublante complicité. Stravinski a écrit dans sa Poétique musicale qu’« il ne suffisait pas d’entendre la musique, mais qu’il fallait encore la voir ». Et s’il s’agissait plutôt de la lire? Lucie Renaud

Dossier spécial Musique

Ma muse Me pétrit à deux mains Je m’évade, je m’enfuis Mon esprit vole comme plume au vent Je bascule dans une autre époque Je glisse, je fonds Me confonds avec ma vieille âme Exit mon corps futile Je pleure les intervalles Mes poumons me galvanisent Mon souffle se suspend Ma muse se joue de moi Comme d’un instrument à vent Elle fauche mon quotidien À l’occasion, ses mots me tuent À mon tour Je fais vibrer ses cordes sensibles

LA

MUSE Je m’épanche, presse ses touches Mélancolique, triste, langoureuse ? Alors elle remue mon être Ma gorge se serre Ma muse me chavire Elle me dédouble Mon cœur saute à l’octave Ma muse m’apostrophe S’arrime à mes pulsions secrètes Elle me fige, me cristallise Me sourit, me séduit Ma muse Ma majeure ma mineure Ma muse La musique Hélène Ferland

Licence pour usage personnel

2


DOSSIER

L’HÉRITAGE

L

A porte gémit, craqua puis céda dans un miaulement familier qui lui rappela la fois où son père était venu le chercher à la sortie de l’école. Ce jour-là, il venait juste de fêter ses 8 ans, et c’était la première fois que son père venait le chercher. Ce moment l’avait rempli de fierté et de joie. Son père l’avait amené à l’animalerie. Le miaulement de Titou, un chaton aux yeux verts de 3 mois, l’avait tout de suite ému. Il scrutait la pièce, tentant d’habituer sa vue à la faible lumière matinale qui filtrait à travers la vitre sale d’une lucarne. Son regard s’arrêta sur ce qui lui semblait être le fauteuil dans lequel son père aimait s’asseoir après le diner. Son enfance avait été plutôt heureuse. Ses parents travaillaient ensemble dans une boutique d’instruments de musique située au rez-de-chaussée de leur maison. Sa mère avait une voix envoûtante et son père l’accompagnait souvent au violon. La musique avait bercé son enfance. Pourtant, il n’avait jamais réussi à bien jouer d’un instrument, malgré tout le mal qu’il se donnait pour que son père soit fier de lui. Il n’était pas revenu dans cette maison depuis le décès brutal de ses parents dans un accident ferroviaire, il y a sept ans. Il n’en avait, jusque-là, jamais trouvé la force. À l’époque, son fils n’était pas encore né. Sa femme allait accoucher quelques jours plus tard. Sa peine se mêlait à la joie de devenir père, mais il n’avait pas le temps de s’appesantir sur sa tristesse et avait choisi de se concentrer sur l’avenir, de laisser place à la vie. Dès qu’il fut en âge, Damien l’avait beaucoup questionné sur ses grands-parents dont il avait, à l’évidence, hérité le talent musical. Ses yeux s’étaient accoutumés à la faible lumière et il distinguait désormais les limites de la pièce. Au fond, plusieurs meubles étaient recouverts par des draps. Il s’avançait ; le plancher grinçait sous ses pieds. Il souleva les draps un à un jusqu’à trouver le bureau de son enfance. Il en ouvrit tous les tiroirs : ils étaient tous vides. La déception se lisait sur son visage. Après quelques instants, il se souvint du tiroir secret situé sur l’arrière du bureau. Il dégagea le meuble, actionna le mécanisme, souleva la trappe et tâta le fond du compartiment pour en sortir un coffret qu’il posa sur le bureau. Voilà le cadeau qu’il comptait offrir à son fils pour son anniversaire. Il se rappelait encore la joie qu’il avait eue lorsque son père le lui avait donné, et il était certain que Damien l’apprécierait également. Il vérifia le contenu de la boîte. Il était là, aussi beau que lorsqu’il l’avait reçu : son premier harmonica.

Mélo Didemo Alain Pelletier

Licence pour usage personnel

SOMMAIRE DOSSIER SPÉCIAL MUSIQUE

Ariane Danalyia p 1 La muse Hélène Ferland p 2 L’héritage Mélo Didemo p 3 Capter le silence Didier Jacquot p 4 Une musique entraînante Olivier Grandjean p 5 Fragments du journal d’Emma Danalyia p 6 5 / 20 Caro Mennesson p 7 Vocation Adrienne p 8 Nocturne Nathalie Ventura p 9 Concerto pour la main gauche Lucie Renaud p 10 Arc-en-ciel musical Guillaume Mézin p 11 Le crapaud et le pianiste Armelle Mabondzo p 12 La cornemuse Ghislaine Balland p 12 La musique des mots Sylvie Guével p 13 Musiques de vie Guy Blanchard p 14

TEXTES LIBRES Sur la terrasse Philippe Godet p 15 Inscrit dans la pierre D. Hasselmann p 16 Valse - hésitation souterraine Claudio Pinto p 17

RUBRIQUES

Sous le signe du lundi Caro Mennesson Blandine Ghislaine Balland Petite Annonce Catherine Orsa Frères Zumains Janeczka Dabrowski

p 18 p 19 p 19 p 20

3


DOSSIER

CAPTER

LE SILENCE

O

N ne voyait pas le visage de Camille. On ne le voyait jamais. À 16 ans, elle avait laissé ses cheveux pousser et ils formaient depuis comme une cascade, une forêt impénétrable, décourageante. Beaucoup pensaient qu’elle masquait une cicatrice. C’était le cas. En quelque sorte. Elle s’était rendue près de Saramon, un peu étonnée par les nombreux changements de train. Elle allait de gare en gare et boucla finalement son périple en taxi. Elle demanda au réceptionniste à rencontrer le directeur. Elle n’avait pas rendez-vous et venait pour le poste de nuit. Cyril D'Estraques avait tiqué lorsqu’elle débarqua mais il avait apprécié l’autorité qui se dégageait d’elle. Elle n’était pas sans lui rappeler Manon, sa fille disparue. Il l'engagea. À la surprise générale. Rod, le régisseur, fut de ceux-là. Personne ne l'avait prévenu que cette fille serait leur passe-partout nocturne. Stephan avait été clair : ce serait cet hôtel et pas un autre. Musiciens, techniciens et lui y seraient réunis pendant plusieurs mois. Comme une famille. Ils avaient réservé l'ensemble de l'étage, laissant à la clientèle traditionnelle le rez-de-chaussée. Ils feraient donc avec Camille. Les premiers soirs, elle fut troublée. Habituée à être seule, voilà que ça déboulait de partout, que ça chantait, que ça parlait fort, la musique vibrionnait, tantôt ça partait dans tous les sens, tantôt des harmonies naissaient. Elle surprenait même ses doigts qui battaient la mesure. Elle avait à certains moments la chair de poule. Elle avait plus de mal à écrire. Un type enregistrait tous les sons qui passaient par là. Cette nuit-là, il avait pour mission de capter le silence. C’est exactement ce que Stephan lui avait demandé : capter le silence. Rien que ça ! Il s’en était allé aux premières étoiles, s’en était revenu aux dernières. Bredouille. Crotté. Barbu. Camille était assise sur un banc et ne semblait pas l'avoir entendu. La brume faisait halo. Machinalement, il mit le Nagra en marche. Un VI and Ares BB+. Il ne bougea plus. Il sut vite pourquoi. Elle se pensait seule, elle avait relevé ses cheveux et clignait des paupières. Il vit alors ses yeux ! Le Nagra enregistrait tout pendant qu'il s’éloignait. Il la tenait, sa pépite. Il avait capté le silence. Un silence majestueux, épouvantable ou merveilleux. Au choix. Un jour, après que Stephan et sa bande étaient partis, laissant derrière eux des particules qui flottaient dans l’air, Camille se rendit dans le bureau de Cyril et annonça à son père qu’elle était revenue. Il pleura. Mains sur la poitrine. Murmura Manon. Manon. Ils écoutaient en boucle le disque de Stephan. La maquette laissée en cadeau. Il y était question de rivière, d’énervements, d’espoir, de remords, de regrets, de nuits passées debout, de baisers orageux. Quelques semaines plus tard, son livre sortait. Titre. Un hôtel rue de la Paix. Auteur. Camille d’Estaques. Photo de couverture : une mèche de cheveu. Et des yeux perçants. Sur fond blanc.

Didier Jacquot Patrick Cassagnes Licence pour usage personnel

4


UNE

MUSIQUE ENTRAÎNANTE

DOSSIER

C

HARLES n'avait plus la possibilité de suivre les actions puisqu'ici il n'avait pas de radio. Mais sa mémoire avait tout conservé. Un conseil militaire de salut national a été mis en place... Il repensait aux événements. 1 206 arrestations, dont le leader charismatique du syndicat des ouvriers... Excepté lors des réunions secrètes, Charles n'avait jamais côtoyé aucun d'entre eux. Néanmoins, l'image de ceux qu'il avait croisés, ne serait-ce que quelques instants, lui revenait constamment. Où étaient donc ces camarades à présent ? Et puis, comment ne pas repenser à cette musique ? Elle était la cause de leurs problèmes actuels et ils le savaient. Mais ils n'en voulaient à personne, car les ordres sont faits pour être suivis à la lettre. Les chefs, en effet, avaient précisé : Lorsque vous serez isolé, trouvez un moyen de diffuser cette mélodie, car ce sera votre protection. La musique est fédératrice, c'est ce qui fait sa force. Selon leurs théories, pour se reconnaître, il suffisait aux camarades de souffler dans l'harmonica qu'on leur avait fourni. S'ils le perdaient, ils avaient la possibilité d'utiliser n'importe quel autre instrument, ou de taper les notes sur une vitre, voire de fredonner la mélodie à voix haute. Charles n'avait pas eu le temps d'apprendre à jouer de l'harmonica. Lorsqu'il s'était senti en danger, il avait bien soufflé dedans, mais s'était retrouvé incapable de fournir la moindre note. Aussi, il avait pris un caillou et frappé, en rythme, contre un tronc d'arbre. Aucun de ses compagnons n'arrivant, il avait continué jusqu'à ce qu'on vienne l'arrêter. Soudain, quelque chose percuta la porte métallique de sa chambre. Charles tressaillit. De la sueur perla sur son front. Les yeux fermés, il s'allongea. Un nouveau coup rompit le silence. Rouvrant les paupières, il découvrit la pièce plongée dans la pénombre. On avait coupé l'électricité. Pour lui ou de façon générale ? Il ne pouvait le dire. À tâtons, il chercha la couverture, se glissa dessous et se recroquevilla. Avec toute cette angoisse qui le submergeait, il n'allait certainement pas pouvoir dormir. Alors, il resta quelques instants ainsi inerte, puis, pour se donner du courage, il se mit à siffler la fameuse mélodie de ralliement de plus en plus fort. C'est à cet instant-là qu'il entendit une clef tourner dans la serrure et la porte s'ouvrir avec fracas. Des pas arrivèrent jusqu'au lit. Rapidement, des mains s'emparèrent de la couverture et la retirèrent. Charles continuait d'entonner la chanson libératrice. Secoué par les épaules, il ouvrit les yeux et fut ébloui par la lumière revenue. On le força à se lever et le poussa jusqu'à la porte. Quelqu'un cria : Nous vous changeons de cellule. Lorsqu'il traversa le couloir, lentement, tête baissée, menottes aux poignets, des harmonicas commencèrent à jouer de concert. Maintenant, Charles en était convaincu : utiliser cette musique était une bonne idée. Elle avait permis à tous les camarades de se rassembler et de se retrouver autour de leur idéal, même s'ils avaient, finalement, tous été emprisonnés. Alain Pelletier

Olivier Grandjean Licence pour usage personnel

5


DOSSIER

Fragments du journal d’Emma

J

E m'appelle Emma S. J'ai 28 ans. Je suis grise, d'un gris terne, qui a oublié depuis longtemps toute lumière. Pourtant, autrefois, on disait de moi que j'étais belle. C'était il y a des siècles...

Je ne parle à personne. Je ne possède quasiment rien, excepté mon stylo et quelques cahiers. J'écris, je tente de rassembler les fragments éparpillés de mon histoire, de retrouver la parole perdue ; mais les mots sont impuissants à dire la douleur, le regret... Anaïs, ma sœur, vient me voir souvent. Messagère de l'autre monde, elle m'apporte des cahiers, de l'encre, des fleurs et beaucoup de douceur. Elle s'assied près de moi et me parle de sa vie, de ses enfants... Hier, elle a voulu brosser mes cheveux, comme autrefois. Un flot suffocant de tendresse est monté jusqu'à mes lèvres, mais aucun mot n'est sorti. Alors, je l'ai prise dans mes bras et nous avons pleuré. Elle a murmuré : « Tu te rappelles, les belles coiffures que j'inventais pour toi ? » et je l'ai serrée un peu plus fort...

Val Tilu

Avant qu'elle parte, nous sacrifions au « rituel du message ». Elle dit : « Je vais rentrer »... Je m'installe alors à la table et j'écris quelques mots. Ensuite, je plie la feuille et la lui remets. Hier, j’ai écrit : Bientôt le Printemps. Je suis un arbre Et dans mes branches emmêlées Mille oiseaux silencieux Rêvent de s'envoler. Le docteur m'a donné un comprimé, puis il m'a parlé doucement. Il a une belle voix grave, qui résonne en moi comme, autrefois, celle de mon violoncelle. Au creux de ma main gauche, j'ai écrit : « J'aime votre voix ». Il a répondu en rougissant légèrement : « Je suis certain que j'aimerais aussi la vôtre, si vous acceptiez enfin de me la faire entendre ». Anaïs me parle souvent de mon violoncelle. Elle dit : « Je veille sur Marcello, tu sais ; il attend ton retour avec impatience… Je le joue un peu, mais je reconnais à peine sa voix ; il ne sonne bien qu'entre tes mains... Tu ne veux vraiment pas que je l'apporte ici, pour un essai ? » Je refuse toujours… Marcello, c'est un ami très cher, avec qui j'ai perdu le contact : j'ai peur de ce qu'il pourrait me rappeler. Mais j'ai peur de la musique, surtout. C'était la langue de l'amour et du véritable dialogue. Les mots, eux, sont trop petits pour contenir la réalité : trop maladroits pour dire l'insaisissable, l'éphémère, tout ce que la musique exprime dans sa merveilleuse fluidité... Quand j'écris, j'entends une voix, claire et grave comme celle d'une petite fille triste... J’ai oublié ma propre voix ; j'ai le sentiment d'avoir été toujours muette. Je me rappelle que je parlais, que mes lèvres s'agitaient… Mais était-ce bien moi ?... Moi, je m'appelle Emma S. Je ne parle pas. Je suis ici pour tenter de vivre avec les mots de tout le monde. Mais je n'y arrive pas... Danalyia Licence pour usage personnel

Armando Ribeiro 6


5 / 20

D

DOSSIER

ERRIÈRE moi, la nuit s’esquisse.

Accroupie, je le trouve enfin sous une pile de CD poussiéreux. À 15 ans, je l’avais écouté en boucle pour la première fois. Je pleurais un amour impossible, ceux que seule l’adolescence sait faire naître ; les paroles m’avaient étrangement consolée. Coïncidence, notre professeur de français nous avait demandé de disserter autour d’une définition personnelle d’une belle musique. J’étais si fière de pouvoir enfin laisser affleurer mes émotions. Apposer des mots sur ces notes mystérieuses où disparaissent peurs ou peines. Écrire ces instants en suspens quand l’on se réfugie dans un coin d’une chambre, volume à fond, et où on lâche prise.

Les hommes qui passent

Fabiana Alvarez del Villar

Finalement, ma copie m’avait valu une sérieuse fausse note : 5/20. Les autres filles, jupe plissée et col Claudine comme les garçons, droits dans leurs mocassins, avaient vanté Mozart, Chopin, ces noms et ces notes qui rythmaient leurs trajets en Renault Espace et leurs sorties familiales d’un samedi sur deux. J’ai vite saisi que j’avais ignoré une règle que tous, dans ce collège privé et haut de gamme, connaissaient depuis l’enfance : la culture a ses codes qu’il faut savoir afficher. Il me fallait taire mes goûts musicaux nourris de pop. Quelques années plus tard, deuxième piège. J’étais préparée. Un vendredi soir, alors que nous regardions entre amis High Fidlity, Laurent avait voulu imiter le héros du film : quelles musiques s’accordaient avec nos ruptures amoureuses ? Surtout se fondre dans le chœur des autres voix et être à l’unisson. Deux d’entre eux ont évoqué Rossini et Debussy. Les autres des valeurs sûres : Bob Dylan, les Beatles. Moi, Satie. Depuis mon lamentable 5/20, je m’étais nourrie de musique classique. Je voulais comprendre pourquoi elle était si belle, « divine » et pas simplement faire l’intéressante. J’avoue, j’ai aimé ce que j’ai entendu. Ils chicanaient sur le baroque et le contemporain, je me taisais. Les fugues de Bach m’enchantent. Je pourrais vous répondre, pour les déceptions amoureuses, c’est simple, ou je cours, ou je sors en boîte. Les kilomètres sous mes foulées régulières, un oubli saturé de rythmes et de bruits… Evidemment, j’écoute encore les hommes qui passent de Patricia Kaas. Je ressors mon vieux 5/20, comme je le surnomme. À chaque fois le miracle… les paroles me consolent peu à peu. Plus de douleur, ni de peine. Des hommes qui s’éloignent et une mélodie qui suit les lignes fantômes de mes anciennes blessures. Je chiffonne le mot que Bastien a laissé en me quittant. Il n’a même pas eu le courage de se retrouver face à moi. Il a fourré toutes ses affaires dans des cartons et il est sorti de ma vie. La chanson reprend, j’imagine sa silhouette se mêler progressivement à d’autres souvenirs rangés, photos, babioles offertes, lettres. Je pose le CD sur la chaîne. Je l’écouterai en boucle jusqu’à accepter que Bastien, comme d’autres avant lui, après lui, ne fasse que passer. Demain, dans une semaine, dans un mois, je rangerai mon 5/20. Un jour. Caro Mennesson Licence pour usage personnel

7


DOSSIER

VOCATION

M

arie-Ange, Catherine, Angélique, Sabine… même si on n’a pas tout à fait 8 ans et qu’on s’est quittées la veille, on en a des choses à se dire ! Des choses importantes, pensa la petite en s’approchant du quatuor. Hier on a eu notre première leçon de solfège, annonça Catherine. — Et l’an prochain on fera du piano, ajouta Marie-Ange. — À l’académie de musique, compléta Sabine. —

Val Tilu

Et Angélique opinait à chaque fois pour bien montrer qu’elle faisait partie des initiées.

La petite ouvrit de grands yeux. C’était un nouveau mot : solfège. Et c’étaient des mots magiques et mystérieux : académie de musique. C’est où, l’académie de musique ? demanda-t-elle. — Par là, fit Marie-Ange en étendant le bras du côté du centre ville. —

Après l’école, elle n’attendit pas le goûter pour déclarer fièrement : Marie-Ange et Catherine vont au solfège ! Et l’an prochain, elles feront du piano ! Alors moi aussi, j’irai à l’académie de musique ? —

Elle avait confiance : généralement, sa mère faisait comme les mères de Marie-Ange, de Catherine et d’Angélique, qui étaient des dames très comme il faut. — On verra ça ce soir avec ton père, dit-elle. Le soir, la petite n’avait pas oublié. Elle attendait, avec toute la patience dont elle était capable, que sa mère abordât enfin le sujet. Elle ne le fit qu’au moment où la table était débarrassée : Marie-Ange et Catherine vont à l’école de musique, dit-elle. — Moi aussi je voudrais bien y aller, fit la petite en s’agrippant des deux mains à l’accoudoir du fauteuil paternel. — Toi ? laissa-t-il tomber vers elle. Qu’est-ce que tu irais y faire ? —

Et il déplia son journal. L’affaire était close. Elle fit cependant une dernière tentative et le pria d’une petite voix : J’aimerais pourtant bien apprendre à jouer du piano… — On n’a pas de piano, dit le père. —

Puis il ajouta la petite phrase assassine : —

Et d’ailleurs, tu chantes faux.

Plus jamais la petite ne redemanda à faire de la musique. Et depuis ce jour-là, quand en classe on entonnait « Il court, il court, le furet » ou « Colchiques dans les prés », elle faisait semblant de chanter : elle bougeait juste les lèvres, de peur de faire entendre une fausse note. Adrienne Licence pour usage personnel

8


NOCTURNE

DOSSIER

L

a porte a claqué. Tim a laissé le bruit des talons s'éloigner et a mis le cap sur la fenêtre. Derrière le rideau, il regarde sa mère, s'assure qu'elle ne va pas faire demi-tour. Parfois, depuis la rue, elle lève les yeux et le fixe pour l'intimider. Aujourd'hui, elle est en retard ; elle file sur le trottoir sans se retourner en serrant la main de Julia à lui faire mal. C'est toujours à faire mal qu'elle serre leur main. Une manière silencieuse d'enfoncer son autorité. En début de soirée, elle fait le ménage dans les bureaux d'un garage automobile. Le gosse aurait aimé l'accompagner car les voitures le fascinent, surtout les décapotables. Mais, quand il s'est aventuré à le lui demander, elle l'a fusillé du regard : T'es malade ? Pour que tu poses tes doigts sales de partout ? La déception est un sentiment fugace. Tim a apprivoisé sa solitude. Dans le petit appartement, il tente de déployer ses rêves en dépit du désordre, du lait tourné dans le bol du chat, des relents d'oranges moisies. Du haut de ses 12 ans, il se demande pourquoi sa mère va faire le ménage chez les autres alors qu'elle est incapable de le faire ici. Il a longtemps pensé que ce monde lui devait du carrelage lisse et des odeurs de brioches sortant du four puis il a fini par se résigner à toute cette crasse. Ce soir, il a avalé un bol de céréales et s'est posé sur le canapé en poussant la pile de linge. Il regarde le soleil s'échapper et abandonner sur les murs un glaçage de nuances froides. Dans la rue, le bruit des moteurs qui toussent couvre les conversations des passants. Il est presque 18 heures. Le chat fait ses griffes sur la tapisserie décollée. Le garçon a quitté le fauteuil d'un pas lent, baissé le son de la télé et s'est glissé furtivement contre la fenêtre. Il guette le passage de Johanna. L'autre jour, à l'école, elle a fait tomber des feuilles pleines de signes étranges, comme de petites araignées accrochées à une toile de longs traits rectilignes. Elle a rougi quand il s'est baissé pour les lui rendre. Elle dit que ce sont ses partitions. Johanna ne lève jamais les yeux pour le regarder. Elle ne sait pas qu'il habite ici, dans le même immeuble que le professeur de piano. Aujourd'hui, elle marche vite, elle aussi est en retard. La fillette aux boucles blondes s’est engouffrée dans le hall de l'immeuble et le gamin s'est précipité dans le couloir qui mène à la chambre de sa mère. Elle hurlerait si elle le savait. Dans cette chambre ou ni lui, ni sa sœur n'ont le droit de venir, le jour n'entre jamais. À travers les stries des volets clos, la seule lumière qui parvient à se faufiler vient s'éclater contre le mur comme des milliers de projections minuscules qui seraient venues mourir là. Le jeune garçon a enjambé le lit et s'est laissé glisser sur le sol. L'oreille collée au papier de fleurs jaunes et les yeux fermés, il attend la musique. Les minutes passent, pleines du souvenir d'anciennes mélodies puis le cours commence, les notes résonnent, le sol de la chambre vibre. Il aime ces frissons sur sa peau et ce tressaillement au plus profond de lui quand il imagine les doigts de Johanna sur les touches d'ivoire : ballets langoureux, arpèges retenus. Sur les partitions, il a lu le mot nocturne ; il ne sait pas si c'est le nom de la musique ou celui du musicien. Nocturne, c'est un mot qui lui donne envie d'être heureux, une sorte de piège à bonheur qu'il pourrait garder là, en secret. Retenir l'accumulation de beauté. Le bruit d'un verre qui se brise. Un miaulement. Tim se lève pour regagner la cuisine. C'est assez pour aujourd'hui. Licence pour usage personnel

Nathalie Ventura 9


DOSSIER

CONCERTO

POUR LA MAIN GAUCHE

S

AISIE par la musique, je ne le remarque pas tout de suite, à quelques mètres de moi. Un visage d'une apaisante douceur, des yeux bordés de cils interminables, un air androgyne; frontière floue entre les sexes, entre les continents. Dans sa chevelure souple et lisse, je revois la tienne, en un instant de manque fulgurant. Plus jamais tu ne franchiras le seuil de mon appartement, plus jamais je n'entendrai le son de tes bottes sur le parquet verni. Pourtant, malgré moi, je continue d'espérer que ta barbe de mauvais garçon me râpe la joue, que nos odeurs se fondent dans la nuit, que tes lèvres se déposent dans mon cou. « Et toi, ta journée? » Je n’avais pas deviné ce soir-là que ma vie allait basculer quand, d’une voix légèrement affolée, tu m’avais demandé en coulisse de tourner les pages dans le Quatuor en do mineur de Brahms. Je me souviens de t'avoir trouvé magnifique, sanglé dans ton veston sombre, d’avoir été hypnotisée par tes doigts dessinant avec délicatesse les accords soutenant le chant du violoncelle dans l’extraordinaire Andante. J’en avais oublié de suivre le texte et étais retombée sur terre quand j’avais senti ton regard me fixer de façon ironique. Après le concert, je m’étais jointe à ton groupe d’amis. Au pub, tes mains semblaient échapper à ton contrôle. Elles dansaient, du verre de rhum ambré à ta barbe, perplexes, revenant vers la table, pianotant quelques croches oubliées, se refermant sur ton briquet, plongeant dans le bol de grignotines. Pendant une magnifique, douloureuse seconde, j’avais tenté d’appréhender leur rugosité, les avais imaginées se posant sur mon corps d’ivoire. Au moment de partir, tu t’étais contenté de caresser ma joue, avant de noter sur un coin de napperon mes coordonnées. Point d’orgue. La semaine suivante, tu m’avais invitée au concert du Trio Beaux-arts. Dans le Largo de l’opus 67 de Chostakovitch, ta respiration s’était accélérée, tes doigts soudain noués aux miens. Ta fragilité en offrande. Quand tu m’avais reconduite à mon appartement, nos lèvres s’étaient maladroitement cherchées. Un mois plus tard, tu débarquais avec tes partitions et tes disques. Une année de pure complicité avant qu’une chute malencontreuse sur une plaque de glace détruise irrévocablement ton assurance, ton équilibre, mes rêves d’inventions à deux voix. Les premières notes de l'Adagio assai du Concerto en sol de Ravel s'élèvent et je frémis. Nos interminables discussions sur l’œuvre me reviennent, mais aussi toutes ces nuits pendant lesquelles j’ai continué d’espérer que tu reprennes pied, que tu t'installes au piano, que les accords déchirants de main gauche me tirent de cette léthargie qui nous enveloppait… que la droite me parle enfin de toi. Les larmes me fuient, une fois encore, même si je les appelle. Les premiers applaudissements fusent. Je m’enfuis dans la nuit, incapable de dégager de cet air moite gorgé de lilas, ton singulier sourire.

Texte et photo : Lucie Renaud. Licence pour usage personnel

10


ARC-EN-CIEL

DOSSIER

MUSICAL

C

ELA remonte si loin dans ta mémoire. Tu n’étais encore qu’une petite enfant, égarée dans un monde abstrait. Un univers enveloppé de fragrances neuves, où tu la distinguais sans cesse, maman, son parfum, sa présence. Elle représentait tout pour toi, une béquille, une guide, une épaule à serrer fort. Ce jour-là, tu jouais sur la moquette du salon, douce, tiède sous ta paume. Puis maman te demanda de bien écouter, d’avoir confiance… alors tu l’écoutas, elle, et tu obéis sans même comprendre ses mots. Elle couvrit tes oreilles avec un objet inconnu… Tu ne connaissais pas cette chose étrange qui vint à toi. Un bruit ? Aucune voix, rien de cette chaleur que l’on devine dans le timbre d’une parole. Au début, tu demeuras confuse, seule dans un lieu nimbé de ténèbres. Puis tu entrevis une masse informe, brute et incolore, en équilibre dans le néant. Et cela enfla, palpita… avant d’imploser et de disparaître. Tu sentis que l’on ôtait le casque. Pleine de pleurs, maman te prit sur ses genoux . Dans son chuchotis, il y avait un sourire, une tendresse sincère. Elle fredonna une comptine, apaisa ta peur. Tu remuas les doigts, apeurée mais curieuse, retrouvas la moquette, moelleuse, les écouteurs sur ta tête. La forme ondulait désormais, et tu t’aperçus qu’elle se divisait, éclatait en fragments innombrables. Tu ne pouvais les différencier, tout allait si vite, restait si terne et insipide à ton oreille. Alors tu flairas les sons, mais ne trouva d’odeurs à leur appliquer contrairement aux voix . Éperdue, tu t’enivrais des notes, sauvages, désirais un instant les dompter, apprendre leur langage... mais déjà l’arceau glissait et tout redevint noir. Tu hurlais, en voulais davantage ! Si jeune, tu ne pouvais que tendre les bras pour implorer, crier plus fort. Et maman céda, comme toujours ; tu l’aimais, elle, sa patience, sa douceur et son désir inlassable de t’enseigner le monde. Tout implosa sous ton crâne à nouveau, les particules mélodieuses scintillèrent, les mouvements t’apparurent, et dans leurs sillages… une révélation. Au plus loin de tes brefs souvenirs, tout n’avait été qu’obscurité, mais en cet instant, sans t’en douter encore, tu venais d’inventer tes propres couleurs. Chaque son possédait une tonalité singulière, une teinte. Tu tâtonnais, ne pouvais deviner encore l’étendue de la palette à découvrir. Déjà tu vibrais de la musique, coloriais la noirceur de notes pourpres, jaunes, bleues ! Un jour, bien plus tard, tu ferais naître d’une partition des papillons multicolores, des pulsars crus et des feux d’artifice fantastiques. Mais ce jour-là, tu savourais, admirais. Quelque chose avait claqué au-delà de ta vision. Tu avais reconnu la porte d’entrée, reniflé le parfum musqué, intense. Papa ! Tu avais ri, impatiente qu’il te prenne dans ses bras, que sa voix grave et profonde tonne dans tout ton être. « Qu’est-ce qu’il y a ? », demanda papa. Maman rigolait et pleurait à la fois, une odeur de sel, de joie. « Le docteur est formel, elle ne verra jamais. Mais elle aimera la musique. » Guillaume Mézin Licence pour usage personnel

Armando Ribeiro 11


DOSSIER

Le crapaud et le pianiste

L

’enfant s’assoit avec précaution devant le batracien endormi, regarde ses mains engourdies et tente prudemment d’écarter les mâchoires de l’animal. Ses gestes sont maladroits et un coassement plaintif s’échappe des lèvres de l’animal. Un doigt de soleil matinal joue avec ses paupières lourdes et il bondit sur ses courtes pattes – dissonance. L’arc-en-ciel ! Pour un peu, la nuit passée allait lui faire oublier l’objet de sa recherche ! L’harmonie ultime des couleurs dont les Anciens parlaient mais que personne, de mémoire de crapaud, n’avait jamais aperçue. Lui, il la trouverait ! Mais il faut repartir. Et il avance par petits bonds réguliers. Cependant, dans le salon de musique, les mains de l’enfant vont et viennent sur le clavier : majeur, mineur, majeur,… Fastidieux, monotone. Les doigts se déplacent patiemment. La route est longue qui mène au but ultime : la polyphonie parfaite. Le soleil monte dans le ciel, il fait chaud. L’animal a soif , il faiblit, tandis que les mains ralentissent leur course laborieuse. Désert. Soudain, changement de tableau. De l’ombre, des arbres, un cours d’eau. Fraîcheur. Floc ! Le crapaud plonge dans la mare avec délice et en explore les méandres, tandis que les doigts aguerris du jeune homme s’aventurent dans des entrelacs mélodiques audacieux. Cisellement de fugues. Dentelles de notes. La musique s’écoule harmonieusement. Clarté. Evasion. Plénitude. Mais les doigts fatiguent et buttent sur des combinaisons ardues ; le ciel se couvre, l’eau s’assombrit, agitée par un vent violent. Le soleil a disparu. Le batracien regagne péniblement la berge, balloté par les vagues. Epuisé. Et le piano gémit les tourments nocturnes de l’âme, hurle les tempêtes qui ravagent le cœur de l’homme, l’angoisse du temps qui passe, tente en vain de ressusciter les mélodies qu’il n’entendra plus jamais et d’éteindre celles qu’il voudrait oublier et qui le hantent. Alors, dans un paroxysme d’éléments déchaînés, le vieil homme et le crapaud sont comme enlevés et pulvérisés dans une constellation d’étoiles multicolores, tandis que le chant d’Iseult accueille la mort qui parfait la quête. Extase . Armelle Mabondzo

La cornemuse

E

LLE habitait une maison mitoyenne et son nouveau voisin jouait de la cornemuse. Il s’entraînait deux heures par jour, le soir de préférence et ce vacarme la rendait folle.

Plutôt que de ressasser, elle préféra s’en expliquer franchement. Le samedi 16 mars, à 10 heures, elle sonnait chez lui. Au cinquième coup de sonnette, elle le vit apparaître à la fenêtre, le visage ensommeillé. Il aboya un « C’est pourquoi » et elle lui répondit. — C’est à cause de la cornemuse. Il n’eut pas l’air de comprendre. L’avait-il seulement reconnue ? Elle reprit. Quand vous jouez le soir, ça fait du bruit. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, les murs ne sont pas épais ! Vous pourriez peut-être jouer à un autre moment ? —

Il lui répondit que l’après-midi il travaillait et que le matin il dormait, sauf quand il était réveillé par une voisine indélicate. Ce furent ses derniers mots avant qu’il ne lui ferme la fenêtre au nez. Le lendemain, elle louait un accordéon et renouait avec cet instrument dont elle avait abandonné l’étude quinze ans plus tôt. Maintenant, elle en jouait tous les matins, juste avant de partir au travail, à 8 heures. Mon amant de St Jean fut son premier morceau, et il lui donna du fil à retordre… Ghislaine Balland Licence pour usage personnel

12


La musique des mots

DOSSIER

E

LLE l’avait eu dans sa jeunesse, ce pouvoir que donnent les mots, lorsque celui qui s’en sert joue un air connu de lui seul. Cette façon de composer une poésie, dont le sens ne serait entrevu que par la personne à qui elle était destinée. Elle en jouait si bien quand elle voulait faire passer une pensée particulière. Une sorte de cadeau à la signification cachée. Dernier recours pour des paroles qui n’étaient pas entendues. Les non-initiés qui les lisaient les trouvaient beaux et mystérieux. ; seuls ceux qui en possédaient les clés les prenaient pour ce qu’ils étaient, des messages. Ceux-ci perdaient alors un peu de leur beauté. Son grand-père, lui, n’était pas dupe. Lors d’une réunion familiale, elle lui avait offert un écrit, un peu intimidée par cet homme d’un abord froid. Il avait été très touché parce que, d’habitude, elle ne communiquait pas avec lui. Il l’impressionnait beaucoup. Mais après l’avoir lu, il avait employé ce mot qu’elle ne connaissait pas : sibyllin… « Tu pourrais dire ce que tu as sur le cœur, simplement », avait-il ajouté. Mais ce n’était pas possible, les mots étaient enfermés dans sa tête. Ils osaient rarement franchir sa bouche. Quand ils le faisaient, personne ne l’écoutait vraiment, ni ne la comprenait. C’était comme si elle parlait un autre langage. Elle avait composé pendant quelques années ces vers salutaires. Puis est venue la désillusion d’une vie sans amour, que même les mots ne pouvaient plus combler. Ce fut la fin de ses écrits. Elle avait perdu son pouvoir. Elle essaya au travers de journaux intimes de retrouver l’aisance de son écriture passée. Mais ces pensées couchées sur le papier avaient terminé au rebut, jetées après chaque relecture, insatisfaite qu’elle était de cette écriture terne et sans beauté. Elle avait même réussi à oublier. Elle avait fini par devenir quelqu’un d’autre. La jeune fille qui rêvait dans sa tête, ce n’était plus elle.

Danalyia

Une rencontre avait tout changé. Il lui a fallu longtemps pour se construire autrement, à travers lui, à partir de ce jour où il avait croisé sa route, lui entrouvrant une porte. Une toute petite porte, sur ce monde qu’elle pensait ne plus jamais retrouver. Cet homme fait de bonté, d’amour, avait lu en elle et l’avait trouvée belle. Et voici le stylo dansant à nouveau sous ses doigts. Les phrases qui se bousculent pour raconter une histoire. Le gris du ciel qui se déchire pour laisser apparaître le bleu ensoleillé de son cœur amoureux. Renaître, enfin. Plus rien n’est pareil aujourd’hui. Ses écrits sont moins mystérieux. La souffrance doucement s’en est allée et c’est sans doute mieux. Ce qui importe c’est qu’elle arrive à nouveau à l’entendre, aussi légère et fraîche que le bruissement du vent dans les feuillages… la musique des mots.

Sylvie Guével Licence pour usage personnel

13


DOSSIER

MUSIQUES

DE VIE

T

ÔT, très tôt, Sylvain avait été séduit par les chants de l’existence. Une attirance innée le portait aux sons de la vie, son âme s’ouvrait aux plus belles musiques, son cœur battait aux rythmes multiples des mélodies de la nature, des hommes, de son esprit enchanté. Son oreille attentive enregistra le gazouillement des oiseaux dès l’aube, la partition du vent sur la harpe mouvante des branches des arbres, le clapotis des ruisseaux tel une gamme de clarinette, le tonnerre marquant la fin de cette symphonie ; boum d’une grosse caisse balayant bien des harmonies. Enfin, il découvrit les prouesses musicales des humains à l’église. Les voix de la petite chorale de sa commune rurale soutenues par les vibrations émouvantes de l’harmonium lui chaviraient l’esprit, autant de cantiques élevés aux voûtes millénaires. Il manqua peu d’offices, sa vocation musicale était bien née. Il suivit fidèlement les diverses manifestations musicales ; concerts et défilés de l’harmonie municipale et associations musicales, hit-parades à la radio, variétés à la télé autant pour les œuvres classiques et folkloriques que les nouveautés anglo-saxonnes du slow et du rock. Tout son être se mettait discrètement en mouvement ; ses lèvres murmurant les chansons, ses mains imitant les musiciens, son corps balançant en mesure, ses pieds esquissant des pas de danse. Un jour, il rencontra le chef de musique qui l’avait remarqué et, dès 8 ans, les cours de solfège lui permirent d’élucider les mystères de la calligraphie musicale. Suivit l’apprentissage de la trompette, instrument choisi par son professeur. Son amour de la musique amplifia la fusion avec l’instrument qui résonnait, vibrait entre ses mains. Le souffle réglé par ses lèvres expertes, les tonalités escaladant ou chutant sur les portées trouvaient leurs échos dans le battement des cœurs, l’envolée des âmes. Il adorait cette divine harmonie ; nom si bien porté par l’accord parfait entre tous les musiciens. Rigueur et compassion étaient nécessaires pour jouer avec l’autre… les autres. La baguette du chef d’orchestre semblait donner aux pieds des musiciens la juste mesure de leurs battements, le rythme de leur corps. C’était si beau à voir, à entendre. Comme beaucoup, il essaya aussi la batterie et la guitare. Là aussi, les œuvres classiques alternaient avec la nouvelle vague dont les chansons de route qu’il affectionnait particulièrement. Dylan, Donovan, Graeme Allwright, Hugues Aufray et tant d’autres devinrent ses idoles et, guitare sur le dos, parcourant les routes à pied et auto-stop, il les interpréta dans tous lieux de rencontres comme les restaurants et bars, foyers, tous sites où les gens lui réservaient bon accueil. Son bonheur était de communiquer, toucher l’autre, servir de pont entre le dicible et l’indicible.

Aramando Ribeiro

Les répétitions et les tournées se succédèrent, pulsations, souffle, battement qui se juxtaposaient à celui du cœur. Son rêve était réalisé : il était musicien, les musiques étaient sa vie. Guy Blanchard Licence pour usage personnel

14


SUR

LA TERRASSE

I

LS ont dit qu’elle n’était plus là. Ils ont dit qu’elle était là mais qu’elle n’était plus là. Ils ont dit qu’elle n’avait plus sa tête. Ils ont dit que sa tête n’était pas là. Ils ont dit qu’elle n’était pas dans sa tête. Ils ont dit que c’était difficile à dire. Les mots sont durs, c’est pour ça. Les mots sont encore plus difficiles à entendre. Nous descendons la voir quand même. C’est ce que j’ai dit. Nous sommes descendus par la forêt de la Joux. Peu de gens le savent, mais il y a une gare isolée en plein milieu de la forêt. Certains trains y font halte. Des omnibus. On y sent la résine des épicéas et des sapins présidents. C’est bizarre, cette gare dans la forêt, c’est pour ça qu’on s’en souvient si bien. C’est aussi parce que les routes tournent et retournent, qu’on s’en souvient si bien. Il faisait beau. Les vaches, des montbéliardes, paissaient paisiblement. D’habitude on descend par la route nationale. Cette fois on a préféré musarder. Peut-être pour repousser le moment. J’étais anxieux. Alors nous sommes passés par la forêt et les villages perdus et les routes qui tournent. Les montbéliardes nous ont regardés. Nous avons traversé la ville. Nous avons trouvé la maison. Une sorte de grosse maison bourgeoise au détour d’une rue. Avec un grand cèdre tout près. La maison ne sent pas le cèdre. Elle sent la soupe. Et le médicament.

La maison n’est pas une prison. Pourtant on y vit enfermé. Une femme en blanc nous a indiqué le chemin. Porte. Escalier. Couloir. Peut-être pas dans cet ordre. J’ai frappé à la porte. J’ai ouvert. La chambre était vide. Nous l’avons trouvée sur la terrasse ombragée donnant sur le Doubs. Nous l’avons trouvée avec les autres vieux. La plupart ne nous regardaient pas. Peut-être étions-nous transparents. Peut-être n’avaient-ils plus de regard. Nous l’avons embrassée tendrement. Elle a dit à tout le monde : c’est mon petit-fils. Elle semblait heureuse. J’étais heureux. Elle ne m’a pas confondu avec mon oncle. Elle a dit : c’est mon petit-fils. Elle a dit mon nom, celui de mon épouse. Elle ne nous a confondus avec personne. Il n’y a pas eu beaucoup de réaction dans le regard des autres vieux. À peine un mouvement du menton de l’un d’eux. Et encore peut-être n’était-ce qu’un spasme incontrôlé. Les vieux qui sont là sont comme ça. Ils ont des spasmes incontrôlés. Et des filets de bave qui mouillent leurs lainages. Ils sont enfermés. Pas en prison, non. Enfermés en eux-mêmes. Nous l’avons accompagnée au réfectoire. Nous nous sommes assis près d’elle un moment. Aux gens qui passaient, elle disait : c’est mon petit-fils et son épouse. Elle semblait heureuse.

Philippe Godet

Rédaction Auteurs : Adrienne - Ghislaine Balland – Guy Blanchard - Janeczka Dabrowski - Danalyia - Hélène Ferland - Philippe Godet - Olivier Grandjean - Sylvie Guével - Dominique Hasselmann - Didier Jacquot - Armelle Mabondzo - Guillaume Mézin - Mélo Didémo - Caro Mennesson - Catherine Orsa - Claudio Pinto - Lucie Renaud - Nathalie Ventura Illustrateurs : Fabiana Alvarez del Villar Celaya - Danalya - Fabian Latorre - Patrick Cassagnes - Alain Pelletier Photographes : Dominique Hasselmann - Lucie Renaud - Armando Ribeiro - Val Tilu Correcteurs : Adrienne - Sophie Bournonville - Isabelle Vidalie - Jean-Claude Wullaert Rédacteur en chef : Caro Mennesson / Rédactrice : Lucie Renaud / Coordinatrice : Nathalie Ventura / Comptabilité : Oscar Lacayo / Flora Mennesson Webmestre Oscar Lacayo Composition Caro Mennesson - Flora Mennesson - Lucie Renaud - 18 Mégad’ram (Jean-Claude Laplanche - Tony Content)

Lu si…

Edité par Autour du court, association régie par la loi 1901. Le Pain Perdu 18340 Plaimpied Givaudins

mail: lusi@nouvelles-courtes.com / site web : www.nouvelles-courtes.com Licence pour usage personnel

15


INSCRIT DANS LA PIERRE

I

LS ont mis du temps à me retrouver. J’avais laissé des traces, ici ou là, dans la ville. Personne ne pouvait me soupçonner et ce que j’avais fait n’était pas pendable : quelques graffiti sur des murs. Mais la propreté urbaine nécessitait désormais l’expédition de commandos qui arpentaient les rues nuit et jour pour éradiquer cette prolifération. L’ordonnancement de la vie en ville devait être nickel. Pas un papier ne traînait par terre (comme à Tokyo), pas un chewing-gum n’attendait lâchement une chaussure pour s’y coller tel un bernardl’hermite de couleur rose. Le lisse, le savonné, le sent-bon régnaient. J’étais un des rares survivants de l’époque où des cohortes de « graffeurs » s’en donnaient à cœur joie sur les rideaux de fer des boutiques, sur les bords d’un canal, sur les rambardes des passerelles et des ponts, sur les camionnettes (Ford, de préférence), surtout celles de couleur blanche à l’origine. On s’amusait bien à l’époque : même le Grand Palais nous avait consacré une exposition (du 27 mars au 3 mai 2009), notre « street art » avait été reconnu, louangé, analysé. L’expression populaire qui s’était déchaînée dans la rue, ou le long des voies de chemin de fer, avait explosé (cela valait mieux que la colère, non ?), mais était maintenant devenue encadrée par les marchands d’art, puis enfin par la loi. Les musées montraient ce qui avait été. Aucune façade ne portait plus désormais d’inscriptions bleues ou rouges, de grandes lettres bariolées et des mots la plupart du temps incompréhensibles (comme si c’était de l’art abstrait). Nos signatures et tags ne griffaient plus la ville qui avait recouvert son manteau imperméable et répulsif. Pourtant, il restait juste un autoportrait de moi, inscrit dans la pierre, rue de Turbigo à Paris, et j’ignore pourquoi il n’avait pas encore été effacé. Je l’avais pris en photo, comme preuve de l’existence d’un temps ancien, lavé à grande eau et détergent pour notre hygiène commune. Depuis le 7 mai 2012, quand on sortait de chez soi, le port du masque blanc sur la figure était d’ailleurs devenu obligatoire : la pollution avait sévèrement augmenté dans nos chères cités. Texte et photos : Dominique Hasselmann. Licence pour usage personnel

16


VALSE-HÉSITATION SOUTERRAINE

I

L l'avait repérée juste avant l'ouverture des portes ; un bref échange de regards, un mince sourire. Elle est peut-être la fée que j'attendais, pensa Georges. Au moment où le wagon s'immobilisait, il décida de s'approcher de la jeune femme. Le corps à moins d'un mètre d'elle, il lui souffla: « On se connaît, n'est-ce pas ? ».Étonnée d'être abordée de la sorte, elle avait répondu : « Non, je ne pense pas... je sais, j'ai un visage assez commun. » N’étant pas d’humeur à considérer ces paroles d’autodénigrement ou à la convaincre du contraire, il s'était aussitôt enquis de ses études : formation en urbanisme et mineure en design intérieur. L’ouverture n’était pas saillante pour le jeune homme, ces sujets ne touchant guère sa sensibilité d’artiste – il était ténor dans une troupe de théâtre musical. Il ne s’était pas empêché pour autant de parler de musique classique et elle de ses voyages en Allemagne et du Mahavishnu Orchestra, qu'elle écoutait religieusement tous les jours. Comment cette femme pouvait-elle dire qu’elle possédait des traits communs ?

Patrick Cassagnes

Il baissa les yeux pour examiner ses cuisses ; un denim ajusté révélait des hanches généreuses et parfaitement proportionnées. Il scruta ensuite son visage : une bouche, agréable et harmonieuse, qui s'animait aux paroles inspirées de son interlocuteur. À la troisième station parcourue ensemble, son désir pour elle atteignait son paroxysme. Il n’était pas sans reconnaître que Pascale (l'échange de prénoms s'était fait si furtivement) n'était pas la plus jolie des filles qu'il avait rencontrées, mais cela lui importait peu, il se sentait tout simplement bien avec elle. Le métro filait et Georges, pris de gêne, hésitait à lui demander son numéro de téléphone. En réalité, il ne savait pas s’il s’éprendrait un jour de la jeune femme. Les artistes sont amoureux de l’échec, lui avait dit un jour un ami. Il fit un grand effort pour éluder la tristesse que lui inspirait cette pensée. « C'est ici que je descends », lui dit-elle. Il lui serra – caressa – la main, n’osa pas lui donner un baiser. Avec naturel, Pascale lui lança un chaleureux « Enchanté ! » et s’avança lentement vers la porte. Le métro s'arrêta, les portes s'ouvrirent et la jeune femme se retourna, hasardant un dernier regard à Georges. Ce dernier, assis sur le siège de plastique, réclama prestement l’aide souveraine du démiurge, qui lui envoya en pensée cette phrase de Verdi : « Un artiste qui hésite n'avance pas. » La femme était à l’extérieur du wagon et Georges se leva d’un coup sec pour se préparer à la suivre, lorsque la porte se referma brusquement à quelques centimètres de son visage. Le cœur et le corps achoppés, il resta debout quelques secondes, puis regagna son siège, en lorgnant la silhouette de la jeune femme qui s’éloignait. Claudio Pinto Licence pour usage personnel

17


L PERSONNE ) U D ( T N E DÉVELOPPEM

SOUS

LE SIGNE DU LUNDI Armando Ribeiro

J

E n’aime pas les lundis. S’il ne m’arrive pas quelque chose de peu ennuyeux (collant filé) / carrément ennuyeux (oubli de portable) / ultra-stressant (une dispute avec voisine mal embouchée / duo fils – mari / entretien avec chef ), je m’attends au pire. Lundi. Il est 11 heures ; aucune option désagréable n’a encore été cochée. Les abords de la machine à café sont peuplés de collègues vaseux. Un lundi. Aux alentours de midi, j’avise une feuille que je n’ai pas lue. Je la parcours rapidement en entamant mon sandwich crudités-faux crabe. En entête, un couple joufflu voisine le logo de l’entreprise et la mention Ressources Humaines. Soudain, je saisis que le couple représente des gémeaux qu’il s’agit d’une feuille de route calquée sur mon horoscope.

Mercredi Mars vous invite à une attitude guerrière, multipliez vos rendezvous, minimum 7. Jeudi

Mars (encore) rejoint Saturne. Consacrez du temps à la prospection téléphonique, la période la plus propice se situe entre midi et deux heures, le rapprochement de ces deux planètes étant maximal.

N. B.

La position des planètes pendant votre WE vous dopera ; prenez quelques dossiers, attitude qui consolidera votre aura planétaire.

Vendredi, en l’absence de Mme Durand-Truel, l’assistante du Haut Commandement, éloignée sous un prétexte fallacieux, je procède à un échange d’horoscope où Jupiter promet de concentrer ses foudres sur la direction qui ose utiliser ses bons offices. À midi pile, un virus met en alerte toute la direction financière. À 16 h, la climatisation tombe en panne. En juillet. À 17 h 30 une alerte à la bombe. D’après mon horoscope, je dois faire preuve d’initiative. Lundi, pas de feuille, ni d’anges joufflus, ni de feuille de route. Comme le soulignait ce matin à l’antenne Mme Déborah, astrologue, un léger sacrifice (420 € de dettes effacées pour mon pirate informatique de fils) est parfois nécessaire. En même temps, j’en ai profité pour équiper certains ordinateurs de mouchards et autres gadgets électroniques. Le patron est bélier ascendant bélier autant dire têtu comme la mule du pape ; il n’est pas dit qu’il n’ait pas d’autres plans loufoques en tête. Et je n’ai pas besoin de thème astral pour savoir qu’une lettre anonyme à sa femme pour la prévenir de certains 5 à 7 de son époux aurait son petit effet. Non pas besoin d’astre pour cela, Un petit coup d’horoscope, une mise en garde et, hop, le tour est joué. Ou bien créer un trou noir sur ses comptes soigneusement cachés. Les possibilités de représailles ont un goût d’infini. Caro Mennesson Licence pour usage personnel

18


FRÈRES ZUMA INS

BLANDINE

Q

UAND ma femme est partie – incompatibilité d’humeur m’avait-elle expliqué à l’époque – j’ai failli sombrer. Une semaine plus tard, j’adoptais un poisson rouge et je lui donnais le prénom de ma femme : Blandine.

Patrick Cassagnes

Tous les jours je la saluais gentiment dans l’aquarium. Au début, quand je collais mes lèvres contre la paroi transparente, Blandine s’approchait et me manifestait sa joie. Et puis un jour, elle m’a tourné le dos et ne m’a plus jamais salué. J’ai failli la traiter de salope, mais à quoi bon ! Hier, en me réveillant, j’ai retrouvé Blandine qui flottait dans son aquarium, le ventre à l’air, morte. Bien fait.

Ghislaine Balland

PETITE ANNONCE À VENDRE

«

Coqueline, chienne d'intérieur douce, passive, trop affectueuse. Basset. 3 ans. Parfaite pour une personne âgée. Intéressé(e) ? Tél. 06.24.95.37.03

TU comprends — dit la jeune femme qui se sent obligée d'expliquer sa démarche à l'amie qui l'accompagne — avec Charlie je peux tout faire, sortir, me promener, jouer, aller partout... il est vif, joueur, drôle (Nota. Charlie est un chien). Avec Coqueline, je ne fais rien, je m'ennuie ; Charlie, je l'ai inscrit au dressage, c'est un chien formidable. Je crois qu'il fallait que je passe par Coqueline pour arriver à Charlie. Vraiment, quelle chance j'ai d'avoir trouvé ce chien. » « Et puis, renchérit-elle, j'aime les animaux et je ne veux pas les faire souffrir. Coqueline déprime, elle est terriblement jalouse je crois. Elle sera tellement plus heureuse dans une autre maison et mon Charlie aura toute la place qu'il mérite. » Irritée, le poil hérissé, l'employée du journal grogne et saisit son crayon : « À donner maîtresse sans cœur et sans tendresse. Incapable d'aimer un animal pour lui-même ; préfère un "objet à quatre pattes" à manipuler quand elle s'ennuie. Fan de dressage et les dents acérées, peut devenir un bon chien de garde. Inutile de prévoir une niche, quelques restes suffiront. Par contre, affectionnant les humains s'abstenir. » Catherine Orsa Licence pour usage personnel

19


FRÈRES ZUMA INS (pièce en un acte)

L

E décor : un quai de métro banal. Un train arrive et s’arrête. Les portes s’ouvrent. UNE FOULE hétéroclite entre et s’installe sur le peu de sièges libres ou reste debout, le visage tourné vers les murs ou les vitres, une expression bovine sur le visage. UN HOMME entre dans la rame juste avant la fermeture des portes. Il est vêtu d’un complet usé, mais propre. Il a des cernes sous les yeux et une mèche rebelle dans ses cheveux autrement bien coiffés. L’HOMME (d’une voix éreintée et d’une manière monotone) : Mesdames, messieurs, veuillez m’excuser Je me permets de vous déranger Pendant un bout de votre trajet Etant un poète sans le sou, En ayant assez des sales haïkus De la vie, je cherche beaucoup Plus qu’une oreille compatissante Ou qu’un billet d’un euro trente - Et qui vous dit que je plaisante? Je vous laisse en vous remerciant Pour ce petit bout de votre temps - Et peut-être même de votre argent ? Patrick Cassagnes

À vot’ bon cœur, m’sieurs-dames…

Le métro s’arrête. LA FOULE ignore L’HOMME qui passe de rangée en rangée la main tendue. Désappointé, il passe à une autre rame. Les portes se referment derrière lui. Janeczka Dabrowski Licence pour usage personnel

Bulletin d’abonnement 

Oui, je m’abonne à Lu si… pour une durée de un an (trois numéros) et je joins un chèque libellé à

Autour du court,

association régie par la loi 1901. Le règlement est à adresser à : Autour du court – lieu–dit le Pain Perdu 18 340 Plaimpied Givaudins 

Tarif France métropolitaine

Tarif Union Européenne hors France et DOM TOM

11,55 €

Tarif Autres pays en dehors de l’Union Européenne

12,00 €

9,00 €

Mes coordonnées Nom :

Prénom :

Adresse :

Code Postal :

Ville :

Pays :

Mail :

Je désire recevoir mon abonnement à partir du n°…… (Lu si… étant édité en juin – juillet / octobre – novembre / mars –avril).

www.nouvelles-courtes.com

20


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.