L’info AQL | Octobre 2023

Article publié à l’origine dans Pathways, Automne 2023. Tous droits réservés 2023, Partenariat canadien du lymphœdème. Diffusé avec la permission de l’éditeur. Adaptation : Anne-Marie Joncas – Graphisme : Catherine Boily

Le point sur la recherche consacrée au lymphœdème

Par le Professeur Spencer Gibson

Il y a deux ans, j’ai été nommée titulaire de la chaire Dianne et Irving Kipnes pour les troubles lymphatiques. J’ai créé un laboratoire de recherche fondamentale et translationnelle à l’Université de l’Alberta, au sein du département d’oncologie. Je dispose actuellement d’un laboratoire accueillant sept chercheurs, dont quatre étudiants diplômés, un boursier postdoctoral, un coordinateur clinique et un directeur de laboratoire. Nos recherches visent à comprendre les mécanismes du microenvironnement qui favorisent l’apparition d’un lymphœdème secondaire chez certains patients après une intervention chirurgicale, une radiothérapie et/ou une chimiothérapie. A contrario, d’autres patients guérissent des dommages causés à leur système lymphatique sans enflure ni modification des tissus de leurs jambes ou de leurs bras. Plus précisément, nous étudions le stress environnemental qui survient dans le tissu lymphatique, tel que le stress oxydatif ou l’hypoxie, et la façon dont les cellules endothéliales lymphatiques réagissent à ce stress. Selon nos premières conclusions, les facteurs de croissance modifient considérablement la réponse des cellules lymphatiques au stress microenvironnemental, ce qui pourrait affaiblir leur capacité à corriger les dommages. Nous développons actuellement un modèle animal de lymphœdème afin d’évaluer plus en détail ces stress microenvironnementaux et les facteurs susceptibles d’altérer la réponse des cellules lymphatiques au stress, provoquant ainsi un lymphœdème (illustration 1).

Au-delà des études en laboratoire, nous avons également créé une biobanque du lymphœdème secondaire où nous analysons et conservons les échantillons de sang des patients atteints de lymphœdème et colligeons les informations cliniques les concernant. Nous récupérons des échantillons

Stress microenvironnemental Facteurs microenvironnementaux

Valve dysfonctionnelle

Élargissement de la lumière (espace intérieur)

Diminution de la couverture des cellules des muscles lisses

Dysfonctionnement des vaisseaux lymphatiques

LYMPHŒDÈME

ILLUSTRATION 1

Dans le cas du lymphœdème secondaire, le stress microenvironnemental et les facteurs microenvironnementaux pourraient contribuer à induire un dysfonctionnement des vaisseaux lymphatiques à l’origine de la progression du lymphœdème. Créé avec BioRender.

Le rôle du système lymphatique dans la régulation des maladies fait l’objet d’une attention accrue.

Pour les maladies rénales, la fonction lymphatique rénale est altérée, ce qui entraîne une réduction du pompage lymphatique et des écoulements.

Pour les maladies hépatiques, les lipoprotéines entraînent un dysfonctionnement du système lymphatique qui pourrait faire l’objet d’un traitement ciblé.

de sang provenant de quatre établissements : un centre de cancérologie, une clinique de réadaptation pour le lymphœdème, un laboratoire d’études cliniques de l’Université de l’Alberta et une clinique privée. Nous comptons actuellement plus de 30 échantillons sanguins stockés et cinq échantillons sanguins prélevés avant et après la thérapie par compression. Les cas étudiés comprennent aussi bien des patients atteints de cancer que des patients souffrant d’un lymphœdème consécutif à une blessure. Malheureusement, de nombreux patients passent inaperçus, car il est rare que le dossier médical fasse état d’un lymphœdème. Nous nous efforçons de résoudre ces difficultés et espérons accroître la taille de cette biobanque afin de pouvoir, à l’avenir, recenser l’ensemble des patients atteints de lymphœdème.

Pour comprendre le lymphœdème, nous avons fait équipe avec des chercheurs de l’Université de Calgary (Dr von der Weid et Dr Liao). Leurs études portent sur les changements associés à l’inflammation au niveau du système lymphatique de la peau, de l’intestin et du cerveau. Nous avons organisé des sessions de laboratoire communes et nous nous rencontrons en personne une fois par an pour partager nos résultats et nos idées sur le fonctionnement du système lymphatique. Ces échanges ont été d’une valeur inestimable pour mes stagiaires et ont permis d’orienter les projets de recherche. En effet, le Dr von der Weid a fourni des cellules lymphatiques primaires produites par son laboratoire afin de contribuer à nos projets de recherche. Nous espérons développer à l’avenir des projets conjoints qui nous permettront d’approfondir notre compréhension du système lymphatique.

Le Dr von der Weid était l’organisateur d’une réunion du Forum lymphatique qui s’est tenue à Banff en juin 2023. Il m’a gracieusement invité en tant que membre du comité organisateur de l’événement. Ce fut l’occasion d’examiner des synthèses scientifiques pour des présentations orales et de noter des affiches en vue de l’attribution de prix. Par ailleurs, ce forum

m’a permis de faire connaissance avec la communauté internationale qui étudie le système lymphatique et d’acquérir des connaissances en matière de recherche. Voici mon point de vue sur la recherche lymphatique. Les systèmes lymphatiques ont une incidence sur tous les principaux organes du corps humain. Il n’y a pas si longtemps, les chercheurs ne considéraient pas les vaisseaux lymphatiques présents dans les organes, car ils en ignoraient la fonction. Aujourd’hui, on sait que les lymphatiques jouent un rôle au niveau des yeux, de la peau, des reins, du foie, du cœur, de l’intestin, des poumons, des os, du cerveau et de plusieurs autres organes. Je me concentrerai sur les deux organes qui me fascinent le plus, l’œil et le cerveau. L’œil est l’un des organes où le système lymphatique intervient de manière importante pour la pression intraoculaire. En cas de dysfonctionnement de ce système, un glaucome congénital peut survenir. La recherche a démontré que des altérations des facteurs de développement dans le système lymphatique entraînent l’apparition du glaucome.

Le cerveau est le deuxième organe où le système lymphatique revêt une grande importance. Le système lymphatique du cerveau permet de mieux comprendre comment les fluides et les cellules immunitaires sont évacués du cerveau. Cette découverte a des répercussions considérables sur des maladies cérébrales comme le cancer, la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson et la démence. Les chercheurs commencent tout juste à comprendre le fonctionnement normal du système lymphatique cérébral et son impact sur ces maladies.

Le système lymphatique régule le système immunitaire. Il participe à la guérison des infections, à la régulation de la reconnaissance des auto-antigènes, au transport des antigènes et des cytokines, et à l’activation des neutrophiles. Dans l’intestin, les bactéries intestinales (microbiome) semblent influencer le système lymphatique en modulant la fonction du système immunitaire.

Le rôle du système lymphatique dans la régulation des maladies fait l’objet d’une attention accrue. Pour les maladies rénales, la fonction lymphatique rénale est altérée, ce qui entraîne une réduction du pompage lymphatique et des écoulements. Dans le cas des maladies hépatiques, les lipoprotéines entraînent un dysfonctionnement du système lymphatique qui pourrait faire l’objet d’un traitement ciblé. Le dysfonctionnement lymphatique implique également l’activation de la voie de signalisation Notch qui semble être liée à des lésions hépatiques.

En ce qui concerne le cancer, les vaisseaux lymphatiques interviennent dans la suppression du système immunitaire et dans la formation de métastases à travers les ganglions lymphatiques. Ces phénomènes ne s’excluent pas mutuellement et les chercheurs ont établi que les cellules cancéreuses présentes dans les ganglions lymphatiques entraînaient une suppression immunitaire chez les modèles animaux. Qui plus

est, l’induction de la lymphangiogenèse entraîne une diminution du nombre de cellules T et une augmentation de l’expression des récepteurs de point de contrôle immunitaire au sein des tumeurs. En somme, les systèmes lymphatiques ont une incidence sur de nombreuses maladies.

Enfin, des progrès ont été réalisés en matière de compréhension, de détection et de traitement du lymphœdème. La couche cutanée s’épaissit et se durcit en présence d’un lymphœdème. Les chercheurs ont découvert que les kératinocytes (cellules de la peau) prolifèrent lorsqu’ils sont exposés aux fluides résultant du lymphœdème et induisent des réponses inflammatoires en libérant des cytokines. Ce processus régule le développement du lymphœdème secondaire. L’inhibition de la prolifération des

kératinocytes grâce au tériflunomide réduit le lymphœdème chez les modèles animaux. En outre, le lymphœdème est associé à des vaisseaux qui fuient. Les chercheurs ont découvert qu’un récepteur orchestre des connexions plus étroites entre les cellules lymphatiques, empêchant les fuites des vaisseaux lymphatiques et contribuant à l’atténuation du lymphœdème. Ces résultats suggèrent que des traitements médicamenteux du lymphœdème sont envisageables. L’imagerie du lymphœdème est par ailleurs difficile à réaliser. Des chercheurs utilisant un isotype de sodium (23Na) visible sous lymphangiographie par IRM ont constaté que les niveaux de sodium augmentaient au niveau des membres atteints de lymphœdème, même aux premiers stades de l’évolution de la maladie. Plus encore, les canaux sodiques responsables des contractions des muscles lisses sont identifiés et leur altération est démontrée dans les cas de lymphœdème. Cela témoigne du développement de nouvelles connaissances sur la régulation du développement du lymphœdème, de nouvelles méthodes de détection et de nouvelles cibles thérapeutiques.

Le Forum lymphatique s’est terminé par un dîner au cours duquel le responsable du Lymphatic Education and Research Network (LE&RN) a prononcé un discours inspirant portant sur la défense des intérêts des patients, les nouvelles possibilités de financement et le développement d’une communauté de recherche axée sur les systèmes lymphatiques. Grâce à notre nouveau programme de recherche et à notre réseautage avec la communauté des chercheurs en science lymphatique, l’avenir est des plus prometteurs. Nous espérons contribuer à de nouvelles méthodes de dépistage et de traitement du lymphœdème en transposant les résultats de la recherche au chevet des patients. Ainsi, nous franchirons la nouvelle frontière de la recherche lymphatique.

Spencer Gibson, Ph. D., est professeur au département d’oncologie de l’Université de l’Alberta et titulaire de la première chaire Dianne et Irving Kipnes pour les troubles lymphatiques. Il est membre du conseil d’administration du Partenariat canadien du lymphœdème (Canadian Lymphedema Framework).

Valve

Valve

Vaisseaux lymphatiques afférents

Follicule lymphoïde (lymphocytes)

Vers la veine

Vaisseau lymphatique efférent