Mei R. Fu
mHealth facilite le dépistage et la prédiction en temps réel du lymphoedème
Après avoir étudié pendant des années les symptômes liés au cancer et les maladies chroniques, quels sont, à votre avis, les principaux défis à relever pour ces domaines ?
Les symptômes sont des indicateurs subjectivement perçus de changements biologiques ou physiologiques anormaux pouvant ou non être observés objectivement. Être diagnostiqué et traité pour un cancer est une expérience dévastatrice. Ce qui est frustrant, c’est la souffrance inattendue causée par les symptômes de maladies chroniques secondaires découlant des traitements du cancer, comme le lymphoedème (c.-à-d. une accumulation anormale de liquide lymphatique) ou la douleur neuropathique. L’absence d’évaluations continues accessibles, systématiques et soutenues des symptômes après le traitement du cancer ainsi que l’absence d’interventions efficaces demeurent un problème crucial pour les patients et les professionnels de la santé. Par exemple, les symptômes peuvent indiquer un stade précoce du lymphoedème qui représente seulement un changement minime dans les mesures objectives de l’augmentation du volume des membres. Ainsi, la détection hâtive des symptômes est essentielle pour assurer le dépistage précoce du lymphoedème. Malgré son utilité pour dépister le lymphoedème à un stade précoce, l’évaluation des symptômes en milieu clinique est sous-utilisée.
De plus, des recherches plus poussées sont nécessaires pour mettre au point des interventions efficaces et accessibles pour soulager les symptômes liés au cancer. Des technologies prometteuses telles que mHealth peuvent s’attaquer à ces problèmes graves en matière des symptômes et des maladies chroniques.
Comment vous êtes-vous engagée dans ce domaine de recherche ?
Mon programme de recherche sur les symptômes du lymphoedème est né, pendant mes études supérieures, de mon désir de comprendre comment les patients gèrent le lymphoedème dans leur vie quotidienne. En tant qu’infirmière pouvant témoigner de la souffrance quotidienne des patients atteints de lymphoedème, j’ai pensé qu’il était impératif de pouvoir aider les patients à soulager leurs symptômes. En commençant par une enquête qualitative visant à comprendre l’expérience des symptômes des patientes appuyée par les NIH (F31 NR07851) et le NYU Research Challenge Fund, j’ai réalisé trois études phénoménologiques descriptives à titre de chercheuse principale (CP) pour étudier le phénomène de la prise en charge du lymphoedème lié au cancer du sein dans divers groupes ethniques, dont 10 des survivantes blanches, sinoaméricaines et afro-américaines. Les publications fondées sur ces trois études de recherche qualitative utilisant une méthode de
phénoménologie descriptive ont fourni des preuves importantes : (I) les survivantes du cancer du sein étaient affligées par le fait qu’on avait omis l’éducation ou donné une éducation limitée sur le lymphoedème ; (II) les survivantes du cancer du sein ont décrit les symptômes du lymphoedème comme « vivre avec un trop-plein de malaises permanents », qui souligne le poids des symptômes du lymphoedème comme un résultat important axé sur le patient ; et (III) les comportements d’autogestion réalisables et faciles à intégrer à une routine étaient au coeur de la prise en charge du lymphoedème dans la vie quotidienne des survivantes du cancer du sein. Ces travaux ont fourni des preuves formelles que les symptômes du lymphoedème et leur impact psychosocial devraient s’imposer comme résultats cliniques importants axés sur le patient. De plus, des comportements d’autogestion viables favorisant la circulation lymphatique sont essentiels pour réduire les risques et favoriser la prise en charge du lymphoedème. En fournissant des données probantes provenant du point de vue des patients, ces travaux orientent maintenant la recherche et les soins cliniques vers des résultats axés sur le patient et l’éducation des patients quant à la réduction des risques. Ils continueront à façonner des moyens efficaces pour évaluer les symptômes et pour mettre en oeuvre l’autogestion des symptômes du lymphoedème.
HIVER 2019-2020
Dans une étude récente, votre équipe a examiné l’utilisation de l’apprentissage machine pour dépister le lymphoedème chez les survivantes du cancer du sein. Quelles sont les principales conclusions ? Quels enseignements sont à tirer pour guider des études futures ?
Dans cette étude, nous avons utilisé un outil Web pour recueillir des données auprès de 355 femmes ayant subi un traitement contre le cancer du sein. En plus de partager de l’information démographique et clinique, dont l’obtention ou non d’un diagnostic de lymphoedème, nous avons demandé aux participantes si elles éprouvaient actuellement l’un de plus de 20 symptômes du lymphoedème. Nous avons comparé cinq algorithmes de classification différents en apprentissage machine : l’algorithme C4.5, l’algorithme C5.0, le modèle adaptatif gradient boosting, le réseau neuronal artificiel, et la machine à vecteurs de support. Nous avons également comparé les algorithmes avec une approche statistique conventionnelle, l’index de Youden, qui détermine le seuil optimal pour le comptage des symptômes en fonction de la courbe de, fonctionnement du récepteur. Nousavons constaté que les cinq approches d’apprentissage machine ont surpassé l’approche statistique standard et que le réseau neuronal artificiel a obtenu les meilleures performances pour le dépistage du lymphoedème. Le réseau neuronal artificiel était précis à 93,75 %, classant correctement les patients selon la présence ou non de véritables cas de lymphoedème en fonction des symptômes signalés. Ainsi, une classification de réseau neuronal artificiel bien entraînée utilisant des rapports de symptômes en temps réel peut fournir un dépistage très précis du lymphoedème. Cette précision de dépistage est nettement supérieure à celle
des méthodes cliniques actuelles et souvent utilisées, telles que l’observation de l’oedème par les professionnels de la santé. L’évaluation et la prise en charge des symptômes sont au coeur de nombreuses maladies chroniques, comme le cancer, l’insuffisance cardiaque chronique, le VIH ou même le traitement des plaies chroniques. Notre étude a fourni la preuve de la validité du concept pour la recherche future en évaluation et gestion des symptômes et des maladies chroniques au moyen de l’apprentissage machine.
Avez-vous rencontré des blocages dans votre carrière, vos recherches ? Qu’est-ce qui vous a poussé à surmonter ces défis ?
Ma passion pour la recherche sur le lymphoedème a été soutenue par la souffrance des patients dont j’ai été témoin et par l’impact positif de mes recherches sur la qualité de vie des patients. C’est le désir d’optimiser l’efficacité des soins pour les patients qui m’a motivée à explorer constamment des approches novatrices pour aider les patients. Lors de mes premières recherches qualitatives, j’ai été touchée par les patients qui désiraient comprendre leurs souffrances et qui souhaitaient l’avancement de la recherche. Au début de ma carrière, le grand défi à relever était de comprendre la voie biologique de la symptomatologie du lymphoedème afin de faire progresser la science des symptômes du lymphoedème. Soutenues par les NIH (NINR Projet# 1R21NR012288-01A, NIMHD Projet# P60 MD000538-03) et l’ONS, en tant que chercheuse principale, mon équipe et moi-même avons réalisé une étude prospective pour identifier la voie biologique de la symptomatologie du lymphoedème. Nous avons découvert que les symptômes du lymphoedème sont fortement associés à une augmentation
du volume des 11 membres ; à eux seuls, les symptômes peuvent détecter avec précision le lymphoedème et démontrent aussi des évidences pour le type d’obésité et le niveau de liquide lymphatique. Cette recherche a fourni la preuve qu’un seuil diagnostique de trois symptômes discriminait les survivantes du cancer du sein atteintes de lymphoedème par rapport aux femmes en bonne santé et qu’un seuil diagnostique de neuf symptômes discriminait les survivantes à risque par rapport à celles atteintes de lymphoedème. Nous avons également découvert que les symptômes du lymphoedème présentent un mécanisme biologique inflammatoire, comme en témoignent les relations significatives avec plusieurs gènes inflammatoires. Cette importante recherche jette les bases d’une évaluation précise de l’hétérogénéité du phénotype des symptômes du lymphoedème et de la compréhension du mécanisme biologique de chaque phénotype par l’exploration de la susceptibilité génétique héréditaire, qui est essentielle pour trouver un traitement curatif. Une exploration plus poussée des interventions d’investigation dans le contexte du génotype et de l’expression des gènes permettrait de mieux comprendre l’hétérogénéité du phénotype des symptômes du lymphoedème et de contribuer davantage aux soins de santé ciblés. Étant donné qu’Internet donne un accès presque universel aux programmes en ligne, un modèle de prestation des soins axé sur la technologie est l’objectif ultime pour assurer l’accès universel aux soins de santé. Mon équipe et moimême avons également relevé le défi d’utiliser la technologie numérique Web et mobile pour offrir notre intervention afin d’aider les patients à soulager leurs symptômes et à réduire leur risque de lymphoedème. Pour être en mesure de réunir les talents de toutes les
disciplines au NYU, j’ai collaboré sans relâche avec les professeurs de la NYU School of Medicine (chirurgie, santé publique, pathologie et biostatistique), NYU Rusk Rehabilitation, NYU Tandon School of Engineering, NYU et le NYU Asian Center (CSAAH). Sous ma direction, mon équipe a mis au point et testé le système de santé en ligne The-Optimal-Lymph-Flow visant l’évaluation et la gestion des symptômes du lymphoedème. Le système de mHealth Optimal-Lymph-Flow est une thérapie comportementale multilingue (anglais, espagnol et chinois), centrée sur le patient et axée sur des stratégies comportementales visant à réduire le fardeau des symptômes en stimulant la circulation lymphatique et à minimiser l’inflammation. La thérapie numérique Optimal-Lymph-Flow comprend des informations sur la douleur chronique, le lymphoedème, le diagnostic et la mesure du lymphoedème, le système lymphatique, le risque de lymphoedème, les exercices lymphatiques thérapeutiques numériques favorisant la circulation lymphatique et l’autogestion. Les pa -
tients peuvent accéder à la thérapie numérique à l’aide d’un ordinateur, d’un iPhone, d’un iPad ou d’autres téléphones intelligents. Nous venons tout juste de terminer un essai clinique randomisé (ECR) grâce à une subvention de Pfizer pour l’apprentissage individuel et le, changement (13371953 The-OptimalLymph-Flow™) sur la thérapie numérique pour la douleur chronique et les symptômes du lymphoedème. Les participants de l’essai clinique ont adoré la thérapie numérique The-OptimalLymph-Flow, en particulier l’utilisation de la technologie par avatar qui illustre la complexité du système lymphatique, les fonctions physiologiques et les directives détaillées étape par étape pour chaque exercice thérapeutique. Le but de mes travaux était de mener des recherches significatives améliorant la qualité de vie des patients et réduisant le risque de lymphoedème. Les courriels et les témoignages de reconnaissance des patients m’ont incitée à aller de l’avant jusqu’à ce que nous trouvions un traitement curatif au lymphoedème et à la douleur.
Mei R. Fu (Ph. D., Inf. agréée, FAAN) est une infirmière scientifique de renommée nationale et internationale, de même qu’une chercheuse et éducatrice hors pair. Elle est professeure agrégée titulaire de sciences infirmières à l’Université de New York Rory Meyers College of Nursing, NYU. La professeure Fu est également membre associée de l’American Academy of Nursing, la plus haute distinction professionnelle reconnaissant les contributions, les réalisations et le leadership exceptionnels en soins infirmiers ; membre associée en gériatrie du Hartford Institute of Geriatrics, la plus haute distinction soulignant les connaissances
En tant que membre du comité de rédaction de mHealth, qu’avez-vous à ajouter pour nos lecteurs oeuvrant dans le même domaine ?
De plus en plus de programmes améliorés sur le plan technologique, y compris l’intelligence artificielle, seront intégrés aux soins des patients. Nous devons toujours nous rappeler que le patient est au centre de tous ces développements technologiques. Il est important d’engager nos patients dès le début dans le développement de tout programme de soins aux patients amélioré par la technologie. Enfin, nous ne devons jamais oublier que le lien humain est ce qui inspire les soins et que ce lien humain demeure essentiel pour guérir les maladies.
Adapté avec la permission de l’AME Publishing Company – « mHealth facilite le dépistage et la prédiction en temps réel du lymphoedème. »
spécialisées du professeur Fu dans le domaine de la gériatrie ; et membre associée de la New York Academy of Medicine, reconnaissance des plus hauts niveaux de réalisations et de leadership dans le domaine de la santé urbaine, des sciences, du travail social, des sciences infirmières, du droit, de la médecine et de la recherche. Elle a été intronisée au Temple de la renommée internationale des infirmières en recherche de Sigma Theta Tau International (STTI) en 2017 pour ses réalisations et contributions à la recherche et pour son mentorat auprès de futures infirmières en recherche.
Article publié à l’origine dans Pathways/L’info AQL Hiver 2019-2020. Tous droits réservés 2020, Canadian Lymphedema Framework/Association québécoise du lymphœdème. Diffusé avec la permission de l’éditeur.
Adaptation Anne-Marie Joncas Graphisme Catherine Boily