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CHRONIQUE JURIDIQUE
Les relations de travail en temps de pandémie
Le contexte de la pandémie a, sans aucun doute, transformé les relations de travail entre employeurs et employés. Certains droits fondamentaux sont mis à l’épreuve au nom de préoccupations sociales supérieures, telle la santé publique, et cela se reflète inévitablement dans des conflits en milieux de travail. La jurisprudence sur les conflits de travail occasionnés par la pandémie ne fait que commencer. Qu’est-ce qu’un employeur a le droit d’imposer et quelles pourraient être les conséquences d’un refus de la part de l’employé? Voyons de quelle manière les tribunaux ont tranché jusqu’à ce jour.
Dans le domaine de la santé, le port d’équipements de protection individuelle (ÉPI) est une mesure préconisée afin de prévenir l’exposition des employés au virus et ainsi minimiser sa propagation dans le milieu de travail. Ces équipements incluent des masques médicaux, des gants et des blouses qui doivent être portés notamment lorsque l’employé fournit des soins ou est en contact étroit avec des patients. Mais quels sont les pouvoirs de l’employeur lorsque l’employé refuse le port des ÉPI ?
Dans une décision récente1, un préposé aux bénéficiaires a été congédié pour avoir omis de porter ses ÉPI. Dans les faits, l’employé avait oublié, à une occasion, de remettre sa jaquette en sortant de la salle de repas. Malgré des rappels de la part du superviseur, l’employé a encore été aperçu sans masque, ni jaquette plus tard dans la même journée. Il a alors été congédié pour avoir commis un manquement grave. L’employé a déposé une plainte en vertu de l’article 124 de Loi sur les normes du travail pour contester sa fin d’emploi. Dans cette affaire, le Tribunal rappelle le principe primordial de la gradation des sanctions avant d’aboutir à un congédiement : «(…) pour entrainer un congédiement, une faute doit être d’une gravité telle qu’elle conduit à la rupture immédiate du lien de confiance avec l’Employeur. Des circonstances atténuantes ou aggravantes peuvent en outre moduler l’évaluation de la gravité d’une faute. La préméditation des gestes reprochés, la répétition de ceux-ci, (…) et le dossier disciplinaire comptent parmi ces circonstances ».
Dans ce cas, l’employé n’était pas réfractaire aux mesures sanitaires et avait porté ses ÉPI depuis le début de la pandémie. Son dossier disciplinaire étant vierge, le fait d’avoir oublié de remettre ses ÉPI lors d’un évènement isolé ne justifiait pas un congédiement, mais plutôt une suspension sans solde de 15 jours. Nous pouvons donc croire que, dans le cas d’un employé qui refuse catégoriquement et volontairement le port des ÉPI, un employeur pourrait arriver à un congédiement après avoir cumulé des sanctions disciplinaires moins sévères.

Le statut vaccinal
Un employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique de ses employés2 . Peut-il ainsi exiger de ses employés qu’ils dévoilent leur statut vaccinal ? Un employé est-il justifié d’invoquer le caractère confidentiel de son dossier médical afin de refuser de révéler cette information ?

Une première décision arbitrale a été rendue à ce sujet en novembre 20213. Le Syndicat contestait le droit de l’employeur de recueillir le statut vaccinal de ses employés en invoquant le droit à la vie privée garanti par la Charte des droits et libertés de la personne. Bien que l’arbitre reconnaisse que l’exigence de dévoiler son statut vaccinal porte atteinte à la vie privée des employés, il est d’avis que cette violation se justifie par la nécessité de respecter l’ordre public et le bien-être général des citoyens du Québec4 .
«La personne salariée qui ne peut fournir cette preuve vaccinale -et donc- qui n’est pas vaccinée (je rappelle ici que je ne me prononce pas sur les situations où une condition médicale ou religieuse serait invoquée) – représente donc un risque lorsqu’elle se trouve sur les lieux de travail. Ce risque vaut pour elle-même et également à l’égard des autres personnes qui se trouvent sur les mêmes lieux ou à proximité».
2 Article 51, Loi sur la santé et la sécurité au travail. 3 Union des employés.ées de service, section locale 800 c.
Mes Services Ménagers Roy Ltée et al., rendue le 15 novembre 2021 par Me Denis Nadeau. 4 Article 9.1, Charte des droits et libertés de la personne. L’arbitre conclut donc que l’atteinte au droit à la vie privée des employés est justifiée afin de protéger le bienêtre commun.
Il faut savoir que, dans cette décision, l’exigence du passeport vaccinal ne provenait pas directement de l’employeur, mais de ses clients auprès desquels les employés en entretien ménager étaient affectés. Or, l’arbitre précise que l’exigence vaccinale des clients devient celle des employeurs. Il ne serait donc pas dérisoire d’appliquer ces mêmes principes dans le cadre d’une demande provenant directement de l’employeur. Cette décision ne se prononce pas sur l’imposition d’une sanction disciplinaire ou d’un congédiement en cas de refus de divulguer son statut vaccinal.
Afin d’établir clairement les exigences et les attentes en milieu de travail, il est fortement recommandé d’adopter une politique de vaccination dans le cadre de laquelle les employés demeurent libres d’être vaccinés ou non et qui détaille clairement les mesures administratives si un employé n’est pas en mesure de fournir son passeport vaccinal.
Le télétravail
En règle générale, la possibilité de faire du télétravail relève du droit de gérance de l’employeur et doit faire partie du contrat de travail. Dans le contexte de la pandémie, un employeur peut modifier de façon unilatérale les conditions de travail en obligeant temporairement ses employés à faire du télétravail, si la nature de l’emploi le permet. Lorsque la pandémie sera contrôlée, l’employeur, en vertu de son droit de gérance, pourra remettre en place les modalités de travail qui existaient auparavant et exiger le retour en présentiel. Un employé peut-il refuser de retourner au travail en présentiel par crainte de contracter la COVID-19 ? Qu’en est-il des personnes vulnérables ?
Comme nous l’avons vu dans une chronique précédente5 , la seule crainte de contracter la COVID-19 ne permet pas en soi à un travailleur d’exiger de faire du télétravail. Cependant, qu’en est-il pour les employés vulnérables, à risque de complications graves ?
La Loi sur les normes du travail permet à un employé de s’absenter du travail pour cause de maladie, et ce, sans crainte de représailles. Un employeur ne peut congédier un employé en raison de l’exercice d’un droit prévu à cette Loi, dont celui de s’absenter pour maladie6 .
Dans l’affaire L’Écuyer c. Canadian Royalties Inc.7, un ingénieur contestait son congédiement au motif que cette sanction lui avait été imposée par l’employeur après qu’il a demandé de poursuivre le télétravail. Étant immunosupprimé, il avait présenté un billet médical prescrivant le maintien du télétravail. Bien que cette prescription médicale ne constitue pas en soi un arrêt de travail, elle pourrait engendrer une absence pour maladie si l’employeur refuse de l’honorer. Pour cette raison, le Tribunal est d’avis qu’en fournissant ce billet médical, l’employé exerçait un droit prévu par la Loi et qu’il ne peut être congédié pour cette raison. Cependant, il faut noter que, dans cette affaire, l’employeur a réussi à démontrer qu’une réorganisation organisationnelle constituait la véritable cause de la fin d’emploi de l’employé. Sa plainte a donc été rejetée.
Conclusion
Si vous avez des questions sur ce sujet ou toute autre question juridique, n’hésitez pas à communiquer avec les avocats de votre ligne d’assistance téléphonique juridique gratuite du lundi au vendredi de 8 h à 18 h en composant le 1 877-579-7052.
7 2021 QCTAT 4901.
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