
25 minute read
III. RÉFLEXIONS ÉTHIQUES & PERSONNELLES
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE
PARTIE III RÉFLEXIONS ÉTHIQUES & PERSONNELLES
Advertisement
La question d’une pratique ouverte à l’architecture et à l’urbanisme me semble donc cohérente et de l’ordre du possible dans la gestion de ma future agence. Sur le fond il y a une véritable continuité (des échelles, du temps, etc.) qui donne pour moi un sens et une raison supplémentaire de s’engager en tant qu’architecte dans des projets à plus grande échelle.
Néanmoins, mon expérience m’a aussi fait m’interroger sur plusieurs situation, dont une en particulier : Quid du fait de construire dans un territoire sur lequel on a réalisé une étude urbaine, sur lequel on a une expertise et une connaissance, voire un contrat en cours avec la collectivité. Sur le principe, cela me semblait (lorsque j’étais chez INterland) assez logique, mais j’ai à présent un avis plus nuancé sur la question.
CONSTRUIRE DANS UN TERRITOIRE ÉTUDIÉ ?
Un projet architectural exemplaire ?
Quand je suis arrivé chez INterland, j’ai commencé à travailler sur les études pré-opérationnelles d’une ZAC de 300 logements, à Cluses (HauteSavoie). Ce projet, ambitieux d’un point de vue environnemental (labellisé écoquartier), venait compléter le centre-ville dynamique mais à l’étroit, a été concerté avec les habitants, validé par la municipalité.
Le projet nécessitait la réalisation d’une faisabilité assez poussée sur les différents lots de logement pour valider les hypothèses du nombre et de la qualité des logements voulue dans le futur Cahier des Préconisations

Plan masse et vue 3D de la ZAC de Cluses, avant la concession d’aménagement © INterland
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE

Principes architecturaux donnés pour la ZAC de Cluses © INterland


REFLEXIONS ETHIQUES ET PERSONNELLES
Architecturales Urbaines Paysagères et Environnementales (CPAUPE). Ayant réalisé ces faisabilités, j’étais persuadé que, même si nous n’allions pas forcément faire de la maîtrise d’œuvre, la «logique» du projet voulait que nous réalisions un lot de la ZAC.
Rien de plus normal : nous avions fait les études pré-opérationnelles sur plusieurs années, nous avions l’historique du projet, la connaissance du terrain, des élus, de l’aménageur pressenti, bref, nous pouvions construire, par exemple en étant en association avec un architecte local.
Toutes les conditions étaient réunies… sauf que nous avons finalement perdu le marché d’architecte-urbaniste en chef de la ZAC. Néanmoins, j’étais convaincu qu’en ayant cette somme de connaissance ainsi que le fait de potentiellement réaliser le CPAUPE, nous enjoignait à construire dans cette ZAC, comme pour réaliser une opération exemplaire, symbole de ce que l’architecte-urbaniste en chef « attend » des autres qui arriveront par la suite.
Cette notion d’exemplarité résonnait en moi car elle faisait écho au fait que, en tant qu’urbaniste, les connaissances des normes de construction, des coûts de construction vis à vis de la qualité réclamée dans le CPAUPE et par la ville, etc. étaient moins centraux chez INterland. Or, comment garantir la qualité d’un quartier conçu si on ne sait s’il est faisable ? Bien sûr, nous avions fait des faisabilités, y compris financières, mais mon expérience en maîtrise d’œuvre m’a bien montré que c’est toujours plus complexe que le ratio appliqué au départ.
Par ailleurs, dans le parcours que je me suis construit et dans ma volonté de « maîtriser » toute la chaîne de fabrication du projet, il me semblait indispensable de construire pour valider les hypothèses posées sur le projet depuis le début. L’œuvre réalisée reste le « seul » témoin de ce qu’est réellement le projet urbain, qui n’est qu’une idée, un concept, aussi détaillé soit-il.
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE
Une conception urbaine différenciée selon les objectifs
Arrivé à l’Atelier de Ville en Ville, en charge de la ZAC de Saint-Fons, à un stade qui me semblait moins avancé que la ZAC de Cluses, j’ai tout de suite été surpris par la manière dont le projet était pensé, conçu. Deux choses m’ont interpellées. Tout d’abord, la précision et la rigueur demandée sur les questions techniques de la ZAC (réseaux notamment) mais aussi sur la topographie, assez présente sur le site. Les faisabilités étaient encore plus poussées que ce que j’avais fait chez INterland, on en était presque à dessiner les logements (ce que l’on a fait par la suite). Le stationnement souterrain était calibré, réglé, comme si on allait faire les bâtiments.
Le deuxième point était, à contrario « l’instabilité » du plan guide de la ZAC, qui a été modifié très régulièrement, au gré des opportunités, sans que l’on arrive, parfois, à percevoir une logique. Il y avait donc un grand écart entre une ambition du projet et de son plan guide qui semblait assez malléable (des lots pouvaient disparaître ou apparaître, même si les invariants du projet n’ont pas bougé, heureusement), et une sorte de rigidité et de précision extrême sur les lots bâtis (plan de géomètre à l’appui etc.).
Sur Cluses, le plan guide, figé très rapidement n’avait pas vocation à changer, les fonciers mutables étaient clairement établis, en bref, la vision générale de la ZAC était fixe. Mais la faisabilité des bâtiments était faite de manière moins détaillée, ne craignant pas un décalage des limites foncières au besoin.
Sur Saint-Fons, n’ayant pas suivi le projet depuis le départ, et commençant seulement le CPAUPE et quelques plans thématiques généraux, je n’avais pas encore pensé au fait de bâtir. Pourtant, il a été question assez rapidement de construire le premier lot avec un promoteur, justement comme valeur d’exemple et pour valider nos préconisations. J’avais donc atteint mon « objectif » grâce à ce projet : j’allais voir la réalisation concrète du travail d’architecte-urbaniste, grâce à cette maîtrise d’œuvre.
REFLEXIONS ETHIQUES ET PERSONNELLES


Plan de masse et axonométrie programmatique générale de la ZAC de Saint-Fons Carnot-Parmentier dont l’Atelier de Ville en Ville est l’Architecte-Urbaniste en chef © Atelier de Ville en Ville
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE

Fiche technique du lot A de la ZAC de Saint-Fons


Plan de rez-de-chaussée et du sous-sol réalisé pour une faisabilité du lot A3 de la ZAC de Saint-Fons © Atelier de Ville en Ville
REFLEXIONS ETHIQUES ET PERSONNELLES
Je comprenais donc aussi pourquoi depuis le départ du projet, il y avait cette tendance à aller dans une précision très marquée sur les futurs lots bâtis, ce qui n’avait pas été le cas dans mon expérience précédente.
Des objectifs différents
Aussi bien sur le fond du projet que sur la forme, cette expérience m’a fait petit à petit changer mon avis à ce sujet.
Sur le fond tout d’abord car une des premières questions qui s’est posée sur le projet vis à vis de la Métropole (Maîtrise d’Ouvrage de la ZAC) est de savoir qui allait défendre son intérêt, et donc les principes de la ZAC, vis à vis de notre autre Maîtrise d’Ouvrage (promoteur-bailleur) du bâtiment. Le fait d’être à la fois architecte-urbaniste en chef de la ZAC et d’être maître d’œuvre nous renvoyait directement dans deux camps, pas forcément opposés, mais qui n’ont pas les mêmes objectifs.
Cela pose, selon moi, une vraie question éthique, comme l’évoquais déjà en son temps Charles Delfante :
« Edgar Pisani, ministre de l’Équipement, disait qu’il fallait que l’architecte en chef donne l’exemple, c’est à dire construise, mais les juristes de son ministère disaient que ce n’était pas déontologique : quand on est architecte conseil ou coordonnateur, on ne construit pas sur le territoire dont on a la responsabilité. Vaste débat !»1
De son côté, la Maîtrise d’Ouvrage de la ZAC veut un projet urbain cohérent, qui réponde à une stratégie territoriale plus large, dans laquelle le fait de construire de nouveaux édifices n’est pas la seule réponse mais un des dispositifs à mettre en place pour améliorer le quartier, surtout quand il fait l’objet d’un Nouveau Projet National de Renouvellement Urbain (NPNRU). Les enjeux financiers sont bien présents, mais il reste que la collectivité est toujours plus prompte à investir et à faire peu de profit si les gens du quartier bénéficient d’une amélioration de leurs conditions de vie. En bref, construire n’est pas l’alpha et l’oméga d’une collectivité, même
1. Charles Delfante, Souvenirs d’un urbaniste de province, Paris, Editions du Linteau, 2010, p. 63
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE
si la charge foncière joue pour beaucoup dans la réalisation de la ZAC.
De l’autre côté, la maîtrise d’ouvrage du bâtiment, un promoteur-bailleur dans ce cas précis, n’a pas les mêmes objectifs, même si son identité de bailleur social permet de tempérer certaines ardeurs constructives. Le promoteur a besoin de construire, de faire un certain nombre de mètres carrés de surface pour rentabiliser la construction et investir dans d’autres « produits ». En bref, construire plus pour gagner plus et construire plus encore etc. Jusque là rien de surprenant.
Le problème éthique est bien quand on est en contrat avec chacune des maîtrises d’ouvrage présentes.
Sur Saint-Fons, pour juger le projet architectural à l’aune du projet urbain, il a été décidé que ce serait un architecte conseil du CAUE qui examinerait le projet pour la Métropole afin que nous ne soyons pas juge et partie. Cela permettait déjà d’éviter une situation que je trouvais inconfortable (bien que n’étant pas interdite). Ce n’était certes pas l’idéal car cet architecte conseil ne connaissait pas le projet urbain, mais grâce au CPAUPE (que nous avions rédigé) il avait matière pour apprécier le projet. Cette solution était donc sur le fond un entre-deux convenable au regard de la situation.
Des arrangements possibles
Sur la conception architecturale, le fait d’être architecte-urbaniste en chef a également eu des conséquences. Le promoteur voulant construire rapidement le bâtiment en question et la nécessité pour l’agence d’avoir des projets et sa volonté de donner forme au projet urbain nous ont amenés très rapidement à commencer l’esquisse du premier lot.
Premier élément, sans surprise, la forme urbaine proposée par le projet urbain et les surfaces indiquées ne pouvaient être respectées en l’état. Cela semblait assez logique car même en dessinant précisément, on se rend toujours compte que le projet urbain reste une vue de l’esprit et que le projet architectural vient ajuster cette vision. Cela nous a poussés à modifier un peu les limites parcellaires, qui avaient pourtant été dessinées
REFLEXIONS ETHIQUES ET PERSONNELLES
au millimètre pour le géomètre…
Le fait d’être urbaniste nous a donc libérés de cette contrainte car dans une ZAC où l’on n’a pas ce rôle, l’architecte est obligé de respecter les limites et la fiche de lot. C’est le B-A-BA d’un concours, ce que j’ai pu voir aussi bien d’un côté (architecte-urbaniste en chef dans un jury) que dans l’autre (architecte voulant construire un lot).
Cela devait globalement servir le projet architectural, respectant ainsi les engagements pris, mais nous a contraints, en tant qu’urbaniste à rogner sur les lots contigus. Avec cette question toujours dans un coin de ma tête : comment vont faire les autres architectes pour respecter la constructibilité et une qualité de logement si on est obligés de décaler la limite foncière dès le premier lot sur les trois à bâtir dans le premier îlot ?
Deuxième élément : les élections municipales et métropolitaines qui ont fait basculer la majorité à la Métropole de Lyon, ont provoqué l’accélération d’un projet qui était jusque là en pause : l’implantation d’un tramway au droit de la parcelle sur laquelle nous réalisions le premier lot. Cette fois, ce n’est pas à la marge que nous avons dû modifier le projet, mais de manière plus importante car il a fallu modifier la forme urbaine même du projet pour élargir l’espace public en contrepartie, alors que nous étions bien avancés (au stade APD en préparation d’un pré-rendu de PC). Cela a donc créé des problèmes d’un côté pour l’architecte, mais aussi pour l’urbaniste qui a dû (encore) raboter les autres lots pour garantir à la première opération de remplir ses objectifs.
Troisième élément : au moment de déposer le permis de construire, un autre problème s’est dressé : le dossier loi sur l’eau et l’étude d’impact de la ZAC étaient obsolètes à cause de nouvelles règles et lois qui entraient en vigueur. Le projet allait prendre six mois de retard si le PC n’était pas déposé très rapidement. Six mois de retard pour un urbaniste, c’est presque une routine, et cela est comblé par d’autres études qui redémarrent par ailleurs. Mais pour un architecte, c’est un vrai trou d’air pour le plan de charge (et pour la trésorerie).
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE
D

R+2 R+1
A1
R+4+a
R+4 Rdc A2
R+4+a
R+4
A5
R+4+a R+4
Voie pompier végétalisée L=5.0m
R+4 En haut, le plan masse du lot A de la ZAC de Saint-Fons, avec un bâtiment en saillie au nord -est. En bas, le même bâtiment qui a dû être raccourci, peu avant le rendu provisoire du PC, suite à l’annonce de l’arrivée du tramway...et rallongé un peu au sud pour remplir les objectifs de surface de plancher initiaux et le nombre de logements. © Atelier de Ville en Ville
Mur à démolir
A3 Ado
R+4 Espace
REFLEXIONS ETHIQUES ET PERSONNELLES
L’agence en tant que telle n’y pouvait rien et elle a dû gérer cette situation d’instabilité. Le projet architectural en est à présent à la phase PRO ce qui montre qu’il a bien su rebondir. Et pourtant je suis convaincu que si les rôles avaient été plus délimités, les choses se seraient passées différemment. Si on avait été qu’urbanistes en chef, nous n’aurions pas lancé l’esquisse du premier lot avant d’avoir figé le plan guide et d’être certains qu’un projet comme le tramway ne perturberait pas le projet urbain et on aurait attendu que le dossier loi sur l’eau et l’étude d’impact soient conformes avant de laisser un PC être déposé. Si l’ on n’avait été qu’architectes, l’esquisse aurait démarré après que le plan guide eût été validé, le promoteur aurait d’abord pris toutes les précautions sur la parcelle (forme, situation etc.) et un concours aurait même pu être organisé. L’arrivée du tramway nous aurait peut-être aussi posé problème, mais sans doute pas autant.
L’influence de l’architecte-urbaniste sur les autres architectes
Le fait d’être architecte et architecte-urbaniste en chef sur la même ZAC m’a posé une autre question qui regarde plutôt les autres architectes qui devront bâtir dans la ZAC. Comme je l’expliquais précédemment, sur la ZAC de Saint-Fons, les faisabilités que nous faisions étaient assez poussées. Il nous est arrivé, pour certains lots de vérifier, en dessinant un bout d’esquisse, que nos formes urbaines étaient viables. Les sous-sols étaient précisément dessinés, la granulométrie des étages et l’organisation du rez-de-chaussée également (voir le lot A3, page 77).
C’est un vrai point positif de prime abord car cela évite certaines mauvaises surprises. Mais cela a posé également problème lorsque les architectes d’un autre lot (en l’occurrence un lot d’Action Logement) se sont plaints que la forme urbaine, vu la manière dont elle était dessinée, et vu l’organisation du lot, contraignait beaucoup trop leur projet architectural.
Au départ je me suis dit que c’était sûrement une manière de réclamer des dérogations à certaines règles, et puis en regardant de plus près, je me suis rendu compte que les formes urbaines (leur gabarit, de largeur, de hauteur) empêchaient certaines libertés sur les façades (les balcons étaient de fait impossibles par exemple). Les formes urbaines avaient été pensées par
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE
rapport à la manière dont l’Atelier de Ville en Ville conçoit les bâtiments. Je ne critique pas ici la qualité de la production architecturale de l’agence, mais le fait qu’inconsciemment, être architecte contraint aussi l’urbaniste dans ses choix et qu’il est très difficile de faire la part des choses, à moins d’avoir deux personnes différentes qui font le projet urbain d’un côté et le projet architectural de l’autre. Ce qui renvoie à la forme et la structure de l’agence (voir partie précédente).
D’où ma question : est-ce que c’est seulement dû au fait que promoteur et architecte aient voulu aller vite que ces problèmes ont vu le jour, et que la ZAC en a vraiment été impactée ? Est ce qu’il est vraiment souhaitable que l’architecte-urbaniste en chef construise en premier ? Éthiquement, est-il normal que l’architecte/architecte-urbaniste puisse être juge et partie ?
Cela me questionne beaucoup au regard de la pratique que j’ai envie d’avoir plus tard. J’ai l’impression, comme toujours que la réponse est complexe et que mon expérience future pourra répondre à ces questions. Pour le moment, et avec l’humilité de mon expérience, je dirais qu’il est préférable soit de s’abstenir de construire, soit de construire mais lorsque la ZAC est bien avancée (donc peut-être pas le premier lot).
Sur la ZAC de Bron-Terraillon, INterland n’a ainsi pas construit (ce qui correspondait plutôt à une volonté car nous n’avions pas dessiné le plan guide, nous avions juste obtenu le marché d’architecte-urbaniste en chef). Cette situation, plus apaisée a permis au premier lot de se construire de manière classique, dans un plan figé, clair et avec un architecte-urbaniste en chef à sa place.
Ces exemples posent enfin une question essentielle : la finalité de l’architecte qui pratique l’urbanisme est-elle de bâtir ? Les agences qui ciblent les ZAC le font-elles par intérêt de l’urbanisme et de l’impact du projet sur son contexte, sur les habitants présents et futurs, ou le fait-il de manière mercantile, pour pouvoir bâtir, comme on le voyait dans la partie précédente ? L’urbanisme est-il un moyen, un investissement pour une agence, et non une fin, un objectif ? Ici aussi la question éthique est très présente, et la question de la stratégie, évoquée dans la partie précédente prend tout son sens.
REFLEXIONS ETHIQUES ET PERSONNELLES
VUE 1 DEPUIS LA RUE NOUVELLE

BÉTON MATRICÉ
BÉTON SABLÉ
CLÔTURE
GARDE-CORPS Plan de composition du macro lot A1 A2

PERGOLA INTERLAND / TRIBU / PROCOBAT
HALL D’ENTRÉE
VÉGÉTATION
0 2m 4m 10m PLAN REZ-DE-CHAUSSÉE – ÉCHELLE 1:200
En haut, le plan masse du lot A de la ZAC de Bron-Terraillon, et en bas le plan d’étage courant de l’équipe lauréate du concours ATAUB + ARTO architectes © INterland & ATAUB + ARTO architectes
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE
Présenté comme cela, ce peut être jugé caricatural, mais il n’empêche que dans le cadre d’une stratégie (financière, de développement) cette question a le mérite d’être posée. Au regard des architectes et urbanistes avec qui j’ai travaillé, que j’ai lus, je suis convaincu que chacun a à cœur d’être un bon architecte et un bon urbaniste, mais les agences plus importantes, avec des échelles de projet différentes ont peut-être d’autres logiques.
La question du type de projet urbain et leur interaction avec l’architecte
Cette réflexion peut être également balancée au regard de la nature du projet urbain sur lequel l’architecte intervient en tant qu’urbaniste. Les projets cités précédemment ne concernent que des ZAC, qui est un des outils d’urbanisme où l’architecte et l’urbaniste sont les plus à même de travailler ensemble, et donc de risquer des « conflits d’intérêt ». D’un autre côté, avoir des activités d’urbaniste à une échelle éloignée de l’architecture peut aussi poser problème dans la gestion de l’agence et il est logique qu’un architecte ayant une pratique ouverte soit plus enclin à travailler sur des sujets où l’échelle architecturale a un rôle à jouer.
En revanche sur des projets à une échelle beaucoup plus large, comme des études territoriales à l’échelle d’une ou plusieurs communes, voire des études purement stratégiques à l’échelle d’une région, le fait d’être architecte sur le territoire me semble beaucoup moins prégnante, même si toujours importante car il est capable de faire le lien entre toutes les échelles.
Cette réflexion, enfin, découle peut-être aussi du cadre légal français dans lequel ma pratique s’est inscrite pour le moment (très normée, réglée etc.) et l’époque dans laquelle nous vivons, où l’architecte et l’urbaniste se dissocient de plus en plus. Les architectes et urbanistes comme Giancarlo de Carlo ou Charles Delfante, à une époque pas si éloignée, pouvaient pratiquer les deux à des échelles variables sans se poser toutes ces questions d’éthique. Il était assez normal à leur époque de construire dans les projets urbains qu’ils supervisaient.
REFLEXIONS ETHIQUES ET PERSONNELLES
REMETTRE L’ARCHITECTE AU CENTRE DU DÉBAT SUR L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
Pour prendre un peu de champ vis-à-vis des considérations que j’évoquais précédemment, il me semble crucial que l’architecte (re)prenne une place plus importante dans les questions d’aménagement du territoire.
La première partie de mon mémoire traitait de la nécessité pour les architectes de prendre plus de place dans les études urbaines afin de trouver des nouveaux marchés et d’être plus visible vis-à-vis des pouvoirs publics. C’est d’ailleurs une des prérogatives de l’architecte selon le code de déontologie. Ces considérations concernent la pratique de l’architecture et la manière dont les architectes, via cette pratique, peuvent aider une certaine qualité architecturale et urbaine à émerger, y compris dans des territoires ou l’architecture est peu visible. En bref, comment les architectes doivent réagir et prendre conscience de leur potentiel d’action.
Changer le regard des autres acteurs
Mais le propos est également valable pour les maîtrises d’ouvrage, publiques ou privées. Si les architectes doivent avoir une prise de conscience, leurs clients, et globalement tous les acteurs de la chaîne du projet architectural aussi.
A ce titre, et pour montrer à quel point c’est loin d’être le cas aujourd’hui, la Commission Rebsamen pour relancer la construction de logements neufs, menée par le Ministère de la Transition écologique, n’a sur 32 participants, aucun architecte. Comment est-il possible, que parmi tous ces acteurs, on exclut de fait les premiers concernés, exerçant la maîtrise d’œuvre de tous ces projets futurs, seuls habilités à déposer un permis de construire, et concepteurs des logements ? Cet exemple est selon moi symptomatique du fait que, même parmi les professionnels du bâtiments, la société ne (re) connaît pas ou très peu le rôle des architectes.
Bien entendu, on pourrait tenir un discours un peu différent au regard du quotidien de l’architecte : il est en relation avec des bureaux d’études, des
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE
entreprises, sa maîtrise d’ouvrage, voire des élus dans certaines situations ce qui montre bien que son rôle est bien connu et reconnu dans sa pratique « quotidienne »… et heureusement. Néanmoins, lorsque l’on sort de ce cercle de la construction, on se rend tous compte (lorsque l’on est étudiant, lorsque l’on fait de la concertation, mais aussi dans nos cercles privés) que la connaissance de notre rôle est restreinte. Et je ne parle pas seulement de la sempiternelle question : « Tu es architecte d’intérieur ou d’extérieur ? »
Autre exemple assez frappant qui a eu lieu cette année, le rapport Sichel du ministère du Logement, qui, pour encourager la rénovation énergétique ds logements prône la création d’un nouveau métier, celui d’accompagnateur Rénov’… qui ne ferait rien d’autre que le métier d’architecte, soit «dresser des plans, proposer aux clients des artisans au meilleur rapport qualité/prix et suivre les travaux en veillant à ce que tout se passe au mieux »2 .
Comme le dit justement la pétition du collectif des architectes d’Occitanie :
« L’État semble découvrir que pour réussir des travaux de construction ou de rénovation, il faut confier l’opération à un professionnel qualifié et spécialisé. Vous le saviez déjà, tout le monde le sait. Mais pas les Pouvoirs Publics ! […] Ce métier existe déjà, depuis très longtemps .... Vous l’avez deviné : ce sont les architectes, profession réglementée, sous tutelle de l’État lui-même, comportant 30 000 professionnels répartis dans toute la France.»3
A titre personnel, cette situation générale illustrée par ces exemples m’interroge beaucoup sur ma pratique actuelle et future. Ce n’est pas tant par réflexe corporatiste ou égoïste sur mon potentiel « statut » d’architecte que par cette question qui m’anime en premier lieu : l’intérêt public et la vie des personnes pour lesquelles nous menons tous ces projets. J’ai un vrai doute, pour avoir déjà échangé avec des promoteurs, et quand je lis des phrases comme « la taille des logements n’est pas un bon critère de
2. Voir la pétition et la lettre ouverte du Collectif Architectes Occitanie sur le site change.org 3. ibid
REFLEXIONS ETHIQUES ET PERSONNELLES
qualité »4 (à l’heure du Covid, cela ne manque pas de sel) de la part du nouveau président de la Fédération des promoteurs immobiliers, sur le fait que tout le monde se pose cette question.
Et quid des futurs accompagnateurs Rénov’, de leur formation et de leur capacité à penser le projet de rénovation autrement que par un prisme purement technique et performanciel ?
Je ne dis pas ici que je ne travaillerai pas avec des promoteurs, ou que la noblesse de l’architecture est entravée par des questions uniquement financières, que tous les architectes sont fantastiques et que la révolution approche. J’ai bien conscience que la réalité est bien plus complexe et que c’est par d’autres moyens que nous pourrons arriver à faire changer les mentalités de tous ces acteurs qui parfois, se méprennent sur notre rôle.
Vers d’autres pratiques et actions pour nous faire connaître
Comme je l’ai dit dans ce mémoire, je considère que la pratique de l’urbanisme est déjà une manière de montrer un nouveau visage de la profession d’architecte. Cette pratique permet de rencontrer des techniciens, des élus, des bailleurs dans d’autres situations que celle de la maîtrise d’œuvre, ce qui permet de modifier le regard mutuel que l’on peut avoir les uns vis-à-vis des autres.
Par ailleurs, la pratique de la concertation permet aussi de rencontrer des habitants d’un quartier, d’une ville, pour comprendre et penser différemment les projets urbains ou architecturaux et pour qu’eux aussi puissent se réapproprier le rôle de l’architecte et peut-être changer d’idée vis-à-vis d’eux.
Mon expérience de la concertation, m’a parfois donné un véritable sentiment d’utilité vis-à-vis de la population car non seulement il s’agit de recueillir de l’information sur un territoire, présenter et défendre un projet en réunion publique par exemple, mais également de montrer la pratique de notre métier comme une cause commune, noble, qui sert
4. Propos de Pascal Boulanger in, «Pour les promoteurs, la taille des logements n’est pas un bon critère de qualité», sur le site batiactu.com, le 29 juin 2021
A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE
l’intérêt public. Je m’inscris en cela dans les pas de Giancarlo De Carlo :
« Je cherchais une activité qui me permettrait d’être à la fois créatif et utile. Pour moi, être utile ne signifiait pas secourir les pauvres, et encore moins être missionnaire, mais cela voulait dire à peu près collaborer à la transformation de la société en exerçant une activité créative »5 .
Je suis convaincu que la concertation permet, d’une manière complémentaire des institutions publiques (maisons de l’architecture, CAUE) de communiquer sur notre profession. Je considère également qu’exercer dans un CAUE peut être très intéressant pour un architecte car c’est un moyen d’être confronté à de nombreuses situations et à des publics très variés.
Le fait d’être architecte-conseil est pour moi valorisant pour la profession car une fois de plus cela permet de donner un autre visage à l’architecte et de sensibiliser les maîtres d’ouvrage, sans forcément concevoir un projet. Cette idée, celle de la pédagogie, me semble une piste importante pour répondre à la question de l’invisibilisation de l’architecte dans le débat public. La limite réside plutôt dans le fait que le CAUE, bien que présent dans presque tous les territoires, n’est pas consulté systématiquement, et en règle générale, pour les petits projets particuliers son avis n’est pas demandé, alors que c’est peut-être à ce genre d’échelle qu’on peut toucher le plus de public.
Une voie parallèle à cette ouverture à la société de l’architecture est la médiation et l’enseignement, qui peut et pourrait se faire à des degrés différents et à des publics variés : en école, dans des facultés, ou d’autres lieux, en bref, faire de l’architecture un domaine «banal», connu et visible aux yeux de tous.
Enfin, une autre voie est celle de la politique : il n’y a aujourd’hui, par exemple, pas un seul architecte député. Comment notre profession peutelle continuer à défendre ses positions auprès de notre ministère de tutelle, écrire et amender des lois qui nous concernent au premier chef (loi Elan
5. Giancarlo De Carlo, Architecture et liberté, Paris, Editions du Linteau, 2003, p. 40
REFLEXIONS ETHIQUES ET PERSONNELLES
par exemple) s’il n’ y a pas un architecte député ? Cela ne veut bien sûr pas dire que la profession n’est jamais consultée (elle a fini par être entendu par la Commission Rebsamen), mais il n’empêche, c’est sur le terrain politique que le bât blesse particulièrement. La question de l’engagement de l’architecte est mise en jeu ici aussi.
C’est justement car j’ai envie de m’engager pour cette profession et ses valeurs (l’intérêt public, les habitants, la qualité architecturale urbaine et paysagère) que je me pose la question de suivre certaines de ces pistes citées précédemment. Je sais que tôt ou tard je m’engagerai en ce sens.
Pour terminer, je ne considère pas que ces pratiques connexes (concertation, conseil, médiation, enseignement, politique) doivent être le seul cœur de notre pratique. La maîtrise d’œuvre reste la mission principale de l’architecte et la concertation, la médiation, l’enseignement , et la recherche doivent rester complémentaires d’une pratique architecturale et urbaine.
Je pense sincèrement que c’est en allant vers les usagers, la société dans son ensemble que l’architecte réussira peut-être à retrouver une place centrale dans l’aménagement du territoire. Il doit avoir un rôle un peu hybride, polyvalent, qui lui permet d’être connu et d’être appelé par tous si besoin. Cette question concerne toutes les échelles de la politique (la commission Rebsamen), à la question de la rénovation (l’accompagnateur Renov’).