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INTRODUCTION

A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE

Notre société fait face aujourd’hui à de nombreux défis et crises abondamment décrits ces dernières années : climatique, avant toute chose, mais aussi politique, économique et social, sans oublier sanitaire ces derniers mois. Je suis convaincu que les architectes doivent prendre leur part dans ces défis, faire entendre leur voix.

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Ainsi, l’architecte a aujourd’hui le devoir de s’ouvrir le plus possible au monde qui l’entoure, aux autres champs disciplinaires de l’aménagement du territoire, afin de comprendre et répondre aux défis pré-cités et qui vont forcément guider toute la pratique de la profession d’ici quelques années. Cette ouverture est historiquement inscrite dans le métier d’architecte, qui a la capacité et les compétences pour parler à tout le monde, et concevoir des espaces qui soient tous d’intérêt public.

C’est d’ailleurs ce qu’évoque Christine Leconte, la nouvelle Présidente du Conseil National de l’Ordre des Architectes :

« L’enjeu principal est de réconcilier l’architecture et la société. Nous sommes dans un contexte post-covid, où on a tous pu constater l’importance des lieux de vie, que l’espace, la lumière, les espaces extérieurs, sont des éléments fondamentaux pour bien vivre. A cela s’ajoutent les enjeux environnementaux du XXIème siècle. Le tout montre qu’il y a un grand besoin d’architecture et un besoin que les architectes parlent à la société, et aux politiques, à tous les niveaux. [...] L’architecte est aussi utile en tant que force de proposition, en remettant les attentes des habitants au cœur des projets, en permettant que les choses se fassent, en prenant en compte les demandes

de toutes les parties, pour éviter le rejet des projets. L’architecte, enfin, est indispensable pour aider les territoires à élaborer leurs projets, en écrivant un récit territorial et en redessinant des lieux de vie... »1

L’architecture est donc au service du bien commun, de la société. C’est bien ce que dit l’article 1 de la Loi sur l’Architecture du 3 janvier 19772 . Un des problèmes est, qu’aujourd’hui, sa pratique semble parfois éloignée de cet apport à la société, comme en témoigne la réduction des surfaces et de la qualité architecturale des logements neufs ces dernières années3 . Pourtant, le législateur nous a investi d’une mission, il y a plus de 40 ans et qui va au-delà du fait même de construire. Nous devons penser nos choix (esthétiques, constructifs, etc. mais aussi politiques) au regard de ce que l’on doit apporter à la société.

Peut-on encore construire en tant qu’architecte, un bâtiment qui ne respecte pas nos convictions, qui est soumis à la pression des promoteurs privés ou qui nous semble être un non-sens par rapport aux valeurs communes de la société ? La réponse devrait être négative, mais c’est parfois l’inverse aujourd’hui. J’ai la conviction que cette situation doit changer.

1. «Les architectes sont là pour remettre du long terme dans l’équation» Interview de Christine Leconte pour batiactu.com, le 11juin 2021 2. «La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public.» (extrait de l’article I) 3. A ce sujet voir l’article «En vingt ans, les appartements neufs franciliens ont perdu jusqu’à 15 % de leur surface», in Le Monde, 26 août 2021, et l’interview de Marjam Hessamfar «Le logement n’est pas un produit financier», vice présidente de l’OA pour batiactu.com, le 23 juillet 2021

A LA RECHERCHE DE L’ARCHITECTE-URBANISTE

Un art politique

L’architecture est donc bien un “art” politique, car il à la capacité et l’injonction d’améliorer le quotidien de notre société, comme l’indique Emmanuel Macron dans son discours de 2019 devant les architectes français :

« Je crois qu’il n’y a pas beaucoup d’art qui soit plus politique que le vôtre au sens le plus strict du terme. Être architecte c’est être celui ou celle qui décide d’organiser la vie dans la cité, celui qui fait de la politique au sens le plus trivial du terme, celui qui essaie d’en définir les règles. »4

Cet extrait montre, au-delà des considérations politiques, que la mission que l’État attend de nous est vaste dans la définition de notre rôle quant à l’organisation de la société, et qu’elle est toujours d’actualité, malgré le fait que, pour différentes raisons, notre profession soit absente de certains territoires (en périphérie des grandes villes, dans les territoires ruraux) et peu visible aux yeux du grand public. Comme le dit Christine Leconte « Il faut davantage démocratiser l’architecture. C’est à nous, les 30 000 architectes français, de prendre notre bâton de pèlerin pour promouvoir notre savoirfaire, notamment auprès des élus, et montrer aux citoyens que nous sommes à même de répondre à leurs besoins.»5

Je suis donc prêt, aujourd’hui, à «prendre mon bâton de pèlerin» et m’engager pour l’architecture, au service de l’intérêt public.

Un architecte qui s’engage : oui, mais comment ?

Un architecte peut aujourd’hui s’engager de plusieurs manières. Tout d’abord, dans sa pratique professionnelle et de la maîtrise d’oeuvre ; par le choix des matériaux, une démarche écologique, sociale, le choix de certains programmes….en bref, par une pratique visible, claire, identifiable.

4. Discours d’Emmanuel Macron le 24 mai 2019 devant les architectes, à l’occasion de la remise du prix Pritzker 2019, disponible sur le site de l’Ordre des Architectes 5. « Les architectes ne sont pas des designers de façade ! » Interview de Christine Leconte, in L’Architecture d’Aujourd’hui, le 7 décembre 2017

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Différents types d’engagements identifiés

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Il peut aussi s’investir dans son milieu socioprofessionnel ; via l’Ordre des Architectes et les syndicats notamment, pour peser dans le débat, faire évoluer la pratique, mais aussi par les maisons de l’architecture, les CAUE, qui jouent dans la reconnaissance et le rayonnement de l’architecte vis-àvis du reste de la société : conseiller, faire de la pédagogie, de la médiation, de la sensibilisation.

Enfin, l’architecte a enfin la possibilité de s’engager au niveau proprement politique, afin d’agir sur les décisions qui concernent l’architecture, l’aménagement territorial, des lois, des normes etc. Cette échelle-là est très importante car elle dicte beaucoup de règles à l’architecte. Or, si on veut que les choses changent, il faut travailler aussi sur l’amont de notre pratique.

« Insistons sur l’amont, c’est là que l’architecte peut être utile »6

Au regard de mes modestes cinq premières expériences professionnelles, il y a, selon moi, un domaine qui réussit à lier l’architecte, sa pratique et sa vision générale sur la société : l’urbanisme. Un domaine vaste, qui a une définition très large de sa pratique en France : de la stratégie territoriale, à la faisabilité d’ouvrages qui seront conçus et exécutés par des architectes. Différentes échelles (d’une région, à un îlot, en passant par la commune, et le quartier), différents territoires (urbain, périurbain, rural, industriel, portuaire, en friche etc.), dont la connaissance et la pratique peuvent, j’en suis convaincu, aider l’architecte à reprendre pied sur des sujets dont il suit (ou subit, c’est selon) ensuite les règles.

Ainsi, l’urbaniste peut plus facilement influer sur le cours de l’aménagement d’un territoire en côtoyant les différents acteurs du territoire, même si ce n’est pas lui qui décide, bien évidemment.

La pratique de l’urbanisme couplée à celle de l’architecture permet de garder les yeux ouverts sur le monde et la société, et de pouvoir proposer des alternatives ou de répondre au mieux aux besoins des usagers et

6. «Les architectes sont là pour remettre du long terme dans l’équation» Interview de Christine Leconte pour batiactu.com, le 11juin 2021

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habitants d’un territoire, ce qui est la mission même de l’architecte selon moi, et c’est ce que disait déjà Giancarlo De Carlo :

« L’architecture est et ne saurait être que l’organisation et la forme de l’espace physique7 . Elle ne peut pas être autre chose, mais c’est déjà énorme. Lorsqu’elle est valable, elle fait rejaillir ses qualités sur ce dont elle dépend et aussi sur les facteurs qui finissent par dépendre d’elle. Elle n’est pas autonome mais hétéronome. »8

Au travers de ce mémoire, je cherche donc à expliquer ce que peut apporter la pratique de l’urbanisme aux architectes.

Dans une première partie, nous verrons comment on peut agir pour la qualité architecturale via la pratique de l’urbanisme.

Dans une seconde partie, nous verrons en quoi la pratique de l’urbanisme peut avoir une influence sur une agence d’architecture, sa structure et son organisation.

Enfin, je tenterai d’avoir un retour critique sur mon expérience personnelle au sujet de la pratique simultanée de l’architecture et de l’urbanisme, avant d’évoquer mes perspectives professionnelles pour les années à venir.

7. A toutes les échelles donc, puisque De Carlo est un des premiers à soutenir qu’architecture, ville, et territoire, sont indissociables. 8. Giancarlo De Carlo, Architecture et liberté, Paris, Editions du Linteau, 2003, p. 142

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