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ENTRETIEN ANTOINE FLAHAULT,
épidémiologiste, directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève, ancien directeur de l’École des hautes études en santé publique (EHESP).
« Tous les scénarios sont possibles pour cette pandémie » En 2008, Antoine Flahault publiait Des épidémies et des hommes (éditions de La Martinière). Il prévenait : « L’histoire des maladies infectieuses reste à écrire. » Dans le même temps, il dirigeait avec Patrick Zylberman l’exposition Epidemik, l’expo « contagieuse », à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. Celle-ci se terminait par un panneau annonçant la « fin de l’optimisme ». 2020 : les craintes ont explosé. La covid-19, partie de Chine fin décembre 2019, s’est propagée partout dans le monde.
Quelques jours après le 11 mai, date de la fin du déconfinement en France, quel « pré-bilan » tirez-vous de la gestion de la crise, en France et en Europe ? Antoine Flahault. À l’heure où l’on se parle, on ne sait pas du tout quelle évolution va suivre cette pandémie. À Genève, où il y avait pourtant un important foyer de contamination, seulement 10 % de la population du canton a été infectée par le virus, ce qui est très peu. L’immunité collective nécessaire pour bloquer toute nouvelle flambée épidémique (qui pourrait être de l’ordre de 70 % de la population) n’est pas près d’être atteinte. La situation est à peu près la même dans toute l’Europe, malgré des stratégies de réponse assez différentes, allant d’une grande liberté de circulation au confinement strict. Des chiffres interpellent : avec un nombre de cas à peu près équivalent, certains pays, comme
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l’Allemagne ou la Suisse, s’en sortent mieux et affichent un taux de mortalité très inférieur à celui d’autres pays européens comme la France, l’Italie ou l’Espagne. Comment l’expliquezvous ? Est-ce dû à des différences de comportement ? Les Italiens, les Français et les Espagnols ont été disciplinés dans le confinement strict qu’on leur a imposé. L’Autriche affichait, le 14 mai 2020, un taux de mortalité de 69 par million d’habitants, l’Allemagne de 94, la Suisse de 216, quand la France (415), l’Italie (514) et l’Espagne (580) enregistraient des taux beaucoup plus élevés. Il y a donc en effet une très importante différence de mortalité rapportée à la population qui s’explique, à mon avis, essentiellement par la politique de test, de traçage et d’isolement des personnes contaminées. Le test RT-PCR, qui vise à identifier si vous êtes porteur du virus, a été pratiqué de façon beaucoup plus importante et précoce dans