@DR
INTERVIEW MAURICE THÉVENET, professeur à l’ESSEC
Télétravail, les avantages et les limites
Même après la fin du confinement, le télétravail devrait continuer à se développer. C’est ce qu’estiment plusieurs spécialistes du travail, qui voient différents indices prouvant que cette forme d’activité a en quelque sorte gagné ses lettres de noblesse à l’occasion de la récente pandémie. Pour Maurice Thévenet, professeur à l’ESSEC, avoir pu peser les pour et les contre du télétravail devrait offrir une vision plus équilibrée.
Le Mutualiste. Peut-on prévoir un impact du télétravail sur le travail, les relations sociales, et l’équilibre travail/télétravail ? Maurice Thévenet. On assistera sans doute à une attitude plus équilibrée concernant le télétravail car les entreprises, autrefois prudentes sur le sujet, ont pu en expérimenter les bienfaits et les limites. Nous n'aurons sans doute pas une explosion du télétravail mais des approches plus raisonnables. Car il a des limites, notamment en matière de sécurité (cyberattaques) dont le bilan n'est pas encore établi. Dans l’urgence, des risques ont été pris. Et on réalise le plaisir de se retrouver physiquement. Par ailleurs, on sous-estime le fait qu’on est dans la première période de crise, et qu’à la mobilisation succède la monotonie du temps long… Du reste, le télétravail s’avère plus fatigant, stressant. On cherchera sans doute un équilibre entre télétravail et présentiel. Mais le télétravail épargne la fatigue du trajet ! C’est peut-être une idée à relativiser. Car le trajet est aussi un sas entre vie professionnelle et vie personnelle… dont on ne soupçonnait pas les vertus. Ce temps (que l’Insee évalue
@Shutterstock
PLÉBISCITÉ PAR 60 % DES FRANÇAIS
10
LE MUTUALISTE 135
Après le 17 mars, nombre de salariés ont cessé le travail, mais 30 à 40 % d’entre eux ont « télétravaillé ». Et, selon un
à une demi-heure en moyenne) entre travail et domicile est une sorte de mode de récupération, même s’il est monotone quand il est quotidien. Mais il est trop tôt pour tirer des conclusions. Cela dit, il y a eu une forte évolution depuis plusieurs années. Un cadre a beaucoup de possibilités de télétravail. Ce mode de travail s’est banalisé en peu de temps. Mais on en voit aussi ses limites : pour travailler sur un projet, s’accorder sur une stratégie, il pose problème. Même si, pour un travail sur une banque de données ou une tâche répétitive, c’est une bonne solution. Et, je le répète, on a besoin de proximité, de se voir, c’est une question anthropologique ! Certains dirigeants d’entreprises posent aussi la question de la surveillance du salarié en télétravail … Les études montrent qu’y compris en présentiel, les sites les plus consultés sont ceux de vente en ligne ou d’autres de même type. N’ayons pas le discours angélique sur le salarié qui, derrière son bureau, est toujours au taquet ! Dans le même ordre d’idées, les syndicats travaillent au plus près du salarié. Le télétravail est l’ennemi du syndicalisme.
sondage (Deskeo, avril 2020), ils seraient 60 % à être prêts à intégrer le télétravail dans leur vie professionnelle après la crise. Les conditions inhabituelles dans lesquelles il a été expérimenté – présence d’enfants en bas âge, travail plutôt le matin
Propos recueillis par Alain NOËL
tôt et le soir tard… – rendent délicat, ou tout au moins prématuré, d’en tirer des leçons pour les entreprises qui le pratiquent habituellement, même si des réflexions sur l’évolution de nos modes de travail peuvent être engagées à l’issue de la période actuelle.