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Être jeune et sans emploi, une fatalité ?

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Lesieur Cristal rêve d’Afrique

Le modèle

éthiopien fortement fragilisé

La dette

à nouveau une source d’inquiétude

Être jeune et sans emploi, une fatalité ?

Les moins de 25 ans représentent 60 % des chômeurs africains. Et avec la poussée démographique, la population active triplera demain. Il faudra alors créer 1,7 million de postes par mois. Les pays en sont loin. Cette pénurie est une véritable bombe

à retardement. parJean-Michel Meyer

En 2070, un jeune sur deux dans le monde sera africain. « Entre 2013 et 2063, la population en âge de travailler devrait plus que tripler et passer de 627 millions à près de 2 milliards d’individus, soit une augmentation de plus de 1,3 milliard d’individus », prédit la Banque africaine de développement (BAD). Une telle évolution serait de nature à « générer une croissance économique exceptionnelle de l’ordre de 500 milliards de dollars par an », assure l’Agence française de développement (AFD).

Retour en 2021. Il n’est pas besoin de se propulser aussi loin dans le temps pour comprendre le défi associé à cette poussée démographique : il faut créer suffisamment d’emplois. Aujourd’hui déjà, près de 60 % de la population a moins de 25 ans. « Alors que 10 à 12 millions de jeunes entrent sur le marché du travail chaque année, seuls 3 millions d’emplois sont créés, laissant un grand nombre sans travail », déplore la BAD.

Selon la Banque mondiale (BM), ils représentent 60 % des chômeurs africains. Et cela, sans compter l’informel, qui « occupe » 95 % des jeunes. L’impact économique du Covid-19 n’arrange évidemment rien. « En 2020, nous estimons entre 30 et 50 millions les emplois perdus. Et il y en aura encore de 30 à 50 millions

L’impact économique du Covid-19 n’arrange évidemment rien.

Des manifestations régulières de personnes désœuvrées et au chômage ont lieu en Algérie. Ici, un jeune homme sur une colline à Alger.

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cette année », annonce Vera Songwe, la Si des mesures d’intégration XXL secrétaire exécutive de la Commission ne sont pas adoptées, le continent économique pour l’Afrique (CEA). ressemblera à un Titanic que rien ne

« C’est simple : les jeunes feront fera dévier de sa collision avec un les frais de la crise », lance Ruti Ejangue, iceberg. « Il faudrait que les marchés consultante pour la région Afrique du travail puissent créer entre 2018 à la BM. Au Sénégal, ils sont 200 000 et 2035 environ 20 millions d’emplois chaque année à frapper à la porte par an, soit le double de ceux qui ont été du marché du travail. La promesse, créés en moyenne entre 2012 et 2017. » en 2013, du président Autrement dit, explique Macky Sall de créer La plupart des la BAD, « les pays africains 300 000 emplois avant États ont pris devront collectivement 2017 n’a pu être tenue. des initiatives, créer 1,7 million d’emplois En Côte d’Ivoire, 93 % des jeunes sont dans mais ils agissent par mois. Leur nombre augmentera avec le temps, l’informel. Or, plus de avec retard. passant de 1,5 million par trois sur dix rêvent d’être mois entre 2023 et 2033, cadres, alors que les offres sont rares. à 2 millions entre 2053 et 2063 ». À Ouargla, début février, à 800 km Sinon, la situation risque d’être d’Alger, de jeunes chômeurs tenaient intenable. La jeunesse est le plus grand leur 37e rassemblement hebdomadaire. atout du continent, mais elle peut Des manifestations régulières devenir « une bombe à retardement de personnes sans-emploi ont lieu imminente qui est une menace pour aussi en Tunisie. « Ce n’est pas un la cohésion sociale, une cause de phénomène nouveau, mais il a tendance migration massive si des politiques à devenir structurel », explique appropriées ne sont pas mises en Ahmed Lahlimi, le Haut-commissaire œuvre », prévient l’Organisation au plan du Maroc, où plus de 31 % internationale du travail (OIT) des 15 à 24 ans sont au chômage. dans un rapport de mars 2020.

Dans un centre de formation en informatique, à Soweto, en Afrique du Sud. Dans un tweet du 6 mars 2019, la BAD précisait que « 40 % des jeunes Africains qui rejoignaient des groupes extrémistes mentionnent l’absence de travail » pour justifier leur choix.

Pour l’OIT, le chômage des jeunes « est en croissance constante depuis 2012 ». La plupart des États ont pris des initiatives, mais ils agissent avec retard et sans l’ampleur nécessaire pour vaincre ce fléau : le Ghana a instauré un service national de la jeunesse pour aider les diplômés du supérieur à trouver un travail ; Maurice promeut l’enseignement technique et la formation professionnelle ; la Zambie a créé un fonds pour les entrepreneurs en devenir… Les effets de ces initiatives nationales restent encore à évaluer. De même, dans le privé, les forums de l’emploi ou les programmes de formation internes des grands groupes se multiplient. En 2019, la BAD fixait de son côté l’objectif pour 2025 de créer 25 millions d’emplois et de doter 50 millions de jeunes de capacités pour devenir entrepreneurs. « L’Afrique va dans la bonne direction, mais beaucoup trop lentement », note George Lwanda, conseiller du Centre de services régional du PNUD pour l’Afrique.

« Il est clair qu’une transformation structurelle des activités économiques à faible productivité, en particulier dans l’agriculture, vers des activités à forte productivité, telles que la production industrielle, constitue une priorité essentielle pour l’Afrique », incite la BAD. Et le défi n’est pas mince. Il s’agit de revoir l’intégration du continent dans les chaînes de valeurs mondiales qui repose, dans l’agriculture et l’industrie, sur l’exportation de matières premières, avec l’ambition de créer des emplois locaux qui valorisent ces produits. De son côté, le think tank américain Brookings Institute suggère de favoriser les « industries sans

cheminées » (comme les services basés sur les technologies de l’information et des communications, le tourisme, l’agro-industrie, l’horticulture ou les transports), leur croissance dépassant celle du secteur manufacturier. « Entre 1998 et 2015, les exportations de services de l’Afrique ont augmenté plus de six fois plus vite que les exportations de marchandises », justifie le think tank. « L’Afrique est à un point de basculement. L’occasion manquée de la dernière décennie est profondément préoccupante. Les jeunes citoyens africains manquent d’espoir, de perspectives et d’opportunités. Leurs dirigeants doivent investir dans l’éducation et accélérer la création d’emplois pour soutenir les progrès et éviter une détérioration potentielle, ainsi que pour s’assurer que la voix et les attentes des jeunes sont prises en compte dans l’élaboration des politiques. Il est temps d’agir », écrit Mo Ibrahim dans un article du Brookings Institute.

Mais il n’y aura pas de miracle. « Les trois quarts des nouveaux entrants sur le marché de l’emploi travailleront à leur compte ou dans des micro-entreprises. […] La population croissante de jeunes plus instruits et urbanisés qui rencontrent peu d’emplois est une crise en devenir », note le Brookings Institute. Ce n’est donc pas un hasard si la création d’entreprise est fortement encouragée. Comme une fatalité, face à la pénurie d’emplois qui guette les futurs actifs, Diariétou Gaye, alors directrice de la stratégie et des opérations pour la région Afrique de l’Est et australe de la Banque mondiale, en tirait la leçon en juin 2020, en s’adressant aux jeunes très directement : « Je peux vous affirmer qu’il ne se passera jamais rien si vous restez les bras croisés en attendant que les autres agissent pour vous. » ■

LES CHIFFRES

Chefchaouen, dans les montagnes du Rif, au Maroc.

53,8 %, c’est la perte de revenus du secteur touristique du Maroc en 2020, soit un manque à gagner de 3,87 milliards d’euros.

200 MW

Soit la puissance de la plus grande ferme solaire photovoltaïque d’Afrique de l’Ouest que devrait construire sous peu le Nigeria.

701,5

millions de dollars ont été levés en 2020 par 397 start-up africaines (en hausse de 42,7 % par rapport à 2019).

1 MILLIARD D’EUROS, C’EST LA SOMME QUE L’UNION EUROPÉENNE DEVRAIT ACCORDER SUR SIX ANS À LA FILIÈRE CACAO DE CÔTE D’IVOIRE POUR QUE LE PAYS DEVIENNE LA PREMIÈRE « ORIGINE CACAO DURABLE ».

46 % des comptes mobile money

actifs dans le monde sont en Afrique. Soit 481 millions de comptes, qui passeront à 500 millions d’ici la fin du premier trimestre 2021.

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