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L’horlogerie
patrimoine
et autres tentatives de diversification de l’emploi
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Trente ans d’aventure et d’espoir! Jusqu’au début des années soixante, un travail dans les cantines des chantiers de construction du barrage de Moiry ou dans les hôtels en été représentait une vraie chance d’obtenir un salaire pour les femmes en Anniviers. Les hommes s’activaient pour le barrage ou officiaient comme porteurs, accompagnateurs ou guides pour la clientèle aisée des hôtels. Ces occupations permettaient d’améliorer leurs difficiles conditions de vie de paysans de montagne. L’installation de l’usine Alusuisse à Chippis, au début du XXème siècle, avait déjà largement contribué à l’évolution du style de vie d’une partie des familles de notre région. La sécurité de l’emploi leur permettait de garder un train de vie paysan à côté, pour le plaisir, mais aussi pour leur assurer une nourriture locale et de qualité, dirait-on aujourd’hui…
Dès la mise en service du barrage, beaucoup d’ouvriers n’ont pas retrouvé d’occupation de cette importance sur place. Des familles ont alors « remué » définitivement vers la plaine, la vallée a vu sa population sérieusement diminuer.
Perspectives d’avenir Les autorités locales, dont Philibert Crettaz, président de la commune de Vissoie, soucieuses de ce constat, ont cherché des solutions pour retenir les jeunes familles.
En 1960 déjà, l’opportunité s’était présentée d’ouvrir un atelier de couture dans la vallée. Philibert Crettaz a cherché des jeunes femmes prêtes à suivre une formation à Vouvry. Une dizaine se sont annoncées, elles logeaient à l’auberge, le dîner était frugal, elles ne rentraient pas à la maison le week-end. Parfois, le soir, quelque joueur de guitare tentait d’attirer l’attention sous les fenêtres de ces dames… en vain… Elles apprenaient, entre autres, à fabriquer des manteaux de pluie militaires, des vestes matelassées (les premières doudounes) sur des machines à coudre électriques. Ce projet n’ayant pas pu aboutir, la frustration a été grande pour ces femmes qui s’étaient projetées fortement dans cette idée !
A ce moment-là, l’essor de l’industrie horlogère suisse a permis les espoirs les plus fous. Des contacts avec M. Mondini, concepteur et propriétaire de la marque de montre Giroxa, produite dans son entreprise Belvil Watch & CO SA à Soleure, ont permis la mise en fonction du premier atelier d’horlogerie à Vissoie, dans les locaux de l’ancienne salle communale. Jean-Louis Kittel, natif de Vissoie, travaillait comme horloger à la Chaux-de-Fonds et avait suivi les cours du soir de technicien. Proposition lui a été faite de revenir au village pour mettre en route cet atelier, ce qu’il a accepté. Cinq personnes ont ainsi pu se former durant six mois à Soleure : Liliane Genoud, Sylvain Savioz, Marc Theytaz, Jean-Marc Theytaz, Narcisse Caloz. Ce petit monde quittait la vallée le dimanche soir, dans la voiture conduite par Jean-Louis, apprenait ce nouveau métier dans l’entreprise de M. Mondini et revenait au pays le vendredi soir. En juin 1961, l’équipe de base était prête à instruire une dizaine de travailleurs sur l’établi à Vissoie, tous équipés de blouses blanches et de cravates ! Très vite, l’entreprise a pu engager du monde, si bien
Une partie de l’équipe de l’horlogerie

Au boulot avec le sourire
que l’ancienne salle communale n’était plus adaptée à la progression en cours. La construction de l’horlogerie, comme on appelle encore aujourd’hui ce bâtiment situé sur les hauts du village, a débuté en 1962 et, dès l’année suivante, les ouvriers–ères se sont installés dans ce nouvel édifice, confortable, lumineux. Au premier étage se situait l’atelier, au rez-de-chaussée l’appartement pour M. Charmillot et sa famille venu renforcer l’équipe ; on y trouvait également le vestiaire et le réfectoire.
De bonnes conditions, un travail à l’année De trente à quarante personnes ont ainsi trouvé un emploi dans la vallée, les gens venaient des villages environnants, Pinsec, Mayoux, St-Jean, Ayer, Mission, St-Luc et Vissoie. Les transports, rapidement organisés par l’entreprise avec l’acquisition de deux bus, ont été assurés par Marc Theytaz pour les employés de la rive droite et par Narcisse Caloz, puis André Zufferey, pour ceux de la rive gauche. Les autres se déplaçaient en Vespa, en car ou à pied. Je revois encore ces travailleurs qui défilaient devant notre maison, matin et soir. On pensait que tout ce monde avait bien de la chance de pouvoir travailler à l’année à l’horlogerie. Au début, les employés bénéficiaient de deux semaines de vacances payées par année, puis d’une troisième un peu plus tard. Les hommes qui le désiraient pouvaient suivre une formation de « remonteur complet », ce qui en a intéressé plusieurs, dont mon frère Jean-Claude. A la demande de M. Casimir Rey, responsable alors du Centre Professionnel à Sion, c’est sous la houlette de Jean-Louis Kittel que les cours ont été organisés le samedi.
Et très rapidement, le travail à domicile a été possible. Beaucoup de femmes ont profité de cette opportunité représentant un gain non négligeable pour les ménages. « Cela nous permettait de payer les amortissements et intérêts pour la maison ». Les femmes étaient défrayées à la pièce, à Nouvel-An, elles recevaient un cadeau de 60.- francs. Les hommes étaient payés à l’heure, en hiver, une sortie à skis s’organisait pour eux et en été, on réservait une journée pour les familles. Ainsi, la cohésion du groupe était renforcée, pas seulement par le travail.
Un atelier a même fonctionné à Ayer, pendant deux ans, dans l’ancienne salle d’école de la maison bourgeoisiale. La déception s’annonce Malheureusement, ce bel épisode a commencé à se détériorer dès 1975. L’année suivante, la faillite de M. Mondini a eu des répercussions jusque chez nous : l’horlogerie de Vissoie a été la première succursale à perdre pied. Sylvain a été chargé d’annoncer la fin de l’aventure à toute l’équipe et de procéder à la fermeture ; il lui a fallu débarrasser les locaux, aidé de deux autres employés.
Remettre l’ouvrage sur un autre métier, trouver du travail ailleurs, c’est devenu leur fardeau. Quelques-uns sont partis à l’Alusuisse, puis sont remontés ensuite, soit à l’usine électrique de Mottec, soit à celle de Vissoie. « Ce n’était pas simple de passer de la blouse blanche à la chaleur des fours ! » D’autres sont restés dans le secteur horloger à Sion, Savièse ou Leytron. Mais ces succursales ont aussi fermé, à tour de rôle, l’horlogerie suisse a traversé une de ses grandes crises dans ces années-là. L’un a réparé des montres en privé, un autre s’est occupé du service après-vente pour des commerces. On ne rompt pas si facilement le lien quand il s’agit d’une passion. Quant aux femmes, elles se sont réorientées dans la vente, les nettoyages, les entretiens, le tourisme. Et des familles ont malheureusement quitté la vallée.
S’adapter en toutes circonstances, les montagnards connaissent cette manière de vivre depuis la nuit des temps, remuages et multi-tâches ont fait partie de leur route, toujours.
Une lueur d’espoir Burri SA, une entreprise de mécanique de précision et décolletage pour injecteurs de voitures et serrures de coffres-forts, dont la maison-mère se trouvait à Moutier, a pu ouvrir un atelier à l’emplacement de l’ancienne menuiserie Genoud, sur la place de la Tour à Vissoie. Sous la responsabilité de Jean-Michel Zuber, dès 1972 – 1973, une dizaine d’ouvriers s’activaient dans cette branche. En 1977, le déménagement a pu se faire dans les locaux déserts de l’ancienne horlogerie. Cette mécanique de précision ressemblait à celle de l’horlogerie. C’est ainsi que certains ont trouvé là une parenté

L’horlogerie aujourd’hui !

Serge, Claude, Narcisse d’occupation. Malheureusement, en 1991 déjà, nouvelle fermeture et fin de l’aventure. Sylvain, seul rescapé, a pu continuer à travailler pour cette maison. Mais il fallait avoir le goût du voyage, au cours des années, il s’est rendu en Chine une dizaine de fois pour la mise en route d’ateliers làbas. Si le milieu économique suisse avait soupçonné, à ce moment-là, vers quelle écrasante prépondérance se dirigeait la Chine pour impacter nos vies, aurait-il agi différemment ? Qui sait ?

A cette époque, le Nouvelliste titrait
« Heurts et malheurs de l’industrie valaisanne »
Cela résumait bien la situation difficile vécue par de nombreuses familles ici en Anniviers. Les tentatives d’une diversification de l’industrie dans notre zone dite périphérique auront tout de même duré une trentaine d’années. Des belles expériences ont pu se vivre, certains ont particulièrement apprécié cette période, d’autres moins, comme dans toute aventure humaine.
Je tiens à remercier ceux que j’ai sollicités et qui m’ont fait confiance pour me raconter les joies et déboires de leur parcours. Les histoires sont riches, il y aurait beaucoup à relater encore, mais j’espère qu’un jour, l’un ou l’autre ayant expérimenté cette tranche de vie de l’intérieur, laissera une trace détaillée pour les générations futures. C’est mon souhait.
Merci à Gilberte et Sylvain Savioz, JeanLouis Kittel, Gertrude et Claude Antille, Bernadette et Marc Theytaz, Narcisse et Danièle Caloz.
Simone Salamin © photos: albums privés