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Quand l’histoire fait l’auteur

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Quand l’histoire

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fait l’auteur

Philippe Favre vit à Chippis, est enseignant à Sierre et a des origines anniviardes. Il a publié au cours des dernières années trois romans : 1352 un médecin contre la tyrannie en 2014, Cortex en 2016, 381 Mauricius et le mystère de la légion thébaine, en 2019. Ses œuvres ont, en grande partie, pour cadre le Valais.

Incitée à lire son premier livre par plusieurs lecteurs enthousiastes, j’ai découvert avec intérêt un roman historique qui m’a permis de remonter les siècles et d’arpenter le Valais de l’époque médiévale. Par la suite, j’ai lu ses autres romans. Ils m’ont aussi plu. Intriguée par le travail d’auteur et l’importante somme de recherches qu’il impliquait, j’ai sollicité une entrevue, que Philippe Favre a bien voulu m’accorder. Cet article rend compte de ce qu’il m’a expliqué à propos de son activité d’écriture et est destiné à assouvir la curiosité que, comme moi, ses nombreux lecteurs anniviards éprouvent certainement.

Les commencements Ses débuts en écriture sont presque dus au hasard. Vers la fin des travaux de restauration du château de Beauregard, le conseil de Fondation du château voulait éditer une publication à son sujet. Quelques pages devaient y décrire le contexte du Valais au XIVe siècle : Philippe Favre s’est mis en tête de le présenter au travers des yeux d’un marchand qui parcourt la région pour vendre ses produits. Entreprenant des recherches pour étoffer sa connaissance du sujet, il a rencontré plusieurs fois le nom de Guillaume Perronet. Dans les sources, ce personnage apparaissait sous diverses étiquettes, en tant que médecin, révolutionnaire, négociateur, prisonnier. Cela l’a intrigué, il a poussé plus loin son exploration. Au point d’accumuler un matériel suffisant pour donner corps à un héros de roman. Ce qui fut fait.

Les sujets Philippe Favre se dit plus auteur qu’écrivain, car il n’écrit pas de manière régulière. Il écrit quand il a une histoire à raconter. Cela nécessite qu’il soit captivé par un sujet. Alors il s’immerge peu à peu dans cet autre monde et finit par s’isoler même de ses proches. Il faut donc que l’histoire vaille la peine de lui consacrer beaucoup de temps : deux ans pour les deux premiers romans, trois pour le dernier. Aux yeux des lecteurs, et même de son éditeur, le deuxième ouvrage sortait Philippe Favre de la case « roman historique » où l’avait placé 1352 Un médecin contre la tyrannie. Pourtant lui ne voit pas une différence si grande entre ses livres : chaque fois, il s’intéresse à un moment crucial de l’Histoire, simplement dans le cas de Cortex, il s’agit de l’Histoire contemporaine avec cette tentative de créer un cerveau humain numérique.

Les sources L’accès aux sources écrites lui a été grandement facilité par sa familiarité avec les moyens informatiques. Grâce à internet, il a pu consulter régulièrement une bibliographie tenue à jour comportant des mémoires d’étudiants, des actes de colloque, des articles spécialisés. C’est la garantie d’être à la pointe de l’actualité des données. Après s’être abondamment informé sur les sujets qu’il souhaitait traiter, il a interrogé des archéologues, des historiens ou le directeur du Human Brain Project, des autorités dans leur domaine.

Construction du roman Philippe Favre place les faits au centre, car il est très attaché à leur véracité. Les éléments à sa disposition sont comme des piquets de slalom. Il s’agit de les respecter, de ne pas les déplacer. Autour d’eux, il reste de la place pour la création, mais cela ne nécessite pas forcément, selon lui, une grande imagination. Ainsi, dans son dernier roman, si le personnage de Melvin est entièrement imaginaire, les archéologues, eux, sont inspirés de personnes réelles, l’effet recherché étant que le lecteur ait le sentiment de prendre part à l’enquête. Du point de vue technique, pour préparer ce livre, l’auteur a utilisé un immense tableau Excel pour stocker les innombrables informations concernant les trois récits superposés qui le composent et finissent par se rejoindre. Il les a classées selon la chronologie, les personnages, les éléments de la vie quotidienne. Sans les outils informatiques il lui aurait été impossible d’écrire

Fouilles au Mur (dit) d’Hannibal (un des lieux du troisième roman)

un tel roman, dont les sources représentent vingt-quatre mille pages pour finalement déboucher sur un livre qui en compte quatre cent cinquante !

Manière d’écrire Philippe déclare avoir changé sa manière d’écrire entre son premier et son troisième roman. Ce qu’il a appris sur le fonctionnement du cerveau en préparant le deuxième l’a fait évoluer vers une nouvelle manière d’écrire. Pour le premier, il écrivait un paragraphe après l’autre. Parfois il séchait et cela pouvait durer. En interviewant le neuroscientifique, il a compris que le cerveau est une machine qui ne vous obéit pas forcément. « Votre cerveau répondra toujours à vos questions, mais au moment que lui choisit, et seulement à condition de ne pas cesser de lui redemander ». Appliquant ce principe, il note en vrac les idées quand elles viennent, car souvent elles le font de manière inattendue ou à des moments inopportuns. L’ensemble du travail nécessaire à l’écriture d’un roman est jouissif, mais il existe un risque de se perdre.

Le retour des lecteurs Il y a bien sûr d’abord les félicitations des proches, familiers et autres connaissances, ainsi que les rencontres lors de séances de dédicaces. Parfois des surprises surviennent : l’Association des Tchèques de Genève a demandé que 1352 Un médecin contre la tyrannie soit traduit dans leur langue, parce que l’empereur Charles IV, un des personnages qui soutient le héros, est très cher au cœur du peuple tchèque. L’idée a été menée à bien. 381 Mauricius et le mystère de la légion thébaine n’était sorti que depuis quelques mois quand le coronavirus a mis notre société à l’arrêt. Sa promotion n’a pas pu être assurée normalement. Ce sera difficile de la reprendre là où elle s’est arrêtée, car tant de livres sortent chaque mois.

Aujourd’hui Actuellement, Philippe Favre n’a pas de projet en cours. Il n’a pas trouvé de sujet suffisamment passionnant pour repartir dans un autre univers. Gageons que le Valais qui est, selon ses mots mêmes, un livre d’archéologie à ciel ouvert, l’inspirera à nouveau. Pour le grand bonheur de ceux qui le lisent !

Janine Barmaz

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