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OFXB St-Luc
culture
Je rêve de skier sur la Lune Première partie: c’est grave, docteur ?
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Avec la commémoration en 2019 du 50ème anniversaire du premier pas de l’homme sur la Lune, qui nous a permis de revoir avec émotion des images et des vidéos prises sur un autre monde, et l’annonce fracassante de Donald Trump d’y retourner avant 2024 pour contrer les ambitions chinoises, qui ont réussi la première d’une exploration de sa face cachée, l’astre des nuits hante désormais mes jours. À tel point que je me suis mis en tête d’aller y skier un hiver prochain, dès que la 4G y sera installée. Fantasme ou réalité ? Pour la 4G, le contrat de plus 14 millions de dollars a déjà été décroché par NOKIA, qui peut donc désormais se vanter d’avoir décroché la Lune. Pour le ski, allons poser la question de sa faisabilité à un des animateurs de l’OFXB, sélénographe la nuit et skieur mal luné le jour…
Mettons pour l’instant de côté les aspects purement pratiques (comment y aller, en quelle saison et sur quels bons spots…) et commençons par étudier de plus près les aspects fondamentaux: skier sur la Lune, est-ce tout simplement envisageable du point de vue des lois physiques?
- Pour skier, ou faire tout autre sport de glisse, de quoi as-tu besoin ?
- Laisse-moi réfléchir : d’une surface de glisse évidemment, si possible fortement inclinée. J’aime la griserie de la descente, une sorte de chute contrôlée…
- Tu es sur la bonne pente… espérons qu’elle soit glissante ! Nous étudierons dans un deuxième temps la possibilité de glisser - et non pas marcher ou rouler, ce qui a déjà été fait - sur les faces lunaires. Et regardons dans un premier temps les caractéristiques de cette force, moteur naturel qui te permet de dévaler une pente.
Site d’alunissage Apollo15
- Il n’y a pas de grand mystère là-dessous, il me semble ! Cette force s’appelle tout simplement le poids.
- Tout juste ! Mais le poids reste malgré tout un grand mystère qui peut nous emporter jusqu’au Boson de Higgs ; mais ça fait un peu loin pour toi et restons modestement sur la Lune ; la notion de poids est source d’incompréhension et de confusion. Par exemple : quelle est la différence pour un physicien entre le poids et la masse ?
- Bon, je t’ai posé une question, de surcroît une question plutôt simple : est-ce que je peux skier sur la Lune ?… et voilà que tu me réponds par des questions ! Tu es plutôt lourd !
- Bon, moi je dirai plutôt grave… Mais passons, la masse est une caractéristique intrinsèque, absolue : tu as la même masse sur Terre, sur la Lune ou sur Mars ou même en apesanteur… En revanche…
Comparatif Terre-Lune
- J’y suis ! En revanche, mon poids n’est pas le même ! Et j’ajouterai que sur la Lune mon poids est plus petit que sur Terre pour une raison logique : la Lune est plus petite que la Terre…
- Précisons un peu : si la Lune était simplement une mini-Terre, quatre fois plus petite et de composition rigoureusement identique, l’attraction qu’elle exercerait, sa « pesanteur », le poids que l’on ressentirait à sa surface seraient quatre fois plus petits que sur Terre. MAIS comme il se trouve en outre que la Lune est moins dense que la Terre, finalement, tout considéré, la pesanteur lunaire est six fois plus faible que sur Terre.
- Un exemple ?
- Un athlète comme moi, pesant 60 kg - essentiellement du muscle mis à part mon cerveau surdéveloppé dont la masse est loin d’être négligeable - ne pèserait que 60 kg divisés par 6 … soit 10 kg. Même toi, que la nature a moins généreusement doté, ferait figure de super-héros aux capacités musculaires hors du commun sur la Lune !

- Je vois… La Lune commence à vraiment me plaire. C’est un bon endroit pour pulvériser les records de saut en hauteur et en longueur…
- Exactement. Mais ce sera très délicat à gérer, car ta musculature en toutes circonstances inadaptée - excessive sur la Lune mais insuffisante sur Terre - combinée à la faible force de rappel vers le sol - autrement dit ta légèreté - feront qu’une fois lancé à grande vitesse, tu toucheras rarement terre… ou plutôt Lune.
- Un instant, laisse-moi m’imaginer… Je suis en haut d’une pente lunaire abrupte, prêt à m’élancer dans un panorama grandiose de cirque lunaire, dopé par le flot d’adrénaline qui me permettra de réagir prestement et efficacement comme à mon habitude. Je m’engage… et là, parce que je suis tout léger, même avec mon scaphandre et mes skis de plomb … et bien je… - Et bien, tu peux oublier les accélérations fulgurantes : la prise de vitesse est beaucoup plus lente par rapport à celle que tu connais sur Terre… Pour bien comprendre, prenons le cas de la chute libre. Mettons que tu aies changé d’avis : tu préfères le saut en parachute au ski et tu te jettes du haut de cette pente raide, tellement abrupte qu’il s’agit en réalité d’une falaise verticale…
- Quelque chose me dit – le ton narquois de ta voix ? - que l’idée n’est pas très bonne…
- Bien entendu ! Un parachute ne te sera d’une aucune utilité car la Lune n’a pas d’atmosphère donc pas de portance aérodynamique… mais d’un autre côté pas de résistance ou trainée aérodynamique non plus… ce qui peut s’avérer intéressant pour la suite. Mais je m’égare : te voilà en chute libre dans le champ de pesanteur lunaire… à quelle vitesse vas-tu t’écraser ▼
au sol? Tiens je fais un petit tableau comparatif entre la Terre et la Lune pour que tu comprennes bien les choses.
- C’est clair comme un clair de lune ! La prise de vitesse est très lente sur la Lune, en fait 6 fois plus lente… Par rapport à la Terre, tout est « ralenti » d’un facteur 6 !
- Effectivement : l’accélération, autrement dit l’augmentation de vitesse, est divisée par 6 sur la Lune. Tu viens de mettre le doigt sur un fait important - mais comme d’habitude sans faire exprès : l’accélération et le poids sont deux choses étroitement liées. Plus précisément, ce que le physicien appelle « poids », c’est la force dont l’intensité est le produit de la masse (masse que nous appelons « poids » dans notre vie de tous les jours, ce qui est source de confusion…) par l’accélération de pesanteur du corps céleste, habituellement notée g dans le cas de la Terre.
- C’est le même g dont on parle pour les pilotes de chasse ou de formule 1 ? Là il prend 11 g ! Dans ce looping inversé : -6 ! C’est le voile rouge….
- Oui : 11g veut tout simplement signifier que le pilote pèse 11 fois son poids, -6 g: 6 fois son poids, mais qu’il s’agit d’une décélération. g désigne donc bien une accélération et vaut 10 m/s : chaque seconde de chute libre fait croître ta vitesse de 10 m/s… Mais pour l’instant concentronsnous sur notre falaise qui se transforme en pente skiable, autrement dit dont la pente est inférieure à 90°.
- Je comprends : 90°, la falaise verticale est un cas extrême… j’aime le ski extrême mais une pente de 45° me semble déjà… comment dire… intéressante. Et alors ? Je divise aussi mon accélération sur cette pente par 6 ?
- Oui ! Tiens je te refais vite fait un petit tableau comparatif Terre/Lune pour une pente à 45° et une pente de 30°.
- 30° comme la pente du funiculaire ?
- Parfaitement ! Et le tableau te montre que si je lâche une voiture du funiculaire sans son câble amont depuis Tignousa (c’est ce qu’on appelle dans notre jargon une expérience de pensée, c’est-à-dire une expérience rigoureusement impossible ou interdite) au bout de 10 s elle aura fait environ 1/5ème du trajet et atteint une vitesse de 180 km/h. Maintenant, transportons tout sur la Lune : le funi, Tignousa et tout le tremblement et transposons. Au bout de 10 s, la voiture folle a atteint la vitesse décoiffante de 30 km/h et parcouru la distance phénoménale de 40 m … à peine 1/30ème de la longueur de voie. Tu peux remplacer le funiculaire par un skieur : le résultat sera à peu près identique.
- Décoiffante ? je croyais qu’il n’y avait pas d’air donc pas de vent sur la Lune ? Une autre chose me défrise… C’est qu’un skieur est moins lourd que le funi … donc ils n’auront pas la même prise de vitesse! Mon expérience ou mon intuition me poussent à croire que le funi, bien plus lourd, ira aussi bien plus vite…
- Voilà bien un raisonnement de terrien: il se peut cependant que tu aies raison sur une partie de la phase d’accélération à cause de la présence d’air et des frottements aérodynamiques déjà évoqués qui seront défavorables pour le skieur… - Mais la plume tombe toujours moins vite que le marteau !
- Non pas que la plume soit plus légère, mais parce que sur Terre sa portance, sa résistance à l’air est plus importante. Sur la Lune, et les astronautes en ont fait une éclatante démonstration lors de la mission Apollo 15, pas d’air, pas de portance : la plume et le marteau - dont la masse est pourtant 1000 fois supérieure - tombent à la même vitesse et touchent le sol exactement au même instant. Saluons l’intuition géniale de Galilée, astronome bricoleur, mais aussi grand théoricien, pour avoir eu dès le début du XVIIème cette idée totalement contre-intuitive sur la chute des corps car démentie par notre expérience de tous les jours… enfin notre expérience de terrien.
- Tu ne fais que parler de «chute de corps» et tu sembles oublier que mon rêve est de faire gracieusement glisser mon corps le long d’une pente lunaire et non pas de m’écraser comme une vulgaire météorite… Or qui dit glisse, dit aussi frottements avec le sol ; ces frottements sont d’ailleurs indispensables pour contrôler la trajectoire, non ?
- Oui effectivement… Il va falloir nous frotter au réel en abordant ces aspects plus rugueux, concrets, finalement plus terre à terre - ou devrai-je dire lune à lune ? - mais ce sera une prochaine fois. En attendant, profite avec gratitude et respect de l’or blanc que dispense gratuitement et naturellement notre belle planète avant de songer à un utopique eldorado lunaire, car comme le rappelait Mauriac : « Il ne sert à rien à l’homme de gagner la Lune, s’il vient à perdre la Terre. » eric@ofxb.ch