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L’invitée
L’invitée renée des alpes
Trente-quatre ans de vie sociale, d’échanges, d’intérêt pour les gens, d’écoute, de rires souvent, de tristesse quelquefois, de coups de gueule et de cascades de joie ! Une grosse tranche de vie, profondément ancrée dans le cœur et les souvenirs de Renée Abbé-Clivaz de Vissoie. Trentequatre ans durant, de 1970 à 2004, Renée a géré le Café des Alpes, seul établissement public du XIXème siècle ayant survécu aux remous historiques et touristiques du village. L’Hôtel et Café des Alpes, construit vers 1885, est devenu propriété de la famille Clivaz depuis 1934. Renée y travaillait déjà durant les saisons d’été au milieu des années soixante pour son oncle Edouard Cotter, elle connaissait donc parfaitement la maison.
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Renée (à droite), Théotiste sa maman et Serge son mari, lors des 20 ans d’exploitation des Alpes
Quand un nouveau tenancier fut recherché et que personne dans la famille n’était disponible, Renée et son époux Serge ont disposé de 15 jours pour se décider. Jeunes parents d’un garçon de 6 mois, pour garder l’affaire en mains familiales, ils ont franchi le pas, en terrain connu pour Renée, renonçant toutefois à exploiter la partie hôtelière pour ne conserver que le café-restaurant.
L’aventure pouvait commencer. Dès 6h en semaine et 7h le dimanche, l’établissement bruissait de mille sons, machine à café, tasses et verres entrechoqués, chaises remuées, conversations sur tous les tons, jusqu’à 23h. Pendant quinze ans, les Alpes n’ont pas fermé un seul jour ! Puis quand Renée et Serge ont décidé de prendre un peu de repos, le dimanche après-midi d’abord et toute la journée un peu plus tard, on leur a dit: « C’est une atteinte à la vie sociale du village. » Mais la vie de famille, enrichie par l’arrivée de deux filles, a pris le dessus. Il faut dire qu’au début de leur entreprise, l’assemblée primaire de la commune avait donné l’autorisation d’ouvrir même pendant la messe du dimanche !
Et les innombrables heures passées à cuisiner sur le vieux piano à l’étage se sont succédé : Renée préparait les menus pour trente à quarante ouvriers en semaine, en plus des propositions à la carte, avec le stress inhérent à ce travail. En même temps, les enfants de la famille ainsi que d’autres jeunes ne pouvant pas rentrer chez eux à midi, partageaient le dîner à la cuisine, dans une bonne ambiance qui a laissé des traces indélébiles dans leurs souvenirs.
A cette époque, les villageois n’avaient pas encore pris l’habitude d’aller manger au restaurant le soir. Par contre, le café fonctionnait à plein après les diverses répétitions chorales ou théâtrales, réunions, entraînements sportifs, matches de hockey et autres activités pratiquées par les nombreuses sociétés locales. Renée se souvient que le lundi soir, c’était calme, le mercredi soir, une animation normale régnait, mais alors le vendredi soir, on ne s’entendait plus. Quand l’alcool coulait un peu plus que de raison, un plat valaisan venait adoucir ses effets indésirables. Pour interrompre des débuts de bagarre, Serge se chargeait d’expulser les fauteurs de troubles. Si Renée se trouvait seule dans ces situations, elle coupait l’électricité et le calme revenait aussitôt. Mais la majorité de la clientèle locale du Café des Alpes de cette époque se comportait normalement.
Serge était présent dès l’ouverture et Renée assurait les fins de soirées. Le personnel demeurait plutôt fidèle, une dizaine de ser-
veuses ont d’ailleurs rencontré l’âme sœur aux Alpes, et sans le concours d’internet… Le vin du glacier, tiré au tonneau de la cave, ne suffisait pas toujours à calmer les ardentes théories des chauds moments de débats politiques destinés à refaire le monde.
Le commerce fonctionnait bien. En plus l’armée prenait pension là pendant trois semaines au printemps et en automne, un bon complément assurément. La soirée de Nouvel-An cartonnait avec le bal animé à l’accordéon par Alain Théler ou Yves-Antoine Revey et le vin chaud. Plus tard, Roméo venu de Bex a joué pendant six mois tous les soirs, comme si le Café des Alpes était devenu sa maison. Carnaval et ses masqués (bien avant le COVID) faisaient monter l’ambiance bien haut. Dans les années 90, les soirées à thème ont connu un joli succès. Puis, le temps passant, les affaires sont devenues plus complexes, comme l’époque, et en 2004, après la mort accidentelle de leur fils, Renée et Serge ont décidé de passer la main, après ces trente-quatre années de vie publique intense. Les occupations n’ont pas manqué avec l’arrivée des petits-enfants et divers engagements. Mais le Café des Alpes demeure dans la lignée familiale et poursuit heureusement son épopée. On peut voir cette publicité des années cinquante : Hôtel des Alpes – Vissoie La maison tout près de votre dernière demeure. Profitez de la visiter pendant qu’il en est encore temps.
Aujourd’hui Renée, l’âme du Café des Alpes, ne garde que de bons souvenirs de cette aventure. La vie sociale et les contacts entretenus au long de ces années correspondaient complètement à son style de vie. Souvent remerciée par d’anciens clients pour ces bons moments, Renée se réjouit de partager ses souvenirs, elle s’en nourrit dans son chalet Mon Repos à Zinal. Un chalet qui a vu passer du beau monde, comme le grand-père de Daniel Koch, celui qui a tenté de nous rassurer lors de la première vague de la pandémie. Ce grand-père était médecin à Vissoie, son lit sert encore au chalet. Quant à Albert Gos, peintre, et Alfred Cérésole, pasteur et poète, ils ont laissé une phrase conservée sur la façade de bois du chalet en hommage à Emile Javelle, alpiniste et écrivain qui séjourna plusieurs fois à Zinal dès 1870. Ce dernier a écrit à un ami en 1872 déjà: « …me voici à Zinal, à huit lieues de Sierre et à mille lieues des soucis du monde ; à Zinal (…) asile de paix comme il en reste bien peu dans les Alpes ». C’est donc dans ce havre de paix que Renée peut chanter: « Les Anglais van lo zatèn nos atro lo fri dou tèn loòu von pochè proména e no po no rèpoja ». Merci Renée pour la veillée passée à partager les anecdotes de cette belle aventure !
Propos recueillis par Simone Salamin // photo album privé
Sources: chanson Èn rota po Zénà, (En route pour Zinal) composée en patois en 1906 par l’abbé Joseph Zufferey, vicaire de Vissoie qui séjournait l’hiver au mayen à Zinal. Traduction: les Anglais vont en été, nous autres quand il fait froid, eux vont pour se promener et nous pour nous reposer.
Hôtel et Café des Alpes, collection Paul-André Florey, 1er décembre 2002


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