La Libération

Page 1

la liberation racontĂŠe par les jeunes Lessinois de 1944 aux jeunes de 2019


Un projet pédagogique avec des jeunes de 2019 Ce premier weekend de septembre 2019, le tradi­tionnel cortège du Festin de Lessines s’est ouvert par une reconstitution de personnes représentant des résistants. La veille, des chars débarquaient sur la grandplace pour recréer la Libération de la ville, 75 ans plus tôt, avec les chars alliés. En 2019, la Libération de la ville de Lessines, en septembre 1944, reste donc encore un élément vivant dans les mémoires. Les associations patriotiques contribuent à maintenir cette mémoire. Des témoins de cet évènement sont aussi toujours présents. Cet anniversaire nous a semblé le moment idéal pour tenter de faire un travail de recherche historique. Avec le recul, nous pouvons aborder cette histoire sans trop de tabous. Dix-neuf jeunes de la classe d’option histoire (5e et 6e secondaire) de l’Athénée de Lessines ont participé au projet de recherche. Notre objectif fut double : amener les élèves à s’intéresser à leur histoire et découvrir -en la mettant en œuvre- la démarche rigoureuse de l’historien. Différentes étapes ont permis d’atteindre ce double objectif.

Découverte du sujet et du métier d’historien Au mois de mai 2019 les élèves de l’option histoire se sont rendus au CEGESOMA. L’historien Fabrice Maerten avait préparé une conférence afin de partager avec eux des connaissances historiques sur le sujet au niveau national mais aussi plus local. Il voulait leur apprendre la méthode historique et leur faire découvrir des problématiques intéressantes ainsi que les sources.

Récolte des témoignages Chaque élève a ensuite recueilli, enregistré et retrans­crit des témoignages. Ils ont tous apprécié cette expérience intergénérationnelle au sein de leur famille ou parfois avec de parfaits inconnus. Des témoins sont aussi venus en classe.

Confrontation avec des sources photographiques et archivistiques Alors qu’au départ, nous voulions essentiellement travailler à partir des sources orales, nous nous sommes rendu compte qu’il était plus riche de les confronter à des sources écrites. Il faut dire que les “jeunes de 1944” encore présents en 2019 étaient finalement fort jeunes en 1944. Sur le plan émotionnel ou anecdotique, ils avaient des souvenirs intéressants mais leurs témoignages ne suffisaient pas pour aborder avec précision des questions plus pointues : la résistance, les combats, l’épuration ... La récolte de sources photographiques

Fabrice Maerten en interaction avec les élèves de l’option histoire de l’Athénée de Lessines. (Photo CEGESOMA)

Les étudiants de l’option histoire de l’Athénée Royal René Magritte de Lessines occupés à consulter les archives communales lessinoises, octobre 2019. (Photo A. Leroy)

2


Certains ont pu interroger leurs grands-parents ou arrières grands-parents qui leur divulguaient ainsi un pan d’histoire jamais révélé jusqu’alors. Même s’ils ont rencontré des difficultés au cours du projet, ils sont assez fiers du résultat. Comme le dit Julie : ”On est devenu producteur de contenu historique”. Et Kevin rajoute : ”Ecrire l’histoire prend plus de temps que la lire” !

La découverte du métier d’historien en travaillant dans les archives, octobre 2019. (Photo A. Leroy)

et archivistiques (archives privées, archives de la résistance, archives communales, presse locale) a permis d’enrichir le travail historique. Chaque élève a rédigé une synthèse historique à partir des témoignages ainsi qu’un article historique plus ciblé sur une des thématiques traitées. Ce travail a appris aux élèves à sélectionner les informations intéressantes dans leurs témoignages, à chercher des compléments d’informations historiques et à confronter les sources orales et écrites. Ce projet a permis aux élèves de développer leur intérêt pour la Seconde guerre mondiale mais aussi pour leur histoire locale. Enola (5e) explique que ”travailler sur l’histoire de la ville, ”c’est plus intéressant. On ne pensait pas qu’il y avait autant à dire sur cette petite ville”. Faire ce travail de recherche a contribué aussi au développement d’une série de compétences spécifiques au métier d’historien (recueillir de l’information, la critiquer, la synthétiser et la communiquer). Kevin (6e) et Julie (6e) signalent aussi les qualités qui ont été nécessaires : ”Cela nous a appris la patience, l’humilité, le fait de toujours remettre en question les informations, de confronter sans cesse les sources”. Kevin explique que ce projet a aussi développé ”l’écoute des autres”. Les élèves -parfois réticents à interviewer un(e) inconnu(e) - sont revenus heureux de leurs rencontres intergénérationnelles avec les témoins à leur domicile ou aussi dans les maisons de retraite de la commune.

La découverte des affiches et de la presse locale de 1944, Lessines, octobre 2019. (Photo A. Leroy)

Finalement, les élèves de l’option histoire pensent qu’ils ont fait oeuvre utile car comme l’explique Enola ”beaucoup de personnes ne savent pas encore ce qui s’est passé”. Et puis aussi, ils espèrent que cette brochure va éveiller les esprits, en particulier celui des jeunes car ”des évènements politiques nous montrent que l’histoire peut se répéter” explique Kevin. Bonne lecture ! Mme Alexandra Leroy, Professeur d’histoire à l’Athénée Royal René Magritte de Lessines, novembre 2019

3


Une longue attente Le 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie. L’avance est d’abord très lente puis, après la libération d’Avranches, l’avancée des troupes alliées est plus rapide, ce qui permet la libération du nord de la France. Le 25 août, la ville de Paris est libérée. Les armées américaine et britannique traversent la frontière franco-belge le 2 septembre à Rumes. Ils libèrent le soir même Tournai et Mons. Mais que savaient les Lessinois de ces événements ? Comment se préparaient-ils à l’arrivée des Alliés ? Quels étaient leurs sentiments ?

Un groupe des Partisans Armés de Lessines. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

Les résistants se préparent Quatre réseaux de résistance étaient actifs dans la ville de Lessines pendant la 2e Guerre mondiale : l’A.S., le Groupe G, les P.A. et le F.I. L’Armée secrète est implantée à Lessines (sous le nom de Légion belge au départ) depuis fin 1941. Elle fut alors dirigée par Fernand Stekke , officier de réserve et ingénieur aux carrières jusqu’à son arrestation en octobre 1942 par la Gestapo (Léon Meynsbruggen et Luc Mariaule prendront alors la relève). L’A.S. de Lessines faisait partie du secteur A40 (Vanneau) et était active dans le renseignement, le sabotage, le recueil des parachutages d’armes et l’organisation de guérilla. Le Front de l’Indépendance est présent à Lessines depuis mai 1942, grâce à Joseph Van Nieuwenhove, imprimeur. Proche du parti communiste, il comprend de nombreux ouvriers parmi ses membres. Après l’arrestation de ses chefs, le groupe va se disloquer puis sera repris en main par Félix Destrebecq. Le F.I. se spécialise dans la presse clandestine, le renseigne­ment et l’aide aux réfractaires.

4

Les Partisans armés sont créés alors que le Parti communiste rentre dans la clandestinité après l’attaque allemande de la Russie en juin 1941. Ils sont spécialisés dans les sabotages. Leur recrutement se fait essentiellement au sein des membres du parti communiste mais ils recrutent aussi des ingénieurs et des techniciens à l’extérieur pour préparer les explosifs. A Lessines, les P.A. s’implantent en mai 42 avec Joseph Kilemoes et Emile Dubois. En 1943, le groupe est repris en main par Raymond Willequet. Pendant la guerre, la volonté de se libérer de l’occupation est plus forte mais après la guerre, les préoccupations politiques sont plus présentes. Les membres des P.A. sont très actifs dans les sabotages économiques, l’aide aux réfractaires et la liquidation des collaborateurs. Le Groupe G, Groupe Général de sabotage, fut créé à l’initiative d’universitaires de l’ULB qui poursuivaient des idéaux de liberté et de démocratie. Germaine Schevenels va, via ses contacts professionnels bruxellois, contribuer à créer un groupe lessinois avec une de ses amies Joséphine Boulanger et son mari qui dirigera le groupe : Joseph Tiberghien. Ils se spécialisent dans le renseignement, le recrutement de jeunes belges pour l’Angleterre et le sabotage.


Funérailles de F. Barbaix, capitaine-commandant de l’Armée secrète. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

Durant l’année 1944, l’Armée secrète prépare, pour aider les Alliés lors de la libération, des actions de parachutages de soutien logistique à destination des résistants des unités d’Ellezelles, de Flobecq et surtout de Lessines. Une équipe est chargée de réceptionner et évacuer des colis depuis des plaines de Flobecq et d’Ellezelles. Pour connaître les parachutages, les résistants doivent écouter la radio chaque soir pour repérer des messages codés. Durant la nuit du 4 au 5 août, les

résistants réceptionnent et cachent 12 containers et 4 colis avec des explosifs, des mitraillettes, des émetteurs radios … Le 14 août, un camion arrive de Lessines pour charger 11 containers d’explosifs et du matériel de sabotage. Le 28 août 1944 un parachutage avec des armes échoue. Quelques jours avant, le 23 août 1944, trois résistants de l’Armée secrète ont braqué une voiture Packard appartenant à La Compagnie d’Electricité de la Dendre afin d’avoir un véhicule pour transporter les salopettes blanches (équipement des membres de l’A.S.) et les armes. Avant même que les troupes alliées n’arrivent en ville, les résistants lessinois sont donc actifs. Dès le 1er septembre, des hommes armés du F.I. surveillent les ponts pour éviter que les Allemands en débâcle ne les fassent sauter. Un poste de commandement est installé au couvent d’Ollignies. Le 2 septembre, alors que tout le monde se prépare à l’arrivée des Alliés, un drame touche le Commandant de la Résistance Fernand Barbaix. Surpris à jeter des pastilles incendiaires au passage des véhicules allemands en retraite, il est frappé par des soldats allemands qui l’achèvent d’un coup de revolver. La résistance lessinoise se retrouve alors sans commandement pour les combats de la Libération.

Faire-part du décès de F. Barbaix. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

5


La population, partagée entre angoisse et espoir La radio va jouer un rôle important pour permettre à la population de se tenir au courant de l’avancée alliée et de garder espoir. D’ailleurs, dès février 1944, l’occupant allemand traque le moindre poste de radio en ville. Quelques Lessinois qui ont refusé de livrer leur radio sont emprisonnés à la prison de Mons durant l’été 1944. Malgré tout beaucoup de familles continuent à écouter en cachette -parfois chez leurs voisins- les émissions de radio Londres, comme nous l’explique Odette : ”On avait appris le Débarquement par la radio. Nous, on n’avait pas la radio mais on allait chez des voisins et on allait écouter les Anglais qui parlaient en français et bien sûr tout le monde écoutait. Il y en avait un qui guettait pour voir s’il n’y avait pas un Allemand qui écoutait”. La nouvelle du débarquement et de la libération imminente suscite aussi de l’angoisse auprès de la population. Ainsi, Arlette et Suzanne se rappellent de leurs peurs d’enfant liées aux bruits dans le ciel et aux V1 : ”Je me souviens, les avions qui tiraient. Le ciel était rempli d’avions. Ça passait au-dessus de la maison et on regardait”. ”Ca sifflait ! Maman disait ”C’est passé, c’est pas pour nous” ”. La population guette le moindre signe de l’imminence de la Libération. Arlette se souvient du moment où sa famille a compris que la fin avait sonné pour les Allemands : ”Quand on a vu que les Allemands avaient réquisitionné les chevaux et les charettes chez les fermiers, qu’ils emportaient tout et quittaient le poste d’observation installé à la route de Frasnes”.

La débâcle de l’armée allemande et la fuite des collaborateurs Des collaborateurs et de nombreux Allemands n’attendent pas l’arrivée des Alliés pour partir. Dès la fin du mois d’août, la Gestapo quitte la ville, suivie le 31 août par la Feldgendarmerie. Les rexistes de Lessines tentent aussi de s’enfuir en camion. Georges Kugé se présente à l’arsenal des pompiers avec deux collaborateurs. Sous la menace, ils obtiennent un auto-camion et une réserve d’essence de 100 litres. Comme 23.000 sympathisants nazis ils fuient le pays pour éviter la colère populaire. 6

Une jeune fille arborant une robe aux couleurs de la Libération le 3 septembre 1944 sur la grand-place de Lessines. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

Le 1er septembre, alors que les troupes alliées sont signalées à Amiens et à Arras, les habitants observent déjà à Lessines un défilé ininterrompu de troupes allemandes fuyant avec les moyens du bord : camions, charrettes, vélos ou même à pied. Le lendemain, les camions allemands continuent à battre en retraite. Un sentiment de liberté plane déjà sur la ville. Les jeunes qui assistent à la fuite des soldats allemands ayant presque leur âge ressentent parfois de la pitié à leur égard. Marcelle a encore de l’émotion à nous le raconter aujourd’hui : ”Le dernier allemand que j’ai vu, on aurait dit un gamin de 16 ans. Il avait les larmes aux yeux, et il avait perdu son unité. Il demandait ”Werbech”, ”Werbech”.

La préparation de l’accueil des libérateurs L’accueil se prépare en famille. Ainsi, Odette et Ghislaine expliquent comment cela s’est passé : ”On avait brodé des petits drapeaux anglais, américains. On avait regardé dans les dictionnaires. Le plus difficile, c’était le drapeau anglais avec les croix”. ”J’ai placardé toutes les fenêtres de la maison de drapeaux en papier crépon. J’avais acheté cela à la librairie Van Cromphaut”. Les mères et grands-mères cousent des robes pour l’occasion. Une photo du 3 septembre 1944 montre une jeune fille arborer fièrement sa robe constituée des drapeaux alliés aux couleurs de la Libération.


Les acteurs de la Libération Le jour J de la Libération fut préparé par les résistants. Chaque groupe avait reçu des instructions et dépendait d’un état major particulier. Le 1er septembre, un message arrive sur les ondes : “La jonquille jaune est en fleur”. C’est le signal pour démarrer les actions de guérilla après de longs mois d’attente. Des hommes sont consignés à la Maison du Peuple et dans l’usine Delta avec des vivres pour 48h. Les liaisons sont assurées par des courriers féminins. Durant la nuit du 2 au 3 septembre, chaque résistant attendait, à son poste, les ordres. Pendant ce temps-là, des colonnes allemandes en retraite passaient encore dans les rues de la ville. Le matin du 3 septembre, les Alliés libèrent Tournai puis Frasnes. A Lessines, la résistance sort alors de la clandestinité et prend les armes. Habillés de salopettes blanches ou d’un brassard au bras, ces résistants vont combattre les soldats allemands.

3 septembre 9h - Rue de l’Hôtellerie Des combats ont lieu à la rue de l’Hôtellerie entre des résistants et des Allemands en camion et en motocyclettes. Ces combats font deux morts du côté allemand. Un peu plus tard, arrivent une auto, un camion et une moto. Les deux résistants Albert Dehon et Henri Huez attaquent le convoi et font 21 prisonniers. 10 h - Grand-place, chaussée de Grammont et rue d’Ogy Des colonnes de l’armée allemande continuent à passer et un engagement se produit sur la grandplace. Les Allemands percent de balles une voiture de la Compagnie d’électricité de la Dendre montée par des résistants de l’A.S. Des combats ont aussi lieu à la chaussée de Grammont et au rond-point de la rue d’Ogy.

Un résistant habillé en salopette grimpe sur un char anglais le 3 septembre 1944 sur la grand-place de Lessines. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

7


13 h 30 - chaussée G. RICHET (Cordant)

Bon de réquisition par l’Armée secrète de la voiture Packard appartenant à la Compagnie d’électricité de la Dendre. Elle sera percée de balles par les Allemands le 3 septembre vers 10h. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

Pendant ce temps, la population affiche aux fenêtres des drapeaux aux couleurs des libérateurs. Parfois prématurément, elle les retire au passage des dernières troupes allemandes. Cette attente génère des rumeurs : on croit qu’une avant-garde américaine est entrée dans la ville. Il s’agissait en fait d’un véhicule de résistants arborant le drapeau américain. Toutefois, dans la matinée, un officier de reconnaissance de l’armée britannique arrive sur la grand-place avec son char. Un résistant du Groupe G, Fritz Verheugen monte à bord du char, regarde sa carte et lui signale, en anglais, qu’elle est trop ancienne car le contournement de Lessines n’y figure pas. 11 h - Rue de l’Hôtellerie

Une colonne de 200 Allemands de la Waffen SS Das Reich avec 30 véhicules et de nombreux chevaux se présentent au Cordant, chaussée Gabrielle Richet. Les rues sont alors décorées de drapeaux et d’une banderole souhaitant : ”Bienvenue aux libérateurs”. La colonne de l’armée allemande rencontre alors un groupe de résistants au Cordant et elle installe une mitrailleuse. Les résistants tirent sur les servants qui amènent des munitions. Finalement, faute de munitions en suffisance, les Allemands battent en retraite. La mitrailleuse est récupérée et la majorité des Allemands sont faits prisonniers par les résistants. Les chevaux des chariots allemands sont abattus à l’abattoir lessinois et nourriront la population pendant plusieurs semaines.

Les habitants de la Chaussée Gabrielle Richet sortent constater les dégâts causés par les combats entre résistants et soldats allemands le 3 septembre 1944. (Archives Christophe Flament)

Des résistants tirent sur une voiture avec, à bord, 4 Allemands. Ceux-ci se réfugient alors dans une maison de la rue. Un résistant, Anselme Moreau, les suit et leur demande de se rendre. Il est alors tué d’une balle en plein front. 22 Allemands sont finalement faits prisonniers par ses camarades résistants.

Les chevaux tués dans les combats au Cordant seront débités à l’abattoir et consommés par la population. (Archives Christophe Flament)

8


14 h - Arrivée des Alliés Les Alliés entrent dans la ville par la porte d’Ogy. Ils appartiennent à plusieurs régiments de l’armée britannique : le régiment du Dorset, les Grenadiers Guards, les Irish Guards et les Inniskillings Guards. Les états majors des groupes de résistants occupent la ville. Le Cercle Patria accueille l’A.S. Le F.I. s’installe à l’Hôtel de ville, les P.A. chez Pavot et le Groupe G sur la place.

”Je me souviens avoir été très surprise car dans ma rue, il y avait un couple de résistants (Adèle et Georges). On avait toujours ignoré qu’ils étaient résistants. C’était des gens tout simples. A la Libération, ils étaient là avec leur brassard” . Parfois, c’est même un père qu’on découvre résistant le jour de la libération. Ainsi, Guy, 13 ans se souvient : “Quand j’ai vu mon père monter sur le char de l’unité de reconnaissance anglaise, j’ai découvert que mon père était dans la résistance”. Des convois de l’armée britannique continueront à défiler à travers la grand-place et la grand-rue, sans discontinuer toute la journée du 3 septembre mais aussi les 4 et 5 septembre. Dès le 3 septembre, il y a des moments de fraternité avec les Anglais. Ainsi, Guy a encore le souvenir vivace d’avoir hébergé chez lui deux soldats anglais restés à côté de leur véhicule en panne en face de chez lui : “On leur a demandé ce qui leur ferait plaisir et ils ont dit “Un bain”. Mais l’eau était coupée dans la ville. On a alors chauffé de l’eau de citerne dans la cave et je me souviens avoir monté des seaux d’eau bouillante pour chauffer l’eau du bain. On a fait ce jour-là la joie de ces Anglais. Ils nous ont laissé des rations de vivres pour nous remercier et sont repartis le lendemain matin”. 4 septembre Le lendemain de l’arrivée des Alliés, le 4 septembre, il reste encore des groupes d’Allemands isolés dans la région. Les résistants continuent à attaquer les petites colonnes en retraite.

Un résistant (à droite en salopette) assure le maintien de l’ordre le 3 septembre 1944 pour faciliter le passage des troupes alliées en direction de Bruxelles. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

Les troupes alliées doivent libérer au plus vite Bruxelles. Il faut éviter que la population en liesse ne freine l’avancée alliée. Des gendarmes assurent les services d’ordre aidés par des résistants de l’Armée secrète. Lorsque la population sort de chez elle pour acclamer les libérateurs alliés, elle peut observer les résistants au grand jour, sortis de leur clandestinité avec leurs salopettes et leurs brassards. Ghislaine nous fait part de l’étonnement que cela a parfois suscité de découvrir un voisin résistant :

8h30 - Ollignies Une colonne allemande de 250 hommes équipée de canons et de mitrailleuses se dirigeant vers le village d’Ollignies est repérée. Des combats ont lieu à hauteur du couvent d’Ollignies. Les Allemands se retirent sur Lessines.

9


Extrait du compte rendu officiel du 1e Bn du Dorset sur les combats de Lessines le 4 septembre 1944 par le Colonel Bredin, qui commandait le 1e Bn du Régiment du Dorset. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

9h - Houraing Sur le boulevard, des Allemands sont repérés par des résistants. L’alerte est donnée et les résistants s’éparpillent en ville (l’A.S. près de la Perche, rue Watterman, le F.I. dans le Parc et les P.A. à Houraing). L’Armée secrète déclenche le combat. Des Allemands ripostent et un canon allemand entre en action. Le combat est difficile car les Allemands sont bien armés. Des obus tombent sur plusieurs maisons. A quelques mètres de là, plus de 200 Allemands sont prisonniers à l’Ecole Moyenne. Le chef du camp a hissé une mitrailleuse sur la plate forme et les soldats allemands approchent. Heureusement, le commandant anglais du 1st Bn Dorset Regiment est prévenu et des chars anglais arrivent sur place et encerclent ainsi les Allemands, les obligeant à se rendre vers 11h30. Au cours de ce combat, Auguste Fleron, résistant des P.A. et John Newland, jeune caporal anglais sont tués. 12h - Bois de Lessines A Bois de Lessines, un combat aura lieu entre des groupes de résistants et 23 militaires allemands. Après un quart d’heure de combats, les Allemands se rendent. Des résistants sont blessés, certains plus sévèrement dont notamment Julien Lafourte qui mourra un mois plus tard. Deux Acren Un engagement se produit entre des résistants et des Allemands chaussée de Grammont. Deux résistants lessinois perdent la vie : Julien Van Loo et Alphonse Bauwens. 10

5 septembre On pense la région définitivement libérée. Pourtant, le village de Wodecq va vivre un drame. Le 5 septembre à 8h, on apprend que des Allemands se sont installés dans les fermes environnantes après avoir semé la terreur, la veille, à Quevaucamps et tué 18 civils L’A.S. d’Ellezelles aidée de confrères de Renaix et d’Ellezelles arrive sur place. Des jeunes résistants inexpérimentés tentent de déloger les Allemands d’une ferme à Wodecq. Ces derniers ne veulent pas se rendre à des civils et tuent les 20 résistants et 2 civils. Seul un résistant, Jules Haustrate, survécut au massacre en se faisant passer pour mort. Ces journées de la libération entraînent 10 victimes du côté résistant et 74 blessés qui sont soignés à l’Hôpital Notre-Dame à la Rose. Il faut signaler que les soldats allemands ont été sans pitié pour les civils qu’ils considéraient comme des francs-tireurs. Des témoignages de résistants racontent aussi qu’ils étaient aussi mal armés et peu formés au combat militaire. Certains, du fait de leur jeunesse, n’ont pas perçu les risques inconsidérés qu’ils prenaient. Tous ces éléments expliquent les drames vécus au sein des familles de ces résistants alors que les jours de la Libération auraient dû pourtant apporter de la joie.


Les camps de prisonniers A Lessines, on installe les prisonniers allemands dans les Ecoles Moyennes des Filles et des Garçons mais aussi dans d’autres camps comme s’en souvient Ghislaine : “ Il y avait un camp de prisonniers où c est maintenant la déchetterie et mes parents m’avaient défendu d’y aller. Mais je me souviens que j’y ai quand même été, on devait passer par le petit chemin. Il y avait des barbelés et des militaires britanniques qui faisaient la garde.” Ces camps, gardés par des soldats britanniques ou des résistants, étaient des camps provisoires. Le 7 septembre 1944, les prisonniers sont transférés à l’armée anglaise. Ils partiront ensuite dans des camps en Angleterre. Le seul prisonnier de l’armée allemande fait à Lessines, André Raeth, dont nous avons pu lire le témoignage a un souvenir plus amer de ces camps anglais: ”Comme prisonnier, nous fûmes très bien traités par la résistance qui nous garda à l’école Moyenne de Lessines où je servis en qualité d’interprète du camp de prisonniers. Il n’en fut pas de même lorsque nous fumes transférés à l’armée anglaise qui nous achemina dans les camps de prisonniers en Grande-Bretagne”. Prisonnier allemand conduit par 2 résistants de l’Armée secrète. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

Le massacre de Wodecq le 5 septembre 1944. 20 résistants sont tués. Un seul résistant survécut. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

11


Les émotions de la Libération nouvelles de la radio. Dès le matin du 3 septembre, des bruits circulent selon lesquels les Alliés seraient à Tournai. Quand ils ont appris l’arrivée des Alliés les Lessinois sont sortis et ont partagé avec les voisins et leur famille des moments riches en émotion. La population guette alors l’arrivée des Alliés avec les drapeaux préparés les jours précédents. Parfois, ils sortent les drapeaux trop tôt comme se souvient Suzanne :

C’est la liesse sur la grand-place à Lessines autour des chars anglais. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

Le 3 septembre 1944, les troupes alliées arrivent à Lessines. Cette délivrance amènera des émotions variées chez les Lessinois comme partout ailleurs en Belgique. Ces moments ont particulièrement marqué les enfants qui, 75 ans plus tard, nous ont fait part de leurs souvenirs. Les quelques jours qui ont précédé la Libération, les Lessinois sont restés cloîtrés chez eux par peur des bombardements ou des représailles des Allemands en fuite. Mais le 2 septembre déjà, la ville est en effervercence. Chacun commente sur le pas de sa porte les

”On était devant avec le drapeau. Nous, on croyait que c’était des Anglais qui arrivaient, parce qu’on entendait les camions et les motos, mais c’était les Allemands qui fuyaient (…), et maman était là, à secouer son drapeau. Et les premières motos, qui sont passées, lui ont montré le poing.” Arlette se rappelle de la méfiance des premiers pas hors de chez soi le jour de la libération : ”J’ai été avec mon frère à la route de Frasnes mais on marchait presque à quatre pattes tellement on avait peur que ce soit encore les Allemands. On entendait les chars passer et c’était les Anglais”. Puis, depuis tous les quartiers de la ville, hommes, femmes et enfants convergent vers la grand-rue pour voir passer les camions, les voitures blindées et les tanks alliés. On croit au départ que ce sont des Américains mais ce sont finalement des Anglais : les Grenadier Guards.

La joie Lorsque les Alliés arrivent à Lessines le 3 septembre vers 14h, la population est parfois hésitante à sortir, comme se rappelle Orlane :

Les habitants sortent peu à peu de chez eux le 3 septembre. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

12

”On se cachait dans la cave avec ma mère quand on a appris que les Anglais arrivaient. On n’osait pas sortir hein, les Allemands fuyaient et nous avions peur des combats et on restait caché. On avait mis des couvertures au sol pour dormir. Et à un moment, on a entendu la porte s’ouvrir, on a cru que c’était des Allemands… Puis, finalement, c’est le voisin qui a ouvert. On a été dehors avec lui et on voyait les premiers Anglais dans les rues. J’ai pleuré de joie !”


Des enfants sont venus voir les libérateurs. Cet événement restera gravé dans leur mémoire pour longtemps. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

Quand les Alliés descendent dans les rues de la ville, les Lessinois sont presque euphoriques : ils sautent sur les chars et embrassent les soldats britanniques. Ces derniers sont considérés comme les sauveurs. Ghislaine, enfant en septembre 1944 se souvient : ”Je me souviens des chenilles, du bruit que ça faisait. Tout le monde se précipitait. (…) C’était la liesse. Dans le bas de la rue, il y avait un café (Jacques Miasse - Mercier) et il y avait la jeune fille qui était aveugle qui jouait du piano et elle jouait tous les airs qu’on ne pouvait pas faire (sous l’occupation). Les gens buvaient, dansaient et il y avait des jeunes filles qui montaient avec des militaires”.

marqué particulièrement les enfants. Ainsi, Arlette et Ghislaine nous racontent : ”Je me souviens un militaire qui m’a lancé, du haut de la tourelle, un paquet avec des gros biscuits carrés et durs. J’étais heureuse. Les Anglais nous jetaient des chewings-gums, une orange, des cigarettes”.

En plus de libérer la ville, ils apportent de la nourriture et d’autres biens de consommation. Ces souvenirs ont

A Lessines, hommes, femmes et enfants affluent sur la grand-place. Ils échangent des cadeaux avec les soldats. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

On salue les libérateurs. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

13


Des jeunes filles discutent avec des militaires anglais. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

Les filles accourent voir les soldats alliés comme le décrit Francine : ”On cueillait toutes les fleurs du jardin et on les portait à la route de Frasnes pour le convoi. C’était une joie !”. Le Postillon du 9 septembre 1944 décrit aussi cette ambiance : ”Dès que la colonne s’arrête, on les couvre de fleurs, on leur verse à boire, on leur serre la main, on les embrasse”. Bref, l’après-midi, ce fut la fête. La ”Churchill” coula à flots dans les cafés de la ville. Toutefois, les Alliés n’ont fait que passer car ils devaient se diriger au plus vite vers Bruxelles qui, elle aussi, attendait sa libération. C’est la raison pour laquelle la gendarmerie et des résistants ont essayé de canaliser l’enthousiasme de la population.

La peur Passée la liesse du 3 septembre, la peur resurgit. La guerre semblait finie à Lessines et pourtant, les jours suivants ont donné lieu à des drames. Des résistants sont morts à Houraing, à Deux-Acren et à Wodecq. Par ailleurs, la guerre continue toujours dans le pays. L’hiver, la contre-offensive allemande dans les Ardennes rappelle que la guerre n’est pas terminée. Au-delà de la peur qu’une contre-offensive allemande ramène une nouvelle occupation, il y a aussi le sort des 14

frères ardennais. Les Lessinois n’y sont pas insensibles. Ainsi, des étudiantes de l’Ecole Moyenne lancent une collecte pour aider l’école de Baclain, un village touché lors de la bataille des Ardennes. Ensuite, si la poursuite des combats inquiète les Lessinois, c’est surtout parce que les familles ne sont pas encore au complet. Si certains prisonniers civils emprisonnés à Beverloo (en Flandre) regagnent leurs maisons dès le 16 septembre 44 déjà, la majorité ne rentrera d’Allemagne que plusieurs mois plus tard. Ainsi, il manque souvent un mari ou un fils -prisonnier ou déporté- retenu en Allemagne. Alors que les familles lessinoises attendent, les villes allemandes sont chaque jour bombardées par les Alliés. Les pires scénarios s’élaborent alors dans les esprits : nos proches reviendront-ils vivants ? Pour patienter les Lessinois écrivent aux prisonniers grâce à la Croix Rouge qui a négocié cette possibilité avec les autorités alliées. Le courrier continue à être soumis à la censure. Par ailleurs, un élan de solidarité se manifeste dans la ville pour récolter des fonds afin de venir en aide aux familles de prisonniers. Ainsi, en mars 1945 un gala de danse est organisé par des enseignantes de l’Ecole Moyenne des filles au profit de l’oeuvre ”Aide aux Familles des Prisonniers de Guerre Lessinois”. Chaque semaine Le Postillon publie des ”nouvelles de prisonniers”. Des épouses signalent ainsi avoir reçu des nouvelles de leur mari et précisent la date du dernier courrier reçu, ce qui permet de donner espoir aux familles encore en attente de nouvelles.


La tristesse Le Postillon et l’Echo de la Dendre réunis du 16 septembre 1944 n’a que de tristes nouvelles à annoncer. Le ton n’est pas à la joie. Les articles décrivent de nombreuses funérailles : celles des résistants morts à Wodecq le 5 septembre ou encore celles de Lessinois et Acrenois tués par les Allemands, ainsi que celles du soldat anglais tué lors des journées de la Libération en essayant de chasser les derniers Allemands. La population découvre aussi le massacre de Beverloo (lieu d’une prison allemande en Belgique) au cours duquel des membres du VNV et de Rex ont tué ou blessé grièvement des Lessinois.

Le Postillon du 16 septembre 1944 annonce surtout des funérailles de patriotes tués les jours de la libération, à Wodecq mais aussi à Deux-Acren et à Beverloo. (Archives de la ville d’Ath).

15


Le soulagement La population écoute attentivement les émissions de la radio au cours desquelles on énonce les noms des libérés. Début avril 1945 on annonce la libération du premier lessinois : Jules Labiau, libéré du camp de Cassel par les Américains. L’accueil, que lui avaient réservé les habitants de Lessines, fut exceptionnel comme on peut le lire dans Le Postillon du 7 avril 1945 : ”En ville, on avait pavoisé un peu partout pour célébrer l’arrivée du premier prisonnier de guerre lessinois”.

Le 16 juin 1945, à l’occasion du retour des prisonniers depuis les camps allemands, une manifestation et un bal sont organisés. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

La colère Beaucoup de collaborateurs avaient quitté la ville avant l’arrivée des Alliés. Toutefois, la population gardait une colère, voire même de la haine, face à ceux qui n‘avaient pas hésité à dénoncer des résistants et à travailler pour l’ennemi. Dans une petite ville comme Lessines où tout se sait très vite, les noms de ceux qui avaient collaboré étaient connus de tous. Toutefois, dans l’émotion de ces moments difficiles, certaines personnes furent suspectées très rapidement de collaboration, sans que de réels faits puissent permettre leur condamnation. C’est la justice militaire qui a jugé les affaires liées à la collaboration via les Conseils de guerre. Toutefois, cette justice n’empêcha pas une forme de justice populaire à l’égard des Lessinois considérés comme ”collabos”. Dans les jours qui suivirent la Libération, on assista ainsi à des scènes de tontes de femmes accusées de collaboration et aussi à des pendaisons de collaborateurs. La haine contre les occupants allemands était elle aussi bien présente dans la ville lors de la Libération ainsi que les jours qui ont suivi cet évènement. Arlette, encore enfant à l’époque se souvient de la gestuelle utilisée face aux prisonniers allemands : ”On voyait des camions passer avec les prisonniers allemands, et alors, comme moi j’avais trois cousins plus mon frère, quand les Allemands passaient, on leur montrait le poing. Cela, je me souviens et mon papa m’a dit : ”Tu ne peux pas faire ça, ce sont des prisonniers comme tout le monde”. 16

Tous les parents de prisonniers se l’arrachaient. En avril de nouveaux prisonniers sont rentrés. Durant le mois de mai, ils sont de plus en plus nombreux à revenir. Le 2 juin, il en reste encore une trentaine. Des comités de quartier organisent alors des manifestations et des fêtes en leur honneur. Ce sont les premières sensibilisations des jeunes au patriotisme. L’invitation retrouvée leur promettait d’ailleurs une couque si ils participaient au cortège ! Odette et Jeannine, qui étaient alors enfants se rappellent ces fêtes : ”On allait à chaque maison où il y avait un prisonnier qui revenait et on chantait pour lui avec l’école”. ”Le rue où il habitait faisait des festivités (…) Il y avait les gens, un batteur, un accordéoniste. (…). On faisait des bals populaires, les gens dansaient sur le chemin”. Au début du mois de juin, des ”bals du retour” sont organisés pour célébrer le retour des prisonniers dans leurs foyers. Suzanne se souvient de ces moments précieux : ” Maman m’avait confectionné une robe tricolore pour les accueillir en fanfare. Ils sont revenus un à un car ils devaient passer des visites médicales à Bruxelles (…). A chaque fois c’était le même délire : les héros du jour étaient accueillis comme des rois” Hélas, ce n’est pas le soulagement pour toutes les familles. Certaines apprennent, en mai 45, le décès d’un mari ou d’un fils dans les camps de concentration C’est le cas notamment pour Henry Debilde ou encore Oscar Rosé. Durant le printemps et l’été 1945 des funérailles ”patriotiques” sont organisées pour rendre hommage aux résistants fusillés durant la guerre.


La collaboration et l’épuration Pendant l’occupation, les Lessinois semblaient craindre davantage les collaborateurs belges que les Allemands. Quel fut le sort réservé à ces collaborateurs lors des journées de la Libération et dans les années qui ont suivi ? Les collaborateurs étaient-ils nombreux ? Que leur est-il reproché ?

Au coin de la grand-rue et de la rue Kugé, des résistants viennent arracher de la façade de l’horlogerie familiale la plaque murale commémorative qui rendait hommage à Georges Kugé, résistant héros de la Guerre 1914-1918. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

La collaboration politique Avant la guerre, un parti rexiste existait déjà à Lessines. Sous l’occupation, ils mettent en place un réseau policier avec des indicateurs et collaborent avec la Gestapo pour perquisitionner les domiciles des résistants. Le 9 avril 1942 Farin, le chef rexiste lessinois est abattu par des résistants. Georges Kugé lui succède et, un an plus tard, épouse sa veuve Edmée Detournay. Il va essayer d’imposer des rexistes au sein de l’administration communale et du collège communal. G. Kugé est détesté par une grande partie de la population car il a livre à l’occupant des listes de communistes, d’anglo­ philes et de résistants… Ainsi, Ghislaine, enfant à cette époque se souvient :

En représailles des résistants font exploser la maison du père de Georges Kugé dans la nuit du 7 au 8 mai 1943. Il réclame alors à la ville le remboursement des frais de réparation ainsi que l’arrestation d’otages qu’il choisisira. L’un d’entre eux n’est autre que Schevenels, le bourgmestre de Lessines. En le choisissant, G. Kugé espère le remplacer comme bourgmestre rexiste. La situation est si tendue qu’il demande à la Gestapo de lui fournir des armes. Le 6 octobre 1943 un nouvel attentat est perpétré contre lui et il en sort blessé. Ensuite, la collaboration entre Kugé et la Gestapo s’accélère et aboutit à une rafle importante le 13 février 1944. La ville de Lessines est alors en état de siège. Le 22 août 1944 un rexiste lessinois est exécuté par la résistance. En réaction, G. Kugé veut alors ”katyniser” (en référence au massacre de Katyn) Lessines, c’est-à-dire raser la ville mais heureusement, les Allemands refusent de suivre ses suggestions. Le 1er septembre 1944 G. Kugé et ses amis collaborateurs quittent la ville en direction de l’Allemagne pour y rejoindre d’autres rexistes à Welhau et à Breslau. Il est embrigadé dans les S.S. et suivra ensuite des cours de transmission radio et morse pour travailler comme courrier à la station de radiodiffusion wallonne de Wipperfurth. Des rexistes parviendront à s’emparer du mayorat à Ollignies et à Ogy. Après la guerre, ils seront condamnés à la peine de mort.

La collaboration économique Des entreprises lessinoises vont accepter de contribuer à l’effort de guerre allemand, en fournissant des piles, des lampes (Usine Delta), des plantes médicinales, des outils ou encore des pierres. Ainsi, les Allemands créent un consortium des carrières dirigé par deux Lessinois. C’est ce consortium qui fournira des pierres pour construire le mur de l’Atlantique qui relie la frontière des Pays-Bas à Boulogne-sur-mer. A la fin de la guerre, l’un des deux dirigeants sera arrêté et inculpé de haute trahison et de collaboration économique.

”Des rexistes, on en avait peur. Quand on passait devant chez Kugé en allant à l’école, on passait en vitesse. Je vois très bien la maison avec toutes les affiches.” 17


L’épuration Le 2 juin 1945, le journal local, Le Postillon annonce l’arrestation de Kugé et de 4 autres rexistes. La Fraternelle des Groupes de Résistance invite alors la population à témoigner à la gendarmerie de Lessines des infractions commises par les collaborateurs.

Justice civile et militaire Rapidement, la population réclame une politique ferme en matière d’épuration. Elle le rappelle lors de la visite du ministre Paul Henri Spaak le 25 mars 1945 à Deux-Acren. Au même moment, des résistants des villages autour de Lessines et de Flobecq se plaignent avec cynisme d’une épuration trop sommaire en publiant une annonce dans la presse locale : ”Nous soussignés, membres d’action de la Résistance, sollicitons de Monsieur l’Auditeur militaire la faveur d’un séjour dans les cachots de la

Le 13 juillet 1945, un appel à la population est diffusé dans Le Postillon pour témoigner à la gendarmerie et livrer des informations au sujet de Kugé et des autres collaborateurs. (Archives de la ville d’Ath).

Justice belge, en lieu et place des inciviques libérés. Valère Cantraine, 10, route de Frasnes, à Wannebecq. Louis Delatte, 30, rue de Lessines, Flobecq et Georges Ouvrard, 62, Grand Place à Flobecq”. Pourtant, Le Postillon publie au même moment des condamnations prononcées par le Conseil de guerre de Tournai ; peines de mort pour les collaborateurs de la Légion wallonne dont un jeune Lessinois et peines de prison pour des dénonciateurs de résistants. Le 10 mai, un cortège ”Sous le signe de l’épuration” démarre la première grande manifestation patriotique. Ceci montre bien le climat ambiant. Le 26 août 1946, c’est au tour de Kugé de comparaître à côté de son épouse ainsi que d’autres rexistes lessinois devant le Conseil de Guerre de Tournai. Il est condamné à la peine de mort et son épouse est condamnée à 15 ans de détention. Deux autres rexistes collaborateurs de Kugé sont également condamnés à la détention à perpétuité. Kugé est aussi condamné à payer 390.000 fr. à la ville de Lessines qui s’est constituée partie civile. Les deux époux font appel du jugement. C’est ainsi que le 14 février 1948, ils comparaissent devant la Cour Militaire de Bruxelles. La sentence de Kugé est confirmée et celle de son épouse est réduite à 12 ans de détention. En août 1946, Kugé passe devant le Conseil de guerre de Tournai et la population peut suivre le procès via les articles du Postillon. (Archives de la ville d’Ath).

18

Le 26 septembre 1946, le bourgmestre rexiste d’Ollignies est aussi condamné à la peine de mort par le Conseil de guerre de Tournai.


Justice populaire Pour calmer le climat particulièrement tendu dans la ville, le bourgmestre Schevenels appelle la population, par voie d’affiche, à garder son sang froid et sa dignité et à ne pas commettre des actes inconsidérés qui pourraient compromettre la bonne marche de la cité. Toutefois, la plaque commémorant l’action de résistant de Georges Kugé, héros de la Première Guerre mondiale est arrachée de la façade de l’horlogerie familiale des Kugé. Il faut dire qu’en 1944, l’homonyme Georges Kugé renvoie plutôt au collaborateur rexiste en 1944 qui n’est autre que l’oncle du premier Kugé. Guy se souvient : “J’ai vu des résistants saccager la maison Kugé à la grand-rue. J’ai vu les meubles sortir par les fenêtres”. Des collaborateurs sont pendus, ce qui marque particulièrement les enfants. Les parents évitent qu’ils ne voient ces scènes mais parfois en vain comme le raconte Arlette : ”Après la Libération, la population lessinoise a recherché les rexistes. Et on en a pendu. Et mon frère avait été à la chapelle à la Porte d’Ogy. On avait pendu un rexiste devant la chapelle. Mon frère, il n’avait jamais vu un pendu. Il est rentré à la maison et il a attrapé une jaunisse carabinée” Arlette se souvient aussi d’un autre cas de pendaison dont lui a parlé son frère : ”Je me souviens de cet homme. Il était dans un train, il voulait descendre. On lui a interdit de descendre et les résistants l’ont pendu. Ce jour là, je n’ai pas pu aller à l’école parce que c’était rapide, tout se savait. ”Ici, tu ne peux pas aller” lui disaient ses parents. On l’a pendu à une potence près des rails”. D’autres cas de lynchages de collaborateurs (membres de SS Wallonie) sont évoqués dans la presse locale. Ainsi, sous le choc de la nouvelle du décès d’un résistant lessinois dans un camp de concentration, la population passe à tabac un collaborateur attrapé à la sortie du train puis l’expose dans le kiosque avant de le conduire à la gendarmerie. Quelques jours plus tard, c’est un couple de collaborateurs qui revient d’Allemagne par le train. Le mari est lynché à mort et l’épouse est grièvement blessée. La presse locale justifie ces procédés ”par suite de la carence de la Justice et de la faiblesse des sanctions appliquées à ceux qui pendant la guerre ont trahi le pays”.

Georges Kugé va être l’objet de moqueries dans une chanson “libératoire” écrite par des Lessinois en 1944 (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

tentent de protéger leurs enfants de ces images atroces mais ils finissent pas le savoir comme l’explique Arlette : ”Les femmes qui avaient été avec des Allemands, on leur rasait les cheveux sur la grand-place quelques jours après la Libération. Il y en avait assez bien. Je ne les ai pas vues (mes parents ne voulaient pas: ”Ici, qu’on me disait”) mais mon frère m’a raconté. Sur dénonciation… Il y en avait des malheureuses, mes parents ont dit ”On n’aurait jamais dû leur faire ça”. Elles sont dénoncées par la population et parfois à tort. On les accuse de ”collaboration horizontale”, c’està-dire de relations avec l’occupant ou de travail pour les Allemands (femmes d’ouvrage par exemple). Les suspicions sont aussi nombreuses dans le domaine de la collaboration économique, plus difficile à définir. L’Armée secrète placarde même les murs de la ville d’avis assurant la bonne intégrité des responsables de certaines entreprises calomniées pour faire taire ces calomnies.

Des femmes accusées de collaboration sont tondues près de la gare ou sur la grand-place. Les parents 19


La Libération, le retour à une vie normale ? Après la Libération, les autorités politiques de 1940 ont été remises en place à la tête de la commune. Cela signifie-t-il le retour à une vie normale pour les Lessinois ?

Une nouvelle occupation Le gouvernement belge, en exil pendant le conflit est de retour au pays mais il est placé sous administration militaire alliée. Sur le plan local, les Alliés restent présents à proximité du front tant que la guerre continue (bataille des Ardennes) et l’autorité militaire des Alliés instaure, dès le 9 septembre 1944, un couvre-feu et une obligation de demander l’autorisation pour voyager. La population est invitée à remettre les armes, munitions, matériel militaire en sa possession ainsi que tout transmetteur T.S.F. à l’hôtel de ville. Les agriculteurs sont toujours contraints de livrer leur production laitière s’ils ne veulent pas encourir des peines d’emprisonnement.

Affiche du 5 septembre éditée par le bourgmestre E. Schevenels. (Archives communales de Lessines)

Le retour du bourgmestre Le 5 septembre 1944 E. Schevenels, bourgmestre de Lessines au début de la guerre, prévient sa population par voie d’affiches que, conformément aux ordres qu’il a reçus des autorités supérieures, il a repris ses fonctions de bourgmestre. Il prend alors des mesures pour assurer le ravitaillement de la population, à la fois en vivres et en charbon. Le conseil communal n’est pas encore au complet. Ainsi, par exemple, le conseiller communal Henri Bultiau restera détenu au camp de Buchenwald jusqu’en mai 1945.

20

Dès le 9 septembre, l’Autorité militaire alliée impose des règles de circulation et de couvre-feu. Un avis est placardé dans la ville. . (Archives communales de Lessines)


Des résistants contrariés En octobre 1944, le Commandant suprême des Forces Alliées Eisenhower remercie les résistants de leur héroïsme et du rôle joué dans la libération tout en leur demandant de remettre leurs armes immédiatement pour l’effort de guerre. L’arrêté du 13 novembre 1944 rend la démobilisation et la remise des armes obligatoires. Les résistants refusent cette demande, en particulier ceux du F.I. et des P.A. La proposition de 1000 frs. en échange de la remise de son arme est perçue comme une injure pour le F.I. qui distribue des tracts dans la ville. Ils sont accusés d’être une source de désordre alors qu’ils se sont sacrifiés pour une Belgique indépendante ! Ils refusent de rendre les armes tant que les collaborateurs n’ont pas été jugés. Ils veulent aussi pouvoir continuer la lutte en aidant les Alliés sur le front. En novembre 1944, une manifestation est organisée par le F.I. au quartier du Cordant à Lessines, pour dénoncer cet arrêté. En réalité, les autorités politiques belges ainsi que les Alliés craignent l’influence grandissante des communistes. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le désarmement de la résistance.

Affiche de la section lessinoise du F.I. pour protester contre la démilitarisation de la Résistance, en octobre 1944. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

21


Une rentrée scolaire perturbée La guerre a entrainé des perturbations au niveau des écoles (cours par intermittence, absences des profs, des élèves, problèmes de locaux …). Dans la presse locale, on prétend alors que les jeunes sont devenus ”incapables d’effort, tant physique qu’intellectuel, enclins à la paresse, à l’esprit d’indépendance, d’indiscipline, de vol, et à tous les vices que l’occupation rendait tolérables et même encourageait!”. Au lendemain de la guerre, on encourage les instituteurs à opérer un redressement ”immédiat et radical”. La rentrée de 1944 est perturbée, en particulier à l’Ecole Moyenne des filles (chemin d’Ath) et l’Ecole Moyenne des garçons (rue César Depretz) réquisitionnées pour y placer des prisonniers allemands depuis le 3 septembre. L’Ecole Moyenne des filles se retrouve au milieu des combats du 4 septembre. Heureusement, les bâtiments ne sont pas touchés. Après un nettoyage et une rapide remise en état, les locaux sont prêts pour la rentrée des classes qui a lieu le 18 septembre. Toutefois, élèves, profs (dans l’aile gauche et à l’étage) et membres de l’armée secrète (dans les sous-sols et la partie droite) vont cohabiter quelque temps comme le confirme Suzanne : ” Les Allemands occupaient une partie de l’école : on allait l’avant-midi au cours dans des classes non occupées par eux”. A L’Ecole Moyenne des garçons, un professeur manque à l’appel : Oscar Rosé, résistant et responsable de la section locale du Front de l’Indépendance. Il est arrêté par la Gestapo le 23 décembre 1943. Emprisonné à Mons, à Audenarde puis à Gand, la Gestapo le transfère le 3 septembre 1944 au camp de Mauthausen en Allemagne. Il y décédera un mois plus tard, le 4 novembre 1944.

22

L’activité économique et les mouvements sociaux En septembre 1944 la presse locale encourage le retour au travail et la reconstruction du pays. Dans le secteur primaire, il n’y a pas vraiment eu de rupture puisque les fermes ont continué à fonctionner pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans le secteur secondaire, les carrières, contrairement à la Première Guerre mondiale, ont continué à fonctionner dans le cadre d’un consortium créé par les Allemands et dirigé par deux Lessinois. Seuls quelques sabotages menés par les résistants à l’intérieur des carrières ont freiné un peu l’activité économique. Il n’y a donc pas eu de difficultés de reprise. Toutefois, les ouvriers désertent les carrières pour d’autres industries tant le travail est particulièrement pénible. Des 3000 ouvriers carriers au travail avant guerre, il n’en reste que 1700 en 1945. D’ailleurs, les carrières vont être le théâtre de mouvements sociaux. Certaines industries locales se retrouvent quand même en difficulté durant l’automne et l’hiver 1944 à cause des problèmes d’approvisionnement énergétique. Le chômage est présent dans la ville et entraîne la misère sociale pour certaines familles. Ainsi, des requêtes sont envoyées à la reine Elisabeth pour obtenir de l’aide. Les services de la reine demandent alors à la police communale de faire une enquête de moeurs pour évaluer la moralité patriotique des demandeurs. Certains ouvriers lessinois au chômage vont travailler pour l’armée britannique. On peut évaluer leur nombre à 400 environ au vu des fiches d’immatriculation complétées par le bourgmestre.


Annonce de la distribution des cartes de ravitaillement, dans Le Postillon du 16 avril 1945. (Archives de la ville d’Ath)

Le rationnement des vivres et le manque de charbon

La découverte de l’univers concentrationnaire

Du fait des destructions des voies et moyens de communication, la situation alimentaire, déjà très critique en période d’occupation, se retrouve encore plus dégradée après la Libération. Le rationnement et les cartes de ravitaillement restent donc de mise. La viande continuera à être rationnée jusqu’en février 1947 et le pain jusqu’en octobre 1948. Les familles se débrouillent alors pour acheter certains produits au marché noir mais il faut alors échapper aux contrôleurs. Ainsi, Guy se souvient, alors qu’il avait 13 ans, d’avoir dû aller chercher du beurre pour ses parents :

En 1945, grâce aux actualités cinématographiques, à une conférence donnée par un rescapé sur le camp de Dachau ainsi qu’au retour des prisonniers politiques, les Lessinois découvrent l’horreur de l’univers concentrationnaire. Les enfants ne sont pas épargnés. Ainsi, les souvenirs d’Arlette, qui avait à l’époque 7 ans, sont restés intacts :

“Pendant la guerre, le marché noir était patriotique. Après la libération, le marché noir était devenu antipatriotique. Alors, gamin, on allait chercher en vélo du beurre dans des fermes parfois assez éloignées, jusqu’à Everbecq. Le beurre était très cher. Je ne pouvais pas prendre les grands-routes parce que c’était très surveillé”. Le manque de charbon est ce qui inquiète le plus la population lessinoise dans les articles du Postillon. ll n’y a plus assez de mineurs qui descendent dans les mines et de nombreux puits ne fonctionnent plus. Le 1er février 1945, le gouvernement belge confie aux communes la mission de distribuer à leurs habitants la ration de 100kg de charbon par ménage (au prix de 75 francs). A Lessines la population tarde à recevoir sa ration. Cela engendre le vol du charbon stocké dans la gare et destiné au Secours national. Le bourgmestre s’en offusque auprès de sa population, par voie d’affiche, car il est peiné de l’image de désordre donnée aux Alliés par sa population. Le bourgmestre écrit au Ministre des Affaires économiques pour montrer les conséquences dramatiques entraînées par ce retard de livraison de charbon, en particulier pour les hôpitaux et les boulangeries.

”J’allais au cinéma après la guerre et c’est comme cela que j’ai vu toutes ces horreurs. On montrait déjà ce que les Allemands avaient fait dans les camps de concentration. Ca m’a marqué, c’était quelque chose de terrible. (…) Je me suis dit : ”Mon Dieu, comment est-ce possible qu’un être humain puisse faire cela à quelqu’un d’autre ?” Et tous ces cadavres qu’on mettait dans des fosses communes.” Cette première vision de l’horreur est amplifiée par les récits d’un voisin d’Arlette, rescapé des camps : ”Chaussée de Renaix, on avait un voisin, Max Basibei et il travaillait à la commune. Il faisait des fausses cartes d’identité et les Allemands l’ont déporté. Quand il est revenu, Mon Dieu, c’était un fil de fer. Presque tous les soirs il venait à la maison et il racontait tout ce qu’on lui avait fait passer à lui et aux autres au camp de concentration”.

23


L’après-guerre, un monde nouveau ? Les premières élections d’après-guerre ont lieu en 1946. Peut-on dire que la guerre a modifié les rapports politiques ? Les moeurs ont-elles évolué ? Les loisirs reprennent : les Lessinois fréquentent les bals, les cinémas et les concerts. La culture est-elle désormais influencée par les Alliés ?

Un Lessinois fraternise avec un soldat anglais le jour de la Libération, le 3 septembre 1944 (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

24


Un renouveau politique ?

La place des femmes dans la société

Lors des premières élections d’après-guerre, en 1946, certains Lessinois sont privés de leurs droits civiques : 18 personnes (de façon limitée) ainsi que 15 personnes (à vie).

Pendant l’occupation, des femmes lessinoises se sont engagées dans la résistance, en particulier comme agents de liaison et pour le transport des armes et explosifs. Leur rôle est mentionné dans la presse locale dès le mois de septembre 44. Il y a donc une véritable prise de conscience du rôle joué par les femmes dans l’ombre. D’ailleurs, lors du cortège du Festin 44, le char de la résistance laisse une place d’honneur aux femmes de l’ombre, vêtues en blancs comme pour y incarner la pureté des intentions des résistantes.

Les élections législatives du 17 février 1946 amènent une belle percée des communistes (22,6 % au lieu de 4,7 % en 1939) dans le canton de Lessines même si le PS continue à dominer le canton mais perd plus de 10% par rapport à 1939 (36,7%). Les libéraux perdent 5% (17,3 %) et les catholiques restent stables (20,1%). Les premières élections communales d’après-guerre se déroulent dans un climat social tendu. En effet, en 1945, les carriers lessinois font grève pour réclamer des augmentations de salaire. En octobre de cette même année, les patrons des carrières accèdent à la requête en promettant d’augmenter de 6% les salaires des ouvriers carriers. Les patrons ont pu obtenir du Ministre des affaires économiques la garantie de pouvoir augmenter le prix des marchandises. Toutefois, cette augmentation de salaire ne va pas calmer les ouvriers carriers qui débraient à nouveau en avril 1946. A l’issue de ces élections du 24 novembre 1946, 6 sièges du conseil communal sont remportés par le PSB, 2 sièges par le PRL, 3 par le PSC et 2 pour le PC (Parti communiste). Le conseil communal est fortement renouvelé puisque 9 nouvelles têtes apparaissent parmi les 13 conseillers communaux. On retrouve une percée communiste comme pour les législatives du canton même si la percée est moindre. Un des conseillers communistes élus n’est autre que l’un des fondateurs du Groupe de résistance des Partisans armés. D’ailleurs, les résistants sont bien représentés dans le conseil communal, quels que soient leurs partis politiques.

En politique, des femmes se présentent aux élections communales de 1946 et, pour la première fois dans l’histoire de la ville, une femme est élue conseillère liste PSC. Notons toutefois que malgré cette avancée, on continue dans la presse à l’appeler Mme Jean Jouret, faisant ainsi allusion à son époux… Lors de sa première intervention au conseil, elle déclare qu’elle va défendre les intérêts de toutes les femmes quel que soit leur parti politique. Selon nos témoins, profitant de la liesse de la Libération, les jeunes filles s’émancipent et subissent l’influence anglo-saxonne. Elles s’intéressent à la mode.

La veille de l’installation du Conseil communal, les leaders communistes lessinois rassemblés en meeting avaient insisté auprès des électeurs pour qu’ils viennent assister à cette première historique. Si le socialisme reste l’idéologie dominante à Lessines comme avant guerre, le parti socialiste ne peut que constituer un collège PSB minoritaire et donc fragile. Grâce au vote de confiance des libéraux, le bourgmestre socialiste E.Schevenels est réélu dans sa fonction malgré un vote négatif du côté du PSC et du PC.

25


Deux jeunes filles lessinoises posent à côté de deux jeunes soldats anglais. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

La fraternisation avec les Anglais Dès la Libération, des liens particuliers se tissent entre Lessinois et Anglais. Il faut dire que l’image des Britanniques était déjà très positive depuis la libération de la ville par l’armée du général Freyberg le 11 novembre 1918. Dans les semaines qui suivent la Libération, les Anglais accompagnent les Lessinois dans tous les moments importants : les funérailles des résistants, les actions caritatives (match de foot amical du 17 septembre au profit des sinistrés lessinois) mais aussi les réjouissances dans les cafés comme se souvient Ghislaine : ”On a continué à faire la fête dans ce café plusieurs jours. La soeur de mon amie Marthe jouait continuellement du piano. Il y avait aussi des soldats britanniques”. Les bals constituent évidemment des événements importants dans le rapprochement entre Anglais et Lessinoises. Les Anglais participent aux bals de la ville et organisent aussi des soirées, comme la soirée dansante de la Libération organisée le 23 septembre 1944 à la Maison du Peuple ou le grand bal de juin 1945 suivi d’un concours de beauté dont le jury est présidé par le capitaine Huckle. Le 9 juillet 1945, c’est le départ des Anglais de la British Army’s Royal Electrical and Mechanical Engineers (REME). J.W. Turnill qui dirige cet atelier est très ému lorsqu’il s’adresse une dernière fois à la population lessinoise et à son bourgmestre pour les remercier du bon accueil. Il faut dire que des liens se sont créés avec 26

des familles lessinoises qui ont appris quelques mots d’anglais -grâce au ”Basic English” acheté à la librairie Van Cromphout- ou échangé quelques danses avec les hommes en uniformes... Dès le 22 avril 1945, un cercle d’échanges sur la civilisation anglo-saxonne est mis en place à Lessines au Café du Parc, rue de la Fabrique : le cercle anglobelge. Fritz Verheugen fonde ce cercle avec R. Van Cromphout et A. Lavrier afin de contribuer à développer des activités intellectuelles en ville. On y organise des conférences sur l’Angleterre et sur ses liens avec les Belges mais aussi des cours d’anglais deux soirs par semaine. Un concert d’une fanfare écossaise est même organisée et la population se bouscule pour accueillir chez elle les musiciens. Ce cercle comportera 200 membres environ de Lessines et des villages. Une bibliothèque anglo-belge est constituée et des échanges scolaires sont organisés pour permettre aux jeunes de l’Ecole moyenne de séjourner au Pays de Galles.

Annonce de la création d’un cercle d’amitié anglo-belge à Lessines, dans Le Postillon, 16 avril 1945. (Archives de la ville d’Ath)


La culture sous influence anglo-saxonne ? Guy se souvient de la reprise de la musique dès les premiers jours de la Libération : “Pendant la guerre, on ne faisait pas de musique. Dès la Libération, les instruments sont ressortis des maisons. Spontanément, la fanfare du Ruichon s’est installée dans le kiosque sur la grand-place. Ils ont joué des chansons populaires comme “Marie Clap’ Sabot” mais aussi des airs britanniques comme “It’s a long way to Tipperary”, “God save the queen”, … Immédiatement après la Libération, les Lessinois s’octroient davantage de loisirs. La jeunesse fréquente alors les nombreux bals organisés. Le milieu associatif, scolaire, politique … organise à tour de rôle des bals dans les salons du Cercle libéral, au Cercle catholique ou encore à l’Ecole Moyenne des Filles pour récolter des fonds afin de venir en aide aux familles de prisonniers lessinois. Lors de ces bals, les plus âgés continuent à danser le Cancan, le Quadrille alors que les jeunes se mettent à danser le Foxtrot, le Quickstep, ou le Boogie. Il faut dire que le jazz, considéré par les nazis comme une musique dégénérée est, après la Libération, fortement présent dans les cafés et les salles de bal de la ville. D’ailleurs, une formation musicale, les Rhyner’s, accompagne souvent les bals ou intervient dans les soirées organisées par la section lessinoise du Jazz Club de Belgique. Après ces années de privation, dans la frénésie de la libération, les très jeunes participent aussi à ces bals. Guy, 13 ans à l’époque, se rappelle :

Invitation à la soirée dansante de la Libération, organisée à la Maison du Peuple le 23 septembre 1944, par les officiers et soldats du Royal Army Service Corps. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

“Même les gosses comme moi allaient danser à ces bals avec orchestre”. Deux cinémas fonctionnaient déjà sous l’occupation allemande : le cinéma ”Idéal” (Rue de la Station, 68) et le cinéma Marivaux, rue César Despretz, 27 mais la population les fréquentait moins. Comme nous le rappelle Guy : “On n’allait pas au cinéma pendant la guerre. Mes parents ne voulaient pas, car avant les films il y avait les actualités allemandes et mes parents ne voulaient pas que je subisse la propagande allemande”.

”It’s a long way tot Tipperary”, une chanson chantée à Lessines les jours de la Libération. (Archives privées - A. Leroy)

27


Après la Libération, la fréquentation des cinémas lessinois est en nette hausse. Arlette se souvient :

Apprendre rapidement la langue anglaise ? C’est ce que promet la méthode vendue à la librairie Van Cromphout à Lessines. Des annonces sont régulièrement publiées à ce sujet dans Le Postillon. (Archives de la ville d’Ath)

” Le cinéma ”L’Idéal” était bondé. (…). Je me souviens qu’il y avait même des chaises dans l’allée tellement il y avait du monde. On montrait des films américains : beaucoup de westerns. Je me rappelle quand ils ont montré des films avec Glenn Miller. Quel chahut dans la salle. Avant le film, on allait voir les actualités belges et françaises”. Des spectacles de théâtre sont aussi organisés (par le F.I. notamment) au profit des prisonniers et des déportés de la commune. Souvent, les pièces sont des comédies qui mettent en scène des histoires liées à la Seconde guerre mondiale. Des spectacles de théâtre patoisants continuent aussi à être organisés. Ainsi, en 1946, l’adaptation de ”On les a oyus” en patois lessinois par François Otton de la société ”Grand Place attractions” remporte un franc succès. Une fois encore, cette pièce musicale met en scène des personnages de la Seconde guerre mondiale. Le thème de la guerre continue donc à influencer la culture. Par ailleurs, même si l’attraction pour la culture anglo-américaine est forte, les pièces patoisantes continuent à faire l’objet d’un certain succès auprès de la population lessinoise.

Des spectacles en patois continuent à avoir du succès comme la pièce patriotique wallonne “On les a Oyus” montée par la société “Grand-Place Attractions en 1945”. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

28


La mémoire de la Libération La mémoire se construit rapidement dans la ville de Lessines. Elle se diffuse par des festivités folkloriques, des discours politiques, des commémorations patriotiques, des plaques commémoratives et des monuments … Le recul, par rapport aux faits, et la confrontation des sources nous permet aujourd’hui de pouvoir retracer l’histoire de la mémoire de la Libération et parfois de pouvoir distinguer mémoire et histoire.

Le 1er Festin d’après-guerre ou l’association de deux libérations : celle de 1578 et celle de 1944. La première commémoration de la Libération s’est déroulée moins d’un mois après les faits à l’occasion des fêtes du Festin qui célèbrent la victoire de Sébastien de Tramasure en 1578 contre une compagnie du régiment de Montigny, sous le commandement du capitaine Jean Quintin. Le cortège folklorique du Festin d’octobre 1944 s’ouvre par des chars richement décorés représentant les

différents mouvements de la résistance (P.A., A.S., F.I., Groupe G) - accompagnés aussi de représentants de ”combattants de 1830”, et d’anciens combattants de 14/18-. Les résistants apparaissent comme les nouveaux ”Sébastien Tramasure”. Cette association des deux événements, à quatre siècles d’écart, va contribuer à forger dans les représentations populaires l’idée que les résistants sont les seuls libérateurs de la ville, d’autant plus que l’armée anglaise - qui a pourtant été invitée à participer aussi au cortège - n’a pas pu être présente pour défiler dans les rues de la ville. Lors de la remise de l’épée à la chapelle d’Ogy, le vicaire Bogaert associe aussi, dans son sermon, la Libération de 1578 avec celle de 1944 et même celle de 1918. Malgré cette célébration collective et le souffle patriotique de la Libération, les clivages politico-religieux n’ont pas tout à fait disparu. En effet, un article de l’Echo de la Dendre du 7 octobre déplore l’absence d’une partie de l’administration communale qui refuse de participer à une fête considérée comme religieuse. Le journaliste propose alors, pour obtenir le concours de tous les Lessinois et éviter le clivage catholiques-laïcs,

Un char de résistants lors du 1er Festin , le 1er dimanche d’octobre 1944, sur la grand-place de Lessines (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

29


de multiplier encore les groupes de soldats des différentes époques. En 2019, année du 75e anniversaire de la Libération de la ville, le cortège du Festin n’a pas manqué d’associer à nouveau les deux événements en invitant des représentants du Front patriotique uni et des autres associations patriotiques à incarner des résistants de 1944 dans le défilé. Sur le site Internet du Festin, on peut ainsi lire : ”Alors qu’en 1578 Tramasure repoussait les assaillants, en 1944, les forces de l’intérieur libéraient Lessines du IIIe Reich. 75 ans après le “Festin de la Libération”, des véhicules d’époque marqueront l’anniversaire de ce #Festin2019 particulier”.

Les représentations populaires de la guerre et de la Libération au travers des ducasses A Lessines, la ducasse du marché du 1er weekend de juillet 45 met en scène les événements historiques de la Libération. Le grand concert s’ouvre sur la ”Marche de la Libération” et se referme sur ”La Muette de Portici”, une façon d’associer la Libération de 1944 à la Révolution belge de 1830. Le lendemain sont mis en scène l’arrestation, le jugement par un Tribunal du peuple et l’exécution du couple Kugé sur la grand-place. Des marionnettes aux effigies de Kugé et de son épouse (surnommée la Sarma) y sont symboliquement pendues et brûlées. Ensuite, on invite la population à déposer leurs cendres sur un tas d’immondices. Cette mise en scène contribue à ancrer dans les mémoires le souvenir du traître Kugé et de son épouse. D’ailleurs, certains témoins interrogés se souvenaient à tort que Kugé avait été pendu à la Chapelle d’Ogy ou sur la grand-place ! Lors de la fête de la Libération à Ghoy, en septembre 1945, un cortège de chars défile dans les rues de Ghoy avec des sociétés du village mais aussi des chars qui retracent des épisodes et faits de la 2e Guerre mondiale : les évacués de 1940, ”la Belgique martyre”, ”la Bataille du Charbon”, un char en l’honneur de la France, un sur ”la Croix Rouge”, puis sur ”La Belgique victorieuse”, le char des prisonniers entouré de barbelés avec son mirador et sa sentinelle et enfin, le char des Nations Unies. A Ghoy, contrairement à Lessines, c’est la souffrance des civils et les difficultés et les espoirs de l’après guerre qui tiennent une place prépondérante, plutôt que l’évènement de la Libération. 30

Un faux jugement de Kugé est mis en scène dans le cadre de la Ducasse du 2 juillet à Lessines et relayé dans Le Postillon, 7 juillet 1945. (Archives de la ville d’Ath)

La Libération commémorée par les associations patriotiques. Un Front unique et la réunion des combattants de la 1re et de la 2e Guerre mondiales Très rapidement, se met en place une Fraternelle des groupes de résistance à Lessines réunissant les différents groupes : A.S., F.I., GROUPE G. et les P.A. Ils organisent ensemble une grande manifestation patriotique le 10 mai 1945 qui rassemble beaucoup de monde sur la grand-place. Les drapeaux belges décorent les façades des maisons et les drapeaux anglais, américain et de la France libre (avec la croix de Lorraine) flottent sur la façade de l’hôtel de ville. Sur les photos on ne voit pas de drapeau russe.

La grande manifestation patriotique organisée le 10 mai 1945 sur la grand-place de Lessines (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)


A cette occasion, une réunion d’anciens combattants de la Seconde guerre mondiale est organisée et on invite les anciens combattants de la Première Guerre mondiale à se joindre à leurs frères d’armes. Cette association des deux guerres est présente aussi dans la presse locale, en particulier pour la question des déportés. Il faut dire que certains Lessinois sont touchés en 1914-18 et en 1939-45 et ainsi déportés deux fois. Les funérailles des résistants fusillés pendant le conflit, qui sont organisées durant l’été 1945, rassemblent les résistants, les sociétés lessinoises mais aussi les écoles pour rendre hommage à ces héros. Cela contribue à entretenir la mémoire et à sensibiliser les jeunes au patriotisme. A la sortie de l’église, la population se dirige vers le monument ”A nos héros lessinois”. Ce monument qui rendait déjà hommage aux soldats et aux déportés lessinois de la Première guerre mondiale devient donc aussi un symbole pour les combattants et résistants de la 2e Guerre mondiale. Guy, 14 ans en 1945, se souvient de ces funérailles patriotiques : “J’étais à l’Ecole Moyenne et on allait accueillir les cercueils à la gare et on les ramenait au cimetière en cortège avec trois fanfares qui jouaient la Marche funèbre de Chopin”.

Plaque commémorative de la Libération de 1944 apposée sur la façade de l’Hôtel de Ville de Lessines (Photo A. Leroy). Ville de Lessines Le quartier général des troupes de la résistance belge communique : Les forces de l’intérieur continuent énergiquement leur action de harcèlement contre les arrières de l’ennemi. On signale notamment qu’elles ont liberé Lessines. (R.N.B. à Londres) 8 septembre 1944 à 22h30. La ville reconnaissante aux forces de la résistance.

L’hommage aux héros aviateurs de la RAF qui ont grandi sur le sol lessinois (Charles Roman et Rémy Van Lierde) va encore rassembler la population. Une fête avec un cortège et un grand concert sur le kiosque est organisée le 16 septembre 1945.

Lors du 30e anniversaire de la Libération, en 1974, des anciens combattants anglais du 1e Bataillon du Régiment du Dorset participent à la cérémonie au Monument aux morts. (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

31


Moument de l’Armée secrète, Parc Watterman à Lessines (Photo A. Leroy)

Des commémorations ”anniversaires” révélatrices des constructions mémorielles Lors du 25e anniversaire de la Libération, en 1969, on continue à entretenir la mémoire d’une ”libération” par les Lessinois eux-mêmes. La cérémonie démarre par la lecture de la plaque scellée sur la façade de l’hôtel de ville: ”Les forces de l’intérieur continuent énergiquement leur action de harcèlement sur les arrières de l’ennemi. On signale notamment qu’elles ont libéré Lessines”. D’autres plaques commémoratives rendront plus tard hommage à des résistants décédés: celles de Fernand Stekke, d’Anselme Moreau, de Fernand Barbaix et des frères Taverne. Deux stèles vont aussi être installées pour rendre hommage au caporal anglais Newland et au résistant Fléron. Le 30e anniversaire de la Libération, en 1974, est fêté en grande pompe. Des anciens combattants anglais du 1er Bataillon du Régiment du Dorset sont aussi invités à se joindre à la cérémonie. Dans son discours le bourgmestre souligne en premier lieu le rôle joué par les Anglais dans la libération de la ville tout en rendant hommage aux résistants qui ont pris des risques énormes pendant l’occupation et ont assuré la sauvegarde des ouvrages d’art essentiels pour l’arrivée 32

Extrait de la publication “Lessines dans la tourmente” à destination des jeunes pour le 40e anniversaire de la Libération (Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir)

des forces alliées. Le capitaine Young, officier du premier blindé entré à Lessines le 3 septembre 1944, évoque aussi l’appui apporté par la résistance lors de la libération de la ville en communiquant aux Alliés les positions ennemies. Pour le 40e anniversaire, en 1984, le Front unique des Associations patriotiques organise une semaine complète de civisme. Le président de l’armée secrète, R. Van Liefferinge, réalise une brochure pédagogique à destination des jeunes. Les valeurs qu’il essaie de faire passer transparaissent assez bien sur le stencil destiné aux jeunes. F. Stekke et F. Barbaix, de l’Armée secrète apparaissent en costumes militaires et sont associés à la police. Sans doute faut-il y voir la volonté de montrer que les résistants de l’armée secrète incarnent l’ordre et la sécurité. Le stencil reprend aussi la photo avec le résistant qui grimpe sur un char allié le jour de la libération, accompagnée du communiqué des résistants du 8 septembre à la Radio Nationale Belge à Londres. Cela contribue à entretenir la mémoire de la libération de la ville par les forces de l’intérieur. Pour les adultes des émissions radio donnant la parole à des témoins de la libération sont diffusées sur les ondes locales.


Ces commémorations révèlent la volonté des différents groupements de s’approprier la mémoire liée à la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, elles s’étalent sur deux semaines, du 7 au 16 septembre 1984 de façon à permettre de consacrer chaque journée à des acteurs différents : un jour pour les groupements patriotiques, d’autres jours pour les invalides de guerre, la résistance, la Fédération nationale des combattants, les prisonniers de guerre, les volontaires de guerre et enfin, le 16, pour l’Armée secrète zone I A40. D’ailleurs, quatre ans plus tard, l’Armée secrète inaugure un nouveau monument dans le Parc Watterman. Il rend hommage à ses seuls membres tués au combats ou assassinés dans les camps nazis. On y inclut aussi les frères de combat d’Ellezelles mais pas les résistants des autres organisations de résistance lessinoises.

Le bourgmestre envoie même une requête au roi pour empêcher la libération du rexiste Kugé. En 1953, le bourgmestre Carton interroge Paul-Henri Spaak, bourgmestre de Saint Gilles sur ce qu’il est advenu de Kugé et apprend qu’il a été libéré et a souhaité s’installer à Gand. Il décède à Merelbeke en 1982.

Un Front uni contre la libération conditionnelle de Kugé Un évènement a contribué à souder tous les Lessinois autour d’une cause commune: la question de la libération du collaborateur rexiste G. Kugé. Le 8 décembre 1951, le directeur de la prison de St Gilles communique au bourgmestre de Lessines que la libération conditionnelle de Georges Kugé est à l’étude. Très rapidement, cela provoque l’indignation dans la cité du porphyre. Kugé a été emprisonné 6 années seulement alors qu’il avait été condamné en 1946 à la peine de mort : il est au tiers de sa peine. Le bourgmestre prévient alors le directeur de la prison ainsi que le ministre de la Justice du risque que présenterait la libération du traitre : celle d’une justice populaire qui exécuterait réellement la peine imposée à Kugé. Le conseil communal menace aussi de démissionner en bloc si la libération conditionnelle du collaborateur est prononcée. L’administration communale et les groupements patriotiques organisent alors une importante manifestation le 19 janvier 1952 et appellent la population à venir protester contre la libération de Kugé : ”Descendons dans la rue, nos martyrs crient vengeance” peut-on lire dans l’annonce de l’événement. Les habitants des communes du canton de Lessines sont invités à grossir les rangs.

Tract contre la libération conditionnelle de Kugé, 19 janvier 1952. (Archives communales de Lessines)

33


Table des matières 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

Un projet pédagogique avec des jeunes de 2019 Une longue attente Les acteurs de la Libération Les émotions de la Libération La collaboration et l’épuration La Libération, le retour à une vie normale ? L’après-guerre, un monde nouveau ? La mémoire de la Libération

2 4 7 12 17 20 24 29

Bibliographie Archives

Travaux

Archives communales de Lessines, 1944-1946 – Dossiers sur l’occupation, Affiches publiées en septembre et octobre 1944, Dossier sur l’Affaire Kugé, Dossier sur les élections de 1946, Courrier du bourgmestre 1944-1946. Archives du Musée communal de Lessines – Fernand Lenoir – Coupures de presse de 1945 à 1985. Archives du Front unique (Archives et photos des manifestations patriotiques). Photographies de la liberation – Archives et photos des manifestations patriotiques. Archives du Conseil de guerre de Tournai – Procès Kugé Archives de l’Armée britannique - Compte rendu officiel du 1er Bn du Dorset sur les combats de Lessines le 4 septembre 1944, par le colonel Bredin, qui commandait le 1er Bn du Régiment du Dorset. Témoignage d’André Raeth, prisonnier de l’armée allemande à Lessines en septembre 1944. Témoignage retranscrit par André Nève, 1970. Archives du CEGESOMA – Coupures de presse concernant Georges Kugé – Dossier ”Kugé” des Archives partielles de la Sûreté de l’Etat (Ministère de la Justice)

BUYSE (Bertrand), Lessines durant la Deuxième Guerre mondiale , Bruxelles, Ecole Royale Militaire, 1991 (Mémoire de fin d’études). CONWAY (Martin), Les chagrins de la Belgique : libération et reconstruction politique 1944-1947, Bruxelles : CRiSP, 2015 DAUPHIN (Frédéric), La Belgique libérée, septembre 1944 novembre 1945 : faits, opinions et representations, Bruxelles, CEGES, 1997. DE VOS (Luc) La libération : de la Normandie aux Ardennes, Eupen, Grenz-Echo, 1994. FLAMENT (Jacques), Historique de la résistance 40-45 dans la région de Ath, Tournai, Peruwelz, Lessines, Bruxelles, Ecole Royale Militaire, 1967. LE BRUN (Pierre), Les combats de septembre 1944 ou La Libération de la ville par la résistance, Lessines, Impr. Van Nieuwenhove, s.d. MAERTEN (Fabrice) et COLIGNON (Alain), La Wallonie sous l’occupation, Bruxelles, Renaissance du Livre, 2019. MAERTEN (Fabrice), ”Aspects de la libération dans le Brabant Wallon (septembre 1944 - début février 1945) ” dans Cahiers d’Histoire du Temps Présent, n°11, mars 1988, p. 121-160. MAERTEN (Fabrice), ”Wodecq, 5 septembre 1944”, dans Belges en guerre. Images inconnues, histoires insolites, Waterloo, 2012, p. 108-115 MAERTEN (Fabrice), ”Jeunesse et Résistance, entre mythe et réalité : le cas du Hainaut, 1940-1944” dans Cahiers d’Histoire du Temps Présent (30/60), 2001, n° 8, pp. 257-305. TAGHON (Peter), Belgique 44 : la libération, Bruxelles, Racine, 1993. LE BRUN (Pierre), Les combats de septembre 1944 ou La Libération de la ville par la résistance, Lessines, Impr. Van Nieuwenhove, s.d. NEVE (André), Les combats de septembre 1944. La Libération de la ville de Lessines, Conférence présentée à la “Table Ronde”, octobre 1979.

Presse L’Action socialiste : organe hebdomadaire du Canton de Lessines / sous la rédaction de Comité Cantonal de la Presse Socialiste - Maison du Peuple. – Lessines (années 44 et 45) Le Postillon : hebdomadaire des cantons de Lessines, Enghien et Flobecq / sous la rédaction de F. Van Cromphout ; par Georges Sion. - Lessines. (années 44 à 46) Le Postillon et l’Echo de la Dendre réunis. Hebdomadaire de l’arrondissement d’Ath et des cantons de Lessines, de Flobecq.

34


Guerre, Occupation, Libération, ss. dir.Wannes Devos et Kevin Gony, Tielt, Editions Lanoo, 2019. La Libération, une épreuve de vitesse, 2-12 septembre 1944, Bruxelles, Print House Defense, 2004. Lessines dans la tourmente, fascicule pédagogique réalisé par R. Van Liefferinge, 1984. Les articles sur différentes thématiques de la Seconde Guerre mondiale réalisés par des historiens attachés au CEGESOMA : https://www.belgiumwwii.be Pour des raisons de place et pour faciliter la lecture, nous n’avons pas mis de notes infrapaginales dans cette brochure contrairement à la version initiale du travail.

Témoins Un tout grand merci aux témoins qui ont accepté de livrer leurs souvenirs aux élèves : André Mehaudens, Suzanne CantraineLeleux, Albert Andrieu, Marcelle Dubois, Léopold Vincent, Rosa Vincent, Pieterarens Libert, Jeanne, Delhauve Rose, Thérésa Droissart, Suzanne Windal, Arlette Cattiez, Ghislaine Huysman, Mr Soetens, Jeannine, André, Louise Goessens, Jeannine Cantrenne, Christian Willocq, Louise, Libert, Odette, Léa Mol, Claude Brébois, Orlane Moine, Michel, Théo Evrard, Armand Labie, Odette Soetens, Josette Ganseman, Guy Verheugen… Nous remercions aussi les personnes qui ne sont pas citées ici mais qui ont contribué à faire aboutir notre projet.

Remerciements Un grand merci à Fabrice Maerten (du CEGESOMA) pour son aide préciseuse dans ce projet mais aussi à Fernand Lenoir qui nous a partagé ses archives très riches, à Pascal De Handschutter et à Laurence Basibei pour nous avoir permis de consulter les archives communales de Lessines ainsi qu’à Christophe Flamant pour ses photos et anecdotes à Maurice Toubeau, à Jean-Pierre Durondeau, à Nathalie Van Liefferinge et à Luc Delhove qui nous ont fait parvenir de la documentation. Nos remerciements vont aussi à la cellule Démocratie/Barbarie ainsi qu’au Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui ont financé le projet dans le cadre du Décret Mémoire. Merci à tous les élèves de l’option histoire de l’Athénée de Lessines, des promotions 2019, 2020 et 2021 qui ont participé au projet de recherche : Andreea Calancea, Killian Collyns, Gillian Dambrun, Nicolas Evrard, Florian Moreau, Nina Woestyn, Erwin Goret, Arthur Lesueur, Vanina Simoulin, Hélène Collard, Matthias Derbaise, Julie Léonard, Kevin Mathieu, Jolan Jamart, Justin Lison, Zoé Vanhoren, Enola Druez, Maxime Jacquier et Romain Lebon. Merci à Arthur Leroy, Marianne Uylebroeck et Joëlle Decastiaux pour la relecture attentive de cette brochure. Merci à Frédéric Dewolf (Wolf Graphics) pour le graphisme de la brochure.

35



Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.