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RÉGION À LA UNE
LUNDI 13 NOVEMBRE 2017
SOCIÉTÉ
LA NOUVELLE VIE DE MURIELLE BONIN Acquittée il y a près de deux mois dans l’affaire du « meurtre de la coiffeuse » de Saint-Martin-d’Ablois, Murielle Bonin tente de se reconstruire, loin de la Marne. L’ESSENTIEL ● Le 20 septembre 2017, la cour d’assises de l’Aube acquitte, en appel, Murielle Bonin. Cette dernière était poursuivie pour « complicité d’assassinat » après la mort le 15 juillet 2010 de Laurence Dromard, à son domicile de Saint-Martin-d’Ablois, près d’Épernay. Elle avait été condamnée, en première instance à Reims, à 18 ans de réclusion criminelle. ● La condamnation de son ancien amant, Sylvain Dromard, le mari de la victime, a été confirmée en appel, avec 30 ans de réclusion criminelle pour « assassinat ». Il s’est pourvu en cassation. ● Après plus de quatre ans de détention (provisoire et après le premier procès), plusieurs années de contrôle judiciaire (en attente de son procès à Reims), Murielle Bonin, innocentée, essaye de retrouver une vie normale. Pas si simple. ’est une maison récente, située un peu à l’écart d’un gros bourg près de Besançon. C’est ici que Murielle Bonin a décidé de démarrer sa nouvelle vie, afin d’essayer de tourner la page de « sept ans de douleur » comme elle nous le confiait à sa sortie de prison le 20 septembre dernier après son acquittement. La femme qui nous ouvre la porte en ce jeudi 9 novembre n’est plus la même qu’il y a deux mois. Le visage est détendu, souriant. Son compagnon, Gilles, est là, à ses côtés, le regard bienveillant sur celle qu’il a toujours soutenue depuis leur rencontre en 2012 et leur installation dans cette maison en 2015 en attendant le premier procès à Reims en 2016. Si Murielle Bonin semble libérée, on se rend compte rapidement que le retour à une vie normale est encore loin d’être acquis.
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MERCREDI 20 SEPTEMBRE, 17 H 30, L’ACQUITTEMENT « Dans mon esprit, même si j’étais innocente, j’allais encore être condamnée », confie avec le recul
Murielle Bonin. « Au mieux la peine allait être réduite. Quand le verdict a été annoncé, je n’ai pas réagi tout de suite. À la première question (sur la culpabilité), je m’attendais à entendre “Oui”. Quand la présidente a dit “Non”, j’ai regardé mon avocat. Je n’étais pas certaine de ce que signifiait ce “Non”. Et puis Me Miravete s’est levé. Il est venu vers moi, m’a pris les mains en me disant “On a gagné”. À partir de là, toute la pression est retombée. Je ne sais plus trop ce qui s’est passé. C’était trop d’émotion. J’étais en larmes. » Lors de la remontée vers la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne, pour la levée d’écrou, Murielle Bonin commence petit à petit à réaliser. « Pendant tout le procès, je ne faisais pas attention à ce qu’il y avait dehors lors des trajets entre Troyes et Châlons. Là, je redécouvrais les choses sous un autre regard. Je me disais que j’allais pouvoir aller marcher dans les bois, sentir des odeurs que j’avais presque oubliées. »
LES PREMIERS JOURS DE LIBERTÉ, L’INSTALLATION DANS LE DOUBS « La première chose que j’ai faite, c’est aller voir mon papa qui était à l’hôpital. Pendant tout le procès, je n’avais pas de nouvelles de lui. Quand je suis arrivée dans sa chambre, il était en pleurs… C’était très fort. Et puis, avec Gilles, nous sommes rentrés ici dans le Doubs, dans cette maison où nous nous étions installés en 2015, juste avant le premier procès. Quand je suis entrée, j’ai fait le tour de toutes les pièces. J’avais besoin de voir si je n’avais rien oublié. Lors de ma détention, souvent je me forçais à penser à la maison, aux détails. » Si Murielle Bonin a toujours vécu dans la Marne, il n’était pour autant pas question pour elle d’y refaire sa vie. « J’y vais car mes parents et ma sœur y sont encore, mais aujourd’hui, mis à part mes proches, il n’y a rien qui m’attire dans la Marne à part des mauvais souvenirs. Là-bas, il y aura toujours des regards, des commentaires. Je n’y suis pas à l’aise. »
DES JOURS ET DES NUITS ENCORE HANTÉS PAR L’AFFAIRE ET LA PRISON « Cela va évidemment mieux aujourd’hui, mais je suis encore très fragile. J’ai déjà mis un moment à réaliser que je n’étais plus en prison. Au départ, il y a des matins où je demandais à Gilles de me pincer pour que je sois certaine que c’était bien la réalité. La nuit, je n’arrive toujours pas à bien dormir. J’ai souvent des flashs avec des visages, des lieux en rapport avec l’affaire, aux procès. » Murielle Bonin a aussi encore du mal à se mêler à la foule. Elle doit d’ailleurs rencontrer bientôt un psy pour essayer d’avancer : « Je suis bien à la maison. Par contre, lorsque je sors dans des endroits où il y a du monde, j’ai peur. J’ai l’impression, quand quelqu’un me regarde, qu’il sait qui je suis, qu’il connaît mon histoire. Pourtant ici peu de gens sont au courant… »
DES ENVIES DE GRANDS ESPACES « Avant le procès, on disait que si je sortais, on ferait plein de choses. En fait, on n’a rien fait de ce que l’on a dit ! Si, des bonheurs simples comme marcher dans la nature, sentir les odeurs. Mais j’ai envie d’aller au bord de la mer, me ressourcer, recharger les batteries. Il faut une vraie cassure pour repartir sur de nouvelles bases. On a d’ailleurs, l’année prochaine, un projet de voyage aux États-Unis. Cela pourrait être l’occasion. Je comprends les gens qui changent de vie complètement pour repartir à zéro… »
UNE VIE NORMALE POSSIBLE UN JOUR ? « J’espère vite reprendre une vie normale mais je suis encore dedans aujourd’hui. Tant que tout n’est pas terminé (il y a une demande d’indemnisation pour les années de prison effectuées pour rien), je n’arriverais pas à avancer, à tourner la page. J’ai toujours peur, comme s’il allait arriver quelque chose. La plaie est encore à vif. Ça va mettre du temps à cicatriser et encore, il y aura toujours une cicatrice. »
Dossier GRÉGOIRE AMIR-TAHMASSEB
Murielle Bonin s’est installée près de Besançon, chez son nouveau compagnon Gilles, rencontré avant son premier procès à Reims. Grégoire Amir-Tahmasseb GILLES, UNE RENCONTRE QUI A CHANGÉ SA VIE Murielle Bonin vit aujourd’hui avec Gilles, rencontré en 2012 alors qu’elle était dans la région de Besançon, dans le cadre de son placement sous contrôle judiciaire avant le premier procès de Reims. « C’était difficile de se projeter à l’époque », raconte-t-elle. « Il y avait ce gros point d’interrogation au-dessus de ma tête. Je ne voulais pas faire de rencontre tant que la situation n’avait pas été clarifiée. » Mais l’amour est plus fort que la raison. Le couple s’installe tout d’abord dans un appartement puis dans une maison près de Besançon. Celle qu’il occupe aujourd’hui. « Dès le départ, j’ai tout dit à Gilles. Il ne s’agissait pas de lui cacher quoi que ce soit. » « Moi je connaissais son histoire avant qu’elle m’en parle, donc je n’ai pas été surpris », confie le compagnon qui sera à ses côtés durant les deux procès ainsi que lors de son incarcération en attendant l’appel et l’acquittement. « Je lui faisais confiance et n’avais aucun doute sur son innocence. Aujourd’hui, on peut enfin essayer de penser au futur. Tout ce que l’on veut, c’est être bien ensemble. Le reste n’a pas d’importance. »