Aspects de la civilisation Mandingue

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ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE TOME I: LA RECONSTITUTION DE LA SOCIÉTÉ PRÉCOLONIALE DU PAYS NATAL DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ, HÉROS EMBLÉMATIQUE MANDINGUE

par DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA (1882-1963)

manuscrit préservé, enrichi et rédigé par son fils

DAOUDA DAMARO CAMARA


« À l’heure où le thème de l’identité culturelle est à l’honneur, cet ouvrage me paraît d’un apport considérable à la compréhension de l’Homme Malinké dans sa dimension historique et culturelle. Aussi, t’encouragerai-je vivement à tout mettre en œuvre pour le faire éditer. Je suis disposé à en écrire la préface. » Prof. Ibrahima Baba KAKÉ (lettre à l’auteur du 10 juillet 1987)

© Les héritiers de Damaro Diontan Djiguiba Camara, 2024 Conakry, République de Guinée


ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE TOME I LA RECONSTITUTION DE LA SOCIÉTÉ PRÉCOLONIALE DU PAYS NATAL DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ, HÉROS EMBLÉMATIQUE MANDINGUE par

DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA (1882-1963) manuscrit préservé, enrichi et rédigé par son fils

DAOUDA DAMARO CAMARA assistance rédactionnelle de Jan Jansen

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© Les héritiers de Damaro Diontan Djiguiba Camara, 2024 Droits de reproduction, de traduction, d’adaptation, réservés pour tous pays. Adresses de contact: daoudadamarocamara41@gmail.com; sidiki99@yahoo.com; camarakoly@yahoo.fr

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TABLE DES MATIÈRES TABLE DES MATIÈRES

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LES MOTIVATIONS DE L’AVENTURE INTELLECTUELLE DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA (UN HISTORIEN CHERCHEUR AUTODIDACTE) QUELQUES CITATIONS SUR LE DEVOIR DE L’HISTORIEN RELATIVITÉ DES RÉCITS HISTORIQUES LE DILEMME DE PAUL VEYNE PRÉLIMINAIRES: QUELLES SONT LES RAISONS PROFONDES DE LA RÉHABILITATION DES ASPECTS DYNAMIQUES DE L’HISTOIRE ET DE LA CIVILISATION AFRICAINES? COMMENT FAIRE RENAÎTRE LES ASCPECTS DYNAMIQUES DE L’HISTOIRE ET LA CULTURE AFRICAINES?

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PRÉFACE

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BIOGRAPHIE DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA

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LES FILS DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA QUI ONT EFFECTIVEMENT PARTICIPÉ À LA COLLECTE ET À LA TRANSCRIPTION DES TRADITIONS ORALES CONTENUES DANS CET OUVRAGE

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QUI ÉTAIT DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA? LA GENÈSE D’UN LIVRE D’HISTOIRE OU L’AVENTURE INTELLECTUELLE D’UN HISTORIEN CHERCHEUR AUTODIDACTE AUDACIEUX QUELQUES AVENTURES MALENCONTREUSES DU PRÉSENT MANUSCRIT D’HISTOIRE ÉCRIT PAR DAMARO DIONTAN DIJIGUIBA CAMARA (UN HISTORIEN CHERCHEUR AUTODIDACTE) PREMIER CAS D’IMPOSTURE PAR LE PROFESSEUR YVES PERSON DEUXIÈME CAS D’IMPOSTURE DONT FUT COUPABLE MONSIEUR KÈFING DONZO, ORIGINAIRE DE NIONSOMORIDOU ET EX-DÉPUTÉ DE BEYLA

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(REMERCIEMENTS)

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DOCUMENTS DE LECTURE: COMPILATIONS DE LECTURES ET QUELQUES PRÉJUGES INEPTES ET MÉPRISANTS DE CERTAINS RACISTES BLANCS SUR LES NOIRS NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (NOTE 25) SUR LE CHEMIN DE L’EXIL POLITIQUE

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AVANT-PROPOS DOCUMENTS DE LECTURE CONCLUSION LE DEVOIR DE SOUVENIRS POUR LES MARTYRS DE LA TRAITE NEGRIÈRE ET DE LA COLONISATION NOTES ET BIBLIOGRAPHIE

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LA RECONSTITUTION DE LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE PRÉCOLONIALE DU PAYS NATAL DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ, HÉROS EMBLÉMATIQUE MANDINGUE, LE PLUS GRAND RÉSISTANT NOIR DU XIXÈME SIÈCLE À LA COLONISATION DE L’AFRIQUE CHAPITRE I - L’AIRE DES MANDINGUES I - INTRODUCTION: GÉNÉRALITÉS II - LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE DOCUMENT DE LECTURE I: LES MALINKÉ DOCUMENT DE LECTURE II: À PROPOS D’UNE ÉCRITURE AFRICAINE: LE N’KO DOCUMENT DE LECTURE III: LA GENÈSE DE L’ALPHABET N’KO: SOLOMANA KANTÉ ENTRE LINGUISTIQUE ET GRAMMAIRE: CAS DE LA LANGUE LITTÉRAIRE UTILISÉE DANS LES TEXTES EN N’KO – SOLOMANA KANTÉ ET LE N’KO (PAR NAFADJI IBRAHIMA SORY 2)

209 209 209 215 226 230

247

CHAPITRE II - MIGRATIONS ET MISE EN PLACE DES MANDENKA (MALINKÉ) EN HAUTE GUINÉE NOTES ET BIBLIOGRAPHIE

264 279

CHAPITRE III - MISE EN PLACE DES KONYANKÉ (UNE BRANCHE DE MALINKÉ OU DE MANDINGUE) DANS LA RÉGION DE BEYLA

280

CHAPITRE IV - L’HISTOIRE D’UNE DYNASTIE REGNANTE AU MANDINGUE: LES CAMARA DE DAMARO OU LES MIGRATIONS DE LA DIASPORA CAMARA OU DIOMANDÉ EN AFRIQUE DE L’OUEST LES INVASIONS DES POPULATIONS SAHELIENNES VERS LES RÉGIONS FERTILES DU SUD ET DU SUD-OUEST DE LA GUINÉE TABLEAU RÉCAPITULATIF DE LA GÉNÉALOGIE DES CAMARA DEPUIS SIBY (MALI) JUSQU’AU AU MAOU (TOUBA, CÔTE D’IVOIRE) ET AU KONYA (BEYLA) MÉSENTENTE DES HÉRITIERS DE FING KOYFING DIOMANDÉ ET SES CONSÉQUENCES LA GUERRE DE MOUSSADOU CONSÉQUENCES DU CONFLIT ENTRE LES DIOMANDÉ DE CÔTE D’IVOIRE ET LES CAMARA DU KONYA (MOUSSADOU) COMPOSITION CLANIQUE DE MOUSSADOU L’ASCENSION FULGURANTE ET LE RÈGNE PACIFIQUE ET ECLAIR DE FARIN KAMAN CAMARA À MOUSSADOU ET DANS LE KONYA AU DÉBUT XIVÈME SIÈCLE L’ORIGINE DES MILLE SACRIFICES (WURU KELEN SARAKA) SUITE DES MILLE SACRIFICES: CONDAMNATIONS SYSTÈME D’EXÉCUTION L’HISTOIRE DES CAMARA DE KANKAN VENUS DIRECTEMENT DU MALI (PAR LAMINE KAMARA) NOTES ET BIBLIOGRAPHIE CHAPITRE V - L’ORGANISATION JUDICIAIRE DE FARIN KAMAN CAMARA À MOUSSADOU ET DANS LE KONYA: LE CODE PÉNAL MANDINGUE OU LA « CHARTE DE KURUKAN FUWA » AMÉLIORÉE ET ENRICHIE I - VOL: CIRCONSTANCES ET PEINES II - DÉLITS SEXUELS III - DÉLITS D’OFFENSES IV - VIOLENCE ET CONFLITS (BATAILLE ET BAGARRE) V - DISPARUTION DE PERSONNES ET PERTES D’OBJETS iv

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VI - INDISCIPLINE VII - GESTION DE LA DETTE OU DYULU VIII - DÉLITS DE DÉGÂTS IX - EMPOISONNEMENT ET BLESSURE X - HÉRITAGE XI - ATTEINTE À L’HONNEUR XII - INTERDITS XIII - SUPERSTITION XIV - LE RÊVE SUITE DE L’HISTOIRE DES CAMARA DE LA GUINÉE FORESTIÈRE, LE DEUXIÈME GRAND MOUVEMENT MIGRATOIRE DES CAMARA APRÈS CEUX DE SIBY (MALI) ET DE FARIN-KAMANYA (SIGUIRI-GUINÉE), RÉPARTITION DES FILS DE FARIN KAMAN CAMARA À PARTIR DE MOUSSADOU (BEYLA) CHAPITRE VI - NOUVELLE DISPERSION DES CAMARA EN GUINÉE FORESTIÈRE ET AU LIBÉRIA MOUSSADOU DEVINT LE BERCEAU DES CAMARA DE LA GUINÉE FORESTIÈRE ET DU LIBÉRIA APRÈS L’ÉTAPE DU MAOU (CÔTE D’IVOIRE) EXPANSION DE LA PROGÉNITURE DE FARIN KAMAN CAMARA EN GUINÉE FORESTIÈRE ET AU LIBÉRIA FANTOUMAN OULÈN CAMARA, UN PETIT-FILS CÉLÈBRE DE FARIN KAMAN CAMARA LE GBÈNZÈN OU LA PREMIÈRE MONNAIE LOCALE DU KONYA ET DE LA FORÊT GUINÉENNE CHAPITRE VII - L’EXPANSION DES CAMARA DANS LE KONYA (BEYLA, KÉROUANÉ, MACENTA... ET AU LIBÉRIA) LES CAMARA DU KONYA (BEYLA, KÉROUANÉ, MACENTA... ET AU LIBÉRIA) LE PAYS DU KONYA AVANT L’ARRIVÉE DES CAMARA L’HISTOIRE D’UNE FAMILLE CAMARA: LES CAMARA DE DAMARO ET DU SIMANDOU CRÉATION DE VILLAGES CAMARA DANS L’ANCIEN CANTON DE SIMANDOU (CERCLE DE BEYLA) CRÉATION DE DAMARO À LA FIN DU XVIÈME SIÈCLE OU AU DÉBUT DU XVIIÈME SIÈCLE (PROBABLEMENT VERS 1605) À PROPOS DE LA CRÉATION DE « L’UNION FAKASSIA DE DAMARO » (O.N.G.) DÉBUT DE LA PÉRIODE DE L’INSTABILITÉ DE LA PAIX DANS LE SIMANDOU GÉNÉALOGIE DES CAMARA DE DAMARO (BRANCHE REGNANTE ASCENDANTE ET DESCENDANTE DE SOSSO CAMARA, FONDATEUR DE DAMARO) LISTE DES ENFANTS DE KÈMO GNAMAN CAMARA DE DAMARO, ROI DE LA PROVINCE DE SIMANDOU (BEYLA, GUINÉE) LE MESSAGE D’UNION ET D’ENTENTE - OU LE TESTAMENT DE KÈMO GNAMAN À SES DIX-HUIT FILS FATA KÉOULÈN CAMARA: SES ENFANTS ET SES ATTRIBUTS LISTE NOMINATIVE COMPLÉTE DES ENFANTS DE FATA KÉOULÈN CAMARA DIT DIOMANI KÉOULÈN (KÉOULÈN DIOMANDÉ) OU ENCORE DIOMANI-TYÈ DE DAMARO, ANCIEN SOFAKUN (COMMANDANT) DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ ET ANCIEN CHEF DE CANTON DE SIMANDOU

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LES ATTRIBUTS DU ROI FATA KÉOULÈN CAMARA DE DAMARO, LE ROI DU SIMANDOU SYMPOSIUM SUR L’HISTOIRE DE DAMARO EN MARGE DE L’INAUGURATION DE LA MOSQUÉE DE DAMARO EN 2010 KÈMÈ BRAHIMA CAMARA DE DAMARO ET SA PROGÉNITURE LISTE DES ENFANTS DE KÈMÈ BRAHIMA CAMARA, FILS AÎNÉ ET CHEF TRADITIONNEL, SUCCESSEUR DE FATA KÉOULÈN CAMARA DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA ET SA PROGÉNITURE LISTE DES ENFANTS DE DIONTAN DJIGUIBA CAMARA, SIXIÈME FILS DE FATA KÉOULÈN, CHEF DE CANTON DE SIMANDOU, SUCCESSEUR DE KÈMÈ BRAHIMA ET AUTEUR DU PRÉSENT OUVRAGE À PROPOS DES CIRCONSTANCES DE LA COMPOSITION ET LA COMPOSITRICE DE « FARIN KAMAN FASA » (L’HYMNE POPULAIRE DES CAMARA DE GUINÉE ET DU LIBÉRIA) DOCUMENT DE LECTURE I: RÉSOLUTION GÉNÉRALE DE LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE DE LA GRANDE FAMILLE DES CAMARA DESCENDANTS DE KONSABA ET DE FONIKAMAN DOCUMENT DE LECTURE II: LETTRE DE REMERCIEMENTS DES CAMARA AU GÉNÉRAL LANSANA CONTÉ, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE NOTES ET BIBLIOGRAPHIE LISTE DES VILLAGES DIOMANDÉ DE SÉGUÉLA TOUBA (CÔTE D’IVOIRE) CHAPITRE VIII - MANDENKAYA (= MANINKAYA) OU LES ASPECTS DYNAMIQUES DE LA CIVILISATION MANDINGUE I - LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE MANDINGUE: LES STRUCTURES SOCIALES D’ANTAN DU MANDINGUE A) - LE POIDS NÉGATIF DE LA TRADITION B) - LES ASPECTS POSITIFS DE LA CIVILISATION TRADITIONNELLE MANDINGUE DOCUMENT DE LECTURE: L’HUMANISME, GRAND BIENFAIT DE L’AFRIQUE I - LA SEXUALITÉ JUVENILE CHEZ LE MANDINGUE AVANT LE MARIAGE II - LE MARIAGE DANS LA FAMILLE TRADITIONNELLE MANDINGUE COMMENT SE FAIT LE MARIAGE MANDINGUE (MANDEN FURU KÈNYA) A) - LE CHOIX B) - LES CRITÈRES DU CHOIX C) - LES NÉGOCIATIONS DU MARIAGE (FURUKO TAAMA) D) - LA PRÉSENTATION DES DIX NOIX DE COLA (WORO LABÒ) E) - L’EXCISION (KÈNÈ) DANS LE CADRE DU MARIAGE F) - LA DERNIÈRE DANSE DE LA MARIÉE DANS SA FAMILLE PATERNELLE OU LES DERNIÈRES REJOUISSANCES (DIYA LABAN) G) - LE DENBADON ET LE SAFINÈ MALÒ H) - LES CÉRÉMONIES DE MARIAGE (FURU SIRI = WORO SIRI) I) - LA DOT OU FURUFÈN = FURUNAFOLO J) - LES BIENS SYMBOLIQUES ET LES NUMÉRAIRES À OFFRIR PUBLIQUEMENT À LA JEUNE MARIÉE ET À SES PARENTS K) - LA CÉRÉMONIE D’ACCOMPAGNEMENT DE LA MARIÉE CHEZ SON MARI (KÒNYÒ MALÒ) L) - LA VIE CONJUGALE M) - LA PROCRÉATION (LA FÉCONDITÉ) vi

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N) - LEXIQUE DES NOMS ET PRÉNOMS MANDINGUES DICTIONNAIRE DE QUELQUES PRÉNOMS MASCULINS MANDINGUES DICTIONNAIRE DE QUELQUES PRÉNOMS FÉMININS MANDINGUES QUELQUES NOMS DE FAMILLES MANDINGUES OU MANDEN-DYAMU = MANDEN-LANBE O) - LA STÉRILITÉ ET LA FÉCONDITÉ P) - L’HISTOIRE DU MORIBADYASSA (MORYBA­DYASA), LE GÉNIE BIENFAITEUR Q) - LE DIVORCE R) - LA VIE DANS LA FAMILLE TRADITIONNELLE MANDINGUE S) - MONOGAMIE ET POLYGAMIE T) - LA VIE ENTRE LES COÉPOUSES OU LA LUTTE IMPLACABLE DES COÉPOUSES (SINAMUSOYA) U) - LES HOSTILITÉS FRATRICIDES (FADENYA = FADENYA KÈLÈ) V) - RAPPORTS ENTRE UN ÉPOUX OU UNE ÉPOUSE AVEC SES BEAUX-FRÈRES, SES BELLES-SŒURS, SES COUSINS ET SES COUSINES OU LA PRATIQUE FERTILE DU « NIMÒÒYA » (NIMÒÒYA TOLON) W) - LES FONDEMENTS INTANGIBLES DE L’ÉDUCATION TRADITIONNELLE MANDINGUE X) - RAPPORTS ENFANT-PARENTS: LE RÔLE PRÉPONDERANT DE LA MÈRE ET LES DIFFICILES RELATIONS DE L’ENFANT AVEC SON PÈRE Y) - L’INITIATION (KÈNÈ): LA CIRCONCISION ET L’EXCISION Z-A) LES CLASSES D’ÂGES OU LES SÈRÈ LISTE DES SÈRÈ CONSTITUÉS À DAMARO DE 1900 À 2021 Z-B) TYÉ OU TYÉKÈ DOCUMENT DE LECTURE : « LA CHARTE DE KURUKAN FUWA OU LES FONDEMENTS DE LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE MANDINGUE (MANDENKAYA) » SELON FEU SÉKOU KOUYATÉ, ORIGINAIRE DE BIDIKA DANS LA SOUS-PREFECTURE DE FRANWALIA (PRÉFECTURE DE SIGUIRI, RÉPUBLIQUE DE GUINÉE) COMPOSITION DE LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE MANDINGUE: MANDENKAYA SIINYA OU MANDENKAYA KÈNYA L’ORIGINE DE L’ORTHOPÉDIE TRADITIONNELLE DE BATÈ-NAFADJI (KANKAN, EN RÉPUBLIQUE DE GUINÉE) LES CONTRE-POUVOIRS OU LES CENSEURS DE CONSCIENCE DANS LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE MANDINGUE DOCUMENTS DE LECTURE: A - LES GRIOTS DOCUMENT DE LECTURE I: « LA POÉSIE AU SERVICE DE LA LUTTE EMANCIPATOIRE » DOCUMENT DE LECTURE II: « DEFENSE DES GRIOTS OU ARCHIVES AFRICAINES » DOCUMENT DE LECTURE III: LES GRIOTS DOCUMENTS DE LECTURE: B - LE SANANKUNYA LA PRATIQUE DU SANANKUNYA (TOLON) TABLEAU DE QUELQUES NOMS DE FAMILLE MANDINGUES, DE LEURS SYNONIMES (DYAMU, LANBE), DES ALLIÉS (SANANKUN) ET DE LEURS TOTEMS (TANA) LE DOUBLE PERSONNAGE DE DEUX CENSEURS DE LA SOCIÉTÉ: 1 - LE SÒSÒLIKÈLA ET 2 - LE SANGBAN vii

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1) - LE SÒSÒLIKÈLA 2) - LE SANGBAN I) - UN EXPLOIT EXCEPTIONNEL DU PERSONNAGE MYTHIQUE ET LÉGENDAIRE: - SANGBANYA FODÉ, SANGBANYA FÉRÉ DIT TYÈNIN GBANANIN (= LE MALIN, L’IMPUDENT, L’ESCROC) II) - SARA, LE SANGBAN POPULAIRE MALINKÉ DE KANKAN III) - EL HADJ SORY KANDIA KOUYATÉ, LE PLUS GRAND CHANTRE MODERNE DE L’ÉPOPÉE MANDINGUE IV - LE CAS DE KARIFAMORIATYÈ V - LE CAS DE SANSOBA SOLO KEITA DIT GBÈNSOTYÈ DOCUMENT DE LECTURE: PLAIDOYER DU DÉPUTÉ MAMBA SANO EN FAVEUR DES ANCIENS COMBATTANTS OU TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS SÉGRÉGUÉS ET INJUSTEMENT TRAITÉS NOTES ET BIBLIOGRAPHIE CHAPITRE IX - À PROPOS DE LA DÉMOCRATIE AFRICAINE OU LES VERTUS DE L’ARBRE À PALABRES LE POUVOIR POLITIQUE OU LA CHEFFERIE COÛTUMIÈRE MANDINGUE SCHÉMA DES MAGISTRATS ET DES CENSEURS DU POUVOIR TRADITIONNEL MANDINGUE L’INTERFÉRENCE OU LE RÔLE DE DECRISPATION DES CENSEURS DE CONSCIENCE ET DU POUVOIR DANS LES RELATIONS SOCIALES MANDINGUES LE CHOIX D’UN CHEF EN PAYS MANDINGUE OU COMMENT ON CHOISISSAIT LE ROI AU MANDINGUE (MANDEN MANSA LASII) LES ALLERGIES, LES SUSCEPTIBILITÉS ET LES PENCHANTS DU ROI, DU CHEF OU DU PRÉSIDENT EN AFRIQUE MODERNE (FARAFIN MANSA TANA ANI A DIYANANKO) LE SCHÉMA DE SÉKOU PHILO CAMARA OU L’ITINÉRAIRE DU DETENU POLITIQUE EN GUINÉE SOUS LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE (1958-1984) AVANTAGES ET RISQUES D’ÊTRE DANS L’INTIMITÉ D’UN CHEF L’EXEMPLE DE MALADRESSE OU D’EXCES DE LANGAGE D’UNE ÉPOUSE DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ DOCUMENT DE LECTURE: « L’HOROSCOPE CHEZ LE MALINKÉ » LE SACRIFICE (SARAKA) A - EN CAS DE MALHEURS B - EN CAS DE RECHERCHE OU DE PRÉSERVATION DU BONHEUR C - OBJETS DE SACRIFICES LE SENS DE LA VIE ET LA GESTION DE LA MORT CHEZ LE MANDINGUE « SAYA MINANYA MANDEN KÒNÒ » LES CAUSES DU SUICIDE ET DE L’HOMICIDE VOLONTAIRE CHEZ LE MANDINGUE: LE SENS DE LA DIGNITÉ ET DE L’HONNEUR AU MANDINGUE LES CAUSES DU SUICIDE ET DE L’HOMICIDE VOLONTAIRE AU MANDINGUE L’ANNONCE DE LA MORT D’UNE PERSONNE AU MANDINGUE, « SAYA LABÒ », « SAYA LATII » OU « SA NA TII » A) - COMMENT ON PROCLAME LA MORT D’UNE PERSONNE AU MANDINGUE B) - L’ENTERREMENT (SUDON = SUTARALI = BAALÈÈ) C) - LES OBSTACLES À FRANCHIR PAR LE CORPS AVANT viii

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L’INHUMATION D) - LES OBSÉQUES AU MANDINGUE (SUKOYA = DYAMAKO = DYAMA LADYÈ) LA PÉRIODE DE VEUVAGE (FIRINYA TA = DYALA TA = LANA TA = LANA LASI) LA FIN DU VEUVAGE (LANA BILA = FIRINYAFANI BILA = FANI BILA) NOTES ET BIBLIOGRAPHIE

1020

CHAPITRE X - LES FOULAH DE BEYLA (GUINÉE) OU LES BASSANNO-FOULAH NOTES ET BIBLIOGRAPHIE

1044 1047

CHAPITRE XI - LES KAMÈ OU KOUROUMA OU DOUMBIA OU FAKOLISI DE LA GUINÉE FORESTIÈRE (BEYLA, KÉROUANÉ, MACENTA, LIBÉRIA…) MOUVEMENTS MIGRATOIRES DES FAKOLISI (KOUROUMA, KAMÈ, DOUMBIA) EN GUINÉE FORESTIÈRE À PARTIR DE MOUSSADOU L’HISTOIRE DES KOUROUMA DE MACENTA: L’ITINÉRAIRE ET LA GÉNÉALOGIE DES KOUROUMA À PARTIR DE MOUSSADOU ET DE GBABADOU (KÉROUANÉ, GUINÉE), L’HISTOIRE TUMULTUEUSE DE SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA, SELON FATA BAKARY DIAN DIT KABILA NOTES ET BIBLIOGRAPHIE

1022 1030 1033 1037

1049 1051

1054 1085

ÉPILOGUE

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ANNEXE I: LES MANIFESTATIONS DU SOUVENIR OU LES FUNÉRAILLES NATIONALES ORGANISÉES LORS DU RAPATRIEMENT DES RESTES DES HÉROS DE LA RÉSISTANCE À LA COLONISATION DE L’AFRIQUE PAR L’OCCIDENT OU « LES MARTYRS DU COLONIALISME » L’EMPEREUR ALMAMY SAMORY TOURÉ, LE ROI ALPHA YAYA DIALLO DE LABÈ ET DE MORIFINDIAN DIABATÉ (FIDÈLE CONSEILLER ET AMI D’ENFANCE DE SAMORY TOURÉ)

1099

ANNEXE II: EN MARGE ET AU CŒUR DU SYMPOSIUM SUR LES SOUVENIRS MARQUANTLE PREMIER CENTENAIRE DE L’ARRESTATION ET DE LA MORT DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ (1898-1998), ORGANISẾ À CONAKRY DU 29 SEPTEMBRE 1998 AU 1ER OCTOBRE 1998

1128

ANNEXE III: AU CŒUR DES VESTIGES HISTORIQUES DU TATA DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ À SANANKORO (KÉROUANÉ)

1135

ANNEXE IV: QUELQUES TÉMOIGNAGES ÉCRITS DE CERTAINS ÉRUDITS DE L’HISTOIRE AFRICAINE SUR LE PRÉSENT OUVRAGE - LETTRE DE MONSIEUR HOUIS, DIRECTEUR DE L’IFAN DE GUINEE - LETTRE DE MAURICE MONTRAT - LETTRE DU PROFESSEUR THÉODORE MONOD DE L’IFAN DE DAKAR - LETTRE DU PROFESSEUR MODY SÈKÈNÈ CISSOKO DU MALI - LETTRE DU PROFESSEUR JEAN SURET-CANALE - OBSERVATIONS DU PROFESSEUR JOSEPH-NOËL APRES LECTURE DE LA DEUXIÈME PARTIE DU MANUSCRIT - LES TÉMOIGNAGES OU LES AVEUX INVOLONTAIRES ET TARDIFS, EN 1968 ET EN 1972, DU PROFESSEUR YVES PERSON (COUPABLE D’IMPOSTURE), AUTEUR DE PLUS DE 3.000 PAGES CONSACRÉES À L’HISTOIRE DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ (LE DERNIER EMPEREUR MANDINGUE) o LA PREMIÈRE LETTRE DU PROFESSEUR YVES PERSON EN 1968 o LA DEUXIÈME LETTRE DU PROFESSEUR YVES PERSON EN 1972 - DEUXIÈME LETTRE DU PROFESSEUR MALIEN MODY SÈKÈNÈ CISSOKO ix

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LETTRE DE MONSIEUR ANTOINE KONAN KANGA, MAIRE D’ABIDJAN LETTRE DE FEU EL HADJ ABOU DOUMBIA, ANCIEN PDG DE LA SOCIÉTÉ IVOIRIENNE DE BANQUE (SIB) - LETTRE DE FEU IBRAHIMA BABA KAKÉ, PROFESSEUR D’HISTOIRE À LA SORBONNE ANNEXE V: VERS L’ÉDITION DU MANUSCRIT, LES TÉMOIGNAGES EN 2016 DE DR. MARIE RODET (PROFESSEUR D’HISTOIRE AFRICAINE À LONDRE) ET DE DR. ÉLARA BERTHO (AGREÉE DE LITTÉRATURE ET DR EN LITTÉRATURE, CHARGÉE DE RECHERCHES AU CNRS À LA SORBONNE ET À L’UNIVERSITE DE BORDEAUX) -

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ANNEXE VI: VERS L’ÉDITION DE LA VERSION ENRICHIE DU MANUSCRIT À TRAVERS SES TOME I ET TOME II PAR DAOUDA DAMARO CAMARA (FILS HÉRITIER SPIRITUEL DE L’AUTEUR) ET DR. JAN JANSEN (ENSEIGNANT CHERCHEUR DE L’UNIVERSITÉ DE LEIDEN, LES PAYS-BAS)

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ANNEXE VII: RAPPEL NÉCESSAIRE DU DEUXIÈME CAS D’IMPOSTURE ET D’ABUS DE CONFIANCE À PROPOS DU DÉTOURNEMENT D’UNE COPIE DU TAPUSCRIT DU PRÉSENT OUVRAGE PAR L’IMPOSTEUR KÈFING DONZO DE NIONSOMORIDOU (BEYLA) (ANCIEN DÉPUTÉ, ANCIEN QUESTEUR DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE GUINÉENNE, ANCIEN SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA SECTION PDG-RDA DE BEYLA) OU L’ABUS DE CONFIANCE DE L’IMPOSTEUR KÈFING DONZO

1222

ANNEXE VIII: PLAINTE DE DAOUDA DAMARO CAMARA EN 1964 CONTRE KÈFING DONZO POUR ABUS DE CONFIANCE ET IMPOSTURE

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ANNEXE IX: NOTES INTRODUCTIVES DE KÈFING DONZO DE SON « PRÉTENDU MANUSCRIT » QUI N’EST AUTRE QUE LE MANUSCRIT DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA DETOURNÉ ET MALADROITEMENT PLAGIÉ DANS SON INTEGRALITÉ

1241

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LES MOTIVATIONS DE L’AVENTURE INTELLECTUELLE DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA (UN HISTORIEN CHERCHEUR AUTODIDACTE) Pour justifier sa motivation réelle en relevant ce défi méprisant et raciste de l’exclusion arbitraire de l’Afrique Noire de l’histoire universelle, Damaro Diontan Djiguiba Camara écrit, plus loin, dans l’avant « AVANT-PROPOS » de son présent ouvrage: « J’ai donc écrit sur le passé de nos pères en ce coin d’Afrique où ● Soundjata Keita, l’illustre Empereur Mandingue, ● El Hadj Oumar Tall, le Saint Walid ou Musulman de Dinguiraye, ● L’Almamy Samory Touré, le plus grand conquérant et résistant Noir du XIX siècle à la conquête coloniale française de l’Afrique Occidentale, ● Tiéba Traoré, Roi de Sikasso, un autre résistant, ● Ba Bemba Traoré, Grand Roi et patriote irréductible qui, après une longue et âpre résistance à l’occupation française du Kénédougou, s’est vaillamment suicidé pour éviter de tomber dans les mains des officiers français qui ont détruit sa forteresse après quinze jours d’intenses bombardements et qui l’auraient sans nul doute humilié avant de le tuer, ce que l’Almamy Samory Touré n’a malheureusement pas osé faire, ● Béhanzin, un autre célèbre résistant à la colonisation, sont tous des Héros, des patriotes africains et des modèles africains à suivre à bien d’égards. Ce sont des Héros à louer, à encenser, qui ont marqué leur époque et dont les souvenirs sont encore vivaces dans la mémoire collective des peuples noirs. Ils ont été des conducteurs de peuples qui ont su s’imposer à leurs contemporains. À ces figures de proue, sans qui les choses ne seraient pas devenues ce qu’elles ont été, nous devons nous identifier dans plusieurs domaines. En effet, ils incarnent encore incontestablement des idéaux et nous manifestent les originalités mêmes de notre identité culturelle. J’ai voulu ébaucher un travail aussi ardu de recherches historiques sans avoir les qualifications intellectuelles et universitaires appropriées qu’exigent cette science et la sagacité rigoureuse des chercheurs. Mais en dépit de ces carences notoires dont je suis conscient, j’ai voulu combler, avant qu’il ne soit tard ou trop tard, les graves et nombreuses lacunes en essayant de jeter une lumière crue et appropriée sur ce passé ténébreux. Dans ma démarche de collecte de nos traditions orales en perdition, j’ai voulu faire de l’histoire sans égocentrisme. Mais devant le vide évident, large, profond et préoccupant que nous avons constaté, au regard de la méconnaissance totale de notre histoire, du mépris qu’ils ont pour notre culture dans laquelle tout n’est pas à rejeter, et à l’heure 1


où, devant l’acculturation de plus accentuée de nos jeunes, phénomène dû très souvent à un manque grave et criard de documents authentiques et devant aussi l’expansion dangereuse de la xénophobie et de la persistance des conceptions erronées de l’Europe sur l’Afrique, notre passé tend à s’incorporer à l’histoire générale de l’humanité, il était nécessaire: ● Que des voix africaines authentiques s’élèvent pour clamer la vitalité et la crédibilité de nos traditions orales, ou plus précisément les aspects positifs et dynamiques de nos septicités culturelles, ● Que des hommes, profondément ou suffisamment imprégnés des originalités de notre identité culturelle, parlent en parfaite connaissance de causes, ● Que des chercheurs en mal d’inédits chantent les gloires et les misères de nos aïeux. Ils sont très mal connus ces ancêtres. Et pourtant ils ont mené une lutte chevaleresque pour un idéal de grandeur que nous devons avoir la fierté de pérenniser en partie. Et j’espère qu’un jour viendra où des savants, des sociologues, des ethnologues, des historiens, des archéologues..., plus compétents que moi, appréhenderont mieux et dégageront méthodiquement tous les faits significatifs et positifs de ce beau et riche passé. Ils auront donc la lourde tâche d’inventorier, de discriminer et d’agencer dans leur ordre chronologique des faits et gestes inédits, ou suivant leur importance et leur intérêt pour les besoins de l’étude et d’une vie sociale harmonieuse. Mais il faut noter que cette campagne de sauvetage de nos vertus et des aspects positifs et dynamiques de notre culture ne saurait être efficacement menée sans une réelle volonté politique de nos gouvernants, sans aussi l’implication de nos institutions exécutives, législatives et judiciaires. En tout cas nous ne devons aucunement renoncer aux aspects dynamiques de notre passé et de notre culture qui doivent subsister pour informer sainement notre présent afin de nous permettre d’éviter les erreurs passées et d’envisager un avenir réaliste, en pleine harmonie avec la civilisation universelle. Oui! L’histoire est un enseignement civique enrichissant dont il faut tirer des leçons utiles pour éclairer le présent et dégager un avenir radieux qui, tout en s’adaptant à la modernité, doit faire la part au nécessaire et préserver nos spécificités culturelles. En effet, informées objectivement sur notre passé débarrassé de ses tares et éduquées sainement, les générations futures doivent se mettre au diapason de la modernité universelle en tirant des leçons utiles de notre passé culturel et en faisant preuve d’adaptation utile et réaliste sans pour autant se dénaturer. Cependant, pour les héritiers privilégiés d’un beau et riche passé que nous sommes, notre devoir d’aînés est d’éclairer sincèrement et sainement les jeunes, car ils ont besoin de guides sûrs, de repères, de vertus référentielles et de points de mire pour se reconnaître dans ce monde où la civilisation moderne, avec son inexorable optimisme, introduit chaque jour des mœurs nouvelles,

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parfois répréhensible et perverses, qui tendent à tout voiler, à tout déformer, même les hommes. » « Oui! Le constat du déficit, de la mutation et de la déviation est amer, écœurant et aberrant. En effet la consommation de plus en plus généralisée de la drogue, de l’alcool, la pratique déshonorante de l’homosexualité, la débauche organisée et institutionnalisée, les accoutrements vestimentaires indécents de notre jeunesse dans nos villes, l’individualisme à outrance, le mercantilisme exacerbé, et bien autres tares et dépravations de nos mœurs… sont des pratiques dégradantes inconnues dans nos sociétés traditionnelles africaines qui ont toujours sécurisé et pris en charge l’individu démuni, quel que soit son état physique, mental ou quelle que soit sa condition de vie et la maladie dont il souffre. Chaque individu était intégré entièrement dans la société, et bénéficiait, à toutes les occasions, d’une solidarité totale et d’une assistance matérielle et morale permanentes. Malheureusement, notre contact avec l’occident nous a imposé de nouvelles normes de vie, une nouvelle civilisation perverse dont la nocivité a dangereusement modifié le comportement quotidien de notre jeunesse devenue de plus en plus acculturée, corrompue, naïvement snobe et qui, par voie de conséquence de ces pratiques, se dépersonnalise en abusant de ces emprunts nocifs importés d’Europe, d’Amérique, d’Asie… C’est pour cette raison que nous devons vite corriger le tir réagissant devant la disparition quasi-quotidienne des derniers dépositaires de notre culture, devant aussi la montée imperturbable de notre complexe d’infériorité , vis-à-vis de nos bourreaux culturels, sans oublier la persistance des préjugés racistes injustifiés des européens à l’encontre des peuples noirs qu’ils bafouent en leur reniant, par mauvaise foi, toute participation à l’histoire universelle. Pour eux, l’Afrique n’a ni histoire, ni passé, ni culture dignes et intéressants, susceptibles d’apporter quelque chose de positif à l’humanité. Cependant, ayons aussi l’honnêteté morale et intellectuelle de reconnaître que le contact ou la confrontation brutale de l’Afrique assoiffée de Liberté avec l’Europe impérialiste a eu aussi bien des effets positifs que des aspects négatifs qu’on ne saurait nier ; occulter ou oublier que par mauvaise foi. Mais pour relever ce défi, notons qu’aucun livre d’histoire générale de l’Afrique digne, écrit par un africain patriote, ne saurait donc passer sous silence, cette douloureuse et pénible période de notre histoire et ses conséquences fâcheuses et abominables pour l’Afrique Noire. OUI! Les conséquences désastreuses de cette rencontre brutale et malheureuse des deux continents, sont aujourd’hui condamnées par la conscience humaine, sur beaucoup de plans. Nous effleurons donc cette douloureuse et triste parenthèse consacrée à la traite négrière sans que ça ne soit le thème principal de notre livre. Mais il faut évoquer ce choc afin que les générations futures sachent ce qui s’est réellement passé, si douloureux soit-il. » 3


« Les spécialistes de cette douloureuse période de notre histoire pourront mieux l’appréhender que moi. Mais on ne saurait nier l’évidence. En effet, si aujourd’hui l’Afrique jouit pleinement des biens faits de la science, de la technologie, de la médecine… que lui a apportés l’Europe, doitelle pour autant oublier ou occulter les horreurs de la traite négrière transsaharienne et transatlantique qui, pendant plus de quatre siècles, a réduit en esclavage, tué ou déporté aux Antilles et en Amérique des dizaines de millions d’esclaves Noirs? Qu’on sache que seuls les hommes et les femmes robustes et valides étaient recherchés, faits esclaves et déportés. On ne prenait et déportait que les hommes vigoureux aux bras valides (et des femmes belles et solides pour reproduire permanemment cette race humaine). L’Europe et les pays arabes peuvent-ils être excusés pour cette forfaiture inhumaine, insoutenable et indéfendable? NON! ET NON! Bien au contraire, nous exigeons que l’Europe, coupable de ces barbaries, doit avouer ses crimes abominables et ses bavures, réparer cette catastrophe humaine en présentant au moins ses excuses à l’Afrique Noire, sa victime, si le dédommagement matériel et financier n’est pas possible. En tout cas nous attendons une réparation morale et matérielle pour atténuer les conséquences de cette tragédie humaine sans précédent qui explique en partie le retard et le dépeuplement de l’Afrique. (Elle a effectivement détruit des millions de bras valides qui étaient les meilleurs de leurs temps.) Cette tragédie interpelle donc tous les Noirs et nous impose par conséquent un droit permanent de mémoire envers les victimes de la traite négrière et de la colonisation. On peut certes pardonner, mais on ne doit pas oublier les horreurs, les cruautés, les sévices physiques et moraux commis, car la plaie est béante, douloureuse et trop profonde. Il reviendra à d’autres Africains plus spécialisés en la matière de rappeler aux générations futures ce qui s’est réellement passé. Mais le droit à l’information doit prévaloir sans haine, et ni racisme (impudent). Cependant notre devoir d’aînés dépositaires de sagesse, de nos spécificités culturelles et imbus de nos traditions orales, n’est pas de braquer les jeunes en leur proposant, par chauvinisme, une résistance active systématique à la civilisation occidentale qui n’est pas à rejeter en bloc. On ne doit pas non plus se résigner devant ces préjugés impénitents. Plutôt que de créer ou d’envenimer un conflit culturel, notre souci est d’amener ces européens racistes à nous connaître et à nous comprendre progressivement afin qu’ils cessent de continuer à nous traiter avec mépris de parias. Notre souci est aussi d’aider nos jeunes à se reconnaître et à tolérer les autres peuples, les autres civilisations afin de pouvoir déterminer objectivement ce qu’il y a d’utile à préserver dans

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notre culture ou à emprunter à la civilisation occidentale, sans pour autant nous dépersonnaliser. Les Européens et les autres peuples doivent aussi faire inversement le même effort d’emprunt qualitatif à notre culture. Pour atteindre cet objectif de symbiose, il revient à nous, les aînés, d’enseigner à nos jeunes l’Amour, la Tolérance et les Vertus de notre culture nègre qu’ils auront la charge de transmettre, à leur tour, aux autres générations futures. Il s’agit de prouver à ces européens racistes le caractère profondément humanitaire de notre civilisation dont les fondements sont entre autres : ● La vie communautaire, ● La solidarité effective, ● L’humanisme, ● Le respect scrupuleux des aînés par les cadets, ● Le sanankunya, ● Le sèrèdenya, ● Le nimòòya, ● L’altruisme intégral, ● Le partage du bien-être et du malheur... Etc. … Ils doivent donc se débarrasser de leurs multiples préjugés racistes, car tout n’est pas répréhensible dans notre civilisation. De même la leur n’est pas sans reproche. En fait, aucune civilisation n’est parfaite, d’où l’utilité absolue de la mise en contact, de l’interpénétration et du brassage méticuleux des différentes civilisations afin de favoriser les emprunts utiles réciproques nécessaires, facteurs d’enrichissement, tout en donnant la possibilité à chacune d’elle de conserver ses spécificités culturelles. Dans cette perspective, ou dans nos propos, notre but est de contribuer à la détente, à l’instauration de la tolérance. Notre souhait est de nous aider à nous comprendre mutuellement pour mieux nous aimer fraternellement afin de réaliser la paix individuelle, familiale, sociale et universelle, l’esprit de bon voisinage entre les états et entre les différents pays. Par expérience, nous savons que la concorde profite mieux à tous, car elle nous évite la destruction inutile des vies humaines et des biens matériels durement ou difficilement acquis au prix d’un effort soutenu, contrairement à la discorde, à la guerre… Que le dialogue et la paix prévalent dans les relations humaines. Oui! Mon cher ami N’Dorè Fodé Donzo, pour mieux aimer un pays, il faut connaître son histoire et sa culture. Cette histoire et cette culture sont des enseignements civiques que d’autres chercheurs, plus spécialisés que moi, collectent, développent et enseignent aux nouvelles oreilles. Mon but initial était de dégager une entité régionale, de faire connaître à ceux qui l’ignorent qu’il y a ou qu’il y avait effectivement ici une organisation sociale harmonieuse, très bien structurée et plus

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philanthropique, un attachement profond de l’homme à son sol, à ses coutumes, à ses traditions, donc à sa culture. Il faut donc qu’on sache que les Noirs d’Afrique n’étaient pas des sauvages qui vivaient comme des animaux dans la nature, errant ici et là, sans habitat fixe, sans organisation, sans structure, sans loi… C’est bien le lieu et la nécessité de rappeler l’existence de la fameuse constitution dite « LA CHARTE DE KURUKAN FUWA » OU « LA LOI FONDAMENTALE DU MANDINGUE ». (Cette constitution n’est-elle pas considérée, par certains historiens et constitutionalistes, comme étant la première ou la plus harmonieuse constitution de l’humanité?) Cette loi fondamentale, dont l’humanité entière peut s’inspirer pour s’équilibrer, a pu organiser les MANDENKA pour vivre en harmonie et leur a permis d’élaborer des lois précises pour gérer et sécuriser la vie et les biens des individus. D’autres spécialistes traiteront suffisamment un jour, je l’espère bien, ce thème pour donner la preuve de l’existence d’une société structurée. D’ailleurs, FARIN KAMAN CAMARA s’en inspira, au XVIIème siècle, pour élaborer un riche code pénal pour régir ses sujets à Moussadou, dans tout le Konya et dans toute la région forestière. En confrontant la monographie du Konya à celle des autres provinces mandingues, on constate aisément une identité culturelle quasi-totale des structures sociales, des différents sous-dialectes, des coutumes et des us. Ainsi il sera plus facile aux spécialistes de faire la synthèse en vue de dégager une civilisation mandingue. Et j’espère que mon ouvrage contribuera dans une certaine mesure à cette synthèse des différents aspects très similaires de la civilisation mandingue. Mon but était aussi de faire connaître certaines erreurs, de relever certaines défectuosités dues à un manque notoire de documentations authentiques sûres et souvent aussi à un parti pris aveugle. Mon but était également de rabattre l’orgueil des bourgeois d’aujourd’hui et des intellectuels déracinés, de rehausser le prestige de l’armature qui, évidemment, puise ses pouvoirs et sa vitalité dans la volonté ancestrale qui est, avant tout, une justice, un idéal de grandeur et un patriotisme qui doit nous inspirer. À d’autres spécialistes reviendra, ai-je dit, le soin de faire, mieux que moi, une étude plus exhaustive de l’héritage culturel puisé au terroir ancestral, de toucher des doigts les grandes questions historiques, de dégager leurs incidences immédiates et futures sur la vie sociale, politique, culturelle et économique d’aujourd’hui et de demain. » Conclut Damaro Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent livre.

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Mon père, Damaro Diontan Djiguiba Camara, devenu par hasard historien chercheur, nous a gratifiés d’un fabuleux héritage culturel et historique qui est le fruit de trente-quatre longues années (1929-1963) de recherches inlassables sur les traditions orales mandingues et sur l’histoire évolutive de l’Almamy Samory Touré, Empereur emblématique mandingue, le plus grand conquérant et résistant noir du XIXème siècle à la colonisation française de Afrique qu’il a combattue pendant dix-sept ans de farouche lutte. Cet Héros de la résistance africaine, en de ça des Pyrénées, supporte indéniablement et admirablement bien la comparaison avec Napoléon Bonaparte, Empereur Français au-delà des Pyrénées qui fait la fierté des Français. L’Almamy Samory Touré, Empereur Mandingue ambitieux et hautain atteint, tout comme Napoléon BONAPARTE par le virus de la mégalomanie, voulut conquérir tout le Soudan Occidental, tout comme Napoléon Bonaparte qui voulut faire autant en Europe. Mais Samory fut finalement vaincu par le « Général Famine » qui décima progressivement son armée affaiblie, dans un pays forestier étranger hostile, loin de son pays natal dans la savane herbeuse douce, peu accidentée, alors que le rêve semblable de vouloir conquérir toute l’Europe de l’égocentrique Napoléon Bonaparte se heurta de son côté à l’hostile et impitoyable « Général Neige » qui détruisit, comme une lame au fond d’un cul de sac en toile, loin de sa douce France, l’armée impériale napoléonienne essoufflée. Cet impitoyable coup de grâce divin désillusionna et dissuada le Conquérant Corse. Et pour la première fois, son étoile scintillante dans le firmament de l’Europe pâlit et son symbole, l’aigle, dans toute sa splendeur baissa la tête et fut contraint d’abandonner son utopique projet. Les deux empereurs, faits prisonniers par leurs ennemis jurés, moururent enfin de compte exilés curieusement dans deux îles: ● l’Almamy Samory Touré dans l’île de Logoué au Gabon où il mourut et ● Napoléon Bonaparte, de son côté, rendit à Dieu son dernier soupir dans l’île de Sainte Hélène. Ainsi donc, la ressemblance curieuse de leur cursus, de leur destin singulier et de leur tragique fin est tout aussi identique que troublante. En effet et curieusement notre Napoléon Noir, aux cheveux crépus, a connu le même parcours, le même destin singulier, inattendu et la même fin tragique que le Corse. Il s’agit donc de deux empereurs, nés en deux contrées et en deux époques différentes, que nous découvrons dans l’histoire de l’humanité. En effet, ayant heureusement constaté à temps le déficit ou le manque total de documents écrits authentiques sur les traditions orales mandingues en voie de disparition, il fut convaincu, avant beaucoup de personnes, de l’urgence de la collecte et de la transcription des traditions orales, de la culture et des récits historiques authentiques des Africains.

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C’est donc sans être un spécialiste en la matière que mon père Damaro Diontan Djiguiba Camara osa s’embarquer dans cette noble, ambitieuse et passionnante aventure intellectuelle aux résultats parfois lents et incertains. Aussi, ● Sans l’assistance d’un maître-nageur, il s’est audacieusement jeté dans le fleuve en crue qu’il a pu heureusement traverser sans se noyer, non sans difficultés ou sans risques. ● Sans un secrétariat compétent, ● Sans maîtrise de la méthode scientifique spécifique et approprié de la recherche, ● Sans au départ une aide ou une assistance qualifiée, ● Sans instructeur approprié, ● Sans conseiller averti, ● Sans consultant pour le diriger, ● Sans être muni d’un magnétophone ou de tout autre instrument moderne approprié pour enregistrer à chaud la minute des interviews et faciliter les enquêtes... Ce fut donc dans un tel contexte difficile que mon père entreprît son aventure intellectuelle très hasardeuse. Ainsi donc, comme instrument de travail dans cette ambitieuse et audacieuse aventure, il ne possédait qu’un bic et un cahier au service d’une mémoire féroce et fidèle et d’une vision futuriste imperturbable. Mais aussi, ● Sans sa persévérance, inaccessible au découragement, ● Sans sa farouche volonté de vouloir bâtir quelque chose d’utile et mémorable à léguer à la postérité africaine, ● Sans surtout sa confiance imperturbable en lui-même et au bien-fondé de ce qu’il faisait, ● Sans sa conviction du bien-fondé de sa démarche et de la réussite de son ambitieux projet... Il n’aurait jamais pu mener à bon port un tel travail de longue haleine de collectes des traditions orales mandingues en perdition, et pourtant si alléchantes et si passionnantes à connaître. Le résultat de ce travail ardu, fastidieux et fascinant de cet historien chercheur autodidacte est digne d’éloges, car, pour le faire, il ne bénéficiait que d’une simple formation intellectuelle très primaire d’un interprète colonial dont l’unique vocation et le seul devoir étaient de servir fidèlement de courroie de transmission entre les colons blancs et leurs sujets indigènes noirs et vice versa. Son but était surtout: ● de combler des lacunes, en informant les générations futures sur notre passé culturel et historique.

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● de restaurer une page glorieuse de l’histoire et de la culture mandingues et africaines, ou de restaurer et de rehausser l’armature d’un édifice ébranlé, croulant, malgré son solide socle, ● de démontrer que les Noirs ont, comme tous les autres peuples du monde, un passé, une histoire et une culture dans lesquels tout n’est pas à rejeter, car, « au rendez-vous universel des civilisations » l’Afrique Noire a bien son mot à dire à travers ses nombreuses vertus humaines qui sécurisent l’individu, harmonisent la société et dont certaines sont inventoriées par Damaro Diontan Djiguiba Camara dans cet ouvrage. Dans sa difficile démarche de sauvetage des éléments dynamiques de notre passé historique et culturel, il était bien conscient de l’imperfection de son travail et des insuffisances de son présent ouvrage qui, comme nous l’espérons vivement, doivent être considérés comme une modeste mais précieuse contribution positive à l’effort général de réhabilitation de l’histoire et de la civilisation mandingue et africaine. Ainsi donc, il savait, qu’étant un non spécialiste en la matière, son livre qui est une œuvre humaine ne peut être parfaite. Mais pour lui, il fallait commencer, avant qu’il ne soit tard ou trop tard, la noble, l’urgente et la patiente tâche de sauvetage de l’oubli ce qui, dans notre riche passé historique et culturel, pourrait ou devrait être sauvé, au contact des derniers survivants dépositaires de notre culture violemment agressée, menacée de désagrégation et de disparition par l’influence nocive, violente et quotidienne des pratiques culturelles dépravées importées de l’Occident. Il savait également que l’histoire africaine, à cette époque - et même en son état actuel - se trouvait et se trouve encore beaucoup plus dans la mémoire collective, défaillante, malléable et souvent capricieuse des peuples que dans les livres. Mais, en raison de son niveau intellectuel primaire, cause justificative des faiblesses de son travail, son opiniâtreté, son effort louable et son initiative opportune de sauvetage qu’il n’a cessés de déployer pendant trois décades (1929-1963) ne pouvaient faire l’unanimité et surtout donner entière satisfaction à tout le monde, notamment à la sagacité des chercheurs, des érudits et des critiques de l’histoire africaine, car il s’agit bien, avons-nous dit, d’une œuvre humaine solitaire et surtout de celle d’un non spécialiste, de celui qui s’est improvisé historien chercheur audacieux, ambitieux et prétentieux. Mais nous pensons que son œuvre qui est une abondante et riche moisson, matérialisée par cet opuscule, que nous publions à titre posthume, en valait la peine, car elle a le mérite de restaurer quelques pages glorieuses de notre passé culturel et historique. IL faut savoir qu’il s’agit bien d’une riche moisson qui est une savoureuse source intarissable d’informations, d’enseignements et de repères balisés pour guider les jeunes historiens chercheurs, les ethnologues, les sociologues... dans le labyrinthe obscur et sinueux de notre passé dont tous les méandres sont loin d’être entièrement connus et cernés, comme le constate Amadou Hampâté Bâ qui propose, en raison de l’urgence de la collecte des 9


traditions orales en perdition, qu’avec un peu de moyens matériels et financiers, qu’il est maintenant possible d’engager et de réussir une campagne de sauvetage et de restauration systématique de l’essentiel de notre passé historique et culturel avant qu’il ne soit tard, ou trop tard après la disparition définitive des derniers dépositaires, encore vivants, de cette civilisation. Il conseille de procéder comme à la cueillette des fruits dans un verger: « Il faut d’abord cueillir les fruits, les mettre ensuite en vrac dans les mêmes paniers, puis procéder calmement, après, au tri systématique, à la catégorisation et au calibrage ou, disons, à la sélection rigoureuse de ce qui est bon à conserver, à consommer, à offrir ou à vendre tout en éliminant ses avaries. » De son côté Mamba Sano dit: « Mais comment réhabiliter ce qu’on ignore, si louable soit-il? Or, notre passé, passionnant et glorieux, fourmille de hauts faits et de grandes actions encore peu connus... Il nous appartient de les découvrir nous-mêmes afin de les rétablir dans leur réalité et dans leur dignité, car en ce domaine exaltant où éclate l’identité de l’Être Pensant sous tous les cieux et sous toutes les latitudes, l’Afrique ne craint pas la comparaison avec les autres parties du monde? » s’interroge ce vénérable homme politique guinéen, imbu de culture. Par ailleurs, Mamba Sano poursuit: « Et puis toutes les informations impartiales, tous les documents, tous les indices et matériaux authentiques nécessaires à ordre chronologique pour en dégager les grandes lignes de clivages conformes au processus de l’évolution historique de la Guinée et de l’accomplissement de pareille besogne, sont loin d’être entièrement connus, réunis, décortiqués, ventilés, inventoriés, classés et agencés dans leur l’Afrique en connexion logique avec la marche générale du progrès humain à travers les races, les institutions et les civilisations complémentaires du monde, » conclut-il. Le Tome I de ce recueil, sur les traditions orales historiques et culturelles mandingues, contient des informations et des enseignements qui constituent un bréviaire dont auront sûrement besoin les générations futures sur ce chemin tortueux et difficile de la recherche qui est désormais balisé par des vertus collectées, inventoriées et agencées. Cet ouvrage doit leur permettre d’étancher sainement et sûrement, et à une source limpide, leur ardente soif de connaître la vie de nos ancêtres dont le glorieux passé, à bien d’égards, doit subsister afin que les jeunes puissent s’en inspirer au lieu de continuer à singer naïvement et mal-droitement les pratiques culturelles perverses importées de l’occident. Aussi, le Tome II de son ouvrage qu’il consacre à l’histoire évolutive de l’Almamy Samory Touré, héros emblématique mandingue, est un recueil non complaisant de faits et de gestes authentiques, inédits, fraîchement puisés au contact des derniers survivants de cette illustre épopée qui nous enseigne la noblesse de la piété filiale et exalte le patriotisme et le culte du respect scrupuleux de la parole d’honneur donnée.

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Il faut donc noter que tout au long de ce travail ardu et exaltant de recherches, Damaro Diontan Djiguiba, qui fit preuve de patience, de persévérance et d’abnégation, savait, comme Voltaire, que: « Quiconque écrit l’histoire de son temps - ou celle de son pays - doit s’attendre qu’on lui reprochera tout ce qu’il a dit et tout ce qu’il n’a pas dit. » VOLTAIRE (cité dans Maurice Bouvier-Ajam, « Essai de méthodologie historique, » p. 8) Soyez donc indulgent envers ce chercheur autodidacte en tolérant les faiblesses de son modeste ouvrage pour n’en retenir que la sève nourricière. Veuillez donc adopter l’attitude du chercheur humble soucieux et avide d’apprendre ce qu’il ignore que conseille le vénérable traditionaliste Amadou Hampâté Bâ qui écrit: « La véritable attitude scientifique n’est-elle pas, comme ailleurs, celle du chercheur qui sait oublier ce qu’il sait, afin d’avoir une chance d’apprendre ce qu’il ne sait pas? » Je souhaite donc vivement que, par mansuétude, vous l’accueillerez favorablement en lui réservant une place de choix dans votre bibliothèque personnelle et espère aussi que vous le considérerez comme étant une modeste contribution d’un non-spécialiste à l’effort général de sauvetage et de restauration de l’histoire et de la civilisation mandingue et africaine. Par ailleurs, en lieu et place de mon père, l’auteur du présent ouvrage, je m’ouvre à vos critiques, mêmes les plus acerbes, et à vos suggestions les plus constructives, afin de l’améliorer à la prochaine édition. DAOUDA DAMARO CAMARA (fils-héritier spirituel de Damaro Djiguiba Camara, qui a eu le privilège et la lourde mission d’enrichir, de parachever et de publier le présent ouvrage à titre posthume.)

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QUELQUES CITATIONS SUR LE DEVOIR DE L’HISTORIEN « L’histoire, en notre siècle, a compris que sa véritable tâche était d’expliquer (comment les évènements se sont passés). » Paul VEYNE (« Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 9) Par conséquent: « Laissez-moi vous expliquer ce qui s’est passé et vous allez comprendre (le déroulement des évènements). » Paul VEYNE (« Comment on écrit l’histoire, » p. 68) En effet: Cette démarche n’est-elle pas nécessaire? ► Pour écrire et réhabiliter, nous-mêmes, notre propre histoire et notre propre culture? ► Pour relever le défi de l’exclusion de l’Afrique de l’histoire universelle? ► Et pour démolir les inepties et les jugements racistes infamants qui attestent ou soutiennent résolument, par mauvaise foi et par mépris, que l’Afrique Noire n’a: ● Ni histoire et ● Ni culture...? ----------o---------« Que des hommes cultivés, des historiens de surcroît, aient pu écrire sans broncher des inepties de ce calibre (comme quoi l’Afrique n’a pas d’histoire) pourraient faire douter de la valeur de l’histoire comme discipline formatrice de l’esprit. Certains parmi nos meilleurs amis, voire nos maîtres, succombent à ce pêché mignon de l’historien européen. Un grand historien comme Charles André Julien, va jusqu’à intituler un paragraphe de son ouvrage sur l’Afrique: « L’Afrique Pays Sans Histoire », dans lequel il écrit: « L’Afrique Noire, la véritable Afrique, se dérobe à l’histoire. »

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Professeur Joseph KI-ZERBO (« Histoire de l’Afrique Noire ») ----------o---------« Mais qu’on sache que chaque peuple a sa culture et son histoire dans lesquelles tout n’est pas à rejeter avec mépris. Cette évidence ne saurait être niée par mauvaise foi. Nous n’avons donc pas le droit d’ignorer toutes les autres cultures en niant les vertus positives et enrichissantes certaines que chacune d’elles renferme, car tout n’est pas à rejeter dans la vie des autres. » Daouda Damaro CAMARA (fils-héritier spirituel de l’auteur du présent ouvrage) ----------o---------« Pour tout lecteur pourvu d’esprit critique, et pour la plupart des professionnels… les peuples qu’on dit sans histoire sont plus simplement des peuples dont on ignore l’histoire et que les « Primitifs » ont un passé comme tout le monde. » Paul VEYNE (« Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 22) ----------o---------« Nous sommes persuadés que l’histoire africaine doit s’écrire en donnant aux sources africaines une place prépondérante, et non plus uniquement en se focalisant sur les sources coloniales. Votre famille a eu la tâche et le mérite de collecter et de conserver pendant des dizaines d’années un patrimoine historique, culturel et littéraire précieux, et notre souhait est de le rendre accessible au plus grand nombre… » Élara BERTHO, Docteur agrégée en littérature, chargée de recherches CNRS/LAM (Sorbonne) et à l’Université de Bordeaux-France, et Jan JANSEN, Docteur, maître de conférences, chercheur en histoire africaine (les Malinké du Nord) à l’Université de Leiden (en annexe leur lettre commune de témoignage de l’Université de Leiden, les Pays-Bas, du 18 janvier 2018) ----------o----------

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« Le fait de n’avoir pas d’écriture ne prive pas pour autant l’Afrique d’avoir un passé, et une connaissance. L’écriture est une chose et le savoir en est une autre. L’écriture est la photocopie du savoir, mais elle n’est pas le savoir lui-même. Le savoir est une lumière qui est en l’homme. Il est l’héritage de tout ce que les ancêtres ont pu connaître et qu’ils nous ont transmis en germe tout comme le baobab est contenu en puissance dans sa graine. Bien entendu, cette connaissance héritée et transmise de bouche à oreille peut soit se développer, soit s’étioler. Elle se développe là où existent des centres d’initiation et des jeunes gens pour recevoir la formation. Elle se perd partout où l’initiation disparaît. » Amadou Hampâté BÂ (« Aspects de la civilisation africaine, » Édition Présence Africaine, p. 22) ----------o---------« Ce Centre Régional de Documentation pour la Tradition Orale (CRDTO) a pour vocation essentielle la collecte systématique et intensive, avec un personnel formé à cet effet, des traditions orales en tant que sources de culture et véhicule de pensée et de civilisation africaine, dont les dépositaires traditionnels ont commencé à disparaître. Cette collecte doit permettre d’approfondir et de mieux faire connaître les cultures africaines, à une heure où tous les Africains éprouvent le besoin de prendre conscience de leurs origines et de leur histoire, afin de mieux situer leur évolution contemporaine. Elle doit également permettre aux rédacteurs de l’Histoire générale de l’Afrique de tenir compte de sources orales jusqu’alors non encore exploitées… » Amadou Hampâté BÂ (« Aspects de la civilisation africaine, » Édition Présence Africaine, p. 36)

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RELATIVITÉ DES RÉCITS HISTORIQUES ----------o---------« L’Histoire parle de ce que jamais on ne verra deux fois; il n’est pas question non plus de prétendre qu’elle est subjectivité, perspectives, que nous interrogeons à partir de nos valeurs, que les faits historiques ne sont pas des choses, que l’homme se comprend et ne s’explique pas, que, de lui, il ne peut y avoir de science. Il ne s’agit pas, en un mot, de confondre l’être et le connaître… » Paul VEYNE (« Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 9) ----------o---------« En histoire comme au théâtre, tout montrer est impossible, non pas parce qu’il faudrait trop de pages, mais parce qu’il n’existe pas de fait historique élémentaire, d’atome événementiel. Il est impossible de décrire une totalité et toute description est sélective… (Il faut donc obligatoirement choisir). L’objet de l’étude n’est jamais la totalité de tous les phénomènes observables en un temps et en un lieu choisis, mais toujours certains aspects seulement qui en sont choisis…. Selon Hayek « toute connaissance historique est nécessairement relative, déterminée par notre « situation » et vouée au changement avec l’écoulement du temps »; le noyau de vérité que contient l’assertion concernant la relativité de la connaissance historique est que les historiens s’intéresseront à divers moments à des objets différents, mais non qu’ils soutiendront des opinions différentes sur le même objet… Il est évidemment impossible de raconter la totalité du devenir et il faut choisir… Il est donc littéralement vrai d’affirmer, avec Marrou, que toute historiographie est subjective. Le choix d’un sujet d’histoire est libre et tous les sujets se valent en droit… Aucun historien ne décrit la totalité de ce champ (champ événementiel), car un itinéraire doit choisir et ne peut passer partout… (à la fois ). » Paul VEYNE (« Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 37 et p. 18) ----------o----------

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LE DILEMME DE PAUL VEYNE ----------o---------1) - « Est-il possible d’écrire l’histoire sans juger? » (Paul Veyne, « Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 124) ----------o---------2) - « L’historien a-t-il le droit de juger ses Héros? » (Paul Veyne, « Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 124) ----------o---------3) - « Puisque l’histoire consiste à dire ce qui s’est passé, et non à juger, l’historien n’a pas à juger… » ----------o---------Il poursuit à la page 127: 4) - « L’historien peut-il toujours se dispenser de juger les jugements de valeurs… » ----------o---------Mais contradictoirement, Léon Strauss soutient que: 5) - « L’historien ne peut pas se passer des jugements de valeur. » ----------o---------Par conséquent: 6) - « L’historien ne peut pas ne pas formuler de jugements de valeur, sinon il ne pourra même pas écrire l’histoire. » ----------o----------

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Toutefois qu’on sache, comme Paul Veyne, que: 7) - « L’historiographie la plus chauvine peut donc se montrer objective sans qu’il n’en coûte beaucoup, puisque le patriotisme n’a pas besoin de fausser la vérité pour être… » Paul VEYNE (« Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 60) ----------o---------8) - « Faut-il présenter l’histoire conformément à l’idéal politique ou social de l’historien? Si oui, dans ce cas, combien de versions de l’histoire aurons-nous? Et quelle sera la version la plus crédible? Car on peut bien se trouver en présence de plusieurs thèses rattachées, chacune, à une doctrine particulière ou à des intérêts particuliers. » ----------o---------Comme le dit si bien le Professeur Maurice Bouvier-Ajam, « Essai de Méthodologie Historique, » Édition le Pavillon, p. 29: 9) - « Selon que cet historien a une conception de l’histoire cynique ou généreuse, matérialiste ou utopique, aristocratique ou démocratique, bourgeoise ou socialiste, selon qu’il croit à une fatalité de l’évolution ou à une évolution imposée par le changement du rapport des forces il mettra en évidence, pour affirmer et illustrer sa thèse, tels événements ou tels autres seulement... » ----------o---------10) - « Le vécu tel qu’il ressort des mains de l’historien n’est pas celui des acteurs; c’est une narration, ce qui permet d’éliminer certains faux problèmes. Comme le roman, l’histoire trie, simplifie, organise, fait tenir un siècle en une page… » H.I. MARROU (Encyclopédie de la Pléiade, « Le métier d’historien; l’histoire et les méthodes, » p. 29) ----------o----------

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11) - « En aucun cas ce que les historiens appellent un évènement n’est saisi directement et entièrement; il l’est toujours incomplètement et latéralement; à travers des documents ou des témoignages; disons à travers des tekmeria, des traces. Même si je suis contemporain et témoin de Waterloo, même si je suis le principal acteur et Napoléon en personne, je n’aurai qu’une perspective sur ce que les historiens appelleront l’évènement de Waterloo: je ne pourrai laisser à la postérité que mon témoignage qu’elle appellera trace s’il parvient jusqu’à elle. Même si je suis Bismarck qui prend la décision d’expédier la dépêche d’Ems, ma propre interprétation de l’évènement ne sera peut-être pas la même que celle de mes amis, de mon confesseur, de mon historien attitré et de mon psychanalyste, qui pourront avoir leur propre version de ma décision et estimer mieux savoir que moi ce que je voulais. Par essence, l’histoire est connaissance par documents. Aussi la narration historique se place-t-elle au-delà de tous les documents, puisqu’aucun d’eux ne peut être l’évènement; elle n’est pas un photomontage documentaire et ne fait pas voir le passé en direct, comme si vous y étiez… » Paul VEYNE (« Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 14-15)

En définitive, que dire ou que faire devant ce difficile dilemme? Puisqu’il est question de l’objectivité et de la véracité des récits historiques, nous avouons sincèrement qu’il est très difficile d’échapper au permanent problème des jugements de valeur en histoire, car pour une raison ou une autre l’historien choisit des sujets, des thèmes ou des éléments parmi tant d’autres. Il peut être séduit ou rebuté par le héros qu’il étudie et prendre ainsi sciemment ou inconsciemment position par rapport à une situation donnée ou par rapport à un acte sublime ou cynique de son héros. Ainsi, il se voit-il obligé de glorifier ou de blâmer celui-ci. N’est-il pas difficile ou impossible pour un historien contemporain ou témoin de la destruction de son village, sur ordre d’un souverain ou d’un général, d’écrire le récit relatif à cet évènement sans prendre position contre ou sans condamner cet acte barbare dont sont victimes ses parents? En tout cas l’historien autochtone d’un tel village décimé ne saurait justifier, glorifier ou défendre un tel acte. Aussi, involontairement, il peut tomber sur des sources tendancieuses qui s’identifient au héros concerné, qui magnifient, qui adulent celui-ci ou qui travestissent le sujet et les évènements traités dans un sens non objectif ou, disons, qui n’est nullement conforme ou fidèle à la réalité et à la vérité historique. Les récits historiques sont relatifs. Ils sont donc forcément subjectifs, car ils dépendent très souvent de l’état d’âme, des sentiments personnels et de la 18


nature des relations de l’historien, de celle de son clan, de son milieu social et de celle de ses sources d’informations avec le Héros ou avec le sujet étudié. Le choix des mots, des phrases, des idées, du style et des thèmes pour décrire l’évènement est relatif. Ainsi donc on peut se trouver devant deux ou plusieurs versions différentes d’un même évènement. C’est ainsi que chaque auteur aura sa version suivant ses sensibilités. Convenons donc, désormais, avec Paul Veyne, que nous n’échapperons pas au problème des jugements de valeur en histoire, car nous serons toujours sous l’influence de nos sensibilités et intérêts personnels, de ceux de notre clan, de notre société, de notre pays ou de notre Patrie.

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PRÉLIMINAIRES ----------o---------QUELLES SONT LES RAISONS PROFONDES DE LA RÉHABILITATION DES ASPECTS DYNAMIQUES DE L’HISTOIRE ET DE LA CIVILISATION AFRICAINES? ■ POUR RÉPONDRE AU RACISME PERNICIEUX, IMPÉNITENT, AVILISANT ET INHUMAIN DE L’OCCIDENT ■ POUR LE REVEIL SALUTAIRE DE L’AFRIQUE AFIN: - DE RELEVER LE DÉFI QUI EXCLUT ARBITRAIREMENT L’AFRIQUE DE L’HISTOIRE UNIVERSELLE - DE RELEVER LE DÉFI DU DÉNIGREMENT DE NOTRE CIVILISATION - DE RELEVER LE DÉFI DU MANQUE D’ÉCRITURE PROPRE À L’AFRIQUE - DE RELEVER LE DÉFI DE L’IGNORANCE ----------o---------« Que serait l’Afrique sans les blancs? Rien; Un bloc de sable; La nuit; La paralysie; Les paysages lunaires. L’Afrique n’existe que Parce que l’homme blanc l’a touchée. » Victor HUGO (1802-1885) (« Discours sur l’Afrique » du 18 mai 1879) ----------o---------Comment qualifier les propos insensés ou les inepties de cet éminent penseur et poète français qui s’est bien apitoyé sur le sort des misérables? Comment peut-il oser nier l’existence de l’Afrique, le berceau de l’humanité?

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Ne savait-il pas que la première et la plus célèbre civilisation consciente de l’humanité était la civilisation égyptienne, donc africaine et de surcroît le fait des nègres? Victor Hugo! Sache et admet que la civilisation hellénique dont vous vous glorifiez tant vient de l’Égypte. Car tes allégations gratuites sont soit de l’ignorance pure et simple de l’histoire de l’humanité, soit de la mauvaise foi. L’Afrique est bien loin de ce que vous pensez. Elle avait bien une civilisation vertueuse qui était donc plus humanitaire, plus sociable, plus protectrice de l’individu que vous êtes venus détruire pour nous imposer la vôtre qui est profondément égoïste, injuste, individualiste, exclusive, matérialiste et dans laquelle l’individu vit au désarroi, dans une perpétuelle hantise pour sa survie... ----------o---------Que dire aussi de cette autre ineptie paternaliste du Gouverneur Camille Guy de la Guinée Française, quand il écrit dans sa circulaire du 25 janvier 1911, sur un ton paternaliste et arrogant: « Sachez que nous vous connaissons tous par votre nom, il n’y a pas de vos villages dont nous n’avons entendu parler et dont nous n’occupions, nous connaissons vos intérêts, nous voulons votre bien, comprenez bien que les Français travaillent pour vous et que si parce que nous sommes plus intelligents et plus instruits, nous vous dirigeons, vous devez tous sans exception nous écouter, suivre la route que nous vous traçons. Nous sommes pour vous comme le père et la mère et suivre leurs conseils avec obéissance convaincu que ce n’est que son bien qui en résultera. » Remarquez le ton très paternaliste écœurant et inadmissible de ce colonialiste complexé. ----------o---------« [P]our le nègre, au contraire, la danse est avec la musique, l’objet de la plus irrésistible passion. C’est parce que la sensibilité est pour presque tout sinon tout, dans la danse. Ainsi le nègre possède au plus haut degré la faculté sensuelle sans laquelle il n’y a pas d’art possible; et d’autre part, l’absence des aptitudes intellectuelles le rend complètement impropre à la culture de l’art, même à l’appréciation de ce que cette noble application de l’intelligence des humains peut produire d’élevé. Pour mettre ses facultés en valeur, il faut qu’il s’allie avec une race différemment douée. Le génie artistique (...) n’a surgi qu’à la suite de l’hymen des blancs avec les noirs. » Joseph Arthur de GOBINEAU (1816-1882) (cité par Cheikh Anta Diop, « Nations nègres et culture, » p. 56) 21


----------o---------« Béhanzin fit preuve d’une valeur personnelle peu commune. S’il eut vécu sous d’autres cieux et si la Providence lui eut fait don d’une enveloppe de nuance claire, nul doute qu’il ne fût devenu un homme très remarquable. Instinct guerrier, audace, courage dans le combat, constance dans la défaite, ruse, finesse, il possédait toutes les qualités natives qui, développées, réunies, fortifiées par l’étude, par l’instruction et par l’expérience, font de Grands Capitaines. » Un colonialiste sur Béhanzin (tiré de « L’Histoire générale de l’Afrique noire » par Joseph Ki-Zerbo) ----------o---------« L’Occident nous a malheureusement appris à mépriser les sources orales en matière d’histoire; tout ce qui n’est pas écrit noir sur blanc étant considéré sans fondement. Aussi même parmi les intellectuels africains, il s’en trouve d’assez bornés pour regarder avec dédain les documents parlants que sont les griots et pour croire que nous ne savons rien ou presque rien de notre passé, faute de documents écrits. Ceux-là prouvent tout simplement qu’ils ne connaissent leur propre pays que d’après les blancs. » Djibril Tamsir NIANE (Auteur de « Soundjata ou l’épopée mandingue ») ----------o---------« On nous a mis une autre peau, maintenant il nous faut reprendre la nôtre... » Amadou Hampâté BÂ (le sage de Bandiagara, poète, romancier, spécialiste des traditions orales africaines) ----------o---------« Cheikh Anta Diop défendait d’abord cette idée simple que les Noirs, comme tous les autres peuples de la terre, avaient une histoire et une culture, et que quel que soit l’état de celles-ci, elles méritaient d’être étudiées, élucidées et devaient être pleinement assumées par ceux-là même qui étaient les acteurs et

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les créateurs. » (Ainsi que par leur progéniture, devrait ajouter Cheikh Anta Diop) Doué GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » p. 13, inspiré de « Nations, nègres et culture » que Aimé Césaire considéra comme étant « le livre le plus audacieux qu’un nègre ait jusqu’ici écrit. ») ----------o---------MAIS QU’ON SACHE AUSSI... « Que l’antériorité des civilisations nègres est un thème lié à celui de l’origine nègre de l’humanité… Aujourd’hui, d’une part la génétique est venue confirmer les données paléoanthropologiques qui avaient permis de placer le berceau de l’humanité en Afrique Noire (et donc le peuplement de l’Égypte Antique ne pouvait être que le fait des Noirs), et d’autre part, le développement de l’égyptologie mondiale, plus particulièrement les travaux de l’école africaine d’égyptologie, permettent de confirmer, une fois de plus, que c’est dans la Vallée du Nil qu’apparurent les premières et les plus brillantes civilisations de l’humanité à l’époque antique. Les Grecs à qui les études helléniques avaient attribué à tort la première civilisation consciente d’elle-même, étaient enfin de compte allés puiser tous les éléments de celle-ci en Égypte Antique, sur la terre des pharaons, c’est-à-dire chez les Noirs de l’Antiquité… » Cheikh Anta DIOP (cité par Doué Gnonséa dans « Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » p. 14) ----------o---------« En effet, la vérité gênante était que le Nègre à qui on déniait toute civilisation, était celui-là même qui en fut le premier dépositaire de l’humanité avant de la transmettre aux autres peuples et notamment aux Grecs, ancêtres culturels de ses futurs bourreaux de l’aventure esclavagiste et coloniale... Et cette vérité avait comme corollaire la destruction des dogmes politico-religieux sur lesquels reposaient jusqu’alors la domination de l’Afrique et l’asservissement du Monde Noir par l’Occident. » Doué GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 12) 23


----------o---------« L’Occident est arrivé en Afrique avec ses normes et ses idéaux en tentant de faire table rase de nos coutumes, de nos idées et de nos habitudes. Que l’Occident nous aide à nous servir du tracteur ou de la pénicilline, soit. Mais de grâce qu’il nous laisse nos coutumes et nos valeurs. » Amadou Hampâté BÂ (« Jeune Afrique » No 1095 du 30 décembre 1981) ----------o---------COMMENT FAIRE RENAÎTRE LES ASCPECTS DYNAMIQUES DE L’HISTOIRE ET LA CULTURE AFRICAINES? ----------o---------« Il est du devoir de chaque peuple de disposer intégralement de son patrimoine culturel pour s’y référer en toute légitimité et par nécessité, lorsqu’il le juge utile. » Doué GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 284) ----------o---------« L’impartialité et l’incorruptibilité de l’histoire ne sont possibles que dans la Liberté et l’Egalité, lesquelles sous-entendent l’Indépendance des Esprits et des Nations. C’est pourquoi les omissions et les silences volontaires, souvent imposés, sont aussi, sinon plus graves que les falsifications faciles à déceler par leur outrance et leur parti-pris aveugle qui polarisent alors l’attention, aiguisent le sens critique, obligent à la réflexion et à la discrimination pour arriver à une opinion personnelle valable. Mais comment réhabiliter ce qu’on ignore, si louable soit-il? Or, notre passé, passionnant et glorieux, fourmille de hauts faits et de grandes actions encore peu connus. Il nous appartient de les découvrir nous-mêmes afin de les rétablir dans leur réalité et dans leur dignité, car en ce domaine exaltant où éclate l’identité de l’Être Pensant sous tous les cieux et sous toutes les latitudes, l’Afrique ne craint pas la comparaison avec les autres parties du monde. » 24


Mamba SANO (Pionnier de l’enseignement en Guinée et en Afrique, et premier Député de la Guinée à l’Assemblée Nationale Française de 1946 à 1956) ----------o---------« ‘Modernisme’ n’est pas synonyme de rupture avec les sources vives du passé. Au contraire, qui dit ‘Modernisme’ dit ‘Intégration d’éléments’ mais qui dit ‘Intégration d’éléments nouveaux’ suppose un milieu intégrant lequel est la société reposant sur un passé, non pas sur sa partie morte, mais sur la partie vivante et forte d’un passé suffisamment étudié pour que tout un peuple puisse s’y reconnaître. » Cheikh Anta DIOP (« Nations, nègres et cultures, » p. 16) ----------o---------« Les intellectuels doivent étudier le passé non pas pour s’y complaire, mais pour y puiser des leçons. » Cheikh Anta DIOP (« L’Unité culturelle de l’Afrique noire, » p. 9) ----------o---------« Il est du devoir de chaque peuple de disposer intégralement de son patrimoine culturel pour s’y référer en toute légitimité et par nécessité, lorsqu’il le juge utile. » Doué GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop,Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 284) ----------o---------« Les Noirs peuvent encore aller tirer des leçons dans leur passé. (…) Les leçons que les Noirs peuvent encore tirer de leur histoire pour construire leur avenir, c’est qu’en matière de démocratie, les Africains ne sauraient recevoir de leçons de la part de quiconque et surtout pas des Européens et des autres Occidentaux. » 25


Doué GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 312) ----------o---------« Restaurer l’histoire authentique africaine, prendre en considération la culture africaine et son rôle dans l’éducation et le développement politicoéconomique de l’Afrique n’est pas du racisme à rebours, ni du narcissisme, mais bien la mission historique qui incombe aux scientifiques, hommes politiques, enseignants, parents, intellectuels et aux autres responsables et acteurs de la vie africaine. » Cheikh Anta DIOP (cité dans Doué Gnonséa, « Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 319-320) ----------o---------« L’intellectuel qui a eu le privilège d’aller à une autre école a découvert un autre monde qui lui a montré que son prochain existe. Mais cette acquisition ne doit pas l’empêcher de revenir à la source pour se rechercher soi-même, de manière à pouvoir se présenter à celui qui lui fait découvrir beaucoup de chose. Il faut que ce soit l’Afrique, pensée par l’Africain lui-même, qui se présente à l’Occident. Et pour cela, il faut que nos intellectuels que je considère comme des usines modernes bien montées, aillent chercher auprès des dépositaires la matière qu’ils doivent élaborer. Je veux dire que l’intellectuel doit aller chez son père ou chez les vieux du village, les écouter et oublier ce que l’école occidentale lui a appris. Parce que l’école occidentale lui a appris quelque chose à la fois puissant et dangereux. » Amadou Hampâté BÂ (Membre statutaire de l’UNESCO, ex-ambassadeur du Mali à Abidjan, sage de Bandiagara, le grand traditionaliste de l’Ouest Africain s’adressant aux intellectuels africains)

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COMPARAISON DE SOCIÉTÉS SOCIÉTÉ OCCIDENTALE MODERNE « Ce que les humains appellent leur civilisation n’est guère que confusion et incohérence. (…) Le Japon, tout comme nos sociétés occidentales, connaît une prospérité économique fulgurante, doublée hélas! d’un désarroi social fort inquiétant. (…) Nos sociétés capitalistes semblent croire que l’objet de la vie est la poursuite effrénée du pouvoir, de la renommée et surtout des richesses. Elles sont devenues des ploutocraties peu soucieuses d’objectifs nobles et altruistes. Chez l’homme raisonnable, le système d’affrontement consiste en d’innombrables formes de concurrence, en particulier dans la lutte pour le succès, le pouvoir, le prestige. Sa raison le pousse aux extrêmes, à la rigidité, à la cruauté. (…) Quand elle sent son prestige menacé, elle n’hésite pas à exterminer les opposants par millions comme cela s’est vu couramment au cours de l’histoire. »

SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE AFRICAINE « La tradition africaine est basée dans sa globalité sur la solidarité et la collectivité… La tradition donnait une place de choix au travail collectif, à l’entraide dans l’acceptation la plus large de ce terme. Travail collectif, défense collective, vie collective, respect strict de l’engagement de servir le « Faso », c’est-à-dire la Patrie. Il suffit à l’Afrique d’aujourd’hui de s’en imprégner pour accélérer son développement. » Tidiane DEM (ancien ministre ivoirien, dans « Bingo » N° 338 de mai 1985) ----------o-------« En Afrique le colonisateur ne s’est pas contenté d’occuper le terrain, il est allé jusqu’à confisquer nos âmes. C’est vrai, nous autres africains, nous avons perdu jusqu’à nos traditions. De sorte que si l’on veut à présent se développer, il faut commencer par renouer avec nos traditions, quitte à élaguer certaines branches. Toutefois, il faut savoir qu’élaguer signifie couper certaines branches, et non le tronc. »

Ali GAGNON (« Société en Péril, » L.C.E., p. 11 et p. 17) « Les Noirs étaient inférieurs aux Blancs, ils n’avaient d’autre histoire que celle qui commence avec l’arrivée des colons blancs, les cultures noires étaient primitives; le Nègre, doué seulement d’une grande capacité émotionnelle, avait une mentalité

Amadou Hampâté BÂ (« Jeune Afrique » N° 1095 du 30 décembre 1981) ----------o---------« La société traditionnelle, c’est d’abord le sens de l’honneur de la famille. L’individu n’existe pas par lui-même, il ne compte pas. Il est le pion de la famille. Il lutte non pas 27


prélogique qui le prédisposait ni à la raison, ni à la création d’une quelconque civilisation, et ce faisant, l’amélioration de son sort ne pouvait venir que de sa rencontre avec les hommes blancs, mais seulement après avoir au préalable été contraint de sauver son âme en se convertissant à la religion coloniale. »

pour son bonheur, mais pour celui de la famille. Partout où il voit un des siens en situation difficile, il se fait un devoir de lui venir en aide. On ne voyait jamais en Afrique la famille rejeter un de ses membres sous prétexte qu’il était sourd-muet, aveugle ou qu’il n’était pas rentable. Rejeter un membre de la famille invalide aurait constitué un blasphème. »

Esprit ou pensée paternaliste des racistes Joseph Arthur Comte Prof. Elikia M’BOKOLO de GOBINEAU (1816-1882) et (« Bingo » N° 309 de l’octobre 1983) Cardinal Désiré Joseph MERCIER (1851-1926), un évangéliste belge au Congo « La vérité gênante était que le Nègre à qui on déniait toute civilisation, était celui-là même qui en fut le premier dépositaire de l’humanité avant de le transmettre aux autres peuples et notamment aux Grecs, ancêtres culturels de ses futurs bourreaux de l’aventure esclavagiste et coloniale. » ----------o---------« L’antériorité des civilisations nègres constitue également un autre grand thème issu des travaux scientifiques de Cheikh Anta Diop. Ce thème est lié à celui de l’origine nègre de l’humanité qu’il soutint courageusement à l’époque, contre vents et marées. Aujourd’hui, d’une part, la génétique est venue confirmer les données paléontologiques qui avaient permis de placer le berceau de l’humanité en Afrique noire (et donc le peuplement de l’Égypte antique ne pouvait être que le fait des Noirs), et d’autre part, le développement de l’égyptologie mondiale, plus particulièrement les travaux de l’école africaine d’égyptologie, permettent de confirmer une fois de plus, que c’est dans la Vallée du Nil qu’apparurent les premières et les plus brillantes civilisations de l’humanité de l’époque antique. Les Grecs à qui les études hellénistiques avaient attribué à tort la première civilisation consciente d’elle-même, étaient enfin de compte allés puiser tous les éléments de celle-ci en Égypte antique, sur la terre des Pharaons, c’est-à-dire chez les Noirs de l’Antiquité. » Cheikh Anta DIOP (cité dans Doué Gnonséa, « Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 12 et 14)

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PRÉFACE Mon Doyen et vieil ami, Damaro Diontan Djiguiba Camara, avait mis la dernière main à un travail fouillé sur la société traditionnelle mandingue et sur l’Almamy Samory Touré, le héros emblématique Mandingue, avant de mourir en 1963. C’est ce travail très substantiel que ses fils Daouda Damaro Camara et El Hadj Nouny Ibrahima Kalil publient à titre posthume en me demandant de le présenter aux lecteurs. Ce manuscrit, documenté, nourri de faits et gestes inédits dont certains m’étaient inconnus, m’a vivement intéressé. Aussi, ai-je avec plaisir accepté de le présenter au public. Il s’agit d’une histoire ou plutôt d’une contribution hautement positive à l’histoire du Mandingue qui doit renaître de ses cendres. Il s’agit aussi de celle du plus grand conquérant noir du XIXème siècle, car qui peut se targuer de vouloir vider un tel débat perpétuellement ouvert à la sagacité de nos chercheurs, d’épuiser d’emblée un tel sujet d’envergure, d’embrasser dans ses implications et imbrications sociales, ses ramifications et conséquences lointaines, ses manifestations multiformes et ses créations diverses, toutes les phases, tous les tenants et aboutissants d’une telle vie hors-série, tous les aspects d’une telle figure de géant, en un mot de camper Samory avec exactitude, ampleur et sûreté dans la gloire de son œuvre nationale et africaine face à l’état actuel d’ébullition révolutionnaire et de mystique de libération intégrale de notre continent dont il incarna si magnifiquement le génie spécifique et les aspirations innées au moment le plus pathétique de son histoire: celui âpre et haletant de sa confrontation tragique avec une Europe assoiffée d’exploitation et de domination coloniale, c’est-à-dire hélas! à la veille même de la perte brutale de sa souveraineté et de sa liberté? Et puis, toutes les informations impartiales, tous les documents, tous les indices et matériaux authentiques nécessaires à l’accomplissement de pareille besogne, sont loin d’être entièrement connus, réunis, décortiqués, ventilés, inventoriés, discriminés, classés et agencés dans leur ordre chronologique pour en dégager les grandes lignes de clivages conformes au processus de l’évolution historique de la Guinée et de l’Afrique en connexion logique avec la marche générale du progrès humain à travers les pays, les races, les institutions et les civilisations complémentaires du monde. Ce travail préliminaire d’exploration, d’investigation, de moisson et d’engrangement à mener par nous-mêmes pour la réhabilitation de nos célébrités, de nos figures de proue et de nos valeurs culturelles spécifiques d’antan retrouvées n’a effectivement commencé qu’avec notre prise de conscience africaine et notre promotion à l’indépendance totale, et Damaro Diontan Djiguiba Camara y apporte aujourd’hui sa contribution personnelle puisée au terroir au contact des survivants de la grande épopée samoryenne, car il est lui-même originaire de la patrie du héros emblématique mandingue qu’il magnifie. 29


Aussi, le tremplin de départ, le 28 septembre 1958, est-il à marquer d’une pierre blanche: c’est « la date-relais » où le destin changea de chevaux pour la Guinée et par ricochet pour l’Afrique. L’on ne saurait trop l’exalter: C’est la Fontaine de Jouvence de la Nation Guinéenne, de son Parti d’avant-garde et de son gouvernement. Parler de l’Almamy Samory Touré, c’est - après une éclipse de soixante ans - renouer notre passé de gloire et de fierté avec notre présent de responsabilité et de rénovation nationale pour l’édification d’une démocratie égalitaire répondant aux aspirations populaires. L’originalité de l’ouvrage me semble résider dans sa première partie qui est d’une savoureuse richesse de documentations, d’informations et d’enseignements aussi bien sur les structures politiques, sociales, culturelles, ethnologiques du Mandingue, que sur la répartition tribale des grandes familles locales de l’habitat avant la conquête française, ainsi que sur la genèse, la formation, la lente montée, la maturité et l’éclosion du génie du Faama de Sanankoro. La deuxième partie, traitant des heurts avec l’envahisseur, ne paraît pas apporter quelque chose d’essentiellement nouveau aux versions courantes. L’auteur ébauche une généalogie des Touré de Sanankoro: Samory serait la sixième génération née en Guinée d’un ancêtre venu du Soudan (actuelle République du Mali). L’indice est bon, mais cette filiation, selon certains historiens, irait jusqu’à Askia Mohamed le Grand dit Mohamed Touré qui porta l’Empire Songhaï à son apogée. Or ce Mohamed Touré n’était pas natif du pays. Originaire de Ouagadougou (Empire de Ghana), patrie d’Alpha Touré, père de Sékou, il était soldat au service du Sonni Ali Ber, Empereur de Gao, qui, satisfait de sa fidélité et de ses exploits, le nomma à la tête de son armée. Et, à la mort du souverain, son général, fort de son ascendant, lui succéda, substituant ainsi à la dynastie d’Ali Ber, celles des Askia qui régna sans interruption jusqu’à la conquête marocaine de Tombouctou. Il appert donc que c’est dans l’habitat Sarakollé de Ghana qu’il faut chercher le greffage sur un même arbre généalogique le point de jonction des lignées paternelle et maternelle du Président Ahmed Sékou Touré, fondateur de la République de Guinée. Ceux qui croient à la réincarnation pensent qu’Alexandre le Grand, Jules César, Hannibal, Gengis-Khan, Tamerlan, Attila, Napoléon... sont, à peu de variantes près, un même génie militaire revenu sous des formes, à des époques et en des contrées différentes. Napoléon Ier serait la plus haute expression du cénacle, et son plus mortel ennemi, Chateaubriand, apprenant sa disparition, dans un élan d’objectivité déclara: « En 1821 à Sainte-Hélène Napoléon Ier rendit à Dieu, le plus puissant souffle de vie qui anima jamais l’argile humaine. » 30


Et chose à la fois exaltante et glorieuse pour l’Afrique, c’est à une telle carrure d’homme, à une telle nature universellement reconnue exceptionnelle, qu’un farouche mais loyal adversaire, le Général Baratier, n’hésita pas à comparer l’Almamy Samory, lui donnant ainsi par le sommet le droit de cité parmi les plus illustres conquérants de l’humanité. Ce noble jugement qui se passe de commentaires, ne peut être taxé de plaidoyer pro domo sua parce qu’émanant d’autrui et de quel autrui! Aussi, j’ose espérer que le présent ouvrage, fruit d’un travail de longue haleine, inspirera beaucoup de chercheurs guinéens et africains pour participer activement au noble et exaltant combat pour le sauvetage et l’enseignement des aspects dynamiques de notre culture avant que ne disparaissent les derniers dépositaires de ce qui en subsiste encore. Il ne me reste plus qu’à souhaiter bonne chance et plein succès au livre de Damaro Diontan Djiguiba Camara sur la merveilleuse et authentique histoire du Mandingue et sur notre Napoléon Noir. MAMBA SANO

(Ex-instituteur sorti de la célèbre École Normale William Ponty de Gorêe [Sénégal] qui a été la pépinière des cadres africains d’avant l’indépendance. Il fut surtout un des pionniers de l’enseignement en Afrique Noire. 31


Premier Député de la Guinée à l’Assemblée Nationale Française de 1946 à 1956 [avec Yacine Diallo]. Il mourut le 4 juillet 1985 à Conakry dans un dénuement total, voire navrant et fut malheureusement enterré, sans le moindre honneur, dans un anonymat écœurant et inadmissible pour une personnalité politique aussi prestigieuse, aussi marquante, de son rang, qui a eu à modeler la cervelle molle de beaucoup de futurs cadres de la future et jeune République de Guinée, suivant un idéal de grandeur patriotique et d’abnégation. Nous expliquons cette triste fin par certainement les troubles sociaux intervenus, ce jour-là, à la suite de la tentative de renversement du nouveau régime militaire mis en place après la mort du Président Ahmed Sékou Touré par certains officiers de l’armée guinéenne. Ces douloureux événements, dont les graves répercussions ethniques et matérielles créèrent de profondes fissures et frustrations dans le fragile tissu social, ébranlèrent la Guinée en réveillant brusquement le vieux démon de l’ethnocentrisme et du régionalisme. Que Dieu sauve la Guinée! AMEN!) Identité: né vers 1900 à Kissidougou. Diplômé de l’Ecole Normale William Ponty, instituteur du cadre commun supérieur de l’AOF. Après avoir enseigné pendant quatre ans au Niger, il rentra en Guinée où il fut directeur d’école depuis 1931. Il obtient son certificat d’aptitude professionnel et son diplôme supérieur en 1943. Tendance politique: Membre influent du Parti Progressiste Africain de Guinée et de la section guinéenne du RDA qu’il abandonna en octobre 1948 avant d’en être exclu le 19 novembre de la même année, membre de l’Union Forestière et du Comité d’Entente Guinéenne; à l’Assemblée Nationale, il était inscrit au Groupe des Indépendants d’Outre-Mer. Une notice de renseignements de Police datée du 21 mars 1951 qualifie Mamba Sano de « personnage à l’aventure limitée qui n’en est pas moins sympathique par sa sincérité, son bon sens et sa connaissance profonde des couches sociales de son pays. » Mandats électifs: Conseil Général de 1946 à 1952. Député à l’Assemblée Nationale, de 1946 à 1955 Distinctions honorifiques: Médaille de Bronze des Instituteurs et Médaille d’Enseignement Agricole en 1943. (cité de « Esquisses biographiques des premiers députés guinéens [19451958], » Conakry, Éditions Universitaires, 1995, du Professeur Sidiki Kobélé Keita)

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BIOGRAPHIE DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA

Damaro Diontan Djiguiba Camara (1882-1963) « Seul l’homme qui n’a pas laissé de traces n’a pas de passé. » (Proverbe chinois) « L’homme qui a planté un arbre n’a pas vécu inutilement. » (Proverbe chinois) ----------o---------• Ex-élève de l’école des otages de Kayes (1895-1900) réservée aux fils des monarques vaincus par les armes et à ceux des alliés influents de l’administration coloniale. • Ex-interprète de l’administration coloniale (1900-1910). • Ex-chef de canton de Simandou (Beyla, Guinée Française) de 1929 à 1957. • Ex-conseiller territorial de Beyla, Guinée, en 1952. • Ex-grand conseiller de l’AOF en 1953. • Auteur du présent ouvrage qui lui valut 34 ans d’inlassables recherches. 33


Réalisations: • Construction en 1933, à la main, d’une route carrossable de 30 km, en 90 jours, avec un col de 450 mètres sur le flanc est du mont Simandou et une profondeur moyenne de 20 mètres, pour désenclaver le canton de Simandou. Cette route était régulièrement entretenue par la population pendant son règne (1929-1957). • Création en 1940 de la première école primaire du Simandou à Damaro. • Construction en 1952 du premier dispensaire du Simandou à Damaro. • Introduction de la culture attelée (charrue) en 1933 dans le cercle de Beyla. • Introduction du premier plan de manguier dans le Simandou. • Auteur du présent ouvrage sur les traditions orales et sur l’histoire du Mandingue et sur l’Almamy Samory Touré.

Photo de Damaro Diontan Djiguiba avec une partie de sa famille. On reconnaît: Assis de gauche à droite: Diankouba Finé Camara, son fidèle griot, Mantigné dite Tignet Fini, une de ses épouses portant sur ses genoux sa fille feue Maténin, DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA, le chef de canton et l’auteur du présent ouvrage, Mawa Koné, sa jeune épouse qui porte sur ses genoux Mawa N’Faly Camara, le benjamin des enfants, Colonel de la douane en 2018 à l’aéroport de Conakry. Debout de gauche à droite: Fressou Camara, son fils, Makorika Camara, une de ses filles, Mawagbè Camara, sa nièce, Saran Morioulèn Konè, son griot porte-chaise, Maténin Kaba Koné, son palefrenier.

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La dernière photo de Damaro Diontan Djuiba Camara avec son fils-héritier spirituel Daouda Damaro Camara, réalisée à Damaro le 2 Octobre 1962.

----------o---------« La vie de Damaro Diontan Djiguiba Camara fut une symphonie inachevée que ses héritiers, que nous sommes, ont le devoir et l’obligation de parachever, surtout ses œuvres en chantier. » Daouda Damaro CAMARA

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Sentant proche la fin de ses jours, mon père se confia à moi, le 2 octobre 1962 à Damaro, lors de notre dernière séparation. Dans un langage très pathétique, plein de désespoir, d’amertume et de courroux et d’indignation il me déclara: « Daouda, tu vas aujourd’hui à Conakry pour continuer tes études. Je t’encourage pour faire de bonnes études, car l’instruction et le savoir intellectuel: ● Nous permettent de combattre l’ignorance, ● Nous font découvrir les autres civilisations, ● Ouvre à chacun la connaissance universelle, la science, la technique et de nouvelles perspectives sur le monde… ● Bonne chance! Je profite de notre dernier entretien pour te demander de bien noter que nous ne nous reverrons plus, car j’ai 80 ans. À cet âge, l’homme doit savoir qu’il n’est pas éternel, qu’il est en transit dans ce monde terrestre et qu’ci bas il n’est qu’un vulgaire ou vulnérable passager et qu’il ne lui reste plus assez de temps à vivre. Je peux donc mourir d’un moment à un autre, sans préavis et probablement sous peu. J’en suis conscient… Saches aussi que depuis 1929, j’ai consacré l’essentiel de mon temps et de ma vie à la collecte et à la transcription des traditions orales de notre pays dans le l’unique but d’informer, d’éclairer et de guider les pas des générations futures dans les ténèbres et dans les méandres sinueux, obscurs et mystérieux de l’histoire et de la culture mandingue qui sont en grande partie inconnus et sont menacés de disparition. J’ai voulu relever le défi de l’exclusion de l’Afrique de l’histoire universelle et combattre l’ignorance en comblant un vide large et profond de l’histoire et de la culture africaine, car pour aimer un pays et comprendre son peuple, il faut bien connaître leur histoire et leur culture. Mais, malheureusement, je n’ai pas pu terminer, comme je le souhaitais, ce travail fastidieux, fascinant, exaltant, ambitieux, audacieux, prétentieux et noble pour un autodidacte que je suis. Mais c’est aussi avec beaucoup de peine et d’indignation que je te dis que j’ai été abusé, par deux fois, par des imposteurs indélicats qui ont pu subtilement me tromper, me déposséder et obtenir, chacun, un exemplaire de mon tapuscrit, avec promesse ferme non tenue de l’éditer: mon ancien chef hiérarchique Yves Person et mon compatriote Kèfing Donzo de Beyla et du Konya comme moi… Je suis donc outragé dans ma dignité et frustré de perdre la paternité partielle ou totale de mon travail par des astuces subtiles et par des promesses fallacieuses de ces crapules que je vous demande de combattre dans leurs repaires en dénonçant leur supercherie, leur imposture ou leur forfaiture dont je suis victime et récupérer par conséquent mon manuscrit dont le travail a absorbé les 34 dernières années de ma vie et marque mon passage en ce coin d’Afrique. Vous devez donc les traquer sans ménagement 36


et les empêcher de réaliser leur funeste dessein. Je te demande, avec insistance, ainsi qu’à toute ma progéniture, de relever ce défi d’escroquerie et dont je suis victime en prenant toutes les dispositions appropriées pour récupérer mon manuscrit détourné et plagié et de le publier par vos soins afin, qu’outre-tombe, je puisse connaître un paisible et éternel repos que je mérite après tant d’efforts. Saches enfin que je n’ai pas écrit pour avoir de l’argent, mais pour la gloire et l’honneur et surtout pour témoigner les traces indélébiles de mon passage dans ce monde et prouver, à ma manière, que je n’ai pas vécu utilement dans notre cher Mandingue. Je souhaite donc que mon ouvrage soit une référence, une source d’inspirations et un repère pour les jeunes chercheurs désormais engagés dans le difficile combat de la restauration des aspects dynamiques de l’histoire et de la culture mandingues menacées de disparition. Mais qu’on sache qu’on ne saurait réhabiliter ce qu’on ignore, si louable soit-il, d’où la nécessité et l’opportunité de récupérer et d’éditer mon livre qui a été conçu et écrit pour sauver ce riche passé cultuel et historique de l’effet destructeur du temps et de la défaillance de la mémoire humaine. J’espère donc qu’il sera une riche et inépuisable référence pour les chercheurs en histoire et en culture mandingue. Je n’ai pas voulu passer inaperçu ici-bas. C’est pour cette raison que j’ai laissé des traces indélébiles. Tu as donc la lourde mission, même au détriment de tes études et de toutes tes ambitions personnelles, de terminer mon travail avec le concours de toutes les bonnes volontés et de tous les mécènes. Je compte sur toi et sur toute ma progéniture pour accomplir cette noble et exaltante mission dont je serai fier outre-tombe. Et ainsi vous m’auriez vengé de l’outrage et de l’abus de confiance qu’ils mont faits subir et également vous auriez largement et dignement mérité de moi. DU COURAGE! ET À DIEU! » conclut-il. En effet, comme il le prédit, je ne le revis plus jamais, car il mourut le 23 juillet 1963, soit 296 jours après notre séparation, sans malheureusement goûter à l’honneur et à la gloire qu’il attendait à travers l’édition de son livre, fruit d’un travail de longue haleine. Mais par devoir de respect scrupuleux de son souci ou de sa dernière volonté du 2 octobre 1962 je fus obligé de consacrer toute ma vie à la récupération et à la finition de son ouvrage, au détriment des études supérieures que j’ambitionnais tant. Pour réaliser ce vœux, je me suis donc entièrement investi, avec le soutien inconditionnel matériel, financier et moral de certaines bonnes volontés, pour sauvegarde, enrichir et éditer son manuscrit. J’ai pris par moment des risques politiques et sécuritaires pour sauver le manuscrit.

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Après donc tant d’efforts personnels déployés et de risques encourus sur mon chemin pour sauver le manuscrit, et au regard des résultats escomptés obtenus, j’éprouve à présent des sentiments de fierté, de réconfort moral et surtout de ceux du devoir pleinement accompli par son fils que je suis. Conformément à son testament et à sa dernière volonté, j’espère mériter pleinement la confiance et l’espoir qu’il avait placés en moi, le 2 octobre 1963. En tout cas je crois avoir pleinement accompli la mission qu’il m’a confiée lors de notre dernière séparation ce 2 Octobre 1962.

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LES FILS DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA QUI ONT EFFECTIVEMENT PARTICIPÉ À LA COLLECTE ET À LA TRANSCRIPTION DES TRADITIONS ORALES CONTENUES DANS CET OUVRAGE MOÏMA KABA CAMARA SON 9ÈME ENFANT QUI ASSURA SON SECRÉTARIAT DE 1929 À 1946 (pas de photo)

Feu El Hadj Nouny Ibrahima Kalil Camara (1923-2002), deuxième secrétaire de l’auteur de 1947 à 1960 et 13ème fils de l’auteur. Il contribua largement à la collecte, à la rédaction et à la dactylographie des informations contenues dans cet ouvrage.

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El Hadj Daouda Damaro Camara, fils et héritier spirituel de Damaro Diontan Djiguiba Camara qui a travaillé sur le livre de 1964 à 2023 et qui est le 32ème fils de l’auteur. Par sa vigilance et sa sagacité, il a pu sauver le manuscrit des mains l’imposteurs Kèfing Donzo et il a sévèrement dénoncé le détournement du manuscrit par le Prof. Yves Person, dernier commandant français du cercle de Beyla, en 1958, qui, au lieu de publier le manuscrit, comme promis à l’auteur, l’a détourné à son profit pour en faire l’ossature et la principale source d’informations des trois tomes de sa volumineuse thèse de doctorat de troisième cycle (voir Annexes: Deux cas d’imposture et les deux lettres de Yves Person). Sous l’égide de l’auteur, il a rédigé, entre autres, l’histoire de Gbankouno Saadji Camara, le mariage et l’éducation traditionnels en pays mandingue. Il y a inséré des nombreux textes complémentaires trouvés épars dans les archives de l’auteur. Il a pris l’initiative, sur recommandations de certains érudits de l’histoire et de la culture africaines, de l’enchère par la reprise des thèmes effleurés par l’auteur, ainsi que l’insertion de nouveaux thèmes non traités par l’auteur dont, entre autres, l’éducation traditionnelle, le mariage traditionnel et la gestion de la mort en pays mandingue. Il a aussi pris l’initiative de l’enrichir par une abondante iconographie dont certaines sont inédites et de cartes pour agrémenter la lecture et orienter les lecteurs, choses que, l’auteur n’avait pas prévues.

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Retenons avec Damaro Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage, que: « Quiconque écrit l’histoire de son temps - ou celle de son pays doit s’attendre à ce qu’on lui reprochera tout ce qu’il a dit et tout ce qu’il n’a pas dit. » (Voltaire, cité dans Maurice Bouvier-Ajam « Essai de méthodologie historique, » p. 8). Par rapport à cette assertion, nous nous attendons, nous aussi, à de sévères critiques ou désapprobations, car le présent ouvrage est très audacieux et égratigne sans complaisance certaines familles et certaines conceptions nationalistes radicalement orientées ou farouchement partisanes qui n’admettent pas qu’on dise toutes les vérités en histoire africaine. ----------o---------Ainsi donc on a deux ou plusieurs versions identiques ou contradictoires d’un même récit historique ou d’un même évènement. En effet: « Il y a deux histoires: L’Histoire officielle, menteuse, qu’on enseigne, puis l’Histoire secrète où sont les véritables causes des évènements » (qu’on ne dit pas, qu’on falsifie délibérément ou qu’on occulte pour les besoins d´une cause donnée souvent inavouée). Honoré de BALZAC (« Historia Hors Série » N° 20, p. 5) ----------o---------« On sait que l’histoire est avant tout faite de questions que posent au passé les hommes d’aujourd’hui pour mieux comprendre leurs luttes et éclairer l’avenir qu’ils s’efforcent de construire. Mais cet éclairage risque d’être faux et donc trompeur, si un grand effort n’est pas fait pour rechercher honnêtement la vérité au-delà des urgences tactiques… » Yves PERSON (« Samori, renaissance de l’empire mandingue, » Édition Grandes Figures Africaines, p. 15)

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QUI ÉTAIT DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA? Damaro Diontan Djiguiba Camara dit Damaro Djiguiba pour certains, ou « Diontan-den kere wòrò » (Fils de Diontan à six cornes) pour d’autres, naquit en 1882 à Fooma, lieu de retraite provisoire de ses parents pendant les guerres fratricides, dans l’actuelle région administrative de Beyla, de Fata Kéoulèn Camara et de Diontan Touré de Touréla (Beyla). Il était issu de la grande dynastie (Mansabon, Tontiibon, Kandabon, Kandaya) des Camara ou Diomandé qui détient le pouvoir (Fanga, Tontiiya, Kandaya), depuis les XIème et XIIème siècles, dans plusieurs provinces de la Haute Guinée, notamment hors de la sphère géographique du Manden originel (Mandingue): À Farinkamanya, Maléya, Fatoya, Kintiya, Bouré, dans la région de Siguiri (République de Guinée) À Baliya, Soliman, dans la région de Kouroussa (République de Guinée) À Sonkolya, dans la région de Dabola (République de Guinée) À Firiguiya, dans la région de Faranah (République de Guinée) où ils sont Dyallonké et d’où la dynastie est partie par vagues successives pour atteindre progressivement, certains la Sierra Leone et d’autres toute la Basse Guinée où les Camara sont devenus aujourd’hui Soussou. Le premier maillon connu de cette migration Camara en Basse Guinée fut Mansa Firigui Camara (ou Manga Firigui Camara), fondateur, il y a 500 ans (au début du XVIème siècle), de Firiguiyagbè (dans Kindia, Guinée). Par le même processus de migration, Mansa Kindi Camara (ou Manga Kindi Camara) vint lui aussi dans le Kania pour créer l’actuelle ville de Kindia qui porte son nom. Mansa Firigui Camara et Mansa Kindi Camara étaient tous les deux des descendants de Mansa Firigui Camara venu de Farinkamanya (Siguiri), et fondateur de la province Dyallonké de Firiguiya, dans Faranah, et dont les descendants sont aujourd’hui Dyallonké à part entière dans Faranah. Évidemment, certains de ses descendants sont aujourd’hui citoyens sierraléonais. Cette branche des Camara émigrés en Basse Guinée (Kindia, Forécariah, Coyah, Boffa, Fria, Boké) et plus tard en Guinée-Bissau sont de nos jours Soussou. Mais il faut noter que dans le temps et dans l’espace ils ont gardé le patronyme Camara. Depuis la fin du XVème ou début du XVIème siècle, la dynastie Camara s’est progressivement implantée et propagée au Sud de la Guinée (dans le Konya) et au Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire, notamment dans le Maou (Touba) et dans le Koyadou (Séguéla). Dans ces deux dernières contrées, elle évolue sous le patroyme Diomandé, du nom de l’ancêtre Dioman Camara venu de Farinkamanya, village du Mandingue, situé entre Kankan et Siguiri en Guinée. En Côte d’Ivoire, on rencontre de nos jours les Camara appelés Diomandé essentiellement: o dans le Maou (Touba, Côte d’Ivoire). 42


o dans le Koyadou ou Worodou (Séguéla, Côte d’Ivoire). Cette précision de leur localisation en vaut la peine pour la suite de l’histoire. C’est de la Côte d’Ivoire (Sianoh dans Touba) qu’une fraction dirigée par Farin Kaman Camara (cinquième génération à partir de Farinkamanya, Siguiri, Guinée) vint à Moussadou (Beyla, Guinée) y faire tache d’huile. Ses descendants se sont propagés en confédération fraternelle solidaire dans toute l’actuelle Guinée Forestière et atteignent plus tard la contrée de Gboni au Libéria. Bénéficiant de cette solide solidarité effective entre les différentes monarchies Camara ou Diomandé de la Guinée Forestière ou Pré-Forestière, Diontan Djiguiba Camara passa une grande partie de son enfance à Féréwala et à Dyagbadou dans le Konokoro (Macenta) où son père l’avait envoyé, en 1888, chez ses frères consanguins devenus aujourd’hui Toma-Manya, pour le mettre à l’abri de la répression sanglante décrétée successivement par Gbankouno Saadji Camara. C’était aussi pour qu’il échappe aux guerres de répressions de l’Almamy Samory Touré déterminé à mâter la révolte générale (bankèlè) des différentes provinces de la confédération des monarques malinkés de la forêt qui faisaient obstruction à son ascension. En effet, Saadji avait indisposé par son arrogance, par son outrecuidance, par ses violences, par instinct guerrier, les différentes provinces Camara. Quant à Samory, c’est surtout après sa cuisante défaite devant l’inexpugnable forteresse de Sikasso (Mali) où se brisa avec fracas la colonne vertébrale de son armée pendant seize mois de siège autant meurtrier que pénible (avril 1887-août 1888), que l’Empereur Mandingue eut le cœur profondément ulcéré. Alors, pour redorer son blason et faire scintiller de nouveau son étoile pâlie dans le firmament de tout le Soudan, il tira furieusement son sabre de guerre appelé Dyuufaa (« ce qui tue l’ennemi ») pour réprimer impitoyablement la sédition de ses possessions territoriales, notamment le Ouassoulou (le grenier de l’empire). Cette foudroyante colère de l’Empereur ébranla également la confédération des monarchies Camara du Konya (Beyla, Kérouané), du Toukoro ou région forestière (Macenta, N’Zérékoré, Libéria). Celle-ci se réclamait du serment de solidarité prêché à Moussadou (Beyla) et légué depuis le XVIIème siècle par l’ancêtre mythique Farin Kaman Camara. En effet, celui-ci, après avoir été expulsé du Maou (Touba, Côte d’Ivoire) par ses frères Diomandé ou Camara ligués contre lui avec leurs oncles, les Koné de la contrée, fut propulsé par le destin sur la scène politique en tant que mansa (roi) éclairé et adulé par tous, à cause de son esprit d’équité et surtout à travers un code pénal original et remarquable qu’il conçut, élabora et appliqua indifféremment avec rigueur à tous ses sujets. Code pénal n’était que la Charte de Kurukan Fuwa améliorée ou enrichie. Mais la situation chaotique et de terreur ainsi créée par les Français qui avaient astucieusement réussi à accréditer la fausse mort de l’Almamy Samory Touré à Sikasso, et surtout l’accession au trône de son griot Morifindian 43


Diabaté, mit l’empire samoryen en ébullition. Pour cette raison, la confédération des monarchies traditionnelles Camara, plusieurs fois séculaires, et les familles nobles se révoltèrent contre l’autorité de cet homme de caste, si célèbre fut-il, même de l’envergure de ce chantre. La déconfiture de l’empire visée par les Français fut atteinte. Le pouvoir restant de Samory fut profondément ébranlé et le pays fut plongé dans une terreur sans précédent. Mais l’ampleur et la violence de la répression obligèrent tous les monarques à venir proclamer leur allégeance ou leur soumission à Bissandougou, capitale impériale, à la fin de 1888. Certains y furent arrêtés et décapités pour servir d’exemples aux éventuels fauteurs de troubles et récidivistes. Les plus chanceux furent gardés comme otages à Bissandougou et à Sanankoro. La répression fut violente, générale et totale pour rétablir l’autorité de l’Empereur Mandingue fortement ébranlée à Sikasso. Mais en dépit de ce cauchemar effroyable qui régnait dans le pays, suite à ce retour violent et inopiné de l’empereur affaibli et démoralisé, Fata Kéoulèn Camara, beau-fils de Samory et roi de Simandou, fortement instigué par la progression des troupes françaises dans le pays, et soumis par ailleurs à la forte pression de ses oncles paternels qui voulaient rompre avec l’empereur conquérant, trahit l’Almamy Samory Touré en désertant de façon spectaculaire, en 1894, l’armée impériale, dont il était un Grand Capitaine (sofakun) pour rallier les troupes coloniales françaises qui avaient établi momentanément leur tête de pont à Kérouané, nouveau poste de commandement créé après la chute des capitales impériales (Bissandougou, Sanankoro et Kérouané). Dès lors, la vie de Damaro Diontan Djiguiba Camara prit une nouvelle orientation que personne ne pouvait prédire avec exactitude. En effet, en guise de gage de son éclatante soumission, dont la sincérité paraissait douteuse pour les Français qui se souvenaient encore du cas d’espionnage de Kourouba Moussa (Kèlètii ou commandant samoryen) qui les avait intelligemment piégés, Fata Kéoulèn Camara fut contraint de donner, en guise d’otage, son fils Djiguiba Camara âgé alors de douze ans environ. Ainsi, le Capitaine Loyer, Chef du Poste militaire de Kérouané, le prit en charge et l’admit aussitôt à l’école primaire de cette localité, très embryonnaire à l’époque, qu’il avait créée pour recueillir certains fils de chefs et de notables célèbres nouvellement ralliés ou vaincus. Ces nouvelles recrues étaient effectivement prises comme des otages dans le double but de garantir le serment de soumission et de fidélité que chaque chef prêtait publiquement au cours d’une cérémonie spéciale de soumission et de former des interprètes et des auxiliaires de la nouvelle administration générale. Évidemment, tout chef parjure compromettait la liberté et la vie de son fils pris en otage. Ainsi, par cette pratique de chantage, par l’intimidation (démonstration des forces, maniement des armes, tirs de canons et d’explosifs), les nouveaux conquérants réussirent à mâter les esprits et les velléités de résistance, à se rallier de nombreux rois de provinces et à s’imposer finalement dans le tout le pays.

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Recruté à Kérouané en 1894 comme élève et otage par le Capitaine Loyer, suite à la soumission spectaculaire et inattendue de son père Fata Kéoulèn Camara de Damaro aux troupes de conquête françaises, Djiguiba Camara fut envoyé en 1895 à Kayes, à l’école des otages réservée essentiellement aux fils des chefs noirs ralliés volontairement ou soumis par les faits d’armes. Il sortit de cette école en qualité d’interprète auxiliaire et fut affecté en 1900 au poste militaire de Kérouané, jadis berceau de l’empire mandingue samoryen. Ce poste avait été créé après l’abandon de ce lieu par l’Almamy Samory Touré, à l’issue des combats du 26 janvier 1892. Henri Brunschwig (1) rapporte que Djiguiba Camara fut déplacé à Beyla en 1901, à la demande du chef de poste de Kérouané, « car il entravait sérieusement notre action, empêchant de plus nombre d’indigènes d’entrer en relation avec le représentant de la France... » « En 1903, le Capitaine commandant du cercle de Beyla demande à son tour de l’éloigner de son ressort territorial pour des raisons politiques. » En effet, en raison de son manque de sincérité dans la collaboration et parfois de son esprit de contestataire, ses chefs hiérarchiques le trouvèrent ouvertement nostalgique de l’exercice du commandement par les rois et princes autochtones évincés par les nouveaux conquérants. Cet esprit d’indépendance et de contestation justifie son infidélité au point qu’il était considéré comme une entrave sérieuse dont il fallait se débarrasser. Ceci explique donc ses multiples démêlés avec l’administration et ses nombreuses affectations pendant sa carrière d’interprète colonial. Le poste de Kérouané fut supprimé au profit de celui de Beyla en raison du peu d’intérêt stratégique militaire que représentait cette ancienne capitale impériale, car l’Almamy Samory Touré était rejeté au Sud-Est de l’actuelle Guinée et progressait vers le Nord et le Nord-Ouest de l’actuelle Côte d’Ivoire où il refit surface en conquérant de vastes territoires. Devenu encombrant, voire indésirable, l’interprète Djiguiba Camara fut affecté de Beyla à Faranah en 1904. Il rejoignit alors son poste de Faranah où selon Henri Brunschwig: « Il jette le discrédit sur les fonctionnaires européens parmi les populations des villages où il n’hésitait pas, en outre, à l’insu de Monsieur l’Administrateur, à prendre connaissance des archives et de la correspondance courante et à se servir, à sa manière, de la documentation qu’il s’était illicitement procurée pour contre carrer notre action publique déjà fort délicate... » De 1904 à 1908 il devint, cumulativement à ses fonctions d’interprète, moniteur bénévole d’enseignement et collaborateur de Monsieur Courcelles, premier instituteur et co-fondateur, avec Djiguiba Camara, de la première école régionale de Faranah (République de Guinée). C’est Djiguiba Camara qui scolarisa le métis Maurice Montrat qui lui rend cet hommage et lui témoigne sa reconnaissance dans son livre de mémoire « N’Nah ». Maurice Montrat a

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écrit un célèbre roman autobiographique d’avant l’indépendance de la Guinée, et fut également Conseiller Territoriale de la Guinée Française. Cette apparition brusque et imprévue dans l’enseignement faillit changer son statut ou son destin en devenant enseignant au lieu d’interprète colonial pour lequel il avait été formé. Mais l’homme suit toujours son destin qu’il ne maîtrise pas toujours parfaitement, et qui, très souvent, lui échappe. Le 23 mai 1908, en raison de ses connaissances parfaites des coutumes et langues de la région forestière, de la Haute Guinée et de la Côte d’Ivoire, il fut désigné pour renforcer la mission française chargée de délimiter les frontières libéro-guinéennes. Mais le Gouverneur Richard le renvoya avant la fin de cette mission parce que « inutilisable ». Mais en réalité il avait gêné la mission en raison de sa surprenante et parfaite entente avec ses frères consanguins Camara de Gboni (Libéria), descendant comme lui de Farin Kaman Camara. Ceux-ci avaient eu plus d’attention pour sa personne que pour l’ensemble des deux missions. C’est dire que le serment de solidarité entre les descendants de cet ancêtre était vivace partout. Les Français craignaient la reconstitution des velléités de résistance ou d’indépendance car les nostalgiques de l’épopée mandingue étaient encore nombreux dans les territoires conquis. « En 1907, il reçut deux mois de suspension pour manquements graves envers Monsieur l’Administrateur du cercle de Faranah. En novembre 1908, ce Commandant du cercle de Faranah demanda sa révocation pure et simple. Mais le Gouverneur Liotard se contenta de le muter le 11 décembre 1908 à Kankan. Là aussi, il continua à faire des accrocs aux autorités locales. On dit qu’il était très hautain, contestataire, trop sensible à l’injustice et têtu comme une mule. » Pour avoir osé dénoncer publiquement les abus d’autorité de l’administration coloniale locale de Kankan, il fut révoqué de ses fonctions. Mais, officiellement, le motif avoué de cette mesure administrative fut son refus catégorique de rejoindre son nouveau poste d’affectation, malgré les sommations de ses supérieurs. Pour Djiguiba Camara, cette décision d’affectation, qui intervenait après qu’il eut dénoncé un jugement irrégulier et partisan, était une sanction injuste. Fidèle à sa philosophie de défenseur des faibles, il n’accepta pas cette injustice et ces brimades. C’était braver ouvertement les nouveaux maîtres du pays. Précédé d’une mauvaise réputation d’agent peu docile, gênant, contestataire voire dangereux, les autorités coloniales de Kankan prirent cette attitude de Djiguiba Camara pour un acte de rébellion ouverte. Cette affaire fit beaucoup de bruit dans la ville de Kankan car il avait bénéficié, dans son élan de contestataire, du soutien ferme d’une large majorité de la population de cette grande métropole malinké. C’était donc très grave pour la nouvelle autorité encore branlante. On décida donc de réprimer sévèrement ce mauvais précèdent. Ainsi accusé d’agitation de l’ordre publique et d’incitation à la rébellion, un mandat d’arrêt fut lancé contre lui. Mais le fugitif n’échappa à la recherche active des sbires et à une sévère peine 46


d’emprisonnement qu’en se réfugiant d’abord chez des amis, puis en fuyant nuitamment de la ville de Kankan. Il dut parcourir à pieds plus de 100 km, dans la brousse, pour rejoindre Kouroussa, terminus à l’époque de la voie ferrée, et enfin Conakry par train. Dans la capitale guinéenne, il fut entendu, eut gain de cause et fut réhabilité, car l’abus d’autorité et l’injustice qu’il avait dénoncés étaient bien flagrants. Malgré cette bévue, l’acharnement des autorités locales de Kankan contre lui s’explique. En effet, cette persécution obtempérait au souci d’affirmation de la présence française, donc du fait colonial. Par ailleurs, il fallait surtout éviter une récidive et ne pas laisser créer un mauvais précédent dans ce milieu où le souvenir de l’Almamy Samory Touré était encore très vivace dans la mémoire collective des nombreux survivants de son épopée. D’où la nécessité impérieuse d’étouffer dans l’œuf toutes les contestations en direction des nouveaux maîtres du pays. Henri Brunschwig conclut ainsi sur cette vie tumultueuse de Djiguiba Camara, faite de tiraillements entre la soumission totale à ces nouveaux maîtres du pays ou la collaboration franche avec eux d’une part, et la contestation de leur autorité, la lutte contre l’arbitraire et le retour à son passé nostalgique de fils de chef aux attributs immenses dans ce milieu traditionnel d’autre part: « Dans ce cas particulier de Djiguiba Camara, et dans ce milieu particulier de la Haute Guinée, en voie de pacification et d’organisation, cet interprète, certainement hostile au colonisateur, et dont les abus ne sont pas de taille de ceux des cas précédents, il ne semble pas s’être beaucoup enrichi, était sans doute plus intelligent que les administrateurs qui le censuraient et le contraignaient. On l’accuse d’intrigues multiples; on n’arrive pas à réunir des preuves convaincantes. Il ne se range pas nettement du côté des populations prêtes à la révolte. Il reste constamment à la limite entre les autorités blanches et les administrés récalcitrants. En fera-t-on un héros de la résistance, ou verra-t-on plutôt, en lui un représentant de ces collaborateurs de la première phase de l’établissement du régime coloniale? Un être déchiré, qui balance entre la collaboration, avec les avantages de carrières qu’elle promet, et le milieu coutumier dont sa fonction le sépare? » En 1910, Djiguiba Camara travailla à la section comptabilité de la BAO (Banque de l’Afrique Occidentale Française) à Conakry. En 1914 il fut affecté à la centralisation du trésor à Conakry. En 1916, il retourna à la BAO en qualité de comptable. LE RETOUR AU PAYS NATAL EN 1922 En 1922, pour des raisons de famille, il démissionna de la BAO pour aller s’installer à Damaro (canton de Simandou, cercle de Beyla, Guinée), son village natal, où il s’adonna activement au travail de la terre et à la chasse, surtout nocturne, qui était une nouveauté dans le pays. À l’époque, les faux rapports de l’Administrateur de Beyla avaient convaincu le Gouverneur de la Guinée sur 47


l’impossibilité d’utiliser la charrue dans le cercle de Beyla en général et dans le canton de Simandou en particulier. Mais il lutta énergiquement contre de telles erreurs d’appréciation et, au prix de mille difficultés, obtint une charrue qui ne tarda pas à émerveiller les cultivateurs de la région qui devaient massivement s’inspirer de ses pratiques modernes de culture pour améliorer leur rendement et faciliter leur travail. Il créa la première forêt classée d’arbres fruitiers et devint le paysan modèle du canton de Simandou et de tout le cercle de Beyla. Il accéda, en juillet 1928, à la chefferie du canton de Simandou, après la mort, le 6 janvier 1928, de son frère aîné, Kèmè Brahima Camara dit « Kribi » qui était un véritable colosse, un mastodonte. En raison de son poids phénoménale, celui-ci était obligé de monter - alternativement - sur deux chevaux pour parcourir les 100 km séparant Damaro, son village natal, et Beyla, le chef-lieu du cercle.

L’aspect actuel du col du mont Simandou démoli par Diontan Djiguiba Camara pour désenclaver le Simandou.

LA RÉALISATION DE QUELQUES INFRASTRUCTURES La construction en 1933, en 90 jours, d’une route carrossable de 30 km pour désenclaver le Simandou fut la principale réalisation du bâtisseur Damaro Diontan Djiguiba Camara, dernier chef du canton de Simandou en 1957. Cette infrastructure a été réalisée à la main avec des petits outillages de terrassement. Construction en 1937, à la main, avec seulement du petit outillage de terrassement (pioche, pelle, marteau, burin, brouette, sceau et une nombreuse main d’œuvre bénévole), d’une route carrossable de 30 km, en 90 jours, avec un col dans le mont Simandou de 450 mètres - sur flanc est 48


surtout - et d’une profondeur moyenne de 20 mètres par endroit pour désenclaver le canton de Simandou. Réalisée par travaux forcés, cette route permet depuis de d’évacuer dans les centres urbains d’importantes productions de diverses denrées alimentaires. Incompris par certains de ses contemporains, il est de nos jours considéré dans le Simandou comme un grand bâtisseur. Ne fut-il pas le cas des pharaons qui ont réalisé les merveilleuses pyramides qui font aujourd’hui la fierté des Égyptiens? L’ancien ouvrage du col réalisé uniquement à la main qui était très rétréci, a été élargi par les engins de terrassement dans les années 1990. On a donc oublié dans le temps le coût humain de ces pyramides qui font la fierté de l’Égypte tout comme le col de Dianfòlòdou. L’ancien ouvrage, réalisé uniquement à la main, qui était très rétréci, a été élargi par les engins de terrassement dans les années 1990. Pendant la durée du règne du chef de canton de Simandou (1929-1957), Damaro Diontan Djiguiba Camara la faisait régulièrement entretenir par des cantonniers et par les villages riverains, et parfois par la mobilisation générale des population de tout le Simandou. Ce chef d’œuvre constitue sa principale réalisation. Autres réalisations: - La construction en 1942 de la première école primaire de Damaro pour le compte du Simandou. - La construction en 1952 du premier dispensaire de Damaro pour le compte du canton du Simandou. - L’aménagement de plusieurs plantations d’arbres fruitiers et de rente. - La pratique de l’agriculture attelée. Etc… Pendant l’exercice de cette fonction, de 1928 à 1957, il reçut les distinctions honorifiques suivantes: • Chevalier d’Anjouan (le 7 février 1944). • Chevalier de la Légion d’Honneur (le 19 mars 1949), • Chef Supérieur (le 31 janvier 1951). • Élu Conseiller Territorial de Beyla en 1952. • Damaro Diontan Djiguiba Camara siégea aussi au Grand Conseil de l’AOF (Afrique Occidentale Française) en 1953 à Dakar. Mais quelques temps plus tard, son état de santé l’amena à démissionner de l’Assemblée Territoriale de la Guinée et du Grand Conseil de l’AOF. Toutefois, il demeura chef du canton de Simandou jusqu’à la suppression de la chefferie traditionnelle en Guinée en 1957, après l’accession des territoires d’Afrique Française à l’autonomie interne dans le cadre de l’application de la loi-cadre Gaston Defferre. • Officier de l’Étoile du Benin en 1953. 49


• Commandeur de la Ligue Universelle du Bien Public (le 5 janvier 1955). • Officier de la Légion d’Honneur en 1957. Le jeudi, 25 juillet 1963, il rendit le dernier soupir à Damaro, à l’âge de 81 ans, laissant derrière lui une nombreuse famille de 32 enfants vivants et un riche et important manuscrit d’histoire locale sur les traditions mandingues en perdition auxquelles il consacra inlassablement les 34 dernières années de sa vie tumultueuse (1929-1963).

Le premier manguier ou l’ancêtre de tous les manguiers de la région du Simandou (BeylaKérouané), introduit par Damaro Diontan Djiguiba Camara, probablement quand il rentrait de Conakry en 1922 pour venir s’installer définitivement à Damaro comme paysan. Ce vieux manguier se dresse encore fièrement, en 2018, certes difficilement, face à la mosquée de Damaro. En dépit de son âge, il défie encore le temps et les intempéries. À présent il produit peu, mais reste un symbole, un souvenir qu’on ne saurait oublier (photo réalisée en 2018 par Daouda Damaro Camara).

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LA GENÈSE D’UN LIVRE D’HISTOIRE OU L’AVENTURE INTELLECTUELLE D’UN HISTORIEN CHERCHEUR AUTODIDACTE AUDACIEUX Sur les conseils persistants d’un administrateur colonial, mon père, Damaro Diontan Djiguiba Camara, fut convaincu très tôt de la nécessité et de l’opportunité de sauvegarder de l’oubli les traditions orales mandingues en voie de disparation, en procédant à leur collecte systématique et à leur transcription pour la progéniture africaine et pour les futurs chercheurs en mal d’inédit qui, à défaut d’une telle initiative, seraient, dans un avenir très proche, sans repères authentiques pour s’orienter dans les ténèbres et les méandres sinueux de l’histoire africaine peu connue et qui se trouve, malheureusement, dans son état actuel, beaucoup plus dans la mémoire collective des peuples que dans les livres. Pour cette raison il faut maintenant, avant qu’il ne soit tard ou trop tard, avant la disruption quotidienne et générale des derniers dépositaires de nos vertus ancestrales, de nos traditions… collecter, transcrire et écrire des ouvrages pour éclairer ces ténèbres, car dans cent ans cela ne sera plus possible, faute de sources et de témoignages. Tous ceux qui peuvent enregistrer sur support numérique, sur papier, sur scène théâtrale, en studio cinématographique... un son, une ligne, un fait ou un pan de notre passé culturel sont interpellés pour participer, dans la mesure du possible, à cette exaltante et urgente tâche de sauvetage de notre civilisation. Imbu de traditions, d’us et de coutumes ancestraux du Mandingue, Bénéficiant aussi d’une formation intellectuelle certes primaire d’interprète colonial, Mais jouissant d’une parfaite connaissance des régions et des dialectes de la Haute Guinée et de la Région Forestière, Sans donc être un spécialiste en la matière...., Cet interprète, à la formation intellectuelle rudimentaire, alla tout seul à l’assaut des derniers dépositaires de notre culture et des derniers et rares survivants de l’épopée mandingue samoryenne. Sans magnétophone pour interviewer et enregistrer la minute des récits débités, il n’avait tout juste que sa mémoire et sa capacité de restitution, son bic et son cahier, motivé par une volonté inébranlable pour affronter et vaincre les écueils, sans aucune aide au départ, patient et opiniâtre, il se mit à la tâche, non sans difficultés, car il lui fallait parfois plusieurs séances d’entretien avec la même source dont la version devrait être confrontée à d’autres sources pour aboutir à une synthèse qui reflète mieux la vérité, car les partis pris aveugles non décelés peuvent souvent nous éloigner de la vérité historique. Ce travail de recherches et de synthèse lui prenait beaucoup de temps. Parfois il se heurtait au mutisme, à la méfiance ou à la mauvaise foi de ses interlocuteurs peu habitués au bic et au cahier, surtout quand il abordait des sujets tabous. Il allait constamment vers ces dépositaires ou conservateurs de notre culture dans leurs 51


villages, si lointains soient-ils, pour les écouter attentivement et patiemment, une ou plusieurs fois. Cela pouvait durer des jours. Parfois pour ne pas gêner sa fonction de chef de canton, il les faisait venir à Damaro où il les entretenait copieusement et leur faisait des cadeaux divers (argent, denrées alimentaires, habits...) à leur départ. Les plus vieux et les malades qui avaient du mal à marcher étaient transportés en hamac. Aussi, au cours de ses enquêtes, il était obligé de se départir de ses attributs de chef de canton et ôter son manteau de chef pour les mettre en confiance et à l’aise afin d’obtenir des informations fiables et pour que ses interlocuteurs soient détendus pendant la causerie. Les vieilles personnes septuagénaires, octogénaires et les griots généalogistes étaient ses cibles privilégiées. Que de brouillons trouvés épars dans ses archives. Que de notes surchargées, biffées, annulées ou corrigées. Que de récits amendés, repris partiellement ou entièrement pour trouver la version la plus crédible, et la forme la plus correcte. À l’image donc du chasseur solitaire dans la jungle, parcourant au hasard monts et vaux, à la recherche du gibier qui se fait rare et qu’il est prêt à traquer, ne voulant pas rentrer à la maison la gibecière vide, car la famille l’y attend pour bien manger, il se lança a la recherche des témoignages culturels et historiques connus ou inédits auprès des derniers survivants de l’épopée mandingosamoryenne. Il comprit heureusement et à temps l’urgence et la persévérance d’une telle entreprise. C’est par souci de se rendre utile à son pays et aux générations futures africaines, surtout, que mon père s’est attelé à la transcription de la tradition orale de son terroir menacée de disparition. Cet effort louable, que j’ai le privilège exceptionnel de parachever depuis 1964, a été soutenu avec dévouement, ardeur et opiniâtreté par feu Nouny Ibrahima Kalil Camara, un autre fils de mon père, mort en 2002 à Conakry, qui assurait son secrétariat. Un hommage mérité doit lui être rendu pour sa participation déterminante à l’exploration, à l’investigation, à la moisson, à l’engrangement et à la rédaction sous forme brute des renseignements contenus dans cet ouvrage. Sa contribution positive à la réalisation de cet ouvrage, dans un raccourci, donne la mesure de son engagement et de sa piété filiale au service de notre père. J’ai donc estimé nécessaire d’évoquer ici, à grands traits, une telle contribution que certains lecteurs trouveront peut-être superflue. Mais à « Tout seigneur tout honneur » dit un adage. Aussi, pour une question de justice, il faut signaler la participation non moins déterminante de feu Moïma Kaba Camara (mort en 1985), un autre fils aîné de mon père qui assurait antérieurement son secrétariat. On ne saurait également oublier la contribution précieuse des instituteurs anonymes qui ont 52


servi à Damaro dont Bakary Kourouma de Macenta, dit Bakary Fédéral, petit-fils et homonyme de Soni Ténin Bakary, le fondateur de la ville Macenta. Quant à El Hadj Foumba Donzo, fils aîné de son ami N’Dorè Fodé Donzo, à qui il dédie ce livre pour magnifier leur indéfectible amitié qu’ils ont entretenue depuis qu’ils exerçaient ensemble la fonction d’interprète dans l’administration coloniale française après l’arrestation de Samory, ou plus exactement depuis l’expulsion de celui-ci de son terroir mandingue, sa contribution et sa disponibilité furent aussi déterminantes dans la rédaction du premier jet de ce manuscrit. El Hadj Foumba Donzo vivait encore à Diakolidou (Beyla) en 2005. À cette époque où le monde était absorbé par la gestion des conséquences de la Deuxième Guerre Mondiale, il était le gérant du magasin de stockage de riz, de caoutchouc… de la Société de Prévoyance que la France avait construit à Damaro, pendant cette dure période, pour y stocker les fournitures obligatoires de matières premières (produits des cultures industrielles, denrées alimentaires) qu’on acheminait en France pour alimenter les industries et pour entretenir, sur les différents fronts, les tirailleurs africains enrôlés pour aller bouter de la Patrie Française les Nazis envahisseurs. Foumba Donzo assistait donc mon père après ses heures réglementaires de travail, surtout les samedis et les dimanches. À l’époque les populations étaient privées de ces produits alimentaires sans aucune compensation. Ces différents produits agricoles étaient appelés « EFFORT DE GUERRE ». Ils étaient donc évacués des colonies vers les fronts pour l’entretien des troupes et pour l’approvisionnement des industries des régions non-occupées du territoire national français. Après la guerre, ces fournitures prirent le nom « NISÒNKÒ » ce qui signifie « IMPÔT DE CAPITATION » ou « PRIX DE L’ÂME » ou encore « PRIX DE LA LIBERTÉ ». Par la suite Damaro Diontan Djiguiba Camara bénéficia de l’assistance bénévole et opportune de tous les instituteurs qui avaient servi à la première école primaire qu’il avait construite à Damaro en 1941. Ainsi, après vingt-six ans (1929-1955) d’inlassables recherches, il put mettre la dernière main à un premier jet de 110 pages qu’il intitula « ESSAI D’HISTOIRE LOCALE » Ce manuscrit, dans sa première partie, est un recueil des us et des coutumes et des aspects dynamiques de la civilisation mandingue du Konya, et qui, à peu de variantes près, sont rigoureusement identiques dans toutes les autres provinces mandingues de Guinée et d’ailleurs. La deuxième partie campe l’histoire de l’Almamy Samory Touré. Sa version de l’histoire de ce héros emblématique mandingue est une synthèse audacieuse et réaliste de la vie tumultueuse et mémorable de l’Empereur du Konya qui s’oppose aux récits noirs des colonisateurs qui vilipendent notre Héros et à ceux de l’histoire officielle enseignée en Guinée sous la Première 53


République (1958-1984) qui sont une hagiographie exagérément brodée et qui ferment les yeux sur les défauts et les erreurs de l’Empereur. Or notre Héros National était un être humain avec tout ce que ce terme implique de grandeurs et de faiblesses. Oui! Tout homme a ses qualités et ses défauts. Par souci d’objectivité, il faut toujours camper les deux aspects de la vie d’un homme pour les présenter dans toutes leurs dimensions. Vous découvrirez donc dans le présent ouvrage un autre Almamy Samory Touré. En effet, ici, ce héros emblématique est cerné avec rigueur à travers ses qualités et ses défauts, notamment ses erreurs politiques et stratégiques, sa folie de grandeur démesurée, sa grave erreur dans la gestion de sa succession… qu’on ne trouve pas dans les autres ouvrages. Mais nous sommes conscients et persuadés que cette manière de présenter le Héros emblématique mandingue, sans aucune complaisance, ne manquera pas d’égratigner ou de choquer certaines sensibilités. Or il n’y a pas d’être humain sans défauts… Mais faut-il sacrifier la vérité historique au profit de la falsification, de l’exclusion et de la sélection arbitraire et préjudiciable pour plaire à certaines tendances ou idéologie? NOUS DISONS CATÉGORIQUEMENT NON! ET NON! CAR RIEN NE DOIT ÊTRE OCCULTÉ, SURTOUT PAS UNE FORFAITURE… Une telle attitude de dérobade, de chauvinisme patriotique et d’extrémisme absurde est à déconseiller si nous voulons vraiment sauver la vraie l’histoire africaine dont nous devons assumer pleinement les tares et les acquis passés qui doivent être connus intégralement afin d’éviter la récidive négative. Mais compte tenu surtout du fait qu’aujourd’hui l’histoire africaine se trouve beaucoup plus dans la mémoire collective des peuples que dans les livres, et devant la disparition irréversible des détenteurs ou des conservateurs de notre patrimoine culturel et historique, nous optons pour la rigueur des récits complets de notre passé afin d’éviter d’occulter ou de travestir les faits, quelle que soient leur acuité afin d’éviter la récidive négative de ce qui est répréhensible. Assumons donc courageusement le passé culturel et historique de nos devanciers avec le souci de remettre à honneur ce qui s’y trouve de beau et de positif tout en élaguant ce qui ternit mais qu’il faut nécessairement connaître. Cet ouvrage posthume de Damaro Diontan Djiguiba Camara est incontestablement le fruit d’une volonté opiniâtre. Son auteur n’a reçu qu’une simple formation très rudimentaire d’interprète colonial. Également, ses héritiers, que nous sommes, n’ont reçu, comme lui, aucune formation de chercheur, d’ethnologue, de sociologue ou d’historien pour l’aider ou pour 54


parachever ce travail ardu. C’est donc sans qualification intellectuelle ou universitaire appropriée qu’il a puisé la substance de ce livre, au contact du terroir, à l’écoute de toutes les sources, de tous les connaisseurs de la tradition orale, des sages, des vieux et des griots généalogistes et chroniqueurs. Cet exemple n’est-il pas suffisant ou édifiant pour nous convaincre et nous exalter à « arracher aux ténèbres de la parenthèse coloniale, aux préjugés et de l’oubli, tous les éléments dynamiques élaborées par la culture africaine aux différents plans de sa manifestation », (2) en apportant notre contribution, si modeste soitelle, à cette urgente et noble tâche de sauvegarde et de restauration? Nous sommes les dignes héritiers de ceux dont notre histoire garde et magnifie la mémoire et dont l’exemple, à bien des égards, doit inspirer notre jeunesse en partie avide de connaître les détails du passé de son peuple, sa vie artistique et culturelle, son organisation sociale, ses us et coutumes... Elle est aussi avide d’idéal et d’actions nobles. Elle doit aussi faire preuve d’une grande probité dans une communauté internationale élargie, indulgente, harmonieuse et qui doit respecter scrupuleusement la Liberté, la Sécurité, la Dignité, la Vie et les Biens de l’Homme, tous les Droits de l’Homme. C’est pourquoi notre passé doit survivre dans bien des cas pour informer et inspirer notre présent afin de nous permettre de concevoir un avenir qui, tout en s’ouvrant au modernisme utile, devra s’appuyer sur nos réalités sociale, culturelle, économique et politique. Ainsi nous pourrons revaloriser, voire même cultiver méthodiquement tous les aspects positifs de nos valeurs africaines authentiques telles que l’Humanisme, la Fraternité, l’Hospitalité, la Solidarité, la Vie Communautaire, le Sanankunya, la longue et patiente Palabre Africaine, c’est-à-dire le Dialogue patient qui caractérise nos assemblées et permet de discuter, de dissuader, de convaincre et de parvenir à un consensus qui satisfait toutes les parties. Ce sont là certaines de nos vertus et spécificités dont l’Afrique doit être fière et dont doivent s’inspirer les autres civilisations au « Rendez-vous universel du donner et du recevoir des civilisations ». Pour concilier la préservation de nos exigences traditionnelles avec l’essor technologique et scientifique moderne que nous ne pouvons pas renier, Amadou Hampâté Bâ (3) propose à la jeunesse cette ligne de conduite: « Il faut que la jeunesse fasse la politique de ses moyens. Il faut qu’elle n’attende pas tout de quelqu’un. Elle doit donc ouvrir sa tête au XXème siècle et avoir ses pieds au Moyen Âge, c’est-à-dire à sa source, car si elle répugne sa racine, elle n’aura pas de tronc. Elle sera toujours une bouture transplantée de chez elle dans une zone ou elle ne pourra pas produire. Donc prise de conscience et participation à l’aide qu’on nous apporte. » Sauvons donc ensemble, mais objectivement, le patrimoine culturel africain de l’effet destructeur du temps et de certaines influences nocives des autres civilisations auxquelles l’Afrique emprunte abusivement et tend de ce fait à se dénaturer, à se dépersonnaliser.

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Or, comme l’a reconnu le symposium du premier Festival Culturel Panafricain d’Alger, de juillet 1969: (4) « Une société, une culture peut rester elle-même, tout en accédant au développement économique à condition de faire sa part au nécessaire. Or, faire sa part à la technologie et à la science est nécessaire, comme à la prévision et au temps. Et ceci parce qu’aucune culture n’est passivement opératoire. Pour mettre ses ressources au service du développement, elle a besoin de se vérifier, de s’actualiser au contact de la technique qui tend à créer une civilisation universelle. Une société doit tout à la fois garder son essence sous peine de perdre tout moyen d’existence et d’autonomie. Elle persévère et s’adapte par un travail dialectique constant d’apport et de don entre la culture nationale et les valeurs universelles. Il est absolument nécessaire par ailleurs de veiller à la défense et à la préservation de la personnalité et de la dignité africaine. Mais ce retour et cette référence constante aux sources vives de l’africanité doit se garder d’une expression complaisante du passé, mais bien au contraire implique un effort novateur, une adaptation de la culture africaine aux exigences modernes d’un développement économique et social harmonieux. Libérer la société africaine des conditions socioculturelles qui entravent son développement, débarrasser la culture africaine des facteurs aliénateurs en l’intégrant en particulier dans une section de masse, tels sont les objectifs reconnus. » L’expérience et l’exemple des peuples asiatiques qui ont conquis la science et la technologie tout en gardant leurs spécificités culturelles doivent nous inspirer. Le retard de notre développement économique n’est pas une fatalité ou un fossé incomblable. Cette œuvre posthume de Damaro Diontan Djiguiba Camara constitue, me semble-t-il, une précieuse source de renseignements et d’enseignements et d’inspirations pour les jeunes chercheurs et autres érudits de notre histoire appelés à sauver de l’oubli le beau et riche passé de notre continent. Mais nous ne cesserons jamais de mettre l’accent sur l’honnêteté intellectuelle et l’objectivité dont ils doivent faire preuve dans un travail aussi ardu et très souvent ingrat de sauvetage qui ne doit souffrir d’aucune falsification, d’aucune omission et d’aucun parti pris aveugle. C’est bien ce souci d’objectivité et d’honnêteté intellectuelle que Yves Person traduit dans le condensé de sa monumentale thèse de doctorat dans les lignes qui suivent:

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L’EMPEREUR ALMAMY SAMORY TOURÉ.

« Après tant d’années, Samory soulève toujours autant de passion. En dehors de tout souci de vérité, des Africains l’invoquent ou le vilipendent au gré de leurs tactiques politiques. Ils rendent ainsi un hommage involontaire à l’importance historique de celui qui a renouvelé profondément la société malinké à la veille de la conquête coloniale. On sait que l’histoire est avant tout faite de questions que posent au passé les hommes d’aujourd’hui pour mieux comprendre leurs luttes et éclairer l’avenir qu’ils s’efforcent de construire. Mais cet éclairage risque d’être faux, et donc trompeur, si un grand effort n’est pas fait pour rechercher honnêtement la vérité au-delà des urgences tactiques. » Cela suppose évidemment une totale liberté de pensée et d’expression. Le romancier guinéen, feu Camara Laye, un des pionniers de la littérature africaine, avait perçu ce manque préjudiciable de liberté de l’écrivain et du chercheur africains. « À l’exception de quelques rares œuvres, le bilan des quinze dernières années est bien décevant. Les hommes politiques ont presque tué la littérature. L’écrivain est obligé de se taire ou de tordre sa plume. Il n’y a pas de création littéraire dans la persécution et la contrainte, » disait-il. (5) De son côté, Feu Mamba Sano renchérit éloquemment: (6) « L’impartialité et l’incorruptibilité de l’histoire ne sont possibles que dans la Liberté et l’Égalité, lesquelles sous-entendent l’Indépendance des 57


Esprits et des Nations. C’est pourquoi les omissions et les silences volontaires, souvent imposés, sont aussi, sinon plus graves que les falsifications faciles à déceler par leur outrance et leur parti-pris aveugle qui polarisent alors l’attention, aiguisent le sens critique, obligent à la réflexion et à la discrimination pour arriver à une opinion personnelle valable. Mais comment réhabiliter ce qu’on ignore, si louable soit-il? Or, notre passé, passionnant et glorieux, fourmille de hauts faits et de grandes actions encore peu connus. Il nous appartient de les découvrir nous-mêmes afin de les rétablir dans leur réalité et dans leur dignité, car en ce domaine exaltant où éclate l’identité de l’Être Pensant sous tous les cieux et sous toutes les latitudes, l’Afrique ne craint pas la comparaison avec les autres parties du monde. » Mais du fait que l’histoire de l’Afrique se trouve encore moins dans les livres que dans la mémoire collective des hommes, la littérature orale constitue pour nous Africains le support essentiel de notre patrimoine culturel et le meilleur véhicule pour transporter et communiquer notre identité culturelle. Le rôle des griots chroniqueurs, des généalogistes, des conteurs, des vieillards... dans le sauvetage de notre tradition orale, est très important, voire déterminant. Ce sont eux qui connaissent et détiennent les récits des gloires passées, la sagesse africaine, la pensée des anciens et les secrets des plantes. « Si l’Afrique est un point d’interrogation, qui répondra mieux, si ce ne sont ses enfants « accrochés » à la langue des sages, des vieux et des griots au gigantesque point d’interrogation de sa configuration géographique, vaste cadre naturel où se meut et évolue dans sa substance, depuis des millénaires, une humanité au passé si mal connu et pourtant si passionnant à découvrir et au destin si singulier? » dit Mamba Sano. Pour ce faire, ne devons-nous pas nous inspirer de l’exaltante démarche de l’africaniste Robert Cornevin qui écrit dans l’introduction au Tome I de son livre intitulé « Histoire de l’Afrique »: « L’importance que les peuples noirs accordent à l’histoire est démontrée par la valeur de la tradition orale, pieusement conservée de génération en génération. C’est cette tradition orale, ces archives vivantes que j’ai été rechercher à la source en écoutant les vieillards de la brousse togolaise et dahoméenne (béninoise) me raconter les hauts faits de leurs ancêtres. C’est la valeur, l’authenticité de cette tradition qui m’a permis de débrouiller l’écheveau compliqué de l’histoire indigène du Togo (histoire du Togo, 1959, et plus encore celle du Dahomey, 1962), l’un des pays d’Afrique où la tradition historique est le plus solidement enracinée... » Malheureusement, cette belle et attrayante littérature orale, dont l’Afrique doit être fière, est dangereusement menacée de disparition. En effet, très peu de jeunes Africains, surtout les intellectuels, sont actuellement capables de raconter fidèlement une légende de guerriers, un récit d’un héros ou même un simple

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conte africain qui sont de véritables écoles comme le dit le poète congolais Tchicaya U-Tamsi: (7) « Il ne m’est pas difficile de me souvenir des veillées d’enfance qui furent en fait la première école que j’ai fréquentée. Les légendes enseignent à être brave, les contes à mieux se conduire, les devinettes et les proverbes à savoir tenir une conversation dans une certaine mesure d’ailleurs. En effet, c’est sous l’arbre à « palabres » fromager ou manguier que s’apprenait le reste, « le grand savoir »: jurisprudence ou rhétorique, politique aussi. Ma mémoire n’embellit rien; il n’y a qu’à aller entendre. Chacun de mes lecteurs pourrait aisément retrouver dans ses propres souvenirs, ou tout simplement vérifier ce que j’allègue. » Mais plutôt que d’écouter le soir les mentons velus raconter une période émouvante du beau et riche passé de notre patrie, de notre culture… les jeunes gens d’aujourd’hui se dénaturent en adoptant les styles vestimentaires et les modes de vie dépravés et préfèrent maintenant danser les rythmes Zazou, Yéyé, Disco, Reggae, Funk, Rasta, Rap, que sais-je encore?... qu’on ne cesse de créer et d’importer d’Europe et d’Amérique. D’autres ont une prédilection pour le cinéma, les cybers où les films pornographiques, d’actions ou disons de violence (banditisme, guerre, karaté...) sont plus projetés que les films éducatifs. Ils sont également attirés par les boîtes de nuit où, malheureusement, la consommation d’alcool et de la drogue s’accroît et atteint une proportion de plus en plus inquiétante de jeunes. Inquiétante est aussi la tendance à l’acculturation et à l’aliénation de plus en plus généralisée de cette jeunesse pervertie, plus soucieuse d’être malheureusement des « copies certifiées conformes » de la jeunesse européenne et américaine, dont elle épouse abusivement, sans la moindre adaptation à nos mœurs¸ des conceptions très contestables de la vie - du moins en grande partie - et des pratiques extravagantes qui, par rapport à nos réalités socioculturelles, sont des dépravations. Le hippisme et la liberté illimitée dans la sexualité, notamment l’homosexualité, sont entre autres des exemples concrets de déprivation des bonnes mœurs que l’Afrique doit éviter de copier. Devant cette désagrégation systématique de nos structures sociales d’antan, il faut vite prendre en main les jeunes, contrôler, encadrer et orienter leurs clubs et autres mouvements juvéniles souvent anarchiques, sans idéal noble. Ceux-ci doivent être créés conformément à nos vertus africaines, au risque de voir notre société engendrer une progéniture totalement « dé-africanisée ». Ce triste constat est bien l’un des aspects négatifs du contact de l’Afrique avec l’Europe et du développement accéléré de la civilisation technologique et industrielle sur la civilisation africaine. Cependant, les moyens d’information modernes (internet, radio, télévision, cinéma, journaux, théâtre, manifestations culturelles, livres...) peuvent et doivent être utilisés pour recueillir, dans les meilleurs délais, et vulgariser nos traditions orales et toutes les autres formes dynamiques de notre culture. L’un des drames de l’Afrique moderne est que le « laisser-aller » trop exacerbé à la civilisation occidentale a atteint les villages 59


les plus reculés où les veillées nocturnes n’existent pratiquement plus, et les enfants ne s’ébattent plus au clair de l’une, aux sons du tam-tam. Où sont donc parties nos merveilleuses nuits de veillées illuminées autour des feux de bois qui rassemblaient les jeunes villages, accrochés aux lèvres des vieillards et des initiés qui leur racontaient les pages glorieuses de notre histoire, ou leur enseignaient le savoir-faire et le savoir-vivre. C’est bien dommage, et c’est avec beaucoup de peines que nous constatons la disparition totale de cette école où on apprenait méthodiquement le savoir-vivre, le savoir-faire, les leçons de sagesse, les repères d’une vie sociale harmonieuse. Et pourtant les générations futures auront sûrement besoin de références vertueuses pour se reconnaître et modeler une société équilibrée. Il faut donc s’atteler rapidement à la transcription de nos traditions orales avant qu’il ne soit tard ou trop tard. Or, comme l’écrit Abdel Kader Abdella: (8) « Tout ce qui ne vit que dans la mémoire est condamné, tôt ou tard, à disparaître. » C’est pourquoi il est indispensable de recueillir et de transcrire les traditions. La tâche qu’il nous faut accomplir dans le domaine culturel est semblable à celle qui a été menée dans la campagne de reboisement. « Au lendemain de l’indépendance, les gouvernements de différents pays d’Afrique avaient, on s’en souvient, lancé une gigantesque campagne de plantation d’arbres pour la protection du sol national contre l’érosion. Toutes les couches de la population avaient répondu à cet appel, et chacun planta un arbre. » À présent, une lutte analogue doit être menée contre le gaspillage national dans le domaine de la civilisation. « Il faut planter des arbres de la culture. » Pour Mohamed Dib: (9) « La mémoire du peuple est la bibliothèque de l’Algérie. » Ce bel aphorisme s’applique à toute l’Afrique. Plus besoin de démontrer que nos bibliothèques sont effectivement nos vieux et nos griots qui conservent pieusement nos traditions. C’est bien pour auréoler leur rôle prépondérant dans ce redoutable travail de sauvetage de notre culture que le sage, le vénérable traditionaliste malien, Amadou Hampâté Bâ écrit: (10) « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle. » C’est dire donc que quand une bibliothèque brûle c’est un pan de l’histoire ou toute l’histoire qui disparaît, notamment dans le cas de l’histoire de l’Afrique qui se trouve beaucoup plus dans la mémoire collective que dans les livres. Dans son intervention en 1972 au congrès de la JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique), ce sage écrivait, à propos des vieux: « Si dans quelques pays, notamment dans les pays de civilisation occidentale moderne, dire « Vieux à un homme avancé en âge », c’est presque le jeter avec mépris dans une boîte à ordures ménagères, chez nous en Afrique 60


traditionnelle, donner cet épithète à une personne c’est la hisser au pinacle de la considération. Pour dire à un gamin qu’il est poli et sage on lui dit: « Tu es devenu vieux. » Le vieillard même vêtu de haillons n’est pas un chiffon et moins encore un monument en ruine qu’il faut abattre. Le vieillard est presque un demi-dieu, dépositaire de la parole, ce trésor inépuisable d’autant plus merveilleux qu’on ne cesse de le dépenser sans réussir à l’épuiser. Jeunes gens! Sachez et n’oubliez jamais que l’expérience passe science. Or le vieillard est par essence l’homme expérimenté. Plusieurs hivernages ont lessivé ses cheveux et donné à ceux-ci la blancheur qui symbolise la lumière et l’esprit, en d’autres termes: la sagesse. Le vieillard est un merveilleux médecin. Il n’opère qu’avec un outil qui est à la fois Instrument et Pharmacie. L’outillage du vieillard n’est ni visible, ni palpable. Il est audible et seulement par une oreille chanceuse. Cet outil s’appelle la PAROLE avec majuscule. Cette PAROLE reste l’apanage de la vieille Afrique, l’Afrique à l’ombre des arbres où nichent et perchent oiseaux migrateurs et sédentaires vivant en bonne intelligence... » (11) Nous ne saurions donc rester sans sourciller et prendre conscience de notre devoir de sauvetage devant la disparition quotidienne des derniers porteurs de notre culture authentique, de nos archives vivantes. Nous devons aussi réagir vigoureusement, en nationalistes convaincus, aux jugements des colonialistes impénitents qui nient nos valeurs, nos vertus... Comment ne pas condamner ce jugement raciste et outrageux porté sur le roi Béhanzin du Dahomey (Bénin actuel) par un de ses adversaires colonialistes qui écrit: « Béhanzin fit preuve d’une valeur personnelle peu commune. S’il eut vécu sous d’autres cieux et si la Providence lui eut fait don d’une enveloppe de nuance claire, nul doute qu’il ne fût devenu un homme très remarquable. Instinct guerrier, audace, courage dans le combat, constance dans la défaite, ruse, finesse, il possédait toutes les qualités natives qui, développées, réunies, fortifiées par l’étude, par l’instruction et par l’expérience, font de Grands Capitaines. » (12) On voit donc clairement la mauvaise foi, la malhonnêteté intellectuelle et le racisme puant qui poussent ce colonialiste et ses compères imbus de complexe de supériorité à refuser de reconnaître à Béhanzin le grade de Grand Capitaine parce qu’il est nègre et surtout un nègre ennemi. Et c’est ainsi qu’ils ont traîné dans la boue les héros de la résistance africaine. Que dire de cet autre jugement plus exécrable de Henry Drummond, savant anglais, qui écrit à propos de l’Afrique: « Il est merveilleux de contempler cet étrange monde de créatures mienfants, mi-bêtes, totalement sauvage, entièrement païennes. » (13)

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Quel Africain nationaliste ne s’indignerait-il pas en lisant celui encore plus avilissant, plus obscène et plus révoltant de l’explorateur anglais, Samuel Baker, qui écrivait, en 1860, sur les indigènes Dinka de la Haute Égypte qui vivaient nus et s’abritaient dans des huttes de terre - étape de l’évolution de l’humanité que l’Europe n’a certainement pas connue -, ne possédaient que quelques hameçons et des sagaies de fer: « Ils sont moins nobles que les chiens. » (14) Puisqu’il leur refusait, par racisme et par mauvaise foi, toutes les qualités et tous les acquis élémentaires que la civilisation universelle apporte à l’homme, il ajoute impudiquement: « Ils ne connaissent ni gratitude, ni pitié, ni amour, ni sens du sacrifice. » (15) Pour mieux cerner l’image réelle que les Européens racistes ont de l’Afrique, citons au hasard quelques jugements plus caractéristiques, relevés par notre doyen, le Professeur Joseph Ki-Zerbo. (16) Dans son cours sur la philosophie de l’histoire en 1830 Hegel déclarait: « L’Afrique n’est pas une partie historique du monde. Elle n’a pas de mouvements, de développements à montrer, de mouvements historiques en elle. C’est-à-dire que sa partie septentrionale appartient au monde européen ou asiatique; ce que nous entendons précisément par l’Afrique est ahistorique, l’esprit non développé, encore enveloppé dans des conditions de naturel et qui doit être présenté ici seulement comme au seuil de l’histoire du monde. » Copland, dans son manuel sur l’historique de l’Afrique Orientale, écrivait (en 1928, il est vrai): « Jusqu’à D. Livingstone, on peut dire que l’Afrique proprement dite n’avait pas eu d’histoire, la majorité de ses habitants était restée, durant des temps immémoriaux, plongés dans la barbarie. Tel avait été semble-t-il, le décret de la nature. Ils demeuraient stagnants sans avancer ni reculer. » Encore une autre citation non moins révoltante que relève le Professeur Joseph Ki-Zerbo: « Les races africaines proprement dites - celle de l’Égypte et d’une partie de l’Afrique mineure mise à part - n’ont guère participé à l’histoire, telle que l’entendent les historiens... Je ne me refuse pas à accepter que nous avons dans les veines, quelques gouttes d’un sang africain (d’Africain à peau vraisemblablement jaune) mais nous devons avouer que ce qu’il peut en subsister est bien difficile à retrouver. Donc, deux races humaines, habitant l’Afrique, ont seules joué un rôle efficient dans l’histoire universelle: en premier lieu et d’une façon considérable les Égyptiens; puis les peuples du Nord de l’Afrique. » En 1957, c’est P. Gaxotte qui écrit sans broncher dans la « Revue de Paris »: « Ces peuples (s’agissant des peuples noirs), n’ont rien donné à l’humanité; et il faut bien que quelque chose en eux les ait empêchés. Ils n’ont rien produit, ni Euclide, ni Aristote, ni Galilée, ni Lavoisier, ni Pasteur. Leurs épopées n’ont été chantées par aucun Homère. » (17)

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Certes Balla Fasséké, le griot mandingue de Soundjata, Morifindian Diabaté et Nyamakana Amara Diabaté parmi tant d’autres griots célèbres de l’Almamy Samory Touré, étaient des philosophes, des conservateurs et des maîtres de la parole qui savaient sensibiliser les rois et tout le monde et résoudre des conflits par la magie des mots ou par la puissance du verbe. Le phénomène Bazoumana Sissoko du Mali avec sa guitare monocorde (nkoni) et de surcroît aveugle ne mérite-t-il pas d’être exhumé? Et l’incomparable Kouyaté Sory Kandia, mort en Guinée en 1977, le plus grand chantre moderne de l’épopée mandingue de tous les temps, virtuose de la guitare et du nkoni, qui faisait vibrer les salles de spectacles et déplaçait des foules de fans tant en Afrique qu’en Europe, en Amérique et en Asie... ne s’appelaient pas Homère. Mais ils sont encore vivaces dans la mémoire collective de leurs peuples respectifs pour avoir chanté et perpétué les gloires de leurs souverains et de leurs peuples. Mais, comme le dit Ki-Zerbo: « Que des hommes cultivés, des historiens de surcroît, aient pu écrire sans broncher des inepties de ce calibre, pourraient faire douter de la valeur de l’histoire comme discipline formatrice de l’esprit. Certains parmi nos meilleurs amis, voire nos maîtres, succombent à ce pêché mignon de l’historien européen. Un grand historien comme Charles André Julien, va jusqu’à intituler un paragraphe de son ouvrage sur l’Afrique: « L’Afrique Pays Sans Histoire », dans lequel il écrit: « L’Afrique Noire, la véritable Afrique, se dérobe à l’histoire. » Puisqu’il est universellement admis qu’il n’y a pas de peuple sans passé, sans culture, ou sans histoire, cette catégorie d’Européens nie-t-elle nos vertus, notre civilisation... par mauvaise foi ou par ignorance? Et c’est bien pour condamner cette mentalité raciste que nous reprenons en chœur ce cri d’indignation et de désapprobation du poète antillais, Aimé Césaire, qui écrit dans « Discours sur le Colonialisme »: « Et c’est le reproche que j’adresse au pseudo-humanisme: d’avoir trop longtemps rapetissé les droits de l’homme (et par ricochet l’histoire africaine), d’en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste. » (18) Or comme l’écrit Paul Veyne à la page 22 de son livre « Comment on écrit l’histoire »: « Pour tout lecteur pourvu d’esprit critique et pour la plupart des professionnels... les peuples qu’on dit sans histoires sont plus simplement des peuples dont on ignore l’histoire et que les « Primitifs » ont un passé comme tout le monde. » De son côté l’historien guinéen Djibril Tamsir Niane, (19) auteur de « Soundjata ou l’épopée mandingue », soutient que: « L’Occident nous a malheureusement appris à mépriser les sources orales en matière d’histoire; tout ce qui n’est pas écrit noir sur blanc étant considéré sans fondement. Aussi même parmi les intellectuels africains, il s’en trouve d’assez bornés pour regarder avec dédain les documents parlants que sont les griots et pour croire que nous ne savons rien ou presque rien de notre passé, faute de documents 63


écrits. Ceux-là prouvent tout simplement qu’ils ne connaissent leur propre pays que d’après les blancs. » Effectivement, le blanc a réussi à créer en nous un complexe d’infériorité. « On nous a mis une autre peau, maintenant il nous faut reprendre la nôtre, » affirme de son côté Amadou Hampâté Bâ. (20) S’adressant à l’intellectuel africain qui est le plus aliéné, le plus acculturé, ce doyen de Bandiagara disait: « (…) l’intellectuel qui a eu le privilège d’aller à une autre école a découvert un autre monde qui lui a montré que son prochain existe. Mais cette acquisition ne doit pas l’empêcher de revenir à la source pour se rechercher soi-même, de manière à pouvoir se présenter à celui qui lui fait découvrir beaucoup de chose. Il faut que ce soit l’Afrique, pensée par l’Africain lui-même, qui se présente à l’Occident. Et pour cela, il faut que nos intellectuels que je considère comme des usines modernes bien montées, aillent chercher auprès des dépositaires la matière qu’ils doivent élaborer. Je veux dire que l’intellectuel doit aller chez son père ou chez les vieux du village, les écouter et oublier ce que l’école occidentale lui a appris. Parce que l’école occidentale lui a appris quelque chose à la fois puissant et dangereux. » Nous devons donc réagir en prouvant à ces impénitents, à ces intellectuels complexés et à ces racistes bornés qu’il y a des civilisations différentes et non des civilisations supérieures ou inférieures, car aucune civilisations n’est parfaite ou irréprochable. Certaines recèlent assurément de valeurs humaines que n’ont pas d’autres et vice versa. Elles doivent donc se compléter par apport de spécificités vertueuses en vue de réaliser une symbiose, une civilisation universelle. « En Afrique, il faut préserver, cerner ce qui existe et qui est en train de disparaître » disait feu Boubou Hama du Niger (21), tandis qu’Amadou Hampâté Bâ mettait l’accent, dès l’indépendance des pays africains, sur l’urgence du problème de la préservation de nos traditions en écrivant: « Actuellement, avec quelques millions on peut faire ce sauvetage, mais dans vingt-cinq ans, avec tout l’or de la terre, ce sera impossible. » Pour ce travail urgent de préservation et de restauration de notre patrimoine culturel contre les préjugés et les destructions de la dent rongeuse du temps, nous ne devons pas attendre d’être titulaires de tel ou tel diplôme ou titre universitaire pour tenter de recueillir, de transcrire et de communiquer un conte, une légende, un proverbe, le secret d’un guérisseur ou toute autre forme dynamique de notre culture. Chacun doit donc « planter un arbre de la culture ». Cet exemple de Damaro Diontan Djiguiba Camara n’est-il pas suffisant ou assez édifiant pour nous convaincre et nous exalter à tenter une expérience similaire dans bien d’autre domaine des activités humaines. Ce livre est incontestablement le fruit d’une volonté inébranlable et celui d’un travail de longue haleine qui a demandé à son auteur trente-quatre années 64


effectives de fouilles inlassables (1929-1963). Et en ma qualité d’héritier spirituel de Damaro Diontan Djiguiba Camara, je me suis attelé à mon tour, depuis 1964, à son parachèvement et à son enrichissement, sur conseil de certains érudits de l’histoire africaine. Il ne serait pas superflu de signaler que ce livre, depuis qu’il était en chantier, s’était signalé à l’attention d’éminents africanistes français et érudits africains de l’histoire africaine empêtrée dont entre autres: ● Maurice Houis, Directeur en 1950 de l’IFAN de Conakry (Guinée). • Théodore Monod, Directeur en 1958 de l’IFAN de Dakar. • Yves Person qui fut - Le dernier Commandant du cercle de Beyla en 1958, - Professeur d’Histoire Africaine à la Sorbonne - Et auteur de la célèbre et monumentale thèse de doctorat d’État: « SAMORI, UNE REVOLUTION DYULA » qu’il rédigea en exploitant maladroitement et intégralement le manuscrit de mon père qui fut sa principale source d’information. • Le sage et vénérable traditionnaliste malien Amadou Hampâté Bâ qui m’a vivement conseillé de l’illustrer de cartes et de photos pour rendre agréable la lecture. • Le Professeur Ibrahima Baba Kaké qui m’a proposé le titre évocateur de « ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE » que j’ai finalement retenu avec plaisir parce qu’il reflète mieux le contenu du manuscrit. • Le sage Mamba Sano, ami de mon père, qui a bien voulu présenter cet ouvrage au public en écrivant la Préface. Tous ces érudits avaient vivement souhaité sa publication et lui avaient accordé une place de choix dans le concert des ouvrages authentiquement africains.

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QUELQUES AVENTURES MALENCONTREUSES DU PRÉSENT MANUSCRIT D’HISTOIRE ÉCRIT PAR DAMARO DIONTAN DIJIGUIBA CAMARA (UN HISTORIEN CHERCHEUR AUTODIDACTE) Il faut signaler aux lecteurs deux cas d’imposture du manuscrit de Damaro Diontan Djiguiba Camara, qui a failli perdre le fruit de 34 années d’inlassables recherches (1929-1963), n’eut été notre vigilance et notre détermination. ►Yves Person, le plus grand spécialiste de l’histoire de Samory, par un concours de circonstances favorables a pu obtenir un exemplaire du tapuscrit de Djiguiba pour trouver un éditeur. Malheureusement il ne remplit jamais cet engagement, et bien au contraire il s’en est servi pour constituer l’ossature de sa volumineuse thèse de doctorat de troisième cycle après la mort de celui qui fut son meilleur informateur sur près de 900 personnes interviewées. ►De son côté le Député Kèfing Donzo de Beyla (Nionsomoridou) se rendit également coupable d’abus de confiance en détournant aussi un exemplaire du tapuscrit du même manuscrit de Djiguiba Camara qu’il avait reçu par l’entremise des autorités politiques et administratives de Beyla auxquelles l’auteur avait remis en 1959 un autre exemplaire dont l’édition devrait être assurée par le gouvernement guinéen. Là aussi, Kèfing, par un concours de circonstances favorables confisqua le manuscrit et attendit 1964 pour le plagier systématiquement avec effronterie, en biffant partout le nom de Djiguiba Camara au profit du sien.

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PREMIER CAS D’IMPOSTURE, PAR LE PROFESSEUR YVES PERSON Souhaitant vivement éditer son ouvrage pour la postérité, mon père confia, dans cette perspective, un exemplaire du tapuscrit de son manuscrit au Professeur Yves Person, dernier Commandant du cercle de Beyla (Guinée) en 1958. Malheureusement, cet africaniste, devenu incontestablement le plus grand spécialiste de l’histoire de Samory, garda par devers lui cette copie sans entreprendre la moindre démarche dans ce sens et laissa rêver naïvement mon père jusqu’à la mort de celui-ci en 1963. Suivant discrètement et imperturbablement son dessein inavoué, Yves Person se complut à plagier maladroitement et de façon flagrante l’ouvrage de mon père pour écrire, sur cette base, l’ossature de sa monumentale thèse de doctorat de troisième cycle de 2.377 pages consacrée à la vie et à l’œuvre l’Almamy Samory Touré. Profitant par opportunisme de la brusque et longue rupture des relations de la France avec la Jeune République de Guinée qui avait unilatéralement et massivement voté NONǃ au référendum du 28 septembre 1958 proposé par le Général de Gaulle et dont le couronnement fut l’accession de cette colonie à la souveraineté nationale, Yves Person rompit lui aussi tous les contacts avec mon père qui, très déçu par le silence de celui-ci et le non-respect de la promesse faite, ne comprit jamais cette attitude surprenante de son ami et de son ancien chef hiérarchique. Cependant il continua à rêver naïvement jusqu’à sa mort en 1963 et espérait toujours voir son ouvrage publié par ce biais. Mais malheureusement rien n’a été fait par Yves Person dans ce sens en dépit de ses engagements et de ses possibilités. Mais sachant peu après que Djiguiba Camara était mort en 1963 dans une Guinée de Sékou Touré fermée qui, en dépit de ses multiples démarches, n’a pu éviter la rupture brutale de tous les liens avec la France, après son vote historique « négatif » au référendum du 28 septembre 1958. Par mesure de rétorsion ou pour sanctionner le patriotisme audacieux et contagieux des dirigeants, la France retira subitement tous ses médecins, professeurs, administrateurs, tous ses cadres et agents et même ceux qui opéraient dans le secteur privé… créant ainsi un K.O., un vide complet que la jeune République ne saurait combler et se serait par conséquent obligée de renoncer à ses options devant cette paralysie totale et se mettre à genoux devant l’ancien pour implorer sa clémence. Mais la situation fut sauvée par l’arrivée massive des cadres africains et des patriotes et révolutionnaires venus de partout au secours de la Guinée. Durant les premières années de son indépendance, la jeune République Guinée vécut dans une autarcie quasi-totale, même vis-à-vis de certains de ses voisins africains qui supportèrent les représailles décrétées par la France. Profitant de cet isolement, Yves Person, se croyant au-dessus de tout soupçon, se sentit rassuré, car ne craignant plus de dénonciation et ne risquant plus, par 67


conséquent, un éventuel procès pour détournement et abus de confiance, se mua en imposteur. L’isolement était tel qu’aucune publication (journaux et livres) ne parvenait ou n’était vendue en Guinée. Quelques rares articles de journaux que certaines personnes privilégiées apportaient discrètement de l’extérieur circulaient sous les manteaux, sous forme de photocopies, avec beaucoup de risques. Le régime était particulièrement allergique au journal « Jeune Afrique » qui écrivait sur la Guinée d’alors. Seuls les livres et les journaux édités par le Parti Démocratique de Guinée étaient disponibles dans les rayons et sur le marché. Peut-être, conscient et fort de ce manque total d’informations en Guinée, Yves Person avait-il cru que son meilleur informateur, dont il devait abuser au point d’en faire sa victime, n’avait pas laissé d’hériter intellectuel capable de déceler et de dénoncer sa supercherie et de tenter éventuellement un procès contre lui. Bien que nous n’aimons pas déranger les morts dans leur repos outre-tombe, nous aurions aussi trahi la mémoire de notre père défunt et failli à notre devoir de fils si nous ne dénonçons pas ici et ailleurs cet acte d’abus de confiance répréhensible d’Yves Person. Évidemment, la mort de cet érudit éteint du coup toute polémique ou toutes poursuites judiciaires concernant sa grave défaillance, sa supercherie intellectuelle et l’imposture dont il s’est rendu coupable vis-à-vis de celui qu’il considère comme étant son meilleur informateur, sur les 900 personnes qu’il a interviewées pour écrire sa thèse. Mais cet acte est immoral et si répréhensible qu’il mérite d’être dénoncé. Aussi, nous sommes prêts à croiser les fers avec ses ayants droit ou avec toutes les personnes qui voudraient défendre l’indéfendable et prouver le contraire de notre assertion ou blanchir, vaille que vaille, cet imposteur de qui ils se réclament ou pour toute autre raison subjective. Yves Person eut donc la chance de compulser et d’obtenir en 1958 un exemplaire du tapuscrit du manuscrit de mon père à Damaro. Il profita de son statut privilégié de Commandant de cercle de Beyla (Guinée), exerçant de ce fait une influence certaine sur mon père, Djiguiba Camara, alors Chef du canton de Simandou (Damaro) et qui relevait par conséquent de son autorité. Il l’avoue implicitement dans ses réponses à mes lettres. Mais à l’époque, il ne pouvait plus corriger le tir, la balle étaient déjà partie très loin, ou se déjuger. En effet, au moment où nous le contactions en 1968 et en 1972, la monumentale thèse de doctorat d’État était fin prête et les livres qui la constituent, du moins les deux premiers tomes, étaient déjà publiés. Il ne pouvait donc plus prendre la précaution de citer exactement, dans les règles de l’art, la source des emprunts ou des extraits complets et compromettants du manuscrit de mon père. Avec du recul dans le temps nous pouvons valablement nous poser la question de savoir si Yves Person n’avait-il pas usé de promesses fallacieuses et de son influence de Commandant de cercle sur son ancien subalterne, ce vieux chef de canton de 76 ans, au crépuscule de sa vie, pour lui subtiliser astucieusement une copie son manuscrit en lui offrant ses services et en faisant miroiter devant lui la possibilité certaine de publier son ouvrage par ses soins, 68


Nous connaissons très bien notre père qui était très méfiant dans les relations humaines. Malheureusement, bien que prudent et méfiant, il tomba dans le piège. En effet, ce qu’il craignait lui est arrivé. Yves Person a donc pu lui subtiliser son manuscrit, fruit d’un travail de longue haleine, 34 ans de recherches acharnées (1929-1963). Mais il n’a jamais reconnu ni même insinuer l’acquisition d’un exemplaire du manuscrit dans ses livres. Il prétend l’avoir vu et compulsé simplement à Damaro, mais n’a jamais eu l’honnêteté de dire qu’il possédait un exemplaire de ce tapuscrit qu’il a soigneusement gardé par devers lui pour l’exploiter, s’en inspirer et le plagier pour écrire se fameuse thèse de doctorat de troisième cycle. Dans tous les cas le Professeur Yves Person avoue que mon père fut sa principale source d’informations. Il m’en fait l’aveu involontaire dans ses lettres qu’il m’adressa en 1968 et en 1972. En effet, il m’écrit dans sa première lettre du 2 mars 1968: « Mon cher Daouda, J’ai pu visiter quatre ou cinq fois votre père durant mon trop bref séjour à Beyla et bien qu’il fut alors fort amer, il m’a fourni des renseignements extrêmement utiles. Je le cite (Mais tout en évitant délibérément de mettre entre guillemets les emprunts puisés dans le manuscrit de Djiguiba Camara comme il se doit. En tout cas cela n’a été fait nulle part dans votre thèse…) très souvent dans ma thèse et je l’ai placé parmi mes 15 meilleurs informateurs sur près de 900 - Ce fut sans doute, en fait, le meilleur. Dans la bibliographie de ma thèse, au paragraphe des manuscrits, je cite en termes très élogieux son travail sur les traditions orales de Beyla. C’était incontestablement un homme qui connaissait admirablement son pays, et qui, chose plus rare, désirait transmettre son savoir... Ce recueil de traditions, que j’ai pu apprécier, est en effet du plus haut intérêt... » Monsieur Yves Person, je ne peux pas non plus comprendre que vous osez affirmer que bien qu’amer ou très sobre, comme vous le dites, que mon père fut néanmoins votre meilleur informateur sur près de 900 personnes interviewées. En plus vous avouez par ailleurs que: « Chose très rare, il a toujours désiré transmettre son savoir. » Alors que vous écrivez curieusement et librement le contraire à la page 2.194 du Tome III de votre thèse: « A - Tradition et Témoignages sur Samory et son Empire: … (5) Dygiba Kamara de Dammaro (Simandugu. Cercle de Beyla) décédé en 1967 (non, mon père est mort en 1963 et non en 1967). Ancien Grand 69


Conseiller, né vers 1885 (plutôt en 1882). Fils du célèbre chef Kyéulé, il incarne la même tendance que (4), avec une hostilité plus marquée envers Samory. Cet homme extrêmement bien renseigné ne cachait d’ailleurs pas ses partis pris. Il a rédigé avec une certaine confusion mais beaucoup de détails un « essai d’histoire locale » (110 pages) qu’il n’a pas voulu publier (Cela est archi-faux, Monsieur Yves Person!) et a communiqué difficilement (et cependant vous affirmez qu’il fut votre meilleur informateur sur les 900 personnes que vous avez interviewées). Ce document qui supporte bien les recoupements a été complété et contrôlé au cours d’une série d’interviews. Les héritiers (Daouda Camara) en Côte d’Ivoire envisagent de le publier... » Ceci constitue incontestablement deux jugements contradictoires que vous tenez à la fois. En tout cas vous, Yves Person, savez très bien que mon père souhaitait ardemment la publication de son manuscrit, mais vous ne l’avez pas aidé dans ce sens, bien que vous ayez eu la possibilité et les relations suffisantes pour le faire et malgré vos engagements. Comment Djiguiba Camara pouvait-il être très amer, peu coopératif donc très sobre et être à la fois votre meilleur informateur sur 900 personnes interviewées? Ne trouvez-vous pas paradoxale une telle attitude contradictoire? Dans sa seconde lettre du 14 avril 1972, Yves Person poursuit: « Votre père connaissait admirablement le passé de son pays. Quand il y a contradiction entre les traditions venant de lui et d’autres, c’est toujours aux siennes que j’ai donné la préférence. » Il faut tirer de cet aveu, que Yves Person a bel et bien bénéficié de la confiance de mon père et a effectivement possédé un exemplaire du manuscrit de celui-ci. D’ailleurs une lecture comparative attentive des deux ouvrages permet d’établir indéniablement une similitude troublante dans leur cheminement, dans leur structure, dans leur forme... parfois c’est du mot à mot. En effet possédant un exemplaire du tapuscrit de mon père qu’il croyait mort, sans laisser d’héritier intellectuel capable de constater et de dénoncer vigoureusement sa supercherie, Yves Person se mua curieusement en imposteur et plagia tranquillement et impunément l’ouvrage de Djiguiba Camara. Ce qui est choquant et maladroit dans sa démarche et qui est contraire à la déontologie élémentaire en la matière, c’est que Yves Person n’a pas, par prudence, mis nulle part ‘‘ENTRE GUILLEMETS’’ (« ... ») aucune phrase, aucun paragraphe ou aucun texte puisés dans l’ouvrage de Djiguiba Camara. Donc l’imposture est établie et est indéniable. C’est bien cette pratique indigne d’une telle célébrité intellectuelle qui justifie mon indignation et mon cri de cœur. S’il avait su notre existence avant l’édition de sa thèse, il serait certainement plus prudent en citant plus précisément les références exactes de sa meilleure source

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d’information afin d’éviter une humiliation ou une contestation du genre que nous faisons maintenant. Cependant, et en dépit de cette grave défaillance ou de cette supercherie, qui est un cas de conscience, Yves Person, cet éminent africaniste qui est aujourd’hui incontestablement considéré comme étant le plus grand spécialiste de l’histoire de l’Almamy Samory Touré, n’a écrit, à la page 2.194 de sa monumentale thèse de troisième cycle, que sept banales lignes sur la contribution déterminante de son meilleur informateur, sur 900, à son œuvre. Ces lignes ne sauraient être, en tout cas, considérées comme étant des éloges à l’endroit de son meilleur informateur, comme il le prétend. Non! Monsieur Person, vous vous contredisez. Vous ne pouvez pas et ne devez pas écrire dans votre lettre du 2 mars 1968 que: « C’était incontestablement un homme qui connaissait admirablement son pays, et qui, chose plus rare, désirait transmettre son savoir. » Comment vous pouvez écrire le contraire de cette assertion ou appréciation à la page 2.193 du Tome III de votre monumentale thèse. Je vous cite: « Cet homme, extrêmement bien renseigné, ne cachait d’ailleurs pas ses partis pris. Il a rédigé avec une certaine confusion mais beaucoup de détails un « essai d’histoire locale » (110 pages) qu’il n’a pas voulu publier (cela est archi-faux, Monsieur Yves Person) et a communiqué difficilement » (et pourtant vous soutenez qu’il fut votre meilleur informateur sur près de 900 personnes que vous avez interviewées). Soyez donc logique et conséquent avec vous-même. Évitez de défendre à la fois deux thèses contradictoires. Monsieur Yves Person, je suis vraiment indigné par votre incohérence et votre malhonnêteté intellectuelle. S’agit-il: o d’une inadvertance involontaire? o d’un embarras? o d’une panique? o d’un remords? o d’un oubli? - ou d’une incohérence involontaire que nous qualifions de contradictions notoires et inadmissibles de la part d’une sommité de votre genre dont le monde académique et scientifique respecte et considère ses ouvrages comme étant la plus grande référence ou le plus grand spécialiste de l’histoire de l’Almamy Samory Touré, dernier Empereur emblématique mandingue et le plus grand résistant noir du XIXème siècle à la colonisation de l’Afrique par la France?

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Aussi, cher lecteur, veuillez bien nous aider à trouver, aux pages 2.193 et 2.194 du Tome III de sa thèse, ou ailleurs, dans ces articles et interviews, les lignes ou les phrases qu’il qualifie d’élogieuses - et qui le sont effectivement - à l’endroit de son meilleur informateur. Pour étayer notre assertion ou notre démonstration, voici, CIDESSOUS, ses prétendus éloges QUE NOUS RÉLÉVONS. Sont-ils dignes d’être considérés comme tels? « Les quatorze premiers informateurs, quelle que soit leur origine géographique, ont en effet fourni surtout des matériaux sur Samori (dont le manuscrit de mon père Djiguiba Camara) et son empire. J’ai travaillé avec chacun d’eux pendant des semaines entières, à l’exception de Dygiba Kamara dont les interviews ont seulement permis de contrôler un document manuscrit. Avec des différences de point de vue fort significatives, des renseignements m’ont permis de construire l’histoire de Samori, vue de la cour du conquérant, ou du moins de son entourage le plus proche. » En tout cas, nous, héritiers de Djiguiba Camara, ne détectons pas dans ces lignes ce qui peut être réellement considéré comme étant des éloges dignes de nom et qui met en évidence l’importance ou la consistance de l’apport déterminant de notre père au travail de Yves Person. Cependant, vous, Yves Person, écrivez librement, dans votre lettre du 2 mars 1968 (voir Annexe), que Djiguiba Camara fut votre meilleur informateur sur près de 900 et qu’en cas de contradictions avec d’autres sources vous avez toujours préféré les versions venant de lui. C’est dommage que cette contribution prépondérante de mon père dans la collecte des informations que vous avez retenues pour écrire votre monumentale thèse de doctorat ne soit mise en évidence, nulle part dans vos trois tomes. Ayez une suite logique dans vos idées. Mon père ne peut pas être à la fois très amer dans la communication et être votre meilleur informateur sur les 900 personnes que vous avez interviewées pendant vos dix années de recherches. C’est bien vous qui le dites dans vos lettres pendant que dans vos livres vous ne lui consacrez que quelques sept banales lignes qui sont loin de refléter sa contribution déterminante à votre travail. N’est-ce pas des contradictions? N’est-ce pas aussi une ingratitude inadmissible de taire une telle contribution? Mon père Damaro Diontan Djiguiba Camara mérite plus de reconnaissance de votre part et mieux que ou plus que ce que vous lui consacrez dans votre thèse. En ce qui le concerne dans le classement de vos informateurs, il ne s’agissait pas seulement de signaler l’existence de son manuscrit que vous avez compulsé, exploité et plagié, mais de dire ouvertement et honnêtement que votre ancien subalterne Djiguiba Camara 72


aurait dû, dans les meilleures conditions de reconnaissance sincère, être votre co-auteur, en tenant compte de l’importance et de la qualité de son apport déterminant à votre travail. Cette réparation du tort que vous lui avez causé ou disons, cette reconnaissance normale de son mérite vous aurait plutôt grandi, et votre conscience serait plus tranquille, outre-tombe et ainsi, vous auriez pu éviter d’être dénoncé et humilié aujourd’hui comme un imposteur par ses dignes héritiers que nous sommes ainsi que par le monde scientifique et académique déçu qui vous considérait comme un argument d’autorité, comme la plus grande référence dans l’histoire écrite de l’Almamy Samory Touré. Mais malheureusement votre supercherie a finalement terni la belle image qui vous a auréolé jusqu’ici. Comment avez-vous pu occulter votre meilleure source d’informations en la classant comme étant parmi vos quinze meilleurs informateurs, sur plus de 900 personnes pendant vos dix années de recherches et vouloir réparer l’injustice que seulement en 1968 en affirmant que Djiguiba Camara fut en fait votre meilleur informateur dans vos lettres que vous nous avez adressées respectivement en 1968 et 1972? Comment pouvez-vous expliquer cette défaillance ou cette ingratitude? Par ailleurs Djiguiba Camara ne peut pas passer 34 années de sa vie à écrire sur les traditions destinées aux générations futures et refuser curieusement de publier ce recueil. Pourquoi donc, a-t-il accepté de vous donner une copie de son manuscrit que les professeurs Élara Bertho et Marie Rodet ont découvert en 2015 dans vos archives? Vous avait-il donné une copie du tapuscrit de son livre pour vous permettre d’orner ou d’enrichir votre bibliothèque personnelle? L’a-t-il fait: Par naïveté? Par obligation pour vous permettre d’écrire votre thèse de doctorat d’État? Par crainte d’une sanction administrative de son chef hiérarchique que vous étiez? Par crainte de perdre une promotion administrative? Ou dans l’espoir d’obtenir une quelle conque faveur de son chef hiérarchique que vous étiez? Soyez donc honnête, sérieux et conséquent, Monsieur Yves Person. Car vous êtes plein de contradictions dans vos propos tenus dans vos deux lettres de 1968 et de 1972 qui s’opposent à clairement à ceux que vous tenez aux pages 2.193 et 2.194 du Tome III de votre thèse et qui sont bien en de ça de la vérité des faits. Nous dénonçons et rejetons vigoureusement vos thèses et antithèses sur mon père. N’affirmez pas et ne soutenez pas à la fois une chose et son contraire. Cela est inadmissible, car vous embarrassez vos lecteurs avertis. 73


Aussi nous condamnons vos insinuations mensongères qui soutiennent que mon père a été ambigu sur le sort final de son ouvrage sur les traditions orales mandingues. Au regard donc de tous ces propos contradictoires et faux « sur cette prétendue attitude ambiguë de mon père », nous dénonçons catégoriquement ces allégations fantaisistes et mensongères d’Yves Person, car Damaro Diontan Djiguiba Camara, mon père, a effectivement écrit pour éclairer non pas Yves Person seulement, mais la progéniture africaine et, par conséquent, avait vivement souhaité la publication de son ouvrage. Il a écrit pour être édité et non pour permettre à Yves Person, son chef hiérarchique, de rédiger sa monumentale thèse de doctorat d’État. RÉPONDONS SANS QUIPROQUOS: NON! NON! ET NON! Yves Person, c’est bien dans cette noble et légitime ambition qu’il vous avait effectivement remis une copie de son tapuscrit que vous avez promis d’éditer. Mais, malheureusement, vous n’avez pas rempli ce contrat et curieusement vous vous êtes mué en imposteur en détournant et en plagiant son manuscrit. Djiguiba Camara ne peut pas à la fois avoir le souci de transmettre son savoir aux générations futures et refuser de communiquer et d’éditer son manuscrit. Une telle attitude serait absurde, insensée, paradoxale et bizarre pour une personne raisonnable. En tout cas le but et les motivations de mon père étaient bien le contraire de ce que vous insinuez. Ne créez donc pas la confusion dans l’esprit des gens et des lecteurs non avertis pour vous dédouaner et vous donner le droit de plagier filagrammes et impunément son ouvrage. Il n’était pas aussi naïf pour renoncer à la gloire et aux honneurs liés à un tel travail de longue haleine… C’est bien la recherche des éloges, des honneurs et de la gloire qui fut pour lui les raisons de sa motivations pour s’engager dans une telle aventure sans en être un spécialiste. Halte donc à la confusion, car Djiguiba Camara était très fier, très égocentrique et très attaché aux honneurs comme tous les Mandingue… Lors de mon dernier entretien avec mon père, le 2 Octobre 1962 à Damaro, donc peu avant sa mort, il m’avait vivement recommandé, que si besoin était, il me fallait consacrer toute ma vie, jusqu’à ma dernière énergie, au parachèvement honorable et à la publication de son manuscrit. C’était son vœu le plus ardent. Ce fut d’ailleurs son dernier testament. Il en était obsédé. Il espérait vivement que ses héritiers directs, petitsenfants, voire même toute sa progéniture, se seraient un jour chargés 74


d’accomplir cette exaltante et noble mission. C’est donc la motivation de mon long combat ayant abouti À la préservation, À l’enrichisse du manuscrit en y insérant des cartes et des photos afin de rendre sa lecture agréable et faciliter sa compréhension, À la publication et À la large diffusion de son manuscrit que j’ai eu à enrichir avec le concours bienveillant de certaines de bonnes volontés et sur conseils. En tout état de cause nous disons encore plus haut et plus fort: Halte! à la confusion sciemment créée par Yves Person, car les insinuations mensongères, non fondées, de cet érudit ne lui donnent aucune latitude juridique ni aucun droit de plagier l’ouvrage de mon père en foulant aux pieds les principes élémentaires de l’amitié, de la parole donnée et de la déontologie qui obligent tout écrivain de citer avec précisions les références exactes des sources de ses emprunts qu’il puise dans d’autres ouvrages. Cela par honnêteté intellectuelle et juridique. Monsieur Yves Person, votre supercherie est inexplicable et indéfendable. Vraiment je ne comprends pas: Pourquoi avez-vous été correct vis-à-vis des textes de Kalil Fofana que vous avez bien voulus citer correctement et normalement dans les règles de l’art? Pourquoi n’avez-vous pas fait autant avec le manuscrit ou les textes de Djiguiba Camara que vous avez délibérément, manifestement et maladroitement plagié? Halte donc à la confusion de l’imposteur Yves Person coupable ● de plagiat, ● de trahison et ● d’abus de confiance. Pour le paisible repos de l’âme de notre père désabusé et outragé outretombe, nous dénonçons vigoureusement la supercherie, les insinuations mensongères de l’imposteur et avons l’impérieux devoir de relever avec beaucoup de fierté cet outrage crapuleux et ce défi à l’endroit de notre père et de notre famille…. Par ailleurs, il faut signaler aussi, avec beaucoup de bonheur et fort heureusement pour nous, que ce n’est qu’en 2015 que nous fûmes contactés par les doctoresses et professeurs: Professeur Marie Rodet, docteur en histoire africaine dans une Université de Londres, et Élara Bertho, doctoresse en littérature et Agrégée de littérature, chargée de recherches au CNRS et au LAM à l’Université de Bordeaux

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qui ont eu la bienveillance de nous signaler l’existence d’une copie du tapuscrit de Djiguiba Camara dans les archives personnelles d’Yves Person. En raison de l’intérêt académique et scientifique évident dudit manuscrit anonyme et inédit, elles souhaiteraient publier une version bilingue (français-anglais) avec évidemment l’accord préalable des héritiers de son auteur. Voici donc la preuve matérielle irréfutable qu’Yves Person avait effectivement reçu une copie du tapuscrit du manuscrit de mon père Damaro Diontan Djiguiba Camara. Mais le célèbre chercheur a confisqué et soigneusement gardé par devers lui et s’est dérobé en refusant de chercher, comme promis, un éditeur pour publier le livre de celui qu’il considère comme étant son meilleur informateur sur 900 personnes qu’il a interrogées pour élaborer sa volumineuse thèse doctorat de près de 3.000 pages. Mais, malheureusement, sous l’effet du virus de la facilité Yves Person s’est complu à exploiter ou à plagier pour constituer et écrire l’ossature de sa monumentale thèse de doctorat de troisième cycle sur Samory et son empire qu’il a pu écrire en puisant abondamment dans l’ouvrage de Djiguiba Camara, sans respecter la déontologie en la matière qui oblige que les sources et les références exactes de tout emprunt soient mises « ENTRE GUILLMLETS » (« … ») (voir Annexe) Mais se croyant hors de tout soupçon, certain passer aisément entre les mailles du filet, parce que sa victime état morte, personne n’aurait découvert sa supercherie, son abus de confiance, le dénoncer et l’attaquer en justice, il se mit à table pour plagier tranquillement, malhonnêtement, maladroitement et impunément l’ouvrage Damaro Diontan Djiguiba Camara sans être inquiété. Que dirait, outre-tombe, Damaro Diontan Djiguiba Camara, si après découvert la supercherie, nous ne dénoncions pas par devoir cet abus de confiance et cet acte surprenant, indigne et répréhensible de son ami et de son supérieur hiérarchique Yves Person? Il ne peut qu’en être surpris et profondément déçu. Et indigné. Il doit donc tirer comme leçon de ce qui est advenu: « QUE L’HOMME N’EST PAS CE QU’IL DIT OU PROMET MAIS CE QU’IL PENSE ET FAIT… » Par conséquent, nous serions indignes de notre père abusé si nous ne dénonçons pas, en qualité d’héritiers, ces forfaitures et ces abus de confiance dont il fut victime de la part de ces personnes indélicates et parjures.

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Sachons donc que Djiguiba Camara n’a pas fait 34 ans (1929-1963) d’inlassables recherches sur les traditions orales mandingues, sur l’Almamy Samory Touré et sur son empire: ● pour uniquement faire plaisir à Yves Person, ● pour permettre à celui-ci d’écrire sa thèse de doctorat de troisième cycle sur ces sujets, ● ou alors pour permettre à son ancien supérieur hiérarchique de bénéficier du mérite et des honneurs liés à un tel travail de longue haleine, ● ou encore pour que celui-ci vienne tout bonnement, sans effort, récolter la moisson, ou disons, bénéficier ou déguster les fruits murs de l’arbre que Djiguiba Camara s’est évertué à planter et à entretenir pendant des décades? Évidemment, ce qui est advenu n’a jamais été le souhait de mon père. Oui, Damaro Diontan Djiguiba Camara a été malheureusement une victime résignée de la supercherie ou de la haute trahison de la part de Yves Person que nous ne cesserons de dénoncer et de condamner avec vigueur. Damaro Djiguiba Camara, qui fut un homme honnête foncièrement hostile à l’injustice et au rabaissage, fidèle dans l’amitié… est donc mort complètement déçu par cet acte incompréhensible et ignoble de son ami et de son ancien chef hiérarchique, Yves Person, qui n’a pas rempli son engagement relatif à la publication de son manuscrit dont les travaux de recherches et de transcription ont occupé les 34 dernières années de sa vie (1929-1963). Cette forfaiture de Yves Person ne peut être ni défendue et ni expliquée: ● Ni par la grave et longue détérioration des relations de la France avec la Guinée qui avait eu l’audace de rejeter la nouvelle Constitution de la France proposée par le Général Charles de Gaulle, ● Ni par l’isolement de la Guinée au début de son indépendance, ● Ni par la mort en 1963 de Damaro Djiguiba Camara, son meilleur informateur sur 900 personnes interviewées, qui était aussi l’auteur du manuscrit que Yves Person a soigneusement gardé par devers lui, et qu’il a exploité pour constituer l’ossature de sa thèse de doctorat de troisième cycle. Sans nul doute Yves Person croyait que Djiguiba Camara était mort sans laisser d’héritiers intellectuels capables de constater et de dénoncer sa forfaiture. Ainsi donc, son acte ne peut être qualifié autrement. À la lumière de ces faits et preuves révélateurs sur l’acte d’Yves Person: ● Que ses amis, ses ayants droit et tous ceux qui trouvent insensée ou non fondée notre indignation, ● Que tous ceux qui veulent défendre l’indéfendable, ● Que tous ceux qui désapprouvent notre réaction légitime, ● Que tous ceux qui ne comprennent pas notre cri d’indignation, 77


● Que tous ceux qui croient inutile, non justifiés ou non opportuns ou inappropriés notre cri de cœur et notre lutte, ● Que tous ceux-ci veuillent bien nous aider à expliquer et à justifier comment et pourquoi un exemplaire du tapuscrit de 110 pages du manuscrit de Djiguiba Camara se trouve-t-il en 2015 dans les archives personnelles d’Yves Person? Toutes nos reconnaissances à ces deux dames professeurs qui ont effectivement fait un voyage en Guinée et à Damaro, du 14 au 23 décembre 2016, pour nous rencontrer et qui fut sanctionné par un protocole d’accord bilatérale avec la famille de Djiguiba qui les a enfin autorisées de réaliser ce vieux rêve de notre père Damaro Diontan Djiguiba Camara. Car le travail est si important qu’il mérite le regard académique des scientifiques et peut inspirer les jeunes chercheurs et le public. Nous espérons enfin que ce contrat bilatéral conclu avec elles et qui concerne la première version du manuscrit de 110 pages qui date de 1955 découverte dans les archives d’Yves Person sera enfin exécuté comme convenu (voir détails en Annexe). Aussi, il faut signaler avec beaucoup de bonheur que par le truchement de ces deux chercheuses, la présente version revue et enrichie par l’auteur, de 1955 à 1963, et par ses héritiers, de 1964 à 2018, a été signalée à d’autres éditeurs. C’est ainsi que, Docteur Jan Jansen, chercheur en histoire africaine à l’Université de Leiden aux Pays-Bas a été mis en contact avec nous depuis janvier 2018 pour prendre toutes les dispositions utiles en vue de publier cette version enrichie. Très bien connu dans le monde scientifique, Jan Jansen est absorbé par les Mandingues du Nord de Kéla (Mali) depuis trente ans. Cependant nous sommes disposés, avons-nous dit, à affronter tous ceux qui voudraient attaquer ou démentir nos allégations d’abus de confiance et d’imposture dont est coupable Yves Person. Mais en attendant et dans la perspective d’une réaction ou de cet éventuel procès, nous ne cesserons jamais de demander aux avocats d’Yves Person de bien vouloir nous expliquer ou justifier pourquoi et comment une copie du tapuscrit, du premier jet de 110 pages du manuscrit de mon père, s’est-elle retrouvée dans les archives personnelles d’Yves Person? Ou alors mon père a-t-il été si naïf pour faire 34 ans d’inlassables passionnantes recherches sur la société traditionnelle mandingue et sur l’Almamy Samory Touré, le Héros emblématique mandingue, le plus Grand Résistant à la colonisation française au XIXème siècle, pour tout simplement ou uniquement permettre à Yves Person d’écrire sa thèse de doctorat d’état de troisième cycle. En se contentant d’être tout simplement signalé comme étant le meilleur informateur de cet africaniste? NOUS DISONS MILLE FOIS NON! NON! ET NON! 78


Nous ne cesserons jamais de répéter que mon père a effectivement écrit pour être édité et avoir l’honneur et le mérite de réaliser pour la postérité africaine un ouvrage qui est incontestablement un repère irremplaçable pour guider les futures générations dans les ténèbres de l’histoire africaine et de la culture mandingue qui se trouvent malheureusement, en leur état actuel, beaucoup plus dans la mémoire collective des peuples que dans les livres. Que les érudits de l’histoire africaine et le public ne s’étonnent donc pas de sa ressemblance troublante, à beaucoup d’égards, avec l’ouvrage d’Yves Person qui n’est autre que le manuscrit de mon père astucieusement plagié, du moins pour le début de l’histoire de Samory, disons le Tome I de sa volumineuse thèse de doctorat de troisième cycle, relative au Konya, pays d’origine ou berceau de l’Empereur Mandingue. Si le manuscrit de Djiguiba Camara n’a pu être publié depuis sa mort en 1963, c’était par crainte de répression contre sa famille de la part du régime révolutionnaire et autoritaire instauré en Guinée par le Président Ahmed Sékou Touré de 1958 à 1984. Pour le publier à l’époque sans risque, il fallait trahir la mémoire de son auteur, en l’adaptant à une certaine idéologie ou en l’amputant de ce qui en fait l’intérêt évident, c’est-à-dire la narration sans complaisance des faits, des événements. Bref! il fallait faire, dans ce cadre officiel, de l’histoire militante au service d’un régime. Donc, pour éviter sa dénaturation, sa confiscation ou sa destruction pure et simple, et pour épargner à ma famille une répression aveugle, nous avons pris le sage parti de suspendre toutes les démarches en vue de sa publication. Nous avons ainsi préféré attendre un moment plus propice. Nous nous souvenons du rejet systématique, en 1968, dont à fait l’objet le scénario du film du cinéaste sénégalais, Sembène Ousmane, sur Samory et sur proposition de Louis Senainon Béhanzin, à l’époque Ministre de l’Information et de l’Idéologie de la Guinée. Le Président Sékou Touré approuva sans réserve cette décision motivée par le fait que ce metteur en scène avait présenté en préambule Samory comme un chef de bande ou Tyè-Ghanan (vérité trop cruelle, dégradante et inadmissible pour le petit-fils du conquérant). Or dans le fond, ce talentueux cinéaste avait le souci de présenter l’empereur comme un héros national africain. À cause de cette petite vérité - peu méchante d’ailleurs il perdit la caution qu’il avait jusque-là de la part du Président Sékou Touré. Et tout espoir de soutien financier et logistique qu’il attendait s’envola. On rejeta donc son scénario en lui faisant comprendre que la régie nationale cinématographique Syli Cinéma allait s’occuper du tournage d’un tel film sur Samory. Cependant, pour Sèmbène Ousmane, la Guinée était mieux indiquée pour la réalisation d’un tel film en raison de son cadre naturel où évolua l’empereur; de langue parlée dans l’empire et des costumes traditionnels que portaient les acteurs de ce mélodrame. Compte tenu de cette hypersensibilité du régime politique instauré en Guinée sous la Première République, que serait-il advenu si notre manuscrit, plus virulent et plus objectif dans ses récits sur Samory, avait 79


été publié? Ceux qui ont vécu dans ce régime autoritaire conviendront avec nous qu’infailliblement la chasse aux sorcières serait organisée contre les éléments de ma famille qui seraient tous taxés de féodaux nostalgiques d’un passé à jamais révolu, de réactionnaires, de contre-révolutionnaires, d’anti-guinéens, de mercenaires de la plume. C’est bien en tenant compte de cette sensibilité ou susceptibilité politique permanente des autorités de la Première République de Guinée (1958-1984) et pour éviter en conséquence des ennuis aux héritiers de Damaro Diontan Djiguiba Camara qui résidaient en Guinée, que nous avons suspendu toutes les démarches visant son édition; car le Professeur feu IBRAHIMA BABA KAKÉ avait négocié un contrat d’édition avec la maison d’édition LION. En effet: « Le regard menaçant et le visage renfrogné du roi traduisent clairement sa sensibilité, expriment nettement sa triste humeur et obligent ses sujets à la méfiance et à la retenue… » Au regard d’une telle humeur notoire du Président Ahmed Sékou Touré et de son régime autoritaire, nous avons donc été réalistes en limitant les risques de poursuites et de répression à notre en contre ainsi que nos frères demeurés en Guinée qui seraient tous traités de mercenaires de la plume et complices actifs de la conception d’un ouvrage « réactionnaire » consacré au Grande Responsable Suprême de la Révolution. Il nous fallait donc éviter les ennuis en faisant preuve de patience et en donnant le temps au temps. Il fallait donc continuer le travail d’enrichissement, d’amélioration du manuscrit original en attendant un moment plus propice. C’est ainsi que nous nous sommes consacrés à un travail d’enrichissement et d’amélioration de la forme: ● En y insérant les textes que nous avons traités sous l’égide de l’auteur, de 1959 à sa mort en 1963, relatifs à certains thèmes, ● En y insérant les textes trouvés épars dans, les archives de mon père, ● En reprenant les thèmes insuffisamment traités par l’auteur, sur recommandations de certains érudits de l’histoire africaine, ● En y insérant aussi des thèmes complémentaires, fruits de nos propres recherches, ● En y insérant aussi et surtout des photos inédites et des cartes afin de le rendre agréable et de faciliter sa compréhension par les lecteurs, ainsi que par de textes de tiers… Comprenez donc que c’est bien pour une question évidente de sécurité pour nous et pour toute notre famille que nous avons renoncé par réalisme à certaines opportunités et suspendu la procédure d’édition de ce manuscrit en attendant un moment plus favorable. Quant à Monsieur Yves Person, il bénéficia des circonstances plus favorables pour éditer son volumineux manuscrit avant le nôtre qui a le mérite supplémentaire de présenter, dans son Tome I, la société traditionnelle malinké dans presque tous ses aspects. 80


DEUXIÈME CAS D’IMPOSTURE DONT FUT COUPABLE MONSIEUR KÈFING DONZO, ORIGINAIRE DE NIONSOMORIDOU ET EX-DÉPUTÉ DE BEYLA

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Un autre événement fâcheux identique, qui se rattache à l’existence de ce manuscrit, mérite d’être dénoncé aussi à l’attention des lecteurs. À la suite des démarches effectuées par les autorités politique et administrative de la région de Beyla (République de Guinée) et des notables de Damaro dont il était le chef et le doyen, mon père, Damaro Diontan Djiguiba Camara, céda, par patriotisme, en 1959 un exemplaire de son manuscrit. Ce tapuscrit qui répondait dans son fond aux soucis et aux espérances du Bureau Politique National du Parti Démocratique de Guinée (PDG), section du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) et du gouvernement guinéen lesquels avaient déclenché, dès le lendemain de l’indépendance guinéenne en 1958, une vaste campagne - malheureusement non poursuivie - de sauvetage de nos traditions orales menacées de disparition. Mais, malheureusement, Kèfing Donzo, à l’époque Secrétaire Général de la section PDG-RDA de Beyla, ne communiqua jamais cette moisson de traditions orales au gouvernement guinéen en vue de sa publication, conformément à l’engagement fait solennellement à l’auteur qui se heurta jusqu’à sa mort en 1963 tantôt à un mutisme complet, tantôt à des promesses fallacieuses dans ses différentes tentatives de s’informer sur le sort réservé à son manuscrit. Pendant ce temps, l’imposteur, Kèfing Donzo, se croyant à l’abri de tout soupçon et de toute réaction dénonciatrice ou contradictoire, convaincu que personne ne pouvait démasquer sa supercherie, se mit à table pour recopier fidèlement, patiemment et soigneusement tout le contenu du manuscrit de mon père dans deux gros cahiers de 400 pages chacun en attendant le moment propice pour publier le manuscrit qui porte d’aventure sa signature. Si Djiguiba Camara a mis 34 ans (1929-1963) pour collecter les traditions mandingues, Monsieur Kèfing Donzo, lui, a mis soit cinq ans (1959-1963) ou deux ans (1959 et 1963) pour faire le même travail harassant et de longue durée. Il n’a certainement commencé à concevoir ou à exécuter sa forfaiture qu’en 1959, c’est-à-dire, dès réception de la copie du manuscrit ou seulement qu’après la mort de sa victime en 1963. o Quel record! o Que c’est bien facile d’être auteur, chercheur ou écrivain de cette manière. o Où est donc le mérite de l’effort personnel persévérant à déployer et qui est indispensable pour rassembler les matériaux nécessaires et pour écrire un tel ouvrage personnel, fruit d’un travail de longue haleine? Même un collectif étoffé de chercheurs spécialistes et disponibles aurait sûrement mis beaucoup plus de temps pour produire un tel ouvrage d’envergure, contrairement à celui, incroyablement trop bref, mis par le champion Kèfing Donzo pour écrire le sien. Profitant donc de la mort de Djiguiba Camara en 1963, Monsieur Kèfing Donzo, qui avait gardé par devers lui le tapuscrit remis aux autorités de Beyla, le transposa malhonnêtement - j’insiste sur cet aspect flagrant et facile de la 82


fraude - dans deux gros cahiers de 400 pages chacun. Il prit bien sûr soin de l’adapter à la conception de l’histoire du parti et du gouvernement guinéens, et en biffant purement et simplement le nom de Djiguiba Camara, l’auteur légal, partout où on pouvait lire celui-ci. Ce manuscrit, dont il s’était malhonnêtement approprié la paternité et qu’il avait présenté au gouvernement guinéen comme étant le fruit de ses recherches personnelles, fut accueilli avec un enthousiasme tel que « HOROYA », le quotidien du PDG-RDA dans son numéro 449 du 25 juin 1964, le présenta, sous la plume de Mamba Sano, à ses lecteurs en des termes très élogieux. Ce vénérable ancien et premier député de la Guinée à l’Assemblée Nationale Française, de 1946 à 1956, se rendit heureusement compte, plus tard, de l’ampleur de la supercherie morale ou de l’abus de confiance dont mon père et lui-même étaient victimes. Il accepta alors d’adapter le même texte à l’ouvrage de Djiguiba Camara qui était aussi son ami personnel et politique. C’est alors qu’il se souvint que Maurice Montrat, auteur du roman autobiographique « N’Nah » (« Ma mère ») et ancien élève de mon père de 1904 à 1908 à la première école primaire de Faranah, avait vivement conseillé à mon père de bien vouloir le solliciter pour trouver un éditeur du présent ouvrage en France où il résidait après sa retraite politique. Pour perpétuer cette amitié il se mit à notre totale disposition pour toutes fins utiles après avoir repris la lecture de notre manuscrit. Afin d’adapter sa préface au celui-ci. Convaincu que ce manuscrit préfacé, dans sa structure, n’était autre que celui de mon père dupé, j’usai alors de mes droits d’héritier légitime pour porter plainte contre Kèfing Donzo. Ce fut d’abord à la Présidence de la République où je fus reçu, en l’absence du Président Sékou Touré, par le Secrétaire Général de la Présidence, El Hadj Sinkoun Kaba, qui n’accorda aucun crédit à ma requête. Pour lui ce n’était même pas la peine d’enregistrer ma plainte qui n’avait aucun fondement. Il tenta même de me dissuader en me faisant croire qu’il était fermement persuadé que Kèfing Donzo était incontestablement l’auteur du manuscrit que celui-ci avait présenté au Président et dont je revendiquais curieusement et avec insistance la paternité au nom de mon père. Il alla même jusqu’à dire que Kèfing Donzo était comme mon père intellectuel et originaire du Konya, Patrie du Héros National, et que par conséquent mon père ne pouvait se targuer d’avoir seul la paternité exclusive et le monopole absolu des récits authentiques sur l’Empereur Mandingue. J’ignore encore la motivation et le fondement de la position apparemment complice de ce vénérable septuagénaire que tout le monde respectait tant en Guinée, et qui ne voulut faire aucune vérification de mes allégations, en dépit de mon insistance. D’ailleurs, il me renvoya en prétendant qu’il ne pouvait rien faire pour moi dans la mesure où Kèfing Donzo s’était retiré à Beyla pour mettre la dernière main à son manuscrit en vue de sa publication imminente. Mais cette fin de nonrecevoir ne fit que me déterminer à aller jusqu’au bout de ma démarche dont j’étais évidement convaincu du bien-fondé.

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Plus tard, j’appris que Sinkoun Kaba était un ami intime de Kèfing Donzo qu’il devait certainement défendre et ne pas laisser humilier. Mais, fallait-il fouler le droit et la justice pour défendre une grave escroquerie morale, un abus de confiance et une injustice commis par un ami intime? Opiniâtre, je puis un jour accéder au Président Ahmed Sékou Touré dans la cour de la Présidence, alors qu’il s’apprêtait à sortir pour sa promenade quotidienne en banlieue, au volant de sa voiture. Il m’apostropha pour écouter les raisons de ma présence dans son palais. Il écouta attentivement mon exposé liminaire sur l’affaire Kèfing Donzo assorti de plainte pour abus de confiance et escroquerie. En réponse, il fit allusion à Kèfing Donzo qui lui avait présenté un jour deux gros cahiers de 400 pages chacun où il aurait écrit l’histoire de l’Almamy Samory Touré. Après l’avoir félicité pour un tel travail, il lui conseilla de prendre immédiatement contact avec le doyen Mamba Sano, Ancien Député à l’Assemblée Nationale Française, afin d’en écrire la préface pour que le journal « Horoya » puisse le présenter dès maintenant au public et que cette œuvre puisse faire des émules dans cet effort de sauvetage de nos traditions. En plus de ses encouragements, il le recommanda aux autorités administratives de Beyla qui furent invitées de mettre à sa dispositions toute la logistique nécessaire pour parachever son œuvre. Au terme de notre bref entretien il me demanda de me rendre Beyla pour faire toute la lumière sur cette affaire avec les autorités locales de Beyla auxquelles il donnerait des instructions appropriées. Persévérant, opiniâtre dans sa démarche, convaincu de la justesse et de la légitimité de celle-ci pour relever le défi, je ne baisserai jamais les bras. Sans pour autant me décourager, je fus donc obligé de me rendre à Damaro (mon village natal) pour prendre la copie originale du manuscrit qui se trouvait dans les archives de mon père afin d’aller rencontrer Kèfing Donzo à Beyla, chef-lieu de notre région. Là, je fus heureusement écouté par Monsieur le Gouverneur de la Région (Sékou Chérif) et par Monsieur le Secrétaire Général de la section locale du PDG-RDA (Koïta Almamy) qui furent plus sensibles à ma démarche. Fort donc d’une recommandation spéciale personnelle du Président Sékou Touré auprès des autorités de Beyla, Kèfing Donzo bénéficia d’une attention particulière des autorités, d’une aide financière et de beaucoup d’autres facilités pour accélérer l’achèvement de son travail. Ainsi, il avait à sa disposition des secrétaires pour dactylographier son manuscrit que les uns et les autres considéraient comme un apport précieux à l’effort de sauvegarde de notre patrimoine culturel en voie de disparition. Pour eux c’était une histoire militante, concordant parfaitement avec les options du parti et du gouvernement guinéens. Kèfing Donzo faisait donc l’objet d’une attention toute particulière dans les milieux politique et administratif de Beyla et de la Guinée. Le Secrétaire Général de la Région Administrative de Beyla - à l’époque Monsieur Seck Thierno Oumar, un jeune cadre intègre - avait reçu de ses supérieurs des instructions précises pour entendre le plaignant et l’accusé afin de 84


faire toute la lumière sur cette affaire. Animé d’une farouche volonté de justice, Monsieur Seck Thierno Oumar, sensible à ma situation de frustration ou de victime abusée, comprit ma réaction légitime et convoqua Kèfing Donzo, l’imposteur, qui ne répondit pas à la première convocation régulière, parce qu’il se sentait fort de son manteau de Secrétaire Général de la section locale du PDG-RDA de Beyla et de celui de député à l’Assemblée Nationale. En plus, il était une personnalité respectée, écoutée et intouchable de la cité et de tout le Konya. C’est ainsi que par son comportement extravagant et par son excès d’orgueil, il brava l’autorité administrative locale. Par réaction légale, celle-ci décida d’affirmer l’autorité du symbole qu’il incarnait devant les nombreux citoyens venus spontanément suivre le dénouement de cet évènement. C’est ainsi que Kèfing Donzo fut finalement contraint de se rendre, manu militari, à cette séance de confrontation. Il y vint les mains vides, sans le manuscrit concerné. L’autorité l’obligea donc à retourner chez lui pour le ramener. Il s’exécuta. Monsieur Seck Thierno Oumar lui tendit alors ma plainte qu’il ne prit pas. Mais celui-ci prit soin de lui en faire un résumé concis pour ouvrir les débats. L’atmosphère était lourde dans la salle. Connaissant le caractère impulsif de l’accusé, les gens étaient inquiets de sa réaction par rapport à l’humiliation qu’il allait subir, car en pareille circonstance, il était capable du pire scandale. Je me sentais fier de venger mon père de celui qui, en 1957, lors de la suppression de la chefferie traditionnelle en Guinée, à l’occasion de l’application de la loi-cadre Gaston Defferre, dirigea une importante délégation du PDG-RDA pour venir narguer, humilier et insulter mon père, dernier chef de canton de Simandou. Curieusement c’est le manuscrit de celui qu’il avait vilipendé, trainé dans la boue qu’il avait subtilement et effrontément détourné et maladroitement plagié pour son propre compte. Par piété filiale, ma réaction n’est-elle pas légitime? Cette manière de gérer le dossier fut pour moi une grande satisfaction et une consolation morale hautement appréciable, car je voyais pointer à l’horizon la victoire de la vérité sur le mensonge, sur l’escroquerie et sur l’imposture. L’entretien fut houleux entre lui et Monsieur Seck Thierno Oumar qui lui fit comprendre que personne n’est au-dessus de la loi. Dans une nervosité aiguë qui frisait le délire, Kèfing Donzo frappa violemment du point sur la table en se levant. Ne pouvant sortir en raison de la présence des Agents de la Garde Républicaine qui bloquaient la porte, il fut obligé de s’asseoir et attendre les conclusions de la confrontation. Il fit beaucoup d’errements, eut des excès de langage à l’endroit de mon père et me traita de réactionnaire et de fils d’un féodal nostalgique d’un passé à jamais révolu, car mon père était effectivement chef du Simandou pendant 29 ans (1928-1957). Dans sa colère incontrôlée, je retiens encore avec précision dans ma mémoire certains de ses propos désobligeants proférés sur un ton violent dont entre autres:

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« Espèce de fils de féodal. Votre temps est à jamais révolu. Crois-tu que ton père est le seul intellectuel à connaître et à avoir le monopole de l’histoire de Samory? Je connais autant que lui l’histoire du Konya? J’ai été à l’école comme lui? D’ailleurs peux-tu prouver les liens que mon travail a avec le manuscrit de ton de ton père…? » Mais mon éducation ne me permit pas répondre à ses inepties et surtout que je savais que le masque de l’imposteur allait tomber définitivement avec fracas et séance tenante. Après tout sa réaction violente se comprenait, il entrevoyait déjà la grande honte qui l’attendait dans ce milieu malinké où on préfère mourir plutôt que de vivre dans la honte (Saya ka fisa maloya di), du moins pour les personnes dignes et sensibles. De vive et intelligible voix, comme son ami Sinkoun Kaba, Kèfing Donzo continua imperturbablement à me faire comprendre en criant avec insistance et arrogance que mon père n’avait pas le monopole de l’histoire de Samory. Se disant homme de terrain, vieux, compatriote de Samory et intellectuel comme mon père, il avait personnellement recueilli et transcrit les traditions orales, notamment l’histoire de Samory dans les différentes régions malinkés de Guinée où il servit comme fonctionnaire. Il exigea de donner à l’assistance les preuves de sa culpabilité et de mon assertion. Et alors fut grande sa surprise de me voir présenter une copie du manuscrit de mon père que j’avais soigneusement dissimulée sous mon manteau. Tout étonné, il se tut subitement. Ce fut l’effet d’une pierre qui tombe dans une mare aux grenouilles et dont les coassements s’estompent subitement. J’invitai Monsieur Thierno Seck Oumar d’ouvrir par hasard le cahier N°1 de Kèfing Donzo et de retrouver le chapitre ou le sous-titre concerné. J’ouvris et retrouvai les mêmes références dans le tapuscrit de mon père. Il lut et moi je relus exactement ensuite la même chose, disons les mêmes phrases. Nous répétâmes la même gymnastique ou opération, au moins six ou sept fois dans le premier cahier de Kèfing Donzo et autant dans son deuxième cahier. Après une dizaine de cas de comparaison publique des deux ouvrages, faite au hasard, séance tenante, sur l’histoire de Samory (deuxième partie du manuscrit, qui avait seulement intéressée Kèfing Donzo pour qui la première partie consacrée à l’étude de la société malinké était négligeable), l’identité des deux manuscrits était quasi-totale, indiscutable. Ils avaient la même structure. Les titres et les sous-titres étaient les mêmes ainsi que la quasi-totalité des phrases. C’était presque du mot à mot. C’était indéniablement la copie du manuscrit de Djiguiba Camara. Il faut noter que les responsables politiques autochtones d’alors de Beyla: Le député Moustapha Cissé, Le commerçant Kaba Condé dit Kaba Chavanel, Et le bouillant notable Gbati Mamadi Touré, oubliant leur engagement collectif, ne s’étaient plus intéressés au sort du manuscrit. Confondu par ce flagrant délit d’escroquerie indéniable, Kèfing Donzo fut obligé d’avouer son 86


forfait. Il n’avait d’ailleurs pas d’autres alternatives pour échapper à ce jugement ou justifier son acte, car les choses étaient très claires pour l’assistance. Le constat de similitude des deux manuscrits était sans bavure. Le détournement ou le plagiat sans la moindre précaution ne faisait l’ombre d’aucun doute. L’évidence était là, indiscutable et implacable. En effet, le voleur était pris, la main dans le sac. Selon ses propres explications, il avait profité de ses qualités de Secrétaire Général du Parti et de Président de la Commission de Lecture mise en place, de l’affectation et de la promotion de l’ex-Gouverneur de Beyla (feu Emile Condé) et des autres responsables politiques du Comité Directeur du PDG-RDA, dont, entre autres, Naïny Touré, Kamano Saa Péllicot, Mamadou Sidibé, Biro Kanté, Moustapha Cissé..., pour garder par devers lui le manuscrit jusqu’à la mort de mon père en 1963. Il eut la subtilité ou la malhonnêteté de faire croire sa victime que son manuscrit avait été effectivement transmis au gouvernement guinéen à Conakry avec avis très favorable du comité de lecture et que sa publication ne saurait tarder, surtout que le Président Sékou Touré était vivement intéressé par le manuscrit, car il s’agissait de l’histoire de son ascendant maternel le plus prestigieux. C’est dans cet optimisme béat que mon père passa les quatre dernières années de sa vie (1959-1963) tout en continuant, heureusement, de travailler sur la copie qui lui était restée et qui avait été dactylographiée par Monsieur Saran Sékou Camara dit Sékou Greffier de Guéckédougou, fonctionnaire de la Justice à Beyla. Mais parallèlement, l’usurpateur travaillait hardiment à l’adaptation de l’autre copie à la conception ou à la vision historique du parti (PDG-RDA) tout en souhaitant certainement la mort rapide de mon père pour qu’il puisse sortir de l’ombre. Et c’est bien ce qu’il fit quelques mois seulement après la mort de celui-ci. Mais notre vigilance fit voler en éclats l’ambition malhonnête de Kèfing Donzo. Et la fête n’eut pas lieu, car le bien mal acquis ne profite jamais. Et suite à ce coup de pierre inopiné dans la marre, les crapauds cessèrent définitivement leurs coassements. Heureusement! C’est avec plaisir que je revis Monsieur Seck Thierno Oumar en 2015, 51 ans après, lors du mariage de sa nièce Aîcha Banfata avec Alhassane Kourouma, dans sa résidence d’ENTA USINE, dans la commune urbaine de Conakry, où il menait tranquillement une retraite paisible, après tant d’années de services rendus au pays. Il est toujours resté, malgré le poids de l’âge, un bel homme, toujours élégant, ayant tronqué le costume européen, qui lui collait très bien, contre le grand boubou bazin brodé aux couleurs chatoyantes. Il a bien su se conserver. Octogénaire, on lui donnerait facilement la soixantaine. Ce fut l’occasion pour nous de nous rappeler cet évènement et certains souvenirs de Beyla. Je mis encore à profit cette rencontre fortuite pour lui témoigner encore publiquement toute ma reconnaissance pour la lucidité et l’esprit de justice dont il fit preuve dans la gestion de ce dossier. Il m’exprima encore son souhait de lire ce livre qui a trop duré en chantier et me rappela certains bons souvenirs qu’il avait encore de Beyla dont il a apprécié le climat et l’esprit d’hospitalité de 87


ses populations. Au nom de ma famille, je le remercie vivement et très sincèrement pour sa clairvoyance et son intégrité qui nous ont permis de récupérer le manuscrit de mon père. Ainsi, suite à cette confrontation de clarification, Kèfing Donzo fut donc reconnu, par les autorités locales de Beyla, coupable d’escroquerie morale, d’abus de confiance et de détournement. Son nouveau manuscrit (deux gros cahiers de 400 pages) et celui de mon père qu’il fut contraint de ramener, furent confisqués et transmis à Conakry, avec le procès-verbal de la confrontation, à l’Institut National de Recherche et de Documentation (INRDG, l’ancien IFAN), organisme concerné et plus compétent. Heureusement, justice me fut rendue en novembre 1964, sur intervention personnelle du Président Sékou Touré qui s’indigna de cet abus de confiance, lorsqu’il me reçut en son palais. Ce jour-là, tout en me présentant les excuses du Gouvernement et du Parti, il condamna vigoureusement ce comportement indigne et irresponsable d’un de ses meilleurs compagnons de la lutte politique pour arracher l’indépendance de la Guinée. Il ordonna au doyen Cheikou Baldé, Directeur à l’époque de l’INRDG, que me soient immédiatement restitués les deux cahiers manuscrits de Kèfing Donzo et la copie de mon père, conformément à mes vœux. Je ne crus pas nécessaire d’engager des poursuites judiciaires contre Kèfing Donzo comme j’en avais la possibilité et le plein droit et que m’avaient vivement conseillé certaines personnes. Mais je fus encore plus indigné en constatant que Kèfing Donzo avait pris soin de biffer purement et simplement le nom de mon père au profit du sien dans le manuscrit qu’il avait confisqué. Mais, en raison de mon éducation, j’ai volontairement limité l’humiliation de l’imposteur dans ce milieu Konyanké de Beyla où il était un personnage prestigieux pour avoir été à la pointe du combat politique et de la lutte émancipatrice et libératrice du peuple de Guinée. Il fut aussi le premier Viceprésident, puis Questeur de la première Assemblée Nationale de la jeune République de Guinée. Ainsi donc mon jet de pierre inattendu, opportun, et approprié fit taire définitivement le croassement du corbeau qui, en volant de son perchoir pour se sauver, perdit sa proie qu’il tenait fermement dans son bec avec ses serres et qu’il s’apprêtait à déguster tranquillement. Aussi, depuis celle que j’ai jetée dans la marre, les coassements des crapauds et des grenouilles ne se firent plus entendre. Et la fête n’eut plus lieu par l’intervention prompte inattendue et efficace du trouble-fête que je fus pour Kèfing Donzo. Mais malheureusement l’isolement de la Guinée de 1958 à 1984 ne m’a pas permis de faire autant par devoir filial avec Yves Person, cet autre imposteur subtil et audacieux. Avec cinquante ans de recul dans le temps (1964-2015), je me reproche aujourd’hui de n’avoir pas engagé contre ce faussaire une véritable action judiciaire pour abus de confiance, détournement... On se souvient qu’en 1957, 88


cet imposteur qui avait conduit la délégation du PDG-RDA venue à Damaro annoncer la suppression de la chefferie traditionnelle en Guinée, avait bavé sur mon père qu’il avait traité de valet du colonialisme. Parmi tous les anciens chefs de canton révoqués Djiguiba Camara a été présenté comme le plus mauvais, le diable qu’il fallait humilier. Avec son micro ou porte-voix monté sur une voiture, il fit une entrée fracassante à Damaro dont la population fut invitée à venir entendre la bonne nouvelle du siècle ou de l’année, c’est-à-dire la destitution, la chute ou la fin du monstre, du « diable rouge », sobriquet par lequel certains fonctionnaires désignaient mon père. Cependant, plus de cinquante ans après sa mort, les Simandouka retiennent de leur ancien chef de canton l’image d’un bâtisseur qui a à son actif: o L’introduction de la charrue attelée dans les travaux de labour, ce qui a permis d’améliorer considérablement la production des denrées alimentaires que le Simandou produit en quantité et en qualité. o La construction en 1937 et en 90 jours d’une route carrossable de 30 km avec la démolition du col de Dianfòlòdou sur 450 mètres et une profondeur moyenne de 20 mètres sur le flanc est du mont. Cet ouvrage de communication a permis de désenclaver le Simandou et de faciliter le drainage des produits alimentaires de cette région à vocation agro-pastorale. o La construction en 1942 de la première école primaire du Simandou à Damaro. o La construction en 1952 du premier dispensaire du Simandou à Damaro. Aussi, ce fut ce même Kèfing Donzo qui, en qualité de Secrétaire Général de la section PDG-RDA et de Député de Beyla, vint prêter la baignoire personnelle de l’Empereur Almamy Samory Touré pour l’exposer au musée régional de Beyla lors de la première visite du Président Houphouët Boigny en 1963 en Guinée. Cette baignoire était en bronze avec 1 mètre de hauteur et un diamètre à la base de 80 à 90 centimètre de rayon. Ce patrimoine, propriété exclusive de Damaro Diontan Djiguiba Camara et de ses héritiers, n’est plus jamais revenu à Damaro où il était exposé dans le vestibule de mon père. Il paraît que le Président Sékou Touré l’avait récupérée pour l’exposer dans son Palais de Conakry où il la présentait avec fierté à ses hôtes de marque comme étant la baignoire personnelle de son ascendant maternel. Ce patrimoine national doit nous être restitué pour le ramener à Damaro ou alors lui aménager une place de choix dans les rayons du Musée National de Sanderwalia (Conakry) pour nous consoler. Aux dernières nouvelles, le Commandant Barou Diallo de Labé l’aurait pris lors du coup d’état intervenu après le décès du Président Sékou Touré en 1984. Il faut donc la rechercher du côté de Labé pour l’accueillir au Musée National de Guinée si elle ne peut plus retourner à Damaro, dans le vestibule de Damaro Djiguiba Camara, son propriétaire légal. En nous la restituant, elle prendrait une place de choix dans le musée de Damaro que l’Honorable 89


Amadou Damaro Camara est en train de construire en 2018, en lieu et place de la case personnelle de notre grand-père Fata Kéoulèn Camara. (REMERCIEMENTS) Après cet incident, et animé d’un souci d’amélioration et de perfection, j’ai jugé nécessaire de le soumettre, avant publication, à la lecture critique de: - Monsieur Djibril Tamsir Niane, ancien proviseur du Lycée Classique de Donka (Conakry), ancien doyen de la Faculté des Lettres de l’Institut Polytechnique de Conakry. Niane fut aussi ancien directeur de la Fondation Léopold Sédar Senghor à Dakar, célèbre historien guinéen bien connu par ses études sur les empires du Moyen Âge africain (Ghana, Mali, Gao, Sonraï...) et surtout par son « Histoire de l’Afrique Occidentale » (22) et par sa célèbre histoire romancée de « Soundjata ou l’épopée mandingue », qui est considérée par beaucoup d’anthologistes comme le chef d’œuvre de la littérature négroafricaine. o Mademoiselle Joseph-Noël, devenue Mme. Béhanzin, professeur d’Histoire au Lycée Classique de Donka, puis à l’Institut Polytechnique de Conakry et qui fut mon professeur d’histoire. o Monsieur Mamadou Barry dit « Petit Barry », ex-député à l’Assemblée Nationale Guinéenne et ancien directeur de Radio Guinée. o Monsieur Mamadou Traoré Ray-Autra, ancien directeur de l’Institut National de Recherche et de Documentation de la République de Guinée, en 1984, puis chercheur ethno-sociologue à l’IFAN de Dakar et collaborateur au mensuel africain « Bingo ». o Monsieur Amadou Hampâté Bâ, auteur de « L’Étrange destin de Wangrin » et de bien d’autres ouvrages sur les Peul et les Bambara, célèbre traditionaliste malien. Ce vénérable sage, qui vivait depuis plus de vingt ans (1984) à Abidjan, avait le respect de tous les jeunes chercheurs africains et africanistes européens qui le consultaient régulièrement sur tous les sujets relatifs à la culture africaine qu’il connaissait si bien. « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle » (23) est une pensée célèbre d’Amadou Hampâté Bâ qui a fait le tour de l’Afrique et du monde et qui dénote son souci pour la sauvegarde de la tradition orale menacée de disparition et dont il était le défenseur le plus acharné. Il fut vivement impressionné par la richesse du manuscrit dont il recommanda avec insistance la publication. Il m’a vivement conseillé d’enrichir l’ouvrage de mon père en traitant les thèmes insuffisamment traités et en y insérant des cartes et des photos afin de rendre agréable la lecture et orienter les lecteurs. Pour lui il s’agissait tout simplement de parapher la construction d’une fondation entamée par mon père, comme il est du devoir de tout héritier digne. o Le Professeur Ibrahima Baba Kaké, agrégé d’histoire, auteur de

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dizaines de livres d’histoire, producteur et animateur de la très célèbre émission radiophonique « Mémoire d’un continent » a lu ce manuscrit lors d’un de ses séjours à Abidjan en 1987. Il avait négocié l’édition de ce manuscrit avec la maison d’édition « LION ». Mais, malheureusement, cette démarche fut bloquée de justesse, à la demande de ma famille qui résidait en Guinée et qui ne se sentait pas en sécurité si celle-ci avait abouti sous le régime révolutionnaire du PDG-RDA de Sékou Touré. Après l’avoir compulsé, il m’a proposé, comme titre de l’ouvrage:

« ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE » que j’ai finalement retenu par ce qu’il reflète exactement le contenu de l’ouvrage et pour des considérations d’ordre commercial. Oui, son contenu est rigoureusement identique aux aspects culturels de toutes les autres provinces mandingues, ou en tout cas à peu de variantes près. ● Monsieur Cheick Hamidou Kané, écrivain sénégalais, auteur de « L’Aventure ambiguë », ancien résident de l’UNICEF à Abidjan et plusieurs fois ministre dans son pays. ● Quant à Mamba Sano (24), ancien et premier député de la Guinée à l’Assemblée Nationale Française (1946-1956), un des pionniers de l’enseignement en Afrique, c’est un vieil ami de mon père en souvenir de qui il a bien voulu préfacer cet ouvrage posthume. ● J’ai aussi bénéficié des sages conseils de Monsieur Antoine Konan, ancien maire de la ville d’Abidjan. ● Que le frère Diomandé Gbaou Sinzé, ancien Administrateur des Services Financiers de Côte d’Ivoire du Ministère de la Construction dans les années 1980, devenu, à sa retraite, premier maire de la Commune de Wanino (Touba, Côte d’Ivoire) en 1985, veuille bien trouver ici le témoignage de ma très sincère gratitude pour toute la sollicitude dont il m’a entouré constamment et pour son précieux concours matériel et moral qui m’ont permis de faire avancer sérieusement ce travail. ● Par ailleurs je remercie vivement feu El Hadj Abou Doumbia, Président Directeur Général en 1984 de la SIB (Société Ivoirienne de Banque), puis ambassadeur de la Côte d’Ivoire en Arabie Saoudite, oncle paternel de mon épouse, dont les critiques et suggestions constructives m’ont permis de faire certaines retouches indispensables. C’est ainsi qu’à sa demande, j’ai consacré plus de 80 pages dactylographiées au mariage et à la famille traditionnelle malinké. Ce chapitre, que mon père n’avait fait qu’effleurer, intéressera certainement les futures générations. Son soutien matériel et moral ne m’ont jamais fait défaut. Je l’en remercie très infiniment. En outre, si nous avons pu terminer ce travail ardu de longue haleine, c’est bien grâce à la précieuse et déterminante contribution matérielle, financière et morale de mes cousins: 91


● Je ne saurai oublier le soutien financier et moral constant de mon neveu,

le Professeur Tirankè Morikè Damaro Camara, qui m’a aidé à réaliser en 1972 les premières photos du cimetière colonial français de Bissandougou, quand il était étudiant à l’Université de Kankan. Après m’avoir mis la puce à l’oreille, suite à une indiscrétion ou à la curiosité du député Kèfing Donzo de Beyla, originaire de Nionsomoridou (Beyla), un des imposteurs du présent ouvrage, sur la localisation du détenteur du présent manuscrit et sur l’intention de la Révolution Guinéenne de mettre la main sur le manuscrit de mon père, il m’encouragea à prendre les dispositions appropriées pour faire sortir le manuscrit de la Guinée afin de le mettre en lieu sûr en attendant un moment propice pour l’éditer. Après le doctorat en mathématiques en Allemagne, il devint Professeur de Mathématiques à l’Université d’Abidjan. À Abidjan, il prit en charge les frais de saisie de la seule copie qui me restait afin de disposer de quelques copies et de me permettre de le soumettre à la lecture critique de certains érudits de l’histoire africaine dont le vénérable Amadou Hampâté Bâ qui fut le premier ciblé. Devenu en 2011 Ministre de l’Enseignement Supérieur, dans le premier gouvernement du Professeur Alpha Condé, il eut le tort de vouloir assainir le fichier des étudiants. Dans cette noble démarche devant mettre fin à la magouille qui minait le secteur, il s’attaqua aux intérêts des universités privées en détectant les milliers de faux étudiants boursiers ou « étudiants fictifs » dont la bourse coûtait des dizaines de milliards de Francs guinéens à l’État guinéen. Pour avoir donc mis fin à cette saignée financière au détriment des prometteurs ou fondateurs d’universités privées, il fut victime d’une conspiration de ceux-ci qui réussirent à l’éjecter de son poste, en faisant croire au président que son ministre de l’Enseignement Supérieur entretenait de solides relations directement son opposant Lansana Kouyaté et boudait en plus les activités du RPG, le parti du Président Alpha Condé. Morikè, en qualité de technocrate intègre, ne trouvait pas nécessaire de participer chaque samedi aux réunions du parti, comme la quasi-totalité de ses collègues ministres. Aussi, on fit croire au président qu’il ne voyait Morikè que lors des conseils hebdomadaires du gouvernement. Cette austérité financière ou cette intégrité de Morikè permit à l’État de récupérer plus de quarante milliards de Francs guinéen lors du payement des bourses des étudiants. Les sommes récupérées furent reversées au trésor public. Le temps donnant toujours raison à la vérité, son successeur découvrit lui aussi une autre « poule aux œufs d’or » dans le même secteur. En effet, ce dernier découvrit, lui-aussi, un nombre pléthorique de professeurs fictifs à la charge de l’État dont le nombre faisait le double de l’effectif réel. Le Ministre, Docteur Tirankè Morikè Damaro Camara, fut donc victime de son excès de probité en refusant de tolérer comme ses prédécesseurs, ou d'être complice actif du partage de cette fortune colossale détournée des caisses de l’État guinéen. 92


Morikè a donc eu tort de refuser de partager cette fortune détournée, entre les fondateurs d’universités privées, les agents véreux de l’administration financière et lui-même, comme on avait l’habitude de le faire… Ainsi donc, pour avoir eu tort de tuer « la poule aux œufs d’or » des prédateurs de l’économie, le Ministre Morikè Damaro Camara fut abattu et éjecté de son poste par une conspiration manipulatrice subtile de ses collaborateurs indélicats et de la coalition des fondateurs d’universités privées et des bandits à col blanc. ● L’Honorable Député El Hadj Amadou Damaro Camara, économiste banquier à Conakry en 2013, après une formation de banquier ou une mise à niveau en banque et un long séjour aux U.S.A., membre du Conseil National de Transition (CTN) de 2010 à 2013, puis élu député à l’Assemblée Nationale de Guinée (2013-2018) et porte-parole du Groupe Parlementaire RPG-Arc-en-ciel (Mouvance Présidentielle). Il est le petit-fils de Magna Kaba Camara dit Magna Kaba Diomandé, ami d’enfance intime de l’auteur du présent ouvrage. Les deux amis, pour être nés le même jour - Djiguiba à Fooma et Magna Kaba à Damaro - étaient considérés comme des jumeaux. Je lui reste redevable pour sa contribution morale et matérielle déterminante dont j’ai bénéficiée de sa part pour terminer ce travail. (NB: Voir plus loin « Avant-Propos » de l’auteur sur le sens qu’il a de l’amitié sincère.) Je ne saurais arrêter la très longue liste des mécènes et des bonnes volontés qui m’ont encouragé et aidé à divers degrés sans remercier mon ami et frère Dr. Moussa Konaté, originaire de Diarradougou (S/P de Komodou, P/Kérouané), Directeur Général de la Pharmacie Centrale de Guinée, qui m’offert une gamme complète de matériels d’informatique professionnel très performant et très chère pour me permettre de terminer aisément et de façon autonome ce volumineux manuscrit de plus de 2.000 pages, Tome I et Tome II réunis. Qu’il en soit particulièrement remercié. Que les nombreux mécènes que je n’ai pu nommer et remercier dans cette rubrique veuillent bien m’excuser de leur omission involontaire, car ils méritent tous cet honneur et ma profonde gratitude. LE MENSONGE, QUELLE QUE SOIT SA MONSTRUOSITÉ, FINIT TOUJOURS PAR SE MORFONDRE DEVANT LA VERITÉ EN EFFET « La vérité finit toujours par rattraper et détruire le mensonge, si gros soit-il, si subtile soit-il, si monstrueux soit-il, si bien brodé soit-il, si bien maquillé soit-il… à l’issue d’une course de fond, quels que soient la durée de celle-ci et les arguments qu’il utilise pour tromper, » dit l’adage. 93


En effet, nous les héritiers de Damaro Diontan Djiguiba, n’ont su seulement qu’en 2015 que Yves Person avait effectivement reçu un exemplaire du tapuscrit de notre père avec mission ferme de l’éditer en France par ses soins. C’est donc par le canal de l’Honorable Amadou Damaro Camara, un cousin de la famille, que les Professeurs Docteurs Marie Rodet et Élara Bertho¸ professeurs d’histoire africaine à Londres et à Paris¸ Sorbonne, m’ont contacté pour une collaboration en vue de l’édition du présent manuscrit. Dans le cadre d’une prise de contacts avec les héritiers de Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage, elles séjournèrent en Guinée, notamment à Damaro, du 14 au 23 décembre 2016. À cette occasion, la famille de Djiguiba Camara conclut avec elles un contrat de parrainage de l’édition du manuscrit. Merci donc à l’Honorable Amadou Damaro Camara pour sa sollicitude permanente, sa contribution morale, matérielle et financière qui nous ont permis de parachever ce travail de longue haleine. En 2016 et 2018 il mobilisa d’importants moyens financiers pour supporters la location de trois 4x4 (carburants plus frais de route ou frais de mission de la dizaine de membres de des deux délégations). Il le fit au nom de l’amitié de son grand-père Magna Kaba Diomandé avec mon père Djiguiba Camara, par patriotisme et par une profonde admiration et reconnaissance méritée pour le travail remarquable accompli pour le profit intellectuel que les générations présentes et futures tireront de cette œuvre pour connaître la société traditionnelle mandingue. Nous lui en sommes vivement reconnaissants. Il faut signaler et noter ici, avec regret, la grave erreur qui s’est glissée dans l’édition de Brill et dans l’émission de RFI du 25 octobre 2020 (voir « Magasine idées ») lors d’un entretien avec le Professeur Élara Bertho qui affirme, par erreur, que la version du livre trouvée dans les archives de Yves Person éditée par Brill est dédiée à Kèfing Donzo. IL FAUT DONC CORRIGER CETTE ERREUR OU CETTE GRAVE CONFUSION. En effet le véritable bénéficiaire de cet honneur est bien feu EL HADJ N’DORÈ FODÉ DONZO, ami de mon père et interprète colonial comme lui, qui fut aussi son ancien collaborateur avec qui il a eu un conflit d’intérêt, à Kankan en 1908, dans l’exercice de leur fonction suivi de la rupture de leur amitié (voir Biographie). Après trente ans de brouille (19081938) ils se réconcilièrent en 1938 sous le parrainage du Saint Karamo Kassakoro Mory Koné de Korèla. C’était pour regretter le temps de brouille stupide, receler ou immortaliser définitivement leur amitié retrouvée que mon père lui avait dédié son livre dont le travail a absorbé les 34 dernières années de sa vie (1929-1963). De son côté, et en contrepartie pour magnifier leur amitié, El Hadj N’Dorè Fodé Donzo donna le nom de « Damaro Djiguiba Camara » à son fils Kèmè Djiba Donzo, né en 1938, peu après leur réconciliation.

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Quant à Monsieur Kèfing Donzo, ex-député et ancien Secrétaire Général de la section de Beyla du PDG-RDA, il a subtilement joué pour obtenir, en 1959, un exemplaire du tapuscrit de l’ouvrage de mon père avec la promesse fallacieuse, jamais tenue, de le faire publier par le Gouvernement Guinéen. Malheureusement, mon père s’est toujours heurté, jusqu’à sa mort en 1963, soit à un mutisme complet et crapuleux soit à la promesse fallacieuse moules fois rabâchée pour endormir sa victime et selon laquelle: « Les choses sont en très bonne voie. Patientez un peu… » Chaque fois qu’il voulait s’informer sur le sort de son livre qu’il voulait voir avant de mourir. Cette malhonnête façon de faire l’avait inquiété et courroucé. Il ne cessait donc de s’en prendre à tous ceux qui avaient exercé une certaine pression sur lui pour céder un exemplaire de son manuscrit à des gens qui l’avaient farouchement combattu pour supprimer la chefferie coutumière. Ainsi, il se voyait dans la même situation de duperie créée par son ami et chef hiérarchique Yves Person à qui il avait remis une copie du manuscrit dans l’espoir d’une édition en France par les bons soins de ce dernier. Mais malheureusement Kèfing Donzo, comme Yves Person, n’a jamais engagé la moindre démarche dans ce sens et bien au contraire il s’est mué curieusement en imposteur en gardant définitivement par devers lui, depuis 1959, la copie cédée aux autorités politiques et administratives de Beyla dont il était le premier responsable. Or, ils s’étaient tous, unanimement, engagés à faire la promotion du livre de mon père et à transmettre le tapuscrit avec avis favorable au gouvernement guinéen pour l’éditer. Malheureusement, l’auteur s’est toujours heurté à un mutisme complet et arrogant jusqu’à sa mort. Ainsi, il n’a jamais su ce qu’était devenu son manuscrit. Pire, à la mort de Damaro Djiguiba Camara en 1963, Kèfing Donzo, qui avait soigneusement gardé le tapuscrit par devers lui, transposa intégralement son texte dans deux gros cahier de 400 pages chacun, qu’il présenta au Président Sékou Touré comme étant le résultat de ses recherches personnelles sur le Héros Emblématique Mandingue, le plus grand conquérant et résistant noir du XIXème siècle à la pénétration coloniale française en Afrique. Et le journal « HOROYA » s’en fit l’écho élogieux en publiant la préface écrite par le doyen Mamba Sano, premier député de la Guinée au Palais Bourbon, de 1946 à 1956. Par intuition, nous pûmes douter de paternité ou de l’authenticité du ce livre en chantier qui semblait être l’ouvrage de mon père au regard de sa structure décrite par son préfacier. Suite donc à notre plainte persistante devant certaines autorités et grâce aux instructions du Président Sékou Touré, nous pûmes récupérer notre patrimoine.

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À LA LUMIÈRE DE CETTE ESCROQUERIE DONT MON PÈRE FUT VICTIME LE PRÉSENT LIVRE NE POUVAIT ÊTRE DEDIÉ À KÈFING DONZO, L’IMPOSTEUR QUI NE MERITE PAS UN TEL HONNEUR DE NOTRE PART. Mais c’est El Hadj N’Dorè Fodé Bangaly Donzo, ancien interprète, ancien ami et collaborateur de mon père, ancien commerçant originaire de Diakolidou (Beyla) qui est bel et bien le bénéficiaire de cet honneur, et non Kèfing Donzo, l’imposteur. Que les descendants de N’Dorè Fodé Bangaly Donzo veuillent bien nous excuser ce QUIPROQUO involontaire au détriment de l’auteur de leurs jours pour qu’ensemble, nous puissions entretenir l’amitié sincère qui a uni DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA et EL HADJ N’DORÈ FODÉ BANGALY DONZO. ● Quant au Docteur JAN JANSEN dit SIDIKI KANTÉ, je le considère comme étant le directeur académique ou historique de cet livre sur lequel il a travaillé de 2018 à 2023. Professeur d’anthropologie, d’histoire africaine et de sociologie à l’Université de Leiden (les Pays-Bas) il s’est spécialisé dans l’étude des Mandingues du Nord. C’est dans ce cadre qu’il a séjourné pendant trois ans à Kéla (Mali). Il parle correctement le Malinké et considère l’ouvrage de mon père comme étant incontestablement le complément du sien. Vivement impressionné par le volume, la richesse et l’importance de l’ouvrage de l’autodidacte Djiguiba Camara de Damaro, il a bien voulu accepter d’en être le conseiller pédagogique et le directeur de publication en y apportant son savoirfaire en matière d’édition pour finaliser la mise en forme tout en corrigeant certaines erreurs d’appréciation et parfois la syntaxe. Avec notre accord il s’est surtout chargé de la recherche d’un éditeur du volume enrichi qui nous a demandé soixante ans de travail supplémentaire (1964-2023). Je remercie donc les Professeurs Élara Bertho et Marie Rodet de m’avoir mis en contact avec cette sommité de l’histoire africaine qui a fait quatre voyages (en 2018, 2019, 2020 et 2023) à Damaro et à Conakry pour travailler avec moi sur les deux tomes du manuscrit enrichi. Toute ma reconnaissance infinie à JAN JANSEN pour son engagement à mes côtés, et surtout pour sa totale et constante disponibilité, pour sa sympathie en m’appelant affectueusement « NFA DAOUDA » (« Mon père Daouda ») et pour son bénévolat. ● El Hadj Mamadi Camara dit « Mamadi Assurance », ancien DGA de la société d’assurance UGAR, détaché depuis 2012 pour diriger LGV-ACTION (LA GUINÉENNE VIE) partenaire du groupe ACTION. C’est lui qui m’offert une imprimante laser et un ordinateur performant pour être autonome et faciliter ou accélérer les travaux de finition du manuscrit. Qu’il en en infiniment remercié.

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Cette parenthèse ne pourrait être fermée sans faire allusion aux contributions financières, matérielles et morales de mes cousins: ● Mory Douti Camara de Diomandou, descendant de Faman Camara de Diomandou, inspecteur des impôts à la Direction Nationale des Impôts, et ● El Hadj Sory Camara dit Sorel de Kouroudou (Sous-Préfecture de Damaro), descendant de Fatiribiri de Kouroudou, inspecteur des impôts à Conakry, avec Mory Douti Camara. Je ne saurais oublier aussi la grande admiration et le soutien matériel et financier constant dont j’ai bénéficié de la part du jeune technocrate Docteur Moussa Konaté, Directeur Général de la Pharmacie Centrale de Guinée, originaire de Diarradou. Précisons que son Toron natal abrita jadis Bissandougou, la prestigieuse capitale du dernier empire mandingue de l’Almamy Samory Touré. Profondément intéressé par tous les travaux de recherches et de sauvegarde de la tradition orale, du passé historique et culturel du Mandingue, son apport opportun et hautement apprécié m’a effectivement permis de parachever, dans de bonnes conditions, la mise en forme du manuscrit et d’exécuter aisément tous les travaux d’informatique par l’acquisition et l’octroi de matériels d’informatique performants et très coûteux et des produits consommables nécessaires qu’il m’a offerts gracieusement et qui m’ont permis de finaliser tous les travaux nécessaires et obtenir le jet final et définitif du tapuscrit avant l’édition. Grand merci et ma très gratitude à ce mécène. Mes remerciements aussi vont à l’endroit des membres de mon comité de lecture composé de: ● El Hadj Nounké Sidibé, professeur d’histoire de formation, préfet en 2013 de Mamou. Ce neveu, dont la mère, Diaoulèn Maténin Camara, était la fille aînée de Maténin Mamadi Camara qui était le fils aîné de Kèmè Brahima Camara de Damaro. Ce dernier était le frère aîné de l’auteur du présent ouvrage. Par ailleurs son grand-père, Farima Morikè Sidibé, et Narin Kaba Sidibé, son arrière-grand-père qui fut le fondateur de Narinkadou (Damaro), avaient acquis une grande notoriété dans la géomancie. En effet, tous ses deux ascendants étaient réputés dans l’art de deviner l’avenir dans le sable (kinyèla). La mémoire collective du terroir du Simandou retient encore qu’ils savaient prédire l’avenir et prévoir les évènements à venir. En plus de l’alliance et du serment de protection mutuelle du sanankunya liés par Narin Kaba Sidibé et Kèmo Nyamam Camara de Damaro, roi du Simandou, hôte et protecteur des Peul du Bassanno avec leurs bœufs, ils étaient les amis de Djiguiba Camara qui les consultaient chaque fois que besoin était, comme beaucoup d’autres personnes, en raison de l’exactitude de ce qu’ils prédisaient, et qui arrivait infailliblement dans la vie de leurs clients et du quotidien du peuple. ● Monsieur Lamine Kamara dit Capi, professeur de lettres, ancien ministre, écrivain, auteur de plusieurs ouvrages dont « Sanfrin ». Président des écrivains guinéens en 2016. ● Docteur Fodé Donzo Beyla, écrivain, auteur de plusieurs ouvrages. 97


Leurs critiques et suggestions m’ont permis de corriger ou d’améliorer certaines imperfections. Je les remercie pour le temps qu’ils ont accepté de perdre pour lire patiemment ces centaines de pages. Travail très fastidieux pour lequel il fallait une très grande disponibilité. Merci donc à eux tous pour leurs critiques et suggestions qui m’ont permis d’améliorer cet ouvrage posthume. Quant au choix du titre, j’ai été écartelé entre quatre propositions, à savoir: 1 - « ESSAI D’HISTOIRE LOCALE », de l’auteur Djiguiba Camara lui-même, 2 - « L´ALMAMY SAMORY TOURÉ » retenu par le Professeur Joseph-Noël de l´Université de Conakry, devenue plus tard Madame Senainon Béhanzin, 3- « LA SOCIÉTÉ PRÉCOLONIALE DU PAYS NATAL DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ » proposé par le doyen et sage Mamba Sano, le préfacier, ancien Député de la Guinée à l´Assemblée Nationale Française de 1946 à 1956 et ami de mon père. 4 - « ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE » proposé par le Professeur Ibrahima Baba Kaké. Mais pour une question évidente de large audience et d’intérêt commercial, j’ai finalement préféré comme titre: « ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE » Feu Ibrahima Baba Kaké était agrégé d’histoire, professeur d’histoire africaine à la Sorbonne et producteur de la célèbre émission « Mémoire d’un continent » à RFI que beaucoup de radios d’Afrique Francophone ont diffusée pendant plus de dix ans, directeur de la collection « Grandes figures africaines » et auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages sur l’histoire africaine. Cet éminent érudit de l’histoire africaine a lu ce manuscrit en 1987, lors de son séjour à Abidjan. Très satisfait de son contenu qu’il avait hautement apprécié, il avait usé de sa réputation et de ses relations pour me trouver un éditeur (LION du Gabon). En tout cas l’intérêt manifeste de cet éminent professeur pour ce manuscrit et ses encouragements constants ont été pour moi le viatique inestimable qui a soutenu mes efforts et galvanisé mon ardeur à cette tâche de restauration de notre histoire, disons de nos traditions et de notre culture, qui avaient tant absorbé mon père. Merci donc à Kaké pour son encadrement. Mais pour la sécurité de mes nombreux frères vivant en Guinée, j’ai cru sage de différer l’édition car ils risquaient la répression féroce de la Révolution de Sékou Touré. En tout cas les proches de certains opposants exilés ont été toujours inquiétés. Ils perdaient soit 98


leur poste ou n’avaient jamais de promotion et subissaient les pires tracasseries. Ce fut le cas du commissaire de police, feu Mandou Sidiki Camara de Mandou (Damaro-Beyla) qui fut limogé de son poste, suspendu de sa fonction de commissaire et délogé une nuit par la milice du Parti qui jeta ses bagages sous la nuit intense d’un mois d’août, quand sa fille, feue Fanta Camara dite Too, a pris la tangente pour rejoindre son mari, Docteur Fodé Donzo de Beyla, installé à l’époque à Paris. Ce genre de tracasserie et d’humiliation était très nombreux dans la Révolution Guinéenne. Aussi, lors d’un de ses pèlerinages aux lieux saints de l’Islam, le Président Ahmed Sékou Touré avait dit à mon neveu El Hadj Dagbè Djiguiba Mamadi Camara (mort en mars 2020 à Conakry-Ratoma), qui travaillait à la Banque Arabe de Développement de Djeddah, que la Révolution Guinéenne et Africaine voulait récupérer le manuscrit d’histoire de son homonyme. Voici la quintessence des propos du Président Sékou Touré à Djeddah: « Puisque tu portes le nom de Damaro Diontan Djiguiba Camara qui ne me fit aucun cadeau pendant la lutte politique pour la conquête de l’indépendance de la Guinée, tu dois savoir quel son héritier qui détient actuellement son fameux manuscrit. Il paraît qu’il a osé écrire beaucoup méchantes et vilaines choses sur l’Empereur Almamy Samory Touré. Il faut que la Révolution Guinéenne récupère cet important manuscrit pour ne pas laisser ternir la mémoire de cet illustre Héros Emblématique National qui est le symbole de la plus brillante résistance de notre peuple à la conquête coloniale de l’Afrique et à l’impérialisme. Nous ne laisserons jamais publier « un ouvrage réactionnaire » en Guinée sur ce symbole qui fait notre fierté devant tous les autres peuples opprimés du onde… ». Évidemment, pour une question évidente de sécurité pour moi (Daouda Damaro Camara) et par ricochet pour ma famille, celui-ci lui répondit qu’il ignorait le nom du détenteur actuel dudit manuscrit dont il a entendu parler sans jamais y accéder. Il fallait donc sauver le manuscrit. C’était donc sur son insistance et ses sages conseils, et pour une question bien évidente de sécurité pour mes frères qui résidaient en Guinée qu’il me demanda de surseoir toutes les démarches de publication et attendre un moment plus propice. J’ai donc profite de ce temps mort pour l’enrichir et améliorer tant son contenu que sa forme. Il faut noter que le Président Sékou Touré a vigoureusement combattu mon père qui était un militant du BAG (Bloc Africain de Guinée) de Barry Diawandou qui était opposé au PDG-RDA. Sur le plan politique Sékou Touré connaissait bien mon père en tant que chef de canton de Simandou (Damaro, Beyla). Il connaissait bien mon père en tant que chef de canton de Simandou (Damaro, Beyla). Il a toujours traité mon père de féodal nostalgique d’un passé révolu, et de support du colonialisme. C’est ainsi que, pour traduire son allergie à la chefferie traditionnelle, il fit prendre en 1957, en tant que Président du Conseil 99


de Gouvernement sous la loi-cadre Gaston Defferre, l’arrêté de suppression de cette fonction sociale et administrative plusieurs fois séculaire en Guinée. Ce arrêté dans sa première conception, avant d’être généralisé à tous les autres chefs, ne visait que quatre chefs de canton: ● Djiguiba Camara, Chef de canton de Simandou (Damaro, Beyla), ● Koly Kourouma, Chef de canton de Gbaya ( N’Zérékoré), ● Almamy Aguibou Barry de Dabola (père de feu Barry Diawandou), Chef de canton de Dabola, ● Almamy Ibrahima Sory Dara Barry de Mamou, Chef de canton de Mamou. Mais si précisément j’ai pu mener à bien ce travail ardu de longue haleine, c’est bien grâce à la compréhension et aux encouragements de bien d’autres personnes qu’il serait fastidieux d’énumérer ici, tant elles sont nombreuses. Que toutes veuillent bien m’excuser l’omission de leur nom et leur demande d’accepter mes sincères remerciements. Parmi ces personnes généreuses qui ont bénévolement contribué, à des degrés divers, au parachèvement de cet ouvrage, mon épouse Mawa Kourouma, mérite une mention spéciale pour ses encouragements et sa patience. Elle a accepté des privations, supporté mes longues absences dans le foyer et toléré mes veillées interminables qu’elle a soutenues et agrémentées. Son soutien n’a pas fait défaut. Merci à elle aussi et à tous ceux qui ont matériellement et moralement contribué au parachèvement de ce manuscrit. Un adage malinké dit: « Ni i ma se i fa tyèn koro, dyulu bila a la, i ye a sama i kòfè. » C’est-à-dire: « Que si tu ne peux porter ou entretenir ce que tes parents t’ont légué, si pesant ou si délicat soit-il, ne l’abandonne jamais; ne fuis jamais ton devoir filial, tes responsabilités ou ta mission sacrée d’héritier continuateur, bien au contraire, il faut t’y accrocher vaillamment et au besoin le traîner fièrement par derrière et partout. Il n’y a pas de honte en cela. » C’est pourquoi on dit dans le milieu traditionnel malinké: « Honte à celui qui ne fait pas mieux que son père. » Cette exigence est donc une contrainte morale qui nous oblige à relever la famille à parachever ou à parfaire l’œuvre de nos parents défunts ou vivants ou à pérenniser leur héritage. Par exemple c’est en parachevant la maison qu’ils ont entamée que nous nous rendons fiers et dignes d’eux. Et c’est pourquoi la procréation est considérée comme la fonction fondamentale assignée à tout couple par la société traditionnelle. Pour exorciser le démon de la stérilité, les griots disent: « Ni i faala i ma den to, i bara ban. » Ou encore 100


« Saya man juu fo nyòòn tobaliya. » Ce qui signifie: « Que la mort la plus pénible, la plus regrettable est bien celle d’une personne morte sans laisser d’enfants. » Un tel défunt sans postérité disparaît à jamais, sans laisser de trace. Cet anathème est aussi jeté contre tout défunt ayant une progéniture indigne, faisant preuve de médiocrité, de comportement scandaleux ou d’incapacité notoire de préserver, de gérer et de fructifier le patrimoine familial légué « den dyagoni tè se ka a fa tyèn layiriwa ». C’est eu égard à cet impératif catégorique permanent du devoir filial, tant cher à l’Africain, que je me suis attelé, depuis 1964, à la mise au point de ce manuscrit. Ainsi, je me suis donné corps et âme à ce travail dont le parachèvement était devenu ma raison d’être, un défi à relever, une question d’honneur, voire de vie et de mort. Je crois avoir réussi à mener le bateau à bon port en dépit d’innombrables difficultés et au détriment des études universitaires que j’ambitionnais tant. J’ai encouru beaucoup de risques, y compris ma liberté voire ma vie. Lire dans les notes les anecdotes que j’ai vécues sur le chemin de l’exil. (25) Il est opportun de signaler ici, à propos des difficultés que rencontrent les écrivains et les chercheurs africains, que les gouvernements, les nantis, et même le public font peu et très peu pour encourager et soutenir matériellement et moralement l’effort louable de ceux qui choisissent cette pénible, absorbante, exaltante mais ingrate activité dont le résultat ou le succès est très aléatoire et souvent lent à venir. Aussi, le résultat financier de leurs recherches ou de leurs travaux et leurs livres n’existe pas ou ne suffit pas pour les faire vivre aisément. Il ne faut donc pas ignorer que très peu d’écrivains et de chercheurs parviennent à vivre de leur plume ou de leur laboratoire. Ils se trouvent dramatiquement confrontés à trois problèmes fondamentaux qui sont: 1) - la poursuite opiniâtre de leur projet ou de leur idéal qui les absorbe entièrement. 2) - la publication et la large diffusion de leur ouvrage. 3) - leur propre survie dans ce monde foncièrement matérialiste, individualiste, égoïste et déshumanisé. Parfois, ils sont incompris et négligés de leur vivant. Et pourtant il faut bien qu’ils vivent. Sans soutien moral et matériel, on en voit vivre et mourir dans une détresse inqualifiable. Ce fut le cas du célèbre romancier guinéen, Camara Laye, mort en 1979 à Dakar, qui végéta pendant une bonne partie de sa vie, bien qu’étant auteur de « L’enfant noir », roman considéré comme un des chefs d’œuvres de la littérature africaine et qui est effectivement une réussite commerciale. Les romans « Dramouss », « Le regard du roi » et « Le maître de la parole », non moins célèbres, sont de sa plume. Il a fallu une collecte internationale des hommes de lettres, de sciences, de ses amis et sympathisants pour sauver Camara Laye d’une maladie des reins qui le 101


rongeait depuis très longtemps et qu’il ne pouvait soigner, faute de moyens financiers. L’apport substantiel des Présidents Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët Boigny du Sénégal et de la Côte d’Ivoire fut déterminant dans les soins coûteux dispensés à Camara Laye dans un hôpital parisien. Généralement les hommages aux chercheurs, aux écrivains... sont posthumes. Mais la comédie humaine veut qu’on jette des fleurs à un mort plutôt que de l’auréoler ou de l’assister matériellement et moralement pendant qu’il vit. C’est ainsi que le héros, le savant, la célébrité; le chercheur est incompris, négligé et abandonné de son vivant, même quand il est en détresse ou malade, pour lui rendre des hommages exceptionnels à sa mort alors qu’on l’a laissé végéter dans la misère et dans la maladie. Le cas le plus édifiant de feu Solomana Kanté, le savant, le linguiste inventeur solitaire infatigable de l’alphabet N’Ko pour transcrire la langue mandingue, n’est donc pas isolé ou unique et est très explicite. En effet, de 1944 à sa mort en 1987, sans soutien matériel et moral, il consacra cette tranche de sa vie à la difficile création de cette écriture en réaction légitime aux propos blasphématoires d’un commerçant libanais de Bouaké en Côte d’Ivoire qui se moqua de lui en lui disant que s’il n’a pu lire le prix affiché de ses marchandises, c’est parce qu’il est illettré comme la grande majorité des Africains noirs qui n’ont pas une écriture ou un alphabet propre à eux. Ce fut le déclic de sa volonté, de son orgueil ou de sa dignité. Ces propos malveillants avaient gravement blessé ou offensé son orgueil et sa fibre patriotique. Il lui fallait absolument relever ce défi. De là naquit donc sa volonté inébranlable de créer, vaille que vaille, un alphabet pour pouvoir écrire les langues africaines. Mais à l’époque il ne fut ni compris, ni soutenu ou encouragé par ses contemporains, notamment les gouvernants et les nantis de son pays. Il mena donc un combat solitaire très difficile, mais il avait une foi inébranlable en ce qu’il faisait et était certain d’atteindre son objectif. Malheureusement ce n’est qu’après sa mort en 1987 qu’on se rendit à l’évidence en reconnaissant le bienfondé de sa noble et ambitieuse démarche, son mérite exceptionnel et ses honorables efforts, son abnégation, sa patience... car son alphabet s’est finalement imposé dans le temps et dans l’espace. On sait qu’une langue écrite est généralement une œuvre collégiale et se forme pendant des siècles. C’est donc la première fois dans l’histoire des langues qu’une langue écrite soit l’œuvre d’une seule et unique personne. Voilà donc le mérite exceptionnel de Solomana Kanté. Solomana Kanté a écrit et légué environ 185 ouvrages dans les domaines variés de l’histoire, de la géographie, de la botanique, de la médecine, de la philosophie, de la littérature... le Saint Coran a été traduit en N’Ko. Le N’Ko est maintenant accessible sur l’internet. Les jeunes chercheurs linguistes de l’académie N’Ko et autres adeptes ont repris et réanimé le flambeau de Solomana Kanté qui ne peut plus s’éteindre. Ils continuent d’enrichir et de vulgariser le N’Ko. Le N’Ko est devenu en moins d’un siècle une écriture universelle reconnue par l’UNESCO et enseignée dans les 102


universités américaines et russes. En Afrique Occidentale, le N’Ko a beaucoup d’adeptes tant en Guinée, au Mali, en Côte d’Ivoire, qu’au Burkina Faso. En raison donc de la qualité et de l’utilité de sa création, Solomana Kanté est à présent auréolé et inscrit en lettres d’or au panthéon des célébrités africaines. Mais qu’on sache donc que les chercheurs, les savants, les inventeurs, les philosophes - de tous les pays et de tous les temps - sont très souvent négligés, incompris ou méprisés par leurs contemporains. C’est souvent au crépuscule de leur vie ou après leur mort qu’on leur rend des hommages tardifs. Cette comédie humaine n’est pas propre à l’Afrique seule. Elle est universelle. Il faut noter que parfois les écrivains et les chercheurs ne trouvent pas d’éditeur ou n’en trouvent qu’après plusieurs années d’efforts et de recherches inlassables. De leur vivant, beaucoup ne sont pas pris au sérieux. Très souvent on n’accorde aucun crédit à leurs sujets ou à leurs résultats. C’est donc après leur mort que la comédie humaine reconnaît leur mérite et leur rend des hommages posthumes. Les plus chanceux, qui parviennent à se faire éditer après des années d’attente, ne tirent de leur œuvre qu’une simple satisfaction morale, en tout cas presque pas d’intérêt moral et matériel, contrairement à ce que le public croit. En effet les éditeurs ne leur accordent très souvent qu’une insuffisante marge bénéficiaire - de 10% au maximum - qu’ils n’arrivent même pas souvent à récupérer ou le perçoivent avec beaucoup de retard. C’est ainsi que jusqu’à la troisième réédition de son célèbre roman « Soundjata ou l’épopée mandingue », le Professeur Djibril Tamsir Niane n’avait encore perçu aucun droit d’auteur, bien que ce soit un des romans les plus vendus dans les vitrines de nos librairies africaines. Cette illustration pose avec acquitté l’éternel problème du droit d’auteur, surtout pour les écrivains et chercheurs africains qui sont souvent abusés et trompés par les éditeurs. Nos artistes et musiciens sont également victimes de la même escroquerie. À noter aussi que les éditeurs européens qui ont plus de moyens ne sont pas intéressés par les thèmes traités par nos écrivains. Pour combler le vide et pour une promotion plus rapide et plus grande des productions littéraires, historiques et scientifiques, nos gouvernements et nos nantis doivent investir dans ce créneau en créant des maisons d’édition privées, nationales, régionales ou continentales. C’est pourquoi nous louons le mérite des Nouvelles Éditions Africaines (NEA), créées par le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Togo et qui sont en train de faire leur preuve dans le domaine de l’édition et de la diffusion des ouvrages africains. En tout cas une telle entreprise généralisée favoriserait la promotion du livre africain qui pourrait sûrement atteindre des centaines de milliers de lecteurs, car l’Afrique, à elle seule, représente un potentiel considérable de lecteurs, malgré sa masse importante d’analphabètes. En effet les livres manquent cruellement en Afrique. Nous pensons aussi que cet objectif de vulgarisation du livre sera rapidement atteint si les romans africains sont programmés dans les différentes classes primaires, secondaires et universitaires, aux différents examens scolaires et imposés à tous les concours administratifs. Ainsi, la demande de livres et le 103


besoin de culture ne cesseraient de s’accroître. Les grands tirages et les rééditions seraient alors possibles. Il faut donc promouvoir une véritable politique de promotion et de vulgarisation du livre africain. Dans le souci constant d’améliorer, de compléter et d’enrichir le manuscrit initial, j’ai osé prendre des initiatives qui peuvent ne pas faire l’unanimité et qui, pour moi, apportent un plus ou un éclairage nécessaire à la compréhension du travail de Djiguiba Camara. C’est ainsi que j’ai osé: - Reprendre, sur recommandations de certains érudits, certaines thèmes insuffisamment développés par l’auteur dont, entre autres, les structures sociales d’antan (le mariage, la famille traditionnel, l’éducation traditionnelle en pays mandingue… Ce travail d’adjonction a été souhaité et vivement recommandé par Amadou Hampâté Bâ, Ibrahima Baba Kaké, Mamba Sano… Aussi, nous y avons inséré: - Des textes trouvés épars dans les archives de mon père, - De quelques thèmes que nous avons eus la chance de rédiger sous l’égide de l’auteur. Donc notre contribution personnelle se limite à l’insertion - De thèmes repris effleurés par l’auteur, - De nouveaux thèmes suggérés par certains érudits de l’histoire africaine. Dans cette démarche d’enrichissement que j’ai menée scrupuleusement sans m’écarter de la ligne éditoriale ou de la conception de mon père, il faut retenir: - L’histoire des Camara (Diomandé) du Bouzié ou Boussé (région de Macenta, Guinée). - L’histoire tumultueuse et tragique de Gbankouno Saadji Camara. - La résistance à la pénétration française en Guinée Forestière... que j’ai eues le privilège de rédiger sous l’égide de l’auteur. Ma modeste contribution à la réalisation de cet ouvrage se limite exclusivement: - À quelques indispensables corrections de forme - Au regroupement des textes par centre d’intérêt - À la reprise et à l’enrichissement, sur recommandations de certains érudits, des parties insuffisamment développées par l’auteur dont, entre autres, les structures sociales d’antan (le mariage et la famille traditionnels) - À la récapitulation des différentes familles en clans Camara (Diomandé) dans un tableau généalogique général plus saisissant - À l’insertion de textes complémentaires très sobres retrouvés épars dans les archives de mon père et que j’ai été obligé d’enrichir et de celle de textes personnels ayant trait à des sujets ou thèmes que mon père avait à peine effleurés tels que: o Le sangban (sangbanya): C’est le bouffon ou censeur du pouvoir qui peut, sans aucun risque de sanctions, ridiculiser tout le monde,

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même le chef n’échappe pas à ses sarcasmes. Il bénéficie d’une totale immunité. o Le sanankun (le sanankunya) ou relations basées sur la plaisanterie mutuelle, l’entraide réciproque entre individus, familles, clans et tribus. C’est bien lui qui doit dire la vérité, sans porter de gant, à son partenaire même si celui-ci est chef. Il bénéficie également d’une totale immunité. o Le sòsòlikèla: Le contestataire ou le contradicteur qui peut contredire le chef ou toute autre personne sans distinction de sang social. Lui aussi ne peut être sanctionné. Ce sont là, entre autres, certains contre-pouvoirs. o La charte de Kurukan Fuwa. o Le lexique de quelques noms et prénoms mandingues. o L’éducation traditionnelle en pays mandingue. o Les censeurs du pouvoir en pays mandingues ou les contrepouvoirs. o À propos de la démocratie en pays mandingue. Les avantages et le danger d’être dans les secrets du chef. o La famille traditionnelle mandingue. o Le processus du mariage en pays mandingue. o La mort chez les Mandingues. o Le pouvoir et les rapports sociaux chez les Mandingues. o La relativité et les controverses de l’histoire. o La mort héroïque de Bemba Traoré. o Les raisons réelles de la tentative de suicide de Samory prisonnier. o La tentative d’assassinat de Moctar Touré par son père Samory Touré. o Une grandeur d’âme de Nyamakana Amara Diabaté. o Les chirurgiens traditionnels de Batè-Nafadji (Kankan). o Les cérémonies organisées à l’occasion du retour des cendres des héros nationaux (l’Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo et Morifindian Diabaté). o Les bâtisseurs de l’empire samoryen et les héros de la résistance à la pénétration française en Afrique Occidentale. Ma modeste contribution se limite aussi: o À la conception et à la confection des nombreuses cartes que l’auteur n’a pu faire et qui, j’espère, orientent le lecteur sur le terrain et facilitent la compréhension des textes. o Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’ai aussi une brève présentation de la Guinée et surtout des provinces considérées comme étant les domaines des Mandingues en Guinée, au Mali, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Sénégal, en Guinée Bissau, en Gambie, au Libéria, en Sierra Leone… 105


o À l’insertion de photos, dont certaines sont inédites. o Je l’ai également enrichi de quelques textes de tiers (documents de lectures et de plusieurs citations tirées de « LES CHAÎNES DE GORÉE » de Paul Ohl) que j’ai jugés contribuables ainsi que des citations, fruits de mes notes de lectures sur les campagnes menées contre Samory, des articles de journaux et d’autres livres. Ces initiatives d’enrichissement que j’ai osées prendre peuvent paraître inopportunes ou être considérées, à certains égards, comme une erreur de jugement qu’on voudra bien m’excuser. Il reste donc entendu que, seul, j’endosse l’entière responsabilité de ces adjonctions, de ces jugements et de ces éventuelles erreurs d’appréciations - de ma part - qui pourraient en découler en raison de leur incongruité possible. En effet les avis sont très largement partagés sur l’opportunité de ces additions ou apport de tiers à son enrichissement. Certains érudits de l’histoire africaine, qui l’ont compulsé et qui lui reconnaissent une valeur académique incontestable, approuvent le principe ou le bien-fondé de ces adjonctions qui, à leurs avis, lui confèrent un caractère scientifique, facilitent la compréhension et apportent plus de clarté à ce recueil de faits et gestes inédits qui rompt admirablement la monotonie de la littérature coloniale sur notre histoire - littérature tant rabâchée dans le temps et dans l’espace. Cet opuscule guidera sûrement dans les ténèbres les pas chancelants de nos jeunes chercheurs et savants désormais déterminés à sauver de l’oubli notre glorieux passé. Par contre, d’autres m’ont conseillé, en raison de son caractère posthume, et pour conserver ou rehausser son authenticité et son originalité, de l’élaguer de ces adjonctions et de le faire éditer tel qu’il est, c’est-à-dire tel qu’il a été conçu, écrit et légué par l’auteur. J’ai donc été, par moment, écartelé entre ces deux choix ou options. Mais pendant tout le temps que j’ai travaillé dans le sens de son enrichissement ou de son amélioration, j’ai toujours considéré cet ouvrage posthume comme un bâtiment dont mon père a conçu le plan et commencé l’édification. Mais puisqu’il l’a malheureusement laissé à sa mort dans l’état de soubassement, j’estime avoir l’insigne honneur, le devoir impérieux et le privilège exceptionnel de poursuivre les travaux entamés que je peux terminer avec des matériaux modernes qui n’existaient pas à son époque. Convenez avec moi que je n’ai pas le droit de me dérober à cette noble et exaltante mission que tout héritier responsable et digne doit accomplir avec abnégation et persévérance. C’est ce que j’ai cru bon de faire. En effet, mon père avait prévu une couverture en paille, tandis que moi j’ai mis une charpente métallique, des tôles bac et ai envisagé aussi une structure pour dalle en béton armé afin de pouvoir le continuer un jour en hauteur.

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Mon père n’avait prévu qu’un simple dallage, moi j’ai mis du marbre dans le salon et à la terrasse, des carreaux grès cérame vitrifié dans les chambres et la faïence dans les toilettes. Moi j’ai mis des portes et des fenêtres en aluminium alors que mon père n’avait prévu que des fermetures en bois. Mon père n’avait pas prévu l’édification d’un bâtiment électrifié, moi j’ai réalisé l’installation d’un circuit électrique avec des luminaires et des lustres modernes et un réseau de sanitaires modernes. Doit-on me reprocher aussi de l’avoir enrichi d’une riche iconographie et de cartes repères alors que mon père n’avait pas prévu son illustration? Après tout, je n’ai fait que mon devoir. Car terminer l’œuvre de son père, entretenir la maison laissée en héritage par son père, mettre en valeur l’héritage de son de son père… est un devoir qui incombe à tout fils conscient, digne et responsable. Bien que je me sois obstiné dans ma démarche ou logique, toutes ces adjonctions ou améliorations ne lui enlèvent nullement la paternité de l’ouvrage qui est et reste celui de Damaro Diontan Djiguiba Camara. En définitive, je me suis obstiné à maintenir ces apports, car je suis convaincu que cette volonté est bien dans le bon chemin. Mais dans cette démarche, j’ai été toujours animé par le souci de sauvegarder la pensée de l’auteur, le style du texte original qui n’en a nullement souffert et qui ne donnera certainement pas toute la satisfaction qu’exigent la compétence et la sagacité des chercheurs, car la recherche historique est une technique exigeante à laquelle l’auteur n’a point été formé tout comme ses héritiers continuateurs de son ouvrage. Ce modeste livre, qui n’a donc pas la prétention d’être une œuvre parfaite, accuse sans doute des lacunes, mais je pense que son objectivité est un mérite que même les critiques les plus acerbes lui reconnaîtront. Je souhaite donc bénéficier des observations, des critiques et des suggestions de tous ceux qui voudront bien l’accueillir avec sympathie afin de me permettre de l’améliorer en lui donnant bonne figure et en atténuant ses imperfections dans une prochaine réédition. L’histoire étant relative et faite de controverses, nous ouvrons le débat sur ce sujet d’envergure que personne ne peut se targuer d’épuiser d’emblée tous les aspects, tous les tenants et aboutissants, tant les tribus concernées sont nombreuses et l’aire géographique vaste. En qualité d’héritier spirituel de feu, mon père, Damaro Diontan Djiguiba Camara, à qui ma piété filiale rend un hommage mérité pour nous avoir fait bénéficier de tant de connaissances, je remercie tous ceux qui m’ont apporté leurs concours matériels, financiers et moraux, si modestes soient-ils, pour parachever ce travail de longue haleine. J’ose espérer, avec une légitime fierté, que ce recueil des traditions orales mandingues ou cette étude sociologique, qui est un bref « Regard sur le riche passé culturel du 107


Mandingue » que Marcel Proust aurait sans doute appelé « À la recherche du temps perdu », sera une contribution positive à l’effort de sauvegarde et de réhabilitation des aspects dynamiques de notre patrimoine culturel si merveilleux, mais si mal connu ou de notre identité culturelle volontairement enfouie dans les ténèbres par l’Europe colonialiste et impérialiste. Pour les extrémistes et racistes européens l’Afrique n’a pas d’histoire et ne peut rien apporter à l’humanité. En guise de conclusion, je reprends tout simplement les souhaits exprimés par mon professeur d’histoire, mon aîné, le célèbre historien guinéen Djibril Tamsir Niane qui écrit dans l’avant-propos de son livre « Soundjata ou l’épopée mandingue »: « Puisse ce livre ouvrir les yeux à plus d’un africain, l’inviter à venir s’asseoir humblement près des anciens et écouter les paroles des griots qui enseignent la sagesse et l’histoire. » Au nom de l’auteur, j’exprimerai cet optimisme d’André Gide qui dit: « J’attends qu’on m’explique mon œuvre, car ce qui m’intéresse, c’est ce que j’y ai mis sans le savoir. » Enfin, mes sincères remerciements à tous ceux, cités ou anonymes, qui, de près ou de loin, ont contribué matériellement, financièrement et moralement à l’achèvement de ce manuscrit qui, j’espère comme son auteur, est une modeste contribution à l’effort de reconstitution de l’histoire africaine et au souci de la renaissance de l’identité culturelle mandingue qui se confond intimement avec celle du Monde Noir en général. En conclusion: ► Si mon père, de son vivant, a été un bâtisseur incompris par ses contemporains quand, surtout, il exécutait les travaux de désenclavement du canton de Simandou en construisant à la main, par le travail forcé avec des outils rudimentaires de terrassement, d’une route de 30 km et en 90 jours à travers le col de Dianfòlòdou dans le mont Simandou, ouvrage hautement apprécié aujourd’hui, ► Si mon père, au regard de ses manuscrits sur les traditions orales mandingues qu’il a pu sauvegarder en partie, ► Si mon père a pu créer une école primaire à Damaro en 1941 pour scolariser les enfants de sa contrée, ► Si mon père a pu obtenir la construction en 1952 du premier dispensaire du Simandou pour les soins de la population, ► Si mon père a été un paysan modèle en introduisant dans le cercle de Beyla la première charrue pour alléger le travail des paysans et accroître leur productivité, ► Si mon père a bien introduit le premier manguier du Simandou, ► Si mon père a incité la population du Simandou à créer des plantations d’arbres fruitiers comme lui,

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► Si mon père, dans l’exercice de ses fonctions d’interprète colonial et de chef de canton, s’est toujours battu pour le triomphe de la vérité, pour l’instauration d’une justice égalitaire pour tous, image que ceux qui l’ont connu retiennent encore de lui dans le Simandou, soixante ans après sa mort... … je dis avec une légitime fierté que mon père, Damaro Diontan Djiguiba Camara, qui a été un bâtisseur incompris par moment par certains de ses contemporains, n’a pas vécu inutilement, car il a bien rempli sa vie en se rendant utile aux autres. Il a laissé des traces positives qui restent indélébiles dans la mémoire collective des Simandouka et des Damarois. J’espère donc que son ouvrage posthume, dans ses deux versions, sera favorablement accueilli avec ses faiblesses, ses insuffisances, ses erreurs… par les érudits, les académiciens, les étudiants et le public afin qu’il puisse enfin trouver, outre-tombe, un sommeil profond et mérité et que moi, Daouda, son fils héritier spirituel, puisse être fier d’avoir pleinement accompli l’exaltante mission de finition qu’il m’a confiée, c’est-à-dire: l’édition et la large diffusion de son manuscrit sur les traditions orales mandingues - dans sa partie konyanké - dont la collecte et la transcription ont retenu son attention de 1929 à 1963, soit les 34 dernières années de ses 81 ans de sa vie. Aussi, je remercie sincèrement tous ceux qui, de près ou loin, m’ont aidé matériellement, financièrement et moralement dans l’accomplissement cette exaltante et honorable tâche. J’ose espérer que les conseils et critiques objectives des lecteurs que vous êtes permettront d’améliorer remarquablement cet ouvrage posthume aux prochaines éditions, et qu’il sera un bréviaire dans vos bibliothèques personnelles et familiales et sera surtout au chevet de votre lit pour vous permettre à tout moment de vous délecter du Mandenkaya à une source riche, variée et sûre. Enfin, j’espère aussi: ● Qu’il sera bien accueilli dans les bibliothèques scolaires et universitaires de Guinée, d’Afrique, d’Amérique et d’Europe. ● Qu’il sera bien vendu dans les vitrines des librairies africaines et d’ailleurs. ● Qu’il sera surtout un bréviaire, une référence dans vos bibliothèques personnelles et familiales et ● Qu’il sera au chevet de votre lit pour vous permettre de savourer délicieusement le suc nourricier de cette passionnante civilisation ou plus précisément de vous délecter du Mandenkaya à tout moment et à une source limpide et authentique. Fait à Conakry, le 26 Octobre 2018

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DOCUMENTS DE LECTURE: COMPILATIONS DE LECTURES ET QUELQUES PRÉJUGES INEPTES ET MÉPRISANTS DE CERTAINS RACISTES BLANCS SUR LES NOIRS ----------o---------DOCUMENT DE LECTURE I « Les Noirs ne lisent pas. Les Noirs n’aiment pas lire. Pour cette raison, ils seront toujours ignorants, Les Noirs resteront toujours les esclaves des Blancs. Les Noirs sont égoïstes. Les Noirs n’aiment pas communiquer leurs savoirs. Les Noirs sont avides. Les Noirs répugnent les travaux intellectuels. Les Noirs sont paresseux. Les Noirs n’aiment pas les travaux rudes. Les Noirs ne sont pas intelligents. Les Noirs ne sont pas ambitieux. Les Noirs n’aiment pas réfléchir. Les Noirs ne sont pas aptes pour la recherche. Les Noirs ne sont pas patients dans la recherche. Les Noirs ne sont pas persévérants. Les Noirs ne sont pas patients dans tout ce qu’ils font. Les Noirs ne recherchent que le profit immédiat. Les Noirs ne recherchent que les résultats immédiats. Les Noirs sont incapables de se rassembler pour créer. Les Noirs manquent d’initiatives. Les Noirs ne valent pas mieux que les animaux. Etc.... sont, entre autres, des jugements des blancs sur les noirs. Mais voici, ci-dessous, d’autres jugements encore plus abjects. » ----------o----------

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DOCUMENT DE LECTURE II: QUELQUES CITATIONS RACISTES ----------o---------« Les nègres et les bestiaux sont réputés meubles, quoique insaisissables. » Le Conseil d’État sous Louis XIV, 1685 (cité par Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 141) ----------o---------« Estamper un nègre c’est le marquer avec un fer chaud pour reconnaître à qui il appartient. À chaque vente et revente d’un nègre, le nouveau maître y met son estampe, de sorte qu’il y en a qui paraissent comme tout couverts. » Dictionnaire de SAVARY, 1723 (cité par Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 389) ----------o---------« Conformément aux commandements du Tout Puissant, il faut que tous ceux dans les veines desquels coule le sang noir soient extermines. » HALPER (propos écrit en 1866 par Halper, un raciste américain) ----------o---------« Il sont moins nobles que les chiens. Ils ne connaissent ni gratitude, ni pitié, ni amour, ni sens du sacrifice. » Samuel BAKER (propos tenus en 1860 par l’explorateur anglais sur les Dinka de la Haute Égypte) ----------o----------

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DOCUMENT DE LECTURE III Dans le même ordre d’idées, nous avons trouvé nécessaire de retenir et de porter à votre attention le document suivant qui offusque et nous invite à nous remettre en cause par une nette et urgente prise de conscience afin de relever les différents défis et préjugés dont il est question. Il s’agit d’un courrier électronique retenu et balancé par Ibrahima Souaré (Souare01@yahoo.fr le mardi, 17 juin 2008, 14 h04 mn 25s dont l’objet est: LE NOIR!!!). (26) ----------o---------« Je n’aime pas envoyer à lire mais cet article m’a poussé à le faire. Il s’agit de l’article que Dee Le avait lu un matin sur les ondes d’une station de radio de New York. Pour ceux d’entre vous qui ne l’ont pas écouté, cet article malheureusement dépeint une certaine réalité. Une lettre assez assommante écrite par un Caucasien (c’est-à-dire un Blanc): LES NOIRS NE LISENT PAS ET RESTERONT TOUJOURS NOS ESCLAVES Nous pouvons encore continuer à récolter des profits des Noirs sans effort physique de notre part. Regardez les méthodes actuelles de maintien dans l’esclavage qu’ils s’imposent eux-mêmes. IGNORANCE, AVIDITÉ ET ÉGOÏSME 1. LEUR IGNORANCE constitue la première arme de ce maintien en esclavage. Un grand homme une fois déclara: « la meilleure façon de cacher quelque chose à un Noir est de la mettre dans un livre ». Nous vivons actuellement à l’âge de l’information. Ils ont l’opportunité de lire n’importe quel livre sur quel que soit le sujet en rapport avec leurs efforts de lutte pour la liberté, mais ils refusent de lire. Il y a d’innombrables livres facilement disponibles à Borders, à Barnes & Nobles, à Amazon.com sans mentionner les librairies spécialisées qui fournissent des œuvres de grande valeur susceptibles de leur permettre d’atteindre une certaine équité économique (qui devrait être en fait intégrer à leur lutte) mais peu d’entre eux lisent de façon soutenue, si jamais ils lisent, ils gardent les informations pour eux-mêmes et ensuite ils n’écrivent pas pour leur progéniture (ceux d’Afrique cachent les recettes de leurs ancêtres à leurs descendants, préférant mourir avec. Les Noirs refusent catégoriquement les religions de leurs propres Ancêtres; leurs propres Prophètes sont oubliés). 112


2. L’AVIDITÉ est une autre puissante arme de contention. Les Noirs, depuis l’abolition de l’esclavage, ont eu de grandes sommes d’argent à leur disposition. L’an dernier, seulement pour la période des fêtes de Noël et de fin d’année, ils ont dépensé 10 milliards de dollars qui représentent leur revenue annuel (2,22%). N’importe qui d’entre nous peut les (Noirs) utiliser comme un marché cible pour quelle que soit l’entreprise. Ils viendront toujours y consommer. Étant principalement des consommateurs, ils agissent par avidité, poussés par le plaisir et le désir de toujours posséder. Ils veulent toujours en posséder davantage sans penser le moins du monde à épargner pour la progéniture ou pour investir pour les générations suivantes. Au lieu de démarrer une entreprise ils penseront de préférence a s’acheter de nouvelles paires de chaussures très chères. Certains d’entre eux vont jusqu’à négliger leurs propres enfants pour se procurer les tout derniers modèles... TOMMY ou FABU. Ils pensent jusqu’à présent que rouler en Mercedes et vivre dans une grande maison leur octroie un certain « statut » ou qu’ils ont réalisé le Rêve Américain. Ils sont fous! De l’Europe, des U.S.A., d’Afrique... ils sont les mêmes! La majorité de leurs frères croupissent encore dans la misère parce que leur avidité les empêche collectivement de constituer un lobby financier pour une meilleure communauté. Avec l’aide de BET, Black Entertainment Tonight (une chaîne de télévision pour Noirs - ndlr), et d’autres médias télévisés du même genre qui leur apportent des images destructives dans leurs propres foyers, nous continuerons à tirer d’eux d’immenses profits comme ceux gagnés par TOMMY et NIKE... (Tommy Hilfiger les a même insultés, déclarant qu’il ne voulait pas de leur argent. Voyez cependant combien ils dépensent encore plus dans ces produits comme jamais ils ne l’ont fait auparavant!). Ils continueront de s’exhiber ainsi les uns devant les autres pendant que nous autres (Blancs) nous construirons une communauté plus forte à partir des profits que nous réalisons d’eux. 3. L’ÉGOÏSME est enraciné en eux depuis les temps de l’esclavage et l’époque coloniale et c’est l’une de principales manières à travers lesquelles nous continuons à les y maintenir. L’un des leurs, Dubois, disait dans un livre « Le Dixième des Talents » (1/10), qu’il existait une désunion viscérale dans leur culture. Il était précis dans ses déductions qui stipulent qu’il y avait des éléments épars de leur culture qui avaient atteint une certaine forme de succès. Cependant cette partie n’a pas bénéficié de l’amplitude de son œuvre. Ils n’ont pas lu que « Le Dixième des Talents » se donnait pour mission de leur permettre d’aider les 90% sans talents d’atteindre une meilleure qualité de vie. Au contraire ces éléments ont créé une nouvelle catégorie de classe, la classe Yuppie (que nous traduisons par parvenus) et ils regardent de haut les leurs ou bien les aident avec condescendance. La seule culture qui prend

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l’ascension chez eux c’est la culture de ramassage et de cueillette qui est nourrie par la semence de Caen le frère d’Abel « le nivellement vers le bas. » Leur ÉGOÏSME ne leur permet pas de travailler ensemble sur des projets pour atteindre des réalisations communes. Ils ne réaliseront jamais ce que nous avons accompli. Quand ils se mettent ensemble ils laissent leur ego dominer leurs objectifs communs. Donc leurs prétendues organisations d’aide et de charité (---) semblent seulement promouvoir leurs noms sans apporter de réels changements au sein de leur communauté. Ils sont heureux de siéger dans des conférences ou des conventions dans nos hôtels (Sheraton, Intercontinental,...) discutant au sujet de ce qu’ils projettent de faire tout en récompensant par des plaques d’honneur et des titres les meilleurs orateurs mais non les meilleurs réalisateurs (ceux qui en fait agissent). Y aura-t-il une fin à leur ÉGOÏSME? Ils refusent obstinément de se rendre compte que unis ils pourraient accomplir beaucoup plus: TOGETHER EACH ACHIEVES MORE (TEAM). Ils ne comprennent pas qu’il n’y a pas mieux que des entités individuelles mises ensemble pour contribuer à une œuvre commune. En réalité beaucoup de ces Yuppies (des parvenus) ne se rendent pas compte que « une seule signature suffit pour qu’ils redeviennent pauvres » et que deux chèques de paie les séparent de la pauvreté (ils sont à deux mois de salaire de la pauvreté). Et que tout cela est contrôlé par les plumes des blancs et leurs bureaux... Une simple signature suffit! Ainsi donc nous continuerons à les maintenir dans cet état: a) - aussi longtemps qu’ils refuseront de lire et partager l’information, b) - aussi longtemps qu’ils continueront d’acheter tout ce qu’ils veulent pour satisfaire leur avidité de posséder, c) - et aussi longtemps qu’ils continueront de penser qu’ils « aident » leurs communautés en payant des cotisations à des organisations qui ne font pas plus que tenir d’extravagantes conventions dans nos hôtels. En passant, ne vous inquiétez pas qu’ils puissent lire cet article. Rappelez-vous: ILS NE LISENT PAS, s’ils lisaient ça ne fait rien, ils sont amnésiques, c’est-à-dire ils oublient vite (pour eux, le bourreau et la victime ont la même fosse). Encore une fois de plus « la meilleure façon de cacher quelque chose à un Noir est de la mettre dans un livre. »

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DOCUMENT DE LECTURE IV ----------o---------Par ailleurs, lisons, pêle-mêle, les citations suivantes qui offusquent d’avantage le NOIR, notamment le NOIR AFRICAIN. Selon le « Petit Dictionnaire Larousse » de 1905, le « nègre » et la « négresse » se définissent comme suit: « Homme, femme à peau noire - c’est le nom donné spécialement aux habitants de certaines contrées de l’Afrique, de la Guinée, de la Sénégambie, de la Cafrerie, etc., qui forment une race d’hommes noirs, inférieurs en intelligence à la race blanche dite race caucasienne... » De son côté, le « Grand Dictionnaire Pierre Larousse » du XIXème siècle avait aussi donné le ton en expliquant: « Nègre - Dans l’espèce nègre, le cerveau est moins développé que dans l’espèce blanche, les circonvolutions sont moins profondes et les nerfs qui émanent des sens sont beaucoup plus volumineux. De là un degré de perfectionnement bien plus prononcé dans les organes, de sorte que ceux-ci paraissent avoir en plus ce que l’intelligence possède en moins. En effet les nègres dont l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût et le toucher bien plus développé que les Blancs (---). Dans les danses, on les voit agiter à la fois toutes les parties du corps; ils y trépignent d’allégresse et s’y montrent infatigables. Ils distinguent un homme, un vaisseau à des distances où les Européens peuvent à peine les apercevoir avec une lunette d’approche. Ils flairent de très loin un serpent et suivent à la piste les animaux qu’ils chassent. Le bruit le plus faible n’échappe point à leur oreille aussi; les nègres marron ou fugitifs savent très bien découvrir de loin et entendent les Blancs qui les poursuivent. Leur tact est d’une subtilité étonnante, mais parce qu’ils sentent beaucoup, ils réfléchissent peu: tout entier à leur sensualité, ils s’y abandonnent avec une espèce de fureur. La crainte des plus cruels, de la mort même, ne les empêche pas de se livrer à leurs passions. Sous le fouet même de leur maître, le son du tam-tam, le bruit de quelque mauvaise musique les fait tressaillir de volupté (---). Tout en proie aux sensations actuelles, le passé et l’avenir ne sont rien à leurs yeux; aussi leurs chagrins sont-ils passagers; ils s’accoutument à leur misère, quelque affreuse qu’elle soit (---). C’est en vain que quelques philanthropes ont essayé de prouver que l’espèce supériorité intellectuelle, qui selon nous ne peut être révoquée en doute, donne-t-elle aux Blancs le droit de réduire en esclavage la race inférieure. Non, mille fois non. Si les Nègres se rapprochent de certaines espèces animales par leurs formes anatomiques, par leurs instincts grossiers, ils différent et se rapprochent des hommes blancs sous d’autres rapports dont nous venons de tenir compte. Ils sont doués de la parole, et par la parole nous pouvons nouer avec eux des relations intellectuelles et morales, nous pouvons

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essayer de les élever jusqu’à nous. » (cité du « Nouvel Observateur » du 25 septembre 1987, p. 98) Selon Doué Gnonséa, à la page 26 de son livre « Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » le Cardinal Désiré Joseph Mercier (1851-1926) renchérit à propos de la colonisation du Congo par la Belgique: « La colonisation apparaît dans le plan providentiel comme un acte de charité qu’à un moment donné une nation supérieure doit aux races déshéritées et qui est comme une obligation corollaire de la supériorité de sa culture. » Mais, o Pourquoi donc tant de mépris pour la Race Noire? o Pourquoi tant de préjugés injustifiés sur la Race Noire? o La Race Noire n’est-elle pas une Race Humaine? o Le Noir n’est-il pas une créature de Dieu? o Le Noir a-t-il été différemment créé? o Morphologiquement, spirituellement, et en dehors de la couleur du pigment de sa peau, Point de différence entre le Noir et le Blanc sauf la couleur de la peau. En relisant l’histoire, l’Afrique peut-elle oublier ou pardonner le massacre des tirailleurs rescapés de la dernière Guerre Mondiale (1939-1945) dont le crime a été la revendication de leurs primes dues? Surpris dans leur sommeil, à l’aube, à Thiaroye, ils furent impitoyablement massacrés par des chars français après le don de leur vie pour défendre la France envahie par les Allemands. o Quelle récompense! o Quelle ingratitude après tant de services rendus à la France. o Quelle ironie du sort après tant de sacrifices. o Que de souffrances ont-ils endurées dans la neige, dans les tranchées, o Qu’ont-ils fait du don de leur vie? o Ces pauvres tirailleurs méritaient tout de la part de la France sauf un tel triste sort, sauf une telle récompense. o Ce massacre collectif, injustifié ne peut donc être qualifié que de crime contre l’humanité. o Qu’on veuille bien nous montrer la différence entre le Noir, le Blanc et le Jaune. o Quel est donc le crime impardonnable commis par le Noir pour être si haï? o L’Afrique peut-elle oublier les nombreux crimes commis contre sa population? o L’Afrique doit-elle oublier ces odieux crimes, contre l’humanité, pendant la conquête coloniale par l’Europe? 116


Mais que La France ait au moins le courage d’admettre qu’elle doit sa libération ou sa liberté à l’Afrique. o Que l’Europe veuille bien admettre que le Noir d’Afrique a su créer une société communautaire stable et équilibrée dans laquelle, l’homme, quelle que soit sa condition physique, mentale et matérielle est pris en charge. Donc l’individu est pleinement intégré dans la société africaine et n’y connaît pas sa marginalisation ou son rejet systématique en raison de ses conditions de vie matérielle défavorables et de sa déchéance physique et mentale. Cet humanisme intégral qui sécurise l’homme n’est-elle pas une richesse dont nous devons nous enorgueillir et qui doit être source d’inspiration pour les autres peuples pour mieux s’humaniser. Ne faut-il pas sauvegarder les nombreuses vertus dont recèle notre civilisation? o Qui est profondément caritative? o Ne devons-nous pas en enorgueillir et léguer nos générations futures ces valeurs sociales? o Et pourtant dans ce monde moderne hautement égoïste ou individualiste, les civilisations occidentales ont bien de vertus à puiser dans la nôtre, o Pour s’humaniser, pour s’enrichir et équilibrer leurs citoyens traumatisés, o Qui, par manque de chaleur humaine dans les rapports sociaux. o Et de la carence notoire de solidarité effective. o Cette absence de solidarité et d’humanisme ne poussent souvent les occidentaux au désespoir et au suicide. Ne faut-il pas enseigner nos vertus à notre progéniture au lieu de nous dénaturer en singeant naïvement les mœurs perverses importées d’Europe et d’Amérique? o Pour que cessent cette haine et cette comédie humaine. o Pour que disparaisse à jamais le complexe d’infériorité à nous imposé? o N’est-il pas temps que le Noir se remette en cause pour rétorquer à ces inepties et relever ces nombreux défis de l’agression culturelle, du mépris, du racisme puant et de la ségrégation que nous avons subie depuis des siècles? o Ne doit-il pas aussi se mettre au travail, comme l’ont si bien et si vite fait les asiatiques, pour amorcer son décollage et son indépendance économique afin de s’assumer et d’assurer sa prospérité ou son bien être moral et matériel? Car la pauvreté n’est pas et ne doit pas être une fatalité invincible.

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Pour une renaissance de la conscience et de la culture africaines, Cheikh Anta Diop, l’égyptologue, écrit: « La création d’une conscience collective nationale, adaptée aux circonstances, et la rénovation de la culture nationale, sont le point de départ de toute action progressiste en Afrique noire. C’est le moyen de prévenir les diverses formes d’agressions culturelles. Seule une révolution culturelle peut, maintenant, engendrer des changements qualitatifs notables. Celle-ci devra réveiller le colosse qui dort dans la conscience de chaque Africain. » Cheikh Anta DIOP (« Antériorité des civilisations nègres, mythe ou réalité historique, » Paris, Présence Africaine, 2ème édition, 1993, p. 278) De son côté, Théophile Obenga, disciple de l’égyptologue sénégalais, écrit: « Aucun peuple du monde qui vit aujourd’hui n’ignore ou feint d’ignorer son passé, son histoire. Tout peuple du monde qui vit aujourd’hui vit avec sa mémoire culturelle. Il est nécessaire et utile de connaître son histoire, l’évolution culturelle de son peuple dans le temps et dans l’espace, pour mieux saisir et comprendre le progrès incessant de l’humanité, y compris aussi, en toute lucidité et responsabilité. » Théophile OBENGA (« La géométrie égyptienne. Contribution de l’Afrique antique à la mathématique mondiale, » Paris, l’Harmattan/Khepera, 1995, p. 14) Cependant, Cheikh Anta Diop a démontré de façon irréfutable que: « En effet, la vérité gênante était que le Nègre à qui on déniait toute civilisation, était celui-là même qui en fut le premier dépositaire de l’humanité avant de la transmettre aux autres peuples et notamment aux Grecs, ancêtres culturels de ses futurs bourreaux de l’aventure esclavagiste et coloniale. » Cheikh Anta DIOP (cité dans Doué Gnonséa, « Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 12) ----------o----------

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« L’antériorité de la civilisation nègre constitue également un grand thème issu des travaux scientifiques de Cheikh Anta Diop. Ce thème est lié à celui de l’origine nègre de l’humanité qu’il soutint courageusement à l’époque, contre vents et marrées. Aujourd’hui, d’une part. la génétique est venue confirmer les données paléoanthropologiques qui avaient permis de placer le berceau de l’humanité en Afrique noire (et donc le peuplement de l’Égypte antique ne pouvait être que le fait des Noirs), et d’autre part, le développement de l’égyptologie mondiale, plus particulièrement les travaux de l’école africaine d’égyptologie, permettent de confirmer, une fois de plus, que c’est dans la Vallée du Nil qu’apparurent les premières et les plus brillantes civilisations de l’humanité à l’époque antique. Les Grecs à qui les études hellénistiques avaient attribué à tort la première civilisation consciente d’elle-même, étaient en fin de compte allés puiser tous les éléments de celle-ci chez les Noirs de l’Antiquité. » Doué GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 14) En effet, le présent ouvrage est le fruit d’une volonté inébranlable, d’un travail de recherche ardu de longue haleine, donc de patience et de persévérance, qui doit inspirer tous les jeunes dans bien d’autres domaines comme la science, la technologie, la sociologie, l’histoire, la culture, l’art…, car les domaines ou les champs de la recherche sont nombreux, vastes et variés. Chacun peut donc contribuer à l’amélioration de tel ou tel thème ou créer quelque chose pour le bien-être de l’humanité. En effet, c’est l’esprit qui crée, or cette faculté est universelle et n’est donc l’apanage exclusif d’aucune race, d’aucune nation. NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - Henri Brunschwig: « NOIRS ET BLANCS DANS L’AFRIQUE NOIRE FRANÇAISE », Édition Flammarion 1983. Djiguiba Camara eut à lancer de violentes diatribes contre le commandant du cercle de Kankan (Guinée), contre le Juge de Paix de la localité, et contre son ami et collègue l’interprète N’Dorè Fodé Donzo, qui étaient de connivence pour brimer un honnête citadin de Kankan. En effet, fort de son amitié avec l’interprète N’Dorè Fodé Donzo fermement soutenu par le Commandant et le Juge, un homme détourna son amante qui était légitimement mariée depuis des années, sans le moindre dédommagement du mari frustré, cocu, comme il se devait dans ce milieu traditionnel malinké. Le crime impardonnable de Djiguiba Camara fut d’avoir osé dénoncer violemment cette flagrante et révoltante injustice. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. On le guettait depuis, à cause de son esprit de contestataire, et il se fit avoir. Dans son livre « NOIRS ET BLANCS DE L’AFRIQUE NOIRE FRANÇAISE ou comment le colonisé devient colonisateur (1870-1914), » Édition Flammarion 1983, Chapitre VI (ROIS DE LA BROUSSE: LES INTERPRÈTES), Henri Brunschwig met en évidence le rôle des interprètes dans l’implantation de la colonisation en écrivant à la page 106: 119


« ... mais le commandant, isolé en brousse, théoriquement tout puissant, était paralysé s’il ne trouvait pas des coopérants noirs disposés à le renseigner et à exécuter ses décisions. Les plus importants furent les interprètes, c’est-à-dire des gens qui parlent français et une ou plusieurs langues indigènes. Leur rôle fut capital au cours de la période d’expansion et d’établissement (1880-1920). Il décrit ensuite, au fur et à mesure que l’enseignement se développe, multipliant les personnes capables de s’exprimer dans deux langues. Rôle capital parce que le commandant d’une part, les chefs coutumiers de l’autre en étaient souvent réduits à croire à ce que disait l’interprète, même si sa traduction n’était pas fidèle. » Brunschwig donne droit de cité à Djiguiba Camara parmi les plus illustres interprètes. J’ai donc une légitime fierté de constater dans ces quelques lignes qu’il a consacrées à mon père, que celui-ci n’a pas été un collaborateur servile. En effet, il s’était caractérisé par son esprit contestataire, son ardeur pour la justice et par son mépris pour l’abus d’autorité des commandants et de leurs sbires. Chez nous, en pays Konyanké (Beyla, Macenta, Kérouané) l’image que la population retient encore de Djiguiba Camara est justement son sens de l’équité, son attachement à la vérité. En tant que chef de canton de Simandou, il savait se placer au-dessus et en dehors des parties en conflit pour rester impartial. Il recherchait et disait toujours la vérité contre vents et marrées (Tunyèfolale tèrè dyamanatii Djiguiba le). C’était donc un juge incorruptible reconnu comme tel par tous. Brunschwig cerne mieux son caractère dans les lignes qui suivent: « Enfin Djiguiba Camara, interprète révoqué à la demande de l’administrateur du cercle de Kankan, écrit au Président de la Ligue des Droits de l’Homme, Francis de Présenté, pour se plaindre de cette injustice. De Présenté transmet au Ministre des colonies, qui transmet au Gouverneur Général de l’AOF, qui réclame une enquête au Gouverneur de la Guinée. Le rapport finalement expédié au Ministre le 26 novembre 1910 est très détaillé. Il en résulte que Djiguiba Camara, fils d’un chef de canton du cercle de Beyla, nommé interprète auxiliaire en 1900 au poste de Kérouané, est déplacé à Beyla en 1901 à la demande du chef de poste « car il entravait sérieusement notre action politique, empêchait le plus nombre d’indigènes d’entrer en relation avec le représentant de la France. » De Beyla, il fut en 1903 éloigné pour raisons politiques, à la demande du capitaine commandant du cercle. Il est bien noté pendant les deux ans qui suivent, puis en 1907 suspendu pour un mois pour manquements graves envers l’administrateur du cercle de Faranah. C’est cependant lui qu’on met à la disposition du Gouverneur Richard, chef de la mission de délimitation de la frontière libérienne, car il connaît « Les divers dialectes de la Haute Guinée et de Côte d’Ivoire » (23 mai 1908). En août, Richard le renvoie, car « inutilisable ». Il regagna son poste de Faranah, où « il jette le discrédit sur les fonctionnaires européens parmi les populations des villages où il n’hésitait pas, en outre, à l’insu de Monsieur l’Administrateur, à prendre connaissance des archives et de la correspondance courante et à se servir, à sa manière, de la documentation déjà fort délicate ». Le nouvel administrateur de Faranah constate ensuite que « cet indigène, intermédiaire officiel entre lui et les autochtones, abusait de sa situation pour exiger des cadeaux de la part des indigènes qui désiraient se mettre en relation avec le Représentant du chef de la Colonie ». Il demanda sa révocation en novembre 1908, mais le Gouverneur Liotard se contente de déplacer Camara à Kankan (11 décembre 1908). Serait-ce parce que Liotard n’a pas grande estime pour cet administrateur? À Kankan, il y a deux postes d’interprètes et Camara entre en conflit avec son collègue Fodé Dountzou. (*) Chacun accuse l’autre d’intriguer avec les indigènes, de les inciter à la rébellion, de s’immiscer dans les affaires de la justice européenne et indigène. L’Administrateur Figarol, lassé, finit par les convoquer pour, dit-il, leur faire « loyalement » part qu’il demande leur déplacement au Gouverneur. Ce n’était pas très malin, et le fait que tous deux là-dessus « refusent », séance tenante de continuer leur service « fait désirer » voir le dossier personnel de Figarol. Finalement le 120


Gouverneur inflige aux interprètes dix jours de retenue de solde et les mute. Dountzou se soumet, Camara non. Il est révoqué mais se plaint à l’Administrateur en chef Bobichon, en tournée d’inspection, puis à la Ligue des Droits de l’Homme. Abandonnons-le ici. Il multipliera les démarches et, en 1914 encore, écrira au ministre pour demander une retraite car son emploi à la Banque de l’Afrique Occidentale ne suffit pas à subvenir aux besoins de sa famille. (**) Dans ce cas particulier de Djiguiba Camara, et dans ce milieu particulier de la Haute Guinée, en voie de pacification et d’organisation, cet interprète, certainement hostile au colonisateur, et dont les abus ne sont pas de taille de ceux des deux cas précédents - il ne semble pas s’être beaucoup enrichi - était sans doute plus intelligent que les administrateurs qui le censuraient et le craignaient. On l’accuse d’intrigues multiples; on n’arrive pas à réunir de preuves convaincantes. Il ne se range pas nettement du côté des populations prêtes à la révolte. Il reste constamment à la limite entre les autorités blanches et les administrés récalcitrants. En fera-t-on un héros de la résistance, ou verra-t-on plutôt en lui un représentant de ces collaborateurs de la première phase de l’établissement du régime colonial? Un être déchiré, qui balance entre la collaboration, avec les avantages de carrière qu’elle promet, et le milieu coutumier dont sa fonction le sépare. » (*) - Il s’agit de N’Dorè Fodé Donzo de Beyla qui fut un ami intime et collaborateur de mon père Djiguiba Camara. Ce conflit dura exactement 30 ans (1908-1938). En hommage à leur amitié retrouvée, mon père dédie ce modeste livre à son ami El Hadj N’Dorè Fodé Donzo (voir avant-propos). (**) - ANSOM, AOF, XI, p. 4. (2) - KÈMOKO CAMARA, traditionaliste guinéen, un des historiens officiels de la Première République Populaire et Révolutionnaire de Guinée dont le Président était Ahmed Sékou Touré (1958-1984). (3) - AMADOU HAMPÂTÉ BÂ, « Bongo » N° 344 de septembre 1981. (4) - Voir la Résolution du premier Festival Culturel Panafricain d’Alger de juillet 1969. (5) - Camara Laye: le journal ivoirien « Fraternité-Matin » du 6 avril 1976. (6) - Mamba Sano, ancien et premier député de la Guinée à l’Assemblée Nationale Française de 1946 à 1956. Voir son article intitulé « UN AFRICAIN PRECURSEUR MALHEUREUX DE CHRISTOPHE COLOMB ». (7) - TCHICAYA U-TAMSI, poète congolais. (8) - ABDEL KADER ABDELLA, poète algérien, « Jeune-Afrique ». (9) - MOHAMED DIB, poète algérien, « Jeune Afrique ». (10) - AMADOU HAMPÂTÉ BÂ, traditionaliste malien, auteur de « L’ÉTRANGE DESTIN DE WANGRIN » et de beaucoup d’ouvrages sur les Bambara et sur les Peul. (11) - HAMADOU HAMPÂTÉ BÂ, son intervention au congrès de la JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique) tenu en juillet 1972 à Abidjan.

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(12), (13), (14) et (15) - BASIL DAVIDSON, « LES ROYAUMES AFRICAINS, » Chapitre 3 (« Les traditions tribales »), p. 60-63. (16) et (17) - JOSEPH KI-ZERBO, Agrégé d’histoire, de nationalité burkinabé (exvoltaïque), « Histoire de l’Afrique Noire ». (18) - AIMÉ CÉSAIRE, « Discours sur le colonialisme », Édition Présence Africaine. (19) - DJIBRIL TAMSIR NIANE, historien guinéen, auteur de « Soundjata ou l’épopée mandingue, » Édition Présence Africaine. (20) - AMADOU HAMPÂTÉ BÂ, « Bingo » N° 344 de septembre 1981. (21) - BOUBOU HAMA, ex-Président de l’Assemblée Nationale du Niger. (22) - DJIBRIL TAMSIR NIANE et JEAN SURET-CANALE, « Histoire de l’Afrique Occidentale ». (23) - AMADOU HAMPÂTÉ BÂ. (24) - MAMBA SANO: Ce vieil instituteur était une véritable école, un monument de connaissances, de culture et de sagesse africaines. Malheureusement, il a été négligé, effacé voire inconnu en Guinée qui aurait dû pourtant profiter des expériences et services de cet éminent érudit à qui on a volontairement bouclé la bouche et cassé la plume pour des raisons politiques. Or, au cours de sa longue et fructueuse carrière d’enseignant, il a eu l’honneur et la noble mission de modeler, suivant un idéal de Grandeur, d’Amour et d’Abnégation, la cire molle du cerveau de beaucoup de nos talentueux aînés dont certains ont présidé aux destinées de notre continent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en organisant, ici et là, la lutte pour l’émancipation de nos populations et pour l’indépendance politique et économique de nos pays. Beaucoup de ces pionniers de la lutte politique furent ses élèves. Cet humaniste exemplaire, ce sage intègre, cet africaniste - symbiose de la culture négro-africaine et de la culture occidentale admirablement et utilement alliées - a soigneusement cultivé en moi, pendant neuf ans de pieuse fréquentation (1964-1972), certaines vertus auxquelles je reste profondément attaché telles que: l’Altruisme, la Tolérance, la Patience, la Persévérance dans l’effort, l’Esprit d’Abnégation, la Sagesse, l’Hospitalité, la Générosité et la Solidarité. Je lui dois surtout ma passion de la lecture et de la recherche historique, à laquelle mon père m’avait déjà initié et donné l’admirable goût, que je considère comme une précieuse source d’enrichissement intellectuel et moral, de sagesse, d’information, d’enseignement, d’inspiration et de dépassement constant qu’on ne saurait trop recommander à nos jeunes aussi bien pour continuer leur formation que contre les peines de l’ignorance, de l’âme et les coups de boutoirs de la vie. Ce vénérable vieil instituteur m’a fortement marqué de son empreinte. Il m’a avoué plus d’une fois que la prudence et la sagesse lui commandaient de s’abstenir d’écrire, car de 1958 à 1984, tout le monde devait obligatoirement penser et écrire uniquement dans le cadre du PDG (Parti Démocratique de Guinée). Tout ce qui n’entrait pas dans le canevas de l’idéologie du Président Sékou Touré était immédiatement taxé de contre révolutionnaire, de réactionnaire et entraînait des représailles allant de l’emprisonnement à la peine de mort de l’artiste ou de l’écrivain qui voulait affirmer sa personnalité ou des idées d’un autre courant de pensée. Après le rétablissement de la liberté de pensée et d’expression par l’armée guinéenne depuis le 3 avril 1984, les intellectuels et artistes guinéens vont-ils enfin se décider à 122


s’exprimer, à écrire? Nous l’espérons vivement, car la Guinée accuse un grand retard dans le domaine de la production littéraire à l’échéance des deux premières décennies des indépendances africaines (1960-1980). Malheureusement, Mamba Sano qui s’est éteint le 4 juillet 1985 n’a pu participer à ce combat parce que rongé par la maladie. Dans ses textes que nous avons eu la chance de lire, Mamba Sano affirme brillamment son talent d’écrivain et de fin connaisseur de la langue française dont il maîtrisait toutes les subtilités et délicatesses. Ses récits historiques et surtout ses contes et légendes n’ont rien à envier à ceux de la Fontaine. Ses rares écrits sont de véritables phares pour les jeunes intellectuels avides de connaissance et attelés à la recherche d’une véritable identité africaine dans le domaine culturel. Dans un raccourci, Mamba Sano a été pour moi ce que fut, pour lui-même, Pérez, son ancien maître et célèbre inspecteur colonial et pédagogue chevronné de l’enseignement en Afrique, c’est-à-dire: « SCIENCE ET CONSCIENCE, SIMPLICITÉ ET GRAND-CŒUR ». En reprenant tout simplement l’appel de Monsieur Jules Hié Néa, ancien ministre ivoirien de la Culture, lors de la consécration de cet autre vénérable africain, Amadou Hampâté Bâ, auteur de « L’ÉTRANGE DESTIN DE WANGRIN », à qui Mamba Sano n’a rien à envier, sinon que la liberté d’opinion et d’expression dont le Malien a bénéficié, je dirai à la jeunesse guinéenne à qui Dieu l’a donné de vite profiter de ses vieux jours en venant « s’abreuver à cette source limpide et intarissable de la pensée négro-africaine et universelle ». Je ne sais pas si cet appel que j’avais lancé à des jeunes étudiants guinéens en histoire et en sociologie avait été entendu, car, malheureusement Mamba Sano mourut à Conakry le 4 juillet 1985 sans que je n’aie pu le revoir. Que son âme repose en Paix. Amen! (25) SUR LE CHEMIN DE L’EXIL POLITIQUE « Ni i ma se i fa tyèn koro, dyulu bila a la, i ye a sama i kòfè. » = « Tout enfant digne doit faire l’impossible pour sauver, fructifier et pérenniser l’œuvre qu’il reçoit en héritage de ses parents, si lourde, si délicate soit-elle ». La tradition mandingue reconnaît trois types d’héritiers: A: - « Den mè ni a fa ka kan. » (= « L’héritier qui est égal à son père » est le fils qui parvient à sauvegarder l’intégrité de l’héritage paternel.) B: - « Den mè ka fisa a fa di. » (= « L’héritier qui est plus que son père, ou qui est supérieur à son père » est le fils qui parvient à fructifier, à améliorer ce qu’il a reçu comme legs de son père. Il fait donc mieux et plus que son père.) C: - « Den mè fa ka fisa a di. » (= « L’héritier inférieur à son père » est le fils qui dilapide tout ce qu’il a reçu comme héritage et qui parfois laisse s’écrouler même le bâtiment, la concession, la plantation... laissés par son père défunt.) Mais l’idéal est que « Tout enfant digne doit faire mieux que ses parents ». C’est eu égard à cet impératif catégorique du devoir filial, tant cher au Mandingue en particulier et à l’Africain en général, que je me suis engagé dans ce baroud d’honneur. Je me suis donc attelé, depuis 1964, à la mise au point de ce manuscrit, sans avoir la formation intellectuelle et universitaire qu’exige un tel travail. Pour ce faire, je me suis donné, corps et âme, à ce travail de parachèvement devenu ma raison d’être, une question d’honneur personnel, de vie ou de mort. Il fallait relever le double défi lancé à notre endroit par Kèfing Donzo et Yves Person et celui du régime de contrainte instauré par Sékou Touré. Il nous fallait aussi nous montrer dignes de notre défunt père qui a consacré toute sa vie à ce travail dont il attend toujours le 123


couronnement. Je crois avoir réussi à mener à bon port ce fragile navire, en dépit d’innombrables difficultés de survie et au détriment des études universitaires que j’ambitionnais de faire. J’ai bravé beaucoup de difficultés et de risques. Ma liberté et ma vie furent menacées en plusieurs circonstances. En effet, le tout puissant Président Ahmed Sékou Touré et ses dignitaires démagogues n’avaient heureusement pas pris connaissance du contenu réel de ce manuscrit. Mais plus tard, ils apprirent que ce travail était loin d’être ce qu’ils pensaient, c’est-à-dire un ouvrage militant, reflétant fidèlement la conception du Parti Démocratique de Guinée (PDG-RDA) sur l’histoire. En fait, ce n’est pas un ouvrage officiel conforme aux idéaux d’un parti politique, d’un état, d’un homme ou d’une classe dirigeante dont il s’évertue à faire l’éloge ou reflète les points de vue. On le taxa même dans certains milieux extrémistes de « réactionnaire » tout simplement parce que nous avons osé dire ou écrire la vérité sur l’Almamy Samory Touré, le grand-père de Sékou Touré, par souci d’objectivité historique. Pour nous, personne n’échappe au jugement de l’histoire qui est incorruptible et impartiale. À l’époque, je n’étais qu’un jeune adolescent, inconscient de la réaction d’un régime autoritaire face à un tel document. Heureusement, je fus averti de ce danger par le Secrétaire Général du gouvernement guinéen, feu Néné Kallé Condéto Camara, ethnologue, à qui je m’étais confié en soumettant le manuscrit à sa lecture critique. En conclusion, il le trouva non seulement bon et important à publier mais aussi très dangereux et compromettant dans un régime totalitaire et démagogue que celui qui était instauré en Guinée. Alors, il me conseilla vivement et très fraternellement de le dissimuler immédiatement avant qu’il ne soit trop tard, ou de le faire sortir de la Guinée en attendant un jour meilleur ou un régime plus favorable, plus libéral et plus tolérant, au risque de le perdre définitivement et moi d’aller en prison pour l’avoir détenu. En outre il me demanda, pour une question évidente de sécurité personnelle, de ne jamais le citer du vivant de Sékou Touré parmi mes lecteurs, car on pourrait le faire passer pour un contre-révolutionnaire qui n’a pas voulu démasquer un « mercenaire de la plume », étiquette qu’on collait à tous les intellectuels qui boudaient ou fuyaient la révolution guinéenne pour une question de sécurité. En tant que « traître », il risquait, dans le meilleur des cas, sa mutation, sa révocation ou son emprisonnement et dans le pire des cas la mort. En signalant le manuscrit, il m’exposait inéluctablement, ainsi que ma famille, à la même répression aveugle. Je lui fis la promesse de l’ignorer et de respecter ce contrat de mutisme réciproque. En effet, pour écrire dans la Première République de Guinée (1958-1984), il fallait absolument rester dans le carcan du PDG, tordre sa plume ou alors se taire. Aucune déviation de la ligne doctrinale du parti n’était permise. Nous n’en voulons pour preuve que cette mésaventure du scénario du célèbre romancier et cinéaste sénégalais, Ousmane Sembène, sur l’Almamy Samory Touré. En 1968, Louis Béhanzin, Ministre de l’Information et de l’Idéologie du Parti Démocratique de Guinée (PDG-RDA) avait rejeté, purement et simplement, ce scénario avec l’approbation du Président Sékou Touré. Pour avoir écrit en préambule que Samory, à ses débuts, était un vulgaire chef de bande (Tyè-Ghanan ou Ghanan-Ghanan), vérité historique intangible qu’il ne fallait pas dire ou écrire, on lui refusa l’assistance nécessaire et même l’autorisation de tourner un tel film en Guinée, berceau de Samory, pays qui se prête mieux à la réalisation d’une telle œuvre cinématographique à cause du cadre naturel où évolua effectivement le héros, de la musique, des costumes, de la langue... Selon Barry Mamadou dit Petit Barry (ancien Directeur de Radio Guinée) et Sékou Oumar Barry (cinéaste auteur du film « ET VINT LA LIBERTÉ »), tous les deux étaient des anciens bagnards de Camp Boiro, on lui fit comprendre que la Régie Cinématographique Guinéenne dénommée Syli Cinéma se réservait ce privilège. Le projet de Sembène Ousmane, du moins le scénario, fut taxé de réactionnaire, or le but de ce pionnier du cinéma africain était justement de grandir Samory dans cette œuvre exceptionnelle et ambitieuse du septième art où il compare le Héros Africain à Napoléon Bonaparte. En 1985, la réalisation de ce chef d’œuvre, qui exigeait à l’époque un investissement évalué à plus de deux milliards de F CFA, était 124


encore à l’état de projet. Depuis, le manque de financement a empêché le tournage de ce film en dépit des démarches, des efforts de ce pionnier qui rêvait en faire le couronnement de ses œuvres. Le choix de la Guinée pour réaliser ce film n’était pas fortuit. En effet, berceau de l’empire, elle a le privilège de posséder: • Le cadre naturel où a évolué l’Empereur, • La langue, • La musique et • Les costumes des hommes de l’Empire. Auparavant, Madame Joseph-Noël, l’épouse de ce même Louis Béhanzin, l’idéologue de Sékou Touré, qui fut mon professeur d’histoire et de géographie au Lycée de Donka et à l’Université de Conakry, avait compulsé le manuscrit de mon père en 1968. Dans ses conclusions sur les chapitres moins dangereux que je lui avais soumis, elle me proposa d’adapter le manuscrit à la ligne du Parti Démocratique de Guinée, donc d’en faire un ouvrage militant. Voici ce qu’elle m’écrit: « REMARQUES CONCERNANT L’OUVRAGE DE M. CAMARA DJIGUIBA: L’ALMAMY SAMORY, LA SOCIÉTÉ PRÉCOLONIALE DE SON PAYS NATAL ET L’HISTOIRE ÉVOLUTIVE DU GRAND CONQUÉRANT NOIR » « Bien que n’ayant été sollicitée que pour une amélioration de la forme, il me semble nécessaire de faire quelques remarques de fond concernant le travail des pages dactylographiées 101 à 258 que j’ai eues entre les mains. 1) - En effet; un tel travail ne peut et ne doit pas utiliser une terminologie telle que: - Les hordes Samoryennes - Le joug de Samory - La pacification française - Les indigènes (en parlant des Malinké, Toma...) - L’occupation française sauva tout le pays... l’hydre (Samory) - Etc.... Bien qu’ayant - en partie - corrigé ceci, il appartient au seul fils de l’auteur d’apporter les transformations nécessaires quant au fond et à la forme, dans le sens de la dignité. 2) - Il serait bon d’éviter, dans la mesure du possible, des considérations qui pourraient paraître irrationnelles, tel que « le maraboutage ». 3) - Certains passages méritent d’être, ou apurés (l’erreur judiciaire touchant les filles de Samory), ou supprimés (par ex. p. 167 et p. 177, par. 2). 4) - Il existe des contradictions par ex. concernant le problème de réserve d’or de Samory, ou encore sur les connaissances coraniques de Samory. 5) - Certains points exigeraient des éclaircissements (p. 101, par. 2: Saren Souaré Mory, par exemple). Ceux qui paraissent au non-spécialiste incompréhensibles ou peu clairs sont marqués de... Le tableau de la page 149 est à revoir, par ailleurs, l’on voit mal, par ex. la raison du départ de Karamoko pour la France, etc.... 6) - Pour une lecture et une compréhension plus rapides et plus faciles de l’ouvrage, il serait bienvenu de supprimer - d’avantage que je n’ai osé faire - les trop nombreux sous-titres qui hachent le déroulement des événements, en même temps qu’il est recommandé de regrouper certaines pages qui traitent du même sujet (telles les pages 215 et 217-218 et 219...). 7) - En ce qui concerne le titre, nous nous permettons de suggérer simplement: « L’ALMAMY SAMORY ». 125


8) - Enfin, l’ouvrage insiste beaucoup plus sur les conquêtes et leurs caractères d’atrocités, sur les rivalités entre les tribus et les groupes ethniques, que sur l’organisation politico-administrative et économico-sociale de l’empire Samoryen. En dépit de la remarque de la page 192, se détache le portrait d’un homme sanguinaire qui immolait tant de vies humaines pour assouvir son ambition (page 198, ce qui trahit la figure historique que nous connaissons). Quant à cette épopée extraordinaire de la reconstitution et de la réorganisation de l’empire, plus à l’État, après la mainmise française sur la Haute Guinée et en Guinée Forestière et la résistance, elles sont à peine notées, en particulier les premiers points. Ce travail, qui m’a beaucoup appris, rendra d’éminents services à tous les spécialistes et à la jeune école historique guinéenne. Conakry, le 5 janvier 1968 » Y. JOSEPH-NOËL (Ancien Professeur d’Histoire au Lycée Classique et Moderne de Donka, puis à l’Université Polytechnique de Conakry (Guinée), décédée à Cotonou (Bénin) en janvier 2012) En tant que professeur d’Histoire engagé et femme du ministre de l’Idéologie, Louis Senainon Béhanzin, Madame Joseph-Noël n’avait pas pu lire les textes plus compromettants. J’avais prudemment retiré ces pages dangereuses du lot qu’elle reçut. Mais si le manuscrit avait été officiellement déposé entre les mains du parti et du gouvernement guinéens, en sa qualité de censeur officiel, elle n’aurait pas hésité d’apurer ou de supprimer purement et simplement tout ce qui pourrait ternir Samory, même si c’est une vérité historique. Dans ce cas les omissions volontaires et les falsifications seraient une pratique courante pour adapter le manuscrit à la vision du parti et du gouvernement. Prenant donc conscience du sort qui serait réservé au manuscrit de mon père dans le cadre d’une édition officielle par le Parti-État de Guinée, je ne revins plus revoir Madame Joseph-Noël, comme elle l’avait souhaité. Je fuyais son contact. Mais lors d’une rencontre inopinée, elle me demanda où j’en étais dans ce travail de retouches de la forme et du fond qu’elle m’avait demandé, je lui fis croire que je ne tarderais pas à la rencontrer pour revoir avec elle ce que j’avais fait dans ce sens. Aujourd’hui, avec du recul dans le temps, je dois la remercier de ne m’avoir pas vendu par démagogie ou par engagement militant et révolutionnaire, car ce genre de délation était courant et payant dans la Guinée de Sékou Touré. En effet on a vu à l’époque des amis, des frères, des épouses, des voisins... se dénoncer à la direction locale ou nationale du Parti par machiavélisme, par militantisme ou très souvent par peur de répression de toute complicité ou sympathie d’un quelconque acte répréhensible par le Parti. Parfois on jouait sur les relations et les affinités des gens pour accuser, arrêter et condamner. Les cas de règlement de compte étaient courants. Beaucoup de victimes innocentes ont perdu leur liberté et leur vie par le fait de la délation et pour leurs opinions. Par souci de sauvegarder l’intégrité du contenu de cet ouvrage posthume, par fidélité à la mémoire de mon père, je ne tins jamais compte de ses propositions d’amputation des parties importantes et intéressantes, de falsification et d’omission volontaire grave. Ce conformisme ne se ferait qu’au détriment de la restauration de la vérité historique. Bien au contraire, je l’ai enrichi d’autres faits et gestes inédits sur cette exaltante et tumultueuse vie de l’Almamy Samory Touré. Samory était un homme avec tout ce que ce terme implique de faiblesse et de grandeur. Notre héros, comme toute personne, a deux aspects de sa vie: le bon et le mauvais côté. Par objectivité il faut appréhender les deux aspects en parlant de la vie d’une personne. Samory est certes un héros national, mais tout n’est pas beau dans sa vie. En n’appréhendant que l’un ou l’autre aspect de sa vie, on fait une étude partielle, partiale ou

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partisane, donc non objective. Les historiens africains doivent tout faire pour éclairer les pans d’ombres de notre histoire et éviter d’en cacher volontairement. La Première République de Guinée avait imposé de façon rigoureuse sa conception de l’histoire. Chaque écrivain, chaque journaliste, chaque historien était confiné dans ce carcan. Toute déviation était sévèrement réprimée. C’est ainsi qu’en 1968, lors de la Quinzaine Artistique et Culturelle Nationale annuelle, pendant laquelle toutes les troupes théâtrales des différentes régions administratives du pays rivalisaient en présentant des pièces, des ballets, des chœurs, des orchestres modernes et traditionnels, les responsables politiques et administratifs ainsi que les encadreurs de la troupe fédérale de Kankan eurent de gros ennuis. Ils furent tous inquiétés et taxés de contrerévolutionnaires pour n’avoir pas pu faire passer le prince Diaoulèn Karamoko Touré comme un renégat, un mercenaire, un traître au service de la France. En effet, le Président Sékou Touré leur reprocha d’avoir permis le dialogue entre Diaoulèn Karamoko, le traître, et son père l’Empereur Almamy Samory Touré. De surcroît le personnage qui symbolisait le prince était particulièrement plus éloquent, plus convainquant dans son argumentation que celui qui jouait le rôle de l’empereur. Diaoulèn Karamoko avait nettement transcendé même les griots de Samory qui, pourtant, étaient les maîtres de la parole. Dans sa plaidoirie Diaoulèn Karamoko déclara en conclusion: « Aujourd’hui je suis incompris, mais au moment où vous vous rendrez à l’évidence, en ce moment ce sera tard, car vous serez tous faits prisonniers ou tous morts. Aujourd’hui j’ai tort d’avoir raison trop tôt ou de dire la vérité par réalisme avant le moment opportun. Mais le temps donnera raison au bien-fondé et à la justesse de ma vision réaliste des choses ou de mon appréciation prématurée de la situation. Le temps nous départagera dans l’avenir, mais je suis certain que ce sera tard et même trop tard... » Oui! On a souvent tort de dire la vérité de façon prématurée, c’est-à-dire au moment où par passion, par mauvaise foi, par peur de représailles les autres refusent de l’accepter. Nous convenons que le combat mené par Samory était patriotique et louable, mais les propos tenus par Diaoulèn Karamoko furent comme une véritable prophétie, car en 1898, après son arrestation par le Capitaine Gouraud, Samory Touré donna raison à son fils Diaoulèn Karamoko à qui il avait pourtant imposé une mort atroce, voire inhumaine pour avoir eu de la sympathie pour les Français et recommandé de signer un traité de paix avec eux. Le prince mourut effectivement de diète noire. Sékou Touré, arrière-petit-fils de Samory, premier Président de la République de Guinée, fut très fasciné et inspiré par cette méthode d’exécution ou de faire mourir un ennemi pratiquée par son ascendant. En effet de 1958 à 1984, il fit mourir des milliers de détenus politiques au triste camp Mamadou Boiro de Conakry dénommé camp de la mort. Ceux-ci étaient enfermés dans des cellules exiguës, totalement privés d’eau et de nourriture jusqu’à ce que la mort intervienne après des jours ou des semaines d’agonie atroce. Certains rescapés, certes très peu nombreux, ont écrit des témoignages émouvants, pathétiques et poignants sur les différentes méthodes de torture utilisées pour extorquer des « aveux ». Samory avait-il regretté son combat de longue haleine après son arrestation? Certainement que oui puisqu’il s’était laissé naïvement manipuler et humilier par ses vainqueurs qui lui avaient promis de le réhabiliter et de le rétablir dans toute la plénitude de son pouvoir à Sanankoro après son entretien avec le grand chef blanc à Kayes. C’était très stupide de la part d’un empereur de son envergure qui avait farouchement lutté pendant dixsept ans contre son vainqueur. Le culte de la personnalité de Sékou Touré et de son grand-père avait atteint des propositions inquiétantes voire démentielles. Feu Camara Sékou Philo, un brillant jeune universitaire, originaire de Kouankan (Macenta) et professeur de Philosophie, fut inquiété et jeté en prison pour n’avoir pas applaudi, comme tout le monde, l’image du Président Sékou Touré dans un film d’actualités projeté sur l’écran d’une salle de cinéma de Kankan. La 127


sanction n’était nullement à la mesure ou à la hauteur de la « faute ». Pour ce professeur, applaudir la photo d’une personne - quand bien même il s’agit de la photo du président de la république ou du roi - n’est que pure démagogie. On pouvait aussi aller en prison pour n’avoir pas répété machinalement un slogan politique. Autant de mesquineries et de comportements négligeables ailleurs étaient en Guinée source d’ennuis. C’est dire que dans la Première République de Guinée (1958-1984) la liberté de penser, de parler, d’écrire et d’agir était circonscrite voire inexistante. Indéniablement, je détenais un document si dangereux que tous mes parents, amis et sympathisants qui l’avaient lu en avaient peur et m’avaient unanimement fait cette remarque de risques que j’encourais en le traînant par devers moi. Parmi eux, je cite avec insistance feu Néné Kallé Camara Condéto, Secrétaire du Gouvernement de Sékou Touré, qui connaissait bien la mentalité, la susceptibilité et la réaction imprévisible du patron devant de tels documents dangereux, qui me demanda honnêtement de m’exiler pour sauver le manuscrit qui devait l’être dans l’intérêt supérieur de la Guinée et de l’Afrique entière. Il me fit comprendre que si je m’entêtais de le publier, même en exil et du vivant de Sékou Touré, mes parents demeurés en Guinée auraient eu de gros ennuis. En effet dans la Guinée de Sékou Touré, bien des gens eurent à répondre arbitrairement des actes de leurs parents et amis exilés pour une raison ou une autre. Certains eurent leurs biens confisqués, d’autres connurent la prison et parfois la mort à cause des opinions de leurs parents et amis en exil. C’est ainsi que le père de Tidjane Keita paya durement pour l’acte désespéré de son fils. Tidjane fut abattu par les Services de Sécurité après l’échec de sa tentative d’assassinat du Président Sékou Touré en présence du Président Kenneth Kaunda de la Zambie en visite officielle en Guinée. Le pauvre père fut arbitrairement rendu responsable de la mauvaise conduite de son fils, qu’il avait « mal éduqué ». Il fut immédiatement arrêté et jeté en prison et sa concession rasée par les caterpillars sur ordre du Président Sékou Touré, lui-même. Cette méthode de persécution tendait à faire taire les exilés politiques ou à les dissuader de tenter des actes d’agression individuels ou collectifs contre le régime, car leurs parents et amis demeurant en Guinée subiraient les conséquences de leurs actes. Les mesures de représailles contre de telles tentatives étaient inévitables. Compte tenu de toutes ces sensibilités du maître de la Guinée, j’ai suivi ce sage conseil, reflet d’un réalisme politique évident. Je résolus alors de prendre le chemin de l’exil, avec tout ce que cela présentait comme risques et souffrances pour moi. Je commençais par démissionner de l’emploi que j’occupais au Ministère du Plan pour faire le commerce et le transport. Ce que je fis pendant trois ans afin de me faire oublier. Je mis à profit la plus vaste, la plus profonde et sanglante purge opérée par le régime de Sékou Touré après l’agression du 8 novembre 1970 menée de concert par les Portugais et des exilés politiques guinéens. Jusqu’en 1972 et même bien après, la chasse aux sorcières continuait avec la même vigueur qu’en 1970. L’attention du régime était polarisée par cette affaire de « cinquième colonne », terme qu’on utilisait pour désigner tous les opposants réels ou potentiels au régime. Cette purge avait entraîné l’arrestation et la condamnation à mort de plus de la moitié des ministres du gouvernement, des milliers de cadres politiques et administratifs et de citoyens issus de toutes les couches sociales coupables ou impliqués pour la grande majorité, par les dignitaires du régime - les membres de la Commission Nationale d’Enquête essentiellement composée des parents du Président - pour éliminer physiquement tous ceux qui étaient douteux et auxquels on en voulait depuis des années. À mon avis, une affaire de livre pouvait être négligeable devant ce bouleversement profond que subissait la Guinée. Une anecdote que j’ai vécue le 25 février 1972 mérite d’être contée. Le contrôle, à la manière de la Gestapo nazi, était systématique aux multiples barrages de la police, de la gendarmerie, de l’armée et surtout de la milice du parti dressés tant entre les différentes régions qu’à toutes les frontières du pays, notamment aux frontières de la Guinée 128


avec la Côte d’Ivoire et le Sénégal où les dispositions étaient plus rigoureuses. Tout le peuple était sur le qui-vive. On pouvait être arrêté n’importe où et n’importe quand. On fit croire au naïf peuple à une récidive de l’agression, à l’attentat contre la personne du Président Sékou Touré et des dignitaires de son régime, à la fuite des ennemis intérieurs qu’il fallait dépister et mettre hors d’état de nuire, tout en barrant la route à ceux qui viendraient de l’extérieur. Il me fallait donc prendre toutes les dispositions utiles pour échapper à la Gestapo, car on ne pouvait qualifier autrement cette situation d’insécurité, de terreur, de suspicion et de persécution qui régnait à l’époque en Guinée. On jouait sur les affinités familiales, amicales et professionnelles ainsi que sur les alliances ancestrales ou de mariage pour arrêter et condamner des innocents. Je mis à profit le retour à Ganta (Libéria) du camion de feu Morigbè Camara dit Homet mon oncle maternel de Toligbèballadou (Simandou, Damaro), qui était venu livrer du bois à la Mission Catholique de N’Zérékoré, ville frontalière qui donne accès au Libéria et à la Côte d’Ivoire. La frontière libérienne était plus fluide, plus perméable que celle de la Côte d’Ivoire. Je mis mon oncle dans le coup. Après beaucoup de prières et de sacrifices, il accepta de me prendre avec mon colis encombrant et dangereux. Nous dissimulâmes le manuscrit dans le coffre de rangement des clefs et des pièces de rechanges du véhicule. Le 25 février 1972 fut le départ de N’Zérékoré pour le Libéria en passant par Lola, dernière ville frontalière guinéenne, à quelques dizaines de kilomètres du Libéria et de la Côte d’Ivoire. En effet, je ne pouvais partir directement en Côte d’Ivoire, ma destination finale. Le régime guinéen accusait les autorités ivoiriennes d’avoir abrité et soutenu ses opposants. Cette frontière était particulièrement surveillée. Et les Guinéens qui y allaient ou en venaient se heurtaient à toutes sortes de tracasseries policières. Ils étaient accusés d’être des messagers des opposants au régime. Même ceux qui traversaient la frontière, dans l’un ou l’autre sens, pour des raisons de famille ou qui étaient en congé étaient tous des suspects. À chaque barrage, entre Lola et N’Zérékoré, la fouille était formelle, une simple formalité. Mais elle devint plus systématique à partir de la sortie de Lola. Chaque fois, nous pûmes passer facilement grâce à la Baraka, à la Providence et à la générosité matérielle et financière motivée de mon oncle. Policiers, gendarmes et miliciens étaient tous vivement intéressés par le dollar. Nous perdîmes 30 minutes à Gogota où un jeune Commissaire de Police s’intéressa beaucoup à mon autorisation de sortie qui m’a été pourtant délivrée par la Sûreté Régionale dont il dépendait. Mais avec le dollar tout s’arrangea bien que mon laisserpasser était en bonne et due forme. Toute vérification à la source n’aurait rien donné d’anormal, car le lieutenant Diakité, le père de mon ami et promotionnaire Sékouna Diakité de la BAD (Banque Africain de Développement), avait établi des documents de voyage aussi réguliers que possibles. Mais c’est pour éviter tout retard ou toute complication que mon oncle pratiqua la corruption pour nous ouvrir tous les barrages. À cause de l’immatriculation libérienne de son camion, tous ces contrôleurs refusaient le franc guinéen et exigeaient que le geste de mon oncle soit fait uniquement en dollar. Les choses devinrent plus sérieuses à Bossou, dernier poste administratif. Là, le contrôle fut plus strict, mais le dollar eut raison de la persistance des camarades miliciens qui se montraient plus zélés que les policiers et les gendarmes. Je me croyais sauvé quand, au dernier barrage frontalier, un milicien, au flair percutant, demanda avec insistance de lui ouvrir le coffre après avoir fini de fouiller systématiquement tout le camion. On dirait que nous étions filés, mais il n’en était rien, car cette dissimulation du manuscrit avait été faite discrètement, à une heure très tardive de la nuit, à l’insu de tout le monde; même les deux apprentis chauffeurs du camion n’étaient pas au courant. Ce fut un dialogue de sourds qui s’engagea entre nous, et qui dura des heures sans trouver le moindre compromis. À début, mon oncle avait banalisé cette affaire tandis que moi j’en avais terriblement peur, conscient de ce qui pourrait nous arriver si le milicien allait jusqu’au bout de son intransigeance. Mon oncle se déploya vainement à lui faire comprendre 129


que ce n’était qu’un banal coffre de rangement de clefs et de pièces de rechange et qu’on ne pouvait y cacher rien de suspect, de compromettant ou d’important. Braqué, le camarade milicien, qui se disait défenseur acharné de la Révolution, voulait faire le constat lui-même. Le suspense durait et connaissait des rebondissements quand, par moment, notre interlocuteur menaçait de faire intervenir son chef qui attendait dans la cabane. Heureusement que ce jourlà celui-ci était sous l’effet du bandyi (vin de palme). Il était visiblement ivre et ronflait profondément. La discussion avait tellement duré que celui-ci finit par se réveiller. Il appela notre interlocuteur pour lui demander ce qui n’allait pas. Par la grâce providentielle le milicien lui répondit que notre camion était en panne et que parmi les passagers se trouvait une de ses vieilles connaissances qui causait avec lui. Il prit la précaution ou eut la gentillesse de me présenter à son chef à qui je répondis: « Prêt pour la Révolution » formule obligatoire pour répondre aux salutations d’usage. Et le chef enchaîna en me serrant la main: « Elle est exigeante, multiforme et globale. À bas la contre-révolution! Le peuple vaincra! » Puis nous échangeâmes quelques mots aimables. Comme on aimait à le dire en Guinée il paraphrasa Sékou Touré, Responsable Suprême de la Révolution: « Camarade! La confiance n’exclut pas le contrôle! » Après ces mots, il contrôla mes papiers qui étaient bien en règle. Sur ce plan j’étais bien en sécurité, inattaquable car mes documents de voyages étaient conformes à la règlementation. Après cet épisode, nous revîmes près du camion où mon oncle était resté avec ses apprentis. Ils avaient ouvert le capot pour faire semblant de réparer quelque chose sur le moteur. À partir de ce moment précis, le milicien nous tenait par un fil dont la rupture nous serait fatale. Le chantage et le suspense duraient toujours. Contrairement à mes habitudes, je me fis machinalement offrir un Milo (cigarette de fabrication guinéenne) par un des apprentis chauffeurs qui détenait un paquet. Une gorgée de fumée mal coupée me prit au cœur et me donna aussitôt une toux persistante et un violent mal de tête. Notre tortionnaire m’offrit un bidon d’eau pour me soulager. Après cet instant de crise, il revint à ses moutons. « Ouvrez donc ce coffre pour qu’on en finisse, » reprit-il. N’ayant pu le faire fléchir, mon oncle fit semblant de chercher la clef qu’il savait bien où trouver. Bien sûr, il ne la retrouva point. Alors il s’en prit à l’apprenti chauffeur qu’il menaça d’injures et de corrections corporelles s’il ne retrouvait pas immédiatement la clef. Le pauvre comprit les règles du jeu et se mit à chercher vainement la clef. Il était conscient que nous étions en mauvaise posture. Par contre, son camarade, un peu niais, qui n’avait pas suivi l’opération de dissimulation, chuchotait imperturbablement: « Mais maître, ouvrez donc ce coffre qui ne contient rien d’autres que les clefs. » Ces propos lui coûtèrent une gifle discrète dont ne s’aperçut pas le camarade milicien. Moi je n’en pouvais plus. Je fis le faux malade, le malade imaginaire. D’ailleurs la peur m’avait fait abondamment transpirer. Mes habits étaient donc mouillés de sueur froide. Mon oncle attira l’attention du milicien sur mon état de santé. Il lui fit comprendre que je souffrais d’une crise de paludisme très aiguë. Sans soins prompts et appropriés dans un centre hospitalier, je risquais d’en mourir. Il renchérit que c’était une maladie qui me terrassait régulièrement et que j’allais justement au Libéria pour recevoir un traitement radical chez son médecin personnel qui avait une longue expérience dans le traitement des maladies tropicales. Apparemment sensible à mon état, le camarade milicien m’exprima une certaine compassion. Ce qui nous soulagea et fit espérer notre départ imminent. Mais nous fûmes surpris et déçus de l’entendre dire froidement et ironiquement: « Ouvrez donc ce dyo (fétiche) que je veux voir avant de vous laisser continuer votre route. Par ailleurs je vous conseille vivement de retourner à Lola ou à N’Zérékoré pour

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soigner ce malade qui souffre beaucoup, avant qu’il ne soit trop tard. Je trouve que Monrovia est plus loin et crains qu’il ne puisse supporter ce voyage... » Évidemment mon oncle rejeta ce conseil qui ne nous arrangeait nullement pas parce qu’il fallait se faire fouiller encore à tous les barrages et plus sévèrement, car on craignait l’introduction clandestine des armes et des munitions. Ainsi les véhicules et leurs passagers venant des frontières étaient fouillés avec plus de rigueur. Dans ce cas il fallait reprendre l’opération à zéro, puisque moi je tenais absolument a faire sortir le manuscrit de la Guinée. Évidemment le milicien ne comprit jamais que j’étais plutôt malade de son exigence que d’une maladie réelle. Devant son intransigeance d’ouvrir le coffre, je me sentais déjà perdu à jamais avec l’œuvre de mon père qui, outre-tombe, bénissait et priait certainement pour moi tout au long de cette épreuve. Mais notre réticence imperturbable à cette proposition gentille, en fait, du milicien amena celui-ci à s’accrocher un peu plus au bien-fondé de ses soupçons et de son exigence de nous faire ouvrir le coffre. Mais je me mis involontairement à grelotter par peur, car le danger était là et était bien réel. J’avais vraiment peur de ce qui pourrait m’arriver si la situation ne s’arrangeait pas. Apparemment, ma fièvre avait atteint son point culminant. Alors mon oncle se donna un air désemparé, crispa sa mine, prêt à fondre en pleurs. Toute cette mise en scène visait à faire fléchir le milicien en lui faisant croire que j’étais en danger de mort. Finalement il lâcha prise et demanda en contrepartie quelque chose pour son silence et pour la levée du barrage, car pour lui nous cachions indéniablement quelque chose dont il ignorait la nature et l’importance. À ces mots mon oncle lui offrit précipitamment un billet de 20 dollars. Brusquement notre bourreau se rebiffa et rejeta ce cadeau en ces termes: « Mòò tè ba sanna a kan ma sulu kònò. » Ce qui signifie: « Qu’on ne doit pas discuter du prix réel d’une chèvre sur la seule base de ses bêlements dans l’enclos, au risque de se tromper sur sa valeur réelle. L’acheteur risque de se faire tromper en payant nettement audessus ou en deçà de la valeur marchande réelle de la chèvre. Il est conseillé de la voir, de l’apprécier à sa juste valeur sur le plan physique et fixer en conséquence son prix. » Cela voulait dire en terme clair qu’il tenait à voir ce qu’on cachait pour déterminer le prix de son silence et de sa complicité. Cette attitude de revirement inattendu m’abattit moralement, car tout était ainsi remis en cause. Mais mon oncle en était moins affecté, car il était habitué à cette pratique de corruption. Il était devenu subitement détendu, souriant parce que le milicien avait accepté le principe de l’arrangement. Les modalités de trouver un compromis étaient toujours discutées et pouvaient prendre du temps surtout si l’interlocuteur est très avide. Même quand tous les papiers des véhicules sont en règles, les Services de Sécurité Routière exigent toujours des chauffeurs, transporteurs et commerçants des cadeaux en argent ou en nature. Il faut toujours marchander. Au moment où cette discussion n’avait encore permis de trouver un compromis, le milicien fut appelé par son chef. Leur entretien ne dura que quelques minutes. Nous ne sûmes jamais de quoi ils avaient parlé, mais nous étions déterminés à rester réfractaires à toute décision tendant à fouiller le coffre. Nous étions inquiets et avions le souffle coupé. Nous spéculâmes sur l’objet de leur entretien. Le milicien avait-il finalement associé son chef au dernier moment alors que nous étions en train de trouver un compromis? Avant qu’il n’ouvrît la bouche à son retour, pour nous rassurer ou nous annoncer le pire, j’avais le souffle coupé. « Ne vous inquiétez pas, mon patron me demandait une cigarette et m’ordonnait d’aller chercher le repas au village. Et il voulait savoir si votre panne était aussi grave..., » déclara-t-il. Heureusement que celui-ci était tenu à l’écart des négociations que nous étions en train de mener depuis des heures. Aussi son état d’ivresse nous avait réellement sauvés. Je me demandais s’il était plus intègre et plus exigeant que son adjoint. Mais notre interlocuteur continua son chantage en déclarant: « Arrondissez et je vous laisse partir, car si mon chef intervient, tout sera foutu. Je le connais, il est très méchant... » 131


C’était peut-être faux ou vrai ou du chantage pour atteindre le prix qu’il escomptait pour son silence et sa complicité. Mon oncle qui avait compris ce que voulait dire notre interlocuteur, lui offrit 50 dollars. En recevant cette somme il déclara tout satisfait: « Ça arrange tout à présent. Je peux vous laisser partir et me taire indéfiniment. Bonne chance pour le reste de votre chemin... » Immédiatement mon oncle ordonna aux apprentis de fermer le capot du camion et de ranger les choses qui traînaient par terre. Puis tout le monde s’embarqua. Le milicien leva le barrage pour nous laisser partir. Nous oubliâmes même de dire au revoir à son chef. À lui nous fîmes des gestes amicaux de la main. On était donc sauvé. Mais à quelques deux kilomètres de la frontière nous fûmes rejoints par une Jeep à bord de laquelle se trouvaient le Gouverneur et le Commissaire de Police de Lola. Ce fut encore un coup de foudre qui nous abattit moralement. La peur nous envahit encore. Que s’était-il passé? Le milicien nous avaitil vendu? Encore des spéculations! En effet, durant tout le temps que nous avons passé au barrage, des véhicules en provenance du Libéria avaient été minutieusement fouillés par le même milicien et ses camarades dans l’espoir de découvrir des armes et des minutions. En effets on était bien au lendemain de l’agression armée que venait de subir la Guinée de la part du Portugal et des opposants politiques guinéens. La vigilance était de rigueur, surtout à l’endroit de tous ceux qui rentraient. La milice avait-elle envoyé un message secret aux autorités politiques et administratives de Lola pour signaler notre présence? Je déclarai à mon oncle que je connaissais le Commissaire de Police et qu’il venait peut-être pour nous arrêter. Nous ne fûmes rassurés que quand les occupants de la Jeep nous saluèrent cordialement de la main en doublant notre camion. Je me remis à respirer normalement. Mais une idée m’envahit brusquement. Voulaient-ils aller plus loin nous attendre et nous prendre tout juste à la traversée de la frontière? Je luttais en moi contre cette idée pessimiste en me disant que si réellement ils étaient venus pour nous arrêter, il n’était pas nécessaire d’attendre la frontière pour le faire. Ils pouvaient le faire n’importe où. Donc assurément ils avaient une autre mission qui ne consistait pas à nous arrêter. Et mon oncle se moqua de moi durant tout le reste du voyage. Le Gouverneur et le Commissaire de Police étaient venus régler une affaire au premier poste frontalier libérien. Nous les y trouvâmes. Après quelques formalités d’usage qui prirent quelques minutes, puisque le camion était vide, nous continuâmes notre voyage à destination de Ganta via Lanco et Saniguéllie. Dans le camion, je me mis à raconter à mon oncle ce qui allait nous arriver s’il n’avait pas pu corrompre le milicien. Si ce camarade avait été jusqu’au bout de son exigence, nous serions tous arrêtés après la découverte du manuscrit, puis livrés aux autorités politiques et administratives de Lola qui nous auraient évacués à N’Zérékoré où le Ministre Délégué de la Guinée Forestière nous aurait pris en charge. Quelques jours après nous nous retrouverions au sinistre Camp Boiro de Conakry, lieu de concentration des détenus politiques. Nous serions étiquetés comme des contrerévolutionnaires, des mercenaires de la plume, des éléments actifs de tel ou tel groupe de « la cinquième colonne », nom qu’on attribuait aux opposants au régime. On aurait fait disparaître définitivement le manuscrit et son camion serait confisqué par la révolution. Oui, la révolution guinéenne confisqua arbitrairement la liberté, la vie et les biens de beaucoup de citoyens à cause de leurs opinions. Et comme tant d’autres victimes innocentes ou coupables, nous aurions subi les diverses tortures pour faire des aveux, accuser et dénoncer d’autres citoyens catalogués, devant être éliminés ou neutralisés. À ces mots, mon oncle réalisa les risques que nous encourions. Il comprit le bien-fondé de la grande trouille que j’avais. Bref! Nous avions frôlé la mort ou la prison de longue durée dans les meilleurs cas. Cette journée fut pour nous particulièrement pénible et longue. Sans la Baraka et la Providence nous n’aurions pas pu nous tirer d’affaire. Ainsi le manuscrit serait confisqué et détruit par le régime totalitaire de Sékou Touré, et je serais mort. J’aurais aussi eu sur ma

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conscience le sort qui serait réservé à mon oncle. Pour sa complicité, il aurait subi le même mauvais sort que moi. Après la tempête des purges consécutives à l’agression portugo-guinéenne de 1970, le dossier de la « cinquième colonne » resta ouvert en permanence. L’enquête continua et permit des arrestations sporadiques de temps en temps. Comme je l’ai dit plus haut, en 1972, le Président Sékou Touré demanda à mon neveu El Hadj Dagbè Djiguiba Mamady Camara, représentant à l’époque de la Guinée à la Banque Arabe de Développement de Djeddah (Arabie Saoudite), qui détenait le précieux manuscrit de son homonyme (mon père)? Il lui dit, lors d’un de ses pèlerinages aux lieux saints de l’Islam, qu’il avait appris que ce manuscrit renfermait des choses graves sur l’Almamy Samory Touré. « La Révolution doit absolument récupérer ce manuscrit et l’exploiter conformément à ses idéaux... » conclut-il à son interlocuteur. Évidemment pour une question évidente de sécurité pour lui, pour la famille, et pour moi qui le détenais, celui-ci lui répondit qu’il n’avait jamais lu ce document et ignorait le nom de la personne qui le détenait. Par la suite, Djiguiba Mamady eut l’amabilité de faire expressément escale à Abidjan pour me tenir informé, de vive voix, de l’intention du Président Sékou Touré. Nous conclûmes donc de suspendre toutes les démarches tendant à le publier, du moins, du vivant du maître absolu de la Guinée. Il fallait, par réalisme, éviter à la famille une répression aveugle et à moi une persécution qui m’exclurait pas l’assassinat. La vision réaliste de mon père de l'histoire de Samory est une version qui choque la famille Touré qui tient toujours à censurer tout ce qui paraît sur le héros. Certaines révélations audacieuses sur la vie privée de Samory auraient sans nul doute indisposé ou choqué le Responsable de la Révolution Guinéenne, devenu Néron. En tout cas, il n'aurait pas reculé devant aucun moyen pour traquer et supprimer l’auteur ou le détenteur de ce dangereux manuscrit, surtout que celui-ci est issu de la féodalité traditionnelle qu'il a toujours combattue. D’ailleurs cette attitude de récupération et de contrôle systématique de toutes les publications sur Samory par ses arrière-petits-fils fut remarquée par beaucoup d’observateurs lors des communications faites pendant les cérémonies du Centenaire du Souvenir organisées à Conakry en 1998. Après la mort de Sékou Touré en 1984 et l’écroulement de la Révolution, le moment opportun tant attendu était enfin venu pour mettre tout en œuvre en vue de sa publication. Ce à quoi je me suis déployé avec le concours d’autres bonnes volontés que je ne peux toutes citer, mais que je ne cesserais de remercier vivement ici et exprimer mon infinie gratitude. On voit donc que ce livre, qui a une longue histoire avec beaucoup de péripéties, est incontestablement le fruit d’un travail de longue haleine qui a demandé à son auteur 34 années de recherche opiniâtre et de fouilles inlassables onéreuses dans des conditions difficiles (1929-1963). Quand â moi, et en ma qualité d’héritier spirituel de Damaro Diontan Djiguiba Camara, je me suis attelé à mon tour avec dévouement, par piété et par devoir filial, depuis 1964, à son parachèvement. Telle a été ma mission que je crois avoir accomplie avec bien sûr les concours matériels et moraux de beaucoup de personnes de bonne volonté, sans lesquelles ce livre n’aurait certainement pas vu le jour, et que je ne cesserai jamais de remercier et de louer la contribution déterminante. J’estime avoir, par piété et par devoir filial, pleinement accompli ce qui incombe à tout enfant digne vis-à-vis des œuvres et de la mémoire des auteurs de ses jours ici-bas, vivants ou morts. En outre, je suis fiers moi aussi d’avoir modestement contribué à ce gigantesque, noble, vaste et difficile combat pour La Renaissance Culturelle du Mandingue et de l’Afrique Noire. (26) - Il s’agit d’un courrier électronique retenu et balancé par Ibrahima Souaré (Souaré01@yahoo.fr, le mardi 17 juin 2008, 14 h 04 mn 25s dont l’objet est: LE NOIR!!!)

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AVANT-PROPOS À MON TRÈS CHER AMI, EL HADJ N’DORÈ FODÉ DONZO! (1) ----------o---------« Seul l’homme qui n’a pas laissé de traces n’a pas de passé. » Proverbe chinois ----------o---------« Si je ne suis pas éternel, je ne suis rien. » Ludwig FEUERBACH (« Ludwig Feuerbach, sa vie, son œuvre » par Henri Avron, Presses Universitaires de France, 1964) ----------o---------Comme le dit l’Imam Ali: « L’ami ne sera jamais un véritable ami, jusqu’à ce qu’il sauvegarde son ami dans trois choses: • Dans son malheur, • En son absence • Et après sa mort » ----------o---------« On sait que l’histoire est avant tout faite de questions que posent au passé les hommes d’aujourd’hui pour mieux comprendre leurs luttes, et éclairer l’avenir qu’ils s’efforcent de construire. Mais cet éclairage risque d’être faux, et donc trompeur, si un grand effort n’est pas fait pour rechercher honnêtement la vérité au-delà des urgences tactiques. » Yves PERSON (« Samori: la renaissance de l’empire mandingue, » Édition NEA, Collection « Grandes figures africaines, » p. 15) ----------o----------

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« L’historien doit présenter un panorama conforme à la vérité... La reconstitution de ce que nous appelons d’ordinaire « la réalité historique » doit comporter toutes sortes de témoignages. » Prof. Lansiné KABA (« Cheikh Mohammad Chérif et son temps, » Édition Présence Africaine, p. 11-14) ----------o---------« Le premier devoir de l’historien est d’établir la vérité et le second est de faire comprendre l’intrigue. » Paul VEYNE (« Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 141) ----------o---------« Pour tout lecteur pourvu d’esprit critique et pour la plupart des professionnels... les peuples qu’on dit sans histoire sont plus simplement des peuples dont on ignore l’histoire et que les « Primitifs » ont un passé, comme tout le monde. » Paul VEYNE (« Comment on écrit l’histoire, » Éditions du Seuil, p. 22) ----------o---------« Elle (l’histoire) sert à retracer les événements qui ont marqué le cours des siècles et des dynasties, et qui ont eu pour témoins les générations passées. Les caractères de la science historique sont l’examen et la vérification des faits, l’investigation attentive des causes profondes de la manière dont les évènements se sont passés et dont ils ont pris naissance. » IBN KHALDOUN ----------o----------

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Octogénaire, Issu d’une famille féodale mandingue qui règne depuis le XIIème siècle, Privilégié donc par cette situation sociale aristocratique relativement heureuse, Bénéficiant aussi, par la Grâce Divine, d’une vitalité sanitaire exceptionnelle et d’une lucidité vivace, parfaite et constante de l’esprit soustendue par une farouche ambition d’écrire pour la postérité, Et comblé en outre par une connaissance, certes rudimentaire de l’écriture, mais qui était un privilège exceptionnel très rare à l’époque, dans une Afrique tragiquement confrontée à une dualité féroce entre ses traditions agressées, sa culture méconnue, volontairement ignorée et dénigrée et le modernisme envahissant, souvent pervers et inapproprié, importé chez-nous de l’occident…, Je suis maintenant à un âge où l’homme sent ou doit se rendre compte qu’il n’est pas éternel. En effet, comme tout homme ou tout être vivant, je suis né, j’ai grandi, j’ai vécu le temps que le Tout Puissant Allah a bien voulu m’accorder ici-bas, je dois disparaître un jour de ce monde. À présent, j’ai progressivement subi l’usure physique et mentale du temps qui ronge et détériore tout, je dois par conséquent subir inévitablement cette implacable loi de l’usure et de la disparition que nous imposent la nature et le CRÉATEUR. Je suis donc conscient que je suis au crépuscule de ma vie. Persuadé que la fin incontournable de toute vie est la mort, j’attends, moi aussi mon tour, ma fin, car cette épée de Damoclès peut désormais me frapper n’importe quand, n’importe où et n’importe comment. Oui! Je dois inéluctablement partir. Je dois disparaître un jour comme tout ce qui vit, comme nos pères et nos ancêtres, car nul n’est éternel sur cette terre. Oui! Comme eux, je ne suis qu’un piètre mortel. Comme eux, je suis né, j’ai vécu, et je disparaîtrais un jour. Mais, en dépit de ma foi inébranlable en Dieu, le Maître absolu de mes jours, donc de ma vie dont il dispose: ■ au moment voulu, ■ au lieu voulu et ■ de la manière qu’il veut. Je dois donc quitter définitivement un jour ce monde, car je suis mortel comme tout ce qui vit dis-je. Cependant je crois que chacun doit, suivant son destin ou dans son sillage, se préoccuper d’avoir une vie bien remplie, une vie utile. Chacun doit laisser à la postérité des traces positives, et mémorables. Pour cela je crois avoir réussi à donner un sens positif à ma vie. Ai-je pu me rendre utile à mes contemporains et aux générations futures pour mériter un quel conque hommage, si minime soitil? Et c’est pourquoi je suis l’adepte des proverbes chinois qui nous enseignent que: « Seul l’homme qui n’a pas laissé de traces n’a pas de passé. » Tout comme: « L’homme qui a planté un arbre n’a pas vécu inutilement. » 136


• Qu’il s’agisse d’un arbre (végétal) pour bénéficier de son ombre ou de ses fruits, • Qu’il s’agisse d’un arbre de la culture (produits littéraires, livres, œuvres artistiques...), • Qu’il s’agisse de comportements positifs mémorables pour la société..., • Chacun de nous doit ou peut laisser à la postérité des traces utiles et indélébiles. • Chacun doit et peut donner un sens utile à sa vie afin de s’immortaliser dans la mémoire collective dans l’espace et dans le temps. Au regard de ces considérations, je sais que celui qui a pu écrire pour les autres, même une ligne seulement, et celui qui a planté même un seul arbre a laissé des traces qui permettront à ses contemporains et aux générations futures de se souvenir durablement de lui, positivement de préférence. Par conséquent, il est souhaitable que, pour être indélébile durablement dans la mémoire collective du peuple, ces traces soient utiles, que cette ligne qu’on écrit soit riche et profitable à tous et que cet arbre puisse un jour donner de l’ombre et des fruits. C’est bien pour cette raison que je n’ai pas voulu passer inaperçu ici-bas. Par respect de cet concept ou de cette philosophie, j’ai effectivement planté des arbres, aménagé des plantations d’arbres fruitiers à Nakobaro, à Kokunno, à Toubakorono, à Damaro et dans mon Simandou natal. C’est bien pour cela, disje, que j’ai écrit, à mes heures de liberté, sur le passé si mal connu de nos ancêtres, et pourtant si passionnant à découvrir parce que fourmillant d’actes mémorables et de hauts faits sublimes qui ne sont que des références ou des repères authentiques. Pour mener cet exaltant combat ardu et de longue haleine, j’ai été animé dans cette démarche, non sans difficultés, par une obsession ou une passion ardente et persévérante pour la collecte de nos traditions qui sont malheureusement en train de disparaître. J’ai donc bien compris et perçu cette urgence, au bon moment et avant qu’il ne soit tard, voire trop tard, qu’il fallait commencer ce travail d’investigations et de collecte de nos traditions orales. En effet, je n’avais comme instrument de collecte que le bic, le cahier et ma faculté de reconstitution des faits et des évènements par la mémoire, or parfois notre mémoire est déficiente. À cette époque, nous ignorions les magnétophones, les appareils de photographie, les caméras et autres instruments d’enquêtes modernes audiovisuels pour collecter et fixer fidèlement les témoignages des anciens acteurs et dépositaires de notre culture qui s’altère et tend à disparaître ou à perdre de son dynamisme. Il m’a fallu aller de villages en villages, d’une province à une autre, vers mes informateurs pour les dénicher partout où ils se trouvaient. Parfois, aussi il m’a fallu en transporter à Damaro en hamac, compte tenu de leur âge très avancé ou de leur état de santé souvent précaire. Tout cela a été facilité par l’action efficace des traditionnels colas (« woro-tan-nasiri » = dix noix de cola 137


seulement suffisaient pour les rassurer et obtenir leur collaboration). Évidemment ceux que je faisais venir étaient nourris à mes frais pendant leur séjour à Damaro. Aussi, je leur offrais toujours des cadeaux d’habits, de volailles, de moutons et de chèvres... Ma fonction de chef de canton, donc personnalité relativement nantie et influente, m’a facilité les contacts et cet investissement. Oui! J’ai voulu moi aussi contribuer à l’impérieuse lutte pour la sauvegarde de nos traditions, car si on ne s’y prend pas maintenant, ce sera trop tard parce que les sources seraient toutes disparues ou taries. Triste et amer constat. Il est donc grand temps de prendre le devant. Mais je ne cesserai jamais d’insister sur l’urgence de la collecte, car j’en suis inquiet et crains que, si cet effort de sauvetage ne se généralise pas dans l’immédiat, il ne soit tard et peut-être même trop tard pour sauver même partiellement ce beau et riche passé dont nous devons être fiers à plusieurs égards. Certes, il n’y a pas d’orgueil excessif à bénéficier du progrès réalisé par nos ancêtres qui sont eux aussi héritiers d’un passé avec son actif et son passif. Nous aussi, nous appartiendrons inévitablement un jour, à notre tour, au passé, car l’histoire des hommes, des peuples et des pays est une chaîne continue et ininterrompue. J’ai donc écrit sur le passé de nos pères en ce coin d’Afrique où les Soundjata Keita et autres illustres Héros tels que: El Hadj OumarTall, Almamy Samory Touré, Tiéba Traoré, Ba Bemba Traoré, Béhanzin, et bien d’autres... sont des modèles à suivre à bien d’égards. Ce sont, des Héros à louer qui ont marqué leur époque. Ils ont été des conducteurs de peuples qui ont su s’imposer à leurs contemporains. À ces figures de proue, sans qui les choses ne seraient pas devenues ce qu’elles ont été, nous devons nous identifier dans plusieurs domaines. En effet, ils incarnent incontestablement des idéaux et nous manifestent les originalités mêmes de notre identité culturelle. J’ai voulu ébaucher un travail aussi ardu de recherches historiques sans avoir les qualifications intellectuelles et universitaires appropriées qu’exigent cette science et la sagacité des chercheurs. Mais en dépit de ces carences notoires dont je suis conscient, j’ai voulu combler, avant qu’il ne soit trop tard, les graves, nombreuses et réelles lacunes en essayant de jeter une lumière crue sur ce passé ténébreux. Dans ma démarche, j’ai voulu faire de l’histoire sans égocentrisme. Mais il était nécessaire et urgent, qu’à l’heure où, devant l’acculturation de plus accentuée de nos jeunes, phénomène dû très souvent à un manque grave de documents, et devant l’expansion dangereuse de la xénophobie et la persistance des conceptions erronées de l’Europe sur l’Afrique, notre passé tend à s’incorporer à l’histoire générale de l’humanité: o Que des voix africaines authentiques s’élèvent pour clamer la vitalité, la viabilité et la crédibilité de nos traditions orales, ou plus précisément les aspects positifs et dynamiques de nos septicités culturelles. 138


o Que des hommes, profondément imprégnés des originalités de notre identité culturelle... parlent. o Que des chercheurs en mal d’inédits chantent les gloires et les misères de nos aïeux. Ils sont très mal connus ces ancêtres. Et pourtant ils ont mené une lutte chevaleresque pour un idéal de grandeur que nous devons avoir la fierté de pérenniser. Et j’espère qu’un jour viendra où des savants, des sociologues, des ethnologues, des historiens, des archéologues..., plus compétents que moi, appréhenderont mieux et dégageront méthodiquement tous les faits significatifs et positifs de ce beau et riche passé. Ils auront donc la lourde tâche d’inventorier, de discriminer et d’agencer dans leur ordre chronologique des faits et gestes inédits, ou suivant leur importance et leur intérêt pour les besoins de l’étude et d’une vie sociale harmonieuse. Mais il faut noter que cette campagne de sauvetage de nos vertus et des aspects positifs et dynamiques de notre culture ne saurait être efficacement menée sans une réelle volonté politique de nos gouvernants, sans aussi l’implication de nos institutions exécutives, législatives et judiciaires. En tout cas nous ne devons aucunement renoncer aux aspects dynamiques de notre passé et de notre culture qui doivent subsister pour informer notre présent afin de nous permettre d’éviter les erreurs passées et d’envisager un avenir réaliste, en pleine harmonie avec la civilisation universelle. Oui! L’histoire est un enseignement enrichissant, des leçons utiles à tirer du passé pour éclairer le présent et dégager un avenir radieux qui, tout en s’adaptant à la modernité, doit faire la part au nécessaire et préserver nos spécificités culturelles. En effet, informées objectivement sur notre passé débarrassé de ses tares et éduquées sainement, les générations futures doivent se mettre au diapason de la modernité universelle en tirant des leçons utiles de notre passé culturel et en faisant preuve d’adaptation réaliste sans pour autant se dénaturer. Cependant, pour les héritiers privilégiés d’un beau et riche passé que nous sommes, notre devoir est d’éclairer sincèrement et sainement les jeunes, car ils ont besoin de guides sûrs, de repères, de vertus référentielles et de point de mire pour se reconnaître dans ce monde où la civilisation moderne, avec son inexorable optimisme, introduit chaque jour des mœurs nouvelles, parfois répréhensibles, qui tendent à tout voiler, à tout déformer, même les hommes. C’est pourquoi nous devons vite réagir devant la montée imperturbable du complexe de supériorité et la persistance des préjugés racistes des Européens à l’encontre des peuples noirs qu’ils bafouent et leur renient, par mauvaise foi, toute participation à l’histoire universelle. Pour eux, l’Afrique n’a ni histoire, ni passé, ni culture dignes et intéressants, susceptibles d’apporter quelque chose de positif à l’humanité.

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Cependant, ayons l’honnêteté morale et intellectuelle de reconnaître que le contact ou la confrontation brutale de l’Afrique assoiffée de Liberté avec l’Europe impérialiste a eu aussi bien des aspects positifs que négatifs qu’on ne saurait nier ou oublier que par mauvaise foi. Aucun livre d’histoire générale de l’Afrique digne, écrit par un Africain, ne saurait donc passer sous silence les conséquences fâcheuses, abominables pour l’Afrique Noire, de cette rencontre malheureuse des deux continents, et condamnées par la conscience humaine sur beaucoup de plans. Nous l’effleurons donc sans que ça ne soit le thème principal de notre livre. Mais il faut l’évoquer afin que les générations futures sachent ce qui s’est passé, si douloureux soit-il. Les spécialistes de cette douloureuse période de l’histoire pourront mieux l’appréhender que moi. On ne saurait nier l’évidence. En effet, si aujourd’hui l’Afrique jouit pleinement des biens faits de la science, de la technologie, de la médecine… que lui a apportés l’Europe, doitelle pour autant oublier ou occulter les horreurs de la traite négrière transsaharienne et transatlantique qui, pendant plus de quatre siècles, a réduit en esclavage, tué ou déporté aux Antilles et en Amérique des dizaines de millions d’esclaves Noirs? Qu’on sache, que seuls les hommes et les femmes robustes et valides étaient faits esclaves et déportés. On ne prenait et déportait que les hommes vigoureux aux bras valides. L’Europe et les pays arabes peuvent-ils être excusés pour cette forfaiture inhumaine, insoutenable et indéfendable? NON! ET NON! Bien au contraire, l’Europe coupable doit avouer ses crimes, réparer cette catastrophe humaine et présenter ses excuses à l’Afrique Noire, sa victime résignée, si le dédommagement matériel n’est pas possible. En tout nous attendons une réparation morale et matérielle pour atténuer les conséquences de cette la tragédie qui explique en partie le retard de l’Afrique. Cette tragédie interpelle tous les Noirs et nous impose par conséquent un droit permanent de mémoire envers les victimes de la traite négrière et de la colonisation. On peut certes pardonner, mais on ne doit pas oublier les horreurs, les cruautés, les sévices physiques et moraux commis, car la plaie est béante, douloureuse et est trop profonde. Il reviendra à d’autres Africains, plus spécialiste que nous en la matière, de rappeler aux générations futures ce qui s’est réellement passé. Mais le droit à l’information doit prévaloir sans haine, et ni racisme. (2) Cependant notre devoir d’aînés dépositaires de sagesse, de nos spécificités culturelles et imbus de nos traditions orales, n’est pas de braquer les jeunes en leur proposant, par chauvinisme, une résistance active systématique à la civilisation occidentale qui n’est pas à rejeter en bloc. On ne doit pas non plus se résigner devant ces préjugés impénitents. Plutôt que de créer ou d’envenimer un conflit culturel, notre souci est d’amener ces Européens racistes à nous connaître 140


et à nous comprendre progressivement. Notre souci est aussi d’aider nos jeunes à se reconnaître et à tolérer les autres peuples, les autres civilisations afin de pouvoir déterminer objectivement ce qu’il y a d’utile à préserver dans notre culture ou à emprunter à la civilisation occidentale, sans pour autant nous dépersonnaliser. Les Européens et les autres peuples doivent aussi faire inversement le même effort d’emprunt qualitatif à notre culture. Pour atteindre cet objectif de symbiose, il revient à nous les aînés d’enseigner à nos jeunes l’Amour, la Tolérance et les Vertus de notre culture nègre qu’ils auront la charge de transmettre, à leur tour, aux autres générations futures. Il s’agit de prouver à ces Européens le caractère profondément humain de notre civilisation dont les fondements sont entre autres: la vie communautaire, la solidarité effective, l’humanisme, le sanankunya, le sèrèdenya, le nimòòya, l’altruisme... Ils doivent donc se débarrasser de leurs multiples préjugés racistes, car tout n’est pas répréhensible dans notre civilisation. De même la leur n’est pas sans reproche. En fait, aucune civilisation n’est parfaite, d’où l’utilité absolue de la mise en contact, de l’interpénétration et du brassage méticuleux des différentes civilisations afin de favoriser les emprunts réciproques nécessaires, facteurs d’enrichissement, tout en donnant la possibilité à chacune d’elle de conserver ses spécificités culturelles. Dans ces propos, notre but est de contribuer à la détente, à l’instauration de la tolérance. Notre souhait est de nous aider à nous comprendre mutuellement pour mieux nous aimer fraternellement afin de réaliser la paix individuelle, familiale, sociale et universelle, l’esprit de bon voisinage dans les états et entre les différents pays. Par expérience, nous savons que la concorde profite mieux à tous, nous évite la destruction inutile des vies humaines et des biens matériels, contrairement à la discorde. Que le dialogue et la paix prévalent dans les relations humaines. Oui! Mon cher ami, N’Dorè Fodé Donzo, pour mieux aimer un pays, il faut connaître son histoire et sa culture. Cette histoire et cette culture sont des enseignements civiques que d’autres chercheurs collectent, développent et enseignent aux nouvelles oreilles. Mon but initial était de dégager une entité régionale, de faire connaître à ceux qui l’ignorent qu’ici il y a ou il y avait effectivement ici une organisation sociale harmonieuse, très bien structurée et plus philanthropique, un attachement profond de l’homme à son sol, à ses coutumes, à ses traditions, donc à sa culture. Il faut donc qu’on sache que les Noirs d’Afrique n’étaient pas des sauvages qui vivaient comme des animaux dans la nature, errant ici et là, sans habitat, sans organisation, sans structure, sans loi... C’est bien le lieu et la nécessité de rappeler l’existence de la fameuse constitution dite « CHARTE DE KURUKAN FUWA » ou « LOI FONDAMENTALE DU MANDINGUE » qui a pu organiser les MANDENKA pour vivre en équilibre selon des lois 141


précises qui ont garanti la vie et les biens des individus. D’autres spécialistes traiteront suffisamment, je l’espère bien, ce thème pour donner la preuve de l’existence d’une société structurée. D’ailleurs, FARIN KAMAN CAMARA s’en inspira, au XVIème siècle, pour élaborer un riche code pénal pour régir ses sujets à Moussadou, dans tout le Konya et dans toute la région forestière. En confrontant la monographie du Konya à celle des autres provinces mandingues, on constate aisément une identité culturelle quasi-totale des structures sociales, des différents sous-dialectes, des coutumes et des us. Ainsi il sera plus facile aux spécialistes de faire la synthèse en vue de dégager une civilisation mandingue. Et j’espère que mon ouvrage contribuera dans une certaine mesure à cette synthèse des différents aspects très similaires de la civilisation mandingue. Mon but était aussi de faire connaître certaines erreurs, de relever certaines défectuosités dues à un manque notoire de documentations authentiques sûres et souvent aussi à un parti pris aveugle. Mon but était également de rabattre l’orgueil des bourgeois d’aujourd’hui et des intellectuels déracinés, de rehausser le prestige de l’armature qui, évidemment, puise ses pouvoirs et sa vitalité dans la volonté ancestrale qui est, avant tout, une justice, un idéal de grandeur et un patriotisme qui doit nous inspirer. À d’autres spécialistes reviendra, ai-je dit, le soin de faire une étude plus exhaustive de l’héritage culturel puisé au terroir ancestral, de toucher du doigt les grandes questions historiques, de dégager leurs incidences immédiates et futures sur la vie sociale, politique, culturelle et économique d’aujourd’hui et de demain. À qui devrais-je m’adresser, si ce n’est qu’à toi, mon éternel et indéfectible ami N’Dorè Fodé Donzo? Jeunes, nous avons vu nos parents unis au service d’un idéal de grandeur, d’un amour qui puise sa vitalité dans une certaine position sociale. Nous avons assisté à l’échec de leurs derniers sursauts nationalistes de résistance aux troupes de conquête coloniale, à leur soumission et à leur participation effective à la pénétration et à l’implantation de l’administration coloniale française. Le prix ou la grandeur de leur loyale collaboration au maintien de ce nouveau système n’a-t-il pas fait de nous des otages au service de la cause française? Ensemble, nous avons fréquenté l’école française où nous avons certainement eu la conception d’un meilleur destin. Plus tard, avec les exigences de la vie, chacun suivant son destin, nous avons d’abord embrassé ensemble la carrière d’interprète colonial, puis des carrières différentes. En effet, moi chef de canton de la province Camara (Diomandé) du Simandou (Beyla), et toi, commerçant ayant fait le pèlerinage sacré aux lieux saints de l’Islam et de surcroît érudit maîtrisant le Saint Coran, nous sommes demeurés les mêmes amis fidèles. Toi fils de notable du Konya (Diakolidou, Beyla) et moi fils du roi de la province du Simandou, tous deux nourris à l’école 142


française du suc nourricier du peuple, nous ne pouvions que nous entendre et nous aimer.

El Hadj N’Dorê Fodé Donzo de Diakolidou (Beyla), ex-interprète colonial, devenu un très riche commerçant et un érudit de l’Islam à Diakolidou. Sa progéniture se rencontre de nos jours essentiellement à Beyla, République de Guinée, ainsi qu’à Conakry dont: Karamoko Baba Donzo, un de ses fils qui était opérateur économique (mort en 2021 à Conakry et enterré à Beyla) et Férébory Donzo, un de ses nombreux petits-fils qui est un homme d’affaires, pétrolier et Président de la Société Konya Transport à Matoto-Conakry. Ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants se trouvent également au Libéria, aux U.S.A., en Italie, en Angleterre et ailleurs de par le monde.

Mais, malheureusement, par excès d’orgueil réciproque insensé et injustifié, notre amitié a certainement souffert d’une longue interruption de trente ans de bouderie stupide (1908-1938) et d’incompréhension. Tu voudras bien m’excuser de rappeler ce triste souvenir. Mais j’ai cru bon de le signaler aux jeunes qui doivent en tirer des leçons de sagesse pour l’équilibre de leurs relations amicales et humaines qui doivent être empreintes de tolérance mutuelle. En effet, te souviens-tu qu’au terme d’un jugement rendu en 1908 à Kankan - jugement que je considère sincèrement encore comme partial, truqué 143


et révoltant - un époux légitime a été frustré et extorqué de sa femme au profit de l’amant de celle-ci, malgré le flagrant délit d’adultère constaté par le mari et des témoins? La victime ne fut même pas dédommagée, même moralement, comme il se devait en pays mandingue (musoko lada) en pareille circonstance. Alors chacun de nous eut à défendre, à tort ou à raison, son protégé. Toi l’amant avec le soutien des autorités coloniales et pour des raisons que j’ignore encore, et moi l’époux cocu que j’ai trouvé frustré et brimé, dans sa dignité et dans ses droits inaliénables de mari légitime. Par excès d’orgueil, chacun resta inflexible sur sa position, absolument sourd à tous les appels, à la sagesse, insensible à toutes les interventions de réconciliation entre nous deux. Et comme condition sine qua non de notre retrouvaille, j’attendais que tu fisses ton mea culpa, et inversement tu exigeais aussi de moi le même aveu publique de mes fautes et de te présenter mes excuses pour les propos désobligeants que j’eus à t’adresser pendant et après ce fameux procès de Kankan. Ainsi chacun de nous croyait fermement avoir raison sur l’autre. Mais il fallut enfin l’intervention salutaire et efficace à Beyla du Saint Homme, Karamoko Kassakoro Mory Koné, de Korèla, grand érudit en science coranique, pour arrêter ce baroud d’honneur stupide de deux amis exagérément hautains et qui avait déjà duré trente ans; toutes les interventions ayant échoué. La séance fut suspendue pour permettre à chacun d’aller manger et de faire la prière de 14 heures. Il se produisit un miracle dont je me souviens bien encore et qui avait impressionné toute la population. En effet, pour nous dissuader et nous amener à céder ou à lâcher prise, ce marabout n’avait-il pas imploré Dieu de manifester, avant la reprise de la séance, Sa Puissance à ces orgueilleux que nous étions, de faire tomber la pluie en cette pleine saison sèche? Ce jour-là, Dieu a répondu favorablement et instantanément aux prières d’un de ses adorateurs. En effet, après cette invocation pieuse du CRÉATEUR et la récitation de plusieurs versets du Coran par ce marabout, les nuages apparurent peu à peu dans le ciel, s’amoncelèrent; le firmament s’assombrit, l’orage éclata, et séance tenante, la pluie se mit à tomber abondamment, dans un rayon n’allant pas au-delà de la concession où on était réuni. Cependant on était en pleine saison sèche. Quel miracle! Toute l’assistance en fut stupéfaite. Et nous fûmes alors convaincus que cette intervention dans notre conflit obtempérait à la volonté de Dieu. C’est ainsi que notre réconciliation eut lieu à Beyla en 1938. Je me souviens encore, dans les moindres détails, de ces instants pathétiques de réconciliation. Nos larmes n’avaient-elles pas coulé quand nous nous embrassâmes pour la première fois, après trente ans de brouille inutile? Mais j’avoue qu’en dépit de cette longue interruption de notre amitié, nous avions courageusement et spontanément avoué, le jour de la retrouvaille, l’estime et la confiance réciproque que nous n’avions cessé de garder l’un pour l’autre. Donc notre amitié était restée intacte. Cet heureux constat fut pour moi une grande consolation. Ainsi donc notre réconciliation est totale et irréversible, sois en rassuré, outre-tombe. J’ai totalement effacé en moi tout ce qui nous avait 144


divisés et qui peut être considéré comme tort ou préjudice que tu m’aies fait. J’en veux pour preuve de mon pardon définitif cette dédicace et ces quelques lignes pleines d’amers regrets qui auréolent notre amitié retrouvée. Je sais aussi que tu n’as plus de rancune contre moi, car à ta manière et avant moi, tu as donné, avant ta mort prématurée, le témoignage de ton indéfectible amitié et les preuves de ton pardon en attribuant mon nom à ton fils Kèmè Djiguiba Donzo, né en 1938, peu après notre réconciliation. Ce geste constitue un très grand honneur et une affectueuse marque d’amitié et de considération dans notre milieu traditionnel mandingue. « Tòò kènin bunyè fènba di. Tòò tè tununa. Mòò di tunu wa, a tòò tè tunu. » Ce qui signifie: « Une personne peut disparaître physiquement de ce monde mais son nom peut survivre dans le temps et l’espace. » Pour perpétuer le nom et la mémoire d’une personne qui est chère, on attribue son nom à un ou à plusieurs enfants. Aujourd’hui, quand je jette un regard rétrospectif sur ma vie, j’avoue honnêtement que le plus grand regret, qui me marque encore, est effectivement celui de t’avoir boudé pendant trente ans. D’ailleurs j’ai souffert de ton absence à mes côtés, car aucun autre ami n’a pu combler le vide que tu as laissé. Dans l’amitié, je n’ai jamais rencontré ton genre, car tu étais à la fois: Amour Pur, Sincérité, Discrétion, Vérité, Sagesse, Abnégation, Solidarité, Altruisme, Patience et Persévérance dans l’effort. Je te fais confiance pour toujours (N ma tèè i rò; N laani i la!). Après notre réconciliation, j’avais vivement souhaité te côtoyer encore pendant des décennies pour rattraper le temps perdu dans cette querelle stérile qui n’a profité à personne; mais malheureusement, comme le dit un adage « L’homme propose et Dieu dispose ». Ce vœu ardent n’a pu être exaucé, car en 1948, soit dix ans seulement après notre réconciliation de 1938, la mort est venue prématurément t’arracher à notre affection. Repose donc en paix, cher ami et pardonne-moi encore toutes les peines que j’ai pues te causer. Aussi, sache que nos enfants ont fait le serment de pérenniser notre amitié que la mort n’a pu détruire. Comme le dit l’Imam Ali: « L’ami ne sera jamais un véritable ami, jusqu’à ce qu’il sauvegarde son ami dans trois choses: • Dans son malheur • En son absence • Et après sa mort. » J’espère bien avoir rempli pleinement, fidèlement et régulièrement ces trois conditions de l’amitié tant à ton endroit qu’envers ta progéniture. J’espère aussi que cette flamme que nous avons allumée sera entretenue par nos deux progénitures dans le temps et dans l’espace.

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Dors donc en paix N’Dorè Fodé Donzo. Je souffle et continuerai à souffler sur la braise et raviver la flamme de cette amitié exemplaire qui ne doit pas s’éteindre, en attendant que je te rejoigne, moi aussi, dans la vie éternelle de l’au-delà. Et je convie ardemment nos deux progénitures à s’engager dans cette noble voie pour que ne s’éteigne pas cette ardente flamme de l’amitié sincère et de la vraie fraternité. Ce que tu aurais pu lire ici, si tu vivais, mon cher ami, ce sont entre autres: - Les mouvements migratoires des grandes familles mandingues depuis le Mandingue originel, depuis les XIème et XIIème siècles, - Les guerres tribales, - L’évolution des idées et des mœurs, - Les interdits et les coutumes, - Les différents aspects et l’organisation de la société traditionnelle mandingue avant la colonisation, - L’histoire des Camara (Diomandé) de la Guinée Forestière, surtout des cercles de Beyla et de Macenta, de la Côte d’Ivoire et de la Haute Guinée et du Libéria, - L’arrivée progressive des autres groupes ou clans ethniques. Tu aurais pu lire aussi: - Les guerres antérieures et postérieures à l’Almamy Samory Touré, - L’histoire évolutive de l’Almamy Samory Touré qui est venu supplanter les monarchies traditionnelles locales, celles de Camara et des Cissé, - Et enfin les guerres de conquête coloniales, - La résistance farouche de nos pères à cette pénétration étrangère, - La présence française dont nous avons été par moments de fidèles serviteurs tout en ne reniant pas nos origines. Je n’ai pas cru nécessaire de traiter ou de m’appesantir sur: - Le fait colonial, - La naissance des syndicats, - La création des partis politiques, - Les différentes phases de la lutte pour l’émancipation et la libération de nos populations, - L’acquisition progressive des droits civiques et des libertés, - L’accession de nos pays à l’indépendance politique et les premiers pas de nos jeunes états indépendants... qui sont des problèmes d’actualité ou récents sur lesquels on dispose des documents écrits dans les archives que les jeunes chercheurs peuvent exploiter aisément. Je n’ai donc appréhendé que la période antérieure à la colonisation effective de notre pays, période obscure. Né avant la colonisation (1882), dans un milieu vivant presque en autarcie, à l’abri du choc de nos traditions avec la civilisation occidentale, je fus d’abord un agent contestataire de certaines pratiques des nouvelles autorités, puis collaborateur fidèle de l’administration coloniale (1895-1957) qui, en guise 146


de reconnaissance des services que j’ai rendus, m’a couvert de beaucoup de médailles et de distinctions honorifiques. Mais j’ai connu aussi des moments difficiles du fait de mon caractère peu accommodant avec l’autorité des nouveaux maîtres du pays qui sont venus détrôner nos dynasties multiséculaires et nous imposer leur façon de vivre. Au début, j’en ai ressenti des frustrations qui créèrent en moi la nostalgie de ce passé ancestral monarchique. Mais par la suite je fus contraint d’accepter cette nouvelle situation qui devait durer soixante ans. Je devins même, au fil du temps, un fidèle collaborateur voire un serviteur docile de cette nouvelle administration, comme le témoignent les nombreuses décorations honorifiques dont j’ai bénéficiées. Ma formation rudimentaire d’interprète coloniale à l’école des otages de Kayes, au Soudan (République actuelle du Mali), jadis réservée surtout aux enfants des chefs vaincus ou soumis aux nouvelles autorités coloniales, Mon long séjour au Soudan, pendant mon adolescence, et celui plus long que j’ai eu notamment à Siguiri, Kankan, Kérouané, Beyla et à Faranah - où j’ai exercé ma fonction d’interprète coloniale - m’ont forgé et donné une autre conception de la vie. Ma contribution volontaire et bénévole à la création de la première école primaire régionale de Faranah de 1904 à 1908, où j’ai eu l’initiative de scolariser le jeune métis Maurice Montrat qui me rend hommage pour cet acte dans son roman autobiographique (« N’NA » = « MA MÈRE »), dédié à sa mère, où il traduit toute son affection, toute la profondeur et toute la noblesse de sa piété filiale à l’endroit de l’auteur de sa vie sur terre. Le nom de son grand-père maternel était Mory et son père s’appelait Monterat, je fis une combinaison des deux noms pour obtenir comme nom du jeune métis: Maurice Montrat. Phonétiquement, Maurice vient de Mory, et Montrat devient la contraction de Monterat. Ainsi, chaque parent y trouve donc son compte. Personne n’est lésée. Merci donc à Maurice Montrat pour sa marque de reconnaissance à mon endroit. D’ailleurs il m’a toujours appelé respectueusement « Maître ». Il y a surtout ma nomination en 1929 à la tête du canton de Simandou (Beyla)... ont été, entre autres, pour moi des circonstances ou des cursus favorables qui m’ont permis de connaître profondément et d’aimer la civilisation mandingue, l’histoire du Mandingue, les institutions et les héros mandingues. Mon souhait est donc que les générations futures redécouvrent à travers mon modeste ouvrage et pratiquent tous les aspects positifs de cette agréable culture. Mais aussi, je dois reconnaître honnêtement que l’idée d’écrire ou d’entreprendre la réalisation de cet ouvrage à éditer m’a été insufflée, pour la première fois, par un administrateur colonial qui m’a vivement conseillé de profiter de ma formation même rudimentaire de l’écriture et de la langue française pour collecter et transcrire les traditions orales de mon terroir pour que demain, la postérité mandingue et africaine ne soit pas orpheline en ignorant totalement le passé de nos ancêtres. Donc le bien-fondé de ce conseil m’a obligé de ne plus collecter que pour moi seul, mais de faire profiter tout le monde. Je 147


me souviens encore des conseils et encouragements particuliers dans ce sens de mes amis, Commandants de cercle, Montour et Dariam, tous les deux d’origine martiniquaise, et de bien d’autres administrateurs et fonctionnaires coloniaux français, guinéens et africains qui ont servi à Beyla. Pour faire ce travail ardu et de longue haleine, j’ai fait très souvent fait appel au service régulier de mon secrétariat particulier, à la collaboration des instituteurs de la première école primaire que j’ai créée en 1942 à Damaro, à celle des infirmiers du premier dispensaire de Simandou que j’ai créé à Damaro en 1952. J’ai aussi sollicité le concours bienveillant de certains commis expéditionnaires et des greffiers de justice de Beyla, dont notamment Saran Sékou Camara dit Sékou Greffier de Guéckédougou qui a eu l’amabilité de dactylographier gratuitement pour moi le tout premier manuscrit de 110 pages. Je l’en remercie sincèrement et lui reste reconnaissant ainsi qu’à sa progéniture, car son travail nous a permis de sécuriser le manuscrit initial. Pour améliorer la forme et enrichir le contenu de ce tapuscrit que j’avais collecté et écrit. J’avoue que sans l’apport collégial fructueux de tous ceux-ci, le résultat serait certainement piètre. Ils m’ont tous aidé à mettre en forme ma collecte ou à interviewer mes informateurs que je faisais venir à Damaro ou vers qui j’allais pour collecter avec humilité la substance de ce modeste ouvrage. La place de chaque mot ou de chaque phrase était chaudement discutée avec eux. Mais puisque j’étais animé du souci conséquent et permanent de démystifier nos héros et d’informer audacieusement et honnêtement j’ai opté pour la rigueur dans mes recherches. Je me suis donc, pour cette raison, obstiné à employer certains mots, à maintenir certaines phrases et à traiter certains sujets ou thèmes. C’est ainsi que, parfois, il m’arrivait de leur imposer de parler de certains sujets tabous ou d’écrire sans complaisance ni parti pris aveugle sur certains faits réels passés dont l’évocation indisposerait sûrement la susceptibilité de certaines familles. C’est bien dans ce souci de rétablir la vérité historique que j’ai osé relater - sans complaisance, sans rien occulter, sans rien falsifier - les circonstances de la trahison de mon père Fata Kéoulèn Camara qui avait abandonné à un moment dramatique de la lutte de résistance - certes sous la forte pression de ses oncles paternels - de l’Almamy Samory Touré de façon spectaculaire pour aller se mettre sous la protection des troupes coloniales françaises dont la tête de pont était établie à Kérouané, localité séparée de Damaro par la seule chaîne de montagne (Simandou). Cependant je reste devoir à chacun de tous ceux qui ont contribué à l’achèvement heureux de ce manuscrit. Qu’ils en soient tous, nommés ou anonymes, vivement remerciés pour leur contribution positive, si modeste soitelle. C’est aussi l’occasion de signaler que l’Administrateur Yves Person a eu le privilège exceptionnel de compulser mon manuscrit, par trois ou quatre fois en 1958, à Damaro, alors qu’il était administrateur du cercle de Beyla. À cette époque, mon manuscrit était très avancé. Il profita donc de ses visites à Damaro 148


pour m’avouer qu’il travaillait sur un projet de livre sur l’Empereur Almamy Samory Touré. Ce qui justifiait, à sa demande, sa mutation dans les pays et cercles concernés par cette fabuleuse histoire du conquérant emblématique mandingue et du plus grand résistant noir à la conquête coloniale française en Afrique Occidentale au XIXème siècle. Appréciant mon travail en chantier, il m’encouragea vivement de le faire éditer pour la postérité. Il profita de cet contact pour m’interviewer et prit beaucoup de notes sur Samory, sur sa famille et sur la civilisation mandingue que je connaissais et maîtrisais bien. Il eut donc la chance de compulser librement mon manuscrit, et je lui ai même remis un exemplaire de ce tapuscrit (sur trois copies) afin de me trouver un éditeur en France. Mais malheureusement, jusqu’en 1962, au crépuscule ou à la fin de ma vie, quand je mettais la dernière main à la version améliorée et enrichie de mon manuscrit, je ne reçus de Yves Person aucune nouvelle sur le projet d’édition de mon travail. En chercheur infatigable, j’ai continué à enrichir le manuscrit de 1955 de 110 pages par de nouveaux thèmes. À cette période, je n’avais plus d’espoir de voir mon livré publié, car le temps jouait lourdement sur ma santé et je me sentais aller allègrement vers ce que les gens n’aiment pas et évitent, mais qui est incontournable. Devinez de quoi il s’agit. C’est bien pour cette raison de méfiance ou de déception que j’ai été allergique aux démarches des nouvelles autorités guinéennes de Beyla qui voulaient obtenir une copie de la version de 110 pages qui date de 1955, pour la faire éditer par le gouvernement guinéen. En effet, « chat échaudé craint même l’eau tiède », dit un adage. Là aussi, je fus profondément déçu par les promesses alléchantes non tenues et par le silence de cette autorité sur le sort réservé à mon manuscrit, fruit de 34 années de recherches que j’ai commencées en 1929. C’est donc sans être un maître-nageur que je me suis jeté dans le fleuve en crue pour apprendre à nager tout seul. Je voulais donc pêcher sans être un pêcheur professionnel. Je voulais, plus exactement, sauver en partie, peut-être maladroitement, ce qui était en train de se noyer ou de disparaître. Mais contrairement à toi, mon cher ami N’Dorè Fodé Donzo, moi j’ai eu la chance d’assister, par la grâce de Dieu, à la prise de conscience patriotique de nos enfants qui ont repris courageusement le flambeau de la lutte politique pour la libération nationale du joug colonial (1947-1958). J’ai aussi la chance de connaître ou de vivre les premières années de l’Indépendance Nationale de la Guinée (1958-1962). Mais cette nouvelle ère de Liberté, de Dignité et de Responsabilité totale réussira-t-elle à combler le peuple du bonheur qu’il attend? En tout cas je l’espoir ardemment. Oui! L’Espoir est permis. En effet, le couronnement de cette longue et âpre lutte politique doit aboutir au bonheur du peuple de Guinée. Je remercie donc le Bon Dieu de cette faveur exceptionnelle d’avoir vécu ces quatre phases juxtaposées de la vie de notre peuple, à savoir:

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1) - La période précoloniale que j’ai vécue à côté de mes parents et dans des conditions d’incertitudes, pendant que sévissaient ici et là les guerres fratricides et d’hégémonie des chefs de provinces et des rois. 2) - Celle de la conquête et de l’implantation de l’administration coloniale, caractérisée par la résistance farouche de nos pères à la pénétration européenne en Afrique, par leur collaboration momentanée ou parfois par un sursaut nostalgique de leur patriotisme, de leur passé récent ou lointain. 3) - L’ère marquée par la lutte politique pour l’émancipation des peuples colonisés et pour la libération du joug coloniale, donc pour l’indépendance nationale, 4) - Et enfin les premières années de l’indépendance de notre pays. Oui, cette nouvelle ère de liberté et de responsabilité bien que prometteuse de bonheur se débat dans d’énormes difficultés, mais espérons que celles-ci soient éphémères et déboucheront sur le bonheur intégral du peuple. Mais malheureusement, mon très cher ami, je n’ai pas eu la satisfaction de te faire lire cet opuscule qui a retenu mon haleine depuis 1929 et qui va être certainement une des marques de mon passage ou de ma vie dans cette partie du Mandingue et de l’Afrique. Peut-être, qu’outre-tombe, tu m’entends, car Dieu est Grand et Son Prophète aussi. Je te dédie donc ce modeste livre, que j’ai écrit entre 1929 et 1963, en témoignage de votre amitié sincère que la mort n’a pu détruire. Que tes enfants et toute ta nombreuse progéniture qui sont à Beyla, au Libéria, à Koïndou (Sierra Leone), à Conakry, en Europe, en Amérique... qui me tiennent lieu de toi daignent bien accepter cet honneur et perpétuer avec les miens notre indéfectible amitié que la mort n’a pu détruire, ai-je dit. Mais au crépuscule de ma vie d’octogénaire, je me demande en quoi j’ai été utile ici-bas. Dans ce cas, quelle image de moi parviendra aux générations futures de mon Damaro natal, de mon Simandou où j’ai régné pendant 29 ans (1928-1957) ou à celles de mon Konya aux nobles traditions qui ont produit de célèbres et dignes rois et empereurs comme Gbankouno Saadji Camara, Kaman Kékoura Camara de Boussé, Almamy Samory Touré - qui sont des symboles qui ont tous honoré le Mandingue en particulier et l’Afrique Noire entière par leur carrure exceptionnelle de conducteur de peuple, d’organisateur raffiné, de défenseur acharné de l’indépendance de leur pays, de la liberté de leur peuple, de la dignité, de l’honneur... Cependant, mon souhait le plus ardent est qu’on sache un jour ou qu’on me reconnaisse le mérite d’avoir défendu toute ma vie durant LA VERITÉ. Je crois avoir fait régner la justice dans un esprit d’équité pour tous, chaque fois que j’ai été saisi d’un conflit. Je n’ai jamais imposé mon seul point de vue, car je sais que la vision ou la conviction du chef n’est pas toujours la meilleure. Pour cette raison, je me suis toujours fait assister, dans l’exercice de mes fonctions de chef de canton et de chef traditionnel, d’un large conseil de sages pour régler les différends et dont j’ai toujours recueilli 150


l’avis avant de prendre une décision que j’ai toujours voulue consensuelle. Pour cette raison, j’ai toujours évité de prendre des décisions unilatérales et hâtives, source d’erreurs judiciaires. J’ai toujours pris la patience d’écouter attentivement, d’analyser objectivement les versions des parties en conflit et fait appel aux témoins des deux parties en conflits et ceux qui sont neutres pour faire des recoupements afin de déceler le mensonge, de créer les conditions de manifestation de LA VERITÉ. J’ai toujours recherché le consensus des parties en conflit et de ma communauté pour créer l’harmonie et la stabilité. Par expérience, je conseille aux chefs et aux juges d’avoir toujours la patience d’écouter toutes les parties en conflit afin d’avoir une opinion suffisamment éclairée pour la prise d’une décision sage et équitable. En effet, le premier plaignant n’est pas forcément celui qui a raison. Mais si on n’y prend garde, la démarche anticipée de celui-ci peut facilement influencer le juge qui peut croire que c’est lui qui a senti le besoin de justice. Donc la confrontation est toujours nécessaire pour éviter les frustrations, les erreurs judiciaires et faire éclater LA VERITÉ INCONTESTABLE. Donc le chef doit avoir le temps et la patience d’écouter attentivement, de voir méticuleusement, de discerner objectivement. Il doit fermer les yeux sur certaines choses, donc tolérer ou pardonner. Il doit donc écouter attentivement, voir beaucoup et loin et parler peu. Bref! Le Bon Chef doit souvent faire preuve de cécité et de surdité volontaires pour conduire les hommes avec efficacité, mais surtout avec tolérance. Utiliser le bâton et la carotte est une stratégie qui paye et qui crée l’harmonie sociale. On peut affirmer son autorité en sanctionnant ou en pardonnant souvent les délits par grandeur d’âme. Aussi, en raison de ma très longue expérience dans l’exercice effectif du commandement et dans mon tout premier rôle d’interprète colonial, servant de trait d’union entre les populations et les administrateurs coloniaux, aussi, fils de chef descendant d’une dynastie multiséculaire, je ne cesserai jamais de demander à tout chef, à toute autorité d’éviter autant que possible l’exclusion, la marginalisation des sujets ou des administrés. En effet, une telle attitude maladroite crée toujours des sentiments de frustration et d’indignation dont les conséquences certaines sont la révolte de l’individu, l’implosion ou l’explosion du groupe social victime de ségrégation ou de l’exclusion. Ainsi, on peut éviter la dislocation, la partition d’une entité sociale, administrative ou régionale. Il faut toujours tenir compte des sensibilités des uns et des autres pour créer l’harmonie. La reconnaissance par mes contemporains et par la postérité de ces valeurs et principes que j’ai défendus toute ma vie durant et qui m’étaient chers d’une part, et l’accueil favorable du présent opuscule par le public, notamment les jeunes Africains, et les chercheurs du monde entier en mal d’inédits, et qui sont en quête d’informations sur le Mandenkaya d’autre part, seront pour moi, outre-tombe, la plus grande satisfaction morale. - Mon amour viscéral pour mon pays (fabara ladiya nye, fabara kanu), 151


- Mon intégrité morale (telinen, telinya, hòrònya), - Mon profond attachement à la parole donnée et à la justice (kankelentiiya), - Mon souci permanent de rechercher et de dire la VERITÉ au-delà de la passion (tunya fò), d’où ma rage justifiée contre la fausseté, l’irresponsabilité, la trahison (mòòkoronya, malobaliya), - Mon dégoût prononcé pour le mensonge (wuya fò), - Mon profond respect de la dignité de l’autre (hòrònya, fabadenya, lanbe), - Ma rigueur morale, ma sobriété dans l’alimentation et ma méfiance dans la satisfaction des besoins physiques naturels, surtout en ma qualité de chef, car combien de chefs ou de personnes ont été victimes de leur frivolité, de leur faiblesse ou de leur légèreté sentimentale ou sexuelle et de l’affichage maladroit de leurs préférences alimentaires. Par expérience, je retiens et vous enseigne: • « Tyè ka kan ka se a da la. » (= Qu’un homme doit pouvoir dominer ou maîtriser sa bouche. Ne parlez pas trop, car votre bouche peut vous créer des ennuis, suite à des déclarations incongrues, inappropriées, désobligeants...) • « Tyè ka kan ka se a nòò la. » (= Qu’un homme doit savoir dominer son ventre. Qu’un homme doit aussi savoir maîtriser son ventre. N’affichez jamais à tout le monde et partout vos préférences alimentaires, car une telle indiscrétion peut être exploitée par vos ennemis pour vous atteindre.) • « Tyè ka kan ka se a la kurusiyara la. » (= Un homme, surtout quand il est chef, quelle que soit la dimension ou l’importance de sa fonction ou de son autorité, quelles que soient les dimensions de cette autorité, doit savoir maîtriser son bas ventre, doit se méfier des femmes que l’ennemi peut exploiter comme tremplin pour l’atteindre, obtenir ses secrets, connaître ses faiblesses et l’abattre. Notre histoire foisonne de cas où des rois ont été trahis par une de leurs épouses et livrés à leurs ennemis. Cela peut arriver par jalousie insensée, par haine, par amour, pour des raisons matérielles ou financières. Si l’on n’y prend pas garde, on peut facilement être victime de sa propre femme. Elle peut agir involontairement ou inconsciemment vous créer des ennuis et regretter peu après sa forfaiture.) Le respect rigoureux et permanent de ces principes ou conseils qui concernent tout le monde et permet de vous mettre à l’abri des déboires de la vie, vous met hors de portée de vos ennemis. Oui! Votre ennemi peut passer par ces trois voies: ▪ Vos propos, ▪ Votre ventre ou votre alimentation et ▪ Le sexe féminin peuvent être utilisés par vos ennemis pour vous fragiliser, vous atteindre et vous abattre. 152


Ma méfiance prudente dans les relations humaines quotidiennes, en raison de la fausseté de l’être humain (ka silan adamaden masuba nyè). Cette grande retenue dans la fréquentation m’a permis d’éviter ou de cautionner des machinations, de critiquer les autres, ou d’en être témoin ou victime (Adamaden ka kan ka se a sen na ani a da la, ni wo tè k’o dò di i lasòrò mòòlu bara). Ma fidélité indéfectible et ma constance dans l’amitié (kanyanyòònya labato) m’obligent à me souvenir d’un autre ami. C’est donc le lieu et l’occasion de ne jamais oublier dans mes souvenirs, de cet autre ami fidèle à moi, en la personne de Magna Kaba Diomandé, chef du grand clan Camara de Damaro dénomnmé Kagbèférédou. Oui il fut un inconditionnel, un indéfectible ami intime dont les sages et sincères conseils et le franc-parler constant qui le caractérisait mon permis plusieurs fois d’éviter l’arbitraire et les frustrations... dans l’exercice de ma fonction de chef de canton de Simandou (Beyla). En effet, tout en m’aimant, il n’a jamais été complaisant avec moi. Pour être né quelques heures avant lui, certainement en 1881, moi à Fooma ou s’étaient réfugiés mes parents et lui à Damaro, notre village commun, nos parents et toute le communauté de Damaro nous ont effectivement considérés comme des jumeaux. Et pour cette raison, nos destins étaient intimement liés, dès le retour de mes parents au bercail, jusqu’à la soumission de mon père Fata Kéoulèn Camara dit Diomani Kéoulèn aux troupes de conquête des colonies françaises. Cet évènement changea le cours de mon destin qui m’amena sur un autre chemin, vers d’autres cieux et contrées. Mais en dépit de ma formation d’interprète auxiliaire à l’école des otages à Kayes, mon engagement par la suite dans l’administration coloniale en qualité d’interprète à Kankan, Beyla, Kérouané et Faranah et mon séjour à la Banque de l’Afrique Occidentale et au Trésor à Conakry, notre amitié n’a nullement souffert de la distance et du temps (1894-1922) qui nous ont séparés. Nous sommes demeurés les mêmes, car notre indéfectible amitié a survécu tout en restant intacte. À mon intronisation comme Chef de canton de Simandou (Beyla), il devint naturellement mon meilleur conseiller qui m’a toujours dit la vérité, souvent de façon dure et désagréable. Par son franc parler qu’on lui a toujours reconnu, il m’a toujours canalisé dans la voie de la sagesse et de la tolérance. C’est ainsi qu’il a pu me faire éviter beaucoup de dérapages dans l’exercice du pouvoir. D’ailleurs la règle et la pratique du kanyanyòònya en pays mandingue l’immunisait, le sécurisait ou le protégeait et l’obligeait même d’adopter une telle démarche ou attitude. Je l’en remercie vivement, car il a pleinement et positivement joué ce rôle. Sa mort en 1957 m’a beaucoup affecté, car j’ai perdu en lui le plus fidèle de mes amis du village. Il a laisse un vide qui n’a pu être comblé, car c’était avec lui que je parlais avec plaisir de nos nombreux souvenirs d’enfance, des faits de société de notre temps et de ceux de nos aînés qu’on nous avait racontés, les soirs, autour des feux de bois des nuits noires. Cependant, Dieu merci, je suis consolé par le fait que nos deux familles entretiennent ce lien par de nombreux mariages réciproques entre nos deux progénitures. Le décès de Magna Kaba 153


Diomandé a donc laissé un grand vide autour de moi, car on ne se quittait presque jamais. C’est ainsi qu’il m’accompagnait très souvent dans mes nombreuses tournées à l’intérieur de ma circonscription administrative du Simandou et surtout dans mes visites de prestige ailleurs et même à Conakry. Il fut un modèle, une référence dans l’amitié sincère. Que son âme repose donc en Paix.

MAGNA KABA CAMARA, DIT MAGNA KABA DIOMANDÉ, « LE VERIDIQUE », PATRIARCHE DU CLAN KAGBÈ FÉRÉDOU DE DAMARO (1882-1957). Né en 1882 à Damaro le même jour que Damaro Diontan Djiguiba Camara, l’auteur de cet ouvrage. Ils furent deux amis fidèles et inséparables. Grand-père de l’Honorable Amadou Damaro Camara, Président de l’Assemblée Nationale de Guinée en 2021. « Mon très cher ami, tu fus pour moi un fidèle, un inconditionnel et inséparable ami depuis notre tendre enfance à Damaro, à une époque d’instabilité et de guerres tribales que se livraient les différents rois de notre région. Tu fus surtout un ami sincère, qui m'a toujours dit la vérité, qui m’a toujours donné de sages et conseils utiles dans l’exercice de ma fonction de chef de Canton du Simandou-Damaro, qui m’a canalisé sur le droit chemin, par tes prises de position sage et réaliste, tu m’as fait éviter beaucoup des dérives autoritaires… C’est bien pourquoi je n’ai pu me consoler quand Dieu t’a rappelé en 1957. Ta disparition a créé autour de moi une profonde solitude et un vide incombé. Dors donc en PAIX, mon cher ami. Que la terre de nos ancêtres que tu as tant aimée et que tu n’as jamais voulue quitter te soit légère et que Dieu t’accueille dans son PARADIS ÉTERNEL. AMEN! » Damaro Diontan Djiguiba Camara, ton « frère jumeau »

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Mon cher ami, merci donc pour tout ce que tu as fait pour moi, en me canalisant par tes vérités et tes prises de position nette dans le sens de la vérité, de la justice contre le mensonge et pour l’harmonie de notre communauté. J’espère aussi que nos deux progénitures sauront entretenir cette flamme de notre indéfectible amitié par de nombreux liens de mariages bilatéraux qui ont commencé de notre vivant. Ce sont-là entre autres images ou vertus que je voudrais qu’on retienne de moi quand je ne serai plus de ce monde. En tout cas j’espère bien que mes contemporains qui m’ont connu et côtoyé dans l’exercice de ma fonction de chef de province ou de chef de canton de Simandou pourront, un jour, témoigner sur moi aux générations futures en confirmant ou en infirmant ce que j’allègue, surtout mes initiatives de bâtisseurs d’infrastructures d’intérêt communautaire. Jeunes gens d’aujourd’hui et de demain, j’ai atteint un âge et vécu des expériences de la vie qui me commandent de vous convier à plus de tolérance et d’amour dans vos relations amicales, fraternelles, professionnelles et sociales. En effet, le vrai bonheur n’est possible et durable que dans la paix des cœurs, dans la tolérance réciproque et le respect absolu de l’autre. Ce qui nécessite obligatoirement l’Amour, la Tolérance et la Solidarité réciproques. Les querelles mesquines et stériles, la bagarre et la guerre ne détruisent-elles pas ces nobles sentiments et les acquis matériels en semant, ici et là, la méfiance, la suspicion, la haine, la désolation, la misère et en suscitant un esprit permanent de vengeance? Personne ne peut se targuer d’avoir gagné totalement une bagarre ou une guerre sans la moindre perte, sans le moindre préjudice moral ou matériel. En effet, au cours des différentes phases d’une situation conflictuelle, on perd toujours quelque chose, si insignifiante soit-elle: honneur, dignité, prestige, privilège, dégâts matériels et corporels sans exclure les pertes en vies humaines et les préjudices moraux. Sachez donc pardonner, quelle que soit la faute commise ou quelle que soit l’importance du préjudice qui vous est causé. Si la vengeance systématique contribue à élargir le fossé entre les parties en conflit, à accentuer la lutte, à braquer l’ennemi, par contre par la pratique de la clémence et par la riposte pacifique, on met mal à l’aise l’adversaire. Par la Non-violence, la Tolérance et l’Amour on peut désarmer un ennemi irréductible qui peut rallier votre camp en renonçant à ses idéaux. Il vaut mieux conquérir un adversaire par la dissuasion et la persuasion plutôt que de le combattre par la violence. Dans le domaine politique, la pratique de la tolérance, donc de la nonviolence, est plus payante que les arrestations, quand surtout elles sont arbitraires, les condamnations systématiques, les règlements de comptes, les purges sanglantes et les assassinats justifiés ou pas. L’avenir politique de mon pays m’inquiète sur ce plan, surtout quand je jette un regard rétrospectif sur la période des luttes politiques pour la décolonisation. En effet, de 1946 à 1958, les principaux partis politiques guinéens: le PDG-RDA (Parti Démocratique de 155


Guinée, section guinéenne du Rassemblement Démocratique Africain), sous l’égide de Sékou Touré; le BAG (Bloc Africain de Guinée, section du PRA ou Parti du Regroupement Africain), ayant à sa tête Barry Diawandou, le PS (Parti Socialiste) de Barry Ibrahima dit Barry III, l’Union Mandé de la Haute Guinée qui avait à sa tête Faramoï Bérété, l’Amicale Gilbert-Vieillard du Fouta de Yacine Diallo, l’Union Forestière de Jean Farat Touré et de Mamba Sano, l’Union de la Basse Guinée pilotée par Fodé Mamoudou Touré et Karim Bangoura - pour ne citer que les principaux partis politiques et regroupements régionaux à caractère ethnique - étaient engagés dans une spirale de violence politique totale qui n’épargna ni les vies humaines, ni les biens matériels. Heureusement que cette lutte fratricide avec sa coloration ethnique et régionaliste a été provisoirement ou, j’espère, définitivement estompée par le consensus national réalisé spontanément par tous les Guinéens qui ont massivement VOTÉ NON! lors du référendum historique du 28 septembre 1958. En effet pour reconquérir l’indépendance nationale dans l’unité totale, tous les partis politiques minoritaires (BAG, le PS ...) ont rallié le PDG-RDA majoritaire. Mais sincèrement je redoute fort le retour en force de la violence, de l’ethnocentrisme, ce vieux démon de l’exclusion, de l’intolérance, et la réapparition des règlements de comptes politiques pouvant faire des victimes parfois innocentes et provoquer de profondes fissures du tissu social et peut-être l’émiettement de l’état. Oui! Je suis sincèrement inquiet de l’éclosion de l’ethnocentrisme et du régionalisme, le plus dangereux des démons de la division. Que Dieu sauve donc la Guinée afin que l’UNION ou l’UNITÉ de ses fils retrouvée spontanément et par patriotisme lors de son accession à la souveraineté nationale en 1958 ne soit de façade ou un château de carton ou de sable. C’est bien l’occasion et le lieu de rendre un hommage mérité aux opposants politiques d’alors qui sont: ► Barry Diawandou ► Barry Ibrahima dit Barry III ► Mamba Sano ► Koumandian Keita ► Karim Bangoura ► Faramoï Bérété … et leurs militants pour avoir fait preuve d’esprit patriotique qui a sauvé l’indépendance de la Guinée. En effet, la France n’a pu les corrompre pour créer la fissure dans la société guinéenne afin de pouvoir briser l’élan des indépendantistes comme elle a pu le faire au Niger en écrasant le SAWABA indépendantiste de Bakary Djibo au profit du RDA de Hamani Diori. Sans cette fibre patriotique de ces opposants, l’indépendance de la Guinée serait compromise ou aurait avorté, car la France avait tout mis en œuvre pour relever et punir ce défi audacieux des Guinéens. Et si cette démarche des extrémistes français, visant à étouffer dans l’œuf ces velléités d’indépendance, avait réussi, 156


la vague des indépendances des colonies françaises d’Afrique intervenue en 1960, soit deux après celle de la Guinée, n’aurait pas eu lieu. Donc on ne saurait négliger ou oublier le mérite salutaire de ces patriotes guinéens qui ont catégoriquement refusé de prêter le flanc à ce jeu de la France. Par expérience de la vie, je ne cesserai jamais de dire à nos dirigeants de faire toujours preuve de sagesse, de tolérance dans l’exercice de leurs fonctions administratives et politiques. Le pouvoir doit s’exercer avec la carotte et la chicote… Il doit donc être à la fois rigoureux et tolérant… Sévissez quand il le faut, mais pardonnez quand cela est nécessaire… Dirigeants politiques et administratifs guinéens et africains, plutôt que d’éliminer physiquement vos opposants politiques, il vaut mieux réaliser avec eux l’indispensable unité nationale intégrale qui ne doit pas ou ne peut pas se faire sans eux et en dehors d’eux. Instaurez et cultivez courageusement le Dialogue sincère et constructif avec vos opposants, car leur vision de la situation ou leur solution peut être la meilleure ou un complément positif de celle que vous défendez. Cette complémentarité des points de vue peut être profitable tant au pouvoir qu’a l’opposition, car c’est bien le bonheur du pays que chaque partie recherche. En effet, par la pratique et la culture des vertus du Dialogue vous pourrez, sans violence, par le consensus, résoudre les problèmes les plus épineux, les plus délicats, et réaliser le consensus qui engage toutes les parties. Sachez que quand vous tuez une personne, vous multipliez par cent le nombre de vos ennemis. En effet, les enfants, les parents paternels et maternels, les beaux-parents, les amis et les sympathisants de votre victime ainsi que toutes les personnes auxquelles elle a rendu des services deviennent implicitement des opposants, des ennemis potentiels qui nourrissent une haine féroce à votre endroit en attendant qu’ils puissent un jour avoir la possibilité de venger votre victime, car on dit en pays mandingue: « Fa faaden tè nyinala. » Ce qui veut dire: « Le fils d’un père assassiné froidement, avec ou sans raison valable, ou surtout si c’est pour des raisons politiques, ne peut pardonner définitivement la mort de l’un des auteurs de ses jours. Il n’oublie jamais les circonstances de la mort de celui-ci. Pour une question évidente de sécurité personnelle, il peut ne pas exhiber sa rancœur, mais agira dès que possible pour venger son père. Il est et demeure un ennemi en puissance qui brandira un jour son étendard de la vengeances. » Ainsi, par ce jeu de l’intolérance, de la répression, de la vengeance, de l’exclusion, de l’affirmation d’identité ethnique, de la résistance, de la radicalisation… on tombe inévitablement et malheureusement dans le cercle vicieux, infernal et récurrent des intrigues, des coups et des contre-coups, avec leur corollaire d’instabilité politique et sociale qui compromet le développement économique et la paix sociale. Par expérience et par sagesse, je ne cesserai 157


jamais d’insister sur la pratique permanente et les avantages de la clémence, de l’acceptation de la différence des opinions. Il faut accepter d’instaurer et de faire recours régulièrement à l’indispensable dialogue franc, sans restriction, pour solutionner les conflits et bannir ainsi la pratique de la violence. Ce qui suppose évidemment des concessions réciproques de la part du pouvoir et de l’opposition, de tous les acteurs en présence. Ainsi, on peut rallier un ennemi qui serait irréductible par la violence. Que les procès politiques ne finissent donc pas par un bain de sang ou par des emprisonnements de courte ou de longue durée, mais par une clémence du pouvoir qui doit convaincre l’opposant, favoriser son intégration et tenir compte des critiques positives de celui-ci. Mais en contrepartie, l’opposant doit, à son tour, accepter la main tendue du régime en place et se repentir dans une certaine mesure. La critique objective, donc constructive, faite par l’opposition dans l’intérêt supérieur de la nation doit être acceptée par les tenants du pouvoir. La conciliation des positions par le Dialogue constructif est toujours possible dans l’intérêt supérieur du pays. « Que le pouvoir sache qu’une tête n’est pas comme un poireau! Une fois coupée, la tête humaine ne repousse plus » a dit Mao Tse Toung. En politique il ne faut pas tuer, à tort ou à raison, car le sang appelle le sang. En effet: « Qui tue par l’épée meurt par le glaive, » dit un adage! La vie de l’homme est un don sacré de Dieu qu’il faut respecter et préserver. Les divergences d’opinions ne doivent jamais, à mon avis, entraîner des répressions aveugles et sanglantes, des peines d’emprisonnement ou des pertes en vies humaines. Au contraire la critique du pouvoir en place est indispensable et permet à celui-ci d’éviter des erreurs et de rectifier les tirs. L’opposition est donc un contre poids utile, un pendant du pouvoir qu’il faut tolérer au risque de voir disparaître la démocratie et favoriser l’instauration d’un pouvoir personnel ou du culte de la personnalité, donc de la dictature. La vie n’est belle et profitable que dans l’harmonie, l’amour et la tolérance réciproque. Donc seul le dialogue sincère et constructif des différents partenaires ou protagonistes de la vie permet de réaliser en douceur ces valeurs pour une harmonie de la société. Soyons donc réceptifs aux suggestions et aux critiques positives et constructives afin d’éviter des abus de pouvoir, des bévues... Et, comme Gandhi: « Puisque j’ai rejeté l’épée, il n’eut plus rien d’autre que la coupe de l’amour que je puisse offrir à ceux qui se dressent contre moi, c’est en leur offrant cette coupe que j’espère les rapprocher de moi. » Tel est mon testament politique ou le message que je laisse aux hommes politiques de Guinée et d’Afrique ainsi qu’à toute notre progéniture afin qu’ils puissent s’en inspirer pour faire régner la paix et la justice sociales et réaliser le bonheur de chacun et de tous. Que la Paix, la Concorde, la Fraternité Réelle, la Solidarité Effective, l’Altruisme, la Tolérance et l’Acceptation de la différence... règnent en Guinée comme dans une famille unie, harmonieuse, solidaire dont les membres conjuguent le même verbe, parlent le même langage et œuvrent pour le bonheur 158


commun. En dépit de nos différences culturelles, que la Guinée soit considérée par tous comme une famille unie et solidaire afin que le bonheur et le malheur de chacun et de tous soient communs et partagés collectivement. Que la Guinée soit et demeure notre dénominateur commun. Maintenant que vous disposez de riches et solides outils appropriés, d’armes efficaces, d’arguments valables, de références authentiques et vertueuses, accepteriez-vous de participer désormais à la campagne de reboisement de notre désert culturel en plantant et en entretenant un arbre de la culture africaine? Accepteriez-vous de vous engager dorénavant sur cette route de la culture africaine désormais balisée par des repères sûrs, fiables et viables qui vous conduiront vers la Renaissance de Notre Identité Culturelle Authentique? Il revient donc à nous tous de relever ensemble, avant qu’il ne soit trop tard, ce noble et urgent défi qui nous interpelle tous, car le bilan du choc culturel que nous avons subi doit être un enrichissement et non aboutir à la désintégration et à la disparition de la nôtre qui doit certes emprunter ce qui est nécessaire et non s’effacer totalement devant celle des autres. Le modèle ou l’expérience des Asiatiques dans ce domaine est assez édifiant, assez exaltant. Ceux-ci ont bien adopté et conquis la science et la technologie en ne se dénaturant pas sur le plan culturel. Comme eux, nous ne saurions renier les bienfaits de la science et de la technologie. Mais sachons donc devenir modernes tout en préservant les éléments dynamiques de notre culture sans lesquels nous ne serons que des tarés culturels, des pervertis. Inspirons-nous donc des valeurs vertueuses et de nos spécificités culturelles qu’ont incarnées les Samory Touré, Fabou Touré dit Kèmè Bouréma Touré, Béhanzin, Tiéba Traoré, Ba Bemba Traoré, El Hadj Oumar Tall, Alpha Yaya Diallo… comme tant d’autres héros patriotes connus et anonymes, ils sont tombés, les armes en mains, sur le champ d’honneur pour avoir dit catégoriquement non à la domination étrangère et défendu au prix de leur vie les nobles idéaux de dignité, d’honneur, d’indépendance, de liberté... Leurs exemples, à bien d’égards, doivent inspirer la postérité qui doit rester digne des symboles qu’ils représentent. Nous pouvons donc bien être des modernes tout en restant dignes dans notre peau noire. En effet, nous devons, dans un souci d’austénite, exhumer et pratiquer sans complexe les aspects dynamiques et vertueux de notre culture qui, à bien d’égards, peut inspirer d’autres civilisations et les humaniser. En effet, l’Afrique Noire a bien son mot à dire au « Rendez-vous Universel du Donner et du Recevoir des différentes Civilisations, notamment dans le domaine des Relations Humaines où elle a pu exceller en réalisant la meilleure symbiose. » Puisque certains Européens ont eu l’audace de nier, par mauvaise foi, à l’Afrique Noire toute civilisation et toute contribution à l’histoire de l’humanité, alors qu’elle en est le berceau, comme Hegel qui écrit avec audace: « Pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer l’homme africain, nous le 159


voyons dans l’état de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore il est resté tel. Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. Ce que nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique, non développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle. » Par ailleurs, Hegel poursuit son jugement avilissant en ces termes: « Ce continent est intéressant du point de vue de sa propre histoire, mais par le fait que nous voyons l’homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation. » Mais ils oublient par mauvaise foi que chaque peuple a un passé, a donc sa propre culture. Évidemment ce n’est pas parce qu’on ignore ou qu’on veut ignorer ce passé, qu’il faut dénier aux autres peuples leur histoire, leur passé, leur culture. C’est une grave erreur de jugement, une frustration qu’il faut éviter et corriger, car ce préjugé est bien une injustice. Puisque certains africanistes européens ont jeté en pâture et livré aux ignominies nos illustres Héros Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo, Fabou Touré dit Kèmè Bouréma Touré, Dinah Salifou, Zébéla Togba, Tiéba Traoré, Ba Bemba Traoré, Béhanzin, Chaka Zoulou, Rabat… Il nous appartient à présent: o De relever le défi de l’ignorance, o De relever le défi de l’exclusion arbitraire de l’Afrique de l’Histoire Universelle comme l’ont fait ou le feront d’autres Africains, o De relever le défi de rétablir, sans chauvinisme et ni complaisance, la vérité historique en restituant à nos Héros leur dignité longtemps bafouée, o De relever le défi: - de la calomnie, - du dédain, du rejet, - l’exclusion arbitraire de l’Afrique de l’Histoire Universelle, - de la mauvaise foi, - de la désinformation et - du complexe de supériorité abjecte et aberrant, o De perpétuer les nobles idéaux et les symboles que ces héros ont défendus au prix de leur vie, o De leur rendre enfin l’hommage qu’ils méritent, o De les élever et de les inscrire au panthéon des Héros de l’histoire africaine afin, qu’outre-tombe, ils puissent enfin dormir en toute quiétude. Chaque peuple n’a-t-il pas le droit de magnifier ses Héros, ses Grands Bâtisseurs, ses Symboles, ses Bienfaiteurs, ses illustres Célébrités, ses Grands Hommes? 160


Enfin, je vous convie humblement de vous délecter de ce recueil de traditions orales, de quelques éléments dynamiques de notre culture, en grande partie inédits, que vous aurez à compulser patiemment et fréquemment, et dont la saveur suave embaumera et humectera votre cœur d’un parfum authentique et raffiné d’amour sincère, de fraternité réelle, de tolérance souple, de sagesse… qu’exhalent les différents aspects vertueux de la civilisation mandingue et africaine menacée de disparition. La RENAISSANCE rapide des éléments dynamiques de leur cendre est un défi à relever et qui interpelle, sans exception, tous les Africains avant qu’il ne soit tard, voire trop tard. Aimons-nous donc réciproquement, acceptons ou tolérons nos différences, qui doivent être des facteurs d’enrichissement, pour mieux vivre ensemble dans ce pays qui nous a vus naître, que nous devons construire et non détruire, car la postérité ne nous pardonnera pas de lui avoir légué un pays ruiné, un pays déchiré, ou un pays de haine. Dans quelle grande famille ou dans quelle région naturelle de Guinée où on ne rencontre pas une ou des d’épouses provenant d’une autre ethnie ou d’une autre région? Il y a donc inévitablement un brassage ethnique qui devrait être le soubassement de l’unité de notre chère Guinée, le dénominateur commun de tous les citoyens de ce pays. Sauvons donc cette nation dont la déconfiture ou la dislocation ne profite à personne. N’embarrassons donc pas ou plus nos enfants issus des mariages mixtes, ou disons des mariages réciproques entre les différentes ethnies, car il est difficile ou embarrassant de choisir entre son père et sa mère ou entre l’ethnie de son père et celle de sa mère. Cultivons donc ensemble la Paix, l’Amour, l’Altruisme, la Tolérance… pour une Guinée unie et prospère au profit de tous, sans aucune discrimination culturelle, religieuse, ethnique... Dieu et la nature ont béni la terre guinéenne en lui donnant en abondance aux Guinéens toutes les faveurs du monde: • De l’eau en abondance, • Une terre fertile, • Un sous-sol riche en minerais variés de haute teneur et en grande quantité… Si donc les Guinéens sont malheureux, ils ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes, car il leur est possible de créer leur propre bonheur, car la richesse est là. Les autres nous envient et nous en veulent peut-être. Qu’on ne leur donne pas ou plus l’occasion de nous traiter de maudits… Vous avez donc entre vos mains mes témoignages ou ceux d’un non spécialiste: ● Sur certains aspects de la civilisation mandingue, ● Sur les mouvements migratoires de certaines grandes familles mandingues après la désintégration des grands empires du Moyen Âge, 161


● Sur l’histoire évolutive de l’Empereur Almamy Samory Touré, ● Sur les exploits de ce grand conquérant mandingue, ● Sur le génie militaire et sur le sens élevé de l’organisation administrative de cet Empereur emblématique mandingue, ● Sur les exploits militaires de ce Héros mandingue qui fut sans nul doute le plus Grand Résistant Noir du XIXème siècle à la conquête coloniale française. En dépit de ses insuffisances dues aux carences intellectuelles de son auteur que je suis et dont la formation scolaire rudimentaire et professionnelle d’interprète colonial subalterne et de chef de canton aux pouvoirs limités, j’ose espérer que le présent ouvrage vous sera certainement utile à bien d’égards et sera aussi favorablement accueilli par les chercheurs, les sociologues, les historiens, les ethnologues… et surtout par les jeunes élèves et étudiants en mal d’inédits et avides de savoirs. Mon ardent souhait est aussi qu’il soit considéré comme une contribution positive, certes très modeste, à l’effort de Réhabilitation de notre histoire et de la Renaissance de notre culture si longtemps bafouée et si mal connue. Mais je suis conscient qu’en tant que non spécialiste de la matière traitée, je ne peux peut prétendre que mon ouvrage a un caractère scientifique ou est irréprochable. Mais, quelle que soit l’ampleur des imperfections et des erreurs de jugements de ce livre, j’ose espérer avec fierté qu’il sera favorablement accueilli à cause de son contenu qui est, je crois, puisé aux meilleures sources au moment opportun où j’ai eu le privilège divin de côtoyer les derniers dépositaires de notre culture en voie de disparition. Toutefois, je suis conscient de la carence notoire de sa forme ou de son style. Merci donc pour votre indulgence et votre vive attention pour ces quelques témoignages mal formulés ou mal exprimés de ma vie et sur le passé passionnant de l’Afrique que je vous laisse et que j’ai pu patiemment tirer du tréfonds des ténèbres de notre histoire et de notre culture si mal connues. Délectez-vous en! Tirez en des leçons utiles pour vous-mêmes et pour l’Afrique entière. En conséquence, ■ Ne singez plus naïvement et intégralement les mœurs perverses et aliénatrices importées d’Europe et d’Amérique. ■ Ne vous pervertissez plus par snobisme. ■ Mais sachez allier utilement le modernisme et la tradition pour obtenir votre équilibre psychologique et sociale comme l’ont si bien fait et si bien réussi les Asiatiques. En tout cas les repères sont là. Désormais la route à suivre est maintenant balisée, vous ne pouvez plus et devez plus vous perdre dans les méandres de ce modernisme pervers et aliénateur. Les modèles sont là.

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Que Solomana Kanté, l’illustre linguiste guinéen, l’inventeur de l’écriture N’Ko pour transcrire la langue mandingue, dont j’ai entendu parler lors d’un de mes passages à Kankan reçoive mes sincères compliments pour ce qu’il a initié pour relever le défi de l’écriture et de l’ignorance. Que son exemple vous inspire pour émerger ou transcender dans bien d’autres domaines de la culture, de la technologie, de la science... Comme lui et moi même, relevez, vous aussi, un des nombreux défis auxquels l’Afrique Noire est confrontée. Il s’agit de vouloir et de faire preuve de patience et de persévérance dans ce domaine difficile et exaltant, mais souvent ingrat de la recherche, car la réussite n’est pas toujours certaine. Mais rien n’est impossible si vous avez confiance en vous-même, en ce que vous voulez, en ce que vous faites et au bien-fondé de votre idéal. Mais dans les cas de figure, sachez que les embûches à franchir ou à affronter sont si nombreuses que sans une volonté inébranlable vous ne saurez réussir. C’est pourquoi je ne cesserai jamais de vous citer avec beaucoup de fierté les exemples de combats pour la renaissance de la civilisation, de la culture et de l’histoire de l’Afrique Noire menés par Cheikh Anta Diop, le savant et égyptologue sénégalais, dont j’ai aussi entendu parler vaguement quand je siégeais en 1953 au Grand Conseil de l’AOF à Dakar, et celui mené par Solomana Kanté, le linguiste guinéen, qui s’est inlassablement battu, tout seul, pour créer l’écriture N’Ko afin de pouvoir transcrire aisément la langue mandingue. Ces deux exemples sont éloquents, édifiants et illustratifs. Ce sont des références ou des modèles à suivre. Pourquoi pas vous aussi? Essayez donc de faire quelque chose dans tel ou tel domaine de la vie afin que vous soyez, vous aussi, inscrits en lettres d’or au panthéon des célébrités de Guinée et d’Afrique Noire. Devenez-vous aussi des immortels. ■ Soyez donc ambitieux pour vous élever. ■ Soyez aussi entreprenant et résolument opiniâtre pour réussir. ■ Soyez utile aux autres pour qu’on ne vous oublie pas quand vous ne serez plus. ■ Armez-vous donc de Patience, de Persévérance et de Volonté inébranlable sans lesquelles vertus vous ne saurez réussir dans aucune entreprise. Je crois fermement que ces vertus sont incontestablement la clef de réussite chaque entreprise. ■ Croyez en vous. ■ Croyez en votre capacité de mener à bon port un projet. ■ Ayez la conviction que la noblesse, la justesse et le bien fondé de votre idéal, de vos actes vertueux… rendront services à vos concitoyens, à votre pays et à l’humanité entière, même si on ne vous comprend pas ou même si on ne soutient pas au départ ou pendant vos recherches. Le temps vous donnera certainement raison.

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Je ne souhaite pas recevoir des hommages à titre posthume qui sont parfois l’expression d’une comédie humaine. Il vaut mieux glorifier le mérite de quelqu’un de son vivant au lieu d’attendre qu’il soit mort pour le faire. Ainsi vous pourrez vous immortaliser positivement dans la mémoire collective de vos contemporains et les générations futures pourront, avec fierté, s’identifier à vous. Encore et enfin bonne chance à tous ceux qui vont entreprendre quelque chose pour le bien être de chacun et de tous. Soyez ambitieux, volontaire, inébranlable, patient et persévérant. Il faut que l’Afrique Noire apporte sa part à l’édifice universel à travers ses célébrités dans tous les domaines des activités humaines. Affirmons-nous et cessons dorénavant d’être les éternels consommateurs de ce que les autres produisent et nous imposent, cessons d’être les éternels assistés. Soyons et restons dignes et fiers de notre passé culturel qui recèle de vertus dont doivent s’inspirer les autres. Prenons chez eux ce qui est bon pour compléter ou améliorer ce qui est positif dans notre culture. Je vous souhaite donc bonne chance et bonne réussite dans ce que vous aurez à concevoir et à entreprendre par conviction pour rester éternel dans la mémoire collective de votre peuple et pour honorer l’Afrique, en dépit des nombreux et incontournables écueils qui jonchent le chemin de toutes entreprises humaines. Sachez enfin que l’audace, la patience, la conviction, la confiance en soi et la persévérance dans l’effort sont la clef de la réussite dans tout ce que vous entreprenez, car chaque œuvre ou entreprise humaine est imparfaite et a ses écueils qu’il faut absolument vaincre par la persévérance et par la patience pour atteindre l’objectif qu’on s’est assigné. Mon œuvre étant une œuvre humaine, donc imparfaite, je reste ouvert, avec mes héritiers et mon ouvrage à vos critiques et suggestions pour corriger les fautes et erreurs afin de l’améliorer, car, comme le dit Voltaire: « Quiconque écrit l’histoire de son temps - ou celle de son pays doit s’attendre qu’on lui reprochera tout ce qu’il a dit et tout ce qu’il n’a pas dit. » Fait à Damaro, le 20 août 1962 DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA

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DOCUMENTS DE LECTURE N.B: Les titres et les sous-titres sont de Daouda Damaro Camara DOCUMENT DE LECTURE I: EXTRAIT OU CONTENU DE QUELQUES ARTICLES DES SOIXANTE ARTICLES DE L’ORDONNANCE DU CONSEIL D’ÉTAT DE LOUIS XIV REGLEMENTANT LA DISCIPLINE, LE COMMERCE ET LA VIE DES NÈGRES ET ESCLAVES DANS LES COLONIES FRANÇAISES ----------o----------

LE CODE NOIR OU LE CARCAN DES ESCLAVES DANS LES COLONIES FRANÇAISES SOUS LOUIS XIV (1685), ROI DE FRANCE, DIT « LE ROI SOLEIL » ----------o---------« L’article 3 interdisait l’exercice public de toute religion autre que la religion catholique, apostolique et romaine. L’article 9 prohibait le concubinage entre maîtres et esclaves sous peine de lourdes amendes et de la confiscation des biens. L’article 11 interdisait aux curés de procéder au mariage des esclaves en l’absence de consentement des maîtres. L’article 12 stipulait que les enfants qui naîtraient de mariage entre esclaves seraient eux-mêmes esclaves et appartiendraient aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme avaient des maîtres différents. L’article 14 ordonnait que les esclaves qui mouraient sans avoir reçu le baptême soient enterré, la nuit, dans un champ voisin du lieu où ils seraient décédés. L’article 16 interdisait aux esclaves appartenant à différents maîtres de s’attrouper, le jour ou la nuit, sous peine de punition corporelle, laquelle ne pourrait être moindre que le fouet et le fer rouge; en cas de récidive, les coupables pourraient être exécutés. Selon l’article 22, les maîtres étaient tenus de fournir à leurs esclaves de dix ans et plus, chaque semaine, deux pots et demi de farine de manioc ou trois cassaves pesant deux livres et demi chacune, avec deux livres de bœufs salés ou trois livres de poisson; et aux enfants, du sevrage à l’âge de dix ans, la moitié de ces vivres. L’article 25 prescrivait aux maîtres de fournir à chaque esclave deux habits de toile ou quatre aunes de toile, au gré, chaque année. L’article 28, pour sommaire qu’il fut, déclarait que les esclaves ne pouvaient posséder qui n’appartienne d’abord à leur maîtres. L’article 33 condamnait à la peine de mort tout esclave qui aurait frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de celle-ci, ou leurs enfants, produisant une contusion ou entraînant une effusion de sang. Selon l’article 35, les vols qualifiés, mêmes ceux de chevaux, mulets, bœufs et vaches, commis par des esclaves seraient punis de peines afflictives, même de mort, si le cas le requérait.

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L’article suivant (36) stipulait que les voleurs de moutons, chèvres, seraient punis selon leur gravité et que les juges pourraient condamner les coupables à être battus avec une verge par l’exécuteur de la haute justice et marquer d’une fleur de lys. L’article 42 précisait que seulement les maîtres, lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’auront mérité, pourront les faire enchaîner et les faire battre de verge ou de corde; leur défendant toutefois de donner la torture à ces mêmes esclaves, ni de leur faire aucune mutilation de membre, sous peine de confiscation des esclaves par la haute justice locale. L’article 44 déclarait les esclaves être meubles, n’avoir de suite par hypothèque et se partager également entre les cohéritiers sans droit d’aînesse. Sur ce, Monsieur de Seignelay rappela tout bonnement que, selon la coutume de Paris, tout ce qui n’était pas immeuble était meuble et que cette distinction prévalait depuis des siècles puisqu’elle était emprunté au droit romain. Les nègres et les bestiaux sont réputés meubles! lança-t-il péremptoirement. Monsieur de Seignelay termina en insistant grandement sur le fait que l’œuvre méritoire de son père, Jean Baptiste Colbert, avait été inspirée à la fois de la Bible, du droit romain, des préceptes du Christianisme et du droit canonique. » (Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 97, 98 et 99)

LES INTERVENTIONS DE TROIS MINISTRES DE LOUIS XIV LORS DU CONSEIL D’ÉTAT DU 20 MARS 1685 A - L’intervention du Comte de la Tour d’Auvergne: « Ces êtres ne méritent pas une place normale dans notre monde. Leur naissance tient au hasard de leur venue dans des contrées sauvages, ce qui implique que les voilà avec une intelligence si douteuse qu’on puisse facilement les assimiler au monde animal. Il ne saurait être question de leur reconnaître une quelconque place dans notre société de rangs, encore moins la liberté, si restreinte fût-elle. » Comte DE LA TOUR D’AUVERGNE (cité dans Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 100) B - Les propos du Marquis Henri de Lamoignon: « Des sauvages, Votre Majesté! Les nègres sont des sauvages, même si on dit qu’ils ont parmi eux de petits rois. Et vous savez à quoi tiennent leurs palais? À des huttes recouvertes de bouse et de crottin, à peine plus grandes que celles de leurs sujets; des paillotes indignes d’une écurie de paysan! Ce sont donc des êtres non civilisés, dont l’existence est sujette à la domination des animaux et par ce fait, désordonnée, brutale et courte. Et alors que dans notre monde la civilisation est inspirée par le sacré, ces nègres s’entourent de démons sortis droit de l’enfer. Quelle place devraient-ils occuper dans la hiérarchie que nous défendons? Je n’en vois aucune. Nous savons que le roi est l’image de Dieu sur la terre et que les autres grands sont de haute naissance, gardiens suprêmes des institutions et de l’honneur, ce qui est notre cas. Sous ce lignage noble, nous trouvons tout gentilhomme partageant les motivations chrétiennes, c’est-à-dire priant Dieu, la Reine du ciel, les Anges et les Saints. Les autres, outre ceux des corps de marchands, sont nés de la tourbe, artisans, paysans, petits sujets et bâtards ---, mais toujours pas de nègres! Votre Majesté, qu’ils soient objets de chasse puis de servage, soit! Mais jamais ne devraient-ils être reconnus comme des humains d’un quelconque rang; cela porterait un jour ombrage à votre règne et à votre grandeur! » 166


Le Marquis Henri de LAMOIGNON (cité dans Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 100-101) C - Ceux du Duc Honoré d’Albert: « Toute concession de notre part à un esclave, même baptisé, serait un jour fatal pour la royauté, la grandeur du royaume, les traditions, les voies du pouvoir, les rangs de l’État! Nous devrons flatter, aménager, concéder, puis, inévitablement, renoncer à nos propres droits. Tout ce qui est aujourd’hui propre à la noblesse serait sali au contact de ces êtres vils, cruels, sans histoire et sans morale, qui se feraient fort de prétendre à d’odieuses comparaisons. Proposer qu’ils soient gratifiés d’un quelconque sceau de légitimité équivaut à saper les bases mêmes de notre État. Votre Majesté, je dis qu’il faut savoir refuser sagement le saut dans l’inconnu. Certains prétendent que nous maintenons une tyrannie: sottise! Serions-nous plus tyranniques que les huguenots simplement parce que nous tentons de protéger le droit incontestable de notre royaume de préserver la race? Ou alors plus monstrueux que les musulmans parce que nous nous défendons contre les menaces et les subtilités perverses de nègres qui chercheront indubitablement à la dégrader, puis à l’anéantir? Que non, Votre Majesté! Monsieur de Seignelay a précisé que ces ordonnances s’inspiraient de la Bible... j’en doute! Et ce, parce que les Ecritures n’ont jamais reconnu le moindre droit à ceux que Dieu a maudits! » Le Duc Honoré D’ALBERT (cité dans Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 101) D - Les conclusions de Louis XIV, dit « le Roi Soleil » de France: « Nous prescrivons une forme de droit, poursuivit-il, ou la sévérité aura préséance sur la colère et la cruauté, ainsi qu’une basse intendance qui règlemente l’esprit du travail plutôt qu’un régime de forçat. C’est de cette seule façon que nous comprenons la servitude et en fixons les règles. Pour ce qui est d’humaniser totalement les nègres, voilà une affaire qu’il faudra plaider un jour. En attendant, il serait impolitique d’en traiter ici. D’ailleurs, aussi passionné que serait un tel débat, nous ne saurions conclure qu’un nègre devenu esclave, puis affranchi, puisse s’élever au rang de citoyen. Voilà bien un droit qu’ils n’auront jamais. Messeigneurs, j’en ai presque terminé. La grandeur de la France tient à ce qu’elle a des droits qui osent envisager l’avenir sans toujours craindre d’y perdre ses droits et ses valeurs absolues. J’affirme que notre statut est intouchable et le demeurera; celui de l’esclave, même affranchi, sera toujours soumis aux principes de l’irréversible infériorité sociale. Jamais donc de tels êtres ne pourront jouir de la prérogative d’un gentilhomme; ne parlons même pas de la noblesse. Ainsi sera maintenue la distance entre notre race et leur espèce. Cette distinction, même après un affranchissement possible, ce qui sera toujours rarissime, maintiendra la subordination du nègre et fera en sorte que sa couleur soit le symbole de la servitude... » LOUIS XIV, Roi de France, dit « le Roi Soleil » (de 1638 à 1715) (cité dans Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 101-102) ----------o----------

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DESCRIPTIFS D’UN BATEAU NÉGRIER LES AMÉNAGEMENTS DES CALES À L’INTÉRIEUR DU « CHEVALIER DE NANTES »: p. 148-149 « Deux faux-ponts avaient été pratiqués entre le pont supérieur et le pont inférieur, et aménagés en autant de cales à esclaves. Les lieux n’avaient pas leur équivalent. Ils étaient pires que les cellules du plus sombre donjon; bien pires que les galères. Chaque espace ne mesurait guère plus de un mètre et demi de hauteur, forçant les hommes à s’y tenir courbés ou alors ramper. Les écoutilles étant rares, et étroites de surcroît, l’air devenait vite irrespirable. Une simple claire-voie laissant filtrer un rai de lumière, encore que l’obscurité y était presque permanente. En revanche, un terrible arsenal de fer était aligné de manière impeccable; colliers de cou, bracelets de poignets, entraves de pieds, menottes à vis, poucettes, cadenas et clés bien huilés. Toutes ces pièces, véritables instruments de tortures, jouxtaient les barres de justice qui couraient à la longueur de la cale. Montaudouin, Terrien et Jean-Baptiste Daussaint se contentèrent d’un rapide examen de l’endroit. La chaleur d’étuve qui y régnait et l’allure sinistre de cet entrepôt de damnés incitèrent à remonter à la hâte à l’air libre. Boivert resta un moment seul avec Sarrebourse. Il suait à grosses gouttes alors qu’une étrange angoisse lui serrait la poitrine. Néanmoins, il lui incombait de sauver la face. Il fit semblant de s’intéresser aux différentes entraves, comme pour éprouver la solidité. Il n’avait toujours pas dit un mot... --- Boivert se mit à dénombrer les espaces prévus, en imaginant une occupation complète des deux entreponts. Disons deux cent cinquante places, annonça-t-il, après un moment d’hésitation. Peutêtre un peu plus. Trois cent soixante et une, le reprit Sarrebourse sur le champ. Comment faites-vous le compte? lui demanda Boisvert. Simple calcul emprunté à nos prisons d’État, répondit froidement Sarrebourse, en traçant la forme imaginaire d’un corps à même le plancher de l’entrepont. Cinquante-trois mâles couchés à tribord; cent vingt-trois mâles entre les deux rangées, couchés; soixante-dix femelles couchées à tribord et à bâbord, et soixante-dix femelles assises, tournées vers l’avant. Boisvert, privé d’air, se sentit mal. Sorrebourse s’en aperçut. Il lui offrit de priser. Allez, cela vous aidera à mieux respirer. Boisvert le remercia d’un geste et quitta précipitamment l’entrepont. Philippe de Boisvert trouva difficilement le sommeil au cours des jours suivants. Quoiqu’il passât aux yeux des autres pour être le grand connaisseur du commerce de la traite, il n’avait jamais vu auparavant de parcs à esclaves et leurs fers d’entrave. Des nègres, il en avait croisé quelques-uns, petits domestiques pour la plupart. Mais jamais de créatures noires enchainées en série, à fond de cale, privée d’air et de lumière, ainsi que la chose lui apparut lors de cette visite de l’entrepont. Jusque-là, la traite était une affaire de calcul, tant de pièces d’Inde (désignation des esclaves), tant de pertes, tant de bénéfices nets... --- Rongé par de nombreuses pensées, Philippe de Boisvert était retourné seul dans l’entrepont du Chevalier de Nantes et avait mesuré à sa façon les lieux réservés aux captifs. Ses calculs donnèrent trois cents places, encore que ce chiffre n’allouât aucun espace entre les corps qui eut permis aux coupeurs de battre un peu plus librement... --- Même en négociant au plus serré, conclut-il, nous allons perdre le tiers de notre marchandise. La raison de cela tient à une seule chose: nos navires sont des vestibules de

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condamnés à mort. Les pièces d’Inde y seront tellement entassées qu’il en mourra deux par jour durant la traversée. --- Monsieur, insista Boisvert, ce n’est pas en rangeant ces nègres comme de la vaisselle et des cuillères, et en les emboîtant l’un dans l’autre, que vous éviterez la vermine et les infections... --- Ils seront nus! Complètement nus pour toute la durée de la traversée. Rasés des pieds à la tête. Et on les lavera à grande eau, chaque jour... Ils auront droit à des sorties sur le pont, si le temps le permet. Cela nous obligera à revoir un peu les gages des hommes à bord... mais enfin! »

Plan d’un bateau négrier. Voir « Les Africains » de Pierre Alexandre, p. 497. Les esclaves y étaient rangés comme les cuillères dans un meuble de rangement ou comme les sardines. 169


La hauteur entre le pont et la cale était de 1,50 m. Les dimensions des entreponts étaient telles qu’une personne enchaînée ne pouvait ni s’y tenir debout, ni s’y asseoir aisément, ni s’y tenir correctement couché. Ils voyageaient ainsi pendant 2 à 3 mois, entièrement entravés (les jambes et les bras enchaînés). Les malades d’un certain état et les cadavres étaient extraits et balancés par-dessus bord.

Outils ou matériels pour maîtriser les esclaves. 170


LES APPLICATIONS PRATIQUES DU CODE NOIR A - LA CAPTURE DES ESCLAVES PAR LES FEUX DE BROUSSE ET L’INCENDIE DES VILLAGES (CAS DU VILLAGE MANDINGUE DE WAL) « Il (Souma, le prince mandingue du village de Wal, fait prisonnier) ne décelait aucun son mais eut conscience d’une odeur qui rampait. Les narines de Souma palpitèrent, s’aplatirent alors qu’un sentiment trouble l’étreignait, à mi-chemin entre l’angoisse et la peur. Il avait compris que, sans le moindre vent, la source de l’odeur ne pouvait qu’être proche. Cette odeur ressemblait étrangement au fumet des sacrifices, mais elle était plus âcre, plus forte aussi. Comme si elle jaillissait directement de la terre. À une première appréhension succéda un terrible pressentiment: le feu! Le déferlement se produisit au sortir de la nuit, juste avant la blancheur annonçant l’aurore. C’était bien du feu qu’il s’agissait. Il balayait les abords du village de Wal. La terre, déjà sèche, roussissait sous les morsures des nombreux brasiers. Progressant rapidement, ils laissaient derrière eux la vision d’une terre noircie, vide comme un désert. Un cercle infernal se refermait sur Wal et privait ses habitants du moindre souffle d’air. Ces derniers, sortis brutalement de leur sommeil et aveuglés par l’épaisse fumée, couraient dans tous les sens, cherchant machinalement à fuir une mort atroce par suffocation. La couverture végétale alentour, jusqu’aux moindres touffes d’herbe, cornée, était maintenant réduite en cendres. Les langues de feu, avec des déplacements de reptile, s’infiltraient dans les fissures du sol, consumant les terriers, carbonisant des colonies entières de rongeurs. Un nuage brûlant enveloppait déjà complètement le village de Wal lorsque le feu gagna le mur d’enceinte. Des cris humains, mêlant la frayeur et la douleur, fusaient de partout, alors que leur répondaient, en multiples échos, les jappements effrayés des cynocéphales qui fréquentaient le bois sacré et les croassements sauvages des oiseaux charognards. Diougou Koumba s’effondra au pied du baobab géant. L’air lui manquait, la fumée lui brûlait les poumons et les yeux. Il savait qu’aucun sacrifice ne parviendrait maintenant à sauver Wal. Le village allait devenir une vaste sépulture avant même que ne commençât véritablement le jour. Cette terre qu’il connaissait et sa propre vie finiraient donc sous le baobab, en même temps que tant de mémoires, sinon toutes les mémoires qui avaient tissé la vie de Wal. Dans un ultime geste de chef, Diougou Koumba avait fait donner du tambour, dans l’espoir que la nouvelle de la tragédie portât au loin, comme ces vents partis des déserts infinis pour finir dans les cases d’un village. Il entendit sourdre les premiers battements, percussions aux résonnances profondes qui reproduisaient par de telles sonorités le drame qui se jouait. Diougou Koumba entendit distinctement des sons qui lui rappelaient la danse des masques, la célébration d’une naissance, l’appel des lutteurs, les rites d’initiation, l’évocation d’une mort. Le maître de tambour y allait de ses dernières énergies, battant le lourd instrument à un rythme obsédant. Chaque son renfermait une parcelle de vie des habitants de Wal. Chaque roulement dispersait l’histoire de cette petite communauté aux quatre vents. Mais le rythme du feu l’emporta sur celui du tambour. Un brasier en fécondait un autre et bientôt les flammes embrasèrent les greniers, l’un après l’autre, puis les cases. Rassemblant le peu de forces qui lui restait, le chef de Wal se dirigea péniblement vers sa case, afin de sauver quelques objets précieux: les peaux du lion et du python, tués par son fils Souma, le siège de prestige, symbole de la chefferie, et les gris-gris ayant appartenus à ses ancêtres. Chaque pas était un supplice, car le sol était chauffé au rouge. Une pluie de débris brûlants s’abattait autour de Diougou Koumba. C’était comme si tous les génies se liguaient afin de renverser le monde par colère et vengeance. 171


À demi aveuglé, toussant et crachant, Diougou Koumba trouva l’ouverture de la case et y pénétra. Il ne distingua pas grand-chose, sinon une flamme qui s’animait dans le toit de chaume, pour devenir aussitôt une immense torche, rouge comme le sang des sacrifices. Le chef cria de toute la force de sa poitrine. Un cri bref, puisqu’il s’étouffa au moment où les flammes soufflèrent le lieu dans un tourbillon d’enfer. À l’ultime moment, lorsque Diougou Koumba leva son regard, c’était dans l’espoir de voir le soleil une dernière fois. Il ne vit que flammes et fumée. Il n’y avait plus de soleil. Il n’y avait plus de vie. Wal n’avait plus de chef. Le tambour s’était tu. Les masques demeuraient invisibles, peut-être disparus à tout jamais. Les grains des récoltes s’étaient envolés en cendres, ainsi que les houes, les haches, les binettes, les pilons, les mortiers, les calebasses, tout ce qui avait permis aux descendants malinkés de tirer la vie de la terre. L’eau, jusqu’à la dernière goutte, évaporée. Le puits, asséché instantanément. Les récits du griot, la mémoire des ancêtres, les chants perpétuant toutes les traditions, éclipsés par l’immense brasier. Ce feu n’avait rien à avoir avec l’effet incendiaire du soleil, encore moins un caprice des Dieux. Il avait été provoqué par des marchands de chair. Un piège qui anéantissait le lignage, le totem, la marche de la vie. Ces hommes avaient la même couleur de peau entre l’ébène et l’anthracite, mais ils se présentaient en ennemis, maniant sabres et sagaies avec une terrible fureur. Les armes levées, ils poussaient des cris de guerre, abattant les plus vieux d’abord, les enfants ensuite. Les menaces venant de tous les côtés, Souma chercha désespérément Kankou, mais c’est à peine s’il arrivait à distinguer les contours des cases. D’ailleurs, tout se passait très vite: les habitations qui partaient en fumée, les assaillants qui semaient la mort, l’impuissance, le désespoir, les corps inanimés, il ne restait que peu de temps à Souma pour tenter d’échapper à une mort certaine. Mais un appel irrésistible l’amena au centre du village sous le baobab. Aussitôt il sentit la présence de Jiali Diara et crut entendre une voix lointaine qui ne cessait de répéter: « I-kana-son-a-ma-mòò-koron-bila » (Ne perds pas la trace de ce qui est en faute). Était-ce vraiment le griot qui se manifestait au-delà de cet univers devenu lugubre où était-ce la voix de son double, la voix de Soundjata, surgissant du lointain passé? Brusquement, un épais tourbillon plongea le village dans une obscurité semblable à la nuit. Les cases avaient entièrement disparu. C’est alors que l’espoir abandonna Souma et, avec lui, la puissance de ses totems. Effondré au pied du baobab, il se mit à réciter fiévreusement: C’était à l’époque lointaine du culte du serpent de Wagadu. Le temps des grandes moissons était passé. Vint un étranger se présenter devant Nare Maghan Kon Fata, le roi du Manding... Il récitait encore quand des mains haineuses s’abattirent sur lu et le trainèrent à l’écart du dernier maître de la parole de Wal. Lorsque Souma reprit ses esprits, il sentit son corps meurtri de la tête aux pieds. Il avait un goût de sang dans la bouche et ses yeux étaient enflés au point qu’il ne put les ouvrir qu’à moitié. Il ne vit d’abord les choses qu’à travers un brouillard. Quoique confus, il réalisa rapidement qu’alentour il n’y avait que les débris fumants de cases détruites. Il voulut bouger, mais se rendit compte qu’il avait les mains garrottées derrière le dos... L’air de cruauté qu’affichait cet homme incita Souma au mutisme. Mais ce qu’il vit autour de lui eut rapidement un autre effet. On abattait les plus faibles comme des bêtes inutiles alors qu’on forçait les autres à former une file, à coups de fouet et de bâton... En dépit de ses mains liées, il se précipita en direction de l’arbre à palabres, dernier vestige debout de la vaillante communauté de Wal. Alertés, une dizaine d’hommes de la razzia se lancèrent à ses trousses et le terrassèrent brutalement. Le chef de la razzia s’approcha et posa son pied sur la tête de Souma. Il pesa de tout son poids, écrasant le visage du captif contre le sol encore fumant. Souma étouffait. Il tenta 172


de se dégager par des mouvements désordonnés, en vain. Ce n’est que lorsqu’il sentit Souma à la limite de ses forces que l’autre relâcha la pression. Le jeune homme, la bouche pleine de cendres, s’étranglait. Malgré tout, il tourna son regard vers le ravisseur et le fixa avec dédain. Ce dernier donna un ordre bref dans une langue inconnue. Deux hommes arrivèrent au pas de course, portant des objets que Souma distingua mal. Sur un signe du chef, quatre rabatteurs immobilisèrent les membres du jeune homme, pendant qu’un des deux hommes lui appliquait un des objets sur l’extérieur de la cuisse. La douleur fut si immense que Souma se mordit au sang pour ne pas hurler. C’était une pierre plate bien chauffée qui produisait une brûlure sans profondeur, mais suffisante pour marquer la chair. L’autre homme enveloppa immédiatement la plaie d’un paquet de ronces, ce qui eut pour effet d’aviver la douleur… » (Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 193-196) COMMENT ON MAÎTRISAIT LES CAPTIFS OU LES SUPPLICES DU VOYAGE DES CAPTIFS VERS LES BATEAUX NÉGRIERS On remarque sur chaque gravure que les esclaves sont alignés, sévèrement reliés les uns autres, sous la surveillance stricte des marchands armés. Aucune fuite n’était possible.

Page de garde de « Les chaînes de Gorée » de Paul Ohl.

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Les nouveaux esclaves en route pour les bateaux négriers.

Une colonne d’esclave en route pour le littoral.

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Une autre gravure d’une colonne d’esclaves (Pierre Alexandre, « Les Africains, » Paris, Éditions Lidis, p. 467).

Ici on voit comment les esclaves étaient neutralisés individuellement. (Pierre Alexandre, « Les Africains, » p. 470).

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« Chaque captif avait le cou entravé par une fourche de bois dur. Prolongé d’une longueur d’homme, le manche de la fourche venait s’appuyer sur l’omoplate de la personne qui le précédait. Une forte cheville, traversant les deux branches de la fourche, formant un carcan qui empêchait le moindre écart ou mouvement. Les captifs ainsi réunis l’un à l’autre, en plusieurs grappes d’une dizaine de personnes chacune, formaient une chaîne humaine conduite par un des ravisseurs. Les longues journées étaient ponctuées par des coups de fouet afin d’activer une cadence que le chef de la razzia jugeait beaucoup trop lente. Lorsque les captifs voulurent communiquer entre eux, ou tout simplement s’appeler par leur nom, on les roua de coups. Lorsqu’ils essayèrent d’échanger des signes, on leur lia les mains sur les manches des fourches. Lorsqu’ils voulurent chanter, on bâillonna celui qui avait donné la mesure. Ce n’est que lorsque tous les captifs se montrèrent dociles qu’on leur permit d’étancher quelque peu leur soif à proximité d’un point d’eau. Parfois ils arrivaient à échanger de brefs regards à la dérobée. Et chacun de ces regards était chargé du même sentiment de honte; celui de n’avoir pas su défendre le village, mieux résister ou encore mourir vaillamment. Des regards de damnés, alors qu’ils emportaient définitivement avec eux les images d’un village en ruine, abandonné par les génies et les mânes de tous les morts, ainsi que la conviction que des forces maléfiques venaient d’engloutir leur monde. Au troisième jour, les silhouettes cassées des captifs avançaient de plus en plus péniblement. Nourris d’une poignée de riz et de restes de viande séchée, torturés par la soif, harcelés par les moustiques venimeuses, les jambes gonflées, plusieurs d’entre eux se laissèrent tout simplement choir sur le sol brûlant en appelant la mort. On donna à boire aux plus forts et on abandonna les plus faibles aux hyènes qui rodaient en grand nombre dans les parages... --- Quelques jours plus tard, après avoir traversé savanes, étendues rocailleuses et marécages desséchés, les captifs et leurs gardiens se retrouvèrent au milieu d’un véritable cimetière d’éléphants. Des ossements de toutes tailles étaient parsemés sur une vaste étendue. Mais il n’y avait ni défense ni pieds. En voyant ces crânes énormes, ces cages thoraciques béantes qui eussent pu servir de refuges à plusieurs hommes et tous ces os traînés sur de grandes distances par les charognards, Camara, le forgeron de Wal, sut que tous ces éléphants avaient été massacrés. Lui-même avait échappé à semblable carnage, là-bas, dans son village, les ravisseurs ayant été impressionnés par son apparence et sa vigueur. La mort de l’éléphant, près de Wal, avait été un présage clairement perçu par Camara. À présent qu’il n’avait de village, plus d’outils, que ses oreilles tendues entendaient clairement le souffle des morts, Camara décida de la place de son dernier repos: ce serait ici et maintenant. Le destin serait le sien, non pas celui que lui imposerait les violeurs de son totem. La volonté de la mort serait également la sienne. Camara s’immobilisa, empêchant du coup les autres captifs d’avancer. Il entonna un chant ancestral. Les ravisseurs eurent beau l’invectiver, le fouetter jusqu’à faire jaillir le sang, il demeura impassible, les yeux clos, solide comme un roc. Impuissants, les hommes attendirent alors les ordres du chef de la razzia. Ce dernier se contenta de faire un petit signe. Il y eut un silence prélude à un acte funeste. Pendant un instant le ravisseur fixa le forgeron, il ne voyait qu’un vieil homme récalcitrant, un captif qui venait de perdre toute valeur, il n’entendait qu’une voix cassée qui lançait des mots incompréhensibles. D’abord doucement, appuya sa sagaie à l’endroit du cœur, puis il l’enfonça. Le vieil homme mourut instantanément, les traits étrangement détendus, alors que déjà son ombre et son esprit volaient vers le paradis des éléphants pour retrouver le totem des Camara parmi les piliers du monde. 176


Plus tard, les ravisseurs abandonnèrent le corps raidi au milieu du cimetière des éléphants. On pouvait déjà entendre le tumulte des fauves qui allaient bientôt se ruer sur les restes d’un homme libre... » (Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 197-199) L’ÉTAT DES ESCLAVES À L’ARRIVÉE AUX BATEAUX NÉGRIERS « Dès le premier regard, Oxemelin comprit que l’expédition avait été épouvantable. Les captifs étaient extrêmement maigres et plusieurs avaient la bouche et les yeux ulcérés, résultat d’un trajet trop long et trop éprouvant. Marchander sur l’heure serait risqué, pour éviter les mauvaises surprises plus tard, il était préférable de faire preuve de patience et d’attendre que les nègres reprennent du lustre... Ils sont dans un piètre état, Capitaine, annonça-t-il à Destambuc (Capitaine du bateau négrier « Le Chevalier de Nantes »). --- Ils ont trop de marques sur le corps, observa Destambuc. Je ne peux accepter des pièces (désignation des esclaves) aussi endommagées. Regarde le dos de ces nègres... Ils ont été fouettés avec la dernière maladresse... » (Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 206 et 209) EMBARQUEMENT ET VIE DES ESCLAVES DANS LES CALES DU « LE CHEVALIER DE NANTES » « Oximelin vint interrompre les conversations au moment où d’autres embarcations furent tirées sur la grève. Il y eut un va-et-vient continu entre la plage et le navire mouillé à quelques encablures. Les captifs, toujours entravés, étaient entassés dans les grandes barques et surveillés de près afin de les empêcher de se jeter volontairement à l’eau. Les quelques-uns qui parvinrent à se laisser rouler par-dessus bord furent vite repêchés. --- Deux cents nègres furent ainsi embarqués à bord du navire. Les voilà tous à bord, capitaine, annonça finalement Oximelin avec une pointe de satisfaction dans la voix... Il nous en coûtera donc quelques écus, ironisa-t-il en prenant place dans la dernière embarcation. Mais j’avoue ne pas être fâché de quitter cette terre de sauvages... Admettez que nous avons fait bonne récolte, fit Oximelin. Nous avons mis la main sur des pièces de choix (en parlant des esclaves), ce qui ne devrait pas vous déplaire. Plus vite tous ces nègres seront mis à la chaîne, mieux cela vaudrait pour ma bourse et la tienne! rétorqua Destambuc. Parvenus à bord, les deux hommes inspectèrent une fois de plus les captifs. Destambuc s’attarda plus longuement devant Souma. Il constata que les plaies de ce dernier se cicatrisaient à bon rythme... Destambuc donna des ordres. Sur le pont, les captifs des deux sexes furent complètement rasés pour éviter qu’ils emportassent avec eux quelque vermine ou germe d’infection. Puis on les mit nus comme des vers, on les lava à grande eau et on les frictionna abondamment à l’huile de palme. La nuit tombait lorsqu’on les poussa, un à un, dans le faux pont. On entendit les bruits sinistres des fers que l’on verrouillait et de la barre de justice que l’on mettait en place, accompagnés de quelques plaintes vite étouffées. Plus tard, une fois l’écoutille

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fermée, seuls les sons des respirations oppressées évoquaient encore un signe de vie dans le noir. Souma (le prince Mandingue capturé) avait beau écarquiller les yeux, il ne distinguait rien. Mais il entendait le souffle de chacun. Et il sentait la moiteur des corps de ses compagnons. En raison du minuscule espace qui leur avait été attribué, tous étaient recroquevillés, incapables du moindre mouvement sans aussitôt provoquer l’insupportable cliquetis des chaînes. La chaleur, diffuse jusque-là, les assaillait de plus en plus. Leurs lèvres devinrent sèches, leurs langues brûlantes, leurs aisselles et leurs aînés irritées. Quelques-uns voulurent parler, mais ils ne parvinrent qu’à murmurer, et encore butèrent-ils sur la plupart des mots qu’ils prononçaient. Puis, l’un après l’autre, les captifs urinèrent. L’odeur écœurante qui se répandait eut tôt de rendre l’atmosphère irrespirable et de provoquer des hauts-les-cœurs à un rythme épidémique. Le fumet nauséabond témoignait bien du malheur qui s’abattait sur tous ses gens. Tel un mauvais sort apporté par un grand vent ou encore un orage accouché par de sombres nuages, il n’en épargna aucun. La panique finit par les gagner tous. Les uns tirèrent sur leurs chaînes. En vain. Ils ne firent que se blesser les poignets et les chevilles. D’autres lancèrent des appels effrayés qui demeurèrent sans réponse. --- La douleur tira Souma du trou noir dans lequel son esprit avait sombré. Quelqu’un forçait la chaîne et, en la tendant, entamait les chairs de sa cheville gauche. --- Ma vie ne m’appartient plus... Donc je n’ai plus de vie fit Souma. Et toi, Damel, où te crois-tu donc? Tu penses que tu as encore une? Toi et tous les autres? Souma fit un effort pour se redresser, mais en vain. Nous sommes comme des bêtes, grommela-t-il, des bêtes au bout d’une corde... Au moins, au village, les sacrifiait-on pour plaire aux dieux! Mais nous, à qui et pourquoi allons-nous être sacrifiés? Çà et là, des captifs se mirent à bouger. Cliquetis de chaînes, souffles bruyants, râles, autant de bruits pour témoigner qu’ils étaient vivants. --- Souma allait lâcher prise, voilà que les gens de Wal, captifs tout comme lui, criaient leur foi inébranlable dans un destin qui pourtant n’annonçait rien d’autre qu’une lente agonie. Se servant de ses coudes, de ses genoux, de ses mains, Souma se cramponna au plancher dur et rugueux comme pour y prendre racine. Les bracelets de ses chaînes le faisaient souffrir et une abondante sueur inondait son corps. Pendant un long moment, Souma retint son souffle et, malgré sa vue obstruée par cette sueur, il distingua les silhouettes de tous ces corps rangés les uns à côté des autres. Un frisson le parcourut et le pénétra jusqu’à la moelle des os. Celui d’une terrible haine mêlée d’impuissance... » (Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 237-241) L’ÉPIDEMIE DU SCORBUS, DU TYPHUS, DE LA DYSENTERIE S’INSTALLE ET FAIT RAVAGE DANS LE BATEAU: PANIQUE À BORD! « ... Encore quelques jours, Capitaine, et ce sera le scorbut et la petite vérole pour nos hommes, ajouta le second. Et pour la marchandise (s’agissant des captifs)? Le chirurgien refuse d’aller en bas, répondit Oximelin. Il dit que de se pincer le nez ne suffit plus.... C’est le typhus qui guette les pièces d’Inde (les esclaves).

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--- Typhus? tu as dit? Sais-tu que si nous perdons cette marchandise, toi et moi n’aurions plus qu’à faire la manche... à moins qu’un de nous réserve le même sort qu’à Laennec (Matelot pendu lors de la razzia pour abus d’autorité sur un captif). Ça, jamais! Destambuc (le capitaine du bateau) n’en avait pas terminé. --- À quoi sert donc ce chirurgien s’il n’est bon qu’à prédire que chaque âme quittera le navire et à coudre les corps dans des morceaux de toile? maugréa-t- il. D’ailleurs, où estil? Cela fait quelques jours que je n’ai pas vu sa tronche d’empoisonneur. --- Je suis désolé pour vous, Poncelet (le médecin), répondit Oximelin, mais votre mal devra attendre! Nous avons impérieusement besoin de votre science, sinon tout ce qui est encore vivant sur ce navire tombera comme un fruit pourri! - Écoutez, Oximelin, fit alors Poncelet en changeant soudain de ton, ce que je vois dans l’entrepont de ce navire est atroce. Autant dire que si vous maintenez... ces pièces d’Inde enchaînées de la sorte, sans air, sans lumière, et je ne parle pas du reste, je vous prédis que vous trouverez un charnier d’ici quatre ou cinq jours. --- La mort étant notre lot incontournable, je préfère la miséricorde de Dieu aux façons plus irritantes du diable affirma Poncelet. --- Tout ce qui me semble sûr, trancha Oximelin, c’est que la mort ignore les différences entre les individus. Vous? Moi, une pièce d’Inde, cela finit par être pareil au même. Je vous le demande encore: pour la marchandise d’Inde que faisons-nous? --- Il faut les monter à l’air libre, répondit Oximelin brusquement. Il faut les traiter comme des humains! L’odeur, constituée des relents de moiteur des corps et d’excréments, était insupportable. Les douze matelots qu’Oximelin avait désignés pour s’occuper du parc des esclaves eurent toutes les peines à s’acquitter de la triste besogne. D’abord, circuler au milieu des corps: ensuite déverrouiller les barres de justice, retirer les chaînes et bracelets des chevilles et des poignets des captifs, dont plusieurs se vautraient dans un mélange de déjections, de mucosités et de sang. Tous étaient étendus, sans forces, pressés comme des harengs, dans une promiscuité qui annonçait, pour les plus faibles, une mort par asphyxie. Se servant de carrés de toile, les hommes transportaient les esclaves, un à un, à l’air libre. Une fois sur le pont, d’autres matelots, parmi les plus valides, les entravèrent immédiatement à l’aide de bouts de filin, ces derniers étant reliés à un solide cordage fixé sur la lisse tout autour du navire et dont les deux extrémités étaient attachées à la chaîne du bossoir. Le va-et-vient dura toute une nuit sans que Destambuc s’en mêla, sinon pour lâcher une série de jurons lorsqu’un esclave, secoué par la dysenterie, se mettait à vomir sur le pont. Lavez-moi tout ça, ordonnait alors Oximelin. Aussitôt, un matelot filait à la mer un sceau qu’il tenait au bout d’une corde, puis le remontait en peinant et vidait d’un trait l’eau salée sur un groupe des captifs. À force de répéter le manège, plusieurs esclaves eurent la peau et les yeux cruellement irrités par le sel de mer. Cessez cette torture! s’exclama enfin Poncelet devant un traitement si cruel. Vous finirez par les rendre aveugles! Le ton n’admettait pas de réplique, même si l’ordre venait du chirurgien. Quelques matelots grommelèrent, certains osèrent même formuler gauchement un commentaire. Monseigneur n’a pas du tout l’air d’avoir nos usages, fit l’un d’eux. Quand le chien pelé a la gale, on se garde de la flatter! Hé! Hé! lui répondit un autre matelot. Ce que tu peux être naïf! Crois-tu donc vraiment que ces nègres ne sont que vulgaire marchandises? Tes gages et les miens ne

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suffiront pas à payer la peau du dernier de ces singes. Pendant qu’on te file un chou avarié, eux on les gave de riz et d’épices. --- Il lui semblait que tout ce qu’il voyait revêtait le plus répugnant aspect; depuis les traits livides, presque méconnaissables des matelots malades, jusqu’aux formes sombres des esclaves entravés, aux allures de suppliciés. --- Poncelet fit un grand effort pour se contenir, mais la seule vue de tous ces corps brisés le rendait furieux. Qu’avez-vous donc à les traiter de la manière la plus indigne? dit-il brusquement. Vous vous plaisez à les voir comme des bêtes alors que c’est vous agissez comme des hyènes. Leur vie n’a-telle donc d’importance qu’en rapport avec le prix que vous en tirerez. Le chirurgien triturait nerveusement ses doigts. C’est comme me mettre un poignard sur la gorge affirma ce dernier d’une voix un peu tremblante. Prétendez ce que vous voulez, puisque c’est vous qui décidez de tout, vous et votre diable de capitaine, mais souffrez que j’affirme haut et fort que vos méthodes sont celles des criminels et qu’elles sont inacceptables, quelle que soit votre mission, fut-elle ordonnée par le roi lui-même. Donnez-leur un simple couteau et je vous prédis le pire carnage qu’il vous ait donné de voir! Oubliez un bout de filin sur le pont et vous vous les verrez s’étrangler mutuellement avec la plus extrême sauvagerie! Otez-leur les entraves et ils se précipiteront à la mer! Offreleur de la bonne nourriture et ils refuseront d’ouvrir la b ouche afin de se laisser mourir de faim. Docteur Poncelet, si ces nègres ne sont pas des bêtes, ainsi que vous l’affirmez, ils ne sont pas davantage des humains! N’agiriez-vous pas de la même façon si on vous arrachait à votre terre natale? La remarque toucha Oximelin droit au cœur, mais il demeura impassible. Il se dirigea vers l’entrepont sans prononcer un autre mot... --- Je préfère être emporté par un cyclone que par cette saleté de dysenterie! s’exclama un matelot... --- Fais descendre la marchandise (il s’agit des esclaves) et vois à ce que les fers soient mis, ordonna Destambuc, le Capitaine... --- Les nègres auront le mal de mer, Capitaine. Ils vont en crever... Si on les laisse sur le pont, ils vont se noyer, poursuit le Capitaine Destambuc. Furieusement secoué par les vents et balloté au gré des vagues monstrueuses, « Le Chevalier de Nantes » s’avéra à la hauteur. Sa charpente résistait à tous les assauts. Dans le faux pont, toutefois, Souma et ses compagnons étaient sans cesse projetés les uns contre les autres, alors que les bracelets de fer leur mordaient chevilles et poignets. Quelqu’un murmura ce qui ressemblait à des paroles incantatoires... » (Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 244) SITUATION DES ESCLAVES DANS LE FAUX PONT OU LE STOÏCISME ET L’IMPASSIBILITÉ DE SOUMA, LE PRINCE MALINKÉ DEVENU ESCLAVE « Dans le faux pont, toutefois, Souma et ses compagnons étaient sans cesse projetés les uns contre les autres, alors que les bracelets de fer leur mordaient chevilles et poignets. Quelqu’un murmura ce qui ressemblait à des paroles incantatoires. Mansa Souma, lança un autre, est-ce la fin? Le monstre va-t-il nous avaler tous? Souma aurait voulu répondre, les rassurer. Mais lui-même éprouvait des besoins cauchemardesques doublés de terribles nausées. Ses idées étaient confuses, ses membres avaient la lourdeur du plomb. De nouveau, il se sentait englouti par une obscurité pire que la nuit, immobilisé par les chaînes, étouffés dans l’espace clos, sans air. Dehors, les eaux du ciel

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tombaient drues et, confusément, Souma et les autres distinguaient les lueurs fugaces des éclairs. Subitement, il versa des larmes. Ce n’étaient pas de simples gouttes d’eau qui s’échappaient de ses yeux, mais l’expression violente du désespoir jusque-là blotti au creux de son état d’homme. Il venait pratiquement de s’avouer vaincu, de se rendre. Il sembla à Souma que son être se réduisait à la dimension de l’enfant craignant un châtiment. Toutes les peurs ressuscitaient en lui et, en même temps que les larmes, se manifestaient cruellement. Il devait faire taire cette douleur, tarir sa source, remuer les cendres de sa mémoire d’enfant sous laquelle dormaient les enseignements du maître de la parole. Soudain montèrent en lui des murmures venus d’un passé lointain. La voix d’enfant qui questionnait le griot. « Est-ce que la peur est comme la douleur? » Et la voix d’un vieil homme qui répondait que la peur et le désespoir grandissent avec l’homme. « Ce combat a toujours un sens: celui de ne jamais humilier la descendance, de ne jamais répandre la honte. » --- Peut-être mourrait il par les privations, brûlé par le sel de la mer, consumé par la fièvre, rongé par les plaies envenimées, mais il mourrait comme un éléphant et non comme un esclave... --- Le navire poursuivait sa route, violemment secoué par une mer démontée. Poutres et chevrons craquaient avec des bruits sinistres. Tantôt porté sur la crête d’une vague géante, « Le Chevalier de Nantes » gîtait brutalement l’instant d’après avant de plonger dans un creux interminable. Il ne se redressait finalement que pour bondir une nouvelle fois. On eût dit un cheval fou attiré dans sa course aveugle par un gouffre s’ouvrant tout près de l’horizon flou. Après des heures semblables à des jours, la furieuse mêlée engagée entre la mer et les vents commença à s’apaiser. Les deux violences concédaient des brèches de plus en plus fréquentes, espaces qui permettaient alors au navire de reprendre un cap moins houleux et aux hommes de relâcher la tension et la vigilance qui les avaient complètement épuisés... --- La sueur, le sang, les déjections suintaient à la mesure du faux pont abritant le parc des esclaves et répandant une affreuse odeur sui generis. Souma sortait d’une torpeur qu’il associa d’abord au néant de la mort. Il resta figé, l’esprit vide, le regard perdu dans la noir. Le silence ambiant ajoutait à son désarroi, autant l’étrange immobilité du lieu. Seule une trace humide au coin de ses yeux lui rappela confusément les larmes qu’il avait versées. Il ouvrit la bouche mais n’arriva pas à en tirer le moindre son. Il passa la langue sur ses lèvres crevassées. Elles étaient enflées, couvertes de sang séché. Il tendit les veines de son cou. Rien n’y fît. Pourtant il ne voulait prononcer qu’un seul nom: Kanko. Il tira faiblement sur les entraves comme pour se convaincre qu’il lui restait un semblant de vie. Il entendit le frottement des chaînes et leurs cliquetis. Ses doigts effleurèrent le bois du plancher. Il tenta de le gratter mais n’y parvint pas: la surface était visqueuse et tous les ongles de ses doigts se cassèrent l’un après l’autre. Alors Souma pensa à son double. L’esprit de Soundjata l’aiderait certainement à quitter sa torpeur, à lutter, à percer l’obscurité, à faire naître de l’ombre des silhouettes auxquelles il donnerait un relief, à imaginer la pluie, un arbuste naissant, un début de forêt, une case, un village, des hommes qui palabraient et des femmes pilant du mil. Souma se convainquit peu à peu que son double lui inspirerait tout ce qui le ferait passer du désespoir à l’apaisement, de la peur au courage, avec cette même magie qui transforme le ciel sans lune en une étendue criblée d’étoiles. D’un coup, les sons revinrent. Le bruit métallique des chaînes s’entrechoquant, les toux creuses, le haut-le-cœur, les râles, tout ce concert lugubre de la tragédie que vivait chacun des êtres autour de lui... --- Tous les prisonniers respiraient la bouche grande ouverte, par à-coups, les traits affreusement crispés, les yeux embrumés. La souffrance avait envahi l’espace clos... --- Vous avez jusqu’à minuit, docteur, pour réaliser vos miracles, trancha Destambuc finalement, le Capitaine du bateau. Passé cette heure, j’ordonnerai que soit jeté à la mer 181


toute pièce d’Inde (désignation les esclaves) qui ne réagira plus au son d’une clochette. Ce matin encore, deux matelots m’ont supplié d’avoir la bonté de les achever. Vous croyez que je vais me gêner avec ceux-là, Alors ne vous mêlez plus de ma conscience! --- « Le Chevalier de Nantes » luttait contre le temps. Les corps de dix matelots avaient été cousus dans une toile lestée d’un boulet, puis jetés à la mer à l’aide d’une planche inclinée. Une courte prière récitée par Lauriot Poncelet avait fait office d’absoute. Ce dernier avait administré à la plupart de ces marins à l’agonie une dose de laudanum, ce qui les avait endormis doucement et pour toujours. Trente cadavres de Noirs furent également passés par-dessus bord, mais ceux-là nus et sans cérémonie. Quinze autres captifs, pêchus de fièvre, secoués par d’incessants vomissements et le corps couvert d’une multitude de taches rouges, furent transportés de nuit sur le pont, reliés à une même chaîne, hissés sur la lisse et poussés dans le vide. On entendit qu’une plainte confuse alors les corps s’enfonçaient l’un après l’autre dans les eaux glauques. Le dernier englouti, quelqu’un fit jurer aux hommes présents qu’ils avaient immergé des cadavres, comme si l’horrible n’avait jamais eu lieu. Le problème d’eau douce était devenu un cauchemar, de même que le manque de nourriture saine. Sur le navire, chacun rêvait d’un bon repas constitué de viande, de fèves, de pain et d’un simple biscuit... --- À bord du « Chevalier de Nantes » le mal n’avait pas fait de distinction entre les êtres humains: Blancs comme Noirs avaient éprouvé les mêmes souffrances, la même agonie, la même torture des derniers instants. Mais alors, où se trouvait la vérité? Pourquoi détournerait-il lorsqu’il croisait celui d’un de ces êtres enchaînés à fond de cales? Était-ce la vision des chaînes qui rendait ce face à face insupportable? Ou peut-être la vision du confinement, et l’angoisse de ces gens devant état qui risquait d’être permanent, peu importait le lieu sur la terre où ils se retrouveraient? D’évidence, il comprit que ces êtres ne parviendraient plus à donner un sens à chaque instant de leur existence... --- Tous ceux qui n’avaient pas résisté aux épreuves auraient disparu. Tout le reste, marchandise comme gréement, aurait été lavé à grande eau. Et le trafic négrier serait redevenu un droit royal... » (Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 257-269) LA RENCONTRE MALHEUREUSE DE DEUX SOCIÉTÉS OU LE CHOC DE DEUX CIVILISATIONS DIFFÉRENTES « Après tout, l’affirmation de deux mondes distincts était peut-être fondée: D’un côté, une race dominante (les Européens), Et de l’autre, une race forcement dominée (les Noirs). Chacune héritière d’un passé particulier et chacune ignorant l’existence de l’autre jusqu’au jour où le destin les fit se rencontrer. La première s’imposa aussitôt à la seconde. Se posa dès lors la question de l’équilibre à atteindre entre une race s’étant si bien développée qu’elle avait réussi à étendre son hégémonie sur une grande partie du monde connu, et une autre qui était restée confinée dans les contrées sauvages où son mode de vie primitif ressemblait à celui des bêtes. Un dilemme se posait: Quelle vie avait le plus de valeur? L’asservissement devenait le privilège du plus fort? Plutôt qu’une calamité si l’esclavagisme ne constituerait-il pas tout simplement une forme de domestication qui, au-delà des inconvénients qu’elle pouvait présenter pour les Noirs, leur offrait au moins des conditions de vie moins barbares que celles qu’ils avaient 182


jusqu’alors connues, aux prise avec les tourments récurrents de la sécheresse, de la famine et des épidémies? Les arguments évoquant l’image du joug et de la muselière et dénonçant une existence propre ne formaient-ils qu’une chaîne d’illusions agitée par des esprits en mal de perfection et incapables d’admettre la véritable des humains et des choses? C’est justement de l’apparence de ces choses que doutait Poncelet. À bord du Chevalier de Nantes, le mal n’avait pas fait de distinction entre les êtres humains: Blancs comme Noirs avaient éprouvés les mêmes souffrances, la même agonie, la même torture des derniers instants, la même mort. Mais alors, où se trouvait la vérité? Pourquoi détournait-il le regard lorsqu’il croisait celui d’un de ces êtres enchaînés à fond de cale? Était-ce la vision des chaînes qui rendait ce face-à-face insupportable? Ou peut-être la vision du confinement, et l’angoisse de ces gens devant leur état qui risquait d’être permanent, peu importe le lieu sur la terre où ils se retrouveraient? D’évidence, il comprit que ces êtres ne parviendraient à donner un sens à chaque instant de leur existence… » (Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 268-269) L’ACCUEIL À GORÉE OU LA DESCENTE AUX ENFERS « Craignez-vous donc d’éveiller ma sensiblerie en me laissant voir des plaies et des chairs malades? Je sais distinguer les lamentations des sanglots et j’ai entendu suffisamment de bruits de fouets et de chaînes dans ma vie pour ne pas m’en émouvoir. Alors, à moins que vous cachiez dans vos cales des bêtes sauvages et dangereuses, ce dont je doute, je souhaite monter à bord dès demain... » - L’inspection minutieuse des captifs, surtout les parties intimes du corps, - Le marquage des corps aux fers rouges, - L’application des violents coups de fouets aux récalcitrants pour les discipliner, - La flagellation des cadavres des récalcitrants: cinquante coups de fouets à donner à un récalcitrant même après sa mort. « Une odeur de corps malades et de crottes de bique flottait sur Gorée. La puanteur, tenace et singulière, s’infiltrait dans les bâtiments par les moindres interstices. On entendait le bruit mat de coups répétés sur les chairs, suivis de plaintes. Mais aussitôt montait la sonorité d’un chant aux accents rythmés, sons étranges, saccadés, presque belliqueux. À force de coups de fouet, les gardiens finirent par réduire le groupe au silence. Ils étaient une cinquantaine, enchaînés, hébétés, qu’on faisait avancer à la file. À les voir ainsi, corps courbés, titubants, ils tenaient davantage du bétail que de l’humain. Séparez-moi ça! ordonna-t-il aux hommes qui accompagnaient le cortège. On forma deux groupes, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Nus pour l’examen! lança-t-il. Les gardiens arrachèrent aux captifs les haillons qui leur servaient de pagnes, puis ils se mirent à les palper sans ménagement. L’examen terminé, les deux hommes firent part de leurs observations à Rhuffin. Y a trois nègres qui sont mal en point; fièvre, furoncles... Pour tout dire, ça pue le mal honteux, rapporta le premier. Là-bas, deux négresses vont vêler dans quelques jours, fit l’autre. Ruffin se frotta le menton puis s’approcha des Noirs. Il passa en revue chacun des deux groupes. Il ne vit que regards mornes, plaies et ravages consécutifs à l’entassement, aux fers, aux coups. À force d’avoir été accroupis certains n’arrivaient plus à déplier leur corps. Ruffin pensa qu’il était plus facile de faire le commerce des épices, de la gomme et du sel que des Noirs... --- Est-ce qu’il faut les marquer tout de suite? s’enquit un des gardiens. 183


Ruffin approuva d’un geste de la main. Autant le faire maintenant, ça va éviter l’odeur de brûlé dans la captiverie. Mais il faudra les entraver davantage. Ils risquent de ruer dans les brancards. Toi, le borgne va chercher du renfort, au moins quatre hommes, et dis à Gaspard de s’amener avec son fouet. Si l’une de ces pièces fait mine de résister, ce sera cent coups. C’est ce que dit le règlement. Allez, et pas de bavure! Pendant qu’un des gardiens préparait la braise, deux autres exhibèrent les tiges de fer dont les extrémités portaient la marque distinctive de GORÉE, symbolisée par la lettre G flanquée d’une minuscule fleur de lys. Les renforts arrivés, trois hommes trainèrent un premier captif, le forcèrent à se mettre à genoux et le marquèrent du fer rouge à l’épaule droite. Il hurla de douleur et se débattit aussitôt comme un forcené, atteignant un des gardiens au visage. Du revers de la main, ce dernier s’essuya le nez et vit un mince filet de sang. Sale bête! ragea-t-il. Gaspard, tu vas dresser ce sauvage! (Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 280-281) « Dictionnaire de SAVARY, » 1723, cité dans Paul Ohl, « Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 333: « Il n’y a pas de différence entre le cheval, le chien ou le Noir... » LE SUPPLICE DE L’EAU ET DE LA PIERRE p. 335: « ... Dans la cour du fort (de Gorée), on les enchaînait une seule jambe. Une chaîne longue d’une toise retenait chaque captif. La chaîne était fixée à un gros anneau, luimême rivé à un poteau de la circonférence d’un mât de navire. Les gardiens forçaient les esclaves à faire quelques pas dans une direction, puis dans l’autre. Lorsqu’un captif tombait à genoux ou refusait d’avancer, on l’aiguillonnait avec une branche d’épineux. Les corps, agités de soubresauts, reprenaient le rythme malgré eux, comme si le besoin de vivre leur intimait l’ordre de se mouvoir. Ainsi le manège infernal continuait jusqu’à ce que tous les esclaves marchent au pas. Ils n’avaient le droit d’émettre aucun son; à peine pouvaient-ils se racler la gorge. Aucun signe entre eux, non plus n’était permis. Vingt pas dans un sens, vingt pas dans l’autre, pour une seule gorgée d’eau, tellement saumâtre qu’elle décuplait les effets de la soif. Et ils en redemandaient, de cette eau, par le seul regard. Ce regard qui commençait à ressembler à celui de l’âne qui tire la meule dans une même direction et qui mille fois repasse dans le même sillon. Le regard de la désolation. Il exprimait l’essentiel, c’est-à- dire que la bête domestique avait droit à plus d’égards que l’esclave. Car ce dernier savait ce qu’ignore la bête, c’est-à-dire que le gardien, quel qu’il fût, n’avait pour lui que mépris. Et cela était pire que toutes les autres souffrances parce que le captif en était réduit à haïr à son tour ce gardien qui lui arrachait sa dignité comme on écorche le gibier abattu. Dorlot avait ordonné à Ruffin d’utiliser le pouvoir de l’eau. La plus saumâtre pour les récalcitrants, la meilleure pour les autres. Les captifs les plus dociles avaient droit à la sortie de l’aube, alors que quelques gouttes de roses perlaient encore sur les pierres. Les rétifs étaient traînés dehors en plein midi, exposés à l’implacable soleil à son zénith. En moins d’une heure, les hommes avaient la gorge fermée, incapables de former la moindre salive. Quand on leur versait une eau salée dans le gosier, ils suffoquaient. Peu à peu, ils abandonnèrent toute résistance. Les récalcitrants devenaient dociles. Le pouvoir de l’eau l’emportait.

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--- L’or n’est pas le bien le plus précieux, avait dit Ronsart, c’est l’eau, du moins lorsqu’elle devient inaccessible. Il nous faut cette eau et, pour l’avoir, il nous faut un traité. Après, il nous restera toujours la force des armes. Nous n’aurons alors plus besoin de sa parole ni d’un traité, car entre-temps nous aurons acheté les meilleurs éléments des villages. Il sera un roi déchu et nous posséderons son eau. » p. 352: « Allez, un dernier coup, afin qu’il sache qu’à Gorée, l’esclave est au plus le frère du mouton... » p. 369: « Ce traité a bel et bien été rédigé dans les formes. Or, croyez-vous que cet être sache lire? Il est vaniteux, cruel, retors, certes, mais surtout ignorant! » p. 371: « Ce traité qui ne disait rien à un roi africain ne sachant pas lire scellait l’avenir. C’était le triomphe des armateurs et des négriers, et l’illusion pour un roitelet sans scrupule. Des villages entiers seraient réduits à la captivité. Un îlot de mauvaise terre deviendrait la plus vaste captiverie du monde connu. Un continent allait se vider de son identité, de sa mémoire, de son sang et s’enfoncer dans la tragédie... » LES MARTYRS DE L’EAU OU LES VICTIMES DE LA FORCE BRUTALE ET INHUMAINE DES MARCHANDS D’ESCLAVES POUR OBTENIR QUELQUES BARRIQUES D’EAU OU LE COMBLE DE L’HORREUR ET DE LA CRUAUTÉ QUE FASAIENT-ILS POUR MATER L’ESPRIT D’UN ROI NOIR AFIN D’OBTENIR FACILEMENT DE L’EAU? p. 372 et 373: « Capitaine Oxemelin, ordonna Ronsart d’une voix devenue rauque, faites apporter le nécessaire. L’intonation étonna Oxemelin, qui vit le visage du chargé d’affaires prendre une couleur de cendre. Il comprit que le lourd tissu dans lequel étaient taillés les vêtements de ce dernier rendait la chaleur insupportable. Ronsart s’appuyait fortement sur sa canne, tellement il semblait faible. Les hommes s’activèrent. Ils firent la chaîne, passant les barriques vides d’une paire de bras à l’autre, pour les aligner bien à la vue du roi Mokta. L’objet suivant leur causa plus de mal. Ils durent le transporter sur leurs épaules, à pas menus, en évitant les secousses afin de maintenir l’équilibre. Ils durent s’arrêter plusieurs fois, ployant sous la charge, suant et soufflant. Parvenu enfin à proximité du dais royal, ils le déposèrent avec toutes les précautions possibles. Aussitôt, tous les regards se fixèrent sur le massif engin dont la gueule sombre ouverte à une extrémité suggérait un pouvoir étrange. La bourre, commanda Oximelin. Deux hommes introduisirent une charge de poudre et quelques pierres dans la bouche à feu. Un troisième bourra la charge dans la pièce de fonte qui servait de canon. On peut y aller annonça l’homme. Oximelin fit un signe de la main. On amena deux Noirs. Des captifs de Gorée, enveloppés de vieilles couvertures trouées. On les plaça l’un derrière l’autre, à dix pas du canon, en ligne avec la bouche à feu. Ils regardèrent autour d’eux, l’air égaré, désemparés. Le premier de deux hommes s’accroupit, ramassa d’un mouvement un pan de la couverture effrangée pour la rabattre sur son épaule, geste familier qu’il effectuait de la même façon que son père le faisait et avant lui le père de son père. Puis il demeura immobile, presque cassé en deux. L’autre se prit le crâne dénudé entre les mains, le regard toujours également désarmé. Lui aussi s’affaissa lentement, mains sur ses genoux. Tous regardaient maintenant 185


le roi Mokta. Ce dernier conféra une fois de plus avec son conseiller avant d’y aller finalement d’un grand geste. Il avait décidé. On remit les deux captifs debout. Leurs lèvres remuaient en silence. Ils regardaient droit devant eux, mais sans rien voir véritablement, ni rien entendre. En cet instant, tous les autres ne voyaient plus que deux êtres dépenaillés, sans valeur. Feu! Le coup résonna sèchement, ébranla les environs, jeta l’effroi parmi les hommes et les bêtes alors que des centaines d’oiseaux s’envolèrent bruyamment. Les deux corps furent brutalement emportés par la décharge meurtrière, dans un bruit d’os broyés. Ils se retrouvèrent vingt pas plus loin, à l’état de bouillie, méconnaissable. Le roi se leva et s’approcha des masses informes. Puis, à pas mesurés, il vint examiner la courte pièce d’artillerie. L’avidité se lisait dans son regard, plus encore que\ la surprise. Il lança un ordre bref. Une agitation fiévreuse régna dans les lieux. En moins d’une heure, la moitié des barriques était déjà pleine d’eau. Dans une des embarcations, le père Vincent avait le visage enfoui dans la main. Quelque chose était devenue indispensable à vie: se souvenir à jamais du visage des deux captifs sacrifiés, car il les tenait pour des martyrs... » Quelle cruauté! Quel cynisme! Quelle inhumanité! Doit-on ou peut-on oublier de tels traitements inhumains et de telles cruautés infligés aux esclaves noirs? QUEL FUT LEUR CRIME? LA CORVÉE DE LA PIERRE p. 373-377: « ... Aujourd’hui, Gorée avait réduit ces hommes à l’état de captifs regardant toujours par terre. Cette façon de regarder sans que l’esprit y trouvât un sens définissait bien l’impuissance de l’esclave: voir sans voir, attendre, entendre sans comprendre, imiter le geste de l’autre captif, franchir un autre pas sans dépasser la longueur de la chaîne, baisser le front, regarder la terre. Un gardien toucha l’épaule du captif placé en tête de file. La pierre! Cloué sur place, le captif sembla incapable de faire un seul geste, tellement le sentiment d’impuissance l’envahissait tout entier. Il avait effectué les pas menant aux champs de pierres, mais son esprit n’enregistrait rien d’autre. Sa vie n’était qu’une suite de gestes d’automate, sans signification. Assis, debout, quelques pas; assis, debout, d’autres pas, jour et nuit, sans dormir un seul instant, debout, assis, quelques pas pour quelques gouttes d’eau. L’obscurité, le collier, les chaînes, la lueur des torches, la morsure du fouet, debout, dehors; les rayons brûlants, le sel brûlant, le froid nocturne, toute le nuit debout à tourner dans un sens et dans l’autre pour quelques gouttes d’eau; toute la journée debout à tourner dans un sens et dans l’autre pour quelques autres gouttes d’eau. Étourdi, chancelant, engourdi, inerte, les yeux hagards d’abord, fixes ensuite, puis vides. Dans les donjons d’Europe, il en fallait moins, beaucoup pour que les prisonniers devenissent fous. Mais les captifs de Gorée étaient d’une trempe très différente: ils mourraient bien avant que la folie ne l’emportât. Le gardien tourna autour du captif. Il ne vit rien des plaies de son corps ni de l’enflure autours de ses yeux. Il ne vit qu’un corps nu suant dont la tête rasée pointait vers la terre.

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Cette fois, le gardien lui frappa durement l’épaule. Le captif sursauta et sembla sortir de sa torpeur. - La pierre! Le captif se pencha, saisit une pierre de bonne taille, écarta les jambes tout en assurant la prise des mains, s’arcbouta puis se redressa en tenant la pierre calée contre sa poitrine. Il demeura ainsi, immobile, le regard toujours aussi avide. Le manège recommença pour chacun des vingt captifs qui formaient la file. Leur corvée d’esclave. Une peine inhumaine puisqu’elle n’était pas le résultat d’aucune condamnation, n’était proportionnelle à aucun crime. Elle ne rachetait rien, n’expiait rien, ne menait à rien. La corvée ne tenait compte ni des effets de la prison, ni des conséquences de la torture. La corvée d’esclave était la conséquence d’un destin issu de de la malheureuse puis tragique rencontre de deux mondes. Pour le captif, elle annonçait le recommencement perpétuel d’un acte de misère et l’ensevelissement de la dernière parcelle d’humanité. Les captifs transportèrent les pierres sous l’œil des gardiens pendant une dizaine de jours. Les pas et les efforts commençaient avant l’aube pour se terminer une fois la nuit tombée. Il n’y avait qu’un peu d’eau pour soutenir la harassante corvée. Ceux qui faiblissaient étaient impitoyablement fouettés, puis remis en file. On ne les laissait pas choisir la simple mort, on leur imposait une agonie constituée de toutes les souffrances qui s’emparaient d’un corps lorsque les forces l’abandonnaient. Impossible pour eux de s’étendre et d’attirer la mort pour qu’elle les engloutisse dans un néant libérateur. Le fouet empêchait qu’ils sombrassent dans la calme insensibilité où leur ombre croyait avoir trouvé un refuge... --- Hormis le souffle qu’ils exhalaient à l’effort, les captifs transportaient les pierres dans un silence absolu... --- À la fin de chaque jour, le silence durait toujours. Pendant le semblant de sommeil qu’on leur permettait dans la captiverie, la fatigue de leurs corps brisés était telle qu’ils ne parvenaient pas à profiter de cette courte évasion. Tassés, recroquevillés, empêtrés dans les chaînes, ils ne pouvaient empêcher leur tête de s’emplir de cauchemars, de se peupler de voix inconnues... --- Moké Sabala, le vieux compagnon de Diougou Koumba, sentit le grand changement s’abattre sur lui entre deux transports de pierres. Il s’était agenouillé et s’était mis à tousser. Il suait ainsi ce qui lui restait de souffle dans la poitrine. La toux ne devait plus l’abandonner et les coups des gardiens ne servirent qu’à brusquer l’inévitable. La douleur lui enfonça le thorax, lui comprima les poumons. Sa gorge s’assécha au point que l’eau y trouva à peine un passage. Debout! Il ne percevait déjà qu’un son lointain. Sa vue se troublait. Il commençait à oublier la soif, la faim, la douleur. Il oubliait le lieu même où il avait subi toutes les infamies. Il oubliait la cadence des vingt pas dans un sens puis dans l’autre. Les images déchirantes s’envolaient l’une après l’autre. Debout! À part quelques frémissements de vie, Moké Sabala n’éprouvait plus rien. On l’aspergea d’eau. Il ouvrit les yeux, aperçut des ombres, puis des visages. Il crut en reconnaître quelques-uns avant de refermer les yeux. Il partit avec des taches brillantes, le contour d’un visage aimé, celui de son fils Damel Bélé peut-être, et le désir d’un changement de monde. Le cœur sec, les gardiens emportèrent la dépouille. La mort avait été une affaire infiniment simple pour Moké Sabala... » p. 379: « ... En voyant mourir Moké Sabala, Souma avait éprouvé une immense tristesse, quoiqu’il qu’il n’eût plus de larmes à verser. Le vieil homme était mort sans bruit 187


après qu’on l’eut contraint à la corvée des pierres et qu’on eut déchiré son corps à coups de fouet... » p. 380: « ... La pierre! L’écho de ce seul commandement se répercutait avec une sonorité étrange dans l’air nocturne. Les captifs suaient à grosses gouttes et la menace des lanières de cuir, capables de brûler les chairs aussi cruellement que le feu les forçait à maintenir un rythme interrompu. Les efforts étaient accompagnés de grognements sourds et le halètement des poitrines témoignait de la fatigue qui tétanisait les membres... » p. 380: « ... Avancez! La voix avait l’effet de la morsure du fouet. Chacun reprenait aussitôt sa pierre... » p. 381: « Debout! Le commandement se perdit dans la nuit. Suivirent les sifflements des fouets. Résignés, l’échine basse, les captifs encaissèrent la volée des coups sans émettre le moindre son. Ils restaient pétrifiés, semblables aux pierres qu’ils refusaient désormais de transporter. Puis vint ce qui ressemblait à une rumeur profonde. Un son qui monta dans la nuit, passant d’une bouche à l’autre, repris gravement par tous les captifs... » DERNIÈRES FORMALITÉS AVANT L’EMBARQUEMENT POUR LES CARAÏBES p. 381, 382: « On détermina une dernière fois la valeur de la marchandise par son poids. Mâles et femelles défilèrent tour à tour dans la salle de pesage avant d’être, les uns conduits, les autres traînés dans la cour pour y être soigneusement palpés, passés à la soude et à l’eau vinaigrée, puis marqués d’un numéro à la naissance des fesses. Souma et Amadou reçurent respectivement les numéros 73 et 74, brûlés dans leur chair... En revanche, on omit volontairement de marquer une centaine de captifs. Puis, pendant trois jours entiers, on les gava comme on l’eût fait d’un vulgaire bétail. Au crépuscule du quatrième jour, on les arrosa copieusement d’eau douce, puis on les libéra de leurs chaînes pour les entraver à l’aide de simples cordes et les mettre en longue file. Une fois de plus, Souma et Amadou firent l’objet d’une surveillance particulière: on leur fixa une muselière, des chaînes aux pieds, et on les encadra de deux gardiens armés chacun. Avancez! Le cortège se mit en branle et longea l’étroit corridor menant à une porte basse. Celle-ci ne s’ouvrait que pour le voyage sans retour. Au-delà on ne voyait que l’immensité de l’Atlantique et, à cent pas, un petit quai en rônier qui s’avançait dans la mer. Une vingtaine de grandes embarcations y étaient amarrées... » LE DÉPART p. 384: « L’embarquement commença par une nuit sans étoiles. La mise aux fers des trois cents vingt mâles et des soixante-dix-neuf femelles dura jusqu’au petit matin. Les esclaves étaient rangés tête-bêche, et soigneusement assortis selon la taille et la largeur des épaules, le premier entrepont fut rempli à capacité de corps emboîtés les uns dans les autres. Le Chevalier de Nantes leva l’ancre alors que s’annonçait une aube couleur de sang. Une clameur gutturale monta de la cale. Elle devint un interminable hurlement. C’était la façon de ces êtres humains mis aux fers de pleurer leur liberté perdue et de saluer une dernière fois leur Afrique natale... » 188


p. 384: « ... Une lieue encore et on ne devinait guère plus qu’un rocher sombre, rien d’autre qu’un insignifiant caprice de la nature. De cette distance, nul ne pouvait soupçonner que Gorée recelait l’enfer. S’ils avaient eu le choix, tous les forçats de la terre auraient cent fois préféré la mort à un séjour dans une voûte étouffante de l’île des esclaves. Il n’y avait que des damnés pour mériter un tel sort, mais alors on pouvait douter de la miséricorde de Dieu, fut-il celui des chrétiens ou celui des musulmans. Pour accepter que pareil supplice éprouvât des êtres humains, il fallait se dire que ce Dieu ignorait la nature même de Gorée, ou alors il était préférable de ne pas croire en Dieu... »

Entreposés les uns collés aux autres, sans espaces pour leur permettre de trouver une position plus aisée, voici l’intérieur d’un bateau négrier. La nuit, les matelots avaient la mission d’extraire les morts et les mourants qu’ils jetaient par-dessus bord. Chaque bateau eu perdait au moins le tiers et parfois la moitié de sa cargaison. JUGEMENT RACISTE DE DORLOT, COMMANDANT DE L’ÎLE DE GORÉE p. 386: « De son bureau de commandement, Dorlot, scrutant Le Chevalier de Nantes qui venait de lever l’ancre ayant à bord bateau une cargaison d’esclaves écrivit: « Noirs, Noirs ils sont, Noirs ils demeureront. Cela naît dans les ténèbres, cela meurt comme une bête. On sait qui le diable préfère, ceux que le sinistre hasard a privé d’un souffle humain. Nus à la criée on les a vendus, aux maîtres de les enchaîner. Comme des bêtes les faire trembler, ces élus de Satan devenus. Venus des ténèbres, c’est vers l’enfer que flottent les ombres noires. Passent ces ombres comme un mauvais souffle, puis plus rien. » Ce voyage, sans retour de Gorée aux Antilles, dura 40 à 45 jours, et emporta 320 mâles et 71 femelles, tous esclaves capturés dans des conditions inhumaines, torturés,² affamés et assoiffés à volonté pour les affaiblir et les posséder. 189


DÉLITS D’ÉVASION ET DE VIOLENCE SUR LE MAÎTRE p. 392: « Par centaines donc, les esclaves étaient amenés dans les îles aux fleurs pour subir la dure loi des planteurs de canne à sucre établis au Cul-de-Royal, au Cap Salomon au Marin, au Trou-au-Chat, au Cul-de-Sac à Vaches. » p. 393, 394: « ... Ils étaient tous des Noirs et portaient pour seuls vêtements. une chemise et un pantalon en coton grossier... » « Nus, crasseux, les chairs du dos taillées, ils avaient été à ces moments-là passés à la saumure, frottés à l’huile de palme, palpés, tâtés, fouillés. Eux qui avaient été vendus et achetés en Afrique, on les avait revendus aux Antilles. Les trois esclaves marrons avaient vu le bord de la mer avec d’autres yeux; sans crainte cette fois, ni terreur superstitieuse. L’acte qu’ils avaient osé accomplir était immense: ils avaient brisé la cadence forcée et aveugle qu’on leur imposait dans les champs de canne à sucre, cessé de tourner en rond en alternance avec des bœufs pour actionner les grandes roues du moulin sous la morsure du fouet, rejeté la brutale autorité d’un commandeur tortionnaire. Car quoique que fassent les esclaves, fussent-ils à la limite des forces, le fouet claquait sans relâche, comme pour leur rappeler que l’appartenance à la race noire était un crime... » p. 395: « Pendant tous ces jours, les hommes n’avaient pas parlé. Ils n’avaient pas encore réussi à surmonter l’interdit. Dans la plantation, un esclave ne parlait pas à un autre esclave, sauf aux rares moments de répit et durant la journée du dimanche. Durant les longues journées, chacun demeurait à l’affut du silence, car chaque silence était porteur d’une émotion, d’une intention, d’une souffrance. Le silence des esclaves était tellement expressifs, surtout lorsqu’ls accompagnaient le grand bruit des chaînes et le sifflement vicieux du fouet... » p. 396: « ... Mais le silence de ces esclaves marrons avait aussi un autre motif: ne pas se faire repérer. Ils n’étaient pas vus comme des hommes ayant repris leur liberté, mais comme des nègres ayant commis le pire des crimes. Car l’esclave marron était celui qui avait trahi son maître, un grand Blanc, qui avait privé ce dernier d’un bien chèrement acquis. Le marron méritait donc qu’on le chassât comme du gibier, mais au contraire de la chasse classique, on devait le capturer vivant afin de le sanctionner de manière exemplaire, jusqu’à faire mettre sa tête au sommet d’un piquet, au milieu de l’habitation du maître, afin d’imprimer la crainte nécessaire et dissuasive dans le cœur des autres esclaves... » DÉLIT DE VOL DE FRUITS p. 403: « ... Nouvellement baptisée, promue esclave de maison, cette dernière s’était avisée de dérober quelques fruits d’une corbeille. Elle avait été châtiée un dimanche après l’office religieux, traitée à la saumure et revendue, mutilée et marquée au fer, pour un vil prix. Jamais plus un autre fruit ne disparut d’une corbeille du maître... » p. 407: « ... Dans les plantations, l’esclave échangeait les affres de la faim et de la soif contre la corvée... »

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UN ŒIL DÉLIBÉRÉMENT CREVÉ POUR AVOIR FUI p. 415: « Boivert (le maître) prononça deux mots: « Nègre marron. Nègre marron » (esclave qui a fui pour recouvrer sa liberté). Abel frissonna. La plaie était encore vive. Il avait déjà été un nègre marron. Il avait fui dans le bois parce qu’il n’avait plus la moindre parcelle de peau sur le corps qui ait été intacte, et ce, en dépit de son ardeur aux corvées. Chez un premier maître, il avait nettoyé le pétun du lever au coucher du soleil. Chez le deuxième, il avait trimé aux champs de canne, puis à la sucrerie, à enfourner, à mettre en place les formes, à laver les résidus, à entasser la bagasse, à blanchir le sucre. Un jour, il n’en put plus d’être frappé à en perdre l’envie de dormir. Au bout d’un mois de clandestinité, on le ramena vif, seul survivant d’un groupe de quinze marrons. Il paya de son œil, que le maître lui fit crever à froid. Dans un geste réflexe, Abel porta la main à son visage pour s’assurer que son autre œil était toujours intact. Puis il fit mine de ne pas saisir ce que Boivert attendait de lui... » p. 417: « Même Allah, le Tout Puissant, avait semblé se détourner de la misérable tribu des esclaves... » DANS LE BATEAU p. 417: « ... Aux esclaves, il (Oximelin) avait défendu de parler, de chanter, d’agiter les chaînes une fois les écoutilles fermées, sous peine de vingt coups de fouet... » p. 418: « Quand les préposés au parc des esclaves avaient finalement ouvert les écoutilles, ils avaient constaté que l’odeur de la mort avait envahi l’entrepont. Une fois les vapeurs fétides quelque peu dissipées, ils s’étaient frayé un passage au milieu d’une véritable boucherie. La plupart des captifs étaient couverts de sang, blessés par leurs chaînes. Parmi eux se trouvaient une trentaine de cadavres, la bouche démesurément ouverte, la langue pendante, les yeux exorbités, donnant l’impression qu’ils fixaient les treillis dans l’espoir d’aspirer une dernière bouffée d’air. Lorsque deux hommes avaient retiré les fers entourant les chevilles d’un des cadavres, ils avaient dû exercer une traction sur la chaîne, celle-ci reliant le mort à son voisin immédiat. Ce dernier avait poussé un tel grognement qu’on aurait cru au rugissement d’un fauve blessé. Les hommes avaient sursauté. Le captif, le corps contracté par la douleur et le regard plein de haine, avait voulu parler, mais sa voix n’avait été qu’un souffle de fièvre. Il était parvenu, non sans mal, à prononcer quelques mots. Les deux marins n’avaient rien compris, mais en observant le captif de plus près, ils avaient été impressionnés par la majesté, pure et sauvage qu’il dégageait... » p. 419: « ... Le père Vincent n’avait pas imaginé qu’il pût exister pire barbarie que celle dont il avait été témoin à Gorée. Il s’était trompé. Aux abus et à l’aggravation, au gré des geôliers, des conditions de détention déjà inhumaines avait succédé l’horreur d’un confinement encore plus cruel: la mise en tas à fond de cale. C’est-là que la terreur venait habiter les captifs une fois l’horizon disparu. --- Oximelin leur avait fait comprendra qu’il re pouvait y avoir de place à bord pour une sensibilité de pont et une autre de cale, ajoutant qu’il étai préférable de traiter tous les captifs pour ce qu’ils étaient, c’est-à-dire des biens périssables au même titre que des denrées rares, plutôt que de risquer une révolte à bord qui se terminerait très certainement dans un bain de sang. »

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L’ARRIVÉE ET LA VIE DES ESCLAVES AUX ANTILLES p. 422: « Avancez! Le mot, toujours aussi redoutable, était inexorablement accompagné du claquement d’un fouet. Sous le sifflement des lanières de cuir, Souma et deux cent cinquante-quatre autres esclaves foulèrent le sol de la Martinique. Des coursiers allèrent porter la nouvelle aux quatre coins de l’île. Pendant ce temps, courtiers et capitaines s’adonnèrent aux préparatifs de la kermesse nègre. Il fallait redonner aux captifs une allure plus humaine. Certains Noirs étaient tellement affaiblis que leurs muscles n’avaient de force de les soutenir. On les porta hors du vaisseau, les frotta avec des mixtures variées afin de dénouer les articulations et d’assouplir les membres raidis. D’autres, couverts d’ulcères, envahis par la chique, furent soumis à des traitements douloureux constitués de frictions au jus de citron et au vinaigre. Tous furent entièrement rasés et abondamment enduits d’huile de palme. On leur récura les dents avec des racines astringentes et on leur soigna les gencives à l’aide d’une mixture à base de piment afin de maquiller les moindres traces de scorbut... »

Au marché d’esclaves, un acquéreur examine minutieusement un esclave avant de l’acheter. Aucune partie du corps n’est épargnée.

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Un marché d’esclaves nés en Amérique. p. 425: « Il s’arrêta devant Souma et dut lever la tête pour voir ses yeux. Le regard n’exprimait rien. Jaspin comprit qu’il faudrait se méfier de ce Noir. Il était d’une trempe à part. Il n’accepterait aucun maître, quel que fut le tourment. En le touchant, il sentit un muscle vibrer, puis un autre. C’était un signe qui ne mentait pas. Les supplices lui avaient mordu les chairs mais n’avaient pas atteint son esprit. Malgré les meurtrissures et le cicatrices, il avait l’allure et les réflexes d’étalon sauvage. Une pièce exceptionnelle, songea Jaspin, qu’il faudrait brider, dresser, corriger afin d’en faire fleurir les dons... » LA SÉGRÉGATION DANS L’HABILLEMENT p. 432: « Que tous les nègres affranchis ou autres, libres de naissance, de tout sexe, pourront s’habiller de toile, coton ou autres étoffes équivalentes de peu de valeur, avec pareils habits dessus, sans soie, dorure, ni dentelle, sous peine de prison et confiscation de leurs hardes au profit de ceux qui les arrêtent... » TRAITEMENT INHUMAIN INFLIGÉ À UNE PRÉTENDUE SORCIÈRE NÈGRE p. 470: « l’Épouse du maître ordonna le châtiment exemplaire. On dénuda CrocSouris et on lui administra d’abord cent coups de rigoise qui gonflèrent son corps comme une outre, suivis de deux cents coups de fouet qui mirent son épiderme à-vif de la base du cou jusqu’aux chevilles. Le père jésuite qui assista au supplice à titre d’exorciseur lui ordonna d’invoquer le diable pour qu’il la délivrât ou même qu’il cicatrisât les plaies sur le champ. Rien de la sorte ne produisant, l’ecclésiastique lui fit rompre les chevilles et brûler les paumes de ses mains. Pas un son ne sortit de la bouche de la jeune esclave; elle avait perdu l’usage de la 193


parole. Par miséricorde, selon le récit qu’en fit le jésuite, on lui passa le corps à la pimentade pour éviter la gangrène. Finalement elle fut mise aux fers... » LA CHASSE AUX ESCLAVES ÉVADÉS OU LE SORT DES ESCLAVES MARRONS p. 476: « Il avait fallu près d’un mois à Ugolin Dupras pour recruter les douze hommes qui allaient constituer sa police des nègres. À les voir, avec leurs visages émaciés, barbus, leurs regards chargés de haine, on les crût sortis tout droit de l’enfer. Plusieurs de ces hommes portaient les balafres de nombreux coups de cravaches reçus à travers le visage... » PRIME DE CHASSE DES ESCLAVES ÉVADÉS p. 482, 483 et 484: « Pour toutes les captures à plus de dix lieues d’une habitation, ce sera cent livres par tête, soixante à moindre distance. La moitié si le négro est tué et si on rapporte sa tête, annonça-t-il... » « ... Monsieur, expliqua-t-il, ce ne sera pas une chasse ordinaire. Ne vous attendez pas à ce que nous revenions au bout de trois jours avec les nègres en laisse. Ces macaques s’y connaissent. Ils vont se cantonner là où est le gibier, d’autant qu’ils bouffent de tout: des pintades, des lézards et des serpents, s’il le faut. Ils se réfugient dans les cavernes. Vous savez combien de cavernes il y a dans ces mornes? Des centaines, des milliers peut-être! Et ils trouvent des appuis dans les cases-nègres des habitations. Alors il nous faut du temps, des chiens pour les pister et des armes de miliciens pour les mater. Ce sera comme ça si vous les voulez tous! --- Vous aurez tout cela, dit-il avec calme, mais je les veux vivants, à moins que vous ne puissiez faire autrement, auquel cas vous me devrez des explications. Le nègre mort ne vous cause jamais plus d’ennuis, plaisanta un des hommes. Et un galérien mort? rétorqua Boivert. La remarque porta et les autres évitèrent toute raillerie supplémentaire. Ne soyez pas stupide, continua Boivert. Le nègre mort ne rapporte plus son prix en sucre au propriétaire, et à vous, il ne rapportera que la moitié de la prime. Autre chose: tout nègre non réclamé après un mois sera vendu. » Quelque chose à redire? p. 513: « Les corvées, toujours les corvées. Les esclaves des champs dormaient quatre heures; ceux de la sucrerie et de la purgerie une de moins. La fatigue, la sueur, le sang n’étaient rien aux yeux de l’intendant et de ses hommes. Seuls comptaient les dix quintaux de tiges coupées par nègre, par jour… » p. 514: « … Pourtant, il savait maintenant que s’il fermait les yeux sur l’insupportable cruauté de l’esclavage, s’il continuait de se taire, il un lâche à genoux, sans honneur et sans possibilité de rédemption… » « … Qu’il ne faut pas comprendre que le nègre est le descendant d’une mauvaise race, une tare, l’animal le plus proche de l’homme… » p. 516: « Les chiens, c’est comme les nègres, lâche Ledru, vous les frappez et ils vous lèchent les pieds … »

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LA FIN TRAGIQUE DE GOLIATH, L’ESCLAVE REBELLE COUPABLE D’ÉVASION ET DE VIOLENCE SUR SON MAÎTRE, ET CELLE DE VINGT-CINQ AUTRES MARRONS OU UNE CRUAUTÉ PARMI TANT D’AUTRES p. 484: « Votre Goliath, je tiens à l’avoir vivant. C’est compris? (dit Boivert, le Gouverneur) Mais c’est qu’il a la force de cinq hommes, fit Dupras, je ne sais pas si nous pourrons… Vivant, insista Boivert. Il y va de notre réputation à tous! D’ailleurs, auriez-vous oublié ce qu’il vous a fait? » p. 528: « Les vingt-cinq marrons furent reconnus coupables selon les articles 36 et 38 du Code Noir. Coupables d’avoir été en fuite pendant plus d’un mois. Coupables de vols de volailles, de cannes à sucre, de mil, de manioc. La justice prévoyait qu’on leur tranchât les oreilles et qu’on les marquât au fer rouge. Goliath fut, de surcroît, reconnu coupable, selon l’article 33, d’avoir frappé son maître au visage, avec effusion de sang, geste qui entraînait la peine de mort. Et puisque l’honneur des Blancs de toute la colonie était en jeu, on attribua à Boivert le privilège de décider d’une punition exemplaire, outre les supplices prescrits. Des coursiers furent envoyés à Saint-Pierre et dans toutes les habitations situées jusqu’à quinze lieues du domaine Boivert. Celui-ci conviait tous les propriétaires, accompagnés de leurs intendants, à la grande journée de Justice, laquelle débuterait par la célébration d’une messe dont l’officiant serait le père Dastous, vicaire général de la Martinique. » LE SUPPLICE DU FOUET, DU SEL, DU PIMENT SUR LES PLAIES p. 528: « Jour de trêve, jour faste. Toutes les corvées avaient été suspendues. On remit à tous les esclaves un habit de toile neuf. Une livre de bœuf salé, un pot de farine de manioc et plusieurs mesures de guildive. Puis on les réunit, tant domestiques que travailleurs des champs, du moulin et de la sucrerie, afin qu’ils assistent à ce qui fut annoncé comme l’heureux épilogue d’une vieille et sombre histoire. --- Si les actes de dissidence, ajouta Boivert, ne pouvaient qu’engendrer haine et fourberie, entraînant une punition voulue par Dieu, à l’opposé, le travail, la loyauté et la résignation joyeuse leur garantissaient une liberté éternelle après la mort. Pour mériter cette liberté que Dieu permet, il faut cultiver les vertus du travail et de la soumission, insista-t-il et c’est le maître blanc que Dieu a rendu seul juge des unes et des autres... » p. 531: « --- Blancs et Noirs furent les témoins de la justice blanche prescrite par le Code Noir. Les premiers châtiments furent ceux de la rigoise, du bambou pliant et du fouet. On attacha les marrons par quatre, liés à une échelle, pour leur administrer les coups. Vingt coups de rigoise pour le vol du mil et des légumes, trente coups de bambou sur la peau déjà enflée en guise de punition pour la mort des chiens. Cinquante coups de fouet pour tailler l’épiderme et faire jaillir le sang, comme châtiment préliminaire pour le marronnage. La flagellation terminée, on frotta chaque corps supplicié au sel et au piment, au milieu d’un concert de hurlements (et de douleur). » 195


TRAITEMENT D’UN ESCLAVE REBELLE POURQUOI TANT DE HAINE ET DE MÉPRIS POUR LA RACE NOIRE?

Cette image montre le supplice du fouet que subit un esclave noir sévèrement ligoté comme un panier de colas, entravé, incapable de se défendre, il est condamné à encaisser les coups de fouet du maître. Au fond, à droite, un autre esclave attaché à un arbre fait face à trois tortionnaires. Ceci s’est passé au Brésil. (« Les Africains » de Pierre Alexandre, p. 487, l’Esclavage au Brésil.)

Traitement inhumain d’un esclave noir dans une plantation?

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Le supplice d’un esclave noir sous le regard indifférent et moqueur des maîtres.

Le supplice d’un esclave noir dont la tête est immobilisé par un étau. Les jambes enchaînées, les mains ligotées, le supplicié se trouve en face d’un tortionnaire armé de fusil, prêt à l’abattre en cas de nécessité. Qu’a-t-il fait pour subir un tel traitement?

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Un esclave noir supplicié, enroulé dans un filet pour mieux le neutraliser.

Le corps flagellé d’un esclave noir de Libye (?). Cette image macabre a provoqué l’indignation des philanthropes à travers le monde en 2017.

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Le corps flagellé d’un esclave noir en voie de cicatrisation. Qu’elle douleur sent-il dans sa peau écaillée qu’on traitait avec du citron et du piment. Les croutes de sa peau dénotent la douleur et l’importance du supplice subi.

En ore le traitement inhumain et insupportable d’un esclave noir en Libye en 2017. (Conséquence de l’immigration des jeunes Africains en Europe à travers le désert, de Libye et la Mer Méditerranée.) 199


Le transport d’un colon en hamac par un attelage noir. LE COMBLE DES ATTROCITÉS PAR LA MORT ATTROCE, CRUELLE ET INHUMAINE DE GOLIATH PAR LE BROYAGE DE SON CORPS PAR LE MOULIN POUR AVOIR VIOLENTÉ SON MAÎTRE Après le supplice du fouet des vingt-quatre autres marrons, Goliath, condamné à la peine de mort, reçut en plus des traitements inhumains exemplaires le supplice du broyage de son corps par le moulin. p. 532 et 533: « ... On confia la flagellation de Goliath à deux hommes qui tombèrent d’épuisements, après avoir tailladé le géant de la tête aux pieds. Il fallait maintenant décider du mode d’exécution. Les uns réclamèrent la pendaison alors que d’autres demandèrent qu’il soit tout bonnement fouetté à mort. Châtiment exemplaire, laissa tomber le Jésuite (Père Dastous). Cela vaut également pour la sorcière, mais, dans son cas, elle devra mourir comme sorcière! Soit! dit Boivert. Il donna des ordres à Jaspin. Puis cinq hommes robustes suspendirent l’énorme Goliath par les mains, après lui avoir passé une muselière. On lia ensemble les jambes et les mains de Goliath et on le on transporta jusqu’au moulin. Une corde fut passée dans une poulie attachée au châssis de bois qui soutenait les trois énormes rouleaux, puis cinq hommes hissèrent lentement le géant jusqu’à ce que ses pieds atteignent le milieu des cylindres. Non, ne faites pas cela! Dieu ne vous pardonnera jamais un tel acte de barbarie! C’est le père Vincent qui plaidait la cause de l’esclave avec l’énergie du désespoir.

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Monseigneur, cet esclave a été baptisé! Vous, le messager de Dieu, ne pouvez accepter semblable torture, supplia-t-il en s’adressant au père Dastous. Des assassins, voilà ce que vous êtes... » « Sur un signe de Boivert, les hommes laissèrent filer la corde. Les pieds de Goliath furent happés en premier, puis le reste du gigantesque corps de l’esclave passa entre les rollers. On entendit de sinistres craquements, mais pas la moindre plainte... » Oui! Ainsi mourut le Géant GOLIATH, l’esclave noir rebelle. Après le supplice du fouet, il fut cyniquement et effroyablement broyé par les crocs du moulin de la plantation. Pour s’être révolté et violenté son maître, méritait-il un tel châtiment inhumain et extrême? Quelle cruauté! L’Afrique peut-elle ou doit-elle oublier une telle animosité, une telle cruauté, une telle monstruosité? UN ASPECT D’UNE ESCLAVERIE AUX ANTILLES

Triste image du traitement des esclaves d’Amérique dans une esclaverie. 201


CONCLUSION: A) - BILAN B) - QUELQUES JUGEMENTS DE CERTAINS ESCLAVAGISTES A) - BILAN « Au XVème siècle, une multitude de chasseurs d’hommes commence à affluer du Portugal en Afrique: la traite des Noirs commence. Des millions d’esclaves sont emmenés en Amérique; on a calculé, qu’en trois siècles et demi près de vingt millions d’esclaves noirs furent déportés d’Afrique en Amérique. Pour chaque esclave arrivé en Amérique, trois ou quatre étaient morts en route ou tués pendant « la chasse à l’homme ». Nombreux étaient les esclaves qui mouraient au cours du voyage vers le littoral où ils devaient être embarqués. Des monceaux d’ossements jalonnaient les voies commerciales d’Afrique. Des villages entiers étaient désertés par leurs habitants qui se refugiaient dans les forêts. Le développement des peuples africains fut freiné pour longtemps, parce que l’Afrique était devenue la chasse gardée des marchands d’esclaves. » Karl MARX (« Les Temps Nouveaux, » p. 15) B) - QUELQUES JUGEMENTS DE CERTAINS ESCLAVAGISTES p. 514: « ... Qu’il me faut comprendre que le nègre est le descendant d’une mauvaise race, l’animal le plus proche de l’homme. » p. 516: « ... Les chiens, c’est comme les nègres, lâcha Ledru, vous les frappés et ils vous lèchent les pieds! » Au regard de tels jugements ineptes et abjects et de tels traitements cruels inhumains infligés aux esclaves noirs, doit-on ou peut-on oublier ces méthodes barbares infligées impitoyablement aux esclaves noirs? Doit-on oublier les conséquences néfastes de cette indéfendable et inexplicable traite négrière sur le peuplement et sur le développement économique, culturel et social de l’Afrique Noire? NON! ET NON! D’ailleurs le devoir de mémoire pour ces dizaines de millions de victimes noires nous oblige d’enseigner sans haine, de comprendre ce qui s’est réellement passé afin que la jeunesse africaine sache ce qui s’est réellement passé. L’Afrique ne saurait oublier leurs souffrances, leurs humiliations, leurs sacrifices ultimes... La plaie est si fraîche, si profonde et si béante que l’Europe doit se repentir de ces crimes contre l’humanité qu’elle a commis en Afrique pendant la traite négrière et la colonisation. Nous n’ exhumons pas ces crimes et ces méthodes cyniques inhumaines, indéfendables et inexplicables pour compromettre la collaboration bilatérale entre l’Afrique et l’Europe, mais pour justifier ou expliquer les causes du grand retard de l’Afrique dans les domaines du développement économique, social, culturel... Après une telle saignée ou un tel massacre de ses forces vives par la folie des esclavagistes européens nous avons le droit et le 202


devoir de demander réparation morale et matérielle de ces crimes à l’Europe, ou tout au moins la reconnaissance de ces crimes monstrueux par son auteur. De simples excuses pourraient nous procurer une satisfaction morale et atténuer notre rage. En tout cas, cette réparation morale devrait, dans les conditions normales ou souhaitables, être assortie de compensation matérielle. LE DEVOIR DE SOUVENIRS POUR LES MARTYRS DE LA TRAITE NEGRIÈRE ET DE LA COLONISATION ----------o---------« DEVONS-NOUS NOUS SOUVENIR DES SACRIFICES DES MARTYRS DE LA TRAITE NEGRIÈRE ET DE LA COLONISATION? » Pour clore ce débat, nous ne comprenons pas pourquoi l’Afrique Noire reste muette ou indifférente devant cette triste page noire de son histoire? Est-ce par inconscience ou par ignorance... que l’Afrique n’accorde pas l’intérêt qu’il faut à cette époque noire de son triste passé? Combien de pays africains ont suffisamment honoré ces victimes innocentes de ce douloureux passé en construisant ici et là, dans les villes et villages: o Des stèles? o Des statues? o Des mausolées consacrés à ces pionniers de la liberté? o Combien de pays africains ont restauré les routes, les forts et autres symboles et vestiges historiques liés de la traite des esclaves? o Combien de pays africains ont reconstitué cette douloureuse histoire en réalisant des films sur cette pratique honteuse? o Combien de pays africains ont aménagé des bibliothèques et des centres de lectures ou ont reconstitué des archives relatant cette douloureuse page de notre histoire? o Combien de pays africains ont aménagé des sites ou les anciens ports négriers pour perpétuer leur mémoire? o Pourquoi l’Afrique ne magnifie pas suffisamment ses célébrités, ses Héros, ses Grandes Figures…? o Que faisons-nous pour sauvegarder notre mémoire? o Par cette carence notoire et par notre démission ou par manque d’initiative, ne donnons-nous pas raison à ceux qui disent par mépris que l’Afrique Noire n’a pas de mémoire? o Pourquoi ne baptisons-nous pas certaines de nos écoles, de nos universités aux noms des esclaves rebelles dont le nom et le combat ont résisté à l’usure du temps ou aux noms des personnalités anti-esclavagistes qui ont condamné et lutté contre ce système honteux et inhumain? Ainsi les élèves et étudiants de ces écoles connaîtront et s’intéresseront à la vie et à l’œuvre de ces symboles. Oui! Les Samory, Soundjata, Béhanzin, Chaka, Lat Dior… soutiennent valablement et indéniablement la comparaison avec les Napoléon, Tamerlan, Charlemagne, Clovis, Vercingétorix... Comme eux, ils ont été des conducteurs de peuple, des références, des patriotes… pour leur peuple respectif qui leur témoigne toujours la fierté, la dignité... qu’ils incarnent. C’est ainsi que leurs noms et leurs hauts faits ont résisté à l’usure du temps pour nous parvenir. Ils doivent être glorifiés. 203


Pourquoi préférons-nous les noms de Victor Hugo, Racine, Diderot, Montaigne, Voltaire... sur le frontispice de nos établissements scolaires, de nos édifices publiques à ceux de nos nombreuses célébrités africaines connues ou anonymes dont: Mamba Sano: Guinéen, pionnier de l’enseignement en Afrique et premier Député de la Guinée avec Yacine Diallo à l’Assemblée Nationale Française, de 1946 à 1956. Yacine Diallo: Enseignant guinéen et Premier de la Guinée à l’Assemblé Nationale Française (1946-1956). Diallo Télli: ancien et premier Secrétaire Général de l’OUA. Ibrahima Baba Kaké: Guinéen, professeur agrégé d’Histoire, professeur à la Sorbonne, auteur de plusieurs livres d’histoire, directeur de publication de la collection « GRANDES FIGURES AFRICAINES » (animateur de l’émission Témoins de l’Histoire, Mémoire d’un Continent). Baldé Cheickou: Enseignant guinéen. Djibril Tamsir Niane: Historien guinéen, spécialiste de l’histoire du Mandingue, auteur de « Soundjata ou l’épopée mandingue ». Célèbre prisonnier du Camp Boiro de Sékou Touré suite à une revendication salariale du Syndicat des Enseignants de Guinée dont il était membre dirigeant. Aimé Césaire: Poète antillais, initiateur de « La Négritude » avec Léopold Sédar Senghor. Léon Gontrans Dams: Ardent défenseur de la culture nègre, homme de lettres. Mamadou Traoré Ray-Autra: Guinéen, instituteur, poète, journaliste virulent, pionnier de la lutte de de libération de la Guinée du joug colonial, éditorialiste audacieux et virulent du premier journal clandestin (« COUPS DE BAMBOU ») du PDG-RDA de Guinée dans les années 1950. Pionnier de l’enseignement en Guinée et du journalisme. Membre du Syndicat des Enseignants de Guinée, il fit la prison au Camp Boiro pendant trois ans. Lamine Kaba dit Lamine Saadji: Guinéen, pionnier de la lutte de libération en Guinée. Lansiné Kaba: Guinéen, professeur d’Histoire africaine dans les universités américaines. Solomana Kanté: Linguiste et savant guinéen, inventeur solitaire de l’écriture N’Ko, savant auteur de 185 livres en N’Ko dans les domaines variés de l’Histoire, de la Médecine.... Cheikh Anta Diop: Sénégalais, savant, professeur de physique nucléaire, le plus grand égyptologue qui s’est évertué à démontrer que la brillante civilisation égyptienne était le fait des nègres d’Afrique Noire. Traité de fou par le monde scientifique occidental, il fut sévèrement contré et combattu, fondateur du laboratoire de carbone 14 de Dakar. Il fut incompris par ses contemporains et le monde scientifique, bien qu’étant l’une des plus illustres célébrités scientifiques africaines. Léopold Sédar Senghor: Chantre de la Négritude, homme politique, homme d’État. Mamadi Sagno: Enseignant, homme politique guinéen, compagnon de l’indépendance de la Guinée. Alioune Diop: Homme de culture, fondateur de la maison d’Édition « Présence Africaine » qui eut le mérite de créer une plateforme d’expression des écrivains africains. On lui doit l’édition et la diffusion de beaucoup d’ouvrages des écrivains noirs. Koramoudou Kéita: pionnier de l’enseignement en Guinée. Famory Keita de Nyagassola: Pionnier de l’enseignement en Guinée Siafa Béavogui: Pionnier de l’enseignement en Guinée. Destephen Charles: Pionnier de l’enseignement en Guinée. Maurice Montrat: Métis Franco-Guinéen de Faranah, homme politique dans le système colonial, auteur d’un roman autobiographique (« N’NA »).

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Emile Cissé: Écrivain, dramaturge guinéen, auteur de Faralako, Assiatou de Septembre, et de plusieurs pièces de théâtre et de scénarios, Fodéba Keita: Célèbre dramaturge guinéen, auteur de « Minuit », de « Nama », « Aube Africaine » ... qui furent interdits par l’administration coloniale... Homme de théâtre, fondateur des célèbres Ballets Africains qui véhiculèrent l’art et la culture africains à travers le monde entier, homme d’état autoritaire et grand organisateur, père fondateur de l’armée guinéenne, de la police est des autres secteurs des services de sécurité, musicologue auteur du solfège de l’hymne national guinéen.... Koumandian Keita: Célèbre instituteur, syndicaliste radical et incorruptible, Secrétaire Général du Syndicat des Enseignants de Guinée et de l’Afrique Noire, homme politique, célèbre prisonnier politique de Sékou Touré suite à une revendication salariale du camp Boiro. Amadou Kourouma: Romancier ivoirien (« Allah n’est pas obligé », « Les Soleils des Indépendances »). Camara Laye: Romancier guinéen (« l’Enfant Noir », « Dramouss »). Williams Sassiné: Mathématicien et romancier guinéen mort en Guinée dans un anonymat complet et dans un dénuement total et navrant et qui commit l’erreur de n’avoir pas exploité ses talents dans les structures universitaires en choisissant dans une certaine discrétion. Amadou Hampâté Bâ: Célèbre et infatigable défenseur de la tradition orale, auteur de plusieurs ouvrages et de la pittoresque et légendaire phrase: « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Auteur de « l’Étrange destin de Wangrin » et de « Aspects de la civilisation africaine », célèbre défenseur de la tradition orale qu’il considère comme étant source principale de l’histoire et de la culture africaines. Boubou Hama: Homme politique nigérien, défenseur de la littérature orale, qu’il a toujours souhaitée transcrire afin de la sauver de l’oubli. Bernard Dadié: Romancier ivoirien. Fili Dabo Cissoko: Homme politique malien. Seydou Badian Kouyaté: Écrivain malien. Firdinand Oyono: Romancier camerounais. Tchicaya U-Tamsi: Romancier congolais. Wole Soyinka: Prix Nobel de littérature, romancier nigérian (« Le monde s’effondre »). Roger Maka: Enseignant guinéen d’origine gabonaise. Sèmbène Ousmane: Romancier et cinéaste sénégalais. Hadja Jeanne Martin Cissé: Sage-femme, femme politique guinéenne qui fut la première femme à présider le Conseil de Sécurité de l’ONU, Birago Diop: Écrivain sénégalais. Ousmane Socé Diop: Écrivain sénégalais. Sadji Abdoulaye: Écrivain sénégalais. Henri Lopez: Écrivain, homme politique du Congo. Nelson Mandela: Célèbre prisonnier de l’Apartheid, premier président noir élu de l’Afrique du Sud, Apôtre de la Paix et de la cohabitation multiraciale. Desmond Tutu: Homme de paix, Prix Nobel de la Paix, Sud-Africain, président de la commission de réconciliation multiraciale de l’Afrique du Sud. Le Waliou Cheikh Fanta Mamadi Chérif de Kankan dit Karako Sékouba, un Saint, un érudit en science coranique. Kourouma Karamoko dit KK: Célèbre professeur de Biologie et de Botanique qui connaissait parfaitement le secret curatif de toutes les plantes de la savane et de la forêt. Cet illustre botaniste dans les milieux scolaires en Guinée dans la Première République, est 205


aujourd’hui malheureusement inconnu par les jeunes d’aujourd’hui parce qu’il a totalement manqué de soutient pour publier et vulgariser ses ouvrages scientifiques qui dorment encore tranquillement dans les tiroirs s’ils ne sont pas d’ailleurs abimés ou détruits par les souris et les cafards, Aboubakar II Keita: Empereur mandingue du Mali médiéval qui découvrit l’Amérique et les Antilles bien avant Christophe Colomb au prix d’une audacieuse expédition à travers l’Océan Atlantique à partir de la Gambie dans des embarcations de fortune. Pourquoi, dans les domaines de l’art et de la musique, ne pas glorifier nos célèbres musiciens et artistes de renom qui sont, entre autres: Franco, Dr. Nico, Kaba Sélé, Rocherau… qui sont tous de la République Démocratique du Congo. Sory Kandia Kouyaté de Guinée pour ne citer que ceux-ci parmi tant d’autres célébrités... que nous devons magnifier ou glorifier comme le font les Européens quand il s’agit de Tino Rossi, de Charles Aznavour, de Johny Halliday, de Dalida, de Mireille Mathieu.... Ce devoir de mémoire doit camper bien d’autres célébrités noires dans divers domaines des activités de l’homme…? Que ceux ou les parents de ceux qui n’ont pu figurer sur notre liste dressée de mémoire veuille bien nous excuser de cette défaillance, car la présente est dressée à titre purement indicatif. N’est-ce pas là une défaillance notoire et inexcusable de l’Afrique Noire? Cependant, il n’est jamais tard pour prendre, par devoirs de mémoire, de telles initiatives qui pourront magnifier et immortaliser ces millions d’esclaves noirs innocents, et toutes les célébrités noires connues et méconnues ou et oubliées... Nous devons donc nous remettre en cause pour relever ce défi en corrigeant cette grave défaillance qui est une démission envers nos pionniers. Une simple question de justice et de devoir de mémoire envers ceux qui se sont sacrifiés pour la liberté, l’art, la culture, la patrie africaine... et qui ont défriché avant nous le chemin du patriotisme, de l’honneur, de la dignité, de l’amour du prochain, de la fraternité, de l’histoire africaine, de l’art et de la culture, du devoir envers la patrie... Tous ces hommes de culture, tous ces écrivains, tous ces artistes, tous ces musiciens, tous ces hommes politiques, tous ces hommes d’état... cités ici ou omis, méritent tous d’être exhumés et glorifiés, en reconnaissance de ce qu’ils ont subi et de ce qu’ils ont fait pour l’Afrique. « Un tronc d’arbre a beau séjourné dans l’eau, il deviendra jamais ni un poisson, ni un caïman. » Mais ils sont si nombreux et si méritants que nous ne pourrons les citer tous. Mais nous espérons que l’Afrique Noire doit jouer pleinement son devoir de souvenirs envers ses victimes et tous les martyrs anonymes et connus de la traite des esclaves, du colonialisme et de l’impérialisme. Qu’il en soit ainsi pour toutes nos célébrités connues et anonymes dans tous les domaines d’activités de la vie humaine. En effet tous nos dignes fils doivent être réhabilités, magnifiés et inscrits avec honneur au Panthéon de nos célébrités de l’histoire et de la culture africaines…

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NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - Mon père a dédié ce modeste livre à son ami, El Hadj N’Dorè Fodé Donzo de Diakolidou (Beyla), en souvenir de leur amitié sincère qui, de leur vivant, les avait liés et afin que leurs enfants continuent de consolider ces sentiments. Qui était donc N’Dorè Fodé Donzo? Issu d’une famille modeste du Konya, laborieuse et lettrée en arabe, N’Dorè Fodé Donzo naquit à Diakolidougou (Beyla Guinée) vers 1884. Il s’initia d’abord à la culture arabe avant de fréquenter l’école française en 1894, époque à laquelle l’enseignement était dispensé par les militaires. Après de brillantes études à l’école primaire de Beyla, il fut admis à l’école primaire supérieure de Conakry d’où il sortit comme interprète colonial. Il servit successivement à Siguiri, Kankan et à Faranah (Guinée). C’est dans le cadre de l’exercice de la fonction d’interprète qu’il eut un conflit avec Djiguiba Camara, lui aussi interprète, lors d’un procès. Djiguiba soutenait le mari légitime cocu, frustré arbitrairement, qui était le plaignant; et lui, N’Dorè Fodé Donzo, défendait fermement l’amant pris en flagrant délit d’adultère. Ce fut l’origine d’une discorde qui dura trente ans (1908-1938). Partout N’Dorè Fodé Donzo acquit la confiance de la population. En 1913, il abandonna l’administration pour se livrer au commerce jusqu’en 1945. Trahi par la vieillesse, il abandonna cette activité pour se consacrer à la religion musulmane jusqu’à sa mort, le 18 juin 1948 à Beyla. Je dois remercier très sincèrement feu Docteur El Hadj Sékou Donzo, ancien radiologue à l’Hôpital de Donka (Conakry de 1960 à 1988). Je lui reconnaissant pour ces notes biographiques sur son oncle paternel qu’il affectionnait tant. Le père de Dr. Sékou Donzo était un riche commerçant installé à Ganta (Libéria), il fut élevé par son oncle paternel qui l’envoya à l’école à Beyla et eut la chance de faire la médecine en France. Les enfants de N’Dorè Fodé Donzo entretiennent encore avec nous, les enfants de Djiguiba Camara, d’excellentes relations d’amitié, d’alliance et de mariage, conformément aux vœux de nos deux pères défunts. (2) - N.B.: Dans le souci de satisfaire les souhaits de mon père, ou de combler ses lacunes, j’ai cru nécessaire de rechercher et de trouver des informations riches et appropriées sur cette triste et sinistre période de l’histoire de l’Afrique, car mon père n’a fait qu’effleurer cet important thème. Ainsi, j’ai été amené à retenir beaucoup d’extraits de « Les chaînes de Gorée » de Paul Ohl. Les sous-titres sont de Daouda. Que les générations futures de l’Afrique Noire sachent approximativement ou exactement ce qui s’est effectivement passé lors de la fameuse et abominable traite négrière qui a duré environ quatre siècles (du XVIème aux XIXème siècles) et qui fit plus quarante millions de victimes aux différentes étapes de la chaîne. Peut-on oublier: ● Les Noirs morts pendant la violente et barbare capture, au cours de la chasse aux esclaves? ● Les villages brûlés? ● Les vaillants défenseurs du terroir massacrés pour avoir résisté? ● Les esclaves morts de soif, de faim et de blessures par les chaînes et les chicotes pendant les trajets vers les bateaux négriers? ● Les esclaves morts dans l’enfer de Gorée et d’ailleurs? ● Les esclaves enchainés, empilés comme des sardines et blessés sans soins? ● Les esclaves morts pendant la traversée de l’Atlantique? ● Les esclaves morts et balancés par-dessus bord sans sépulture ni prières religieuses?

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● Et ceux qui sont morts lors des corvées inhumaines et insupportables dans les champs de canne à sucre aux Antilles, au Brésil et ailleurs…? Le livre « LES CHAÎNES DE GORÉE » de Paul Ohl nous a servi de sources où nous avons puisé les informations précises sur cette tragédie inhumaine qu’ont vécue les ESCLAVES NOIRS du XVIème aux XIXème siècles. « Ensuite, l’esclavage. Quoiqu’il ait changé à jamais le continent africain, il fut un mal universel qui a atteint la communauté des hommes. Un mal horrible qui a servi des civilisations en quête de pouvoir et qui a réduit des peuples entiers à l’indignité en les privant de l’essentiel de la vie: LA LIBERTẾ.... Ce qui fut moralement et historiquement insoutenable et indéfendable le demeure aujourd’hui et le demeurera toujours. » « Et cette pensée de Antoine de Saint-Exupéry qui nous accable tous et nous rend responsables de l’héritage que nous lègue le passé si nous ne condamnons pas certains faits ou évènements de ce passé et surtout si nous continuons à pratiquer ces lègues, sciemment ou inconsciemment. En effet: « Chacun (de nous) porte tous les péchés de tous les hommes … » « Nous portons tous ceux des esclavagistes de toutes les époques. » … Ce qui s’est passé dans les captiveriez, les faux-ponts, les sucreries, les plantations, entre le XVIème et le XIXème, se passe encore de nos jours, autrement peut-être, mais se passe encore. Ce qui fut moralement et historiquement insoutenable et indéfendable le demeure aujourd’hui et le demeurera toujours. C’est afin que la tentation de l’oubli ne l’emporte pas sur l’obligation faite à notre mémoire collective que j’ai pris la plume. L’empire des mots finira bien par nous affranchir à notre tour de ce crime abominable dont les conséquences ont à jamais changé notre monde. C’est ainsi qu’il n’y a pas une seule personne de race noire dans les trois Amériques qui ne rêve pas de retrouver un jour la trace de son appartenance tribale et de son village ancestral. Ce serait alors la libération définitive… » Paul OHL (« Les chaînes de Gorée, » Édition Presses de la Cité, p. 12 et 13)

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LA RECONSTITUTION DE LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE PRÉCOLONIALE DU PAYS NATAL DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ, HÉROS EMBLÉMATIQUE MANDINGUE, LE PLUS GRAND RÉSISTANT NOIR DU XIXÈME SIÈCLE À LA COLONISATION DE L’AFRIQUE ----------o---------CHAPITRE I L’AIRE DES MANDINGUES I - INTRODUCTION: GÉNÉRALITÉS Cet ouvrage n’a pas la prétention de présenter une étude qui se veut exhaustive de la société traditionnelle mandingue en République de Guinée qui, à peu de variantes près, est la même qu’ailleurs (Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal, Gambie, Guinée-Bissau, Burkina Faso…). Mais à l’égard de la vaste étendue du domaine géographique concerné et de la pluralité des groupes ethniques constituant le grand peuple Mandingue (Mandenka ou Malinké), cet ouvrage est essentiellement et volontairement axé sur les Malinké de la République de Guinée. Cependant, malgré cette localisation géographique, les interférences des faits démographiques et politiques, et surtout les mutations qu’elle a subies depuis son contact avec la civilisation occidentale, la société mandingue préserve, heureusement encore, une grande partie de certaines de ses spécificités et présente une profonde unité structurelle, culturelle, linguistique (N’Ko kan), artistique, musicale... Ce peuple se caractérise par une très longue tradition guerrière et commerciale. De surcroît, plein de vitalité, il a pu créer des structures sociales stables, des provinces indépendantes, souvent confédérées en un conseil d’état centralisé, bien structuré avec une hiérarchie, des pouvoirs bien étagés, pyramidaux. Aussi, l’exercice pratique et courante du pouvoir et le sens aigu du commandement (mansaya, kandaya, nòò) sont si profondément ancrés dans ses mœurs que toute autorité (nòò, fanga) s’exerce avec des gardes fou incarnés dans ses censeurs du pouvoir ou contre-pouvoir comme les sanankun, les parents maternels, les sèrèden (amis d’enfance et camarades de même âge), les sœurs, les cousines, les tantes maternelles et paternelles... de celui qui détient et exerce le pouvoir. Tous ceux-ci ont une nette influence sur le chef qu’on ne laisse pas régner en tyran, en dictateur. Son attachement profond à l’honneur et à la dignité du Mandingue en fait un homme sensible, prêt à relever tout défi et punir tout outrage à l’endroit de sa personne, de sa famille, de son clan, de son 209


ethnie, de sa patrie et de sa fonction. Ce qui s’exprime à travers les idiomes suivants: « Mandenka ma dinyè mònè ma. » (= Le Mandingue ne supporte pas le déshonneur, le Mandingue n’accepte pas les propos et les actes de déconsidération.) « Dyònmaya kèlè tè banna Manden. » (= Au Mandingue, les propos et les actes de déconsidération, surtout à l’adresse de la famille et les outrages, provoquent toujours une violente réaction individuelle ou collective et sont réprimés conséquemment.) En effet, depuis le Moyen Âge, surtout à partir des XIIème et XIIIème siècles, époque du Grand Empire du Mali avec Soundjata Keita, il fit preuve d’une vitalité exceptionnelle qui justifie tant sa suprématie dans cette partie de l’Afrique et le remarquable phénomène qui engendra sa grande expansion culturelle dans les autres contrées de la sous-région. Ce phénomène expansionniste, au-delà du vieux Mandingue, fut surtout militaire (guerres de conquêtes des empereurs et rois Mandingues de l’Empire du Mali et tout récemment de l’Almamy Samory Touré). L’Antique Mandingue ne fut-elle pas le berceau de puissants et célèbres empires et royaumes et le théâtre d’actions sublimes, téméraires mais aussi dramatiques de plusieurs Héros dont les faits et gestes sont encore chantés et conservés pieusement par la mémoire collective? Pour le lecteur non-africain ou non-mandingue, il ne serait pas superflu de déterminer d’abord l’aire géographique actuelle des Malinké ou Mandenka avant d’appréhender le processus de leurs mouvements migratoires à partir surtout du XIIIème siècle, la mise en place des populations mandenka (malinké) dans les différentes régions, et enfin les structures sociales proprement dites de ce peuple doué et dynamique. Il s’agira pour nous de tenter une étude exhaustive de tous les aspects de la civilisation mandingue. Les Mandenka ou Malinké sont un peuple d’Afrique Occidentale qu’on rencontre de nos jours en Guinée, en Guinée-Bissau (Mandingo), au Mali (Bambara), au Sénégal (Mandingo), en Gambie (Mandingo), au Nord-Ouest et au Centre-Est de la Côte d’Ivoire où ils sont localisés dans les départements de Touba, Séguéla, Odienné, Mankono, Kong, Bouna ainsi que dans toutes les grandes villes de ce pays où ils sont appelés par le vocable « Dioula » (commerçant), en Sierra Leone (Mandingo), au Libéria (Mandingo) et au Burkina Faso (ex-Haute-Volta) où ils sont appelés Dafing ou Dioula comme en Côte d’Ivoire. À l’origine c’est un peuple de savane très intelligent, à l’instinct guerrier et ayant le sens profond du négoce mais qui a fait aussi tache d’huile dans les régions forestières du Sud et de l’Est du Sahara. Très patient et très aventurier, il a su s’épanouir en dehors de son berceau originel et imposer progressivement et habilement sa culture et sa langue aux autochtones des pays où il a émigré, au point d’en faire une langue ou parfois l’unique langue de communication entre les différentes ethnies qui l’ont précédés ici ou là. 210


Le berceau originel des Mandenka (Malinké) est le Mandingue, région à cheval sur la Guinée et le Mali et correspond plus exactement à toute la région comprise entre la région de Siguiri (Guinée) et celle de Bamako (Mali), tout en débordant vers le Nord-Ouest pour englober Siby et Kita et le Bouré. Pour certains traditionalistes, le véritable vieux Mandingue englobe un territoire triangulaire dont les trois sommets sont: Kita (Mali), Kangaba ou Kaaba (Mali) et Nyagassola (Guinée). De nos jours, les Malinké ont largement débordé ce vieux cadre pour prendre la direction des quatre points cardinaux, notamment vers le Sud, le Sud-Ouest, le Sud-Est et l’Est. Mais, en dépit de leurs diversités, ils ont gardé, au terme de ces migrations, leurs spécificités originelles et présentent une identité linguistique et culturelle qui permet de dégager une civilisation mandingue unique.

Situation géographique de la République de Guinée en Afrique de l’Ouest.

Pour Gérard Galtier (1), « ... Ce qu’on peut appeler le Mandingue est un ensemble de parlers très voisins, entre lesquels la communication est très facile. On peut les diviser en quatre groupes: le Mandingue de l’Ouest, de Kita (Mali) à l’Atlantique, utilisé notamment par les Mandinka (littéralement homme du Manden) et les Khassonka (du Khasso); le second groupe comprend le Maninka de Guinée et du Ouassoulou guinéo-malien; le troisième groupe: le Bambara du Mali; et enfin, le groupe Dioula, comprenant les parlers de Burkina Faso, de Côte d’Ivoire et de la région malienne de Sikasso. » Le Mandingue s’est donc imposé dans ces régions d’Afrique Occidentale comme langue de communication et de culture. Il est facile à apprendre du fait de la richesse de son vocabulaire et de sa capacité de création de nouveaux mots. 211


En raison de ces avantages incontestables, les Français avaient préféré sa forme Bambara comme langue de communication entre les tirailleurs des différents territoires d’Afrique Occidentale. L’assimilation culturelle et linguistique opérée par les Mandingues est si forte dans les régions forestières que la quasi-totalité des autochtones de ces contrées parle le Manden-kan ou la langue mandingue et tend à s’identifier à ce peuple de la savane. On notera par exemple que des Peul du Ouassoulou, qui sont pasteurs et agriculteurs et qui peuplent la région frontalière entre le Mali, la Guinée et la Côte d’Ivoire, ne parlent plus la langue peul, mais exclusivement le Malinké. Les Mandingues se sont infiltrés dans les régions forestières du Sud par le négoce (dyulaya). Les objets de ce commerce (dyulaya-fèn) étaient essentiellement le fer, l’or, les animaux domestiques, les habits... qu’ils venaient troquer ou vendre, selon la formule commerciale du moment considéré, contre la cola et l’huile de palme qui sont des produits forestiers. Le commerce (dyulaya) se faisait par colportage, à pieds ou à dos d’ânes, en direction de quelques grands marchés du Sud ou du Nord. Et les forestiers finirent par désigner ces hommes de la savane sous le vocable Dyula (Dioula) en raison de cette activité d’échanges entre eux. Plutôt que d’apprendre les dialectes des autochtones, les Malinké ont réussi à leur imposer leur langue; et ceux-ci l’utilisent pour communiquer entre eux, peuples forestiers de langues différentes, et avec les Malinké (Dyula). Convertis en grande partie à l’Islam, les Mandingues se sont largement servis de leur langue pour répandre la foi musulmane parmi les peuples forestiers essentiellement animistes.

L’aire des Mandingues en Afrique Occidentale étudiés dans ce livre.

Il existe à l’intérieur du peuplement mandingue plusieurs grands groupes bien déterminés et plusieurs sous-groupes ethniques. La différence entre les

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différents groupes se situe essentiellement au niveau de l’accent, les mots étant pratiquement les mêmes. En Côte d’Ivoire, le peuplement Manden (Yacouba, Dan, Toura, Wobè...) occupe la région ouest et nord-ouest; ce qui correspond sensiblement aux Départements de Man, Biankouma, Touba, les Manden du Sud (Yacouba, Gouro et Gagou) habitent les départements de Bouaflé et d’Oumé. Ils ont été expulsés dans les régions actuelles qu’ils occupent par les Mandingues migrateurs, au XVIème siècle. Ces Mandingues ont pratiquement tout perdu de la civilisation mandingue proprement parlée, et même la langue. Mais la branche malinké désignée généralement sous le nom Dyula (Dioula ou commerçant) se subdivise de nos jours en différents sous-groupes voire en groupuscules: - Les Koyaka et les Worodouka peuplent les départements de Séguela et de Mankono. - Les Maouka peuplent le département de Touba. - Les Malinké peuplent le département de Odienné. - Les Dioula se rencontrent à Boundiali, Kong, Bouna... D’une manière générale, tous les Malinké sont appelés Dioula à cause de leur activité principale qui est le commerce. D’une manière générale tous ceux qui disent N’Ko sont désignés par le vocable Dioula en Côte d’Ivoire. Au Burkina Faso (ex-Haute-Volta) on les appelle Dafing, Bobo-Dioula, Samo (assimilés). Il est important de signaler la similitude troublante entre les parlers Dafing du Burkina Faso, le Konyanké ou Konya-kan qu’on parle au Sud-Est de la Guinée (région de Beyla, Macenta, Kérouané...), le Maou-kan et le Koya-kan qui sont parlés respectivement à Touba et à Séguéla-Mankono (Côte d’Ivoire). Le Buguni-kan du Mali présente les mêmes liens de parenté très proches sinon identiques. Il faut appartenir à l’un de ces parlers qui sont si proches pour pouvoir sentir ou faire la différence. Les autres groupes ethniques et sous dialectes non-malinké n’arrivent pas à les dissocier. Les linguistes pourraient peut-être s’intéresser un jour à l’origine de ces dialectes et expliquer cette similitude. Et pourtant les régions où on les parle sont si éloignées les unes des autres, et parfois se situent dans des pays différents qui n’ont pas souvent de frontières communes. Au Sénégal et en Gambie ainsi qu’en Guinée-Bissau on les appelle Mandingue ou Mandingo ou encore Mandiango. Au Libéria ou en Sierra Leone on les appelle Mandingo (Malinké). Quant aux Diakanké, une branche religieuse et commerçante des Mandenka, ils sont concentrés surtout à Touba (Gaoual, République de Guinée) et sont originaires de Dya (Mali). Ils sont très actifs dans les affaires et très aventuriers. On les rencontre partout dans le monde et font preuve d’une grande solidarité entre eux. On dit qu’ils ont le secret de la réussite dans les affaires ou le secret de l’argent. Cependant la tradition orale explique cette réussite matérielle des Diakanké par le fait que leur ancêtre a béni pour la réussite 213


matérielle la progéniture d’une de ses épouses dont la fidélité et le respect scrupuleux de son mari l’avaient poussée à passer la nuit dehors, dans la clôture, auprès de l’eau chaude qu’elle avait offerte à celui-ci depuis la veille. Mais son époux, certes très fatigué, qui avait oublié d’aller se laver, fut surpris de constater que cette épouse, par fidélité et respect, avait veillé toute la nuit sur son eau de toilette. Il faut certes ajouter à cette légende l’intelligence et le sens aigu des Diakanké dans les affaires et leur sens très poussé de la solidarité. Dans leur milieu toutes les personnes contribuent dans la mesure des moyens possibles à la popote, à l’entretien matériel de la grande famille unie. On n’évolue pas en solitaire. Tout Diakanké est pris au départ en charge par les autres jusqu’à ce qu’au moment où cet individu soit initié aux affaires et jusqu’au moment où l’individu puisse contribuer à son tour au bien-être collectif. Il reçoit son premier capital et est encadré dans le négoce jusqu’à son plein épanouissement. Sans être superstitieux, il faut signaler aussi que les Diakanké réussissent merveilleusement bien dans la pratique du maraboutage, surtout en Europe et en Amérique d’où provient l’essentiel de leur fortune colossale comme le témoignent leurs grandioses réalisations immobilières dans les grandes villes et même dans leurs moindres villages. En Guinée, les Mandingues peuplent la Haute Guinée et la Guinée Forestière, ainsi que les régions périphériques du Fouta Djallon correspondant aux régions administratives de Dabola, Bissikrima, Dinguiraye... Dans ces régions les populations sont bilingues: Malinké et Peul ou Toucouleur. Il faut noter que le Malinké est l’une des plus belles langues musicales d’Afrique et a servi comme langue de propagation de l’Islam en Afrique Occidentale, notamment dans les régions forestières. Il constitue indéniablement un facteur d’unité. Une volonté politique commune pourrait retenir le Malinké comme langue nationale dans les états qui l’utilisent déjà comme langue de communication au niveau d’une large majorité de leurs populations. C’est l’occasion de suggérer l’adoption de l’écriture N’Ko, créée par Solomana Kanté de Soumankoye (Kankan, Guinée), le savant et linguiste mandingue, comme instrument d’unité et de communication dans les différents pays. Cette écriture est adoptée et enseignée dans plusieurs universités américaines et russes en raison de son caractère scientifique. Aussi des centres d’études du N’Ko existent dans certains pays d’Afrique Occidentale. Aussi, le SAINT CORAN est aujourd’hui traduit et enseigné dans le N’Ko. Une académie est créée en Guinée et domiciliée à Conakry pour améliorer le N’Ko, l’informatiser et vulgariser d’avantage cette écriture.

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II - LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE La République de Guinée est située dans l’hémisphère nord, plus précisément en Afrique Occidentale. Elle est limitée à l’Ouest par l’Océan Atlantique, à l’Est par la Côte d’Ivoire, au Sud par le Libéria et la Sierra Leone, au Nord par le Sénégal, la Guinée-Bissau et le Mali.

La République de Guinée en Afrique de l’Ouest.

RÉGIONS NATURELLES DE LA GUINÉE La République de Guinée comprend quatre régions naturelles bien distinctes. 1°) - LA BASSE GUINÉE ou GUINÉE MARITIME: C’est une région côtière et marécageuse peuplée de Soussou qui ont pratiquement assimilé ou phagocyté les Baga, les Nalou, les Landouma. Les Malinké qui ont émigrés dans cette région sont de nos jours Soussou mais ont conservé leurs noms d’origine mandingues (Camara, Keita ou Soumah, Fofana, Kourouma = Doumbia = Bangoura, Traoré, Touré...). 2°) - LA MOYENNE GUINÉE ou LE FOUTA DJALLON: C’est une région montagneuse peuplée de Peul et de Toucouleur. Les Malinké qui se trouvent dans cette région sont les victimes des échanges commerciaux (personnes contre bœufs) ou de la pratique de l’esclavage. Ils ont presque perdu tout de leur culture Mandingue au profit du Pular. Cependant certains ont pu 215


conserver leurs noms de familles mandingues (Kouyaté, Keita, Camara, Fofana, Doumbia...). 3°) - LA HAUTE GUINÉE: est une région de hauts plateaux peuplée par les Mandingues ou Malinké. 4°) - LA GUINÉE FORESTIÈRE: Cette région est le domaine des Toma, des Kissi, des Guèrzé, des Mano, des Kònò et des Malinké (Konyanké) immigrés et notamment les Kouranko qui sont des Mandingues peuplant en partie les régions de Kissidougou de Guéckédougou, Kérouané, Faranah, Dabola, Kankan. Ce dialecte est une très belle langue musicale dominée par la flute. LOCALISATION DES PRINCIPAUX GROUPEMENTS MANDINGUES EN GUINÉE

Mouvements migratoires des populations du Mali vers la Haute Guinée et la Haute Côte d’Ivoire.

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L’aire des Malinké en Guinée.

1°) - EN HAUTE GUINÉE: La Haute Guinée ou Mandingue englobe les régions administratives de Siguiri, Kankan, Mandiana, Kouroussa, Faranah, Dabola, Kérouané et Dinguiraye. Elle est limitée au Nord par la République du Mali, au Sud par la Guinée Forestière, à l’Est par la Côte d’Ivoire, et à l’Ouest par le Fouta Djallon ou Moyenne Guinée. Elle présente une unité géographique caractérisée par un ensemble monotone de plateaux dont l’altitude varie entre 400 mètres et 420 mètres. Son deuxième caractère unitaire est sa langue, sa culture et son peuplement qui est exclusivement Mandingue. Ces plateaux sont baignés par quelques grands fleuves: le Niger, le Tinkisso, le Niandan, le Dion... Le déboisement systématique des bassins supérieurs de ces fleuves accentue dangereusement l’irrégularité du régime tropical des cours d’eau à telle enseigne que toute la Haute Guinée est menacée de désertification. En 1977, ce phénomène de sécheresse y a été durement ressenti. C’est donc de très mauvais augures pour cette région considérée jadis comme le grenier de la Guinée. La végétation est moyennement abondante et subit régulièrement une dégradation systématique du fait de l’action destructrice de l’homme (déboisement, feu de brousse, culture extensive sur brûlis). Toutefois, il existe par endroit des zones de forêt claire et de forêt galerie le long des cours d’eau. Le climat est du type soudanien caractérisé par une longue saison sèche de sept à huit mois (d’octobre à mai) avec le harmattan desséchant, et par une saison pluvieuse plus courte qui s’étend de juin à septembre. La pluviométrie 217


reste moyenne et ne dépasse guère 1.500 m. La chaleur est torride entre mars et avril, et la température varie de 18° à 40° entre janvier et mai. Le développement des cultures extensives sur brûlis et la pratique persistante des feux de brousse détruisent systématiquement la flore qui régénère difficilement. Par ailleurs, la faune a pratiquement disparu. Toutes les espèces animales, à l’exception des rongeurs (agouti surtout), sont décimées par une multitude de chasseurs professionnels (donzo ou sèrèwa) et amateurs, tout aussi nombreux, qui ne respectent jamais les périodes de fermeture de la chasse. En effet, le fusil fait partie de la richesse des Malinké. Posséder un fusil de chasse moderne est une grande fierté et un luxe dont se vante chaque chef de famille ou de clan. Le peuplement de la région est très homogène. Les Mandingues atteignent et couvrent aussi la partie sud-ouest du Mali. Mais c’est du Mandingue Guinéen (Haute Guinée) qu’ils ont envahi progressivement, depuis le XVème siècle et par le commerce de colas, les régions forestières du Sud (Macenta, N’Zérékoré, Kissidougou, Guéckédou, Libéria, Sierra Leone). Ce phénomène migratoire a débuté après la désintégration de l’Empire du Mali (XIIème-XVIIème siècles). Mais c’est à partir surtout des XVIIIème et XIXème siècles, par la pratique du commerce de cola qu’ils se sont subtilement introduits. Toutefois, il faut noter que la région de Beyla a été rattachée à tort à la région forestière. En effet, sur le plan de la végétation, de la langue, du peuplement, de la culture, de la musique, de l’art et des traditions, elle a plus d’affinités avec la Haute Guinée. Peut-être que ce rattachement répond beaucoup plus à des impératifs administratifs et politiques. La langue (le N’Ko), la culture, l’art, la musique et l’histoire sont les traits fondamentaux de l’unité de la Haute Guinée. La différence se situe seulement au niveau de l’accent. Chaque région a une intonation particulière et personnelle, mais les mots et les phrases restent exactement les mêmes. C’est ainsi qu’on a par exemple les sous-dialectes principaux suivants, avec des dérivés pour chacun d’eux: Mandenka-kan: Parlé dans la région de Siguiri, Manden-kanba: Pour la région de Kouroussa, Manden-kan: Pour les régions de Dabola, Bissikrima, Dinguiraye, Sankaran-kan: Pour le Sankaran, région à cheval sur les régions de Kouroussa, Dabola et de Faranah, Lélé-kan parlé dans la région de Kissidougou, Kuranko-kan se parle dans les régions de Kérouané, Kissidougou, Faranah, Kankan. C’est une langue très musicale avec un folklore très riche, Mandenka-mori-kan (Maninka-mori-kan): Pour la région de Kankan (Batè), Toronka-kan: pour les provinces du Toron, (Komodou, Bissandougou, Fabala...) et qui peut englober aussi les provinces de Sabadou (Barama...),

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Le Wasulun-kan: Parlé dans le Ouassoulou qui est une vaste région qui appartient à la fois à la Guinée, et à la Côte d’Ivoire et au Mali. Bien qu’essentiellement d’origine peul, les Ouassoulouka ont tronqué le peul contre le malinké. Ils ne parlent donc plus le peul, leur langue originelle, Konyaka-kan ou Konya-kan est parlé dans les régions de Beyla, Kérouané N’Zérékoré, Lola, Yomoun, Macenta et au Libéria. Ces dialectes se comprennent mutuellement et se subdivisent en sous dialectes secondaires parfaitement intégrés au Mandingue fondamental. Ces différentes dérivées utilisent les mêmes mots pour désigner les mêmes choses. La différence ou la nuance ne se situe seulement qu’au niveau de l’accent. Chaque région ayant sa tonalité spécifique. Mais on se comprend. Par exemple: Le Konyaka-kan ou Konyanké se subdivise entre autre: En Simandu-kan (qui a ses dérivées), En Konyaka-kan pur qui se parle dans les cinq villages du Konya (Moussadou, Beyla, Diakolidou, Nyala et Doukouréla), En Boussé-kan, En Konokoro-kan, En Gbeï-kan. Cette liste n’est pas limitative. Chaque région a ses sous dialectes tous dérivés du Mandingue ou malinké. C’est tout simplement le TON ou l’ACCENT qui varie légèrement. Les mots et les noms restent pratiquement identiques. Cette liste de la Haute Guinée et de la Guinée Forestière n’est pas limitative. En effet, le recensement des différents dialectes et sous-dialectes ainsi que leurs dérivées peut faire l’objet d’une étude approfondie que nous réservons aux linguistes. Notons seulement que tous ces dialectes dérivent du Mandingue fondé sur le N’Ko qui signifie « Je dis… ». En effet dans les assemblées publiques, le doyen qui préside la réunion ou le héraut dit toujours, en guise de préambule, « Fènfèn ni i ko N’Ko, a ye se a bèè ma... » ce qui se traduit par: « Je m’adresse à tous ceux qui disent N’Ko », en d’autres termes par: « Je m’adresse à tous les Mandingues ou Malinké. » Cette formule directe permet d’éviter une longue et fastidieuse énumération des différents clans mandingues, bambara ou dioula présents à une cérémonie. Les cultures vivrières de la Haute Guinée sont: le riz, le fonio, le manioc, l’igname, le maïs... Les Malinké conservent encore les pratiques culturales ancestrales qui sont archaïques. L’introduction de la culture attelée ou motorisée reste encore très limitée à quelques privilèges, car le revenu annuel du paysan guinéen est encore très bas. Or le paysannat représente plus de 85% de la population active. La généralisation ou la vulgarisation des méthodes modernes de culture, qui aurait dû permettre l’accroissement de la productivité, se heurte malheureusement à cette limitation du pouvoir d’achat des paysans et à la carence de man d’œuvre agricole due à l’exode massif des jeunes vers les centres urbains, les zones minières où on exploite l’or et le diamant, et dans les 219


pays voisins (Côte d’Ivoire, Libéria, Sierra Leone). La production suffit à peine à satisfaire l’autosuffisance alimentaire locale, malgré la grande vocation agropastorale de la région. Le réseau de communication est très faible et très souvent défectueux. Kankan, jadis grande métropole commerciale et religieuse des Malinké (Mandenka), avait perdu de son importance, surtout pendant les vingt-six premières années de l’indépendance guinéenne (1958-1984). Grand carrefour commercial entre les régions de la savane, de la Forêt, le Fouta, Kankan est respectivement relié, par routes carrossables praticables en toutes saisons, à: - Siguiri et à Bamako - Beyla et à Odiénne (Côte d’Ivoire) - Beyla-N’Zérékoré et à Monrovia (Libéria) - Beyla-N’Zérékoré et à Abidjan (Côte d’Ivoire) - Kissidougou et à la Sierra Leone - Macenta et au Libéria - Kankan-Bougouni (Mali) - Kankan-Côte d’Ivoire par Minyan (Région d’Odienné). - Kouroussa-Dabola-Mamou-Kindia et Conakry par la route de jadis par le chemin de fer long de 663 km dont le trafic était réduit de 90%, de 1958 à 1984. En 1999 la voie ferrée était complètement impraticable, donc fermée. Il est déplorable de signaler que, pour quelques dollars ou euros, des apatrides, des fossoyeurs de l’économie se sont impunément mis à démanteler en 2005, élément après élément, en plein jour, au su et vu des autorités administratives et gouvernementales, les 663 km de rails (précisément 1.326 km linéaires de barre de fer) et de leurs traverses de ce patrimoine national dont la construction à la main a coûté la vie à des milliers de guinéens. On ne cessera jamais de dénoncer et de condamner ce sabotage économique. Malheureusement, jusqu’en 2014 ces fossoyeurs connus de l’économie n’étaient ni dénoncés, ni punis, ni même inquiétés. Et pourtant ils doivent répondre de leurs crimes devant les tribunaux et devant l’histoire. Cette voie ferrée sera-t-elle réhabilitée un jour pour désenclaver la Haute Guinée? En tout cas c’est bien ce qu’espèrent toutes les populations enclavées de la Haute Guinée, du Fouta et de la Basse Guinée qui bénéficiaient jadis des avantages de cette importante voie de communication. Le projet de chemin de fer dénommé « Le Trans-Guinéen » devant évacuer les minerais de fer des monts Nimba et Simandou n’est-il pas une ultime ou unique opportunité pour réhabiliter ce patrimoine national? Cette voie, réhabilitée, modernisée, améliorée, prolongée avec des branches dérivées ici et là pourra servir au transport des voyageurs et des marchandises après l’exploitation des différentes mines. Ce sera un acquit, un patrimoine national. Le Milo était jadis navigable de juillet à août, entre Kankan et Bamako. Quant au Niger, on peut le remonter sur un bief de 300 kilomètres jusqu’à Kouroussa, pendant les hautes eaux. Mais l’ensablement systématique du lit du fleuve rend actuellement impossible cette pratique. 220


La Haute Guinée est islamisée à 98% de sa population. Cette population se regroupe dans de gros villages appelés indifféremment Kafo, Dugu, So selon les régions. La faible densité de la population de la Haute Guinée est la conséquence des nombreuses guerres tribales dont celles menées par les Empereurs du Mali et plus précisément par l’Almamy Samory Touré, le siècle dernier, qui ont ébranlé et dépeuplé le pays pendant des siècles. Les Malinké ont une longue tradition guerrière. Ce dépeuplement a été également accentué par la conquête coloniale et par la pratique des travaux forcés instaurée par l’administration coloniale. À cela s’ajoute le grand nombre de tirailleurs mobilisés et tombés sur les champs de batailles pendant les deux guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945 ainsi que celles d’Indochine et d’Algérie. LISTE DE QUELQUES PROVINCES MALINKÉ OU CANTONS EN GUINÉE I - EN HAUTE GUINÉE 1) - DANS LE CERCLE DE BEYLA (tantôt rattaché à Kankan, tantôt rattaché à la Forêt) CANTONS

CHEF-LIEU

DERNIERS CHEFS DE CANTON EN 1957

Simandou

Damaro

Diontan Djiguiba Camara (l’auteur du présent ouvrage)

Mahana Gbâna ou Gouana Karagba (Karagoua)

Mahana Gbakédou Founbadou puis Gbéasso Lieutenant Mory Komara*

Gbeï ou Goye Béla-Faranah

Gbeïsoba Soribadou

Guirila

Sidikidou

Konya Sanankoro ou Télikoro

Diakolidou-Beyla Kérouané

Kouninko ou Konyanko Worodou Kossa-Guèrzé

Sibiribaro ou Lôfèro Sokourala Boola

Kèdian Koné, expulsé en Côte d’Ivoire (Odienné Sirana) suite à la révolte générale de ses sujets en 1955. Il y mourut sans jamais revenir à Soribadou (Beyla-Faranah) Guirila Sidiki Camara puis N’Vakaramo Camara dont certains descendants sont à Adjamé-Abidjan (l’ex-député feu Lamadi Camara) Moribakèn Kourouma Koya Amara Camara puis Tamasia Mamadi Camara et Boh Camara Sagba Camara

* Après la mort du chef de canton, la chefferie traditionnelle échut au Lieutenant Mory Komara dit Gbéasso Mory qui transféra la capitale du Karagba de Foumbadou à Gbéasso.

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2) - DANS LE CERCLE DE KOUROUSSA CANTONS Hamana (Province des Keita) Sankaran (Province des Condé) Oulada (Province des Sano) Baléya (Province des Camara) Bassando (Province des Traoré) Balato Gbèrèdou

CHEF-LIEU Koumana

DERNIERS CHEFS DE CANTON Tountoun Karifa Keita

Kanséra

Balokada Sory Condé

Lorombo

Lieutenant Kaba Sano

Sanguiana

Boukary Camara

Doura

Fodé Traoré

3) - LISTES DES DERNIERS CHEFS DE CANTONS ET DES PROVINCES DE SIGUIRI Nº

CANTONS

1

Nouga

2 3

Bouré Mègnè ou ancien canton de Gboro (Naboun + Baraca ou Siguirini) Sèkè puis Doko

4

5 6 7

Dioma ou Kiniébakoura Kolonkalan ou Nounkounkan Kèndè Manden

CHEF-LIEU DE CANTONS OU DE SOUS-PRÉFECTURES ACTUELLES Commune actuelle de Siguiri + Bankan Kintinian Maléah

NOMS DES DERNIERS CHEFS DE CANTONS

Sèkè

Doko Sako Keita très influent chef. Puis Mamadi Magassouba qui fit transférer le chef-lieu du canton à Kolita Manténin Moudou Keita Nassou Moudou Magassouba Naba Bomory Keita

Norassoba Nyagassola

Fadjimba Magassouba Nadouba Karifa Camara Fakourou Camara

2°) - EN GUINÉE FORESTIÈRE On note l’existence des dérivées qui s’intègrent parfaitement bien dans la langue mère (le N’Ko). C’est ainsi qu’on a: Le Konyaka-kan: Pour les actuelles régions administratives de Beyla, Kérouané, Macenta, N’Zérékoré, Lola et Yomou ainsi que pour le Libéria. Le Toma-Manya-kan: Pour les Malinké assimilés aux Toma de Macenta. Ce dialecte, avec son intonation chantante particulière, se subdivise en sousgroupes dont les principaux sont: Le Boussé-kan, le Konokoro-kan, le Kouadou-kan, le Kolibirama-kan... 222


Le Kuranko-kan: Ce dialecte, très musical, est parlé dans les régions administratives de Kankan, Kissidougou, Faranah et Kérouané... Tous ces dialectes se comprennent mutuellement et se subdivisent chacun en sous dialectes secondaires intégrés au malinké fondamental. Par exemple le Konyanka-kan ou Konyanké se subdivise en: Le Simandu-kan qui a ses sous-dérivées, Le Konyakan ou Konyaka-kan pur qui se parle dans les cinq villages du Konya (Moussadou, Nyala, Doukouréla, Beyla et Diakolidou), Le Boussé-kan, Le Konokoro-kan, Le Gbeï-kan... Il faut noter la complexité linguistique de la Guinée Forestière, autre domaine des Mandenka. En effet, les Malinké se rencontrent également en nombre considérable, hors de la Haute Guinée, leur domaine à proprement parler. Ils se sont infiltrés pacifiquement dans la région forestière, par le négoce, ou par la force en expulsant par endroit, au cœur de la forêt peu hospitalière, les autochtones tomas, guèrzés, kònòs, kissis... qui habitaient jadis la lisière de la forêt, c’est-à-dire la pré-savane. Les Malinké ont la prétention d’être un peuple guerrier, conquérant et commerçant. Les régions sud, sud-ouest et sud-est de la Guinée correspondent à l’arrière-pays de la Sierra Leone et du Libéria. Son relief est caractérisé par les hauts plateaux étagés dont l’altitude varie entre 500 et 1.000 mètres, et qui sont dominés par les collines et les chaînes de montagnes dont les plus importantes sont: 1°) - Les monts Lélé et Kònòsso (1.346 mètres d’altitude) qui sont les prolongements, dans les régions de Guéckédougou et de Kissidougou, du massif sierra-léonais; les monts Loma (1.948 mètres) est le point culminant de l’Afrique Occidentale. Le relief de ces régions est également dominé par de nombreux hauts mamelons. 2°) - Le mont Ziama atteint 1.387 mètres dans la région de Macenta. 3°) - Le mont Simandou (Gbeïn): Il commence à la pointe sud de la région de Kankan, traverse Lènko, Kérouané pour culminer à 1.504 mètres au pic de Tibet (Tubin) dans le canton de Simandou qui porte son nom et décline progressivement jusqu’à Nionsomoridou (à 25 km de Beyla) où il cède ses hauteurs aux plaines et plateaux intérieurs qui s’étalent jusqu’à Boola. Il se relève finalement dans la région de Boola par la chaîne de Fon (1.656 mètres d’altitude) pour finir dans la région forestière, non loin de Gouécké ou Gkèkè (N’Zérékoré). C’est une longue chaîne de plus de 112 km, qui renferme une importante quantité de minerai de fer à haute teneur (plus de 70%) dont l’exploitation pourrait durer 300 à 400 ans, voire plus. 4°) - Au Sud-Est à la frontière de la Guinée, du Libéria et de la Côte d’Ivoire, dans le sens nord-est et sud-ouest, le mont Nimba qui culmine à 1.752 223


mètres renferme d’importants gisement de fer et une faune abondante et particulière avec des grenouilles mammifères dont l’espèce rare ne se rencontre nulle part ailleurs et ne peut reproduire nulle part, en dehors de sa cadre naturel d’origine. La Guinée Forestière a un climat de type équatorial. Les précipitations sont abondantes et s’étalent sur neuf mois (2.700 mm à Macenta) de mars à novembre. Le harmattan, qui dure de décembre à février, s’y fait moins sentir à cause de la fréquence des brouillards, des hautes montagnes et de la forêt. Le climat exceptionnellement favorable de la Guinée Forestière en fait une région fertile propice à l’agriculture (riz, manioc, cola, café, banane, patate, taro…). Les Malinké immigrants ont envahi les régions de Beyla d’où ils ont refoulé, dans la forêt du Sud, les Guèrzé et les Toma depuis les XVème et XVIème siècles. Cette migration, tantôt pacifique, tantôt militaire, a atteint les régions tomas de Macenta et Guèrzé de N’Zérékoré. Ces forestiers étaient jadis les premiers habitants de l’actuelle région de Beyla. Les Malinké émigrés en forêt sont essentiellement les Konyanké, réputés par leurs activités commerciales (cola, tabac...). Ils se sont d’abord installés dans les grands centres commerciaux ou dans les marchés hebdomadaires importants. Plus tard, avec la colonisation, ils ont occupé les centres administratifs créés au lendemain de la conquête militaire ou crées pour permettre l’efficacité de l’administration coloniale. « ... Autour de Macenta, ils ont donné naissance à une population de langue toma, issue d’union entre immigrants malinké et femmes toma, les Toma-Manya. » (2) La population de la Guinée Forestière est très hétéroclite. Les Toma sont à cheval sur les frontières libéro-guinéennes. En Guinée ils sont concentrés dans les régions administratives de Macenta (surtout) et de Guéckédougou. Les Kissi occupent les régions administratives actuelles de Kissidougou et de Guéckédougou et se rencontrent également au Libéria et en Sierra Leone. Les Guèrzé sont également à cheval sur les frontières libéro-ivoiroguinéennes. En Guinée, leur espace vital se limite aux régions de N’Zérékoré de Lola et de Yomou. On trouve également à N’Zérékoré, du côté de Lola, une minorité de peuplement appelée Mano et Kònò dont certains se retrouvent aussi en Côte d’Ivoire. Les populations de la Guinée Forestière sont animistes, pour la majorité, malgré l’introduction de l’Islam par les Malinké et le Christianisme par les missionnaires français, à la faveur de la colonisation. Les richesses du sous-sol de la région sont immenses. L’exploitation des potentialités minières (fer du Mont Nimba et du Mont Simandou, l’or, le diamant...) et énergétiques en fera une région industrielle très prospère. Mais cette éventualité d’expansion économique reste étroitement liée au développement indispensable des voies de communication qui sont encore très 224


insuffisantes et très défectueuses pour celles qui existaient de 1958 à 1984. Les routes, pendant cette période, étaient impraticables en saison pluvieuses, cette situation rendait difficile voire impossible le drainage des produits d’exportation (café, palmiste, cola... et les vivriers) vers Conakry ou vers les pays voisins. Depuis 1980, un important programme d’aménagement routier à travers la région forestière a été mis en exécution. Au terme de ces travaux, la région sera désenclavée.

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DOCUMENT DE LECTURE I: LES MALINKÉ « Composés des Malinké, Bambara et Diaghanké, à la fois guerriers et commerçants, ils dominèrent la région pendant des siècles. Le berceau du peuple mandingue est une région qui se trouve placée à cheval sur les bassins du Sénégal et du Niger. Sur la rive gauche de ce dernier fleuve, entre Bamako et Siguiri, elle s’étend vers l’Ouest, où elle est arrogée par le Baoulé, le Bakoy et leurs affluents. Les auteurs arabes désignent les Mandingues dès le Moyen Âge sus le nom de Wangara. Au XVè siècle l’historien soudanais Mahmoud Kâti dans son Tarikh-el-Fattâch écrit: « Si vous demandez quelle différence il y a entre Malinké et Wangara, sachez que les Wangara et les Malinké sont de même origine, mais que Malinké s’emploie pour désigner les guerriers, tandis que Wangara sert à désigner les négociants qui font le colportage de pays en pays. » Ainsi dès l’origine les Mandingues nous apparaissent comme un peuple guerrier et commerçant. Très actifs dans le métier des armes et du négoce, les Mandingues furent également bâtisseurs de royaumes et d’émirats. Des siècles durant le « Pax Malina » ou « Mandinga » profita à l’ensemble de l’Ouest Africain. Le peuple mandingue est constitué de plusieurs fractions dont les domaines géographiques respectifs ne sont point parfaitement délimités et chevauchent çà et là les uns sur les autres, et dont chacune possède une catégorie de dialectes plutôt qu’un dialecte qui lui est propre. Elles ont eu dans le passé des caractères distincts. En laissant de côté les groupements qui sont Mandingue par le langage, mais ne paraisse point l’être par le sang, on constate dans le peuple mandingue la présence de trois grandes fractions: celle des Malinké ou Mandingue proprement dits, celle des Bambara et celle des Diaghanké. Chacune de ces fractions joue un rôle dans l’édification de ce que le Capitaine Quinquandon a appelé la puissance mandingue. Les Malinké (hommes du Mali), plus proches de la grande forêt, sont demeurés très longtemps des chercheurs d’or et surtout des chasseurs, habitués à des déplacements fréquents et facilement entraînés à se convertir en guerriers et conquérants. Il est vraisemblable que les princes et la cour de Mali ont embrassé l’Islam dès le XIè siècle au moment où le mouvement almoravide eut un si grand retentissement dans le Soudan Occidental, mais il est à peu près certain que cette conversion, due surtout à des causes politiques, n’a point gagné les masses populaires, à une époque beaucoup plus récente et seulement dans certaines régions. La véritable aventure des Malinké commence au XIIIè siècle, avec Soundjata, personnage mi-historique et mi-légendaire. Les exploits du fondateur de l’empire du Mali, relèvent plus de la légende que de l’histoire. Soundjata est à la fois le Clovis et le Charlemagne des Mandingue. C’est lui qui ira sauver le Mali du chaos en lui donnant une organisation politique, sociale et conomique. S’est-il converti à l’Islam? C’est douteux. Soundjata « tile» c’est-àdire le siècle de Soundjata en Malinké, fut une période d’incubation.

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Parmi ses successeurs, un nom retient l’attention des historiens: celui du célèbre Kankou Moussa (1312-1337). C’est sans doute le souverain le plus prestigieux du Mali. Son pèlerinage à la Mecque 1324 s’est déroulé dans un tel déploiement de richesses et de fastes que depuis cette époque le Mali à été projeté sur la scène internationale. Son nom est mentionné dans « Gargantua » de Rabelais. Les cartographes de Charles V représentent sur une carte le pays du Mali et son Mansa (son empereur). Les annales d’Orient commentent abondamment le passage de Kankou Moussa au Caire où sa largesse est restée légendaire. Quelques années plus tard, c’est-à-dire en 1351, quand le grand voyageur arabe Ibn Battûta arriva au Mali, il fut vivement impressionné par le bon ordre qui régnait dans le pays. Il admira le sens de la justice chez les Maliens, leur propreté et la liberté dont jouissaient les femmes. Mais à partir des premières années du XVè siècle, la puissance des Mansa commença à décliner. « Leurs exactions et celles des gouverneurs de provinces furent telles, prétend l’auteur du Tarikh-es-Sudan, qu’un matin Dieu envoya contre eux sa milice angélique sous la forme de jeunes gens qui firent irruption dans la salle d’audience du palais impérial, tuèrent de leurs glaives presque tous les gens qui étaient là. » En réalité ces anges exterminateurs s’appelaient les Mossi, les Touaregs, et surtout Sonni Ali Ber, et Askia Mohamed, c’est-à-dire les Songhay. Mais du côté de l’Ouest, l’empire du Mali continua à résister comme en témoigne le Vénitien Cadamoste qui visita en 1455 le Cap et la Gambie. Il nous apprend que de son temps, que les Malinké de la Gambie étaient encore sujets de l’empereur du Mali. C’est également à cette époque que se placent les premières relations de l’empire avec le Portugal. L’amitié des Portugais ne fut pas d’un grand secours au Mali dont le démembrement allait être accéléré par les conquêtes du premier Askia de Gao et ses successeurs à partir de 1498. Léon l’Africain qui visita la Capitale du Mali au début du XVIè siècle, dit que la ville de son temps comptait 18 à 20.000 personnes (6.000 familles). La ville restait encore très active sur le plan commercial et artistique. La prise de Gao en 1591 par une expédition militaire venue du Maroc, bien qu’ayant détruit la puissance Songhaye, ne fournit pas au Mali l’occasion de se relever. Mais l’état d’anarchie qui suivit la conquête marocaine permit aux Bambaras de fonder deux États indépendants, l’un à Ségou, l’autre dans le Kaarta, qui firent tomber sous leur domination toute la région septentrionale enlevée au Mali par le Songhay. Tombouctou, le Massina, le Kaniaga. Ainsi le Soudan Occidental retomba presque tout entier entre 1660 et 1670 sous l’autorité de princes de race mandingue: les Kouloulabi (Koulibali) puis les Diarra, à Ségou. Ce nouvel état des choses dura environ deux siècles, jusqu’à ce que le conquérant toucouleur El hadj Omar s’emparât successivement du Manding et de ses dépendances de 1848 à 1853, du Kaarta en 1854 et de Ségou en 1861. Quelques temps après, vers 1880, un Malinké du Ouassoulou, nommé Samori Touré, essayait de reconstituer à son profit l’ancien empire malinké. 227


Mais sa tentative se heurta à l’occupation française, et après s’être transporté de région en région jusque dans la vallée de la Volta Noire et être revenu ensuite près de la frontière nord-est du Libéria, il fut fait prisonnier en 1898 sans avoir pu accomplir son dessein. Dans le même ordre d’idées il faut signaler les tentatives de construction d’empire dans le Kénédougou (Sikasso) par Tiéba et son successeur Ba Bemba. Comme Samori leur émule, ils trouvèrent sur leur route les colonnes françaises. Enfin, les Diaghanké, au tempérament belliqueux, par diplomatie plus que par l’emploi de la force armée, ont joué, eux aussi, un rôle assez important dans la politique soudanaise. À l’intérieur de la Volta Noire et dans le Nord des Républiques de la Côte d’Ivoire et du Ghana actuel, ils réussirent à fonder dès le XIè siècle des établissements prospères. Aux XIVè et XVè siècle certains de ceux-ci se transformèrent en petites principautés ou en véritables états dont quelques-uns, notamment celui de Kong, acquièrent une puissance fort appréciable et un remarquable degré de développement commercial et intellectuel. Ces différentes constructions politiques mandingues malgré leurs faiblesses à certaines époques ont réussi à établir une véritable « Pax Malina » dont profita des siècles durant tout l’Ouest Africain. Il est incontestable que l’unité politique aide puissamment à la diffusion du parler de la population au bénéfice et sous l’hégémonie de laquelle a été réalisée cette unité. Or à deux reprises pendant près de deux siècles, la première fois (XIIIè et XIVè siècles) et durant autant de siècles, la deuxième fois (XVIIè et XIVè siècles) la majeure partie de l’Afrique Occidentale a constitué soit un état mandingue unique, soit un groupement d’états mandingues. Il n’est pas possible que cette circonstance n’ait point eu une répercussion notable sur l’extension de la langue mandingue en dehors de son domaine originel. En ce qui concerne les institutions sociales et les relations économiques, cette domination a revêtu une très grande importance. Partout où s’est fait sentir assez longtemps l’autorité des empereurs malinkés ou des rois bambaras, partout aussi où s’est établie l’activité commerciale et religieuse des Diaghanké, la langue mandingue s’est implantée et, sans avoir fait les idiomes locaux, elle s’est substituée à eux dans le domaine politique et dans celui des affaires. Souvent même elle s’est imposée à des populations entières, au détriment des parlers autochtones qui tombaient peu à peu en désuétude ont complètement disparu. C’est ainsi que les Khassonké de la région de Kayes (République du Mali) et les Peul de Ouassoulou ne parlent plus que des dialectes malinkés. C’est ainsi encore que les pêcheurs somono, qui paraissent appartenir au même groupe ethnique que leurs voisins d’aval, les Sorko ou Bozo, ignorent depuis longtemps la langue de ces derniers et ne parlent plus que le Bambara. De même que les Kâgoro qu’on fait venir, les uns du Fouta Djallon, les autres du Fouta Toro. Ne voyons-nous pas également l’immense majorité des Sarakolé ou Marka établis en pays bambara, se servir exclusivement de la langue mandingue. Quand on ajoute à cela que la langue 228


mandingue était devenue la langue officielle des tirailleurs dits « sénégalais » dans l’ex-AOF, celle dans laquelle les ordres étaient transmis par les sousofficiers indigènes. Pour des raisons d’ordre historique, politique, économique, administratif et militaire, la langue mandingue est arrivée à occuper, parmi les multiples idiomes de l’Afrique Occidentale, une situation notoirement prépondérante d’autant plus solide qu’elle a commencé à établir dans le Moyen Âge et qu’elle ne cesse de se développer. « Il est permis » - écrivait Maurice Delafosse au début du siècle - « de prévoir qu’un moment viendra où le Mandingue jouera, dans cette portion du continent africain, un rôle quelque peu analogue à celui qu’est parvenu à jouer en France le parler de l’Île de France. » La prévision du grand africaniste s’est révélée juste. Il suffit en effet de parcourir de nos jours des pays comme la Côte d’Ivoire, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), le Mali, la Guinée, le Sénégal, la Gambie, la Sierra Leone, le Libéria; dans aucun de ces pays le mandingophone n’est perdu. Il se fera facilement comprendre. Ce n’est pas seulement par la langue que les Mandingues se sont imposés dans l’Ouest Africain mais aussi par leur art et surtout par la musique, l’une des plus raffinées du continent. Les historiens traditionnels, les célèbres Djéli ou griots ont une faconde inimitable. L’homme mandingue a des qualités telles que la franchise, le courage, mais celle-ci sont ternies par le goût de l’ostentation. Qu’on se rappelle le faste que déploya inutilement Kankou Moussa au Caire au XIVè siècle. Comme tous les Africains, il a le sens très poussé de la famille et un respect presque religieux pour sa mère « Na » et sa sœur aînée, l’une et l’autre font l’objet d’un véritable culte. Soundjata s’exila avec sa mère; Samori se constitua prisonnier pour sauver sa mère; Kankou Moussa porte le nom de sa mère (Kankou). Les vertus « mandingues » que mon ami Sissoko Sékény Modi appelle « le manikaya » sont hélas en voie de disparition aujourd’hui. Artistes, musiciens, wangara c’est-à-dire marchands, les Mandingues le sont encore; l’époque n’est plus au déploiement des vertus guerrières; organisateurs et justiciers, ils ne le sont guère. Qu’on regarde donc du côté où le pouvoir mandingue s’exerce dans l’Afrique contemporaine. Tout y est désordre et exactions. Faudra-t-il qu’une milice d’anges exterminateurs surgisse des ténèbres pour ramener ces « chefs » mandingues sur les droits chemins tracés par les Mansa Souleymane, le roi justicier qui reçut à sa cour Ibn Batouta? Dans l’empire de Souleymane, il n’y avait ni prisonnier, ni luttes tribales, ni racisme. Berbères, Arabes, Soninké, Malinké, Peul, Socé y vivaient en bonne intelligence et fraternellement. » Ibrahima Baba KAKÉ (Professeur d’Histoire africaine à la Sorbonne, Paris. Article publié en janvier 1978 dans le mensuel africain « Bingo »)

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DOCUMENT DE LECTURE II: À PROPOS D’UNE ÉCRITURE AFRICAINE: LE N’KO LA GENÈSE DU N’KO DE SOLOMANA KANTÉ, L’INVENTEUR SOLITAIRE DE L’ÉCRITURE N’KO ----------o---------« Pour la première fois, dans l’histoire de l’humanité et dans celle des langues écrites, SOLOMANA KANTÉ a été le seul linguiste à inventer tout seul un alphabet complet, ■ à créer tout seul une langue écrite (le N’Ko) dont les caractères scientifiques et universels permettent de transcrire tous les sons, ■ à écrire tout seul un nombre impressionnant de 185 livres dans les domaines de l’histoire, de la philosophie, de la biologie, de la médecine ou précisément de la pharmacopée, de la géographie ---, ■ à écrire tout seul un dictionnaire de plus de 32.500 mots. C’est une prouesse digne d’éloges. C’est incroyable et fabuleux… » Daouda Damaro CAMARA (l’héritier continuateur de l’œuvre de l’auteur du présent ouvrage) ----------o---------« Toutes les choses que nous voyons accomplies dans le monde sont proprement le résultat matériel extérieur, la réalisation pratique et l’incarnation de pensées qui habitèrent les grands hommes envoyés dans le monde. » CARLYLE (« LES GRANDES FIGURES, » Librairie Larousse, édition 1947, p. 1) ----------o---------« L’espoir d’en revoir (les grands hommes) est toujours permis, il est probablement indestructible. On compte sur eux pour donner une parole aux nations qui semblent muettes, démembrées ou épuisées. Quelques-uns sont silencieux et tout en actes, d’autres traduisent, absorbent un siècle et parlent pour une postérité... » Sébastien CHARLÉTY (« LES GRANDES FIGURES, » Librairie Larousse, édition 1947, p. 1) 230


----------o---------« Il y a une masse énorme de héros, de grands hommes inconnaissables, tout autant que le soldat inconnu de l’Arc de Triomphe. Heureusement ne s’agissaitil pour nous que de dresser parmi les hommes illustres une liste d’hommes représentatifs. Encore faudrait-il bien savoir ce que c’est, non tant qu’un homme illustre, mais qu’un grand homme, un homme de génie. Est-ce que celui qui, de sa propre force individuelle, a créé une grande nouveauté? Probablement. Car seuls les individus créent. On ne crée rien à plusieurs. Tout créateur est un individu isolé. Mais reste à savoir si l’individu qui crée est nécessairement celui sur qui se fixe la gloire. Il y a des exemples innombrables qui font réfléchir. » Sébastien CHARLÉTY (« LES GRANDES FIGURES, » Librairie Larousse, édition 1947, p. 2) ----------o---------« La réhabilitation des langues africaines de base permettrait, de son côté, de mettre en valeur la tradition originale de chaque ethnie, de penser dans sa langue, de récolter les traditions dans sa langue sans perdre la saveur ni la finesse, comme il arrive inévitablement dans les traductions qui « manquent de sel » par rapport à l’original... Il s’agissait pour moi d’aider l’Afrique à préserver et à développer sa propre personnalité, et de lui permettre de parler d’elle-même. Il appartient en effet aux Africains de parler de l’Afrique aux étrangers, si savants soient-ils, et non aux étrangers de parler de l’Afrique aux Africains. Comme le dit un proverbe malien: « Quand une chèvre est présente, on ne doit pas bêler à sa place! » Trop souvent, en effet, on nous prête des intentions qui ne sont pas les nôtres, on interprète nos coutumes ou nos traditions en fonction d’une logique qui, sans cesser d’être une logique, n’en est pas une. Les différences de psychologie et d’entendement faussent les interprétations nées de l’extérieur. » Amadou Hampâté BÂ (« Aspects de la civilisation africaine », Édition Présence Africaine, p. 31-32)

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PRÉJUGẾS RACISTES EUROPẾENS « Ces peuples n’ont rien donné à l’humanité, et il faut bien que quelque chose en eux les ait empêchés. Ils n’ont rien produit, ni Euclide, ni Aristote, ni Galilée, ni Lavoisier, ni Pasteur. Leurs épopées n’ont été chantées par aucun Homère. » P. GAXOTTE

RÉPLIQUES CONTRADICTOIRES « ... En effet, la vérité gênante était que le Nègre à qui ont déniait toute civilisation, était celui-là même qui en fut le premier dépositaire de l’humanité avant de la transmettre aux autres peuples et notamment aux Grecs, ancêtres culturels de ses futurs bourreaux de l’aventure esclavagiste et coloniale... » Doué GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 12) « Ils sont moins nobles que des « ... Oui, on accepte que l’Afrique ait chiens.» une histoire, mais il ne faut pas la faire Samuel BAKER remonter trop loin, à l’Égypte antique, (Explorateur anglais parlant des Dinka par exemple, dont le caractère trop en 1860) nègre pourrait indisposer les bailleurs de fonds, oui, les Africains ont une culture, mais il faut la folkloriser pour épancher la soif exotique des détenteurs de devises et faire financer quelques projets pittoresques par les bonnes âmes et autres organisations caritatives étrangères... » Cheikh Anta DIOP « L’Afrique n’est pas une partie « ... Pour tout lecteur pourvu d’esprit historique du monde. Elle n’a pas de critique et pour la plupart des mouvements, de développements à professionnels... les peuples qu’on dit montrer, de mouvements historiques sans histoire sont plus simplement des en elle. C’est-à-dire que sa partie peuples dont on ignore l’histoire et que septentrionale appartient au monde les « Primitifs » ont un passé comme européen ou asiatique. Ce que nous tout le monde. » entendons précisément par l’Afrique Paul VEYNE est ahistorique, l’esprit non développé, (« Comment on écrit l’histoire, » encore peu enveloppé dans des Éditions du Seuil, p. 22) conditions de naturel et qui doit être présenté ici seulement comme au seuil de l’histoire du monde. » HEGEL

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« Conformément aux commandements du Tout Puissant, il faut que tous ceux dans les veines desquels coule le sang noir soient exterminés. » HALPER (Écrivain américain en 1866) « Pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer l’homme africain, nous le voyons dans l’état de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore il est resté tel. Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. » « Ce que nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde ahistorique non-développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle. » HEGEL (« La raison de l’histoire, » p. 251269) « Les Noirs étaient inférieurs aux Blancs, ils n’avaient d’autre histoire que celle qui commence avec l’arrivée des colons blancs, les cultures noires étaient primitives. Les Nègres, doués seulement d’une grande capacité émotionnelle, avait une mentalité prélogique qui ne le prédisposait ni à la raison, ni à la création d’une quelconque civilisation et ce faisant l’amélioration de son sort ne pouvait venir que de sa rencontre avec les hommes blancs, mais seulement après avoir au préalable été contraint de sauver son âme en se convertissant à la religion coloniale. » Doué GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop, Théophile

« On ne nous a mis une autre peau, maintenant il nous faut reprendre la nôtre. » Amadou Hampâté BÂ « L’Occident nous a malheureusement appris à mépriser les sources orales en matière d’histoire; tout ce qui n’est pas écrit noir sur blanc étant considéré sans fondement. Aussi, même parmi les intellectuels africains, il s’en trouve d’assez bornés pour regarder avec dédain les documents parlants que sont les griots et pour croire que nous ne savons rien ou presque rien de notre passé, faute de documents écrits. Ceuxlà prouvent tout simplement qu’ils ne connaissent leur propre pays que d’après les blancs. » Djibril Tamsir NIANE (Auteur de « Soundjata ou l’épopée mandingue ») « La réhabilitation des langues africaines de base permettrait, de son côté de mettre en valeur la tradition originale de chaque ethnie, de penser dans sa langue, de récolter les traditions dans sa langue sans en perdre la saveur ni la finesse, comme il arrive inévitablement dans les traductions qui « manquent de sel » par rapport à l’original... Il s’agit pour moi d’aider l’Afrique à préserver et à développer sa propre personnalité, et de lui permettre de parler d’elle-même. Il appartient en effet aux Africains de parler de l’Afrique aux étrangers, et non aux étrangers, si savants soientils, de parler de l’Afrique aux Africains. Comme le dit un proverbe 233


Obenga: Combat pour la Re-naissance malien: « Quand une chèvre est africaine, » p. 27-28) présente, on ne doit pas bêler à sa place. » Amadou Hampâté BÂ (« Aspects de la civilisation africaine, » Édition Présence Africaine, p. 21)

Le noble combat pour la Renaissance de l’histoire, de l’art, de la culture et de la dignité de l’Afrique ne peut être efficace et aboutir que si seulement les Africains se remettent eux-mêmes en cause en prenant conscience de l’existence de leur identité culturelle authentique qui recèle de nombreuses vertus qu’on doit cesser de mépriser¸ d’exclure ou de rejeter en bloc. Nos chercheurs, nos historiens, nos sociologues, nos artistes, nos artisans, nos médecins traditionalistes et modernes... doivent donc avoir à cœur le souci et le devoir d’exhumer ces vertus afin de pouvoir relever ce défi de l’exclusion arbitraire de l’histoire universelle dont nous sommes arbitrairement exclus. Nous ne devons donc plus continuer à croiser ou à baisser les bras des victimes résignées que nous sommes. Sachons aussi et surtout que chaque peuple a le devoir et le droit de magnifier ses plus illustres fils qui ont posé des actes mémorables positifs et qui ont contribué à son épanouissement économique, culturel, social, à ses gloires et à la défense ou à la sauvegarde de sa dignité, de ses intérêts, de sa culture... C’est bien pour cette raison que nous rendons un Vibrant Hommage à Solomana Kanté, chercheur linguiste mandingue de Soumankoye (Kankan, Guinée), qui consacra 43 ans de sa vie (1944-1987) à la création de l’alphabet N’Ko, écriture qui lui a permis d’écrire la langue mandingue et qui permet aussi de transcrire toutes les langues africaines et tous les sons et mots de toutes les autres langues. On sait que la formation et l’amélioration d’une langue écrite est un travail collégial de plusieurs générations et qui demande des siècles de 234


recherches inlassables. Il faut signaler que c’est la première fois dans l’histoire des langues écrites de l’humanité, qu’une seule personne parvienne à créer, toute seule, une écriture qui est admise par toute l’humanité du fait de son caractère scientifique. Imaginons aussi le temps qui lui a fallu pour concevoir et écrire ses 185 livres dans différents domaines et thèmes: histoire, géographie, botanique, pharmacopée, mathématiques, médecine, littérature, grammaire, contes et légendes, philosophie et un dictionnaire de 32.500 mots. Que d’efforts inlassables, Que de sacrifices consentis, Que de privations endurées, Que de reprises du travail pour l’améliorer, Que de patience… a-t-il déployés pour réussir dans une telle entreprise aussi gigantesque et fastidieuse. Ne lui arrivait-il pas souvent d’interrompre son repos ou sa prière musulmane, quitter brusquement son tapis de prière et son lit pour bondir sur son bic et son cahier de notes afin de capter et d’écrire une idée qui venait de surgir dans sa tête? Aussi, combien de fois a-t-il interrompu son sommeil pour écrire ou saisir une idée ou un thème qui venait subitement de l’assaillir? Combien de fois lui est-il arrivé d’interrompre sa toilette, en serviette de bain, pour bondir sur son bloc-notes et sur le bic pour écrire une inspiration, une idée qui venait d’inonder sa tête? Pour lui, une inspiration doit être saisie à la minute, au risque de la perdre. C’est pourquoi le chercheur n’a pas un temps de travail précis, ni un lieu ou un cadre unique de travail indiqué. Il est esclave de ses inspirations. L’inspiration est très souvent instantanée et peut disparaître aussi brusquement qu’elle est venue pour ne plus revenir, d’où la nécessité impérieuse de la saisir immédiatement. On dit qu’il n’acceptait jamais de faire l’imam ou disons de diriger une prière en groupe, car il lui arrivait souvent d’interrompre la prière pour aller saisir une idée qui venait de d’envahir son esprit. Il lui arrivait souvent de rêver ou de quitter les rangs pour saisir une idée importante ou la solution d’un problème qui venait de surgir brusquement dans sa pensée. Ne lui arrivait-il pas parfois d’oublier de manger? Bref! il ne menait pas une vie normale tant il était obsédé par la mise au point rapide de son écriture, de son N’Ko et des nombreux ouvrages qu’il avait parallèlement en chantier. Il était austère et humble, donc peu ostentatoire. Il avait très peu de temps pour les rencontres publiques. Il ne sortait presque pas et ne se soustrayait de ses méditations que pour aller présenter ses condoléances à des familles endeuillées dans son voisinage ou

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suite à la mort d’un proche parent, celle d’un ami ou d’une personnalité importante. Obsédé par cette recherche, il avait besoin de forte concentration pour mieux méditer. Les nuits étaient de ce fait ses moments de prédilection pour s’isoler et méditer tranquillement. Il participait peu aux cérémonies de mariages, de baptêmes ou de sacrifices. Aussi, l’accumulation de biens matériels et la thésaurisation monétaire étaient sa dernière préoccupation. Il savait qu’il était incompris notoirement par ses contemporains, mais il espérait qu’il le serait plus tard par les générations futures. Il était parfaitement conscient du bien-fondé de son combat. Il avait foi en ce qu’il cherchait et faisait. Il savait donc qu’un jour le temps lui donnerait raison. Il était aussi conscient des difficultés, de la délicatesse et de l’urgence de sa mission de créateur de cette nouvelle écriture. Il savait surtout, qu’en raison des multiples contraintes liées à cette exaltante tâche, que personne d’autre ne pouvait se consacrer, comme lui ou mieux que lui, avec autant d’ardeur, d’abnégation, de persévérance et de maîtrise, à cette noble et passionnante recherche, pour terminer avec succès et bonheur la mise au point définitive de son alphabet N’Ko comme il l’avait souhaité ou comme il le fallait. Il tenait à finaliser lui-même cette noble et exaltante mission qu’il s’était assignée avec la Baraka du Tout Puissant ALLAH. Il savait surtout que le temps jouait contre lui. Il fallait par conséquent s’accrocher solidement et vite. Il n’avait pas cru indispensables les encouragements et le soutien moral et matériel de ses contemporains pour mener à bien son travail, car il avait foi en son idéal et était conscient et convaincu de la réussite de son projet. Ses voyages d’études et de recherches en Guinée, au Mali, en Côte d’Ivoire, en Haute-Volta (actuel Burkina Faso), en Gambie, au Sénégal, en Sierra Leone, au Libéria... pays concernés par l’écriture en cours de création, lui ont permis d’harmoniser son alphabet qui s’adapte facilement au Maninka, au Bambara ou Bamanan et au Dioula qui sont des parlers identiques ou des frères et cousins parlés dans ces pays. À la question posée par son fils aîné, Bréma Kanté, sur les meilleurs moments de joie de sa vie, dont il gardait un souvenir inoubliable, Solomana Kanté lui répondit en substance: « Je ne retiens dans ma vie que trois moments de joie et de pleine satisfaction morale: 1) - Le jour où j’ai fini de mettre au point mon alphabet, le N’Ko.

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2) - Le jour où j’ai trouvé dans ma boite postale beaucoup de lettres écrites en N’Ko par certains de mes élèves et disciples que j’avais formés. Ce qui m’a donné la preuve que je n’étais plus seul à m’intéresser à l’alphabet N’Ko, et que beaucoup d’autres personnes avaient effectivement commencé à croire à la justesse et au bien-fondé de mon combat. Ce jour-là, j’ai su que l’écriture N’Ko était enfin adoptée et allait sûrement et progressivement faire son petit chemin dans le temps et dans l’espace. Ce jour-là, j’ai eu la conviction que le défi de l’ignorance, de l’exclusion arbitraire du NOIR de la civilisation universelle et de l’histoire était définitivement et irréversiblement relevé. Ce jour-là, j’ai su qu’enfin, l’Afrique pouvait maintenant vaincre et dompter la science. Ce jour-là, j’étais fier et très fier de constater que l’Afrique pouvait, elle-même, mettre en valeur ses spécificités dans sa propre écriture, et parler d’elle-même aux autres dans sa propre langue écrite. 3) - Mon troisième souvenir inoubliable que je retiens est le jour où tu as corrigé, à juste raison, un de mes textes, en me proposant une meilleure syntaxe. Ce jour-là, j’ai été soulagé et rassuré qu’enfin la relève était effectivement assurée au cas où je disparaîtrais. Oui! Quand l’élève corrige le maître, c’est qu’il a bien assimilé la leçon, et c’est une grande satisfaction morale pour le maître qui est évidemment fier de son bon élève, » conclut-il. Mais comme la plupart des grands chercheurs, des grands intellectuels, des grands philosophes, des grands penseurs, des grands mathématiciens, des érudits, des savants, des grands scientifiques… Solomana Kanté fut totalement incompris par ses contemporains, notamment par les gouvernants et les nantis de son pays qui ne comprirent pas le bien-fondé de sa démarche. Il lui a totalement manqué le soutien moral et matériel nécessaire ou souhaitable pour mener vite à bien ses travaux de recherches, ou pour bien accueillir les résultats de ses recherches. Pire, certains d’entre eux le traitaient de fou ou de bon à rien qui s’accrochait au néant. C’est ainsi qu’il fut lui aussi victime de la comédie humaine qui consiste à auréoler, après sa mort, une personne qui a été négligée de son vivant et parfois méprisée ou simplement considérée comme une personne vulgaire, une personne anormale. C’est très souvent, bien après sa mort, qu’on apprécie à sa juste valeur l’œuvre du savant qu’on a laissé trimer ou végéter dans la misère. Oui! C’est ainsi que certains Héros, savants,... sont parfois considérés comme des malades mentaux à cause de leur inébranlable obsession pour un idéal dont le bien fondé et la justesse ne sont pas bien perçus par leurs contemporains. On ne les prend pas au sérieux. Ainsi donc on n’accorde aucun crédit, aucun intérêt à ce qu’ ils font ou disent. Parfois on les décourage ou on se moque d’eux.

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Solomana Kanté, sache donc que, dans l’histoire de ta Guinée natale ou dans celle de l’Afrique et de l’humanité, tu n’es pas le seul chercheur, le seul artiste, le seul savant, le seul créateur... à subir les sarcasmes ou l’incompréhension des contemporains. Généralement, les bouquets de fleurs ne sont offerts aux gens de ton acabit qu’après leur mort. Les mérites ne sont reconnus et les éloges ne leur sont faits très souvent qu’après leur mort. Oui! la vie est ainsi faite. On y peut rien, il faut l’accepter ainsi. Solomana Kanté (1922-1987), curieusement, ton juste et noble combat pour la revalorisation de la culture africaine¸ pour la renaissance de la civilisation négro-africaine, pour la dignité de l’Afrique... est rigoureusement identique à celui qu’a mené Cheikh Anta Diop (29 décembre 1923-1986), le savant sénégalais l’égyptologue célèbre qui s’est battu pour démontrer l’antériorité de la civilisation égyptienne qui était le fait des Noirs à celle des Européens. Cependant vous étiez des contemporains vivant dans deux pays voisins: la Guinée et le Sénégal. Mais, malheureusement, vous ne vous connaissiez pas. Oui! Si Dieu avait permis votre rencontre, la rencontre de deux célébrités africaines ou nègres que vous étiez, vous auriez sans doute pu vous comprendre, vous compléter et collaborer pour être plus utiles, plus forts, plus efficaces et moins solitaires. Comme toi, ce savant sénégalais était, lui aussi, obsédé par la création d’une écriture pour l’Afrique, seul moyen rapide, selon lui, pour dompter la science, la technologie et réhabiliter notre civilisation tant méprisée depuis son choc avec celle de l’Europe. Ce rendez-vous manqué aurait pu être une formidable et unique occasion opportune pour deux dignes fils de l’Afrique, deux célébrités scientifiques ou deux savants dont la synergie d’actions aurait profité à l’Afrique à bien d’égards. Bien qu’étant contemporains, ayant mené le même combat pour la restauration de la dignité, de l’histoire et de la culture africaines, ayant vécu malheureusement dans deux pays voisins, vous vous êtes ignorés par manque de communications. Cependant vous avez inlassablement mené le même combat scientifique qui visait à démontrer que l’Afrique avait bien son mot à dire « au rendez-vous universel du donner et du recevoir des civilisations ». Cet apport de l’Afrique à la civilisation universelle serait, entre autres: • L’humanisme, • Le rire, le sourire du cœur, • Le sanankunya ou la formidable plaisanterie sans borne entre les individus les familles, les clans, les villages... qui sont partenaires, et qui crée une détente spontanée, une harmonie, une stabilité, un rapprochement entre les personnes qui ne sont jamais connues et qui sont contraintes de se comprendre, de se pardonner, de s’aimer et de s’entraider, • L’hospitalité, • La solidarité réelle et effective pour tous, • La fraternité réelle, • L’amour du prochain, 238


• L’altruisme, • L’adoption de l’autre (sans distinction de rang social: pauvre ou riche, malade ou sain, parent ou étranger…), • L’esprit de partage…. Pour ces raisons, l’Afrique entière ne cessera jamais de vous glorifier, de vous jeter des lauriers, de vous regretter amèrement, et vous restera éternellement reconnaissante avec le ferme espoir que votre exemple, votre persévérance dans le combat, même solitaire, feront des émules dans la couche juvénile africaine dans bien d’autres domaines. Devant ce rendez-vous manqué, nous s’exclamons: o Quel manque à gagner pour l’Afrique! o Quelle perte pour l’Afrique! o Quel dommage pour l’Afrique! Car ce duo scientifique aurait sans doute fait mal et aurait pu faire beaucoup de bonnes choses pour l’Afrique et faire taire les éternels racistes impénitents. Solomana Kanté, sache: • Que Cheikh Anta Diop avait tenté, comme toi, mais sans succès comme toi, d’inventer une écriture pour transcrire les langues africaines, • Que Cheikh Anta Diop avait aussi préconisé l’adoption d’une seule langue écrite et parlée - en l’occurrence le SWAHILI - pour toute l’Afrique Noire, et • Que Cheikh Anta Diop avait vivement recommandé la formation d’un gouvernement continental pour mieux sceller et consolider la véritable unité de l’Afrique afin de rendre plus forte celle-ci. Il était de ce fait nettement en avance sur ses contemporains tant de son Sénégal natal que toute l’Afrique entière. • Que Cheikh Anta Diop s’était aussi évertué à démontrer de façon irréfutable l’antériorité de la civilisation nègre de l’Égypte antique à la civilisation gréco-romaine et que la civilisation égyptienne était le fait des Noirs. Il avait pu démontrer que les Pharaons Ramsès, Osiris… étaient des Noirs. Aucune thèse ou antithèse n’avait pu démolir ses allégations, fruits de ses recherches scientifiques. Aucun savant ou égyptologue n’avait pu relever le défi qu’il avait osé lancer à l’endroit de l’Occident. Mais à court d’arguments scientifiques étayés, les défenseurs de cette civilisation hellénique avaient dénigré et réfuté en bloc cette thèse de Cheikh Anta Diop, et tous le trouvèrent mentalement malade pour oser affirmer des telles « monstruosités scientifiques ». « ... En fait, la spontanéité de l’apparition de Cheikh Anta Diop et de ses travaux sur la scène scientifique va entraîner la panique de l’Occident. Celui-ci se rendait compte que le savant noir avait redécouvert des vérités que l’Europe avait depuis longtemps camouflées. Aussi٫ allait-il se mettre en place 239


un processus tendant à faire le vide autour du chercheur africain, afin de circonscrire au maximum les effets de ses travaux considérés dangereux et remettant en cause la domination culturelle, donc politique et économique des Blancs sur les Noirs. Faire le vide autour de Cheikh Anta Diop signifiait dans l’esprit des Européens, éviter la propagation de ses idées vers d’autres Africains, et en même temps, mettre en avant des personnalités ou chercheurs africains plus conciliants, plus dociles, et dont l’infantilisme et la naïveté étaient salués comme un signe d’ouverture à l’esprit universelle qui, bien entendu est fondé sur les valeurs de la culture occidentale, » écrit Doué Gnonséa aux pages 32 et 33 de son livre « Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine ». Cet auteur écrit aussi aux pages 13 et 14 du même livre que: « Il (parlant de Cheikh Anta Diop) défendait d’abord cette idée simple que les Noirs, comme tous les autres peuples de la terre avaient une histoire et une culture; et que quel que soit l’état de celles-ci, elles méritaient d’être étudiées, et devaient être pleinement assumées par ceux-là même qui en étaient les acteurs et les créateurs. Seule une volonté de considérer délibérément les Noirs comme des sous-hommes, donc faire une profession de foi raciste pouvait empêcher d’accepter cette évidence qui ne devrait normalement pas avoir besoin d’être démontrée. Ensuite, Cheikh Anta Diop énonce une autre idée fondamentale qui est l’origine nègre de la civilisation antique égyptienne qu’il démontre en convoquant le témoignage des auteurs anciens et en montrant les liens aussi bien anthropologiques (culturelle et physique) qu’historiques entre les Nègres de l’ancienne Égypte et ceux de l’Afrique Noire. D’une manière générale, il considère la Vallée du Nil comme le point de départ historique des peuples négro-africains. L’Antiquité égypto-nubienne est aux Africains Noirs ce que l’Antiquité gréco-romaine est aux Européens, expliquait-il. D’une certaine façon, en réintégrant l’Égypte Antique à l’Afrique grâce à l’introduction de la donnée temporelle dans les études africaines, ce que refusait obstinément de faire l’africanisme qui plaçait cette région en Orient dans le meilleur des cas. Cheikh Anta Diop rétablissait le continuum entre deux moments de l’évolution historique et culturelle du Monde noir africain. À partir de cette thématique centrale de son œuvre qu’était cette unité historique et culturelle de l’Afrique, le savant noir allait tout naturellement poser, avec la plus grande lucidité, les fondements mêmes de l’avenir politique incontournable des nations nègres contemporaines: l’unité politique de l’Afrique noire sous forme d’un État fédéral avec la nécessité d’adopter une langue négro-africaine comme langue panafricaine de gouvernement et de communication, et l’unité du Monde noir par-delà les conséquences de la Traite des Noirs. L’antériorité des civilisations nègres constitue également un autre grand thème issu des travaux scientifiques de Cheikh Anta Diop. Ce thème est lié à celui de l’origine nègre de l’humanité qu’il soutint courageusement à l’époque, contre vents et marées. Aujourd’hui, d’une part la génétique est 240


venue confirmer les données paléoanthropologiques qui avaient permis de placer le berceau de l’humanité en Afrique Noire (et donc le peuplement de l’Égypte antique ne pouvait être que le fait des Noirs) et d’autre part, le développement de l’égyptologie mondiale, plus particulièrement les travaux de l’école africaine d’égyptologie permettent de confirmer, une fois de plus, que c’est dans la Vallée du Nil qu’apparurent les premières et les plus brillantes civilisations de l’humanité à l’époque antique. Les Grecs, à qui les études helléniques avaient attribué à tort la première civilisation consciente d’ellemême, étaient en fin de compte allés puiser tous les éléments de celle-ci en Égypte antique, sur la terre des Pharaons, c’est- à-dire chez les Noirs de l’Antiquité... » Solomana Kanté, tu vois donc qu’en tant que disciples contemporains et complémentaires, vous, Cheikh Anta Diop et toi, auriez pu constituer un tandem exaltant et efficace qui aurait pu honorer encore le Noir et faire mieux pour l’Afrique. Oui! si vous vous étiez connus, si vous aviez échangé et si vous aviez collaboré étroitement dans ce combat commun vous auriez pu faire de très bonnes et nombreuses choses pour l’Afrique, pour la science et pour l’humanité. Mais néanmoins, bien que désunis involontairement ou ne se connaissant pas du fait de la distance et de l’insuffisance ou du manque de communication, chacun de vous a fait et bien fait isolément ce que vous avez pu faire pour l’Afrique qui vous rend maintenant un hommage exceptionnel mérité, tout en reconnaissant vos efforts réciproques pour la réhabilitation de son histoire, de sa culture et de sa dignité. Aujourd’hui, l’Afrique entière et le monde scientifique vous sont reconnaissants et vous convient à un repos mérité et à un sommeil paisible et profond. L’Afrique se réveille et a bien compris le sens de votre combat et regrette amèrement ce rendez-vous manqué, c’est-à-dire la rencontre et la collaboration de deux de ses meilleurs fils, de deux de ses meilleures célébrités. Solomana Kanté, sache maintenant que tu n’as pas été le seul savant, le seul chercheur, le seul inventeur africain... à mener un tel combat de façon solitaire, sans soutien. Toi tu as eu d’ailleurs la chance de n’avoir pas été ouvertement combattu dans ton travail de recherches par le monde scientifique et par les autorités de ton pays. Par contre, Cheikh Anta Diop a été combattu et sévèrement matraqué par le gouvernement de son propre pays et par le club des africanistes et autres érudits européens qui n’ont jamais toléré ses thèses audacieuses et surtout celle dont il se servit démontrer scientifiquement que les Pharaons Ramsès II (1304-vers 1237 avant notre ère) et Osiris le Grand Noir étaient des noirs. Aussi il a su prouver que ce sont les Noirs d’Égypte qui ont effectivement découvert l’Amérique bien avant Christophe Colomb. Aboubakar II Keita, successeur de Soundjata Keita, fut le promoteur de cette merveilleuse et audacieuse expédition qui a permis à l’Afrique, bien avant l’Europe, de découvrir l’Amérique. Mais pendant longtemps, la paternité et l’honneur de cet 241


exploit par un noir ont été vigoureusement et impitoyablement contestés et combattus par les historiens européens. Pour eux l’Afrique Noire ne mérite pas et ne doit pas revendiquer la paternité de cet exploit, en raison du manque de gouvernail et de boussole dans les embarcations utilisées par les explorateurs noirs, sans lesquels une expédition de ce genre est impossible. À présent nous leur demandons de nous situer sur l’origine des noirs que Christophe Colomb a trouvés dans les Antilles ou qui y vivaient? Assurément, il s’agit des rescapés de l’expédition d’Aboubakar II Keita. Mais pour eux, il ne faut jamais admettre cette hypothèse qui dérange l’ordre sacré établi des choses. Sache aussi que maintenant ta mort est commémorée chaque année ici en Guinée et ailleurs et donne lieu à des cérémonies grandioses pendant lesquelles on dit des éloges à ton endroit et qui représentent aussi des occasions pour les scientifiques, les historiens, les sociologues, les linguistes, les étudiants, tes nombreux disciples... de rendre hommages à ton œuvre et d’échanger leurs expériences et leurs découvertes à travers des communications sous le patronage de l’Académie N’Ko. Sache que le Saint Coran que tu as traduit en N’Ko est aujourd’hui vulgarisé par le Royaume de l’Arabie Saoudite et largement diffusé. Ce qui facilite une bonne compréhension de la religion musulmane. Oui! Solomana Kanté, peux-tu croire aussi que tes disciples et adeptes ont informatisé l’alphabet N’Ko qui est aussi accessible sur INTERNET, sur les sites: www. kanjamadi.org www.nkoeurope.com www.nkoinstitute.com www.nkodoumbou.com N’Ko s’est beaucoup enrichi par d’autres apports: livres, mots... Solo, peux-tu croire que ton alphabet N’Ko a franchi les frontières de ta Guinée natale et est aujourd’hui enseigné dans plusieurs universités américaines et même à Saint Pétersbourg en Russie? Sache enfin que ton alphabet, le N’Ko, est aujourd’hui étudié tant en Guinée, au Mali, en Côte d’Ivoire que dans tout l’Ouest Africain. N’était-ce pas ton rêve? Solomana Kanté, ton N’Ko a donc indéniablement parcouru beaucoup de chemins et continue imperturbablement sa marche dans le temps et dans l’espace. Dans un sursaut patriotique, de fierté et de légitime orgueil national, nous entretenons avec ardeur et persévérance l’arbre de la culture que tu as plantée et qui commence fort heureusement à donner des fruits en plus de son feuillage très touffu qui nous procure ombre et fraîcheur. Solomana Kanté, sache que tu n’as pas vécu inutilement. Ton courage, ton idéal de grandeur, ta persévérance dans l’effort qui est inaccessible au découragement... sont des vertus et des modèles de valeur à suivre et qui ne 242


manqueront pas sûrement d’inspirer nos générations futures dans bien d’autres domaines. C’est bien pour cette raison que nous sommes fiers de toi et des autres célébrités africaines qui, comme toi, ont donné leur vie pour honorer notre chère Afrique et relever le défi de l’exclusion, de l’ignorance, de l’analphabétisme et du mépris. Solomana Kanté, tu es universel, donc immortel à travers ton alphabet, le N’Ko, et tes 185 livres que tu as pu curieusement écrire dans les différents domaines de la vie: Histoire, géographie, mathématique, grammaire, conte et légende, philosophie, dictionnaire, biologie, botanique, pharmacopée, médecine... Bien qu’incompris ou pas soutenu par tes contemporains, mais par ton courage, ta confiance inébranlable en toi, en ce que tu as voulu faire ou voulu démontrer, par l’ampleur, la profondeur et la noblesse des sacrifices que tu as consentis en renonçant à la recherche de la fortune et à l’accumulation des biens matériels, tu deviens un modèle à suivre pour réaliser un idéal de grandeur dans bien d’autres domaines. Que nos intellectuels et nos jeunes s’inspirent donc de ton exemple pour créer quelque chose... À présent donc nous avons envers toi et tous nos illustres fils et toutes nos célébrités africaines connues ou anonymes, vivantes ou disparues un devoir de soutien, de souvenir et de reconnaissance de leur apport au bien être moral, matériel, culturel de l’Afrique et au progrès de toute l’humanité dans tel ou tel domaine. Oui! ce devoir de mémoire et de reconnaissance du mérite, dont nous devons faire preuve, encouragera d’autres Guinéens et Africains à suivre certainement ton exemple dans bien d’autres domaines, car l’Afrique à beaucoup à faire pour rattraper son retard et se hisser à la hauteur des autres et cesser ainsi d’être la perpétuelle consommatrice de leurs produits, de leurs inventions et créations. Pourquoi donc ne pas honorer ou magnifier Solomana Kanté? Pourquoi n’envisagerions nous pas la construction d’un mausolée ou d’une stèle à Soumankoye à la mémoire de Solomana Kanté afin que les générations futures, ses adeptes et les touristes viennent se recueillir sur sa tombe qui a été transférée le 12 mai 2002 de Conakry à Soumankoye? Pourquoi ne construirons nous pas une bibliothèque ou un centre culturel à Soumankoye pour sauvegarder et conserver durablement dans les règles de l’art les ouvrages du savant? Pourquoi ne construirons nous pas une école moderne ou une université à Soumankoye afin que les chercheurs et les étudiants guinéens, africains et étrangers y trouvent un cadre idéal et unique de concertation et d’échanges d’expériences? Pourquoi ne pas envisager aussi la construction d’un centre artisanal pour y fabriquer des objets d’art mandingue et africain pour les éventuels touristes?

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Pourquoi certains établissements d’enseignement (Écoles Primaire, Collèges, Lycées, Universités...) ne porteraient-ils pas le nom prestigieux de Solomana Kanté, au lieu de les appeler par complexe: Voltaire, Diderot, Victor Hugo, Rousseau, Lamartine, George Bush, Bill Clinton, Obama... et que sais-je encore? Alors que nous avons nos célébrités comme: Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga, Solomana Kanté, Mamba Sano, Koumandian Keita, Kourouma Karamo K.K., Saïfoulaye Diallo, Lamine Kaba, Baldé Cheikhou, Siafa Béavogui, Ibrahima Baba Kaké, Diallo Télli, Fodéba Keita, Lansana Béavogui, Yacine Diallo, Nabi Youla, Lansiné Kaba, Mamadou Traoré Ray-Autra, Tamsir Djibril Niane... et bien d’autres élites et célébrités connues ou anonymes dans bien d’autres domaines... qui attendent impatiemment, tous, d’être honorés, glorifiés par devoir de mémoire et de reconnaissance pour ce qu’ils ont fait pour la Guinée et pour l’Afrique. Magnifions donc avec fierté nos héros, nos célébrités. Départissions-nous donc de notre complexe d’infériorité. Ne renions ne minimisons plus nos valeurs pour embrasser aveuglement celles des autres qui n’en font pas autant ou n’en ferons jamais autant pour les nôtres. En tout cas, ce serait la plus belle manière de l’honorer et aussi le plus beau, le plus grand et le plus magnifique hommage qu’on pourrait rendre à Solomana Kanté pour perpétuer sa mémoire, son œuvre et en vulgarisant ses ouvrages. Nous pensons qu’il revient surtout à l’Académie N’Ko de prendre toutes les initiatives appropriées afin d’immortaliser Solomana Kanté. Les institutions internationales telles que l’UNESCO, les universités américaines qui enseignent le N’Ko, les pays arabes, les adeptes du savant et bien d’autres mécènes soutiendront matériellement, financièrement et moralement tout projet allant dans ce sens. Solomana Kanté, ● Vous n’avez pas vécu inutilement sur cette terre de Guinée et d’Afrique que vous avez honorée, comme d’autres illustres fils d’Afrique disparus, anonymes ou encore vivants. ● Vous qui avez fait honneur à la race mandingue, et par ricochet à toute l’Afrique, ● Vous qui avez contribué, à votre manière, au bonheur de votre peuple, ● Vous qui avez réhabilité la Patrie Africaine dans sa Dignité, ● Vous qui avez si magnifiquement relevé le défi de l’exclusion, de l’ignorance et du mépris par la qualité de ce que avez fait individuellement. Sachez que ces racistes extrémistes impénitents commencent maintenant, malgré eux, à nous reconnaître le caractère universel humain, à nous reconnaître un certain mérite, une certaine valeur humaine.

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Dans ce cénacle des dignes fils de l’Afrique, connues ou anonymes, vous, Solomana Kanté et Cheikh Anta Diop, méritez d’être inscrits en lettres d’or au panthéon des célébrités africaines. À cause des résultats probants de vos recherches, ces racistes commencent enfin de compte à reconnaître que nous sommes très peu différents d’eux, que nous avons un passé, une culture, une civilisation, donc une histoire qui n’est plus à rejeter d’emblée et globalement. Sur le plan anatomique, quelle différence y a-t-il entre nous, en dehors de la pigmentation de la peau? Aux générations présentes ou futures: Sachons donc, nous aussi, comme Solomana Kanté, Cheikh Anta Diop et d’autres chercheurs africains et d’ailleurs, nous imposer à l’humanité par la qualité positive et la diversité de ce que nous faisons, car la quintessence ou le suc nourricier de notre culture peut être source d’inspiration pour contribuer sensiblement au bien être de toute l’humanité, et créer un cadre de vie plus harmonieux, plus humain, plus sécurisant et plus agréable. ● Sachons avoir un idéal de grandeur comme ces précurseurs. ● Sachons par conséquent avoir de l’ambition noble et de la patience, car la recherche ne peut aboutir sans l’ambition et sans la patience. ● Soyons donc persévérants dans ce que nous faisons. ● Croyons fermement au bien-fondé de nos actions positives, car leur caractère universel finira par les imposer dans le temps et dans l’espace. Nous ne saurions terminer cette oraison funèbre posthume sans signaler un évènement extraordinaire et exceptionnel qui est arrivé le 12 mai 2002, jour du transfert des restes de Solomana Kanté, de Conakry à Soumankoye. En effet, suite à des rêves faits par plusieurs personnes auxquelles Solomana Kanté fit comprendre qu’il n’était pas à l’aise depuis sa mort dans sa tombe, la famille et les disciples du savant décidèrent de transférer ses restes à Soumankoye où il pourrait certainement trouver un repos paisible et éternel. Mais, curieusement en cette période de saison sèche ou d’inter saison particulièrement chaude et ce 12 mai 2002, un vent violent sans précédent, tel un cyclone, souffla sur Conakry, arrachant ici et là des toitures de maisons et des arbres géants. Les arbres du cimetière de Camayenne où reposait Solomana Kanté ne furent pas épargnés par la violence de la tornade. Certains arbres du cimetière cédèrent. Que signifiait cette intempérie brusque et dévastatrice? Qu’annonçait-elle se demandaient les missionnaires chargés de cette opération? Non dissuadés ou loin de se laisser décourager par cette perturbation atmosphérique inexplicable, ils décidèrent d’aller jusqu’au bout de l’opération. Advienne que pourra. Imperturbables, à coups de burins, de pioches et de pelles ils parvinrent à démolir la maçonnerie de la tombe. C’est avec une très grande stupéfaction accompagnée de frayeur qu’ils constatèrent, en accédant à la fosse centrale de la tombe pour exhumer les restes de Solomana Kanté ou ce 245


qui pouvait l’être, que son corps était en 2002 curieusement intact dans son linceul blanc, alors qu’il était mort en 1987, soit donc quinze ans après sa disparition. Ce fut la stupeur. Le corps exhumé avec précaution et respect fut mis en caisse, pour faciliter le transport, était incroyablement et anormalement lourd. C’est ainsi qu’il rejoignit sa dernière demeure à Soumankoye où il fut définitivement inhumé, comme il l’avait souhaité. Et depuis, plus de rêves troublants. Précisons qu’il fut inhumé à Conakry sans aucun traitement particulier de son corps pour permettre une longue conservation. Il fut donc enterré banalement comme tout humble musulman, sans formol. De ce constat miraculeux, nous pouvons dire que: « Solomana Kante tèrè Ala la mòòba le di. » « Solomana Kante tèrè mòò nyuma le di. » C’est-à-dire que: « Solomana Kanté était une Grande Personnalité. » « Solomana Kanté était un Saint. » Solomana Kanté était un Homme de Dieu dont le corps n’a pu se désintégrer sous terre comme celui du commun des mortels. Cet évènement insolite est une raison fondamentale qui nous impose un devoir de mémoire et de reconnaissance éternelle envers Solomana Kanté. ● À vous, Cheik Anta Diop, ● À vous, Solomana Kanté, ○ Soyez définitivement rassurés que vous demeurez désormais et éternellement dans nos cœurs. ○ Mais daignez par conséquent adoucir votre courroux et pardonner à vos contemporains l’incompréhension et les frustrations qu’ils vous ont fait subir. ○ Il appartient maintenant à vos disciples et aux générations futures de réparer tous les torts qu’on vous a causés. Solomana Kanté, Cheikh Anta Diop... et tous les autres illustres et dignes fils de l’Afrique, morts, connus ou anonymes, dormez paisiblement et profondément ici-bas ou outre-tombe, car vous êtes devenus à jamais immortels à travers vos œuvres qui sont immortelles. Que les chercheurs africains vivants et ceux du futur, vous prennent en exemple pour être persévérants, car la patience et l’ambition de faire du bien, et la disponibilité permanente d’être utile aux autres paient. La meilleure vie ou la vie qui reste mémorable n’est-elle pas celle vécue pour les autres, celle vécue en rendant des services aux autres et à la Patrie? On ne saurait désormais vous oublier. À présent, après cette brève oraison funèbre posthume, certes très tardive, laissons le soin, à une voix plus autorisée que la mienne, celle du professeur guinéen, Nafadji Ibrahima Sory 2 Condé, sociologue, linguiste, chercheur et membre très actif de l’Académie N’Ko, de mieux camper Solomana Kanté, l’inventeur du N’Ko et son œuvre. 246


DOCUMENT DE LECTURE III LA GENÈSE DE L’ALPHABET N’KO: SOLOMANA KANTÉ ENTRE LINGUISTIQUE ET GRAMMAIRE: CAS DE LA LANGUE LITTÉRAIRE UTILISÉE DANS LES TEXTES EN N’KO ----------o---------« Si les hommes passent, leurs œuvres restent, nous ne sommes tous que les hôtes passagers de ces grandes demeures morales qui sont assurées de l’immortalité. » Louis PASTEUR ----------o---------« Pourquoi écrire les langues africaines? dira-t-on. Parce qu’elles seules peuvent permettre, en tant qu’instruments de méditation, de pénétrer l’âme réelle de l’Afrique. Quelle que soit la beauté d’une traduction, il manquera toujours ce « quelque chose » qui fait la spécificité de la langue originelle, la couleur, la configuration et le contenu de son esprit, sa conception des choses et sa manière de les rendre. Le verbe est créateur. Il maintient l’homme dans sa nature propre. Dès que l’homme change de langage, il change d’état. Il se coule dans un autre moule. » Amadou Hampâté BÂ (« Aspects de la civilisation africaine, » Édition Présence Africaine, p. 53) SOLOMANA KANTÉ ET LE N’KO (PAR NAFADJI IBRAHIMA SORY 2) NB: L’exploitation et l’insertion de cet texte ont été autorisées par son auteur, le Professeur Nafadji Sory Condé 2 en 2016, lors de la célébration du 29ème anniversaire de la mort de Solomana Kanté (1922-1987), à l’Université Kofi Annan de Conakry.

« 1 - Introduction Le N’Ko est avant tout un système d’écriture autochtone spécifiquement africain, inventé jeudi le 14 avril 1949 a Bingerville en Côte d’Ivoire par l’encyclopédiste guinéen Solomana Kanté (1922-1987). Originaire de la région de Kankan en Guinée, SOLOMANA KANTÉ est l’auteur de 183 livres rédigés en 247


38 ans (1949-1987). Ses travaux sont aussi divers que variés parce qu’ils couvrent plusieurs domaines du savoir. Pour cela, il en sera question plus loin. Quoi qu’il en soit l’inventeur de ce système a eu aussi le mérite de fonder une langue littéraire et une littérature écrite en langue Mandingue, utilisant les caractères N’Ko (Vydrine, 2001). La langue littéraire qu’il a forgée et dans laquelle s’expriment les écrivains utilisant son système d’écriture alphabétique est une mosaïque regroupant les principaux parlers mandingues: Bamanankan, Maninkakan, Dyulakan, Mandingo. Ce médium linguistique, enrichi par les vocabulaires de 28 autres idiomes mandingues qui lui avaient permis de fonder un vaste mouvement littéraire qui ne prendra de l’ampleur qu’après la divulgation progressive de ses travaux après sa mort. Cette langue littéraire basée essentiellement sur les genres littéraires mandingues; comme nous avons pu le déceler dans nos écrits, est considérée par lui et ses héritiers intellectuels comme la langue standard du groupe linguistique mandingue (Vydrine, 1996). Ce N’Ko standard se démarque nettement de la tradition linguistique de l’école occidentale, non seulement par la qualité et l’abondance des œuvres produites, mais aussi par l’attitude des populations concernées. En effet, le mouvement N’Ko considère les parlers mandingues comme dialectes d’une même langue standard nommée N Ko, alors que tous les instituts nationaux de linguistique appliquée d’obédience occidentale ont choisi les divergences dialectales: c’est à dire standardiser le Bamanankan au Mali, le Maninkakan en Guinée, le Dyulakan en Côte d’Ivoire et ceux, malgré toutes les tentatives d’harmonisation, en cours (Koba, 1999). Le fait d’avoir réussi une seule et unique forme standard dans laquelle toutes les communautés mandingues se reconnaissent en partie l’une des raisons de la popularité de la littérature N’Ko auprès des populations mandingues d’Afrique occidentale (Diané, 1998: communication personnelle). Plus d’un demi-siècle après la naissance d’une langue littéraire en N’Ko, on y dénombre une abondance d’œuvres produites par divers écrivains ouestafricains. Qu’elle est la genèse du N’Ko? Comment Solomana Kanté a-t-il forgé sa langue littéraire? Comment se présente la grammaire N’Ko élaborée par Soulémana Kanté? Les réponses à ces trois questions nous serviront de guide d’analyse. 2. LA GENÈSE DU N’KO Cette genèse est liée à la biographie du fondateur du N’Ko, non seulement par le fait que Solomana Kanté est une personnalité d’envergure, mais aussi par le fait que cette biographie a beaucoup d’influence sur la langue littéraire qu’il a créée. 248


2.1 LE FONDATEUR: SOLOMANA KANTÉ (KANKAN SOUMANKOYE, 1922 - CONAKRY, 1987) Le fondateur de la langue littéraire et de la littérature en N’Ko est issu d’une famille de marabouts habitant le village de Kolonin Soumankoye, localité situe à 14 km au Nord-Ouest de la ville de Kankan en Haute Guinée. Cette famille est était établie dans le Batè à la fin du XIXème siècle; Amara Kanté, le père de Solomana Kanté, se fixa à Kölönn en 1921, lieu où un an plus tard Solomana Kanté verra le jour (Oyler, 1995). A l’école coranique d’Amara Kanté, qui était très florissante dans les années 1920 et 1930, le jeune Solomana Kanté apprit le Coran; en plus, il a la chance de comprendre plusieurs dialectes mandingues. En effet, de nombreux apprenants de cette école s’exprimaient à travers différents parlers mandingues. Des centaines de Talibés de ce centre d’études islamiques étaient originaires de plusieurs contrées de l’Ouest Africain. Ayant grandi dans ce milieu multidialectal et hétérogène, on comprend facilement comment les textes de Solomana Kanté constituent une sorte de compendium hétéroclite des parlers mandingues. Bien évidemment, ce n’est pas la seule explication et le fait d’avoir séjourné longtemps en Côte d’Ivoire et d’avoir vécu au Mali ont certainement approfondi ses connaissances en Dyulakan et en Bamanankan. Et toutes ses publications en marquent la trace. Le fondateur du N’Ko ne sera pas rapidement en contact avec le monde blanc. Et, dans sa lettre destinée au linguiste africaniste français Maurice Houis, publiée dans « Mande Studies » par un linguiste russe, Valentin Vydrine, il affirmait avoir vu pour la première fois, un blanc quand il avait douze ans; ce qui se situerait en 1934. En 1941, la mort d’Amara Kanté produit un changement profond dans la vie du jeune adolescent: il quitta le domicile paternel, séjourna à Kouroussa, puis à Balandougou, portée d’entrée du Wasulu. Dans cette localité, il vit un livre d’histoire du Wasulu chez son oncle Djibrila Diallo. Ce manuscrit aurait été conjointement rédigé en Maninka en caractère arabe par Aly Soulé, le grand-père de Solomana Kanté et le père de Djibrila Diallo. Cette découverte permit néanmoins au futur fondateur du N’Ko de connaître que les tentatives de transcription du Maninka étaient bien réelles et qu’elles constituaient une préoccupation fondamentale de certains lettrés de la région de Kankan. Malgré ses connaissances pourtant bien attestées en arabe, il n’arriva pas à lire ces textes sur l’histoire du Wasulu (Kanté, 2004). Trois ans après le décès d son père, Kanté acheta une revue libanaise à Bouaké en Côte d’Ivoire. Il a lu dans cette revue un article intitulé NAHNOU FI IFRIKIYA « Nous sommes en Afrique » par Kamal Marwa, un ethnologue libanais qui dressait la monographie, des pays de l’Afrique de l’Ouest où résidaient des communautés libano-syriennes. En le lisant Kanté découvre la problématique de l’écriture 249


arabe. Parallèlement à ses recherches, il faisait du commerce et voyageait beaucoup en Côte d’Ivoire et dans les territoires voisins anglophones (Libéria, Gold Coast). En 1947, Solomana Kanté se rendit en Gold Coast (l’actuel Ghana) et découvrit des transcriptions de la Bible dans les langues de ce pays à travers les caractères latins. Ayant trouvé assez d’insuffisances dans les transcriptions arabes du Mandingue (l’arabe a trois (3) voyelles, alors que le Mandingue en a besoin de neuf (9), il abandonna l’écriture arabe au profit de la latine. L’abandon de l’arabe par l’inventeur du N’Ko n’est pas dû seulement aux imperfections de cette écriture dans la transcription du Mandingue, elle pourrait aussi s’expliquer par les difficultés liées à l’impression et à la diffusion des livres. Dans une interview que le fondateur du N’Ko avait accordée aux journalistes en 1969, interview dont la traduction est publiée en 2004 en N’Ko, Kanté dit: « Comme le Mandingue a besoin de trois voyelles arabes (a, i et ou) et de quatre voyelles manquantes, j’ai complété les trois voyelles arabes à sept voyelles; après, j’ai ajouté des points à certaines consonnes pour pouvoir transcrire les sons (gba, tya, pa), absentes de l’alphabet arabe. À l’aide de ce dispositif descripteur, j’ai pu rédiger quelques poèmes, des proverbes, des devinettes sans oublier la traduction de certains versets coraniques dans nos langues. J’ai fait un premier tome que j’ai envoyé à Roudossi Kadour à Alger pour impression. Ce dernier me retourna mon manuscrit en me disant qu’il ne possède pas de caractères d’imprimerie pour mes nouvelles voyelles et consonnes. Il estima qu’il peut l’imprimer malgré tous ces obstacles à condition de prendre le soin de reprendre soigneusement mon manuscrit en recopiant sur une feuille très blanche en utilisant une encre très noire, avec les lignes très droites et les bordures des feuilles bien alignées. Il photocopierait et multiplierait ce manuscrit. Cependant, vu les difficultés liées à cette forme de publication, il ajouta qu’on devait finalement comprendre qu’au-delà des frais d’imprimeries exorbitants, les lettrés en arabe à qui j’ai montré mon manuscrit me dirent que j’ai compliqué un système d’écriture déjà compliqué; des illettrés me dirent que j’ai surchargé l’écriture arabe qui est déjà surchargée de diacritiques. J’ai compris que je ne devrais pas engager tout mon argent pour assurer les frais d’imprimerie d’un document que le lectorat n’apprécierait pas » (Kanté, 2004). Quoiqu’il en soit, Kanté s’est détourné de l’écriture arabe pour transcrire les caractères latins. Ce système roman plut à Kanté à cause de sa simplicité par rapport à l’arabe. S’il n’eut aucun problème à déterminer les lettres de sa langue en latin, il se heurta néanmoins aux problèmes de notation des phonèmes mandingues. Car en Mandingue, il remarquait que la différence fondamentale des phonèmes

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étaient réalisés au niveau tonal. Alors, l’écriture latine était incapable de transcrire correctement les tons de sa langue (Kanté, 2004). Se lançant à la recherche d’un alphabet propre aux langues africaines, il inventa le 14 avril 1949 l’alphabet phonétique N’Ko à Bingerville en Côte d’Ivoire sous domination coloniale française (Oyler, 1995). L’invention de ce alphabet sera suivie par 38 années d’intenses rédactions de livres au cours desquelles il produisit près de 5 livres par an en moyenne. Sous cette rubrique, nous nous sommes intéressés a ses travaux en linguistique et en grammaire. 2.2 LE TRAVAIL LINGUISTIQUE DE SOLOMANA KANTÉ Comme nous l’avons dit plus haut, l’un des mérites de Kanté est d’avoir harmonisé une langue littéraire jugée commune au Bamanankan, Dyulakan, Maninkakan et Mandingo. Cette harmonisation est en rapport avec sa connaissance des profondeurs de la langue mandingue. C’est pourquoi dans tous ses textes et contrairement à plusieurs linguistes mandeïsants occidentaux ou africains formés à l’école occidentale, la langue mandingue est considérée comme unique avec quatre dialectes principaux. Cependant nous ne voulons pas nous mêler ici de ces querelles d’écoles, notre vocation est de présenter un résumé du travail linguistique énorme battu par le créateur du N’Ko. LE DECLIC DE LA CRÉATION DE L’ALPHABET N’KO DE KARAMO SOLOMANA KANTÉ ----------o---------En lisant un article écrit par un journaliste libanais dans lequel est écrit, entre autres, que « les Africains n’avaient pas de système d’écriture propre et semblaient ne pas s’intéresser à l’écriture »… Dès lors, Solomana Kanté décide de créer le N’Ko, un système de transcription des sons de la langue mandingue, qui lui semble plus adapté à la transcription du savoir et à la pédagogie que des systèmes de transcription étrangers comme l’alphabet latin ou l’alphabet arabe.

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Fodé Solomana Kanté de Soumankoï (Kankan, République de Guinée, 1922-1987). L’inventeur de l’écriture N’Ko (savant, linguiste, historien, médecin en pharmacopée, botaniste, poète... Mandingue).

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Photo de famille: Solomana Kanté en haut, second en partant de la droite.

2.3 LA PHONÉTIQUE ET LA PHONOLOGIE DU N’KO Au cœur de l’histoire de la création de l’écriture N’Ko, comme nous l’avons dit plus haut, se trouve « la faiblesse ou l’incapacité » des écritures latines et arabes à noter les tons des langues mandens. C’est ce qui a justifié, selon Kanté, sa motivation à créer un alphabet phonétique qui comblerait ce vide. Kanté, très préoccupé par l’étude des tons de sa langue, a découvert les tons mandingues au moins une bonne décennie avant les linguistes occidentaux (Amselle 2001). Dans sa phonologie, il a pu noter les tons suivants à l’aide de quelques signes diacritiques: Kanmayèlè kakodo est le nom du ton haut uniforme; Kanmayèlè labaranèn est le nom du ton haut brusque; Kanmadjii kakodo est le nom du ton bas uniforme; Kanmadjii labaranèn est le nom du ton bas brusque; Kanmayèlè tèdo est le nom du ton haut neutre; Kanmadjii tèdo est le nom du ton bas neutre. À noter que dans la tradition phonétique N’Ko, contrairement a celle occidentale, les voyelles longues et les tons sont considérés comme des phénomènes de même ordre. C’est pourquoi, si à des voyelles brèves 253


correspondent des tons brefs, à des voyelles longues correspondent aussi dans tons longs. Ainsi, on trouve: Kanmayèlè kakodo samannèn est le nom du ton haut uniforme accentué; Kanmayèlè labaranèn samannèn est le nom du ton haut bref accentué; Kanmadjii kakodo samannèn est le nom du ton bas uniforme accentué; Kanmadjii labaranèn samannèn est le nom du ton brusque accentué; Kanmayèlè tèdo samannèn est le nom du ton haut neutre accentué; Kanmadjii tèdo samannèn est le ton du ton bas neutre accentué. Ayant fait une étude approfondie des tons mandingues, il trouva douze niveaux de réalisation tonale auxquels correspondent douze signes diacritiques pour ces mêmes tons. En fait, l’une des particularités de l’écriture N’Ko est que les tons sont notés du point de vue de la réalisation. Mais pour des raisons didactiques ou pédagogiques, Solomana Kanté savait que noter douze marques d’iatriques tonales est une complexité formelle qui pourra poser d’énormes difficultés de mémorisation aux apprenants de son écriture. Il supprima quatre tons non pertinents que sont les tons neutres et il reste que huit tons jusqu’à nos jours. Kanté et ses héritiers intellectuels sont d’avis qu’aucune alphabétisation ne se généralisera dans les langues mandingues tant qu’elle ignorera l’aspect phonétique et phonologique du N’Ko. Ainsi, l’échec de l’enseignement formel et de l’alphabétisation générale dans les langues nationales que prônait Ahmed Sékou Touré en Guinée est imputé, entre autre, au fait que l’Académie des Langues Guinéennes n’avait pas tenu compte de l’aspect tonal des langues. Ce qui est visible, c’est que certains linguistes occidentaux et ceux africains de l’école occidentale ont commencé à réellement prendre conscience de la pertinence de la notation des tons de nombreuses langues ouest-africaines. Ce qui est jugé néanmoins comme une influence positive de l’école N’Ko sur la tradition linguistique occidentale. 2.4 DE LA LEXICOLOGIE À LA TEXICOGRAPHIE Une autre hantise de Solomana Kanté concerne ses travaux sur le vocabulaire des parlers mandingues. À cause de son milieu d’enfance (voir biographie ci-haut), Solomana Kanté a connu les vocabulaires de nombres parlers mandingues. Ses séjours en milieu Dioula (Côte d’Ivoire, Haute-Volta), Bambara (Mali) et ses visites en Sierra Leone, en Gambie et au Sénégal à des fins de recherches ou de commerce lui ont permis de dresser un lexique rassemblant des vocabulaires de près de 28 parlers mandingues. Cela lui a permis de réaliser un travail lexicographique immense. Bien évidemment, Kanté a créé des milliers de néologismes. Son travail lexicographique se présente comme suit: o Un dictionnaire monolingue N’Ko de près de 32.500 vocables crée en 1962, et publié en 1992; 254


o Un dictionnaire bilingue Français-N’Ko, encore non-publié, créé en 1971; o 25 lexiques et terminologies bilingues administratifs et scientifiques. Cette dimension lexicographique bilingue des travaux de Kanté touche les termes juridiques, mathématiques, commerciaux, biologiques, mécaniques, techniques, technologiques, biomédicaux, physiques, chimiques, politiques, mythologiques, météorologiques. L’ambition du fondateur du N’Ko et de ses élèves, écrit Vydrine en 1996, est de prouver que le Mandingue est égal aux langues occidentales en aptitude à couvrir toutes les sphères de la vie moderne. 2.5 LA DIALECTIQUE Nous n’avons pas pour prétention de définir ici les frontières entre les termes « les langues », « les parlers » et « les idiomes ». Cependant, comme le champ d’action des recherches de l’inventeur de l’alphabet N’Ko se trouve centré sur l’aire culturelle et linguistique mandingue, nous développerons son approche des différents dialectes mandingues. Le mot Kanbolo, terme par lequel Kanté désigne le dialecte en N’Ko, signifie littéralement « branche de langue ». À ce titre, il considère tous les parlers mandingues inter-compréhensibles comme les dialectes d’une seule langue, le N’Ko. Le terme N’Ko recouvre alors une langue mandingue avec ses quatre dialectes principaux: le Bamanan, le Dioula, le Maninka, le Mandingo. C’est pourquoi l’approche de l’école N’Ko des dialectes mandingues se base sur l’idée de leur unicité, alors que, du point de vue de certains linguistes de l’école européenne, considérer le Maninka de Guinée, le Dioula d’Odienné et le Bamanan standard comme une seule langue serait une erreur. Au-delà de cette divergence de vision entre l’école occidentale, suivie généralement par les établissements d’État, comme l’Institut de Recherche Linguistique Appliquée (IRLA) en Guinée ou la Direction Nationale de l’Alphabétisation Fonctionnelle de la Linguistique Appliquée (DNAFLA) au Mali, et l’école N’Ko, nous présenterons sommairement les descriptions effectuées par Solomana Kanté sur les dialectes mandingues. Dans son ouvrage, écrit en 1968 et publié en 1997, intitulé « Manden fodoba kan » (« Langue commune du Manden »), Kanté distingue: 1) Les parlers maninka: Selon Kanté, l’aire géographique maninka est à cheval entre le Mali, la Haute Guinée et la Côte d’Ivoire. En Guinée, le dialecte couvre les zones de Siguiri, Kankan, Kouroussa, Faranah, Beyla, Kérouané et partiellement Dinguiraye, Dabola, Kissidougou et Macenta. Au Mali il y a Kaaba, le Wasulun autour de Bougouni, Kita. En Côte d’Ivoire il y a Séguéla et Odienné. La zone touche aussi l’Est de la Sierra Leone et un peu le Libéria. Le dialecte maninka est composé de plusieurs parlers qui sont: 255


Kuranko, Konigna, Wassolon, Dioma, Toron, Sankaran, Hamana, Batè, Kònò, Vaï, Siby, Odienné, Maou, Kooya. 2) Les parlers bamanan: La République du Mali est leur domaine de prédilection. Les principaux sont: Bérèdougou, Bougouni, Sikasso, San, Koutiala, Ségou, Dioila. D’après Kanté, la différence entre le Maninka et le Bamanan se manifeste à travers des éléments suivants: - Le Bamanan substitue souvent le phonème [L] au début du mot par [D]; LALI qui veut dire « coucher » en Maninka devient DALI en Bamanan; - Il remplace aussi [D] par [R] au milieu et à la fin des mots; - Il fait précéder de nombreux noms par la lettre [ N’], tel que n’kòsòn « scorpion », n’jolon « criquet »; - Il supprime le phonème [L] dans la prononciation du pluriel en ne gardant que la voyelle [U] que les mandeïsants occidentaux interprètent par [W]: kè-u, den-u, mogo-u en Bamanan alors que c’est ké-lu, den-lu, mogo-lu en Maninka. Les Bambara n’utilisent plus le pluriel [-lu] originaire, que lorsqu’il est précédé par le pronom démonstratif [o] dans olu « eux ». 3) - Les parlers dioula: La Côte d’Ivoire, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et le Ghana sont des zones du pays Dioula. Les différents parlers sont: a) - En Côte d’Ivoire, il y a les Dioulaba, les Dioulaningbè, les Tagbanan, les Djiminin Dioulaba, les Kongka, les Gbotooka, les Kooro, les Dioula Faranfaran et le Dioula d’Abidjan et de Bouaké sont les mélanges de tous les autres parlers Dioula. b) - Au Nord-Ouest du Ghana, il y a les Wankara et les Ligbi. c) - En Haute-Volta (le Burkina Faso actuel), il y a le Dafin, le LobiDioula, le Bobo-Dioula et les Mossi assimilés appelés les Yarissé. 4) - Les parlers mandingo: C’est l’ensemble des parlers utilisés par des Mandingues de l’Ouest. Les parlers mandingo du Mali sont les Kassonka, au Bafilabèn. Le Kassa est parlé au Sénégal médiéval. Le Diakanké et le Kakabé en Guinée sont les zones de l’espace mandingo. En tout cas, la Sénégambie et la Guinée-Bissau sont les zones de l’espace mandingo. La caractéristique principale du Mandingo est de substituer le phonème [a] à la fin des noms par le phonème [o]: que sont Bamakoka, Kannkanka, Abidjanka, Mandenka deviennent Bamakoko, Kankanko, Abidjanko, Mandenko. Une autre caractéristique du Mandingo est de remplacer le (d) par (t) à l’intérieur des mots. Soloda « bouilloire » est « solota » en Mandingo; Sunjada devient Sunjata. Dans la dialectologie de Kanté, on relève une certaine différence avec celle occidentale. En effet, le parler d’Odienné en Côte d’Ivoire qui fut traité par Cassian Braconnier comme Dioula, est classé par Kanté parmi les variantes du Maninka. Seule une analyse du livre « Kan Kurundulu » (« Les Règles de la Langue ») permettra de mieux cerner l’étude des dialectes mandingues, car c’est dans ce livre que Solomana Kanté a présenté une description très détaillée 256


des caractéristiques d’une trentaine de parlers mandingues et mandens. Malheureusement, la communauté scientifique internationale n’a pas accès. Comme dans la majorité des travaux de l’inventeur de l’alphabet N’Ko il n’a pas encore été publié. 3) LA GRAMMAIRE ÉLABORÉE PAR SOLOMANA KANTÉ Le fondateur de l’écriture N’Ko a élaboré une grammaire Kangbè pour la langue mandingue, qui, à priori, peut s’appliquer à la linguistique. Cependant, la grammaire qu’il a élaborée définit la grammaire comme étant l’étude des règles de fonctionnement d’une langue, définition qui a priori peut s’appliquer à la linguistique. Cependant, la grammaire N’Ko est vue par son fondateur comme étant l’élément purificateur d’une langue d’où l’expression « Kangbè », langue claire. Selon certains spécialistes, la grammaire élaborée par Solomana Kanté s’apparente à la grammaire scientifique structurale utilisée par les linguistes pour décrire les langues. Leur point de vue est conforté par DNAFLA (Mali), en ce sens que dans la segmentation tèèli ni narali, par exemple, le pluriel des mots (jamayalan) désigné par -lu en Maninka et -w en Bamanan n’est pas collé au mot; dans la grammaire N’Ko « tyè lu ou tyè w », voire « kèw, les hommes ». Comme nous l’avons dit plus haut, notre tâche n’est pas de juger les deux modèles de la grammaire mandingue. Cela nécessiterait une étude approfondie, nous présenterons seulement la grammaire N’Ko, N’Ko kangbè comme elle est dans les livres écrits en N’ko. Ainsi selon Solomana Kanté, le Mandingue contient dix espèces de mots, « kumaden suuya tan », qu’il a répertorié de façon suivante: 3.1. Le nom: Il le désigne sous le vocable too qui veut dire le substantif. Il sert à apporter des explications sur la désignation des choses fèn nu ou fèn wu, des « êtres vivants » nima lu ou nimalu aux noms communs fodoba too, mais aussi des noms déterminés too malonnèn et des noms indéterminés too mafilinèn. Or, en raison du caractère fortement phonétique de l’alphabet N’Ko, c’est à l’aide des signes diacritiques pour les tons que l’on peut distinguer le rôle de ce que les linguistes occidentaux appellent l’article tonal. 3.2. Le pronom: Il est appelé toonodobila, littéralement « substitut du nom ». Selon Kanté, il y a deux types de pronoms: le nom autonome toonodobila tuunbali et le pronom non-autonome toonodobila tuunta. Il est à remarquer que les pronoms de la grammaire N’Ko ne sont pas strictement des équivalents des pronoms personnels. Sous le vocable de toonodobila, on peut trouver, en dehors des pronoms personnels, des pronoms indéfinis, démonstratifs et possessifs, ainsi que des adjectifs possessifs. 3.3. L’adjectif ou mankutu: On distingue dans la grammaire N’Ko trois catégories d’adjectifs qui sont: mankutu tuunta ou adjectif non-autonome qui est inséparable du nom (nisi gbè « vache claire », mosso misèn « femme mince », tyè fadin « homme brave »), mankutu tuunbali « adjectif autonome » 257


qui est isolé du nom (gbeman « blanc », wuleman « rouge », misènman « mince ») et mankutu tèdo « adjectif neutre » qui peut être autonome et nonautonome à la fois: funuséré « généreux », belebele « gros », sala « paresseux ». L’adjectif non-autonome (tuant) peut être assimilé à l’adjectif qualificatif français dans la mesure où il comporte trois sous-catégories comme tuunta gboku « épithète », mankutu lakali « adjectif attribut direct » et mankutulanma « adjectif attribut indirect ». L’adjectif non-autonome « tuunbali » est un « adjectif séparé du nom que l’on peut comprendre sans qu’il ne soit associé à un autre mot », autrement dit, c’est un adjectif qui a la valeur d’un nom et qui dérive soit d’un nom, soit d’un verbe ou d’un adjectif non-autonome. Il résulte de l’association de certains suffixes que l’on ajoute au nom, au verbe et a l’adjectif non-autonome. L’adjectif autonome (tuuntabali) est adjectif sépare du nom que l’on peut comprendre sans qu’il ne soit associé à un autre mot, autrement dit, c’est adjectif qui a la valeur d’un nom et qui dérive soit d’un nom, soit d’un verbe ou d’un adjectif non-autonome. Il résulte de l’association de certains suffixes que l’on ajoute au nom, au verbe ou un adjectif non-autonome. Finalement, Kanté distingue trois sous-catégories de l’adjectif nonautonome: L’adjectif non-autonome nominal, l’adjectif non-autonome verbal et l’adjectif non-autonome dérivé morphologiquement de l’adjectif autonome. L’adjectif neutre (mankututu tèdo) est, selon Kanté, à la fois autonome et non-autonome. En raison de ce caractère, on peut le classer dans toutes les deux premières catégories d’adjectif, d’où son caractère neutre. 3.4. Les auxiliaires ou bosolan nu, formentla quatrième espèce de mots dans la grammaire N’Ko. Il y a dix bosolan « auxiliaires » qui déterminent les temps de conjugaison en N’Ko. Parmi ces dix auxiliaires, huit précèdent le verbe et deux suivent le verbe. Ainsi, dans la conjugaison, « bosoli » en N’Ko, nous sommes limités volontairement aux neufs auxiliaires principaux, qui sont classés comme suit: Il est l’auxiliaire du passe immédiat taminèn kuda et on peut l’assimiler presque au passé composé passif de la grammaire traditionnelle française. Il se place avant le verbe. Par exemple, n’bada taa « je suis parti ». Da: Il se place après le verbe; il est l’auxiliaire de la première forme du passé ancien. Taminèn kòdò qui peut être considéré comme le passe simple de la grammaire française. Par exemple, n’taa da « je suis parti ». Ka se place avant le verbe. Il est l’auxiliaire de la seconde forme du passé ancien et peut être équivalent au passé composé dans le paradigme grammatical français. Par exemple n’k’a ye « je l’ai vu ».

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Yé … la est une locution à valeur d’auxiliaire que l’on utilise pour conjuguer les verbes au présent biintaa. Par exemple, n’ye wa la « je vais ». Comme en Anglais, il est à remarquer qu’il existe deux types de présents dans la conjugaison N’Ko: n’ye wa la dans le biintaa kudayi est le présent répétitif et signifie « je vais régulièrement ». Bè est l’auxiliaire de nato jona « futur immédiat » qui n’est pas à confondre avec bè, terme généralisé en Dioula véhiculaire et en Bamanan qui est l’équivalent de yé … la, le présent en Maninka. Kanté explique que dans certaines expressions le terme recouvre le présent s’il est synonyme de yé … la et au cas contraire, il exprime la première forme du futur immédiat. Par exemple, n’bè taa la signifie « j’irai » si c’est le futur proche; il signifie aussi « je vais » en Dioula et en Bamanan comme l’équivalent de n’yé taa la, forme généralisé en Maninka. Kanté explique ce paradoxe par le fait que ce futur est si immédiat dans l’esprit des Mandingues qu’il s’assimile presque au présent. Mais dans son livre « Kangbe kunbaba » que nous utilisons ici, c’est le futur proche qui prévaut. Par exemple, n’wilito « je me lèverai ». Bèna est l’auxiliaire du futur postérieur: n’bèna sa, « je mourrai », mais qui peut être interprété par l’expression: « je finirai par mourir ». Dina exprime le futur postérieur en tant que forme généralisée chez les Maninka, tandis que bèna l’est chez les Dioula et les Bamanan. Ainsi, n’dina sa veut dire « je mourrai ». Il est à noter que dans les derniers travaux de Solomana Kanté; il y a douze auxiliaires. Ce qui signifie que l’élaboration de la grammaire en N’Ko a pris plusieurs années; les textes se complétant et se modifiant au fil de ses recherches. 3.5 Le verbe, kumasobo: C’est la cinquième espèce de mots dans la classification de Solomana Kanté. En grammaire N’Ko, la marque de l’infinitif d’un verbe est ka. Il y a quatre catégories de verbes que Kanté a répertoriées comme suit: - Kumasobo dandjèdèla « verbe intransitif », comme: ka wa « aller », ka taa « partir »; - Kumasobo tamindjèdèla « verbe transitif » comme: k’a gbèn « chasser », k’a mida « attraper », k’a di « donner »; - Kumasobo kèndjèdèla « verbe réfléchi » comme: k’a wili « se lever », k’a ko « se laver », ka gnoon faa « s’entretuer »; - Kumasobo tèdo « neutre ». Dans cette catégorie Kanté a regroupé les verbes qui peuvent se retrouver dans deux ou trois autres catégories. En N’Ko, le verbe ka bori « courir » est un verbe neutre qui peut être à la fois transitif, intransitif ou réfléchi: o a bada bori: il a couru: est le dandjèdèla, intransitif; o a bada soo bori, littéralement « il a couru le cheval » pas au sens français, mais au sens mandingue, cela veut dire « il est allé à cheval »; 259


o n’bada n’bori, littéralement, « j’ai couru moi » qui doit se traduire convenablement en Français par « j’ai couru » ou j’ai fait courir moi-même, un verbe réfléchi. En conjugaison N’Ko (bosoli), il y a deux modes, karako: karako bulebule que le fondateur du N’Ko a assimilé au mode indicatif et karako tanbon qui n’a pas d’équivalent dans la conjugaison française. C’est pourquoi nous estimons que seule une analyse plus approfondie peut permettre de connaître les équivalents réels des modes et temps de conjugaison de la grammaire. Chaque karako comprend deux formes de conjugaison qui sont: o bulebulekèli bèdè est le mode complet qui se réalise pleinement. o bulebulekèli dosanèn est le mode complet qui n’a pu se réaliser car une condition a empêché le sujet d’accomplir ou de subir une action. o tanbonkèli bèdè est le mode incomplet qui se réalise pleinement. o tanbonkèli dosanèn est le mode incomplet qui ne se réalise pas. Ainsi, les deux modes donnent quatre formes. Chaque forme comprend huit temps de conjugaison. Les deux modes avec leurs formes donnent mathématiquement trente-deux temps de conjugaison. Si on y ajoute quatorze autres temps de conjugaison dont sept fatantili « ordre d’empêchement » et sept pour jamarili « ordre d’exécuter » on dénombrera quarante-six temps simples de conjugaison des verbes dans la grammaire Mandingue sans que l’on ne mentionne les temps composés. En somme, ces quarante-six temps simples résument à suffisance toutes les formes de conjugaison des parlers mandingues. Alors que l’on n’a pas opteé pour la même solution dans le paradigme linguistique occidental. Solomana Kanté distingue aussi ce qu’il appelle kumasobo bolo nu que nous pouvons traduire littéralement par les « branches de verbe ». Il y a cinq « branches de verbe » qui sont, en réalité, des mots dérivés du verbe: o Les verbes proprement dit, kumasobo jèdè, c’est lui qui peut se conjuguer à l’aide des auxiliaires et qui peut varier selon les temps, modes et voies; o Le nom d’action du verbe kèli too ni kebaa too est en fait des noms qui découlent du verbe. C’est le suffixe -li ou ya que l’on ajoute aux bases verbales pour former les noms; o Le nom du sujet actif et celui du sujet passif kèbaa too ni kèbaato too. Ce sont des adjectifs nominaux qui sont issus des verbes. On les trouve en ajoutant aux bases verbales les suffixes -la et -baa comme sujet et actif ou les suffixes -baato comme sujet passif; o Le nom de la chose avec laquelle on exécute une action, kèlan too, on obtient ce dérivé par l’ajout du suffixe -lan à la base verbale pour trouver le nom de l’instrument avec lequel on exécute une action; o Le nom du temps d’action du verbe kèli tuma, on l’obtient par l’ajout du suffixe -to au verbe pour le gérondif ou du suffixe, -tola pour le participe présent.

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3.6. Les particules kunkudun nu: dans la tradition grammaticale N’Ko, on appelle « particule » tout mot dont ne comprendra jamais le sens à lui seul s’il n’est pas ajouté à un autre mot ou si un autre mot ne s’ajoute pas lui, d’où l’expression « particule ». Kanté distingue deux catégories de particules: kunkudun tuunta « particule autonome » et kunkudun narata « particule à fixer ». Les affixes, ou kunkudun narata lu, regroupent trois sous-catégories: les préfixes nyènara, les suffixes konara et les infixes tènara. Exemples: des préfixes ajoutés au radical du verbe « laver » peuvent donner des dérivés suivants: doko « laver l’intérieur restreint » en parlant des ustensiles, mako « laver la surface ou la partie superficielle » en parlant d’une voiture, koko « laver le derrière » (d’un enfant, quand il finit d’aller au WC), nyèko « laver la face », kònòko « laver l’intérieur spacieux », lako « faire laver par quelqu’un d’autre que soi même à l’aide d’une chose », kunko « laver le cerveau ». Selon Solomana Kanté, la grande différence entre le Maninka de Kankan et le Bambara en général et celui de Ségou en particulier est que ces deux derniers ont perdu de nombreux préfixes, alors que le parler de Kankan utilise tous les préfixes mandingues. Exemple, un Ségovien peut dire ainsi aw ma nisiw min wa?, expression qui signifie « n’avez-vous pas abreuvé les bœufs? ». Dans le parler d’origine, cela sonnerait logiquement comme ça: « n’avez-vous pas bu les bœufs? » ce qui est incorrect et qui signifie que ce sont les vaches qui doivent être bues. La forme correcte sera ainsi alu ma nisi lu lamin ba? et aw ma nisiw lamin wa? qui veut dire « n’avez-vous pas fait abreuver les bœufs? ». Les suffixes, konara lu, donnent les dérivés suivants en prenant l’exemple sur le verbe ka gbasi « frapper »; gbasili (nom d’action du verbe « frapper »), gbasita « qui doit ou peut être frappé », gbasilan « instrument avec lequel on frappe, par exemple le fouet », gbasibaa « le frappeur », gbasibaato « le frappé », gbasinèn « le frappé ». L’infixe tènara: C’est « n’ » qui est le seul et unique tènara dans la grammaire N’Ko. Il sert à former les noms d’actions des verbes composés comme suit: jii-n’a « déception », tèè-n-do « perte de confiance », gbu-n’-na « contiguïté » tèdè-n’-doli « participation ». Les particules non-autonomes kunkudun tuunta: c’est des particules non-collées, elles correspondent aux prépositions et conjonctions françaises. Il y en a trois catégories: nyètuun qui se place avant, tètuun qui se place au milieu, kotuun qui se place après. Exemples: quand ni signifie en français « et » c’est un tètuun. Les kotuun sont: do « dedans », ma « sur », fè « avec » et kèdè « à côté ». 3.7. Les adverbes kala lu. Kanté distingue quatre catégories d’adverbes qu’il a expliqué comme suit: Tuma kala « adverbe de temps » bi « aujourd’hui », kunun « hier », sinin « demain »; 261


Yòrò kala « adverbe de lieu »: kundo « dessus », yan « ici », yén « làbas »; Lihala kala « adverbe de manière »: kosèbè « sérieusement »; kojuuya « trop »; konyima « bien »; Tèdo kala « adverbe neutre ». Ce sont des adverbes qui peuvent être classés à la fois parmi les trois premières catégories. Exemple: sali nyè adverbe de temps « avant la prière », tamin n nyè adverbe de lieu « devant moi ». 3.8 L’interrogation nyininkali C’est la huitième espèce de mot dans la grammaire Mandingue en N’ko, elle comprend huit sous-catégorises dont les principaux sont les suivants: djontii « qui? », mèdè « quoi? », mun « quoi? », min « où? », jéli « combien? », gniman « quoi? » (en demandant la qualité), baadi « okay? ». 3.9. Le corroboratif dogbèlèyali C’est la neuvième espèce de mots en N’Ko. Dans la tradition grammaticale des mandeisants de l’école occidentale, il est un adverbe expressif. Dans la grammaire N’Ko, c’est un corroboratif dans la mesure où il peut jouer deux rôles différents, donc deux catégories, si on y ajoute le tèdo, cela devient trois. Les corroboratifs simplement expressifs: ils sont en fait des insistances a wulènnén borro « il est rouge vif », a wulènnén tyoyé « il est rouge jaunâtre en fait orange ». 3. 10. L’interjection kanto C’est la dixième et la dernière espèce de mots dans la grammaire N’Ko. Solomana Kanté a distingué seize catégories de kanto. En voici certains: Kilili kanto « interjection d’appel » (Mamadi lé) Kabakoya kanto « interjection d’étonnement » Bodèbo kanto « interjection de dépit » Il y en a certains qui expriment aussi l’ordre (dyamarili), le doute (sika), le rappel (dyanbilali), la réflexion (miri), la douleur (dimin), la bénédiction (dubali), la gaieté (sèwa), le refus (masòsòli), la réponse (lamidali). 4. CONCLUSION Il est clair que l’étude de l’héritage linguistique de Solomana Kanté par les linguistes en général et les mandeïsants en particulier ne fait que commencer. Ce qui veut dire que l’inventeur du N’Ko ne finira pas de nous étonner. Son paradigme scientifique est une nouvelle piste à explorer et il nous permettra à coup sûr d’apporter certaines réponses aux nombreuses interrogations que se posent les chercheurs. Par Nafadji Ibrahima Sory 2 (Membre de l’Académie N’Ko de Guinée)

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PRINCIPALES SOURCES o Diané Baba, « N’Ko kangbe noon, » 1993. o Kanté Soulemana, « N’Ko kanmasere kafaba, » 1971. o Kanté Soylemana, « N’Ko kodoyidalan wala fasarilan haman kí. » NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - Gérard Galtier, « Problèmes dialectologiques et phonograthématiques des parlers Mandingues, » sa thèse de doctorat d’État. (2) - Jean Suret-Canale, « La République de Guinée, » p. 79.

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CHAPITRE II MIGRATIONS ET MISE EN PLACE DES MANDENKA (MALINKÉ) EN HAUTE GUINÉE ----------o---------« Ces migrations expliquent bien que les gens à la recherche de nouveaux sites mieux nantis que ceux qu’ils occupent, se heurtent nécessairement aux anciens maîtres du sol d’où d’incessants conflits d’intérêts et de luttes d’influences. » Abiola Félix IROKO (1) ----------o---------Il faut à présent mettre l’accent sur les mouvements migratoires et la mise en place des populations mandenka en dehors du cadre du vieux Manden (Mandingue). Si ces migrations sont en partie les conséquences directes de la dislocation des royaumes et empires du Moyen Âge, d’autres motifs ont aussi conditionné ou provoqué ces déplacements. Nous n’avons pas pu déterminer exactement le point de départ et la date des premières migrations des Mandenka (Malinké) à destination ou à partir du vieux Mandingue. Donc leur origine reste pour nous imprécise, sinon inconnue, en l’état actuel de nos recherches. Mais dans le milieu traditionnel malinké, on s’évertue toujours à affirmer: « An bòra kòròn fè... », ce qui veut dire: « Nous venons de l’Est... » Mais cette tradition orale se perd très vite dans les ténèbres du temps, surtout pour les périodes antérieures aux grandes empires et royaumes du Moyen Âge. Les plus illustres érudits et généalogistes du terroir ne vont pas au-delà du XIIème siècle, période correspondant au début de la domination des Keita sur le Manden (Mandingue). Mais la tradition orale devient plus sûre et plus florissante à partir du XIIIème siècle, avec l’avènement et le rayonnement de Soundjata Keita, fondateur du Grand Empire du Mali. Il fut le principal artisan de la grandeur du Mali ainsi que certains de ses successeurs dont les célèbres Empereurs Kankou Moussa et Mansa Souleymane, qui firent le pèlerinage sacré à la Mecque, avec d’imposantes escortes. Partout ils - surtout l’Empereur Kankou Moussa - firent un étalage impressionnant de leurs richesses, notamment de l’or qu’ils distribuèrent généreusement partout, sur leur itinéraire. Cette exhibition de la richesse de l’Empereur mandingue et sa prodigalité exceptionnelle firent chuter le cours de l’or sur le marché. Il faut signaler entre parenthèses, pour rétablir la vérité historique, que ce fut l’Empereur Boubacar Keita II, un des successeurs de l’Empereur Soundjata et Kankou Moussa, qui organisa, à partir de la Gambie, deux expéditions pour traverser l’Océan Atlantique. La première tentative, avec 264


plus de deux cents (+200) embarcations, échoua lamentablement, et fut engloutie par les vagues. Une seule embarcation, après un naufrage collectif, réussit à rebrousser chemin. La deuxième fut conduite par le souverain luimême, à la tête de deux mille embarcations transportant suffisamment de provisions alimentaires et d’eau, fut moins catastrophique. Ce furent incontestablement les noirs rescapés de cette fameuse et malheureuse expédition audacieuse que Christophe Colombe, le célèbre navigateur portugais, découvrît dans les Antilles en 1492. À propos de cette expédition ou découverte des Antilles, voici, ce que nous rapporte Pierre Alexandre à la page 252 de son livre « LES AFRICAINS »: Le successeur de Boubakar II déclara: « Mon prédécesseur ne croyant que l’Atlantique soit impossible à traverser ||…||. Il arma deux cents bateaux chargés d’hommes et autant pleins d’or, d’eau et de vivres pour un voyage de plusieurs années. Il ordonna aux équipages: « Ne revenez que lorsque vous aurez atteint l’extrémité de l’océan ou épuisé vos provisions. » Ils partirent ||…||. Après une longue période, aucun d’eux n’était revenu. Enfin un seul bateau revint. Interrogé sur ce qu’il avait vu et découvert, le Commandant déclara ||…||: « Nous avons voyagé longtemps jusqu’à rencontrer, en pleine mer, un fleuve au courant violent. J’étais dans le dernier bateau. Les autres entrèrent dans le courant et furent emportés sans pouvoir revenir. Nous ne savons ce qu’ils devinrent. Le Sultan rejeta cette explication. Il fit préparer deux mille bateaux, mille pour lui et sa suite, mille pour l’eau et les vivres. Puis il m’investit pour le remplacer et s’embarqua sur l’océan avec ses compagnons. Ce fut la dernière fois que nous les vîmes ||…||. » Ces propos ont été rapportés par al-Umari. Mais les historiens et les navigateurs européens rejettent catégoriquement cette thèse sous prétexte qu’une telle aventure ne saurait réussir sans gouvernail et sans boussole. Ainsi donc, par cette prise de position, ils dénient la possibilité de la réussite de cet exploit exceptionnel de Boubacar II Keita et par ricochet ils enlèvent à Boubakar II et aux NOIRS d’Afrique le mérite de la découverte de l’Amérique, du nouveau monde, avant Christophe Colombe. En tout cas qu’ils veuillent bien nous dire l’origine des de cette minorité de NOIRS que CHRISTOPHE COLOMBE a bien trouvés dans les Antilles. À propos de l’origine orientale des Mandenka, notre source d’information reste essentiellement orale, donc limitée dans le temps, et sujette à des défaillances. Eu égard aux éventuelles erreurs d’appréciation et à certaines carences des sources orales, nous n’avons retenu que des versions contrôlées et regroupées. Cette méthodologie nous a permis de constater que les évènements 265


majeurs, les hauts faits, les exploits des héros d’antan et les éléments dynamiques de notre culture sont fidèlement et pieusement conservés dans la mémoire collective du peuple qui s’évertue à les perpétuer de façon presque intacte. Dans la mesure où cette tradition orale fait l’objet d’un enseignement donné par des érudits, elle reste une source précieuse à exploiter par les chercheurs pour la reconstitution fidèle de l’histoire africaine. Cet enseignement dégage indéniablement une certaine constance des informations retenues et transmises de génération à génération. Sur ce point de la viabilité et de la crédibilité de la tradition orale, nous convenons parfaitement bien avec l’historien sénégalais, Ibar Der Thiam, qui écrit: « La tradition orale est une source autochtone de l’histoire africaine. Elle en est, par conséquent, une source privilégiée. C’est elle qui présente le point de vue des Africains. Elle est la vision africaine de l’histoire. La contester revient, sans plus, ni moins, à nier toute initiative historique à l’Afrique, et ce serait très grave. C’est parce que, l’historiographie coloniale, a véhiculé maintes erreurs qui ont fini, par passer, la force de l’accoutumance aidant, pour des vérités scientifiques intangibles que la tradition orale apparaît, comme le paramètre incomparable sans lequel on ne peut écrire une histoire de l’Afrique qui soit sainement et authentiquement africaine. » (2) Si on se réfère aux travaux de Maurice Delafosse, (3) cette hypothèse sur l’origine orientale des Mandenka se confirme. En effet, selon aussi Djibril Tamsir Niane: « Delafosse divise les Noirs d’Afrique Occidentale en trois rameaux: 1°) - Les Songoï ou Sonraï à l’Est sur la boucle du Niger. 2°) - Les Sérères à l’Ouest dans le boucle du Sénégal. 3°) - Les Wangara ou Gangara au centre dans l’entre-deux fleuve, à ce rameau appartient le groupe Mandingue. » Toujours, selon Delafosse, « Ces trois rameaux seraient issus d’une branche unique, les Bafour - nom donné par les Maures aux Noirs du Hodh, au Nord-Est du Sénégal. Cette branche de Noirs Soudanais serait venue de l’Est (Océan Indien) il y a environ 3.000 ans. Il distingue deux vagues d’immigration venues de l’Océan Indien (qu’occupait jadis un continent disparu: la Lémurie). La première vague occupa l’Afrique du Sud-Est: ancêtre des Noirs Bantous, la seconde vague occupa les régions équatoriales et le golfe de Guinée; cette vague donna le Noir Guinéen (Forêt) et le Soudanais (Savane et Sahel). » Les Wangara, c’est le groupe qui nous intéresse ici, ont donc occupé les plateaux nigériens depuis très longtemps, mais il est difficile, Delafosse le reconnaît ainsi que Labouret, de donner une date à l’occupation de l’Ouest Africain par les Noirs. Un fait est certain, les Noirs Soudanais ne sont pas autochtones, en cela toutes les tribus locales sont unanimes et on reconnaît la tendance générale en Afrique Occidentale à faire venir les ancêtres de l’Est... » 266


Il reste donc à déterminer le point de départ exact de cette migration des Noirs de l’Afrique de l’Ouest à partir de l’Afrique de l’Est, ainsi que l’itinéraire suivi par la branche parvenue au Mandingue. Cette origine orientale des Noirs d’Afrique Occidentale se conçoit dans la mesure où les fouilles archéologiques ont permis d’affirmer que l’Afrique est bien le berceau de l’humanité et singulièrement l’Afrique de l’Est (Tanzanie, Ouganda, Ethiopie...). En attendant d’autres hypothèses contradictoires, ne faut-il admettre que les Malinké sont venus de l’Afrique de l’Est à une date qui reste à déterminer? L’OCCUPATION DU MANDINGUE GUINÉEN

Localisation des Malinké en Guinée (la Haute Guinée).

Les pays du Haut Niger constituant de nos jours la Haute Guinée étaient jadis occupés par d’autres tribus, avant la mainmise des Malinké. Selon Djibril Tamsir Niane: « Le Mandingue qui devait donner son nom à l’immense Empire des Keita était une modeste province du haut Niger. Primitivement on donnait le nom Manding au pays qui s’étend à cheval sur le Niger et le Sankarani, au Sud de Bamako, il était habité par quelques tribus malinkés qui sont: les Keita sur le Sankarani dans l’actuelle province du Dioman-Ouanian où se trouve Niani, l’antique capitale, les Camara sur le Niger (région de Kangaba et de Siby), les Traoré et les Kondé formaient au Nord la frontière avec le Bérèdougou, pays Bambara. Ce territoire au total ne comptait pas plus de vingt mille kilomètres carrés. C’était une sorte d’enclave au milieu des terres Bambara qui cernait le Manding au Nord (Bérèdougou) au Sud et à l’Est. 267


En ces temps très anciens dit la tradition, chaque tribu avait son territoire; au début, dit-elle, la royauté était aux mains des Bambara. On compte six rois Bambara, ensuite elle échut aux Keita qui s’en étaient emparés par leur valeur militaire. Il est difficile de dater tous ces faits par le manque de documents écrits. Toutefois on peut affirmer que ces événements sont antérieurs au XIème siècle, date du premier pèlerinage à la Mecque d’un roi manding... » La région de Kankan-Kouroussa était jadis tenue par les « Bambara » tandis que les vrais Bambara occupaient depuis longtemps, au Sud et au SudEst, la région de Bougouni et le Baninko. Les Malinké de la Haute Guinée et de la Guinée Forestière reconnaissent, à travers les traditions orales, que leurs différents pays actuels étaient occupés avant eux par d’autres tribus qui ont dû abandonner ces pays à l’avènement des rois mandingues (les Keita) de l’empire du Mali, et à la suite des guerres de conquêtes menées par ceux-ci. C’est ainsi qu’on note que les Toma occupaient la vallée du Milo, en amont de Kankan, ainsi qu’une grande partie de la zone pré-forestière de l’ancien cercle de Beyla, correspondant aux anciens cantons du Konyanko (Koninko), Kérouané, Simandou... De leur côté, les Guèrzé étaient maîtres des cantons du Konya, Karagba, Kossa-Guèrzé (Beyla)... les régions de Foumbadou et de Boola à la limite actuelle du domaine des Guèrzé. Les populations de ces régions sont généralement bilingues (Konyanké ou Malinké et Guèrzé). Les Guèrzé pourraient avoir occupé aussi une partie de l’actuel Ouassoulou guinéen. Par extrapolation on peut affirmer, grâce à une étude d’Yves Person, qui concorde avec les traditions orales de Guinée et de Côte d’Ivoire, que les zones pré-forestières situées à l’Est, entre Odienné et Touba, étaient jadis occupées par les Dan, les Gouro..., tandis que la région de Odienné, prolongée vers Kankan, était le domaine des Sénoufo. L’invasion des Mandenka (Malinké) va bouleverser profondément cette stabilité des premiers autochtones. Les premiers occupants de ce qu’on appelle aujourd’hui Haute Guinée furent bousculés dans la forêt du Sud et dans les franges forestières. Certains d’entre eux vont se retrouver au XVIème siècle dans les régions côtières de l’Atlantique (Libéria, Sierra Leone, Basse Guinée) avec les Soussou qui sont issus des Dyallonké. Ces différents déplacements successifs des populations ainsi que les conquêtes des Mandenka sont bien antérieures à l’apogée du Grand Mali. Il y a lieu de signaler que toutes les traditions orales mandingues reconnaissent unanimement que les Camara sont incontestablement les premiers occupants du Mandingue: Kamaralu le kènin Manden mòò fòlò di. (« Les Camara sont les premiers habitants du Mandingue. ») Kamaralu le kènin bèè dyatii di Manden kònò. (« Ce sont les Camara qui ont devancé et reçu tous les autres clans au Mandingue. ») 268


Bèè nanin Kamaralu le sòròna Manden kònò. (« Tout le monde a trouvé les Camara au Mandingue. ») Kamaralu le kènin Manden mansa fòlò di. (« Les Camara sont les premiers détenteurs du pouvoir au Mandingue. » Cette position de précurseur reconnue aux Camara a été consignée dans la Charte de Kurukan Fuwa dont le promoteur a été le roi Kamandian Camara de Siby au XIIIème siècle. Cette charte des Mandenka a conçu et posé les fondements de l’unité et les structures d’une société organisée, harmonieuse, équilibrée et moderne. Selon Yves Person: « On peut isoler une première vague, elle-même complexe, que nous daterons volontiers du XVème siècle. Elle a porté en avant des masses dirigées par des lignées Kondé, Kuruma et Konaté et celles-ci ont dégagé la vallée du Niger jusqu’à Faranah, en rejetant dans l’Ouest les Dyallonké qui allaient tenir le Futa-Dyallon jusqu’au XVIIIème siècle. Kissi et Toma reculent alors également mais les Guèrzé se maintiennent dans le HautKonya tandis que les Malinké ne dépassent pas la ligne générale FaranahKéréwané-Odienné. Ils posent les fondements du Kolonkalan, du Sankaran et du Toron (avant la cristallisation des Senufo), puis repoussent les Senufo dans l’Est, mais ces derniers sont parvenus à assimiler les avant-gardes des conquérants. » Il s’agit du Toron Occidental, entre le Milo et le Sankaran (cercle de Kankan). Le Toron Oriental (cercle d’Odienné) est issu d’une migration bambara à la fin du XVIIIème siècle (datation généalogique). Les colonies du Haut-Niger ont sans doute connu très vaguement la suzeraineté du Mali jusqu’à la fin du XVIème siècle. Une seconde vague de migration des Mandenka, comprenant les Keita, les Mara et surtout les Camara, va déferler aux XVème et XVIème siècles vers les sources du Niger. Certains d’entre eux atteindront plus tard la Sierra Leone (Côte Atlantique). Comme on le verra plus loin, les Camara vont progresser vers le Sud-Est pour occuper le Konya (Beyla, Kérouané) et les franges de la forêt (Macenta) et atteindront également le Maou dans la région de Touba (Côte d’Ivoire) où ils vont s’imposer sous le nom Diomandé (Camara) en repoussant les Dan et les Toura vers la forêt (XVIIème et XVIIIème siècles). La suprématie des Keita va progressivement céder le terrain à la puissante vague d’hégémonie des Camara. D’importantes fractions vont conquérir les pays dyallonké à partir du Bouré (Siguiri). Comme on le verra aussi, Soumabalé Camara va conquérir certaines régions de l’Ouest et créer la province Camara de Baléa ou Baléya (Kouroussa); et Firigui Camara créera la province de Firiguiya ou Firya (Faranah, Guinée) et une partie de ses descendants va atteindre la Sierra Leone où se trouve de nos jours un important clan Camara (voir plus loin l’histoire des Camara). 269


Encore aux XVIIème et XVIIIème siècles, le clan Mara, issu de l’ethnie Kouranko, autre fraction des Mandenka (Malinké), peuple essentiellement les anciens cercles de Kissidougou, de Faranah et en partie ceux de Kankan et de Kérouané. Ce clan Mara bouscula encore les Kissi et les Toma de leurs nouveaux repères dans les zones forestières et pré-forestières. Mais cette expansion des Mara fut arrêtée à l’Est par les Camara du Konya où ceux-ci régnaient en maîtres absolus depuis des siècles. Ils étaient ainsi solidement campés dans la vallée de la Lofa. Le clan Camara qui eut à freiner la progression des Mara descendait de Sosso Camara. Il occupe tout le Boussé ou Bouzié (province de Kouankan) dans Macenta. Il eut à expulser les Toma de la vallée du haut Diani. Un autre clan Camara alla enlever aux Guèrzé la province de Karagba (Foumbadougou, région de Beyla) et atteignit le Maou (Touba) et Séguéla où on les reconnaît sous le patronyme Diomandé qui s’est substitué au nom Camara pour désigner leur clan. Ce vaste mouvement migratoire des Camara fera l’objet d’une étude exhaustive dans les chapitres suivants. Après la dislocation complète du Mali fin XVIème siècle ou début XVIIème siècles, les fragments de la famille des Keita se reconstituèrent et se stabilisèrent dans les provinces de Kaaba (Kangaba, Mali), Siguiri (Guinée), Nyagassola (Guinée) et Kita (Mali) sous l’égide de quelques petits chefs de provinces ou de chefs de cantons au pouvoir très limité. Bien que décadent au XVIIème siècle, l’Empire du Mali réussit à repousser les invasions peul du Macina et du Fouta Djallon qui furent rejetés sur la rive droite du Sankarani, dans le Dioman-Nougou et le Dioman-Wagna. Après une forte assimilation par les Bambara, autochtones de ces régions, ces Peul éleveurs donnèrent naissance aux Peul du Ouassoulou, au Sud-Est. Kondé Bréma, à la tête du clan peuls, fondit le Fouladougou (Kita, Mali) et se rebella contre les animistes du Haut Niger et la monarchie peule de Fouta Djallon qui avait rejeté vers la mer les Dyallonké et les Soussou, premiers occupants de l’actuel Fouta Djallon (fin XVIIIème siècle). Soussou et Dyallonké sont originaires du Soudan Occidental et se greffent sur les Dyallonké du Bouré (Siguiri, en Guinée), qui est à cheval sur le Tinkisso. Le Soussou et le Malinké sont, à peu de variantes près, les mêmes langues. En fait le Soussou est dérivé de la langue dyallonké, elle-même dérivée de la langue mandenka. Selon Yves Person: « Le Mali originel s’étant lui-même morcelé, on ne saurait s’étonner que la vague qui portait ses fils vers le Sud ait donné naissance au lieu d’Empire, à un nombre considérable d’unités minuscules, repliées sur elles-mêmes, et qui le resteront à l’exception de brèves secousses... » C’est effectivement à l’issue des luttes entre les clans adverses Traoré et Konaté que les Keita prirent le pouvoir au XIIème siècle. Ceux-ci débordèrent vite le cadre du vieux Manden (Mandingue) qui correspond au territoire délimité 270


par le Professeur Djibril Tamsir Niane pour atteindre tous les pays de la savane, depuis la boucle du Niger jusqu’à la Sénégambie à l’Ouest et aux pays du Sud situés à la lisière de la forêt. Ce fut le domaine du vaste Empire du Mali qui englobait les pays actuels du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée, de la GuinéeBissau et de la République du Mali... Notons donc que ces guerres tribales, ces conquêtes extérieures... bouleversèrent, telle une lame de fond, la société mandingue. Mais pour rester dans le cadre restreint du Mandingue, dans sa partie guinéenne, retenons que les Mandenka ou Malinké couvrent actuellement les régions administratives suivantes que l’administration coloniale avait désignées par cercles: 1°) - La Région Administrative de Siguiri qui comprend les provinces ou cantons de Bouré, Bidika, Dioma-Nougou (Diomanbanan), Dioma-Wagna, Kèndè-Manden (Nyagassola), Kolonkalan (Gbènkodokodo), Koulibalidougou (Kinyèran), Goro, Mègnè, Sakodougou (Koundian), Sèkè, Nouga (Siguiri), Diélibakoro; 2°) - La Région Administrative de Kankan qui englobe les provinces de Batè, Gbérédou, Mamouroudou, Balandou, Toron, Tokouno, Bassando, Bowa, Ouassoulou, Sankaran-Bassando, Baranama, Sabadou, Koumban, Karfamoriya, Batè-Nafadji, Missamana, Baro; 3°) - La Région Administrative de Kouroussa comprend les provinces ou cantons de Baléya, Hamana, Sankaran, Ouladala, Balato, Gbèrèdou; 4°) - La Région Administrative de Beyla comprend les provinces de Konya, Simandou, Konyanko ou Kouninko, Karala, Gbana, Karagba, KossaGuèrzé, Béla-Faranah, Worodougou, Télikoro-Kérouané, Guirila, Goye ou Gbeï, Mahana; 5°) - La Région Administrative de Faranah se compose des provinces de Firya ou Firiguya, Sankaran, Soliman, Kouranko, Siradou-Kissi, SiradouManinka; 6°) - La Région Administrative de Dabola se compose de plusieurs provinces malinké; 7°) - La Région Administrative de Macenta comprend les provinces de Mandou, Konokoro-Malinké, Boussé, Koadou, Kòòdou, Douama, KolibiramaMalinké; 8°) - La Région Administrative de Bissikrima comprend également plusieurs provinces malinké; 9°) - La Région Administrative de Dinguiraye est polyglotte (Toucouleur-Peul et Malinké). C’est donc à la suite des migrations vers les terres situées de part et d’autre du tropique du cancer que d’importants mouvements d’exode s’effectuèrent à partir du XIIIème siècle en direction du Sud, du Sud-Ouest et de l’Ouest du continent africain.

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En Afrique Occidentale, les migrations des populations sahéliennes vers les terres fertiles et les forêts du Sud et du Sud-Ouest s’expliquent par les causes suivantes: 1°) - Les guerres d’agression, de conquête et de résistance, ainsi que la dislocation des grands empires et royaumes du Moyen Âge (Ghana, Sosso, Mali, Sonraï...) sont des phénomènes qui provoquèrent d’importants clivages et réanimèrent les esprits d’indépendance et les guerres tribales. C’est ainsi que, dans le vieux Mandingue, de nombreux et minuscules royaumes et provinces, hostiles les uns aux autres, se formèrent ou se reconstituèrent ici et là. Devant ce bouleversement général des vieilles sociétés, même les communautés villageoises et régionales, qui purent conserver leur harmonie et leur unité en émergeant de cette mosaïque, étaient constamment menacées de déconfiture et de dislocation complète par les guerres tribales. L’instabilité s’était instaurée partout, faute de pouvoir central vigoureux. Les différents clans, mus par une farouche volonté d’affirmation, tentèrent d’élargir leur espace vital en envahissant les régions voisines ou en conquérant d’autres plus lointaines. Cet émiettement engendra inévitablement des guerres d’hégémonie qui créèrent longtemps un climat d’insécurité. Les populations s’attendaient, chaque jour, à des razzias, car les petits souverains avaient un pouvoir souvent limité seulement à un petit clan de quelques villages. Ils étaient incapables de défendre efficacement leurs sujets contre les attaques extérieures. Pillages systématiques, incendies, massacres impitoyables des résistants, vassalisation, esclavage, déportation massive..., tel était, en général, le triste bilan de ces attaques. Les rares rescapés étaient abandonnés à la famine et aux intempéries, car on ne leur laissait ni grain, ni maison, ni habits, ni animaux domestiques... Parfois même tout le clan vaincu était largement et pour longtemps tributaire des vainqueurs. Pour échapper à cette angoisse et à cette insécurité permanente, certaines populations traumatisées et assoiffées de liberté et de paix abandonnaient leur terroir natal pour émigrer vers les régions plus paisibles du Sud et du Sud-Ouest. Mais l’occupation de ces nouvelles terres ne fut pas toujours pacifique. Il faut aussi retenir comme cause de cette migration mandingue au Sud, le désir ardent de certains rois belliqueux de s’y créer de nouveaux royaumes. 2°) - Le développement du commerce de cola, de tissu, du sel... entre la savane et la forêt, a entraîné certains Mandingues à se fixer en zone forestière. Dans leur mouvance commerciale, ils introduisirent la religion musulmane. C’est donc à leur contact que certains forestiers animistes se convertirent à l’Islam. Notons que l’Islam est fortement teinté d’animisme tant dans la savane que dans la forêt. Il en est de même pour le Christianisme. On prie, tout en continuant à consulter les géomanciens et autres oracles pour interroger l’avenir et le destin ou pour expliquer tel ou tel fait. 3°) - La désertification est aussi une des causes majeures de cette migration mandingue vers le Sud et le Sud-Ouest. En effet, les populations des 272


régions arides n’ont-elles pas été attirées par les riches terres du Sud? Cette hypothèse n’est pas à écarter pour expliquer ou justifier l’exode de certains Mandingues vers ces terres fertiles du Sud. Ne savons-nous pas, par la légende, que l’assassinat du serpent génie protecteur de Bida (Ghana), avait provoqué une sécheresse désastreuse dans tout l’Empire du Ghana? Il s’ensuivit, selon la légende, une désertification du Ghana, or la tradition orale parle encore de l’existence de forêt dans cet empire médiéval dont l’aire est devenue aujourd’hui très désertique. Ce constatât alarmant de la dégradation de l’environnement naturel nous amène à considérer la conversion à l’Islam de certains animistes que ceux-ci considèrent comme étant l’unique solution de cette calamité, tout en oubliant ou tout en ignorant leur propre responsabilité dans cette dégradation. Ceci a permis aux prêcheurs musulmans de répandre la nouvelle religion dans la savane et dans la forêt sans exclure parfois l’utilisation de la force (cf. l’histoire de Samory Touré). On constate, qu’au cours de ces migrations, que chaque peuplade envahisseur, à la recherche de nouveaux sites plus favorables, se heurtait nécessairement aux anciens maîtres du sol. Il en résultait d’incessants conflits d’intérêts et de luttes d’influences. Dans certains cas, l’infiltration des envahisseurs s’est faite pacifiquement. Mais d’une manière générale, pour déloger les autochtones il fallait faire usage de la force, surtout que ceux-ci s’accrochaient à leur terroir ancestral. C’est en désespoir de cause qu’ils émigraient vers d’autres contrées plus paisibles. L’exode massif a été certainement accentué après la chute de Koumbi Saleh. C’est en effet à partir des coups de boutoirs des Almoravides et des guerres tribales que les Malinké du vieux Mandingue déferlèrent massivement sur les actuelles régions de Hamana, Sankaran, Baléya, Firiguiya, Ouassoulou, Batè, Toron, Konyanko, Konya, Kouranko, Simandou... qui sont occupées de nos jours par eux. Comme toujours, ils refoulèrent les autochtones de ces régions dans les forêts du Sud. L’expansion des Camara ou Diomandé, qui fait, dans cet ouvrage, l’objet d’une étude très exhaustive, se situe au XIème siècle ou début XIIème siècle. Elle part du vieux Mandingue, précisément de Siby, de Tabon, de Kangaba (Kaaba) et du Bouré qui sont le berceau originel ou le sanctuaire des Camara ou Diomandé. La Haute Guinée était habitée par des tribus bambaras avant l’avènement des rois Keita, tandis que les régions du Sud (Beyla, Kérouané, Macenta, N’Zérékoré, Kissidougou, Guéckédou...) l’étaient entièrement par les forestiers (Toma, Guèrzé, Kissi, Kònò...). Les Mandingues, à l’instinct guerrier très vivace, sont essentiellement agriculteurs, commerçants et chasseurs. Ils ont occupé les pays traversés par les fleuves Tinkisso, Milo, Sankarani, Dion, Niandan... tous affluents du grand Niger qu’ils appellent Dioliba.

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Nous avons déjà noté que la lutte serrée pour l’hégémonie entre les différents clans, tribus et ethnies Keita ou Massaren, Cissé ou Tounkara, Soumahoro, Camara ou Diomandé, Kourouma ou Doumbia, Koné ou Diara, Traoré ou Touraman, Konaté... avait déchiré les différentes régions anciennement ou nouvellement conquises par les Malinké. Les éléments bambaras, agriculteurs et éleveurs, s’établirent essentiellement dans le Ouassoulou, sur les rives du Milo et du Sankarani, régions situées au Nord, à l’Ouest et au Sud du Mandingue. Ils avaient perdu le contrôle des régions malinkés. Mais devant les menaces sans cesse grandissantes des Mandenka (Malinké), le Ouassoulou réagit en faisant front commun avec le Toron, région voisine située au Sud-Est de Kankan, pour défendre sa souveraineté et arrêter les incursions des Mandenka. Cette indépendance du Ouassoulou fut très éphémère. Cette vaste région, qui se trouve de nos jours partagée entre la Guinée, le Mali et la Côte d’Ivoire, fut sérieusement ébranlée à la fin du XIIIème siècle par les Tora du Fòlòningbè, qui est une région située sur les frontières sud-est de la Guinée et se prolonge au Mali. Le Fòlòningbè est aujourd’hui une véritable jungle que les Peul du Bassando sont en train de repeupler afin d’y créer une entité régionale peule et échapper à l’emprise des Malinké. C’est une région très favorable à l’agriculture et à l’élevage. Le Ouassoulou fut assujetti pendant un demi-siècle par les Tora. Sa capitale Nyassoumalo (« lieu paisible ») fut systématiquement pillée. L’alliance Ouassoulou-Toron se disloqua faute d’autorité centrale vigoureuse capable de défendre efficacement la confédération contre les attaques extérieures. Mais au début de la première moitié du XIVème siècle, le Ouassoulou recouvra sa vitalité sous le règne de Salla, qui réussit à le débarrasser de la tutelle des Tora. Le Toron en fit autant. Pour éviter d’être victime de nouvelles attaques extérieures, le Ouassoulou mit sur pied une armée régulière, parfaitement bien structurée et bien entraînée. Après cette période d’incertitude, le Ouassoulou estima qu’il fallait prendre des initiatives de combat sur le terrain plutôt que de rester constamment sur la défensive. C’est ainsi que son chef Fabou Diabaté attaqua et conquit Koumbankoura, Béléma... villages du vieux Mandingue, puis dirigea vainement ses conquêtes contre le Sankaran. Devant ces menaces, le Sankaran constitua une puissante armée fédérale issue, selon feu Bakary Kouyaté, (4) de l’union des descendants des cinq grands ancêtres des Kondé, venus de Do et de Kri. Ce sont: « Les Fadamala, grands poètes, historiens et griots, issus de la famille de Silakidi Kondé et répartis en deux villages dont Fadama à l’embouchure du fleuve Niandan, non loin de Baro, Fadama N° 2 situé dans les régions de Dabola et de Dinguiraye, les descendants de Dantoumandian appelés Dantoumansy divisés en trois villages: Fansan, Baro et Mankono; les descendants de la famille Mansa-Bouréma constituent deux villages: Saragbèla 274


et Samana; la famille de Gbérè Sadji, appelée elle aussi Gbèrèdou, est répartie en cinq villages: Moïkignèba, Kinièro, Sérèkoroni, Baranama et Samana. Ensuite la famille de Fanwany qui est la plus grande de toutes, répartie en seize sous-familles dans plusieurs villages qui sont: la famille Fédémoudou Kondé avec les villages de Moribaya, Diara (Diaradougou?), Sokouralakoro; Famana, Borokoro; celle de Finïn-Kidioïn avec les villages de Sinikidila, Madina, Bramora, Koumandi, Banfèlè, Koumandikoro, Gbanghaya; celle de Maniman Kondé, avec les villages de Dalagnan, Mamoudou-Bambadou, Falanko, OirouKoundéro; celle de Fodé Siman Kondé avec les villages de Djidilan (Guirila?), Barankélan; celle de Mankoya Kondé avec les villages de Missira, Koumalin, Fansan; celle de Ténin-Mamoudou avec les villages de Douako, Falaoro, Marabéré-Téya, Tindo, Gbossokoroya, Herbo, Koloa; celle des Diomandé et des Kondé avec les villages de Bâgbè, de Maramoria, de Kandaya, LanyNinkin; celle de Koya Kondé avec les villages de Siramana, Sidiya, Moroi, Sibon, Sérékoro, Laya; celle de Komako avec les villages de Bénè, Darraroï, Nafaïny, Lany, Sininkoro, Koumandi-Barnatou, Sonassidia Djinkourado; celle de Dialaman Kondé avec les villages de Médina, Oissaya, Nafaï, Konson, Balan; celle de Diomah Kondé avec les villages de Fadama, de Talikoro, Borifingna, Sanankoro(ni); celle de Siroi Kondé avec les villages de Nonkoa, Kignèko, Dokoï-Sèrèkoro Dianah; celle de Orobé Kondé avec les villages de Manissala, Gnalénko, Adièmbadi, Nonomora, et enfin Momora. Cette armée constituait la plus puissante et la plus organisée de l’époque. Avec les Sankaran-ka unis, le danger se précisait pour le Ouassoulou et pour les Tora. Mais le Sankara préfère l’organisation et la reconstruction intérieures de ses provinces au hasard des luttes sanguinaires. Et son entourage est corrompu malgré cette grande sagesse appuyée par une armée solide et des guerriers irréprochables; la stabilité de l’alliance Ouassoulou-Tora reste précaire. Les vaincus du Sankaran se tournèrent de nouveau contre les États du Sud-Guinéen. Passant par le Toron, les Tora attaquant le Konyanko depuis le village de Manifâdou, passant par Konsankoro, Yormandou (Diomandou?), Macenta, Diombakolidou, Kouankan, Koréla qu’ils épargnent en acceptant un lourd tribut. Le royaume de Worodou a été dur à soumettre, mais les tâches de fortification des Bambara peuvent désormais s’étendre jusqu’au Ouassoulou en passant par le Sagbadou et en ne s’arrêtant que sur le bord du fleuve Diaoun (Dion). Ces deux provinces sont nées de cette victoire écrasante: le Sakourani et le Gbâla; toutes deux provinces du royaume bambara de Foulenigbè, face au royaume de Worodou gouverné par la caste des Konaté. Mais une querelle ayant surgi à propos du meurtre d’un chien de chasse; chien appartenant à un jeune garçon de Sokourani. La guerre éclata entre les deux pays. La cavalerie bambara et le corps des archers, aux flèches empoisonnées, décimèrent durant neuf ans les troupes du Worodou. Mais par bonheur une prédiction d’un prêtre féticheur effraya si fort les deux royaumes que, prenant le Maou pour arbitre, ils

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firent enfin la paix. C’est ainsi que le royaume bambara reçut le nom du royaume de Folénigbè ou Foulenigbè. Deux puissances égales s’affrontent dans la région forestière vers le début du XIVème siècle; le royaume Toma, comprenant Macenta, Bovozou, Koyama, Bénikala et Diombakoïdou, contre le royaume Diomandé dont Yormandou, Konsonkoro, Kouankan, Korèla, pour ne citer que les importants villages. Mais ce sont des royaumes instables dont l’existence dépend uniquement du pouvoir personnel du roi. Cependant que sous le règne de Faba Konaté, des troubles et des revers empêchent le Worodou de se développer, des pays limitrophes se fortifient. Au centre et à l’Est le Foulenigbè et le Maou se mettent en place; au Sud-Est du Sankaran, les Kissi s’installent sporadiquement dans cette partie de la forêt et ne cherchent noise à personne. Ils forment ainsi la première caste de Fadamaya. Vers la fin du XIVème siècle, le Ouassoulou reprenant la guerre s’attaque au Sankaran qu’il conquiert et le repousse sur la rive est du fleuve Milo. Ainsi la rive ouest devient la propriété des vainqueurs qui, sur l’ordre de Fodémoudou Kondé, doyen du Sankaran de l’époque, l’offre à ses hôtes Maraka, mais d’origine Sarakollé et venus des régions de Karta, Diafoumou et Néma. Parmi ces musulmans et marabouts, les Cissé sont les premiers à s’installer, avec l’accord du Sankanran, sur la rive ouest du Milo. Ils fondent dès leur arrivée un premier village qu’ils appellent Bakongo-Cisséla (région de Kankan, Guinée). Quelques années plus tard, les Sitro et les Kakalo s’installent en amont des Cissé dans leur village de Diankana. Les Sitro prendront le nom de famille Touré et les Kakalo se feront nommer Kaba (Nom des Maninka-Mory ou Malinké qui constituent de nos jours l’un des principaux clans de la ville de fondateurs de Kankan; ils sont intimement liés à l’essor fulgurant de cette métropole malinké). Plus tard (après les Cissé, Touré et Kaba), les Diakité et les Diané, marchands et marabouts réputés, viendront rejoindre les autres déjà en place. Les Diakité se feront, eux aussi, nommer Kaba, seuls les Diané garderont leur nom d’origine. Bientôt, ces nomades devenus sédentaires grâce à la bonne hospitalité du Sankaran abandonnent leur métier de marchands et se trouvent brusquement attachés à l’agriculture et à l’enseignement du Coran. Ainsi dans la vallée du Milo, les premiers villages se développent pendant que d’autres naissent pour donner alors place à une caste musulmane qui, désormais, portera le nom de « Batè » (plutôt Malinké-Mory ou Malinké Musulmans, car le nom Batè désigne la région), directement placé sous la protection du Sankaran contre tout envahisseur... » Ce climat général d’hostilités persistances, d’insécurité et d’instabilité compromettait sérieusement la prospérité économique et la paix sociale. 276


C’est ainsi que dans la deuxième moitié du XVIème siècle, on note un regain de tension entre le Ouassoulou revigoré et le Sankaran. On en vint aux armes après un échange de menaces verbales assorties d’injures entre Koné Bouréma Sidibé, le Général ouassoulounien et Fawani Kondé derrière qui s’était mobilisé tout le Sankaran. Pour prendre l’ennemi dans ses filets, Fawani Kondé, chef suprême du Sankaran, mit au point une stratégie géniale. En effet sur son instruction, tous les chefs de provinces dépendant de lui (dont le Batè), Danda Valy Kondé, chef de la Province de Sokourala (Sankaran), et Marin Traoré de Baléma et d’autres se soumirent aux 3.000 sofas du Ouassoulou en déposant purement et simplement les armes et en payant de lourds tributs aux conquérants. Cette série de soumissions entrait dans le cadre de l’application d’une tactique de guerre originale qui consistait à ne présenter aucune résistance aux envahisseurs afin de les laisser s’enfoncer profondément au cœur du Sankaran pour les éloigner de leur base de ravitaillement dont ils devaient être coupés pour ensuite les envelopper et les anéantir. Sona Koné de Koumban, Manda Traoré de Dialakin se soumirent également aux conquérants qui ne rencontrèrent aucune résistance pouvant contrer leurs offensives. Mais c’est à Sininkoro que la poudrière devait sauter. En effet, en accord avec Fawali Koné, chef suprême du Sankaran, Mandin Bouréma reçut la consigne de provoquer la guerre en injuriant Koné Bouréma Sidibé, le chef des conquérants ouassoulouniens. Évidemment celui-ci répliqua par un déploiement impressionnant de ses forces, ignorant son encerclement complet par les armées de toutes les provinces du Sankaran. La principale division de l’armée sankaranienne basée à Dafòlò fut plus menaçante. Mais prenant conscience du déséquilibre des forces en sa défaveur, Koné Bouréma Sidibé fit preuve de réalisme en proposant la paix qui fut difficilement acceptée par le Sankaran dont les sofas, confiants en eux et sentant la victoire, tenaient à écraser les envahisseurs. Mais les sages du Sankaran intervinrent énergiquement et déconseillèrent l’attaque ordonnée par Fawani Kondé. Cette bataille était souhaitée, voire exigée par les sofas qui étaient certains de leur victoire sur le Ouassoulou. Pour les vieux, il est maladroit, lâche et immoral d’abattre un adversaire qui renonce au combat en abandonnant ses armes et en se prosternant humblement. On parvient à un compromis très avantageux pour les envahisseurs. En effet, pour éviter l’anéantissement de ses forces, Koné Bouréma Sidibé se plia avec humiliation aux exigences des Sankaran-ka qui mirent en demeure le vaincu de restituer impérativement aux villages soumis tout ce qu’il y avait extorqué. Ulcérées par cette humiliation sans précédent, les forces du Ouassoulou, après s’être retirées du Sankaran, attaquèrent Foungoumba où mourut Koné Bouréma Sidibé lors de la bataille qui fut très meurtrière. Avant sa mort, le conquérant aimait déclarer aux siens que son butin de guerre était confié au Sankaran, et qu’un jour il reviendra le reprendre. Cela sous-entendait une revanche imminente. Sans sa mort prématurée, il devait donc laver l’affront et relever le défi en décrétant une mobilisation générale et une 277


préparation minutieuse des armées du Ouassoulou. Mais, en l’absence d’un chef puissant et surtout autoritaire comme Koné Bouréma Sidibé, le Ouassoulou ne put jamais laver cet affront. Pire, il se désintégra et ne retrouva plus sa vitalité d’antan. Le Sankaran devint ainsi très fort et s’imposa nettement aux autres régions du Mandingue. Il était mieux structuré et surtout uni. Il put même établir son protectorat sur d’autres régions comme le Batè (Kankan). Ainsi les pays mandingues connurent une certaine accalmie et une prospérité relative aux XVIème et XVIIème siècles. À l’époque, les peuples forestiers du Sud étaient très méfiants des colporteurs malinkés qui sillonnaient leurs régions et avaient développé des centres commerciaux où ils échangeaient des tissus, du fer et des outils agricoles contre la cola et l’huile de palme. Les principaux centres de transactions étaient: Boola, Binikala, Kouankan, Sibiribaro, Tiéwa, Kondébadou, KomodouDiaradou... Mais devant la recrudescence des activités et de l’influence des Malinké, qui tentaient de répandre l’Islam, les Toma, les Guèrzé et les Kissi abandonnèrent certains centres pour s’enfoncer dans la forêt afin de mieux conserver leurs spécificités culturelles. Ce climat de méfiance déboucha au XVIIème siècle sur de vives oppositions marquées parfois par des conflits armées entre: GROUPEMENTS MANDINGUES ET Kouranko ET Kouranko ET Konyanké ET Konyanké ET

GROUPEMENTS FORESTIERS Lellé Kissi Toma Guèrzé, Mano, Kònò

Cette situation d’hostilité dans la région forestière fut très vivace au XVIIIème siècle et dura jusqu’à la colonisation française. Les XVIème et XVIIème siècles furent marqués aussi par un regain d’éveil du royaume de Fòlònigbè, qui tentait de contrebalancer l’influence incontestée du Sankaran sur les autres régions mandingues. Encadrée par les animistes du Sankaran au Sud-Ouest et par le Fòlònigbè à l’Est, la ville de Kankan se développa et devint une grande métropole commerciale et religieuse. Les régions sud-est du Sabadou, du Worodou et du Maou étaient constamment soumises aux razzias des Bambara du Fòlònigbè, depuis le XVème siècle. À l’Ouest, sous l’impulsion du roi Gbâ, la ville de Gbéléban devint à son tour un grand centre commercial qui servit de véritable trait d’union entre la Haute Guinée, le royaume Sénoufo, le Maou, le Worodougou et les pays forestiers.

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NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - Abiola Félix Iroko, « Afrique Histoire » N°11 de 1985. (2) - Iba Der Thiam: Historien et ministre sénégalais de l’Éducation Nationale en 1987: « Histoire et tradition orale, » extrait des « Presses de l’UNESCO » repris par « Ivoire Dimanche » N° 869 d’octobre 1987. (3) - Djibril Tamsir Niane, historien guinéen, « Recherches sur l’Empire du Mali au Moyen Âge, » p. 7-8. (4) - El Hadj Bakary Kouyaté: il était en 1969 un des rares griots généalogistes à la mémoire féconde qui connaissait parfaitement bien la tradition malinké. Historien doué d’une mémoire prodigieuse, il connaissait la généalogie de toutes les grandes familles malinkés (Keita ou Mansaré, Traoré ou Touraman, Camara ou Diomandé, Kourouma ou Doumbia, Koné ou Diarra, Konaté...) de Guinée et même du Mali et de la Côte d’Ivoire. Le jeune ethnologue Sékou Kondé, de l’Institut National de Recherches et de Documentation de Guinée, et qui est lui aussi originaire de Kouroussa (Guinée), avait traduit une de ses longues et intéressantes causeries (« Revue du Bureau Politique National du Parti Démocratique de Guinée » paru en 1968 sous le titre: « L’ALMAMY SAMORY TOURÉ, » p. 4-8).

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CHAPITRE III MISE EN PLACE DES KONYANKÉ (UNE BRANCHE DE MALINKÉ OU DE MANDINGUE) DANS LA RÉGION DE BEYLA ----------o---------On constate, au cours des migrations mandingues en Guinée Forestière, que chaque peuplade ou chaque clan envahisseur réussissait à dominer ou à déloger les autochtones de la zone préforestière pour les refouler plus au Sud. Ces envahisseurs réussirent à s’infiltrer pacifiquement ou à s’imposer par la force des armes dans ces nouvelles contrées qu’ils ne quittèrent plus jamais. LES PREMIERS OCCUPANTS MANDINGUES DU KONYA C’est ainsi que les Kondé du Soudan (Mali actuel), connus sous le nom Bambara de Diara et la branche antérieurement établie dans le Fòlònigbè (Sud et Sud-Est de la Guinée) et dans le Ouassoulou (territoire situé entre la Guinée, le Mali et la Côte d’Ivoire), vinrent à la fin du XIIIème siècle ou au début du XIVème siècle dans les régions baignées par le fleuve Dion et ses affluents (Seïssou et Kouan), qui sont des rivières limitrophes du Simandou avec le Guirila et le Konyan, qui sont tous des cantons de l’ancien cercle de Beyla (Guinée). Ils réussirent à déloger les autochtones qui étaient des Toma et des Guèrzé qui vivent de nos jours dans les forêts guinéennes du Sud et du Sud-Est. La même opération migratoire a eu lieu et à peu près à la même époque par d’autres clans Mandingues dans les régions du Maou et du Worodougou (Côte d’Ivoire), anciens domaines des Tora, des Dan, des Gouro, des Yacouba... En effet, les Toma et les Guèrzé de la Guinée Forestière habitaient jadis une grande partie des cantons actuels du cercle de Beyla, à savoir: Simandou, Konyan, Kossa-Guèrzé, Konyanko, Karagba, Kérouané... Il est resté des traces indélébiles de leur séjour dans le canton de Simandou: rivières Tohoro, Toma, Warada... ou Gbeïn (nom du mont Simandou) qui sont des mots Toma plus ou moins modifiés à travers les siècles et qui prouvent plus exactement que ce peuple a bien séjourné par-là. Ces noms ont bien subsisté et les Malinké ne les ont pas tronqués au profit de leurs propres noms. Par ailleurs, une longue chaîne de pierres juxtaposées et posées les unes sur les autres, avec par-ci et par-là, d’importantes interruptions allant de Kolilakoro à Damaro, témoigne de l’occupation Toma. En effet, la tradition orale leur attribue la construction de cette longue chaîne de pierres de plus de 50 km qui, dit-on, était une route fréquentée, donc une voie de communication à grande circulation. C’est un véritable chef-d’œuvre qui a exigé un

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investissement et des efforts humains considérables. Ce fut aussi un travail de longue patience que nous pouvons encore admirer de nos jours. Les Koné, venus du Soudan avons-nous dit, refoulèrent donc les Toma dans l’actuelle Guinée Forestière qui couvre les régions administratives de Macenta et de N’Zérékoré pour atteindre le Libéria, l’arrière-pays de la Guinée actuelle.

Carte de la Région Administrative de Beyla (Guinée) ou le pays originel des Konyanké.

Les Koné s’établirent donc sur le sol, occupant tous les cantons situés au Nord et à l’Est de l’ancien cercle de Beyla. Soninké (fétichistes ou animistes), ils avaient, en ce temps, un dialecte propre et des mœurs à eux et une hiérarchie particulière. De leur dialecte, appelé KIBA-KAN subsistent encore certains mots tels que: KIBA-KAN Gbeyi Keke Uwe Gini nyasuma Furukuma Ma uweguweki Furukuma ma uweguweki

TRADUCTION EN FRANÇAIS Bouche Dent Case Jumeaux Patate Douce Patate douce 281


Au XIVème siècle, un mouvement d’immigration semblable fut enregistré à partir des rives du Niger vers le Sud et le Sud-Est ainsi que vers le Sud-Ouest. Il concerne essentiellement les Koné, les Kourouma (Doumbia), les Konaté et les Camara ou Diomandé. L’un des pionniers de ce mouvement de l’émigration du clan Koné vers le Sud, le Sud-Est et le Sud-Ouest de la Guinée fut Famourou Koné. Pour des raisons que nous ignorons, ce Famourou Koné de Sankaranda ou Sankaran (cercle de Kouroussa et de Faranah Guinée) divisa ses cinquante-cinq enfants en deux groupes principaux. Malheureusement nous ne sommes pas en mesure de dresser la liste complète de ses fils, la tradition orale n’ayant retenu que leur nombre: cinquante-cinq. Mais cette tradition orale affirme que trente d’entre eux, constituant un groupe, vinrent à Nièko. Ceux-ci se subdivisèrent à leur tour, chacun suivant son destin, à la recherche de fortune. DIÉMOU: PREMIER SANCTUAIRE DES KONÉ DU KONYA (BEYLA) 1) - Fing Kassia Koné et certains vinrent à Diémou (canton de Worodou, cercle de Beyla, Guinée). Il eut plus tard une influence déterminante sur le clan Camara (Diomandé) qui arrivera dans la région, bien après les Koné. Parmi ceux qui l’ont suivi dans son exode figuraient: a) - Silé Koné qui demeura à Diémou (Worodou, Beyla). b) - Vacé Koné qui vint s’installer à Foromaro (canton de Worodou, cercle de Beyla, Guinée). Leurs descendants constituent les Koné qui peuplent de nos jours tout le canton de Worodou et les contrées environnantes de la région de Beyla et du Maou (Touba, Côte d’Ivoire). 2) - Soumabalé Koné était le chef de file de: a) - Ona Birama Koné de Wâro (canton de Béla-Faranah, cercle de Beyla, Guinée). Wâro est un des principaux sanctuaires des Koné de la Guinée Forestière. b) - Bilama Kon de Doubadougou (canton de Béla-Faranah, cercle de Beyla, Guinée). c) - Soula Oulèn-Koun Koné de Sinko (canton de Guirila, cercle de Beyla, Guinée). Sinko est un important centre des Koné du Konya. 3) - Une autre version retient une troisième fraction dont le chef de file reste inconnu de nom. Mais les descendants de ce chef habitent Kofilakoro (Simandou, canton de Beyla, Guinée) et Gondo dans le cercle de Kankan (Guinée). Les Koné qui avaient expulsé les Toma et les Guèrzé dans la zone forestière du Sud restèrent les maîtres absolus du pays jusqu’à l’arrivée des Camara qui, par infiltration très habile à partir du XVème siècle ou début XVIème siècle, réussirent à les supplanter et à conquérir presque tout le pays du Konyan. Ainsi les Koné perdirent progressivement leur influence ou disparurent 282


à la longue en certains endroits, absorbés par les Camara (Diomandé). Les quelques rares descendants des Koné sont encore dans certains villages, tandis que la majorité est demeurée au Sud-Est, dans le Worodou et le Béla-Faranah (cercle de Beyla). Les Camara qui font l’objet très attentif de la présente étude verront plus tard affermir leur suprématie surtout dans les cantons de Simandou, Guirila, Kérouané, Konyanko pour le cercle de Beyla et dans les cantons de Boussé, Koadou, Kolibirama-Malinké, Mandou, Konokoro-Malinké... pour le cercle de Macenta. De nos jours, leur propagation a atteint toute la région forestière guinéenne, le Libéria, la Sierra Leone et le Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire (Touba, Séguéla, Odienné).

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CHAPITRE IV L’HISTOIRE D’UNE DYNASTIE REGNANTE AU MANDINGUE: LES CAMARA DE DAMARO OU LES MIGRATIONS DE LA DIASPORA CAMARA OU DIOMANDÉ EN AFRIQUE DE L’OUEST ----------o---------LES INVASIONS DES POPULATIONS SAHELIENNES VERS LES RÉGIONS FERTILES DU SUD ET DU SUD-OUEST DE LA GUINÉE Il faut remonter à plusieurs siècles pour voir se dessiner de véritables mouvements migratoires et d’invasion systématique allant du Magrellah (Maghreb), du Sahara et du Sahel vers les régions du Sud, du Sud-Ouest et du Sud-Est. En effet, repoussés par les rigueurs du climat de ces régions arides du Nord, par la pauvreté du sol ou attiré par les richesses des régions aurifères et agro-pastorales du Sud et du Sud-Ouest ou mus par des motivations religieuses, les Berbères pillards arrachèrent certaines tribus riveraines du Sahel à leur terroir ancestral pour les refouler vers les régions du Sud et du Sud-Ouest. Celles-ci s’en fuirent vers les vallées fertiles du Sénégal et ses affluents, du Tinkisso, du Sankarani, du haut Niger jusqu’à sa source, embrassant ainsi tous ses affluents. Certaines populations se stabilisèrent dans le Mandingue. Mais ce processus de migration, de transplantation ou de peuplement s’accentua à partir du VIIème siècle, avec l’expansion armée progressive de l’Islam par les Khalifes ou successeurs fanatiques du Prophète Mahomet (mort en 632). Puis il atteignit son paroxysme avec la dislocation des empires et royaumes du Moyen Âge. Les guerres qui en résultèrent et la traite négrière (la transsaharienne d’abord pratiquée par les Arabes du Vème siècle au XIVème siècle et celle - la transatlantique - pratiquée par les Européens du XVème siècle au XIXème siècle) décimèrent en grande partie les populations africaines. Les victimes de ces fléaux sont estimées à plusieurs dizaines de millions. Refusant de se convertir à l’Islam, certains animistes et fétichistes se replièrent vers le Sud et le Sud-Ouest du Soudan Occidental pour échapper à l’emprise et aux massacres des fanatiques musulmans venus du Nord, car ils tenaient à conserver leur personnalité authentique, leurs spécificités culturelles. Tous ces facteurs naturels, humains, historiques et économiques, qui avaient affaibli, terrorisé ou décimé les populations expliquent en partie le mécanisme des migrations. Pour illustrer ces mouvements migratoires du Nord vers le Sud et le Sud-Ouest ou Sud-Est du Sahara, étudions l’expansion typique des Camara ou Diomandé, un important clan mandingue ou malinké. 284


MOUVEMENTS MIGRATOIRES DES CAMARA OU DIOMANDÉ À PARTIR DU MANDEN (MANDINGUE) VERS LE SUD, LE SUD-OUEST ET LE SUD-EST DE LA GUINÉE C’est de Siby (région de Bamako, République du Mali) que les Camara vinrent créer, à la fin du XIIIème siècle ou au début du XIVème siècle, Farinkamanya, (1) village guinéen situé entre Siguiri et Kankan. C’est l’un des premiers berceaux des Camara en Haute Guinée. C’est de Farinkamanya que partirent, très probablement à la fin du XIVème siècle ou au début du XVème siècle, cinq frères suivis de leurs proches en quête de « terre promise ». Le village et la région de Tabon sont retenus aussi comme un important berceau des Camara. D’ailleurs, les griots traditionalistes disent toujours, en faisant l’éloge d’un Camara, et pour le sensibiliser et l’inciter à la générosité et à la prodigalité en lui soutirant que quelques sous: « Sibi Kamara ani Tabon Kamara, Farin Kaman, Diomande, Kamara banna. » C’est-à-dire: « Camara originaire de Siby et de Tabon, Farin Kaman (nom d’un ancêtre Camara), Diomandé le preux, le généreux, l’incomparable, le riche... » À ces flagorneries accompagnées de chants populaires composés en l’honneur des héros du Mandingue Antique, le sujet envoûté par la magie du verbe et dans un sursaut d’honneur et d’orgueil donne toujours ce qu’il peut, en argent ou en nature. Parfois même il s’endette pour honorer la mémoire évoquée de ses ancêtres. N’est-ce pas cet excès d’orgueil qui amena une fois un Farinkaman-si (descendant de Farin Kaman), trop sensible à l’évocation élogieuse du nom prestigieux de son ancêtre et bouleversé par cet appel à la prodigalité et à surpasser les hommes présents, alors qu’il n’avait rien à offrir, à se faire volontairement saigner en tirant fièrement, au cours d’une danse populaire, sur la manche de son couteau dont il avait fortement empoigné la lame dans sa main gauche. N’ayant rien à donner au griot il versa, sans aucun regret, son propre sang. Aussi, il faut noter, selon Diango Cissé et Massa Makan Diabaté, deux sociologues maliens, que Sama Toloba Camara, à la tête d’un important groupe d’immigrants Camara originaires de Bérendinba, vint s’installer à Samedougou, important quartier de Kita, créant ainsi un important clan Camara qui ne tarda pas à se répandre dans cette province, en déborda pour toucher les provinces voisines et même le Sénégal et la Gambie. Kita est donc un des berceaux, sinon le berceau des Camara de l’extrême Nord-Ouest du Mali et de ceux du Sénégal. Le village de Farinkamanya resta longtemps la tête de pont de l’expansion Camara vers le Sud et le Sud-Ouest du Mandingue guinéen. Mais le clan n’échappa point à la règle du temps qui consistait, pour certains enfants, à s’éloigner des parents pour créer leur propre hameau de culture (tòòda), leur propre communauté villageoise ou famille (kafo). Ce souci d’indépendance, de 285


prestige, de grandeur et cette volonté de faire fortune créèrent chez beaucoup d’enfants un sentiment d’affirmation de leur personnalité. Cette attitude engendra un mouvement snobe de dispersion générale et d’aventure. Au Mali et au Bouré (Guinée), la tradition orale nous révèle le nom des ancêtres de Farin Kaman Camara, fondateur de Farinkamanya, village situé en Guinée, entre Siguiri et Kankan. Le premier maillon ou le fondateur connu de la dynastie Camara fut Man Camara. On suppose que le nom Man serait à l’origine du nom Manden ou Mandingue qui désigne le pays originel des Malinké. Man-den = Mandé = Mandingue peut se traduire par « fils de Man ». Donc Man-den (fils de Man) a pour origine Man. Or ce Man était un Camara. Ce qui confirme assurément l’hypothèse selon laquelle les Camara sont les premiers occupants de ce pays qui porte le nom de leur ancêtre Man Camara. Cette hypothèse s’impose en Guinée et au Mali. C’est pourquoi ils sont fiers de dire, et les griots les en flattent: « Kamaralu le kènin Manden mòò fòlò di. » (= Les Camara sont les premiers habitants du Manden.) « Bèè nanin Kamaralu le sòròna Manden kònò. » (= Tous les autres clans mandingues ont trouvé les Camara installés au Mandingue.) « Kamaralu le kènin Manden mansa fòlò di. » (= Les Camara sont les premiers détenteurs du pouvoir au Mandingue.) Cette région ainsi dénommée Manden = Mandé ou Manding = Mandingue pour les historiens, précisons-le, est à cheval sur la Guinée et le Mali; elle s’étale de Beyla à Bamako, en englobant au Sud-Est la région de Kangaba et au Nord-Ouest la région de Tabon et de Kita. Pour certains historiens ou ethnologues le nom Man serait la déformation du mot bambara Maa qui signifie homme. Maa (en Bambara) = Mòò (en Malinké) = homme. Le nom de Man est très évocateur dans le Manden. Il désigne le nom de l’ancêtre des Camara. Nous verrons un peu plus loin les noms des descendants de ce Man Camara. De Siby, le berceau originel, les Camara firent tache d’huile ici et là, notamment à Kangaba, région en amont sur le Niger par rapport à Siby et à Bamako. C’est aujourd’hui une zone de forte concentration Camara qui fut le point de départ de la migration de ce clan vers le Sud et le Sud-Ouest. Par ailleurs un second groupe de Camara émigra de Siby vers Tabon, Kita, Kayes et le Sénégal. Mais, c’est à partir de Farinkamanya que nos informations sur les Camara de Guinée sont certaines. En tenant compte des ascendants et des descendants de Farin Kaman, la généalogie suivante des Camara nous situe au XIème ou début XIIème siècle et s’établit de la façon suivante:

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1- Man Camara: Son nom serait-il à l’origine du nom Manding ou Manden = fils de Man? 2 - Sibi Camara 3 - Sibi Moussa Camara 4 - Féré Camara 5 - Féré Kaman (Fran Kaman Camara ou Farin Kaman) 6 - Danloro Camara 7 - Dankoro Misa 8 - Mansa Camara 9 - Kamandian Camara, iniateur de la réunion des Mandenka à Kurukan Fuwa 10 - Farin Kaman Camara (Frèn Kaman), fondateur de Farinkamanya (Siguiri en Guinée) Celui-ci est à ne pas confondre avec son arrière-petit-fils qui fonda la dynastie des Camara du Konya dans la Guinée Forestière. C’est à Farinkamanya, premier sanctuaire précis et connu des Camara de l’Ouest et du Sud de la Guinée, que fut déclenché ce processus de migration. Ce furent cinq frères à en donner le ton, vers les XIVème et XVème siècles. LA PREMIÈRE GRANDE EXPANSION DES CAMARA À PARTIR DE FARINKAMANYA (SIGUIRI, GUINÉE) EN PROVENANCE DE SIBY ET DE TABON (RÉPUBLIQUE DU MALI) Le premier Camara, du nom de Soumabalé Camara, quitta Farinkamanya, village situé au cœur du Mandingue, à quelques 25 km de la ville de Siguiri, pour se diriger vers l’Ouest et parvint dans la région de Kouroussa (Guinée) où il fonda la province de Baléya, tiré de son nom Souma-Balé. Un très important clan Camara qui descend donc de lui peuple de nos jours les différentes provinces Camara de l’ancien cercle de Kouroussa dont Sanguiyanah et Saraya. Le deuxième Camara, du nom de Mansa Firigui Camara partit de Farinkamanya vers Faranah (Guinée) et fonda Firiya ou Firiguiya (nom du pays ou du village crée par Firigui), qui donna naissance à la province du même nom et qui reste essentiellement peuplé de Camara. Ses descendants sont devenus au fil du temps des Dyallonké. Il faut noter que c’est de Firiguiya, dans la région de Faranah (République de Guinée) où les Camara sont Dyallonké - avons-nous dit qu’est partie la dynastie Camara par vagues successives pour atteindre progressivement certains la Sierra Leone, d’autres la Basse Guinée où les Camara sont devenus aujourd’hui Soussou, Baga, Landouma... Le premier maillon connu de cette migration Camara en Basse Guinée fut Mansa Firigui Camara (= Manga Firigui Camara), fondateur, il y a 500 ans (au début du XVIème siècle), de Firiguiyagbè (dans Kindia, Guinée). Par 287


le même processus de migration, Mansa Kindi Camara ou Manga Kindi Camara vint lui aussi dans le Kania pour créer l’actuelle ville de Kindia qui porte son nom. Mansa Firigui Camara et Mansa Kindi Camara étaient tous les deux des descendants de Mansa Firigui Camara venu de Farinkamanya (Siguiri), et fondateur de la province Dyallonké de Firiguiya, dans Faranah, et dont les descendants sont aujourd’hui Dyallonké à part entière dans Faranah. Évidemment, certains de ses descendants sont aujourd’hui citoyens sierra-léonais. Cette branche des Camara émigrés en Basse Guinée (Kindia, Forécariah, Coyah, Boffa, Fria, Boké,...) sont de nos jours soussous. Mais il faut noter que dans le temps et dans l’espace ils ont gardé le patronyme Camara. Plus tard, d’autres émigrèrent en Guinée-Bissau et en Gambie. Le troisième Camara, appelé Sonkoly Camara, emprunta le même chemin que Firigui et Soumabalé, c’est-à-dire la direction de l’Ouest, et créa Sonkolya (de son nom Sonkoly), dans Dabola et situé entre les postes de douane actuels de Hèrèmakono et de Samboudou (dans le cercle de Faranah, Guinée) mais qui relevaient jadis du cercle de Dabola. Une partie de son escorte s’achemina également vers la Sierra Leone où elle prospère encore aujourd’hui et y constitue un important clan Camara. Le quatrième Camara, qui se nommait Mallé, alla se fixer à Malléa et fut rejoint plus tard par Kinting Camara, fondateur de Kintia, dans les riches provinces aurifères du Bouré et du Bidika, à l’Ouest de Siguiri, en Guinée. (2) Le cinquième Camara, qui nous intéresse plus pour la suite de l’histoire, vint à la fin du XVème siècle à Sianoh dans le Maou, cercle de Touba, au Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire. Il s’appelait Dioman Camara. À l’époque cette région était considérée comme un pays très lointain par rapport au Mandingue, une véritable pérégrination. Les régions d’alors étaient quelques peu refermées sur elles-mêmes, tant les déplacements étaient aussi difficiles que périlleux en raison de l’hostilité de la flore, de la faune et de l’insécurité totale qui régnait sur les routes, car les bandits des grands chemins, les coupeurs de routes et les esclavagistes pullulaient partout. Il faut noter aussi le manque d’une autorité centrale forte pour unifier et contrôler plusieurs régions à la fois. Ce sera là l’un des grands mérites de l’Almamy Samory Touré au XIXème siècle, comme nous le verrons. Ce Camara, dont l’ascendance et la descendance feront l’objet d’une étude très exhaustive dans cet ouvrage, se nommait Dioman Camara. Il eut la bonne fortune de trouver à Sianoh (Maou, Touba, Côte d’Ivoire) un marabout fétichiste nommé Diéné Moussa qui le retint jusqu’au retour de son maître, le chef du village de Sianoh, momentanément absent de Sianoh. Ce chef emboîta les pas du marabout en réservant un accueil chaleureux à cet bel étranger dont le charme ne pouvait laisser personne indifférente. Il en fit un hôte respecté par toute la communauté villageoise. En raison du fait qu’il a été le premier hôte de cet étranger séduisant, le marabout eut pour Dioman Camara beaucoup de sympathie et lui promit aide et protection dans ce milieu maou tristement réputé 288


pour son fétichisme puant et la pratique généralisée de la sorcellerie. Ces marques de sympathie et d’hospitalité témoignées par le marabout fétichiste, le chef du village de Sianoh, les notables et toute la population retinrent définitivement Dioman Camara à Sianoh, alors qu’initialement il voulait continuer sa route vers d’autres contrées. Précisions que nous n’avons pu déterminer l’itinéraire précis suivi par Dioman Camara de Farinkamanya (Siguiri, en Guinée) à Sianoh, dans le Maou (Touba, Côte d’Ivoire).

Schéma des mouvements migratoires des Camara en Guinée. Carte récapitulative des mouvements migratoires des CAMARA ou DIOMANDẾ à partir de Siby (République du Mali) et de Farinlamanya (République de Guinée) depuis les XIIIème et XIVème siècles, en direction de la Haute Guinée, de la Basse Guinée (Kindia, Friguiagbé), de la Guinée Forestière (Moussadou, Beyla) et des pays voisins: Côte d’Ivoire (Sianoh, Touba), Libéria (Gbooni), Sierra Leone, Guinée-Bissau, Sénégal.

L’ÉTAPE DES CAMARA (DIOMANDÉ) AU MAOU (CÔTE D’IVOIRE) Dioman Camara fut ainsi comblé d’honneurs à Sianoh. Diéné Moussa lui donna une corne magique et protectrice pour le prémunir contre les attaques des sorciers, des féticheurs et des maléfices, car l’on sait la célèbre réputation du Maou dans le mysticisme (animisme, fétichisme puant et sorcellerie). Les jeteurs de mauvais sort ne s’y comptent pas. Cette corne magique avait aussi la faculté et la mission sacrée d’assurer la protection, la prospérité, le pouvoir, le commandement et le rayonnement complet de la descendance de Dioman Camara dans le Maou ainsi que dans les régions voisines et mêmes lointaines. Faut-il croire que cette corne est à l’origine du pouvoir des différentes dynasties Camara? En tout cas il est aisé de constater que les Camara ont pu s’imposer partout aux autres clans en créant ici et là de puissantes dynasties dans différentes régions. On aime à dire que le commandement est dans leur sang. Ils en sont d’ailleurs conscients et s’en vantent sans modestie. Ils sont très 289


égocentriques et se croient être sans modestie le centre de gravité de l’univers ou de leur environnement. Cette corne devait être pieusement conservée et transmise ou léguée, selon les consignes du marabout, seulement de fils aîné à fils aîné. On sait que la suprématie des aînés sur les autres (frères, neveux et cousins) d’une même famille est incontestable en Afrique et surtout chez les Mandingues. Un jeune frère doit à son grand frère un respect absolu et obligatoire, faute de quoi il s’expose à des malédictions et à de sévères corrections corporelles de la part de l’aîné, des parents ou de la collectivité familiale, clanique ou villageoise. Cette dévotion et ce respect imposés s’étend à toutes les personnes de la collectivité villageoise ayant l’âge de votre grand frère, de votre grande sœur, de votre père ou de votre mère. En effet, en milieu traditionnel mandingue, on entend les jeunes gens interpeller dans la rue: N Kòrò (grand frère ou grande sœur), N Na (maman), N Fa (papa) les personnes qu’ils croient avoir l’âge de leurs grands frères, de leurs grandes sœurs, de leur père ou de leur mère. Donc tout aîné mérite respect absolu de la part d’un cadet. D’où le pouvoir de la gérontocratie au pays mandingue. C’est ainsi que Dioman Camara resta donc définitivement à Sianoh (Maou). Il eut un fils (dentyè ou den en Malinké) qu’il nomma Koyfing Camara. Mais la population du village de Sianoh, par respect pour le père Dioman, appela son fils Koyfing Diomandé au lieu de Koyfing Camara. Koyfing Diomandé signifie Koyfing fils de Dioman. (Dioman étant le nom propre ou le prénom du père et den signifie enfant, fils; donc DioManden signifie fils de Dioman. DioManden = Diomandé = Camara.) Il ne serait pas superflu de souligner que le nom Diomandé se prête à plusieurs sens et interprétations spéculatives. Pour certains traditionalistes, le nom Dioman, qui se décompose en deux syllabes, à savoir: Dio et Man, évoque le Dio (= Dyo = Djô) qui signifie fétiche, et la seconde syllabe Man est une contraction de Manden. Donc pour ceux-là, DioManden signifie simplement fétiche (Dio) du Manden (Mandingue). Par ailleurs, d’autres traditionalistes, soucieux d’auréoler les ascendances familiales du spectre religieux ou plus exactement musulman, rattachent aisément et gratuitement l’origine des Camara au Prophète Mahomet et singulièrement celle de Dioman. C’est bien là ce souci que le Professeur Kayo Binaf dégage éloquemment dans la préface de la « Dispersion des Mandenka », ouvrage des sociologues maliens Diango Cissé et Massa Makan Diabaté, en écrivant: « Scruter le passé, c’est remonter la chaîne des générations jusqu’au fondateur du clan, réel ou fictif, peu importe, sur la base des liens de sang, toute autre considération devenant de ce fait accessoire. Toutefois, avec le triomphe de l’idéologie musulmane, le généalogiste s’emploie à rattacher l’ancêtre à Mahomet ou à l’un de ses compagnons. Si, assurément, un homme nouveau, le musulman, naît de la prédication de Mahomet, l’histoire de l’humanité ne 290


commence pas avec l’hégire. Mahomet lui-même l’a compris en faisant fond sur certains éléments du temps de la Djihad (époque antéislamique) d’une part, d’autre part sur la tradition judéo-chrétienne. L’humanité n’est-elle pas une, en termes d’histoire, dans sa diversité?... » Ainsi, pour les traditionalistes du terroir, partisans de cette tendance et qui sont soucieux de faire prévaloir une ascendance religieuse aux grandes familles ou clans malinké, le nom Diomandé est une simple déformation de Dyònbaden qui se décompose en trois syllabes: - dyòn qui signifie fidèle serviteur de Dieu, captif de Dieu. - ba qui signifie splendide, gros, grand. - den qui signifie enfant, fils. Pour eux, Diomandé est une contraction de Allah ka dyòn-ba-den. En effet, affirment-ils, qu’un marabout, donc un homme de Dieu, fortement séduit par l’exceptionnelle beauté physique d’un bébé - un garçon - né d’un des descendants du Prophète Mahomet, se serait spontanément écrié le jour du baptême du nouveau-né qu’il tenait dans ses bras: « Allah ka dyòn-ba-den », c’est-à-dire « le fils du fidèle serviteur de Dieu ». Ce fut la stupéfaction générale, car ce nom était bien contraire à celui que les parents avaient initialement choisi. Mais satisfait du choix de ce nom prestigieux attribué à leur rejeton par le pieux, ils s’inclinèrent devant la décision de celui-ci, et le nouveau-né conserva le nom Allah ka dyòn ba den qui se contracta d’abord en Dyònbaden et finalement en Diomanden ou Diomandé tout court. Ainsi donc avons-nous les trois explications ou interprétations suivantes du nom de famille Diomandé: - Diomanden signifie fils de Dioman. - Dyo-Mandé signifie fétiche du Manden ou Mandingue. - Dyònbaden signifie fils du fidèle serviteur de Dieu. Mais nous accordons, certes arbitrairement, notre préférence à la première explication plus simple du nom Diomandé qui signifie fils de Dioman. En tout cas cette dernière est plus couramment évoquée par la plupart des généalogistes du terroir malinké. À noter donc que Diomandé et Camara sont deux patronymes qui désignent une même famille, un même clan. Le nom Camara est plus courant, mais Diomandé est surtout usité par les griots pour flatter et soutirer de l’argent aux Camara lors des cérémonies ou des fêtes, surtout au Konya, en Côte d’Ivoire et au Libéria. Dans le Maou (Touba, Côte d’Ivoire) certains traditionalistes rattachent l’origine des Diomandé ou Camara à Tombouctou. C’est de cette ville sainte que seraient partis les ancêtres Camara pour le Mandingue d’où eut lieu la dispersion générale vers les différentes contrées de l’Afrique Occidentale où on les trouve de nos jours. Le mirage oriental serait encore à l’origine de cette version. Le premier maillon connu des Camara ou Diomandé dans le Maou fut donc Dioman Camara qui, à son arrivée de Farinkamanya (Siguiri, en Guinée), aurait séjourné d’abord à Sassamba (Maou, Touba, Côte d’Ivoire) avant de 291


s’installer définitivement à Sianoh, le premier sanctuaire des Camara ou Diomandé dans le Maou, à la lisière de la savane et de la forêt. Dioman Camara aurait abandonné Sassamba au profit de Sianoh - dont il n’est pas le fondateur - mais y fut reçu en humble et respectueux hôte sur les sages conseils d’un devin qui lui aurait présagé un mauvais sort à Sassamba. En tout cas Dioman prospéra à Sianoh. À sa mort et en application stricte des recommandations du devin Diéné Moussa, son fils aîné Koyfing Diomandé ou Koyfing Camara hérita la corne protectrice, génératrice de bonheur et de puissance, et acquit du fait une certaine célébrité qui lui fit prendre le particule Fing, signe d’honneur et de noblesse. Retenons à présent que le nom Diomandé va désormais se substituer à celui de Camara dans cette région du Maou et plus tard dans toute la Côte d’Ivoire (Touba, Séguéla... en particulier). Le nom Camara est un dyamu (nom clanique) qui a dégénéré en Côte d’Ivoire à tel point que les familles qui le portent et le conservent encore sont assimilées gratuitement à des griots et traitées comme tels. Les griots sont une caste de la société malinké quelque peu méprisée et réduite généralement à la mendicité. On les appelle ici les Camara-fina ou Camara-griot. Précisions que les descendants de ce même Dioman Camara qui vont pénétrer en Guinée Forestière, à la suite de profondes dissensions, conservent encore de nos jours les deux noms patronymiques et s’appellent donc indifféremment Diomandé ou Camara. Il en est de même pour tous les clans malinkés ou mandingues. C’est ainsi que: - Keita = Mansaré - Kourouma = Doumbia - Koné = Diara -Traoré = Touraman - Cissé = Tounkara -Touré = Mandiou - Fofana = Donzo ou Dosso - Etc... Tous les noms patronymiques mandingues sont doubles. Cet équivalent est indifféremment usité pour désigner le même clan, la même famille. Nous étudierons plus loin les causes de cet effritement des Camara ou Diomandé dans le Maou. Détenteur de la corne magique et protectrice de son père Dioman Camara, Koyfing Diomandé ou Koyfing Camara demeura à Sianoh (Maou, Touba, Côte d’Ivoire) où il eut un fils. Pour perpétuer le nom de Farinkamanya, leur village d’origine dans le vieux Manden (Mandingue, près de Siguiri, en Guinée), il donna à son fils aîné le nom de Koyfing Kaman Camara ou Koyfing Kaman Diomandé. Celui-ci reçut, à la mort de son père Fing Koyfing, le legs précieux, c’est-à-dire la corne protectrice et génératrice de 292


bonheur, de prospérité et de prestige. C’est bien cette transmission d’aîné à aîné qu’a imposée le marabout féticheur Diéné Moussa de Sianoh qui l’avait préparée et offerte à Dioman Camara fut rigoureusement respectée. À sa mort Koyfing Kaman Diomandé légua, à son tour, à son fils aîné, Fing Koyfing Diomandé ou Fing Koyfing Camara - du nom de son père - la corne magique qui continuait à remplir sa mission avec satisfaction et à donner les preuves de sa puissance. Fing Koyfing Diomandé eut plus de chance. Plus prolifique, il donna le jour à huit garçons. Ceux-ci, devenus majeurs et poussés par l’esprit d’aventure, ne voulurent pas rester à Sianoh du vivant de leur père. Ils se dispersèrent ainsi, chacun suivant son destin, à la recherche de la fortune personnelle. 1) - Konsaba Camara ou Konsaba Diomandé serait le premier fils. Il s’installa dans le canton ou province de Gbeï ou Goye (cercle de Beyla, Guinée) où ses descendants constituent le grand clan familial Camara appelé Konsabasi qui peuple ce canton et les contrées environnantes. Mais certains de ses fils et descendants se propagèrent dans le Barala et dans le Maou (Touba, Côte d’Ivoire). C’est ainsi que son descendant Gbaou Diomandé vint du canton de Goyé (Beyla) pour créer le village de Siako dans le Maou. Les descendants de Konsaba Camara émigrés en Côte d’Ivoire se font appeler par le patronyme Diomandé, tandis que ceux restés dans le Goye (Beyla, Guinée) et dans les cantons environnants sont Camara tout court. Les descendants de Konsaba constituent de part et d’autre de la frontière ivoiro-guinéenne le clan Konsabasi. 2) - Famo Camara ou Famo Diomandé serait le second fils. Il s’installa dans la région de Touba, mais quitta le sanctuaire de Sianoh. Restés donc le Maou (Maouka), ses descendants appelés Famosi peuplent les villages de Fwéna, Gouéla, Gouana, Mandou, Ganwé, Djama, Koronkoro (3)... 3) - Césa Camara ou Céta Camara (Diomandé) qui était le troisième fils resta, comme Famo, en Côte d’Ivoire. Ses nombreux descendants sont rassemblés sous le nom clanique de Cétasi Diomandé et peuplent les villages de Gbénimaso, Tienko, Bianko, Toua, Towatolô, Gbènko, Mamourousso, Gbénigo, Kounkro, Tiasso, Bankofê, Madina, Fangnimasso, Yarâ, Sianoh, tous villages Maouka (Touba, Côte d’Ivoire). 4) - Miakourou ou Miakané Camara ou Diomandé était le quatrième fils de Fing Koyfing Diomandé (Camara) qui a ses descendants rassemblés sous le sigle Kandési. Il resta également dans le Maou où ses descendants peuplent les villages ivoiriens de Touko, Diaman, Yenko, Fouala, Gbénimanso, Landoué, Bianko, Toua... 5) - Gboofing Diomandé (Gboofing Camara) serait le cinquième fils qui s’installa dans le village Maou de Koronfè où il fut rejoint plus tard par son jeune frère Gboogbè, qui le quitta quelques temps après pour aller chercher fortune ailleurs. Mais Gboofing Diomandé qui avait une santé fragile mourut peu après le départ de son cadet qui, de ce fait, fut rappelé à Koronfè. Le défunt 293


Gboofing eut droit à de grandioses funérailles qui donnèrent l’occasion à tous les Diomandé de se retrouver pour des échanges d’idées et mettre l’accent sur l’esprit de solidarité effective semé par Dikoman Camara, l’ancêtre mythique venu du Mandingue entre les différents clans Camara ou Diomandé. Un sacrifice comprenant un mouton blanc, un bœuf tacheté de blanc et de noir (sankabanisi) et un coq blanc fut fait pour resceller et reconsolider l’infaillibilité de cette solidarité en toutes circonstances entre les Camara (Diomandé). Gboofing n’eut qu’un seul fils du nom de N’Vakourou Diomandé dont les descendants peuplent de nos jours les villages Maou de Kongbè, Têko, Vahidou, Gbèko, Wanino, (Ouanino), Tonfè, Banandou, Kòron, Sènkro, Gboolou, Tirikoro crée par Kanvali Diomandé à la suite d’un profond conflit avec ses frères consanguins, descendants de Gboogbè Diomandé. Ce village de Tirikoro a de ce fait plus d’affinités avec le village de Wanino (Ouanino). Mais le chef de Ouanino, Minsègbè Diomandé, était en chef guerrier. Il doit sa réputation à son neveu, l’intrépide, le brave et belliqueux Soyè Diomandé qui réussit à organiser une puissante armée aguerrie qui s’imposa dans la région tant aux Bamba, aux Fadiga qu’aux Koné, Dan, Yacouba... Par contre, Togba Diomandé, le fils de Minsègbè Diomandé, le chef de Ouanino, plus timide que son cousin Soyé, ne joua qu’un rôle secondaire dans la hiérarchie étatique et militaire de la région. 6) - Gboogbè Diomandé qui hérita les biens de feu son frère Gboofing Diomandé était le sixième fils de Fing Koyfing Diomandé. Il eut aussi la lourde charge d’éduquer N’Vakourou Diomandé, le seul fils de Gboofing Diomandé. C’est ainsi qu’en seconde noce, la femme de son frère lui fit trois fils célèbres dont les descendants peuplent le Maou. La progéniture du premier et troisième fils se rencontre dans les villages de Tonfè, Baïdou, Gbôdou. Celle du deuxième fils se rencontre à Banandou et à Gboïko. Plus tard, les Gboogbèsi (descendants de Gboogbè) vont créer et peupler Korongbèkoro et Ganwé (créé par N’Vakossa Diomandé dont les descendants sont aussi à Toubako, Seïfè et Mandou). 7) - Sakoura Diomandé était le septième fils dont les descendants peuplent les villages Maou de Windoulo, Gbêkan, Gbêlo, Mandou, Gbénéman, Tiéko, Watisso, Singo, Koyaro, Djamasso, Bananko, N’Gouantoulo, Bandjèno, Sésso, Kossafinso, Toufinga, Touyéga. Ils constituent le grand clan Camara ou Diomandé appelé Sakourasi. 8) - Farin Kaman Camara était le huitième et le benjamin des fils de Fing Koyfing Diomandé. Très jeune encore, il resta seul à côté de son vieux père Fing Koyfing Diomandé à Sianoh. Il s’y déploya inlassablement pour rendre heureuse la vieillesse de son père. Ses précieux et menus services embrassaient entre autres les travaux champêtres, la chasse pour ravitailler son père en viande de brousse, ainsi que la fourniture régulière du bois de chauffage dont avait constamment besoin le vieux Fing Koyfing Diomandé pendant les nuits froides. Farin Kaman Camara sera le fil conducteur de l’histoire des CamaraDiomandé que nous aurons à traiter dans les pages suivantes. 294


Pour mieux comprendre tout ce qui a été écrit dans les pages précédentes sur les Camara ou Diomandé de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, il est indiqué de procéder à une récapitulation de la généalogie des différents lignages de cette famille depuis le Manden (Mandingue) jusqu’à Farin Kaman (Maou, Côte d’Ivoire). TABLEAU RÉCAPITULATIF DE LA GÉNÉALOGIE DES CAMARA DEPUIS SIBY (MALI) JUSQU’AU AU MAOU (TOUBA, CÔTE D’IVOIRE) ET AU KONYA (BEYLA) 1) - Man Camara qui vécut au Mandingue. Son nom serait-il à l’origine du nom Manden (Mandé)? 2) - Sibi Camara qui vécut au Mandingue. 3) - Sibi Moussa Camara. 4) - Féré Camara qui vécut au Mandingue. 5) - Féré Kaman Camara qui vécut au Mandingue. 6) - Dankoro Camara qui vécut au Mandingue. 7) - Dankoro Misa Camara qui vécut au Mandingue. 8) - Mansa Camara qui vécut au Mandingue. 9) - Kamandian Camara: Il fut le roi de Sibi et l’initiateur de la célèbre et mémorable réunion de Kurukan Fuwa au, au XIIème siècle, pour reconstituer le Mandingue détruit par Soumaoro Kanté et élaborer la fameuse Charte de Kurukan Fuwa qui scella la réunification des différentes Provinces du Mandingue, règlementa la vie publique au Mali et proclama Soundjata Keita comme Empereur du Mali. 10) - Farin Kaman Camara fut le fondateur de Farinkamanya, village situé entre Siguiri et Kankan. fondateur de Farinkamanya ou FrenKamanya (village situé entre Siguiri et Kankan) d’où est partie la grande dispersion des Camara en direction des autres régions de la Guinée et de la Côte d’Ivoire. Celui-ci est à ne pas confondre avec son arrière-petit-fils qui fonda la dynastie des Camara du Konya dans la Guinée Forestière. C’est à Farinkamanya, premier sanctuaire précis et connu des Camara de l’Ouest et du Sud de la Guinée, que fut déclenché ce processus de migration. Ce furent cinq frères à en donner le ton, vers les XIVème et XVème siècles. 11) - Dioman Camara: Venant au XVème siècle de Farinkamanya (Siguiri, Guinée) est la souche des Camara de la Côte d’Ivoire où ses descendants prospèrent sous le nom Diomandé c’est-à-dire fils de Dioman. On les retrouve de nos jours dans les Départements de Touba (Maou), Séguéla, Mankono (Worodougou), Odienné, Man, Danané... Une étude exhaustive sur place pourrait ressortir les mouvements migratoires ainsi que les lignages et leur culture afin de compléter admirablement le présent ouvrage. 12) - Koyfing Camara ou Koyfing Diomandé. 295


13) - Koyfing Kaman Camara ou Koyfing Kaman Diomandé. 14) - Fing Koyfing Camara ou Diomandé: Premier fils de Koyfing Kaman Diomandé. C’est lui qui eut beaucoup d’enfants dans le Maou (Côte d’Ivoire). La tradition dénombre huit de ses fils qui sont: a): Konsaba Camara, l’ancêtre des Konsabasi dans le canton de Goye ou Gbeï (cercle de Beyla, Guinée) et dans le Barala (Département de Touba, Côte d’Ivoire). b): Famo Camara ou Famo Diomandé: L’ancêtre des Famosi dans le Maou (Touba, Côte d’Ivoire). c): Céta ou Césa Camara ou Diomandé: Ancêtre des Cétasi dans le Maou (Côte d’Ivoire). d): Miakourou ou Miakané Diomandé (Camara): Ancêtre des Miakanési ou Miakourou ou encore des Kandési dans le Maou (Côte d’Ivoire). e): Gboofing Diomandé: Ancêtre des Gboofingsi dans le Maou (Touba, Côte d’Ivoire). (3) f): Gboogbè Diomandé: Ancêtre des Gboogbèssi dans le Maou et dans le Worodougou (Côte d’Ivoire). (3) g): Sakoura Diomandé: Ancêtre des Sakourasi dans le Maou et dans le Worodougou (Côte d’Ivoire), ancêtre des Sakourasi dans le Maou (Côte d’Ivoire). h): Farin Kaman Camara ou Farin Kaman Diomandé était le benjamin des huit fils de Fing Koyfing Diomandé. Il est l’ancêtre des Farinkamansi. À la suite d’un litige que nous examinerons plus loin, il fut contraint par ses frères de s’exiler chez ses oncles maternels, à Moussadou, dans l’actuel cercle de Beyla (Guinée). Pour avoir conservé par devers lui la fameuse corne protectrice et génératrice de bonheur, de prestige et de pouvoir, contre toute attente, une guerre l’opposa à ses frères et à leurs oncles, les Koné. Il ne pouvait donc plus revenir dans le Maou où il fut proscrit. Les descendants de Famo (les Famosi), de Céta ou Césa (les Cétasi), de Miakané ou Miakourou (les Miakourousi ou Kandési), de Gboofing (les Gboofingsi), de Gboogbè (les Gboogbèsi), de Sakoura (les Sakourasi) et de Konsaba (les Konsabasi) constituent actuellement les principaux lignages du grand clan Diomandé (Camara) qui peuple le Nord et le Nord-Ouest ainsi que le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, précisément les départements de Touba et de Séguéla et une grande partie du Sud du Konya... (4) Ceux de Farin Kaman et d’autres descendants de Konsaba sont les Camara de la Guinée Forestière. La lignée de Farin Kaman, qui nous intéresse plus, fera l’objet d’une étude plus attentive. À la mort de Fing Koyfing Diomandé à Diémou, Farin Kaman, le benjamin de ses fils, bénéficia des faveurs du destin. En effet, contrairement à la tradition jusqu’ici respectée, Farin Kaman hérita la corne protectrice qui remplit précieusement l’office de talisman. Fing Koyfing Camara (Diomandé) 296


rompit ainsi avec la tradition qui exigeait la transmission de la fameuse corne seulement aux fils aînés. Mais voyons en ce geste du vieux Fing Koyfing Diomandé l’expression de sa reconnaissance des précieux et nombreux services que lui a rendus Farin Kaman, son fils benjamin. Chez nous, en pays mandingue, on admet que les bénédictions et les malédictions parentales « s’achètent » par la qualité et la constance des services rendus à ceux qui nous ont mis au monde. Or, Farin Kaman avait justement rendu agréable et heureuse la vieillesse de son vieux père, Fing Koyfing, contrairement à ses frères aînés qui avaient tous quitté le vieux pour aller se faire fortune ailleurs. Signalons que Kéré Dama Kamè ou Kéré Dama Kourouma ou encore Kéré Dama Doumbia, nom de la mère de Farin Kaman, était la sœur de Toumani Kamè (5) et originaire de Nérékoro, village jadis situé à quelques quatre kilomètres au Nord-Ouest de Moussadou (Beyla, Guinée). Nous allons volontairement suspendre ici cette généalogie qui sera reprise et complétée ou mise à jour jusqu’à 2014, plus loin, quand on abordera l’histoire des Camara de Damaro. MÉSENTENTE DES HÉRITIERS DE FING KOYFING DIOMANDÉ ET SES CONSÉQUENCES Comme de juste, quatre des frères de Farin Kaman rappelés en hâte à Diémou (Canton de Ourodougou-Sokourala, Cercle de Beyla) assistèrent aux obsèques de leur père Fing Koyfing. (6) Après l’inhumation, ils demandèrent le « talisman » (en occurrence la corne magique et protectrice) à Farin Kaman, leur jeune frère, qui l’avait reçu de leur père. C’était bien avons-nous dit un acte de reconnaissance du défunt dont il avait rendu la vieillesse plus heureuse. Farin Kaman était déterminé à conserver le leg et n’entendait pas s’en défaire fut-ce au profit de ses frères jaloux. Ceux-ci, par droit d’aînesse intangible, voulurent récupérer la fameuse corne, car il était dit à l’origine que le détenteur de la corne et ses descendants seraient inéluctablement puissants sur la terre. La corne devenait ainsi l’objet d’une grande convoitise; de là une profonde mésentente, qui dégénéra en conflit armé, naquit entre les frères qui se divisèrent en deux clans hostiles. Chaque clan était fermement soutenu par des alliés inconditionnels respectifs. Une fissure irréparable était faite dans la famille Camara ou Diomandé. Superstition ou réalité? L’histoire nous le dira. En Afrique les prédictions d’un géomancien, d’un marabout, d’un devin... sont généralement considérées comme des réalités tangibles, des choses qui arrivent inéluctablement, immédiatement ou plus tard.

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LE COMPLOT (KONSABA-DYANFA OU KONSABA-KÈLÈ) Konsaba, l’aîné, et ses frères allaient donc comploter contre leur jeune frère Farin Kaman dont ils décidèrent la liquidation physique pour assouvir leur désir. Par un vain scrupule les quatre frères aînés, qui ne devaient par voir couler le sang de leur frère, envoyèrent celui-ci dire à Fing Kassia Koné à Diémou (canton de Worodou, cercle de Beyla, Guinée) que les funérailles grandioses (sukoya), digne du rang social de leur père, seraient organisées à Diémou à une date qu’ils précisèrent. Ces cérémonies exigeaient donc de fastueuses dépenses de prestige. Chaque fils était tenu de contribuer aux dépenses et à la réussite des cérémonies en apportant obligatoirement un bœuf. Mais Farin Kaman était démuni de toutes ressources. Il fut donc obligé de se rendre à Nérékoro pour demander sa contribution à son oncle maternel Toumani Kamè. Puisque au Mandingue et par tradition on ne refuse rien de possible aux enfants d’une sœur ou d’une tante, celui-ci donna entière satisfaction à Farin Kaman, car l’honneur de son neveu était en jeu. Mais avant son retour à Diémou, ses frères avaient décidé de mettre en place une stratégie bien conçue pour concrétiser leur désir de récupérer la corne génératrice de bonheur, de puissance et de prestige. Ce qui provoqua le départ définitif de Farin Kaman de Diémou. Ainsi, la source de la puissance et de la fortune des Camara-Diomandé passa de la Côte d’Ivoire (Sianoh) en Guinée Forestière. L’enjeu - la précieuse et magique corne - était donc très important et allait pousser les aînés à vouloir éliminer physiquement leur frère benjamin, Farin Kaman, qui la détenait « illégalement ». Ils le traquèrent dans tous ses repères. LA TENTATIVE D’ASSASSINAT DE FARIN KAMAN À DIÉMOU (BEYLA) Invité à Diémou, nouvelle résidence des Camara-Diomandé, comme tous les autres héritiers et leurs alliés, pour siéger en assemblée publique extraordinaire afin de régler les problèmes de succession, ce qui est un signe d’honneur pour Farin Kaman Camara. Mais celui-ci ne devrait pas soupçonner le piège qui l’y attendait et où il devrait trouver une mort certaine et perdre du coup le bénéfice de l’héritage. En effet, à l’ombre du fromager titulaire de Diémou, un grand trou était creusé, soigneusement préparé, et rempli de flèches empoisonnées, de pieux, de pals dont les pointes étaient tournées vers le haut. Le tout était recouvert de peaux de moutons, soigneusement arrangé et transformé en place d’honneur devant recevoir Farin Kaman Camara qui ne manquerait pas de s’y asseoir et d’y trouver, croyaient-ils, une mort certaine. Heureusement, Farin Kaman en fut prévenu par la femme de Fing Kassia Koné, sa vieille maîtresse, nommée Koumba, qui avait éventé le complot par la suite d’une indiscrétion de son mari Fing Kassia Koné, membre actif de la 298


commission d’organisation des funérailles de Fing Koyfing Diomandé. À propos de l’imprudence de certaines indiscrétions, notons cette pensée des trois Calenders et de cinq Dames de Bagdad dans « Les Mille et Une Nuits »: « Garde ton secret, et ne le révèle à personne: qui le révèle n’en est plus le maître. Si ton sein ne peut contenir ton propre secret, comment le sein de celui à qui tu l’auras confié pourra-t-il le contenir? » (7) En effet, l’indiscrétion est la cause de l’échec de presque tous les complots. La nuit, quand il fallait se réunir pour palabrer sur les dernières dispositions à prendre pour cette cérémonie, on désigna la place d’honneur à Farin Kaman. Signalons qu’en pays mandingue, le benjamin est toujours le plus aimé, le plus choyé de la famille. Tout le monde l’affectionne et le respecte parfois autant que l’aîné. Ce changement brusque d’humeur des frères comploteurs était très frappant et trahissait malheureusement leurs vrais sentiments et desseins qui étaient plutôt haineux qu’affectifs. Comme on le dit: « Un homme averti en vaut deux ». Farin Kaman rejeta cet honneur empoisonné. Il refusa l’offre, malgré l’insistance de ses frères, de s’y asseoir, car c’était bien le place de la mort et non celle de l’honneur. C’était la stupéfaction générale chez les comploteurs. Un des principaux notables, étranger au complot, venu de son lointain territoire, voyant la place inoccupée s’y assied sans que personne ne l’en empêchât, tomba dans le trou et y mourut, car les peaux qui recouvraient le trou ne pouvait le retenir. Ce fait éclaira suffisamment Farin Kaman qui, déçu, réalisa l’ampleur du complot et de la haine de ses frères. Il se sauva en criant son dégout de la coalition fratricide Konsaba. En effet, Konsaba Diomandé était l’âme damnée de ce complot qu’il conçut et exécuta avec le soutien ferme de ses autres frères: Famo, Césa, Miakourou ou Miakané, tous Camara ou Diomandé. Cette coalition des fils de Fing Koyfing Diomandé porta ainsi son nom: « Konsaba-Dyanfa » ou « Konsaba-Kèlè ». Suivi de Férémory Doré et du griot Moussa Diabaté, qui s’attachaient à sa fortune, Farin Kaman quitta Diémou pour se diriger vers l’Ouest, arriva à Nérékoro, chez son oncle maternel, Toumani Kamè, qui lui donna asile en raison des liens de parenté qui existaient entre lui et Kaba Dama Kamè, la mère de Farin Kaman. Chez nous, en pays mandingue, le refuge le plus sûr d’un enfant vomi ou renié par ses frères, ses parents... est bel et bien sa famille maternelle. En effet quels que soient les défauts d’un enfant, l’ampleur et la gravité des crimes commis par lui, les parents de sa mère l’adoptent toujours envers et contre tout. Arrivé en hâte à Nérékoro, Farin Kaman Camara, le fugitif, raconta à son oncle la tentative d’assassinat organisée contre lui à Diémou par ses frères paternels. En prévision d’une attaque imminente de la part de la coalition Konsaba, des Koné de Diémou et des autres Diomandé ou Camara du Maou, Toumani Kamè préféra se retirer avec son neveu Farin Kaman à Moussadou qui, 299


avec son tata, présentait l’avantage d’être fortifié. Ceci était l’œuvre d’un captif du nom de Moussa Kamè, fondateur de l’agglomération de Moussadou. Un tel dispositif de sécurité était rare et coûteux car sa réalisation demandait une forte main d’œuvre et beaucoup de temps. Les prévisions de Toumani Kamè et les inquiétudes de Farin Kaman se réalisèrent pleinement peu après. L’attaque des Camara (Diomandé) du Maou et des Koné ne se fit pas attendre.

L’itinéraire de Farin Kaman, le fugitif, de Sianoh à Moussadou en passant par Diémou.

LA GUERRE DE MOUSSADOU L’échec de la tentative d’assassinat de Farin Kaman à Diémou n’était pas fait pour apaiser la sourde colère et la haine des Koné de Diémou, des Camara ou Diomandé de la Côte d’Ivoire, et surtout de la coalition Camara 300


dirigée par Konsaba Camara, qui voyaient leur échapper la corne magique et protectrice, douée de forces occultes et source de puissance et de prospérité. Ainsi une puissante armée des coalisés marcha-t-elle sur Moussadou pour châtier Farin Kaman qui osait garder par dévers lui, et à son seul profit, la fameuse corne. Elle passa d’abord mettre à feu et à sang Nérékoro, le village de son oncle, car c’était bien là qu’ils espéraient trouver le fugitif. En tout cas celuici était déterminé à conserver l’objet de convoitise même au prix de sa vie. Heureusement, les flèches, les sabres et les lances furent inefficaces contre la modeste forteresse de Moussadou qui fut attaquée peu après Nérékoro. Cette armée assaillante essuya alors une cuisante défaite. Selon la tradition, la bataille de Moussadou fut très sanglante, très meurtrière. Une des versions à propos du bilan de ce combat prétend que Konsaba et Famo, les instigateurs du complot, y seraient blessés. En se retirant, les vaincus laissèrent devant Moussadou des fétiches maléfiques qui devaient, dans leur esprit, leur assurer la victoire au cours d’une prochaine attaque revanche. Ils abandonnèrent aussi des armes pendant le « sauve qui peut » ainsi qu’un grand nombre de cadavres et de blessés. Le reste de l’armée en déroute réussit de justesse à échapper à une poursuite acharnée instantanément organisée par les vaillants défenseurs de Moussadou. Mais les traînards furent rejoints et massacrés au passage de la rivière Goye-Kòni. L’issue malheureuse de cette expédition militaire pour ses frères Diomandé et leurs oncles (les Koné) et alliés, ôta à Farin Kaman toute crainte dans l’avenir. L’éventualité d’un retour offensif des coalisés était à écarter dans l’immédiat, tant leur défaite fut totale. « À quelque chose malheur est bon » dit-on. Ainsi la fameuse corne protectrice et génératrice de puissance, de prestige et de bonheur devint la propriété définitive de Farin Kaman Camara et sa progéniture. Dès lors tout retour de Farin Kaman à Diémou, et au Maou (Côte d’Ivoire), était désormais exclu. Ainsi à cause d’une simple corne de bélier à laquelle le marabout Diéné Moussa avait conféré un pouvoir « surhumain », un conflit avait divisé les descendants de Dioman Camara en clan Diomandé pour ceux restés en Côte d’Ivoire et en clan Camara pour ceux émigrés en Guinée Forestière dont le premier maillon est Farin Kaman Camara. En Guinée Forestière, au Libéria et même en Haute Guinée les descendants de Farin Kaman sont indifféremment appelés Camara ou Diomandé. CONSÉQUENCES DU CONFLIT ENTRE LES DIOMANDÉ DE CÔTE D’IVOIRE ET LES CAMARA DU KONYA (MOUSSADOU) LA GUERRE DES FRÈRES a) - Depuis ces incidents ou ce conflit armé, les Camara ou Diomandé sont considérés comme fétichistes réputés. Leurs sanankun - famille alliée habilitée à tout dire à une famille partenaire, mêmes des paroles obscènes, sans 301


provoquer le moindre scandale - se moquent d’eux chaque fois que l’un d’eux porte un sac fermé, même vide, et surtout quand il est singulier ou a un aspect mystérieux. On entend dire alors « DioManden-Bolo », ce qui sous-entend un « sac-fétiche » ou en tout cas un sac renfermant des gris-gris ou des fétiches. Toujours en faisant allusions à la fameuse corne protectrice et par raillerie, on entend dire à un Camara ou Diomandé « DioManden-Fèn » quand on s’aperçoit de la présence d’un objet pesant ou volumineux dans la poche d’un Camara. Cette raillerie est très courante entre les Diomandé-Camara eux-mêmes d’une part et entre eux et leurs sanankun (alliés) c’est-à-dire les Sidibé, Sangaré, Diallo, Kourouma ou Doumbia... d’autre part. b) - La guerre à main armée se fait avec des flèches, des lances, des sabres, des frondes... Deux grandes divisions familiales, qui subsistent encore de nos jours, s’établissent entre les fils de Fing Koyfing Camara et ont embrassé tous les clans se réclamant de lui. Ceux demeurés en Côte d’Ivoire se nomment Diomandé (= fils de Dioman). Ceux venus en Guinée restent Camara tout court, tout en conservant dans certaines régions d’autres noms patronymiques. c) - À la suite de la tentative d’assassinat de Diémou, Farin Kaman défendit à tous ses descendants, en ligne directe ou collatérale: 1) - De se rendre à Diémou sous quelque prétexte que ce soit. 2) - De s’asseoir à une place préparée à l’avance et qui peut être piégée. En tout cas cette recommandation est une mesure de prudence. Ce n’est qu’entre 1912 et 1913 que, suite à une initiative heureuse ou à une démarche opportune et surprenante, la colonisation française, rapprochant les hommes, décida, sous l’autorité du Commandant Palanque, (8) la suppression ou la levée de ces interdits qui persistaient encore à Diémou et à Sokorourala. Ces villages étaient mis en quarantaine par les descendants de Farin Kaman depuis que celui-ci en a donné l’ordre. Comme on le sait, en Afrique, la mémoire des morts est sacrée et leur dernière volonté est inviolable. Ils exercent une influence notable sur la vie des vivants. On tient compte d’eux. Dans les cérémonies rituelles on implore autant leur générosité, leur protection, leur grâce... que celles de Dieu, des esprits ou des forces occultes auxquelles on croit et obéit. Pour cette levée des interdits, il fallait faire des sacrifices au cours desquels on devait immoler, à la mémoire des ancêtres notamment Farin Kaman, un bœuf et un mouton qui furent gracieusement fournis par les Koné de Diémou qui voulaient enfin sortir de leur isolement plusieurs fois séculaire. Sifani Soko Camara représentant des Fandyarasi (Simandou, Damaro) et Sidiki Camara était celui des Fassousi de Guirila, levèrent les dits interdits au cours d’une grandiose cérémonie organisée à cet effet pour apaiser la mémoire des ancêtres qui s’en trouveraient offensés dans leur paisible repos et surtout implorer la grâce de Farin Kaman Camara pour l’outrage fait à sa volonté. On insista longuement sur le fait que l’initiative du rapprochement était dictée par les nouveaux maîtres du pays qui n’étaient plus les Camara, les Koné, les Kourouma... mais des blancs. Les ancêtres 302


devaient donc tempérer leur colère, si colère devait suivre ces cérémonies de levée ou de radiation de ces interdits. 3) - Les Camara du Gbeï ou Goye (Beyla), surtout les Diomandé de la Côte d’Ivoire et les Koné de la contrée de Diémou ne devraient pas, pour quelle que raison que ce soit, fouler le sol de Moussadou, ni même franchir la rivière Goye-Kòni située non loin de Moussadou, et qu’il faut obligatoirement traverser pour se rendre à Diémou ou dans le Goye (Gbeï). Dans le souci de revigorer leurs liens de fraternité que les vicissitudes de la vie avaient jadis entachés, les descendants de Konsaba Camara et ceux de Farin Kaman Camara de la Guinée et de la Côte d’Ivoire se sont réunis au mois de mars 1999 à Gbeïsoba pour faire des sacrifices pour l’unité, la solidarité et la prospérité des deux dynasties (Voir Résolution annexée au présent chapitre). Les descendants nantis des deux clans fournirent à cette occasion de réconciliation une grande quantité des diverses céréales et une dizaine de bœufs immolés à cet effet. Il faut aussi rappeler qu’auparavant l’Administrateur civil colonial français, du nom de Palanque, avait lui aussi pris l’initiative de rassembler en 1913 les Camara du Konya, notamment les descendants des deux frères ennemis, pour faire un sacrifice de réconciliation. Aussi, qu’on sache que les assaillants traînards (Diomandé, Koné et alliés) furent massacrés pendant la traversés de ladite rivière. Plus tard, les Camara du Goye (Beyla, Guinée), ceux de la Côte d’Ivoire, c’est-à-dire les Diomandé, ainsi que les Koné de Diémou (canton de Worodou, cercle de Beyla, Guinée), renonçant définitivement à leur vieux projet de revanche, évitèrent la rivière Goye-Kòni qui resta longtemps la ligne de démarcation infranchissable pour les protagonistes et leurs descendants. Ainsi, avec l’issue malheureuse de l’expédition armée s’envola définitivement l’espoir des autres Camara et de leurs alliés de récupérer ou de s’approprier la paternité de la fameuse corne sacrée « illégalement » détenue, selon eux, par Farin Kaman qui s’était retiré à Moussadou afin d’échapper à la haine fratricide. Il devait s’y épanouir comme l’avait prédit le marabout Diéné Moussa. d) - Le village de Nérékoro était situé au pied de la montagne Konyaba, au Sud-Ouest de Moussadou. Cette élévation, berceau de la puissance de Farin Kaman Camara, devait donner son nom à tout le pays soumis à l’autorité de Farin Kaman Camara et par extension à celle de ses descendants éparpillés dans la région forestière et à la lisière de la forêt. Il suffit de supprimer le terminaison -ba pour obtenir Konya (Konya ou Konyan). Et les habitants de ce pays s’appellent Konyaka ou Konyanké. Les Koné de Beyla sont les descendants de Soumabalé Koné, frère de Fing Kassia Koné, chef de Diémou. Il en est même pour les Koné du canton de Béla-Faranah (cercle de Beyla), de Saragbala (canton de Simandou, cercle de Beyla, Guinée) et de Bilama-Boyana.

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En conclusion de ces événements pouvant paraître futiles pour les jeunes d’aujourd’hui (Une simple question de possession d’une simple corne de bélier), étaient fondamentaux à l’époque. Il faut noter le grand clivage dans la lignée de Dioman Camara, suite à ce conflit fratricide: 1°) - Il y a d’une part la dynastie ou kabila (clan) des Diomandé qui englobe tous les Camara du Maou et de la Côte d’Ivoire qui prospèrent sous le patronyme Diomandé. 2°) - De l’autre, il y a la dynastie kabila (clan) des Camara qui s’est propagée dans toute la Guinée Forestière et qui a pour premier maillon Farin Kaman Camara (venu du Maou). L’on sait maintenant que pour une raison évidente de sécurité, Farin Kaman ne pouvait plus retourner dans le Maou Côte d’Ivoire. Détenteur de la fameuse corne protectrice, source de puissance et de prospérité, il n’osait plus retourner au bercail des Camara-Diomandé (le Maou) où ses frères l’auraient tué sans hésiter pour récupérer l’objet de convoitise qui les opposait. De nos jours, et depuis la réconciliation réalisée sur l’initiative du Commandant Palanque, les jeunes générations ont enterré ces querelles des anciens. Ainsi les Camara de la Guinée Forestière et les Diomandé de la Côte d’Ivoire, tous issus de Dioman Camara, originaire de Farinkamanya (Siguiri, Guinée), se sont retrouvés dans une parfaite communion d’idées, d’actions et d’amour, et se respectent mutuellement. Mais le clan Camara Farinkamansi, pour être issu du benjamin Farin Kaman Camara, joue toujours le rôle de cadet dans les réunions rassemblant les deux clans (Camara et Diomandé). Un Farinkamansi est tenu de faire le profil bas devant un Konsabasi. Cette petite enquête préliminaire est obligatoire avant d’entamer une réunion publique afin d’éviter des vices de forme ou une frustration dont les conséquences peuvent soit annuler les décisions prises au terme de cette réunion ou soit empêcher que les sacrifices faits soient exaucés parce que l’esprit des ancêtres a été offensé ou pas considéré. Il faut obligatoirement réparer une telle erreur ou faute grave. Si donc la présence d’un Konsabasi est constatée parmi les présents, l’honneur de présider la cérémonie lui revient ipso facto, même s’il s’agit d’un mineur. Quand par hasard on se trouve en face d’une femme, on lui dit avec courtoisie: « I ye i benbalu nòrò; bunyè bèè ye i bolo. = Installe-toi à la place de tes ancêtres, tous les honneurs de cette cérémonie reviennent, et nous avons besoin de tes bénédictions. » Dans ce cas, celle-ci prononce quelques bénédictions et formule de pieux vœux au nom de ses ancêtres pour la réussite totale du sacrifice et autorise de poursuivre la cérémonie, sans occuper effectivement la place d’honneur. Les vicissitudes de l’histoire n’ont donc pu détruire leur esprit de fraternité. Une parfaite harmonie règne entre les deux branches. Pendant les sacrifices, les funérailles, les mariages, les cérémonies rituelles... les organisateurs (Camara ou Diomandé) cherchent toujours à s’assurer avant ou pendant les cérémonies de la présence effective d’un représentant d’une des branches suivantes de la lignée Camara ou Diomandé afin de citer l’ancêtre de 304


celui-ci et pour lui faire honneur et parfois même pour lui concéder le parrainage de la cérémonie: - Farinkamansi ou descendants de Farin Kaman Camara. - Konsabasi ou descendants de Konsaba. - Famosi ou descendants de Famo. - Kandési ou descendants de Miakourou ou Miakané. - Césasi ou Cétasi ou descendants de Césa ou Céta. - Fassousi ou descendants de Fassou Camara. - Kounoun Misasi ou descendants de Kounoun Misa. - Samoyensi ou descendants de Samoyen. - Fandyarasi ou descendants de Fandyara. - Cé-Biramasi ou descendants de Cé-Birama. - Etc...

L’expansion des Camara dans le Konya à partir de Moussadou (Beyla).

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Si la présence d’un représentant d’une de ces grandes branches est constatée, ce frère (Farin Kaman Bosson, ou descendant de Farin Kaman ou celui d’un frère de celui-ci) devient automatiquement le président d’honneur de la cérémonie. Mais si la présence de deux ou de plusieurs représentants de deux ou de plusieurs branches Camara ou Diomandé est signalée, l’honneur de la présidence revient à celui dont l’aïeul est le plus âgé de tous les clans, même si ce représentant est très jeune. C’est la règle qu’il faut respecter. En Guinée Forestière, les Camara constituent une grande confédération fraternelle ou Kabila à plusieurs rameaux et entretiennent entre eux un esprit de solidarité effective qui fait ses preuves en toutes circonstances. Cette affinité vivement recommandée ou imposée par les ancêtres a prévalu entre eux sous le règne de l’Almamy Samory Touré et pendant la colonisation française. Et même de nos jours ils entretiennent ces sentiments fraternels plusieurs fois séculaires. On se réfère toujours aux ancêtres morts pour ramener dans les rangs les brebis galeuses et qu’on contraint à se plier devant les principes de respect absolu de la hiérarchie clanique, d’amour et de solidarité agissante envers tous les frères consanguins de la confédération Camara. COMPOSITION CLANIQUE DE MOUSSADOU Moussadou fut créé, rappelons-le, par un captif du nom de Moussa Kamè (Kourouma ou Doumbia) qui en dirigea les destinées jusqu’à l’arrivée du village voisin de Nérékoro qui relevait de son maître Toumani Kamè (Kourouma ou Doumbia) accompagné de son neveu, le fugitif Farin Kaman Camara, pourchassé par ses frères Diomandé du Maou depuis le village de Diémou dans le Worodougou (Beyla, Guinée). Farin Kaman Camara et son oncle Toumani Kamè s’étaient retirés à Moussadou qui était une forteresse réputée imprenable. Le village, après la défaite de la coalition Camara dirigée par Konsaba, comprenait: 1°) - Zoo Moussa Kamè, descendant du fondateur Moussa Kamè. 2°) - Toumani Kamè, l’oncle de Farin Kaman Camara et chef de la contrée. 3°) - Fémébou Kamè, frère de Toumani Kamè. 4°) - Farin Kaman Camara accompagné des griots Férémori Doré et Moussa Diobaté. 5°) - Diou Faa Koné. 6°) - Les captifs faits pendant la guerre de Moussadougou.

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L’ASCENSION FULGURANTE ET LE RÈGNE PACIFIQUE ET ECLAIR DE FARIN KAMAN CAMARA À MOUSSADOU ET DANS LE KONYA AU DÉBUT XIVÈME SIÈCLE ----------o---------« L’histoire, si elle est parfois fonction d’un homme, est le plus souvent tributaire des foules, ou des circonstances imprévisibles » Gaston WIET (« Essai de méthodologie historique, » p. 15 de Maurice Bouvier-Ajam) ----------o---------« En fait l’histoire oscille entre l’influence des êtres qui ont su s’imposer et le déroulement des évènements sous la pression des peuples ou au rythme des circonstances. » Gaston WIET (« Essai de méthodologie historique, » p. 16 de Maurice Bouvier-Ajam) ----------o---------Farin Kaman Camara bénéficia des faveurs du destin. Il fut la consécration des prévisions du marabout (féticheur Diéné Moussa de Sianoh, Maou, Touba, Côte d’Ivoire), qui avait préparé la fameuse corne génératrice de bonheur, de prestige et de puissance et que Farin Kaman détenait. N’avait-il pas dit que le détenteur de cette corne ou ses descendants serait puissant et prospère? Suivons les événements pour donner les preuves de sa prophétie. Farin Kaman Camara se distingua vaillamment pendant la guerre contre Konsaba et ses alliés. Il se fit remarquer comme un grand guerrier et un organisateur par son oncle qui plaça dès lors tous ses espoirs en lui. Devant ses qualités indéniables de chef, Toumani Kamè voulut-il abdiquer en faveur du fils de sa sœur. Il fit part de ce projet aux notabilités de Moussadou et de Nérékoro. Ceux-ci s’opposèrent à ce désir de leur chef Toumani Kamè, prétextant qu’il était imprudent de donner le pouvoir à cet étranger qui ne manquerait pas de leur supprimer un jour la jouissance de tous leurs droits et de leur liberté. Mais Toumani Kamè intransigeant passa outre l’hostilité aveugle des notables et nomma son neveu à la tête du village et lui conféra tous les droits et prérogatives de chef (mansa). La nomination de Farin Kaman Camara par son oncle n’était donc pas faite pour apaiser la méfiance et la colère des habitants de Moussadougou qui, 307


impuissants, s’inclinèrent devant la volonté inébranlable de leur chef Toumani Kamè. Mais le nouveau chef (mansa kura), par son esprit d’équité, son sens inné de l’organisation, s’attira rapidement beaucoup de sympathie et de partisans. D’abord, ce furent les marabouts pour lesquels il professa beaucoup d’amitié, de tolérance et dont les plus importants étaient: 1°) - Anzoumana Bérété qui était le beau-père de Farin Kaman. De ce mariage naquit Farima qui devait autoriser plus tard l’installation des Kourouma ou Doumbia (Kamè) à Diakolidougou (Beyla). Les Bérété allaient donc former une puissante famille dans le cercle de Beyla où ils demeurent encore de nos jours. 2°) - Séréfou Talata, originaire de Tombouctou, entendant parler des munificences de Farin Kaman Camara, vint à Moussadou où il était invité par Farin Kaman sous l’injonction des marabouts qui commençaient à influencer ce fils de Fing Koyfing Diomandé. Ce penchant de Farin Kaman pour l’Islam fut un stimulant pour l’adoption de cette religion importée comme religion d’État à Moussadou qui reste depuis, et même de nos jours, l’un des plus grands centres musulmans de la région de Beyla ou plus exactement du Konya. Signalons toutefois que le fétichisme conserve pour autant son importance. En effet, malgré la pratique pieuse de l’Islam, on renonce souvent à l’explication musulmane ou divine de certains événements pour s’en remettre uniquement à celle d’un devin ou d’un féticheur réputé qu’on fait venir parfois de très loin pour rechercher les causes réelles d’une mort subite ou d’un malheur. Il appartient à celui-ci de rechercher et de châtier les sorciers et les féticheurs responsables de cette mort anormale, de ce malheur ou de cette calamité. REPARTITION ET DISPERSION CLANIQUES Moussadou devint progressivement un gros village. Sa population croissait considérablement. Fétichistes et musulmans y cohabitaient. Mais Farin Kaman Camara avait beaucoup plus de penchant pour les musulmans et leur religion. Il n’en était pas de même pour les fétichistes qui étaient méprisés et victimes de la pression des marabouts et d’une certaine discrimination flagrante et permanente. C’est pour échapper à cette ségrégation qu’ils décidèrent de quitter le village et le pays. Ils étaient même persécutés par moment. L’esprit de tolérance dans les croyances s’était considérablement détérioré au détriment des fétichistes qui étaient toujours frustrés et brimés. Mais il fallait forger un motif (9) pour chasser le chef des fétichistes, Zoo Moussa Kamè, descendant de Moussa Kamè le fondateur du village de Moussadou. Farin Kaman consulta alors son marabout émérite, Sani Sagno, qui lui prépara un talisman attaché à un crapaud et qui devait hâter le départ sans violence ou l’exode des fétichistes et consolider la puissance de Farin Kaman

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Camara. Voyons là encore dans cette pratique islamique une nette coloration animiste. La corne protectrice qui se « nourrissait » de bêtes (coq, mouton...) « avala » le crapaud et le talisman, puis éclata. Et ce fut la fin du prestige de Zoo Moussa Kamè qui dut alors quitter son village natal créé par son ascendant et homonyme Moussa Kamè pour s’exiler ailleurs. Tandis que Zoo Moussa Kamè et les siens s’en allaient, certains en direction du Sud (à Gbaya, vers N’Zérékoré) et d’autres vers l’Ouest (Timindou et Gbabadou près de Kérouané), et plus tard vers le Konyanko (Koninko) et vers le Mandou pour atteindre ensuite Macenta..., les fils de Sani Sagno se multipliaient et créaient d’importants villages dans les cantons de Karagba, Goye (Gbeï) et Worodougou de l’ancien cercle de Beyla (Guinée). Zoo Moussa Kamè ou Zoo Moussa Kourouma ou encore Zoo Moussa Doumbia et son escorte empruntèrent la piste menant à Nionsomoridou (Beyla). Ils poussèrent jusqu’au canton de Sonkoly actuel où ils fondèrent trois villages de Kourouma devenus aujourd’hui Guèrzé dont: Gbaya et Zoota (cercle de N’Zérékoré). Zoota signifie résidence de Zoo Moussa. Ce départ de Zoo Moussa de Moussadou n’était pas un exil volontaire. Il en fut expulsé et traqué. Dans sa retraite précipitée, il arriva à Nionsomoridou. De là il se dirigea vers la montagne située à l’Ouest de ce village, but à la source du lieu. Constatant de cette éminence qu’ils n’étaient plus pourchassés, il s’extasia en criant: « Ka-a-a ni ko-o-o ke-e-e! » ce qui veut dire « Bonheur, nous sommes sauvés ».Ce cri de soulagement et de joie est toujours prononcé dans nos villages du Konya et de tout l’ancien cercle de Beyla pour annoncer une naissance. La calebasse qui avait servi à Zoo Moussa Kamè pour puiser de l’eau à la source était régulièrement remplacée jusqu’au tracé de la voie carrossable reliant Kankan à Beyla, c’est-à-dire jusqu’à l’introduction de l’automobile en Guinée Forestière par la colonisation française. Depuis ce jour, cette montagne s’appelle Ka-ni-ko-ké! Par ailleurs, Dioufaa Koné et ses partisans allèrent vers les cantons de Béré et de Lainé (cercle de N’Zérékoré) où ils créèrent douze villages devenus aujourd’hui guèrzés. Moussadou fut ainsi débarrassé totalement du fétichisme puant et redouté. Après ces événements importants qui eurent pour conséquences immédiates l’immigration massive de certains Mandingues en région forestière, la composition clanique de Moussadou fut la suivante: 1) - Farin Kaman Camara et ses seize fils dont l’aîné était Fandyara. 2) - Toumani Kamè, l’oncle de Farin Kaman, avec ses six fils et sa famille. 3) - Fémébou Kamè (frère de Toumani Kamè), ses deux fils et sa famille. 4) - Férémory Doré, ses cinq fils et sa famille attachés à la fortune de Farin Kaman depuis leur évasion de Diémou. 5) - Moussa Diobaté et les siens 309


6) - Anzoumana Bérété et sa famille 7) - Morisiman Kané et sa famille. 8) - Séréfou Talata et sa famille. 9) - Sani Sagno et les siens. Moussadou, jadis gros village, commença peu à peu à se dépeupler tout en restant le foyer de rayonnement et le berceau de la puissance des Camara. Sa population se dispersa progressivement dans les environs immédiats: a) Certains Kamè (= Kourouma = Doumbia) allèrent à Diakolidou (Beyla). b) Certains Bérété allèrent créer le village de Beyla, déformation de Bérétéla ou Béla. c) Les Kanè, descendants de Morisiman Kané, restèrent à Moussadou où ils sont les seuls qualifiés par la tradition pour exercer, même de nos jours, les hautes fonctions d’Imam dans la mosquée de Moussadou. (10) d) N’Vanfing Doré, attaché à la fortune de Farin Kaman, eut cinq fils qui, plus tard, se dispersèrent au hasard de leur fortune. Quatre d’entre eux furent des créateurs de villages. Il s’agit de: 1) - Boï Doré qui fonda le village de Bilamadou dans le canton de Guirila (Beyla). 2) - Kankiéré Doré qui créa le village de Kéfindougou dans le canton de Gbana (Gouana, cercle de Beyla). 3) - Koéssia Doré qui créa le village de Gboudounodou dans le canton de Gbana ou Gouana (cercle de Beyla). (11) 4) - Férémory Doré resta à Moussadou (Konya, Beyla, Guinée). L’ORIGINE DES MILLE SACRIFICES (WURU KELEN SARAKA) Lors d’une de ses nombreuses excursions qu’il effectuait autour de Moussadou, Farin Kaman vit une fois, entre Beyla et Moussadou, l’emplacement du village abandonné de Talalo détruit. De l’avis d’une vieille femme expérimentée en occultisme, Talalo était un village maudit comme ses habitants qui étaient des forgerons et qu’il fallait à Farin Kaman faire un important sacrifice insolite pour conjurer le mauvais sort, les sorciers et les esprits maléfices. Donc, pour conjurer les mauvais esprits du lieu et pour assurer aux descendants de Farin Kaman la puissance, la prospérité, le rayonnement complet et surtout le commandement, un conseil de notables et de marabouts convia vivement celui-ci à faire un sacrifice de mille objets comprenant 100 objets de 10 espèces différentes (12). Dont entre autres: Dix esclaves, Dix bœufs, Dix moutons, 310


Dix chèvres, Dix poulets, Dix bonnets, Dix boubous, Dix chaussures, Dix mesures de céréales, Dix calebasses. Y aurait-il d’autres variantes? En effet, il peut y avoir plusieurs variantes des composantes de ce sacrifice singulier. - Celle de 100 objets de 10 espèces différentes de choses nous donne bien sûr 1.000 objets. - Celle de 50 objets de 20 espèces différentes. - Celle de 20 objets de 50 espèces différentes, etc… C’est dire que nous n’avons malheureusement pas pu reconstituer la composition exacte ou la nature précise des 1.000 objets sacrifiés. Cependant la tradition orale retient imperturbablement et avec insistance: wuru kelen saraka = sacrifice de 1.000 objets. Nous ne pouvons donc que spéculer, car l’auteur du présent livre n’a pas précisé la quantité et les objets retenus pour honorer ce sacrifice insolite dont parle tant la tradition orale du Konya. Telle était la traduction ou l’interprétation faite par les marabouts de la vision du village abandonné et qui exigèrent ce sacrifice pour le rayonnement de la cité de Moussadou et de son chef. Farin Kaman n’eut pas de peine à réunir les éléments constitutifs de son sacrifice qui fut fait suivant les formes habituelles et sous la présidence de l’intéressé assisté: De ses seize fils, De ses marabouts et de leurs enfants, De son oncle Toumani Kamè et des siens, De Férémory Doré, et du griot Moussa Diobaté. Il est trop long et très fastidieux de dire à qui reviennent les sacrifices; comment se fait le partage, où il est fait. Qu’il nous suffise de savoir que Moussa Diobaté, griot de Farin Kaman, chargé de distribuer ces sacrifices, les apporta à un certain Diaha Valy Souaré de Nionsomoridou, en reconnaissance d’un service antérieurement reçu. Celui-ci les partagea entre les marabouts de son village. Ceux-ci formèrent une forte délégation pour venir remercier Farin Kaman de sa générosité et prier pour son rayonnement. Parmi eux, il y avait: Foumba Souaré (fils de Diaha Valy Souaré) Djikanou Cissé Férémory Cissé Doukouré Binè Gbéni Finé Camara accompagna la délégation en tant que griot de naissance issu d’une seconde famille de Camara Fina.

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Finé ou fina signifie griot. C’est une famille adhérente qui se rattache à l’histoire des Camara d’origine noble. Elle a adopté le nom Camara. Elle joue le rôle de courtisan auprès de la branche noble Camara (Camara tontii) dont elle dépend entièrement. Ces Camara fina, en guise de reconnaissance, ne cessent de chanter leur loyauté à leurs maîtres qui les protègent et dont ils bénéficient d’une large et permanente générosité qu’ils s’évertuent à rappeler lors des cérémonies de circoncision, de baptême, de mariage, de funérailles... Pour marquer une distinction entre les deux branches Camara on note: les Kamara tontii tout court, qui sont nobles et les Kamara fina ou Kamara finé qui sont des griots adulateurs des premiers. SUITE DES MILLE SACRIFICES: CONDAMNATIONS Farin Kaman était le chef incontesté de la collectivité, le vrai détenteur du pouvoir. Il exerçait les fonctions de Haut-Commissaire, réglait les différends, punissait les fautes et les crimes, sanctionnait les différents délits. Il était aussi le chef militaire. Il ordonnait l’exemple d’une justice équitable et faisait preuve d’impartialité rigoureuse lors des conflits et des procès qui opposaient ses sujets. Même les siens n’étaient pas à l’abri de la justice. C’est ainsi que dans des circonstances particulièrement dramatiques, il fit condamner à mort cinq de ses fils et un griot qui avaient violé une loi de la collectivité. Le chef en matière coutumière était le garant de l’ordre social, de la sécurité de ses sujets, et devait faire constamment preuve d’équité rigoureuse. Farin Kaman était un chef intègre et père tout aussi affectueux que rigoureux. Comme nous l’avons déjà souligné, il savait se hisser à la hauteur du juge incorruptible et impartial en prenant ses responsabilités. Ainsi les sentiments paternels s’effacèrent devant la loi, devant la raison d’état. Épargner ses propres enfants délinquants qui venaient de transgresser la loi fondamentale le mettrait dans l’avenir en situation difficile pour punir d’éventuels contrevenants parmi ses sujets. Il opta donc pour l’égalité de tous devant la loi, pour l’impartialité et la rigueur envers lui-même, envers les siens et envers les autres. Il convoqua pour la circonstance une assemblée des notables qui ordonna, conformément à la loi, la mise à mort de cinq de ses fils et leur complice coupables de crime puni par la peine de mort, conformément aux prescriptions de la loi fondamentale de la cité. La sentence fut impitoyablement exécutée. Le lieu du supplice des six martyrs, matérialisé par un gros bloc de rocher apparent, est encore visible à l’entrée de la grande mosquée moderne de Moussadou. Signalons qu’à propos de ces événements de Moussadou, nous nous heurtons encore à un pan d’ombre de notre histoire. Malheureusement pour nous la tradition orale ne retient que la sentence (la conséquence) et néglige la faute commise ou le délit. La connaissance de la cause est ainsi sacrifiée au profit de la conséquence. Or, les générations futures souhaiteraient savoir ce qu’avaient fait les condamnés pour mériter un tel châtiment, en d’autres termes on se 312


demandera toujours si cette sentence extrême était effectivement proportionnelle ou non au délit commis par ces condamnés. Que les historiens et les sociologues veuillent bien se pencher sur cette question à laquelle nos informations actuelles ne nous ont pas permis de répondre avec assurance. Toutefois, nous pouvons signaler qu’une dernière révélation faite par feu Nouny Ibrahima Kalil Camara, secrétaire de l’auteur du présent ouvrage, qu’il a pu recueillir lors de l’inauguration de la mosquée de Moussadou en 1994 et qui reste à vérifier, affirme que les cinq Princes délinquants se sont rendus coupables de vandalisme en tuant un marchand après l’avoir exproprié ou extorqué ses marchandises. Or cet acte était puni par la peine de mort selon le code pénal conçu par Farin Kaman et approuvé par tout le peuple. Par ce geste d’équité, Farin Kaman a voulu démontrer à tous que personne n’est et ne doit être au-dessus de la loi. C’est pour cela que le Konya le retient comme un Grand Roi éclairé, juste et intègre. SYSTÈME D’EXÉCUTION À chaque période de l’évolution de l’humanité correspondent des mœurs particulières. De nos jours on peut parler de différentes méthodes d’exécution. Les plus usuelles sont: la pendaison, le poteau (avec un peloton d’exécution), la guillotine, la chaise électrique, l’injection dans les veines d’un poison foudroyant, l’empoisonnement... Les pays du haut Konya (cercle de Beyla, Guinée) utilisaient au Moyen Âge une méthode toute particulière pour exécuter les condamnés à mort et qui fut appliquée aux enfants de Farin Kaman Camara, chef suprême de Moussadou. Un grand trou fut préparé à l’emplacement de la mosquée actuelle de Moussadou. Ce trou était rempli, à l’exemple de celui de Diémou, de pieux où l’on jeta les cinq condamnés à mort, avec leur complice. Ceux-ci se firent empaler et moururent dans des convulsions épouvantables. Ainsi, dans l’avenir, tout contrevenant saura ce qui l’attend. Une autre version, récemment recueillie, retient que les condamnés à mort ont eu la tête tranchée sur une pierre qu’on reconnaît de nos jours, tout juste, à l’entrée de la majestueuse mosquée moderne de Moussadou dont la pose de la première pierre en 1954 a été faite sous la présidence de Djiguiba Camara, de Damaro, doyen à l’époque des chefs de canton de la Guinée Forestière, en hommage à son ancêtre Farin Kaman Camara, et auteur du présent ouvrage. La collectivité de Moussadou a, par logique, placé l’inauguration de la même mosquée de Moussadou en 1994 sous la Présidence des Camara à travers la personne de feu El Hadj Nouny Ibrahima Kalil Camara, fils de Damaro Diontan Djiguiba, qui avait reçu en lieu et place de son père, les clefs symboliques de la mosquée. Il faut aussi rappeler que ce fut Damaro Diontan Djiguiba Camara, ex-chef du canton de Simandou, en sa qualité de doyen des descendants de l’ancêtre mythique Farain Kaman Camara, qui eût l’honneur de 313


procéder à la pose de la première pose de cette majestueuse mosquée de Moussadou. En tout cas celui qui, par rigueur d’équité, a supprimé cinq de ses fils doitil épargner d’autres délinquants? La clémence et la grâce intervenaient rarement pour atténuer les sentences souvent extrêmes c’est-à-dire que les sentences n’étaient pas toujours proportionnelles aux fautes. Ce système barbare et atroce de mise à mort resta en usage dans le Konya (Beyla, Macenta) pendant des siècles. Il ne fut modifié qu’à l’arrivée des Cissé, à la fin du XVIIIème siècle et pendant la première moitié du XIXème siècle. Les Cissé remplacèrent ce système barbare par l’exécution à l’arme blanche (sabre, hache, couteau, coupe-coupe, ou tout objet métallique pointu ou tranchant). Suite à ce douloureux événement, le vieux roi Diomandé demanda à ses onze fils survivants de quitter Moussadou pour aller se faire fortune ailleurs afin d’éviter de tomber sous le coup de la loi en cas d’éventuelles infractions ou délits majeurs de leur part. Une telle éventualité aurait sans nul doute décimé sa famille. Lui-même quitta Moussadou pour dit-il rejoindre le Manden, son pays d’origine. Il aurait, dit-on, séjourné à Kankan où il se serait noyé dans la mare Salamanida. Les Camara de cette métropole mandingue seraient ses descendants. Aussi, il crut prudent de garder par devers lui la fameuse corne protectrice afin d’éviter encore un conflit entre ses enfants qui se seraient sans doute entre-déchirés pour sa possession dont lui-même a été victime. Les pans d’ombres sont certes nombreux dans notre histoire et dont l’éclairage interpelle tout le monde. Parfois ce sont des sujets tabous qu’on entretient - comme tels volontairement ou par ignorance. Et pourtant il faudrait bien avoir le courage de les démystifier un jour pour pouvoir comprendre le fondement de certains actes, leurs incidences sur la vie et en tirer des leçons utiles pour les générations futures. L’HISTOIRE DES CAMARA DE KANKAN VENUS DIRECTEMENT DU MALI Cette version de l’origine des Camara de Kankan retenue par Damaro Djiguiba Camara est très répandue dans le Konya et est différente de celle tenue et qui persiste dans la contrée de Kankan qui soutient que l’ancêtre des Camara du lieu seraient venus directement deb Kankan du (Siby, Tabon …). Cependant, jusqu’au milieu du XXème siècle, précisément jusque dans les années 1950, lors des décès des personnalités importantes Camara de Kankan, les Camara du Konya, notamment ceux de Damaro, échangeaient réciproquement et régulièrement des condoléances avec leurs cousins de Kankan. Ce qui est une marque de reconnaissance de leurs liens de parenté. Réciproquement, les Camara de Kankan, en pareilles circonstances, se rendaient à Damaro pour présenter leurs condoléances d’usage et vice-versa. Une telle pratique prouve et 314


confirme que les deux lignages ont la même ascendance. Il y a donc lieu de chercher le point de jonction de cet important clan Camara de Kankan sur l’arbre généalogique de la grande famille Camara, comme on l´a fait pour ceux du Konya, notamment de Damaro. Soucieux de combler ou de clarifier ces liens, j’ai toujours cherché à trouver une réponse digne à cette énigme. C’est avec beaucoup de bonheur qu’en 2023 nous avons eu la chance de rencontrer le cousin LAMINE KAMARA, Professeur de lettres, ancien ministre, ancien ambassadeur et écrivain-romancier… dans sa résidence de Caporo à Conakry. Dès le premier contact, nous avons compris qu’il était profondément imprégné dans la culture et l’histoire du Mandingue. Il nous a alors déclaré, lors d’une série d’entretiens, connaître une version relative à l’immigration des Camara de Kankan en provenance de Siby et de Tabon. Pour combler ou dissiper cette méconnaissance qui est une grave lacune, il a bien voulu me fournir, quelques semaines après, un texte qu’il m’a autorisé d’insérer dans ’ouvrage de mon père. Il ressort de la lecture des deux versions que les Camara de Kankan proviennent certains du Konya et d’autres, certainement plus nombreux, seraient venu directement du Mandingue (Siby, Tabon). Qu’il soit sincèrement remercié pour sa contribution positive qui nous a permis d’élucider ce pan de notre histoire. Voici, ci-dessous, l’intégralité du texte: LES CAMARA DE KANKAN (PAR LAMINE KAMARA) Les Camara de Kankan sont venus de Guidimakhan qui peut s’écrire aussi Guidimakha ou Guidimaxa. La région portant ce nom s’étend sur trois pays au croisement de leurs frontières. La Mauritanie dans son extrême sud, le Mali au nord dans la commune de Guidimakha-Kéri-kafo dans le cercle de Kayes et le Sénégal au Nord-Est en débordant le fleuve du même nom. Guidimakhan est l’une des treize régions ou « wilayas » de la Mauritanie qui en recouvre la plus grande partie. Sébali situé dans le département de Mouhataas de ce pays en est la capitale. Comme tout le reste de l’Afrique de l’Ouest, la région de Guidimakhan faisait partie du grand empire mandingue de Soundjata Keita (XIème au XVIIème siècle). Selon la tradition orale que nous tenons de plusieurs sources, les Camara de Guidimakhan sont issus des deux branches originelles de Tabon, « la maison de feu » des ancêtres, tout premier village fondé par un Camara, et de Siby second village Camara dans l’ordre de création. En plus de son ancienneté dans l’histoire du Mandingue, Siby tient son prestige de deux sites qu’il abrite. Sibi kuru, « la montagne de Siby » et Sibi falan, « la caverne de Siby ». Lors de l’une des nombreuses batailles qui secouaient souvent le Mandingue, la célèbre montagne qui la surplombe aurait été fendue d’un trait par l’aïeul Kamandian (Kaman le grand) pour ouvrir un passage devant ses combattants. Quant à la caverne au long court, réputée d’une profondeur insondable, elle servait de 315


refuge sécurisé aux Camara en temps de conflit. C’est une frange importante des Camara de ces deux cités qui ont migré au nord et fondé ce nouvel asile, Guidimakhan, loin du cœur de la mère patrie mais situé à sa périphérie. Même si les raisons de ce déplacement ne sont pas encore entièrement éclaircies, c’est la quête de savoir musulman qui aurait été à l’origine, selon les évocations les plus fréquentes. La légende dit que dès leur arrivée sur cette terre charnière entre le centre-ouest du continent où l’animisme continuait à faire de la résistance et le Nord peuplé d’Arabes, et de ce fait devenue foyer de l’islam, ils s’étaient mis à l’école. Humblement, ils s’étaient constitués « talibés » (élèves d’écoles coranique) malgré l’appréciable base dont il disposait déjà en matière de connaissance coranique en quittant leur lieu de résidence. L’origine commune aux Camara de Guidimakhan et à leurs frères de Tabon et de Siby, explique qu’ils répondent indistinctement aux patronymes de Tabo-ka, de Sibi-ka et de Guidiman-ka, en plus du nom de famille Camara qu’ils partagent tous. Respectivement, Tabon-ka, Sibi-ka et Guidiman-ka, signifient habitants de Tabon, de Siby, et de Guidimakhan, marquant leurs lieux de provenance. En ouvrant une parenthèse à ce niveau, on peut rappeler qu’au Mandingue, cette manière d’attribuer un deuxième ou un troisième patronyme à chaque grande famille d’une lignée n’est pas particulière aux seuls Camara. Héritage commun à tout l’espace géographique qui couvrait l’Empire de Soundjata, l’utilisation de double ou triple patronyme remonte à son apogée. Elle se retrouve dans chaque grande famille. C’est pour distinguer les uns des autres quand il y avait plusieurs branches dans une même famille qu’on procédait de cette manière. Ainsi, les Condé répondent en même temps à Tamboura, les Kourouma à Doumbia, les Traoré à Touraman, les Camara de la région forestière guinéenne, de la Côte d’Ivoire à Diomandé ou (fils de Dioman). Les Keita eux, sans doute en raison du long et prestigieux règne qu’ils ont accompli sur l’empire pendant plusieurs siècles, répondent à de multiples patronymes dont les plus souvent utilisés sont Mansaden, Mansaren ou Massaden qui signifient tous « fils de chef » et Kouloubaly (Kouroubali) qui se traduirait par « n’échoue à escalader aucune montagne ». Notons que l’usage d’un deuxième et d’un troisième nom de famille au Mandingue n’indique pas uniquement le lieu de provenance, il peut porter sur d’autres aspects qui avaient valeur de qualificatifs souvent laudatifs. Les faits d’armes d’un ancêtre glorieux sont de cet ordre. Différemment de leurs frères de Siby, de Tabon et de Niani, l’ancienne capitale, qui, malgré une islamisation de vieilles racines, (*) ne s’étaient jamais totalement éloignés de l’animisme ancestral, les Camara de Guidimakhan étaient devenus eux de fervents musulmans distingués connaisseurs de la langue arabe et du savoir coranique. * Cette islamisation a été marquée par le fabuleux pèlerinage de Kankou Moussa Kéita, le célèbre seigneur des mines, à la Mecque en 1324. 316


De génération à génération, tout en y prospérant, ils avaient bénéficié de leur immersion dans le terreau arabo-musulman mauritanien dans lequel foisonnaient des érudits de grande renommée. C’est riche de cette rayonnante acquisition que trois de leurs descendants, Cheick Ibrahim Bamba Sidy Camara et ses deux frères Sadikhou Lamine Bamba Camara et Ahmad Bamba Camara, décideront de redescendre vers le sud. En effectuant ce retour vers la terre des ancêtres, leur intention était de contribuer à l’expansion et au renforcement de l’Islam. Dans un bel esprit d’enrichissement mutuel, sur tout leur itinéraire, chemin faisant, ils échangeaient avec leurs confrères maîtres d’écoles coraniques, imams et autres marabouts qui avaient pignon sur rue. On remarquera que les trois frères portaient des noms arabes et musulmans. Le puiné s’honorait même du respectable titre de Cheick et de Sidy qu’on ne s’attribue pas soi-même et qui n’est imparti à une personne dans la société qu’en considération de l’aura acquise. Après des séjours Tabon, Siby, à Niani, l’ancienne capitale de l’empire, et plusieurs arrêts de plus ou moins longues durées dans de nombreuses localités de transit, leur périple les mena à Kankan. Bien que déjà relativement peuplée et de taille respectable à l’époque, cette cité était loin de ressembler à la grande métropole qu’elle est de nos jours. Tenant dans un enclos, cependant assez vaste, une sorte de fortification, qui la ceignait, elle ne comportait alors que quatre quartiers, avec quatre portes dénommées « Da ». En nombre de population et en espace elle était loin de rivaliser avec de grandes cités mandingues fondée avant elle. Mais, elle s’enorgueillissait déjà d’être un ardent foyer islamique. Des marabouts Kaba, Cherif, Diané, Sanoh et d’autres exerçaient en se défiant de temps en temps. Se faisant généreusement dénommée « Nabaya », « cité de bienvenue », elle s’ouvrait largement aux étrangers, à tous les étrangers, tout particulièrement à tout « sachant ». À Kankan, Cheick Ibrahim Bamba Sidy Camara et ses deux frères ne pouvaient donc être que les bienvenus. Ils y furent accueillis avec une grande hospitalité. À tout seigneur tout honneur. Comme il était d’usage dans les cercles de lettrés et d’érudits en ces temps-là, c’est par ses pairs que l’étranger annoncé connaisseur est reçu. Dès qu’il pointait à l’horizon, on ne perdait pas de temps pour le jauger, pour savoir à quelle hauteur le placer dans la hiérarchie. Les premières rencontres eurent lieu. Dans une démarche empreinte de courtoisie, les hommes venus de Guidimakhan évitèrent de faire étalage de tout leur savoir d’entrée. C’est en levant petit bout après petit bout le voile qu’ils procédèrent, laissant à chaque pas franchi leurs hôtes sur leur faim et aller d’étonnement en étonnement. Les Kankanais ne mirent pas beaucoup de temps à comprendre qu’ils avaient affaire à forte partie. Au bout de quelques séances mémorables, ils décidèrent de leur remettre les clefs de l’école coranique. Ils leur donnèrent ensuite trois épouses, une pour chacun en « Alamandi » ce qui signifie donnée par Dieu. Il s’agit là de mariages qui ont valeur de don, de « cadeau » où ne sont exigés ni dot ni aucune formalité coutumière. Enfin, ils leur montrèrent les terres, dont des 317


plaines à perte de vue où chacun d’eux pouvait cultiver à volonté. Pour prendre chacune de ces décisions rendues publiques au cours de cérémonies solennelles, l’accord au sein du conseil des sages des quatre quartiers était unanime. En agissant si généreusement vis-à-vis de leurs étrangers, le but non voilé des gens de Kankan était de les fixer en citadins à part entière, si ce n’était pas plus, en les faisant citoyens d’honneur. Bien qu’honoré au-delà de tout ce à quoi ils pouvaient s’attendre, les Camara venus de Guidimakhan ne l’entendaient pas comme leurs hôtes le voulaient. Dans leur pérégrination, Kankan ne constituait qu’une étape. Leur projet était de continuer leur voyage vers la région forestière dans le Sud pour poursuivre leur mission de propagation de l’Islam. Mais comment s’arracher à Nabaya, la ville de bienvenue, en abandonnant les élèves de l’école coranique? Comment s’en aller en laissant sous leurs toits trois épouses fraîchement entrées? C’est quand ils étaient plongés dans la réflexion, ne sachant quelle attitude adopter que les trois frères eurent à faire face à une situation terrible. À l’époque et jusque de nos jours, dans la plupart des pays, régions ou localités où se pratique l’école coranique, les élèves constituent la principale main-d’œuvre de leurs maîtres. C’était le cas à Kankan quand Cheick Ibrahim Bamba Sidy et ses frères Sadikhou Lamine Bamba et Ahmad Bamba après qu’ils aient accepté de prendre les clefs de l’école coranique. Leurs champs de riz que les talibés cultivaient se trouvaient sur l’autre rive du Milo. Pour aller y travailler, il fallait traverser le fleuve en pirogue. En saison pluvieuse les orages sont fréquents et parfois violents. Un jour un drame se produisit. Plein de talibés, la pirogue qui les transportait chavira au milieu du gué. Cent morts. Des élèves de presque chacune des familles de la ville y avaient péri, engloutis par les eaux. Dévastés à l’extrême, les trois maîtres d’école coranique ne savaient pas à quel saint se vouer. S’en remettant à Dieu dont ils se mirent à implorer la grâce, ils attendirent le verdict de la ville, sans doute la vindicte populaire. Un lynchage en perspective. Bien que mortifiés par l’énorme perte subie, les gens de Nabaya ne firent rien de semblable. Ils avaient préféré le pardon, au châtiment. Choix plein de grandeur et de noblesse de cœur, s’il en est. Unanimement, le conseil des sages prit une décision. Elle fut à la hauteur de la réputation d’hospitalité de la ville. L’on fit battre la « Tabala », le tambour de rassemblement de toute la population. Séance tenante l’on demanda à la population de surseoir à tous obsèques jusqu’à ce que l’école coranique soit complètement reconstituée. Cent nouveaux élèves devaient y être réunis. On fixa un quota à chaque famille conformément à sa taille. Ainsi dit, ainsi fait. C’est après, que l’enseignement ait repris par ce matin de deuil que l’on enterra les corps retrouvés. Toujours selon les sources de la tradition orale, cette journée de réouverture d’école et de deuil a été clôturée par une cérémonie qui fut baptisée d’« Entente » entre les hôtes et leurs étrangers. La première clause stipulait que: - Camara s’établiront à Kankan; 318


- la seconde, qu’ils ne prétendront pas à la chefferie de la ville et de sa région, le Baté, qui restera aux mains des Kaba; - la troisième qu’ils seront, « karan-moko », maîtres d’enseignement coranique et que personnage ne leur contestera ce titre; - la quatrième, sans doute la plus emblématique, personne dans la cité ne peut opposer une fin de non-recevoir à une doléance, quelle qu’elle soit, présentée par un Camara. En illustration, deux cas ont été cités. A) Même si une personne commet un homicide et qu’elle trouve refuge chez les Camara, sans condition, elle doit bénéficier du pardon de ses poursuivants. B) Même si une femme ou un homme ou les deux sont pris en flagrant délit d’adultère et qu’ils viennent se confier aux Camara, ils doivent être pardonnés. C’est à la suite de la conclusion de cette entente, qui revêt jusqu’à aujourd’hui, caractère de pacte inviolable, entre les Camara et les habitants de Kankan, essentiellement les Kaba, mais aussi les Condé, les premiers venus, que Cheick Ibrahim Bamba Sidy l’ancêtre des Camara de Kankan s’est installé dans la ville. Ses deux frères, Sadikhou Lamine Bamba et Ahmad Bamba eux, ont continué leur mission d’islamisation vers le Sud. Ils seraient les aïeux des Camara de la région forestière de la République de Guinée. Fait à Conakry, le 15 Janvier 2023 PAR LAMINE KAMARA ---------------------------------------------------------------------------------------------N.B.: Il faut signaler l’existence d’une autre version de l’histoire des Camara de la ville de Kankan. En effet, selon les traditions collectées par DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA, l’auteur du présent livre ignore l’ascendance religieuse ou maraboutique des Camara de Kankan. Cependant il s’appesanti sur la migration de l’ancêtre mythique, FARIN KAMAN CAMARA, qui a émigré de Moussadou (Beyla) à Kankan, à la suite de mort de cinq de ses seize fils qui avaient assassiné un commerçant et confisqué les marchandises de ce dernier. Or un tel crime crapuleux était puni par la peine de mort par la loi en vigueur à Moussadou dont il était le souverain. Pour donner l’exemple, car personne n’est au-dessus de la loi, le souverain ordonna l’exécution des délinquants et d’un sixième délinquant qui était leur complice. Devant la rigueur de la loi, Farin Kaman décida de rejoindre le Mandingue, le pays de ses ancêtres, et ordonna à ses autres fils rescapés de quitter immédiatement Moussadou pour aller s’installer dans d’autres contrées du Konya. Ce qui fut fait et lui permis d’éviter la mort éventuelle des autres fils survivants en cas de délits. C’est ainsi que qu’il se dirigea vers le Nord-Ouest et vint temporiser à Kankan où il mourut noyé dans la mare Salamanida en y laissant des héritiers Camara qui constituent de nos jours une branche des Camara de la cité. Jusque dans les années 1950, ces Camara de Kankan entretenaient des relations fraternelles avec ceux de Damaro, surtout lors des décès, de part et d’autres, de personnalités importantes. Lors de ces circonstances douloureuses, les échanges de condoléances étaient réguliers et réciproques.

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Peut-être que les Camara venu directement de Siby et de Tabon pour Kankan étant plus nombreux ont phagocyté et intégré ceux venus du Konya. Je ne saurais passer sous silence l’honneur que mon cousin Lamina Kamara m’a fait en me fournissant cet article intéressant sur le cheminement des certains Camara de Kankan venus directement du Mandingue (Siby, Tabon…) pour Kankan, la grande métropole des Camara. Cette précieuse contribution vient combler une lacune du manuscrit de mon père qui n’a fait qu’effleurer ce pan de notre histoire. Toutefois il faut noter que nulle part dans l’histoire de Camara, on ne note un quiconque mouvement migratoire des Camara marabouts de Kankan vers le Konya au sud. Dans la version de LAMINE KAMARA, après la noyade de la centaine d’élèves coraniques enseignés par les marabouts Camara venus du Mandingue et la clémence des Kankanais suite à ce malheureux accident, les marabouts Camara étaient moralement contraints de s’établir définitivement à Kankan dont les sages les ont disculpés totalement et de surcroit ont mis à leur disposition autant d’élèves pour éviter de fermer l’école. Merci donc à mon cousin LAMINE KAMARA pour sa contribution positive et surtout de m’avoir autorisé l’insertion de son texte dans l’ouvrage de mon père.

La majestueuse Mosquée de Moussadou (Beyla, Guinée) dont la première pierre a été posée en 1954 par Damaro Diontan Djiguiba Camara, Chef de canton de Simandou (Damaro), le doyen des chefs de canton Camara de la Guinée Forestière à l’époque et l’auteur du présent ouvrage, en souvenir de l’autorité de son aïeul Farin Kaman Camara qui a régné sur la cité au XVIème siècle. À l’inauguration de cette mosquée en 1994, l’honneur est revenu à El Hadj Nouny Ibrahima Camara, fils de Damaro Diontan Djiguiba Camara de couper le cordon inaugural de ce Lieu Saint. Ce jour-là, le doyen du village et l’imam de Moussadou remirent aux Camara-Diomandé la clef symbolique de la cité en ces termes: « Kamaralu, Diomandelu, ayi ka ayi benba la so min karifa an na, a sòò ye. Baara min daminèn tèrè, baara wo bara ban. Alu la misiri ye. » Ce qui se traduit par: « Vous les Camara, vous les Diomandé, je vous restitue aujourd’hui solennellement les clefs de la cité de vos ancêtres et sa mosquée. Voici la majestueuse mosquée que nous avions tous décidé de bâtir ensemble, au prix de mille sacrifices pour la gloire de Dieu et qui fait la fierté de tout Moussadou et par ricochet de tout le Konya. Merci à tous ceux qui nous ont honorés par leur présence à cette grandiose cérémonie religieuse et qui ont contribué à sa construction... » 320


Place des Martyrs de Moussadou. La pierre tombale sur laquelle furent exécutés les cinq fils martyrs de Farin Kaman Camara est encore visible à l’entrée de la mosquée de Moussadou. Pour donner l’exemple de l’équité, d’une justice pour tous, Farin Kaman Camara, roi de Moussadou, ordonna, conformément aux lois en vigueur de la cité qu’il avait lui-même élaborées et fait adopter par le conseil du village, l’exécution de cinq de ses seize fils et de leur complice reconnus tous coupables d’exactions sur un commerçant qu’ils tuèrent après avoir extorqué ses marchandises.

Une vue de la pierre tombale, ou pierre du supplice des six martyrs.

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La pierre des martyrs de Moussadou.

Le puits ou la fontaine de Moussadou où l’on puisait la consommation d’eau de Farin Kaman Camara, roi de Moussadou, appelé encore « Farin Kaman Kolon ».

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El Hadj Soumaoro, le doyen ou sotii kèmòò de Moussadou, en 2006.

Le conseil des sages de Moussadou en réunion en 2006.

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Les curieuses traces de Farin Kaman Camara découvertes en mars 2015. Suite à deux rêves consécutifs faits par le citoyen Amara Camara du village de Diomandou (Sous-Préfecture de Damaro), descendant de Faman Camara fondateur de Diomandou et de l’aïeul Farin Kaman, une forte délégation des Camara de Damaro eut la surprise de découvrir sous les indications du rêveur, en tête de la délégation pour localiser les lieux, ces signes hiéroglyphiques, sur un rocher couverte de terre, dans une forêt du col du mont Simandou, non loin de Dianfòlòdou. La tradition qualifie ces signes bizarres comme étant les traces des griffes de Farin Kaman Camara. Entièrement recouverte de terre, d’arbres et d’herbes, il fallut beaucoup d’effort pour dégager ce qui cachait ces signes singuliers et inexplicables dessinés sur le rocher. Cependant, n’ayant apparemment aucune signification scientifique, ils expriment très certainement quelque chose. Nous pensons qu’en mettant en contribution les chresmologues et les géomanciens qui savent lire dans le sable, on pourrait déchiffrer l’énigme. Le lieu semble être un campement de chasse de Farin Kaman. L’Honorable Député Amadou Damaro était membre de la délégation de Damaro. Selon le médium (les esprits ou les djinns du lieu) lui firent dire que l’exploitation des riches minerais de fer du mont Simandou est imminente, mais il recommanda vivement l’obligation de faire au préalable un sacrifice insolite d’un bœuf tout blanc à la mémoire de l’ancêtre Farin Kaman Camara. Ce qui fut fait aussitôt grâce à l’intervention du Président Alpha Condé (photo du Professeur Morikè Sidibé et du journaliste reporteur Amara Damaro Camara en 2014).

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Le médium Amara Camara, septuagénaire de Diomandou, descendant de Faman Camara, l’aîné des enfants de Founou Oussou Camara, arrière-petit-fils de Farin Kaman l’ancêtre mythique des Camara du Konya et du Libéria. (Photo Daouda Damaro Camara en 2016, lors d’une réunion extraordinaire des descendants de Farin Kaman Camara tenue à Damaro, 2527 mars 2016.) NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - Ce gros village que j’ai visité en 1971 est effectivement peuplé à 95% de Camara. J’y fus reçu avec beaucoup d’égards et d’honneurs. (2) - Des recherches sur le terrain en 1971 nous ont permis d’éclairer ce pan d’ombre laissé par l’auteur. C’est ainsi que la tradition orale retient pour le moment le nom de huit frères de Farin Kaman, au lieu de cinq, comme l’affirme celle retenue par Djiguiba Camara, l’auteur de cet ouvrage. En effet, en plus de Soumabalé Camara (Kouroussa), Firigui Camara (Faranah et Sierra Leone), Sonkoly Camara (Dabola), Dioman Camara (Maou, Côte d’Ivoire), on doit fixer sur le même point de jonction de l’arbre généalogique des Camara: - Farin Kaman Camara: Fondateur de Farinkamanya (entre Siguiri et Kankan, en Guinée). - Soli Camara qui fut le fondateur du canton de Soliman, dans la région de Kouroussa (Guinée) où ses descendants constituent un important clan Camara. - Mallé Camara: Fondateur de Malléya dans la région de Siguiri (Guinée). - Fato Camara: Fondateur de Fatoya dans la région de Siguiri (Guinée). - Kinting Camara: Fondateur de Kintinya-Bouré dans la région de Siguiri (Guinée).

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Ainsi pensons-nous complet le tableau ébauché par l’auteur. On pourra donc, à partir de ces maillons, dégager la généalogie des ascendants et descendants de chaque ancêtre Camara et de chaque région. Pour les besoins de son ouvrage, l’auteur s’est appesanti sur la généalogie de Dioman Camara dont les descendants sont constitués de deux lignages: - a) - Les Diomandé de la Côte d’Ivoire. - b) - Les Camara de la Guinée Forestière (Beyla, Kérouané, Macenta...), ceux du Libéria et de la Sierra Leone. (3) - Nous avons pu dégager le nom des villages du Maou crées par les descendants de Diomandé Camara grâce à une enquête que nous avons menée en Côte d’Ivoire de 1972 à 1985. Ainsi furent comblées les lacunes laissées par l’auteur du présent ouvrage. Nous tenons à remercier particulièrement deux de nos nombreux informateurs traditionalistes dont la richesse des informations et leurs connaissances parfaites de la tradition maouka nous ont permis de recenser les villages et de reconstituer la généalogie des différents clans Diomandé de ce terroir. Il s’agit de: 1°) - Feu Saadji Diomandé dit Gbonkè Diomandé. Ancien interprète de l’administration coloniale française; il était le patriarche des Diomandé de Man en 1976. Il mourut à Man (Côte d’Ivoire) en 1982 à l’âge de 102 ans. 2°) - Tiamoin Diomandé dit Mamady Diomandé, originaire de Wanino (Touba, Côte d’Ivoire). Planteur, il résidait en 1979 à Sandou, dans le département de Man (Côte d’Ivoire). (4) - Le Professeur Yves Person qui eut le privilège de compulser le présent ouvrage alors en chantier et du vivant de son auteur, a fait une étude exhaustive sur les mouvements migratoires des Malinké, notamment de ceux des Camara ou Diomandé dans le Maou (Touba) et dans le Worodougou (Séguéla, Côte d’Ivoire). Ces renseignements concordent dans les grandes lignes avec les nôtres. En page 570 du Tome I de son volumineux livre inutile « SAMORI, UNE RÉVOLUTION DYULA » nous lisons: « Les Malinké du Sud se sont enracinés dans l’actuelle région de Touba depuis le 16è siècle, et c’est de là que les lignées portant le Diamou (= nom de clan) de Kamara ou Diomandé ont rayonné pour couvrir l’ensemble du Konya (qui correspond aux régions de Beyla, Macenta et Kérouané en Guinée) et du Toukoro (Forêt). Cette ancienne stabilisation leur a permis de développer une personnalité originale, dans laquelle le métissage autochtone a joué un grand rôle comme l’atteste la raciologie. Les autochtones Dan et Wê subsistent toujours en îlots à travers le Maou et il est évident que les immigrants porteurs de la civilisation soudanaise ne furent dans cette région qu’une minorité. Les faits d’acculturation peuvent être observés jusqu’à ce jour et ils nous autorisent à affirmer que Dan et Maouka, en dépit de la barrière relative de la langue et de la culture, sont en fait des frères ennemis. S’ils sont ennemis, c’est surtout le fait des Maouka qui ont gardé l’orgueil conquérant des Malinké et s’efforcent constamment de pousser de l’avant et s’imposer par la force. Leur supériorité repose sur la tradition étatique qui s’incarne dans le Kafu (ensemble de villages composés essentiellement de familles de même nom ou ayant le même ancêtre), tandis que le vieil animisme manding, dominé par la généralisation du Komo (fétiche, masque), possède une série de masques parallèles à celles des Dan.... Les Sakuraka: L’esprit de conquête du Maou paraissait s’étendre au 18è siècle car les nombreuses lignées du vieux Diomandé, issues des frères de Farin Kaman Camara (Diomandé), avaient perdu tout dynamisme.

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Pour affronter les retours offensifs des Dan, ils avaient accepté un moment l’hégémonie des Donzo du Karagoua (Karagba) du cercle de Beyla (Guinée), un peu avant 1750. J’appelle (c’est Yves Person qui parle) vieux Diomandé les lignées issues des frères de Farin Kaman qui sont stabilisées au Maou depuis le 14è siècle. Toute leur rituelle repose sur le sanctuaire de Siano dont la gardé est assurée par la lignée issue directement de l’ancêtre Méa-Kuru (que l’auteur du présent ouvrage, Djiguiba Camara, présente sous le nom de Mia-Kané). A) - Les Kandési, qui tiennent le Nord (Tienko, Gbénimanso, Toua) et leurs dépendances (Diabaté de Kamaséla), Musulmans de Sokourala (Touré) et de Touba (Fadiga). Ils gardèrent leur liberté jusqu’à la fin du 19è siècle grâce à l’appui de Vakuru Bamba. B) - Les Sétasi ont conservé un caractère guerrier au contact des Wê, dont ils couvrent la frontière (Dioman, Landji). C) - Les Famosi tiennent Fwéna et ses dépendances, jusqu’au gué du Bafing. Rappelons que les segments Diomandé qui ont perdu au 18è siècle le contrôle de Kwan et du Maou Central se rattachent à ce groupe (Gbélo, Mandougou, Ganwé). Les Sétasi et les Famosi sont tombés plus ou moins dans l’orbite des Sakuraka, mais il ne s’agissait pas d’une vraie dépendance comme le montrèrent les crises du 19è siècle. » (5) - Kamè égale Koroma ou Kourouma ou encore Doumbia. Le nom Kourouma est francisé et est plus usité en Guinée tandis que Doumbia l’est en Côte d’Ivoire et du Mali. (6) - Nous tombons ici dans une grave équivoque. Jusqu’ici nous pensions que le noyau de la famille Camara-Diomandé était resté au sanctuaire de Sianoh, dans le Maou (Département de Touba, Côte d’Ivoire). Il semble maintenant que Diémou (canton de Worodou, cercle de Beyla en Guinée) s’est substitué à Sianoh comme résidence du doyen des Camara. Le vieux Fing Koyfing Diomandé est-il mort à Diémou au cours d’un voyage ou bien il y résidait définitivement? Sans que l’auteur ne le dise, nous comprenons tacitement (avec beaucoup de réserve) que le sanctuaire de Sianoh est maintenant abandonné au profit de Diémou. En tout cas le complot et les funérailles eurent lieu à Diémou et non à Sianoh. Faute de renseignements précis nous n’avons pu éclairer ce pan d’ombre. Toutefois une information de dernière heure (1985) nous apprend qu’un devin demanda à Farin Kaman d’adorer le génie de Tongba de la montagne de Diémou pour échapper aux intrigues de ses frères et pour assurer le pouvoir, le rayonnement et la prospérité de sa postérité. Et il faut noter que les différents rameaux des différents lignages issus de Farin Kaman Camara règnent effectivement dans les différentes contrées du Konya et de la Guinée Forestière. (7) - « Les Mille et Une Nuits, » histoires des trois Calenders et de cinq Dames de Bagdad, p. 117. (8) - Palanque était l’adjoint du Commandant du cercle de Beyla. À cette époque, on appelait l’adjoint du Commandant « Commis aux affaires indigènes ». Palanque fut détaché et affecté comme chef de poste administratif de Worodougou (Sakourala, Beyla, en Guinée). Diémou relevait donc de son autorité. Les populations de cette région gardent encore de lui le souvenir d’un négociateur, d’un conciliateur, d’un réconciliateur et d’un grand humaniste. Son genre exceptionnel était rare parmi les officiers et les administrateurs coloniaux. (9) - L’auteur n’a malheureusement pas révélé le délit commis et sanctionné par la peine capitale. Il s’est plutôt étalé sur les sacrifices rituels et incantatoires. Voilà encore un

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point d’ombre à éclairer. Peut-être qu’un jour les jeunes historiens nous aideront à défaire ce nœud? (10) - À la suite d’une affaire d’empoisonnement et de fétiches dont s’était rendu coupable El Hadj Ibrahima Sy Kané, la fonction d’Imam de la mosquée de Moussadou était, après la révocation de ce dernier, exercée par les Bérété. Ce fut d’abord Sékou Bérété (mort) puis El Hadj Bakary Bérété. Ce dernier était en fonction en 1973. (11) - Les Soumahoro, Koéssia, Doré et Kané ont eu originellement la même souche familiale et adorent par conséquent le même totem (le grillon) avec quelques différenciations légères dues au milieu et aux habitudes. Ainsi les Doré et les Koéssia ont pour totem le grillon. Les autres insectes sont le totem des Kanè et des Soumahoro. Les Koéssia tirent leur nom de Kò (marigot) et de Sia (route). Kòsia = Koéssia = route du marigot. La dégénérescence des Koéssia a donné naissance à une nouvelle famille dénommée Bama ou Bamba (caïman) selon les régions. Ce clan familial a pour totem le caïman qu’il vénère. L’ancêtre de ce clan aurait été enlevé un jour par un caïman. Entraîné au fond de l’eau et dans un trou, il dut son salut à un trou creusé par un grillon qui lui permit de recevoir de l’air et qu’il agrandit pour s’échapper. Depuis cette mésaventure il proscrit la consommation de la viande du grillon et du caïman. Et son clan prit le nom Bamba (caïman). (12) - L’examen attentif de ce sacrifice insolite nous fait buter sur plusieurs interrogations, car la tradition orale dit vaguement « WURU KELEN SARAKA » (sacrifice de mil objets) sans préciser la nature des et le nombre des objets sacrifiés. Pour y répondre, nous proposons arbitrairement quatre variantes: 1) - Variante A: - 10 objets différents x 100 éléments de chaque espèce = 1.000 2) - Variante B: - 20 objets différents x 50 éléments de chaque espèce = 1.000 3) - Variante C: - 50 objets différents x 20 éléments de chaque espèce = 1.000 4) - Variante D: - 1.000 objets de la même espèce = 1.000 En tout cas, la tradition orale affirme que Farin Kaman Camara n’eut aucune difficulté à rassembler les éléments constitutifs de son fameux sacrifice.

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CHAPITRE V L’ORGANISATION JUDICIAIRE DE FARIN KAMAN CAMARA À MOUSSADOU ET DANS LE KONYA: LE CODE PÉNAL MANDINGUE OU LA « CHARTE DE KURUKAN FUWA » AMÉLIORÉE ET ENRICHIE NOS STRUCTURES OCIALES MANDINGUES D’ANTAN « Toutefois on ne peut supprimer de l’histoire les « figures de proue » sans qui les choses ne seraient que ce qu’elles sont. » Gaston WIET (« Essai de méthodologie historique » de Maurice Bouvier-Ajam, p. 15) ----------o---------« Mon but était de dégager une entité régionale, de faire voir ou de faire comprendre qu’ici on ne vivait pas comme des animaux, qu’ici il y avait aussi une certaine organisation sociale stable et profondément humanitaire qu’ailleurs, un attachement profond de l’homme à son sol, à ses coutumes, à ses traditions. Mon but était aussi de faire connaître certaines erreurs et de relever certaines défectuosités dues à un manque notoire d’informations et de documentations sûres. » Damaro Diontan Djiguiba CAMARA ----------o---------US ET COUTUMES MANDINGUES OU « MANDEN SARIYA » ----------o---------« Colonisé au XIXème siècle, le monde mandingue a perdu ses traits premiers. Il porte les marques sociales et culturelles des hégémonies française, britannique et portugaise, ainsi que le prouvent leurs influences sur la culture et la langue maninka. » Prof. Lansiné KABA (« Cheick Fanta Mamadi et son temps », p. 15)

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----------o---------Il est temps de se défaire des préjugés malveillants sur les sociétés et civilisations africaines. Certes, l’Afrique n’a peut-être pas pu dompter ou domestiquer la nature et la science avec la même vigueur, la même dextérité que l’Europe qui lui a apporté la science et la technologie. Mais à l’inverse, elle a su élaborer des sociétés ouvertes, profondément humanitaires et solidaires. Nos sociétés traditionnelles étaient des sociétés fortement communautaires, harmonieuses où chaque individu était aimé, protégé, aidé et pris en charge sans tenir compte de ses conditions physiques, morales, matérielles et de son rang social. Chaque tribu s’est dotée d’une organisation sociale équilibrée. La justice était rendue équitablement et le bien être assuré à chaque individu. Voyons les institutions sociales mises en place et pratiquées dans le Konya (Beyla, Kérouané, Macenta... Guinée) par le patriarche Farin Kaman Camara. Pour lui chaque société doit avoir des règles de conduite basées sur des devoirs, des obligations, des droits. Si la société vous sécurise vous devez en contrepartie respecter son organisation, ses règlements. Les peines et les sanctions appelées Sariya qui sont retenues par la tradition dans le Konya et par les Mandingues de la Guinée Forestière prennent leur source à Moussadou (Beyla, Guinée). Mais cette Charte ou Loi Fondamentale qui régissait harmonieusement la vie des Mandingues est une nette inspiration ou une amélioration de la fameuse Charte de Kurukan Fuwa, élaborée en 1235, sous l’égide de l’Empereur Soundjata Keita, par l’assemblée générale des Mandenka convoquée sur l’initiative de Kamandian Camara, roi de Sibi et ancêtre des Camara qui sont considérés comme étant les premiers occupants du Mandingue ou de cette partie de la terre africaine. L’application des sanctions et le respect des actes moraux recommandés et codifiés pour le maintien de l’ordre social et de la sécurité revenaient de plein droit à Farin Kaman Camara et à ses descendants qui sont les détenteurs légaux du pouvoir judiciaire et exécutif depuis l’abdication à Moussadou de Toumani Kamè en faveur de Farin Kaman. Rappelons que ce Toumani Kamè ou Toumani Kourouma (Doumbia) était le chef (mansa) de Moussadou (Beyla, Guinée). Le gardien du Code Pénal est appelé Sariyatii ou Tontii. C’est le Faama (chef) ou Kabila Kuntii (doyen) du Kabila (grande famille ou clan). Remarquons que le kabila peut englober parfois tout un village ou plusieurs villages créés par les descendants d’une même personne, donc un clan ou un lignage homogène. Par extension le kabila peut aussi englober des régions voisines et même lointaines qui se réclament d’un même ancêtre. Par exemple les descendants de Farin Kaman Camara constituent ce grand kabila des Camara ou Diomandé Kabila qu’on rencontre dans toute la Guinée Forestière, en Haute Guinée, au Libéria, en Côte d’Ivoire et même en Sierra Leone. Ce grand kabila 330


des Camara entretient des relations très étroites avec les sous-kabila correspondant à chaque région où les Camara-Diomandé sont majoritaires ou influents. Ainsi, en Guinée Forestière, les Camara du Simandougou (Damaro), de Guirila¸ Mahana, Kossa-Guèrzé, Goye et Gouana pour la région de Beyla; ceux de Bouzié ou Boussé (Kouankan), Konokoro, Ziama, Mandou, Kolibirama-Malinké, Koadou pour la région de Macenta; ceux de Gboni pour le Libéria, de Kérouané, de Konyanko pour la Haute Guinée... ne cessent de faire preuve de solidarité effective et agissante dans les occasions de malheur ou de bonheur. Les mariages entre Camara ou Diomandé consolident sérieusement ces liens affectifs séculaires. Les descendants de Konsaba Camara sont divisés en Konsabasi-Camara dans le Goye (cercle de Beyla, Guinée) et en Konsabasi-Diomandé dans le Barala (Côte d’Ivoire). Tout comme les autres Camara-Diomandé, ils entretiennent de part et d’autre des frontières ivoiroguinéennes cette affinité et cet esprit de solidarité fraternelle. En effet, depuis la levée en 1912 des interdits qui avaient créés un fossé entre les Farinkamansi Camara d’une part, et les Konsabasi et leurs frères Diomandé restés en Côte d’Ivoire, d’autre part, qui voulaient liquider physiquement Farin Kaman Camara pour récupérer l’héritage familial (une corne protectrice), la polarisation des Camara ou Diomandé dans un même creuset est devenu le souci permanant de toutes les générations. Curieusement, cette réconciliation est l’œuvre de l’administrateur Palanque, commandant de cercle de Beyla en 1912. Depuis, on se recherche, on s’aime, on s’entraide, on fraternise. Mariages, baptêmes, circoncisions, décès, incendies ou autres calamités sont des occasions que les Farinkamansi, Konsabasi, Famosi, Cétasi, Mia Kanési, Fandjarasi, Fassousi, Kounoun Misasi, Samoyensi, Séman Filasi, Fin Semenési, Famoïsi, Farima Oysi, Monsonguilasi, Cébiramasi, Fin Bilamasi, Sâoulènnisi, Soné Kamansi, Soné Simansi..., qui sont tous des Camara ou Diomandé en Guinée et en Côte d’Ivoire, exploitent pour consolider leurs liens fraternels séculaires. Bien des années après le départ de Farin Kaman Camara vers Kankan, probablement vers la fin du XVIème siècle ou début du XVIIème siècle, ses descendants venant de leur proche ou lointain territoire tinrent une importante réunion (ladyè) à Moussadou, sous la présidence du doyen des Camara. Rappelons encore que Moussadou est le premier berceau de la puissance des Camara de la Guinée Forestière. Ils échangèrent des idées dans le sens du renforcement de la cohésion du grand clan Camara ou Diomandé et délibérèrent sur les nouvelles lois-sanctions ou sariya kura à ajouter au coutumier et que Farin Kaman n’avait pas prévues ou que l’évolution de la société imposait. Chaque chef de région ou de sous-kabila profita de cette réunion exceptionnelle pour informer les autres frères des faits notables qui se passaient dans son territoire. On est parvenu ainsi à codifier des lois, à harmoniser les institutions, à uniformiser d’avantage le code pénal coutumier. En somme, Moussadou est le premier berceau de la puissance des Camara en Guinée Forestière. Ce sanctuaire était devenu un lieu sacré de pèlerinage. 331


Tous les principaux lignages ou descendants de Farin Kaman Camara s’y rendaient très souvent. Ils y venaient pour se recueillir sur la pierre tombale des six martyrs, encore visibles de nos jours à l’entrée de la grande mosquée, pour édicter les nouvelles lois, couronner les sages et les braves. C’était aussi le lieu et l’occasion opportune pour glorifier la mémoire des ancêtres et formuler des vœux. Ce lieu abritait également toutes les cérémonies importantes de sacrifices des sous-kabila de la lignée descendante de ce patriarche Camara qui était Farin Kaman Camara. De nos jours, il n’y a plus de Camara à Moussadou, mais par respect pour leur aïeul dont le règne a été bénéfique à tous, le doyen des chefs Camara de la Guinée Forestière et descendant de Fandyara, premier fils de Farin Kaman Camara, en la personne de Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage, a présidé en 1954 les cérémonies de pose de la première pierre de la célèbre mosquée moderne de Moussadou qui a été inaugurée en juin 1994 sous la présidence symbolique de El Hadj Nouny Ibrahima Camara, l’aîné des fils vivants de feu Diontan Djiguiba Camara à cette date. Tous les clans Camara et tout le Konya furent invités à cette occasion. Ce fut à lui que fut présenté ce magnifique ouvrage d’une haute architecture moderne. Il lui revint donc l’honneur de couper le ruban symbolique de l’entrée de la mosquée, tout comme son père, Damaro Diontan Djiguiba Camara le fit, en 1954, en tant que descendant et doyen des descendants de Farin Kaman Camara, lors de la pose de la première pierre de cet édifice Saint de Dieu. Toutes les sanctions coutumières dans la vie courante du Konya (Beyla, Kérouané, Macenta...), même de nos jours, quand elles ne sont pas contraires à la morale et la justice française, ont pour origine Moussadou où elles ont été codifiées et institutionnalisées pour la première fois par le mansa, le faama (Farin Kaman Camara). Ce code pénal coutumier est encore consulté et appliqué dans de nombreux cas de conflits et de délits dans nos villages Malinké où on entend dire: « Que faisaient nos ancêtres en pareilles circonstances? » Après des siècles, on se réfère encore à ce code pénal de Farin Kaman Camara qui ne voulut pas régner en dictateur, en despote ou en anarchiste, mais selon la volonté et la convention collectives. La stabilité, la sécurité et la paix résultant de l’application de ce code pénal ou sariya à Moussadou ont inspiré d’autres chefs d’autres contrées pour réussir ce modèle d’équilibre social. Ce code pénal se maintient encore en milieu rural Konyanké qui est heureusement, ou du moins pour le moment, à l’abri des profondes mutations sociales qui bouleversent nos villes modernes depuis la colonisation. En effet les affaires trainées devant la Police, la Gendarmerie et la Justice Française sont très rares, à l’exception des cas de crimes qui sont obligatoirement gérés par l’administration coloniale. Dans nos villages, sous l’arbre à palabres (baobab, fromager, manguier...), par le dialogue patient, sous l’égide du chef, ou du doyen assisté

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des sages, la justice coutumière réglait efficacement tous les différends. C’est pourquoi on entend dire encore dans nos villages: « Que faisaient nos ancêtres en pareilles circonstances? » Ou bien les vieux s’en prenant aux jeunes pour la dépravation des mœurs et pour leur acculturation trop prononcée disent, la mort dans l’âme: « À notre temps, on se comportait ainsi... » ou « Avant, on réagissait ainsi en pareilles circonstances... » Il convient de préciser que le chef consulte toujours les vieillards et les griots qui sont souvent ses sages courtisans et qui lui donnent toujours les meilleurs avis avant de prendre des décisions capitales. En Afrique on a beaucoup d’égards pour les oncles maternels et paternels ainsi que pour les amis du papa. Ce sont ceux-là qu’on fait toujours intervenir auprès d’un chef pour l’amener à renoncer à une prise de position irréductible ou à une grave sanction à l’encontre d’un de ses sujets. En outre le sangban, le sòsòlikèla et le sanankun jouent les mêmes rôles. Un chapitre spécial sera traité plus loin pour démontrer le rôle efficace de ces censeurs du pouvoir politique, du chef ou de roi (mansa). En effet en milieu traditionnel malinké, personne ne peut ou ne doit se soustraire de l’influence de sa famille paternelle et maternelle. Aussi, celle des amis de son père et de sa mère est souvent sollicitée, car la société les substitue facilement au père ou à la mère. Ainsi, toutes les décisions prises par le chef en accord avec les sages sont irréversibles. Comme on le sait, le pouvoir dans la société traditionnelle est monopolisé par cette classe d’aînés. Cette gérontocratie masculine qui domine totalement la société traditionnelle malinké, dresse parfois une barrière très étanche devant les jeunes et exclut souvent du débat social les femmes. Celles-ci sont rigoureusement soumises à la tutelle des hommes adultes. Elles sont donc maintenues jalousement à l’écart des affaires publiques. Par exemple les jeunes ne sont informés que des décisions à exécuter et ayant trait surtout à un déploiement de l’effort physique, à des travaux manuels pénibles. Quant aux femmes, elles n’ont pas droit à la parole dans une assemblée publique. Elles sont contraintes à ruminer leurs idées mêmes saines et constructives ou alors se résigner à les souffler à un homme qui pourrait les exposer à leur place. Cette infériorisation de la femme est d’autant plus admise par toute la société qu’on entend à tout moment en milieu traditionnel: « Que cette femme est effrontée! Elle ose parler sans retenue en public et devant tant d’hommes... » En raison de ce clivage imposé, les femmes sont confinées dans un rôle secondaire. Par compensation, elles créent une organisation secrète (muso ton) similaire à celle des hommes pour s’affirmer et atténuer le complexe d’infériorité dont elles sont victimes. Pour sortir de ce carcan et par réaction conséquente, leurs sociétés secrètes sont hermétiquement fermées aux hommes. D’ailleurs les hommes craignent terriblement la sortie du Muso Koma (masque des femmes). C’est une attitude d’auto-défense et d’affirmation de leur 333


personnalité. Cet instinct de conservation est du reste très logique. Notre société doit faire un effort d’intégration et de démocratisation en faveur des jeunes et des femmes. De leurs côtés les jeunes gens ont toujours tendance à s’affirmer, à rechercher activement leur intégration dans la société des Grands c’est-à-dire celle des Hommes, des aînés. Leur curiosité et leur ardent désir de briser l’isolement qui leur est imposé se heurtent souvent pour ne pas dire toujours à un refus systématique d’ouverture, à un mutisme complet. Pour écraser psychologiquement un adolescent on entend toujours les adultes répondre méchamment: « I makun, denmisèn tè wo lon na... » Ou encore: « I nya dòò, denin tè wo ye na. » Ce qui signifie respectivement: « Tais-toi! Un enfant ne doit pas le savoir... » - ou encore: « Ferme tes yeux, un enfant ne doit pas voir ça. » Par ce manque d’information on tue dans l’œuf la curiosité de l’enfant qui se replie sur lui-même. Ainsi ils obligent les enfants à ne pas parler, à ne pas voir et les réduisent au silence. On leur impose cette introversion nocive pour le développement psychique équilibré de l’être. Les enfants sont ainsi soumis à d’innombrables interdits et tabous qui les mettent dans une situation d’infériorité totale et permanente, du moins jusqu’à la circoncision ou à l’excision. Pour sortir donc de ce carcan infernal, isolé et méprisé, on voit que certains adolescents recherchent et se soumettent courageusement aux différentes cérémonies d’initiation et d’intégration sociales comme la circoncision, l’excision, le tatouage... à l’insu de leurs parents. L’adolescent est toujours indigné et se sent méprisé chaque fois qu’un aîné le traite de bilakoro c’est-à-dire « garçon non circoncis, non-initié ». Il l’admet encore moins de la part de ses camarades de même âge qui sont initiés avant lui et devant lesquels il se sent profondément complexé voire frustré. Étant donné que ces pratiques retardent considérablement ou annihilent l’éclosion et le développement normal des facultés intellectuelles des enfants, nous pensons que les parents doivent parler honnêtement aux enfants. Ils doivent accepter de les écouter, de satisfaire leurs curiosités, de les informer chaque fois qu’ils manifestent le désir d’apprendre, de connaître, de découvrir. Ils doivent être avertis à temps et être conséquemment préparés à affronter les différents problèmes de leur société. Il faut pour cela que les parents leur parlent et répondent sincèrement ou en tout cas en grande partie à leurs questions. Malheureusement une telle nécessité n’est pas encore perçue et comprise dans nos sociétés traditionnelles qui doivent évoluer dans ce sens.

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Farin Kaman Camara se révéla donc comme étant un grand législateur inspiré par le souci de créer une société harmonieuse et juste. Il fut un organisateur raffiné, un administrateur averti et un justicier incorruptible et implacable. La tradition orale lui reconnaît encore les qualités exceptionnelles de grand justicier et lui attribue la paternité d’un code pénal dont voici l’essentiel qui est un enrichissement ou un complément de la fameuse « Charte de Kurukan Fuwa ». I - VOL: CIRCONSTANCES ET PEINES 1) - La faim: Si un homme affamé vole: a) - Dans un champ. Le propriétaire du champ le bastonne lorsqu’il ne s’apitoie pas sur son cas. Mais généralement ce geste est toléré s’il tend simplement à satisfaire la faim dont souffrait le voleur au moment du vol. Mais l’acte est considéré comme vol et puni comme tel si les dégâts commis sont importants. C’est donc dans le cas où les dégâts dépassent la satisfaction du strict besoin d’assouvir la faim qu’on peut sévir contre le délinquant. b) - Dans une case, par ruse ou par effraction, il est arrêté, lynché, bastonné et exposé sur la place publique. Ses parents doivent obligatoirement rembourser sa victime à qui ils payent des dommages et intérêts. Il est humilié et peut même mourir des suites des tortures qui lui sont infligées. Chacun a le droit de porter la main sur lui. En milieu traditionnel le voleur est indéfendable et n’a pas de dignité. Il subit des tortures et une humiliation exemplaires afin qu’il ne récidive pas. Aussi de telles sanctions draconiennes tendent à dissuader tous ceux qui auraient de telles intentions. En milieu traditionnel mandingue, le voleur est considéré comme un fléau social qui ne mérite aucune magnanimité. Signalons que les cas de vol dans un domicile ou de cambriolage étaient assez rares. c) - Dans un village, en temps de guerre: Il n’est pas punissable, car en guerre tout est permis. 2) - La misère: Un homme malheureux vole: a) - Des vêtements: Il est vendu au chef qui en fait un sofa (soldat) ou alors ses parents sont soit tenus de verser une amende de compensation, soit de donner des vêtements à la personne victime ou frustrée. Une remarque s’impose ici à propos de la disproportion entre la sanction et la faute. Ce code a été conçu à la fin du XVIème siècle ou au début du XVIIème siècle, donc à une époque où la production des vêtements était archaïque, artisanale et insuffisante. Seuls les privilégiés ou les nantis avaient ce luxe et ceux-là n’entendaient pas se laisser déposséder de leurs biens. Ceux-ci faisaient donc toujours pression sur le chef pour réprimer sévèrement le vol de vêtements. b) - De l’argent ou gbènzèn: La somme volée est intégralement remboursée, parfois c’est le double qu’on exige.

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3) - Le vol ou le pillage à mains armées sur les chemins (cas des coupeurs de routes): Les coupables sont arrêtés, lynchés, déshabillés, bastonnés et exposés sur le place publique où ils subissent des tortures. On peut les tuer ou parfois ils sont vendus contre de l’argent (gbènzèn) par la collectivité. Ils sont considérés comme de véritables dangers pour la collectivité. Les voleurs de grands chemins sont appelés Kègbanan ou Tyè-Gbanan ou tout simplement Gbanan-Gbanan. Ils ont souvent semé la terreur dans les régions, coupé les routes entre les villages et commis des crimes. Quand ils se manifestent, des chasseurs sont désignés pour escorter les femmes dans les marchés hebdomadaires environnants ou lointains. Quand ils sont localisés, les chasseurs et tous les bras valides sont mobilisés pour faire la battue afin de les retrouver dans la nature, disparate et les livrer au Mansa et ils subissent des humiliations, des tortures et parfois la mort. Dans le meilleur des cas, ils deviennent des esclaves. 4) - Vol d’animaux: a) - Poulet: Correction corporelle (bastonnade). b) - Mouton, chèvre, bœuf: Ces vols étaient considérés comme de graves délits; les délinquants étaient vendus comme esclaves et devenaient sofas ou bien leur famille remboursait le double du nombre du bétail volé. c) - Vol d’un cheval ou d’un chat ou leur blessure volontaire: Le vol de ces animaux constituait un grave délit tandis que les blessures volontairement faites à ces animaux étaient assimilées à une sorte d’homicide. Dans les cas de vol et de blessure, les coupables, pour se racheter, devaient payer sept objets d’espèces différentes et chaque espèce doit comporter sept unités de l’espèce: sept gbènzèn, sept bandes de cotonnade, sept captifs... Toutefois le propriétaire pouvait gracier le voleur. Dans ce cas, le voleur devait donner un bœuf à tuer au profit de la collectivité. Le cheval était précieux à cause de son utilité et de son usage à la guerre. Chaque père de famille tenait à en avoir. Il était très cher et était signe d’honneur, d’aisance et de prospérité. En posséder était donc un luxe. II - DÉLITS SEXUELS Les cas d’adultère étaient sévèrement réprimés. L’adultère a toujours provoqué des conflits entre individus, familles, villages, voire tribus. En tout cas tout ce qui a trait aux rapports sexuels illicites jouait et joue encore un rôle important dans les relations sociales dans la société traditionnelle mandingue. a) - Rapports sexuels avec les jeunes filles impubères (10 à 14 ans) c’est-à-dire plus exactement la défloraison: Ce délit est très sévèrement réprimé car il est considéré comme coups et blessures pouvant entraîner la mort donc doit être puni comme tel. Le coupable est lynché et bastonné jusqu’à ce que mort s’en suive. La conservation de la virginité est un point d’honneur auquel la société traditionnelle reste profondément attachée. Toute fille qui a pu sauvegarder ce point d’honneur jusqu’à son mariage est respectée tant par son 336


mari, par les parents de celui-ci que par toute la société. Par ricochet elle a donné la mesure de sa bonne éducation et fait honneur à ses parents, notamment sa mère. C’est elle seulement qui a droit de remplir certains rites en raison de sa pureté. Tout homme coupable de la perte de la virginité d’une jeune fille est traduit devant la justice. De nos jours il doit payer une forte amende (parfois un ou deux bœufs) pour effacer sa souillure (musoko lada nisi). L’acte est condamné et puni comme un crime abominable. b) - Rapports sexuels avec des jeunes filles de 17 à 19 ans: Le coupable paye une amende de deux bœufs dont l’un revient au fiancé (musoko lada nisi) et l’autre à la collectivité. Il s’agit des jeunes filles auxquelles on fait perdre la virginité. Une fille qui perd sa virginité avant son mariage doit obligatoirement dénoncer son partenaire sexuel, si l’auteur de l’acte sacré n’est pas commis par son fiancé légitime. L’auteur ou le coupable est traduit en justice dès le lendemain de la première nuit de noces. Il doit réparer sa faute en payant deux bœufs: c’est le « musoko lada nisi ». c) - L’adultère avec des femmes mariées: L’adultère est sévèrement réprimé avons-nous dit. Une femme mariée qui trompe son mari s’expose à un danger mortel dont le crime passionnel. En effet elle ne peut accoucher sans dénoncer tous ceux avec qui elle a eu des rapports sexuels. La simple dénonciation entraîne une poursuite judiciaire. Le fautif paye une amende d’un bœuf. Quand il s’agit de l’épouse d’un chef, celui-ci avec ses pouvoirs discrétionnaires peut soumettre le délinquant à toutes sortes d’humiliations et de sévices, voire le tuer. Signalons aussi que sous l’effet des douleurs de l’accouchement, la femme en grossesse en travail peut citer, parfois à tort, plusieurs noms d’hommes partenaires sexuels réels ou fictifs, car pour elle, cette dénonciation peut la libérer ou atténuer ses douleurs en facilitant son accouchement. Dès qu’un accouchement dure tant soit peu, les vieilles matrones somment leur patiente de dresser la liste complète des hommes qui ont eu des relations sexuelles avec elle sans quoi elle mourra infailliblement. Cette pratique néfaste provoque la discorde dans les familles dont certaines s’en trouvent profondément divisées ou opposées aux autres, et se poursuit pendant la période d’allaitement. Il suffit que pour un quelconque malaise parfois non décelable, le nourrisson refuse de téter pour que les vieilles femmes fassent pression sur sa mère afin qu’elle dénonce ses partenaires sexuels sinon son bébé meurt. Parfois c’est le désarroi général dans la famille. Dans certains cas, l’amant ou le partenaire sexuel de la femme ou de la jeune fille, par crainte d’être dénoncé et humilié, fait jurer celle-ci sur la cola afin de le laisser dans l’anonymat quelle que soit la situation ou la pression qu’elle pourrait subir. Le serment de la cola est très dangereux. C’est certes un aliment, mais quand vous en croquez - surtout transpercé par une aiguille - en jurant de ne jamais dire ou faire telle chose, il vous tue en cas de violation. Pour sauver la femme assermentée son partenaire

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doit faire publiquement son mea culpa en proclamant la teneur de leur serment et délier la femme au cours d’une cérémonie appelée « Woro-bò-kònò-gbara ». d) - Détournement d’une jeune fille fiancée: Remboursement au maximum aux parents de la jeune fille de tout ce que le premier fiancé a versé. Ceux-ci rétrocèdent ces biens au premier fiancé cocu. Très souvent, l’opération de remboursement et de dédommagement peut se faire directement au premier fiancé, sous l’égide du patriarche du clan ou du chef. Dans tous les cas ce sont les parents de la fille qui sont le plus incriminés et traités d’escrocs. Ils sont tenus de rembourser leur gendre. Les remboursements se font sur la base de la liste de tous les menus dons faits par le gendre à ses beaux-parents. Rien n’est oublié ou négligé. Le moindre service est noté et évalué. Par esprit de vengeance les chiffres sont parfois grevés. Signalons que dans ce milieu traditionnel une fille peut être dotée avant même sa naissance. En effet, un contrat de mariage peut être conclu entre deux familles amies alors que la femme est en grossesse. On entend dire: « Si ma femme accouche d’une fille, elle sera ta femme ou bien tu la donneras à ton fils ou à ton frère. Si c’est un garçon il portera ton nom. » Naturellement, ces intérêts égoïstes et ces engagements absurdes des parents se réalisent presque toujours contre la volonté des enfants qui ne sont jamais concertés. Ils sont obligés de s’incliner devant les projets de mariage conçus par leurs parents. Parfois, les deux conjoints ne se voient pour la première fois que seulement le jour du mariage. C’est le mariage forcé avec toutes ses conséquences fâcheuses et néfastes sur l’harmonie des ménages. e) - Détournement d’une femme mariée: Remboursement intégral de la dot qui est souvent augmentée d’amendes discrétionnaires comme dans le cas précédent. À défaut, le coupable devient captif. Dans ces deux cas, la dot initialement versée par le mari est délibérément grevé par esprit de vengeance du mari contre l’amant et contre ses beaux-parents quand ceux-ci sont complices de la frivolité de leur fille. f) - Sevrage d’un enfant dont on n’est pas le père: Ce cas est, tout comme la défloraison d’une jeune fille, considéré comme un crime et le coupable s’expose aux mêmes sanctions. Il faut rappeler ici que d’après la tradition, un enfant sevré par un homme autre que son père meurt infailliblement. Donc une nourrice doit préserver la vie de son bébé en s’abstenant d’avoir des relations sexuelles avec un homme qui n’est pas son mari légal. g) - Abandon provisoire du domicile conjugal: Retour obligatoire au foyer de la femme qui paie une amende pour apaiser la colère de son mari surtout quand le motif de son évasion est désapprouvé par la collectivité, parce que fantaisiste. À défaut elle doit présenter publiquement ses excuses et s’engager à ne plus réitérer son acte. En milieu traditionnel, l’égalité de l’homme avec la femme est hors de question. Le mari a toujours raison sur sa femme, ou du moins dans la plupart des cas de conflits. La femme est une 338


créature inférieure ramenée au rang d’un animal. Elle est considérée comme un bien matériel dont l’homme, être supérieur, jouit à volonté. La femme est toujours brimée. On lui donne presque toujours tort dans les différends qui l’opposent à son mari, son propriétaire ou son maître absolu dont les droits et l’autorité sur elle sont inaliénables. Cette situation d’infériorité de la femme est corroborée par les exigences de servitude vis-à-vis de l’homme que l’Islam lui impose. Selon l’Islam le femme ne gagnera le Paradis que par sa fidélité, sa soumission totale et par la qualité et la constance de ses services rendus à son mari légal. h) - Abandon définitif du domicile conjugal au profit d’un amant: Ce dernier verse une forte amende au mari. La femme doit obligatoirement rejoindre son foyer. En cas de refus systématique, l’amant doit rembourser au mari la dot et au besoin la valeur de tous les menus services rendus aux beauxparents par le premier mari. Le détournement de femme est appelé « muso korotè ». Le processus de poursuite judiciaire tendant à faire retourner une femme dans son foyer conjugal ou à faire payer une lourde amende par le détourneur s’appelle « musoko lada ». Et le remboursement s’appelle « furunyòòn lase » ou « furunyòòn labò ». III - DÉLITS D’OFFENSES a) - Injures à l’adresse des parents et à l’adresse des voisins: Corrections corporelles. Les cas de légitime défense font exception. Quel que soit son rang social, la première personne qui insulte en première position a tort. b) - Injures à l’adresse de la collectivité: Quand il s’agit de femmes, elles sont lynchées. Quant aux hommes, ils sont accablés d’injures et très souvent roués de coups. c) - Injures à l’adresse des frères consanguins: L’insulteur paie un bœuf qui est abattu au profit de la collectivité; l’insulté a droit en plus à des excuses publiques de la part de son offenseur. Ainsi tout rendre dans l’ordre. IV - VIOLENCE ET CONFLITS (Bataille et bagarre) Les conflits ont souvent pour origine une question de femme, de champ, de terrain, d’injures de parents ou de bagarres d’enfants avec coups et blessures. Lorsqu’il y a prise de bâtons, d’armes blanches et de fusils..., l’affaire passe devant le chef qui juge sur la place publique et inflige des amendes plus ou moins fortes en gbènzèn (monnaie locale) à la partie qui à tort. Le premier qui insulte a tort et paie des dommages et intérêts à sa victime. Dans le cadre du règlement d’un conflit armé, un homme peut être provisoirement mis en gage chez le chef du village vainqueur. En cas de non rachat, l’otage devient la propriété de celui-ci. Les deux parties entretiennent le chef et ses suivants pendant la durée du jugement lorsque celui-ci nécessite le 339


déplacement du chef. Il est fait retour des biens endommagés ou expropriés à la partie qui a raison. Le camp adverse considéré comme agresseur est condamné en outre à offrir un bœuf qui est abattu en guise de sacrifice au profit de toute la collectivité afin d’éviter la récidive de semblables incidents. 1) - Bataille rangée entre deux villages: Dans l’ancien temps, seules les armes décidaient: le plus fort avait toujours raison. Il restait maître du terrain occupé et jouissait pleinement du butin fait. 2) - La vengeance: Les empoisonnements étaient fréquents. En général on mélangeait du poison à la nourriture de la victime, d’où crime prémédité. Lorsqu’on arrivait à sauver la victime, le coupable payait une amende de deux bœufs. Au cas où la mort s’en suivait, toute la famille de l’homicide devenait esclave de celle de la victime et de la collectivité, en plus une forte indemnité était versée aux parents du défunt. Les poisons les plus dangereux sont: la bile de caïman et la poudre de l’arbre tali (tanin). L’absorption de la poudre tirée de l’écorce de cet arbre tue presque instantanément. Les cordonniers l’utilisent aussi pour tanner les peaux. V - DISPARUTION DE PERSONNES ET PERTES D’OBJETS 1) - Personnes et animaux disparus et retrouvés: Obligation était faite de déclarer à la collectivité les personnes et les animaux égarés et retrouvés et qui devaient être rendus à qui de droit, autrement, le cas était assimilé à un vol et entraînait en conséquence le paiement d’une amende. 2) - Objet retrouvés: Quand il s’agissait d’objets en métal (or, cuivre...), ils étaient remis au chef, faute de quoi, une amende frappait le détenteur illégal des objets trouvés et qui en était dépossédé. 3) - Animaux: Les fauves tués revenaient de droit au chef de la collectivité. La peau des panthères tuées était obligatoirement offerte au chef de la province (Mansa, Dyamanatigui, Faama). 4) - Défenses d’éléphants: Il en était de même des défenses d’éléphants. Tout détournement entraînait le paiement d’une amende couvrant ou dépassant la valeur des défenses. VI - INDISCIPLINE Insubordination à la collectivité: A) - Sur le plan matériel: a) - Refus de participer à un travail collectif: C’était un acte de rébellion puni par le paiement d’une amende avec blâme publique. En cas de récidive, le délinquant est ligoté, battu et proscrit de la collectivité. b) - Refus de participer à une collecte: Une amende frappait la personne rebelle qui ne devait en outre s’attendre à aucun geste de solidarité lorsqu’un malheur le frappait. 340


c) - Refus d’assister à une réunion publique: Une simple réprimande verbale suffisait en général pour ramener les personnes dévoyées sur le bon chemin. Chacun est considéré comme un produit de son environnement social, dans ce cas personne n’a donc le droit de bouder la société car « on est né dans les bras des hommes et on meurt dans les bras des hommes et on part de ce monde pour l’au-delà également dans le bras des hommes ». On ne peut se passer indéfiniment des autres. B) - Sur le plan moral: a) - Lorsqu’on s’entêtait à soutenir une opinion contraire à l’avis consensuel de la communauté, ou quand on s’insurgeait contre les décisions prises à l’unanimité, on s’exposait à l’isolement. Plus personne ne vous fréquentait, ne vous parlait ou ne vous portait le moindre secours. b) - Le refus de présenter les condoléances à une famille ou à un village en deuil ou frappés par un malheur entraînait la rupture des bonnes relations humaines qui ne pouvaient reprendre qu’après présentation des excuses publiques. On dit que la mort est un fusil chargé devant chaque porte, prêt à éclater dans telle ou telle famille. Donc à chacun son tour chez le coiffeur. Aussi on dit que la mort n’emporte pas avec lui la daba ou la pioche. La même daba servira à enterrer ceux qui de leur vivant ont enterré d’autres morts. Quand vous restez indifférent devant la mort d’un membre de la collectivité, celle-ci aura la même attitude à votre endroit quand vous perdrez un des vôtres (4). Il faut obligatoirement se repentir de cette grave faute pour être pardonné. Cette démarche s’accompagne toujours de la présentation de dix noix de cola à travers le doyen du clan ou du sotii kèmòò. VII - GESTION DE LA DETTE OU DYULU a) - Toute dette (dyulu) se paie soit à la personne vis-à-vis de laquelle on est débiteur, soit à ses enfants, soit à un de ses descendants. La préférence est portée sur le premier fils qui devient le nouveau créancier, car d’après la tradition, c’est le fils aîné qui hérite tous les biens matériels du père et se voit confier la garde et l’éducation de ses jeunes frères et sœurs. C’est lui qui gère l’actif et le passif du défunt père. b) - Le paiement d’une dette se fait partie en céréales, partie en biens matériels ou en gbènzèn (monnaie locale). c) - La non reconnaissance d’une dette entraîne obligatoirement la prestation de serment seli ou sè. En effet, après la mort d’un créancier, son débiteur, par manque de scrupule, pouvait nier la dette surtout quand il n’y a pas eu de témoin ou quand le témoin, devant qui la dette a été contractée, est absent ou mort comme le créancier. Dans ce cas la personne accusée d’être débitrice devait jurer son innocence publiquement sur le Saint-Coran, ou en consommant une noix de cola transpercée d’une aiguille (dèè min, littéralement « boire le dèguè » ou « croquer la cola »)... Pour la famille du défunt et pour la collectivité 341


cette prestation de serment (dèè min) du présumé débiteur est l’unique preuve de son innocence. On se remet dès lors à la volonté divine, à celle du défunt et à l’efficacité du serment qui s’abattent sur le présumé débiteur s’il a menti. Dans ce cas, il ne connaîtra dans sa vie que déboires et misères, parfois la mort prématurée jusqu’à ce qu’il se repentisse publiquement de son mensonge et s’acquitte partiellement ou entièrement de sa dette. d) - Au cas où il s’avère qu’il y a tentative de se soustraire au paiement d’une chose due, le coupable est frappé d’une amende qui est en rapport avec la valeur de la dette. e) - Tout règlement d’une dette après échéance entraîne une indemnisation. f) - Gages ou tolima: 1) - Gage humain: a) - Garçon ou fille: Pendant toute la durée du gage (ou tolima en Malinké) il ou elle doit travailler pour son maître tant que le gage dure. b) - Femme: La femme en gage doit aussi travailler pour son maître. Mais celui-ci ne doit pas avoir de relations sexuelles avec elle. Le mari doit obligatoirement rembourser le montant du gage et parfois verser une indemnité en plus quand l’échéance de remboursement n’est pas respecté. Ce cas était très rare. Lorsque des relations coupables sont établies, la femme retourne immédiatement à son mari sans autre forme de procès. Dans ce cas le gage est annulé. Afin de rejoindre leur foyer conjugal on voyait que certaines femmes gagées provoquaient leur maître et se laissaient abuser par eux. Mais pendant les rapports sexuels, elles criaient au viol. Et les gens venaient faire le constat. Et le mari en profitait pour porter plainte et récupérer sa femme. c) - Au cas où la personne mise en gage meurt, le décès est constaté par les témoins. En cas d’absence de la personne qui a gagé la femme ou l’enfant, un doigt du mort est coupé et présenté à lui en guise de preuve matérielle de ce décès. Toutefois, si la dette demeure, on ne procède pas au remplacement du défunt. Dans certains cas le créancier peut renoncer à son dû devant cette évidence. d) Lorsque la personne en gage se sauve, la dette demeure toujours. 1) - Gages d’objets: a) - Gage à terme: L’objet est acquis au nouveau possesseur quand la date convenue a expiré sans qu’il n’y ait eu règlement. b) - Gage sans terme: Force est d’attendre que le partenaire vienne reprendre l’objet mis en gage, après paiement de la valeur du gage ou de la dette. c) - Après expiration du délai: En général il y a des contestations lorsqu’expire le délai convenu, quand à la valeur de l’objet mis en gage et celle de l’objet reçu. Presque toujours on s’arrange à l’amiable: Premier cas: La valeur de l’objet gagé est supérieure à celle du crédit ou de l’objet reçu: le gageur reprend son bien et paie une compensation. 342


Deuxième cas: la valeur de l’objet gagé est inférieure à celle de l’objet reçu: c’est celui qui a reçu le gagé qui, cette fois, doit payer une compensation au gageur. d) - Celui qui reçoit le gage ne peut, sauf autorisation expresse du gageur, le passer à une tierce personne. VIII - DÉLITS DE DÉGÂTS a) - Dégâts commis dans les champs (feux de brousse ou par les animaux: bœufs, moutons, chèvres...): L’auteur du feu de brousse ou le propriétaire du bétail paie une amende proportionnelle aux dégâts estimés. b) - Si le village est volontairement incendié, le coupable est déjà jeté au feu. c) - Dommages ou blessures subis par des animaux (sauf sur les chevaux): On s’en remet à la volonté du propriétaire. Généralement, le coupable de la blessure doit donner une bête de même nature avec les mêmes caractéristiques physiques. Le cas du cheval est plus grave du fait qu’il est très cher et constitue un luxe que seuls quelques privilégiés peuvent posséder. Le coupable peut être contraint parfois à payer des esclaves en lieu et place du cheval blessé ou tué. d) - Dégâts commis au détriment de la collectivité: paiement de dommages et intérêts. Quand il s’agit d’empoisonnement de cours d’eau pouvant entraîner des morts, une peine de mort peut être prononcée contre le coupable. Un tel génocide est puni par la peine de mort qui peut frapper toute la famille du délinquant si la culpabilité ou la complicité de celle-ci est établie. IX - EMPOISONNEMENT ET BLESSURE 1) - Empoissonnement à distance: Souvent des personnes sont accusées d’avoir empoisonné des individus à distance par exemple au moyen du « Korotè », fétiche très réputé en pays mandingue. Il est capable de tuer une personne à distance. Le présumé coupable est soumis à des ordalies. En cas de récidive, il est mis à mort avec toute sa famille. Cette lourde peine dissuasive, dira-t-on, oblige chaque famille à mieux éduquer et à contrôler tous ses éléments. Au cas où les victimes sont des animaux domestiques, le coupable est obligé de rembourser le même type d’animal ou la contre-valeur estimée par le propriétaire et approuvée par la collectivité. En plus il paie une amende complémentaire. 2) - Effet des coups lors d’une bagarre: Un homme battu par un autre est indemnisé s’il a raison. Si l’homme battu a tort, il ne reçoit aucune indemnité.

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A) - Blessures avec préméditation: 1) - Lorsque la victime a raison, elle reçoit des dommages et intérêts. Ensuite le coupable, pour avoir versé du sang, offre un mouton ou un bœuf (selon la gravité de la blessure) que l’on sacrifie à la mémoire des anciens. 2) - La victime est dans son tort, c’est elle qui offre le mouton ou le bœuf à sacrifier à la mémoire des anciens et pour conjurer les mauvais esprits afin que la communauté n’enregistre plus de cas de bagarre sanglante du même genre. B) - Blessures sans préméditation: Dans ce cas, les juges sont moins sévères. Les sanctions (amendes) sont modérées et moins rigoureuses. 1) - Si le blessé a raison, on l’indemnise, puis on sacrifie une tête de bétail. 2) - S’il a tort, il est blâmé publiquement et paie en plus une amende symbolique. C) - Blessure occasionnée par un homme sur la personne de sa femme: 1) - Avec préméditation: a) - Si l’épouse blessée a raison, le mari paie une indemnité dont le montant est fixé par le chef de la famille de son épouse et il est en outre blâmé publiquement pour sa violence. b) - Si elle a tort, on la blâme. On notera l’état d’infériorité de la femme vis-à-vis de l’homme. Même de nos jours, dans les villages, il est admis qu’une femme ne doit pas et ne peut jamais avoir raison lorsqu’elle est en litige avec son mari. 2) - Sans préméditation: Dans ce cas, le mari est blâmé publiquement et doit présenter ses excuses à son épouse et aux parents de celle-ci. Il doit s’engager publiquement à ne plus exercer de violence sur sa femme. On attribue un tel acte au Satan et à un manque de contrôle de ses impulsions et à l’énervement. Donc plus de récidive dans l’avenir. D) - Blessures occasionnées sur une bête: 1) - Avec préméditation: La personne est réprimandée quelle que soit la bête. En cas de récidive, elle doit rembourser la valeur totale de l’animal blessé. 2) - Sans préméditation: Il présente ses excuses au propriétaire et tout rendre généralement dans l’ordre. X - HÉRITAGE A) - Arbres: Ils reviennent à la descendance du défunt. Si le propriétaire quitte le pays, les arbres sont confiés au chef qui est chargé de les restituer en cas de retour dans le village ou dans le pays des descendants du défunt. B) - Terrains: 1 - Entre autochtones, la terre revient au premier occupant. 344


2 - Les étrangers sont autorisés à s’installer, mais ne peuvent vendre, échanger ou donner les parcelles cédées ou prêtées à eux sans l’accord préalable des natifs du lieu. XI - ATTEINTE À L’HONNEUR Souvent dans la société africaine, il arrive qu’un individu porte atteinte à l’honneur de ses semblables. L’acte peut avoir des conséquences allant jusqu’au suicide de la personne offensée. Quand un individu: 1 - Médit de la naissance (bâtard): Il faut que le blasphémateur établisse publiquement la généalogie de celui qu’il attaque. En tout cas il est tenu de prouver ses allégations. L’acte est toujours considéré comme criminel et est porté devant la communauté qui le juge et prend les mesures punitives qui s’imposent si les propos ne sont pas fondés ou prouvés. a) - S’il est effectivement bâtard, il le reconnaît et l’admet. S’il a de l’amour propre, un sens profond de l’honneur et de la dignité, il se suicide. Ce fut le cas de Toumandou dans Kérouané (Guinée). Celui qui est cause du suicide ne subit aucune peine. La mère, seule, dans son for intérieur, reste moralement coupable de cette étiquette que les autres ne cessent de coller à son enfant chaque fois que celui-ci échange des propos malveillants avec les autres. Il est ainsi le siège permanent d’un sentiment d’infériorité et de frustration que la société entretient. Un bâtard est toujours mal à l’aise aussi bien dans le milieu familial qu’en dehors du cadre familial. Il est généralement élevé par ses parents maternels qui ménagent presque toujours sa susceptibilité. S’il vit avec sa mère dans un autre foyer, on ne le consulte pas, on ne l’associe pas à certaines réunions familiales importantes. Son point de vue, même juste et sensé, est très souvent négligé. Il se marie assez difficilement à cause de son étiquette de bâtard. En effet, beaucoup de familles lui refusent la main de leurs filles en mariage. Il est même admis dans ce milieu traditionnel qu’un bâtard ne va pas au ciel (Paradis). Devant cette situation, certains obligent leur maman à leur révéler le nom de leur père biologique qu’ils rejoignent sans tarder. D’autres, par excès d’orgueil, abandonnent leur maman jusqu’à ce que celle-ci fasse cette révélation ou éclaire ce point triste point d’ombre ou peu honorable de sa vie. C’est par cette exigence seulement qu’ils peuvent se rendre dignes et mettre fin à la risée des autres. Malheureusement pour certains, la situation est insoluble car le père biologique est inconnu ou alors s’il l’est, il fuit ses responsabilités en niant malhonnêtement et impudiquement la paternité de l’enfant. Dans ces cas, l’enfant de toute sa vie, s’en prend à sa mère qui est pour lui l’unique responsable de sa condition, de sa frustration qu’il ne digère pas.

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b) - Mais s’il n’est pas bâtard, celui qui médit de lui est mis en demeure de verser une amende à l’appréciation de l’assemblée et est tenu de faire des excuses publiques à son endroit. On ne tolère pas de tels propos en pays mandingue. Une telle insinuation (nyamòòdenya) est à l’origine de beaucoup rixes violentes. C’est un outrage qui ne reste jamais impuni dans le Mandingue. 2 - Injures adressées à un homme (voir plus haut III) 3 - Paroles malveillantes et injures à une assemblée: C’est la bagarre où seule la force des armes décide; la raison n’appartient pas à celui qui a dit la vérité, mais au plus fort. C’est le cas de la bataille rangée (voir plus haut). 4 - Injures à l’adresse des parents: Il y a échange de mots obscènes, de coups sans distinction de classes sociales car on ne prête pas une injure de parents et celui qui a débuté a toujours tort. On ne tolère pas les injures de parents à moins que ce soit par un sanankun (personne qui a sur vous le droit de plaisanterie sans limite). Il n’y a pas d’amende à payer dans ce cas. Toutefois, ceci n’est pas valable pour les captifs qui n’ont pas le droit d’insulter mais subissent sans rechigner les plus graves injures y comprises celles à l’adresse de leurs parents. Ici la réplique est autorisée sans proportion ou restriction pour tous les clans nobles. 5 - Atteinte à l’honneur de l’autorité: a) - À la personne du chef: ) les sujets du chef battent b) - À son commandement: ) le coupable jusqu’à ce c) - À son prestige: ) mort s’en suivre. Ce qui est vrai pour le chef l’est aussi pour ses envoyés, quel que soit l’âge de l’émissaire. Quand on manque de respect à un émissaire, implicitement on manque à son mandant. Celui-ci prend tout sur son propre compte et prend les mesures punitives qui s’imposent. Le bon accueil réservé à lui et les cadeaux divers qu’il reçoit sont des honneurs hautement appréciés qui rejaillissent sur le chef. 6 - Injustices flagrantes: Parfois un homme est victime d’une injustice dont il ne peut se venger. Et s’il ne peut obtenir justice, il se la rend lui-même ou alors, en désespoir de cause, il peut se blesser ou se suicider (ka mònè bò a yèrè lò). a) - Il se blesse au nom de la personne qui l’a attaqué. Pour le cas de dette impayée, si le créancier est satisfait par la tentative de suicide ou s’il en est sensible il peut renoncer à la dette. Dans le cas contraire le débiteur paie une amende (un bœuf) et reste dans certains cas aux fers pendant un certain temps (un ou deux jours seulement) quand c’est lui qui a agressé le créancier. b) - La blessure entraîne la mort (voir plus haut: III-b). c) - Casser un mariage sans raison valable. d) - Refus de payer une dette. e) - Refus d’un père d’accéder au désir de son fils qui veut relever la famille (mariage). Si le père refuse, il se soumet à (6-a). 346


XII - INTERDITS Ils sont nombreux et peuvent être variés ou nuancés. Il est formellement interdit: 1) - De traiter de bâtard un frère consanguin. L’interdiction de cette injure est générale. En pays mandingue, on ne tolère pas les injures de parents de qui que ce soit. La réaction du Mandingue à une telle offense est virulente et spontanée. Le Mandingue est très allergique a l’outrage (mònè, dyònmaya). Mandenka tè sonna dyònmaya ma = Le Mandingue n’accepte jamais le déshonneur, l’outrage, l’indignité... 2) - De tirer le couteau contre quelqu’un pour se venger. On se bat à coups de poing ou à corps de chicotes. 3) - De briser le canari à eau de sa femme. 4) - Pour la femme de briser la calebasse vide ou contenant le repas de son mari. 5) - De sevrer un enfant avant l’âge (trois ans en général) même par son père. 6) - De rompre un mariage légitime pour un autre sans motif valable. 7) - De prendre tout seul l’héritage humain (filles) d’un chef de carré qui n’en a que deux. 8) - D’enlever le commandement aux descendants de Farin Kaman Camara; ne pas respecter les Kamè ou Kourouma ou Doumbia, les Diobaté et les descendants de Kérédama. 9) - De garder pour soi divers objets ramassés qui doivent être obligatoirement remis au chef hiérarchique. Il revient à celui-ci de rechercher le ou les propriétaires. Garder par dévers soi des objets égarés sans rechercher le propriétaire équivaut à un vol et est puni comme tel. XIII - SUPERSTITION La vie des autochtones de ce temps-là était essentiellement faite de superstition. On était en plein animisme. L’influence de l’Islam était à l’époque très limitée voire inexistante. Tout acte avait une répercussion immédiate ou lointaine sur la vie. Tout avait un sens. Les cris de certains oiseaux, les rêves, les actes coutumiers de la vie quotidienne étaient des signes précurseurs d’événements qui se réalisaient souvent à brève ou longue échéance. Nous allons essayer de relater quelques superstitions et leurs interprétations et correspondances dans la vie pratique. D’une façon générale certains actes s’accomplissaient en suivant deux sens: la droite est aux hommes et la gauche aux femmes. Cependant quand votre

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cadet est une fille, vous tablez vos calculs sur le pied gauche. Dans ce cas votre succès sera lent à venir. Par exemple, les oiseaux nyamatutu et kèrènkono criant après votre passage vous annoncent une chose qui s’accomplira sûrement après vous. I – Ce qui a trait au bonheur: 1) - Votre orteil droit bute en allant: a) - à la chasse: vous ferez une bonne chasse. b) - en voyage: bonne augure; vous ferez un fructueux voyage. 2) - Un oiseau: kèrènkono ou nyamatutu (Dame de gala) chante quand vous voyagez: a) - à votre droite et devant vous jusqu’à arriver à votre hauteur: annonce un bonheur très proche. b) - à votre gauche en entrant dans un village: force et puissance; long séjour dans le village. c) - sur un arbre et à votre droite en saison des pluies: il pleuvra sous peu. 3) - On parle d’une personne qui arrive sur le coup: longévité pour celleci. 4) - Le coq chantant au crépuscule (à l’heure de la prière du soir ou Fitiri) annonce la grossesse accidentelle ou non désirée d’une jeune fille par son amant. 5) - Démangeaison inopinée dans la main: a) - droite: un homme vous donnera quelque chose. b) - gauche: une femme vous donnera quelque chose. 6) - Démangeaison inopinée dans la plante du pied: bientôt vous irez en voyage. 7) - Voir de grosses chenilles rouges traversant la route et coupées en deux: vous aurez de la viande. Si la tête est enfoncée dans le sol: mort certaine et prochaine d’un de vos proches parents. 8) - Voir le caméléon à la queue verticale: c’est le bonheur. 9) - Apercevoir la vipère qui traverse la route: bonheur. II – Ce qui a trait au malheur: 1) - Votre orteil gauche bute en allant: a) - en voyage: voyage de longue durée. b) - à la chasse: vous retournerez bredouille. c) - en voyage lorsque vous allez voir un homme supérieur à vous dans la hiérarchie sociale. d) - orteil gauche: bonne augure. e) - orteil droit: mauvaise augure. 2) - Votre paupière tremblote: 348


A - Paupières supérieures: a) - gauches: une étrangère longtemps perdue de vue arrive bientôt. b) - droites: arrivée imminente d’un étranger. B - Paupières inférieures: a) - gauches: mort prochaine d’un homme ou d’une femme. b) - droites: mort certaine et très prochaine d’un proche parent. 3) - Si vous avez des bourdonnements dans vos oreilles: a) - oreille droite: un homme parle de vous. b) - oreille gauche: une femme parle de vous. 4) - Le hibou ou la chouette hulule: mort prochaine d’un parent ou d’une connaissance et annonce toujours un malheur. 5) - Les engoulevents crient au crépuscule: un jeune mourra très bientôt. 6) - La vue d’un tablet: mort naturellement de 11 heures à 15 heures, annonce la mort d’un vieux ou un décès prochain. 7) - La guêpe de terre déposant un vers à côté de vous annonce le décès proche d’un parent ou d’un membre de la famille. 8) - Les grosses chenilles traversant la route ont la tête dans le sol indiquent une mort très prochaine. 9) - Le chien pousse des aboiements ininterrompus et non motivés en présence du propriétaire: mort prochaine dans la famille de son maître. 10) - La chèvre met bas dans la nuit: malheur pour le propriétaire. 11) - Le cheval non malade se couche pendant la journée: malheur pour le propriétaire. 12) - La jument met bas le jour: malheur pour le propriétaire. 13) - Le commerçant voit des éléphants en cours de route: perte sur ses marchandises. 14) - Le dioula (commerçant) voit l’écureuil: a) - qui rentre dans la brousse: vente rapide de ses marchandises. b) - qui court droit et s’arrête à plus de vingt mètres devant lui: long voyage. 15) - Le cheval du guerrier refuse d’aller pour le combat: mort certaine du cavalier à la guerre. 16) - La guenon crie sur les guerriers: défaite totale des guerriers. 17) - Les abeilles tombent sur les guerriers: c’est la débandade, la défaite totale des combattants. Il vaut mieux pour eux de renoncer à cette compagne après ce mauvais augure. 18) - Voir une petite souris blanche: mort d’un proche parent. 19) - La poule pond la nuit: mort d’un proche parent de son propriétaire. XIV - LE RÊVE On ne peut établir à priori une clé unique pour le rêve qui dépend surtout de la personne, du lieu et de l’état d’esprit de l’individu qui fait le rêve. Aussi 349


chaque ethnie ou tribu a son interprétation spécifique du rêve. L’interprétation religieuse du rêve a aussi été appliquée à certains faits. Bien que considéré superstitieusement par certaines tribus, le rêve est déjà entaché de religiosité depuis l’implantation de l’Islam et du Christianisme. Nous lui conservons donc ce caractère. Notons simplement que le rêve est en général considéré comme la projection de la réalité dans le subconscient et dans le futur. En effet on est très superstitieux dans ce milieu traditionnel. Très souvent certaines personnes s’en prennent à d’autres qu’elles rendent responsables de leurs maux parce que celles-ci leur sont apparues en rêve dans une attitude d’hostilité. Une personne qui vous menace dans un rêve est considérée comme votre ennemi réel ou potentiel de qui vous devez vous méfier dans la vie courante. C’est dire donc que le rêve est très souvent source de conflits ou de discordes. On dit que le rêve est un message de Dieu qui doit s’accomplir sûrement dans un proche avenir. C’est pour cette raison qu’on ne doit pas négliger de faire les sacrifices appropriés indiqués. Laissons aux sociologues, ethnologues, chresmologues, géomanciens... le soin d’inventorier les rêves et leurs interprétations, de dégager leurs incidences immédiates et lointaines sur la vie de chacun et de tous. Ils pourront aussi mettre en évidence la portée ou l’impact des sacrifices que les gens organisent toujours après les rêves. Pour cela nous vous renvoyons au livre « L’interprétation des rêves dans la tradition africaine » Éditions Africa Média International, de Traoré Mamadou Ray-Autra qui fait autorité en la matière. La lecture ce chapitre nous révèle que la société traditionnelle mandingue dans sa partie Konya (Beyla, Kérouané, Macenta...) était organisée, bien structurée, suivant des règles de conduite bien précises qui régissaient la vie des individus et de la communauté tout entière, tout comme la charte de Kurukan Fuwa que l’Empereur Soundjata Keita avait rédigée au XIIIème siècle, et qui a longtemps servi de constitution et de code pénal de la société mandingue.

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SUITE DE L’HISTOIRE DES CAMARA DE LA GUINÉE FORESTIÈRE ----------o---------LE DEUXIÈME GRAND MOUVEMENT MIGRATOIRE DES CAMARA APRÈS CEUX DE SIBY (MALI) ET DE FARIN-KAMANYA (SIGUIRI-GUINÉE) RÉPARTITION DES FILS DE FARIN KAMAN CAMARA À PARTIR DE MOUSSADOU (BEYLA) Après ce bref aperçu de l’organisation sociale du Konya et notamment les lois qui régissaient cette société, revenons à présent à l’histoire des Camara de la Guinée Forestière. Après l’exécution pour homicide volontaire de cinq des seize fils de Farin Kaman Camara, celui-ci, après cette difficile épreuve d’équité et de rigueur pénible de la loi et du bon exemple du chef impartiale, crut réaliste de sauver les onze fils restants afin que ceux-ci ne subissent pas le même sort que les cinq délinquants ou criminels en enfreignant, les jours, les mois et les années à venir, les lois que lui-même avait conçues avec le consensus de toute la communauté de Moussadou. Meurtri par cette perte de cinq de ses fils, le vieux roi manifesta le désir raccrocher, d’abdiquer de se retirer de la vie publique ou du commandement pour rejoindre le vieux Mandingue, pays de ses ancêtres. Il quitta donc Moussadou en ne laissant à personne, à notre connaissance, la garde de la corne protectrice, source de bonheur, de prestige, mais aussi de conflits et de division de la famille. Car sa possession l’avait opposé à ses autres frères qui étaient déterminés de l’éliminer physiquement pour récupérer la fameuse corne. Il aurait atteint la ville de Kankan où la légende du Konya le donne mort par noyade dans la mare sacrée et mystérieuse de Salamanida. Il y aurait laissé une nombreuse progéniture qui constitue de nos jours un important clan de la grande métropole Mandingue. Mais avant de quitter Moussadou, Farin Kaman Camara prit soin de répartir ses onze fils rescapés en deux groupes et leur ordonna de quitter tous ce berceau des Camara pour d’autres contrées. Ainsi, par cette précaution, ceux-ci seraient à l’abri des rigueurs de son code pénal et des lois coraniques qui venaient renforcer celles en vigueur à Moussadou dont-il était le promoteur. En tout cas l’histoire du Konya le reconnaît comme un législateur et un souverain justicier irréprochable et éclairé. Fandyara Camara était le premier fils de Farin Kaman et Fassoudian Camara le deuxième. Ce fut sur ceux-là que les devins mirent les espoirs de Farin Kaman. C’était donc entre eux que devaient être partagés les neufs autres 351


fils restants. Ceux confiés à Fandyara étaient au nombre de quatre, les cinq autres revenaient à Fassoudian. A - LE CLAN FANDYARASI COMPREND: 1) - Fandyara Camara (lui-même) 2) - Kounoun Misa Camara 3) - Samoyen Camara 4) - Séiman Fila Camara 5) - Fin Séméné Camara B - LE CLAN FASSOUDIANSI COMPREND: 1) - Fassoudian Camara (lui-même) 2) - Famoé Camara 3) - Farima Oy Camara 4) - Monson Guila Camara 5) - Cé Birama Camara 6) - Fin Birama Camara Maintenant, examinons grosso modo les familles dans leur extension dans tout l’actuel Konya (Beyla, Kérouané, Macenta...) et au Libéria. A - OCCUPATION TERRITORIALE DU CLAN FANDYARASI 1) - Fandyara Camara dont l’histoire des descendants fera l’objet d’une étude spéciale dans la suite de cet ouvrage, notamment dans l’histoire de Damaro et du Simandou (Beyla). Ce patriarche sera essentiellement le fil conducteur de nos travaux de recherches. 2) - Kounon Misa Camara dont les descendants sont à: a) - Gbakédou (canton de Gouana ou Gbana, Beyla) b) - Wanino (canton de Guirila, Beyla, Guinée) c) - Simisadou (canton de Guirila, Beyla, Guinée) 3) - Samoyen dont les descendants sont dans les cantons de: a) - Gouana (Gbana, cercle de Beyla, Guinée) b) - Mahana (cercle de Beyla, Guinée) c) - Kossa-Guèrzé (cercle de Beyla, Guinée) d) - Karagoua ou Karagba (village de Moribadougou, Beyla) e) - Karagoua (village de Kabadiandougou, cercle de Beyla) Tous ces cantons sont situés dans l’ancien cercle de Beyla (Guinée). 4) - Séiman Fila Camara dont les descendants sont à: a) - Konokoro-Malinké (cercle de Macenta, Guinée) b) - Koadou (cercle de Macenta, Guinée) 352


c) - Kòòdou (cercle de Macenta, Guinée) d) - Douama (cercle de Macenta, Guinée) e) - Kolibirama (cercle de Macenta, Guinée) f) - Gboni (République du Libéria) 5) - Fin Seméné Camara dont les descendants sont dans les cantons de Konyanko et de Kérouané (cercle de Beyla, Guinée) et dans le Mandou (cercle de Macenta). B) - OCCUPATION TERRITORIALE DU CLAN FASSOUDIANSI = FASSOUSI 1) - Quant à Fassoudian Camara, il eut quatre fils qui étaient: a) - Fafandian Camara b) - Fafan Camara c) - Fafoin Camara d) - Fafanyan Camara Leurs descendants constituent les Camara du canton de Guirila et des régions environnantes (Beyla, Guinée). Certains traditionalistes reconnaissent aussi comme fils de Fassoudian: a) - Cé Touman Camara b) - Man Camara c) - Findya Camara Tous ceux-ci ont leurs descendants dans le canton de Guirila (cercle de Beyla). 2) - Famoé Camara dont les descendants sont à: a) - Karatakoro (canton de Simandou, cercle de Beyla) b) - Dyaboïdou (canton de Gurila, cercle de Beyla) c) - Famoéla (canton de Konokoro, cercle de Macenta) 3) - Farima Oy Camara dont les descendants sont dans les villages de: a) - Doussou-Foila, village jadis situé près de Diakolidougou, aujourd’hui disparu b) - Fassoudougou (cercle de Beyla, canton de Mahana) 4) - Monson Guila Camara dont les descendants sont dans les villages de: a) - Konsankoro (canton de Kérouané, cercle de Beyla) b) - Kouroundou (canton de Guirila, près de Sinko, cercle de Beyla) c) - Moribadou (canton de Mahana, cercle de Beyla) 5) - Cé Birama Camara dont les descendants sont à Méékoun, dans le canton de Kérouané, cercle de Beyla, Guinée. Il eut cinq fils qui étaient: a) - Basséry Kaman Camara b) - Filani Fabou Camara c) - Cé Touman Camara 353


d) - Gnantouman Camara, créateur de Gnantoumandou e) - Komo Oro Les villages de Kérouané, Matignèballadou, Mandou (ancien cercle de Beyla) et le canton de Kolibirama-Malinké (cercle de Macenta) sont habités par les descendants de Cé Birama (les Cé-Biramasi). 6) - Fin Bilama Camara eut ses descendants à Gbolofassala, village qu’il créa entre Nionsomoridou et Diakolidou (cercle de Beyla). Gbolofassala est aujourd’hui un village abandonné. Tous ses habitants ont démenagé qui à Yèntèdougou (canton de Simandou, Beyla), qui à Kamandougou (Simandougou, Beyla). Ses fils étaient: a) - Sinèfing Camara qui résida à Gbabadougou, village abandonné de nos jours. b) - Sinégbè Camara à Yèntèdougou (canton de Simandougou, cercle de Beyla). c) - Djigbèma Camara, village de Banko ou village du refus ou des rebelles (canton de Boussé ou Bouzié, cercle de Macenta, Guinée). d) - Zia Gbéni Camara à Gbétédougou, près de Koréla (cercle de Beyla). e) - Cé Mori Camara à Moïdougou et à Kouankan (Macenta). Une partie de ses descendants vint à Kouankan (Macenta) et le reste évolua jusqu’au Libéria où elle constitue de nos jours une puissante famille de Camara dans le district de Gboni. Plus tard, Moussadou, hormis les Camara qui détenaient jadis le pouvoir politique administratif et judiciaire, allait compter une douzaine de clans différents de celui des Camara. Ces familles, bien qu’ayant à l’origine une certaine affinité entre elles, présentent aujourd’hui des scissions qui font que ces douze clans comprennent: - Les Kamè ou Kourouma ou Doumbia qui sont les fondateurs de Moussadou - Les Doré qui s’identifient aux Soumahoro et vice versa - Les Sagno - Les Kaba ou Diakité - Les Donzo ou Fofana - Les Oué ou Cissé - Les Koéssia ou Soumahoro ou Doré - Les Bérété - Les Dioubaté - Les Chérif (Séréfou ou Haïdara) - Les Doukouré - Les Kané

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Ces différents clans se sont séparés à Moussadou et forment aujourd’hui les principaux centres humains du Konya (Beyla, Macenta...). Avant de partir vers Kankan, direction du Mandingue, Farin Kaman procéda à la fin du XVème siècle ou au début du XVIème siècle à l’organisation administrative et judiciaire des régions soumises à son autorité. En effet, Farin Kaman Camara voulut retourner au Manden (Mandingue), le pays de ses aïeux. Mais, après avoir vidé le sanctuaire de Moussadou de ses descendants, il aurait avons-nous dit plus haut - sur le chemin de retour au Mandingue, séjourné à Kankan, sans laisser de postérité dans cette localité, contrairement à d’autres sources qui soutiennent qu’il y aurait faits des enfants dont cerrains constituent aujourd’hui une des composantes du clan Camara de la grande métropole mandingue. Par contre la tradition orale du Konya retient et soutient que ce patriarche avait entretenu de très bonnes relations avec le clan Camara de Kankan qui s’y trouve, à telle enseigne que ces Camara Maninka-Mory entretiennent encore de solides relations fraternelles avec les Camara de la Guinée Forestière (Beyla, Macenta), notamment avec ceux de Damaro (canton de Simandou, Beyla). Jusqu’à l’indépendance de la Guinée en 1958, chaque fois qu’il y avait un décès d’une grande notabilité de part et d’autre du Milo, de fortes délégations venaient présenter les condoléances d’usages ici ou là. L’histoire locale de Kankan retient aussi que les vestiges rappelant le séjour du patriarche Farin Kaman Camara, symbolisés par un tas de pierres, se trouvaient à Salamanida. C’est en 1946 que El Hadj Morioulèn Kantara démolit ce monument pour construire en lieu et place une école MEDERSA. Voici un autre pan d’ombre de l’histoire qu’il faut élucider sur le terrain surtout en ce qui concerne sa descendance dans cette métropole mandingue, la jonction précise ou le point de greffage des Camara de Kankan, important clan, sur l’arbre généalogique général des Camara de la Guinée. La fin de Farin Kaman Camara reste très mystérieuse. La tradition orale nous rapporte plusieurs versions évidemment contradictoires. La plus répandue nous dit qu’il se serait volontairement noyé ou aurait disparu dans la mare de Salamanida, située à deux kilomètres du centre de la ville de Kankan, pour des raisons que nous ignorons et qui restent à déterminer. Nous perdons avec lui les traces de la fameuse corne génératrice de bonheur, de puissance, de rayonnement et de prospérité et qui fut l’objet du grand et profond conflit qui scinda les descendants de Dioman Camara en deux grands lignages: - Les Diomandé de la Côte d’Ivoire. - Les Camara de la Guinée Forestière et du Libéria. Mais les deux lignages s’appellent indifféremment Camara ou Diomandé. La conservation de cette corne avait nécessité le départ de Farin Kaman Camara de Diémou et du Maou (Côte d’Ivoire) pour Moussadou, dans la région de Beyla (Guinée Forestière). De nos jours ce grand et grave conflit fratricide qui a jadis

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opposé les Camara de Guinée aux Diomandé de la Côte d’Ivoire, qui sont deux lignages issus du patriarche Dioman Camara, est totalement dissipé. Douée d’une force occulte, cette corne assura effectivement la puissance, la prééminence, la prospérité et le rayonnement de Farin Kaman et de sa progéniture. La célébrité et le prestige de Farin Kaman Camara nous arrivent donc du tréfonds des ténèbres de l’histoire avec un éclat et une fraîcheur tels que la tradition magnifie encore cet ancêtre qui fut un grand organisateur, un administrateur habile, un justicier implacable et incorruptible dans le Konya et dans les autres régions forestières de la Guinée, de Côte d’Ivoire, du Libéria. Son seul nom est une référence d’unité et une évocation d’un passé célèbre qu’il faut sauver. Il est le symbole de l’unité de toutes les collectivités Camara ou Diomandé. Son nom Diomandé est très souvent scandé dans les salutations d’usage pour remercier un Camara ou un Diomandé pour un service rendu par lui, pour lui soutirer de l’argent ou obtenir de lui un privilège. Ses descendants ne sont certes pas fortunés matériellement, mais ils ont réussi à régner, à monopoliser le commandement, à s’assurer le pouvoir dans plusieurs régions de Guinée (Haute Guinée et Guinée Forestière), au Libéria et dans le Maou (Touba, Côte d’Ivoire) ainsi que dans le Worodougou (Côte d’Ivoire). Ils ont une prétention égocentrique démesurée du commandement (mansaya). Ils affirment qu’un Diomandé (Camara), si jeune soit-il, si pauvre soit-il, est respecté, écouté et suivi dans tout milieu où il se trouve. Par la force des choses ils sont toujours les meneurs (dyama ko latèè). Cet égocentrisme et cet orgueil sont conformes aux prédictions des devins et résultaient aussi des effets bénéfiques de la corne protectrice qui, depuis le XVème siècle, n’a cessé de protéger et d’imposer le clan Camara-Diomandé dans la région tout comme les retombées des mille sacrifices (wuru kelen saraka) faits par Farin Kaman Camara et exaucés par Dieu et l’esprit des ancêtres morts. Ainsi la parfaite union et la solidarité des différents lignages Camara confortent ce sentiment de grandeur, d’orgueil de prestige et de détenteur du commandement et de l’autorité (mansaya, fangatiiya, tontiiya, daradya...) plusieurs fois séculaire.

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CHAPITRE VI NOUVELLE DISPERSION DES CAMARA EN GUINÉE FORESTIÈRE ET AU LIBÉRIA MOUSSADOU DEVINT LE BERCEAU DES CAMARA DE LA GUINÉE FORESTIÈRE ET DU LIBÉRIA APRÈS L’ÉTAPE DU MAOU (CÔTE D’IVOIRE) Moussadou est le plus ancien et le plus important sanctuaire des Camara et Diomandé de la Guinée, du Libéria et de la Côte d’Ivoire. Si les migrations éloignent souvent les peuples de leur premier sanctuaire, les Camara ont gardé le cordon ombilical qui les relie au berceau de Moussadou (Beyla, Guinée) à telle enseigne qu’ils s’y rendent chaque fois qu’une cérémonie religieuse ou coutumière majeure y est organisée. Les uns et les autres en profitent pour rappeler les liens de fraternité plusieurs fois séculaires, et surtout le règne du roi éclairé, Farin Kaman Camara, le dénominateur commun des Camara de la Guinée Forestière et de Libéria appelés les Farinkamansi.

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Moussadou, premier berceau de la puissance des Camara en Guinée Forestière, devint le plus grand faubourg de la région à l’allure d’une ville ou d’une citée prospère et grouillante de monde. C’était aussi un lieu sacré pour les descendants de Farin Kaman Camara. Mais curieusement ceux-ci décidèrent de quitter ce sanctuaire, emportant avec eux l’héritage paternel dont un partage fut préalablement fait avant la grande séparation. Pour les besoins de l’histoire, il serait intéressant de connaître les raisons profondes de ce départ massif des Camara de Moussadou. Mais malheureusement nous ne pouvons que faire des hypothèses spéculatives, car nos informateurs n’ont pu nous éclairer ce pan d’ombre parmi tant d’autres. Cependant il faut retenir, pour le moment, que cette décision fut une invite du patriarche et souverain Farin Kaman qui ne voulut plus exposer ses onze autres fils à la mort, car cinq d’entre eux venaient de tomber sous le coup de la loi pénale. En effet, on constate que depuis le départ du vieux souverain, on ne trouve à Moussadou aucune concession appartenant aux Camara. Donc la consigne ordonnant l’abandon total de ce sanctuaire fut bien suivie, bien exécutée. Cet exode massif était-il en fait volontaire ou était-il motivé par un autre évènement insolite important qui reste à déterminer? Pour le moment le départ du patriarche Farin Kaman Camara pour le Manding peut-il être considéré comme la cause réelle et suffisante de l’abandon de Moussadou par sa nombreuse progéniture? Faut-il retenir aussi l’exécution des cinq fils de Farin 358


Kaman Camara comme mobile de ce départ? Pourtant les autres familles secondaires à l’époque, telles que les Kourouma ou Kamè ou Doumbia, les Doré ou Soumahoro, les Kané, les Bérété, les Chérif, les Kaba ou Diakité... y sont restées et sont les maîtres actuels de la cité. Moussadou, jadis aux dimensions d’une ville, est de nos jours réduit à quelques concessions. Mais il fut jadis une cité grouillante de monde et très prospère. En dépit de cette décadence, Moussadou est demeuré l’un des grands centres musulmans du Konya. Selon une récente enquête faite en 1994 à Moussadou par El Hadj Nouny Ibrahima Camara, fils et ancien secrétaire de Damaro Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage, cinq fils de Farin Kaman et un complice auraient tué un commerçant après avoir extorqué ses marchandises et autres biens. Cet acte était puni par la peine de mort. Pour donner l’exemple du justicier incorruptible et implacable et du Souverain équitable, Farin Kaman ordonna l’application rigoureuse de la loi. C’est ainsi que les cinq fils et leur complice considérés comme des criminels furent exécutés sur une grosse pierre qui est encore visible de nos jours (2014) à l’entrée principale de la majestueuse mosquée de Moussadou, selon la tradition orale locale. Mais cette place est indexée ou baptisée, à tort ou à raison, comme « PLACE DES MARTYRS » de Moussadou. Jusqu’à preuve du contraire, contentons-nous des conclusions de cette enquête faite lors de l’inauguration en 1994 de la majestueuse mosquée de Moussadou. De nos jours, en dépit parfois de leur éloignement et de leur longue absence dans la cité, depuis des siècles, les Camara sont pleinement associés à toutes les cérémonies importantes (sacrifices, funérailles...) organisées à Moussadou. Ils y viennent de toutes les contrées de la Guinée Forestière à ces différentes occasions. C’est ainsi qu’en tant que doyen des Camara de la région de Beyla (le Konya) que Djiguiba Camara, auteur du présent ouvrage et chef du canton de Simandou (Beyla) a présidé, en 1954, les cérémonies de pose de la première pierre de la mosquée actuelle moderne de Moussadou. Ceci constitue une reconnaissance permanente de l’autorité de Farin Kaman Camara, l’ancien maître de Moussadou et implicitement de celle de tous les Camara qui sont encore considérés comme les maîtres et les souverains de la cité. Ce fut aussi en raison des bons souvenirs du règne de leur ancêtre Farin Kaman et dont la mère Kéré Dama Kourouma était originaire de l’historique cité. C’est aussi pour les mêmes considérations historiques que l’honneur revint, en 1994, quarante ans après, à El Hadj Nouny Ibrahima Kalil Camara, fils de Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage et doyen à l’époque des chefs Camara de cantons du Konya (Beyla, Macenta...), de couper le ruban symbolique le jour de l’inauguration de la même mosquée. Il reçut, ce jour mémorable, avec solennité les clés de la mosquée des mains du sotii kèmòò en ces termes:

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« Kamaralu, ayi benba Farin Kaman le ka morilu kili ka bò fo Tumbuctu ka na silameya ladon Musadu kònò. » Ce qui se traduit par: « C’est bien votre ancêtre Farin Kaman Camara qui a introduit l´Islam à Moussadou en faisant venir des lettrés en arabe de Tombouctou. » « Damaro Diontan Djiguiba Camara, Farin Kaman bònsòn le ka Musadu misiri kaba fòlò la. » Ce qui signifie: « C´est son descendant Damaro Diontan Djiguiba Camara qui eut l´honneur de procéder à la pose de la première pierre de cette maison de Dieu en 1954. » « Kamaralu, alu la so konnyin fele. » (= « Voici la clef de la cité que votre ancêtre nous a confiée. ») « Musadu ko, ko ayi la misiri baara banna. » (= « Moussadou atteste que les travaux de votre mosquée sont terminés. ») « Diomandelu, ayi la misiri konnyin fele, alu ye a da lakan. » (= « Les Diomandé, prenez les clefs de votre mosquée et procédez à son ouverture... ») DIVISION FAMILIALE DES FILS DE FARIN KAMAN CAMARA Farin Kaman Camara eut seize fils à Moussadou dont cinq subirent la peine de mort pour des motifs que nous ignorons avec précision. Il semblerait, selon une version récente non vérifiée, que ces cinq fils auraient assassiné un marchand et pris ses biens. Cet acte criminel était puni par la peine capitale, selon le code pénal en vigueur dans la cite. Cette peine fut rigoureusement appliquée en cette circonstance. Pour Farin Kaman, personne n’est au-dessus de la loi. Il donna donc un exemple de fermeté, d’intégrité et de l’impartialité. Ainsi, il ne resta donc plus que onze fils qui donnèrent naissance à des clans très prospères en Guinée Forestière et au Libéria. Avant son départ pour le Manden (Manding), les devins prédirent un brillant avenir à Fandyara Camara et à Fassoudian Camara sur lesquels ils firent fonder tous les espoirs de Farin Kaman. Celui-ci, après avoir fait des sacrifices rituels visant à assurer à ses descendants le commandement, le rayonnement complet, répartit ses autres fils entres ces deux fils indiqués chargés par le destin d’assurer la pérennité de sa puissance et de son prestige dans le temps et dans l’espace. Pour la compréhension de ce qui va se passer, rappelons les principaux lignages des descendants de Farin Kaman qui vont bientôt se rendre maîtres de la quasi-totalité du Konya et d’une partie de la forêt.

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A) - FURENT PLACÉ SOUS LA TUTELLE DE FANDYARA CAMARA OU LES FANDYARASI 1) - Fandyara Camara, chef du clan. Pour obéir aux consignes de son père, Fandyara quitta Moussadou également et vint s’établir à Wanino, village situé à 6 km de Moussadou. 2) - Kounoun Misa Camara qui, devenu majeur, s’émancipa et vint s’installer à Gbakédou (canton de Gbana, cercle de Beyla, Guinée). Ses descendants s’établirent à Wanino et à Simisadougou (canton de Guirila, cercle de Beyla, Guinée). 3) - Samoyen Camara dont les descendants habitent de nos jours les cantons de Gbana, Mahana et une partie du Kossa-Guèrzé, les villages de Moribadougou, Kabandyadou (canton de Karagba, cercle de Deyla, Guinée). 4) - Séman Fila Camara dont les descendants, poussant une pointe vers la forêt, demeurent aujourd’hui dans les cantons de Koadou, Konokoro, Kolibirama-Malinké (cercle de Macenta, Guinée) et dans le district de Gboni (Libéria). 5) - Fin Séméné Camara dont les descendants sont dans le Mandou et dans le Kouninko ou Konyanko (Sibiribaro dit Looféro, Doumadou, Findou), région de Kérouané. B) - CEUX CONFIÉS À FASSOUDIAN ÉTAIENT 1°) - Fassoudian Camara: chef de ce clan FASSOUDIANSI. 2°) - Famoy Camara dont les descendants sont à Famoïla, Diaboîdou (cantons de Simandou et de Guirila, cercle de Beyla) et à Famoïla dans le canton de Konokoro-Malinké (cercle de Macenta). 3°) - Farima Oy Camara dont les descendants sont dans le Mahana, cercle de Beyla (village de Niaoulèndou). 4°) - Monzon Guila Camara dont les descendants sont dans les villages de Konsankoro, Bougoula... (canton de Kérouané, cercle de Beyla). 5°) - Cé Birama Camara dont les descendants sont dans les cantons de Kérouané et de Konyanko (cercle de Beyla), de Mandou (cercle de Macenta) et une partie dans le Koilibirama-Malinké (Macenta). 6°) - Fin Bilama dont les descendants sont dans le canton de Bouzié ou Boussé (cercle de Macenta). Ce partage fut ainsi fait de façon grosso modo avant la séparation générale à Moussadou. Auréoles des prérogatives de nobles et de chefs attachées à leur nom de famille (Camara ou Diomandé), les descendants de Farin Kaman allaient se multiplier et peupler les régions de la forêt et de la savane. C’est ce début de séparation et d’expansion que nous allons essayer de dégager. Nous essayerons de montrer aussi les liens de fixation de chaque branche avec les autochtones et avec les autres clans Camara. Cependant nous 361


réserverons une place spéciale à une documentation plus fournie sur les descendants de Fandyara Camara, notamment le clan qui a créé Damaro (canton de Simandou, cercle de Beyla, Guinée). Farin Kaman eut sept femmes qui lui firent toutes des enfants. Le tableau ci-dessous nous donne leur nom, la liste complète de leurs enfants et les villages crées par ceux-ci.

Dispersion des Camara descendant de Farin Kaman Camara de Moussadou vers le Simandou, au Nord-Ouest de Moussadou.

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EXPANSION DE LA PROGÉNITURE DE FARIN KAMAN CAMARA EN GUINÉE FORESTIÈRE ET AU LIBÉRIA ÉPOUSE DE FARIN KAMAN

FILS DE FARIN KAMAN

PETITS-FILS DE FARIN KAMAN

ARRIÈRE PETITSFILS DE FARIN KAMAN

VILLAGES CRÉÉS

CANTONS

CERCLE

KASSIA TRAORÉ Nous ignorons le nom de la mère de Kounoun Misa, mais la tradition affirme sans équivoque qu’elle était une des servantes de Kassian Traoré, mère de Fandyara

FANDYARA

FANTOUMAN Oulèn à OUANONIO

1 - Saou Oulèni 2 - Sonè Kaman 3 - Sonè Siman

Foundou Gbéradou a - Diomandou b - Damaro c - Diomandou d - Diarakindou e - Kassiadou Gberekan et Foila Dionsoba Kekouradou et Dyagbadou Kouroudou Oussoudou Linko Koyola

Simandou Simandou Simandou Simandou Simandou Simandou Simandou Guirila Guirila Simandou Konokoro Simandou Simandou Simandou Simandou

Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Macenta Beyla Beyla Beyla Beyla

1 – Séco 2 - Lanzé 3 - Gbangala 4 - Kèdian 5 - Macé Birama

Orono Banko Banko Banko Kakounino

Bouzié Bouzié Bpouzié Bouzié Bouzié

Macentta Macenta Macenta Macenta Macenta

2 - Fakourou---> Borédian \\ 1 - Seman Fila 2 - Ferin Semini 3 - Birama

Daro Karo Gbaou Kabadiandou Diako Biramadou et Gbakédou Simisadou

Koadou Koadou Koadou Guirila Guirila Gbana Gbana Guirila

Macenta Macenta Macenta Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla

Gbana

Beyla

Mahana

Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla

4 - Sonè Balla---> 5 - Tinsey 6 - Fatiribiri 7 - Sonè Oussou

SOSSO Camara

Kounoun Misa

Kaba Diara

4 - Kassian Diagba

Farima Dama

Kaissa

Samoyen

1 - Sirakoro Bana 2 - Diaman Oussou 3 - Bala 4 - Kesséry 5 - Falangbè Seiman Fila 1 - Kounoun Misa

a-?

Gbakédou

Kossa Guèrzé Karagoua Guirila

b-? c-?

Ouanino ?

Gurila Guirila

363


Fin Semènè

Farima

Fassoudian

Farima Dama

Famoé ------>

Wata

1 - FarimaOy 2 - Facinet

?

Ma Namin

Monzon Guila Cé Birama

Fin Bilama

2 - Séko (Soko) Cé Touman---->

1 - Fafanyan 2 - Fafan 3 - Fanfoin 4 - Fafagna 5 - Cé Touman 6 - Man 7 - Findia 1 - Birama 2 - Sani Misa 3 - Diéké 4 - Fassou 5 - Gbouroukourou 6 - Gouassey Fin Semènè 7 - Kaman 8 - Diara Diamori--->

Kerfala

? Koroyou Kabiyou Semenin Karo Birama Mami

Konokoro Konyanko Konyanko Konyanko Konyanko Konyanko Guirila Guirila Guirila Guirila Guirila Guirila Guirila Gurila Bouzié Gurila Ziama Ziama

Macenta Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Macenta Beyla Macenta Macenta

Karatakoro

Simandou

Beyla

Simandou Simandou Jadis près de Beyla Diagbamoridou Mahana Kobi Oulèndou Mahana Saa-Kéoulèndou Mahana Mangalo Près de Boola Kosankoro et Kérouané Bougoula Kérouané Doumadou Konyanko Sékamadou Simandou Banankoro Konyanko Diaradou Mandou 1 Matignebaladu Konyanko 2 Kanbaladou Konyanko 3 Gbèdou Konyanko 4 Konsankoro Konyanko 5 Fadou Kolibirama -Malinké Boussé Boussé Boussé Boussé Sinédou et Simandou Yèntèdou Simandou Bâkèdou Gboni

Beyla Beyla Beyla

Karatakoro Karatakoro Doussou Foila

Soko

1 - Diogbo 2 - Kéoulèn 3 - Sigbè ?

Yagbadou ? ? ? ? ? Sidikidou Sidikidou Sidikidou Sidikidou Moïssiadou Moissiadou Massoro Diaboïdou Famoéla Diaboïdou Kassanka Kassanka

?

1 - Bassery Kaman 2 - Filani Fabou 3 - Cé-Touman 4 - GnanTouman 5 - Komo-Oro

Sinèfing Sinégbè Djigbèma Ziagbélin Cé-Mori Famorigbè Facinet

364

Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Macenta

Beyla Beyla Libéria


365


GÉNÉALOGIE DES CAMARA DE GBERADOU (SIMANDOU, DAMARO KÉROUANÉ OU LES SONЀ-KAMANSI)

A

FARIN KAMAN CAMARA ( Moussadou-Beyla )

B C D1

D2

E1

E2

E3

D4

E4

F1

F2

F3

F4

G1

G2

G3

G4

H1

H2 I2

I3

J1

J2

J3

K2

K3

K4

F6

K5

I4 J4

K6

K7

K8

K5-1 K5-1-1 K1-1; K1-2; K2-1; K2-2; K2-3;

K2-2-1;

F5

H3

I1

K1

D3

K9

K10

K11

K12

K13

K14

K12-1 K12-1-1 K13-1

K14-1

K2-2-2; K2-3-1; K2-3-2;

K2-2-1-1;

K14-1-1; K14-1-2; K14-1-3; K14-1-4; K14-1-5; K14-1-6; K2-2-2-1; K2-2-2-2; K2-2-2-3;

K13-1-1; K13-1-2; K13-1-3; K13-1-4; K13-1-5; K13-1-6; K13-1-7; K13-1-8; K13-1-9; K13-1-10 J13-1-4-1; K13-1-5-1; K13-1-6-1; K13-1-7-1; K13-1-8-1; K13-1-9; K13-1-10 Schéma conçu par: Daouda Damaro Camara Réalisé par: Issiaga Damaro Camara. Informaticien, fils de Massou Youssouf Damaro Camara

366


LÉGENDE DE LA GÉNÉALOGIE DES CAMARA DE GBERADOU (SIMANDOU-DAMARO)

A = Farin Kaman (Moussadou, ancêtre des Camara de la Guinée Forestière et Libéria) B = Fandyara (fils de A et père de C) C = Fantouman Oulèn (créateur de gbènzen, première monnaie en fer de la Guinée Forestière, fils de B) D1 = Soné Balla (troisième fils de C, fondateur de Foila Dionsoba près de Lanceïdou) D2 = SONÈ KAMAN (l’aîné de C, fondateur de Gbéradou canton de Simandou au XVIIème siècle.) (Torigbèbaladou, Sirimoridou, Monodala, Lancéidou, Brèssokan…) D3 = Sonè Oussou (benjamin de C, vint de Sondou pour créer Oussoudou) D4 = SONÈ SIMAN (deuxième fils de C, branche des Camara Simandou-Damaro) E1 = Fakorogbè (fils de D2, village de Beressokan et Koyalo) E2 = Faté Souman (fils de D2) E3 = Founou Waani (fils de D2, village de Kessédiaradou et Manakoro) E4 = Fakamisa (fils de D2, village de Kamissadou) F1 = Fasiri Mory (fils de E2, Sirimoridou) F2 = Fagbéra (fils de E2, village de Fandou et Sakidou) F3 = FAFOUNOU GNAKORO (fils de E2, Monodala) F4 = Kessérigbè (fils de E2, Doussoumoridou) F5 = Kessérifing (fils de E2, Tinibakoro) F6 = Nan Kaman (fils de E2) G1 = Gnamayaran (fils de F3) G2 = Gnamayaran Kaman (fils de F3) G3 = TORIGBÉ BALLA ou TORIGBÉ OUSSOU (fils de F3, vint de Monodala pour fonder Torigbèballadou) G4 = Torigbè Diarra (fils de F3, Monodala) H1 = Farima Fila Vamoro (fils de G3) 367


H2 = Dagbè Touré Balla (fils de G3) H3 = Kagbè Sinè (fils de G3) I1 = Yantè (fils de H1) I2 = Saa Séthou dit Saa Oussou (fils de H1) I3 = Natooman Zoumana (fils de H1) I4 = Kooba Sinè (fils de H1)

J1 = GBANKOUNO SAADJI CAMARA dit GBANKOUNO SAADJI DIOMANDÉ (célèbre roi Diomandé exécuté par Samory en novembre 1883 après neuf mois de résistance et de siège. Fils de G3) J2 = Saa Fassou (fils de H1) J3 = Ténimba Bignè (fils de H1) J4 = Diawani Sinè (fils de H1) K1 = Kagbè Sidiki (fils de J1, exilé à Siguiri par SAMORY et mort en 1956) K2 = Mamùadou Diomandé dit Moussa Diarra (fils de J1, ancien Garde de Cercle, mort en Ferkessédougou, Côte d’Ivoire) K3 = Lanciné Camara (fils de J1, mort à Ferkessédougou vers 1962 où il avait rejoint son père) K4 = Facinè Oulèn (fils de J1) K5 = Kagbè Séydou Camara (dernier fils de J1 [GBANKOUNA SAADJI], mort en 1960 à Torigbèballadou) K6 = Namina Séthou (fils de J1) K7 = Namina Djnigui (fils de J1) K8 = Masséré Soko (fils de J1) K9 = Tignè Mori (fils de J1) K10 = Namory (fils de J1) K11 = KANFING FÉRÉ (fils aîné de J1 = Gbankouno Saadji. Exécuté en même temps que son père par SAMORY en 1883 pour outrage audacieux et propos irrévérencieux publiques à l’endroit l’Empereur vainqueur alors qu’il était ligoté, les mains au dos, face à ses bourreaux.) 368


K12 = Torigbè Morikè Mamadou (fils de J1) K13 = Sirakoro Boï (fils de J1) K14 = Fatouma Kéoulèn (fils de J1) K1-1 = Lamine Camara (fils de K1, à Siguiri ville, résidait à Abidjan en 1964) K1-2 = Ousmane Camara (fils de K1, résidait à Bouaké 20 ans en 1984) K2-1 = Adama Camara (fils de K2, mort en 1985 à Dimbokoro sans postérité) K2-2 = Youssouf Camara (fils de K2, infirmier, mort en 1960 à Dimbokoro, Côte d’Ivoire) K2-3 = Bakary Camara (fils de K2, vivait en 1985 à Bouaké, Côte d’Ivoire) K2-2-1= Saadji Camara (fils de K2-2) K2-2-2 = Moussa Camara (fils de K2-2) K2-2-1-1 = Youssouf Camara (fils de K2-2-1) K2-2-2-1 = Brahima Camara (fils de K2-2-2) K2-2-2-2 = Sidiki Camara (fils de K2-2-2) K2-2-2-3 = Youssouf Camara (fils de K2-2-2) K2-3-1 = Yakhouba Camara (fils de K2-3) K2-3-2 = Mamadou Camara (fils de K2-3) K5-1 = Kèlètigui Camara (fils de K5) K5-1-1 = Dagbè Lacinè (fils de K5-1) K12-1 = Koya Fassou (fils de K12) K12-1-1 = Sira Sékou (fils de K12-1) K13-1 = Morigbè Oulèn Camara (fils de K13) K13-1-1 = Massabory (fils de K13-1) K13-1-2 = Facinè (fils de K13-1) K13-1-3 = Sinè Mory (fils de K13-1) K13-1-4 = Dyogbo (fils de K13-1) 369


K13-1-5 = Gouassé (fils de K13-1) K13-1-6 = Brahima Oulèn (fils de K13-1) K13-1-7 = Siamoro Oulèn (fils de K13-1) K13-1-8 = Mamadi Oulèn (fils de K13-1) K13-1-9 = Kora Morou (fils de K13-1) K13-1-10 = Kassia Oulèn (fils de K13-1) K14-1 = FAMO CAMARA (fils de K14, ex-gouverneur de la région de Kissidougou. Limogé pour esprit de sédition et manque de respect à l’endroit au Ministre de la Défense Nationale de Guinée, le Général Lansana Diané, lors d’un conflit avec ses administrés de Kissidougou. Il est mort à Conakry en 1985 dans un état de dénuement total. Le Président Sékou Touré l’accusa de velléité de vengeance de son grand-père Gbankouno Saadji Camara, roi du Konya, exécuté en 1883 par l’Almamy Samory Touré, arrière-grand-père maternel de Sékou Touré, après huit mois de siège meurtrie.) K14-1-1 = Sékou (fils de K14-1) K14-1-2 = Laye (fils de K14-1) K14-1-3 = Lansana (fils de K14-1) K14-1-4 = Kalilou (fils de K14-1) K14-1-5 = Youssouf (fils de K14-1) K14-1-6 = Lansana (fils de K14-1)

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ARBRE GÉNÉALOGIQUE DES CAMARA DE BAMADOU (LINKO, OUSSOUDOU, KIGNEKO, KOYOLA DANS LE SIMANDOU) À PARTIR DE FARIN KAMAN (MOUSSADOU) Farin Kaman Fan Dyarra Fantouman Oulin

Sonè Kaman 1er fils et ancêtre des Camara de Gbéradou

Sonè Siman 2ème fils et ancêtre des Camara de Simandou-Damaro

Fran Moriba

Sonè Oussou 4ème fils qui serait venu de Sondou pour créer Oussoudou dans SimandouBeyla

Sonè Balla 3ème fils, fondateur de Foila Diossoba, village jadis situé entre Torigbèballadou, Sanakoroni et Lanceidou

Fa Kessory

Fassirigbè

Fondateur de Missiridou descendance à Oussoudou Linko, Kignèko Koyola

Descendance à Oussoudou Simandou-Beyla

Fondateur de Linko Simandou-Beyla

Lawania

Tiranké Mory

Massabory Camara

Village situé dans la S/P de Soromaya P/Kérouané, origine des Camara Kouranko et Camara marabouts de Kankan

Farima Kissè

Massabory dit Linko Amara Ancien Commendant de Gbenkouno Sâadji devenu chef de canton de Bamadou. À l’annexion de Bamadou au Simandou, il fut révoqué au profit de Damaro Djiguiba Camara, chef de canton de Simandou et auteur du présent ouvrage. Il eut plusieurs fils. Ses descendants résident essentiellement à Linko où ils détiennent toujours le pouvoir coutumier. Nous retenons arbitrairement deux d’entre eux.

Borè Bréma

Tirenké Mory

Fatouma Sidiki

Mamadou Diomandé (Docteur en pharmacopée, résidait en 2014 aux USA)

Sogbè Bréma Bangaly Diomandé

371

Valy Diomandé

N.B : Renseignements fournis par en 1985 par Manifing MORIFING Camara, fils de Borê Bréma. Il résidait à l´époque à Linko (P/Kérouané).


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LES IMAGES DE QUELQUES MERVEILLES DE SIBY (RÉPUBLIQUE DU MALI) REALISÉES PENDANT LA RENCONTRE INTERNATIONALE DES CAMARA DU 9 AU 11 JUILLET 2021 À SIBY (LE BERCEAU DES CAMARA) PAR LE PHOTOGRAPHE-CAMERAMAN AMARA DAMARO CAMARA

Une fresque imaginée de KAMANDIAN CAMARA, le roi de Sibi (Mali) qui fut l’initiateur de la première réunion des Mandenka au XIIIème siècle pour libérer le Mandingue assujetti par le redouté tyran Soumaoro Kanté, roi du Sosso. À l’issue d’une série de réunions, la première constitution ou « LOI FONDAMENTALE » consensuelle fut conçue et adoptée pour réguler et gérer harmonieusement le Mandingue après la destruction du joug de Soumaoro Kanté.

373


L’arche de KAMANDIAN CAMARA, roi de Sibi, fait partie des merveilles naturelles de Sibi (République du Mali). Selon une légende populaire dans les pays mandingues, ce fut au cours d’une poursuite acharnée des ennemis venus, agresser son paisible royaume, que Kamandian Camara (1200-1235) fit une démonstration de sa force herculéenne et de son pouvoir mystique et mythique. Ce jour-là, dans un élan de rage inconsolable, et pour laver l’affront subi, il se lança à la poursuite des assaillants venus agresser sa cité et qui s’étaient retirés derrière le mont après l’attaque. Il voulait aller très vite en besogne en traquant spontanément les assaillants. Sa fougue était telle qu’il voulait bousculer ou balayer la montagne qui se dressait devant lui. Ce fut ainsi que, dans sa fougue, il tira une flèche mythique ou mystérieuse puisée dans son carquois, sur la montagne qui s’ébranla, s’éventra miraculeusement en se laissant traverser, par un trou, tant le choc était violent. Une autre version moins crédible, dit qu’il perfora la montagne à l’aide d’une houe ou d’un coupe-coupe qui sont deux instruments inappropriés pour des impacts d’une telle envergure ou pour réaliser un tel travail ou un tel exploit. La flèche, après avoir traversé la montagne en y laissant un orifice béant aurait continué son envol pour aller tomber à BOKORO (Kouroussa-Guinée qui est situé à plus de 300 km de Siby). À Bokoro, elle est l’objet d’une attention particulière et ses conservateurs l’adorent avec circonspection comme une divinité et la considèrent comme une legs ancestral précieux et un don de Dieu. Kamandian avait lui-même agrandi ce trou. Mais ses dimensions actuelles sont l’œuvre de tous les Camara qui y viennent souvent en pèlerinage pour solliciter les faveurs de l’ancêtre mythique et implorer la protection des esprits du lieu. Fidèles à l’esprit d’entente et de consolidation des liens fraternels de tous les Mandenka, notamment les Camara, et dans le souci de renforcer l’union, la concorde des Camara dans le monde entier, une « RENCONTRE INTERNATIONALE DES CAMARA » fut organisée à Siby du 9 au 11 juillet 2021. Dans les résolutions et recommandations écrites et verbales, l’accent fut mis sur l’entente, la fraternité réelle, l’amour sincère, la solidarité agissante dont doivent faire preuve tous les Camara les uns envers les autres, en tous les lieux et en tous les temps. Un grand sacrifice, accompagné de prières et de bénédictions, pour le bonheur et la promotion des Camara partout, fut fait. En outre il est formellement interdit aux Camara de se combattre et de nuire aux intérêts d’un Camara. 374


375


En marge de la réunion, un guérisseur a fait une démonstration de ses recettes sur le traitement des maladies tropicales.

376


Après la découverte de quelques merveilles naturelles de Siby, le berceau ou le sanctuaire des CAMARA, reprenons le film de leur histoire, notamment des Camara du Konya. Tel est, dans ses grandes lignes, le lignage de Farin Kaman Camara. Ses fils et ses petits-fils se dispersèrent dans les différents pays et provinces où se trouvent de nos jours ses descendants où tous ceux qui se réclament de lui. Nous aurions souhaité procéder de la même façon pour les différents clans (Koné, Traoré, Kourouma ou Doumbia, Cissé...) de manière à avoir une vue d’ensemble sur le peuplement des pays du Konya et d’ailleurs avant de passer à l’histoire proprement dite, c’est-à-dire la chronologie et l’analyse des évènements significatifs. Mais une telle étude générale est trop absorbante et nous aurait un peu éloignés de notre objectif prioritaire. Toutefois, ce travail n’est pas à rejeter, il reste à faire. Que d’autres historiens, sociologues... en fassent le leur. La version des faits que nous avons adoptée et qui a été puisée à la meilleure source même de notre passé peut comporter des erreurs, la tradition n’étant qu’orale. Mais nous avons la certitude que c’est elle qui se rapproche le plus de la réalité, surtout que nous avons procédé au regroupement objectif des différentes informations que nous avons recueillies. Nous avons essayé, chaque fois, de situer l’informateur, son clan, son village où son pays par rapport au 377


sujet traité afin d’éviter les déformations, les exagérations, les prises de position aveugles et passionnées. Ainsi nous n’avons jamais transcrit une information sans au préalable la contrôler par rapport à d’autres sources de même tendance et de tendances contradictoires. C’est par cette méthodologie que nous avons pu décanter les informations et faire un travail de synthèse. Ainsi nous pensons avoir trouvé la vérité ou en tout cas ce qui s’en rapproche le plus. FANTOUMAN OULÈN CAMARA, UN PETIT-FILS CÉLÈBRE DE FARIN KAMAN CAMARA FANTOUMAN OULÈN CAMARA (FILS AÎNÉ DE FANDYARA ET PETIT-FILS DE FARIN KAMAN CAMARA) QUI FUT: ■ LE CRÉATEUR DE L’INDUSTRIE DU FER AU XVIème SIÈCLE LE LONG DU MONT SIMANDOU POUR FABRIQUER DES OUTILLAGES AGRICOLES ET DES ARMES ■ ET DU GBÈNZÈN, LA PREMIÈRE MONNAIE LOCALE EN FER, QUI AVAIT COURS ENTRE LA SAVANE ET LA FORÊT DEPUIS LE XVIÈME SIÈCLE, JUSQU’À LA COLONISATION FRANÇAISE. Elle avait cours entre la savane (Simandou où elle était fabriquée) et la Guinée Forestière dans les années 1950. ----------o---------Farin Kaman fut un très grand organisateur dans le domaine de l’administration et de la justice. L’œuvre de son petit-fils Fantouman Oulèn se rapporte principalement au développement de l’industrie du fer et à la création d’une monnaie locale (le gbènzèn) pour faciliter les transactions commerciales entre les pays de la savane et ceux de la forêt. Nous allons donc traiter le rôle qu’il joua dans le développement de l’industrie du fer. Venus de Nérékoro, près de Moussadou où habitait son père Fandyara après Wanino, Fantouman Oulèn Camara alla à Télikoro (canton de Simandou, cercle de Beyla, Guinée), village situé au pied du pic de Tubin ou Tibet, faisant partie de la chaîne de montagne gbènzèn (mont Simandou) qui commence à Gbolonbani (cercle de N’Zérékoré, Guinée) jusqu’au-delà de Woronfoua (Sékamadou dans le Bamadou, canton de Simandou, cercle de Beyla, Guinée). Cette chaîne de montagne qui fait environ 112 km de long regorge d’une immense quantité de fer dont la teneur peut atteindre 70 à 80%, selon les géologues. Il s’agit donc de milliards de tonnes de fer qui ne manqueront pas un jour d’attiser la cupidité et les convoitises des industriels et des investisseurs. Tout d’abord, il créa le long du mont Simandou (Gbéîn) de nombreux villages de forgerons dont les principaux sont de nos jours: Banankoro, Farabaro 378


(disparu en 1956), Dianfòlòdou, Gbontodou... Ceux-ci se livrèrent à l’extraction à ciel ouvert du fer à l’aide de hauts fourneaux d’argile. Ce fer provenait donc de la fonte de blocs de cailloux ferreux qu’ils ramassaient, à ciel ouvert, sur le flanc est de la montagne. Le fer obtenu servait d’abord à fabriquer des outils agricoles (daba ou houe, hache, coupe-coupe, pioche). Plus tard, il entra dans la fabrication des armes (flèches, lances, sabres, des fusils et des balles) avec l’intensification des guerres tribales et la fréquence des invasions extérieures. Sécurité oblige! Pour faciliter les transactions commerciales, Fantouman Oulèn eut le mérite de créer une monnaie locale en fer appelée gbènzèn, et qui se fabriquait encore dans ces villages jusqu’en 1958 et avait cours dans le Simandou (Beyla) et dans la région forestière, surtout en pays Toma (Macenta). LE GBÈNZÈN OU LA PREMIÈRE MONNAIE LOCALE DU KONYA ET DE LA FORÊT GUINÉENNE Après la production du gbènzèn, des marchands l’achetaient ou le troquaient contre les denrées alimentaires, puis les forgerons, peu enclin à l’agriculture, le façonnaient pour les besoins locaux. On en exportait en zone forestière où il était de nouveau troqué contre l’huile de palme, la cola... Les artisans Toma et Guèrzé le transformaient en divers outils agricoles et en armes (fusils, flèches, sabres, couteaux...). Depuis l’expulsion des Toma du Simandou et des Guèrzé du Haut Konya, ceux-ci ainsi enclavés ou confinés dans une région inhospitalière, furent coupés de leurs anciennes sources d’approvisionnement en fer. Ils n’eurent d’autres choix que celui d’encourager et d’organiser le troc et surtout protéger les marchands de fer (gbènzèn). Ainsi, par cette transaction commerciale fructueuse facilitée par le gbènzèn, les échanges commerciaux purent se développer entre la forêt et la savane, notamment le Konya et le Simandou... Le gbènzèn est une tige de fer torsadée de 25 à 30 centimètres de longueur dont une extrémité est aplatie et l’autre terminée par un V assez ouvert. Fantouman Oulèn chargea, par la suite, ses fils Famoï Camara et Tinssey Camara de la diffusion de cette nouvelle monnaie dans la forêt et qui, progressivement, atteignit plus tard la côte atlantique. En 1958 le gbènzèn était usité dans presque toute la Guinée Forestière. Au début de l’occupation française l’impôt de capitation se payait aussi bien en nature qu’en gbènzèn. À la fin du XIXème siècle, 5 F CFA correspondaient à 10 gbènzèn, et ce cours était instable en raison des fluctuations que les circonstances lui faisaient subir. Le gbènzèn était certes lourd à transporter contrairement aux billets de banque, mais cela n’affectait nullement sa valeur transactionnelle ou monétaire dans les transactions commerciales. En raison de sa valeur référentielle, il avait néanmoins facilité les transactions commerciales en comblant un vide. 379


Le gbènzèn ou monnaie locale métallique fut créée au XVIème siècle par Fantouman Oulèn Camara. D’une longueur d’environ 25 à 30 cm, aplatie à une extrémité et formant un triangle isocèle à l’autre bout, il avait cours de la fin du XVIème siècle jusqu’au milieu du XXème siècle entre la savane (notamment le Simandou, le Konya) et la forêt guinéennes. Produit à partir des hauts fourneaux du mont Simandou, le gbènzèn servait de monnaie de change dans les transactions commerciales. Il était finalement transformé par les peuples forestiers (Toma, Guèrze, Mano, Kònò, Kissien, Libériens...) en armes et outils agricoles et permettait en échange aux Simandouka et aux Konyanka de ramener de la forêt de la colas, de l’huile de palme, des tissus en cotonnade bigarre. Il faut bien noter que le gbènzèn était produit non en zone forestière, mais provenait du fabuleux mont Simandou. Donc il faut remettre les choses en ordre et à leur. Le gbènzèn ftit bel et bien la création de Fantouman Oulèn Camara, le petit-fils de Farin Kaman Camara, le patriarche mythique des Camara du Konya et du Libéria. et non celle des Toma ou des Guèrzé qui le n’extrayaient pas du mont Simandou, mais qui l’obtenaient au termes de transactions commerciales avec les forgerons du Simandou et le transformaient en divers outillages agricoles et en armes.

En zone forestière, notamment chez les Toma, en plus de sa valeur monétaire, le gbènzèn avait une grande valeur rituelle. En effet, quand une grande personnalité mourrait loin du village et dont on ne pouvait transporter le corps pour l’inhumer au village, on remplaçait son corps par 380


une pièce de gbènzèn qu’on emballait avec circonspection et qu’on considérait comme le corps du défunt. Cette pièce de gbènzèn subissait une toilette funèbre appropriée. Ainsi emballée comme tel, cette pièce était escortée avec tous les soins possibles pour l’envoyer aisément au village où on l’accueillait avec tous les honneurs qu’on aurait accordé au corps physique du défunt. Puis on lui faisait tous les rituels appropriés avant de l’enterrer. Ainsi, on pense avoir transféré le corps d’un défunt au lieu souhaité pour son enterrement, d’un point A à un point B.

Feu El Hadj Nouny Karamo Camara, Président de l’Union Fakassia de Damaro, remet, en 2010, un exemplaire de gbènzèn au Professeur Mah Katy Doumbia de Bamako, fille aînée de feu Colonel Sékou Doumbia, lors de l’inauguration de la majestueuse mosquée de Damaro. On reconnaît sur la première ligne: Feu El Hadj Nouny Karamo Camara, Mah Katy Doumbia, Ministre Docteur Morikè Damaro Camara (en bazin bleu, futur Ministre de l’Enseignement Supérieur de Guinée, 2010-2013), El Hadj Daouda Damaro Camara (en blanc, votre serviteur ou facilitateur et conférencier), tout juste avant le journaliste Amara Damaro Camara (correspondant de la RTG à Siguiri, en bazin bleu) (photo de Watta Mamadi Camara, Damaro en 2010).

Nos armes, nos instruments de travail, nos outils agricoles étaient le produit du génie créateur de nos artisans, surtout dans le domaine de la technologie en général où ils ont souvent fait preuve de dextérité digne d’éloges. Pour avoir reproduit avec succès des articles manufacturés européens certains ont été sévèrement réprimés, pénalisés et souvent jetés en prison par l’administration coloniale française. Ce qui visait à saper le moral, l’intelligence et l’esprit de créativité des artisans. Ainsi, une politique d’aliénation culturelle, 381


technique, économique... et d’asservissement savamment orchestrée, annihilait vigoureusement toute affirmation intellectuelle du nègre qui était délibérément confiné dans un rôle de consommateur. Victime d’un profond complexe d’infériorité vis-à-vis du blanc, l’Africain était considéré trop mineur voire trop primitif pour accéder à la science. Les élèves et étudiants africains étaient orientés vers les études littéraires ou le droit au détriment des études scientifiques. Les techniciens africains étaient donc très peu nombreux. C’est ainsi qu’à l’École Pépinière William Ponty de Gorée, les meilleurs élèves étaient orientés vers l’enseignement et l’administration générale au détriment de l’enseignement technique et scientifique. Mais l’Europe a sans nulle doute connu les mêmes stades de développement que l’Afrique d’avant la colonisation. Elle a aussi connu et pratiqué la production artisanale des biens de consommation avant d’amorcer la phase industrielle de son développement. Étant donné que personne ne naît savant, que la science et la technique ne sont le monopole d’aucun peuple ni d’aucune nation et que l’intelligence, la raison, le sens du progrès, l’initiative créatrice, la capacité d’adaptation... ne sont l’apanage exclusif de personne, d’aucune nation ou d’aucune race. On ne doit donc pas refuser les acquis de la civilisation universelle et les qualités naturelles humaines élémentaires aux Africains, sauf par mauvaise foi ou par racisme. Sans la parenthèse et l’aliénation coloniales, nos artisans et autres chercheurs en tant qu’hommes ambitieux, aspirant légitimement aussi au bonheur, au bien-être matériel et moral, auraient sans doute dompté, plié et transformé la nature selon les exigences de leur société et celles des conditions de vie matérielle que toute société tend à améliorer tous les jours. EXAMEN DES DIVERSES DISPERSIONS FAMILIALES Toutes les dispersions claniques, tribales ou raciales, tous les mouvements migratoires obéissent aux mêmes raisons, aux mêmes mobiles qui sont les principes que l’histoire tente de dégager. Ce qui est vrai, c’est que toutes les familles et tous les clans que nous étudions ici s’enfuirent en direction du SudEst et du Sud-Ouest de l’actuelle Guinée, à partir du Nord. Les hommes, les familles et les clans, de proches en proches, par affinité, s’établissaient sur une nouvelle terre. Ils changeaient de résidence pour des raisons diverses. Parfois, quand des frères consanguins devaient séparer leur fortune ou l’héritage paternel ou ancestral, ils mettaient entre eux plusieurs jours de marche à pieds. Cet exode vers les régions du Sud, du Sud-Est, du Sud-Ouest s’explique, avons-nous dit, par des guerres tribales et fratricides qui ruinaient le pays et décimaient les populations. Les calamités naturelles comme la sécheresse, les maladies épidémiques, la pauvreté du sol, la superstition... furent aussi des facteurs de dépeuplement et de causes des mouvements migratoires.

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Indifféremment, l’aîné, le cadet et bien souvent le benjamin d’une famille allaient chercher asile dans une autre région, y prospéraient et certains de leurs enfants les quittaient à leur tour pour aller créer de nouveaux villages dans la même région ou ailleurs. Ces migrations étaient courantes. Tel était le processus des dispersions qui donnait naissance à des créations de nouveaux villages épars et prospères. Nous n’avons malheureusement pas pu démontrer aussi succinctement que possible, comme chez les Camara, le même processus de la migration des Kourouma ou Kamè ou Doumbia, qui sont les oncles des Camara, du moins de Farin Kaman Camara, l’aïeul des Camara. En effet, rappelons tout simplement que Kéré Dama Kourouma, était la mère de Farin Kaman Camara, l’ancêtre mythique des Camara de la Guinée Forestière et du Libéria, était Kourouma. Mais au fur et à mesure des besoins, nous montrerons sommairement les autres clans et familles s’établissant ici et là dans les différentes régions de la Guinée Forestière.

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CHAPITRE VII L’EXPANSION DES CAMARA DANS LE KONYA (BEYLA, KÉROUANÉ, MACENTA... ET AU LIBÉRIA) ----------o---------LES CAMARA DU KONYA (BEYLA, KÉROUANÉ, MACENTA... ET AU LIBÉRIA) Bien que répartis sur un vaste territoire allant de la Côte d’Ivoire au Libéria en passant par la Guinée, les Camara du Konya, dans leur essence même, se subdivisent actuellement en deux grandes branches ou lignages. I - Les Konsabasi ou descendants de Konsaba Camara dont ceux demeurés en Guinée, notamment dans le Gbeï (Beyla), sont restés Camara, et ceux qui se trouvent en Côte d’Ivoire (dans le Maou et Barala) portent le patronyme Diomandé (= Camara), mais signifiant fils de Dioman Camara. II - Les Farinkamansi englobent les descendants de Farin Kaman Camara qu’on rencontre essentiellement en Guinée Forestière et au Libéria. Moussadou étant leur sanctuaire. Ce clivage est né lors du conflit qui opposa les enfants de Fing Koyfing Camara à propos de la détention du legs ancestral, en l’occurrence une corne de bélier douée d’une force occulte et génératrice de bonheur, de prestige et de puissance. Toutefois, on remarquera de notables subdivisions chez les Camara de ces deux clans. DISPERSION Moussadou devint le sanctuaire vénéré des Camara. Cependant, conformément aux insistances de Farin Kaman Camara, leur ancêtre mythique, les descendants de Fandyara ne restèrent pas à Wanino, village trop rapproché de Moussadou. Ils se dispersèrent dans les régions avoisinantes ou lointaines comme nous l’avons dit plus haut dans la division familiale. C’est ainsi que Fantouman Oulèn, fils aîné de Fandyara, vint dans le Simandou (cercle de Beyla, Guinée).

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(A) - RÉCAPITULATION DES DESCENDANTS DE FARIN KAMAN CAMARA, LIGNÉE DE FANDYARA CAMARA (FANDYARASI), FILS AÎNÉ DE FARIN KAMAN CAMARA Canton de Koadou (Macenta mais venant de Djimindou, Simandou, Beyla)

Canton de Koadou (Macenta venant de Moussadou (Beyla)

Canton de Bouzié (Macenta) mais venant de Foundou et de Oussoudou (Simandou, Beyla)

▼ ▼ ▼ 1) - Famille venant 1) - Séman Fila, 1) - Famille de de Djimindou frère de Fandyara Kouankan et (Simandou-Beyla) venant de situé jadis à 12 km de Foundou Damaro et à 2 km de Sanankoroni 2) - Diataman, 2) Zindou (près de 2) - Simita village de Gbotodou Sèngbèdou, Kékoura Konokoro, Macenta) Macenta) (Kouankan, Macenta) 3) - Moriba Gbondo 3) - Zimo 3) - Diaka (village de Kaman Gnadignaro, près de (Kouankan) Bonkomadou, Macenta) 4) - Gboosso 4) - Zimo 4) - Kaman Camara (à la Morigbè Kéoukoura suppression de (changement de (Kouankan) Koadou-Malinké est chefferie en faveur rattaché à de la famille Bonkomadou, venant de Macenta) Moussadou) 5) - Kono 5) - Min Kaman Manfing Camara (Kouankan) (village de Oularo, Macenta, Konokoro) 6) - Min Diara 6) - Siagbè (village de Oularo, Kékoura et son puis création de frère Koutou Sèngbèdou, Kékoura Macenta) (Kouankan) 7) - Gbala (mourut chef) 8) - Sagbaba 385

District de Gboni Canton de (Libéria) venant Simandou de Kouan, (Beyla) Tambikola (Simandou, Beyla)

▼ 1) - Famille venant de Oussoudou (Kouan, Simandou)

▼ 1) - Sonè Siman

2) - Sifani Féré (village de Gbondaro)

2) - Founou Oussou

3) - Vaféré Koly

3) - Fakassia

4) - Kesséry

4) - Sosso Camara (co-fondateur de Damaro)

5) - Diarakoro

6) - Diarakoro Kéoulèn

7) - Gnaman Camara 8) - Fata Kéoulèn


9) - Sagba Diara, frère de Drobo Diara

Camara 9A) - Kèmè Brahima Camara, fils aîné de Fata Kéoulèn

10) - Kourani Mamadi

9B) - Diontan

Djiguiba Camara, 6è fils de Fata Kéoulèn, dernier Chef de Canton et auteur du présent ouvrage (Damaro, Beyla)

(B): RÉCAPITULATION DES DESCENDANTS DE FARIN KAMAN CAMARA (LES FANDYARASI) LIÉS À L’ADMINISTRATION COLONIALE DANS LES RÉGIONS DE BEYLA (KOUNINKO), MACENTA, MANDOU, KOLIBIRAMA-MALINKÉ, BOUSSÉ ET À GBONI (LIBÉRIA) (SUITE DE LA LIGNÉE DES FANDYARASI) Canton de Koadou (Macenta) venant de Matignèbaladou (Kérouané)

Kolibirama-Malinké (Macenta) venant de Matignèbaladou (Kérouané)

▼ 1°) - Fassou Camara créateur du village de Daro

▼ 1°) - Famille Mékoun (Kérouané)

Canton de Konyanko (Beyla) mais venant de Moussadou (Beyla)

Canton de Bouzié (Macenta) venant de Foundou et de Oussoudou (Simandou, Beyla) ▼ 1°) Gbâni Gbèma

▼ 1°) - Kessa Balla (village de Doumadou; changement de chefferie en faveur de Satary Siné Camara 2°) - Mougna Camara, 2°) - Samacé (village de 2°) - Satary Siné 2°) - Minsey Banko co-fondateur de Daro Matignèbaladou) Camara avec Fassou Camara 3°) - Gnalin Koly 3°) - Diasso Camara 3°) - Siné Bigné (village de Malogbanno Camara dans le KolibiramaMalinké, Macenta) 4°) - Gboun Yara 4°) - Sagba Camara, dernier chef de canton de Konyanko, mort en 1960 à Loféro dit Sibiribaro (Kérouané) 5°) - Soko Sidiki Camara, Inspecteur des Finances, mort en 1972 à Kindia (Guinée) dans un accident de circulation

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LE PAYS DU KONYA AVANT L’ARRIVÉE DES CAMARA La tradition orale retient que les Koné qui sont les premiers occupants Mandingues du Konya se rencontrent un peu partout dans ce pays. Ils sont mélangés à d’autres clans comme les Kourouma. Mais ils forment la majorité dans certains cantons dont: Béla-Faranah et Worodou (cercle de Beyla). Ils sont les premiers arrivés (dyatii). Les Camara arrivent bien après eux, s’infiltrent peu à peu, se fixent à côté des Koné, s’unissent à eux par le lien du mariage, s’imposent à eux, les supplanter et finissent par prendre le pouvoir à leur détriment dans plusieurs provinces ou cantons de la Guinée Forestière. L’HISTOIRE D’UNE FAMILLE CAMARA: LES CAMARA DE DAMARO ET DU SIMANDOU Fandyara mourut à Wanino (Beyla). Ses enfants et ses frères se dispersèrent. Toutefois, quelques fils restèrent à Wanino. Leurs descendants y demeurent encore de nos jours. Fantouman Oulèn, fils aîné de Fandyara, allant au Nord-Ouest, vint s’arrêter en face di pic de Toubin ou Tibet (point culminant du mont Simandou) dont le prolongement sépare Kérouané du Simandou. Il y créa Télibakoro. Il était d’ailleurs suivi par d’autres familles Camara unies à lui par les liens de la reconnaissance et de l’intérêt. Ce sont Fankoloni et les siens. De nos jours les descendants de Fankoloni Camara se rencontrent dans les villages de Mandou, Bouradou, Manabiri, Bossoko, Sondou (canton de Simandou, cercle de Beyla, Guinée). Sans nous écarter du fil conducteur de la présente étude historique, c’està-dire la lignée ascendante et descendante de Farin Kaman Camara, signalons que cette seconde famille Camara (Kolonina-kalu = Fankoloni = Fankolonisi) partage équitablement les prérogatives du pouvoir avec les descendants de Farin Kaman. Une partie de l’histoire de ce clan, relative au règne de Sondou Dyagbo Camara, sera traitée, plus loin, dans l’histoire de la guerre des chiens qui va secouer le Simandou en y créant un climat d’instabilité. Nous récapitulerons en fin de chapitre, dans un tableau général la généalogie des différentes familles Camara ou Diomandé de la Guinée et de la Côte d’Ivoire à partir des ancêtres du Mandingue. À présent, suivons les créations de villages, notamment dans le canton de Simandou (cercle de Beyla). PREMIÈRES FIXATIONS Fankoloni Camara qui était, avons-nous déjà dit, un Camara adhérant ou sympathisant (après son affranchissement) vint de Talibakoro créer le village de Sondou (canton de Simandou, Beyla) et y demeura. Totalement intégré au grand 387


clan Camara-Diomandé, avec toutes les prérogatives du commandement monopolisé par les Camara, on notera plus tard, au XIXème siècle, l’émergence de son petit-fils Sondou Dyagbo Camara comme un puissant chef local, avec évidemment la bénédiction de tous les Camara à l’exception de Gbankouno Saadji Camara, roi du Gbéradou et de Gbankouno, qui s’attaqua à lui par folie de grandeur, le vainquit et le supprima (voir guerre à propos de la viande de chien). Chemin faisant, les descendants de Fankoloni ont été pleinement intégrés dans la grande famille Camara descendant de Farin Kaman Camara et se trouvent de nos jours, outre Sondou, dans les villages suivants du canton de Simandou (Beyla): Mandou, Bouradou, Manabiri et Bossoko. Ils sont donc devenus des frères ou des partenaires à part entière. Une fraction aurait évolué vers le Nord de l’ancien canton de Simandou où certains se stabilisèrent à Woussoudou à la lisière du Bamadou, sans avoir la suprématie sur leurs frères Camara déjà maîtres de ces provinces et descendants de Sonè Oussou. Par ailleurs notons que Sonè Siman Camara, le troisième fils de Fantouman Oulèn Camara, préféra rester momentanément à Talikoro, avec la béndiction de son frère aîné Soné Kaman. Habile chasseur, il devait ravitailler régulièrement son frère aîné en viande de brousse, tandis que celui s’était solidement établi dans la province de Gbéradou. Mais la progéniture de Sonè Siman ne resta pas cantonnée dans ce village. C’est ainsi que certains de ses fils furent atteints par le virus de l’aventure et de la création de leur propre collectivité villageoise. À présent on verra les Camara s’infiltrer peu à peu, pacifiquement partout. Certains allèrent en région forestière, singulièrement sur les rives supérieures du Milo et du Diani, au Sud-Ouest (cantons actuels du Boussé ou Bouzié, du Konokoro... cercle de Macenta, Guinée) et d’autres atteignirent la République du Libéria (district de Gboni). Dans les deux cas de migration ils eurent à cohabiter pacifiquement au début avec les Toma, autochtones de ces régions forestières. Mais on verra par la suite que l’occupation de certaines régions tomas par les Malinké se fera par la force des armes. Ce qui créa parfois un état permanent de belligérance entre ces deux communautés (Malinké et Toma). Cette situation conflictuelle demeura très vivace jusqu’à la colonisation française qui réussit à neutraliser les deux puissances. D’autres Camara restèrent à l’intérieur du cercle de Beyla, notamment à l’Ouest où ils prospèrent très rapidement en s’imposant habilement aux premiers occupants du terroir, les Koné, très souvent par les liens sacrés du mariage. Mais notons que le recours aux armes ne fut pas exclu par ces Camara pour établir leur souveraineté dans certaines provinces comme on le verra plus loin. Founou Oussou Camara, fils aîné de Sonè Siman Camara, qui n’avait pas fondé de village, mourut à Diarakindou (canton de Simandou, cercle de Beyla), village crée par son fils Fandyarakin. Par ailleurs ses trois autres fils, 388


qui sont Faman, Fakassia et Soumadian, créèrent respectivement les villages de Diomandou, Kassiadou et Kissidou situés tous dans le canton de Simandou, cercle de Beyla (voir plus loin). CRÉATION DE VILLAGES CAMARA DANS L’ANCIEN CANTON DE SIMANDOU (CERCLE DE BEYLA) Des villages Camara allaient s’édifier partout, au grand étonnement des Koné. Ces descendants de Farin Kaman Camara qui étaient devenus les nouveaux maîtres du pays après qu’ils eurent expulsés dans la forêt les Toma et les Guèrzé qui étaient les premiers autochtones du canton de Simandou et d’une grande partie de l’ancien cercle de Beyla (Guinée). Tous les fils de Founou Oussou Camara fondèrent de nombreuses agglomérations plus ou moins importantes dans l’ancien canton de Simandou. C’est ainsi que: - Premier fils Faman Camara, créateur du village de Diomandou et les hameaux environnants. Ses descendants constituent de nos jours le clan Faman-si. - Deuxième fils Fakassia Camara créateur du village de Kassiadou (Simandou, Beyla). - Troisième fils Fandyarakin Camara créa à son tour le village de Diarakindou situé à quelques 4 km de Damaro (Beyla, Guinée). - Quatrième fils Soumadian Camara créa à son tour, avec les Diobaté, le village de Kissidou (canton de Simandou, cercle de Beyla) et quelques hameaux de culture qui l’environnent. Tous ces villages sont dans le canton de Simandou (cercle de Beyla, Guinée) constitué des provinces du Simandou, du Gbéradou, de Bamadou, de Séissoumala, de Banko-Samana. Nous accorderons une attention plus particulière à Fakassia Camara dont la descendance a été bénie par son grand frère Faman Camara. Nous constaterons, chemin faisant, que cette branche émergera nettement au milieu des autres lignées et deviendra plus intéressante puisque son histoire est étroitement liée à celle des Koné, de l’Almamy Samory Touré et des Français. Le lignage de Fakassia Camara sera le porte flambeau de la grande dynastie Camara ou Diomandé et le pôle d’attraction des autres principautés CamaraDiomandé de la Guinée Forestière, et singulièrement du Konya (Beyla). En plus de la lignée de Sonè Siman Camara, ancêtre des Sonè-Simansi et fondateur du Simandou originel, on trouve dans l’ex-canton du Simandou deux autres clans fraternels: - Sonè Kaman Camara, frère aîné de Sonè Siman, est le fondateur de la province Camara de Gbéradou qui englobe les villages de Torigbèballadou, Sirimoridou, Lancéïdou, Kamissadou, Monodala, Brèssokan, Sakidou... 389


- Sonè Siman était un grand chasseur de gibiers. En accord avec son grand frère Sonè Kaman, il obtint l’autorisation de son aîné d’aller s’installer à l’Ouest du Gbéradou, au pied du mont Gbeï (actuel mont Simandou) qui était une zone très giboyeuse. Bénéficiant des bénédictions de celui-ci, sa retraite fut très fructueuse, car il fit fortune et y prospéra comme on le verra. De-là, il approvisionnait régulièrement son grand frère en viande de brousse. Il finit par y fonder une province qui porta son nom (le SIMANDOU).

LES TOMBES DE SONÈ SIMAN CAMARA ET DE SONÈ KAMAN CAMARA À BRESSOKAN (SOUS-PREFECTURE DE DAMARO, P/KÉROUANÉ). Opération de défrichage de la broussaille qui a entièrement recouvert les deux tombes. Ici reposent les ancêtres: Sonè Kaman Camara, roi de Gbéradou, et son jeune frère Sonè Siman Camara, roi de Simandou ( Damaro). Le nom de Sonè Siman a donné naissance au nom « SIMANDOU » pour désigner toute cette contrée et qui signifie « Terre de Siman ».

À sa mort dans son Simandou natal, Sonè Siman Camara fut enterré, conformément à son testament, à côté de la tombe de son frère aîné Sonè Kaman Camara qui repose à Brèssokan (Simandou, Beyla). Les deux tombes sont encore visibles de nos jours. Elles sont matérialisées par des tas de cailloux et deux grosses bagues en fer qui ont pu résister aux intempéries et que les deux frères défunts portaient de leur vivant. 390


Ansoumane Camara Damaro dit Zico, qui a réalisé ces photos en 2020, se recueille sur la tombe de son aïeul Sonè Siman Camara après avoir débroussaillé les tombes. Nous lui sommes reconnaissants pour avoir réalisé cette mission et ces photos en 2020. Nous espérons et souhaitons qu’un jour des bonnes volontés vont s’investir dans la matérialisation et l’entretien de ces tombes sur lesquelles les générations futures pourront venir découvrir un pan de l’histoire du Simandou et y méditer. Malheureusement les progénitures de Sonè Kaman Camara et Sonè Siman Camara ne viennent plus, comme on le faisait avant, sur ces lieux, se recueillir sur ces deux tombes ancestrales sur lesquelles se trouvait une bague en argent qui a disparu. Nous espérons que leur descendance prendra un jour l’initiative de mieux matérialiser ces deux tombes en construisant une clôture de protection en ciment et en aménageant bien sûr l’accès.

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En ce temps-là, tout messager qui présentait l’une de ces deux bagues absolument identiques était crédible aux yeux de l’autre frère à qui il s’adressait. On ne pouvait se procurer une de ces deux bagues autrement qu’avec l’accord des propriétaires. Leurs descendants viennent se recueillir souvent sur leur tombe en y déposant des objets de sacrifices en implorant leurs faveurs et leurs bénédictions. Sonè Siman Camara a eu plus de chance que son frère aîné, car de par sa célébrité on donna à son nom Siman la contrée où il a habité et qui est à l’origine du nom du grand canton dénommé Simandou et plus tard à la chaîne de montagne le Mont Simandou, riche en minerai de fer qui fait 112 kilomètres de longueur. Ses descendants qui s’en glorifient et se sont cristallisés autour de Damaro. - Sonè Oussou Camara, leur frère cadet, avait quitté Sondou et Talikoro pour aller créer la province de Bamadou (pays de Bama ou caïman). Chasseur de son état, son frère Sonè Kaman aurait laissé une de ses jeunes femmes accompagner le benjamin de la famille pour lui préparer à manger. Celle-ci tomba en grossesse de son beau-frère. Heureusement, le mari, c’est-à-dire Sonè Kaman, n’en fit pas un scandale. Mieux, il permit même le mariage. Ainsi Sonè Oussou Camara créa le village d’Oussoudou ou « village créé par Oussou ». Ses descendants fondèrent plus tard Linko, Koyola... dans la province de Bamadou qui fut rattachée par l’administration coloniale au canton de Simandou (Damaro) sous l’autorité de Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage. - Saa Oulèni Camara fonda de son côté le village de Foundou (canton de Simandou, cercle de Beyla). Mais la majorité de ses descendants se trouve dans le Bouzié dont le chef-lieu est Kouankan dans la région de Macenta (Guinée). Selon les dernières informations, contestées dans certains milieux, Saa Oulèni serait le fils aîné de Fandyara. Si cela est vrai, la préséance du droit d’aînesse dans les assemblées des Camara du Simandou lui revient ipso facto et, voie de conséquence, à sa progéniture. LES ENFANTS DE FAKASSIA CAMARA Les enfants de Fakassia Camara sont: - Kassia Morou Camara qui créa Fâbadougou (Simandou). - Dyoro Camara qui créa Fankonifè (canton de Simandou), - Fafounou Gnakoro Camara créa Gnakorodou (canton de Simandou), Tous ces trois villages n’existent plus de nos jours. - Gnouma Oussou Camara co-fondateur de Damaro (Beyla). - Sosso Camara, le benjamin, qui fut lui aussi le co-fondateur du village de Damaro avec Gnouma Oussou Camara. Ils furent aidés par leur serviteur Saa Siaka Diabaté, un griot de Gbeïfè٫ que leurs oncles leur avaient donné en guise de serviteur et de conseiller.

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Du temps de Fakassia, il existait un village de Koné du nom de Gbeïfè qui a déménagé à Damaro et qui comptait en 1953 quelques 15 cases. Gbeïfè était situé à trois kilomètres de Damaro, au Nord. Deux jeunes filles qui seraient des sœurs paternelles y vivaient dans une entière communion de vie, à côté de leurs parents. Leur amitié exemplaire devint légendaire, un modèle qui inspira plusieurs personnes. Très intimes, elles prêtèrent serment d’unir leur destin, leur vie, de s’attacher à un même et unique mari, de fusionner tous leurs biens, toutes leurs misères, choses permises en ce temps puisqu’aucune loi coranique ne sanctionnait de tels desseins. N’est-ce par-là un destin curieux, ou bizarre?

LE MARIAGE INSOLITE ET CONTRE NATURE DE DEUX SŒURS PATERNELLES PAR LE MÊME HOMME: TIGNÈ GNOUMA KONÉ ET BOï NIALLÉ KONÉ Fakassia (voir arbre généalogique) alors chef de Kassiadou avait eu des enfants puissants. Bénéficiant du soutien des Kourouma, il demanda en mariage la main de Gnouma Koné, la plus âgée des deux sœurs amies qui résidaient à Gbeïfè. (1) La main lui fit accordée sans tarder. La longue procédure fut alors engagée et conclue très rapidement. Accompagnée chez son auguste mari, Gnouma Koné refusa systématiquement de consommer le mariage par esprit de fidélité au pacte conclu avec Boï Niallé Koné son amie ou sa sœur pour 393


d’autres. Elle fut battue et lynchée par son mari et ses parents. Mais sa résistance fut inflexible. Invitée par les sages à dire les raisons de son refus de s’offrir à son mari alors qu’elle était consentante au début, elle dévoila le serment qui la liait à sa sœur d’adoption. Certains crièrent au scandale, car une certaine tradition affirme qu’il s’agissait de deux sœurs paternelles, tandis que d’autres, majoritaires et plus sages, crurent bon de cautionner le désir paradoxale des deux filles-sœurs. Nous retenons le fait que les deux amies étaient deux sœurs paternelles qui ont décidé contre nature ou contre principe d’épouser le même homme, car c’est bien ce lien particulier qui a choqué la conscience des gens qui ont trouvé cette décision paradoxale et contraire aux mœurs d’alors. Ainsi le mariage de Niallé Koné fut noué avec Fakassia en dépit de quelques oppositions. Ainsi les deux filles se partagèrent alternativement les couches du mari commun dans une parfaite harmonie. Entre elles tout était commun, conformément à leur pacte. Et le destin ne les sépara jamais. Elles conçurent et accouchèrent simultanément chacune un garçon. Tignè Gnouma Koné donna naissance à Fassou dit Gnouma Oussou (Oussou par élision de Fa qui signifie père). Quant à Boï Niallé Koné, elle engendra Sosso Camara dit Niallé Sosso Camara. LA VIE DES DEUX ENFANTS Vivant ensemble la vie harmonieuse de leurs mères, les deux enfants apprirent à s’aimer à l’image de celles-ci. À l’âge de raison ils furent mis au courant du pacte qui unissait leurs mères. La connaissance de cette affinité, qui liait Gnouma et Niallé, et de ce secret renforça l’amitié qui existait entre les deux frères entre lesquels les deux mamans ne faisaient aucune distinction. Ils tétaient ensemble ou simultanément l’une ou l’autre. Malheureusement Tignè Gnouma Koné mourut prématurément. Ainsi Boï Niallé, la survivante des deux mères, des deux sœurs amies, devrait veiller sur les deux enfants. Et celle-ci ne fit aucune distinction entre les deux enfants qui étaient comme des jumeaux. Inséparables, ils s’aimaient sans borne et vivaient dans une parfaite harmonie, comme leurs deux mamans. LE SACRIFICE À l’époque, chaque famille régnante avait le souci d’assurer à ses fils la prospérité, le rayonnement, la puissance et la continuité de l’exercice de la chefferie en faisant des sacrifices rituels appropriés. Il s’agissait donc, pour Fakassia, de découvrir son fils qui serait apte à mieux diriger ou à faire rayonner la famille. 394


C’est ainsi que sur recommandation d’un devin, Fakassia tua un bouf, puis enfonça discrètement une bague en or dans la bouche de l’animal. La tête détachée ne fut pas dépecée. On la fit pilonner et marteler sur un rocher. Ainsi préparée, cette tête de bœuf ne devait être mangée nuitamment que par les seuls fils de Fakassia. Selon le devin qui avait conseillé ce sacrifice, le fils qui aurait trouvé le métal précieux en mangeant la viande serait le fils le plus puissant et le plus prestigieux de ses fils. Et la descendance de celui-ci aurait eu une nette ascendance et serait la lignée qui règnerait inéluctablement. Les cinq fils n’étaient au courant de rien. Seuls le savaient Fakassia et le devin. Mangeant avec les quatre autres frères dans une obscurité totale, Sosso Camara eut la chance de trouver la bague en or. Il crut tout d’abord à la présence d’un caillou. Il l’ôta de sa bouche et la mit dans sa main et sut alors qu’il s’agissait d’une bague. Puis, il la passa à son frère Gnouma Oussou qui la remit à son tour à leur père en prétextant que c’était un oubli de la part des cuisinières. Après le repas, Fakassia dévoila discrètement à ses deux fils ce qui en était, et cela dans une cour intérieure. Malheureusement, la femme favorite de Fakassia qui surprit la conversation réalisa alors l’importance du sacrifice. Elle piqua une crise de jalousie et révéla les propos et le dessein de son mari à ceux envers qui elle était redevable, c’est-à-dire les autres frères de Sosso et de Gnouma Oussou dont certains étaient ses fils et qu’elle voyait privés ou frustrés de tous les privilèges d’un avenir radieux. Alors Sosso et Gnouma Oussou furent pris en grippe par leurs frères aînés incités par leurs mères et leurs partisans. C’est la marâtre pernicieuse et cynique dont le genre abonde dans la tradition et même de nos jours dans les familles polygames. Elle met tout en œuvre pour briser l’ascension des enfants de ses coépouses, si elle ne peut les tuer, même quand ceux-ci sont des orphelins de mère ou de père. Les contes nous donnent des prototypes de marâtre méchante, hostile et égoïste et qui échoue toujours dans sa tentative d’imposer ses enfants au destin. Sous l’injonction de la marâtre favorite, un complot tendant à liquider physiquement Sosso Camara et Gnouma Oussou Camara fut ourdi par la coalition des frères aînés qui bénéficièrent de nombreux soutiens pour accomplir ce dessein cynique. Nous nous trouvons donc en face d’une aventure absolument identique à celle vécue par Farin Kaman Camara, l’ancêtre de Camara de la Guinée Forestière et du Libéria, qui fut menacé de mort par ses frères Camara du Konya (Beyla) et ceux du Maou (Touba, Côte d’Ivoire) à cause d’une corne fétiche (source de pouvoir, de prestige, de prospérité...) que lui avait laissée en héritage son père Fing Koyfing Camara (voir plus haut pour le dénouement de cette mésaventure). Pour échapper, Farin Kaman Camara fut obligé de fuir du Maou et de Diémou pour venir se mettre à l’abri à Moussadou (Beyla, Guinée) où son 395


oncle maternel le reçut. Il ne retourna plus au Maou (Côte d’Ivoire) ainsi que ses descendants. Comme quoi, parfois, l’histoire bégaie, ou récrée des circonstances ou des évènements semblables. C’est l’occasion d’expliquer ou de rappeler qu’à Damaro, les conseils de famille sont toujours présidés par les descendants de Gnouma Oussou. En plus ce sont eux qui font les bénédictions dans les différentes cérémonies damarois. Le droit d’aînesse y oblige. Pour éliminer physiquement Sosso Camara et Gnouma Oussou Camara, d’aucuns proposèrent l’empoisonnement et d’autres optèrent pour le guet-apens. La première proposition fut écartée en raison de sa lenteur et du fait que la tradition affirme que toute personne qui élimine son frère par la méthode du fétiche et du poison mourra dans la médiocrité ainsi que sa progéniture. On était en saison sèche, donc saison par excellence des grands feux de brousse et de la chasse collective. Une plaine particulièrement giboyeuse, non loin de Kassiadou et dont le brûlis donnait toujours lieu à une grande partie de chasse à laquelle tous les villageois voisins participaient, devait servir de lieu du crime odieux. L’assassinat des deux frères à coups de fusils était prévu au cours de ce feu de brousse précipitamment décidé. Et ce forfait odieux serait considéré comme un banal accident de chasse que les comploteurs auraient sans doute déploré par mauvaise foi ou pour ne pas laisser apparaître le dessous de leur masque de criminel. Mais par bonheur pour les deux enfants, leur père eut vent de ce complot et il prit des dispositions appropriées pour sauver les cibles en les mettant à l’abri ailleurs. Pour échapper à cette sourde haine de leurs frères, le vieux Fakassia conseilla discrètement à Sosso et Gnouma Oussou de s’enfuir clandestinement pour déjouer la malveillance de leurs frères consanguins et de leurs alliés. Comme fut Farin Kaman Camara pour Fing Koyfing Diomandé à Sianoh (Maou, Touba en Côte d’Ivoire), Fandyara Camara et Fassoudian Camara pour Farin Kaman Camara à Moussadou (Beyla, Guinée), Sosso Camara et Gnouma Oussou Camara étaient les espoirs de Fakassia Camara. Ils étaient indiqués par le destin et avaient la sublime mission d’assurer le rayonnement complet du clan Camara dans les régions qu’ils devraient subjuguer plus tard. Dans chacun de ces cas, les prévisions des devins se réalisèrent entièrement. LA FUITE DE GNOUMA OUSSOU ET DE SOSSO POUR ÉCHAPPER À UN COMPLOT FRATRICIDE VISANT À LES ASSASSINER Devant les menaces incessantes et la mauvaise humeur voire l’hostilité permanente de la coalition conspiratrice dirigée contre singulièrement Sosso Camara qui était plus vif d’esprit, plus intelligent, plus transcendant et particulièrement belliqueux, Gnouma Oussou, convaincu du bien-fondé des sages conseils de leur père, crut plus qu’opportun de prendre le large. Et il 396


entraîna son jeune frère Sosso dans sa fuite. Celui-ci, dans sa vivacité, semblait traduire ou confirmer les prévisions des devins. Les fugitifs étaient accompagnés dans leur retraite du griot Sakassia Diabaté (2) dont les descendants vivent maintenant à Damaro après avoir abandonné leur village d’origine Gbeïfè. Ils firent fortune ensemble après la création de Damaro comme on le verra. Quand on ne peut vaincre son ennemi on lui laisse le champ de bataille. Cette sagesse ou cette attitude est une stratégie habile et peut être considérée comme une lâcheté par certains extrémistes, mais il vaut mieux la considérer comme une attitude réaliste et sage ou une mesure de prudence qu’il faut observer, surtout quand le sort vous désigne pour remplir de hautes fonctions que d’autres convoitent en vain. Pour éviter le désastre, il vaut mieux reculer afin de mieux préparer une contre-attaque, plutôt que d’affronter l’ennemi qui a plus d’atouts que vous. Il vaut mieux éviter une bravoure suicidaire quand le rapport des forces est défavorable. Une fuite en avant pour une contre-attaque mieux préparée, mieux organisée est plus sage qu’une témérité suicidaire. Cette stratégie est plus payante. Le jour indiqué pour le feu de brousse, tout le monde s’arma pour la chasse, y compris les deux frères. On prit soin de leur indiquer leur poste de guet. Ceux-ci, accompagnés de leur griot Sakassia Diobaté prirent discrètement le large dans les hautes herbes pour échapper au guet-apens fatal qui les attendait. Évidemment les bourreaux furent très déçus de constater que leur cible s’était volatilisée dans la nature. Par Diarakindou, ils comptaient se rendre à Mòòyako (près de Diomandou, canton de Simandou, cercle de Beyla, Guinée), hameau qui dépendait de Faman Camara, leur oncle paternel. Mais à la hauteur de Diarakindou, le griot Sakassia Diobaté, leur compagnon de fortune, alla trouver Fandyarakin, l’oncle paternel des fuyards, et lui expliqua ce qui s’était passé. Pour retarder la marche des fugitifs, Fandyarakin trompa leur vigilance en allant planter la lance devant eux, sur la route de Diomandou, à l’orée du village de Diarakindou. En plus, il disposa des feuilles du Mana à travers la route qu’il est formellement interdit d’enjamber ou de contourner, au risque de rencontrer des malheurs, devant, sur la route, si on s’entête Selon la tradition c’était un obstacle qu’on ne pouvait ni franchir ni contourner. Aussitôt Famorifing, griot de Fandyarakin, fut dépêché de toute urgence auprès des fuyards. La promesse improvisée d’un sacrifice auquel des fils ou représentants de Fakassia devaient nécessairement assister obligea les deux frères fugitifs à temporiser à Diarakindou jusqu’à la fin des cérémonies imprévues. Ce sacrifice improvisé par Fandyarakin n’était en fait qu’un prétexte pour retarder la fuite de ses neveux. Ceux-ci attendirent longtemps, mais il n’eut point de sacrifice. Entre temps Fandyarakin dépêcha un coureur d’élite auprès des Koné de Gbeïfè, à quatre kilomètres de Damaro, pour les avertir de la fuite de leurs neveux Sosso Camara et Gnouma Oussou Camara. Pendant que les deux frères attendaient que s’opérât ce sacrifice inopiné, les Koné de Gbeïfè 397


vinrent massivement à Diarakindou avec leurs fétiches et barrèrent encore le chemin que les fugitifs devaient emprunter après l’étape de Diarakindou, à l’aide d’un signe conventionnel. (3) Même si les oncles maternels n’avaient pas réussi à dissuader les deux jeunes fugitifs de leur objectif, ceux-ci seraient contraints de renoncer à cette évasion dès qu’ils auraient découvert les fétiches ou signes insolites au premier carrefour, hors du village. En cas d’obstination de leur part à la vue des fétiches, un malheur pire que celui qu’ils fuyaient s’abattrait impitoyablement et inéluctablement sur eux. La poursuite et la sanction des fétiches sont implacables. Mais après de longues palabres on parvint à une entente, à un compromis. Ainsi ils renoncèrent à leur projet et acceptèrent de suivre leurs oncles à Gbeïfè et ceux-ci s’engagèrent de ne pas les contraindre à retourner à Kassiadou, leur village natal. Avant de se retirer de Diarakindou, les oncles maternels des deux fugitifs adressèrent des remerciements à Fandyarakin qui était un des oncles paternels de Sosso et de Gnouma Oussou pour son initiative salutaire qui permit aux enfants d’éviter une mésaventure. Ainsi les Koné rentrèrent à Gbeïfè avec leurs neveux. Mais le caractère peu accommodant des deux frères obligea leurs oncles à les éloigner afin qu’ils ne leur portassent ombrage un jour. Oui! les deux frères étaient bouillants, ombrageux et envahissants. Ainsi donc par ces caractères peu accommodants, ils indisposèrent leurs oncles qui les envoyèrent-ils chez leurs captifs dont Diomankourou était le chef. Là aussi, comme chez les Koné à Gbeïfè, la turbulence des frères Sosso et Gnouma Oussou inquiéta sérieusement Diomankourou qui sollicita à son tour leur éloignement. Ce vœu fut exaucé. CRÉATION DE DAMARO À LA FIN DU XVIème SIÈCLE OU AU DÉBUT DU XVIIÈME SIÈCLE (PROBABLEMENT VERS 1605) Les deux devinrent envahissants pour leurs oncles de Gbeïfè. Aussi, sentant la nécessité d’être indépendants, de créer leur propre communauté villageoise, Gnouma Oussou Camara et Sosso Camara vinrent à proximité de l’emplacement actuel de Damaro, précisément à l’Est et à côté de l’actuel cimetière, soit environ 400 mètres à l’Est du village actuel, ils s’y établirent avec les bénédictions de leurs oncles Koné et la bienveillance du captif Diomankourou. Tout à côté, une mare stagne, à l’Est de l’actuel village. Il s’agit bien de celle qui est à la hauteur des sources de Kòkunno et de Kassia-Kòni. Cette mare n’est pas à confondre avec celle qui se trouvait, jusqu’en 2010, au centre du village, à proximité du centre de santé. Cette réserve naturelle d’eau dormante qui n’existait, comme telle, qu’en saison pluvieuse s’appelait le Dalaman et c’est de là que le village en voie de création a tiré son nom Dalamanno qui se mua plus tard pour s’appeler finalement Damaro. Il faut rappeler qu’une discussion s’était engagée entre les deux frères autour du choix du nom à donner au village ou à l’emplacement retenu ou 398


proposé par les oncles maternels de Gbeïfè. Gnouma Ousso proposa de donner à ce futur village le nom « SOSSODOU », c’est-à-dire celui de son jeune frère qu’il affectionnait tant. Mais NIALLÉ SOSSO, par respect pour son grand frère, rejeta poliment cette offre ou cet honneur en proposant le nom « OUSSOUDOU », c’est-à-dire le nom de Gnouma Oussou pour désigner leur futur village en gestation. En effet pour lui et par respect du droit d’aînesse, le grand frère Gnouma Oussou méritait plus cet honneur que lui. Pour mettre fin cette discussion et trouver un compromis, le captif Diomankourou qui assistait à cette discussion fraternelle leur proposa le nom « DALAMAN-KAN’NA » ou « DALAMAN’NO » qui se mua en « DAMARO » qui fut adopté par consensus par les deux frères, car l’emplacement retenu jouxte une mare (dalaman). Il faut noter avec beaucoup de regrets la disparition de ce site. Ce merveilleux site naturel qui était considéré comme un important point d’eau était aussi un beau décor naturel avec des verdures chatoyantes très attractives ou attrayantes avec ses chants nocturnes de crapauds, ses oiseaux hibernaux.... Cette place remblayée abrite de nos jours les installations du marché actuel du village et du centre commercial avec toutes les activités annexes. Les écologistes et les environnementalistes qui ont connu jadis ce site pittoresque constatent, la mort dans l’âme, sa disparation. Remblayé en 2010 par l’Entreprise Française SATOM et sur l’initiative de feu El Hadj Nouny Karamo, Vice-Président à l’époque de l’Union Fakassia de Damaro. On y créa depuis 2010, en lieu et place, le marché du village. Tout juste, à côté, se trouve la plus puissante borne d’eau, à haut débit, réalisée par la SNAPE (Soicieté Nationale d’Aménagement de Points d’Eau) qui alimente une grande partie du village ainsi que tout le secteur des services de l’administration. Insistons sur le fait que cette mare (dalaman) détruite n’est pas à l’origine du nom DAMARO, comme on pourrait être tenté de le dire. Damaro prit, depuis, une ascension fulgurante par son dynamisme et est donc de nos jours l’un des plus grands centres d’action des Camara de la Guinée Forestière. Il est devenu le chef-lieu du canton de Simandou (cercle de Beyla) qui porte le nom de l’ancêtre Soné Siman Camara, et également celui de la sous-préfecture d’aujourd’hui. Damaro est donc édifié au pied du mont Simandou qui porte le nom de l’ancêtre Sonè Siman Camara. Le mont Simandou est réputé pour la haute la teneur du gisement de fer qu’il renferme et qui est l’objet de grande convoitise des compagnies minières. Les Damarois parlent fièrement de nos jours de cet important gisement de fer dont l’exploitation générale et intensive développera certainement leur village et par ricochet tout le canton de Simandou. En tout cas ils savent que leur ancêtre Fantouman Oulèn Camara avait exploité ce minerai grâce aux hauts fourneaux installés dans les villages de forgerons construits tout au long du mont. Le minerai extrait était fondu pour fabriquer des armes, des fusils, des outillages agricoles. Il en fit la première monnaie locale appelée gbènzèn qui a

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servi de première monnaie locale de transaction commerciale entre la savane et la forêt, jusque dans les années 1950. L’HÉRITAGE OU LE CONFLIT POUR LA SUCCESSION Fakassia Camara mourut à Kassiadou, village qu’il avait créé. Sosso Camara et Gnouma Oussou Camara, deux de ses fils, aidés par leurs oncles maternels, les Koné de Gbeïfè, rentrèrent de vive force à Kassiadou et s’emparèrent de tout l’héritage de Fakassia y compris les esclaves et mêmes les nobles. Ce fut la ruine pour les trois frères qui étaient restés avec Fakassia et la fortune pour les deux frères qui étaient indésirables et avaient été obligés de quitter Kassiadou. Tout ce monde constituant le butin de guerre vint grossir massivement Dalamano ou Damaro. Cette épreuve de force assura à Sosso Camara et à Gnouma Oussou une certaine suprématie sur cette région qui reste de nos jours entièrement dépendante de leurs descendants. Depuis, Dalamano ou Damaro connut une grande prospérité en devenant aussi l’un des principaux sanctuaire des Camara de la Guinée Forestière. À PROPOS DE LA CRÉATION DE « L’UNION FAKASSIA DE DAMARO » (O.N.G.) Depuis 1985, les Damarois ont mis sur pieds une grande organisation familiale fraternelle dénommée « Union Fakassia de Damaro », qui est une O.N.G. qui rassemble chaque année tous les fils résidents et ressortissants du village. C’est ainsi qu’ils viennent de toute la Guinée, du Libéria, de la Côte d’Ivoire, du Mali, de l’Europe, de l’Amérique... pour discuter des problèmes de développement économique, social et culturel de Damaro, et de l’unité de la famille. Chaque section locale de l’Union Fakassia de Damaro impose une contribution financière minimale obligatoire à tout Damarois disposant d’une source de revenus si modeste soit-elle. On peut citer entre autres actions de cette O.N.G. la réalisation à: - Des écoles dans certains districts, - Une majestueuse mosquée, - Le reprofilage régulier de la route principale (longue de 30 km) qui mène à Damaro, - Des centres de santé dans la Sous-Préfecture, - Et surtout l’union sacrée, l’entente et l’harmonie sociales... Les acquis de cette O.N.G. en parfaite synergie d’actions avec l’ADA (l’Association pour le Développement de la Sous-Préfecture de Damaro) sont donc très élogieux. Au regard de ces résultats probants réalisés ici et là cette organisation inspire maintenant beaucoup de familles et de villages en Guinée qui ont créé aussi son similaire.

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Pendant ces journées annuelles de retrouvailles fraternelles et de réflexions l’UNION FAKASSIA DE DAMARO tous les litiges sont résolus et c’est également une opportunité que les différents sèrè (groupe d’âge) mettent à profit pour rivaliser en apports matériels gratuits (don de denrées alimentaires, d’argent, de bien matériels divers, d’équipements de sport et de musique pour la distraction des jeunes du village…), dans les différentes manifestations de réjouissances populaires qui durent au moins deux semaines. C’est l’occasion pour les uns et pour les autres de porter les plus beaux habits achetés pour la circonstance. Le village connaît une animation particulière. Les matinées sont réservées aux comptes rendus des activités des différentes sections et au versement des cotisations destinées au développement du village tandis que les après-midis sont réservés aux réjouissances culturelles et folkloriques organisées par les différents sèrè. Aussi, des compétitions sportives opposent les jeunes résidents entre eux ou entre ceux-ci et les autres jeunes ressortissants de Damaro venus d’ailleurs pour la circonstance. La nuit, la population est partagée entre les soirées dansantes modernes et les danses folkloriques. Une ou deux nuits sont consacrées aux veillées nocturnes pour faire revivre les contes, les légendes et les devinettes qui sont de véritables écoles du savoir, du savoir-vivre, du savoirfaire... Ces enseignements sont utiles et évitent la perversion des jeunes. On fait appel aux derniers survivants (les vénérables sages, les griots généalogistes...) dépositaires de nos valeurs culturelles d’antan afin qu’ils communiquent aux jeunes ce qui est important et spécifique de notre culture qu’il faut savoir et qu’il faut sauvegarder. Ainsi donc, à chaque réunion annuelle, le belentii retrace l’histoire émouvante de nos glorieux ancêtres et indiquent aux jeunes le chemin de l’honneur et de la dignité. Rappelons qu’on profite de cette grande retrouvaille pour régler à l’amiable tous les conflits et litiges. Aussi on en profite pour célébrer des mariages, pour mettre l’accent sur la discipline, sur l’application du code pénal de nos ancêtres pour régir la cité avec une certaine rigueur, et sévir conformément aux lois édictées au XVIème siècle à Moussadou par l’ancêtre Farin Kaman Camara. Il est donc interdit de traduire un frère devant les juridictions de l’administration. Tout doit se traiter en famille, sauf les cas de crimes. L’occasion est donc donnée à tous les sèrè de se produire dans le domaine culturel de leur choix. Les instrumentistes traditionnels des villages voisins sont pleinement associés à l’animation, à la fête qui dure deux semaines. Les griots modernes avec leurs ensembles ou avec leurs orchestres venant des villes voisines ne se font pas inviter, ils y viennent spontanément, car c’est une occasion propice pour gagner de l’argent. Tout cela contribue à rendre la fête belle et qu’on essaie de rendre plus belle chaque année avec des innovations dans tous les domaines.

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Tombe de Fakassia Camara à Kassiadou, village qu’il a créé, situé à 8 km de Damaro. À sa mort Fakassia fut enterré à Kassiadou.

Photo de Mignan Mory Camara, chef du village de Kassiadou en 1991 et gardien de la tombe de Fakassia Camara (photo de Daouda Damaro Camara, 1991).

Un bureau exécutif chapeaute toutes ces manifestations fraternelles qui animent et réjouissent le village. Le Président de l’Union est inamovible comme le Pape de l’église Catholique. C’est seulement à la mort de son Président qu’on procède à son remplacement. Toutefois, s’il y a des décès des membres du bureau exécutif, on procède au remplacement des défunts par consensus. On tente, autant que possible, de maintenir un certain équilibre dans la parité du quota et de la représentation des grands clans familiaux au sein du bureau 402


exécutif. Les postes ne sont pas électifs mais approbatifs. Donc ne tient compte ni de l’âge, ni du sexe, ni de la fortune personnel, ni du rang social pour être désigné membre immortel du bureau exécutif, l’image des immortels de l’académie française. La disponibilité et la sociabilité pèsent beaucoup dans la balance des critères retenus pour entrer dans le bureau exécutif de l’UNION FAKASSIA DE DAMARO. Créée en 1985 pour assurer le développement socio-culturel et économique de Damaro, par l’effort collectif des ressortissants et résidents de Damaro, les promoteurs lui assignèrent au départ les objectifs suivants: 1) Le désenclavement du village par la reconstruction de la bretelle de 30 km construite en 1937 par le chef de canton Damaro Diontan Djiguiba Camara pour relier Damaro au reste du pays et permettre l’évacuation des produits agricoles de la région à vocation agro-pastorale. 2) La construction d’une mosquée moderne et digne à l’image du village. 3) L’électrification du village. 4) L’adduction d’eau du village. 5) Le lotissement du village. Pour réaliser ces objectifs, la première réunion de 1985 instaura une rencontre annuelle de tous les fils du village depuis 1985. Par des cotisations obligatoires imposées à toutes les sections de l’Union et par des contributions volontaires, tous ces objectifs ont été atteints à la satisfaction de tous. Ce n’est qu’en 2014 et 2020 que la réunion annuelle n’a pu se tenir pour causes de la pandémie de l’Ébola (2014) et du Corona virus (2020). À cette occasion de retrouvailles fraternelles, les Damarois viennent de toutes les préfectures de la Guinée, du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Libéria, de la Sierra Leone, de l’Europe, de l’Amérique et du Moyen Orient pour participer à cette fête qui est maintenant institutionnalisée. Il faut rendre hommage aux aînés initiateurs de la création de cette O.N.G. qui a à son actif beaucoup de réalisations socioculturelles et économiques (construction, de routes, de ponts, d’écoles, de centres de santé, de maison des jeunes, de forages, de la mosquée moderne...) qui ont profondément amélioré la vie des Damarois et de la région. C’est donc le lieu de rappeler et de louer le mérite exceptionnel les regrettés doyens et sotii kèmòò feu El Hadj Gbanisaren Sidiki Camara et feu Awa Amara Camara qui l’ont initiée. Mais aussi il faut citer avec insistance le dévouement des premiers responsables qui ont pu créer l’émulation, la mobilisation des résidents et ressortissants de Damaro. Il s’agit de: 1 - Feu El Hadj Makoura Mamadi Camara, ancien Président du Syndicat des Transporteurs de Kankan, qui en fut le premier Président de 1985 à 2010. 403


2 - Feu El Hadj Nouny Mamadi Camara dit Nouny Karamo, ancien Commissaire de Police à la retraite reprit le flambeau de 2010 à 2012. 3 - El Hadj Man Yaya Camara, commerçant à N’Zérékoré, intronisé en 2013 en qualité de troisième Président désigné ou élu de l’Union Fakassia de Damaro. Il faut noter que l’occupant du perchoir ou du fauteuil de Président de l’Union Fakassia de Damaro est inamovible. Même malade, il est là. Il est donc irrévocable et ne quitte qu’à sa mort. Mais en cas d’incapacité physique ou mentale notoire, le bureau exécutif qui l’entoure traite tous les dossiers et évacue les affaires courantes et prend toutes les décisions appropriées dans l’intérêt supérieur de la collectivité. Donc pas de blocage ou de carence de l’institution. Le vide juridique est donc comblé par cette institution qui est profondément unie.

El Hadj Gbanisaren Sidiki Camara, le sotii kèmòò de Damaro de 1963 à 1975. Fondateur de la deuxième école coranique de Damaro dans les années 1920. Il fut l’initiateur de la création de « l’UNION FAKASSIA DE DAMARO ». Mais ce fut son successeur, El Hadj Awa Amara, qui concrétisa le projet en 1983.

De sa création en 1981 à 2014, l’UNION FAKASSIA DE DAMARO n’a pas encore enregistré de crise majeure de fonctionnement et a pu traiter avec bonheur tous les problèmes et conflits qui lui ont été soumis.

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El Hadj Awa Amara Camara, 79ème enfant de Fata Kéoulèn Camara et sotii kèmòò de Damaro de 1975 à 1996. Son dynamisme, sa disponibilité, son philanthropisme et son dévouement pour la cause de l’unité de la grande famille Camara de Damaro permirent de consolider « L’UNION FAKASSIA DE DAMARO » dont il fut en fait le créateur. Il fut un infatigable rassembleur et le père omniprésent de tous et fut affectueusement appelé « NFAMARA » par tout le monde.

EL HADJ MAKOURA MAMADI Camara, premier Président de l’Union Fakassia de Damaro de 1983 à 2010, ancien Président du Syndicat des Transporteurs de Kankan. Il fut un très grand modérateur, et aussi un infatigable rassembleur. Personnage très influent, il conduisit avec dextérité les premiers pas chancelants de l’Union. Il fut le principal artisan de la cohésion et des réalisations des infrastructures, dans la discipline, de l’UNION FAKASSIA DE DAMARO.

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LES PIONNIERS FONDATEURS DE L’UNION FAKASSIA DE DAMARO, les fondateurs ou les premiers dirigeants du Bureau Exécutif de l’UNION FAKASSIA de Damaro sont debout de droite à gauche: 1) - Mawa Abou Camara (section du Libéria), 2) - Feu El Hadj Nouni Karamo Camara (Président de la section de Conakry), 3) - Feu El Hadj Nouni Ibrahima Kalil Camara (premier Vice-Président), 4) - Feu El Hadj Makoura Mamadi Camara (premier Président de Fakassia), 5) - Feu El Hadj Gassimy Camara (membre du bureau exécutif), 6) - Feu El Hadj Madia Féerébory Camara (membre du bureau exécutif), 7) - Feu El Hadj Moïma Lanasana Camara (2ème Vice-Président, membre du bureau exécutif), 8) - Feu El Hadj Bintou Foumba dit Foumba Kénnédy (en bonnet à l’extrême gauche, visible à moitié). Sont assis de droite à gauche: 1) - Feu El Hadj Mékon Mandiou Camara, le doyen des sages ayant entre ses mains le fil de guerre de son oncle Fata Kéoulèn Camara, ex-Général (Sofakun, Kèlètii de Samory), 2) Feu El Hadj Awa Amara Camara (en bonnet rouge), le sotii kèmòò de Damaro. Sont assis à l’extrême gauche: 3) - El Hadj Mamadi Camara dit Fressonne, demeurant en Allemagne, 4) - El Hadj Zakaria Camara (Administrateur Civil, Maire de la Commune Rurale de Damaro en 2021).

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EL HADJ MAMADI CAMARA dit NOUNI KARAMO, deuxième Président de l’UNION FAKASSIA (2010-2012), ex-Commissaire de Police à la retraite à Conakry et à Damaro, exVice-Président de l’Union Fakassia de Damaro de 2000 à 2009. Décédé le 23 Mai 2012 à Conakry.

EL HADJ MAN YAYA CAMARA, le 3ème Président de l’Union Fakassia de Damaro (20132019), commerçant domicilié à N’Zérékoré. Mort le 11 Septembre 2019 à N’Zérékoré.

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EL HADJ FANTA MADY CAMARA, le 4ème Président de l’Union Fakassia de Damaro, né le 24 avril 1953 à Damaro.

Après cette parenthèse sur l’UNION FAKASSIA DE DAMARO, revenons à la vie ou à l’histoire des frères Gnouma Oussou Camara et Sosso Camara, les fondeurs de Damaro. Les deux frères, de leur vivant, ne cessèrent d’entretenir l’amitié cultivée par leurs mères Niallé Koné et Gnouma Koné. Ainsi, ils vécurent dans une parfaite communion d’idées et d’intérêts. Mais comme le prédirent les devins, c’est la lignée de Sosso Camara qui s’assura, à travers les siècles, le monopole du règne tout en respectant celle de Gnouma Oussou Camara qui se prévaut du droit d’aînesse lors des cérémonies rituelles et des sacrifices de tous genres publiques ou dans les familles. De nos jours, le clan des descendants de Sosso Camara (SOSSODOUKA) est certes le plus nombreux à Damaro et détient aussi toutes les prérogatives de l’autorité administrative et coutumière. Cependant, en raison du droit d’aînesse qui luiest dévolu, le lignage de Gnouma Oussou dit Gnouma Oussouba préside toujours les assemblées. En raison donc de cette affinité particulière et de l’esprit de fraternité et de respect mutuel entre les deux clans, celui de Gnouma Oussoudouba jouit pleinement du droit de préséance incontestable dans les assemblées. Au nom donc droit inaliénable de cette prééminence, la présidence des réunions entre les Damarois, les discours d’ouverture et de fermeture ainsi que les bénédictions d’usage reviennent ipso facto au descendant le plus âgé de 408


Gnouma Oussou présent, même s’il est mineur. À défaut, on demande à une femme descendant de Gnouma Oussou présente de faire des bénédictions, au nom de son ancêtre Gouma Oussou, pour la progéniture de son jeune frère Sosso Camara afin que le sacrifice encours soit exaucé. On ne néglige jamais cette précaution ou procédure. Il est aussi important de préciser que Damaro est aujourd’hui essentiellement peuplé à 95% par ces deux lignages: les Sossodouka et les Gnouma Oussoudouka. À la mort de Sosso Camara qui fut enterré dans une espèce de caveau familial, son fils Diarakoro lui succéda. Il avait à ses côtés ses frères, ses oncles paternels, ses cousins, les descendants de Gnouma Oussou, les esclaves constituant l’héritage de Fakassia et d’autres personnes fixées à Damaro par les liens de la reconnaissance et de l’intérêt et qui recherchaient, par-dessus tout, la paix et la sécurité. À la mort de Diarakoro, son fils Diarakoro Kéoulèn Camara lui succéda pour présider les destinées de Damaro qui devenait de jour en jour un gros village. Diarokoro Kéoulèn était un homme de taille moyenne, tout en muscles et d’une rare sobriété. Aucun clan Camara n’avait encore donné naissance à un homme aussi fin, aussi diplomate que Diarakoro Kéoulèn. L’histoire va nous le montrer dans l’action. Il établit des relations d’abord chancelantes puis solides avec les autres clans Camara du pays, les habitants de Moussadou (le premier berceau des Camara de la Guinée Forestière) et les Souaré de Nionsomoridou qui consommèrent, l’on s’en souvient, les mille sacrifices (constitués de 100 objets différents fois 10 de chaque espèce ou 10 objets différents fois 100 de chaque espèce, dans l’un ou l’autre cas on a 1.000 objets) ont été faits par son ancêtre, le patriarche Farin Kaman Camara, à Moussadou. Il alla jusqu’à renouer les liens du sang avec les Camara des différentes provinces de l’ancien cercle de Macenta (Bouzié/Boussè, Konokoro, Kolibirama-Malinké, Koadou...). Diarakoro Kéoulèn Camara voulait ainsi tisser une grande toile d’araignée où les lignées Camara des quatre points cardinaux se retrouveraient et se donneraient la main pour contrer les invasions des tribus pillardes et pour parer aux éventualités de toutes les guerres fratricides. À l’intérieur du clan et des provinces conquises, tous les problèmes devaient se régler par la concertation régulière et le dialogue permanent. Il préconisa l’arbitrage juste entre les autres lignages Camara et le sien, et par extrapolation cet esprit d’équité et de large ouverture devait être appliqué à toute la société, conformément à la méthode pratiquée par son ancêtre Farin Kaman Camara quand celui-ci régnait à Moussadou. Il remit en vigueur le code pénal conçu et légué par celui-ci. Ainsi, il put faire régner l’entente et la sécurité partout. Il devint même un modèle pour biens de chefs et de peuples. Il s’agissait donc de réunir dans un seul creuset de fraternité et de solidarité ce grand clan (Kabila) Camara épars sur de vastes territoires. Cette 409


démarche sage était fidèle à la volonté de Farin Kaman Camara et de tous les autres ancêtres Camara. DÉBUT DE LA PÉRIODE DE L’INSTABILITÉ DE LA PAIX DANS LE SIMANDOU PREMIÈRES GUERRES DE DIARAKORO KÉOULÈN CAMARA Sondou Diagbo Camara était un des descendants de Fankoloni Camara. Celui-ci était un Camara d’adoption, qui suivit Farin Kaman Camara jusqu’à Moussadou. Ses arrières petits-fils, attaché à la fortune des descendants de Farin Kaman Camara, ayant créé le village de Sondou, devinrent nombreux et relativement puissants. De courtisans, ils passèrent pour des égaux des Camara tontii (Camara-chef, Camara détenteur du pouvoir, du commandement) et contrebalancèrent le pouvoir de Diarakoro Kéoulèn. L’armement de ce temps-là était constitué d’arcs, de flèches empoisonnées, de sabres et de rares fusils de traite. À l’époque le fusil était un grand luxe. Sa fabrication n’était pas généralisée, seuls les privilégiés en possédaient. a) GUERRES INTESTINES: LA GUERRE « DES CHIENS » En ce temps-là, la viande de chien était très appréciée et consommée par une large majorité de la population. Cette prédilection pour la viande du chien s’explique par le fait que l’élevage n’était pas encore une activité généralisée et qui n’était pratiquée que par quelques privilégiés. Ainsi on était tenté de manger la viande de toutes les bêtes. Souvent, Sondou Diagbo et Wara de Diassodou se réunissaient, prenaient un chien à crédit, l’abattaient, quitte à le payer à la date de l’échéance. Or, il arriva une fois que Wara ne s’acquitta pas de sa dette envers Sondou Diagbo Camara. Or le chien mangé appartenait à la sœur de Diagbo; celui-ci admonesta Wara par l’intermédiaire d’un de ses captifs. Cet acte de déconsidération indisposa beaucoup Wara et mit aux prises les partisans de Diagbo et ceux de Wara. Une bagarre sanglante qui opposa les belligérants fit des morts et des blessés de part et d’autre. Rien ne se fit pour faire baisser la tension dans la région. On enregistrait ici et là des menaces de destruction. Mais ce fut Diagbo Camara qui prit des initiatives sur le terrain. Quelques temps après les premiers affrontements, il revint avec du renfort, attaqua le village de Diassodou qu’il mit à feu et à sang. Malgré cette éclatante victoire, il voulut se réconcilier avec son ancien allié Wara. Ainsi lui envoya-t-il des présents (bœufs, couvertures, coqs blancs...) qui furent évidemment refusés par Wara et les anciens de Diassadou pour une question de dignité. Peut-être que cette initiative de paix serait favorablement accueillie avant la destruction de Diassodou, le village de Wara. Toutefois, pour échapper à une nouvelle attaque à la suite du 410


rejet de cette offre de paix, Wara vint s’établir à Banko, près de Nionsomoridou (Beyla, Guinée), se confiant ainsi à Babignè Camara, chef dudit village. Ouara demanda l’intervention de Babigné pour venger sa défaite de Diassodou. Celuici acquiesça et mobilisa les hommes valides de son village pour venger Wara. Cette seconde attaque ne fut pas plus heureuse que la première. Babigné fut lui aussi battu et refoulé à Banko puis à Nionsomoridou où les fuyards demandèrent l’intervention du marabout, chef de ce village, auprès de Diagbo pour les épargner d’une extermination totale. Sondou Diagbo Camara allégua que Sékou Souaré, le marabout en question de Nionsomoridou, ayant auparavant bien livré le passage à Babigné et à Wara, devait en faire autant pour lui. Mais cette tentative fut vaine. Aussi, le marabout Sékou Souaré refusa de livrer les fuyards et Nionsomoridou fut attaqué par Diagbo tandis que sa sœur, mariée dans le village, mettait le feu aux cases. Devant l’horreur de l’attaque, Babigné n’eut d’autres solutions que de s’enfuir. Mais Diagbo, après une course effrénée, réussit à l’arrêter à Koréla (canton de Bouzié, cercle de Macenta, Guinée) où il fut tué. Diagbo Camara rentra donc triomphalement à Sondou, son village natal. Diaka Kaman Camara, établi à Kouankan (Macenta), fut informé que le village de Koréla qui dépendait de son commandement était attaqué et vidé. Blessé dans son orgueil de roi Diomandé, il vint alors attaquer Diagbo et prouver ainsi à ses sujets qu’ils étaient défendus contre les agressions extérieures. Ces évènements sont à situer vers la fin du XVIIIème siècle. Mais il ne fut pas heureux à l’issue de cette attaque. En effet plusieurs de ses hommes mordirent la poussière. Il rentra à Kouankan la tête basse. Comme il le fit avec Ouara, Sondou Diagbo envoya paradoxalement les prisonniers et les présents d’usages à Diaka Kaman Camara. Ce geste était le signe d’une paix et d’une amitié à laquelle Diaka Kaman répondit favorablement. Il revint à son tour avec beaucoup de biens qu’il offrit à Diagbo. D’ennemis qu’ils étaient, ils devinrent curieusement deux parfaits amis. Prenant goût à l’esprit de conquête, Sondou Diagbo attaqua Oussoudou qu’il incendia. Il eut une prédilection pour cette méthode barbare de guerre qui avait des effets très rapides sur le morale de l’ennemi. b) CAUSES DE LA GUERRE Sondou Diagbo invita Diaka Kaman Camara, son nouvel allié, à venir rendre visite à ses parents à Foundou et à Diomandou (canton de Simandou, cercle de Beyla, Guinée), car Diaka Kaman était issu de la lignée de Saa Oulèni Camara dont certains descendants avaient jadis quitté leur sanctuaire de Foundou pour aller en région forestière, notamment dans la province de Boussé (Bouzié) dans l’actuel cercle de Macenta. Ils devaient, après cette visite à la source de la famille de Diaka Kaman Camara, revenir à Sondou, village natal de Diagbo Camara, situé non loin de Foundou d’où est partie 411


une importante fraction des Camara pour le Boussé (Kouankan et dépendances). À cause de petite taille, Diakan Kaman Camara subit partout sur son passage les moqueries des habitants de la contrée. Il s’en plaignit à son hôte Diagbo. Celui-ci, fort mécontent, lui promit vengeance. D’où la cause d’une guerre entre les autres Camara d’une part et Diagbo Camara d’autre part. Après avoir goûté le fruit de ses premiers succès, Diagbo eut l’ambition de se muer en justicier et en conquérant d’autant plus qu’il croyait en avoir les moyens. Ainsi il profita de cette situation de provocation dont il était l’objet à travers son auguste hôte pour porter la guerre dans les villages environnants. C’est ainsi qu’il organisa des expéditions militaires punitives contre les villages du petit pays de Kouan situés le long de la rivière de ce nom et que nous appelons aujourd’hui Tambiko. Par la suite il créa, non loin de Sondou, le village de Tambikola pour y rassembler les esclaves qu’il fit. Détruit par les guerres, Tambikola fut reconstruit en 1906. (5) Le pays du Kouan ainsi dévasté, les habitants s’enfuirent vers diverses contrées de la région, particulièrement au pays de Gboni (Libéria) où ils forment encore une puissante dynastie Camara. GUERRE DE DIAKORO KÉOULÈN CAMARA CONTRE SONDOU DIAGBO a) - LES PARTIES: Deux noyaux hostiles se formèrent autour des deux chefs: Diakoro Kéoulèn Camara et Sondou Diagbo Camara. D’une part les parents éloignés de Sondou Diagbo lui vinrent en aide. Ce furent les habitants des villages de Sondou, Bossoko, Manabiri, Bouradou, Sasanko, Brimoussadou, tous du canton de Simandou, cercle de Beyla, Guinée) et qui évoluent sous le vocable ou le patronyme de Koloninaka. D’autre part, en présence de cette coalition, les Camara des autres lignées du Simandou, voyant leurs proches de Foundou et de Diomandou attaqués se regroupèrent autour de Diakoro Kéoulèn Camara pour opposer une vive résistance aux partisans de Sondou Diagbo devant Sadou-Ouarada, à 10 km de Damaro. Yèntè Camara de Torigbèballadou (canton de Simandou, Beyla), un des descendants de Sonè Kaman, prit parti pour les Camara regroupés derrière Diakoro Kéoulèn Camara qui voulaient s’opposer à l’agression ou à l’extermination de leurs frères de Foundou et de Diomandou. b) - LA GUERRE: Un combat acharné mit aux prises les deux armées. Cette fois-ci l’armée de Diakoro Kéoulèn réussit à refouler les combattants de Sondou Diagbo Camara sur la rive droite de Sadou-Ouarada. Chaque armée occupa ainsi une rive. Par un stratagème, Diarakoro Kéoulèn regroupa promptement ses combattants qui, contournant les guerriers de Sondou Diagbo, vinrent mettre le feu à Bossoko, village dépendant de 412


Sondou Diagbo et ayant la même ascendance que ce belliqueux roi que la solidarité entre Camara avait laissé émerger. L’effet de surprise fut total. Ce fut la panique, les hommes de Sondou Diagbo prirent la fuite. Ils furent pourchassés jusqu’à leur capitale Sondou qui fut prise après une haute lutte à l’arme blanche. Diagbo et les siens s’enfuirent jusqu’à Koréla (cercle de Macenta), village commandé par son ami Diaka Kaman Camara. On se souvient que c’était pour punir ceux qui s’étaient moqués de la petite taille de Diaka Kaman que Sondou Diagbo avait déclaré la guerre aux villages coupables de cet affront, ce qui indisposa les clans Camara Sonè Siman-si et Sonè Kaman-si respectivement de la province de Simandou et de celle du Gbéradou. Mais malheureusement, Diagbo ne savait pas où, comment et quand s’arrêterait cette guerre qu’il avait engagée. Le destin a des revers inexorables. En effet, Sondou Diagbo Camara, le promoteur de cette guerre, en fut la victime alors qu’il était convaincu de sa victoire et se serait définitivement assuré l’alliance fraternelle de Diaka Kaman et qui s’en trouverait bien vengé. Mais Diaka Kaman Camara, qui descendait directement de l’ancêtre Farin Kaman Camara comme les Camara du Simandou, fut contraint de s’incliner devant le serment de solidarité entre Camara préconisé et prôné à Moussadou par l’ancêtre Farin Kaman Camara. Ne pouvant se dérober de cette chaîne historique, Diaka Kaman Camara trahit son ami Sondou Diagbo qu’il abandonna aux mains des vainqueurs, ses parents Camara du Simandou et du Gbéradou. En retour, Diarakoro Kéoulèn lui remit tout le butin de guerre (kèlè konson) tant en nature, en espèce qu’en êtres humains. Diaka Kaman Camara, enrichi du coup par cette trahison, alla lui aussi s’armer pour la lutte contre les Camara et les Toma du Sud, notamment ceux de la rive gauche du fleuve Saint-Paul dit Diani. Nous reprendrons plus loin cette histoire qui va nous amener à la pacification des rives du Saint Paul par les troupes coloniales françaises après l’expulsion des armées de Samory de ces régions. c) - LE RETOUR DES VAINQUEURS Diarakoro Kéoulèn Camara et les siens rentrèrent à Nionsomoridou, amenant avec eux Sondou Diagbo, le plus illustre des prisonniers et aussi le plus important des butins faits (kèlè konson). Oubliant si vite son comportement belliqueux d’antan, celui-ci, qui avait naguère mis à feu et à sang le village religieux de Nionsomoridou malgré l’intervention de l’Imam Sékou Souaré, osa demander à celui-ci son intercession auprès de Diarakoro Kéoulèn Camara dont il était le prisonnier. Par esprit de vengeance, l’Imam refusa catégoriquement d’intercéder en sa faveur. En effet, il lui rappela son arrogance dans un passé très récent quand il avait mal agi à l’égard de son village Nionsomoridou et quand il avait refusé de gracier Babigné. Il conclut: « L’esprit de vengeance est implacable: Œil pour œil, dent pour dent... »

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Sondou Diagbo Camara fut donc mis à mort à un kilomètre, au Nord de Nionsomoridou. Et sa tête tranchée fut remise à Yèntè Camara, lieutenant de Diarakoro Kéoulèn Camara. LE CALME Après cette première guerre importante que le pays a connue, on venait d’être débarrassé du belliqueux Sondou Diagbo qui voulait embrasser ou conquérir à la fois toutes les provinces. Tout le pays rentra dans un grand calme. Toutefois, il est à remarquer que cette coalition des descendants de Farin Kaman Camara prouve assez combien les Camara sont solidaires les uns des autres, combien les liens de sang, de l’intérêt et de la reconnaissance sont respectés d’après les coutumes et le serment de Moussadou. Ainsi, les mille sacrifices (wuru kelen saraka) de Farin Kaman Camara et ceux de son descendant Fakassia n’ont pas été vains. Ils ont porté leurs fruits et la postérité des différents clans des pays forestiers et de ceux de la savane va reconnaître dans ces Camara les vrais détenteurs du pouvoir judiciaire et administratif. Cette situation de suprématie des Camara demeure encore de nos jours (Diomandé-Fanga = Diomani Fanga). Un Camara (Diomandé) émerge toujours dans son environnement social sur le plan du pouvoir, du commandement, du prestige... Mais par contre ils se plaignent de leur pauvreté, de leur médiocrité sur le plan matériel. En effet, les aïeux Dioman Camara, dont le nom est à l’origine du nom Diomandé du clan, Farin Kaman Camara, Fakassia Camara... n’ont pas fait, semble-t-il, de sacrifices pour l’accumulation matérielle en faveur de leurs descendants. La prospérité matérielle, surtout la possession d’une fortune en argent, fait défaut chez les Camara des différentes contrées. Il est donc rare de voir un Camara-Diomandé très riche. Cette situation qu’ils déplorent amèrement depuis que la chefferie traditionnelle a été bousculée si non supprimée sous l’instigation du pouvoir des partis politiques africains et par les états avant ou après l’accession de nos états à la souveraineté nationale, se résume par: « Mansaya ani tòò le saraka bònin an benbalu bolo. » « Waa nafolo saraka ma bò... »

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ARBRE GENEALOGIQUE DES GNAKORODOUKA A PARTIR DE FAKASSIA CAMARA FAKASSIA CAMARA (Dekassiadou - Dama ro)

Diorro (Village de kassiadou et de si rakoro près de Da ma ro)

Gnouma Oussou (Dama ro)

Sosso Camara (Dama ro)

Fafouna Gnakoro

Mousokoura Kassia (3è fils )

Myan Sery (5è fils)

Myan Dirra (1er fils)

Mandouman Oulin ( Si mandou près de Dama ro)

Kora Morou

Kémo Khignè

Kassia Dioman

Namain Féré

Gnaman Koné Kassia

Kassia Morou Eut pour fils Fassou-Oulin qui crée à Fassoudou près de Gbotola -kanka

JS

Makoura Mory

Gnaman Mamadi dit Sita Mamadi (fils unique cha rgé de perenniser la famille. Il eut 8 fils dont ;)

Makoura Kaba (Fonda teur de Ma koura -Kabadou près de Da ma ro)

Mandouma Oulin

Mori Koutoubou (mort en 1987 à N’Zérékoré -Guinée

El Hadj Moima Lansana (mort en 1998 à N’Zérékoré -Guinée

Kassia Kemo (mort à Moussadou beyla)

Matenin Brahima ( Da ma ro )

Gnaman Bengaly

Magnan Zoumana

Késsa Zumana

Fatouma Sekou ( mort en 1961 au Liberia )

Feu Capitaine Mory camara ( Morovia)

Yéyé Mory dit Mory Yabgaworo à saclé pia-Liberia

Fatouma Brahima (18 a ns en 1985 à Dama ro

Saboré Bengaly ( Liberia )

Kanfing Lossani ( 20 ans en 1985 à Morovia)

Valy Oulin

Diomandé Mamadi dit As ta Ma madi (Homme d’affaire à Morovia-Liberia )

Myan Kaman (Sa ns postéri té)

Imam Vazoumana Camara À Liberia et à Conakry depuis (1990 (C/Ma toto, Tombolia )

Mory Ca mara

Va zoumina Cama ra

Zoumana Camara ( a vais 7a ns en 1985

LÉGENDE: A = FARIN KAMAN (village de Kassiadou et de Sirakoro, près de Damaro) B1 = Diorro (fils de A, fondateur de Kassiadou et de Sirakoro près de Damaro) B2 = Gnouma Oussou (fils de A, co-fondateur de Damaro) B3 = Sosso Camara (fils de A, co-fondateur de Damaro) B4 = Fafounou Gnakoro (fils de A) B5 = Kassia Morou (fils de A, eut pour fils Fassou Oulèn qui créa Fassoudou, près de Gbotola-Kanaka) C1 = Moussokoura Kassia (3ème fils de B4) C2 = Myaséri (5ème fils de B4) C3 = Myan Diarra (1er fils de B4) C4 = Myan Kaman (fils de B4) D1 = Mandouman Oulèn (fils de C1, Simandou près de Damaro) D2 = Kora Mourou (fils de C2) D3 = Kèmo Kinyè (fils de C3) E1 = Kassia Djoman (fils de D1) E2 = Namin Féré (fils de D2) E3 = Gnaman Koné (fils de D3) F1 = Makoura Mory (fils de E1) F2 = Gnaman Mamadi (dit Sita Mamadi, fils de E2, chargé de pérenniser la famille) F3 = Makoura Kaba (fils de E3, fondateur de Makoura-Kabadou, près de Damaro) F2-1 = Mory Koutoutou (fils de F2, mort en 1987 à N’Zérékoré, Guinée) F2-1-1 = Diomandé Mamadi (dit Asta Mamadi, fils de F2-1. Homme d’affaires à Monrovia, Libéria, et en Hollande) F2-1-2 = Abdoulaye Diomandé (fils de F2-1, commerçant en 2019 à N’Zérékoré) F2-2 = Feu El Hadj Moïma Lansana (fils de F2, mort en 1997 à N’Zérékoré) 415


F2-3 = El Hadj Vazoumana Camara dit Vazoumana Diomandé (fils de F2, au Libéria puis à Conakry depuis 1990, domicilié en 2017 à Tombolia, Matoto, grand érudit du Coran, prédicateur à Conakry dans le milieu konyanké) F2-3-1 = Mory Camara (fils de F2-3) F2-3-1-1 = Vazoumana Camara (fils de F2-3-1) F1-1 = Kassian Kèmo (fils de F1, mort à Missadou, Beyla) F1-2 = Maténin Brahima (fils de F1, Damaro) F1-3 = Gnaman Bangaly (fils de F1) F1-4 = Valy Oulèn (fils de F1) F1-1-1 = Magna Zoumana (fils de F1-1) F1-2-1 = Kessa Zoumana (fils de F1-2) F1-3-1 = Fatouma Sékou (fils de F1-3, mort en 1961 au Libéria) F1-4-1 = Feu Capitaine Mory Camara (fils de F1-4, Monrovia, jadis célèbre officier dans l’armée libérienne) F1-1-1-1 = Yéyé Mory (dit Mory Yagbaworo à Sagleipie, Libéria, fils de F1-1-1) F1-2-1-1 = Fatouma Brahima (18 ans en 1985 à Damaro, fils de F1-2-1) F1-3-1-1 = Saborè Bangaly (Libéria, fils de F1-3-1, vit à Philadelphie, U.S.A., depuis 1997) F1-4-1-1 = Kanfing Lossani (avait 20 ans en 1985 à Monrovia, fils de F1-4-1) F1-1-1-1-1 = Zoumana Camara (avait 7 ans en 1985, fils de F1-1-1-1)

GÉNÉALOGIE DES CAMARA DE DAMARO (BRANCHE REGNANTE ASCENDANTE ET DESCENDANTE DE SOSSO CAMARA, CO-FONDATEUR DE DAMARO) 1 - Man Camara: Son nom serait-il à l’origine du nom Mandingue? Manden = Mandé = Mandingue = fils (den) de Man 2 - Sibi Camara ►► ►Tous ancêtres 3 - Sibi Moussa Camara ayant vécu au 4 - Fran Camara Mandingue (Siby, 5 - Féré Kaman Camara (peut-être Farin Kaman?) Kangaba) 6 - Dankoro Camara 7 - Dankoro Moussa Camara 8 - Mansa Camara

9 - Kamandian Camara (Il fut l’initiateur au XIIIème siècle de la conférence de Kurukan Fuwa, ou réunion pour l’union sacrée et la résurrection du Mandingue après sa déconfiture du Mandingue par Soumaoro Kanté, le roi tyran du Sosso.) 10 - FARIN KAMAN CAMARA (Fondateur présumé du village de Farinkamanya situé entre Siguiri et Kankan, sur la route internationale KankanBamako. Il est le premier maillon connu avec assurance par l’auteur du présent ouvrage. Il serait venu de Siby (Mandingue malien), près de Bamako, pour fonder Farinkamanya. Farinkamanya est de nos jours considéré comme l’un des berceaux importants Camara de Guinée.) 416


11 - Dioman Camara (a quitté Farinkamanya pour le Maou en Côte d’Ivoire.) 12 - Koyfing Camara dit Koyfing Diomandé au Maou (Côte d’Ivoire puis à Dièmou, Worodou-Beyla) 13 - Koyfing Kaman Camara ou Diomandé (Maou, Côte d’Ivoire) 14 - Fing Koyfing Camara ou Fing Koyfing Diomandé (Maou, Côte d’Ivoire) 15 - Farin Kaman Camara (naissance et une partie de son adolescence au Maou puis adolescence, maturité et vieillesse à Moussadou (Beyla, Guinée). Il mourut à Kankan sur le chemin de retour au Mandingue.) 16 - Fandyara Camara (dans le Simandou, Beyla, Guinée) 17 - Fantouman Oulèn (dans le Simandou, Beyla, Guinée) 18 - Sonè Siman (fondateur du Simandou, Beyla, Guinée) 19 - Founou Oussou (Simandou, Beyla, Guinée) 20 - Fakassia Camara (Kassiadou, Damaro, Beyla, Guinée) 21 - Sosso Camara ((co-fondateur de Damaro avec Gnouma Oussou) 22 - Diarakoro Camara (Damaro, Beyla, Guinée) 23 - Diarakoro Kéoulèn Camara (Damaro, Beyla, Guinée) 24 - Kèmo Gnaman Camara (Roi du Simandou qui eut 16 fils à Damaro, Beyla, Guinée) 25 - Fata Kéoulèn Camara (1852-1917 à Damaro. Roi de la Province Camara de Simandou, il fut aussi un Sofakun (Commandant) dans l’armée de conquête et de résistance nationale de Samory à la pénétration française en Afrique et devint chef du canton de la Province de Simandou sous l’administration coloniale après sa soumission à l’envahisseur. Il laissa, à sa mort en 1917, 105 enfants vivants.) 26 - Kèmè Brahima Camara (1873-1928 à Damaro, fit 60 enfants, premier fils de Fata Kéoulèn.) 27 - Damaro Diontan Djiguiba Camara (1882-1963, auteur du présent ouvrage et 6ème fils de Fata Kéoulèn Camara, donc jeune frère de 26. 6ième fils de 25. Il eut 48 enfants. Il fut le dernier chef de canton de Simandou de 1929 à 1957.) 28 - Farimagbè Mamadi Camara (né le 10 juin 1907 à Faranah, mort à Damaro en 1993, fils aîné de 27 et eut 30 enfants.) 29 - Kagbè Djiguiba Diomandé (fils de 28, vécut de 1955 à 1988 à Daloa, Côte d’Ivoire, fils aîné de 28 et mourut à Damaro à l’âge de 55 ans en 1989.) 30 - Mory Diomandé (fils aîné de 29. 25 ans en 1988; transitaire-comptable à la Transafricaine, Abidjan, puis à Texaco.) 417


31 - Mékon Mamadi Diomandé (frère de 30, à Daloa, Côte d’Ivoire (1). N B: Synthèse réalisée par Daouda Damaro Camara, fils de l’auteur du présent ouvrage. Ce schéma, n’étant pas étanche, est sujet à des modifications dans la mesure où, ici ou là, on noterait des omissions et des erreurs dans la chaîne. Il faut noter que cette généalogie est établie en respectant rigoureusement l’ordre de transmission du commandement qui se fait du père au fils aîné, comme l’exige la tradition mandingue.

LISTE DES ENFANTS DE KÈMO GNAMAN CAMARA DE DAMARO, ROI DE LA PROVINCE DE SIMANDOU (BEYLA, GUINÉE) Les descendants de Kèmo Gnaman Camara, 24ème génération dans la généalogie générale des Camara depuis Siby (Mali), constituent de nos jours les principales branches des Camara qui peuplent Damaro. Certains de ses fils ont créé leur propre hameau de culture dans les environs immédiats, à moins de 10 km de Damaro, tandis que d’autres sont demeurés à Damaro centre. De nos jours la plupart de ces hameaux ont disparus pour revenir à Damaro. La présente liste, en dehors de l’aîné, Fata Kéoulèn Camara, et du benjamin, Mouba Mory Camara devenu Mory Doumbia, à Kati (Mali), respecte rigoureusement l’ordre des naissances. Kèmo Gnaman Camara, comme on va le voir plus loin, a joué un rôle important dans la vie de l’Almamy Samory Touré, futur empereur mandingue et héros de la résistance à la pénétration française en Afrique. En effet, après la libération de Sona Camara, la mère de Samory, par les Cissé de Madina, Samory va s’enrôler dans l’armée de Saren Souaré Mory Bérété, roi de Noumissana. Mais très envahissant, débordant de par sa vitalité, son audace, son sens du commandement... il indisposa son souverain qui décida de se débarrasser de ce bouillant serviteur qui commençait à lui porter ombrage. Pour avoir commis des exactions au nom de son souverain, celui-ci ordonna aux sofas de ramener Samory vif ou mort. Samory fut donc contraint de fuir vers le Sud, pays de ses oncles maternels, les Camara de la région forestière. Il dut sa vie sauve à Kèmo Gnaman Camara de Damaro, retiré à Wanitouro. Arrivé peu avant les sofas qui le traquaient, Samory fut sauvé de justesse par Kèmo Gnaman Camara de l’arrestation ou de la mort en le cachant dans un grenier, pour certains, et, pour d’autres, en l’enroulant dans une couverture sur sa natte étalée auprès du feu de bois qui le réchauffait, donnant ainsi l’impression aux sofas que la personne couchée était une de ses épouses qui trainait encore sous la couverture. Ainsi sauvé, Samory conclut un serment d’amitié, de protection mutuelle permanente entre lui et son sauveur. Ce serment devait perdurer entre les deux familles, entre les deux clans, comme on le verra plus loin, et facilitera l’explication de certains évènements survenus dans la vie de Samory, entre Fata Kéoulèn, fils aîné de Kèmo Gnaman, et le futur Empereur mandingue. C’est bien dans cette optique de fidélité au serment que Fata Kéoulèn Camara aura à jouer une part 418


active dans l’armée de conquête et de résistance de Samaory, en tant que Grand Commandant (Sofakun). Voici donc la liste des enfants fils de Kèmo Gnaman Camara, Patriarche de Damaro, dans l’ordre des naissances: 1) - Fata Kéoulèn Camara dit Diomani Kéoulèn, l’aîné fut un Grand Commandant (Sofak = Chef Sofa) de l’armée de conquête et de résistance nationale de Samory avant de se soumettre à la France qui le nomma chef de canton de la Province du Simandou. Il mourut en 1917 à Damaro, laissant derrière lui 105 enfants recensés après sa mort. 2) - Maténin Diara: Fondateur de Diaradou-Damaro, disparu, descendants à Féréssoudou-Damaro. 3) - Diongbè Dioman: Fondateur de Torokoro, son hameau de culture, progéniture à Hèrèmakono créé dans les annèes 1950 par son fils feu Saa Brahima Camara. À la mort de Kèmo Gnaman, sa concession personnelle fut attribuée à Diongbè Dioman. Celle-ci fut plus tard habitée par Saa Brahima avant de faire de Torokoro sa résidence préférée et presque permanente. De nos jours cette parcelle qui se trouve à la pointe du village de Damaro, à l’Est, non loin de la source Kòkunno ne contient plus de cases. Cependant les descendants de Diongbè Dioman, et plus précisément ceux de Saa Brahima, promettent de reconstruire celle-ci. Pour le moment (2016), il n’en n’était rien. Ce projet de restauration reste donc une belle intention. Mais à quand sa réalisation? 4) - Siami Abdoulaye: Fondateur du hameau de Kamandou, et dispose d’une concession à Damaro. 5) - Bossogbè Zoumana: Fondateur de Tènèma-Woussoudou tout en ayant une concession à Damaro. Il était surnommé Sotii, à cause de sa grande maîtrise dans l’équitation. Il prit une part active dans la bataille de Worono (Boussé, Macenta), dans les troupes françaises, contre celles de l’Almamy Samory Touré. 6) - Sifani Soko: Demeura longtemps à Sossodou, village créé par son père, Kèmo Gnaman Camara, puis vint s’installer à Damaro. Il fut le précepteur de Mouba Mory Camara, leur frère benjamin, devenu plus tard, par le hasard et les circonstances fortuites d’une certaine conception orgueilleuse de la vie, Mouba Mory Doumbia. 7) - Kourani Sidiki: Progéniture à Damaro, à Péla et à Conakry. 8) - Kessa Soko: Fondateur de Kessa Sokodou-Damaro. 9) - Namin Bakary: Demeura d’abord à Mònosora, puis déménagea à Damaro suite aux menaces d’un serpent insolite mythique qualifié de génie de ce lieu situé sur le flanc sud-ouest du mont Simandou. 10) - Kessa Gnagbè dit Bafaa Gnagbè (Torokoro-Damaro). 11) - Kourani Gnagbè: Vécut à Diorrodou, village aujourd’hui disparu, grandpère paternel d’Assata Mamadi Diomandé, célèbre et riche homme d’affaires né à San Pédro qui vivait en 2012 à Yopougon (Abidjan, Côte d’Ivoire). Après 419


Diorrodou, Damaro et Macenta, son père Diorrodou Morioulèn alla s’installer à San Pédro comme chauffeur. 12) - Téninfing Sinè: Progéniture à Dinguiraye. 13) - Kourani Kéoulèn: Progéniture à Kérouané dont Waakélè. 14) - Koya Sori. 15) - Kourani Brahima qui n’eut que des filles. 16) - Magna Sinè. 17) - Gnanfing Sidiki qui n’eut pas de postérité masculine. 18) - Mouba Mory Camara dit Mouba Mory Doumbia dont la progéniture se trouve à Bamako. Celui-ci était le benjamin des 18 enfants de Kèmo Gnaman Camara de Damaro. Il tronqua volontairement et subtilement son nom de famille Camara contre celui de Doumbia ou Kourouma pour échapper aux tentatives de le retrouver que devait mener inéluctablement son frère aîné Fata Kéoulèn Camara qui l’avait chargé de rechercher sa femme, du nom de Makèmè, évadée et probablement repartie vers le Mandingue (son pays d’origine?) où elle avait été raflée lors d’une des nombreuses guerres de Samory. Fata Kéoulèn ne voulait pas perdre ce précieux butin de guerre qui était remarquable par sa beauté angélique. Il faut noter que le choix porté sur la personne de Mouba Mory ne visait nullement à le sacrifier, ou à l’éloigner, mais en raison de son physique athlétique assorti d’une vitalité exceptionnelle qui pouvait lui permettre d’être plus endurant et plus apte pour accomplir une telle mission. Aussi, en pays mandingue, les commissions sont toujours confiées aux plus jeunes. N’ayant pas pu retrouver sa belle-sœur, du nom de Makèmè, Mouba Mory refusa de revenir au bercail par orgueil. N’ayant pu digérer l’échec de sa mission, il se culpabilisa, et par orgueil mandingue, préféra se cacher pour toujours. Inquiet du silence et du non-retour de son jeune frère qui ne donna jamais signe de vie à son mandant, Fata Kéoulèn, pris par un certain remords, ordonna à Bossogbè Zoumana, un autre jeune frère, certainement plus actif et peut-être plus éveillé ou plus intelligent. d’aller à la recherche de Mouba Mory et de le ramener avec ou sans la femme. Malheureusement, cette deuxième mission fut aussi infructueuse que la première. Il faut noter que Bossogbè Zoumana était un intrépide sofa qui s’était vaillamment illustré, dans les rangs des troupes des monarchies Camara du pays soumises aux conquérants français, à la bataille de Worono que les français avaient livrée aux derniers résistants samoryens dans le Boussé (Bouzié, Kouankan, Macenta). Il faut signaler aussi ici que Mouba Mory, à la mort de leur père Kèmo Gnaman Camara, avait été confié en éducation à un de ses grands frères du nom de Sifani Soko Camara. Une telle pratique est courante en pays mandingue. À la mort du père, on répartit toujours les plus jeunes enfants entre les aînés. Ces cadets sont tenus de considérer leurs frères aînés, auxquels ils sont confiés, comme leur père avec ce que ce terme implique ou exige comme affection, 420


respect, soumission et servitude. C’est ainsi qu’en guise de reconnaissance de la grande affinité et de l’affection fraternelle sincère qui s’étaient établies entre Sifani Soko et Mouba Mory, ce dernier, pour perpétuer cette affinité et le bon souvenir qu’il avait gardés de son frère aîné Sifani Soko Camara, donna le nom Soko à son premier cheval qu’il avait acheté au Soudan, parce qu’il se sentait peu ou pas très prolifique. Mais il tenait à perpétuer le nom de son très cher frère Sifani Soko. Mais heureusement que Dieu lui donna plus tard un fils qu’il baptisa Sékou = Soko, nom de son frère mentor, selon la version courante à Damaro. Mais celui-ci mourut prématurément. Puis il eut la chance de faire un second et unique fils qui survécut heureusement sous le nom de Soko ou Sékou. Donc Soko = Sékou est bien le prénom de Sifani Soko Camara. Heureusement que ce second et unique fils de Mouba Mory Doumbia appelé Sékou Doumbia, survécut et devint plus tard Colonel Sékou Doumbia dans l’armée malienne. Mais, suite à la lecture des notes autobiographique de Colonel Sékou Doumbia, il nous incombe de relever et de corriger une grave erreur d’interprétation relative au nom de Colonel Sékou Doumbia. En effet l’hypothèse qui est soutenue à Damaro, selon laquelle Colonel Sékou Doumbia porte le nom de son oncle Sifani Soko, est à écarter dorénavant. En effet, il est effectivement l’homonyme d’un érudit en arabe qui fut l’ami de Mouba Mory Camara alias Mouba Mory Doumbia. Pour pérenniser son amitié avec le marabout, Mouba Mory donna à son unique fils, le nom de Cheikh Sadibou, nom de ce marabout ami d’origine mauritanienne. Il faut donc éliminer l’hypothèse du nom de Sifani Soko couramment retenue à Damaro. Colonel Sékou Doumbia porte le nom de Cheikh Sadibou et non celui de Sifani Soko Camara de Damaro, son oncle paternel. Il n’est pas superflu de signaler une certaine lutte d’influence ou de récupération de la situation entre les descendants de Sifani Soko Camara, le mentor de Mouba Mory, et ceux de Bossogbè Zoumana, un autre frère de que Fata Kéoulèn Camara, l’aîné de Kèmo Gnaman, chargea d’aller aller rechercher Mouba Mory qu’il devait faire rentrer au bercail avec ou sans sa femme Makèmè qui fut d’ailleurs retrouvée plus tard vers Beyla. Ces deux familles se prévalent d’avoir plus d’affinité avec les descendants de Mouba Mory Camara. Pour les besoins de l’histoire il faut signaler que Mouba Coulibaly, la mère de Mouba Mory Camara, était la fille d’un « roi influent » de la famille Coulibaly de N’Zérékoré. Cette princesse fut mariée par Gnaman Camara de Damaro, roi du Simandou, lors d’une cérémonie d’alliance des deux couronnes. Mouba Mory s’engagea par la suite dans l’armée française, en 1908, et prit sa retraite avec le grade d’Adjudant-Chef à Kati - près de Bamako - où il mourut en 1954. Sa concession s’y trouve encore aujourd’hui. Il ne retourna plus à Damaro, par orgueil ou par honte après l’échec de sa mission. Cependant, avant sa mort, il exprima avec insistance à son fils SÉKOU DOUMBIA son souci ou son souhait de renouer avec Damaro, son village 421


d’origine dont il n’avait pas heureusement perdu les repères, ainsi que les noms de son père (Kèmo Gnaman), de son frère aîné Fata Kéoulèn, de son neveu Kèmè Bourahima et de Diontan Djiguiba qui furent des chefs de canton du Simandou. Il faut noter que SÉKOU DOUMBIA, cet unique fils de Mouba Mory, fut très tôt orphelin de mère. En effet celui-ci ne connut pas sa mère Saren Camara. Il fut élevé par sa marâtre Mah à qui il donna le nom de sa première fille Mah Katy Doumbia qui était professeur d’Allemand à Bamako en 2014. Colonel Sékou avait donc un peu négligé la réalisation de ces pieux vœux de son père. Suite à un rêve, dans lequel son feu père lui rappela avec insistance l’accomplissement de cette noble mission, Colonel Sékou Doumbia se rendit effectivement à Damaro en 1982 où il fut reçu avec beaucoup d’honneurs et d’affection car le nom de son père était encore en bonne place dans la mémoire de certains vieux de Damaro. Colonel Sékou Doumbia fut rassuré sur ses origines quand il vit, en 1984 à Bamako, avec votre facilitateur Daouda Damaro Camara, l’arbre généalogique des Camara de Damaro et le manuscrit complètement moisis y afférant que le nom de son père Mouba Mory Camara y était inscrit et bien cité en bonne place. On pouvait lire dans ces archives moisies de la famille: « Mouba Mory Camara, à rechercher vers le Soudan » (nom de l’actuelle République du Mali à l’époque). Ce qui le rassura d’avantage sur ses origines. Il fit une deuxième visite à Damaro en 1985 avec son épouse Awa Sarr et son fils aîné Awa N’Fa Mory, l’homonyme de son père Mouba Mory. Pour une question évidente de sécurité, et sur les sages conseils du Président Moussa Traoré du Mali qui donna à ce retour au bercail un caractère officiel en lui délivrant un ORDRE DE MISSION OFFICIELLE du Gouvernement Malien, établi en bonne et due forme, qui le conduisit d’abord à Conakry où, fort de cette recommandation, le Président Sékou Touré le reçut et le mit en contact avec feu El Hadj Mandiou Camara, cousin de Sékou Touré et un des fils de Fata Kéoulèn Camara, roi de Simandou (Damaro), et frère aîné de Mouba Mory Camara, père de Colonel Sékou Doumbia. Depuis, ses enfants entretiennent cette flamme qu’il a rallumée et prennent contact avec les ressortissants de Damaro partout où ils se rendent. De temps en temps, ses enfants se rendent à Damaro, surtout ses filles. Colonel Sékou Doumbia, qui est mort à Bamako en 2005, a laissé comme héritiers: Quatre garçons, à savoir: 1) Awa Mory Doumbia (mort en décembre 2012 à Bamako). 2) Awa Kalilou Doumbia (Pharmacie Daamu à Bamako). 3) Awa Maadou Doumbia dit Doudou. 4) Awa Oumar Doumbia dit Barou. Et cinq filles qui sont: 1) Mah Katy Doumbia (professeur d’Allemand à la retraite, Bamako). 2) Fatimata dite Fatou (juriste). 422


3) Moussokoro Doumbia dite Michoue (gestionnaire, femme d’affaires). 4) Alimata Doumbia (gestionnaire). 5) Aminata Doumbia dite Mimie (administratrice, gestionnaire de projet GTZ Allemand). En 2010, celles-ci avaient participé à l’inauguration de la nouvelle et majestueuse mosquée de Damaro dont la réalisation a connu la participation financière de Colonel Sékou Doumbia.

Adjudant-chef Mouba Mory CAMARA alias Mory DOUMBIA est né à Damaro (Guinée). N’ayant pu retrouver Makèmè, sa belle-sœur perdue, épouse de son frère aîné Fata Kéoulèn Camara, roi du Simandou-Damaro (Beyla-Guinée) et célèbre chef Sofa (Sofakun = Commandant) de Samory, qui l’avait chargé de retrouver son épouse perdue ou évadée, il tronqua son nom de famille CAMARA contre celui de DOUMBIA pour brouiller les pistes. Ainsi il ne pouvait être retrouvé par les missionnaires que celui-ci avait envoyés à sa recherche pour le faire rentrer au bercail avec ou sans sa femme. Enrôlé dans l’armée française, il finit son service militaire avec le grade d’Adjudant-Chef. Il prit sa retraite à Kati (Bamako) où il mourut en 1954, laissant un seul fils du nom de Sékou Doumbia, devenu plus tard Colonel SÉKOU DOUMBIA qui mourut en 2005 à Bamako. Sa concession se trouve encore à Kati.

Depuis, elles y viennent individuellement ou en groupe, chaque année, pour participer à la réunion de l’Union Fakassia de Damaro, qui est une rencontre annuelle fraternelle, institutionnalisée depuis 1985 par le sotii kèmòò feu Gbani Saren Sidiki Camara, de tous les ressortissants résidant ailleurs et de ceux installés à Damaro. Elles ont créé et animent une section de cette 423


O.N.G. familiale ou communautaire à Bamako avec leurs cousins damarois de Koutiala et des autres régions du Mali. Mais, par contre, ses fils traînent encore les pas pour venir souvent se ressourcer et renouer avec la famille comme les filles, à l’exemple particulier de Mah Katy Doumbia, professeur d’Allemand à Bamako, et de sa sœur benjamine, Aminata Doumbia dite Mimie, qui travaille à la coopération allemande à l’Ambassade de la République Fédérale d’Allemagne à Bamako, comme administratrice et gestionnaire des projets agricoles financés par la coopération allemande à Bamako au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Mah Katy et Moussokoro Michoue ont été désignées respectivement en 2011 et 2013 comme membres du Bureau Exécutif de l’Union Fakassia de Damaro.

Feu Colonel Sékou Doumbia: Né le 26 mai 1931 à Kati, décédé le 17 avril 2005 à Bamako. Cursus Militaire: École des enfants de Troupe de Kati • École militaire PRYTHANIE de Saint-Louis • L’ENA de Montpellier en France • EFOR-TOM (France) • École Supérieure d’Intendance en France • Prisonnier et blessé de guerre en Indochine • Intendant Général de l’Armée Malienne • Membre du Bureau Politique de l’U.D.P.M. (Union Démocratique du Peuple Malien)

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Photo souvenir familial prise lors du séjour de Colonel Sékou Doumbia à Conakry en 1982. On reconnaît, assis, de gauche à droite: Feu Fatoumata Mamadi dit Nylon (2ème), Hadja Kaadou Camara (3ème), Hadja Fanta Camara dit Keita Fanta (4ème). Debout, de gauche à droite: Fatouma Sékou (1er), Tirankè Zoumana Camara dit Gbonba (2ème), Feu El Hadj Awa Amara Camara (3ème, cheveux blancs, sans bonnet), COLONEL SÉKOU DOUMBIA (4ème, en blanc), Feu El Hadj Mandiou Camara (5ème, avec chéchia, doyen des Camara de Damaro à Conakry), Ismael Camara dit I.T. (6ème, bras croisés), Feu Baba Mandiou Camara dit Coplan (7ème), Feue Hadja Madoussou Camara (8ème, à l’extrême droite). À l’arrière-plan: Feu El Hadj Dagbè Amara Kourouma, en bonnet.

Debout de gauche à droite: El Hadj Awa Amara Camara, le sotii kèmòò de Damaro en 1983(?), Colonel Sékou Doumbia, El Hadj Mandiou Camara, Doyen du Konya et des ressortissants de Damaro à Conakry, El Hadj Moustapha Cissé de Moussadou, sage du Konya à Conakry. Sont assises de gauche à droite: Hadja Moussokoro Traoré, épouse d’El Hadj Mandiou Camara, Madoussou Camara, épouse de El Hadj Mandiou Camara, Hadja Mabintia Bangoura, épouse d’El Hadj Mandiou Camara. 425


Photo de famille lors du séjour du Colonel Sékou Doumbouya à Conakry. Debout de gauche à droite: Abdoulaye Camara dit Abdoulaye Oulèn, Dagbè Amara Kourouma, El Hadj Awa Amara Camara, le sotii kèmòò de Damaro en 1983, Colonel Sékou Doumbia, El Hadj Mandiou Camara, doyen des ressortissants de Dqamaro à Conakry, El Hadj Moustapha Cissé?, doyen du Konya à Conakry. Sont assis de gauche à droite: Mamadi Camara dit Babayi, Sonaba Lossani Camara, Amadou Damaro Camara (3ème à partir de la droite, accroupi les bras croisés entre deux femmes, futur Président de l’Assemblée Nationale de Guinée en 2020 pour la 9ème législature de 2020 à 2025, Moussokoro Amara Camara dit Konya Amara à l’extrême droite.

Le colonel Sékou Doumbia assis entre cousins: El Hadj Awa Amara, le sotii kèmòò de Damaro en 1983 (à gauche) et El Hadj Mandiou Camara, le doyen des ressortissants de Damaro à Conakry.

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De la droite à la gauche: El Hadj Awa Amara Camara, le sotii kémòò de Damaro, Colonel Sékou Doumbia, El Hadj Mandiou Camara, le doyen des ressortissants de Damaro à Conakry.

Lors de leur séjour à Damaro en 2013, Awa Sarr, l’épouse de Colonel Sékou Doumbia, et ses filles Mah Katy, Fatimata et Moussokoro Michoue ont fermement promis, au nom de tous les autres héritiers de feu Colonel Sékou Doumbia, de construire une maison à Damaro sur la parcelle qui avait été attribuée au nom de toute la communauté villageoise de Damaro, par Feu Fatouma Sidiki Camara, sotii kèmòò de Damaro, à leur époux et père, lors de son dernier séjour à Damaro en 1982 et par respect de la dernière volonté de celui-ci. Comme promis, la construction d’une maison familiale promise par les filles de Colonel Sékou Doumbia a débuté en 2016, sous la supervision de Mah Katy qui s’y est consacrée dès qu’elle prit sa retraite. LE MESSAGE D’UNION ET D’ENTENTE- OU LE TESTAMENT DE KÈMO GNAMAN À SES DIX-HUIT FILS Ecrasé par le poids de l’âge et de la maladie, sentant donc sa fin très proche, le patriarche Kèmo Gnaman, le roi du Simandou (Damaro), convoqua une réunion exceptionnelle de ses dix-huit enfants survivants autour de lui pour leur laisser un message. Quand tous furent réunis dans la case, il demanda à chacun de prendre le fagot de roseau de 12 éléments pour tenter de casser le fagot. 427


Malheureusement, aucun ne put casser en deux le fagot fortement attaché par une ficelle. Ensuite, il défit le fagot et demanda d’abord à Fata Kéoulèn, le fils aîné, de prendre une baguette du fagot pour le casser en deux. Celui-ci fit cette opération avec aisance. Et chacun des fils fit le même geste sans aucune difficulté. Puis il les libéra. Les enfants n’ayant pas compris le sens de l’énigme, revinrent tous, ensemble, peu après pour demander à leur père la signification de ce qui leur fait faire. Le vieux qui s’attendait à cette question leur répondit: « Vous constituez ma progéniture dont je suis fier. Mais j’avoue que j’ai un grand souci pour ce que seront vos relations après moi. Si aucun de vous n’a pu casser le fagot de baguettes de roseau, cela veut tout simplement dire que si vous restez unis et solidaires, personne ne pourra vous vaincre, vous triompherez sur tous vos ennemis et franchirez toutes les embuches de la vie. Mais: ➢ Si par contre vous n’êtes pas unis, ➢ Si vous n’agissez pas solidairement, ➢ Si vous ne parlez pas d’une seule et unique voix, ➢ Si vous ne taisez pas vos contradictions et vos rancœurs, ➢ Si vous respectez réciproquement, ➢ Si vous vous aimez fraternellement, ➢ Si vous ne vous haïssez pas, ➢ Vous ne serez pas craints par tout le monde, et l’ennemi profitera de cette fissure pour vous éliminer un à un en vous opposant et en créant la zizanie entre vous. Si vous respectez rigoureusement ces consignes, vos ennemis ne pourront jamais: - vous diviser, - vous affaiblir, - vous attaquer et - vous éliminer tour à tour. ► Sachez que vous ne pourrez jamais réussir dans l’isolement et dans la discorde. ► Donc tous pour un et un pour tous! Car l’union fait la force invincible. À bon entendeur salut. Tel est le message que je vous laisse, Tel est mon testament... » Ce message d’unité et de sagesse est valable pour toutes les familles qui veulent prospérer dans la Paix.

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FATA KÉOULÈN CAMARA: SES ENFANTS ET SES ATTRIBUTS

Fata Kéoulèn Camara dit Diomani Kéoulèn de Damaro, Commandant (Sofakun) dans l’armée de conquête et de résistance de Samory à la pénétration française au Soudan, Roi de la Province de Simandou (Damaro), Porte flambeau des monarchies Camara de la région forestière lors de la révolte générale (bankèlè) suite à la défaite cinglante de Samory au siège de Sikasso. Cette révolte provoquée surtout par l’intoxication des Français qui, exploitant la sensibilité et l’orgueil des Monarques Camara de la savane et de la forêt, réussirent à répandre dans tout l’empire que l’Almamy Samory était bien mort et que Morifindian Diabaté, homme de caste, son fidèle griot, était désigné comme son successeur sur le trône impérial. Cette nouvelle qui fut largement répandue et accréditée partout provoqua la révolte générale (bankèlè) des monarchies locales, notamment celles des Camara. Après sa soumission aux nouveaux maîtres du pays et l’arrestation de l’Almamy Samory Touré, Fata Kéoulèn fut intronisé Chef du canton de Simandou-Damaro (cercle de Beyla) de 1894 jusqu’à sa mort le 5 mars 1917.

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LISTE NOMINATIVE COMPLÉTE DES ENFANTS DE FATA KÉOULÈN CAMARA DIT DIOMANI KÉOULÈN (KÉOULÈN DIOMANDÉ) OU ENCORE DIOMANI-TYÈ DE DAMARO, ANCIEN SOFAKUN (COMMANDANT) DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ ET ANCIEN CHEF DE CANTON DE SIMANDOU Dans la généalogie des Camara tontii de la Guinée, depuis le Mandingue, Fata Kéoulèn Camara occupe le 25ème rang dans l’ordre décroissant. Pour la suite des événements, nous faisons abstraction de la famille de Fata Kéoulèn Camara qui transcende les autres clans Camara de Damaro, bien que descendants tous de Fakassia Camara. Le village actuel de Damaro créé par Gnouma Oussou Camara et Sosso Camara est devenu de nos jours l’un des principaux sanctuaires des Camara. Fata Kéoulèn Camara qui est issu du clan de Sosso Camara a joué un rôle important dans l’armée samoryenne, dans l’implantation et la consolidation de l’administration coloniale française en Guinée Forestière. En effet, il fut - voir plus loin - un grand chef sofa dans l’armée de conquête et de résistance samoryenne. Sous les Français, il fut désigné comme chef de Canton de Simandou (Damaro) qui relevait du cercle de Beyla (Guinée). À sa mort, en 1917, il fut remplacé à ce poste successivement jusqu’en 1957, date de la suppression de la chefferie traditionnelle en Guinée, par son premier fils Kèmè Brahima (1873-1928) et par son sixième fils Diontan Djiguiba Camara (1882-1963), l’auteur du présent ouvrage. La liste complète de ses 105 enfants vivant à Damaro en 1917 et celles d’une partie de ses petitsenfants (seulement les 60 enfants de Kèmè Brahima et les 48 enfants de Diontan Djiguiba Camara) indiquent le grand nombre et l’importance de sa progéniture qui s’impose encore à tous les autres clans Camara de Damaro, du Simandou et de l’ancien cercle de Beyla (Guinée). Depuis la création de Damaro, à la fin du XVIIème siècle ou début du XVIIIème, la chefferie traditionnelle et tout autre pouvoir sont détenus et monopolisés par la lignée de Sosso Camara qui, on s’en souvient, eut la chance de trouver l’or qu’avait mis dans la tête cuite du bœuf sacrifié par leur père Fakassia Camara. Conformément aux prédictions du devin, le clan de Sosso Camara préside encore aux destinées du village de Damaro. Malgré son grand nombre et sa grande importance, le clan Sosso Camara a su créer et maintenir une parfaite harmonie avec les frères consanguins de la lignée de Gnouma Oussou Camara, l’aîné, et avec ceux constitués par le clan de Fafounou Gnakoro Camara demeurant à Damaro et certains hameaux de culture de Damaro, à savoir: Kènègbèbaro, Farala... et à N’Zérékoré dont la famille de feu Fantagbè Sidiki, père de Mamadi Camara dit Mamadi Assurance, Directeur Adjoint de UGAR (Union Guinéenne d’Assurance et de Réassurance à Conakry en 2011, puis, Directeur en 2014, et depuis 2010, de (LGV) LA GUINÉENNE VIE (ASSURANCE VIE). 430


Il faut noter que la présente liste a été dressée après sa mort dans l’ordre croissant des naissances. Les enfants décédés avant l’établissement de celle-ci n’y figurent pas. Il y a donc de l’aîné à la benjamine: 1) - Gnaman Camara dit Kèmè Brahima Camara: Né en 1873, mort en 1928 à Damaro. Surnommé Kribi (le puissant, le colosse), à cause de son imposante masse corporelle, il était obligé de changer de cheval à chaque 10 kilomètres, tellement il pesait lourd. Il fut chef du canton de Simandou et successeur de son père Fata Kéoulèn en 1917. Il fut très prolifique (36 garçons et 24 filles). Il mourut en 1928 à Damaro. Sa nombreuse progéniture constitue de nos jours le clan Kèmèdouka. 2) - Diontan Kaba Camara: Mort le 4 décembre 1918 à Damaro. 3) - Makan Magnaba Camara dite Senkòba: Morte en 1949 à Beyla, était mariée par les Doukouré de Kouankan (Macenta). 4) - Maténin Zoumana Camara: Mort en novembre 1961 à Damaro. 5) - Watta Kagbè Camara: Morte en 1929 à Diomandou (Simandou, Beyla). 6) - Damaro Diontan Djiguiba Camara: Né en 1882 et mort le 25 juillet 1963 à Damaro. Auteur du présent ouvrage. Père de 48 enfants, sa progéniture constitue de nos jours le clan DIONTANDOUKA et fut le dernier chef de canton de Simandou de 1929 à 1957. Sa nombreuse progéniture se rencontre en Guinée, au Libéria, en Côte d’Ivoire, en Belgique, aux U.S.A. ... 7) - Gninima Abdoulaye Camara: Mort en 1922 à Damaro. 8) - Mankan Kognogbè Camara: Morte le 20 juin 1965 à Beyla. 9) - Diawani Kèmè Mankan: Mort en 1972 à Beyla. 10) - Boron Zoumana Camara: Mort en 1958 à Damaro. 11) - Mankan Djiguiba Camara: Mort en 1933 à Damaro. 12) - Makoura Tignè Camara: Morte en 1968 à Beyla. 13) - Kèmè Niagbè Camara: Mort en 1932 à Damaro. 14) - Magna Fata Mamadi Camara dit Mamadi Diaraba: Mort en 1958 à Kérouané. 15) - Kagbè Daouda: Mort. 16) - Bron Koya: Morte à Moussadou. 17) - Fatoumata Fila Fatagbè: Morte à Kankan. 18) - Diarakaba Soko: Mort à Sibiribaro (Kérouané). 19) - Magna Zoumana: Mort en 1945 à Damaro (grand-père de l’économiste et financier Dr. Ansoumane Camara dit Issa Zoumana, consultant pour les questions économiques et financières). 20) - Tirankè Fila Amadou: Mort en 1934 à Damaro. 21) - Saa Niénima dite Saa Moïma: Morte à Damaro en 1965. 22) - Saa Lansana: Mort. 431


23) - Diaoulèn Abdoulaye: Mort en 1918 à Beyla. 24) - Doussouba Diara Kaba: Mort en 1918. 25) - Fatouma Brahima: Mort le 19 mars 1961 à Damaro. 26) - Noumousso Diontan: Morte en Côte d’Ivoire. 27) - Fata Koutoubou: Mort en 1934 à Gbalano (Simandou, Beyla). 28) - Kagbè Moussa: Mort. 29) - Bron Moussokoro: Morte à Monrovia (Libéria). 30) - Gbani Saren Sidiki est mort en 1975 à Damaro. Devenu sotii kèmòò ou kabila kuntii après Diontan Djiguiba qui fut chef de canton de Simandou et auteur du présent ouvrage. C’est Gbani Saren Sidiki qui, par une lettre circulaire, demanda à tous les ressortissants de Damaro à travers le monde entier de se réunir périodiquement pour réaliser à court, moyen et long terme le développement socio-économique de Damaro (adduction d’eau, électrification, désenclavement de Damaro et construction d’une mosquée moderne à l’image du village). Après plusieurs réunions annuelles des enfants de Damaro, tous ces programmes initiés sont aujourd’hui réalisés à 100%. Il fut l’initiateur de la création de l’UNION FAKASSIA DE DAMARO. Pour avoir épousé en secondes noces ou troisième noces toutes les vieilles veuves du village, on l’a surnommé par ironie « Moussokoroni Sidiki » ou l’époux de toutes les vieilles veuves qui n’arrivaient pas à se remarier après la mort de leur premier ou second mari. 31) - Diaoulèn Makan: Mort en 1996 à Anyama (Abidjan, Côte d’Ivoire). 32) - Saren Bourahima: Mort en 1968 à Beyla. 33) - Awa Kana Aramata: Morte en 1974 à Kankan. 34) - Saa Fata: Morte en 1957 à Boola (Beyla, Guinée). 35) - Awa Koroma Fatoumadian: Morte en 1932 à Kankan. 36) - Diontan Ténin Oulèn: Morte en 1978 à Beyla. 37) - Magnan Tidiane: Mort en 1948 à Damaro (grand-père du Colonel de la Gendarmerie Guinéenne Tidiane Damaro Camara, Commandant du poste stratégique du km 36 à la rentrée de Conakry en 2019). 38) - Tirankè Touré Mory: Mort à Beyla. 39) - Saren Tirankè: Morte en 1932 à Sanankoroni (Simandou, Beyla). 40) - Doussouba Massadian: Mort en 1981 à Damaro. 41) - Fatoumata Maténin: Morte en 1932 à Nionsomoridou (Beyla). 42) - Fata Boron Oulèn: Morte en 1934 à Damaro. 43) - Noumousso N’Vafing Camara: Engagé dans l’armée française et affecté au Togo, mort en 1942 à Lomé (Togo) où réside, au quartier Tokoin, son fils El Hadj Mamadou Camara, commerçant et père de nombreux enfants qui sont aujourd’hui de nationalité togolaise à part entière. C’est en 1954 qu’El Hadj Mamadou Camara a pu découvrir Damaro, son village d’origine. Depuis, il n’a pas rompu avec la famille et a fait plusieurs voyages en Guinée. Il est mort en juillet 2014 à Lomé, ses nombreux enfants y résident et ont bien sûr la nationalité togolaise. 432


44) - Saa Kèmè: Morte le 18 décembre 1942 à Damaro. 45) - Fatouma Fila Siami: Morte en 1960 à Damaro. 46) - Diaoulèn Lansana: Mort à Dabou (Côte d’Ivoire) en 1942. Son fils, El Hadj Sarenkin Mamadi Camara, vit à Anyama (Abidjan) où il est père de nombreux enfants. Ce dernier est mort en 2019 à Anyama-Abidjan (Côte d’Ivoire). 47) - Diaoulèn Sidiki: Mort. 48) - Saren Valy Oulèn: Mort en 1975 à Damaro. 49) - Manigbè Mamadi Kaba: Mort en mai 1987 à Beyla. 50) - Tirankè Koutoubou: Mort en 1983 à Damaro. 51) - Tirankè Fila Lossani: Mort à Damaro. 52) - Naakan Ténin: Morte. 53) - Awa-Kana Kariata: Morte à Macenta.Très éveillée. Elle fumait la pipe et portait avec élégance des pantalons (Rarissime à l’époque). 54) - Sona Foumba: Mort en 1946 à Lagbara (Yomou, Guinée). 55) - Fata Sama: Morte en 1919 à Timindou (Kérouané). 56) - Fata Mamadi: Mort en 1924 à Nionsomoridou (Beyla). 57) - Kaagbè Maanakoura: Morte à Diomandou (Simandou, Beyla).

58) - Fata Mamadi: « Parti pour une destination inconnue, perdu, à rechercher. » En effet, il n’est pas revenu au bercail après sa formation de maître d’école coranique à Kankan. Serait-il mort ou vivrait-il quelque part? En effet, après sa conversion à l’Islam en 1894, Fata Kéoulèn envoya en 1908 deux de ses fils (Gbani Saren Sidiki et Fata Mamadi) plus trois de ses petits-fils (Manténin Mamadi, Tirankè Drissa Oulèn et Mamadi Oulèn Ambassadeur) à Kankan pour apprendre à lire le Coran et à écrire en Arabe afin de pouvoir créer, à leur retour, des écoles coraniques à Damaro, et mieux y implanter l’Islam. C’est bien dans ce cadre que Fata Mamadi se trouva à Kankan. Mais il ne retourna plus à Damaro au terme de cette formation comme le firent son grand frère et ses trois neveux. Suivant son destin, il se retrouva à Kissidougou où il se maria à une femme Kouranko qui lui fit un fils du nom de Karim Camara dit Garanké. Celui-ci engendra: Mamadi Camara, vivait en 2014 à Conakry Maadou Camara, vivait en 2014 en Sierra Leone Mamoudou Camara, décédé Lamine Camara, vivait en 2014 à Conakry Kariata Lamine Lansana Camara Delphine Camara Maurice Camara, homme d’affaires en 2014 à Conakry Oumarou Camara, vivait en 2014 à Siguiri Les jumeaux de Damaro: 433


● Aly Camara dit Alex et Kalil Camara dit Izak. Ces deux jumeaux, après leurs études universitaires, embrassèrent, faute de mieux, la carrière d’artistes musiciens. Kadia Camara Saran Camara Fanta Camara Soucieux de connaître leur origine ou plus exactement le nom de leur village d’origine, les jumeaux Kalil et Aly exprimèrent avec insistance à leur père leur préoccupation sur le sujet, car, ils avaient constaté que leur père n’était jamais parti dans son village d’origine, pour une raison ou une autre, et que personne, à leur connaissance, n’en était venue pour lui rendre visite à Kissidougou. Après cette insistance contraignante et gênante, il leur révéla, pour la première fois, le nom de Damaro, son village d’origine où il n’était jamais parti. Il leur révéla aussi que son père était le fils du roi de Damaro. À partir donc de ces vagues informations données par leur père Karim sur le nom de leur village d’origine (Damaro), les deux jeunes décidèrent d’adopter le nom de DAMARO et d’évoluer sous le sobriquet artiste de « Les Jumeaux de Damaro X ». Par la magie de l’INTERNET et du Facebook, et pour assouvir leur soif de découvrir Damaro, ils prirent contact avec Madingbè Safiatou Damaro dite FIFI, qui est la fille de votre facilitateur (Daouda Damaro Camara) sur qui ils furent orientés par celle-ci, pour être mieux informés. En notre qualité d’historien et d’archiviste de la famille Camara de Damaro et sur la base de ces informations très fragmentaires qu’ils eurent à nous fournir, nous pûmes Daouda et Morisara - retrouver le nom de Fata Mamadi Camara, leur grandpère, sur la liste des enfants de Fata Kéoulèn, au 58ème rang, avec la mention « Perdu après sa formation coranique à Kankan, à rechercher ». C’est ainsi que par notre truchement nos Jumeaux de Damaro furent présentés en 2013 à la nombreuse et importante colonie des Damarois résidant à Conakry. Depuis, ils sont entièrement intégrés dans la colonie des Damarois à Conakry et prennent activement part à toutes les activités des Damarois. ertains Damarois les avaient vus se produire sur les écrans de la Télévision Nationale (RTG), dans certaines manifestations culturelles et artistiques ou à travers leurs disques et CDs et dans la presse écrite, sans réellement les connaître. Après la clarification ou ce jet de lumière crue sur leur origine, ils furent édifiés et rassurés et décidèrent qu’ils ne devraient plus s’appeler: « LES JUMEAUX DE DAMARO », mais: « LES JUMEAUX DE DAMARO » (tout court) Suites à de nombreux contacts avec les ressortissants de Damaro à Conakry, ils furent invités et reçus avec beaucoup d’honneurs à Damaro du 27 au 31 mars 2014, grâce à la bienveillance du Ministre Morikè Damaro Camara, lors de la 32ème réunion annuelle de l’Union Fakassia de Damaro. C’était le 27 mars 2014, à 10 heures 30, que leur arrivée fut annoncée. Alors 434


pour marquer cet événement, la population se mobilisa spontanément et massivement pour aller les accueillir à l’orée du village. Ce retour à la source fut un évènement si émouvant, quand, après avoir été reçus en grande pompe par toute la population à l’entrée du village, à coups de fusils, aux sons des tamtams, ils furent introduits pour la première fois dans le village. Une véritable cohue humaine, spontanément mobilisée, noyée dans un nuage de poussière et de fumée des fusils qui ne cessaient de détonner, s’engouffrait au village par le grand boulevard pour déboucher ensuite sur la place publique au milieu de laquelle est bâtie la grande et majestueuse mosquée de Damaro. Apres le tour de celle-ci, la marée humaine prit la direction de la place Fakassia dont elle fit le tour d’honneur aux sons des tam-tams et les coups de fusils qui ne cessaient de crépiter, répandant une épaisse masse de fumée qui piquait dans les narines. Après quelques tours d’honneur, ovationnées par tous les villageois qui ont fait le déplacement, nos hôtes firent leur entrée triomphale dans la salle de réunion où les attendaient les sages et les différentes délégations des Damarois venues d’ailleurs pour cette réunion annuelle. Après avoir été présentés par nous à l’assemblée, les deux jeunes artistes entonnèrent spontanément un magnifique chant très bien orchestré, dans une mélodie savoureuse et envoutante qu’ils avaient composé au préalable pour immortaliser ce Retour au Pays Natal, pour manifester leur joie de voir la réalisation de ce pieux vœux et pour remercier tous ceux qui ont contribué à leur retour au bercail - notamment El Hadj Daouda Damaro, le Ministre Tirankè Morikè Damaro et Sama Awa Camara d’une part, et toute la population qui les a accueillis avec tant d’enthousiasme, de ferveur et d’honneur sans précédents dans leur vie, d’autre part. Pendant cette brève prestation musicale pathétique improvisée, toute la salle profondément émue et envoutée se mit à pleurer et à danser. Alex, plus émotif ou plus sensible, craqua, tant l’émotion était vive et insoutenable. Mais heureusement, Izak, certes autant ému, sauva courageusement la situation en n’abandonnant pas le micro comme Alex qui avait craqué par excès d’émotion pour se retirer en larmes dans un coin de la salle. Oui, aucun cœur sensible ne pouvait échapper à une telle émotion. Tout le monde pleurait dans la salle. C’était beau, c’était magnifique, c’était émouvant, c’était irrésistible. Ce jourlà, aucun cœur sensible ne pouvait résister à l’émotion. La quasi-totalité de la salle pleurait à chaude larme, tant les enfants avaient capté tous les cœurs à travers un chant pathétique. Dans ce magnifique et significatif chant patriotique, très bien orchestré, ils clament leur fierté et leur joie de dénouer enfin l’énigme ainsi leurs témoignages de reconnaissance: « Toute personne digne, n’importe où elle se trouve, doit rechercher et connaître ses origines (Faso). Nous, nous sommes nés et avons grandi à Kissidougou. Mais nous ne sommes pas Kissiens. Nous sommes de Damaro. 435


Et nous sommes fiers d’être de Damaro. Nous sommes heureux de venir au pays de nos parents, à notre source. Aujourd’hui nous sommes enfin libérés de l’inquiétude ou incertitude qui nous hantait tant. Et nous sommes heureux et fiers d’être aujourd’hui à Damaro. Nos espoirs sont enfin comblés par le TOUT PUISSANT ALLAH. Nous avons enfin retrouvé ce beau village d’où est parti notre grandpère Fata Mamadi. Nous sommes aujourd’hui convaincus d’être de vrais Damarois. Merci donc à tous ceux qui ont contribué à cette découverte tant attendue. Notamment Papa El Hadj Daouda Damaro Camara, le Ministre Morikè Damaro Camara Et la gentille tante Sama Awa Camara qui sont les artisans de ce retour à nos sources. Merci donc à tous pour cet accueil populaire, spontané, chaleureux et inattendu. Nous sommes émus par cette ferveur fraternelle qui est le signe de notre adoption par vous. Notre pieuse pensée et notre profonde piété filiale à notre père Fata Mamadi qui n’a pas eu la chance que nous avons aujourd’hui et à notre défunte mère Na Fanta qui a fait de nous des Damarois. Malheureusement notre Grand-Père Fata Mamadi n’a jamais eu le bonheur de retrouver les siens pour jouir comme nous de tels instants précieux de retrouvailles. Notre rêve est enfin devenu aujourd’hui une réalité. Merci au TOUT PUISSANT ALLAH qui a permis la réalisation de ce rêve. » La salle émue explosa de délire quand, pour terminer cette brève séquence musicale ou cette animation imprévue, nos jumeaux interprétèrent magnifiquement Farin Kaman Fasa, l’hymne patriotique des Camara de Damaro, et par ricochet de ceux du Konya, et de toute la Guinée Forestière pour émouvoir et fouetter la fibre patriotique des Camara. Dans la salle, personne ne resta assise, tout ce monde bougea, se mit à danser et à chanter en chœur le refrain de ce magnifique chant patriotique évocateur d’un lointain et glorieux passé. La liesse était indescriptible. Dans la foule l’émotion était perceptible sur toutes les figures et si vive que les cœurs les plus sensibles pleuraient a chaudes larmes. C’est après cette brillante et mémorable prise de contact d’une trentaine de minutes que nos hôtes furent conduits à leur domicile. Lors de cette traversée du village, ils drainèrent aussi une foule de femmes et de jeunes curieux et d’ admirateurs. Puis l’orchestre constitué de joueurs de tam-tams revint dans la salle de réunion ou entre temps les travaux avaient repris. 436


Le lendemain, après leur avoir raconté brièvement l’histoire de Damaro, le sotii kèmòò leur présenta et les fit porter les armes de guerre et les attributs de chef de leur ancêtre Fata Kéoulèn Camara qui sont jalousement conservées à Damaro. Le clou de leur mémorable séjour ou de leur pèlerinage à la source fut la découverte du magnifique et impressionnant site touristique de Woroworoko, qui est à la fois une chute touristique, une source mythique et thermale. Ce jourlà ils furent encadrés et accompagnés de plus de 500 jeunes du village et des délégués venus pour la réunion annuelle de Fakassia. Ce jour-là, le serpent mythique, esprit protecteur des lieux, ne fit pas son apparition sur les rochers, parce qu’il fut préalablement averti de la visite des Jumeaux de Damaro, « ses petits-fils », et de nombreux jeunes de la progéniture de ses anciens adorateurs des temps anciens. Dans ce cas il libère la chute et ses rochers, cède la place afin que ces visiteurs autorisés du jour s’y baignent à volonté, l’implorent et lui exposent leurs préoccupations qu’il a toujours examinés favorablement, dit-on. Il paraît que les femmes stériles y trouvent leur compte ou la solution de leur stérilité. Certains visiteurs emportent des bidons d’eau fraîche de la chute qu’on dit « bénie ». Pour les crédules et les superstitieux, Woroworoko est hanté par un esprit ou un génie bienfaiteur(?). C’est pour cette raison que les gens y viennent fréquemment d’ailleurs pour l’implorer. Malheureusement, à cause d’une forte tornade qui s’abattit sur Damaro dans la nuit du samedi 29 mars 2014, nos jumeaux ne purent se produire à la Maison des Jeunes pour satisfaire la curiosité des nombreux jeunes des villages voisins venus massivement les admirer et les voir sur scène. Mais si Dieu le veut bien, cela se fera en avril 2015 ont promis les jumeaux à leurs fans. Ce pèlerinage de Alex et de Izac, dits Les Jumeaux de Damaro, au terroir ancestral fut si triomphal et si mémorable, à telle enseigne, que nos jumeaux promettent d’y revenir chaque année ou très souvent et envisagent même de construire une maison pour être mieux rattachés à Damaro. Que Dieu les entendent. Ils y reçurent aussi beaucoup de bénédictions de la part des sages, notamment du sotii kèmòò et de toute la collectivité. Il faut noter en passant que Mariam Camara, une des petites-filles de Gbani Saren Sidiki, déclara dans la salle pleine, au micro, que sa grand-mère, feue Massoro, leur racontait très souvent que son mari Gbani Saren Sidiki regrettait, jusqu’à sa mort, la perte de son jeune frère Fata Mamadi, parti pour une destination inconnue, après leur formation à l’école coranique à Kankan. N’est-ce pas là encore une preuve ou une confirmation des faits qui attestent l’origine damaroise de Alex et de Isaac, les Jumeaux de Damaro? Le vieux Karim Camara, fils de Fata Mamadi et père des « Jumeaux de Damaro », est mort en 2006 à Kissidougou dans sa concession sise à Dar-Es-Salam.

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Photo souvenir du séjour des jumeaux de Damaro à Damaro en 2014. On reconnaît de gauche à droite: Monsieur Lamine Camara, El Hadj Daouda Damaro Camara, Aminata Doumbia dite Mimie de Bamako, le jumeau Kalil Camara alias Izaak, Mah Katy Doumbia de Bamako (entre les deux jumeaux) et le second jumeau Aly Camara alias Alex (à l’extrême droite) (photo faite le 5 avril 2014, jour de leur départ de Damaro).

Continuons à présent et égrener la liste des enfants de Fata Kéoulèn Camara de Damaro. 59) - Fatouma Touré Tirankè: Morte en 1928 à Damaro. 60) - Noussou Abdoulaye: Mort en 1935 à Damaro. 61) - Doussou Zoumana dit Kan-Makoura Zoumana (Koobo): Mort en 1985 à Moribignèdou (Beyla). 62) - Mousso Koroba: Morte à Damaro. 63) - Mamadi Kissè: Mort à Damaro. 64) - Doussouba Zoumana: Mort en 1934 à Damaro. 65) - Doussou Koné Magna: Morte en 1932 à Médina (Kissidougou). 66) - Mory Misa: Mort en 1976 à Guéckédougou (Guinée). 67) - Tirankè Kaba: Mort à Béla-Faranah (Beyla). 68) - Ziama Saren Moussokoro: Morte à Damaro en 1992. 69) - Awa-Kana Lossani: Mort le 8 août 1972 à Konsankoro (Kérouané). 70) - Awa-Kana Lansana: Mort en 1988 à Damaro. 71) - Manigbè Bourahima: Mort en novembre 1924. 72) - Diatè Fatoumata: Morte à Beyla. 73) - Maagbè Moïssara: Mort en 2000 à Péla (Yomou, Guinée). 74) - Fatouma Kourani: Morte en 1926 à Boola, Beyla. 75) - Sonè Sékou dit Sékou-Piti: Mort en 1982 à Damaro, après un long séjour à Kénéma en Sierra Leone. 76) - Soko Awa: morte à Diomandou (Simandou, Damaro, Beyla). 438


77) - Kaagbè Siakonè: Morte à Kankan en 1993. 78) - Fata Dama Kognogbè: Morte à Timindou (Kérouané). 79) - Awa Amara Camara: Il devint sotii kèmòò ou kabila kuntii en 1975, à la mort de son prédécesseur El Hadj Gbani Saren Sidiki. Il est mort à Damaro en 1996. Doyen à l’époque de « L’UNION FAKASSIA DE DAMARO » (Mutuelle fraternelle pour le développement et l’entente du village de Damaro). On garde lui l’image d’un rassembleur, d’un pacificateur. 80) - Doussou Moribignè: A vécu à Moribignèdou (Beyla), village créé par lui, et fut le dernier survivant parmi les garçons. Intronisé kabila kuntii à la mort de Awa Amara en 1996, il est mort à Damaro en février 1999. Il fut donc le dernier fils de Fata Kéoulèn à mourir. 81) - Noumousso Namin: Morte à Pita. 82) - Saren Djiba: Mort en 1994 à Damaro. 83) - Diaoulèn Manigbè: Morte le 6 novembre 1917 à Damaro. 84) - Sona Moussokoro, morte à Kérouané. Auteur-compositeur de l’hymne des Camara appelé « FARIN KAMAN FASA ». 85) - Doussou Konè Sékou: Mort à Lagbara (Yomou). 86) - Doussouba Kèmè. 87) - Fatouma Touré Mandiou Camara: Ancien chauffeur des Gouverneurs de la Guinée Française, avant l’Indépendance, mort en octobre 1989 à Conakry. Sa concession se trouve à Mafanco Imprimerie, dans la banlieue de Conakry. Il fut le détenteur du permis de conduire N° 1 professionnel de la Guinée coloniale. 88) - Manigbè Férébory: Premier Conseiller Territorial de Beyla, mort le 10 janvier 1949 à Conakry. 89) - Fatouma Fréssou: Mort à Beyla. 90) - Bissanou Ténin: Morte en 1924. 91) - Doussou Aramata dite Mamata: Morte en 1985 à Damaro. 92) - Kèmoba dit Badalakè: Mort le 22 juin 1965 à Conakry. Vécut longtemps à Foumbadou puis déménagea en 1960 à Damaro, son village natal. 93) - Tiranké Fatouma: Morte en 1963 à Damaro. Elle était la mère du Sénateur Libérien Mandiou Camara, ancien Directeur des Hydrocarbures du Libéria (Monrovia) avant la guerre civile de 1990 à 2000. 94) - Manigbè Fata: Vivait en 1988 à Beyla. 95) - Awa Lansana: Mort en 1918. 96) - Fata Brahima: Mort à Timindou (Kérouané). 97) - Awa Koroma Amara: Mort en 1976 à Kérouané. 98) - Saran Saa: Morte en 1934. 99) - Sona Zoumana: Mort le 24 juin 1985 à Damaro. 100) - Fatouma Touré Amara dit Koya Amara: Mort à Konsankoro (Kérouané), progéniture à Paris dont son fils aîné Sama Mamady Camara dit 439


Mamadi le Gros qui fut le président des ressortissants de Damaro et du Simandou à Paris. Il est décédé à Paris en janvier 2021. 101) - Fata Ténin: Morte. 102) - Mouba Fatoumata: Morte. 103) - Manigbè Mamadi: Mort en 1922. 104) - Maagbè Fatouma: Morte en 1920. 105) - Diaoulèn Tignet Camara: Morte en mai 2012 à Conakry, à l’âge de 95 ans, et enterrée à sa demande, à Beyla auprès de son mari, feu Gbati Mamadi Touré, avec tous les honneurs dus à une Princesse. Benjamine et dernier survivant des 105 enfants de Fata Kéoulèn Camara, mère de Mory Touré dit Fédéral (Kérouané), Djiba Touré (Ingénieur de Génie Civil à Conakry et reconverti planteur à Monchon dans Boffa), feu Mouloukou Souleymane Touré, Ex- Commissaire de Police, Ex-Ambassadeur de Guinée au Maroc qui fut condamné à mort et exécuté par la junte militaire (CMRN); feue Djènèbou Touré, Kèlètigui Touré (O.B.K. à Kindia, puis Beyla) et Tignet Minata Touré qui demeurait au quartier Minière à Conakry en 2016. Dernière-née, elle fut aussi la dernière à mourir. Arrêtée la présente liste à 105 enfants vivants en 1917, nés de 45 femmes sur 56, toutes épouses légales de feu Fata Kéoulèn Camara dit Diomanityè de Damaro. (6) Ces 105 enfants sont bien le pur-sang de notre père défunt qui les avait tous reconnus comme siens. Cette liste a été dressée par les fils aînés réunis à Damaro, le 16 Août 1917, à l’occasion du décès de leur père, Fata Kéoulèn Camara, survenu le 5 mars 1917 en son domicile de Damaro à l’âge de 73 ans. On dénombre donc 60 garçons et 45 filles, tous enfants légitimes de Fata Kéoulèn Camara. Fait à Damaro, le 16 août 1917. Le Second fils: Le fils aîné: Le sixième fils: Diontan Kaba Kèmè Brahima Diontan Djiguiba Camara Camara Camara Secrétaire et archiviste de la famille devenu Chef du canton de Simandou en 1928 à la mort de Kèmè Brahima jusqu’à la suppression de la chefferie traditionnelle en 1957 et auteur du présent ouvrage

Signature illisible Signature illisible Signature illisible

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N.B: Extrait fait conformément au registre d’état civil de la famille Camara de Damaro mis à jour par Camara Daouda Damaro. Il faut noter que des 105 enfants de Fata Kéoulèn Camara recensés à sa mort le 5 mars 1917 ne vivaient en 1988 que 11 dont 6 garçons et 5 filles. On retiendra aussi que chacun des garçons morts ou vivants est le père de 20 enfants au moins. Beaucoup d’entre-deux ont plus de 30 enfants voire 40. Les petits-enfants de Fata Kéoulèn Camara étant tout aussi prolifiques se sont reproduits en nombre égal ou supérieur. Il s’agit donc d’une nombreuse progéniture disséminée actuellement en Guinée, au Libéria, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Zaïre, au Togo, en Europe, en Amérique... Dans le souci de mise à jour de ce manuscrit, il faut noter que le dernier survivant des enfants de Fata Kéoulèn en la personne de Diaoulèn Tignet Camara est décédée en 2012. Elle était la benjamine et elle a été rappelée par à Dieu après tous ses frères et sœurs.

Hadja Diaoulèn Tignet Camara, la dernière fille de Fata Kéoulèn Camara. Elle naquit en 1917, quelques mois seulement après le décès de son père. Elle mourut en 2012 à Conakry à l’âge de 95 ans, mais son corps fut transféré, à sa demande, à Beyla pour y être inhumée auprès de son mari Gbati Mamadi Touré, petit-fils de l’Almamy Samory Touré. À sa mort, le transfert de son corps à Beyla et son enterrement fut pour ses nombreux petitsenfants et arrière-petits-enfants une grande occasion de réjouissances, de déguisement dans les habits de la défunte afin d’imiter, à qui mieux mieux, les gestes et les propos de celle-ci, comme le permet la tradition mandingue. Ces différentes scènes de simulacre ont si bien agrémenté la maison mortuaire que sa mort a si peu pesé, peu ému, car à 95 ans le profit de la vie est tellement si peu pour encore continuer de vivre. À cet âge on redevient enfant et dans les gestes et dans l’esprit. Elle fut enterrée à Beyla avec beaucoup d’honneurs, comme une Reine, ou comme une Princesse. Hadja Diaoulèn Tignè dite Mantignè Camara eut pour enfants: - feu Tignè Mory Touré dit Mory Fédéral. - El Hadj Tignè Djiba Touré, Ingénieur de Génie Civil, vivait à Monchon (Boffa) en 2013 où il s’était reconverti agronome, depuis 1985.

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- feu Mouloukou Souleymane Touré, ex-ambassadeur de Guinée au Maroc fut condamné à mort et exécuté en 1985 par la junte militaire du C.M.R.N. à la mort du Président Sékou Touré. Il fut un garçon bouillant, un gentleman élégant, sympathique et très sociable. - feue Tignè Djènèbou Touré décédée. - feu Tignè Kèlètigui Touré chauffeur à O.B.K. vécut à Kindia, avant sa mort en février 2013 à Conakry. - Tignè Minata Touré vivait à Conakry en 2013 au quartier Minière.

Hadja Diaoulèn Tignè Camara, dernière fille de Fata Kéoulèn Camara de Damaro, photographiée en 2010 à Kérouané en compagnie de son deuxième fils, El Hadj Djiba Touré, Ingénieur de Génie Civil reconverti agriculteur à Monchon (Boffa, Guinée) (photo de Daouda Damaro Camara, en avril 2010 à Kérouané).

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LES ATTRIBUTS DU ROI FATA KÉOULÈN CAMARA DE DAMARO, LE ROI DU SIMANDOU

Les armes de Fata Kéoulèn CAMARA, roi de Simandou-Damaro (Beyla, Guinée). On reconnaît exposés sur son tabouret royal: son fusil dénommé Bononbali (« Qui ne ratait jamais sa cible »), sa lance (tama), son sabre appelé Kòtèèbali (« Qui ne traversait jamais une rivière sans trancher une tête ou verser du sang humain »), sa bague phénominale qu’il portait a l’annulaire gauche, mais que tout homme ordinaire est obligé de porter à son pouce, tellement l’anneau est grand. Tous ces vestiges sont de nos jours jalousement conservés à Damaro. La progéniture de Fata Kéoulèn les montre et les exhibe avec beaucoup de fierté aux visiteurs (photo de Dr. Morikè Damaro Camara, ex-Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique de la Guinée en 2010 et 2012).

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On remarque ici de gauche à droite et de haut en bas: la première ardoise sur laquelle les marabouts lui apprirent à écrire et à lire le Coran après sa conversion à l’Islam, quelques années avant sa mort survenue en 1917 à Damaro, une piece de gbènzèn, monnaie locale créée par son ancêtre Fantouman Oulèn Camara, petit-fils de Farin Kaman Camara, sa lance de guerre (tama), son sabre dénommé Kòtèèbali, qui avait la réputation de ne jamais traverser un cours d’eau sans verser du sang humain ou animal, et son célèbre fusils appelé Bononbali, « qui ne ratait jamais sa cible » (photo réalisée par Daouda Damaro Camara).

La bague de Fata Kéoulèn Camara de Damaro. Celle-ci, qu’il portait à l’annulaire, est d’une grosseur si phénominale que tous les autres sont obligés de porter au pouce, car elle flotte à tous les doigts (photo Daouda Damaro Camara). 444


Le célèbre fusil Bononbali de Fata Kéoulèn Camara de Damaro. C’est bien ce fusil qui ne ratait jamais sa cible, retient la mémoire collective, qui lui permit d’abattre Massou Koly Camara, le plus dangereux Sofakun de Gbankouno Saadji, lors de huit mois de siège de Gbankouno par l’Almamy Samory Touré. Cet acte de bravoure fut hautement apprécié par Samory, le disculpa et le sauva de la sanction suprême que devait lui infliger le conquérant mandingue. En effet: le refus des sofas Camara de tirer sur leurs cousins Camara de Gbankouno, le fait de tirer à blanc sur les troupes de Saadji, ou enfin celui de rater volontairement la cible (les sofas de Gbankouno Saadji) par esprit solidarité et par respect du pacte de Farin Kaman Camara, l’aïeul des Camara du Konya, étaient considérés comme des actes de haute trahison (dyanfa) et punis comme tels. En effet, ceux-ci, en application du serment de solidarité imposé à eux par leur ancêtre Farin Kaman, n’étaient pas très engagés dans les combats contre les troupes de leur frère Saadji. Ils faisaient semblant de se battre (photo Daouda Damaro Camara).

Le sabre de guerre de Fata Kéoulèn Camara de Damaro appelé Kòtèèbali. Ce sabre, selon la tradition orale, ne traversait jamais un cours d’eau sans trancher une tête ou sans verer du sang humain ou animal d’où on son nom de Kòtèébali (poto Daouda Damaro Camara).

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La lance de guerre de Fata Kéoulèn Camara de Damaro (photo Daouda Damaro Camara).

Feu Fatoumata Brahima Camara dit Brahima Dian, arrière-petit-fils de Fata Kéoulèn Camara de Damaro portant avec fierté les armes de son aïeul (photo de Dr. Morikè Damaro Camara, à l’époque professeur de Mathématiques à l’Université d’Abidjan). 446


Les arrière-petits-fils de Fata Kéoulèn Camara exhibant les armes de celui-ci. On reconnaît de droite à gauche: feu El Hadj Magna Morioulèn Condé (commerçant à Macenta, allié), El Hadj Tirankè Zoumana Camara dit « Gbonba » (commerçant à Kankan en 2013), feu Fatouma Brahima Camara (transporteur à Kankankoura, mort à Kankankoura), feu Baba Mandiou Camara dit Coplan (ingénieur en construction métallique, mort à Conakry), feu Moribakin Camara (ingénieur agronome, mort en 2012 à Conakry), Kèmè Amara Camara (Président de la CRD de Damaro en 2013) (photo de Dr. Morikè Damaro Camara).

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SYMPOSIUM SUR L’HISTOIRE DE DAMARO EN MARGE DE L’INAUGURATION DE LA MOSQUÉE DE DAMARO EN 2010

El Hadj Daouda Damaro Camara lors de son exposé sur l’histoire des Camara de Damaro et du Mandingue en 2010 à Damaro. C’est lui qui, en tant que fils de l’auteur et héritier spirituel du présent ouvrage, a eu la lourde mission de parachever ce livre.

El Hadj Daouda Damaro Camara expose sur l’histoire des Camara de Damaro et du Mandingue. Derrière lui on reconnaît en blanc El Hadj Capitaine Fatouma Sidiki Camara et en violet feu El Hadj Nouny Karamo Camara, ex-Président de l’Union Fakassia de Damaro. Tous les trois sont les fils de l’auteur du présent ouvrage. 448


Dr. Morikè Damaro Camara, Ancien Ministre de l’Enseignement Supérieur de Guinée (2010-2012), présente le fusil de Fata Kéoulèn Camara, son arrière-grand-père aux filles de Colonel Sékou Doumbia (premier plan) venues de Bamako en 2010 pour l’inauguration de la mosquée de Damaro. On reconnaît, sur la première ligne, Dr. Morikè en bazin bleu, Alima Doumbia en blanc, Mah Katy Doumbia en bazin multi couleurs, Moussokoro Michoue Doumbia en blanc avec foulard en carreaux et Aminata dite Mimie en bazin multicolore comme Mah Katy, mais visible seulement de moitié. À l’arrière-plan, on reconnaît également: El Hadj Nouny Karamo, Hadja Maséré (photo Daouda Damaro Camara).

Dr. Morikè Damaro Camara remet le fusil de guerre de son arrière-grand-père Fata Kéoulèn Camara à Moussokoro Michoue Doumbia, une des filles de Colonel Sékou Doumbia, sous le regard de l’assistance tandis que Alima Doumbia tient en main la lance de son oncle Fata Kéoulèn (photo Daouda Damaro Camara)

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Les filles de Colonel Sékou Doumbia de Bamako exhibant en 2010 avec fierté les armes et l’ardoise de leur oncle paternel Fata Kéoulèn Camara de Damaro sous le regard admiratif de Karifa Camara de Koutiala (en blanc, à l’extrême gauche). Hadja Moïma Séré Camara, fille de l’auteur de ce livre, se tient entre Alima et Moussokoro Michoue, deux filles de Colonel Sékou Doumbia. Amintata Camara (Madame Touré) arrière-petite-fille de Fata Kéoulèn tient de son côté l’ardoise sur laquelle son aïeul a appris à lire et à écrire l’arabe après sa conversion à l’Islam bien avant sa mort en 1917 (photo de Wata Mamadi Damaro Camara).

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Page 450: Photo souvenir après l’expose de Daouda Damaro Camara sur l’histoire des Camara de Damaro et du Mandingue suivi de la brillante intervention de Mme Ray-Autra née Hadja Moïma Séré Camara, sur l’origine, le nom du compositeur (Sona Moussokoro Camara de Damaro) de FARIN KAMAN FASA ou l’hymne des Camara en général et notamment de ceux du Konya, de Damaro en particulier, et du Libéria. Elle rappela également le contexte dans lequel il a été chanté pour la première fois à Damaro en 1934 ou 1935 (voir texte). De gauche à droite on reconnaît: Idrissa Camara dit Koudou, Dr. Morikè Damaro Camara, El Hadj Nouny Karamo Camara (Président de l’Union Fakassia de Damaro en 2010), Hadja Moima Séré Camara et El Hadj Daouda Damaro Camara (le conférencier). Hadja Moïma Séré Camara a profité de cette rencontre pour rappeler les circonstances de la composition de l’hymne des Camara, le Farin Kaman Bolo ou Farin Kaman Fasa (photo de Wata Mamadi Damaro Camara).

Profondément émue par l’évocation de ce riche passé historique de ses ascendants paternels, le Professeur Mah Katy Doumbia, la fille aînée de Colonel Sékou Doumbia, et certaines de ses sœurs se mirent à pleurer et esquissèrent quelques pas de danse pendant qu’on chantait « Farin Kaman Fasa » ou « Farin Kaman Bolo », l’hymne des Camara de la Guinée Forestière, devenue par ricochet celle de tous les Camara de la Guinée, du Libéria et de la Sierra Leone. On reconnaît, debout, de gauche à droite: Idrissa Koudou Camara, le Ministre Dr. Morikè Damaro Camara, feu El Hadj Nounye Karamo Camara, feue Hadja Moïma Séré Camara, tenant en main la lance de Fata Kéoulèn Camara, source révélatrice de l’historique de « Farin Kaman Fasa ». Elle en profita pour faire à l’auditoire un bref rappel des circonstances de la création de cet hymne par feue Sona Moussokoro Camara, sa tante et fille de Fata Kéoulèn Camara. Moussokoro Michoue, Mah Katy Doumbia Doumbia. À l’arrière-plan, en blanc: El Hadj Daouda Damaro, le conférencier, Et l Hadj Fatoumata Sidiki Camara, doyen des fils survivants de Diontan Djiguiba Camara (photo de Wata Mamadi Damaro Camara).

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Le Professeur Katy Doumbia reçoit, comme cadeau et souvenir, une pièce de gbènzèn de la main de El Hadj Nouny Karamo Camara, Président en 2010 de l’Union Fakassia de Damaro. Cette monnaie locale qui régulait les transactions commerciales entre la forêt et la savane fut créée au XVIème siècle par l’ancêtre Fantouman Oulèn Camara, fils aîné de Fandyara et petit-fils de Farin Kaman Camara de Moussadou. Ce fut le clou de cette émouvante cérémonie. On reconnaît de droite à gauche: El Hadj Nouny Karamo Camara, Président de l’Union Fakassia (en boubou violet), Professeur Katy Doumbia de Bamako (en bazin multi-couleurs avec une écharpe blanche), Dr. Morikè Damaro Camara (en bazin bleu avec bonnet noir) qu’on voit en train de présenter le gbènzèn aux hôtes de marque, El Hadj Daouda Damaro Camara, le conférencier et l’historien de la famille en dentelle blanche avec lunettes et bonnet blanc, Kanfing Amara Damaro Camara, journaliste de la Radio Guinéenne à Siguiri (Guinée), en bazin bleu (photo de Wata Mamadi Damaro Camara).

Après l’exposé vivement apprécié, une dernière photo souvenir fut faite sur laquelle on reconnaît, au premier plan, de gauche à droite: Alima Doumbia, Moussokoro Michoue Doumbia, Mah Katy Doumbia, Aminata Mimie Doumbia et El Hadj Daouda Damaro Camara, le conférencier (photo de Wata Mamadi Damaro Camara).

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KÈMÈ BRAHIMA CAMARA DE DAMARO ET SA PROGÉNITURE

Kèmè Brahima Camara dit « Kribi », fils aîné de Fata Kéoulèn Camara de Damaro. Il fut Chef de canton de Simandou (Damaro) de 1918 à 1928. Ce colosse au physique phénoménal pesait si lourd qu’il lui fallait deux chevaux pour le transporter alternativement de Damaro à Beyla, chef-lieu dudit cercle.

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LISTE DES ENFANTS DE KÈMÈ BRAHIMA CAMARA, FILS AÎNÉ ET CHEF TRADITIONNEL, SUCCESSEUR DE FATA KÉOULÈN CAMARA A - LES GARÇONS 1er - Camara Maténin Mamadi 2ème - Camara Marato Kaba 3ème - Camara Baba Mamadi (père du Ministre Morikè Damaro Camara et du banquier El Hadj Dagbè Djiba) 4ème - Camara Malato Mandiou 5ème - Camara Marafing Loceny 6ème - Camara Fata Mamadi 7ème - Camara Koulako Abdoulaye 8ème - Camara Mamadi Oulèn 9ème - Camara Fata Zoumana (père de feu Anzoumane Camara dit Blackso, promoteur culturel et artistique, mort à Conakry en 2015) 10ème - Camara Maténin Amara 11ème - Camara Tiranké Idrissa 12ème - Camara Malato Lansana 13ème - Camara Baba Sékou 14ème - Camara Tiranké Fama 15ème - Camara Maténin Kaba 16ème - Camara Koulako Kaba 17ème - Camara Watta Soko 18ème - El Hadj Camara Makoura Mamadi, premier Président de l’UNION FAKASSIA de Damaro, dernier survivant des fils de Kèmè Brahima Camara. Il mourut le 22 mars 2010 à Damaro. transporteur de son état, président pendant plus de 30 ans du Syndicat des Transporteurs de Kankan, il vécut toute sa vie à Kankan, de l’adolescence à sa mort à l’âge de 93 ans (1917-2010). 19ème - Camara Koulako Mamadi 20ème - Camara Madia Validiou 21ème - Camara Diongbè Amara 22ème - Camara Fata Bakary 23ème - Camara Watta Mamadi 24ème - Camara Madia Kabinet 25ème - Camara Fatouma-Fila Laby 26ème - Camara Mayaba Mory 27ème - Camara Siagbè Moctar 28ème - Camara Diongbè Zoumana 29ème - Camara Assiatou Djiguiba 30ème - Camara Gbéasso Mory 31ème - Camara Marafing Lancine 32ème - Camara Sarenkin Mandiou 33ème - Camara Mayaba Sidiki 34ème - Camara Madia Amara 35ème - Camara Mayaba Amadou 36ème - Camara Siagbè Sidiki

B - LES FILLES 1ére - Camara Fata Kourani 2ème - Camara Marafing Mayaba 3ème - Camara Baba Moussokoro 4ème - Camara Makoura Dionfing 5ème - Camara Maténin Saaborè 6ème - Camara Marafing Hawa 7ème - Camara Baba Hawa 8ème - Camara Tiranké Kèmè 9ème - Camara Marato Moussokoro 10ème - Camara Touba Ténin Moussokoro 11ème - Camara Siagbè Diontan 12ème - Camara Fata Bron 13ème - Camara Fata Marato 14ème - Camara Mayaba Mariame 15ème - Camara Watta Baba 16ème - Camara Fata Hawa 17ème - Camara Madia Kèmè 18ème - Camara Samagbin Hawa 19ème - Camara Mayaba Tiranké 20ème - Camara Koulako Fatouma 21ème - Camara Fata Manigbè 22ème - Camara Mayaba Dama 23ème - Camara Fata Ténin 24ème - Camara Diongbè Tignet dernière survivante en 2016. N.B.: Soit au total 60 enfants. Au moins 90% des fils de Kèmè Brahima ont fait, chacun, plus de vingt enfants. Ils ont été très prolifiques. De nos jours les Kèmèdouka ou descendants de Kèmè Brahima constituent un important clan Camara à Damaro et à travers toute la Guinée. On les appelle « Kèmèdouka ». Diongbè Tini, la denière fille de Kèmè Brahima, est décédée en 2018 à Macenta. El Hadj Makoura Mamadi, le dernier survivant de ses garçons, est décédé en 2010 à Damaro.

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Le bouillant, le fougueux et l’intrépide Prince Maténin Mamadi Camara, naquit vers 1898 à Damaro. Fils aîné de Kèmè Brahima Camara et de Maténin Kourouma. Il fut envoyé à l’école coranique à Kankan, chez les érudits Camara en science islamique. Suite à la conversion de Fata Kéoulèn Camara dit Diomani Kéoulèn en 1892, roi du Simandou, Maténin Mamadi Camara eut la chance rejoindre la métropole des Mandingues en compagnie de deux de leurs oncles paternels qui étaient: Gbani Saran Sidiki Camara et Fata Mamadi Camara qui ne revint pas à Damaro après sa formation. Suivant son destin, il alla s’installer à Kissidougou où il eut pour fils Karim Camara, père des célèbres artistes ALI CAMARA dit ALEX et KALIL CAMARA dit IZAK qui firent le pèlerinage en 2013 à Damaro, leur village d’origine. Ce premier contingent, formé à Kankan de 1908 à 1918, qui devaient créer à leur retour des centres de formation pour l’expansion de l’Islam était aussi constitué de Tirankè Idrissa Oulèn Camara et de Mamadi Oulèn Camara, deux autres fils de Kèmè Brahima Camara. Siagbè Mouctar Camara, le 27ème fils de Kèmè Brahima Camara reçut la même formation, plus tard et devint Imam de la mosquée de Damaro où il mourut en 1987. Pour accélérer l’islamisation dans le Simandou, les érudits Camara de Kankan détachèrent KARAMOKO Talibi Camara pour venir créer à Damaro des centres de formation Coranique. À la mort de son père Kèmè Brahima en 1928, Maténin Mamadi céda le trône de la chefferie du canton de Simandou à son oncle paternel Damaro Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage, fermement soutenu par l’administration coloniale. Époux de 11 femmes et père de 37 enfants, il mourut à Damaro le 26 février 1962.

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PHOTO SOUVENIR DE CERTAINS FILS DE KÈMÈ BRAHIMA CAMARA FAITE EN 1952 À KANKAN

Photo souvenir de quelques fils de Kèmè Brahima Camara de Damaro, faite en 1952 à Kankan lors du retour de La Mecque et de l’Indochine de El Hadj Koulako Mamadi. De la gauche à la droite: Siagbè Moctar: vécut à Damaro après sa formation de maître coranique jusqu’à sa mort en 1987, Macoura Mamadi: ancien président du Syndicat des Transporteurs de Kankan, ancien et premier président de l’Union Fakassia de Damaro, Madia N’Falidiou: transporteur à N’Zérékoré (mort), Baba Soko: commerçant d’abord à Komodou puis à Kankan et enfin à Koïndou (Sierra Leone) et à Nonkoa, El Hadj Koulako Mamadi: Adjudant-Chef de l’armée française. Il fut prisonnier de guerre en Indochine. Cette photo souvenir a été faite lors de retour de la Mecque, Mayaba Amadou: transporteur ayant vécu à Guéckédou, Marato Mamadi Oulèn: transporteur ayant vécu à Kérouané après un long séjour à Bokanda comme acheteur de produits (Côte d’Ivoire), Fataba Bakary: transporteur à Bokanda (Côte d’Ivoire) et Madia Amara Camara: Commerçant à Nonkoa (Guéckédougou).

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DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA ET SA PROGÉNITURE (6ème enfant et 4ème fils vivant en 1917 de Fata Kéoulèn Camara, dernier chef de canton de Simandou et auteur du présent ouvrage)

Damaro Diontan Djiguiba Camara, 1881-1963. Ex-Interprète Colonial sorti en 1900 de l’école des otages de Kayes (Mali). ex-Chef de Canton de Simandou (Beyla, Guinée) de 1929 à 1957, ex-Conseiller Territorial de Beyla (Guinée) 1952-1954, ex-Grand Conseiller de l’AOF en 1954. Auteur du présent livre dont la collecte et la rédaction l’ont absorbé de 1929 à 1963.

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LISTE DES ENFANTS DE DIONTAN DJIGUIBA CAMARA, SIXIÈME FILS DE FATA KÉOULÈN, CHEF DE CANTON DE SIMANDOU, SUCCESSEUR DE KÈMÈ BRAHIMA ET AUTEUR DU PRÉSENT OUVRAGE 1er - Lansana: né en 1902 à Kérouané, mort en 1933 à Beyla (sans postérité). 2ème - Mahawa: née en 1902 à Kérouané, morte à Conakry en 1983 (sans postérité et sœur jumelle de 1er). 3ème - Farinmagbè Fatoumata: née le 16 juillet 1903 et décédée en 1927. 4ème - Tiranké Bintou: née le 23 octobre 1903 à Kankan, morte en 1970 à Macenta. 5ème - Farimagbè Mamadi: né le 10 juin 1907 à Faranah, mort à Damaro en 1993, postérité à Conakry, Libéria, Côte d’Ivoire, Damaro, les PaysBas. 6ème - Tiranké Moussa: né le 31 octobre 1909 à Kankan, mort le 14 avril 1976 à Damaro. 7ème - Mariame Oumarou: né le 31 octobre 1912 à Conakry, mort en 1953 à Bissikirima. 8ème - Tiranké Amara: né le jeudi 10 octobre 1913 à Conakry, mort en 1989 à Beyla, postérité à Beyla. 9ème - Mariame Kaba: né le 30 mars 1916 à Conakry, mort le 8 août 1985 à N’Zérékoré. 10ème - Tiranké Abdoulaye: né le jeudi 22 juin 1918 à Conakry, Sergent-Chef de l’armée française, retraite à Kérouané, mort le 19 juillet 1985 à Beyla. 11ème - Mariama Ali: né le samedi 29 septembre 1919 à Conakry, mort (sans postérité). 12ème - Mariama Hamidou: né le 20 février 1921 à Conakry, mort en 1977 à Korhogo (Côte d’Ivoire) où résident ses nombreux enfants et petitsenfants. 13ème - Nouny Brahima dit Kalilou: né le mardi 11 novembre 1923 à Damaro, mort en juin 2004 à Conakry. Il vécut longtemps à Macenta avant de déménager à Damaro où il assuma la fonction de chef du clan Diontandou. Aussi, il fut secrétaire de Djiguiba Camara et comme tel contribua largement à la collecte et à la rédaction de cet ouvrage. Il était devenu le grand traditionaliste de l’histoire du Konya qu’il maîtrisait à telle enseigne qu’il était l’invité d’honneur de toutes les rencontres du Konya depuis l’inauguration de la mosquée de Moussadou en 1994. 14ème - Mariama Ciré: née le 2 janvier 1924 à Damaro, décédée à Conakry le 3 mars 2016 (quartier ENTA FASSA, Commune de Matoto).

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15ème - Massaren Ténin: né le 17 avril 1924 à Damaro, morte sans postérité. 16ème - Tiranké Farimagbè: née le 26 juillet 1924, morte à Damaro en 1940, sans postérité. 17ème - Diongbèdian Kagbè: née le 18 août 1924 à Damaro, vivait entre Kissidou, Macenta et Conakry, en 2007 à Dapompa. 18ème - Nouny Maténin: née le 22 mars 1927 à Damaro, morte, sans postérité. 19ème - Mariama Nouhan: né le 27 mars 1927 à Damaro, morte, sans postérité. 20ème - Diongbèdian Mamadi: né le 1 janvier 1929 à Damaro, dit PDG, a vécu à Macenta jusqu’en 2003, mourut à Conakry en 2003, postérité à Macenta, Conakry, Belgique. 21ème - Fatouma Sidiki: né le samedi 26 août 1933 à Damaro, Capitaine de la Douane à la retraite, vivait en 2015 à Hamdalaye, Conakry. 22ème - Fanta Mamadi dit Nouny Karamo: Né le 9 décembre 1933 à Damaro, Commissaire de Police à la retraite, résidait tantôt à Bonfi (Conakry) tantôt à Damaro. Depuis 2006, il a déménagé à Damaro où il mène une vie de sagesse à la tête du clan Diontandou. Il fut désigné en 2010 Président de l’Union Fakassia de Damaro, le deuxième, en remplacement de feu El Hadj Makoura Mamadi Camara, premier Président de ladite Union. Il mourut le 23 mai 2012 à Conakry. Postérité à Conakry, U.S.A., Suisse. 23ème - Siagbè Manigbè: Née en 1934 et décédée le 27 février 1959 à Beyla. 24ème - Banassiri Tiranké: née le 24 février 1936 à Damaro, morte en 2011 à Macenta. 25ème - Fatoumata Mariame dite Mòna: née le 27 janvier 1937 à Damaro, vivait en 2015 à N’Zérékoré. 26ème - Naye Jafar: né le 22 octobre 1937 à Damaro, mort sans postérité. 27ème - Nouny Toyfour: né le 3 décembre 1937 à Damaro, mort le 9 décembre 1937, sans postérité. 28ème - Mouloukou Souleymane: né le 24 novembre 1937, mort le 3 juin 1940 à Damaro, sans postérité. 29ème - Dingbè Aissata: née en 1938 à Damaro, morte en 1994 à Damaro, postérité à Conakry et à Abidjan. 30ème - Diongbèdian dite Gnagna: née le 13 avril 1939 à Beyla, vivait en 2011 à Damaro et à Kankan. Décédée à Kankan en décembre 2013, postérité à Kankan?, Damaro, N’Zérékoré. 31ème - Siagbè Zakariat: né le 3 août 1940, mort le 11 octobre 1959 à Damaro.

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32ème - Dingbè Daouda Damaro: né le 3 février 1941 à Damaro. C’est lui qui a eu la lourde et exaltante mission de parachever le présent ouvrage. Après un séjour de 17 ans en Côte d’Ivoire, d’où il rentra définitivement en Guinée en 1990, il vivait à Conakry en 2018. Postérité: Abraham Kalil Damaro aux U.S.A., Abdoul Kader Koly à Bruxelles, Kadiatou Damaro et Madingbè Safiatou dite FIFI à Conakry. Il mit à profit son exil en Côte d’Ivoire pour enrichir l’ouvrage initial de l’auteur en y insérant les textes retrouvés épars dans les archives de l’auteur, ainsi que les textes rédigés par lui sous l’égide de son père, ainsi que des photos et des cartes inédites collectées sur conseils de certains érudits de l’histoire africaine tels que Amadou Hampâté Bâ, Prof. Ibrahima Baba Kaké, Dr. Élara Bertho (Sorbonne, Université de Bordeaux), Dr. Marie Rodet (Université de Londres), Dr. Jan Jansen (Université de Leiden, les Pays-Bas). Aussi, il l’enrichit de thèmes nouveaux personnels et de ceux qui sont la reprises de thèmes effleurés ou insuffisamment traités par l’auteur… 33ème - Tougné Kourani: née le 5 février 1941 à Damaro, décédée en 1941, sans postérité. 34ème - Manigbè Makoura: née le 30 septembre 1941 à Damaro, morte sans postérité. 35ème - Zainab: née le 21 février 1943 à Damaro, a vécu à Monrovia jusqu’en 2000, puis a émigré aux U.S.A. où elle vivait en 2015 (Philadelphie, U.S.A. avec ses enfants). 36ème - Mamignan Zoumana: né le 5 avril 1944 à Damaro, après un séjour de 20 ans à Abidjan, vivait 2012 à ENTA (Conakry). Installé à Damaro comme agriculteur depuis 2012. 37ème - Tougné Naboh: née le 26 mars 1943 à Damaro, morte le 26 juin 2014 à Konsankoro. 38ème - Dingbe Kaba: né le 26 février 1946 à Damaro, mort en juin 1946. 39ème - Siagbè Lansana dit Boh: né en 1944 à Damaro, vivait en 2007 à Arignè (Irié) Sous-Préfecture Sérédou, Macenta (Guinée). Mort en 2009 à Irié (Macenta). 40ème - Tougné Touaibou: né le 25 juin 1946 à Damaro, mort le 27 octobre 1953. 41ème - Manigbè Diontan: née le samedi 17 avril 1946 à Damaro, a vécu jusqu’en 2004 à Abidjan. Elle est rentrée s’installer à Conakry depuis 2004 où elle vivait en 2014. 42ème - Korika: née en 1947, vivait en 2017 à N’Zérékoré. 43ème - Mamignan Fressou: né le 12 mars 1948 à Damaro, vivait en 2014 à Abidjan. 460


44ème - Siagbè Issiaka: né le 24 mai 1949 à Damaro, a vécu à Abidjan jusqu’en 2002 et vivait à Conakry et à Damaro depuis 2012. 45ème - Tougné Bintou: née le 18 juin 1954, vivait à N’Zérékoré en 2014. 46ème - Mamignan Diongbè: née en 1951, vivait en 2014 à Koulé (Préfecture de N’Zérékoré, Guinée). 47ème - Tougné Maténin: née en 1955 à Damaro, morte en 1972. 48ème - Mawa Vali dit Tolo: né le 17 août 1958 à Damaro, Commandant de la Douane Guinéenne en service en 2017 à l’Aéroport International de Conakry. Soient: 27 garçons et 21 filles. L’auteur a exigé ou souhaité la publication dans le présent ouvrage de la liste complète des enfants de son père (Fata Kéoulèn Camara), de celle de la progéniture de son frère aîné (Kèmè Brahima Camara) et bien entendu celle des siens. Nous avons tenu à respecter sa mémoire et sa volonté. À cet égard, l’ouvrage pourrait être taxé en partie d’hagiographie. Mais que le lecteur veuille bien être indulgent pour ces quelques pages qui peuvent lui paraître superflues! Ainsi les tableaux précédents et suivants tout comme les différentes listes tracent, dans les grandes lignes, l’arbre généalogique des principaux clans et lignages Camara ou Diomandé des différentes régions de la région forestière et de la savane (Guinée, Côte d’Ivoire, Libéria, Mali...). Tous ceux qui y figurent sont des descendants ou des ascendants d’un même ancêtre qui est Farin Kaman Camara. Évidemment ce travail est certes incomplet dans la mesure où nous n’avons pu trouver le point de jonction exact de certains clans et lignages Camara par manque d’informations sûres. C’est bien le cas de l’important lignage des Camara de la ville de Kankan. Que tous les Camara ou Diomandé qui n’y trouveraient pas leur lignée ascendante ne s’en trouvent pas offusqués. Nous espérons qu’à partir de notre travail, qui peut être l’ossature de base, d’autres généalogistes, sociologues, historiens... feront un travail analogue qui viendra compléter admirablement le nôtre. Mais nous sommes donc tenus de respecter cette volonté ou ce souhait ardent de Damaro Diontan Djiguiba Camara même si cela paraît superflu pour certains. Tant qu’ils sont restés en contact permanent et étroit avec Moussadou, berceau et sanctuaire, les Camara ont maintenu entre eux des liens de sang serrés et une solidarité fraternelle qui a fait ses preuves en bien de circonstances. En dépit des luttes intestines qui ont souvent ravagé le pays, ils se sont toujours unis pour lutter contre tout ennemi extérieur qui voudrait assujettir un quelconque de leurs états. De tous les Camara ou Diomandé, seul l’arrogant, le belliqueux, l’imposteur et l’ambitieux Gbankouno Saadji dit Diomandé Saadji se mit en marge des lois de Moussadou et des principes de solidarité entre tous les Camara conçus et édictés par l’ancêtre Farin Kaman Camara. Il osa même s’attaquer tour

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à tour à chaque clan (Kabila). Et l’opportuniste Samory profita de cette situation d’hostilité - d’un contre tous - et d’isolement de Saadji pour l’abattre. Les Camara de la région forestière restèrent en dehors de l’état de sujétion de l’Almamy Samory Touré, leur neveu. Toutefois, voyant les Camara du Simandou d’accord avec Samory ou soumis à lui, les doyens des différents clans Camara des différentes régions lancèrent un appel invitant les frères, les neveux, les cousins, les oncles qui se réclament de Farin Kaman Camara, ainsi que les alliés, de respecter le serment d’union, de solidarité et de fidélité conclu en 1861 à Diala - non loin jadis de Kérouané - avec Samory sous l’égide du vieux Kolo Camara, doyen de tous les Camara de l’époque. C’est ainsi qu’ils n’opposèrent aucune résistance à la force de conquête de Samory (voir plus loin). Mieux, ils contribuèrent à la constitution et à l’organisation des forces du futur conquérant. Ils constituèrent le noyau de sa première armée. Ils lui firent même prêter serment d’entraide mutuelle et de non-agression et établir de bonnes relations avec l’Empereur après la chute de Gbankouno Saadji Camara, leur cousin, dont la capitale était une forteresse qui était bâtie sur le sommet de la montagne Gbankouno. Sachons et rappelons que Samory, en tant que Roi, a été une création pure et simple des monarques Camara (Diomandé), ses oncles maternels. Avant de lui fournir la totalité des éléments constitutifs du noyau de sa première armée, Gnaman Camara de Damaro, un de leur doyens, l’avait sauvé de justesse de la vengeance aveugle et implacable de Saren Souaré Mory Bérété qui avait ordonné son arrestation et son exécution pour le punir des exactions qu’il avait commises au nom de celui-ci. N’anticipons pas, car ces évènements seront évoqués en leur temps, dans l’histoire de Samory. Nous étudierons aussi plus loin l’histoire des Camara du Bouzié (Boussé) dont la capitale est Kouankan, dans la région de Macenta, avec Kaman Kékoura Camara, lieutenant de Samory. Il en sera de même pour le Gbéradou (Simandou, Beyla, Guinée) et son roi Gbankouno Saadji exécuté en 1883 par Samory.

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El Hadj Farimagbè Mamadi Camara, fils aîné de Damaro Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage. Il fut le premier ressortissants de Damaro et du Simandou à faire le pèlerinage sacré à la Mecque, en 1948. Avant lui, aucun autre fils de la région n’avait visité les lieux saints de l’Islam. En effet Farimagbè Mamadi Camara fit effectivement le pèlerinage en 1948 par la route. Parti de Damaro (Guinée), il rejoignit les lieux saints de la Mecque en passant par Kankan, Bamako (Mali actuel) Bobo-Dioulasso (Burkina actuel), Kano (Nigéria), Niamey (Niger), Fort-Lamy ou N’Djaména (Tchad), Khartoum (Soudan) et enfin Djeddah, Médine, la Mecque et tous les lieux saints dont la visite est obligatoire pendant le Hadj. Il fut accueilli comme un héros à Damaro. Le voyage aller et retour dura treize mois. Il refit le pèlerinage par bateau en 1956, à partir de Conakry.

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Photo de huit des douze enfants vivants en 2012 de feu Damaro Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage. On reconnaît de gauche à droite: Tignet Bintou Camara demeurant à N’Zérékoré, Hadja Makorika Camara, demeurant à N’Zérékoré, El Hadj Dingbè Daouda Damaro Camara, demeurant à Conakry qui eut l’honneur de parachever le présent ouvrage, Madiongbè Camara, demeurant à Koulé, Mamignan Zoumana Camara, demeurant à Damaro, El Hadj Fatouma Sidiki Camara, Capitaine de la Douane à la retraite à Conakry, Hadja Mawa Koné, la dernière épouse vivante de Djiguiba Camara, Isiaka Camara, chauffeur demeurant à Damaro, Tignet Naboo Camara, demeurant à Konsankoro (P /Kérouané) (photo Prof. Morikè Sidibé réalisée lors des funérailles en 2012 du Commissaire Nouny Mamadi dit Nouny Karamo).

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À PROPOS DES CIRCONSTANCES DE LA COMPOSITION ET LA COMPOSITRICE DE « FARIN KAMAN FASA » (L’HYMNE POPULAIRE DES CAMARA DE GUINÉE ET DU LIBÉRIA) (7) ----------o---------L’hymne des Camara est le « Farin Kaman Fasa ». ----------o---------L’armoirie des Camara est le Fan ou Moulouba (Sabre: Symbole du commandement, du pouvoir: Ton, Tontiiya, Kandaya, Mansaya...). ----------o---------L’emblème des Camara est le Fauve (le lion « Dyara », la panthère « Wara » qui symbolise chacun la puissance). ----------o---------Le totem des Camara est la panthère (« Wara »). ----------o---------Pour élucider un pan obscur ou inconnu de l’histoire du Konya, nous avons cru utile d’éclairer les générations futures en jetant une lumière crue sur les circonstances de la création de cet important hymne populaire des Camara, sans oublier, bien sûr, le nom de la personne qui l’a composé et de celui de notre informateur qui nous permis d’éclaire avec précision la genèse énigmatique de cette chanson. Dans la généalogie des Camara du Mandingue, notamment celle du Konya, le nom de FARIN KAMAN CAMARA a su traverser les méandres de l’histoire en résistant à l’usure du temps. Pour éviter la confusion, il faut noter dès à présent qu’il ne s’agit pas de l’ancêtre Farin Kaman Camara ou Frèn Kaman, fondateur au Moyen Âge de Farinkamanya, village situé au cœur du Mandingue, entre Siguiri et Kankan. Ici, il est question de Farin Kaman Camara, descendant du premier et ancêtre des Camara du Konya et du Libéria dont le nom a subi une altération en devenant FONI KAMAN CAMARA dans certaines régions. Ce dernier vécut à Moussadou (Beyla) à la fin du XVème ou début du XVIème siècle. Il est le premier maillon de la chaîne des Camara qui a quitté le Maou (Côte d’Ivoire) pour venir se stabiliser, s’éparpiller et prospérer dans l’actuel Konya et plus tard dans toute la Guinée Forestière, au Libéria et 465


englober l’extrême Sud-Est de la Haute Guinée. En effet il était de la quatrième génération des descendants de Dioman Camara nés dans la Maou. En quête de fortune, celui-ci serait venu de Farinkamanya (Siguiri, Guinée) à la fin du XIVème siècle pour s’établir à Sianoh. Sa très nombreuse progéniture prospère dans toute la Côte d’Ivoire, notamment dans les départements de Touba, de Séguéla, d’Odienné... sous le patronyme Diomandé qui s’est substitué au nom Camara. Dioman Camara, à son arrivée à Sianoh, avait acquis d’un maraboutféticheur un fétiche protecteur qui était source de pouvoir, de prestige et de prospérité incarnés dans une corne de bélier dont la garde ne devrait être assurée que seulement par les fils aînés. Malheureusement, cette tradition qui avait été scrupuleusement respectée par quatre générations a été abandonnée par Fing Koyfing qui avait donné le legs précieux à Farin Kaman, le benjamin de ses fils. C’était en guise de reconnaissance des menus et réguliers services d’entretien constant que le jeune Farin Kaman lui avait rendus. En effet, par une piété sans faille et une disponibilité permanente, Farin Kaman, contrairement à ses frères aînés qui étaient partis faire fortune ailleurs, resta auprès de son vieux père pour rendre heureux les derniers moments de celui-ci. Voilà donc le motif de l’abandon de l’ordre établi pour la détention du legs familial au profit du jeune benjamin. Mais cette raison justifie-t-elle la rupture ou le non-respect de la tradition? En tout cas, cette décision considérée comme un favoritisme flagrant et injuste fut très mal accueillie par les frères aînés de Farin Kaman. Un profond sentiment de frustration poussa ceux-ci à se coaliser contre celui que le destin était en train de choisir pour guider la lignée Camara vers le rayonnement. Ainsi donc la maladresse du père provoqua une profonde fissure dans la famille Camara. Évidemment, Farin Kaman ne voulut jamais renoncer à l’objet du conflit en dépit des menaces de mort qui pesaient sur lui pour cette usurpation. Pour échapper à la vindicte de ses frères, il dût son salut à sa fuite précipitée et à son exil à Moussadou, village crée par ses oncles maternels, les Kamè ou Kourouma. Une longue et meurtrière guerre opposa les deux clans, chacun fermement soutenu par ses alliés. La réconciliation de la lignée Farinkamansi avec celle des Konsabasi n’eut lieu qu’en 1913, grâce à la médiation curieuse de Palanque, Commandant à l’époque du cercle de Beyla. Celui-ci, soucieux d’instaurer un climat de paix entre toutes les composantes de sa juridiction administrative, réussit à convaincre les deux parties pour se retrouver et signer la paix des braves. Palanque fit rassembler toutes les parties du vieux conflit autour d’un grand sacrifice à Moussadou au cours duquel des bœufs furent immolés à la mémoire des ancêtres qui avaient proscrit tout contact avec la partie adverse. Toutes les principautés Camara du Konya, de la Guinée Forestière, du Libéria... essentiellement regroupées derrières les Farinkamansi et leurs alliés et le clan Konsabasi et Famosi jadis soutenus par les Koné et les Diomandé de Côte d’Ivoire... furent pleinement associés à cette fête de réconciliation des frères 466


ennemis. Cette harmonie retrouvée des lignages Camara Farinkamansi et Konsabasi a donc été l’œuvre du Commandant Palanque dont le genre était rare dans l’administration coloniale française. Ainsi prit fin l’isolement de Diémou où mourut Fing Koyfing Camara, père de Farin Kaman Camara. Diémou fut le sanctuaire des Camara bien avant Moussadou. À Moussadou, Farin Kaman eut un destin exceptionnellement radieux par rapport à ses autres frères, conformément aux prédictions du marabout féticheur de Sianoh qui avait préparé et donné le fétiche à Dioman Camara à l’arrivée de celui-ci dans le Maou. Il y acquit du prestige. Sa célébrité, son sens de l’organisation, son esprit d’équité en firent un conducteur d’hommes et le firent adopter par tout Moussadou qui l’intronisa comme roi (mansa). Devenu grand chef guerrier et grand juriste, Farin Kaman élabora un riche code pénal consensuel qui lui permit d’éviter d’être un tyran dans l’exercice de ses attributs. Donnant le bon exemple, il fit exécuter, conformément à la loi en vigueur, cinq de ses seize fils coupables de l’assassinat d’un commerçant après avoir extorqué les marchandises de celui-ci. Pour lui, personne n’était au-dessus de la loi. Celle-ci doit s’appliquer sans complaisance, dans toute sa rigueur à tous les sujets, à tous les coupables. À la suite de ce douloureux événement, le vieux roi demanda à ses onze fils restants de quitter immédiatement Moussadou et d’aller se faire fortune ailleurs afin qu’ils ne soient pas, eux aussi, un jour victimes de la rigueur des lois pénales coutumières en vigueur. Cette disposition de prudence leur permit d’échapper à la revanche éventuelle des Konsabasi et de leurs alliés les Koné et les Diomandé du Maou qui tenaient toujours à récupérer la fameuse corne bienfaitrice. Au Mandingue, il est conseillé de quitter un village ou un pays dont on ne peut respecter les lois. Farin Kaman lui-même ne finit pas ses jours à Moussadou. Il quitta Moussadou pour rejoindre le Mandingue qu’il ne put atteindre. Il se serait noyé dans la mare Salamanida de Kankan. Sa consigne fut effectivement respectée par ses onze fils à telle enseigne qu’aujourd’hui aucune famille Camara ne réside à Moussadou. Il fit venir des marabouts de Tombouctou (Mali) pour dispenser l’enseignement coranique dans son royaume. En plus il fit construire des mosquées sans pour autant abandonner entièrement l’animisme, puisqu’il garda par-devers lui la fameuse corne protectrice et bienfaitrice qu’il détenait contre nature et contre la volonté de ses frères aînés. En guise de reconnaissance de ses qualités exceptionnelles de souverain éclairé, de rassembleur et de conducteur d’hommes dont l’intégrité morale est restée légendaire, la pose de la première pierre de la mosquée moderne de Moussadou en 1954 fut placée sous la haute présidence de Damaro Diontan Djiguiba Camara, ex-chef de canton de Simandou (Damaro), auteur du présent ouvrage et descendant de la douzième génération de la lignée de Farin Kaman de Moussadou. Les Camara des autres provinces de la Guinée y avaient participé, tout comme les autres alliés. Aussi, à l’inauguration de ladite mosquée en 1994, les cérémonies furent présidées par les Camara, notamment 467


les Farinkamansi, qui reçurent les clés symboliques de la mosquée et du village. Ceux-ci choisirent à leur tour feu El Hadj Nouny Ibrahima Kalil Camara, fils de Diontan Djiguiba Camara, pour couper le ruban symbolique. Les clefs de la cité furent donc remises, cinq siècles après, aux Camara qui avaient tous quitté Moussadou. C’était une reconnaissance de l’autorité de Farin Kaman dont le règne bénéfique resurgit de la mémoire populaire. Ce jour-là, le doyen de Moussadou déclara en substance: « Kamaralu, ayi la so fèlè. Ayi benba ka fèn min karifa an na, wole yèn tè... » = « Les Camara, voici votre citée que vos ancêtres nous ont confiée… » À l’occasion de cette historique et grandiose inauguration qui avait drainé tout le Konya, ce descendant de Farin Kaman anima une importante conférence débats sur l’histoire du Konya qu’il maîtrisait si bien. De nos jours, les Camara du Konya sont en grande partie cristallisés autour de la figure emblématique incarnée en l’ancêtre Farin Kaman Camara dont-ils évoquent le nom avec fierté. Ils chantent et dansent avec engouement l’hymne (fasa) dédié à Farin Kaman lors des cérémonies de mariages, de baptêmes, de funérailles, d’initiations... Il faut noter ou rappeler que les Camara-Diomandé du Konya descendent essentiellement de Konsaba ou de Farin Kaman. La mise sur cassette en 2004 de cet hymne a popularisé cet air dans les discothèques, sur les antennes des radiodiffusions, sur les écrans des télévisions et occupe une place de choix dans les hit-parades de la musique mandingue. Mais elle a suscité aussi beaucoup d’interrogations sur l’origine, les circonstances, la date, le lieu de la création ainsi que sur le nom du compositeur de ce chant lyrique et patriotique des Camara de la Guinée notamment ceux du Konya. Malheureusement, Madame Kanko Condé, auteur de la cassette, n’a pu répondre à ces questions ni à Kérouané, ni à Beyla, ni sur les antennes de Radio Guinée et ni à la cérémonie de dédicace au Palais du Peuple de Conakry où s’étaient massivement rassemblés pour la circonstance les Konyanké résidant à Conakry, notamment les Camara, pour rendre hommage à leur célèbre ancêtre. Malheureuse-ment, jusqu’à ce jour ni cette cantatrice ou cette griotte, ni une autre personne n’a pu répondre à ces préoccupations. Et pourtant Farin Kaman Fasa est très populaire. Il est chanté et dansé dans toutes les manifestations de réjouissances et même dans les funérailles. Évidemment, aucun Camara digne ou sensible ne peut rester indifférent quand cet air est joué par les musiciens. D’ailleurs les griots en profitent toujours pour réclamer aux Camara de l’argent, des biens matériels et des faveurs. Par orgueil, ceux-ci sont toujours envoûtés par l’évocation du nom de leur prestigieux ancêtre. Conscient de la nécessité d’éclairer ce pan d’ombre de notre histoire, j’ai décidé de faire des recherches pour combler cette lacune. Malheureusement, ni à 468


Damaro, ni à Kérouané, ni à Beyla, ni à N’Zérékoré ou ailleurs, personne n’a pu nous édifier sur l’énigme. Mais comme dit le penseur: « Celui qui persévère dans la recherche trouve» ou « Celui qui cherche trouve » dit cet autre adage. Mu par cette volonté inébranlable, j’ai enfin trouvé, par hasard, la piste, le 20 mars 2005, lors d’une causerie avec ma grande sœur, Madame Ray-Autra, née Hadja Moïma Séré Damaro Camara dans sa résidence d’ENTA FASSA, dans la Commune de Matoto (Conakry). (8) Évidemment, je me suis aussitôt procuré une audiocassette pour recueillir son précieux témoignage que voici: Questions de Daouda Damaro Camara: « Hadja N’Koro Séré, nous chantons et dansons depuis longtemps et avec fierté, allégresse et ferveur Farin Kaman Fasa. Que-sais-tu sur: ○ L’origine, ○ Les circonstances, ○ La date, ○ Le lieu de création et ○ Le nom du compositeur de cet air qui est considéré aujourd’hui comme l’hymne des Camara de la Guinée Forestière et par ricochet de tous les Camara de Haute Guinée et de toute la Guinée ou des Camara en général et qui est chanté et dansé à la gloire de notre ancêtre? » Voici la substance ou la réponse claire et précise de Madame Ray-Autra née Hadja Moïma Séré Damaro Camara: Merci mon jeune frère Daouda! C’est une longue histoire. Effectivement, très peu de gens connaissent l’origine de ce chant qui a été composé et chanté pour la première fois à Damaro quand j’avais 12 ou 13 ans. Je crois qu’il faut situer l’évènement en 1934 ou 1935. À l’époque, j’étais avec ma jeune sœur Diongbèdian Kagbè à l’âge de la puberté. C’est elle que je connais aujourd’hui comme survivante qui puisse parler de cet événement. Malheureusement son état de santé très défectueux ne doit pas lui permettre de se souvenir avec cohérence des moindres détails. Néanmoins, tu peux passer la voir à Dabompa, chez sa fille, pour vérifier ou étayer mes allégations. En tout cas, j’affirme que les Damarois résidant à Conakry ne connaissent pas cette histoire qui est bien antérieure à leur naissance et ceux qui étaient nés à l’époque n’en gardent aucun souvenir. Je t’affirme donc que: ● Sur l’origine de la création de Farin Kaman Fasa, ● Sur les circonstances de la création de Farin Kaman Fasa, ● Sur la date de la création de Farin Kaman Fasa, ● Sur le lieu de la création de Farin Kaman Fasa, ● Sur le nom de la personne à qui il a été dédié pour la première fois, ● Sur le nom du premier compositeur de cet hymne populaire des Camara... le témoignage que je te livre aujourd’hui est vrai. Il est puisé à la 469


meilleure source que personne ne saurait contester, tant à Conakry, qu’à Conakry et ailleurs. Je sais très bien de quoi je vais te parler, car les moindres détails fourmillent encore dans ma mémoire avec précision. En effet j’ai entièrement vécu l’événement. Ce que je vais te dire est bien authentique et inédit. Pour mieux comprendre ce que je vais te dire, il est nécessaire de situer le contexte dans lequel l’événement a eu lieu. Pour cela commençons par ce rappel historique sans lequel les circonstances de sa création n’auraient pas existé. En effet, Farin Kaman Fasa a été chanté pour la première fois par ma tante paternelle N’Ténin Sonè Moussokoro Camara à l’endroit de mon père Diontan Djiguiba Camara, ex-Chef de canton de Simandou-Damaro (cercle de Beyla à l’époque), qui était son grand frère. Les survivants de cette époque sont aujourd’hui très peu nombreux, car moi, j’ai maintenant en 2005, mes 83 ans révolus. Dieu merci! Quand je sais que peu de gens vivent au-delà de 60 ans, en parfaite santé et avec autant de vivacité de l’esprit et de lucidité que moi. Avant d’en venir à l’événement proprement dit, permets-moi de rappeler sommairement l’itinéraire exceptionnel de mon père qui a déterminé une certaine ligne de conduite de sa part et qui est inaccoutumée en milieu traditionnel mandingue. Notre père, Damaro Diontan Djiguiba Camara, à sa sortie de l’école des otages de Kayes (Mali) en 1900, servit en qualité d’interprète successivement à Siguiri, Kérouané, Beyla, Kankan, Faranah, avant de travailler à Conakry en 1908 à la BAO (Banque de l’Afrique Occidentale). En 1922, il démissionna de cette institution pour des raisons de famille et rentra à Damaro, son village. En effet, suite au décès de son grand frère maternel, Diontan Kaba Camara, sa mère Diontan Touré le réclama pour venir s’occuper de l’éducation de ses neveux mineurs qu’elle avait dans ses bras. Ce qu’il fit. Je précise que les premiers enfants de mon père sont nés soit à Faranah, soit à Conakry dont moi-même. Lui-même est né en 1882. Il était donc rentré à l’âge de 40 ans au bercail qu’il avait quitté en 1894, quand il avait donc 12 ans. En 1928, Kèmè Brahima Camara dit Kribi, son frère aîné, qui avait succédé en 1917 à la chefferie du canton de Simandou mourut à Damaro. Avec l’appui ferme de l’administration coloniale, mon père Diontan Djiguiba Camara accéda à la chefferie du canton de Simandou qui fut élargi aux provinces de Bamadou (Lènko), de Saragbala et de Séïsoumala pour constituer le Grand Simandou, le plus grand canton du cercle de Beyla. Ce qui provoqua un tollé de protestations et de profonds sentiments de frustration. Cette pilule fut difficilement avalée et provoqua pendant longtemps des velléités de révolte difficilement maîtrisées. Après donc 28 ans d’absence du pays (1894-1922), mon père était rentré totalement inconnu de la population et déphasé, très peu imbu des us et coutumes mandingues et du Konya. Donc acculturé, il devait obligatoirement s’accommoder à nos traditions, surtout qu’il était devenu le premier magistrat de la province de Simandou. Aussi, il devait gérer une très grande famille 470


constituée des survivants de ses 105 frères et sœurs paternels nés de 45 femmes dont il restait en 1935 que 22 marâtres plus sa mère Diontan Touré, des 33 enfants et des épouses de Kèmè Brahima Camara, sans compter les nombreux oncles et cousins du lignage, tous moulés dans la grande famille Diarakorodou (Diarakorodou kabila). Revenons à présent à l’événement proprement dit. Il était question d’exciser avec fastes et bombances ma tante Sonè Moussokoro, l’avantdernière fille de mon grand-père Fata Kéoulèn Camara. À l’époque celle-ci devait avoir 17 à 18 ans, âge requis pour subir les cérémonies d’initiation. Très souvent, à cet âge, la jeune fille est en plein adolescence et généralement fiancée. Elle rejoint donc son mari dès la fin de l’excision. N’Ténin Sonè Moussokoro était une fille très élancée, de teint noir. Sa chevelure était très abondante. Peignée en arrière, celle-ci tombait largement sur les épaules et pouvait atteindre le milieu de son dos. Son cou était bariolé de plis qu’on apprécie beaucoup chez nous, en matière de beauté surtout féminine. Sa poitrine aux seins bien fermes et agressifs (« saa sinnu ») faisait l’admiration de tout le monde. Elle était vraiment un canon de beauté rare. Tous les hommes s’inclinaient devant sa beauté féerique. Toutes les filles de son époque lui faisaient la révérence particulièrement attentive à cause de sa beauté féerique. Contaminé par la culture occidentale, donc acculturé par sa longue absence du terroir natal, mon père Damaro Diontan Djiguiba avait vivement rejeté l’idée de cérémonies grandioses et de longue durée, source de dépenses inutiles et onéreuses. Il était d’ailleurs hostile à la pratique ou au principe de l’excision pour la conservation de l’intégrité physique de la femme qu’il fut contraint d’accepter. Mais sa jeune sœur voyait autrement le problème. Pour elle, l’excision était incontournable. En plus, elle tenait absolument à s’épanouir pleinement comme les autres jeunes filles et à danser comme l’exige la tradition et comme l’ont fait avant elle ses sœurs aînées. Elle exigea cet honneur de son grand frère qui lui exprima une fin de non-recevoir et ne voulut pas décamper de sa position en dépit des multiples interventions. Malgré cette vive et persistante opposition, Sonè Moussokoro s’accrochait mordicus à l’organisation de son initiation avec fastes. Elle était obstinément aveuglée par la danse qui fait honneur à toutes les initiées et qui anime le village pendant un certain temps. Et d’ailleurs on compare toujours les différentes cérémonies pour dégager un classement des unes par rapport aux autres. Les mieux réussies sont toujours gravées en lettre d’or dans la mémoire collective. Dans son intransigeance, Sonè Moussokoro était fermement soutenue par ses 22 marâtres survivantes, ses sœurs mariées à Damaro ou dans les villages environnants, disons par toute la population féminine et juvénile de Damaro en quête de réjouissances populaires qui sortent toujours le village de sa torpeur. C’était le choc de deux conceptions diamétralement opposées. C’était surtout l’affrontement de deux cultures fondamentalement différentes. La culture

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traditionnelle africaine et la culture occidentale ont très peu de choses en commun. D’ailleurs elles s’opposent sur plusieurs plans. C’est dans cette situation de crise, d’incompréhension et de baroud d’honneur qu’eut lieu l’excision. Le jour J, la foule de femmes accompagna ma tante Sonè Moussokoro dans la forêt sacrée de Warada, nom de la grande rivière qui prend sa source dans le mont Simandou et qui passe à 2 km de Damaro. Warada est le lieu des rites (kènè fuwa). À Damaro, une jeune fille ne se considère comme entièrement accomplie et n’est considérée comme telle que seulement lorsqu’elle subit toutes les épreuves d’initiation et les mystères de Warada (« N bè bò Warada rò »; « Anu bara bò Warada rò »). Après donc l’accomplissement heureux du rite chirurgical, sans accident et ni incident, une foule de femmes solidaires ramena Sonè Moussokoro dans le village pour danser le Fali Fali, qui est une danse réservée aux guerriers et aux héros victorieux. Donc escortée par ses 22 marâtres, par la N’Zoo-Muso (l’opératrice), par les n’zema ou sema (surveillantes, maîtresses, éducatrices) et par bien d’autres femmes initiées du village, N’Ténin Sonè Moussokoro revint au village. Torse nu, le foulard ceint à la hanche, la longue chevelure défaite et peignée par arrière qui retombait sur les épaules et sur le dos, exhibant avec fierté sa belle poitrine ornée de ses seins de moutons (saa sinnu) bien fermes et bien arrondis, Sonè Moussokoro, à la tête du cortège, se dirigea vers la concession de son grand frère. Diawani Kèmo et Moribani, deux grandes virtuoses du tam-tam à l’époque, avaient rejoint solidairement et discrètement le groupe de femmes. Dès sa sortie du vestibule, N’Ténin Sonè Moussokoro entonna le champ héroïque que voici: Saa ni maninyan wo dyara hali mali gbè bòra Warada lò. Hali ka i ko ka i ko, i tè gbè fo n'i bòra Warada lò Ce qui signifie: Le mouton, le serpent boa, le lion et même l’hippopotame blanc Se sont lavés dans la rivière sacrée de Warada On ne peut être propre comme eux Qu’en se baignant dans les eaux bénies de Warada J’ai fait comme eux Maintenant je suis donc propre et pure… Les tam-tams crépitèrent dès après ce chant que la cohorte de femmes enthousiastes reprit en chœur, haut et fort. Ce fut une grande surprise pour mon père et son entourage. Constatant donc la désobéissance notoire de sa jeune sœur qui n’était autre qu’un affront, mon père piqua une violente colère qu’il fut 472


contraint de canaliser. Ne pouvant ni apostropher ni réprimander ses marâtres et ses nombreuses sœurs qui accompagnaient l’excisée, mon père se domina au risque d’offusquer celles-ci. D’ailleurs une telle attitude est blasphématoire chez les Mandingues et entraîne toujours des malédictions. Mais bien que contraint ou réduit au silence, à la retenue et à la modération, il ne put néanmoins s’empêcher de détourner furieusement sa tête pour ne pas regarder le spectacle inapproprié ou inopiné et choquant qu’on lui imposait. Mais on ne pouvait plus les arrêter, car la foule avait déjà envahi la cour. Musiciens et femmes, tout en chantant, jouant et dansant, regroupés derrière la Princesse Sonè Moussokoro, firent le tour de la cour. C’est alors que celle-ci se détacha subitement de la foule de spectateurs et alla à la véranda du grand bâtiment où était assis son grand frère, entouré de ses courtisans. Personne n’imaginait exactement son objectif dans cette démarche. Beaucoup de gens la regardaient hébétés. Qu’allait-elle faire ou dire? La foule s’était tue et contemplait la scène. Un silence de mort régna. Les regards étaient braqués sur elle. On ignorait si la crise allait connaître un dénouement heureux ou si on s’acheminait vers un scandale sans précédent qui allait provoquer l’éclatement de la famille. C’est alors qu’on la vit se diriger vers son grand frère devant qui elle vint s’agenouiller humblement. Par ce geste d’humilité, on comprit finalement qu’elle venait présenter ses excuses à celui qu’elle venait d’offenser. La foule qui s’était immobilisée se tue et suivait attentivement la scène. En effet, mon père Diontan Djiguiba allait-il accepter ou rejeter les excuses de sa jeune sœur qui l’avait outragé publiquement en le mettant devant le fait accompli? L’angoisse avait atteint tout le monde. Le suspense commençait à durer, à s’éterniser. N’Ténin Sonè Moussokoro fut heureusement inspirée par ce deuxième chant pathétique qui sauva la situation: Hiyo n kumani, dòlu sala dòlu balola, Hiyo n kumani, dòlu sala ka do to. Hiyo n kumanyòòn, n fa bara sa, ile le toni. Hiyo n kumanyòòn, Fata Kewulen sara, N kòrò Kèmè Brahima fana bara sa, Ile Djiba Wulen ne toni, Ulu bèè bara sa ka an to ile bolo. Ce qui signifie: Oh! Interlocuteurs et témoins oculaires, Sachez que dans une famille, certains meurent, D’autres survivent pour perpétuer la famille. Mon père Fata Kéoulèn est certes mort, Mon grand frère Kèmè Bréma est mort aussi, Mais ils n’ont pas laissé de vide, 473


Car c’est toi Djiba Oulèn qui les remplace. Mon père Fata Kéoulèn et notre frère aîné sont bien morts, Mais le destin a bien voulu Te choisir toi, Djiba Oulèn, pour gérer leur succession. Dois-tu ou peux-tu te dérober à tes devoirs, à tes obligations morales? Non! Grand frère, tu dois assumer pleinement tes charges Et responsabilités familiales qui t’incombent. Peux-tu faire pleurer l’orpheline que je suis? D’ailleurs je ne saurais être orpheline tant que tu vis. Notons qu’au Mandingue, il est formellement interdit d’insulter, de frapper ou de faire pleurer sciemment une sœur, une cousine ou une nièce (Fèn muso tè lakasila Manden kònò). Ce chant pathétique, qui rappelle tant de gloires, émouvra le quasitotalité des cœurs, sauf ceux des enfants qui ne percevaient pas la signification profonde des mots. Toute l’assistance se mit à pleurer. Les frissons avaient gagné tout le monde. Mon père, lui aussi, fut littéralement bouleversé, voire abattu, par cet appel fraternel pathétique. J’avoue que pour la première fois j’ai vu mon père le cœur brisé et en larmes. Le chef en larmes, ce fut la contagion générale. En tout cas je vis tout le monde pleurer à chaudes larmes. Ce n’était nullement du simulacre ou de la démagogie. Tous les cœurs étaient brisés par la vive émotion créée par ce chant, par cette interpellation fraternelle de Sonè Moussokoro. Le climat était devenu trop lourd à supporter. Pour extirper la peur qui était ou décrisper la situation, les musiciens firent crépiter leurs tamtams de façon intempestive et la danse reprit avec le refrain de ce deuxième chant qui avait décontenancé tous ceux qui étaient hostiles à cette façon d’organiser l’excision. La foule déambula dans la vaste cour, toujours derrière la majestueuse Sonè Moussokoro. Par bonheur, celle-ci, après deux ou trois tours, fut inspirée par un troisième chant. Alors que les larmes n’avaient pas encore séché, elle vint s’agenouiller une fois encore devant son grand frère Diontan Djiguiba Camara qu’elle interpella de nouveau en chantant: I benba ka kèlè kè a ma danni fèn to, Han n’tii ye ilele le Djiba-Ulen, Mòò mina lòòlen i la dyara, Ho n ki ilele ma Djiba-Ulen, Mòò mina lòòlen i la dyara, Ho n ki ilele ma Farin Kaman, Mòò mina lòòlen ila dyara, A bè kèla mòò minala a bè yèrèli la, Mòò mina fèn bèè na dyara, Ho n ki ilele ma Farin Kaman, 474


Mòò mina fèn bèè na dyara, Ho n ki ilele ma Farin Kaman, Mòò mina fèn bèè na dyara, A bè kèla mòò mina ka a bèè wurunila, Mòò mina fèn bèè na dyara, A bè kèla mòò minala a bè ntolona i la, Mòò mina fèn bèè na dyara. Ce qui signifie: N’est-ce pas que ton grand-père fut un grand guerrier qui n’épargna aucune vie? À qui appartiendrais-je ici-bas si ce n’est qu’à Djiguiba Oulèn? Le lion que tu es veut-il dévorer une personne? C’est à toi Djiba Oulèn que je m’adresse, Veux-tu dévorer encore une personne? C’est à toi, vaillant descendant de Farin Kaman, que je m’adresse, As-tu encore envie de dévorer une personne? En attrapant ta victime tu lui souris cyniquement, Tu es bien le lion qui ne dévore que les humains. C’est à toi, digne héritier de Farin Kaman, que je m’adresse humblement. Veux-tu encore dévorer quelqu’un? Tu es en fait le lion qui peut faire disparaître tant d’hommes. Pour attraper ta victime, tu rugis haut et fort. Avant d’en finir avec ta victime, tu en fais un jouet, un pantin. Épargne-moi donc, féroce lion dévoreur des humains. L’atmosphère s’était brusquement décrispée dès après ce chant évocateur. À présent, personne n’était plus angoissée, car la magie du verbe avait eu définitivement eu raison sur la passion. Le Mandingue est très fier, très émotif, et très sensible aux éloges que les flagorneurs lui adressent ou qui sont destinées à ses parents et à ses ancêtres. Littéralement foudroyé par ce chant évocateur du glorieux et riche passé de son ancêtre Farin Kaman à qui sa sœur le compara, mon père Diontan Djiguiba Oulèn ne pouvait plus se contenir. Comme s’il était envoûté, ses gestes étaient de plus en plus désordonnés. Il lâcha du lest pour ne pas entacher l’éclat de la fête qui était souhaitée par tout le village. Il ne pouvait d’ailleurs pas relever ce défi orchestré par la quasi-totalité de la collectivité villageoise. Le front de la coalition était très large et très sensible. À ce stade du conflit ou de l’incompréhension, il ne pouvait que s’incliner. La pression populaire était trop forte. Dès lors, il comprit qu’il était pratiquement seul contre tous. En effet, ses 22 marâtres, toutes ses sœurs présentes, qu’il ne pouvait braver, et la foule 475


d’admirateurs avaient pris cause et fait pour Sonè Moussokoro qui était massivement soutenue dans sa volonté inébranlable de danser afin de marquer son initiation et la mémoire collective par un cachet indélébile. Tout le monde reprit en chœur ce magnifique chant qu’on entendait, pour la première fois, et qui est devenu depuis l’hymne patriotique des Camara, notamment les Farinkamansi ou descendants de Farin Kaman. Ce fut l’apothéose. Le vin était tiré, il fallait le boire. Porté au pinacle de la gloire et de tous les honneurs possibles par sa jeune sœur, mon père, décontenancé et dans un geste majestueux et surprenant, interpella à haute voix son jeune frère Gbani Saren Sidiki Camara qu’il commit d’aller chercher immédiatement le plus gros taureau de son parc. Ce qui fut fait dans les minutes suivantes. Ce bœuf, d’une grosseur phénoménale et d’une belle race, fut aussitôt égorgé, séance tenante, en l’honneur de ma tante N’Ténin Sonè Moussokoro. Comme pour se racheter ou se repentir, mon père coupa lui-même la queue de l’animal qui se débattait encore contre la mort pour la remettre personnellement à sa jeune sœur. Celleci la prit et la brandit fièrement en l’air. Elle l’exhiba à la foule qui l’acclama. Une forte émotion s’empara de toute cette foule surprise de cette réconciliation spontanée et inattendue du frère et de la sœur. On la porta en triomphe. Ce geste de mon père appelé « dyansali » qui n’est pas rare au Mandingue a toujours sauvé des familles de l’éclatement. Un tel geste historique et courageux a toujours permis d’enjamber les différends les plus profonds et les plus délicats et de réconcilier des frères ennemis et des amis séparés. La concession et la tolérance réciproques sont toujours indispensables dans la solution des conflits. En plus, mon père distribua une grande quantité de poudre à tous les possesseurs présents de fusils traditionnels qui se mirent à tirer. De son côté, son griot Diancouba Finé Camara qui avait reçu des paquets de cartouches ne se fit pas prier pour tirer en l’air avec le fusil calibre 12 de mon père qui était aussi un chasseur très adroit. Une opaque fumée avait envahi la cour. On se voyait à peine. L’air était piquant et difficile à respirer. Les coups de fusils assourdissants ne cessaient de se faire entendre. C’était du jamais vu à Damaro. Les spectateurs et les acteurs disaient: « Qu’est ce qui se serait passé si cette fête n’avait pas été improvisée, si elle avait été bien préparée? » La fête prit une nouvelle tournure qui surprit tout le monde. Pour mieux rehausser l’éclat des réjouissances, mon père décida de faire participer les morts. Pour cela il ordonna de sortir du musée familial tous les attributs de chef de leur père Fata Kéoulèn Camara. Cette décision surprit les observateurs et donna encore un cachet particulier à l’éclat de la fête. En effet, Fata Kéoulèn Camara était le roi du Simandou et également grand commandant de l’armée samoryenne jusqu’en 1894. Il s’agissait: 1) - de Bononbali, son fusil qui ne ratait jamais sa cible, 2) - de Kotèbali, son sabre qui ne traversait jamais un cours d’eau sans

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couper une tête humaine ou verser le sang d’un animal à défaut en lieu et place, 3) - de son tama ou lance royale qui était son armoirie royale, 4) - de son waanin, son siège ou tabouret royal. Mon père la fit asseoir avec solennité sur le siège royal de leur père Fata Kéoulèn Camara et lui remit en plus la lance (tama) dont la pointe avait reçu une noix de cola blanche et sur laquelle leur père Fata Kéoulèn s’appuyait fièrement quand il marchait surtout devant le public. Il ne s’en séparait qu’au moment du sommeil. Après cet instant d’intronisation certes improvisée mais très émouvante, Sonè Moussokoro quitta la véranda et alla rejoindre la foule pour reprendre la danse sur l’air de Farin Kaman Fasa qu’elle venait de composer en l’honneur de son grand frère Diontan Djiguiba Camara. La foule sortit de la concession de mon père pour faire le tour du village, dans l’allégresse générale. Puis les femmes initiées prirent encore le chemin de la rivière Warada avec Sonè Moussokoro plus quatre nouvelles candidates à l’initiation. Évidemment, les hommes, les filles non encore initiées et les enfants furent obligés de retourner au village. En effet, pour lui éviter la solitude qu’elle devait connaître pendant la longue durée de son initiation et en accord avec toute la famille, N’Ténin Sonè Moussokoro avait demandé et obtenu la compagnie de ses nièces Magbè Saa, Magbè Diontan, toutes deux filles de son grand frère Boron Zoumana dit Souloukou. On y enjoignit les deux filles de la griotte Koya Finé qui portait un impressionnant goitre et qui chantait très bien. Après l’accomplissement du rite par ces quatre jeunes filles, la foule de femmes revint au village toujours regroupée derrière Sonè Moussokoro et ses co-initiées. Leur accueil fut encore plus émouvant et plus délirant. À leur retour au village, elle entonna ce magnifique chant de reconnaissance plein d’humilité: Ayi ye taa malò n Kuntii la. (Accompagnez-moi chez mon Chef.) Tiilònbali tè nene. (Car je ne suis pas une renégate et je dépens de quelqu’un.) Ayi ye taa malò n Kuntii la. (Accompagnez-moi chez mon Maître.) Wali nyumanlònbali tè nene. (Car je ne suis pas une ingrate.) Ce chant traduit chez nous la reconnaissance d’une personne dévoyée à l’endroit de son aînée, de son supérieur. Ainsi N’Ténin Sonè Moussokoro s’est repentie d’une manière humble en reconnaissant l’autorité de son grand frère sur elle et sur toute la famille. Ce chant si profond n’a pas manqué d’émouvoir les cœurs sensibles. Beaucoup en pleurèrent. Agitant de la main droite la queue du bœuf tué en son honneur et brandissant avec la main gauche la lance de guerre de son père Fata Kéoulèn Camara, ma tante Sonè Moussokoro reprenait imperturbablement l’hymne 477


Farin Kaman Fasa que la foule répétait en chœur avec joie et engouement, soutenue par les rythmes endiablés de l’orchestre de tam-tams dirigé par Diawani Kèmo et Moribani Koné. La fête était si belle que sa poursuite pour longtemps était vivement souhaitée par tous. L’animation du village était si intense et si populaire que même les villages voisins venaient y participer. Mais, malheureusement, tout ce qui existe a forcément une fin. Un événement si plaisant soit-il ne saurait s’éterniser. Cette belle fête dura deux semaines. C’était les bombances pour les gourmands et les gourmets et la danse populaire attirait tant de foule. On dansait et mangeait à volonté matin et soir. Pour réveiller le village et mettre les gens en train, Sonè Moussokoro, dès les premiers chants du coq ou à partir de 15 heures, chantait régulièrement à ces heures: Han, n bè kunun wo sunòò sa. N bè kunun wo... N na balafòla n bè kunun wo. Sunòò sa, n bè kunun wo... Ce qui se traduit par: Ha! Je me suis réveillée! Que tout le monde se réveille donc comme moi. Mon joueur de tam-tam, sais-tu que je suis sur pieds? Sais-tu que je t’attends pour que tes rythmes soutiennent mes pas? En tout cas, je ne laisserai personne dormir maintenant Sortez tous et allons à la fête! Accompagnez-moi! Dès que cette douce voix résonnait dans les brumes matinales, les tamtams se faisaient immédiatement entendre avec fracas et tiraient du sommeil ceux qui n’avaient pas entendu l’appel du coq et du muézin ou qui traînaient encore dans leur lit. Debout comme un seul homme, tout Damaro sortait pour danser. Je me rappelle encore cet appel qui était entendu tous les matins et tous les après-midis pendant toute la durée de l’initiation. Pendant quinze jours on dansa. À l’époque Damaro grouillait de monde. Le phénomène ou le virus du mirage du bonheur chimérique des centres urbains n’avait pas encore atteint comme aujourd’hui nos villages. Les jeunes restaient au village et se consacraient aux travaux champêtres. L’économie monétaire n’avait pas encore sa propension actuelle. L’excision de N’Ténin Sonè Moussokoro Camara reste légendaire dans les annales des cérémonies d’initiation organisées à Damaro. Par sa spontanéité, par l’ampleur, par l’engouement et la réussite des réjouissances populaires dont je me souviens encore des moindres détails, je ne crois pas 478


qu’une autre cérémonie de même genre ait tant marqué la mémoire des Damarois de cette époque. Quelques temps après la fin de l’initiation, elle fut mariée à Kérouané par Yaya Touré. Celui-ci était le deuxième fils du célèbre Macé Mouctar Touré qui était lui-même fils de Samory et figure emblématique de la résistance de l’empereur du Konya à la pénétration française en Afrique après l’hécatombe de Sikasso où l’armée impériale brisa sa colonne vertébrale. Cette figure de proue de l’épopée samoryenne fut l’un des artisans de la farouche résistance à la pénétration française en Guinée et en Côte d’Ivoire. De ce mariage naquirent feu Moussokoro Moctar Touré, un très beau garçon, mort en 1994 à Conakry dont les enfants vivent actuellement Kérouané et à Conakry. Par contre sa sœur Moussokoro Sonè dite Sungburu vivait en 2010 à Conakry (Cité de Coléah Imprimerie, Commune de Matam), chez son cousin Fata Sékou Damaro Camara. Moussokoro Mouctar Touré et Moussokoro Sonè Touré ont eu à peine la beauté, la grâce, le charme et la prestance de leur mère Sonè Moussokoro qui était le prototype des Damarois qui se reconnaissent par leur beauté et leur grande taille (Damaro mòò tyèin so). Comme on le dit: « À quelque chose malheur est bon. » Après avoir frôlé l’éclatement, la famille a heureusement retrouvé son unité, son harmonie. Depuis, une profonde affection a uni mon père Damaro Diontan Djiguiba Camara et sa jeune sœur Sonè Moussokoro. Ce qui fit d’ailleurs de nombreux jaloux dans la famille. En effet, on a longtemps remarqué à Damaro que du vivant de Sonè Moussokoro, Diontan Djiguiba a tendrement aimée et particulièrement choyée celle-ci plus que tous ses autres frères et sœurs. Une complaisance bienveillante dans les propos et dans les actes de l’un envers l’autre et réciproquement créa des sentiments de frustration. Certains contemporains affirment que l’excès de tolérance et de complicité entre les deux indisposait les autres frères et sœurs. En effet, mon père ne lui refusait rien. D’ailleurs beaucoup de gens passaient toujours par elle pour obtenir des faveurs du chef, pour assouplir celui-ci qui avait un caractère très dure. Sonè Moussokoro a toujours réussi à le faire fléchir, à le faire décamper de certaines de ses positions. Rappelons que mon père était un homme de principes, rigoureux dans ses décisions qui étaient prises en parfaite connaissance de cause et reflétaient toujours le bon sens, la sagesse, la vérité. On lui reconnaît son impartialité dans les procès et le règlement des litiges dont son autorité était saisie. Il était très patient et particulièrement attentif aux plaintes et aux réactions des parties adverses dans un conflit. Par son sens profond de l’équité, il a marqué ses contemporains qui affirment encore qu’il était très véridique et intègre comme chef. La recherche permanente et la défense régulière de la vérité était sa devise. Mon cher frère Daouda Damaro, voici donc ce pan d’ombre de l’histoire du Konya que j’ai la chance d’éclairer d’une lumière crue. Pour avoir été témoin oculaire de ces évènements ou de cette page de notre histoire, ma source 479


d’informations est pure, précise et la meilleure. Personne ne pourra contester la véracité des faits que je viens de te raconter. Je lance ce défi à quiconque pourrait me démentir. Pour conclure donc cet entretien, j’allègue et soutiens: ■ Que Farin Kaman Fasa, notre hymne a été composé par notre tante Sonè Moussokoro Camara de Damaro, ■ Que Farin Kaman Fasa a été dédié pour la première fois à Diontan Djiguiba Camara de Damaro, Chef du canton de Simandou (Cercle de Beyla) de 1928 à 1957, lors de l’excision de sa jeune sœur Sonè Moussokoro Camara, ■ Que Farin Kaman Fasa a été composé pour la première fois en 1935, ■ Que Farin Kaman Fasa a été effectivement composé pour la première fois à Damaro, ■ Que Farin Kaman Fasa a permis à Sonè Moussokoro de se reconcilier avec son frère pour s’être laissée exciser sans consentement de celui-ci, ■ Que Farin Kaman Fasa a été composé spontanément par inspiration pendant l’excision de Sonè Moussokoro Camara. Je ne crois pas que Damaro ait connu des cérémonies d’excision ou de circoncision improvisée qui ont atteint l’ampleur, l’animation et la popularité de celles organisées à l’occasion de l’initiation de la belle Soné Moussokoro. Je suis donc très heureuse de constater que ce chant lyrique FARIN KAMAN FASA, qui l’immortalise, soit adopté depuis comme hymne des Camara. Il est devenu une référence, un facteur d’unité des descendants de Farin Kaman Camara et par ricochet de tous les Camara. « À tout Seigneur, tout honneur. » Ayons donc l’honnêteté de rendre hommage à l’inspiration et au génie créateur de feue SONÈ MOUSSOKORO CAMARA DE DAMARO qui a eu le mérite de composer cet hymne des Camara dédié pour la première fois à son grand frère DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA, ANCIEN CHEF DU CANTON DE SIMANDOU (DAMARO-KÉROUANÉ) et qui fait aujourd’hui toute notre fierté. Il est chanté et dansé avec engouement par tous les Camara de Guinée, lors des cérémonies de mariages, de baptêmes et d’initiations. Oui! « Rendons à César ce qui à César et à Dieu ce qui est à Dieu » dit un adage. Sonè Moussokoro Damaro Camara, nous te rendons un vibrant hommage mérité pour ton inspiration ou pour ton instinct de créativité, car tu es immortalisée à travers ce célèbre hymne des Camara de Guinée et d’ailleurs. Dors donc en paix et que la terre du Konya et du Simandou que tu as magnifié te soit légère. Amen! Fait à Conakry, le 20 mars 2005 480


Hadja Moïma Séré Damaro Camara, épouse de Mamadou Traoré Ray-Autra, une des filles de l’auteur du présent ouvrage. Elle vivait en 2015 dans sa villa sise au quartier ENTA FASSA, dans la commune urbaine de Matoto-Conakry. Elle est décédée le 3 mars 2016 dans sa résidence à ENTA FASSA (Conakry) à l’âge 92 ans. Nous lui devons le récit complet ou l’historique de la genèse du Farin Kaman Fasa ou l’hymne des Camara. Son témoignage nous permis d’éclairer, par une lumière crue, un pan de l’histoire des Camara. Elle nous a onc permis de dénouer une énigme qui était jusque-là une grande et embarrassante inconnue pour les Camara et pour l’histoire. Nous la remercions pour sa contribution déterminante à l’éclairage de ce pan de l’histoire des Camara. Que son âme repose donc en Paix. AMEN!

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DOCUMENT DE LECTURE I L’histoire est ininterrompue. Elle est un processus qui continue et que personne ne peut arrêter. Mais les évènements présents ont souvent leur origine dans le passé. Leur projection ou liaison avec ceux du présent ou du futur permettent de comprendre les intrigues, d’expliquer les choses ou de les comprendre. Les hommes naissent, vivent et disparaissent les uns après les autres. Certains, par des actions d’éclat, laissent des traces indélébiles et deviennent des modèles à suivre pour les générations futures. Mais ce sont les peuples qui sont les témoins et les acteurs permanents de tous les évènements. Ce sont les peuples qui retiennent et perpétuent les œuvres des hommes les plus illustres. La mémoire collective retient donc les actes de certains hommes pour informer le présent et éclairer les générations suivantes. On dit que l’histoire ne se répète pas exactement, car les circonstances ne sont pas exactement les mêmes, mais elle bégaie parfois en essayant de reproduire certains évènements semblables. Si curieusement, le Commandant Palanque, Administrateur du cercle de Beyla (Konya) en 1913, a pris l’initiative heureuse et salutaire de réconcilier les lignages Camara Farinkamansi et Camara Konsabasi. La très nombreuse progéniture des deux patriarches a pris dès lors conscience en décidant de consolider cette unité fondamentale retrouvée et scellée par l’histoire qui leur impose un destin commun. Dans cette perspective, tous les Camara des différentes provinces du Konya, du Libéria, de la Côte d’Ivoire et leurs alliés se sont retrouvés en 1999 à Gbéssoba (Préfecture de Beyla, République de Guinée). L’histoire ne s’arrête pas. Dans sa continuité, certains s’évènements se ressemblent. Voici la substance de ce qu’ils ont dit et arrêté à Gbéssoba (Beyla): RÉSOLUTION GÉNÉRALE DE LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE DE LA GRANDE FAMILLE DES CAMARA DESCENDANTS DE KONSABA ET DE FONIKAMAN** « RÉSOLUTION GÉNÉRALE » PRÉAMBULE L’arbre le plus géant sort de la graine la plus petite qui annonce la forêt. L’histoire des Camara soulève aujourd’hui encore, plus que par le passé, la poussière. En marchant, Konsaba et Fonikaman, deux frères lianes des générations ont engendré un peuple qui s’étend aujourd’hui de la Guinée au Libéria et à la Côte d’Ivoire, etc. _________________________________________________________________ N.B.: ** - Déformation ou altération de FARIN KAMAN ou de FREN KAMAN. 482


Aujourd’hui l’évidence s’impose que ce peuple se retrouve, se reconnaisse et se remoule dans le creuset de l’histoire. Considérant ces impératifs historiques qui répondent aux aspirations légitimes de tous les fils de la famille Camara et alliés qui s’est tenue la première assemblée générale des Camara les 23, 24, 25 et 26 avril 1999 à Gbéssoba, préfecture de Beyla. Cette assemblée a connu la participation de 1551 délégués venus de la Guinée, du Libéria, de la Côte d’Ivoire etc.--- ainsi que leurs alliés. Le programme de l’assemblée s’est déroulé dans l’ordre suivant: - Recueillement sur la tombe de l’ancêtre Konsaba; - Présentation de la physionomie de l’assemblée; - Sermon d’ouverture prononcé par El Hadj Mory Doukoure, imam de N’Zérékoré; - Présentation des dix noix de cola traditionnelles à la délégation gouvernementale par les sages de la famille Camara; - Discours de monsieur le Sous-Préfet de Gbéssoba; - Discours du Président de la Coordination Nationale du Konya; - Discours de Monsieur le Préfet de Beyla; - Discours de Monsieur le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, suivi de la présentation de la contribution du chef de l’état au sacrifice à hauteur de cinq millions de francs guinéens (5.000.000 FG); - Lecture du Saint Coran 21 fois afin que le Tout Puissant Allah nous assiste à créer entre nous un climat d’amour, d’entraide et de la tolérance en plus de la paix, de l’unité et de la prospérité pour toute la Guinée; - Immolation de 12 bœufs en guise de sacrifice. Dans l’ensemble, tous les participants ont salué et approuvé avec un vif intérêt le contenu des messages apportés par chaque délégué. I - DE L’UNITÉ Considérant l’explosion démographique des descendants de Konsaba et de Fonikaman, Considérant le rôle prépondérant joué par les Camara dans l’histoire de la Guinée, de celle du Konya en particulier et de celle du Libéria (District de Gboni), Considérant que les liens séculaires qui ont toujours existé entre les Camara et les autres familles alliées, L’assemblée suggère une véritable unité entre les fils Camara d’une part et entre ceux-ci et les fils des autres familles alliées d’autre part.

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II - MISE EN PLACE D’UN BUREAU DE COORDINATION DE LA FAMILLE CAMARA Considérant que les descendants de Konsaba et de Fonikaman constituent dans l’ensemble dix-sept (17) clans, dispersés çà et là, l’Assemblée recommande la mise en place d’un bureau de coordination de la famille Camara. III - DU TRIBUNAL COUTUMIER Considérant les multiples tracasseries des tribunaux publics, Considérant l’impact financier qu’entraîne le recours aux tribunaux et ses méfaits sur les liens familiaux, L’Assemblée recommande que les conflits entre les Camara soient réglés à l’amiable ou par le conseil des sages et que le recours à la coordination du Konya ou à l’administration ne se fasse qu’en cas de stricte nécessité. IV - DU RENFORCEMENT DES VALEURS TRADITIONNELLES Considérant une régression des bonnes mœurs au profit d’habitudes dégradantes qui sont le vol, le banditisme, l’alcoolisme, l’escroquerie, de la drogue etc., l’Assemblée recommande un retour à nos sources par des actions éducatives sans tomber dans l’intégrisme et la barbarie. V - DE L’ÉDUCATION Considérant le faible taux de scolarisation des enfants, l’Assemblée invite tous les parents à la scolarisation de tous les enfants à l’âge d’aller à l’école. VI - DE LA RÉSOLUTION GÉNÉRALE DE L’ASSEMBLÉE DU KONYA Considérant que le contenu de la Résolution Générale du Konya tenue du 12 au 16 octobre 1998 à Moussadou, constitue un outil précieux de développement socio-économique du Konya, l’Assemblée invite toute la famille Camara et alliées à faire sien ce contenu. VII - REMERCIEMENTS L’Assemblée remercie très vivement Konsabasi pour l’accueil chaleureux et enthousiaste réservé à l’ensemble des délégués et invités. L’Assemblée remercie tout particulièrement le neveu des Camara, le Général Lansana Conté, Chef de l’État et Président de la République de Guinée pour s’être fait représenter par une personnalité de si haut rang qui est le Ministre de 484


l’Administration du Territoire et de la Décentralisation et avoir aussi apporté une contribution de qualité à la réussite du sacrifice de ses oncles. L’Assemblée remercie également Monsieur le Préfet de Beyla et Monsieur le Sous-Préfet de Gbéssoba pour leurs contributions à la réussite de l’Assemblée des Camara. Considérant la portée positive et historique de ce genre de concertation, l’Assemblée sollicite la tenue pour chaque trois ans dont la date et le lieu seront déterminés au moins un an avant sa tenue. Gbéssoba, le 27 avril 1999 L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES CAMARA DOCUMENT DE LECTURE II LETTRE DE REMERCIEMENTS DES CAMARA AU GÉNÉRAL LANSANA CONTÉ, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE EXCELLENCE, MONSIEUR LE PRÉSIDENT, Nous vous remercions très sincèrement de nous avoir accordé cette audience malgré vos lourdes charges. Monsieur le Président, La réunion de la grande famille Camara des descendants de Konsaba et de Fonikaman, après plusieurs siècles de dispersion, s’est tenue dans le charmant village de Gbéssoba, dans la Préfecture de Beyla les 23, 24, 25 et 26 avril 1999. Les membres de la famille ont été flattés du geste de leur neveu Lansana Conté, Président de la République de Guinée, représenté par Monsieur Moussa Solano, Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, audelà de la qualité de sa représentation et de l’importante somme offerte, c’est le geste de la reconnaissance et de l’ancrage dans la tradition multiséculaire des Camara qui honore vos oncles, à la fois dans le Tukoro Dyamana et dans le Gbèkan Dyamana, ce qui leur confère un caractère matrilinéaire et patrilinéaire. En effet le neveu dans notre culture matrilinéaire est plus que notre fils. Il est nous-mêmes, avec tout ce que cela comporte comme cession et légation patrimoniale; quant à notre fibre patrilinéaire, elle nous lie à notre « Barini » par le fait que nous lui offrons toujours les attributs de sa puissance sur son environnement naturel.

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Ainsi le pacte que nous avons avec notre neveu est au-delà de toute temporalité, elle est élément constitutif de notre legs familial que nous venons de raviver dans notre « Bolon » familial. La branche de la famille descendant de Konsaba et de Fonikaman est principalement dans une zone à cheval sur la forêt et la savane. Monsieur le Président, Au cours de la réunion, nos oncles maternels ont enregistré, avec fierté la présence de votre représentant personnel, Monsieur le Ministre Moussa Solano qui a transmis votre message de sagesse en prodiguant d’utiles conseils. Ce message de Paix et d’Unité nationale a considérablement enrichi les débats. Votre contribution très importante au sacrifice familial de la circonstance nous est parvenue et nos bénédictions vous accompagnent. Notre zone, entièrement enclavée, est par excellence propice à l’élevage et à l’agriculture, quoique prouesses en qualité de négociants et de guerriers naguère soient légendaires. Ainsi l’évacuation de nos produits vers des zones qui en demandent est très difficile, faute de voies de communication adéquates. Seule la construction, à notre humble avis, de la route KankanN’Zérékoré pour être un facteur de désenclavement de cette zone Konya dont la sonorité linguistique en ajouterait, si elle était diffusée, au patrimoine culturel national. Aussi la réunion a-t-elle vivement souhaité que les projets de création d’entités administratives dans la zone soient concrétisés. Enfin, Mô Barini, nous nous confions à vous et vous prions de veiller sur nos enfants en service dans l’administration. Nous remercions et bénissons éternellement pour vous, Les Camara du Konya DOCUMENT DE LECTURE III I - DÉLÉGUÉS VENUS DE L’INTÉRIEUR: 1 - El Hadj Nouny Ibrahima (Damaro, Kérouané) 2 - Gouacé Camara (Gbéssoba, Beyla) 3 - El Hadj Mory Camara (Vice-Président du Konya à N’Zérékoré) 4 - Ténou Kaman Camara (Vasséridou Macenta, Centre) 5 - Moussa Gbony Camara (Daro, Macenta) 6 - Ansoumane Camara (Yomou, Centre) 7 - El Hadj Mamadi Camara (Député de Sinko, Beyla)

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II - DÉLÉGUÉS DE CONAKRY: 1 - Mamadi Camara (Député Maire de Matoto) 2 - El Hadj Mamadi Nouny Karamo Camara (Bureau des sages du Konya à Conakry) 3 - Sarenkèn Camara (Présidente des femmes du Konya à Conakry) 4 - Mabongo Camara (Vice-Présidente des femmes du Konya) 5 - Docteur Djènè Saren Camara (Membre du bureau des femmes du Konya) NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - Le village de Gbeïfè n’est plus que ruines. Gbeïfè était un petit village des Koné jadis situé à 3-4 km de Damaro et dont les habitants ont déménagé à Damaro en 1953. Le village fut créé par leur neveux Gnouma Oussou Camara et Sosso Camara avec l’autorisation de leurs ancêtres maternels. (2) - Certains des descendants de Sakassia Diabaté dont feu El Hadj Ibrahima Diabaté, Nakoura Mamadi Diabaté... résidaient au quartier commercial de N’Zérékoré (Guinée). Les Diabaté de N’Zérékoré sont très nombreux de nos jours. Par ailleurs d’autres descendants de Sakassia Diabaté sont certains à Beyla (Tira Mamadi Diabaté et ses enfants, N’Fa Mory Diabaté du Bembeya Jazz de Beyla, Administrateur du Palais du Peuple de Conakry en 2019, Sidiki Dioubaté à Beyla, et d’autres dont Djiguiba Oulèn Diabaté à Daloa, et Moustapha Diabaté à Abidjan en Côte d’Ivoire. (3) - Pour interdire tout passage, on dépose sur la route à prendre ou au carrefour les feuilles du Mana pour les régions de savane et celles du Kogbeïn pour les régions forestières. Toute personne qui ne tient pas compte de cette signalisation particulière trouvera inéluctablement plus loin malheur sur son chemin. D’une manière générale, pour indiquer la bonne route à suivre, on dépose des branchages touffus et verts au carrefour et sur la mauvaise piste ou route. Cette pratique ou ce code annonce un danger imminent si vous contournez ou si vous enjambez par entêtement cet obstacle pour continuer votre chemin. (4) - Renseignements fournis en avril 1985 à Damaro par Bintou Morifing Camara, fils de Borè Bréma et petit-fils de Linko Amara Camara. (5) - Ce village ayant été reconstruit avec l’autorisation de Monsieur Feuille, l’un des Administrateurs du cercle de Beyla, est habité uniquement que par des anciens captifs affranchis et leurs descendants. (6) - Cette liste n’est pas définitive en ce sens qu’à la faveur des guerres de razzias, les familles étaient disloquées. Des enfants capturés et emportés loin des leurs. Certains, plus chanceux, retournaient au bercail, d’autres ne retrouvèrent plus jamais leur famille. Les enfants de Fata Kéoulèn Camara n’échappèrent pas à cette règle. En effet, Makèmè, mère de son fils aîné Gnaman dit Kèmè Brahima Camara, fut capturée lors d’une razzia et ne fut jamais retrouvée, en dépit des nombreuses recherches à travers la Guinée et le Soudan (Mali actuel). Mouba Mory Camara, frère benjamin de Fata Kéoulèn, fut justement chargé par 487


celui-ci de cette mission de recherche. N’ayant pas trouvé sa belle-sœur Makèmè, celui-ci décida par orgueil de ne plus revenir à Damaro tant qu’il n’aura pas accompli totalement sa mission. Pour échapper aux recherches de sa famille, il tronqua son nom Mouba Mory Camara en adoptant celui de Mouba Mory Doumbia. Ce qui était fait pour brouiller la piste. En effet, malgré plusieurs tentatives de recherches ordonnées par Fata Kéoulèn, il ne fut jamais retrouvé. Bossogbè Zoumana Camara, un autre frère de Fata Kéoulèn, tenta vainement, avec la bénédiction de Fata Kéoulèn, de chercher Mouba Mory Camara. Il faut préciser par ailleurs que Mouba Mory était confié, en éducation, à Sifani Soko, un de ses frères aînés, comme cela se fait couramment en pays mandingue. C’est en souvenir de l’affection fraternelle qu’il a eue pour celui-ci qu’il baptisa son unique fils au nom Soko ou Sékou. Ce n’est qu’en 1982 que son fils Saren Sékou Doumbia, Colonel et Intendant Militaire à Bamako (République du Mali), renoua avec ses parents de Damaro après des années de recherches, car son père lui avait laissé quelques repères ou renseignements sur ses origines. Mouba Mory Doumbia, de son vrai nom Mouba Mory Camara, mourut en 1954 à Kati (Mali) où il résida après avoir pris sa retraite d’ancien combattant avec le grade d’Adjudant-Chef de l’armée française. Par la force des choses sa progéniture est devenue Doumbia plutôt que Camara. Colonel Sékou Doumbia est venu par deux fois à Damaro avant sa mort en 2005 à Bamako. Il a laissé comme héritiers quatre garçons (Awa Mory, Awa Maadou, Awa Kalilou, Awa Oumarou dit Barou) et cinq filles (Mah Katy, Alima, Moussokoro, Fatou et Aminata dite Mimie) qui résident tous à Bamako. Par ailleurs Nagbè Camara surnommée Waligbè à cause de sa beauté féérique, était une des filles de Fata Kéoulèn Camara, qui était un célèbre chef sofa samoryen et de surcroît le leader de la grande confédération des Principautés Camara de la Guinée Forestière qui englobe les régions administratives de Beyla, Kérouané et Macenta... et de Gboni (Libéria). Après sa soumission spectaculaire en 1894 aux troupes de conquête françaises, suite à une forte pression de ses oncles paternels et frères consanguins qui étaient des chefs traditionnels dans d’autres régions, Fata Kéoulèn Camara fut confirmé à la tête de la vaste province du Simandou érigée plus tard en canton par l’administration coloniale française. Sa fille Nagbè Camara est encore évoquée dans la mémoire collective pour sa beauté féerique et pour son teint clair dont l’éclat et la netteté la faisaient passer pour une Toubab (blanche). Cette célébrité en fit la convoitise de tous les hommes. Mais aussi cette réputation de belle créature lui valut d’être raflée, alors qu’elle était jeune impubère, par des pillards venus razzier son village Damaro. Ce fut le début d’une aventure rocambolesque. Peu après elle fut extorquée à ses ravisseurs par un officier français qui résidait à Siguiri après le départ des troupes de Samory du Mandingue. Celui-ci en avait fait son épouse ainsi qu’une autre femme de la famille Fofana et originaire de Kouroussa (Guinée). Siguiri était la base des opérations de conquête militaire des colonnes contre l’Almamy Samory Touré et contre tous les résistants de la région à la pénétration française. À la demande de cette Fofana, Nagbè fut autorisée par son mari, l’officier français, à accompagner sa coépouse à Kouroussa à l’occasion du décès du père de celle-ci. À Kouroussa Nagbè provoqua un scandale sentimental. Sa beauté ébranla bien des cœurs masculins. Mais ce fut Saren Mourou Kondé, originaire de Faramala ou Fadama (Hamana, Kouroussa) qui bénéficia des doux yeux de la déesse. Audacieux, celui-ci la retint, la ravissant ainsi au Français. À l’issue de ce séjour à Kouroussa qui fut long, Nagbè eut une grossesse. Ramenée à Siguiri manu militari, le cocu constata l’état de grossesse avancée de sa femme. Mais en dépit de ses pouvoirs de coercition et de répression, il n’en fit pas de scandale. Contrairement à la réaction légitime d’un mari cocu, il s’inclina, par réalisme, devant cette défaillance de sa femme Nagbè. Mieux, il favorisa la nouvelle union de Nagbè à qui il fit beaucoup de cadeaux. Mais il prit soin de communiquer à Saren Mourou Kondé, le nouveau mari, des renseignements sur l’origine de

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Nagbè (Damaro), sa province (le Simandou) et son ethnie (Konyanké) afin qu’un jour celle-ci puisse retrouver les siens. Pour magnifier la beauté et le charme de Nagbè, son mari Saren Mourou Kondé et les siens l’appelèrent Warigbè (argent, métal précieux et scintillant). Nagbè dite Warigbè et Saren Mourou Kondé eurent trois filles et un garçon du nom de Kadialy Kondé, un bel homme, qui avait les traits physiques de sa mère. Malheureusement, Nagbè dite Warigbè mourut à Kouroussa sans jamais revoir les siens à Damaro. Suivant son destin, Kadialy Kondé émigra, très jeune à Agboville (Côte d’Ivoire) pour y rejoindre son oncle paternel Fodé Ibrahima Kondé, commerçant, mort sans postérité dans cette localité ivoirienne. Très tôt initié au commerce par son oncle, Kadialy Kondé avait vite et bien maîtrisé ce métier. Devenu majeur, il épousa Saren Kouyaté, qui avait 60 ans en 1984 et résidait à Agboville. Elle était l’unique fille de Moussa Kouyaté, un ancien griot de l’Almamy Samory Touré. Il était originaire de Bissandougou, la plus célèbre capitale de l’Empereur malinké. Après l’arrestation de Samory en 1898 à Guélemou (Côte d’Ivoire), tous les éléments de sa suite, évaluée à des dizaines de milliers de personnes qu’il traîna pendant 7 ans à travers la Côte d’Ivoire, au Burkina Faso (ex-Haute-Volta), n’avaient pu retourner en Guinée ou dans leur pays d’origine. Diéli Moussa Kouyaté vécut, après la déroute samoryenne, à Banfora (Burkina Faso), en tant que précepteur de Moussa Touré, un des jeunes fils de Samory, puis à Bouaké où il finit ses jours auprès de ses deux filles. Il fait donc partie de ce contingent samoryen devenu soit ivoirien, soit burkinabé, soit ghanéen à part entière. Il faut noter que Kadialy Kondé devint aussi un riche commerçant qui émergea et évolua à l’ombre de son oncle Fodé Ibrahima Kondé. Mais il mourut très prématurément, à l’âge de 41 ans à Agboville. Son oncle Fodé Ibrahima Kondé prit soins de l’éducation des enfants mineurs de Kadiali jusqu’à sa mort en mars 1968, à Agboville, à l’âge de 114 ans. À sa mort en 1951 à Agboville, Kadialy Kondé, l’unique fils de Nagbè Camara dite Warigbè Camara, laissa quatre filles: - Fanta Kondé dite Tata qui résidait à Williamsville (Abidjan) en 1988. - Namassa Kondé, épouse de Diaby, qui résidait à Agboville (Abidjan) en 1988. - Warigbè Kondé (homonyme de Nagbè Camara) qui résidait à Attiécoubé (Abidjan) en 1988. - Fatoumata Kondé dite Fatou, née en 1950 à Agboville. Elle est la mère de Aïcha Sangaré (18 ans en 1984), Oumar Diaby (10 ans en 1984) et de Mohamed Kadialy Diaby dit Papou (8 ans en 1984) et épouse de El Hadj Ladji Diaby, un entrepreneur originaire de Samatiguila et domicilié à Williamsville (Abidjan). Fatoumata Kondé était Secrétaire en 1988 à l’École Normale Supérieure d’Abidjan (E.N.S.). Elle vivait en 2013, à sa retraite à Williamsville (Abidjan), tout en maintenant le contact avec sa famille paternelle de Kouroussa (Guinée) et avec les parents maternels de son papa Kadialy Kondé, c’est-à-dire les Damarois d’Abidjan, ceux de la Guinée et du Mali, particulièrement la famille de feu Colonel Sékou Doumbia à Bamako. Son fils Mohamed Kadialy Diaby dit Papou, devenu homme d’affaires, a profité de son séjour en 2013 à Conakry pour nous contacter et réanimer cette flamme allumée par sa mère. C’est à Fatoumata Kondé, épouse de El Hadj Diaby, que nous devons ce récit qui nous a été confirmé par sa mère Hadja Saren Kouyaté à qui nous avons rendu visite en 1984 à Agboville. En effet, fascinée et inspirée par l’exploit fantastique de l’Américain Noir Alex Haley, auteur du célèbre roman « Racines » (« Roots »), porté à l’écran, sur le généalogie des Kunta, dont il était un des descendants, Fatoumata Kondé exploita judicieusement les fragments de renseignements qu’elle détenait de Fodé Ibrahima Kondé, l’oncle paternel de son père Kadialy Kondé, notamment sur la famille maternelle de celui-ci. C’est ainsi qu’elle débarqua à Conakry, en août 1984, pour tenter de renouer avec ses parents paternels. Ce qui 489


fut fait. Elle put les découvrir tant à Conakry qu’à Kouroussa. À Kouroussa elle ne put obtenir que des renseignements vagues sur sa grand-mère paternelle Nagbè dite Warigbè. On lui dit tout simplement que celle-ci était de l’ethnie Konya ou Konyanké (Malinké de la région Forestière, Beyla, Kérouané, Macenta...). À son retour à Conakry, elle s’adressa à El Hadj Doussou Mory Kondé, ancien fonctionnaire des PTT et unique frère survivant de son père Kadialy Kondé. Celui-ci la mit sur la piste qui lui permit de découvrir, après une semaine de recherches, El Hadj Nouny Karamo dit Nouny Mamady, Commissaire de Police au Ministère de la Sécurité et un des fils de Djiguiba Camara, auteur du présent ouvrage, ancien chef de canton de Simandou (Damaro) et sixième fils de Fata Kéoulèn Camara, père de Nagbè Camara, mère de Kadialy Kondé. Cette retrouvaille n’eut lieu que la veille de son retour à Abidjan. Nouny Mamady Camara dit Nouny Karamo présenta Fatoumata Kondé à tous les Damarois résidant à Conakry et lui remit une lettre d’introduction ou de recommandation auprès des nombreux Damarois résidant en Côte d’Ivoire. Cet exemple de madame Diaby née Fatoumata Kondé nous incite à rechercher constamment tous les frères, sœurs, neveux et cousins qui se réclament de cette grande famille Camara ou Diomandé de Damaro et d’ailleurs.

Madame Diaby née Fatoumata Kondé, fille de Kadialy Kondé et arrière-petite-fille de Fata Kéoulèn Camara de Damaro. Elle était Secrétaire à la Direction de l’École Normale Supérieure d’Abidjan. Après sa retraite, elle résidait en 2017 à Williamsville (Abidjan). (7) - Interview réalisé et traduit par Daouda Damaro Camara, un des héritiers de Diontan Djiguiba Camara, qui a eu la lourde mission de parachever le présent ouvrage dont l’auteur est bien leur père Damaro Diontan Djiguiba Camara.

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(8) - Madame Ray-Autra née Hadja Moïma Séré Damaro Camara est l’épouse du célèbre écrivain et journaliste (éditorialiste) guinéen Mamadou Traoré dit Ray-Autra qui fut l’un des pionniers à la plume alerte du combat pour la libération de l’Afrique du joug colonialiste. Ray-Autra était le premier Directeur et éditorialiste violent de « Coups de Bambou », premier journal du Parti Démocratique de Guinée (PDG-RDA) dans les années 1950. Cet engagement politique lui valut des ennuis avec l’administration coloniale qui l’éloigna de la Guinée en l’affectant au Niger puis au Dahomey pour le neutraliser. Là, il continua la lutte libératrice au sein de la section territoriale du RDA. Il rentra en Guinée en 1956 pour continuer à militer dans le PDG-RDA. À l’indépendance de la Guinée, il fut nommé Directeur de la Radio Guinée. Mais on l’écarta très vite de cette responsabilité en raison de ses éditoriaux virulents contre la France. Il fut arrêté et jeté en prison pendant trois ans, suite à la fameuse grève des enseignants et élèves en 1963, comme tous les membres du bureau national du Syndicat des Enseignants de Guinée ainsi que beaucoup d’enseignants, des élèves et des étudiants. Il fut nommé Directeur de l’Institut National de Recherches, puis Ambassadeur pour quelques mois en Algérie. Rappelé, il fut envoyé comme professeur à l’École Normale de Koba, puis Directeur du Collège Technique de Kindia. Sa révocation de ce poste provoqua une violente protestation et une grève des élèves. Après une longue traversée du désert, il fut envoyé à Dakar comme archiviste à l’OERS. Ayant rompu avec le régime autoritaire de Sékou Touré il s’exila successivement à Dakar, Paris et Abidjan où il mourut en 1990. Sa femme détient ses nombreux écrits manuscrits sur différents thèmes. Son recueil de poèmes engagés « VERS LA LIBERTÉ » le rendit célèbre. Il y dénonce avec virulence les méthodes répressives de l’administration coloniale. Son épouse, Madame Ray-Autra née Moïma Séré Damaro Camara, est aussi une des filles de Diontan Djiguiba Camara, auteur du présent ouvrage. Merci à elle pour sa déterminante contribution positive qui nous a permis d’éclairer un pan de l’histoire. Peut-être que sans elle, l’historique du « Farin Kaman Fasa » serait toujours ignoré. Merci donc à elle pour son éclairage de pan d’ombre. Hadja Moïma Séré mourut le 3 mars 2016 à Conakry à l’âge de 92 ans. Elle eut pour enfants avec son mari Mamadou Traoré dit RAY-AUTRA: 1 - Diara Traoré dite Bébé, ancienne employée à Air Afrique, décédée à Abidjan en 2000 2 - Mawa Traoré, domiciliée en 2018 aux U.S.A. 3 - Abdoul Gadiri Sékou Traoré, décédé à Abidjan 4 - Baba Traoré, homme d’affaires mort le 27 octobre 2018 à Abidjan 5 - Mariame Traoré dite Mimie (Madame Doumbia), archiviste en 2016 à la B.C.R.G. (Banque Centrale de la République de Guinée) 6 - Alpha Oumar Traoré, juriste à SHELL-GUINÉE, résidant à ENTA FASSA, Conakry Leurs nombreux petits-enfants sont en Guinée, en Côte d’Ivoire, aux U.S.A..

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LISTE DES VILLAGES DIOMANDÉ DE SÉGUÉLA TOUBA (CÔTE D’IVOIRE) (Etablie en 1982 par Monsieur Ibrahima Diomandé, originaire de Séguéla, fonctionnaire à la retraite à Abidjan, qui a eu l’amabilité de nous la fournir cette liste. Ces informations furent corrigées et amendées par le vénérable Doyen Gbonkè Diomandé de Man, patriarche incontesté des Diomandé de la Coté d’Ivoire, ancien Interprète colonial et ancien Chef de canton.) PRÉFECTURE DE TOUBA - Sous-Préfecture de Sifié: Village de Tala: Camara-Diomandé sont Sakouraka ou descendants de Sakoura. Village de Gbélo: Camara-Diomandé sont Konsabasi ou descendants de Konsaba. Village de Babien: Camara-Diomandé sont Konsabasi ou descendants de Konsaba. Village de Bereni: Camara-Diomandé sont Konsabasi ou descendants de Konsaba. Les Diomandé de Babien et Bereni viennent du village de Songomon aujourd’hui en ruine. - Sous-Préfecture de Djibrosso: Villages de M’Bétro, Djibrosso, Chouasso, Séguédian sont Konsabasi Le village ancestral est M’Betro. - Sous-Préfecture du Worofla: Le village de Worofla est Konsabasi venu de Djibrosso. PRÉFECTURE DE SÉGUÉLA - Sous-Préfecture de Séguéla: Dans la ville de Séguéla on enregistre deux Kabila Camara-Diomandé: 1) - Le Kabila Batra est Konsabasi-Famogosi venu de Somana. 2) - Le Kabila Nétra est Fèngamasi et Sakouraka (famille de Ibrahima Diomandé ONFP et Abdoulaye Diomandé, Commissaire de Police). La ville de Gbéna se compose de deux groupes: 1) Les Konsabasi venus de Chunla. 2) Les Fèngamasi venus de Séguéla. Le village de Kromina est Konsabasi. La ville de Gbolo est Konsabasi et Famogosi et est venu de Batra qui est une famille Fèngamasi venue de Nétra. 492


Le village de Diabana est Konsabasi (ou Stasi?). Le village de Djanmina est Konsabasi. Le village de Téguela est Konsabasi. Le village de Kouanana est une famille du clan Fèngamasi mais esclave des Doso. Le village de Séna est Fèngamasi (venu de Séguéla). Le village de Chunla est Konsabasi. Le village de Somana est Konsabasi et Famogosi. Le village de Seuma est Konsabasi et Famogosi venu de Somana. Le village de Farafin est Konsabasi. - Sous-Préfecture de Kani: Le village de Tyèsso est Konsabasi et Famogosi. Le village de Tabakoroni est Konsabasi et Famogosi. PRÉFECTURE DE MANKONO - Sous-Préfecture de Dianra et Saghala: Le village de Tamafron est Konsabasi. Le village de Sokoura est Konsabasi. Le village de Saghala est Fèngamasi venu de Séguéla. Saghala est le terminus de la migration Diomandé bloquée ici par les Ouattara. Sakourasi: Venu de Karagba (Sakoura, Guinée) pour épauler les Bamba à combattre. Villages créés dans le Département de Touba: - Mandon, Sous-Préfecture Ouanino. - Gbélo. - Gbéka. Les Sakouraka ont traversé le Bafing pour créer: - Gbablasso-Sokourala, fondé par Logoma Diomandé, père de feu Gbonkè Diomandé et fils de Samouka Diomandé. Gbonkè Diomandé fut Interprète colonial et Chef de canton. Âgé de 105 ans 1976, il était le patriarche incontesté de tous les Diomandé de la Côte d’Ivoire. Plein d’humours, il connaissait admirablement l’histoire des Diomandé de la Côte d’Ivoire qu’il racontait aisément avec beaucoup d’anecdotes. - Gbèssèsso fut créé par Gbissè Diomandé, père du Ministre Loua Diomandé qui fut membre du Gouvernement ivoirien de 1956 à 1982. - Doué. - Sokourala, près de Biankouma, fut créé par le frère de Samouka Diomandé. 493


CHAPITRE VIII MANDENKAYA (= MANINKAYA) OU LES ASPECTS DYNAMIQUES DE LA CIVILISATION MANDINGUE (1) ----------o---------« Ils m’ont précédé en tout. Je recevrai de leurs mains cette sagesse que je laisserai à mon tour à ceux qui me suivent. » Seydou Badian KOUYATÉ (2) (« Sous l’orage ») ----------o---------« Au contact des races, il y a toujours des pertes et des gains. Il faut savoir choisir. Il y a des vertus qu’on perd et des défauts qu’on contracte. Les vertus occidentales peuvent ne pas être celles de chez nous, car le processus intellectuel n’est pas le même; en Occident, pour honorer, on se décoiffe. En Afrique on se déchausse, mais dans les deux cas l’objectif c’est le respect. On ne peut pas avoir absolument la même réalité, la même compréhension des choses. Ce que je souhaiterai, c’est de voir ceux d’entre-deux qui ont eu l’avantage de connaître nos traditions et les Européens servir de trait d’union. Il ne faudrait pas pour cela tronquer notre personnalité. Parce qu’on ne sème pas dans la jachère, on arrache d’abord ce qu’on a trouvé pour semer ce qu’on apporte. Jamais une colonisation n’a été œuvre philanthropique. Le but de la colonisation c’est d’exploiter et de préparer des gens à sa dévotion et des gens à son image. » (3) Amadou Hampâté BÂ (« Bingo » N° 344 de septembre 1981) ----------o---------« Lorsque je fus nommé membre du Conseil exécutif de l’UNESCO, je me suis donné pour objectif de parler aux Européens de la tradition africaine en tant que culture. La chose était d’autant plus difficile que, dans la tradition occidentale, on a établi une fois pour toutes que, là où il n’y a pas d’écriture, il n’y a pas de culture; à telle enseigne que lorsque j’ai proposé pour la première fois de tenir compte des traditions orales comme sources historiques et sources de culture, je n’ai provoqué que des sourires. D’aucuns même demandaient avec ironie quel profit l’Europe pourrait bien tirer des traditions africaines! À mon interlocuteur qui me demandait un jour « Que pourrait 494


donc nous apporter l’Afrique? » je me souviens avoir répondu: « Le rire, que vous avez perdu. » Peut-être bien pourrait-on ajouter aujourd’hui: une certaine dimension humaine, que la civilisation technologique moderne est en train de faire disparaître. » Amadou Hampâté BÂ (« Aspects de la civilisation africaine, » Édition Présence Africaine, p. 231-232) I - LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE MANDINGUE: LES STRUCTURES SOCIALES D’ANTAN DU MANDINGUE ----------o---------QUELQUES CONSEILS PRATIQUES AUX JEUNES QUI ENVISAGENT DE FAIRE UNE CARRIÈRE DANS LA COLLECTE DE LA TRADITION ORALE OU COMMENT COLLECTER LES TRADITIONS ORALES PAR AMADOU HAMPÂTÉ BÂ ----------o---------« Quels conseils pratique donnez-vous, pour terminer, aux jeunes qui envisagent de faire une carrière dans la tradition orale? Réponse d’Amadou Hampâté Bâ: « Les traditions orales se récoltant auprès des vieux, la première chose que je conseillerai aux jeunes est d’apprendre la manière d’aborder les vieux qu’ils veulent visiter. Qu’ils se renseignent au préalable sur les coutumes locales. Tous les vieux, en effet, ne s’abordent pas de la même manière. Avant toute chose, il faut avoir une attitude respectueuse - c’est la base commune à tous - et se présenter comme un élève et non comme un savant. Nos jeunes doivent apprendre à faire taire leur curiosité à la manière scolaire moderne, pour écouter avec une infinie patience ce qui pourrait sembler, de prime à bord, n’être que le verbiage des vieux. Ceux-ci ne se livrent pas du premier coup. Ils soupèsent et évaluent leur interlocuteur, afin d’apprécier ses qualités réelles. Il faut écouter d’un bout à l’autre les propos du vieux, sans l’interrompre par des demandes, des questions, ou en faisant des comparaisons avec ce que l’on sait déjà par ailleurs. Il faut « mettre la logique dans sa poche », et écouter simplement. Ce n’est qu’après avoir tout enregistré qu’ils pourront, lorsque le vieux se sera tu, ou lors d’une autre entrevue, poser des questions pertinentes ou demander des explications sur les passages méritant des éclaircissements. 495


Il ne faut jamais oublier que les hommes peuvent atteindre un but commun sans emprunter les mêmes voies. C’est tout le symbolisme du sommet de la montagne, auquel on peut parvenir par des chemins différents. Il ne faut donc pas transformer en règle rigoureuse les signes de respect enseignés en Europe, qui n’ont pas cours ici et qui peuvent même être diamétralement opposés. Nous avons fait allusion, dans la réponse à la question 2 sur la linguistique, au fait qu’en Occident, regarder quelqu’un droit dans les yeux est un signe d’honnêteté et de franchise, alors qu’en Afrique c’est une insolence inqualifiable. Ne jamais oublier non plus qu’en Afrique, pour honorer, nous nous déchaussons, alors que les Européens se décoiffent. Je ne veux pas dire par là que nos jeunes gens devront obligatoirement se déchausser, mais du moins qu’ils doivent s’abstenir de rire s’ils voient les autres le faire. Le rire, s’il constitue, aux heures récréatives, un comportement agréable, devient un motif de fermeture pendant l’enseignement. On ne rit pas pendant qu’un vieux est en train d’enseigner. Sinon il se tait. En résumé, éviter les sourires, coups d’œil entendus, les manifestations bruyantes de surprise. Eviter de mettre en avant son propre savoir. La véritable attitude scientifique n’est-elle pas, là comme ailleurs, celle du chercheur qui sait oublier ce qu’il sait, afin d’avoir une chance d’apprendre ce qu’il ne sait pas? » Amadou Hampâté BÂ (« Aspects de la civilisation africaine, » Édition Présence Africaine, p. 45-46) ----------o---------« Le confort (intellectuel) alimente et conditionne l’efficacité sociale et professionnelle de l’homme.... Les civilisations du Tiers Monde sont mal à l’aise et leurs peuples inconfortables dans leur vie quotidienne, parce qu’ils sont écrasés par et paralysés sous le poids des valeurs et expériences, des mœurs, des techniques et des concepts de l’occident, lesquels couvrent et régentent le monde et pénètrent jusqu’au plus secret de la vie des peuples. » Alioune DIOP (Directeur de « Présence Africaine ») ----------o----------

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« Dans toute société ou l’écriture n’a pas existée, l’oralité a été la base de la communication, et les connaissances étaient transmises de bouche à oreilles et de génération en génération par les détenteurs de la tradition….!!!) Djiba KOUYATÉ (le plus jeune griot et parolier mandingue-guinéen en 2021, originaire de Siguiri) ----------o---------La société traditionnelle africaine a subi et continue de subir de profondes mutations, depuis son contact avec la civilisation occidentale et les religions importées. En qualité de dépositaires des valeurs de notre passé, nous constatons avec beaucoup de regrets la disparition quotidienne, progressive et générale des aspects dynamiques de notre culture. Il faut aussi s’inquiéter devant la dégradation ou l’altération systématique de nos structures sociales par un emprunt abusif des valeurs de la civilisation occidentale. Par snobisme, nos jeunes s’identifient aveuglément et inconsciemment à l’occidental; ce qui les dépersonnalise et les aliène. Devant ce scandale de l’acculturation générale, notre devoir de doyen, dépositaire des traditions, nous commande, avant qu’il ne soit trop tard, de dégager et de fixer pour la postérité la substance de ce que l’Afrique devrait apporter au « Rendez-vous universel du donner et du recevoir des civilisations » en matière de culture et d’organisation harmonieuse de société. Dans ce monde moderne égoïste où l’individu vit dans une perpétuelle et insoluble hantise de la satisfaction de ses préoccupations matérielles en vue d’un meilleur devenir, ne faut-il pas lui proposer des valeurs morales africaines dignes et authentiques qui doivent être pour lui des références ou un ballon d’oxygène? Pour la survie des aspects positifs du passé de notre société, jadis fortement communautaire, il faut créer un véritable processus de renaissance et de retour à l’authenticité mandingue et africaine en renouant honorablement et sans complexe avec les vertus hautement humaines dont regorge notre patrimoine culturel. Toutefois, il faut reconnaître qu’aucune société, qu’aucune civilisation n’est parfaite. Donc la civilisation traditionnelle mandingue en particulier, ou africaine en général, comporte aussi bien des aspects négatifs que des vertus. Ainsi, pour une parfaite compréhension du passé et pour une information objective des générations futures, on doit mettre en évidence tout ce qui constitue un poids pénible ou gênant et qui doit disparaître ou être amendé avant d’indiquer ce qui est positif et qui doit ou peut être préservé.

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CHAQUE CIVILISATION A EN SON SEIN DES ASPECTS NÉGATIFS ET DES ASPECTS POSITIFS QU’IL FAUT APPRÉHENDER POUR UNE COMPLÈTE CONNAISSANCE. A) - LE POIDS NÉGATIF DE LA TRADITION ----------o---------La société traditionnelle mandingue n’est pas irréprochable. Certaines de ses pratiques abusées sont négatives et constituent de ce fait un frein à l’évolution intégrale de l’individu. 1) - Abus de solidarité: Si la famille traditionnelle compte beaucoup d’avantages pour l’individu et la société, il n’en demeure pas vrai qu’elle a bien des aspects négatifs, ce qui constitue, dans une certaine mesure, un fardeau encombrant. Cette négation est surtout liée à l’apparition de l’économie monétaire. Ce poids de la solidarité se fait sentir beaucoup plus dans les centres urbains où on tient moins à cœur à la famille nombreuse. Par contre sa pratique dans les villages répond tant à des exigences économiques que sociales. Attirés par le mirage et les illusions de bonheur et de prospérité des citadins, les jeunes ruraux émigrent de plus en plus massivement dans les centres urbains. Cette désertion des campagnes constitue de nos jours un véritable fléau social appelé exode rural. Fuyant les travaux champêtres, ils viennent généralement loger en ville chez des frères, chez des cousins, chez des neveux, chez des oncles ou chez des amis ou autres parents plus ou moins éloignés. Or ceux-ci ont souvent du mal à subvenir aux besoins vitaux de leur propre famille. Certains n’arrivent pas à honorer régulièrement leurs factures de loyer, d’électricité, d’eau... D’autres ne parviennent pas à assurer correctement la nourriture, le transport, l’habillement, les ordonnances médicales, les frais d’écolage des enfants qui fréquentent dans les établissements privés. Ainsi donc, ces nouveaux venus constituent des parasites sociaux qui viennent grever les familles à faibles revenus et dont ils désorganisent le budget déjà très mal équilibré. Mais assurés de trouver à manger et de se loger gratuitement, grâce à la solidarité familiale, ces ruraux, bien que réduits au chômage chronique pour la majorité, refusent de retourner à la terre par orgueil et deviennent à brève ou longue échéance des drogués, des alcooliques, des délinquants, des bandits, des criminels... En plus de ceux qui viennent des villages pour ne plus y retourner, il faut retenir les visites intempestives et inopinées des villageois qui viennent importuner leurs parents citadins en sollicitant le concours financier de ceux-ci à l’occasion des dépenses onéreuses ou de prestige telles que: - L’organisation des funérailles (sukoya).

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- Le mariage des enfants mâles de la famille (furu) pour laquelle la bellefamille exige souvent une dot très lourde, surtout quand plusieurs prétendants sont engagés dans un baroud d’honneur appelé concurrence. - Les cérémonies de circoncision ou d’excision ou autres cérémonies d’initiation. - Le paiement de l’impôt de capitation. Leur participation est aussi sollicitée pour l’aménagement des champs familiaux, pour la construction des édifices d’intérêt publique (écoles, dispensaires, routes carrossables, mosquées, églises...). 2) - Elle est souvent oppressive en matière d’éducation: La société traditionnelle malinké est excessivement autoritaire voire oppressive. Les cadets sont victimes de l’abus du droit d’aînesse. La règle qui est de rigueur dit: « L’aîné-même, physiquement faible, est le plus fort et a toujours raison sur le cadet. » Mais quand il abuse de son autorité et de façon fréquente, le cadet ne doit pas lui opposer une réaction violente, dans ce cas il doit se plaindre aux vieux qui interviennent très souvent et réprimandent l’oppresseur. En principe cette plainte n’intervient que dans les cas de coups et blessures graves. La société traditionnelle malinké refuse très souvent la parole aux jeunes qui se heurtent presque toujours à un mutisme complet ou à des menaces chaque fois qu’ils tentent de s’informer sur certains problèmes, surtout quand il s’agit des sujets tabous, ils sont châtiés. Seuls les vieux et les initiés doivent voir, parler, entendre et décider. Toutes critiques et suggestions de la part des jeunes sont généralement réfutées ou même réprimées. Ils ne sont pas consultés ou associés aux discussions d’intérêt publique. Ce sont des marginaux à certains égards, car ils n’ont aucun pouvoir de décision en dehors de leur sèrè ou groupe d’âge. Cette censure et cette oppression exercées sur les jeunes par leurs aînés immédiats et par cette gérontocratie porte dangereusement préjudice à l’éclosion et au développement des facultés intellectuelles et morales natives de l’enfant. On ne lui permet pas de demander pour comprendre. Dans ce milieu, les enfants curieux ont toujours des problèmes. On les traite de mal éduqués ou de délinquants 3) - Dans le domaine du mariage et de la vie sentimentale et sexuelle: La pratique du mariage forcé, du mariage précoce, de la dot excessive... portent de graves préjudices au bonheur du couple. Dans la plupart des cas, les conjoints n’échappent pas à l’emprise de leurs parents et de la société. En cas de crise profonde dans le foyer, ce sont les parents des conjoints qui prennent la décision finale. Celle des concernés n’est valable que lorsqu’elle reçoit l’aval des parents. Là aussi la femme doit se soumettre absolument à son mari qui lui est supérieur sur tous les plans. La femme a peu de droits, mais plutôt des devoirs. Elle est réduite à la procréation, aux travaux champêtres et ménagers. 499


Ce joug que le mari fait peser continuellement sur sa femme se justifie par deux concepts: a) - Selon la tradition, la réussite d’un enfant dans la vie est fonction du degré de soumission de sa mère à son père (Muso-nyani-tyè-la-den tè tola kò). Dans ce cas, le mérite personnel de l’individu dans l’effort pour son plein épanouissement moral et matériel est secondaire. b) - Pour l’Islam, le salut d’une épouse dans le monde de l’au-delà reste essentiellement tributaire de sa soumission totale et permanente à son époux. 4) - Une société de castes: La société traditionnelle malinké était jadis hiérarchisée et féodale. Mais le concept de caste n’a pas du tout le même contenu qu’en Inde où les hommes de castes sont pratiquement exclus de la société, surtout la classe des parias. Nos hommes de castes n’étaient pas rejetés de la société où ils avaient leur place et y jouaient un rôle. Cette classification était donc moins rigoureuse. De nos jours ces clivages sociaux ont pratiquement disparu, surtout en Guinée où la chefferie traditionnelle a été officiellement supprimée en 1957. Des mesures administratives et pénales ont mis fin à l’esclavage, sous toutes ses formes, d’abord par l’administration coloniale française puis par le premier gouvernement guinéen issu de la loi-cadre Gaston Defferre de 1956 dirigé par Sékou Touré, premier Président de la République de Guinée (1958-1984). L’esclavage ou le servage n’avait pas le même contenu chez nous qu’en Europe où les victimes de cette pratique n’avaient rien de commun avec leurs maîtres, sinon que les relations de maître à l’esclave qui reposaient exclusivement sur l’exploitation de la force physique des esclaves. En tout cas pas de relations humaines intimes. Les esclaves (dyòn) étaient parfois considérés comme des êtres inférieurs, mais pas comme des parias. Ils étaient écartés dans la prise des décisions, mais étaient associés à leur exécution. Ils n’étaient pas méprisés. Dans la société traditionnelle malinké, les griots, les forgerons, les cordonniers, les menuisiers, les fina, les gawulo... qui constituent nos castes... sont plutôt des groupements professionnels ou des animateurs de la société. Ils menaient une vie communautaire très intégrée avec leurs maîtres s’ils n’étaient pas considérés comme des esclaves. Mais en tant que groupement professionnel, beaucoup étaient indépendants. Dans le cadre d’une dépendance d’une famille, ils faisaient tout en commun avec les membres de la famille maîtresse d’eux: les champs étaient communs, les repas étaient pris ensemble, dans le même plat, les enfants nobles (hòròn) et ceux des gens de castes étaient éduqués ensemble, avec la même rigueur, initiés ensemble. Seulement, certaines personnes de castes, telles que les griots, les gawulo, les fina, les forgerons... souffraient de restriction dans le domaine du mariage. Un noble peut épouser une femme de caste, mais un homme de caste ne peut épouser une fille noble. Malgré l’évolution des mœurs, ce principe de mariage endogamique frappe encore les gens de castes dans certains clans très conservateurs. Pour certaines familles 500


nobles, les gens de castes doivent se marier uniquement entre eux. Il est plus réaliste de voir dans cette pratique, telle qu’elle existe, non une hiérarchisation figée de la société, mais une différenciation sociale caractérisée par une certaine souplesse dans les relations humaines quotidiennes. Les hommes de castes sont pleinement intégrés. Dans les assemblées publiques ils ont leurs mots à dire. Il faut seulement dénoncer le fait que les griots s’enferment dans un désœuvrement et un parasitisme aliénateurs en vivant aux dépens des autres grâce à leurs flagorneries. Mais cette tendance tend à disparaître du fait qu’ils se trouvent de plus en plus relayés par les disques et les audiocassettes et vidéocassettes qu’ils produisent dans les studios et qui sont commercialisées partout. Les exigences de la vie moderne les obligent maintenant à travailler pour subvenir à leurs besoins vitaux plutôt que de se cantonner dans ce rôle de receveurs éternels, de mendiants, d’assistés. Par ailleurs, la hiérarchisation de la société en classes d’âges et en classes des initiés et des non-initiés, crée une différenciation privilégiée pour les premiers groupes et défavorable pour la seconde catégorie. Dans les deux cas, elle crée un certain ordre social et garantit l’équilibre à l’intérieur de chaque groupe et parfois entre les différents groupes sociaux, chacun sachant les limites exactes et ses prérogatives. Cet ordre et cet équilibre reposent sur l’obéissance absolue des jeunes cadets envers leurs aînés, la soumission totale des non-initiés aux initiés, la soumission absolue des femmes aux hommes, la soumission à l’autorité. Pour un observateur extérieur, la division de la société en classes d’âges, en castes et en clans des initiés et des non-initiés crée inéluctablement un complexe d’infériorité insurmontable qui débouche sur un clivage profond entre les différentes composantes de la société. Pourtant il n’en est rien, car les sentiments de frustration ne sont pas aussi aigus qu’on pourrait le croire et l’harmonie est indéniable dans la société traditionnelle malinké. En tout cas les hommes de castes acceptent aisément cette situation et ils ne s’en plaignent pas puisque dans la vie pratique quotidienne rien ne les différencie des nobles. Ils bénéficient de la solidarité collective au même titre que les hòròn (nobles). Cette catégorisation sociale n’est pas à considérer comme une classification systématique étanche qui crée entre les hommes des fossés incomblables mais au contraire comme une simple différenciation sociale qui repose exclusivement sur des regroupements professionnels. Aussi le sentiment de frustration du noninitié est temporel. La barrière qui le sépare de l’initié est provisoire; il pourrait la franchir dès qu’il aura l’âge d’être initié ou quand il le voudra avec la protection de sa famille. 5) - Une société superstitieuse: Dans la société traditionnelle malinké, la vie quotidienne reste essentiellement tributaire de plusieurs mythes et croyances mystérieuses par lesquels on explique les événements et tous les phénomènes de la nature. 501


➢ Pour s’attirer les faveurs des mânes, de Dieu, des djinns… ➢ Pour conjurer le mauvais sort, les intrigues, les sorciers, les esprits maléfiques, ➢ Pour rendre la terre fertile, ➢ Pour rendre féconde et procréatrice une femme stérile, ➢ Pour faire tomber la pluie, ➢ Pour obtenir une bonne récolte, ➢ Pour mettre fin à une calamité, ou pour l’éviter, ➢ Pour éradiquer une épidémie, ➢ Pour soigner un malade ou sauver une personne en détresse, ➢ Pour sauver l’âme d’un mort de ses pêchés commis ici-bas, ➢ Pour le repos paisible de son âme, ➢ Pour éliminer les chenilles et les criquets nuisibles dans les champs, (4) ➢ Pour expliquer une mort brusque et inopinée, ➢ Pour faciliter l’accouchement d’une femme en grossesse… Soit: • On fait des sacrifices de tous genres (nourritures, objets divers, habits...), • On immole des coqs, des moutons, des bœufs… • On fait des rites expiatoires, on organise des funérailles grandioses et onéreuses, • On adore aveuglement tel ou tel élément de la nature (montagne, cours d’eau, forêt sacrée, rocher insolite, arbre phénoménal, animaux aux traits physiques singuliers, poissons, caïman...). Bref! On est animiste, on est superstitieux. C’est une société sujette à de nombreux tabous et interdits dont la violation entraîne toujours des châtiments exemplaires surtout quand il s’agit des non-initiés dont la volonté de s’informer est toujours bloquée. Ce qui étouffe le mécanisme et le développement psychomoteur et psychique de l’enfant qui est très souvent abruti et terrifié. 6) - Une société conservatrice: Le terroir ancestral boude et reste parfois hermétiquement fermé à certains aspects positifs du progrès scientifique et technologique. « Dununya bara tinyè = Le monde est gâté » ou « Dununya bara yélèma = Le monde a changé » ... sont entre autres expressions que les conservateurs du terroir traditionnel prononcent souvent pour dénoncer les travers de notre société dite moderne, pervertie par rapport à la société traditionnelle malinké. C’est dire que la société traditionnelle mandingue est plus préoccupée par le passé que par l’avenir. Or on ne saurait se mettre totalement en marge de l’évolution générale de l’humanité. On ne saurait indéfiniment rejeter les bienfaits de la science et de la 502


technologie par respect absolu de la tradition. Cette prise de position aveugle est certes préjudiciable. En effet, il n’est pas question de revivre les conditions matérielles de nos ancêtres, leur genre de vie et toutes leurs coutumes. Bien des us et coutumes sont de nos jours incompatibles à la vie moderne. Cependant on peut bien s’ouvrir au modernisme sans pour autant se renier. Il faut faire preuve de réalisme en faisant la part au nécessaire, à l’utile dans le choix de ce qui est à préserver dans nos traditions. Aussi, ce qui est à emprunter dans la civilisation occidentale ne doit pas nous dépersonnaliser en nous faisant renier nos vertus par complexe ou par snobisme. Comme l’a si bien dit Hampâté Bâ: « Il faut avoir les pieds dans la tradition et la tête dans le modernisme » pour créer l’équilibre indispensable dont nous avons besoin. 7) - Une société fanatique: Les religions importées (le Christianisme et l’Islam) ont engendré dans certaines régions une prolifération de plusieurs sectes qui ont endoctriné de façon dangereuse des fidèles. C’est ainsi que les Wahabiha (Wahhabisme pour les Musulmans) et les adeptes d’autres mouvements intégristes... vont parfois jusqu’à renier la transfusion sanguine parce que le patient ignore l’origine du sang qu’il doit recevoir. Ils n’entendent pas être sauvés par le sang d’un nonMusulman ou d’un infidèle. Le problème pour eux est de savoir si le sang en question provient d’un coreligionnaire, d’un homme de Dieu ou d’un athée, d’un homme de Satan. Par fanatisme religieux insensé ils préfèrent donc se laisser mourir que de se soumettre à une telle pratique souvent indispensable pour les sauver d’une mort certaine. D’autres refusent aussi les vaccinations préventives contre les maladies épidémiques. Croire plus aux vertus des mots, de la prière qu’aux bienfaits indéniables de la médecine moderne est rétrograde. Doit-on continuer à refuser la pénicilline, le sang d’autrui, la radioscopie... pour se laisser mourir par fanatisme? Les sectes extrémistes issues des deux religions importées ont malheureusement conduit certains fidèles à des situations dramatiques. La difficulté de choisir entre le modernisme et la tradition n’est pas aisée. Le problème fondamental est de déterminer ce qu’il faut bannir dans notre passé et également de faire l’unanimité sur ce qui est à emprunter aux autres civilisations. Il est difficile, voire impossible de faire table rase de tout ce qui existe depuis des siècles ou des millénaires, de renier en bloc nos us et coutumes qui déterminent notre personnalité et nos spécificités culturelles qui nous différencient des autres peuples. Aussi, il est dangereux, incompatible et rétrograde de conserver, par chauvinisme, tout le passé culturel sans faire la part au nécessaire. Pour réaliser une synthèse utile et une symbiose indispensable entre la tradition et le modernisme, il faut s’ouvrir à l’apport extérieur, les indispensables progrès de la science et de la technologie universelle, tout en préservant les aspects positifs et dynamiques de notre civilisation. Cela demande 503


une éducation permanente de nos populations qui doivent être plus réalistes. On ne peut plus vivre en vase clos. Pour ce faire il y a lieu de faire une étude exhaustive de la société traditionnelle dont on doit dégager les aspects positifs préservables et recenser tout ce qui est négatif, qui doit disparaître ou être amendé. N’étant pas des spécialistes suffisamment armés de méthodes de recherches scientifiques appropriées, nous n’avons pu jeter sur ce riche patrimoine socioculturel qu’un regard hâtif certainement défaillant. Ce travail d’érudits reviendra aux historiens, sociologues, ethnologues, juristes, médecins… soutenus par nos états et en collaboration indispensable avec les sages, les griots, les chroniqueurs, les guérisseurs, les généalogistes... du terroir ancestral... qui réussiront-ils un jour, individuellement ou en collectivement, à faire une étude exhaustive de nos sociétés traditionnelles et à dégager les aspects positifs à sauvegarder, et recenser les aspects négatifs qui doivent disparaître ou être amendés. Pour une vulgarisation de ce passé culturel, ne serait-il pas indiqué d’inviter dans nos établissements scolaires les griots généalogistes, les chroniqueurs, les sages, les guérisseurs traditionnels... dépositaires de nos traditions, à venir animer des conférences-débats, chacun dans un domaine précis ou sur un thème qu’il maîtrise mieux. Et pourquoi ne pas engager certains spécialistes particulièrement éminents parmi eux comme fonctionnaires ou contractuels pour dispenser régulièrement des cours afin de communiquer leur art ou leur science à nos jeunes élèves, étudiants et intellectuels avides de connaître nos spécificités culturelles. Nous pensons que ces contacts avec un ou plusieurs spécialistes du terroir ancestral, isolément ou en groupe pour une confrontation franche en vue d’un recoupement aisé, utile et d’une synthèse, pourrait assurément faire découvrir à nos jeunes et leur faire aimer les vertus de notre société traditionnelle qu’ils méconnaissent si mal. Aussi, les séminaires et les colloques organisés à leur intention ou entre les érudits pourraient être des occasions de communications et d’enrichissements mutuels pour ces spécialistes de la science et de la culture qui s’en trouveraient vulgarisées. En tout cas la communication sincère permettra des échanges fructueux entre les expériences et pourra améliorer notablement les conditions de vie de nos populations. B) - LES ASPECTS POSITIFS DE LA CIVILISATION TRADITIONNELLE MANDINGUE ----------o---------« L’Afrique est tiraillée entre la modernité et l’amour de ses propres cultures. Nous avons accepté ce que nous propose la modernité en abandonnant tout le côté positif que renferment nos cultures et nos traditions. »

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Julie GICHURU (Journaliste kényane, productrice de l’émission « Africa Leadership Dialogues, » Amina N° 537, 2015) ----------o---------La société traditionnelle malinké a certainement plus d’aspects positifs que négatifs. Un regard furtif ou une enquête, que nous savons fragmentaire, nous permet d’appréhender certains éléments dynamiques qui, à notre humble et subjectif avis, doit être mis à l’abri du brassage des civilisations et être pieusement conservé voire cultivé par nous et transmis aux générations futures. Pour ce besoin de sauvetage et de transmission, on retiendra entre autres: 1) LE RESPECT ABSOLU DES AÎNÉS, BASE INTANGIBLE DE L’ÉDUCATION TRADITIONNELLE MANDINGUE QUI EST ET DEMEURE COLLEGIALE ----------o---------Au village, les jeunes entourent de respects et de sollicitude leurs aînés. Ils vénèrent les anciens et tout ce qui a été établi par eux. Ils les écoutent religieusement quand ils leurs racontent les faits passés ou quand ils leur enseignent les fruits de leurs expériences et de celle de ceux qui les ont précédés. Jamais, entre cadet et aînés, il n’y a la moindre discussion; toute la vie est régie par une seule loi, celle de la hiérarchie de l’âge, de l’expérience et de la sagesse. C’est seulement après avoir séjourné dans la « case des circoncis » que les cadets sont considérés comme des hommes. Ils sont alors censés avoir acquis tout ce qui fait l’homme. Ils ont appris à vaincre la peur. Ils savent souffrir, endurer sans se plaindre. Ils savent veiller sur un secret en résistant aussi bien à la corruption qu’aux tortures. Ils ont appris à se sentir liés à leurs semblables, car: « L’homme n’est rien sans les hommes, il vient dans leur main et s’en va dans leur main. » Seydou Badian KOUYATÉ (« Sous l’orage ») ----------o---------Effectivement le facteur fondamental de l’éducation traditionnelle mandingue est bien le respect absolu de l’enfant envers les aînés. Pour accentuer et justifier ce respect imposé à l’enfant, la société admet que la réussite 505


matérielle et morale de celui-ci dans la vie est fonction du degré de respect qu’il témoigne à tous ceux qui sont nés avant lui - surtout les vieilles personnes - et qui peuvent le bénir ou le maudire selon son comportement. C’est pourquoi les jeunes ne contestent pas les décisions des anciens qu’ils écoutent attentivement, vénèrent pieusement, suivent leurs conseils, s’inspirent de certains de leurs actes et expériences. Cette discipline rigoureuse des adolescents est aussi exigée d’eux envers le chef et l’ordre social établi à tous les niveaux. Si tout le monde se conforme à l’ordre établi, cela implique la stabilité des institutions, l’homogénéité et la paix sociales. L’autorité parentale, sévère ou tendre, que l’enfant découvre en premier lieu, l’astreint ou le prédispose à l’amour des autres, au respect scrupuleux de toute forme d’autorité et l’amène à se conformer à l’ordre social établi et aux exigences de toute hiérarchie. Ainsi préparé depuis le berceau, l’individu intègre, sans traumatisme, la communauté à laquelle il s’adapte et dont il épouse les idéaux et accepte les principes. Si on lui apprend à obéir et à se conformer aux institutions, en retour celles-ci ne doivent pas le brimer arbitrairement. En effet, la société condamne et réprime très souvent l’injustice flagrante et l’abus d’autorité. Le conseil des sages, qui coiffe et contrôle l’autorité du doyen ou du chef, a toujours examiné favorablement les plaintes des victimes innocentes. Mais toute personne qui abuse de son droit d’aînesse ou de son pouvoir est réprimandée et contrainte de réparer les dommages physiques et moraux qu’elle a causés. Par contre si un cadet manque de respect (injures, réactions entraînant coups et blessures sur l’aîné ou sur l’envoyé du chef, refus de faire une commission, de prendre le bagage de l’aîné, d’obéir à un ordre...) à son aîné qui se sent faible pour le corriger, le conseil des sages statue sur ce cas d’indiscipline notoire. Selon l’importance du délit, les sanctions peuvent varier de la réprimande verbale à la bastonnade ou au lynchage. Parfois on lui impose le paiement d’une amende symbolique ou on lui fait payer une amende qui correspond à la valeur exacte des dommages physiques, moraux, matériels et autres intérêts causés par lui sur l’aîné faible. Il faut écarter le cas des états militaires ou celui des pays en situation de guerre où l’autorité est excessive et souvent incontrôlée. Le pouvoir en place ne se maintient que par la violence. Cette étude ne concerne donc que les communautés villageoises et régionales traditionnelles qui sont stables et homogènes. Cette situation de paix sociale et de sécurité individuelle instaurée commence tout d’abord au niveau de la famille, cellule de base de la société, qui assure l’équilibre de l’individu. Il s’en suit évidemment un profond attachement de l’enfant à ses parents qu’il confond ou allie intimement à ceux des autres. Sa famille est harmonieusement soudée par alliance aux autres familles, à toute la société par divers liens (mariage, homonyme, parenté, sanankunya ou alliance par plaisanterie et par solidarité...). Dans la société traditionnelle mandingue, l’enfant est très bien éduqué. Cette éducation traditionnelle n’est pas le seul fait des parents. C’est l’affaire de tout le monde, donc collégiale. En effet chacun a le plein droit de corriger un enfant indélicat dès que celui-ci déraille sans au 506


préalable se référer à ses parents. D’ailleurs ceux-ci approuvent toujours la sanction infligée et dans certains cas ils trouvent celles-ci insuffisantes. Très souvent dans ce dernier cas de figure c’est le censeur qui intervient pour les calmer afin de ne plus administrer au délinquant une autre dose de sanction. Ainsi donc l’enfant est bien obligé de se soumettre aux sommations des aînés même en dehors du milieu familial. Cette primauté du droit d’aînesse est bien en vigueur dans le double environnement familial et social. Le concours de ces différents censeurs et éducateurs génère, à la satisfaction de tout le monde, des adolescents bien éduqués, respectueux des aînés, des traditions, des institutions et de la hiérarchie qui sont pleinement et harmonieusement intégrés à leur environnement social. 2) LA SOLIDARITÉ AGISSANTE ABSOLUE; LA FRATERNITÉ RÉELLE; LA VIE COMMUNAUTAIRE OU L’ACCEPTATION DE L’AUTRE SANS CONDITION, SANS RESTRICTION; L’ESPRIT DE L’ACCEPTATION DE L’AUTRE; L’ESPRIT DE TOLÉRANCE; L’ESPRIT DU PARTAGE AVEC LES AUTRES ----------o---------« Partout où la tradition est respectée, l’individu ne compte pas devant la collectivité. La famille d’abord, puis la tribu ou le village, constituent des unités dont l’intérêt ou le destin prime ou englobe celui des individus qui les composent. C’est dans cette optique qu’il faut essayer de comprendre certains actes des sociétés anciennes, si choquants pour notre éthique et notre sensibilité actuelles. Les sacrifices consentis pour le salut de la communauté étaient la plupart du temps recherchés par des volontaires comme un titre de gloire. Ce profond sentiment d’unité explique également la solidarité familiale qui continue, encore de nos jours, de marquer la société africaine, mais qui commence malheureusement à s’effriter sous l’influence grandissante de l’individualisme moderne et du « chacun pour soi » dans la course à la richesse et au pouvoir. » Amadou Hampâté BÂ (« Aspects de la civilisation africaine », Édition Présence Africaine, p. 136-137) Plusieurs expressions traduisent cette volonté inébranlable de solidarité et d’entraide, ce sentiment de fraternité réelle qui caractérise encore la société traditionnelle malinké. Les survivances de cette tradition sont encore vivaces et perceptibles dans nos villages à travers les expressions suivantes: ----------o----------

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« Bolokoni kelen tè se ka kaba ta. » (= Un seul doigt ne peut ramasser un caillou.) (Proverbe mandingue) ----------o---------« Bolo mara ani bolo kini le bè ayi nyòòn ko la ka gbè. » (= Ce sont les deux mains qui peuvent se laver proprement.) (Proverbe mandingue) ----------o---------« Kelenya man bèn fènfèn ma fo Ala kelen. » (= Seul le Bon Dieu peut supporter indéfiniment la solitude. Il n’a besoin ni d’aide, ni de compagnon.) (Proverbe mandingue) ----------o---------« Les traditions de coopération et d’entraide sont vivantes dans les campagnes. Pour construire une maison, récolter un champ, secourir un malade, nos populations se regroupent spontanément. » Général Lansana CONTÉ (Président de la République de Guinée de 1984 à 2008) ----------o---------L’élément le plus fondamental et le plus vertueux de la société traditionnelle mandingue est incontestablement la vie communautaire. En effet, les rapports sociaux sont basés sur la sagesse, la fraternité réelle, la sécurité de l’individu, l’altruisme, l’hospitalité et la solidarité tant dans le malheur que dans le bonheur. Il en résulte un équilibre social et une symbiose qui confèrent à l’homme une valeur inestimable, quelle que soit sa condition de vie mentale ou matérielle ou son rang social. Son équilibre psychique et son bien-être matériel et moral sont garantis et deviennent l’affaire de tous. L’individu est donc sécurisé car à aucun moment il ne se sent seul pour affronter une situation, une épreuve. Il peut toujours compter sur l’assistance des autres qui sont d’ailleurs toujours prêts à répondre à son appel. Parfois ils le font de façon spontanée du fait que ce comportement altruiste est une pulsion ou une culture innée en chaque personne de l’environnement social traditionnel malinké. Produit social, l’homme se confond intimement avec son milieu social qui l’intègre intimement. Il attend et reçoit toujours de la communauté, aide et 508


compassion. Mais en retour celle-ci s’ouvre à son apport, si modeste soit-il, au bien être de chacun et de tous. La solidarité n’est donc pas à sens unique. Contrairement aux sociétés modernes, il n’y a pas de conflits d’adaptation ou de conflits d’intérêts entre l’individu et son environnement social puisqu’il s’y épanouit harmonieusement et pleinement; il y acquiert toute sa valeur humaine, toute sa dimension sociale. L’intérêt de l’individu est inséparable de celui de ses parents et de toute la famille élargie qui englobe son père, sa mère, ses marâtres, ses enfants, ses femmes, ses frères, ses oncles, ses tantes, ses neveux, ses cousins et autres alliés de la famille. Ce collectivisme déborde aussi le cadre familial pour inclure les familles alliées et par extrapolation toute la communauté villageoise, régionale et tribale. Dans le groupe familial, l’union est sacrée et indestructible. On y vit pour les autres qui, en compensation, assurent la satisfaction des besoins vitaux et même virtuels de l’individu. Malade, il est affectionné et soigné gratuitement par tout le monde et ses champs sont cultivés gracieusement. En effet pour construire une case, défricher, cultiver ou récolter un champ, secourir un malade ou une famille en détresse... nos populations se sont toujours regroupées spontanément. Vieux, l’individu n’est pas jeté comme ailleurs dans une maison de retraite ou d’asile; mais il est bien pris en charge par toute la famille et la collectivité villageoise entière qui le vénèrent. Même sans enfant, il est adopté par ses frères, neveux, cousins... qui l’entretiennent moralement et matériellement et le dispensent de tout travail ou tout effort physique pour sa survie. Ainsi, il ne se pose à lui, à aucun moment de sa vie, le problème de manger, de logement, de soins et d’affection. Les moyens de production sont communs, les champs sont communs et les repas sont pris en commun. C’est une société qui ne fait de place ni à l’égoïsme, ni à l’individualisme. Personne n’est négligée ou abandonnée à ellemême. Chacun est utilisé selon ses aptitudes dans l’intérêt exclusif du groupe familial ou du clan, La solidarité est effective et ne fait jamais défaut. Sur simple demande adressée au doyen du village qui fait office de chef (kabila kuntii, sotii kèmòò, dyamanatii, kanda...) du lignage ou de la communauté, toutes les forces vives de la communauté villageoise se mobilisent pour défricher, semer gratuitement le champ de quelqu’un qui en fait la demande. La communauté intervient également gracieusement pour moissonner son champ ou construire sa case. Le malheur est également ressenti et partagé spontanément par tout le monde tout comme le bonheur des uns et des autres est partagé par tous. Cette marque constante de compassion à toutes les épreuves de la vie rassurent chacun et tous. Donc l’individu n’est jamais isolé quelle que soit sa condition physique, sociale et matérielle. La marginalisation sociale de l’individu n’existe pas. C’est une société sécurisante. Toutes ces vertus aboutissent à l’équilibre de l’individu, à la stabilité et à la paix sociales. En compensation de cette solidarité collective, le bénéficiaire de ce travail collectif gratuit, de cette assistance morale et matérielle collective doit 509


seulement et obligatoirement assurer aux travailleurs un repas copieux pour la journée de travail qui lui a été consacrée. Il en résulte un accroissement substantiel de la production des biens de consommation de la cellule familiale et par ricochet et de toute le communauté. 3) L’HOSPITALITÉ « L’étranger est un don de Dieu qui mérite assistance et protection » diton en pays mandingue. Régie uniquement par les sentiments de solidarité et d’entraide qui créent une situation de sécurité pour chacun et pour tous, la société traditionnelle malinké est protectrice et hospitalière. Vous devez ouvrir votre porte à toute personne désireuse de pénétrer dans votre maison, sans se soucier d’abord de sa moralité, de ses fautes et crimes, de sa situation sociale, en un mot sans savoir qui elle est. Tout homme en difficulté, en danger ou traqué mérite assistance. Au cours d’un voyage dans un village ou dans une région où vous ne connaissez personne, n’hésitez pas à frapper à n’importe quelle porte, car elle vous sera ouverte. Vous y serez accueilli sans vous exiger une quelconque contrepartie. Vous y recevrez gracieusement logement, repas et soins ou toute autre assistance pendant votre séjour. Vous êtes le lonan, c’est-à-dire l’étranger qu’on doit accueillir et aider dans la mesure du possible. Dans ce milieu, l’étranger est un envoyé de Dieu et pour se faire il mérite protection et assistance. Selon le Professeur Joseph Ki-Zerbo: « L’étranger est un don de Dieu » qu’il faut accepter tel qu’il se présente. Les repas sont partagés par tous, même les étrangers et les visiteurs impromptus ou inopinés sont conviés à manger à satiété. D’ailleurs, quand il n’y a pas assez à manger pour tout le monde, on s’abstient au profit des visiteurs ou des étrangers. Seydou Badian Kouyaté illustre mieux cette exigence sociale dans les lignes suivantes: « Quand tu seras grand, tu ouvriras ta porte à l’étranger, car le riz cuit appartient à tous. L’homme est un peu comme un grand arbre: tout voyageur a droit à son ombre. Lorsque personne ne viendra chez toi, c’est que tu seras comme un arbre envahi par les fourmis rouges; les voyageurs te fuiront. » (5) 4) L’ESPRIT DE BON VOISINAGE IMMÉDIAT L’esprit de bon voisinage est une autre valeur sûre de la civilisation malinké. Vous est tenus de respecter vos voisins afin de réaliser avec eux une vie harmonieuse profitable à tous. Le voisin a le droit d’intervenir dans un conflit qui éclate dans votre famille. D’ailleurs vous devez l’associer aux débats et tenir compte de son avis sur la solution du problème posé. C’est lui que votre 510


femme et vos enfants en faute doivent faire intervenir à tout moment, et parfois même avant vos amis et proches parents. C’est bien lui qui intervient promptement et efficacement en premier lieu en vous apportant les premiers secours ou assistance en cas d’incendie, de décès ou de malheur avant que vos proches n’arrivent. Tout différend qui vous oppose ou qui oppose vos deux familles doit trouver une solution amiable, car on ne choisit pas son voisin. Par conséquent vous êtes condamnés à vivre avec lui. Donc vous êtes tenus de vous ménager réciproquement. On admet dans le milieu malinké que: « Mòòbaden fòlò le i siinyòòn le. » (= Ton premier parent est ton voisin immédiat.) « Siinyòònya ka gèlèn Ala ma. » (= Dieu tient à l’esprit de bon voisinage.) Cette vertu est donc une richesse qui doit être cultivée aussi bien par les individus, que par les familles, les villages, et les pays... et pourrait mettre le monde à l’abri des conflits inutiles. Ailleurs, les voisins ne se connaissent même parfois, ne se fréquentent pas et s’évitent. À peine on se dit bonjour. On ne se préoccupe guère des problèmes du voisin. Parfois, le voisin qui vit seul chez lui peut mourir sans que ses voisins immédiats de s’en rendent compte. C’est parfois l’odeur nauséabonde et suffocante de la décomposition de son corps qui attire l’attention. Dans ce cas, seuls la Police Judiciaire et les sapeurs-pompiers alertés sont autorisés à défoncer sa porte pour faire le constat et extraire son corps en pleine putréfaction. En Afrique ce sont les voisins immédiats qui gèrent ce genre de situation sans aucun risque.

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DOCUMENT DE LECTURE ----------o---------L’HUMANISME, GRAND BIENFAIT DE L’AFRIQUE (6) En guise de complément de l’étude de la société traditionnelle mandingue notamment dans sa partie Konyanké (Beyla, Kérouané, Macenta... en Guinée), nous insérons cet intéressant texte qui met éloquemment en évidence l’humanisme, la vie communautaire et la solidarité qui caractérisent la société africaine en général et chaque tribu de la savane et de la forêt en particulier. Ce texte dénote une profonde identité culturelle des peuples noirs d’Afrique de l’Ouest, de l’Est, du centre et de toute l’Afrique noire tout court, comme le prouve le texte suivant de l’ancien et premier Président Kenneth Kaunda de la Zambie indépendante. Reconnaître la valeur de l’homme du simple fait de sa condition humaine et non pour ce qu’il est capable de faire, voilà un exemple qui mérite d’être suivi, dit le Président de la Zambie. « Le plus grand bienfait dont ait bénéficié l’Afrique est sans doute, si l’on peut généraliser, que les Africains ont toujours su reconnaître la valeur de la Fraternité Humaine. C’est la base même de notre tradition. Maintenant que nous sommes indépendants, il nous est possible de partager cet héritage avec le reste du monde. Il nous a toujours semblé que la contribution de l’Afrique à la culture mondiale devait se faire dans le domaine des relations humaines. Mentionnons à ce propos que c’est dans cet esprit que nous avons envisagé la création, à l’Université de Zambie, d’une chaire des Relations Humaines et non des relations entre les races. Les Relations Humaines couvrent un champ beaucoup plus vaste. La communauté traditionnelle africaine était basée sur l’entraide. Elle était organisée de façon à satisfaire les besoins fondamentaux de tous ses membres et, par conséquent n’encourageait pas l’individualisme (et l’égoïsme). La terre et la plupart des autres ressources étaient propriété commune que les chefs de villages administraient pour le bien de tous. Si un villageois avait besoin d’une hutte, tous les hommes allaient en forêt chercher du bois pour construire la charpente et apportaient du chaume pour le toit. Les femmes façonnaient l’argile pour les murs tandis que deux ou trois d’entre elles préparaient de la bière-ou le repas-pour que les travailleurs, fatigués mais satisfaits de leur longue journée de labeur, puissent se rafraîchir (ou se restaurer). Enfin, les gens bien portants se chargeaient de cultiver les jardins pour le compte des malades ou des infirmes.

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Les besoins de l’homme étaient le critère sur lequel chacun réglait sa conduite. Un étranger qui avait faim pouvait sans risque entrer dans le jardin du village et prendre une poignée d’arachides, quelques bananes ou une racine de manioc pour assouvir sa faim. Son acte ne devenait vol que s’il prenait plus qu’il n’était nécessaire car, alors, il infligeait aux autres une privation. De toute évidence, l’harmonie sociale était un besoin vital de ces communautés où toute activité était un travail d’équipe. Les anciens et les chefs traditionnels avaient donc d’importantes fonctions de juge et d’arbitre. Ils tranchaient les litiges, réprimandaient les fauteurs de troubles et prenaient toutes dispositions utiles pour consolider le cadre de la vie sociale. Il convient de noter que si des actions anti-sociales faisaient l’objet de sanctions, celles-ci étaient souvent graves. Soulignons qu’il ne s’agissait pas là d’une de ces expériences de vie sociale idéale qu’ont tentée en Europe certains groupes d’hommes s’installant à la campagne dans un cadre agréable pour échapper aux tensions des sociétés industrielles. La vie de la brousse est dure et dangereuse, pour survivre, une étroite cohésion sociale est nécessaire. À l’opposé des sociétés industrielles, ce n’est pas l’individu ou la famille qui forme l’unité de base, mais la communauté. Cela implique donc un accord fondamental entre les membres de la communauté sur les objectifs qui doivent être poursuivis en commun. Si, par exemple, un lion rôdait dans les parages, les hommes partaient tous ensemble à la chasse de ce dangereux fauve. L’esprit de cohésion sociale était si développé que ces hommes ne pensaient qu’à la communauté et non à leur propre vie. Les résultats étaient spectaculaires. D’autre part, la communauté traditionnelle était tolérante. Elle ne tenait pas rigueur des échecs. Pour autant qu’ils se soumettent aux coutumes sociales, les attardés, les sots et les incapables étaient traités sur le même pied d’égalité que les autres membres de la communauté. Les qualités sociales étaient plus importantes que les réussites individuelles. L’idée même de succès et d’échec semble être une maladie d’une époque individualiste, le produit d’une société conditionnée par les diplômes, les examens et les techniques de sélection. Dans les meilleures sociétés tribales, l’homme avait de la valeur du seul fait de sa condition humaine et non par pour ce qu’il était capable de faire. Si limitée qu’elle fût, sa contribution au bienêtre matériel du village était suffisante; sa présence était plus importante que ses exploits. L’attitude traditionnelle des Africains envers les vieilles gens en est un exemple. À ce propos, il convient de dire qu’un Africain est horrifié, lorsqu’il voit pour la première fois cette institution occidentale que sont les asiles de vieillards! L’idée même que l’état ou quelques institutions philanthropiques doivent s’occuper des personnes âgées est pour les Africains un véritable sacrilège, puisqu’elle semble impliquer que les vieillards sont encombrants et doivent être mis à l’écart pour que leurs enfants puissent vivre leur vie sans être 513


gênés par leur présence. Dans les sociétés traditionnelles, les personnes âgées sont vénérées, et s’en occuper est un privilège. En maintes occasions, leurs avis sont recherchés et quelles que soient leurs infirmités, les vieillards ont un rôle important et constructif à jouer dans l’enseignement et l’éducation de leurs petits-enfants. Refuser aux grands-parents la compagnie de leurs petits-enfants serait considéré comme un pêché capital. Le fait que les vieillards ne puissent plus travailler, qu’ils soient moins alertes ou même qu’ils soient victimes des faiblesses de sénilité n’affecte en rien notre respect pour eux. Ils ont tant fait pour que nous ne saurions leur montrer trop de reconnaissance. Ils sont la sagesse personnifiée et le vivant symbole de nos liens avec le passé. Un défenseur des modes de l’Ouest et de l’Est pourrait sans doute répondre que des institutions pour les vieillards sont nécessaires dans les grandes sociétés et que sans les efforts de l’état et des associations philanthropiques, un grand nombre de personnes âgées mourraient de faim. C’est certainement vrai, mais cela ne fait que souligner que, dans une société, aucun membre de la communauté n’est à ce point isolé qu’il n’y ait quelqu’un qui soit responsable de son bien-être. Pour juger du degré de civilisation d’un peuple, les experts ont établi toute une série de critères. Dans la société africaine traditionnelle, le critère est comment cette société traite ses vieillards et les autres membres de la communauté qui ne sont pas utiles ou productifs au sens étroit du terme. Jugées sur cette base, les sociétés ont beaucoup à apprendre des sociétés soi-disant arriérées. Enfin, la communauté traditionnelle était une société « ouverte ». En d’autres termes, les relations de solidarité mutuelle étaient largement développées. En revanche, les sociétés industrielles pourraient être définies comme des sociétés « fermées », parce que la solidarité de leurs membres est souvent limitées à la famille proche, le cercle familial constitue en soi un petit univers, mais ne permet pas de prendre des engagements plus vastes. Un exemple du caractère ouvert de la société traditionnelle: Pour un Africain, le mot « père » n’est pas seulement réservé à son véritable père et aussi aux frères de celui-ci (et s’adresse à toute personne ayant l’âge de son père) et il appelle ‘mère’ les sœurs de sa mère (ainsi que toute personne ayant l’âge de sa mère ou plus âgée que celle-ci). Les « tantes » sont les sœurs de son père et les « oncles », les frères de sa mère. « Frère » ne s’applique pas seulement aux enfants mâles de son père, mais aussi à certains cousins et même à des membres du même clan qui ne sont pas ses parents au sens occidental du terme. C’est une affaire de vocabulaire. Ces mots ne sont seulement des signes de courtoisies: le titre de « père » comporte toutes les responsabilités de la paternité et en échange les « pères » font l’objet d’une dévotion filiale. Dans une société traditionnelle, un enfant n’est pratiquement jamais orphelin. Si ses propres parents meurent, d’autres prennent automatiquement la responsabilité de son éducation. De même, il est 514


improbable qu’un vieillard ne finisse ses jours dans un cercle familial. Si ses propres enfants ne peuvent prendre soin de lui, d’autres « enfants » assureront ce devoir et ce privilège. La famille élargie constitue, en somme, une sorte de système de sécurité sociale dont l’avantage est qu’il reste fidèle au cadre des relations personnelles, au lieu d’être à la charge d’institutions anonymes. C’est une expérience enrichissante pour ceux qui ont la chance d’appartenir à ce système. Certes, ce que nous avons écrit s’applique à des sociétés restreintes et l’on peut prétendre que ce système ne fonctionnerait pas dans les cités et les villes où sont rassemblées des centaines de milliers de personnes. Mais l’attitude à l’égard des êtres humains que nous venons de décrire ne dépend pas seulement de l’organisation sociale; elle fait partie, à présent, de la psychologie africaine. La nouvelle Afrique ne doit pas renoncer à cette valeur attachée à l’homme et à ce respect de la dignité humaine qui sont un héritage de notre tradition. Si « moderne et avancée » (au sens occidental du terme) que puisse devenir la jeune nation zambienne, nous sommes fermement décidés à sauvegarder cet humanisme. La société africaine a toujours été centrée sur l’homme. Et c’est ainsi que cela doit être. Car pourquoi construire une maison, si ce n’est pas pour donner à l’homme l’abri et la sécurité? Pourquoi façonner une chaise si ce n’est pour qu’il puisse s’asseoir? Pourquoi produire de la nourriture ou créer une industrie de la pêche si ce n’est pour qu’il puisse manger? La réponse à toutes ces questions - à la fois simple et difficile - est l’HOMME. La réponse est si simple dans la mesure où il est clair que toute activité humaine est centrée sur l’homme; elle est difficile parce que l’homme n’a pas encore compris sa propre importance. Pourtant nous croyons pouvoir dire sans faux orgueil que le mode de vie de l’Afrique, malgré tous ces problèmes, a plus de chance que d’autres de réaliser la société idéale. En Zambie, nous avons l’intention de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que notre société reste fondée sur l’homme. Ainsi se définit notre civilisation africaine, et toute contribution de l’Afrique moderne à notre monde troublé devrait se faire effectivement dans ce sens. Cette définition pose un certain nombre de questions. Comment un système de ce genre, basé principalement sur la confiance mutuelle entre les membres de la société, peut-il survivre en Afrique et en Zambie, soumises à tant d’influences? Il est évident que l’Est et l’Ouest, soit volontairement, soit par la force des choses, n’acceptent pas ce mode de vie. En fait, autour de la Zambie, tous les gouvernements dirigés par des minorités blanches n’admettent pas non plus cette philosophie. La sécurité sociale, dans notre société traditionnelle, reposait sur le fait qu’il s’agissait d’une société fondée sur l’entraide. Mais comment un Zambien peut-il conserver cette mentalité et, en même temps, vivre dans la société qui est en train de naître de l’économie moderne et du capitalisme? Et 515


comment peut-il surmonter cette épreuve sans tomber dans l’excès contraire d’un radicalisme d’extrême gauche qui, lui aussi, « déshumanise » l’homme et en fait l’instrument plus que le maître du système institutionnel? Telles sont les questions auxquelles il nous faut répondre et, pour jeter les bases d’une nation jeune et progressiste, il conviendra que nous prendrons clairement position sur ce point. LE PRÉSENT ET L’AVENIR Bien que les leaders aient, tant avant qu’après l’indépendance de leur pays, prêché l’importance et la valeur de l’homme, il est à craindre que les membres du parti, les fonctionnaires, la police, l’armée et l’opinion publique du parti n’aient guère pris conscience de ce principe et de sa signification véritable. Le problème est donc de faire pénétrer profondément ce principe dans la vie nationale. Le fait que nos ancêtres (je ne cherche pas à glorifier le passé, mais seulement à en tirer des enseignements pour le présent et l’avenir) aient pu réaliser une société qui conciliait de façon efficace l’ordre politique et social demande que nous examinions comment ils y sont parvenus. Cela n’a pas été le résultat d’éloquents discours idéologiques mais d’une bonne organisation et d’une stricte discipline à laquelle étaient soumis tous les membres de la société. L’enseignement des valeurs et la communication aux jeunes du savoir et de la sagesse des anciens faisaient partie intégrante de cette organisation. Chaque jour était pour les anciens l’occasion d’en faire la preuve. Ils se levaient tôt le matin pour cultiver, chasser, pêcher ou, s’ils appartenaient à un peuple d’éleveurs, s’occuper du bétail. Le soir, tout en mangeant ou en buvant de la bière, occupation réservée aux hommes âgés, ils mettaient en commun les expériences de la journée, et les jeunes assis autour d’eux prêtaient la plus grande attention aux leçons de savoir et de sagesse qui leur étaient données, sachant que, demain, ce serait leur tour. Cette harmonie sociale estelle encore possible? Franchement je pense que oui. Il faut pour cela que nous organisions la société de façon qu’elle résiste aux bouleversements que j’ai indiqués, aux attaques venant aussi bien de l’Ouest que de l’Est. Ce qui vient d’être dit montre que nous ne pouvons espérer réaliser à nouveau une société fondée sur l’homme sans une organisation adéquate. À cette fin, rien n’est plus important que les institutions d’enseignement (en donnant à ce mot une portée plus vaste que sa définition classique). Si nous voulons éviter les échecs des autres peuples, l’accent doit être mis sur la prévention des maux de l’existence plutôt que sur leur guérison. Nous ne pensons pas seulement aux élèves, garçons et filles, de l’enseignement officiel, depuis la classe enfantine jusqu’à l’Université de Zambie, mais à toutes les institutions gouvernementales ou privées qui donnent une forme quelconque d’enseignement ou d’instruction: Écoles Normales, Commerciales, Technique 516


etc... Nos spécialistes de l’enseignement, nos sociologues, nos psychologues devraient être capables de mettre au point un programme qui tiendrait compte de cette nécessité et serait incorporé à tous les types d’enseignement existants. Le département des Relations Humaines de l’Université de Zambie, dont on parle tant, aurait pour rôle, sur le plan national, de surveiller les efforts entrepris dans cette direction, tandis que, sur le plan international, il continuerait d’explorer la possibilité d’une compréhension entre nations. On dit qu’un couple de jeunes mariés doit se garder mutuellement et jalousement contre l’intrusion d’un tiers. C’est encore plus vrai des partis et des gouvernements qui dirigent un nouveau pays indépendant comme la Zambie. Cependant, il convient de ne pas exagérer l’importance de protéger notre ancienne société au détriment du développement de notre peuple. C’est là le problème de base: comment préserver ce que nos traditions ont de bon tout en tirant parti de la science et de la technique de nos amis de l’Ouest et de l’Est. Nous ne voulons pas être doctrinaires. Le parti et le gouvernement ne sont pas là pour tracer une ligne fixe, immuable, entre deux extrêmes. Nous voulons rechercher constamment des moyens toujours neufs de hâter le progrès technique tout en assurant la sauvegarde des principes traditionnels d’une société basée sur l’homme. C’est seulement ainsi que nous jouirons des bienfaits de la sagesse et des valeurs de nos ancêtres. » Kenneth KAUNDA (Ancien et premier président de la Zambie)

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I - LA SEXUALITÉ JUVENILE CHEZ LE MANDINGUE AVANT LE MARIAGE La sexualité (dyaminibò) au Mandingue est faite d’hypocrisie. Les jeunes gens ont honte d’exhaler leurs sentiments. Ils ont souvent peur de laisser parler leur cœur au risque des railleries de leur environnement social notamment de leurs camarades d’âges, de leurs belles-sœurs, des sangban et même des personnes du troisième âge qui aiment fustiger le comportement sexuel des adolescents. Ces scènes de moquerie ne manquent pas de créer un certain complexe de honte chez ceux-ci et les rendent irascibles et développent surtout en eux une certaine apathie sexuelle et de la répulsion pour l’autre sexe. Cette situation touche indifféremment les adolescents des deux sexes. Il y a donc lieu d’ouvrir une parenthèse sur le comportement sexuel et sentimental des jeunes gens en pays mandingue traditionnel avant le mariage. Dans la société traditionnelle mandingue, l’amour n’est certes pas prohibé comme l’affirment certaines personnes. Les jeunes gens peuvent s’aimer, mais leur amour a des limites. Généralement, c’est le jeune garçon qui fait le premier pas vers la fille. Rappelons que les jeunes du village sont divisés en sèrè ou groupes d’âges. Chaque jeune reste cantonné dans son sèrè en matière d’amour. Cependant, il existe toujours une concurrence très aiguë entre les différents sèrè d’un même village. Lors des travaux champêtres collectifs, dans les tyé-kè-yòrò ou travaux d’intérêt public ou ayant un caractère de solidarité agissante dans le champ de telle ou telle famille ou pour la construction d’une maison... et qui réunissent toutes les forces vives du village, on note une compétition très serrée entre les sèrè de tous les âges qui rivalisent d’ardeur. Chaque sèrè se déploie au maximum afin d’obtenir le meilleur rendement et avoir droit ainsi aux félicitations des vieux et des femmes. Les jeunes adolescents qui ont des amies présentes sur les lieux du travail se déploient beaucoup plus pour se faire remarquer et honorer celles-ci. Les jeunes filles composent ou chantent à ces occasions des chants d’éloges pour exhorter et magnifier l’ardeur des garçons de leur sèrè (sèrètyè) et particulièrement celle de leurs amants. Pour en revenir au comportement sentimental des jeunes, prenons l’exemple dans un sèrè. Un garçon peut être épris d’une jeune fille de son groupe d’âge ou sèrè qui porte presque toujours le nom du garçon le plus âgé du groupe ou généralement de la file du doyen du village. Précisons que les enfants nés d’une même femme appartiennent chacun à un sèrè différent. Donc entre deux sèrè il y a un écart d’âge d’au moins trois ans, puisque dans la société traditionnelle, le sevrage se situait aux environs de trois ans, après la naissance de l’enfant. La vie sentimentale de l’enfant était rigoureusement circonscrite à l’intérieur de son sèrè. Il était donc hors de question que le jeune homme sollicitât en amitié une fille d’un sèrè plus jeune ou d’un sèrè plus âgé. La déclaration d’amour ne se faisait jamais directement, mais par le biais d’une tierce personne. Généralement le garçon passe toujours par l’intermédiaire d’une de ses belles-sœurs ou d’une 518


vieille femme qui scelle alors cette amitié (kanila). Celle-ci, en sa qualité de marraine, intervient chaque fois qu’un conflit tend à les désunir, à les séparer. Elle juge et réconcilie dans la plus grande discrétion. Ainsi le garçon devient le kanbelen ou dyatiikè ou encore nyamòòtyè c’est-à-dire l’amant de la jeune fille qui est sa bien-aimée ou kanibaa ou sunkuru (sungburu, singbiri...), ou nyamòòmuso selon les régions. À la longue, les parents de la jeune fille, surtout la mère, sont informés de cette amitié et ils agréent le garçon comme nyamòòtyè ou kanibaa c’est-à-dire l’amant officiel de leur fille. Les visites réciproques des deux amants sont tolérées par les familles respectives. Parfois la fille est autorisée par sa mère à passer la nuit chez le garçon. Il s’agit bien entendu d’une nuit sans dégât, empreinte de sagesse et d’abstinence. La mère de la fille ne s’inquiète guère étant donné que les jeunes connaissent bien les limites de leur amour et sont conscients de leurs devoirs et de leurs responsabilités. Ils savent que les rapports sexuels entre jeunes sont prohibés et sévèrement réprimés par la société. Le garçon peut toutefois jouer au baya ou perles que la jeune fille porte à la hanche. Il se réserve d’aller au-delà. D’ailleurs celle-ci repousse toujours énergiquement l’offre, disons toutes les tentatives répréhensibles de son amant dans le sens de l’acte rigoureusement interdit... Pendant les veillées au clair de lune ou pendant les fêtes de générations (celles des sèrè), la jeune fille évoque fièrement le nom de son dyarabi (son amour, son amant), chante les louanges de celui-ci. Elle ne se gêne nullement en exhalant ses sentiments pour le prince charmant qui gouverne son cœur. Cette forme de vie sentimentale très romantique, sans dégât est appelée dyaminibò. Cet amour est pur, sincère et dure toute la vie des jeunes. Ce genre d’amour subsiste et continue dans les foyers des deux jeunes, après leur mariage. Par cette pratique de confiance aux jeunes qui, à leur tour, respectent scrupuleusement les règles morales, 95% des jeunes filles arrivaient vierges dans leur foyer conjugal. L’amant avait le droit et le devoir de contrôler toutes les relations sentimentales de la fille et devait signaler aux « beaux-parents » les frivolités et les comportements sexuels anormaux de celle-ci avec d’autres garçons. En tout cas, il savait prendre ses responsabilités et mériter davantage la confiance placée en lui. Par ailleurs, il se prêtait à tous les travaux manuels et champêtres de la maman de son amante. Ce genre d’amour sage et digne était agréé et cautionné par toutes les familles. Les jeunes gens savaient perpétuer cet amour même après leur mariage. Cette amitié s’étendait souvent au mari de la fille et à la femme du garçon qui la consolidait respectivement. D’ailleurs, le mari tolérait et sollicitait parfois l’intervention de cet amant intègre qui était jadis le surveillant en ces termes: « N b’a fè i ye kuma i la muso nyè. Ni a ma kè ko nyè, an di kèlè. » (= Je veux que tu donnes des conseils à ta femme. Qu’elle fasse attention, sinon ça ira très mal entre nous.)

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De même, la femme mariée s’adresse dans les mêmes termes à cette amante innocente ou irréprochable de son mari en lui disant: « Dò fò i la tyè nyè. A fò a nyè ko a ye fara n dakòròbò la. » (Conseille ton bonhomme afin qu’il cesse de me provoquer.) Aussi, quand elle a tort dans un conflit qui l’oppose à son mari. Elle dit: « A fò i la tyè nyè ko a ye yafa n ma. » (Je te prie de présenter mes excuses à ton bonhomme.) L’un ou l’autre était toujours sollicité pour intervenir dans le règlement du conflit qui opposait le couple. Et l’intervenant était toujours écouté par l’autre partie. Malheureusement, les jeunes gens de nos jours ignorent totalement l’abstinence dans l’amour. Et leurs comportements scandaleux et dépravés qui n’observent aucune règle morale, les dépersonnalisent et portent préjudices à leur avenir. Combien de jeunes collégiennes sont obligées d’interrompre leurs études, combien de femmes sont mortes des suites des tentatives d’avortement, d’absorption abusive de pilules anti-contraception? Personne n’ignore les conséquences néfastes des avortements de plus en plus nombreux. Les auteurs de ces crimes ne sont-ils pas souvent battus ou traînés en justice, devant le conseil des sages? Dans la société traditionnelle malinké, même le fiancé légal n’a pas le droit de déflorer sa fiancée avant le jour du mariage. Mais si cela arrive ou si une grossesse intervient, on n’en fait pas un scandale. Dans ce cas, les cérémonies de mariage sont célébrées avec moins d’éclat ou de fastes et parfois même on supprime les formalités d’usage. La fille ne doit donc s’en prendre qu’à ellemême puisqu’elle s’est offerte illégalement à son fiancé. Elle ne mérite plus les honneurs de sa famille et de ses amis. D’ailleurs on affirme que c’est elle même qui n’en veut pas. En effet pendant la première nuit de noces qui est toujours mémorable pour le jeune couple, des vieilles femmes se mettent au guet, jusqu’à une certaine heure de la nuit, devant la porte des deux jeunes conjoints pour écouter leurs conversations et si besoin est, suivre attentivement leurs gestes. Épier la première rencontre intime du couple n’est point un scandale. C’est autorisé par la société. On peut parfois se passer de cette pratique. Mais ce geste permet souvent de déjouer les tentatives d’arrangements complaisants pour sauver l’honneur du couple et surtout celui de la jeune mariée. Cela n’arrive que quand il s’agit d’une jeune fille jamais mariée. Si la jeune mariée est déflorée, elle doit obligatoirement dénoncer, à son mari, l’auteur de l’acte sacré et tous ses anciens partenaires sexuels coupables de l’acte incestueux. Et tous ceux-ci sont traduits devant le conseil des sages afin que le mari indigne puisse obtenir une réparation morale et matérielle C’est le: « tyè tòò fò = dénonciation des amants » et le « musoko lada = réparation du préjudice moral causé ». Si elle refuse de dénoncer, comme cela peut arriver souvent, elle est lynchée et battue par son mari qui se sent victime privé d’un honneur jusqu’à ce 520


qu’elle dresse la liste, aussi exhaustive que possible, des audacieux coupables de l’acte de défloraison. Le matin, le mari doit rendre compte et les coupables sont traduits en justice et encourent des bastonnades et une amende de un ou de deux bœufs payée surtout par l’auteur de la défloraison. On s’en prend plus à celui-ci qu’aux autres partenaires. Au cas où la jeune fille tombe illégitimement en grossesse, un conflit violent où échange de coups et usage d’armes ne sont pas exclus oppose la famille du fiancé à celle de l’amant de la jeune fille. Parfois la jeune fille est répudiée de sa famille pour son acte indigne et déshonorant. On remarque aussi que le mari peut, par excès d’amour pour sa fiancée, par faiblesse de caractère, par complaisance ou par exigence de sa fiancée généralement poussée par sa mère, sauver l’honneur et la dignité de sa conjointe en proclamant sa virginité à l’aube de la première nuit de noces. Le drap de lit présenté aux vieilles femmes le matin est maculé du sang d’un poulet que les deux mariés prennent soin d’égorger discrètement la nuit. Parfois, et pour dissiper les doutes, cette opération de duperie est faite un ou deux jours, ou bien avant, le mariage. Ce drap immaculé est le témoignage public et irréfutable de la virginité de la jeune fille qui a ainsi fait honneur tant à ses parents qu’à son mari. Mais par la suite un sacrifice approprié est indispensable pour apaiser la colère des ancêtres morts offensés dans leur repos outre-tombe et pour se repentir de la duperie organisée. Ce sacrifice est indispensable car il est admis dans ce milieu qu’une telle pratique est à l’origine de la plus grande partie des cas de stérilité de plusieurs femmes. Dans le cas idéal, c’est-à-dire celui où la jeune fille est restée sage en se conservant intacte pour son mari, à l’aube de la première nuit sacrée, celui-ci doit tirer un coup de fusil pour annoncer au village la bonne nouvelle, c’est-àdire la virginité de sa femme. Alors les femmes du village qui attendaient impatiemment la nouvelle, organisent instantanément une danse dans toutes les concessions du village. Elles présentent, dans chacune d’elles, la pièce à conviction (bafani), c’est-à-dire le drap maculé de sang. Elles chantent: « Alu ye bèn wo somòòlu bala yèn, n kun wo libala. » pouvant se traduire par: « Venez tous à ma rencontre, car je porte sur ma tête un pot de miel que je vous convie à goûter. » Le drap maculé de sang est exposé au su et vu de tous. Les femmes, tout en dansant et chantant, distribuent ici et là de la pâte de farine de riz bien mielleuse et des colas blanches en l’honneur de la jeune mariée qui est magnifiée comme un héros. Le flot de femmes se dirige finalement vers la famille paternelle de la jeune mariée qui-surtout sa mère-réplique joyeusement et fièrement au chant précité ci-dessus: « N na sisè kèla lanka ye, n na sisèba kèla lanka ye. » Qui se traduit par: « Mon poulet est grandi, mon poulet est devenu une grosse poule majeure. ».

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Ce chant parabolique signifie tout simplement que les gens du village qui doutaient de la virginité de sa fille ont à présent honte puisque celle-ci est restée digne de sa famille en résistant à toutes les tentations. Les parents de la fille sont autant honorés que son mari et les siens. En effet, le plus beau cadeau et le plus grand honneur qu’une fille puisse faire à son mari et à ses parents est sa virginité. Cette conservation et cette abstinence créent et consolident les sentiments d’amour dans les familles. Dans les ménages polygames, les coépouses se reprochent ou se glorifient d’avoir perdu ou sauvegardé ce point d’honneur. L’amant officiel de la jeune fille qui a fait preuve d’abstinence et de sérieux est remercié par toute le collectivité et surtout par le mari qui l’adopte comme un ami, un conseiller et l’associe très souvent au règlement de tous les litiges et incompréhensions qui l’opposent à sa femme et cela pendant toute la durée de vie du couple. Un tel amant devient donc le meilleur conseiller et le confident du couple. C’est une récompense et une marque de gratitude qu’il mérite pour sa sagesse. Selon ses moyens matériels, le mari, très honoré, et sa famille doivent offrir des cadeaux divers à la fille et à sa maman. Parfois c’est une génisse ou une vache (banisi) qu’il leur offre. Il s’agit donc de remercier la maman pour avoir bien éduquée sa fille qui, par ricochet, est glorifiée par toute la collectivité. Mais de nos jours on dit, à juste raison, que le le fameux pot de miel (libala, lidaa) est cassé ou perforé à 90%, car très peu de jeunes filles parviennent à conserver leur virginité pour leur mari légitime. (Sisan, libala bèè bara tyi.) II LE MARIAGE DANS LA FAMILLE TRADITIONNELLE MANDINGUE ----------o---------MANDENKA FURU ANI MANDENKAYA ----------o---------« Mes enfants, songez à vous marier, car le mariage est une si belle chose qu’il faut y songer de toute sa vie. Pourquoi? Parce que chez les peuples barbares comme chez les peuples civilisés, le mariage a toujours été célébré avec solennité et sérénité; a toujours été un facteur d’équilibre psychologique des conjoints, une garantie pour une éducation continue, sereine et harmonieuse des enfants. Un facteur d’harmonie sociale, de rapprochement des hommes, des familles et des peuples entre eux. Parce qu’aucune famille n’est réputée au monde tant qu’elle n’est pas fondée sur le pacte sacré du mariage. » (7) El Hadj Boubacar SAKO (Bibliothécaire à Treichville-Abidjan) 522


----------o---------« Le mariage n’a pas pour but d’unir une femme et un homme, mais deux familles, deux lignages. » (8) Djodji Akoly NYATÉPÉ-COO (« Bingo » N° 366 de juillet 1983) ----------o---------C’est le mariage qui légitime, garantit la vie en commun d’un couple, engendre une progéniture digne et perpétue la lignée ancestrale. En milieu traditionnel malinké, le mariage est considéré comme le plus important contrat social que chaque personne doit obligatoirement nouer et remplir. Il constitue la troisième étape de l’intégration sociale après le baptême, la circoncision et l’excision. Le mariage marque le passage de l’adolescence insouciante et tranquille à la vie adulte qui comporte de lourdes responsabilités sociales. Le célibat chronique et volontaire d’un homme et d’une femme n’existe pas en Afrique. C’est un état déshonorant pour l’individu et pour sa famille. Il est inadmissible pour la société. Un homme qui refuse de se marier ou qui se marie tardivement est mis au banc de la société et ne mérite parfois ni respect ni considération. Un homme enclin à une telle situation est généralement taxé de stérile et d’impuissant sexuel. Mais si son célibat se justifie par sa pauvreté notoire ou par celle de sa famille, il y a toujours une famille généreuse du village ou de la tribu qui, par humanisme, lui donne gracieusement une femme. C’est souvent le cas des mariages des Alamandi (« Don de Dieu »). Une Alamandi est une femme qu’on donne en mariage sans exiger de son mari le paiement de la moindre dot ou d’autres biens matériels. Au contraire, les parents de la fille, en guise de récompense et de reconnaissance de l marque de respect de celle-ci envers eux, offrent à la mariée tout ce dont celle-ci a besoin dans son foyer. Dans l’esprit de nos ancêtres, une Alamandi n’est autre qu’un cadeau qu’on fait à Dieu. Par sa pratique, on atteint spirituellement le Tout Puissant. En plus de son caractère humanitaire et des bénédictions qu’on reçoit du bénéficiaire et de ses parents, le bienfaiteur tire de son geste la baraka divine qui lui portera également bonheur dans le monde de l’au-delà. La société traditionnelle mandingue ou africaine a toujours aidé les handicapés physiques et mentaux à se marier pour procréer ou à maintenir l’intégrité du foyer de ceux qui sont mariés. Il faut noter aussi que la pratique de l’homosexualité qui est une honte pour la société n’existe pas chez nous. Malheureusement, ces mœurs ignobles importées de l’occident commencent à fasciner et à travestir certains jeunes 523


africains qui, malheureusement, sont plus soucieux de de paraître à l’image des occidentaux. Dans certains cas de mariage d’hommes déshérités, on célèbre l’union en différant le paiement de la dot, mais on ne le supprime pas. Elle sera payée dès que le mari aura les moyens. Dans d’autres cas, le prétendant bénéficie de la solidarité des membres de sa famille, de son clan ou de la collectivité villageoise. Ses amis et les alliés de sa famille ne restent pas indifférents. Presque tout le monde l’assiste moralement ou matériellement pour remplir les formalités d’usage. Parfois on aide le célibataire pauvre et endurci ou l’homme qui vient de perdre son unique épouse à se marier à une veuve en seconde ou troisième noce. Un tel mariage est généralement très simplifié. On le ramène à quelques symboliques formalités d’usage. La dot d’une veuve, surtout âgée (tyèsamuso ou bakòròni furu man gèlèn) qui se remarie est extrêmement limitée par rapport à celle d’une jeune fille pubère (sungurunin). Dans tous les cas des facilités peuvent être accordées. Pour cette raison, le célibat chronique marginalise l’individu et la société ne tolère que le célibat d’une personne en état de démence, donc cas extrême où l’individu se trouve dans l’incapacité d’exercer son devoir de père ou d’époux. Généralement, quand une telle situation intervient au cours du mariage, la femme reste dans le foyer, participe aux soins et à l’entretien de son mari jusqu’à la guérison ou jusqu’à la mort de celui-ci. Par contre un homme dont l’épouse est mentalement malade ne renvoie pas systématiquement celle-ci. Il doit la soigner en collaboration avec ses beauxparents. Pour une question d’encadrement, celle-ci est vite récupérée par ses parents, mais son mari doit participer obligatoirement à tous les frais de soins. Entre temps, il lui est permis de prendre une seconde épouse s’il n’avait qu’une seule, si la guérison de sa première épouse prend plusieurs années. D’une manière générale, même les handicapés physiques trouvent à se marier, sauf dans des cas extrêmes d’incapacité physique et mentale totale. Le célibat féminin n’existe pas. Une femme de tout état physique (muette, sourde, sotte, paralytique... sauf les folles) trouve toujours un mari qui l’accepte totalement avec son infirmité. D’ailleurs, dès la naissance ou la puberté, une fille peut avoir un prétendant. On la promet à un homme dès son jeune âge, sans son consentement préalable (voir les cas de mariage précoce et de mariage forcé). En effet il était très courant dans nos traditions de voir un père de famille promettre irréversiblement en mariage à un ami ou au fils de celui-ci sa fille mineure. Parfois c’est le prétendant qui en fait la demande. On entendait dire: « Ma femme est enceinte. Si son futur bébé est une fille, elle sera ta femme ou celle de ton fils. Et si c’est un garçon, il sera ton homonyme. » La démarche pouvait provenir du père de la fille ou être un vœu formulé par un ami ou un allié de la famille. Le but visait à unir non pas deux êtres mais deux familles, deux clans, deux lignages, deux villages, deux tribus, deux pays... Il s’agit de multiplier les relations, les alliances, de consolider les liens fraternels et amicaux. On dit chez nous, qu’en cas de guerre, la résidence de la belle524


famille est le lieu de refuge le plus sûr. (Mòò furukèyòrò ka i kèlèmaboriyòrò bò.) La pratique institutionnalisée et généralisée de la polygamie donne la chance à toutes les femmes de se marier, quelles que soient leurs conditions sociale, matérielle, morale ou physique (sauf généralement les folles). C’est ainsi que la plupart des femmes handicapées physiques sont des secondes, troisièmes... épouses surtout quand elles sont aptes à procréer. Même si de toute évidence une handicapée physique est inapte aux travaux champêtres ou si elle a par cet état un très faible rendement, elle trouve toujours un prétendant. En effet l’un des buts sacrés du mariage est la procréation. Cette fonction essentielle doit être remplie par toute femme mariée. Pour chaque individu, le mariage est un acte qui a une portée sociale dont l’accomplissement est un devoir, une fierté pour lui et pour tous ses parents paternels et maternels. C’est par cet acte qu’il donne la preuve de sa maturité, de son plein épanouissement, acquiert une personnalité et a l’impression d’être important dans son environnement social. Il a dès lors l’impression d’avoir une certaine puissance et a enfin droit à tous les égards de la société et à une dimension humaine complète. N’a-t-on pas vu des parents se soucier, voire s’alarmer et consulter les devins, les charlatans, les féticheurs, les guérisseurs, les marabouts... pour expliquer ou soigner l’apathie sentimentale ou sexuelle d’un de leurs enfants que le sexe opposé repousse ou qui répugne lui-même le sexe opposé. On dit d’un tel enfant: « Muso bo ye a nya rò. » quand il est question d’un garçon, ou « Tyè bo ye a nya rò. » s’agissant d’une femme ce qui signifie « Qu’il ou elle sent les excréments du sexe opposé » ou tout simplement « qu’il ou elle déplaît à l’autre sexe ou qu’il ou elle ne s’y intéresse pas ». Parfois on donne à cette situation pénible, déshonorante et inquiétante pour les parents soucieux de pérenniser la lignée ancestrale, des explications mystérieuses ou irrationnelles. On affirme facilement dans ce milieu traditionnel profondément crédule et superstitieux que le dadjina (diable, mauvais esprit) ou le dameleka (double invisible qui naît avec chaque être humain et qui est son compagnon inséparable, tel un ange gardien) se lie parfois à lui par un lien d’amitié pour le protéger ou favoriser la réalisation de son bonheur moral et matériel, mais aussi pour l’isoler dans certains cas, l’empêcher d’aimer et de se marier à un humain en lui donnant un caractère délicat qui supporte mal le sexe opposé (voir plus loin la stérilité). Le dadjina ou le dameleka peut aussi faire en sorte qu’une personne ne soit pas aimée par le sexe opposé ou ne puisse pas s’en accommoder. Dès l’âge de la puberté, les parents surveillent attentivement le comportement sexuel ou sentimental des jeunes adolescents. Aussitôt qu’une apathie ou une indifférence se signale vis-à-vis de l’autre sexe, même si cela est dû à un simple complexe ou à une banale timidité, on s’alarme, on dramatise puis on essaie de l’inciter à s’intéresser à l’autre sexe, mieux on le pousse à faire du Donjuanisme pour s’affirmer. Si cette démarche s’avère inefficace, on fait 525


des sacrifices appropriés ou dans le pire des cas on le soumet à des traitements conséquents. La persistance d’une telle situation est un scandale, un déshonneur pour la famille. Il faut signaler ou rappeler avec insistance que l’ignoble et répugnante pratique de l’homosexualité n’existe pas dans nos sociétés traditionnelles africaines. Ces mœurs nouvelles nous sont importées d’Europe et d’Amérique. Ainsi donc le mariage apparaît, pour le Malinké, comme un devoir, une obligation, un facteur d’émancipation, de respect des autres envers soi, de considération de la société, d’intégration sociale, d’alliance, de solidarité, d’équilibre psychologique et social... comme le témoignent les expressions suivantes: « Furu kènin laada le di. » (= Le mariage est un devoir sacré.) « Furu kènin farila le di. » (= Le mariage est une obligation morale et divine.) « Furu kènin sariya le di. » (= Le mariage est un devoir civique.) « Furu kènin dyigi le di. » (= Le mariage est un acte de solidarité, d’alliance qui fait ses preuves en toutes circonstances.) « Furu kènin nònbò le di; a di kabila fila a ni dyamana fila bolo don i nyòòn bolo. » (= Le mariage est une liane qui lie intimement deux familles, deux clans, deux lignages, deux tribus, deux peuples, deux pays.) « Furu le bè adamadenya dafali. » (= C’est le mariage qui accomplit et équilibre une personne en lui donnant une dimension humaine totale.) « Furu bon ka kan ka nya bò. » = « Furu yòrò ka kan ka nya bò. » (= C’est-à-dire qu’il faut bien choisir son partenaire conjugal qui doit être issu d’une famille autoritaire où l’éducation est rigoureuse et irréprochable.) En effet le mariage est une alliance à multiples contraintes dont la continuité dépend souvent de la pression des deux familles, car l’expérience prouve que les sentiments d’amour s’effritent vite. Il arrive des moments où les conjoints ont envie de rompre le lien sacré, mais ils se trouvent contrariés par les parents et par toute la communauté villageoise qui a eu à parrainer la célébration de cette union. Même les absents au moment de la cérémonie reçoivent leur part de cola, de sel ou leur part d’honneur par le biais du doyen du clan qui y met toutes les formes protocolaires. Ainsi, chacun se sent lié au sort du couple. En tout état de cause une famille doit être à même d’exercer une emprise réelle et permanente sur ses enfants qui doivent respecter la décision des parents comme preuve de leur bonne éducation.

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Comme dans toutes les sociétés, le mariage chez les Malinké se fait suivant des règles précises et définies par la communauté. Il comporte des rites et obligations. Tout prétendant et ses parents doivent se conformer à une longue procédure avant de recevoir une épouse. Le mariage permet à chaque famille de s’agrandir, d’accroître sa puissance, de multiplier ses relations. Le mariage n’est pas une affaire qui ne concerne exclusivement que les deux conjoints ou leur famille respective, mais engage la responsabilité totale du kabila (clan) et même celle de toute la collectivité villageoise. Autant, a-t-on vu que l’éducation des enfants concerne toute la société. Donc, du fait de l’engagement de toute la collectivité, le divorce est rare ou n’intervient qu’après l’échec de plusieurs tentatives de réconciliation menées par les témoins des deux familles concernées, par les sages du village. Parfois la partie qui réclame le divorce est contrainte d’abandonner sa position devant les pressions de toute la communauté villageoise qui l’en dissuade, car le divorce est si néfaste qu’il sème la haine, divise les familles et leurs alliés, parfois les clans. Pour réduire ses conséquences néfastes sur la société, il était toujours proclamé, en désespoir de cause, hors du village, car l’arbre qui abritait cette cérémonie de rupture des liens de mariage devenait sec peu après (voir chapitre sur le divorce). Selon sa conduite, une femme mariée est appréciée et soutenue ou discréditée par ses beaux-parents lors des conflits pouvant entraîner sa répudiation temporaire ou définitive de son foyer conjugal. Il est rare que les familles cautionnent ou enveniment les litiges qui opposent les conjoints. Elles ont presque toujours usé de leur influence pour maintenir la cohésion du couple et consolider les liens nobles du mariage. Les raisons du divorce sont souvent: ● L’incompatibilité d’humeur, ● L’absence d’amour dès le départ (cas de mariage précoce et mariage forcé). Toutefois beaucoup de conjoints finissent par accepter la situation en s’aimant, le contact permanent et les bons caractères aidant. Certaines bellesmères (la mère du mari surtout) agressives terrorisent souvent leurs brus à tel enseigne que celles-ci n’ont d’autre solution que d’abandonner leur foyer conjugal temporairement ou définitivement. La jalousie ou de pures mesquineries sont à la base de leur attitude hostile. Dans la plupart des cas quand son fils est en conflit permanent avec sa femme ou ses femmes, elles s’en réjouissent. Pour elles, l’harmonie du couple et l’amour ostensible des deux conjoints est une preuve de faiblesse de son fils qu’elle croit être nettement dominée par sa partenaire. Elle en est tout simplement jalouse parce qu’elle n’a pas bénéficié de telle affection de son mari. Très souvent, on fait appel à ses beaux-frères pour la raisonner ou la réprimander quand elle déborde les limites du tolérable. Dans tous les cas la belle-fille est toujours conviée à consentir des sacrifices pour la supporter, car son mari est très mal placé pour juger entre sa 527


mère et elle ou prendre position contre sa mère dont parfois il est conscient des abus. Il se fait couvrir de malédictions dès qu’il prend position en faveur de sa femme contre sa mère. Ici l’équité cède obligatoirement à la piété filiale. Dans le domaine du mariage, le malinké n’est pas libre. Sa position doit être le reflet du point de vue de sa famille, de son clan ou de son environnement social. COMMENT SE FAIT LE MARIAGE MANDINGUE (MANDEN FURU KÈNYA) Le mariage est un acte de fierté, un pacte sacré, un orgueil vis-à-vis de l’environnement social. C’est le mariage qui marque et prouve la maturité d’un individu. Nul n’a le droit de se soustraire de cette obligation sociale. Même un homme impuissant ou défaillant sexuellement ne peut opter indéfiniment pour le célibat. Il doit se marier et accepter qu’un de ses jeunes frères ou cousins fasse des enfants avec sa femme à sa place. Tout prétendant et ses parents doivent obligatoirement engager une longue procédure, fastidieuse, et marquée de soumission, de servitudes, de prodigalité et surtout de patience. En voici dans les grandes lignes les différentes étapes de ces démarches. A) - LE CHOIX « Furu tè mafèlè na, ka na to don a lò. » (= Le mariage n’est pas quelque chose qu’il faut d’abord goûter avant de s’y prononcer ou de s’y engager définitivement.) ----------o---------« Muso tè nyo di, a tè mafèlè na ka to a kalila. » (= La femme n’est pas un maïs pour en vérifier préalablement le nombre et la qualité des graines (les caractères) avant de le couper, de le prendre ou de l’acheter.) ----------o---------Dans tout mariage, le choix du partenaire reste le problème fondamental. En effet, le libre choix de son partenaire est un problème très déterminant dans le mariage, car l’équilibre du foyer en dépend de même que l’éducation harmonieuse et permanente et le bonheur des enfants. Dans le milieu traditionnel malinké, le jeune homme ne choisit pas, comme il le veut, celle qui est appelée à devenir sa femme, et ne la prend pas n’importe où ni n’importe comment. Cette importante décision relève exclusivement de l’autorité des parents, du moins 528


concernant sa première femme. Les parents tablent généralement sur les considérations sociales, historiques et superstitieuses et sont moins motivés par la beauté physique de la jeune fille ou par l’amour réciproque des deux jeunes aspirants. Les intéressés ne sont pas associés à ce choix déterminant pour leur avenir. En effet, l’attrait physique ou l’acuité de l’amour des jeunes ne suffit pas pour engager les parents du prétendant à entamer le long processus des démarches en vue de conclure le mariage. Les mariages noués sur la base exclusive des sentiments réciproques des jeunes sont très rares. Dans la société traditionnelle malinké, il est plus question de mariage de raison que de mariage de cœur. Aussi, il est exclu qu’une femme éprise d’amour fasse le premier pas en direction de l’élu de son cœur. La frivolité, l’agressivité sentimentale ou sexuelle d’une femme sont considérées comme une effronterie voire un scandale. C’est pourquoi les femmes ont presque toujours fait preuve d’hypocrisie dans le domaine de l’amour en étouffant autant que possible les échos réels de leur cœur. Il revient donc toujours à l’homme le devoir de faire le premier pas manifeste, de faire la première offre qui peut d’ailleurs résulter des gestes incitateurs ou du clin d’œil subtil de la femme. Aussi, la règle veut que la femme rejette toujours la première tentative de l’homme non seulement pour savoir si la démarche est sincère, mais aussi pour ne pas être victime d’un coup de foudre passager comme on en connaît souvent dans le domaine sentimental. Il faut souvent se méfier des premiers venus. Les femmes qui ne respectent pas ces règles du jeu regrettent souvent leur naïveté ou leur faiblesse en se laissant abuser. Elles sont également victimes des railleries de leur partenaire qui peut se vanter de n’avoir rien fait de particulier pour avoir sa femme. Son charme, sa beauté, sa fortune... ont suffi pour faire courir sa partenaire. Mais si les règles du jeu sont respectées, l’homme doit faire preuve de persévérance et de servitudes diverses, preuves de son amour pour la femme convoitée et de son attachement à la belle-famille. Le contact n’est jamais direct tant avec la fille qu’avec ses parents. La déclaration d’amour ou de l’intention de mariage ne se fait jamais directement. S’agissant de l’amitié simple unissant les jeunes gens, généralement les négociations sont menées par une belle-sœur du garçon ou par une vieille femme. Il revient à ces deux catégories de personne de guider les premiers pas des jeunes amoureux, en raison de l’expérience de la vieille femme, et de la désinvolture des relations entre une belle-sœur et un beau-frère. Elles sont également chargées de gérer les éventuelles incompréhensions et conflits de jalousie par des conseils appropriés. Dans le cadre du mariage coutumier, le rôle d’intermédiaire entre les deux familles est joué par les griots, du moins dans la plupart des cas. Dans tous les cas, cet intermédiaire intervient toujours entre les amoureux, les conjoints ou entre leur famille respective pour régler tous les conflits.

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Lors des négociations de mariage, une fille convoitée ne se détermine presque jamais clairement. Elle se remet toujours à la volonté de ses parents en déclarant sagement: « Ne tè n yèrè di la tyè ma. N ta tè n yèrè di. N falu bara n di la tyè min ma ne ye sigila wole kun. » Ce qui peut se traduire par: « Je ne dois pas choisir moi-même mon futur conjoint, car je ne m’appartiens pas. J’épouserai l’homme que choisiront mes parents. » Par piété et par respect pour ses parents, et par honte, elle cache ses sentiments intimes et ne se laisse jamais aborder indécemment au su et vu de ses parents par un garçon, même par son fiancé légal. Son adhésion au choix fait par ses parents est un garde-fou, car en cas de difficultés matériels ou d’échecs dans la vie du couple ses parents ne peuvent pas lui rejeter la responsabilité du choix ou de ce qui arrive. C’est plutôt elle qui s’en prend aux siens de l’avoir envoyée aux enfers. En effet dans la plupart des cas le choix des parents ne correspond pas à pas l’élu de son cœur. Le garçon peut aussi être contraint de marier une fille qu’il n’aime pas. Parfois l’emprise de la famille sur lui est telle qu’il n’ose la braver en refusant le choix fait par elle ou en indexant celle qui retient son cœur. Il s’incline purement et simplement devant la cohésion de ses parents. Mais en cas de rébellion manifeste de l’adolescent, il est purement simplement renié et banni de la famille. La désobéissance de la jeune fille est très souvent imputée à sa mère que l’on accuse à tort ou à raison de complicité avec elle. Ensemble elles assument les conséquences de l’affront ou du refus. Très souvent la mère fait l’objet de répudiation avec sa fille. Cette mesure contre la mère peut faire fléchir la jeune fille qui se sent coupable des malheurs, des souffrances et brimades exercées par son père et ses oncles sur sa mère. Pour marquer la rupture avec leur fille, certains pères de famille déclarent: « N kumakan duman ye n den di. » ou encore « N kumakan ka fisa n den di. » qu’on peut traduire par: « Je tiens plus à ma parole d’honneur qu’à mon enfant. » « Saya ka fisa maloya di. » (= Plutôt mourir que de se laisser couvrir de honte) prétendent d’autres par excès d’orgueil pour décrier ou renier un enfant désobéissant. Donc contrarier une décision de ses parents est un outrage, un sacrilège impardonnable. Il est dit aussi que si tu désobéis à tes parents, tes enfants te feront autant, sinon pire (malédictions). Le mariage forcé et le mariage précoce sont souvent noués sur la base de l’engagement du père, d’un oncle, d’une tante ou d’un frère de la jeune fille ou du jeune homme. Le prétendant et ses parents doivent faire preuve de prodigalités et de servitudes diverses en direction de la fille et de ses parents. Certaines jeunes filles sont fiancées dès la naissance ou dès le jeune âge sans qu’elles ne soient associées de près ou de loin à la prise d’une telle décision qui engage leur vie. Dans certains cas, pour garantir la réussite d’un tel mariage, la jeune fille est confiée avant ou dès l’âge de la puberté à son fiancé qui 530


l’éduque à sa manière avec le concours des siens. Une telle pratique était assez courante. Les familles ne cherchaient qu’à relever leur honneur ou défendre leurs intérêts égoïstes au détriment du bonheur du couple. Au début, c’est un véritable malaise pour le couple; mais avec la pression des parents on parvient tant bien que mal à se résigner devant le triste sort, à accepter la situation comme une fatalité. On finit par s’accepter mutuellement surtout quand naissent des enfants qui sont un facteur d’union et d’entente. En effet le souci de ne pas traumatiser les enfants par les disputes intempestives, la volonté de les éduquer dans un même milieu ambiant et surtout la nécessité de se donner la main pour préparer leur avenir, certains parents qui se haïssent au départ finissent par se tolérer, par se comprendre voire s’aimer. Il faut aussi déplorer souvent le grand écart d’âge entre la jeune fille, parfois très mineure, et son conjoint qui peut avoir cinquante à soixante ans alors que la jeune fille a moins de vingt ans. Quelle incompatibilité d’humeurs et de caractères! Le mari au milieu ou au crépuscule de sa vie et l’épouse au seuil de la sienne. Ce sont deux personnes qui voient différemment la vie. (10) C’est là une des erreurs de la tradition et qui doit disparaître pour le bonheur du couple. B) - LES CRITÈRES DU CHOIX Le Malinké ne choisit pas sa femme comme il veut et ne la prend pas n’importe où et n’importe comment. Ce choix ne se fait pas au hasard. Il est motivé par des considérations sociales, mystiques, superstitieuses et physiques bien définies qui résultent de certaines expériences pratiques accumulées au cours des âges. Le mariage des cœurs est assez rare. D’une manière générale, le choix du conjoint ou de la conjointe relève de l’autorité exclusive des parents, car le mariage vise plus à unir deux familles que deux individus. Les parents du prétendant tiennent tant des caractères physiques et moraux de la convoitée que de la moralité de ses parents, surtout de celle de sa mère, car on dit que chacun épouse sa belle-mère (Bèè biranmuso le ye i kun) autrement dit, telle mère telle fille. Le choix surtout de la première conjointe ou du premier conjoint est une décision capitale qui revient à la famille. On remarque que: ● Pendant que le père soucieux de l’avenir matrimonial de sa fille cherche un homme généreux, indulgent, sérieux pour sa fille (mòò belebele, mòò sòbèn), ● La maman, quant elle, souhaite vivement ou recherche un homme riche pour sa fille (tyè fèntii ou tyè nafolotii). Elle le souhaite et fait des rêves dans ce sens. Alors que sa fille voltige, au gré des caprices de son cœur, derrière un voyou, un séducteur sans scrupule (un kanbelenba, mòòkoron). On distingue aussi trois types de beau-fils: « Dò senin a muso koron, waa a mako tè a birannu la. » (= Le beau-fils qui aime et entretient bien sa femme mais néglige ses beaux-parents, ou encore celui qui ne respecte pas ses beaux-parents. Le beau531


fils qui fait souffrir sa femme mais entretient bien et respecte pieusement ses beaux-parents.) « Dòlu ye ayi biran bunyela, wa muso sòndyani a kònò. » (= La troisième catégorie est le mari idéal qui concilie les deux attitudes. Il aime bien sa femme qu’il entretient bien tout en respectant ses beaux-parents qui bénéficient régulièrement de ses services.) « Dentii miriya dèsè ka a denmuso di tyè kèmè ma su kelen nò, ka a ban ka a furu bèè sa su kelen wo rò. » (= Tout père ou toute mère est très soucieux de l’avenir matrimonial de ses enfants notamment les filles. C’est même une obsession. Dans leurs méditations nocturnes ils peuvent donner en mariage leur fille à cent candidats et la leur retire pour telle ou telle raison ou parce que le profil d’aucun ne correspond à celui du mari idéal qu’ils souhaitent pour elle.) « Dòlu muso suturani; alu biranlu dyusu sumani, alu musontanya ka nyi. » (= Le meilleur beau-fils est bien celui qui aime, entretient matériellement et moralement son épouse, s’occupe bien, entretient et respecte ses beauxparents.) LES CRITÈRES DU CHOIX PRENNENT DONC EN COMPTE: 1) - LES CONSIDÉRATIONS MORALES La bonne moralité de la jeune fille ou de la femme est le facteur le plus important du mariage. Pour vite trouver un prétendant, une fille ou une femme célibataire doit prouver quotidiennement à son environnement social certains comportements vertueux dont entre autres: a) - être laborieuse b) - ne pas être frivole c) - ne pas être trop matérialiste d) - ne pas être querelleuse ou belliqueuse e) - être docile, respectueuse des aînés (être bien éduquée) f) - savoir écouter et accepter les conseils et encaisser les reproches des aînés 2) - LES CONSIDÉRATIONS SUPERSTITUEUSES ET PHYSIQUES a) - Critères superstitieux: Ne pas avoir perdu successivement - dans un intervalle très réduit - son premier et son deuxième mari. Il est dit que le troisième conjoint n’aura pas longue vie. Le veuvage simultané d’une femme la fait passer pour une mauvaise femme, une femme qui porte malheur (muso nòrò dyuu). Un homme marié qui se trouve dans la même situation rencontre également des difficultés pour se remarier à une troisième femme. C’est le: 532


« Gba sen saba » (= Les trois pierres du foyer. En effet la marmite ou la casserole ne se stabilise ou se cale que sur trois pieds ou trois supports.) En effet pour la tradition on ne peut préparer dans un canari posé sur un support de deux pierres, tout comme on ne peut attacher deux œufs. Il faut nécessairement une troisième pierre pour l’équilibre du canari. En d’autres termes, jamais deux sans trois. Il en résulte que les personnes se trouvant dans cette triste et pénible situation tournent longtemps en rond avant de connaître leur troisième mariage. C’est peut-être un préjugé dont certaines personnes malchanceuses sont victimes. Cette superstition est une profonde croyance née d’une longue expérience, d’un constat. b) - Critères physiques: Le Mandingue apprécie bien la belle femme, tout comme la femme aime et recherche le canon de beauté chez l’homme. Il est sensible à la beauté physique de la femme. Certains traits physiques de la femme l’attirent particulièrement tandis que d’autres le rebutent. Entre autres critères physiques on peut citer: ● La taille et la corpulence: La femme de grande taille et de surcroît harmonieusement potelée, proportionnée et bien moulée, est très appréciée et convoitée. C’est elle qui est susceptible de faire de beaux, grands et vigoureux enfants. Par contre les femmes malingres, naines ou trop grosses étant moins bien appréciées ont souvent des problèmes pour trouver un conjoint. ● Le teint clair: La prédilection est pour le teint clair (muso gbè le ma diani; sara ye muso gbè le la). ● Le nez: La forme du nez est un facteur déterminant dans la beauté humaine. On affectionne les femmes qui ont le nez droit et long (nunkala dyan). Celles qui ont le nez épaté sont souvent victimes de moqueries, mais ce trait physique ne constitue pas un handicap majeur pour ne pas être convoitées par des prétendants. ● La bouche aux lèvres minces est plus appréciée que celle qui est lippue (dagbolo ba) rebute souvent les hommes. ● Les yeux au blanc éclatant attire les hommes et surtout quand il s’agit de ceux qui sont gros (muso nyakisè kunba, muso nyakisè gbènin komi sanma lolo = une femme aux gros yeux qui scintillent dans l’orbite comme la lune au ciel). Dans l’amour les yeux constituent un moyen de communication et d’expressions qui peut traduire à l’autre partie les vrais sentiments. Ils sont souvent incitateurs et constituent des moyens de séduction. ● Les dents minces et bien blanches dont l’éclat mis en relief par des gencives noires naturellement ou noircies par traitements sont des éléments de charme fort bien appréciés chez la femme mandingue. ● Le cou avec des plis (mèrènè ou mèrèndè) est un canon de beauté vivement recherché chez la femme. Si le long cou (kan dyan ou kanfalanin dyan) est fort apprécié, il ne doit pas être trop penché en avant. Le mari d’une 533


femme qui porte un tel cou ne vivra pas longtemps. La position de son cou penchant indique qu’elle est attirée par la tombe et qu’elle enterrera plusieurs conjoints (muso nòrò dyuu). ● Les pieds et les jambes: Ne pas avoir les pieds plats (dugutaama). Une femme qui a de tels pieds porte-malheur à son mari qui ne connaîtra jamais la prospérité ni la paix du cœur. Ses semences pousseront mal et ses affaires commerciales seront toujours déficitaires. Aussi le mari de la femme aux genoux qui s’entre choquent ne garde jamais sa fortune pour longtemps (muso nòrò dyuu). Dès les premiers contacts, le prétendant et ses parents font particulièrement attention à ces traits physiques de la femme. On s’en rend compte par la démarche ou en scrutant les pieds. ● Les seins appelés saa (« mouton ») sinnu sont les plus appréciés parce qu’en dépit de la maternité ils ne tombent pas et gardent toujours leur forme. Malgré l’âge et les nombreuses maternités, ils se tiennent toujours debout, prêts à agresser les partenaires sensibles. C’est ce genre de seins que toutes les femmes rêvent de porter. Les autres formes des seins sont: fyè kurunin sinnu = seins en forme de calebasse, kenda kurunin sinnu = seins en forme de quenouille. Ce genre de sein est moins souhaité ou moins apprécié. Mais on dit chez nous qu’une fille ne porte jamais les seins qu’elle souhaite. ● Les fesses intéressent beaucoup les hommes notamment celles qui sont modérément grosses et bien arrondies. Les femmes qui en possèdent les balancent à volonté pour s’attirer l’attention envieuse des hommes. 3) LES CONSIDÉRATIONS SOCIALES Puisque le mariage vise plus à unir deux familles, deux clans... que deux individus, on cherche toujours à marier sa fille ou son fils dans une grande famille afin de bénéficier d’une plus grande solidarité. Aussi la famille de la fille doit être autoritaire, notamment son père et ses oncles afin de bénéficier des services d’une femme docile qui a peur de ses parents et est toujours disposée à respecter les engagements de ceux-ci. Les familles où l’éducation est faite avec rigueur ont toujours des prétendants pour leurs filles. On cherche aussi à se marier dans les familles nanties. 4) INCIDENCES DÉTERMINANTES DE LA MORALITÉ DES PARENTS DE LA FEMME Le comportement ou la moralité des parents - le père et la mère - du jeune prétendant ou de la jeune fille entre en ligne de compte comme élément d’appréciation pour nouer le mariage. La bonne moralité de la mère de la jeune fille est essentiellement visée. Pour qu’une fille trouve facilement un prétendant, il faut qu’elle ait: a) - une mère féconde

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b) - une mère fidèle, soumise et idéale, c’est-à-dire laborieuse et résignée supportant stoïquement toutes les injustices et brimades de son mari et des parents (père, mère, frères, sœurs, cousins, oncles et tantes) de celui-ci (muso dahani; muso dyusu sumanin; muso-nyani-tyè-la...). Les enfants d’une telle femme n’échouent jamais dans la vie affirme-t-on dans notre milieu traditionnel (Muso-nyani-tyè-la-den tè tola kò). Ils ont la baraka. Pour le Malinké chacun épouse sa belle-mère (Bèè biranmuso le ye i kun). En effet chaque fille s’identifie à sa mère qui est pour elle la femme modèle, la référence. Ainsi donc on retrouve en une fille toutes les qualités et tous les défauts de sa mère dans une grande mesure (telle mère, telle fille). En effet, une fille est toujours influencée dans sa conduite par sa mère. Parfois on cherche vivement à marier sa fille ou son fils dans une famille anciennement alliée (furubon kòrò). Dans ce cas particulier les deux familles n’étant pas à leur première expérience se ménagent mutuellement, se font des concessions, s’accordent des facilités. On a tendance à procéder par échange. Ces anciennes alliances favorisent les filles qui ne sont jamais isolées dans leur ménage. Elles se retrouvent toujours avec des sœurs, des cousins, des nièces ou des tantes dans la même famille polynucléaire, dans le même lignage, dans le même clan, dans le même village ou dans la même région. Un sentiment de fraternité et de solidarité particulièrement solide unit spontanément ces femmes issues de la même famille, du même clan ou du même village. En raison de leur ascendance maternelle commune, leurs enfants sont liés par cette affinité ou fraternité. Ils sont entourés de la même affection par leurs parents maternels (barin) qui sont les mêmes. c) - un père autoritaire: Un tel père maîtrise sa famille et se fait respecter, place facilement ses filles, car on se dit qu’en cas de litiges ou de dévoiement de l’épouse, un tel père impose à sa fille le retour sans condition dans son foyer (Muso kobatiila furu tè sala manamana lò). 5) LA CONCURRENCE Il y a des cas de concurrence entre plusieurs prétendants. Ce qui provoque une tendance folle à la prodigalité, au gaspillage, surtout si la jeune fille ou la femme convoitée et ses parents sont très cupides. C’est le prétendant le plus nanti ou le plus prodigue qui gagne la fille. Celui-ci, par orgueil ou par vantardise ou par naïveté, se laisse exploiter et devient le soutien matériel et moral de la belle-famille. Ainsi, il perd beaucoup de sa fortune ou peut s’en retrouve souvent et totalement ruiné. Dans ce cas on est en droit de parler de vente de la fille. Mariée dans de telles conditions, elle devient une espèce d’esclave, car la dot versée est si importante que ses parents sont incapables - en cas de divorce - de rembourser le mari qui le lui fait entendre fièrement et arrogamment et à tout moment. Et ses parents sont pour cette raison insensibles à ses misères. Quel malheur pour elle! Pourtant elle ne reçoit rien de la dot qui

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enrichit son père et permet à celui-ci de marier une nouvelle femme ou de doter la femme d’un frère majeur de la jeune fille. Depuis l’indépendance de l’Afrique, on assiste heureusement à une libéralisation du mariage, à une reconversion des mentalités, donc à un recul progressif de la contrainte dans le mariage. Dans certains états africains, des mesures judiciaires coercitives interdisant le mariage forcé, le mariage précoce et la polygamie ont été prises. Ainsi les jeunes sont de plus en plus responsabilisés et associés au choix de leur partenaire. Ils ont maintenant le droit de refuser la contrainte de leurs parents dont le choix est très souvent contraires et préjudiciable à leur amour. Cette protection de la femme est mal accueillie dans les milieux orthodoxes et est à l’origine de plusieurs conflits opposant aujourd’hui parents et enfants dans le domaine matrimonial. Dans les familles libérales et en cas de plusieurs candidatures, un conseil de famille se réunit et présente à la jeune fille les différents paquets de colas (woro lasiri) qui symbolisent chacun un candidat. Chaque paquet contient dix noix de cola blanches et rouges de grosseur phénoménale, enveloppé, si possible, dans des feuilles vertes et le tout soigneusement attaché par un fil de coton blanc. Les dix noix de cola constituent l’acte officiel de candidature. La jeune fille choisit librement, parmi les différents candidats, le paquet de l’élu de son cœur, c’est-à-dire celui de son futur époux qui correspond presque toujours à celui pressenti ou soutenu par sa mère. En effet une telle famille libérale ne rejette à priori aucune candidature. Elle se réunit pour statuer sur tous les cas. Les candidats non retenus reçoivent leur paquet de colas par le biais de leur intermédiaire respectif. Évidemment on y adjoint des excuses et regrets à l’endroit de chaque famille non retenue tout en précisant la totale disponibilité du clan (kabila) sollicité pour nouer d’éventuels mariages puisque la demande en cours n’a pas été agréée. Parfois même on prend la précaution de dire « Alu la muso dyulu ye an na » c’est-à-dire: « Nous restons vous devoir une femme ». Cette démarche de restitution de colas se fait avec déférence et finesse pour ne pas indisposer le clan solliciteur dont on aura peut-être un jour à demander la main d’une fille en mariage. Pour ne pas être débouté avec rappel du passé, la mauvaise nouvelle est communiquée avec beaucoup de politesse. Le candidat qui a l’assentiment de la mère de la fille est presque certain de gagner. C’est pourquoi certains prétendants s’accrochent beaucoup plus à la mère de la fille qui a plus de contacts avec elle et exerce par conséquent sur elle une réelle emprise plus que le père ou toute autre personne de la famille. En raison de son influence déterminante dans la conduite de sa fille, la maman a toujours été - rarement à tort - accusée de complicité avec elle surtout quand celle-ci refuse le candidat qui a l’assentiment du père, de l’oncle responsable du mariage, d’un frère aîné ou de toute la famille. C’est pour quoi elle est très souvent brimée voire répudiée chaque fois que sa fille brave la volonté paternelle ou familiale.

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L’existence de plusieurs candidats a toujours été source de conflits, créant dans la famille des clans favorables à tel prétendant ou hostiles à tel autre. Chaque partie use de son influence auprès de la fille, de sa mère ou du père qui sont écartelés entre les différentes tendances. Dans certains cas - certes rares - on se réfère à la volonté de la fille pour trancher le litige. Le clan battu se sent humilié et manifeste une attitude maussade et indifférente à l’endroit de la fille et de son mari qui sont toujours reçus à froid dans ce milieu. À la longue, le beau-fils et la fille prennent l’initiative d’un rapprochement et généralement on finit par tolérer et accepter le mariage, puis c’est la réconciliation qui est facilitée avec la naissance des enfants. En raison de la fierté et de l’amour qu’ils ont pour leur future progéniture, les grands-parents ne refusent rien à leurs petits-enfants. Ils sont d’ailleurs très réceptifs à tous les propos, même les plus désobligeants, de ceux-ci à leur endroit. Entre eux, il n’y a que raillerie: Manden kònò, ko tè latònna mamarèn na. (= Au Mandingue, on ne sanctionne pas un petit-fils, on supporte ou on tolère tous ses caprices, tous ses écarts de langage et de comportements.) Dans les familles unies et conformément aux principes de la tradition, le père s’efface volontairement et laisse le soin à un de ses jeunes frères qui endosse la responsabilité totale et entière du parrainage du mariage de ses neveux et nièces. Évidemment celui-ci, bien que souverain, doit prendre la précaution de réaliser le consensus autour du prétendant qu’il soutient. Aussi il tient très souvent compte de la tendance de son frère aîné, le père de la fille. Selon la tradition le privilège de donner en mariage une fille revient au jeune frère de son père qui suit immédiatement celui-ci, dans l’ordre des naissances. Donc dans la famille chacun étant précédé toujours d’un grand frère, chaque oncle ou cousin a la chance de parrainer un ou plusieurs mariages de ses nièces et neveux. Quand le père de la fille ne peut ouvertement soutenir un prétendant par crainte d’indisposer son jeune frère responsable et dont il doit ménager la susceptibilité, il passe toujours subtilement par les amis de celui-ci pour le dissuader ou pour le faire rallier à sa position. Cette intervention ou démarche doit se faire subtilement afin de passer aux yeux du jeune frère comme une initiative personnelle de ses amis. Ceux-ci arrivent toujours à le faire fléchir dans le sens voulu par son frère (le père) si leurs positions sont divergentes. Le rôle des jeunes oncles dans l’éducation et le mariage des nièces est déterminant. C’est pourquoi l’on voit beaucoup de prétendants s’appuyer toujours sur un ou plusieurs oncles de la fille pour faire leurs premiers pas dans la famille ou dans le clan. Les frères de la fille sont informés des décisions prises par les oncles mais n’ont pas un pouvoir de décision. Il appartient à l’oncle allié d’embrigader les autres oncles et toute la famille afin d’accepter le prétendant ou beau-fils (bilantyè = birantyè) retenu par lui. Le terme biran est indifféremment employé pour désigner toute personne liée à quelqu’un, à une famille, à un clan, à une ethnie par le lien du mariage. 537


6) - LE MARIAGE FORCÉ ET LE MARIAGE PRÉCOCE ----------o---------« Le mariage forcé consiste à marier les enfants (en tout cas au moins l’un des conjoints ou parfois les deux) contre leur volonté. Les deux familles, pour des raisons personnelles, le font sans associer les conjoints dont le consentement réciproque n’est pas pris en considération. Alors que le mariage précoce consiste à marier une jeune fille mineure très souvent contre sa volonté à un homme choisi par ses parents. La pratique de l’un et de l’autre cas était jadis très courante dans la société traditionnelle mandingue. » Daouda Damaro CAMARA ----------o---------Il existait dans la société traditionnelle mandingue deux pratiques courantes, dans le domaine du mariage, qu’il faut désavouer. Il s’agit du mariage forcé et du mariage précoce. Le mariage consiste certes à unir deux personnes de sexe opposé (un homme et une femme) pour vivre ensemble et au-delà fusionner leurs familles biologiques respectives. Mais parfois, les conditions de réalisations de certaines unions ne se faisaient pas dans l’intérêt exclusif des deux conjoints. On donnait parfois sa fille en mariage à un homme qui n’était pas toujours son choix, mais celui de ses parents (le père, un oncle, une tante...). On pouvait aussi imposer à un homme une épouse qu’il n’avait, jamais connue ou qu’il connaissait mais n’aimait pas, vice versa. Il ou elle n’était jamais associé au choix de la conjointe et du conjoint. C’était un mariage d’intérêt ou de raison pour les parents des deux conjoints. Donc il s’agissait de mariage de raison et non de mariage d’amour. Dans une telle situation, les deux conjoints étaient contraints de vivre ensemble sans amour. Mais par peur des représailles des parents ils étaient contraints de vivre ensemble et de faire des enfants qui, souvent, étaient des « mal-aimés » et souffraient atrocement de ce manque de sentiments réciproques des auteurs de leur vie, l’un pour l’autre. Parfois même, les futurs conjoints ne s’étaient encore jamais vus. Leur premier contact physique n’intervenait que le jour du mariage. Il arrivait que les liens de mariage par engagement réciproques des parents se jouent depuis que le rejeton est à l’état de fœtus. C’est ainsi qu’on entendait certains parents dire: « Ma femme est en état de grossesse. Si le rejeton est une fille, elle sera ta femme ou celle d’un de tes fils. Et si c’est un garçon, il portera ton nom. »

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Parfois même on attachait symboliquement une corde ou un chiffon au bras de la petite fille dès sa naissance. Ainsi fiancée au berceau, elle grandissait sous le nom de son fiancé jusqu’à l’âge du mariage. Dans ce cas celui-ci était tenu de l’entretenir régulièrement et de rendre de menus services à ses parents, jusqu’au mariage et pendant toute la vie du couple. Ce qui constituait une corvée pendant permanente à laquelle le fiancé et ses parents ne sauraient se soustraire. Devant un tel engagement, on ne peut parler d’amour réciproque des futurs conjoints. Parfois on commettait la bêtise de confier, en éducation, la petite mineure à son fiancé. Dans ce cas de figure, le mari consommait précocement la virginité de sa femme, c’est après que les formalités de mariages étaient régularisées. C’est ainsi qu’on voyait des fillettes de douze à treize ans devenir précocement mère. Ici, on ne peut parler d’amour des conjoints. Très souvent c’est la jeune fille qui en est la victime inconsolable. Parfois l’écart d’âge est si grand qu’il s’agit de deux personnes qui voient différemment la vie et le monde. Quant au mariage forcé, les deux conjoints peuvent se connaître apparemment de vue, mais ne s’aiment pas du tout. Mais par respect pour leurs parents, ils sont contraints de se soumettre à la volonté de ceux-ci. Il faut noter que parfois certains mariages forcés et mariages précoces connaissaient la réussite, car les deux conjoints finissaient par se tolérer, par s’accepter, par vivre ensemble, par faire des enfants, bref, par unir leur destin. Dans ces deux formes de mariage, les conceptions de la vie sont différentes et surtout opposées. Dans ces cas de contraintes il n’y a pas de bonheur véritable. Dans l’un ou dans l’autre cas, ces deux pratiques de mariage (mariage précoce et mariage forcé) étant dépourvus de sentiments d’amour réciproque, souffrant aussi d’une incompatibilité notoire d’humeurs, le couple vivait profondément frustré voire malheureux. Pour le bonheur des conjoints, il faut bien tenir compte de leurs sentiments et associer les deux sujets au choix fondamental de leur futur conjoint ou conjointe, car la vie en commun est si longue et parfois si difficile qu’on ne doit pas passer tout le temps à se détester. C) - LES NÉGOCIATIONS DU MARIAGE (FURUKO TAAMA) Le mariage est un acte sacré qui anoblit. Il est entouré de beaucoup de protocoles (naamu ou laana) dont certains détails varient suivant les régions. Certaines familles et certains clans se montrent très exigeants, par contre d’autres sont plus conciliants, plus tolérants. Le prétendant ne se présente jamais personnellement dans la famille de sa future fiancée pour solliciter la main de celle-ci et remplir les multiples formalités d’usage. « Muruda dilara nya-nya, a tè se ka a yèrè kala masa. » 539


Ce qui se traduit par: « Si tranchant soit-elle, une lame de couteau ne peut, tout en étant emmanchée, polir sa propre manche, » dit un adage malinké. En effet, un homme si puissant soit-il, si riche soit-il ne peut lui-même formuler sa propre demande de mariage et remplir lui-même les formalités nécessaires. Une initiative de ce genre est rejetée et le projet de mariage est purement et simplement abrogé. C’est une injure pour les beaux-parents. On ne marie pas sa fille à un seul homme (Muso tè di la tyègbanna kelen ma) ou à un aventurier. Si le prétendant est un étranger qui a longtemps résidé dans la famille ou dans la communauté villageoise ou dans la région, il doit se confier à une famille qui l’adopte comme sien et se substitue ainsi à la sienne. Dès qu’un fils atteint l’âge de se marier ou dès qu’un homme manifeste son intention de se marier et que son projet est étudié et approuvé par le conseil de famille qui en décide de l’opportunité, car on ne peut pas se marier que pour soi-même, il appartient à ses parents de choisir un intermédiaire (furu nyèlò ou furu soma) entre les deux familles pour engager le processus de négociations. Il s’agit d’une très longue et parfois onéreuse démarche qui exige de la part du prétendant et de ses parents de l’abnégation, de la soumission, du respect, de la servitude et surtout de la patience. Le furu nyèlò tente de prendre discrètement une série de contacts avec un membre influent ou un allié intime et émérite de la famille de la fille afin de tâter le terrain, d’avoir des précisions sur la situation matrimoniale de la fille, de sonder les opinions et de jauger les éventuelles difficultés. Il ne fonce jamais directement sans prendre le pouls exact. Il doit donc être une personne habile et habituée à ce genre de tractations. Généralement l’aboutissement heureux et rapide des démarches dépend de son talent de négociateur habile et persévérant. Il doit savoir « circuler » entre les deux familles, éviter les crises en sachant trouver les mots qui conviennent aux uns et aux autres et enjamber les difficultés et incompréhensions inhérentes. (11) Généralement ce sont les griots appelés nyamakala (Kouyaté, Diabaté...) et ceux qui portent des noms nobles de Koné, Keita, Kourouma, Camara Fina... auxquels ils se sont entièrement assimilés, qui sont spécialisés dans les négociations de mariage. Détenteurs des généalogies des familles, des chroniques populaires, enrichis des expériences accumulées, ils savent sensibiliser les familles, réduire les difficultés et différends et harmoniser les positions en créant le consensus. Si ce sont deux familles alliées qui ne sont pas à leur premier mariage (furubon kòrò), les choses s’arrangent facilement. Dans ce cas la famille sollicitée ne fait pas attendre longtemps pour se réunir, discuter, délibérer et donner une suite-généralement favorable-à la requête et accélérer le processus. Dans le cas contraire, le furu nyèlò, après avoir acquis à sa cause un ou deux membres influents de la famille sollicitée, doit faire preuve d’habileté, d’éloquence en mettant en évidence les avantages moraux et matériels (dyigi) que chaque famille ou chaque clan doit tirer de ce mariage. Il est à l’aise dans 540


ses propos quand il est mandaté par une famille nombreuse et de surcroîts nantis. Il met souvent l’accent sur le sérieux, l’importance et la constance de la solidarité effective dont bénéficiera les parents de la fille en cas de nécessité (incendie, travaux champêtres, construction de maison, circoncision, excision, mariage...). C’est pourquoi le malinké affirme que le mariage est un ciment qui soude indéfiniment les hommes, les familles, les clans, les villages, les tribus: Furu kènin dyulu le di. = Furu kènin nònbò ne di, min ye mòòlu bolo donna nyòòn bolo. Donc la tendance des parents est de marier leurs enfants dans une grande famille et de surcroît autoritaire (kabilaba) afin de bénéficier d’une solidarité constante à grande échelle. Aussi une fille issue d’une telle famille n’ose pas outrager ses parents et reste toujours soumise à son mari. Eduquée avec rigueur elle accepte facilement les différentes servitudes à l’image de sa mère qui a docilement supporté les injustices, les brimades et les rigueurs de l’autorité maritale à laquelle elle doit se plier pour la réussite matérielle et morale de ses enfants (baraka) et pour son salut dans le monde de l’au-delà. C’est pour elle la seule manière de pouvoir entrer au Paradis, corrobore l’Islam. En effet il est dit que l’appréciation du mari pèsera de façon déterminante dans le jugement de la femme mariée le jour du dernier jugement. D) - LA PRÉSENTATION DES DIX NOIX DE COLA (WORO LABÒ) ----------o---------« Woro-tan-nasiri le muso kèla dyòn di. » C’est-à-dire que: « Ce sont les dix noix de cola qui asservissent une femme, qui la contraignent à la soumission totale à son mari. Une femme mariée est esclave par les liens sacrés du mariage, » chantent les griots mandingues. ----------o---------C’est le premier pas ou l’acte officiel de la famille du prétendant en direction de la belle-famille. C’est la formulation officielle de la demande de mariage. Dès que le sondage discret s’avère favorable et que l’intermédiaire (furu nyèlò) et ses mandants ont trouvé des soutiens moraux certains, prêts à défendre leur cause, cette demande est officiellement introduite. Première étape: Le premier colis ou tas de dix noix de cola est appelé foli woro (salutations ou premier contact officiel avec la belle-famille): Chez les Malinké, la bonne et noble intention est confirmée ou matérialisée par la présentation de dix noix de cola appelés colas de salutations ou d’introduction dans la famille sollicitée. Il s’agit de saluer la famille à travers les doyens. De nos jours, une somme symbolique de 100 francs, de 200 francs, 541


de 1.000 francs, de 5.000 francs, de 10.000 francs ou plus, selon les moyens de la famille solliciteuse (woro-tan-nasiri ani a kan la). On peut donc cumuler ces deux procédures en une seule (premières salutations ou première prise de contacts + informations sur la situation matrimoniale de la femme). Deuxième étape: Deuxième tas de dix noix de cola est appelé « worotan-nasiri filanan = nyininkali woro ». Ce deuxième geste vise à obtenir des informations sur la situation matrimoniale de la fille ciblée. Il s’agit de savoir si la fille ou la femme concernée est fiancée ou pas. Si on est situé sur son statut et que celui est intéressant, on revient ensuite pour engager et poursuivre la longue procédure. Après donc la salutation d’usage, on introduit un second colis de dix noix de cola dans le but de demander à la famille sollicitée si leur fille ciblée n’est pas fiancée. Ici aussi, le tas de colas est accompagnée d’une somme modique, symbolique. En cas de réponse positive, c’est-à-dire quand la fille n’est pas fiancée, on passe à la phase suivante. Mais au cas où la réponse n’est pas bonne, tout le processus s’arrête là, et la famille sollicitée exprime ses regrets et avec courtoisie demande aux demandeurs de porter leur choix sur une autre fille de la famille ou du clan. Troisième étape: Le troisième tas ou colis de dix noix de cola (woro-tannasiri sabanan) correspond à la demande formelle et officielle de la main de fille ciblée en mariage, puisque le terrain est favorable. Et à partir de ce geste, il faut déclencher entièrement et irréversiblement le long processus de mariage qui vise plus à unir deux familles, deux clans que les futurs conjoints. Mais attention! À chaque étape, évitez de friser la vantardise; évitez donc de faire étalage de votre fortune, car on risque de vous renvoyer en vous disant qu’il ne s’agit pas d’une marchandise, mais d’une personne qu’on ne peut acheter. Même si le prétendant et ses parents sont des nantis, la règle traditionnelle les oblige à se conformer avec modestie à ces symboles précis. Le paquet de colas n’est jamais directement remis au père de la fille, au doyen du clan (kabila kuntii) ou à l’oncle de la fille responsable du mariage. La famille sollicitée désigne toujours un intermédiaire qui doit recevoir et canaliser les démarches vers qui de droit. Et le doyen du clan ou de la famille sollicitée supervise le tout afin d’éviter les fausses notes. Dans la plupart des cas, la famille solliciteuse s’adresse pour la transmission de ses messages à un allié intime des parents de la fille qui saura user de son influence pour résoudre les éventuelles difficultés. Même si les personnes qui décident du sort de la fille sont contactées individuellement et discrètement, il appartient au doyen de les en informer officiellement soit individuellement, soit en conseil de famille. Ainsi chacun doit se sentir concerné par le projet et commence à faire dorénavant attention au postulant, à ses parents et à leurs alliés. Cette démarche tend à faire éviter de prendre des cadeaux du prétendant dont la candidature est à rejeter pour telle ou telle raison. Généralement aucune décision définitive n’est prise à 542


l’issue de la première réunion d’information, surtout quand on se trouve en face de plusieurs prétendants. Dans ce cas on laisse à chacun le temps de réfléchir, d’enquêter sur la moralité du ou des prétendant(s) et de leurs parents. Tout prétendant qui a une mauvaise réputation - ou ses parents - est combattu et écarté. Aussi le mariage en cours est compromis si un mariage précédent entre un parent du prétendant et une femme de la même famille sollicitée a été un échec par la faute du mari ou si celui-ci a fait preuve de méchanceté, de brimades ou de sévices sur sa femme ou si au cours des querelles il a commis la maladresse d’insulter ses beaux-parents (bisannin nèn dyan). Les griots peuvent être nombreux si la belle-famille est très exigeante, susceptible et très nombreuse. Dans ce cas, le démarcheur principal peut se faire renforcer par d’autres griots disponibles qui l’aident à résoudre les problèmes ou surmonter les embûches. S’il y a divergence, c’est-à-dire des opposants et des partisans, on évite d’offenser les uns et les autres. Les sages du village se joignent au doyen du clan (kabila kuntii) pour convaincre les uns et dissuader les autres et réaliser le consensus. Dans le cadre d’une famille profondément divisée, incapable de prendre une décision définitive, le prétendant tourne en rond entre les membres influents de la famille ou du clan qui ont pouvoir de décision afin d’être situé sur sa demande. En l’absence d’un responsable autoritaire et ferme, chaque oncle ou chaque membre de la famille prend de l’importance et pèse lourd dans la balance. Alors le prétendant a l’impression de se trouver dans un véritable labyrinthe, sans issue. Dans une telle situation anarchique, on qualifie la bellefamille d’irresponsable (den kelen, fa kèmè = une fille ou un enfant à plusieurs pères, responsables). Qu’il soit seul ou qu’il soit opposé à d’autres concurrents, le prétendant doit toujours faire preuve de patience, car les parents de la fille ne sont jamais pressés de réaliser le mariage. C’est parfois une situation sciemment créée pour jauger l’amour, le sérieux et l’attachement du futur gendre qui doit donner, à tout moment, la mesure de certaines vertus ou faire preuve de patience. Si on a des griefs contre le prétendant ou contre sa famille, on retourne immédiatement les dix noix de cola par le truchement de l’intermédiaire (furu nyèlò) tout en précisant les motifs du rejet. Parfois le prétendant et ses parents insistent et tentent de faire intervenir la collectivité, les sages du village ou les alliés de la famille sollicitée pour trancher le différend qui les oppose pour parler ensuite du mariage. C’est après la réconciliation, si celle-ci est possible, que la démarche est reprise sur de bonnes bases. Si la rupture est irréversible, on enterre purement et simplement le projet. Il en résulte parfois une véritable haine qui oppose pour longtemps les deux familles ou les deux clans qui sacrifient, souvent dans un baroud d’honneur parfois stupide, l’amour des deux jeunes. En cas d’amour sincère unilatéral ou réciproque, on peut se trouver en face d’un cas de rébellion notoire de l’un ou des deux jeunes. Certains, poussés par leur amour, bravent leurs parents et décident d’unir leur destin contre la volonté de 543


ceux-ci. Souvent, ils sont bannis. Ces cas extrêmes sont rares. D’autres moins audacieux prennent peur et se repentissent. Mais les plus irréductibles se montrent intransigeants et préfèrent rompre avec leurs parents hostiles à leur union et consomment le mariage sans la bénédiction de ceux-ci, espérant, qu’avec le temps, ils céderont aux interventions et pressions exercées sur eux de toutes parts. La naissance des petits-enfants auxquels aucun grand-parent ne peut résister facilite très souvent le rapprochement et la réconciliation. On finit par tolérer, par accepter le mariage, souvent bien des années plus tard. Les parents sont outragés par la désobéissance de leurs enfants en matière de mariage par crainte que le mauvais précédent ne fasse tache d’huile et n’inspire d’autres enfants. C’est pourquoi les représailles de certains pères sont très violentes, ce qui leur permet d’éviter le désordre dans la famille. Ils sont souvent inflexibles à tous les bons offices tant que l’enfant rebelle outrage leur autorité ou ne renonce pas à son choix. Au plus fort de l’affrontement ou de la crise qui oppose la fille à ses parents - c’est sur ce terrain où l’affrontement est le plus fréquent - le garçon, pour s’assurer la fidélité irréversible de sa bienaimée, se fait lier à celle-ci par un serment inviolable, en dépit des multiples pressions exercées sur elle, par ses parents. Il lui fait croquer une tranche de cola transpercée d’une aiguille en jurant de ne jamais le trahir au profit d’un autre candidat (ka woro kè muso kònò). Selon la tradition en cas de parjure, même avec la contrainte de ses parents, elle meurt inévitablement. Pour la sauver, il faut qu’elle accepte de dénoncer son amant et que celui-ci vienne la délier en versant l’eau (ka dyi bon; ka woro bò a kònò) au cours d’une cérémonie appropriée. Certaines femmes mariées sont demeurées stériles ou sont mortes pendant l’accouchement pour avoir refusé de dénoncer le serment. Aussi par crainte de châtiment corporel, certains amants ont fait manger la cola (ka woro kè a kònò) à leur partenaire qui ne doit jamais porter à la connaissance de son mari qu’ils ont eu des relations sexuelles (avant ou pendant le mariage (ka tyè tòòfò kè). Dans notre milieu traditionnel, ce serment de la cola produit l’effet d’un dangereux poison. Quand il n’y a pas de divergences fondamentales, les parents de la fille retiennent les dix noix de cola mais retardent la réponse afin de permettre une large diffusion de la demande au niveau de tous les parents et alliés. Au cas où la fille sollicitée est déjà fiancée, ses parents retiennent parfois les colas et chargent l’intermédiaire (furu nyèlò) d’informer la famille postulante de leur regret de ne pouvoir agréer la demande. Mais si cela lui convient, elle peut porter son choix sur une autre fille du même père, de la même lignée, du même clan ou du même village. Cette démarche prouve encore que le mariage vise plus à unir deux familles, deux lignages, deux clans que deux personnes. Très souvent on accepte l’excuse et l’honneur faits. Parfois, on se retire sans rancune après un tel honneur ou une telle courtoisie. Mais si la nouvelle proposition est acceptée par la famille solliciteuse, le projet devient une dette (musoko dyulu) que la famille sollicitée devra obligatoirement payer peu après, si une autre fille 544


du même clan intéresse le prétendant et ses parents. Cette proposition peut aussi être exploitée au profit du même prétendant ou de celui d’un autre fils du clan demandeur. Il y a des cas où la famille sollicitée propose immédiatement, en guise de remplacement, la jeune sœur de la fille désirée ou une de ses cousines du même clan. Dès que le premier pas officiel (la présentation de la cola) est fait, la bellefamille est rassurée sur les nobles intentions du prétendant et de ses parents. Si la réponse à la demande est favorable, les fiançailles sont consommées officiellement par toute la communauté villageoise. Dans ce cas tous les autres prétendants s’inclinent devant la volonté des parents de la fille. Ainsi tous les soirs, le fiancé retenu est tenu et a le droit de venir causer librement avec sa bienaimée, souvent en compagnie de ses amis, pour être moins gêné devant sa belle-mère et sa dulcinée. D’ailleurs, il évite presque toujours de manger chez ses beaux-parents. Mais il faut noter que pendant la lutte ou la concurrence pour obtenir les faveurs de la fille et de ses parents, notamment sa mère, la visite de courtoisie est permise à tous les candidats en lice. Ceux-ci redoublent d’ardeur, multiplient les fréquentations et les services, font la corruption avec de l’argent et d’autres cadeaux matériels, à tous les niveaux de la belle-famille. Chaque candidat cherche des alliés, se déploie dans la mesure de ses moyens, soudoie, fait des promesses parfois fallacieuses à la fille, à sa mère ou à toute personne influente de la famille qui a pouvoir de décision: « Muso-nyini-kan ani muso-ta-kan tè kelen di. » Ce qui signifie que: « Le langage employé pour séduire une femme est bien différent de celui plus réel qu’on utilise pour la conserver. » En effet, le séducteur se fait toujours passer, sans modestie, pour l’homme le plus sérieux, le plus généreux, le plus riche, le plus beau, le plus galant, le plus prodigue... Malheureusement l’expérience prouve que naïvement, la femme se jette vite et toujours dans les bras d’un tel homme (kanbelenba) qui lui fait toujours les belles promesses qu’ils ne réalise jamais. Ainsi on reconnaît que c’est le menteur qui gagne la femme: « Kanbelenba le bè muso sòrò. » ou encore: « Wuya-fòla ta le bè muso di. » Tous les prétendants et leurs parents mènent constamment des actions de charme en direction de la fille et de ses parents qui profitent de divers cadeaux et services jusqu’à la désignation du fiancé officiel. Après cette clarification, cette tendance à la prodigalité à outrance prend fin ou diminue. Mais cette corvée ou cette contrainte de respect et de services continue pour l’heureux prétendant jusqu’à l’accompagnement de la femme et même pendant tout le temps que dure le mariage. Toute défaillance notoire du gendre - manque de solidarité et de respect - entraîne souvent le rappel de la femme mariée par ses parents. Celui-ci est traduit devant le conseil des sages. Il est vivement réprimandé et contraint de présenter ses excuses publiques à ses beaux-parents. En cas de récidive, ceux-ci peuvent casser le mariage. 545


Dès qu’une candidature est agréée, l’intermédiaire (furu nyèlò) est convoqué pour apporter la bonne nouvelle dans la famille de l’heureux gagnant. Cette réponse est lente à obtenir; elle peut intervenir bien des mois ou des années après la présentation officielle des premières dix noix de cola. « Nyina bara woro ta » ou bien « Nyina bara woro nyimi. » Ce qui signifie: « La souris a volé la cola. » ou bien encore « La souris a mangé la cola. » sont des formules laconiques qui expriment l’agrément de la fille et de toute sa famille en faveur du candidat que la famille trouve digne de mériter l’union sacrée et légitime avec la femme convoitée. Puis on ajoute: « Sira bara laka. » C’est-à-dire que: « La route est libre, grandement ouverte devant la famille du prétendant », en d’autres termes, les fiançailles sont consacrées ou consommées. C’est alors que les femmes de la famille du candidat élu, soutenues par tout le clan et les alliés, viennent massivement et spontanément exprimer leur satisfaction (barika bò). Elles viennent danser dans la belle-famille. Soutenues par les tam-tams, elles reprennent en chœur, à travers le village ce chant parabolique de réjouissances: « Dolu la samara dyulu tèèla, anu la samara dyulu tuuna. » Ce qui signifie: « Les autres (concurrents) ont abimé, déchiré ou coupé inutilement leurs chaussures à force de marcher, tandis que les nôtres ont tenu, ont été renforcées et soudées. » En d’autres termes nous avons gagné la fille parce que ses parents nous font confiance et elle nous aime aussi. Bien d’autres chants de circonstances expriment la joie et la fierté de la famille élue et témoignent la reconnaissance de celle-ci à l’endroit de la belle-famille. Ces chants sont aussi pleins de diatribes et de moqueries à l’endroit des autres malheureux candidats qui, à l’audition de ces chants paraboliques, méditent sur leur mésaventure ou leur échec et regrettent certainement les cadeaux faits et les nombreux services rendus ainsi que le temps perdu. Dans ce baroud d’honneur ils ont dépensé beaucoup d’argent et se sont avilis devant tous les parents de la fille. Ces réjouissances sont toujours précédées et suivies d’une grande mobilisation de la visite d’une importance délégation de sages de la famille de l’heureux élu et de leurs alliés qui vient se recueillir sous le toit du doyen des beaux-parents, chez le père ou chez l’oncle responsable de la fille ou encore chez le doyen du clan donateur. Guidés par l’intermédiaire, ces délégués traduisent leur satisfaction et expriment leur fidèle attachement à la bellefamille, car l’honneur fait à eux à travers leur fils rehausse leur prestige dans le clan et dans le village. Ils ne tarissent pas d’éloges et font comprendre qu’audelà d’une simple question de femme, ils ont voulu tendre la main à toute la famille, à tout le clan, à toute la tribu ou à tout le village de la fille. Par ce lien de mariage, les deux familles sont désormais unies pour le meilleur et pour le pire. Ces différentes manifestations de réjouissances et de remerciements s’appellent le « barika bò ». Dans certaines régions, la jeune fille doit, lors d’un 546


conseil de famille restreint ou élargi, casser une noix de cola prélevée dans le paquet envoyé par les parents de son futur époux, puis elle doit croquer séance tenante une partie ou la totalité d’un cotylédon ou en donner à certaines de ses meilleures amies qui l’accompagnent. Ce qui donne la preuve de son assentiment pour le projet de mariage. En plus, dans d’autres régions, elle apporte à son fiancé le deuxième cotylédon de la cola qu’elle a cassée et dont elle a croqué une partie de l’autre cotylédon. C’est le: « worokurun malò » (= accompagner le morceau de cola). Ce qui constitue la confirmation de l’engagement de la fille et de ses parents. Mais cette démarche n’est pas indispensable. On peut s’en passer. Il faut noter que ce séjour de la fiancée chez son futur mari doit être de courte durée, car il faut éviter que le fiancé et ses parents, surtout sa belle-mère et ses belles-sœurs, ne décèlent très tôt chez l’étrangère de mauvais comportements de nature à les décourager et qui puissent compromettre le mariage. Lors de ce premier contact, elle subit toutes sortes de tests, de provocations... pour apprécier ses susceptibilités et sa capacité d’encaisser les blasphèmes et sarcasmes, aussi sa disponibilité pour les travaux ménagers et sa sociabilité sont des critères d’appréciation. Parfois le deuxième cotylédon, de la noix de cola cassée, mangé en partie par la fiancée est expédié au fiancé par le truchement d’une sœur ou d’une cousine de ce dernier. Cette démarche vise à rassurer le fiancé et ses parents que sa candidature est officiellement et définitivement agréée par la fiancée. Quelques jours ou semaines plus tard, les parents du fiancé font parvenir le deuxième paquet de colas (woro filanan) sur leur propre initiative ou à la demande des beaux-parents. Généralement après réception de ce deuxième message appelé « muso ka nabila woro », les parents de la fille sont très prompts à répondre favorablement en ces termes: « Alu muso bara ka nabila alu ye. » Ce qui signifie: « Votre femme est entièrement à votre disposition; il ne tient plus qu’à vous de célébrer le mariage quand vous voudrez; venez donc la doter (Alu ye furu kè) pour qu’elle vous rejoigne. » Cette deuxième étape constitue la confirmation de la bonne disposition des parents de la jeune à nouer le mariage et la preuve de l’irréversibilité du noble engagement du fiancé et des siens. Ainsi, le conseil des sages et toute la collectivité villageoise ou clanique ont la preuve tangible que les familles sont irréversiblement déterminées à s’unir, à renforcer leur alliance et à consolider la solidarité entre elles. Puis on procède encore au remerciement (barika bò) à l’endroit de la famille sollicitée. C’est à partir de ce moment que s’accroît la corvée du fiancé et de ses parents. Ils doivent prouver qu’ils sont capables et que le choix porté sur eux n’est pas le fait du hasard. Si les beaux-parents sont cupides, on assiste à une véritable escroquerie, à un dépouillement complet du gendre de son argent et de ses biens matériels. Tous les parents du fiancé sont sollicités à tout moment et ceux-ci s’y prêtent chaque fois pour améliorer leur image; c’est un baroud 547


d’honneur. C’est ainsi qu’ils donnent la mesure exacte de leur attachement à leur femme et à ses parents. Ces manifestations de réjouissances, ces témoignages de gratitude et de fidélité dont l’ampleur et la fréquence donnent la mesure de l’engagement, des moyens, du nombre ou de l’importance de la famille solliciteuse. Mais si le mariage s’opère à l’intérieur d’une même famille, entre cousins ou entre proches parents (mariage endogamique), les tractations et les démarches sont simplifiées. On élimine volontairement plusieurs étapes, on se ménage pour éviter des abus et les mauvais précédents dans le clan ou dans la famille. On prend assez de précautions pour éviter la méfiance, la susceptibilité, la haine et l’éclatement de la famille. En effet la conséquence fâcheuse de l’échec du mariage entre proches parents (badenya furu) est généralement la dislocation de l’unité de la famille. Pour éviter une telle situation déplorable, une dot symbolique optimale, uniforme et immuable est arrêtée par une convention familiale ou clanique afin de protéger les plus démunis. Il faut préciser que les mariages prohibés et ceux autorisés par les mœurs malinkés sont: A) - Sont incestueux tout mariage et tous rapports sexuels avec: a - Une sœur maternelle ou paternelle. b - Une nièce. c - Une tante. d - Une marâtre (femme du père ou de l’oncle), e - Une belle-sœur (femme d’un frère, d’un cousin, d’un parent). B) - Un homme peut épouser: a - Toute femme n’ayant pas de relations particulières de parenté avec lui. b - Sa cousine maternelle. c - Sa cousine paternelle. (12) d - Sa belle-sœur veuve (la femme d’un frère défunt ou celle d’un cousin défunt) afin de s’occuper de l’entretien et de l’éducation des enfants du défunt, car si la veuve se remarie dans une autre famille, ses enfants qui la suivent très souvent auront une éducation différente et se sentiront abandonnés. Dans ce dernier cas on doit tout faire pour récupérer les orphelins afin qu’ils soient élevés dans le même creuset que leurs cousins et frères de la même famille. Toute défaillance dans ce sens est un grave manquement à la mémoire du défunt et ses ayants droit pourraient un jour le reprocher à leurs oncles et à leurs cousins paternels. e - La femme d’un ami défunt pour les mêmes raisons que dans le cas d’une belle-sœur. Mais le mariage de la veuve d’un ami défunt n’est possible que si celle-ci n’est pas sollicitée par un de ses beaux-frères (frères et cousins de son mari) ou par un proche parent de celui-ci. Aucun ami digne ne doit se dérober à cette responsabilité quand le cas se présente. 548


C’est dans le même souci de raffermissement des affinités familiales et de la cohésion de toutes les familles nucléaires ou polynucléaires, ayant la même ascendance, que la société réprouve et réprime sévèrement la débauche, l’adultère et l’inceste surtout. Il résulte souvent de ces maladresses sexuelles de profondes fissures qui bouleversent les familles, les clans, les ethnies (ka i fa denmuso nyini) et engendraient jadis des guerres tribales très meurtrières (musoko kèlè tè banna). Le Malinké est très jaloux de sa femme. Cocu, il ne pardonne jamais l’infidélité de sa femme et en veut à mort à son substitut audacieux. Sa réaction à un flagrant délit d’adultère est très violente. S’il réussit à modérer sa passion, il se limite au lynchage, au ligotage des concubins qu’il expose tout nu au public et qui ne sont libérés qu’après avoir reçu, chacun, entre quarante à cent coups de fouet. En plus l’amant doit lui payer une forte amende en guise de dédommagement (musoko lada). Dans le pire des cas de réaction violente, le crime passionnel qui frappe généralement l’amant n’est pas exclu. Dans tous les cas la société soutient et aide le mari cocu à châtier les délinquants (voir plus haut Us et Coutumes). Après le feu vert donné par la belle-famille, le fiancé mobilise son groupe d’âge (sèrè) du village ou du quartier pour rendre une visite de courtoisie à chacun des frères aînés (surtout), des oncles, des tantes, des grands-parents et à toutes les personnalités ou alliés de la belle-famille. Il se fait accompagner aussi d’un griot généalogiste (nyamakala) lié à sa famille et qui est généralement l’intermédiaire (furu nyèlò) pour l’introduire avec ses amis et camarades d’âges (sèrè) dans la belle-famille et pour une meilleure présentation. Cette salutation d’usage vise à présenter physiquement le gendre à tous les beaux-parents. Ils doivent se connaître mutuellement afin d’éviter de se causer éventuellement des préjudices ou de se manquer de respect parce que s’ignorant: « Ni i ma i biran lòn, i di se ka a dòòya; ayi di se ka ayi nyòòn nanin, ka ayi nyòòn gbasi. » Ce qui se traduit par: « Si tu ne connais pas un parent de ta femme, il peut t’arriver de lui manquer de respect, et même de l’insulter ou de le battre. » Inversement, cela peut arriver à tout parent qui ne connaît pas son gendre. Si le postulant et ses parents ont les moyens, cette visite de courtoisie du fiancé et de ses amis donne lieu à l’octroi de cadeaux symboliques de dix noix de cola plus une somme variant entre 200 francs et 1.000 francs ou plus, à chaque personne visitée. Celle-ci en tire évidemment un sentiment d’honneur et de fierté et de surcroît se sent davantage concerné par ce mariage qu’elle bénit. Visiteurs et visités se congratulent réciproquement et formulent des vœux de succès et de bonheur pour les futurs conjoints. Aussi, l’accent est mis sur la constance de la solidarité qui doit exister dorénavant entre les deux familles et entre les deux clans. Après ces démarches, la jeune fille peut légalement rendre visite à son fiancé, à tout moment, sans être réprimandée par qui que ce soit. Évidemment 549


certains jeunes n’attendent pas ces formalités protocolaires pour se donner la liberté de se livrer l’un à l’autre dans un élan d’amour sincère dans le cadre d’un mariage de cœur. La jeune fille peut même dormir avec son fiancé quelque fois. Mais ils doivent s’abstenir absolument d’avoir des rapports sexuels qui ne sont autorisés entre eux que le jour de la célébration du mariage. En principe, en cette nuit de noces tout doit se passer devant un témoin discret. Aussi, l’Islam réprouve avec vigueur les rapports sexuels pré-cérémonieux des conjoints. Évidemment certains jeunes n’arrivent pas à se dominer, à contrôler leurs instincts et passent outre ces consignes d’abstinence. C’est ainsi qu’on peut voir, au regret de la belle-famille sollicitée, une jeune fille fiancée se laisser engrosser, par obsession sexuelle ou par excès d’amour pour son fiancé, avant le mariage. Dans un tel cas ses parents préfèrent l’expédier chez son mari, dès après le paiement de la dot, sans honneur, sans cérémonies. On considère que les deux conjoints n’en veulent pas. Il n’ y a donc plus rien à contrôler. Ce départ brusque et souvent discret de la jeune fille dans son ménage lui porte des préjudices, car elle perd du coup les différents cadeaux d’usages accompagnés d’éloges et de témoignages publics de satisfaction de sa bonne conduite dans son environnement social. Elle perd donc toutes les faveurs qu’elle devrait avoir pendant les cérémonies de mariages de la part de ses tantes, de ses oncles, de ses frères et cousins et des alliés de sa famille. Si la jeune fille réside dans un autre village, c’est généralement le fiancé qui se déplace pour rendre visite à sa bien-aimée. C’est un véritable voyage de noces qu’on appelle « musonin magbèn ». Il peut se faire accompagner d’un ami. Moins fréquemment, la jeune fille effectue le déplacement dans le village de son fiancé. Quand elle s’y rend, c’est le « tyè magbèn ». Elle y va souvent à l’occasion des fêtes de Tabaski, de Ramadan et des fêtes de générations (sèrè seli). Le prétexte donné à ces visites est que la fille vient chercher son habit de fête (selimafani ta). Certaines familles nanties et averties ne permettent pas à leur fille d’effectuer un tel déplacement qui est une forme d’exploitation, car pour une question d’orgueil et de prestige personnels, le fiancé et ses parents, même démunis, sont parfois obligés de s’endetter pour acheter des habits pour la fiancée. Celle-ci, à son retour dans son village, s’en vante devant ses amies et camarades d’âge (sèrèmuso). Il arrive aussi que pendant cette visite de courtoisie son fiancé peut abuser d’elle. En effet certaines jeunes filles reviennent de ces visites en état de grossesse. Par ailleurs la jeune fille peut, si elle est de mauvaise conduite, se faire dégoûter, dès ce premier contact, de son fiancé et des parents de celui-ci. Elle peut aussi en revenir traumatisée et découragée par l’autorité martiale qui, très souvent, tient à s’affirmer, parfois maladroitement, brutalement et prématurément, dès la première rencontre. Elle peut être également traumatisée par les vociférations et les ordres impératifs et intempestifs de sa belle-mère (biranmuso). L’expérience des faits sociaux prouve que rarement celle-ci s’entend avec sa bru. Elle est très souvent jalouse de sa bru, surtout quand celle-ci s’entend bien ou s’aime ouvertement avec son 550


fils. Parfois l’harmonie et certaines intimités de sa belle-fille avec son fils l’indisposent. Cela se comprend dans la mesure où elle n’a pas ou n’a jamais bénéficié de telle affection. Elle est prête à déclarer à qui veut l’entendre que son fils est faible devant sa femme qui le commande et jouit pleinement de tous ses biens au détriment des ayants droit, c’est-à-dire les parents du mari. Le projet de mariage s’en trouve presque toujours compromis. Il est donc plus prudent de renoncer de telles visites, de limiter ou d’éviter un long séjour de la jeune fiancée dans son futur foyer avant la célébration officielle du mariage. Il faut noter que dans certaines régions, les visites réciproques entre les futurs conjoints sont institutionnalisées. Certaines familles entourent de beaucoup de protocoles et de précautions le séjour de la jeune fiancée chez son futur mari. Une griotte ou une vieille femme ou souvent une fillette de sept à dix ans peut l’y accompagner afin qu’elle ne se sente pas déracinée, isolée et ennuyée. Ce séjour permet à la jeune fiancée et à sa compagne de scruter attentivement le terrain. Mais pour éviter tout soupçon d’espionnage, on prétend que la jeune fiancée retourne à son fiancé le morceau de la cola qu’elle a acceptée de bon gré et dont la souris « a mangé » une partie. C’est le « worokurun malò ». La période des fiançailles est particulièrement heureuse dans toutes les sociétés, surtout quand il s’agit d’un mariage d’amour réciproque. Les partenaires cherchent à se rencontrer en intimité, sans trop craindre les réprimandes et les moqueries, car chez nous on aime beaucoup se moquer des amoureux et même de ceux qui sont appelés à se marier légitimement. Il arrive aussi que par excès de pudeur et de complexe, et non par répugnance, que la fiancée fuit les contacts de son fiancé ou se refuse à lui quand ils sont en intimité. Elle évite ainsi les tentatives de celui-ci pouvant déboucher sur les rapports sexuels qui sont normalement déconseillés avant les cérémonies officielles d’accompagnement. Dans le cas où on a rien à redire sur l’union tant souhaitée par toute la collectivité et que la fiancée persiste dans sa réticence hypocrite d’approcher son fiancé, ce sont les camarades d’âge (sèrètyè) de ce dernier qui tendent des pièges à la fille pour la mettre nez à nez avec son fiancé. Parfois ils procèdent, sous les yeux complices et complaisants des beauxparents, particulièrement de la belle-mère, à l’enlèvement forcé de la jeune fille et la déposent contre son gré, parfois points et pieds liés, dans la case de son fiancé. Évidemment celui-ci est toujours préalablement informé de l’opération et doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour la retenir aussi longtemps que possible, voire toute la nuit. Mais sa virilité masculine doit obligatoirement et finalement triompher sur la résistance de celle-ci. En tout cas personne ne viendra à son secours s’il s’agit d’un enlèvement au profit de son fiancé. « Aide-toi, le ciel t’aidera, » dit un adage universel. Chez nous on met l’accent sur la responsabilité d’un individu dans la réussite ou l’échec de ses propres affaires en ces termes: « Ni mòòlu ye i kò ko la, i yèrè ka kan ka i nyè ko. » ou encore: « Sisè ladon suru kònò wo yé sisètii la ko di, 551


kòni a buun-yòrò-ko ani a sunòònya ye sisè yèrè la ko di. » Ce qui se traduit respectivement par: « Pendant que les gens lavent ton dos, occupes-toi de la propreté de ton devant. En effet l’éleveur se préoccupe le soir de faire rentrer sa poule dans le poulailler, mais la position qu’elle doit y adopter pour dormir n’est point son affaire. » Ces interventions bénéfiques des amis arrangent souvent bien des fiancés timides qui ne savent pas ou ne peuvent pas se débrouiller tout seul. Cela se passe toujours la nuit, après le repas du soir. Les kidnappeurs font à volonté du tapage autour de leur action pour produire un effet psychologique certain sur la capacité de résistance de la fille qui cède discrètement pour ne pas attirer l’attention de toute la communauté villageoise sur son cas. Dans bien des cas, il faut utiliser la violence pour réussir l’enlèvement. Parfois elle résiste, se débat énergiquement comme un fauve blessé, crie à tue-tête, implore vainement le pardon des enleveurs, les insulte, en griffe, en mord de toutes ses forces. Mais personne ne vient à son secours. Bien au contraire certaines personnes encouragent l’enlèvement et d’autres se moquent d’elle. Le lendemain et les jours suivants les vieilles dames, ses beaux-frères, ses belles-sœurs et ses sanankun (ceux qui ont plein droit de plaisanter sans limites et sans exceptions avec son clan) en font une arme de moquerie. Elle ne peut s’empêcher d’entendre: « On t’a entendu crier hier la nuit (ou tel jour). N’as-tu pas honte d’importuner tout le village? Crois-tu que cela a commencé par toi et que ça finira par toi...? » À cause de ces jugements défavorables, la jeune fiancée abandonne à brève ou longue échéance sa réticence. Parfois c’est au prix d’une lutte titanique que le fiancé atteint son objectif. Aussi, malgré sa victoire finale qui donne la mesure de sa virilité masculine, il s’en sort toujours ou très souvent avec des coups de « griffes » et de dents, donc avec des blessures dont les cicatrices sont parfois indélébiles et pour lesquels ses amis et camarades d’âge (sèrè) et ses belles-sœurs se moquent de lui. Parfois cette attitude de réticence de la fiancée relève de l’hypocrisie féminine. De peur qu’elle soit taxée de frivole, elle se comporte ainsi même avec un prétendant qu’elle aime. Situation difficile pour elle. Quand elle s’intéresse manifestement à son fiancé on la critique (tyèko gbèdèn = frivole) et elle s’expose à la risée des gens quand elle se fait contraindre pour aller causer ou dormir chez son fiancé devant cette comédie? E) - L’EXCISION (KÈNÈ) DANS LE CADRE DU MARIAGE L’excision est une cérémonie rituelle d’initiation et d’intégration sociale qui est le pendant de la circoncision. Elle consiste à mutiler le clitoris. Sa pratique qui remonte aux ténèbres de notre histoire est de nos jours de plus en plus controversée voire contestée, du moins par les jeunes intellectuels formés à 552


l’école occidentale et ceux imbus de la culture musulmane. Il n’est pas superflu de signaler que les pays arabes ne la pratiquent pas. Or, actuellement, les 90% des Mandingues ont tendance à se référer à l’Islam et à l’arabisme pour créer un nouveau modèle de société qui rompt avec nos traditions ancestrales. Du point de vue de l’Islam, l’excision est déconseillée voire réprouvée. Après l’accession de nos pays à l’indépendance, un tollé général a été déclenché contre cette pratique qui tend à disparaître. Les femmes intellectuelles sont à la pointe de ce combat en ce XXIème siècle. L’excision est une pratique qui porte préjudice à l’intégrité physique de la femme chez qui elle provoque une apathie sexuelle. Il semble que c’est justement l’un des objectifs visés par cette pratique sociale qui tient à annihiler totalement la sensualité et la sensibilité féminines. En effet, elle rend la femme frigide (Kènè ye tyèko banna le muso fari lò; ka tyèko ma dòòya muso fari lò). Si pour la femme elle est le pendant de la circoncision qui a sa raison d’être question d’hygiène et de virilité masculine - pour l’homme elle permet d’avoir une forte emprise sur la femme excisée qui devient de moins en moins exigeante sur le plan sexuel. Sans trop souffrir de la privation ou de l’abstinence, une femme excisée peut se résigner à attendre longtemps son tour dans le lit conjugal. N’est-ce pas aussi l’excision qui rend supportable la longue période d’allaitement (deux à trois ans) et la longue absence du mari? Elle arrange donc bien sûrement le mari polygame qui a le temps de faire tranquillement un tour chez chacune de ses épouses. Il est certain que chacune saura attendre son tour chez le coiffeur. L’excision est donc une pratique qui asservit la femme. C’est pourquoi, de nos jours, les jeunes filles réagissent à sa pratique et s’y prêtent de moins en moins. Dans la tradition mandingue, aucun mariage ne peut être célébré avant l’excision pendant laquelle on enseigne aux jeunes filles l’art d’être une bonne épouse c’est-à-dire une femme laborieuse et totalement soumise à son mari et aux parents de celui-ci. Elle donne lieu à de nombreuses cérémonies rituelles d’intégration sociale, à l’enseignement d’us et coutumes, de la morale sociale, d’interdits, de l’art culinaire, du secret et de la valeur curative des feuilles et des racines de certaines plantes... Aux jeunes sociologues nous laissons les soins de faire une étude plus exhaustive de l’excision afin de dégager toute sa portée sociale, ses incidences et ses impacts sur la société et sur la femme elle-même. Cependant, il serait bon et recommandable de trouver un autre contexte de rassemblement des jeunes filles, de créer une autre école pour leur enseigner la bonne conduite individuelle et collective, le savoir parler, le savoir se tenir correctement, le savoir-faire afin d’assurer leur intégration sociale sans heurts, donc parfaitement harmonieuse. Dans ce chapitre, nous nous bornerons seulement à étudier l’excision dans le contexte du mariage, car elle y joue un rôle très important et son impact sur le prétendant n’est pas à négliger.

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À l’occasion de l’excision d’une jeune fille fiancée, on assiste à une mobilisation massive des parents, amis et alliés de son fiancé. Ceux-ci profitent de cet événement pour exprimer à toute la collectivité villageoise leur amour pour la jeune fille et leur attachement à sa famille. Il en résulte un esprit de concurrence très vive entre les différents fiancés et prétendants des différentes excisées. Ceux-ci et leurs parents s’engagent dans de folles dépenses ostensibles de prestige, font étalage de leur fortune. Cette prodigalité excessive commence pendant le Soli. Le Soli est une célèbre danse guerrière organisée la veille ou deux ou trois jours voire une semaine avant l’excision ou la circoncision. Au cours du Soli tout le village, en communion d’idées et d’actions, exprime ses témoignages de satisfaction et de solidarité permanente à l’endroit des familles organisatrices des cérémonies et évoque en chœur le souvenir de la témérité des héros d’antan auxquels on compare les futures excisées ou circoncis. Mais les excisées ne participent pas directement à la danse du Soli. À cette occasion de détente et de défoulement populaires, toutes les barrières sont levées entre adultes, jeunes, vieillards, femmes et enfants. D’ailleurs les différentes tranches d’âges des deux sexes rivalisent en chants injurieux, en bouffonneries, en travestissement... Il faut ridiculiser l’autre candidat réel, ou potentiel, le concurrent d’en face quand il s’agit d’une fille excisée non officiellement fiancée que beaucoup de candidats convoitent. Chacun danse et chante en l’honneur de son frère, de sa sœur, de son neveu, de sa nièce, du fils ou de la fille de son ami qui doit être circoncis ou excisée. Il faut glorifier sa fiancée, sa belle-sœur ou sa bru. Au cours de ces danses guerrières du Soli, le prétendant, soutenu par les siens, ne tarit pas d’injures et de menaces verbales à l’endroit de tout homme qui osera lui subtiliser sa fiancée ou qui aura tout simplement des yeux doux pour celle-ci. Tous ses partisans et alliés renchérissent, qui mieux mieux, ses slogans et prennent le relais avec plus d’ardeur. La mère de la jeune fille réplique aussi à ses détracteurs et à ceux de sa fille par des chants paraboliques et moqueurs dans lesquels elle exprime sa joie et sa fierté d’avoir choisi un époux digne pour sa fille et ajoute que celle-ci ne craint nullement les épreuves qui l’attendent sous peu. Elle en fait un défi qu’elle lance à toute la communauté, surtout quand il s’agit d’une épouse fidèle qui n’a connu dans sa vie d’autres hommes que son seul mari pour qui elle a conservé sa virginité. C’est donc une épouse fidèle et docile à son mari qui peut tenir publiquement de tels propos. Elle n’a œuvré que pour le bonheur de son mari, de ses enfants et de toute la famille. Toute l’assistance reprend en chœur ses thèmes de réflexions. Le fiancé ou le prétendant de sa fille et ses parents renchérissent en magnifiant la beauté, le charme sans égal et la sagesse de leur future épouse. Ils distribuent, autant qu’ils peuvent, de l’argent et des habits aux meilleurs danseurs, chanteurs, griots et joueurs de tam-tams qui soutiennent leurs chants d’amour par des battements de mains, par des acclamations et par des rythmes endiablés. Cette danse continue toute la nuit, jusqu’au départ des candidates et les candidats à l’initiation dans la forêt sacrée, vers 4 heures du matin, après avoir mangé un 554


plat de riz exceptionnellement délicieux (tyè faliya fili) mais que beaucoup n’arrivent pas à manger à cause de la grande angoisse qui les envahit. Leurs camarades déjà initié(e)s et certains aînés entretiennent en eux ou en elles une psychose permanente des épreuves à affronter. Les parents sont aussi inquiets, car des accidents surviennent souvent pendant ou après l’opération chirurgicale. Généralement les instruments métalliques chirurgicaux utilisés ne sont pas stérilisés. Mais on attribue les accidents qui surviennent pour cette raison de manque d’hygiène à l’intervention des sorciers ennemis et des mauvais esprits. On attend la fin de l’opération pour reprendre la danse qui ne s’appelle plus le Soli mais le Fali-fali. Si le Soli se danse avec beaucoup d’angoisse (l’angoisse de l’initiation qui peut être fatale à certains initiés), le Fali-fali est une danse libératrice, une danse guerrière qui annonce la fin heureuse de l’opération. Elle est plus heureuse et libère les parents de leur angoisse et les candidats à l’initiation (excision ou circoncision) de leur terrible frayeur. Comme on l’a dit, les candidats à l’initiation sont transportés dans la forêt sacrée vers quatre heures du matin. Mais ce n’est seulement que vers sept heures que le messager de la bonne nouvelle, venu de la retraite (kènè ko = kènè fuwa), est accueilli triomphalement au village. Brandissant des branchages feuillus en guise de victoire, battant les mains, toute la collectivité villageoise chante sa consolation et danse aux sons assourdissants des tam-tams. Les mères, les tantes, les grands-mères des initiés chantent leur soulagement que tout le monde reprend en chœur. Voici un des chants entonnés par les mères pour traduire leur soulagement et pour magnifier leur courage de leurs filles: « Fa-li! Fa-li! Wo! Tyèfuwa! Kuru bòla n kan na N dòòni bòla tyèfuwa la Kuru bòla n kan na... » Ce qui se traduit par: « Aimez-moi, mânes, à clamer avec force ma joie; Humains, reprenez en chœur mon chant de gloire, de réjouissance, de fierté et de satisfaction, Soutenez mes pas de danses, Car je suis en fin libérée de mon angoisse, Mon enfant a vaillamment supporté l’épreuve d’endurance, La dure initiation que tout le monde redoute tant, Mon enfant est enfin affranchi et a maintenant droit de cité parmi les preux, parmi les initiés. Il est maintenant affranchi. » 555


On reconnaît les mères des initiés par les cheveux ébouriffés entièrement ou tressés en partie sur les côtés. Il faut noter que tout le monde se travestit, qui mieux mieux, pendant la danse du Soli et celle du Fali-fali. On sillonne tout le village ou tout le quartier. On se repose aux heures de repas pour reprendre dès que le soleil devient moins ardent. Cette danse peut durer sept jours sans la participation des initiés. Leur état de santé les y oblige. Après la cicatrisation, les excisées doivent danser. Sept jours ou des semaines après ou quand la cicatrisation est effective, on organise la sortie des initiés. Ce qui donne lieu à des cérémonies rituelles particulières appelées kò-la-kali caractérisées par des bombances et des ripailles. Les parents, les amis et les alliés contribuent aux dépenses, dans la mesure de leurs moyens (Solidarité oblige). Par ailleurs les fiancés et leurs parents, dans un esprit de concurrence, participent pleinement, parfois quotidiennement, à la nourriture des excisées. Cette cérémonie (kò-la-kali) marque l’évolution positive de la cicatrisation ou même la fin des rituels. Chaque matin, les initiées vont à leur retraite (kènè ko = kènè fuwa) qui peut être une grotte, une forêt, une rivière, une montagne - un lieu sacré - d’où elles (ou ils) ne reviennent qu’au crépuscule afin qu’on ne puisse pas remarquer celles qui souffrent encore de leur plaie et qui traînent les pas. Quand la santé de toutes est quasi-satisfaisante, les matrones (sema ou n’zema) en accord avec l’opératrice (n’zoo muso ou soma) décident de les faire sortir en milieu d’aprèsmidi pour la danse des initiées (kènèdon). Torche nu, la hanche ceinte de perles (baya) chaque initiée tient à la main gauche soit une longue baguette de 1,50 mètre environ, multicolore qui symbolise un bébé très affectionné, soit une lance ou un sabre qui symbolise l’héroïsme, la bravoure, tandis que la main droite tient une calebasse à queue (kalama) décorée de plusieurs figures et qui symbolise la magnanimité et l’hospitalité. Elles chantent et dansent en l’honneur des héros antiques avec agilité dans un grand cercle que le public forme dans chaque cour visitée. Les initiées fiancées chantent aussi en l’honneur de leur futur époux. Chaque fois que le nom d’un fiancé est prononcé, ses parents, ses cousins, ses neveux, ses nièces, ses amis et alliés reprennent en chœur ce chant d’amour et d’honneur, et entonnent à leur tour un autre chant dans lequel ils magnifient la beauté et le charme de leur fiancée et s’empressent de remplir de pièces de monnaie et de billets de banque la calebasse à queue tenue par celle-ci. Certains accrochent à ses cheveux ou à son pagne des billets de banque de toutes les coupures. C’est une véritable démonstration de la capacité de mobilisation, de solidarité et de fortune des parents de chaque prétendant. Chacun veut être le meilleur donateur, l’homme du jour ou de la circonstance. On appelle ce soutien moral et matériel du fiancé et des siens en faveur de la jeune excisée fiancée le « musonin dyansa ». Ceux-ci saluent par des coups de fusils chaque chant et chaque sortie dans le cercle de leur fiancée.

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Pendant toute la durée de l’initiation, chaque fiancé et ses parents doivent préparer à manger pour leur future belle-fille et ses co-initiées. Ces plats d’honneur s’appellent « musonin dòòman » ou « musonin mòndòn ». Là encore il faut faire preuve de gaspillage pour surpasser les autres fiancés et leurs familles et alliés respectifs. Il faut préparer toutes sortes de mets locaux en quantité et en qualité au point où les maîtresses (sema ou n’zema) ou surveillantes puissent louer publiquement la participation remarquable de telle ou telle famille. Les musiciens et les griottes qui prennent cause et fait pour telle ou telle famille en ont pour leur compte. Évidemment tout cela incite à de folles prodigalités. Certains démunis s’endettent souvent par orgueil pour honorer cette prestation et sauvegarder leur prestige et leur bonne image. Les moments de distribution de ces divers cadeaux et des interventions sont très éprouvants pour les initiées pubères non encore fiancées ainsi que pour celles dont la belle-famille est pauvre ou se trouve éloignée pour faire autant. Elles pleurent amèrement leur mauvais sort ou leur malchance du moment chaque fois qu’elles dansent ou chantent sans être acclamées chaleureusement comme leurs Co-initiées fiancées ou convoitées, donc plus chanceuses ou privilégiées. Elles ne sont pas pour autant totalement abandonnées, comme on pourrait le croire, puisque leurs sympathisants, ceux qui apprécient hautement leur bonne conduite dans la société, les parents de leurs amies ainsi que leurs parents paternels et maternels se solidarisent avec elles, soutiennent leurs voix et pas de danse chaque fois qu’elles apparaissent sur scène. Ainsi, elles s’en trouvent consolées dans une certaine mesure. Au cours des danses des initiées, certaines d’entre elles non fiancées attirent l’attention de certaines familles qui peuvent demander leur main en mariage au profit d’un de leurs fils, peu après la libération des initiées. La nuit, après le repas, la population féminine et juvénile se réunit en plein air ou dans la case des initiées pour participer à des veillées au cours desquelles on fait le fafili. Il s’agit d’un ensemble d’exercices physiques exécutés sous forme de mouvements d’ensemble. Sur les nattes on dispose les initiées en rangs serrés, les jambes allongées, les mains sur les genoux. Les têtes coiffées d’une toque ou d’un mouchoir, elles chantent en balançant, dans des mouvements d’ensemble bien synchronisés, les têtes de gauche à droite. On ne suspend ou on interrompre ce mouvement d’ensemble qu’au terme d’une chanson. Parfois, on enchaîne deux ou trois chansons. Pour soutenir et animer ce chœur, les maîtresses ou surveillantes (sema ou n’zema) des initiées jouent le wasamba ou wasama, c’est-à-dire le sistre. (15) Ces soirées récréatives rassemblent presque toujours toute la collectivité villageoise. Les garçons circoncis font aussi le fafili. Quand les initiés sont las du fafili, les encadreurs (sema) leur disent des contes, des légendes, des proverbes, des devinettes et des récits historiques qui constituent des séances d’enseignement civique. Au cours de ces veillées, on complète leur formation morale en leur enseignant les interdits, les tabous, les secrets des plantes, les 557


leçons de sagesse. On s’efforce de corriger les défauts de chacun et de donner à tous de bonnes habitudes. En un mot on leur apprend le savoir-faire et le savoirvivre.

Photo du wasama ou wasamba (sistre), instrument de musique usité par les filles excisées pour accompagner leurs chants et danses. La nuit, dans la case des excisées et des circoncis, les élèves initiés étaient disposés en rang, sur une natte, chacun avec son chapeau. Les maîtres et les maîtresses actionnaient le wasama pour produire un rythme entraînant les élèves à faire des mouvements du qu’on balançait de gauche à droite. C’était des nuits pendant lesquelles les vieilles personnes racontaient indéfiniment des contes et légendes ainsi que des devinettes. On enseignait des leçons de savoir-faire et de savoir-vivre en société. Malheureusement, du fait qu’on circoncit les garçons quand ils sont au berceau, très jeunes, ils ne peuvent plus apprendre ces vertus du savoir africain. Ces écoles de la société n’existent plus. Dommage, rien n’a été conçu en lieu et place pour perpétuer cette éducation collégiale populaire.

Chaque matin, avant leur départ pour la forêt sacrée ou à leur retour le soir, les fiancés sont tenus de venir s’arrêter devant la case des excisées (kènèbon) pour saluer ces princesses (mansaden), car on traite avec beaucoup d’humilité et de courtoisie les excisées et les circoncis (kènèden). Cette corvée quotidienne des fiancés et de leurs parents s’accompagne de cadeaux de colas, de poulets, d’argent et de divers objets que les matrones recueillent soit à leur profit soit au bénéfice de l’ensemble des co-initiées. L’accès de la case des initiées est formellement interdit à tout homme. Tout visiteur masculin se contente de dire au seuil de la case:

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« Mansalu, alu ni waale. » (= Salut les Reines et les Princesses, salut et paix et respect sur vous.) Et celles-ci répondent en chœur: « Nba, i sènè lahòò! » (= Soyez les bienvenues, honorables et généreux visiteurs! Ici, nous vivons en paix; qu’il en soit de même chez vous.) C’est la même formule d’usage pour les circoncis. La fréquence des visites des fiancés, des prétendants et de leurs parents est contrôlée, consignée et communiquée aux beaux-parents. Donc, chaque prétendant et ses parents s’imposent la régularité de cette corvée qui témoigne leur amour pour leur fiancée et leur attachement à sa famille. Le fiancé ou le prétendant établit toujours des contacts indirects avec sa fiancée excisée par le biais d’une des surveillantes (sema) qui lui donne régulièrement les nouvelles de sa bien-aimée pendant toute la durée de l’excision, moyennant quelques récompenses. Tout fiancé qui se dérobe à cette corvée déshonore sa fiancée et reçoit toujours des demandes d’explications de la part des beaux-parents qui s’indignent d’un tel comportement, d’une telle indifférence. En plus des divers cadeaux dont la nature et l’importance restent à l’appréciation du fiancé et des siens et dépendent aussi de leurs moyens et qui sont offerts soit à la fiancée, soit à l’opératrice (n’zoo muso ou soma) soit aux matrones ou surveillantes (sema ou n’zema) sans oublier les griots, griottes et musiciens, chaque fiancé doit obligatoirement donner un bœuf ou sa contrevaleur à sa belle-mère. Ce geste est appelé « kènèba yirima » = « Cadeau ou assistance morale et matérielle qu’attend une mère dont la fille excisée est fiancée ». Il est considéré comme sa contribution officielle aux dépenses nécessaires à l’organisation matérielle des cérémonies d’initiation de sa fiancée. Même le futur fiancé d’une fille non fiancée pendant l’excision n’échappe pas au paiement de ce bœuf. Il doit honorer cette tradition au moment de son mariage. Par rétroaction il doit donc payer cette dette qu’il n’a jamais contractée. Il y va de son honneur et de son prestige. Quand il s’agit d’une jeune fille excisée convoitée par plusieurs candidats, on assiste évidemment à une folle concurrence dans les dépenses qui ne sont plus de principe mais de prestige et d’étalage de fortune. Chaque prétendant et ses parents veulent se surpasser pour paraître les plus riches, les plus généreux. On se laisse naïvement ruiner sans être certain de gagner les faveurs de la jeune fille et de ses parents. Si l’excision doit être tolérée comme une coutume ancestrale, et surtout pour son coté éducatif, mais il faudrait certainement l’adapter en la débarrassant des scories dont, entre autres, la longue durée des cérémonies, la concurrence insensée et ruineuse entre les prétendants, entre les familles, l’endettement des prétendants pour uniquement honorer leur future épouse. Le principal méfait de l’excision est l’atteinte à l’intégrité physique de le femme et le gaspillage qui ruine aussi bien les parents organisateurs que les fiancés et leurs familles. Donc son côté éducatif doit être conservé. 559


C’est seulement après l’excision que l’on peut envisager, si la fille est pubère, de passer à l’étape suivante de la longue procédure qui est la consécration officielle de l’union entre les deux conjoints ou plus exactement celle des deux familles. C’est la célébration du mariage ou furu sidi = furu siri. Cette étape franchie, on passe au couronnement qui est l’accompagnement de la fille dans le foyer conjugal (kònyò malò) qui est la dernière étape de ce long processus. Dans certaines régions, notamment dans les centres urbains, on procède, quelques jours avant la célébration du mariage, au denbadon (danse de gratitude et de au revoir de la mère de la fille). Très souvent la propre mère s’incline et donne cet honneur à une tante maternelle ou paternelle, à une marâtre (surtout celle qui n’a pas d’enfant) ou à une amie intime de la mère de la fille. Celle qui a été retenue pour se substituer à la vraie maman doit s’habiller, autant que possible, dans un accoutrement traditionnel pour animer la danse organisée à cet effet et qui rassemble les femmes des deux familles, des camps alliés et du quartier. Elle doit se chamarrer d’or et se draper dans du bazin généralement de couleur bleu ciel (bafani). C’est l’occasion pour la maman, pour les tantes et toutes celles qui ont eu de l’affection pour la fille, de rendre à celle-ci un vibrant hommage pour sa conduite exemplaire, pour les menus services qu’elle a rendus aux uns et autres. Une autre cérémonie protocolaire vient se greffer sur la précédente et s’appelle « safinè malò = accompagnement du savon ». Celle-ci est organisée surtout par les femmes du clan du fiancé. En effet les femmes de la famille du fiancé se mobilisent massivement, soutenues par la musique d’instruments traditionnels et des griottes sans oublier les alliées pour venir accompagner aux parents de la fiancée du savon (pas moins d’un carton) avec des cadeaux divers en nature (tissus, complets wax...) et en argent qu’on distribue aux parentes et amies de la maman et de la belle-famille. On dit que ce savon doit servir à laver proprement tous les habits de la future mariée et son corps avant le mariage. Ceci se fait dans une allégresse générale. Les deux familles font preuve de mobilisation massive des femmes pour magnifier la beauté et la sagesse de la future mariée et remercier la belle-famille d’avoir accepté leur demande parmi tant d’autres candidats. De leur côté, les parents de la jeune fille ne manquent pas d’éloges pour leur fille qui s’est montrée exemplaire en restant derrière et à la disposition de la famille pour le choix judicieux de son mari. On la couvre d’honneurs, d’éloges et de bénédictions. On lui souhaite et lui prédit un heureux mariage avec de beaux et vigoureux enfants. C’est la famille de la fiancée qui abrite ces deux cérémonies facultatives (denbadon = la danse de la mère ou de celle qui en tient lieu et le safinè malò = accompagnement du savon). Cette cérémonie facultative tend à honorer et à remercier la mère pour la bonne éducation qu’elle donnée à sa fille.

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F) - LA DERNIÈRE DANSE DE LA MARIÉE DANS SA FAMILLE PATERNELLE OU LES DERNIÈRES REJOUISSANCES (DIYA LABAN) Comme on l’a vu plus haut, chaque jeune du village ou du quartier appartient à une structure juvénile structurée et bien solidaire qu’on appelle le sèrè. Avant son départ pour son foyer, Le sèrè de la future mariée organise à son honneur une dernière manifestation de réjouissances d’adieu appelée diya laban ou la dernière danse. À cette occasion, ses camarades d’âges organisent à son honneur une grande danse populaire (soit du Mamaya, soit du dundunba, soit du balafon, soit du tam-tam...). Pour la circonstance, on met tout le sèrè en contribution financière et matérielle, la belle-famille est aussi sollicitée ainsi que tous les amis et amies de la future mariée. Toutes les personnes de tous les âges qui ont une certaine affection pour la jeune fiancée saisissent cette ultime occasion pour lui témoigner leur sympathie en lui faisant pendant la danse des cadeaux divers accompagnées d’éloges. Il s’agit pour chacun d’honorer la future mariée en lui témoignant toute la sympathie qu’elle mérite avant son départ chez son mari. Les sèrè aînés et les sèrè cadets y sont cordialement invités. La bellefamille de la future mariée ne se fait pas inviter. On prépare en abondance tous les mets locaux. On danse toute la nuit. Elle reçoit également des cadeaux de tous genres (dyansalifèn) avec des éloges, car c’est la dernière danse ou occasion de la flatter et de lui rendre des hommages mérités surtout par son sèrè. L’organisation de cette danse d’adieu et de souvenirs est obligatoire et fait honneur aux jeunes filles qui l’exigent d’ailleurs. On danse et on mange toute la nuit. Chaque bénéficiaire et ses intimes se battent pour qualifier cette unique et dernière organisation honorifique appelée DIYA LABAN. Puisque la vie amoureuse des adolescents est caractérisée par l’abstinence totale, leurs camarades du sèrè profitent de cette cérémonie d’ADIEU! Pour se moquer du « couple de l’enfance » constitué par la future mariée et son copain d’enfance car leur couple, si harmonieux soit-il, doit se disloquer, certes à contre cœur. Toute fois ils leur demandent de prendre du courage et de gérer sagement l’isolement dans lequel le mariage légitime imminent de la jeune fille doit les plonger. Cette séparation se fait dans un déchirement de cœur quand surtout la fille doit quitter leur village pour une autre contrée. G) - LE DENBADON ET LE SAFINÈ MALÒ Ce sont deux cérémonies de danse qu’on peut coupler dans la famille paternelle de la future mariée. Le DENBADON est toujours présidé par une marâtre, une tante ou une amie de la famille. L’animation du denbadon est toujours assurée par un orchestre traditionnel qui joue les instruments locaux en l’honneur de la futur mariée qui reçoit à cette occasion les hommages de toute la communauté du village ou du quartier. Évidemment les parentes du fiancé y participent activement. 561


Quant au SAFINÈ MALÒ, comme son nom l’indique, les parentes du fiancé se rendent massivement, le jour convenu, pour venir déposer chez les beaux-parents des cartons de savon pour permettre à ceux-ci de laver proprement tous les habits sales de leur future épouse. Cela se fait toujours deux ou trois jours, voir une semaine avant le jour des cérémonies de mariage religieux et coutumier. Ce jour-là, la famille postulante fait preuve d’une grande mobilisation pour venir impressionner les beaux-parents en leur distribuant divers cadeaux (habits, argent... ). Ils y viennent avec leur tenue traditionnelle. Le DENBADON et le SAFINÈ MALÒ sont organisés les après-midis.

Podium ou la tribune d’honneur devant abriter le couple.

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Le dundunba ou orchestre traditionnel malinké est toujours sollicité pour animer le DENBADON.

Un groupe d’invitées composé des camarades du sèrè de la jeune mariée.

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L’accoutrement d’une Denba. Une tante, une jeune marâtre ou une amie de la maman biologique de la future mariée ou de la famille est toujours choisie pour jouer le rôle de la Denba. Ici se trouvent deux Denba dans leurs accoutrements spéciaux: - un grand boubou bazin multicolore. - elles sont chamarrées de bracelets, de chaînes et de boucles d’oreilles en or et en argent. Les Denba sont aussi choisies en raison de leur sagesse pour conseiller le couple qu’elles doivent encadrer pendant toute la vie du couple. 564


La mère biologique, sollicitée par l’orchestre, les griottes et les invités, fait son tour de danse en distribuant, au tant qu’elle peut, des habits et de l’argent aux musiciens et aux griots.

H) - LES CÉRÉMONIES DE MARIAGE (FURU SIRI = WORO SIRI) (13) « Woro siri » ou « furu siri » sont deux expressions synonymes qui signifient respectivement « attacher les colas » et « attacher le mariage ». Cette étape est assurément le tournant le plus important du long processus du mariage malinké. Il s’agit d’une réunion qui rassemble les deux familles intéressées et de leurs alliés pour sceller l’union sacrée des futures conjoints devant le conseil des sages et toute la collectivité villageoise. La date des cérémonies est proposée par les demandeurs, mais celle-ci peut être modifiée par les parents de la fille. Parfois elle est fixée d’un commun accord par les deux parties. Mais très souvent c’est la date proposée ou retenue par les parents de la femme qui prime. Ces cérémonies sont organisées de préférence les jeudis et les vendredis, dans l’après-midi, et dans la période de clair de lune. Ce sont les périodes les plus favorables au couple. En effet il est admis que tout mariage scellé pendant ces moments précis est assuré de réussite matérielle, morale et sociale tant pour le couple que pour les futures rejetons. Pour une question de commodité du calendrier et de disponibilité, les mariages sont célébrés, dans les centres urbains, les vendredis, samedis et dimanches afin de permettre aux travailleurs de participer aux cérémonies. Par contre les 3-5-13-16-21-24 et 25 du mois lunaire sont des jours défavorables pour parler de mariage ou organiser les cérémonies relatives. Selon la tradition tout mariage scellé à une de ces dates néfastes est voué d’avance à 565


l’échec (incompréhension, crise d’adaptation, incompatibilités d’humeurs, disputes constantes, décès prématuré d’un des conjoints, divorce, enfants ratés, pauvreté chronique et misère du couple...). Il est aussi vivement déconseillé de commencer une affaire importante sans tenir compte de ces jours néfastes. Le samedi est généralement considéré comme un mauvais jour, car en cas d’échec à la première tentative, il faudra inévitablement recommencer trois fois l’opération avant de réussir (Superstition?). Donc au jour et à l’heure convenus, le témoin intermédiaire (furu nyèlò ou furu soma) conduit les parents du prétendant, les délégués de son clan, ses amis et alliés chez le doyen du clan de la belle-famille, si celui-ci n’est pas le père de la fille concernée. Le doyen ne peut officier le mariage de sa propre fille. Il s’agit de la première grande rencontre directe des deux familles, car des négociations du mariage sont toujours menées par personnes interposées (furu nyèlò ou furu soma). La présence du père et de la mère de la fille fiancée n’est pas obligatoire à la célébration du mariage, car ils n’en sont pas responsables. Il en est de même pour ceux du fiancé. De part et d’autre, ce sont les oncles et les tantes qui règlent toutes les formalités d’usage. Ceux-ci sont assistés des notables du village ou du quartier qui deviennent les témoins des deux familles. Par ailleurs, les deux intéressés, surtout le fiancé, n’assistent pas obligatoirement aux cérémonies. Tout peut se fait en dehors d’eux. D’accord ou pas pour le mariage, c’est l’avis des deux familles qui compte, car c’est l’union de celles-ci qui prime. Il faut aussi noter que dans certaines familles, on prend soins d’associer les futurs conjoints à la célébration afin qu’ils entendent directement tous les conseils d’usage. Ce jour-là, les parents de la jeune fille préparent abondamment à manger pour les délégués des parents du fiancé et pour tous les participants à la cérémonie. De part et d’autre on assiste à une grande mobilisation et à un grand déploiement des deux familles ou des deux clans. Chaque famille étant déterminée à donner la mesure de son importance numérique. Il faut noter qu’avant la célébration du mariage dans les centres urbains, le fiancé est tenu de saluer avec une forte délégation des siens et d’amis tous les oncles, tantes, frères aînés, sœurs mariées, cousins et cousines mariés, alliés... de la fiancée. À chacun on se présente avec dix noix de cola plus une somme symbolique. Cette démarche a pour but de faire connaître au fiancé tous les parents de sa future épouse et que ceux-ci le connaissent également, car jouissant de l’autorité de la famille, ils peuvent être appelés un jour à intervenir dans un différend qui opposera les deux conjoints. Il faut donc qu’ils se connaissent avant la célébration du mariage.

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UN MARIAGE COUTUMIER ET RELIGIEUX AU DOMICILE DE LA BELLE-FAMILLE: photos souvenirs des mariés avec leurs parents et amis

La jeune mariée disant au revoir à sa mère. Cela se fait toujours dans un déchirement pathétique car nul n’ignore ce que la vie dans un foyer réserve à la jeune mariée en dépit du bonheur qu’on souhaite au couple, car le mariage est une aventure ou un saut dans l’inconnu du foyer où tout n’est pas rose. 567


Les deux mariés avec leurs parents.

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MARIAGE RELIGIEUX À LA MOSQUÉE

La calebasse recouverte de percale.

La calebasse débarrassée du tissu blanc.

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La calebasse débarrassée du tissu blanc.

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Le contenu de la calebasse: colas, aiguille, riz, sel...

Les mariés face aux symboles à la mosquée.

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La mariée écoutant attentivement le sermon sur le mariage, les devoirs, obligations et contraintes liés au mariage.

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Quand un jumeau se marie, son frère jumeau l’accompagne à toutes les étapes des cérémonies. La solidarité fraternelle et l’affinité des jumeaux les obligent à partager ce plaisir. Entre eux tout est commun ou identique. Quand deux jumeaux, deux jumelles ou de sexes opposés se marient, ils portent exactement les mêmes habits, les mêmes parures, les mêmes modes vestimentaires.

La remise de la dot (sadaku) à la mariée par le mari. La valeur de la sadaku s’apprécie par rapport à celle du gramme d’or en cours au moment du mariage? Elle ne peut ou ne doit pas être inférieure au prix d’un gramme d’or sur le marché au moment du mariage. Elle n’est pas limitée et est fonction des moyens du mari et de ses parents. 573


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LE MARIAGE CIVIL

La jeune mariée avant le mariage civil à la commune.

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La mariée avec sa maman et son papa.

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La jeune mariée avec ses parents.

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Après les salutations d’usage, les délégués de la famille du fiancé sont conviés à occuper les places spécialement aménagées pour eux. Généralement les deux groupes s’installent face à face. On donne aussitôt à boire aux étrangers. Notons que des deux côtés, le groupe des femmes se détache de celui des hommes. Les délégués du fiancé exposent devant eux la valise d’habits, la calebasse contenant: ● - La cola en grand nombre à distribuer à tous les participants pour matérialiser leur témoignage et sympathie, plus plusieurs de tas de dix noix de cola accompagnés, chacun, d’une certaine somme d’argent dont le montant varie suivant l’importance dans la hiérarchie de la famille ou les groupes de personnes ciblés auxquels on adressera ces salutations obligatoires ou honorifiques. ● - La natte qui rassure la belle-famille que sa fille trouvera où se coucher, qu’elle sera bien logée. ● - Du sel emballé dans un sac qui sera distribué aux différentes familles, afin qu’à travers cette denrée, tous les membres de chacune d’elle aient la preuve ou le témoignage de leur participation à ce mariage ou de l’information qu’on leur en donne. Sachons qu’au Mandingue tous les repas sont pris en commun, la cuisine est unique (daa kelen, gba kelen), et si c’est le contraire, les différentes familles fraternelles ou celles des cousins et des neveux se rendent au domicile du Papa, de l’oncle ou du doyen du clan (kabila kuntii) pour manger ensemble. Donc la priorité est donnée à la consommation de cette denrée distribuée jusqu’à son épuisement. ● - L’aiguille que la future épouse doit utiliser pour « coudre » toutes les déchirures éventuelles de la famille de son mari et souder les deux familles et les groupes hostiles ou clans de sa belle-famille. Elle doit donc ressouder le tissu social déchiré ici et là. Elle doit être un trait d’union entre sa famille et celle de son mari. Elle doit être le ciment de la société. ● - Des échantillons des différentes céréales du terroir... pour rassurer la belle-famille que la future épouse sera bien nourrie... Le contenu de la calebasse varie suivant les régions ou suivant la coutume de la belle-famille car, en effet, c’est elle qui prime. C’est sa coutume qui prévaut en la circonstance. Après le rafraîchissement et la présentation des dix noix de cola (dyilòworo) qui expriment la bienvenue, le nyamakala ou griot porte-parole des parents de la fille salue humblement le kabila kuntii (doyen) et tous les hôtes au nom de son maître et de son clan tout en leur demandant le motif de leur présence. Pour s’exprimer, il a le choix entre l’une des expressions suivantes ou parfois usité les trois formules simultanément: ● - Alu bisimilahi (Soyez les bienvenus! Que Dieu nous protège tous). ● - Alu ye dò di (Veuillez nous informer du motif de votre visite). ● - Alu ye ayi dantèè (Nous vous écoutons, à vous la parole). C’est le nyamakala de la famille de la mariée qui a mené à bien les négociations qui reçoit cette adresse de courtoisie qu’il répercute au chef de la 577


délégation par la voie hiérarchique. Chaque délégué est nommé et reçoit sa part d’honneur. Et ce chef de la délégation du fiancé répond humblement en ces termes: « An falu, an nalu, an kòròlu, an badenlu bèè, an na kabila bèè, ani an somòòlu bèè ko ko ka alu fo. Ala kòsòn, Kelabaa Mohamadi kòsòn, badenya kòsòn, siinyòònya kòsòn ani kamisanya kòsòn, n falu ka ayi bolo faran an na ko ka se alu ma. An ka an diyanen fèn mèn yèn alu la kabila kònò, ni an ka an bolo lòsama a kòfè, an nanin wole ko... » Ce qui se traduit littéralement par: « Recevez les salutations respectueuses et respectives de nos pères, de nos mères, de nos frères, de nos alliés et de toute la communauté de notre clan et de notre village. Nous venons à vous au nom de Dieu, de son Prophète Mahomet, de la fraternité, de l’esprit de bon voisinage, de notre longue et indéfectible alliance. Notre doyen, après la confirmation de la noble intention qu’il nourrit depuis longtemps pour votre fille, nous mandate de venir en ce beau jour vous implorer d’accepter d’unir solennellement notre fils et votre fille par les liens sacrés du mariage devant les notables, selon la coutume traditionnelle et les lois islamiques. Tel est l’objet de notre visite. Daignez accepter nos sincères salutations et remerciements pour le chaleureux accueil que vous avez bien voulu réserver à notre délégation. Que Dieu exhausse nos chers vœux de bonheur pour nos deux familles ainsi que nos bénédictions... » conclut-il. Debout dans le cercle constitué, l’intermédiaire ou furu nyèlò amplifie ces propos aimables rajoutés et brodés de commentaires et d’éloges à l’endroit des beaux-parents. Puis il reçoit du chef de la délégation venue un paquet de dix noix de cola qu’il tend à son tour à l’autre nyamakala ou à l’intermédiaire, le facilitateur, de la belle-famille, en respectant bien sûr la voie hiérarchique. Ce paquet de cola sert à ouvrir la route. (14) Évidemment ce geste d’honneur et d’humilité est favorablement accueilli et une réponse tout aussi digne, aimable et courtoise est donnée en ces termes par le doyen du clan sollicité: « Alu ni sènè. » = « Ayi danse. » pour les Ivoiriens. (= Soyez les bienvenus chez-nous.) « An hakili mako. » (= Votre démarche ne nous surprend pas.) « An hakili ye alu ma. » (= Nous vous attendons depuis longtemps.) « Sufè ani tilefè, alu kori ko tè an fè yan. » (= De nuit comme de jour, nous ne pouvons rien vous refuser.) « An bara dinyè ka muso di alu ma. » (= Nous vous accordons définitivement la main de notre fille pour le mariage.) « A bè alu la mara lo yan. » (= Elle est à votre disposition) 578


« Waa, an b’a fò alu nye ko… » (= Mais nous vous signalons que…) « Alu muso bè kanu kè (nyamòòya kè). » (= Votre femme est infidèle, elle est frivole.) « A bè sunyali kè. » (= Elle vole.) « A bè wuya fò. » (= Elle ment beaucoup.) « A bè naafiiya kè. » (= Elle sème la zizanie entre les gens.) « A bè kèlè kè. » (= Elle est irrespectueuse, querelleuse en quête perpétuelle de noises.) « A di dyulu ta. » (= Elle est débitrice insolvable.) « Sòn dyuu suu bèè le bè a la. » (= En un mot, elle réunit en elle tous les défauts et vices.) « Ni alu dinyènin ka a lamara ani a sòn dyuu wo bèè di? » (= Acceptez-vous de la garder avec tous ses défauts?) « Ni alu di hina a la… » (= Si vous pouvez avoir pitié d’elle…) « Wa, an tè sòn bisannin nén dyan ma. » (=Vous pouvez insulter votre femme mais jamais ses parents. Mais nous ne tolérons jamais vos propos désobligeants l’endroit de notre famille.) « Ni alu ma se ka a sòn min basi, alu wo fò an nye. » (= Signalez-nous tout défaut que vous n’arriverez pas à corriger.) « An di a di alu ma wo kandi... » (= Si vous nous donnez ces garanties, nous vous la donnons pour toujours. Sachez lui pardonner ses fautes en pensant à nous, ses parents. Si oui, nous sommes prêts à sceller le mariage...) Cette mise en garde que font tous les beaux-parents ne correspond pas en totalité ou en réalité aux comportements réels de la fille. Mais elle vise tout simplement à réduire les plaintes et les éventuelles déceptions du mari à propos des mauvaises conduites de sa femme. On admet qu’une fille docile, respectueuse, laborieuse... chez ses parents n’est pas forcément une épouse idéale, car le changement de contexte, d’environnement social peut la métamorphoser en mauvaise épouse. C’est pourquoi les parents prennent toujours la précaution de langage de lui attribuer tous les défauts afin qu’un jour son mari ne dise: « Ah si je savais ça! » Ou: « Si on m’avait dit ça, je ne me serais jamais engagé. » Ou bien encore: 579


« Je ne t’aurais pas épousée... » Les délégués, séance tenante, et de vives voix, se prononcent favorablement et sans équivoque; ils traduisent leur ferme volonté de prendre, d’aimer et de garder la femme en question malgré ses ignobles défauts signalés ou pas. Cet engagement solennel fait par les délégués engage aussi bien le futur mari que ses parents qui ne doivent en aucun cas se désolidariser ou désapprouver les délégués. Comme preuve de cet engagement, on fait parvenir, séance tenante, dix noix de cola aux beaux-parents, par le truchement de l’intermédiaire (furu nyèlò) qui a négocié le mariage et dont les propos tenus en coulisses s’en trouvent confirmés. Ce geste rassure les beaux-parents dont certains, jusqu’à cette étape précise, hésitaient ou étaient inquiets de l’avenir matrimonial de leur fille. Maintenant ils savent que leur fille est choisie, adoptée, aimée et protégée non pas par un seul homme, mais par toute une famille, tout un clan, toute la collectivité villageoise, ethnique ou tribale. En effet le mariage n’est point l’affaire des deux époux, mais engage au-delà d’eux leurs parents et concerne également toute la communauté villageoise. Ensuite on passe aux autres formalités d’usage. En guise de témoignage de leur satisfaction et de leur engagement, les parents du mari offrent aux beauxparents beaucoup de colas ou un panier de cola (woro) et un sac de sel qu’on partage pendant la cérémonie entre les différentes familles, les différents clans et tous ceux qui ont fait le déplacement. Parfois les absents ne sont pas oubliés. Chaque famille en reçoit, tant soit peu. Et comme les repas sont pris ensemble dans les familles, chaque villageois savoure ce sel d’honneur et de fairepart et s’en trouve du coup concerné par le mariage. Ainsi par cette distribution minutieuse de la cola et du sel, chacun se sent moralement lié à tous les problèmes des deux époux. C’est pourquoi chacun a aussi le droit et le devoir d’intervenir dans tous les différends qui opposent les deux conjoints, sans jamais être considéré comme un intrus. Ainsi donc le mariage et la vie de tout couple sont l’affaire de chacun et tous. I) - LA DOT OU FURUFÈN = FURUNAFOLO La présentation et la remise publique des objets convenus et réclamés en guise de dot constituent l’acte fondamental du mariage, le moment le plus solennel de toutes les étapes. C’est le couronnement. Qu’est-ce que la dot au Mandingue? La dot n’a pas la même signification en Europe qu’en Afrique. Si là elle désigne l’apport matériel des parents de la fille ou celui des deux conjoints au bien-être du couple, ici, chez nous, elle est payé exclusivement par le fiancé et ses parents. Il s’agit dans nos coutumes d’un ensemble de bien matériels et de services constants et divers que le prétendant agréé et ses parents doivent obligatoirement payer avant de recevoir la fille ou la femme sous leur toit. Certains considèrent 580


la dot comme la compensation matrimoniale, familiale ou parentale, car c’est l’ensemble de la belle-famille élargie aux proches et même lointains parents, y compris les alliés, qui bénéficie indifféremment de ces cadeaux et services de la part du prétendant et de ses parents. Chacun d’eux jouit des prérogatives paternelles pour faire chanter le beau-fils (birantyè). Celui-ci doit par conséquent témoigner à chaque beau-parent des sentiments de servitude et de respect illimité. Puisque le mariage engage toute la collectivité familiale, clanique et villageoise, le divorce pour cette raison est très difficile à prononcer. Même si les deux conjoints (ou l’un) manifestent la volonté de rompre le lien sacré ou s’ils y sont poussés par certains membres de leur famille, comme cela peut arriver, la communauté villageoise y pose son véto catégorique et entreprend les démarches appropriées en vue de la réconciliation. Le paiement de la dot (furunafolo ou furufèn) est, avons-nous dit, l’acte juridique fondamental et la garantie du mariage. Mais malheureusement elle constitue dans bien des cas une chaîne impitoyable et indestructible qui lie la femme à son mari, surtout quand celle-ci a été exagérément dotée, et que ses parents sont incapables de rembourser à son mari en cas de divorce nécessaire. Elle devient ainsi une espèce d’esclave écrasée par le poids et l’importance de la valeur ou du cumul des dépenses effectuées par son mari et par les parents de celui-ci que ses parents ne peuvent rembourser en cas de divorce. Il n’y a pas encore longtemps, la jeune fille ne recevait pratiquement rien de la dot payée par son mari. Dans certaines familles déshéritées, c’est l’intégralité de la forte somme d’argent et les nombreux bœufs payés par le mari en guise de dot qui étaient utilisés par le beau-père pour se doter une nouvelle femme, ou pour marier un de ses fils majeurs, un jeune frère, un neveu ou un cousin orphelin dont il a la charge et qui n’a pas de jeune sœur ou si elle celle-ci est trop jeune pour être mariée alors que son grand frère doit fonder un foyer. Dans ce dernier cas, c’est une dette qui sera payée dès que la jeune sœur sera mariée, sa dot servira au remboursement des dépenses engagées lors du mariage de son grand frère. C’est pourquoi la naissance d’une fille est toujours vivement souhaitée et accueillie avec un grand soulagement. Dans ces milieux la fille est considérée comme une source de revenus très appréciée qui permet de s’enrichir et de résoudre le problème de mariage des éléments mâles de la famille ou de solder les dettes de la famille. Aussi les beaux-fils étaient obligés de payer l’impôt de capitation à l’administration coloniale quand le beau-père ne pouvait le faire et surtout quand il risquait pour cette défaillance d’être attaché, exposé publiquement au soleil et battu. Le gendre faisait tout pour épargner au beaupère une telle humiliation. La dot était considérée au départ, ou à une période bien reculée de l’évolution de la société malinké, comme une preuve d’amour du prétendant pour la jeune fille. De ce point de vue il est un symbole. Il est dit que c’est la dot qui légitime les relations du couple. C’est donc le pendant de l’acte de mariage établi de nos jours par les autorités de l’état civil. Du fait que la dot légitime la 581


femme, elle a un caractère obligatoire. Il faut payer quelque chose dans ce sens, tant soit peu. La valeur du geste fait en direction de la belle-famille est appréciée diversement, selon son importance. Si un prétendant n’est pas en mesure de payer la totalité de la dot déterminée par ses beaux-parents, il doit obligatoirement donner un acompte, si modeste soit-il, et s’engager à régulariser le reste dès que possible. Parfois on lui exige un délai qu’on veut toujours court. Il reste donc débiteur. S’il meurt avant de solder le compte, ses enfants, pour être purs et réduire ses charges le jour du dernier jugement, doivent payer le reste de la dot à leur famille maternelle, à moins que celle-ci y renonce publiquement avant le quarantième jour de sa mort. Sans cette remise gracieuse devant la collectivité, la dette demeure. Et ses enfants dans le cas d’insolvabilité seraient indignes de leur père défunt s’ils ne relevaient pas ce défi devant Dieu et les hommes. Toute dette, surtout la dot, se paye ici-bas ou dans le monde de l’au-delà. Parfois, après le mariage, c’est la femme elle-même qui exige de son mari le paiement du reliquat de sa dot et surtout quand ses coépouses ont été entièrement dotées. Elle le fait pour une question d’orgueil, d’honneur et d’amour personnels. Dans l’esprit de certains, une femme non dotée n’a pas de valeur et n’est donc pas considérée dans son foyer comme une épouse légitime. Que l’arbre ne cache pas la forêt. Il faut dénoncer la pratique de la dot excessive qui apparaît comme une vraie valeur marchande de la femme et qui détruit la valeur symbolique de cette institution ancestrale. Ce qui est certain c’est qu’une telle pratique dépouille le mari de ses économies. Les beauxparents cupides l’escroquent, ce qui porte gravement préjudice au bonheur moral et matériel du couple. Et la femme est obligée de supporter stoïquement les abus d’autorité, les brimades, les reproches et les injures de son mari qui a l’impression qu’il a acheté sa femme. Parfois celui-ci s’en prend à elle et à ses parents et les rend responsables de sa faillite ou de ses difficultés. Dans bien des cas, les beaux-parents sont incapables de rembourser intégralement ou partiellement la dot qu’ils ont reçue et ne peuvent soutenir les initiatives de leur fille visant à obtenir le divorce, même si celle-ci vit dans un véritable calvaire. Certains font d’ailleurs fi de ses plaintes et la renvoient toujours dans son foyer sans parfois oser faire la moindre observation ou remontrance à son mari qui peut continuer de la brimer en toute quiétude. Pour la liberté de la femme, pour le bonheur matériel et moral du couple et des enfants, on peut maintenir la dot en tant que symbole, mais que disparaissent la dot en tant que source de revenus ou forme d’escroquerie, d’exploitation systématique et ruineuse de l’homme par l’homme. Il faut évidemment pour cela une profonde reconversion des mentalités. Ce qui n’est pas un travail aisé, car il est difficile voire impossible que des mesures administratives ou judiciaires coercitives suppriment du coup la dot ou celle qui ruine les prétendants. Et même si de telles mesures existent, elles peuvent être subtilement contournées. Les mesures dont la pratique est séculaire ne 582


disparaissent pas facilement et de façon brusque. Des dispositions théoriques salutaires sont déjà en vigueur dans certains états africains où la dot officielle est réduite à 5.000 francs guinéens (cas de la Guinée). C’est bien dommage que même dans ces pays cette loi est très souvent contournée. En effet il est difficile d’empêcher un homme de payer le prix qu’il faut pour obtenir les faveurs ou la main d’une femme qu’il aime, et souvent quand il a les moyens et que sa bienaimée et ses parents sont cupides. Tout se passe dans les coulisses. Après tout chacun dispose librement de sa poche et gère son portefeuille comme bon lui semble. Mais cette tendance à la prodigalité s’accentue quand le prétendant se trouve en face d’autres candidats aussi déterminés que lui. C’est dans ce contexte de concurrence et d’orgueil qu’on entend souvent dire: « A tola ko-ko la fo n ye muso min sòrò. = Muso min furufèn tambini a dan na. » Ou encore: « Muso min furu ni fo ka a bo bè furu. » Ce qui se traduit respectivement par: « Je suis prêt à payer tout le prix qu’il faut pour avoir cette femme. » = « La dot payée par son mari a largement dépassé les limites normales (donc dot excessive). » « Elle a été si chèrement dotée, même ses excréments ont été achetés par son mari, » dit-on aussi. Il faut donc arrêter ou alléger la dot excessive qui ruine le mari et fait le malheur du couple. L’importance de la dot varie suivant les familles, les clans et les ethnies. Elle se compose d’argent, d’or, d’animaux domestiques, d’habits et de bien d’autres biens matériels. Revenons à la cérémonie de mariage. J) - LES BIENS SYMBOLIQUES ET LES NUMÉRAIRES À OFFRIR PUBLIQUEMENT À LA JEUNE MARIÉE ET À SES PARENTS 1) - La présentation publique de la valise avec parfois le déballage de son contenu. Par consensus, cette séance peut se faire plus discrètement la veille de la célébration. Après la présentation et le partage-si possible-du panier de colas et du sac de sel, qui constituent la preuve de l’agrément final des deux familles ou des deux clans, les délégués déballent la malle ou la valise pour exhiber les habits et les autres parures achetés pour la mariée. Il faut noter qu’une discussion secrète préalablement menée par le truchement de l’intermédiaire (furu nyèlò) permet de déterminer approximativement les composantes de la dot. Séance tenante, on présente donc les habits (furufani ou fariya bò) de la future épouse. La valise doit être pleine d’habits de dernier cri composés, à titre indicatif, de:

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a) - Un minimum de sept complets. Généralement ce sont les pagnes wax hollandais qui sont exigés et qui font plus honneur aux deux parties. b) - Trois paires de chaussures (ou plus). c) - Au moins trois grands boubous en bazin de préférence et du premier choix. d) - Des bracelets en or ou en argent. Ces éléments ne sont pas indispensables. Le mari les achète dans la mesure où il a les moyens. Donc les bijoux en or sont facultatifs. e) - Des mouchoirs de tête. f) - Des articles de toilettes. Le nombre, la diversité et la qualité des choses à offrir sont fonction des moyens du mari et de ses parents. Certaines familles prennent la précaution d’associer secrètement la jeune fiancée, ses tantes (tènènmuso) ou ses marâtres (nadòòni) au choix des différents articles qui doivent être bien appréciés et être de leur goût. Mais en dépit de ce choix judicieux avec la participation effective de la fiancée accompagnée très souvent d’une tante, d’une marâtre ou d’une cousine, on fait encore recours aux tantes et aux marâtres de la jeune fille pour apprécier, séance tenante, les différents articles. Celles-ci, parmi lesquelles se trouvent souvent celles qui ont participé aux achats, les trient très sévèrement et en rejettent sous prétexte qu’ils sont de mauvaise qualité. Par conséquent leur nièce ou fille n’en est pas digne et mérite mieux. Elles considèrent que le choix de ces médiocres habillements est une grave offense à l’endroit de la fiancée et de sa famille. Les délégués s’attendent toujours à cet inévitable rejet ou véto plaisantin qui agrémente la cérémonie, même si les habits sont de qualité supérieure ou même si la fiancée et ses tantes ont été associées au choix. Quelles que soient les précautions prises, on se heurte toujours à ce véto incontournable des tantes et des marâtres. Les délégués du fiancé doivent alors ajouter un peu d’argent, dont le montant est forfaitaire et est fonction des moyens de la famille aspirante, aux articles refoulés pour apaiser les exigences des tantes et des marâtres. Sans exagération, les tantes ont toujours mis à profit cet instant de la cérémonie du mariage pour affirmer leur souveraineté et leur indiscutable autorité sur leurs nièces à l’attention de leur gendre et de sa famille. L’objectif de leur intervention n’est nullement de soutirer de l’argent au beau-fils ou de compromettre le mariage, D’ailleurs, quel que soit leur nombre, 200 à 500 F CFA ou au plus 1.000 francs ou une somme symbolique suffisent largement pour enjamber ce petit obstacle qui est une épreuve à laquelle aucun fiancé ou ses parents n’échappe et qui ne gêne d’ailleurs personne. C’est un moment de récréation très apprécié et attendu dans les cérémonies de mariage. Ce volet récréatif est donc à préserver dans le mariage. En prévision de ce rejet inévitable, certains prétendants riches allouent toujours une somme appréciable à cet effet pour se faire bien apprécier par les tantes et par la femme. Il est dit que les bénédictions des tantes sont très 584


bénéfiques au couple. Dans nos familles traditionnelles, les sœurs et les cousines - surtout mariées - et les tantes sont traitées avec beaucoup d’égards. On évite toujours de les outrager, de les faire pleurer en refusant d’accéder à leurs désirs. On voue une véritable dévotion à ces dames qu’on appelle senkò, c’est-à-dire « la revenante », celle qui revient en congé au bercail soit pour se reposer, soit pour attendre un nouveau candidat si elle est divorcée ou si elle attend la réconciliation avec son mari. Après leur mariage, les sœurs et les tantes sont couramment appelées fènmuso ou bènyènimuso par leurs frères, tantes et oncles tandis que leurs nièces et neveux les appellent n tènènmuso (tante). En guise de respect on ne les appelle presque jamais par leur nom de baptême. Dans la famille chacun les ménage avec beaucoup d’égards. On ne leur refuse rien de possible et chacun s’attire leur sympathie en leur rendant de menus services. À cause de leur position privilégiée et de leur influence notable dans la société traditionnelle malinké, les tantes, les sœurs, les nièces et les cousines arrangent ou gâtent bien des situations. Elles peuvent obliger un frère, un cousin ou un neveu à finir une discorde ou une querelle entre un frère, un neveu ou un cousin et sa femme. Elles peuvent contraindre celui-ci à reprendre son épouse répudiée ou à réintégrer un enfant renié. En principe, leurs ordres dans ce sens sont exécutoires. Elles sont aussi capables de réconcilier des familles en zizanie. À cause de cet impact sur chaque membre de la famille, leurs neveux et bellessœurs les sollicitent toujours pour faire fléchir le père, l’époux ou l’oncle braqué dans un conflit familial. Elles ont toujours raison dans tout différend qui les oppose à leurs neveux, nièces et belles-sœurs. Pour ces différentes raisons ceuxci les évitent toujours et supportent leurs caprices au risque d’être blâmé ou sanctionné. Elles sont très autoritaires et capables d’atténuer les passions, de réaliser les plus difficiles réconciliations ou d’envenimer les plus banals conflits dans la famille ou dans le clan. Leurs enfants appelés barin par toute la communauté villageoise et mamarèn par leurs grands-parents sont cajolés. Ils sont si affectionnés qu’on ne leur refuse ni service ni plaisir quand surtout ils sont originaires d’autres villages ou d’autres contrées. On est évidemment moins attentif aux tantes et sœurs ainsi qu’à leurs enfants si elles sont mariées dans leur village d’origine. On perd l’envie et le goût d’une chose, si précieuse soit-elle, qu’on voit ou dont on jouit tous les jours (sii kasanèn bè). Si durant son séjour au bercail une tante (une sœur, une nièce ou même une cousine) a son enfant battu, à tort ou à raison, par un autre enfant du village, notamment de sa famille ou de son clan, elle proteste vigoureusement en martyre, fait du tapage et se présente aux parents de celui-ci pour dédommager le sien. Pour la dédommager ou l’apaiser, on doit obligatoirement donner soit un complet de l’enfant qui a battu le sien, soit des céréales (riz, fonio, mil) ou soit de l’argent. C’est donc par cette amende obligatoire et des excuses publiques qu’on parvient à clore cet incident Cette réparation est incontournable en pays mandingue. La promesse ferme de ne pas récidiver cette violence sur son enfant lui est également faite. Comme c’est une occasion de profits, certaines tantes, sœurs, nièces, cousines 585


(senkò ou tènènmuso) recherchent toujours ce genre d’incident, même banal, qu’elles transforment en scandale sans précèdent. « Senkòden tè lakasila. » ou « Senkòden tè gbasila. » Ce qui signifie respectivement: « On ne doit pas faire pleurer l’enfant d’une sœur, d’une tante. » Tout comme: « On ne doit pas frapper l’enfant d’une sœur, d’une tante, d’une nièce et d’une cousine en séjour sa famille maternelle. » Une tante, une sœur, une nièce ou une cousine a le droit d’aller se ravitailler à volonté dans le champ pendant la récolte, ou dans le grenier de son frère, de son neveu ou de son cousin. D’autres, plus autoritaires, n’hésitent pas à priver un frère, un neveu ou un cousin de son repas chaque fois que la femme de celui-ci ne leur sert pas suffisamment à manger ou quand la belle-sœur ne met pas assez de viande ou de poisson dans leur plat. Dans ce cas le mari ne peut et ne doit s’en prendre qu’à sa femme qu’on oblige souvent à préparer de nouveau pour la tante, la sœur, la nièce ou la cousine offensée et pour éviter d’éventuelle récidive d’une telle défaillance. Le mari n’ose pas manifester la moindre mauvaise humeur à sa tante ou à sa sœur au risque de se voir maudire méchamment. On dit que les pleurs, les lamentations et les malédictions d’une sœur ou d’une tante portent inévitablement malheur à ceux qui les ont causés. C’est pourquoi tout le monde se soumet à leurs caprices. Pour mériter leurs bénédictions, il faut ménager constamment leurs susceptibilités. Elles et leurs enfants sont intouchables, donc pas susceptibles d’agressions verbales ou physiques. Ils sont donc au-dessus de la loi. On accepte facilement de marier leurs fils dans la famille maternelle (badenya furu ou barinya furu). Après le soulagement des tantes et des marâtres, la cérémonie continue. On distribue les autres cadeaux d’usage. 2) - Le fafani. C’est le boubou offert au père. Généralement c’est un grand boubou de trois pièces en bazin brodé qui revient de droit au doyen de la famille ou du clan ou à un des oncles - le plus en vue ou le responsable du mariage - qui peut dans bien des cas le rétrocéder au père de la fille. Le fiancé doit absolument ajouter une certaine somme d’argent variant entre 3.000 F CFA et 10.000 F CFA ou plus, selon ses moyens, comme argent de poche (fa duliki dyifa lòbila). Très souvent le boubou n’est pas cousu; dans ce cas la somme allouée comme argent de poche devient plus importante à cause des frais de couture et de broderie. Un tel boubou fait toujours la fierté du père, de l’oncle ou du doyen du clan. 3) - Le bafani ou bataafe. Le complet ou le pagne de la mère et le banisi (le bœuf de la mère). D’autres y ajoutent une couverture pour la maman (na birinkan ou babirinkan). L’on sait que la mère souffre beaucoup plus pour l’enfant que le père. C’est elle qui supporte les fatigues et les risques de la grossesse, les insomnies dues aux maladies de l’enfant, les fatigues de la maternité, les injustices et les brimades du mari, de la belle-mère, des beaux-frères et belles-sœurs... Pour 586


toutes ces raisons elle mérite une compensation lors du mariage de sa fille ou de celle qu’elle a eu à élever. Dans ce dernier cas cet honneur lui revient même si la maman de celle-ci est vivante. Pour compenser ces services et souffrances endurées, son gendre doit lui donner obligatoirement un bœuf (banisi) plus un complet (bafani). Il s’agit d’une compensation symbolique car l’entretien d’un enfant de la grossesse, pendant la maternité jusqu’à l’adolescence a n’a pas de prix. 4) - Matyèlu la morifa sònkò. Ce qui signifie le prix de fusil des frères et cousins de la fille. En effet ceux-ci ont toujours défendu les sœurs et les cousines contre tout agresseur et ont toujours fait preuve de vigilance constante dans la surveillance de celles-ci dans leurs relations sexuelles et sentimentales. Ils ont toujours réprimé leurs aventures sentimentales répréhensibles avant ou après leur mariage. Les sœurs et les cousines frivoles se sont toujours fait battre par leurs frères et cousins en cas de frivolité ou en cas d’infidélité et de relations répréhensibles et flagrantes. Elles sont souvent obligées de se cacher d’eux pour établir des relations intimes avec des garçons. Cette surveillance stricte vise à garder précieusement le point d’honneur de la fille (sa virginité) pour son futur mari. Sans même attendre de vérifier si la fille a effectivement préservé cet honneur qui rejaillit sur toute la famille, le mari doit allouer une certaine somme symbolique aux beaux-frères ou matyèlu (les frères et les cousins de sa femme) qui ont assuré cette surveillance avec des « fusils » (morifa) que ceux-ci doivent « renouveler » grâce à ce geste. Aussi, « ces mêmes fusils » servent à défendre toute la belle-famille en cas d’agression, de conflit ou de guerre. On dit aussi que ce geste du beau-frère permet aux frères et cousins de la fille de redoubler de vaillance et de vigilance au profit de tous les futurs gendres de la famille. En effet, après la mort des parents et même de leur vivant, les frères et les cousins de la mariée continuent à veiller sur tous les mariages scellés par ceux-ci. Donc la surveillance est constante afin que le mariage soit stable et devienne une union éternelle du couple. 5) - Distribution de cadeaux divers et d’argent. Une somme symbolique est payée, séance tenante, et distribuée aux partenaires des deux familles (les imams, les sanankun, les griots, les voisins de la belle-famille, la famille maternelle de la mariée...). 6) - Kònyò muran. Le prétendant doit payer une somme assez importante destinée à l’achat d’ustensiles diverses de cuisine (marmites, bols, assiettes, calebasses...) appelées kònyò muran ou kònyò doni (les effets de la mariée). Cette pratique n’est pas généralisée. Elle est en usage particulièrement au Mali, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et très peu en Guinée où seuls les ManinkaMory ou Malinké de la ville de Kankan l’exigent. 7) - Sadaku. Le minimum exigé comme dot par l’Islam correspond à un gramme d’or ou sa valeur, au moment de la célébration du mariage. Le prétendant nanti ou ses parents peut donner bien plus. Il n’y a pas de limitation

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de ce que la famille solliciteuse peut donner dans ce sens. En tout cas le paiement du Sadakou est exigé par l’Imam avant de bénir l’union des mariés. 8) - Furunafolo. C’est la dot proprement dite. Elle se paye généralement en bœuf et quelque fois en or ou en argent (espèce sonnante). À défaut des bœufs ou de l’or, on verse de l’argent correspondant à la contrevaleur marchande en cours du nombre de bœufs déterminé par la belle-famille. Il fut un moment de l’évolution de la société traditionnelle malinké où la dot des filles nobles (hòrònmuso) comprenait obligatoirement des esclaves garçons (dyòntyè) et filles (dyònmuso). Le montant de la dot varie suivant les familles, les clans, les villages et les régions et les possibilités matérielles des prétendants. Ainsi, deux sœurs paternelles ou maternelles et même deux jumelles peuvent être différemment dotées. L’une exagérément et l’autre modérément. À titre indicatif, rappelons que dans les années 1950, et même jusqu’à l’indépendance (1958), une fille était largement et chèrement dotée. Le prétendant payait entre sept et neuf bœufs chez les Malinké et quinze bœufs chez les Peul-Malinké dits Bassanno-Foulah (Sidibé, Sangaré, Diallo, Diakité). Du fait de la destruction massive et cyclique du bétail par la peste bovine devenue un véritable fléau et par la sécheresse qui persistent dans les régions de savane, la dot excessive tend à disparaître ou à diminuer considérablement. Actuellement beaucoup de famille adoptent cinq ou trois bœufs comme dot. Cette régression de la dot s’explique aussi par les conséquences de la crise économique qui persiste et limite les pouvoirs d’achat ainsi que par la crise de l’emploi et par les difficultés et les exigences de la vie moderne. Actuellement, dans certains villages du Konya ou dans certaines familles modérées, on fixe un minimum forfaitaire optimal au fiancé et qui varie entre 10.000 F CFA et 15.000 F CFA par bœuf; ce qui est nettement en dessous de la valeur marchande réelle des bœufs. Ces facilités réalistes sont enregistrées dans les mariages nouées dans les centres urbains où on se procure plus difficilement des bœufs et où les garçons se marient tardivement en raison des difficultés de la vie citadine. En raison de cette dure ou difficile réalité sociale, les bellesfamilles ont beaucoup diminuer leurs prétentions matérielles et financières par rapport à la dot excessive afin de donner plus de chance à leurs filles de se trouver des prétendants. Il est important de signaler aux futurs gendres des Malinké qu’un prétendant ne doit jamais payer du coup et séance tenante la totalité de la dot, si minime soit-elle. Même s’il a les moyens matériels et financiers suffisants, il ne doit verser qu’un acompte. Sa famille et ses délégués doivent s’engager, après un long marchandage, à payer le reliquat dans un délai conventionnel de six mois ou plus, généralement proposé par les parents du mari, puisque ce sont eux qui payent. Mais toute proposition de délai trop long est immédiatement rejetée. Payer immédiatement et séance tenante la totalité de la dot laisse insinuer qu’il s’agit d’un achat de marchandises. Par conséquent un tel geste de bonne volonté est considéré comme un outrage fait à la dignité et à l’honneur de la belle588


famille et du clan. Ceux qui commettent une telle maladresse se voient interloqués par de vives protestations de la part des beaux-parents qui rejettent alors tous les cadeaux sous le prétexte que leur fille n’est pas une marchandise dont il faut discuter préalablement et payer intégralement le prix avant de l’acquérir. On en fait un grave incident qu’ici et là des commentaires enveniment. La cérémonie est parfois interrompue ou annulée et le mariage peut s’en trouver compromis si une prompte et efficace diplomatie ou intervention opportune des délégués n’arrive pas à réparer cette faute ou cet acte de déconsidération. Ils doivent présenter publiquement leurs excuses qui peuvent être acceptées ou rejetées selon l’humeur ou l’exigence des beaux-parents. Parfois l’intervention des sages du clan allié de la belle-famille sollicitée est indispensable pour enjamber cet incident. Mais on est en droit de trouver paradoxal ou hypocrite de refuser de recevoir du coup la totalité de la dot d’une fille et acculer par la suite son mari pour payer le reliquat. Mais chaque peuple a ses coutumes et ses mœurs. Il faut l’accepter ainsi. Par contre l’Islam admet le paiement de la dette, séance tenante. Il faut éviter une dette que les enfants issus du mariage doivent honorer si leur père n’a pu le faire avant de mourir. En effet la dot reste une institution sociale obligatoire chez les Malinké. En dépit de son caractère exigeant, il y a bien des cas de tolérance et de modération avons-nous dit. Pour un homme démuni, ou dont les parents sont sans revenus substantiels, ses parents éloignés, ses amis, ses parents maternels et parfois la communauté villageoise interviennent en faveur de ce nécessiteux par esprit d’humanisme et de solidarité. Soit on le marie gracieusement (cas des Alamandi traité plus haut), soit on lui donne une femme en différant le paiement de la dot. Mais dans ce dernier cas il est tenu de payer au moins des habits pour la fiancée. Là aussi il bénéficie de la solidarité des uns et des autres. Une longue échéance de plusieurs années ou parfois indéterminée lui est accordée pour payer la dot dont le montant, si modeste soitil, est évidemment fixé. Si le bénéficiaire ne peut payer de son vivant, ses enfants doivent payer la dot de leur mère qui devient une dette qui les concerne dont le paiement les anoblit. Par ce geste ils libèrent leur défunt père d’une dette qu’il a contractée de son vivant. On a souvent vu des pères de familles cupides et impatients réclamer avec insistance la dot ou le reliquat de celle-ci à leurs gendres débiteurs. Certains en font un prétexte de divorce, de chantage et de retenue momentanée de la femme au bercail jusqu’à ce que son mari se mette totalement ou partiellement en règle. Tant soit peu, il faut dans ce cas de crise ou de difficultés un geste de bonne volonté. Cette attitude certes négative, paradoxale et condamnable de certains parents se comprend dans la mesure où la dot constitue parfois une source de revenus et d’enrichissement du père, et qu’elle lui permet de se doter une nouvelle épouse ou de marier ses fils et jeunes frères majeurs ainsi que ses neveux orphelins de père. Parfois, à la moindre difficulté matérielle ou financière du beau-père, le gendre qui reste devoir une partie ou la totalité de la 589


dot est convié à payer immédiatement le reliquat. Même si le gendre est en règle sur ce point, on s’attend toujours à son geste de solidarité. C’est d’ailleurs une bonne manière de prouver son attachement à la belle-famille et de témoigner son amour pour sa femme. Cette intervention opportune du gendre était courante voire obligatoire lors du paiement de l’impôt de capitation (nisònkò ou prix de l’âme, prix du droit à la vie et à la liberté) sous le régime colonial. Quand un beau-père était menacé, battu, ligoté et exposé au soleil par les gardes du cercle ou par d’autres sbires de l’administration coloniale, ses gendres payaient toujours la somme due et exigée. D’ailleurs ils intervenaient toujours avant ces scènes d’humiliation subie par leur beau-père. Il faut noter que la solidarité n’est pas à sens unique. En effet, le père de la femme intervient presque toujours, dans la mesure de ses moyens, en faveur de son beau-fils. Les beaux-frères, les belles-mères, les belles-sœurs, les tantes, les oncles, les neveux et les cousins en font autant. Mais dans ce cas, ce n’est pas le beau-fils ou le beau-frère qui sollicite cette aide opportune, question de pudeur et d’orgueil personnel. En effet un beau-fils se garde toujours de demander ouvertement l’aide matérielle de sa belle-famille. Il appartient à celle-ci d’apprécier sa situation ou ses difficultés et de juger de l’opportunité et de la valeur de leur solidarité. Les parents les plus sensibles à la situation de leur fille et de ses enfants interviennent toujours discrètement et à temps en contribuant efficacement à l’équilibre matériel et moral du foyer conjugal de leur fille, sœur, nièce, cousine, tante... Parfois, c’est l’épouse qui prend l’initiative d’attirer l’attention de ses parents sur les difficultés ou sur les problèmes de son mari. Il est rare que celui-ci leur en parle directement. On a d’ailleurs vu certaines familles prendre momentanément en charge un beau-fils et sa famille. Bien que rares, il y a des cas où les beaux-parents matérialistes et cupides profitent de ces difficultés du gendre pour demander le divorce. Les parents qui étaient hostiles au mariage s’en réjouissent et exigent le divorce. Mais généralement la femme les brave soit par amour pour son mari soit par affection maternelle et compassion pour ses enfants. En quittant son foyer dans de telles conditions, elle les frustre de l’affection maternelle indispensable à l’équilibre psychologique de ceux-ci. C’est en effet l’une des raisons principales pour lesquelles beaucoup de mères acceptent de souffrir avec leur mari afin de créer ensemble le bonheur du couple et surtout celui des enfants. En effet les marâtres ont toujours traumatisé les enfants de leurs coépouses par des exactions, des injures, des bastonnades, des brimades, des privations... Généralement, une femme qui a abandonné son foyer pour une raison ou une autre ou qui en été répudiée finit toujours-ou très souvent-ses jours dans son premier foyer. En effet quand ses enfants deviennent majeurs, ceux-ci mettent tout en œuvre pour réconcilier leurs parents. Toute la communauté les aide dans cette démarche. Après les négociations de la dot, on passe aux étapes suivantes de la procédure de mariage. 590


9) - Le partage des cadeaux. On procède ensuite à la distribution symbolique d’une certaine somme d’argent entre les différents parents de la jeune fille (kabilaso) et dont l’importance varie selon les moyens du prétendant. On peut, selon la convenance des deux familles, allouer une somme forfaitaire globale à cet effet (on utilise alors le terme « faire en gros » ou « distribuer en gros ») et dont la distribution reste à l’initiative de la belle-famille. On peut aussi procéder à une distribution minutieuse (faire le détail, ce qui revient plus cher, conformément à la liste suivante à titre indicatif: a) - Les jeunes oncles (fadòònin ou fadòòlu) reçoivent dix noix de cola plus 10.000 francs. b) - Les grands oncles (fabonbalu) reçoivent autant. c) - Les jeunes tantes (tènènmuso fitilu) reçoivent la même chose tout comme. d) - Les grandes tantes (tènènmusokòròbalu). e) - Les marâtres c’est-à-dire les coépouses de la belle-mère et les femmes de tous les oncles de la fille (na sinamusolu ou encore na dòòmanilu) sont également citées et saluées avec dix noix de cola plus de l’argent parce que ce sont elles qui ont aidé la maman a élever la fille. f) - Le doyen ou chef du clan (kabila kuntii) est salué avec dix noix de cola plus de l’argent. g) - La grande famille ou le clan (kabila) tout comme h) - Le grand-père (benbatyè). Il faut dédommager celui qui se dit cocu et victime d’escroquerie matérielle et financière de la part de la jeune fille et de ses parents depuis la naissance de celle-ci. À défaut de sa femme, il exige une compensation ou le remboursement intégral de l’argent qu’il a investi depuis belle lurette. Cette séquence est inévitable. Parfois plusieurs personnes du troisième âge se présentent pour les mêmes raisons et exigent tous un dédommagement. Aussi, les vieilles femmes ou parfois les belles-sœurs du mari opposent les mêmes vétos. On ne saurait enjamber ces obstacles sans se dédouaner en payant, séance tenante, une somme très symbolique pour faire sauter ce verrou. À ce niveau interviennent obligatoirement les parents du mari et accessoirement ceux de la mariée. i) - Les petits frères de la jeune filles y compris les cousins (muso dòònilu ou nimòòtyèlu ou encore muso matyèlu) reçoivent leur part. j) - Les grands frères y compris les cousins de la fille (muso kòròtyèlu). Les groupes i et j sont très considérés dans la nomenclature, car ce sont eux qui sont appelés à assurer la continuité de la famille quand les papas et les oncles ne seront plus de ce monde. Et c’est chez ceux-là que les sœurs et les cousines viendront se reposer en cas de conflits ou en cas de décès de leur mari, parfois même avec leurs enfants pour un bref ou un long séjour. k) - Les petites sœurs (y compris les cousines) de la fille (muso dòòmusolu) reçoivent également dix noix de cola avec une somme 591


symbolique tout comme les grandes sœurs, car ce sont elles qui souffrent beaucoup du vide par le départ de leur sœur. l) - Les grandes sœurs (y compris les cousines) de la fille (muso kòròmusolu). m) - Les voisines (siinyòònlu) sont également citées ou servis. n) - Les alliés (sanankun, kamisanlu) ne sont pas oubliés. o) - Certaines familles généreuses pensent aux voisins de la bellefamille (siinyòònlu). p) - Les griots qui jouent le rôle de facilitateurs reçoivent leur part de cadeaux symboliques, surtout ceux qui ont négocié le mariage. q) - Les sanankun ne sont jamais oubliés. La liste des bénéficiaires du geste de largesse de la belle-famille solliciteuse peut être bien plus longue, car on pense à tout le monde dans la famille, dans le clan et même dans le village. Les alliés ne sont pas oubliés. Cela vise à associer collectivement toute la collectivité au mariage. Dans certaines régions, après ces protocoles, on invite la jeune fille ou la femme mariée à casser une grosse noix de cola blanche dont elle croque un cotylédon devant l’assistance féminine des deux parties ou souvent au su et vu de tout le monde. Ce geste symbolique accueilli par des cris de joie et d’d’approbation vise à confirmer publiquement le consentement ou l’engagement de la mariée ou en tout cas à prouver qu’elle est liée à tout ce qui a été dit et fait avant ou pendant les cérémonies. On fait parvenir l’autre cotylédon au mari par les bons soins des jeunes sœurs et cousines (kònyòtyè dòòmusolu) du marié ou à son jeune frère désigné pour le remplacer au cas où il est absent à la cérémonie. Dans le cas contraire, elle se lève, escortée par ses belles-sœurs, ses amies (sèrèden), pour aller remettre ce cotylédon de cola à son mari, tout en se prosternant devant lui, ou au remplaçant de celui-ci. Les belles-sœurs (nimòòmuso) exigent et obtiennent obligatoirement une récompense de la part de leur beau-frère (nimòòtyè). Parfois une somme de 1.000 francs suffit pour calmer les bellessœurs et qui sont considérés comme « frais de transport » du cotylédon de la cola qu’on prétend être très lourd (woro-kurun-ta sara ou bien woro-tèènèn-ta sara). Elles sont capables de bloquer l’entrée de la case nuptiale pour se faire payer ce service (voir plus loin). 10) - Le sermon sacré du mariage. Après tout ce cérémonial traditionnel varié et coloré, le marabout, généralement l’Imam du quartier ou du village, qui officie la cérémonie s’adresse aux parrains désignés du couple (dentyè falakalu ani denmuso falakalu). Après avoir rappelé les principes du mariage musulman et coutumier, il leur demande si les deux familles, notamment les deux pères et les deux mères, sont d’accord pour célébrer le mariage. Il pose les mêmes questions que l’officier de l’état civil ou le maire avec la seule différence que dans nos mariages traditionnels, on ne s’adresse pas seulement qu’aux seuls intéressés, mais aussi et surtout à leurs parents dont le consentement est le plus 592


important. Ce sont les deux parrains - précisément deux oncles ou deux doyens des deux familles qui se trouvent face à face - qui répondent au oui sacramental. L’un représente la famille de la fiancée et l’autre celle du fiancé. Chacun d’eux est assisté d’un témoin. C’est l’oncle du fiancé qui reconfirme publiquement - au nom de sa famille - la demande de mariage et l’autre, son vis-à-vis, au nom des parents de la fille répond à l’affirmative en haute et intelligible voix en confirmant la donation au nom de la sienne. Donc c’est l’avis des deux parrains qu’il recueille et qui engage les deux familles et les futurs conjoints. La rencontre préalable des deux mariés avant le mariage n’était pas nécessaire, puisque, quel que soit le physique ou l’état mental de l’autre, on n’ose pas refuser ou rejeter le choix des parents. Parfois le couple ne se voyait physiquement pour la première fois qu’au lit conjugal, précisément la première nuit des noces. D’ailleurs le couple, ou en tout cas le mari, n’assistait jamais aux cérémonies de mariage dans la société malinké préislamique et précoloniale. La présence du mari et la fille est souhaitée mais n’est pas indispensable aux cérémonies de mariage. Parfois on peut remplacer l’absent par un jeune frère, un cousin ou par une jeune sœur ou une jeune cousine. Donc leur absence ne constitue pas un handicap et ne saurait empêcher la célébration du mariage. Dès l’instant où il n’y a pas d’opposition de part et d’autre, il rappelle avec insistance les principes, les devoirs et les droits des deux époux selon l’Islam et la tradition. Ces principes sont essentiellement fondés sur la soumission absolue de l’épouse à son mari. D’ailleurs, c’est la voie de son salut dans le monde de l’audelà. Par ailleurs il insiste sur l’obligation qui est faite au mari d’entretenir sa femme matériellement et moralement. Il doit jouer à tout moment son rôle d’époux responsable. De son côté, la femme doit amour et obéissance à son mari en toutes circonstances. Avant que le marabout ne prononce le serment en arabe, un événement insolite intervient et qui agrémente admirablement la cérémonie. Le marabout reçoit la plainte d’un homme généralement un grand-père, un vieil oncle, un vieux du clan ou un allié du clan de la mariée-qui prétend être le vrai mari. Il raconte sa mésaventure en ces termes: « Je suis victime de trahison, d’escroquerie et de duperie. Depuis des années j’ai demandé et obtenu la main de cette fille qui m’a aimé. Mais depuis quelques temps un intrus est venu perturber notre vie amoureuse très sereine. Il a détourné ma femme. Par conséquent ce mariage ne peut être célébré sans qu’il ne rembourse les millions de francs que j’ai dépensés. Je me remets à vous, homme de Dieu pour une juste réparation du préjudice qu’ils m’ont causé. Je mets mon véto à ce mariage. » Parfois c’est une belle-sœur, une grand-mère ou la femme d’un des grands oncles du futur marié qui s’oppose à la poursuite des cérémonies pour les mêmes raisons. Parfois celle-ci se présente avec ses enfants ou avec des enfants réquisitionnés pour le besoin de la cause qu’elle présente à l’assistance comme les victimes de l’inconscience de son mari qui l’a abandonnée avec ses enfants. Pour franchir cet obstacle incontournable dans nos mariages traditionnels, les 593


parents du mari doivent payer des dommages et intérêts-une somme symbolique de 500, 1.000, 5.000 F CFA ou plus - que le marabout fait parvenir au plaignant (ou à la plaignante), au malheureux candidat. Et tout rentre dans l’ordre. En tout cas cette séquence est très attendue lors des mariages coutumiers et pendant la signature de l’acte de mariage à l’état civil. Parfois les candidats et candidates à ce jeu rivalisent et le plus talentueux reçoit plus de dons en guise de « remboursement des dépenses effectuées ». Après cette récréation, le marabout dit des prières en arabe pour le bonheur du couple et pour leur famille respective. Lui-même reçoit une certaine somme d’argent pour le sermon qu’il a fait. Si les cérémonies ont drainé beaucoup de marabouts, un ou trois d’entre eux récitent la Fathia en formulant de meilleurs vœux pour le bonheur du couple et les futurs rejetons qui seront issus de cette nouvelle union. Ils reçoivent individuellement ou collectivement de l’argent, leur part des différents repas et parfois des habits. Rappelons que pendant toute la cérémonie se trouve posée, au milieu du cercle formé par les représentants des deux familles chargés de finaliser les procédures, une calebasse blanche recouverte d’une toile blanche. Ces délégués prennent place sur une natte, autour du marabout ou du doyen chargé de célébrer ou de bénir le mariage. Que signifie cette natte et que contient cette calebasse apportée par la famille demandeuse? Ouvrons-la. En effet, la coutume oblige les parents du mari de se présenter à la cérémonie de mariage avec une natte et une calebasse blanche, particulièrement traitée, contenant entre autres: Des échantillons de céréales locales: riz paddy, fonio, mil... par lesquels on rassure les parents de la mariée que celle-ci n’aura jamais faim. Des condiments du terroir: tomate, gombo, aubergine... afin que les participants sache que tous les ingrédients sont disponibles pour assurer à leur femme une vie heureuse. Un sac gros, moyen ou petit, de sel. Ce sel est à distribuer entre les différentes familles du clan, de la collectivité villageoise ou du quartier. Ainsi, pour avoir mangé de ce sel, chaque individu, chaque famille est témoin de ce mariage dont la survie devient l’affaire de tous. Beaucoup de colas dans une calebasse à distribuer à la fin de la cérémonie afin que chaque participant se sente concerné par ce mariage qui vient d’être noué. Des aiguilles (une dizaine suffit) qui symbolisent ou projette le comportement de la future mariée qui doit raccommoder le tissu familial et social chaque fois que la famille est en discorde ou est menacée de dislocation. La calebasse est fermée par un van et le tout recouvert par un tissu très blanc. Ce qui symbolise le caractère sacré du mariage qui ennoblit et purifie l’individu, assure son émancipation et sa maturité sociale. Cet ensemble de symboles est porté par une tante, une jeune marâtre, une sœur, une cousine ou une griotte du mari qui prend la tête d’un imposant cortège 594


d’hommes, de femmes et d’enfants tous vêtus de leurs plus beaux habits. Ce cortège est accompagné de musiciens et de griots qui ne tarissent pas d’éloges pour la nouvelle mariée, pour ses parents et pour la famille requérante. Tout ce beau monde est accueilli par une forte mobilisation des parents, des alliés et des voisins de la famille de la mariée qui reçoit et habite les cérémonies. Ce jour de consécration est aussi une occasion pour la famille sollicitée de faire étalage de ses possibilités financières et matérielles en préparant abondamment à manger pour les beaux-parents et pour sa propre collectivité. Les deux familles rivalisent dans cette démonstration de capacité de mobilisation et de puissance financière et matérielle. Le contenu de la calebasse est préalablement contrôlé et réceptionné pour vérifier si rien n’y manque. Le griot (nyamakala) de la famille de la fiancée se charge de cette vérification qu’il fait avec rigueur et conscience au nom de ses maîtres. Après la séquence religieuse, on s’achemine vers la fin des cérémonies. 11) - La fin de la cérémonie. Pour conclure les cérémonies, les délégués du mari font parvenir, séance tenante, à la belle-famille, par le truchement de l’intermédiaire (furu nyèlò), dix noix de cola dites « muso-makili-woro » (réclamation de la femme) avec une somme insignifiante de 1.000 F CFA considérée comme le transport de la jeune femme (symbole). On exprime le souhait ardent de recevoir la femme dans les meilleurs délais. Voici entre autres certains de leurs propos: « An ye sii la konko le la. » (= Nous n’avons personne pour préparer, nous ne mangeons pas actuellement.) « An tè an kola. » (= Nous ne nous lavons pas.) « An na fani bèè bara nòò. » (= Nos habits sont tous sales ou mal lavés.) « Alu ye dinyè ka an muso di an ma. » (= Soyez généreux pour nous, ayez pitié de nous. Remettez-nous dès aujourd’hui notre femme que nous aimons tant. Aussi notre maison est vide. Nous sommes donc contraints de la fermer par manque de femme. Sachez aussi qu’il fait actuellement très froid.) On évoque tous les devoirs de la femme ainsi que les services qu’elle peut rendre et que le mari est obligé de faire lui-même par manque de femme à la maison. C’est pratiquement la même démarche et les mêmes propos même si le mari est déjà marié ou même polygame. Cette demande est toujours favorablement examinée. Les parents de la mariée fixent alors séance tenante ou quelques jours plus tard, après concertation, une date très proche pour accompagner celle-ci dans son futur foyer conjugal. Parfois on l’accompagne la nuit même des cérémonies si son mari réside dans le même village qu’elle et à la demande express des parents de son mari. Cette pratique d’accompagnement de

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la mariée la nuit même des cérémonies est très courante dans les centres urbains et vise à réduire les dépenses qu’entraîne ce couronnement. Les cérémonies qui se sont déroulées dans une ambiance de fête populaire prennent ainsi fin à la satisfaction de tous et aux sons des instruments de musique. Les griots flagorneurs et les musiciens en profitent pour faire les louanges des deux familles et sont largement récompensés pour leur contribution positive à la réussite des cérémonies. D’ailleurs, leur prestation n’est pas finie, puisqu’on leur fait appel pour accompagner la mariée. Mais ils restent essentiellement à la charge des parents du mari. Il faut signaler que les mariages, les baptêmes, les circoncisions, les excisions, les obsèques et funérailles... sont des occasions que nos troubadours exploitent pour aduler leurs maîtres, flatter les familles et surtout les nantis dont ils dressent la généalogie ascendante rendue célèbre pour soutirer assez de sous. Ils rappellent les gloires de leurs aïeux. Ceux qui ont la langue plus déliée et possèdent un vocabulaire plus riche ou le verbe plus percutant reçoivent toujours beaucoup d’argent, des habits et divers cadeaux. C’est pourquoi tous les griots se donnent rendez-vous dans les cérémonies de mariages et rivalisent dans les louanges à l’endroit des différentes familles et particulièrement en direction de celles concernées par les cérémonies du jour. Ils font passer la jeune fille mariée pour la plus belle du village, la plus sage et la femme idéale issue d’une famille noble, digne, riche et généreuse, ce qui incite celle-ci à plus de prodigalité envers eux. Les griots ont mis à profit ces circonstances pour s’assurer un lendemain meilleur pour se procurer à manger pour les jours qui suivent et des habits. C’est pourquoi ils n’épargnent aucune famille, aucun nanti, aucun individu pour soutirer de l’argent ou autres biens matériels. Pour eux c’est une aubaine inespérée dont il faut profiter au maximum. Il faut noter que dans certaines régions, au début ou à la fin de la cérémonie, la mariée, vêtue de blanc, prend la calebasse et son contenu pour venir la déposer en s’agenouillant respectueusement devant son père, devant surtout son oncle responsable de son mariage ou devant le chef du clan (kabila kuntii). Parfois on réserve cet honneur à son frère aîné, ou au représentant de celui-ci qui peut être un de ses cousins. Cette démarche signifie qu’elle est d’accord sur tout ce qui sera dit ou fait si cette séquence se situe tout au début de la cérémonie ou qu’elle est entièrement liée à tout ce qui a été dit ou fait. Ainsi, par ce geste elle confirme devant toute la collectivité son engagement dans ce processus de mariage qu’elle ne saurait remettre en cause. Après cette dernière étape, on donne à manger à tout le monde, surtout à la belle-famille solliciteuse et à tous les invités, y compris les voisins. Mais parfois, la belle-famille venue se gène de manger devant les parents de la mariée et préfère emporter chez elle leurs plats. Les cérémonies de mariage sont généralement organisées les après-midis. Après ces protocoles ci-dessus, on cède la place aux musiciens pour l’animation. La danse organisée est à l’honneur des mariés présents ou absents. Elle 596


rassemble les deux familles, leurs alliés et tout le quartier ou tout le village. Les réjouissances peuvent continuer la nuit. Ce sont des occasions de défoulement et d’égaiement de la jeunesse du quartier et du village. Puis on se congratule réciproquement et la belle-famille solliciteuse se retire pour aller préparer la réception de la mariée. Il faut préciser que si l’accompagnement de la mariée est convenu pour la nuit de ce jour, on laisse une délégation légère de deux ou trois personnes qui est chargée de transporter la mariée et la délégation qui doit l’accompagner chez son mari. Parfois aussi cet accompagnement est différé. K) - LA CÉRÉMONIE D’ACCOMPAGNEMENT DE LA MARIÉE CHEZ SON MARI (KÒNYÒ MALÒ) C’est enfin l’étape finale de ce long processus et qui couronne l’effort de longue haleine et la longue patience du mari et de ses parents. 1) - Les préparatifs du départ Avant le départ de la mariée pour son futur foyer, sa famille doit lui faire des cadeaux et des honneurs. Il faut constituer pour elle le kònyò muran ou kònyò doni composé d’habits et de divers ustensiles de cuisine. En effet, on fait des collectes d’argent et de cadeaux divers au niveau de ses tantes, de ses oncles, de ses marâtres (épouses de son père et de ses oncles paternels), de ses bellessœurs, de ses frères et sœurs, de ses cousines, de ses amis et des alliés de la famille ainsi que ses parents maternels. Tous ceux qui veulent lui témoigner leur sympathie et leur reconnaissance pour services rendus ou qui apprécient leur bonne conduite et veulent par conséquent leur traduire leur témoignage de satisfaction sont concernés. Ce sont les jeunes filles laborieuses, respectueuses, serviables, tendres... qui reçoivent plus de cadeaux et d’hommages publiques. Si son père a les moyens, il doit lui donner des bijoux en or et en argent. Il peut aussi lui offrir une vache prélevée sur la dot et dont la garde est confiée très souvent à sa mère. Elle peut aussi l’emporter dans son foyer conjugal afin de s’en occuper elle-même. Ce qui constitue pour certaines femmes une véritable source de fortune, car certaines vaches se multiplient très rapidement. Elles en vendent chaque fois que le besoin se fait sentir. À la longue, elles en prélèvent pour acheter de l’or pour ses filles qui se marient ou pour constituer la dot des épouses de ses enfants mâles. Trois jours avant la célébration du mariage ou avant son départ de sa famille, on doit lui tresser les cheveux. Une délégation féminine, généralement composée de ses belles-sœurs et de ses coépouses (épouses de son mari et celles des frères et cousins de celui-ci) encadrées par quelques vieilles femmes et des griottes assiste, à la cérémonie de coiffure. Ces femmes doivent fournir une natte sur laquelle la fiancée doit se coucher pendant la tresse (kun dan dèbè) et trois 597


pagnes neufs dont elle porte un, se couvre avec le second pour ne pas avoir froid et le troisième pagne recouvre les genoux de la tresseuse afin que celle-ci ne se salisse pas ou pour ne pas que la belle fiancée ne ramasse pas les poux déposés sur les genoux de la tresseuse par d’autres jeunes filles qui l’ont précédée chez la coiffeuse. Le prix de la coiffure varie selon la tête de la cliente ou plus exactement selon les moyens de son mari et l’importance de la famille de celuici. La coiffeuse reçoit beaucoup de cadeaux (argent, vêtements, céréales...) et surtout la natte et les trois pagnes lui reviennent de plein droit. La coiffeuse et les griots des deux familles qui assistent à cette séance de coiffure reçoivent divers cadeaux (dyansalifèn), surtout des parents du fiancé et parfois de ceux de la fiancée. La coiffeuse a beaucoup d’astuces pour mettre à l’épreuve l’orgueil de la cliente et celui de toute la famille du futur mari. Parfois elle arrête de tresser sous prétexte que la tête de sa cliente est trop sale et pleine de poux, ce qui lui donne la nausée. Elle s’efforce de cracher pour témoigner de cette nausée. Pour qu’elles reprennent le travail, les belles-sœurs de la jeune fille lui donnent de l’argent. Après quelques instants, elle s’arrête encore pour dire qu’elle est fatiguée de supporter le poids écrasant de la grosse tête de sa cliente. On lui attribue encore une certaine somme d’argent pour « alléger » la tête. Elle peut aussi s’arrêter pour affirmer que ses mains sont trop fatiguées de tenir les cheveux durs comme du fer de la jeune fille ou pour dire que celle-ci n’a pas assez de cheveux. Ce qui rend son travail très difficile. On lui donne de l’argent pour assouplir ou pour faire pousser les cheveux de sa cliente. Ainsi, à chaque interruption de la coiffure pour tel ou tel défaut réel ou imaginaire, la coiffeuse reçoit une indemnité. Sous l’injonction des griottes et des musiciens, les belles-sœurs de la fiancée rivalisent en donation. Elles donnent qui de l’argent, qui des habits tant à la coiffeuse qu’aux griottes qui chantent les louanges de la future mariée et les gloires de sa famille paternelle et maternelle qui ont la chance d’avoir et de bien éduquer une telle fille. La famille du prétendant qui a eu la chance d’épouser une si belle fille est fouettée dans son orgueil et poussée à la prodigalité. Par ailleurs, une de ses sanankun (femme issue d’une famille alliée qui a le droit de plaisanter sans limite avec la famille ou le clan de la fiancée) peut interrompre la coiffeuse en criant de vive voix que la future mariée lui doit de l’argent ou a volé ses cheveux, ses habits ou la natte sur laquelle elle est présentement couchée. Elle exige qu’on lui restitue l’objet volé ou à défaut qu’on lui paye la contrevaleur. Pour blanchir ou dédouaner la jeune fiancée de cette fausse accusation qui n’est que blague, du déshonneur ou du discrédit, on doit obligatoirement dédommager l’accusatrice ou la plaignante en lui donnant soit de l’argent soit des habits. D’ailleurs la coiffeuse prend cause et fait pour cette sanankun en arrêtant la coiffure. Une griotte peut aussi faire interrompre la séquence de coiffure par ses chants et louanges à l’adresse de la belle fiancée, de sa famille paternelle et de celle de son mari. Tous ces handicaps sont franchis en payant une modeste somme d’argent ou en offrant des cadeaux divers, 598


notamment des habits. Obligation est faite à ses belles-sœurs et aux femmes de son clan de la libérer chaque fois de ses charges. Les familles aisées se mobilisent et invitent pour la circonstance des musiciens et des griots pour que la coiffure de leur future femme se fasse dans l’allégresse générale et en profitent pour faire l’étalage de leur fortune. Avant le jour de l’accompagnement ou jour du départ, les tantes et les marâtres de la mariée reçoivent et rassemblent tous les cadeaux qu’elles regroupent par catégorie pour faire des colis (kònyò doni) afin de déterminer le nombre de porteurs de bagages et de désigner les personnes devant constituer la délégation chargée d’accompagner la future mariée (kònyò kura). Chaque personne retenue pour cette mission s’appelle kònyò malòla et l’ensemble des délégués est désigné par le terme kònyò malòlalu. La nuit qui précède le jour du départ est une véritable veillée pour dire au revoir à la mariée et lui souhaiter un très bon et heureux mariage. De son père, de sa mère, de ses marâtres, de ses tantes, de ses oncles, des vieux, des vieilles femmes de son clan, des alliés et de toutes les personnes qui l’aiment et l’apprécient, la jeune fille reçoit des bénédictions, des conseils et des recommandations des règles de bonne conduite ferme et digne (sarankanali ou bien ladilikanna) qu’elle doit strictement observer dans son foyer et dans son nouvel environnement social pour vivre honorablement, dignement et harmonieusement. On lui évoque les devoirs de soumission et les différentes servitudes qui doivent l’inspirer à tout moment envers son mari et ses beauxparents. Elle doit être une femme idéale, digne, fidèle, laborieuse, respectueuse et honorer sa famille. Elle doit être capable de faire le bonheur de son mari et des parents de celui-ci. On la met en garde contre les actes de tyrannie de sa belle-mère et des sarcasmes de ses belles-sœurs et beaux-frères qu’elle doit supporter stoïquement. Ce début d’Adieu est très émouvant. La mère en pleure, lui rend des hommages publics. Elle la congratule pour les services qu’elle lui a rendus et pour la piété filiale qu’elle n’a cessé de lui témoigner. Chaque membre de la famille la bénit de son mieux. On lui adresse des vœux de réussite totale dans son foyer. On souhaite que Dieu lui donne très tôt de nombreux, vigoureux et brillants enfants... La séparation se fait toujours dans les pleurs, dans le chagrin, dans la compassion. C’est un moment difficile à supporter pour les cœurs sensibles. Il faut noter que dans les centres urbains, la cérémonie d’accompagnement se fait généralement la nuit même de la célébration du mariage. Dès le crépuscule (fitiri), les tantes et les marâtres de la mariée doivent lui faire une toilette spéciale et l’habiller en blanc. Puis on l’installe dans un cercle, sur un tabouret ou sur une chaise pour lui donner les derniers conseils nécessaires afin qu’elle sache comment bien tenir son foyer. On en profite également pour la remercier pour les menus services qu’elle a rendus à chacun et à tous, puis on la couvre de bénédictions avant de l’accompagner chez son mari (sarankanali, duwawu).

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Mais attention, aidée par une belle-sœur ou une marâtre, en sortant de la chambre de sa mère ou de la maison où se tient les derniers conseils d’usages, elle doit sortir trois fois le pied droit au seuil de la porte de sa mère tout en maintenant et en s’appuyant sur le pied gauche à l’intérieur de la maison de sa mère. Ce même geste est à refaire en entrant dans la maison nuptiale. Elle doit donc rentrer et ressortir trois fois le pied droit dans la case nuptiale tout en restant appuyée sur le pied gauche maintenu hors de la porte d’accès. Ceci signifie qu’en s’appuyant sur le pied gauche pour accomplir ce geste, elle enfonce les malheurs dans le sol et laisse ainsi derrière elle tous les mauvais sorts (nyama) et tous les malheurs et apporte également dans son foyer tous les bonheurs inattendus et rejette ainsi les malheurs et les malédictions. Les Mandingues tiennent beaucoup à ces gestes de la mariée qui permettent d’enterrer les malheurs ou mauvais sorts et créer le bonheur tant dans la maison paternelle que dans celle où on doit l’accueillir pour le reste de sa vie. C’est ainsi qu’il est admis qu’une femme peut apporter le bonheur (hèrè, haridyè, nyoro nyuma) ou le malheur (gbalo, nyoro dyuu). 2) La réception de la mariée (kònyò malò ou kònyò labèn) Le jour « J », le cortège, après avoir reçu les dernières consignes s’ébranle vers la famille, le village ou le lieu de résidence du mari. On se quitte dans un déchirement pathétique de cœur. Les personnes sensibles ne peuvent retenir les larmes. On a l’impression que c’est un départ sans retour. Ces états d’âme se comprennent dans la mesure ou la fille mariée appartient beaucoup plus à la famille et au clan de son mari qu’à sa propre famille (ou clan) paternelle. Elle doit y passer le reste de sa vie, ce qui représente le temps le plus long de sa vie ici-bas. Elle ne doit revenir au bercail qu’avec la permission de son mari pour un séjour parfois très court. C’est un saut dans l’inconnu qu’elle fait. Avant le départ, intervient toujours un petit événement qui mérite d’être signalé et qui fait justement la richesse et le charme de nos coutumes. En effet, tous les nimòò-nen (jeunes frères, sœurs, cousins et cousines de la mariée) s’interposent à l’entrée de la case maternelle ou de la concession familiale pour empêcher la sortie de leur sœur ou cousine. Ils refusent de laisser partir la mariée sous prétexte qu’ils n’auront plus personne pour laver leurs habits (pour les éléments mâles) ou pour leur tenir compagnie (pour les éléments féminins). Ils évoquent tous les services que celle-ci leur a rendus. Aussi, ils affirment tous ne pouvoir supporter son absence qui va les chagriner tant. Les prières sont vaines. Ils ne lui cèdent le passage qu’après paiement d’une certaine somme d’argent par les parents présents de son mari. Après cette première barrière, on bute encore sur l’obstacle crée par le groupe d’âge de la mariée (sèrèden). En effet, ses amies et camarades viennent à leur tour bloquer la mariée pour les mêmes raisons que ses frères, sœurs et cousins. Mais ce dernier groupe justifie son véto par le fait que les deux familles ont négocié le mariage de leur amie 600


sans que personne n’ait eu le moindre souci, la moindre obligation ou le moindre respect de les informer. Donc pour avoir été déconsidérés, frustrés, eux-aussi, ils bloquent la mariée. Là aussi personne ne crie au scandale. Il faut obligatoirement que le représentant du mari paye une somme symbolique pour les consoler et pour libérer la route devant la mariée. Cette séquence se joue dans le chahut et se traduit par un déploiement de force par un cordon de bras valides qui empêchent la sortie ou le départ de la mariée. Les jours propices pour accompagner une jeune mariée dans son foyer sont: le jeudi et le vendredi, à condition que ce ne soit pas les 3è-5è-13è-16è21è-24è et 25è jours du mois lunaire qui sont des dates néfastes. En tout cas on s’arrange toujours pour organiser le départ ou le voyage de manière à arriver chez le mari le jeudi ou le vendredi. Cela, pour ne pas compromettre la réussite du mariage et le bonheur du couple. Pour une question d’honneur et de superstition, la mariée ne doit pas fouler de sitôt le sol du village de son mari. Aussi, pour ne pas la fatiguer, elle ne doit pas marcher longtemps. Si son mari réside dans le même village qu’elle, on la prend dans le hamac dès sa sortie de la case maternelle. Et si elle doit partir dans un autre village, les jeunes gens du village de son mari viennent l’accueillir à quelques kilomètres de leur village. Le hamac de la jeune mariée (kònyò dyò) doit être richement décoré. Habillée de tout blanc, la tête fourrée dans un pagne ou un foulard blanc, parée de bijoux en or, la jeune mariée (kònyò kura) est triomphalement accueillie aux sons des tam-tams, des balafons, des flûtes, à coups de fusils dans une allégresse populaire. Elle est ovationnée par tous les villageois. C’est l’occasion pour ses belles-sœurs, ses beaux-frères, ses coépouses (englobant les épouses des frères et des cousins de son mari) de rivaliser dans les chants de réjouissances populaires. Chacun entonne un chant propre à sa situation et met en évidence la nature des relations qu’il doit tisser avec la nouvelle venue dans la famille. On la taquine, on lui dédie des chants paraboliques moqueurs. Pendant que le flot humain envoûté passe successivement d’une concession à une autre pour présenter la nouvelle mariée, le cortège des délégués et des porteurs qui accompagnent la nouvelle mariée est dirigé directement sur la cour du doyen de la famille ou du clan du mari (kabila kuntii). Parfois ils sont reçus dans la cour du père ou d’un oncle du mari. Dans la délégation il y a toujours une fillette de six à douze ans appelée « kònyò wulinen, kònyò den ou tinyè lasiiden » suivant les régions. C’est en général une petite sœur, une nièce, une cousine ou la fille d’un allié de la mariée qu’on lui confie jusqu’à l’âge de la puberté et parfois jusqu’à son mariage et qu’elle doit éduquer à sa manière. Celle-ci doit surtout l’aider dans ses travaux ménagers quotidiens. Aussi, sa présence aux côtés de la mariée réduit considérablement la solitude de celle-ci, surtout quand la résidence du couple est loin du village de la mariée ou quand elle doit résider dans une région éloignée ou dans un pays lointain. Pendant ce temps, la nouvelle mariée ovationnée fait le tour d’honneur du village, toujours en hamac. Son entrée dans chaque concession est saluée par des 601


coups de fusils, tandis que les tam-tams continuent de crépiter. C’est la fête au village. Généralement toute la communauté villageoise ne travaille pas ce jourlà, ou rentre très tôt des champs pour participer pleinement à la réception qui prend donc un caractère populaire et carnavalesque. Dans les centres urbains de nos jours, toutes les femmes du clan des deux conjoints, les associations amicales (tonden) ou ethniques auxquelles sont affiliés les deux conjoints ainsi que leurs camarades d’âge (sèrèden) rehaussent l’éclat de la cérémonie en se mobilisant massivement et en confectionnant pour la circonstance des uniformes (sanka-wuli ou sanka-fani ou encore tondenlu-la-fani ou sòòbi pour d’autres). Avant de rejoindre les logements des hôtes, les délégués font un compte rendu rapide (kalaman dantèèli) aux notables réunis, car ceux-ci ne suivent pas le cortège dans sa randonnée dans le village ou à travers les quartiers de la ville. On dit qu’ils sont fatigués, même si les deux familles sont dans le même village ou dans la même ville. C’est donc les jours suivants qu’on présente les délégués ainsi que les effets (kònyò doni ou kònyò muran) de la nouvelle mariée. L’éclat de ce compte rendu public est également subordonné au résultat de la rencontre sexuelle du couple. Si la jeune fille est vierge, les délégués peuvent fièrement et publiquement communiquer aux beaux-parents les recommandations et le message d’amitié de leurs mandants. Dans le cas contraire on fait un entretien restreint, anticipé et discret et parfois on met précipitamment fin au séjour. On rentre donc honteusement au bercail (kònyò maloma dya). Dans ce cas de déception, le mari poussait son indignation et son déshonneur jusqu’à l’extrême et en faisant un scandale sans précédent. À l’aube de la première nuit de noce, on voyait certains maris cocus menacer ou frapper carrément les vieilles accompagnatrices pour leur complicité ou leur naïveté d’avoir d’accompagné avec faste « une vieille femme », c’est-à-dire une fille qui a déjà eu des relations sexuelles avant le mariage avec un ou plusieurs amants. C’est pourquoi avant d’accepter d’être membre d’honneur d’une délégation devant accompagner une jeune fille chez son mari, certaines personnes - hommes ou femmes -faisaient des enquêtes préalables pour s’assurer de la virginité de la future mariée. Au cas où la préservation de ce point d’honneur n’a pu être assurée, certains délégués désistaient pour éviter la honte. (An tè maloya fè.) Dans ce cas de déshonneur, ils devaient alors se retirer discrètement pour aller rendre compte à leurs mandants. Là aussi le retour au village se fait sans tapage. Par ce retour inopiné et discret de la délégation, la communauté villageoise saura que la fille n’a pas pu sauvegarder son point d’honneur. Très souvent c’est la pauvre maman qui est rendue responsable de cette méconduite de la fille. Il faut noter que l’entrée de la mariée au village ou dans la chambre de son mari ne se fait qu’au crépuscule et doit respecter certains principes et suivant certaines pratiques. En ce moment précis, son mari doit se trouver hors du village, bien hors de la cade nuptiale. Ceci est aussi valable pour le mari qui réside dans le même village que sa fiancée. Dans l’un ou l’autre cas, il va généralement à la chasse, au champ ou alors déambuler dans la nature, méditant 602


ou spéculant sur ce qui va se passer la nuit. Sera-t-il honoré ou déçu par sa femme? S’il n’a pas eu, auparavant, de relations sexuelles avec elle pendant les fiançailles. Il doit rentrer discrètement au village, vers 20 heures et attend chez un ami jusqu’à une heure très tardive de la nuit avant de se glisser discrètement dans la case nuptiale où il ne doit pas entrer avant la mariée. Celle-ci ne doit pas non plus entrer dans la case sans au préalable faire une toilette appropriée. Celleci se fait soit dans la clôture soit à l’entrée de la case nuptiale. Il s’agit d’une toilette purificatrice qui vise à la débarrasser du nyama ou effets nocifs des sorciers, des jeteurs de mauvais sorts de son village ou de ceux du village de son mari. Il faut aussi la mettre à l’abri des djinns, des mauvais esprits qui l’ont poursuivie ou la délier de l’amitié qu’elle aurait nouée avec son dadjina (génie allié, souvent protecteur). Ce genre de relations peut assombrir l’avenir du couple qui peut en être « stérile ». Pour dissiper cette inquiétude qui la hante tout comme son mari et tous les proches parents du couple, on la lave avec une eau mystérieuse (dyòbòdyi) fournie par des chasseurs, des devins, des féticheurs ou par une vieille femme versée dans les science occultes. On pourrait aussi compléter cette précaution par des talismans (nasidyi) que les marabouts fournissent à partir des versets protecteurs du Saint Coran. Ces interventions sont sollicitées et incontournables. Ce protocole se fait sous la haute autorité d’une vieille femme du clan du mari sensée pouvoir affronter et vaincre les esprits maléfiques sous toutes les formes. Après cette toilette occulte, dont l’efficacité n’est jamais mise en cause, les belles-sœurs de la mariée se chargent d’habiller celle-ci. Cette toilette se fait toujours dans une pénombre. Il faut noter que l’eau du bain ne doit pas couler dans plusieurs directions. Dans ce cas de figure, il faut en s’en inquiéter car cela augure que la mariée connaîtra plusieurs foyers. La tradition à travers les commentaires de ce qu’on considère comme étant une malédiction venant de la mariée qui jette ainsi un mauvais sort sur la vie du couple. Dans ce cas on affirme que le couple connaîtra assez de déboires et même le malheur. C’est pour cette raison que la famille du mari limite le nombre des laveuses qui sont choisies parmi les sœurs et les tantes du mari afin de circonscrire ou de garder rigoureusement une telle information au cercle très restreint de la famille intime. Les sœurs et les tantes ou marâtres loquaces sont systématiquement écartées de cette procédures afin de garder dans la totale discrétion une telle information. Voilà pourquoi certaines familles prennent la précaution de choisir ou de sélectionner rigoureusement les laveuses et celles qui doivent assister à cette cérémonie spéciale pour éviter les mauvaises langues qui n’hésiteraient pas à signaler toutes les infirmités ou malformations physiques de la mariée à travers le village. Aussi, certains candidats malheureux animés d’un esprit vindicatif pourraient corrompre une ou plusieurs laveuses pour mettre habilement la mariée en contact avec des fétiches discrets dans le but de nuire au couple en créant la zizanie entre les nouveaux mariés ou de rendre le couple stérile. C’est ainsi qu’on explique parfois la discorde prématurée et récurrente entre les deux 603


conjoints qui peut déboucher sur le divorce dans le meilleur délai. La toilette se fait dans une atmosphère de joie, de fête, de plaisanterie, de chahuts sans limites accompagnés de chants moqueurs à l’endroit de la mariée. Certaines bellessœurs la pincent ou lui donnent de tendres coups de points, ou la tâtent, tandis que d’autres se contentent de l’injurier. Entre autres invectives on peut retenir: « Tu faisais ton malin souvent quand notre frère venait te rendre visite. Parfois tu le renvoyais ou lui parlais très mal. En plus tu étais abusivement prétentieuse. Tu te croyais supérieure à lui. Maintenant te voici dans nos griffes. Nous pouvons à présent faire de toi ou à toi tout ce que nous voulons. À présent cette hypocrisie est terminée. Maintenant c’est à nous de jouer. Tu n’es plus qu’un pantin dans nos mains... » Tout cela n’est pas méchant et vise à la faire expier les caprices insupportables qu’elle avait chez ses parents, les souffrances et la longue attente qu’a subies son mari qui est leur frère ou leur cousin. Cette séquence se fait dans des chahuts souvent ponctués de chants paraboliques et d’éloges à l’endroit de leur frère ou cousin qui est le plus bel homme qui a pu conquérir une telle beauté qui venir faire pour leur famille de beaux et vigoureux enfants. Après la toilette, une de ses belles-sœurs la porte au dos jusqu’au lit nuptial recouvert d’un drap blanc, car elle ne doit pas marcher afin d’éviter de marcher sur un gris-gris enterré par des ennemis entre la toilette et la case nuptiale. La mariée doit porter un pagne blanc et tout le reste du corps également drapé de blanc. Dans certaines régions on la dépose au seuil de la case ou de la chambre nuptiale. Elle doit obligatoirement y introduire d’abord le pied droit, TROIS FOIS, tout en s’appuyant sur le pied gauche qui reste dehors avec tout le reste du corps, avant de entrer le reste du corps. Ceci augure sa réussite dans son foyer et la défaite de ses ennemis, et de ceux de son mari, car on n’exclut pas les tentatives nocives de ses coépouses, de ses marâtres et des mauvais esprits jeteurs de mauvais sorts dans les deux familles où parfois les ennemis ne manquent. La case nuptiale est fortement parfumée, et l’odeur de l’encens qui s’en dégage embaume l’air et même les cases voisines. C’est seulement après tout ce cérémonial et ces protocoles d’accueil que le mari peut accéder à la case ou la chambre nuptiale, mais très discrètement. Rentré de sa retraite, lui aussi doit se laver proprement pour les mêmes raisons de superstition. La différence est que lui n’a pas besoin d’assistance ou d’aide pour prendre son bain chaud. Ensuite un repas copieux est servi aux nouveaux mariés. Ceux-ci doivent manger ensemble pour la première fois. Pour créer la détente, décrisper la situation en facilitant ce premier contact, les amis intimes et parfois les camarades d’âge du mari (sèrètyè) se joignent au couple pour partager ce repas délicieux. Notons que certains mariages étaient conclus sans que les deux conjoints ne se voient au préalable pour se connaître, s’apprécier mutuellement 604


et s’aimer. Tenus à l’écart de ce choix fondamental dans la vie d’une personne, ils s’ignoraient complètement. Le premier contact ne peut se faire donc sans trac, sans gêne. L’on comprend donc le rôle combien positif des amis du mari en ces premiers instants de leur vie commune. D’ailleurs même s’il y a eu des contacts avant les noces, le fiancé se fait toujours accompagner par un ou plusieurs amis pour ne pas se morfondre devant sa fiancée ou sa belle-mère. Il y va rarement seul. Les amis chahutent donc les deux conjoints. On rit, on mange... Ceux qui ont la langue bien déliée, qui sont beaux parleurs, grands moqueurs et comédiens animent le repas. D’autres amis du mari, déjà mariés, lui demandent de leur permettre de l’initier à la chose en lui faisant une démonstration pratique sur la nouvelle mariée et sous ses yeux, ou lui demandent de savoir donner cette nuit la mesure de toute sa virilité masculine. Ils l’avertissent de ne pas être sot au point de vouloir comprendre que: « Prendre femme » ou « ka muso ta ». Ce qui signifie étymologiquement: « Porter la femme au dos » ou bien: « La faire asseoir sur les genoux du mari toute la nuit », comme l’a fait, selon une anecdote, un jeune marié novice pendant sa première nuit de noces. Le matin, ce mari niais avait déclaré à qui voulait l’entendre que sa femme était trop lourde pour lui et qu’il ne pouvait pas la prendre (marier). Son dos et ses genoux en avaient terriblement soufferts toute la nuit. Il en conclut que son père avait fait un mauvais choix pour lui. Il lui fallait donc une femme d’un gabarit moindre. Évidemment, ses amis initiés ou déjà mariés lui donnèrent des instructions précises pour la nuit suivante. Et tout rentra dans l’ordre. Le cas de ce niais revient toujours dans les chahuts des amis à l’endroit du couple. On le met aussi en garde de dominer son plaisir, de ne pas crier d’extase comme le fit le niais quand il découvrit effectivement la réalité. On ne saurait rapporter ici toutes les plaisanteries, tant il y en a. Que votre imagination féconde secrète autant qu’elle peut des plaisanteries inédites quand il vous sera donné l’occasion de chahuter un ami, le jour de son mariage. Les convives sont si désinvoltes qu’ils font tout pour décrisper et dévisager la nouvelle mariée qui cache toujours sa figure dans son voile. En effet, se trouvant dans un nouvel environnement, celle-ci est si contractée qu’elle refuse de se mettre à l’aise et se recouvre la tête de son écharpe blanche. Certains amis de son mari lui enfoncent dans la bouche de grosses poignées de riz et de viande. D’autres l’obligent à en faire autant à son mari. Elle finit par le faire après une certaine réticence. Après le repas, on bavarde un peu sans abuser du temps du couple qui a besoin de sérénité. Chaque visiteur se retire en rappelant au couple ses consignes et recommandations. Notons que dans d’autres milieux plus rigoureux, personne ne doit voir la mariée une fois qu’elle est introduite dans la case nuptiale. Elle est isolée. Cependant, exception est faite de la griotte ou de la vieille femme qui l’accompagne et qui est son seul contact avec les autres pendant trois ou sept jours. Pendant toute cette période, elle reste toujours habillée de blanc et mange de copieux repas.

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Durant cette première nuit de noces, tout le monde dort au village les yeux à demi clos, les oreilles tendues vers la case nuptiale dans l’espoir d’avoir le privilège d’entendre le coup de fusil annonciateur de la bonne nouvelle c’est-àdire la virginité de la nouvelle mariée. (Ni kònyò kura sunkurun senin a tyè ma. = Si la mariée est arrivée vierge.) La première nuit des noces reste toujours mémorable pour le couple ainsi que pour les parents et même pour la collectivité villageoise. En effet, pendant cette première nuit, le couple est étroitement épié. Des vieilles femmes désignées parmi les délégués et renforcées par d’autres de la famille du mari se mettent au guet, devant la porte nuptiale ou tout autour de la case, jusqu’à une heure très tardive de la nuit. Elles écoutent attentivement les conversations des mariés dont les moindres gestes et propos retiennent leur attention. Cette surveillance autorisée par la coutume vise à déjouer les arrangements et les compromis de complaisance entre les deux conjoints afin de sauver leur honneur. Mais la surveillance est si rigoureuse que les dispositions à prendre pour attester la virginité de la fille ne peuvent être prises sans indiscrétion. Le couple est donc obligé de corrompre les surveillantes dont il achète le silence (voir plus loin). C’est seulement après le premier rapport sexuel du couple qu’elles se retirent sur la pointe des pieds. Aucun jeune couple n’échappe à cette surveillance qui s’organise à son insu et contre sa volonté, surtout quand la jeune fille est à son premier mariage. Ce sont ces espionnes officielles qui rapportent en amplifiant ou en déformant les propos les plus intimes des mariés. La surveillance continue les nuits suivantes si au cours de la première nuit la mariée ne s’est pas livrée à son mari. Celui-ci doit faire preuve de virilité suffisante pour vaincre la réticence ou la résistance de sa femme. Si la mariée est déjà mère, si elle est en état de grossesse ou si elle n’est pas à son premier mariage, le couple n’est pas épié. Si la jeune fille mariée est déjà déflorée avant le mariage par un autre homme, elle doit obligatoirement dénoncer l’auteur de cet acte sacré et au besoin dresser la liste complète de tous ses partenaires sexuels qui ont osé offenser son mari en dégustant « le fruit sacré » dont ils ne sont pas les propriétaires légaux. Si elle refuse de les dénoncer, son mari la ligote et la bastonne jusqu’à ce qu’elle se soumette à cet impératif. Beaucoup de filles se réservent pour ne pas se trouver dans cette situation de honte. En tout cas le mari doit connaître le nom de tous ceux qui ont osé se substituer à lui. L’auteur de l’acte suprême (la défloraison) est le plus visé. Le matin, le mari doit rendre compte de tous les aveux de sa femme et tous les coupables sont traduits devant le conseil des sages (tyè tòò fò = musoko kiti). On doit réparer ce préjudice causé à lui ou cette offense dont il est victime (musoko lada). Les coupables encourent la bastonnade. Une amende minimum d’un bœuf est imputée au premier partenaire sexuel, car cet honneur ne revient de droit qu’au mari légitime et uniquement à lui seul. Tout le monde s’en prend à celui qui a osé casser le pot au miel. (« Ko latòn ye kèla tyè min ka lidaa ti. » 606


ou « Fo ka ko latòn kè tyè min ka libala ti. ») Au cas où la jeune fille tombe illégalement en grossesse, un conflit violent où échanges de coups et usage d’armes blanches ne sont pas exclus, oppose la famille du mari cocu à celle de l’amant de la jeune fille. Parfois la jeune fille est répudiée et de son foyer conjugal et de sa propre famille paternelle pour cet acte déshonorant. Dans les cas de grossesse non désirée ou accidentelle, donc cas extrême, le père de la fille a toujours piqué une colère si violente qu’il renie celle-ci et parfois s’en prend à la mère qui est souvent répudiée de son foyer pour sa complicité ou pour son manque de vigilance. Il arrive aussi, qu’en pareille circonstance, certains époux, par excès d’amour pour leur femme, par faiblesse de caractère ou par exigence de celle-ci poussée par sa mère, peuvent couvrir ou camoufler la défaillance, la grave faute commise, pour sauver uniquement l’honneur des beaux-parents et proclamer « la fausse virginité de la mariée » à l’aube de la première nuit des noces. D’autres revendiquent la paternité de l’enfant bâtard ainsi conçu. Il y en a aussi qui n’en font aucun scandale pour ne pas perdre la femme. Ils tolèrent la grossesse sans pour autant reconnaître le futur rejeton dont ils sont prêts à assumer l’éducation jusqu’à ce que celui-ci soit récupéré par son vrai père biologique. Dans certaines familles on se méfie beaucoup de l’accompagnement anticipé ou précipité d’une fille fiancée sur l’initiative de ses parents. En effet l’expérience prouve que dans la majorité des cas, dès que la maman et les tantes de la jeune fille soupçonnent que celle-ci porte une grossesse non désirée et indigne de deux ou trois mois, elles poussent le père ou l’oncle responsable du mariage de prendre l’initiative de l’expédier chez son mari. S’il n’est pas vigilant, il risque d’être dupé. Elles font valoir très souvent l’impatience du prétendant qui a assez souffert, assez attendu ou l’excès de maturité de la jeune fille pour convaincre le parrain à prendre cette décision opportune. Lui aussi est dupe autant que le mari. Mais d’autres maris sont informés au préalable de l’état de la jeune fille par les bons soins des beaux-parents-ce qui est honnête-ou à partir d’un constat personnel. Dans ce cas de grossesse douteuse ou indigne, il y a trois alternatives possibles: ● Soit, le mari accepte la situation comme un accident involontaire, dans ce cas il reconnaît la grossesse et la paternité de l’enfant, ● Soit il renonce purement et simplement au mariage, ● Soit il ne reconnaît pas la grossesse mais conserve la femme et rend l’enfant à son vrai père biologique dès l’âge du sevrage. Dans certains cas la fille reste chez ses parents jusqu’au sevrage de l’enfant. Il récupère la femme dès que le petit bâtard rejoint son père où quand la belle-mère se charge de la maternité du rejeton. Dans ce cas de compromis très fréquent, la femme rejoint vite son mari en laissant le soin de la maternité à sa maman. Dans les cas de compromis, d’arrangement pour sauver le point d’honneur, le mari doit déclarer de vive voix, à une heure tardive de la nuit, ou à 607


l’aube, de manière que les vieilles chargées d’épier et d’écouter les conversations et actes du couple puissent l’entendre: « An tun bara wo nyabò a mènna. » C’est-à dire: « Nous avons réglé cela depuis longtemps. » Il doit alors présenter à l’aube, aux vieilles femmes, le drap de lit ou le pagne maculé du sang d’un poulet que les deux mariés ou généralement la mère de la mariée prennent soin d’égorger discrètement la nuit. Parfois le scénario est soigneusement monté au préalable, bien avant le jour de l’accompagnement. En application de cet accord discret entre le mari et la femme et pour ce baroud d’honneur de la belle-famille et de la belle-mère en particulier, et pour dissiper tous les doutes et tous les soupçons, on fait l’opération de duperie quelques jours avant la nuit des noces. Dans ce cas on laissera croire que le mari a connu et défloré sa fiancée il y a belle lurette. Le drap de lit maculé du sang d’un poulet soigneusement conservé constitue la preuve irréfutable de la virginité de la jeune fille. D’autres belles-mères négocient, par le biais de la fille, cette opération la nuit même de l’accompagnement de la mariée. Mais la réussite de cette duplicité exige dans ce cas la caution des surveillantes qu’il faut au préalable corrompre (cas très rare). Il faut acheter leur silence, car on ne peut égorger un poulet et maculer le drap de lit de son sang à l’insu de ces espionnes qui surveillent le couple dans ses moindres gestes et propos. Ce drap de lit maculé de sang ainsi exhibé le matin, on pourra congratuler la jeune fille d’avoir fait honneur à tous ses parents et à son mari qui est particulièrement fier de sa fidélité. Mais, par la suite, il faut obligatoirement faire un sacrifice approprié indispensable pour apaiser la colère de l’esprit offensé et la colère bafoué des ancêtres morts que cette compromission a offensé dans leur repos outre-tombe et pour se repentir de cette indigne duplicité sciemment organisée. En effet, il est dit que de telles complaisances sont à l’origine de plusieurs cas de stérilité féminine. Parfois la femme ne peut concevoir qu’après avoir fait un aveu public de cette tricherie. Que ceux qui cautionnent naïvement cette pratique complaisante s’attendent « inévitablement » à ces conséquences néfastes en acceptant d’office de compromettre leur fonction procréatrice! Dans le cas idéal, c’est-à-dire celui où la jeune fille a dignement conservé sa virginité pour son mari, à l’aube de la première nuit de noces, celui-ci doit tirer un coup de fusil pour annoncer fièrement à toute la communauté villageoise la virginité de sa femme (lidaa = libada = libala). Alors, toutes les femmes du village ou du quartier qui attendaient impatiemment la bonne nouvelle, organisent spontanément et instantanément une danse populaire dans toutes les concessions. Les accompagnatrices de la nouvelle mariée et la mère du mari sont plus envoûtées, plus déchaînées par cette gloire et semblent guider cette marée féminine qui serpente dans le village, car le voyage a été bon, honorifique donc une réussite totale (taama diyara). Tout le monde est honoré. Elles présentent dans chaque concession ou dans chaque carré la pièce à conviction de

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la virginité, c’est-à-dire le drap blanc ou le pagne maculé de sang. Elles chantent en chœur: « An ye n bèn wo somòòlu bala yèn, n kun wo libala. » Ce qui se traduit par: « Venez tous à ma rencontre, car je porte sur ma tête un pot de miel que je vous convie à goûter. » Le drap maculé de sang est exhibé avec fierté au su et vu de tout le monde. Tout en dansant et chantant, les femmes distribuent ici et là de la farine de riz et des noix de cola en l’honneur de la jeune mariée qui est magnifiée comme une héroïne. Malheureusement, on constate de nos jours que tous ces « pots de miel » ou « toutes ces gourdes contenant du miel » sont cassés ou n’existent plus, car la quasi-totalité des jeunes filles perdent leur virginité bien avant le mariage (Sisan, lidaa bèè bara ti). À Dieu donc ces réjouissances populaires et honorifiques à l’occasion des mariages. Le flot de femmes se dirige finalement vers la famille paternelle de la jeune fille qui, surtout sa mère, réplique joyeusement et fièrement au champ précipité: « N na sisè kèla lanka ye, n na sisèba kèla lanka ye. » Traduction: « Mon poulet est devenu une poule majeure qui me fait honneur et est prête à couver dans la dignité. » Ce chant parabolique signifie tout simplement que les détracteurs et les gens du village qui doutaient de la virginité de sa fille ont maintenant honte puisque celle-ci est restée sage et digne de sa famille en résistant à toutes les tentations. Son mari l’a trouvée vierge. Tout le monde vient congratuler le couple et remercier surtout la nouvelle mariée pour l’honneur qu’elle vient de faire à son mari et qui rejaillit assurément sur ses parents et par ricochet sur toutes les deux familles, sur tous les deux clans. Elle reçoit des cadeaux de toutes sortes (dyansalifèn) et doit rester enfermée à la maison pendant sept jours. Quant au mari, il ne doit pas travailler pendant cette période de noces. Ses absences à la maison sont très rares et surtout brèves. On doit servir au couple les plats les plus délicieux. Mais au Mali la mariée ne consomme que de la bouillie de mil pendant les trois premiers jours des noces si celle-ci a pu conserver sa virginité. Les accompagnateurs ne sont pas pour autant lésés. Ils en ont pour leur compte. Des cadeaux ou dyilòworo ou encore lonan fani na leur arrivent de toutes parts. C’est la grande satisfaction et la fierté des deux parties contractantes... La tradition recommande vivement au mari d’avoir des relations sexuelles régulières ou fréquentes pendant les sept premières nuits dans l’espoir de tomber sur une nuit favorable ou féconde pour engrosser sa femme, si celle-ci est arrivée vierge. Après plusieurs tours du village par les danseuses en l’honneur de la nouvelle mariée qui a fait preuve de sagesse, le cortège se disloque à la satisfaction de tous. Les notables se réunissent chez le doyen du clan du mari le lendemain ou quelques jours après pour écouter le compte rendu (dantèèli) des délégués (kònyò malòlalu) qui peuvent à présent parler fièrement, car leur 609


inquiétude est dissipée. Ils ont de bonnes raisons de manger, de parler et d’accepter tous les cadeaux, la tête haute. Parfois le compte rendu de la délégation ne se fait que le troisième jour de l’arrivée dans le village ou dans la famille du mari. On dit qu’ils sont fatigués, mais en réalité c’est pour savoir si la jeune fille est vierge ou non. Donc on ne se précipite pas, on attend toujours les résultats du premier rapport sexuel du couple. Ils transmettent, par la voix du chef de leur délégation, les salutations fraternelles de leurs mandants et remercient vivement leurs beaux-parents de l’honneur qu’ils leur ont fait en choisissant leur famille parmi tant d’autres ou en traversant plusieurs villages ou régions pour venir prendre femme chez eux. Ce n’est nullement une question de femme, car leur fille n’est certainement pas la plus belle du village ou de la région. On fait ensuite l’éloge du prétendant et de ses parents. On reconnaît l’effort constant qu’il n’a cessé de déployer pour accéder à leur famille. Sa démarche patiente, ses nombreux services rendus à chaque membre de la bellefamille, ses fréquentations régulières, le respect et la servitude dont il n’a cessé de faire preuve depuis qu’il a décidé de s’allier à leur famille ou à leur clan sont reconnus et loués publiquement. Il est présenté comme un modèle précieux de gendre (birantyè sòbèn, birantyè soob). Ses parents ne sont pas oubliés dans cette adresse. Ensuite on remet officiellement la fille au doyen (kabila kuntii) des beaux-parents qui a formulé la demande de mariage. Le chef ou le rapporteur de la délégation termine son exposé en ces termes: « Voici votre femme. Elle vous appartient pour toujours. Seulement nous vous rappelons une fois de plus qu’elle ne sait rien faire et qu’elle a tous les défauts. Eduquez-la en sachant pardonner ses défauts éventuels à cause de nous. Aussi, nous vous prions d’éviter les injures à l’adresse de ses parents (bisannin nèn dyan kana se muso-kòmòòlu ma). Nous comptons sur votre bonne compréhension et votre indulgence. Tout notre clan reste à votre disposition... » Après ce discours, on présente tous les biens matériels (kònyò muran ou kònyò doni) de la jeune mariée afin que tous les parents de son mari mesurent et apprécient à sa juste valeur l’effort de la belle-famille pour équiper leur femme en divers ustensiles de cuisine et en d’autres biens matériels. Le doyen du clan (kabila kuntii) du mari répond avec courtoisie par d’aimables paroles et s’engage à bien traiter la mariée et d’œuvrer constamment au renforcement de l’alliance entre les deux clans. Si la jeune mariée est arrivée vierge chez son mari, le séjour de la délégation (kònyò malòlalu) dure trois à sept jours. Dans ce cas les cadeaux d’usage sont nombreux et divers. Pour la remercier de sa surveillance ou de la bonne éducation donnée à sa fille, la belle-mère (biranmuso) reçoit de son beaufils (birantyè) un bœuf ou son équivalent appelé « banisi » ou « bafani ». Parfois la distribution de cadeaux d’usage aux différents délégués donne lieu à une petite cérémonie (ka kònyò malòlalu bila ou ka kònyò malòlalu dyansa). Dans ce cas d’honneur, les délégués sont reçus à leur retour au bercail dans une 610


allégresse populaire. La fille est magnifiée pour l’honneur qu’elle vient de faire à tout le clan, à tout le village et ses parents sont vivement congratulés pour leur autorité exemplaire qui a su donner à la fille une éducation honorable. Le chant de gloire « Alu ye n bèn wo somòòlu bala yèn, n kun wo libala (le pot au miel) » est encore entonné par les accompagnateurs de la mariée et repris en chœur par toute la collectivité de concession en concession. Les coups de fusils, les différents instruments de musique viennent agrémenter ce concert. Mais dans le cas où le coup de fusil annonciateur de la bonne nouvelle - la virginité de la fille - ne retentit pas à l’aube, c’est la honte pour les accompagnateurs qui sont alors obligés d’écourter leur séjour sauf si les parents du mari les retiennent en leur disant: « An tun bè (= an tèrè) musoko le rò, an ma fò ko an ye sunkurunko le rò... » Ce qui se traduit par: « Nous vous avons demandé une femme et non exigé de vous une jeune fille vierge. Nous nous contentons de ce que nous avons trouvé... » Mais avant d’en arriver là, on écoute les déclarations du mari qui, très déçu voire indigné dit en substance: « N ma ko ye... » = « N ma fuyi si ye. » C’est-à-dire: « Je n’ai rien vu d’intéressant et d’honorable! » ou encore: « Je n’ai pas trouvé ma femme vierge, ce qui est bien regrettable... » Dans les deux premiers cas, on fait une rapide enquête pour savoir si c’est la fille qui, par peur des douleurs du premier rapport sexuel ou par mépris pour son mari ou pour autre raison inavouée a refusé de se livrer à son mari comme cela peut arriver. Dans ces différents cas on donne des conseils à la jeune fille et on attend les nuits suivantes. Par contre si le mari est à son premier mariage, d’autres anticipent parfois à tort en mettant en cause sa santé. Les mauvaises langues, sans la moindre vérification en déduisent son impuissance sexuelle. En cas de déception du côté de la jeune fille, les accompagnateurs rentrent précipitamment au bercail, parfois le lendemain même de la première nuit des noces. Ils se retirent discrètement sur la pointe des pieds, sans honneur. Ils rentrent donc discrètement au bercail, sans oser faire le compte rendu public devant l’assemblée générale du clan du mari ou du village entier comme cela arrive dans le premier cas. Ils font néanmoins un bref entretien avec le doyen du clan à qui ils expriment leurs regrets et leur indignation pour l’issue honteuse des cérémonies. Ils prennent discrètement congé pour rentrer au village ou dans la famille de leurs mandants auxquels ils réservent la primeur du résultat malheureux de leur mission. Ce retour se fait aussi discrètement que possible, sans dire au revoir. La mauvaise nouvelle fait rapidement le tour du village ou du quartier. Et cette souillure est imputable à ses parents, notamment ò sa mère, qui n’ont pas été suffisamment autoritaires pour donner une bonne éducation à leur fille et qui de surcroît ont laissé organiser des cérémonies grandioses en l’honneur d’une fille qui n’a aucun mérite. À son tour, le père s’en prend à sa 611


femme-la mère de la fille-qui n’a pas su encadrer efficacement sa fille et qui l’a enduit en erreur. C’est pour éviter une telle souillure que certains pères de familles s’assurent au préalable auprès de leur femme - la mère de la future mariée - de l’opportunité d’un mariage grandiose. Il y a des cas - tout de même rares - où les accompagnatrices, surtout les espionnes qui ont patiemment épié le couple pendant la première nuit afin d’écouter et rapporter les moindres propos et gestes des mariés, sont renvoyées et rouées de coups de fouets par le mari déshonoré et indigné, aidé par ses jeunes frères et cousins si la virginité de la jeune mariée n’a pas été consommée par celui qui en a droit. On leur en veut pour leur naïveté, leur manque de vigilance en ne contrôlant pas suffisamment, au préalable, l’état de la jeune fille. Ils ont organisé ou laissé organiser des cérémonies grandioses pour une vieille femme (musobakòrò) qu’on a fait passer pour une innocente vierge. Pour les familles extrémistes et susceptibles, c’est la seule manière efficace de laver cet affront. Pour éviter des surprises désagréables, beaucoup de pères de famille renoncent actuellement au mariage grandiose de leurs filles, car avons-nous dit, de nos jours, il n’y a presque plus de lidaa ou libala (pot de miel ou virginité). Ainsi sur l’initiative de ses parents ou à la demande de son mari et des siens, la jeune fille est confiée à son mari, sans tapage: « A ye muso karifa a tyè la. » ou bien « A ye an muso karifa a na. » Dans ce cas, sans tapage, simplement escortée, par un griot et une vieille femme du clan ou de la famille. Ceux-ci la remettent discrètement au doyen du clan de son mari et retournent tout aussi discrètement au bercail, chez leurs mandants, la même nuit ou à l’aube. La virginité d’une fille honore autant son mari que ses propres parents. En effet, le plus beau et inoubliable cadeau et le plus grand honneur qu’une femme puisse faire à son mari dans nos traditions est sa virginité. Cette conservation et cette abstinence créent et consolident les sentiments d’amour, de respect et de considération dans les deux familles et dans le village. Dans les ménages polygames, les coépouses se reprochent ou se glorifient d’avoir perdu ou conservé ce point d’honneur capital. C’est d’ailleurs par cette fidélité que les femmes pures et irréprochables, qui n’ont jamais connu sexuellement un autre homme en dehors de leur mari, jurent, réclament et obtiennent les faveurs, la protection, la grâce, les bénédictions et la justice divines pour elles-mêmes et pour leurs enfants. Elles sont toujours respectées par toute la société et sont citées comme des modèles à suivre. D’ailleurs pour accomplir certains actes rituels ou pour porter certains masques ou autres supports de fécondité ou de virginité, il faut être une femme pure, une femme arrivée vierge chez son mari et qui, par fidélité, n’a eu que son seul mari comme partenaire sexuel. Pour oser dire certaines phrases magiques au cours des cérémonies rituelles, pour que certains sacrifices soient entendus et acceptés par les esprits et les génies protecteurs, pour que les vœux soient exaucés, on fait appel à l’intervention 612


d’une femme pure, fidèle qui a su honorer son mari toute sa vie. Dans « L’ENFANT NOIR », feu Camara Laye, écrivain guinéen, signale l’intervention opportune d’une femme pure, en l’occurrence sa mère: « Un jour - c’était à la fin du jour - j’ai vu des gens requérir l’autorité de ma mère pour faire se lever un cheval qui demeurait insensible à toutes les injonctions. Le cheval était en pâture, couché, et son maître voulait le ramener dans l’enclos avant la nuit, bien qu’il n’eut apparemment aucune raison de ne pas obéir, mais telle était sa fantaisie du moment, à moins qu’un sort l’immobilisât. J’entendis les gens s’en plaindre à ma mère et lui demander aide. Eh bien! Allons voir ce cheval, dit ma mère. Elle appela l’aîné de ses sœurs et lui dit de surveiller la cuisson du repas, puis s’en fut allé avec les gens. Je la suivis. Parvenus à la pâture, nous vîmes le cheval: il était couché dans l’herbe et nous regarda avec indifférence. Son maître essaya encore de le faire se lever, le flatta, mais le cheval demeurait sourd; son maître s’apprêta alors de la frapper. Ne le frappe pas, dit ma mère, tu perdrais ta peine. Elle s’avança et, levant la main, dit solennellement: S’il est vrai que, depuis que je suis née, jamais je n’ai connu d’homme avant mon mari; s’il est vrai encore que, depuis mon mariage jamais je n’ai connu d’autre homme que mon mari, cheval lève-toi! Et nous vîmes le cheval se dresser aussitôt et suivre docilement son maître. Je dis très simplement, je dis fidèlement ce que j’ai vu, ce que mes yeux ont vu, et je pense en vérité c’est incroyable, mais la chose est bien telle que je l’ai dite: le cheval se leva incontinent et suivit son maître; s’il eût refusé d’avancer, l’intervention de ma mère eût eu pareil effet... » (16) Tout cela démontre l’importance de la virginité dans nos sociétés traditionnelles africaines et notamment mandingues. L) - LA VIE CONJUGALE ----------o---------« Pour qu’il ait entente et équilibre dans le foyer, il faut que l’un des conjoints soit le feu et l’autre l’eau. » Maxime mandingue (17) ----------o----------

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AU MANDINGUE, L’AUTORITÉ DU MARI DANS LE FOYER EST INCONSTESTABLE ET INCONTOURNABLE Le mari fonde le foyer et en est le maître absolu. Sa suprématie est incontestable et non-négociable. Cependant la femme en constitue le noyau autour duquel gravitent tous les éléments de la famille. Le mari est donc souverain quelle que soit la modicité ou la médiocrité de ses moyens matériels. Ses ordres doivent être exécutés sans discussion, surtout en public. Mais il est tenu d’assurer le bienêtre matériel et moral (nourriture, vêtement, logement, protection, soins médicaux...) de sa femme, de ses enfants, de ses cousins, neveux et d’autres parents qu’il est chargé d’éduquer et d’entretenir. Dans la famille tout le monde le craint et le respecte. Généralement on l’appelle N Fa (Papa). Sa femme se plaît à l’appeler lutii ou sotii c’est-à-dire le fondateur incontesté de la famille et de la concession. Même s’il a hérité la concession, il mérite le même respect et jouit de la même autorité. Quant au comportement de la femme envers son mari, l’écrivain ivoirien Amadou Kourouma en donne la ligne directrice, conformément aux principes de la tradition et de l’Islam: « ... La soumission de la femme, sa servitude sont les commandements d’Allah, absolument essentiels parce que se muant en force, en valeur, en grâce, en qualité pour l’enfant sortant du giron de l’épouse... Les grands hommes sont nés des mères qui ont couvé les peines, les pleurs, les soucis et les sueurs du mariage. » (18) La tradition malinké résume ces principes en cette phrase: « Muso-nyani-tyè-la-den tè tola kò. » (= L’enfant d’une épouse docile à son mari, fidèle, laborieuse... n’échoue jamais dans la vie.) Ceci dénote l’importance de l’impact de la bonne conduite d’une mère sur la vie de son enfant dont l’effort et le mérite personnels sont relégués au second plan. Par ailleurs le salut de la femme outre-tombe dépend de sa conduite ici-bas envers son mari. Ses rapports avec son mari pèseront beaucoup dans la balance le jour du Dernier Jugement Divin. D’une manière générale, le mari considère sa femme comme un être faible et inférieur qui a toujours besoin de sa protection et de son assistance permanente. Dans la société traditionnelle malinké, on entend couramment les réflexions suivantes: « Muso tè fèn di. » (= La femme n’est rien, n’a aucune valeur, ne mérite aucune considération.) « Hakili tè muso la. » (= La femme est incapable de raisonner.) La femme est donc ramenée au niveau d’une bête de somme. Elle est minimisée, chosifiée. Comme telle, elle n’a que des devoirs et très peu de droits.

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L’épouse est réduite aux travaux ménagers, champêtres et à la procréation. C’est un objet de plaisir pour le mari. Pour les vieux du terroir ancestral, l’un des plus grands scandales d’aujourd’hui et qui passe pour la plus grave dépravation de la société traditionnelle malinké est le problème de l’égalité de l’homme et de la femme; même au niveau de certains intellectuels l’amélioration de la condition féminine n’est pas encore perçue comme une nécessité incontournable à long terme. Beaucoup d’hommes sont encore allergiques à ce concept. La reconversion des mentalités en corrélation avec l’évolution irréversible des sociétés s’opère d’une manière très lente. Certains états africains ont déjà posé des bases solides et positives de cette reconversion des mentalités en adoptant des lois qui libèrent la femme du joug de l’homme (égalité en droits et en devoirs, protection de la femme salariée, possibilité pour la femme d’accéder à tous les emplois et à toutes les responsabilités en cas de compétence...). Mais dans la vie pratique et surtout dans le foyer, l’homme ne conçoit pas son égalité avec son épouse et a tendance à imposer son autorité et sa virilité masculines. On entend crier très souvent haut et fort: « C’est moi le mari, oui ou non! » ou bien « Jamais une femme ne me commandera. Si cela est ton intention, détrompes-toi. » ou encore « C’est un ordre à ne pas discuter. Je l’ai décidé ainsi, tu dois t’y soumettre, l’exécuter ou partir... » Dans les services, la collaboration des hommes n’est pas souvent sincère avec les femmes directrices ou chefs de services. Beaucoup d’hommes supportent mal et ne conçoivent pas, par excès de complexe de supériorité, l’autorité féminine. Cette attitude ne disparaîtra pas de sitôt, car l’homme n’entend pas perdre ses prérogatives. Si au service il est contraint de se soumettre à l’autorité féminine, à la maison il entend affirmer son autorité masculine absolue sur sa femme et ses enfants. Il faut noter que l’épouse est aussi écrasée par l’autorité du père, de la mère, des frères et sœurs, des oncles et tantes, des cousins et cousines de son mari, car elle est bien la femme de toute la famille, de tout le clan. Elle est très souvent ségréguée et tyrannisée par sa belle-mère, surtout quand elle est aimée ou adorée par son mari ou réciproquement quand elle s’entend parfaitement bien avec lui. Une telle situation d’harmonie dans le foyer indispose la mère du mari qui y voit une faiblesse de son fils qu’il croit être dominé par son épouse. Elle peut être répudiée par son mari pour avoir manqué de respect à un de ses parents ou à la suite d’un conflit l’opposant à l’un d’eux, et surtout quand elle a tort. Si le mari exerce sur la femme une oppression insupportable (mauvais traitement, brimades, coups et blessures volontaires et injustices, ou incapacité notoire du mari d’assurer le minimum vital à sa femme) les sages interviennent et réprimandent le mari et l’obligent à prendre ses responsabilités d’époux et de père de famille. On ne manque pas de lui rappeler tous les engagements qu’il a pris avec ses parents lors du mariage (I ka lahiri min ta dentiilu nyè, i ka kan ka 615


wo mafa). Par soucis du respect de ces engagements, le père, un oncle ou un frère du mari peut se comporter en protecteur inconditionnel de l’épouse, chaque fois que l’autorité de son mari est excessive et frise la méchanceté. Cette attitude peut être l’expression de la compassion que certains éprouvent pour l’épouse brimée. D’autres justiciers poussent leur indignation à l’extrême et n’hésitent pas à insulter le mari et parfois celui-ci s’en sort avec des bastonnades quand le justicier est son père, le doyen du clan ou un grand oncle. Mais dans la tradition malinké, la femme n’a jamais raison sur son mari. Au nom de ce principe intangible et arbitraire, l’épouse est et doit rester une victime résignée devant toutes les exactions de son mari: « Muso tè dyo sòrò a tyè ma. » = « Muso kènin dyòn ne di. » (= Une femme mariée n’a jamais raison sur son mari.) L’application rigoureuse de cette règle crée en l’épouse un complexe permanent d’infériorité et fait d’elle une esclave, à la merci des caprices et de l’autorité rigoureuse de mari. Au Mandingue, la femme mariée n’a que des devoirs et des obligations et n’a que peu de droits, ou pas du tout. M) - LA PROCRÉATION (LA FÉCONDITÉ) ----------o---------« Nourris ton enfant jusqu’à ce qu’il pousse de solides dents, afin qu’à son tour il puisse te nourrir quand tu auras perdu les tiennes. » (Dicton mandingue) ----------o---------« Le but du mariage est la procréation. Et plus la femme procrée, plus elle est adulée par la communauté entière. La stérilité de ce fait est considérée comme une malédiction des mânes et de nombreuses actions sont mises en œuvre (consultation des oracles, rituels cérémoniaux, soins médicamenteux) pour enrayer le mal. » (19) Djodji Akoly NYATÉPÉ-GOO ----------o---------Quelques mois après le mariage, le mari, les deux familles et toute la collectivité villageoise attendent impatiemment la naissance d’un enfant. Toutes les bénédictions et vœux qu’on formule pour le couple tout le long du processus du mariage expriment le souci et l’espoir de voir naître des enfants solides et pleinement accomplis dès les premiers mois du mariage. On conçoit mal ou on 616


supporte mal une femme sans enfant, étant donné que que les enfants constituent la plus grande richesse d’un homme, de sa famille, de son clan ou de son lignage. D’ailleurs celui-ci en parle avec une grande fierté, surtout quand il en a beaucoup. Devant cette exigence sociale, la femme sans enfant se sent souvent coupable du malheur de son mari, du moins sur ce plan. C’est pourquoi la procréation et la maternité sont vivement recherchées par les femmes, même quand elles sont célibataires. On voit très souvent une femme stérile récupérer un bébé qui perd sa maman à sa naissance ou prématurément. Elle l’adopte, l’allaite, l’aime si tendrement, l’éduque si affectueusement et le considère comme son propre rejeton, comme si elle en était la vrai mère biologique. C’est pour cette raison que la procréation et la maternité sont vivement recherchées, même quand elles sont stériles ou célibataires. C’est la principale fonction sociale de la femme. C’est surtout à cause de ses enfants que la femme accepte stoïquement toutes les brimades, les injustices, les souffrances et la misère du foyer. La procréation est un événement si heureux qu’il n’y a aucune limitation du nombre des enfants. Une femme doit engendrer autant qu’elle peut, et ce jusqu’à la ménopause. Dans nos sociétés traditionnelles on ignore le planning familial et la limitation volontaire du nombre des enfants. On s’impatiente dès qu’une année s’écoule sans que le couple n’ait fait un enfant. On commence à se plaindre, on parle alors de stérilité de l’épouse (kònamuso). Puisqu’on tient à pérenniser la lignée ancestrale, on commence donc à envisager un second mariage pour le mari car on croit - très souvent à tort d’ailleurs - que c’est la femme qui est stérile. Chez nous, quand une personne meurt sans laisser au moins un enfant, on dit: « A banna. » ou bien « A sala a ma a bònsòn to. » C’est-à-dire: « Que telle personne est définitivement finie. Elle est morte sans laisser de progéniture. » Si le défunt laisse une progéniture, on dit: « A faala », c’est-à-dire: « Qu’il est mort mais on continuera à parler de lui à travers ses héritiers. » C’est pourquoi, en pays mandingue, on donne généralement aux premiers enfants les prénoms des parents, ceux du père et de la mère du mari et de l’épouse et par extrapolation ceux des oncles et des tantes. On n’oublie pas aussi les amis et les personnes auxquelles on est redevable. L’honneur le plus marquant que vous pouvez faire à quelqu’un en pays mandingue c’est de donner son prénom à votre enfant. C’est une marque d’amour, de respect hautement appréciée. En effet par cet acte, vous l’immortalisez. Il ne serait pas superflu de rappeler quelques noms authentiques mandingues qui sont en voie de disparition ou qui ont disparu au profit des noms musulmans et chrétiens.

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N) - LEXIQUE DES NOMS ET PRÉNOMS MANDINGUES ----------o---------QUELQUES PRÉNOMS AUTHENTIQUES MANDINGUES (MANDEN TÒÒ KOROLU) ----------o---------« N’est-il pas nécessaire de signaler que Dieu n’a pas communiqué à ses prophètes une liste de noms que doivent porter leurs disciples. Les arabes contemporains du Prophète Mahomet tout comme les disciples du Prophète Jésus Christ ont bel et bien conservé leurs noms anciens authentiques qu’ils portaient avant la révélation de ces deux religions. Pourquoi l’Afrique ne ferait-elle pas la même chose? En tout cas l’ancrage systématique des noms arabes et chrétiens dans nos sociétés n’est ni plus ni moins qu’une colonisation culturelle. Par conséquent revenir à nos noms authentiques ne doit pas être taxé d’hérésie.» Daouda Damaro CAMARA ----------o---------Depuis l’introduction de l’Islam et du Christianisme en Afrique noire, nos prénoms authentiques ont été systématiquement tronqués contre ceux des arabes et des européens à telle enseigne que les jeunes d’aujourd’hui ignorent la quasitotalité de ces prénoms anciens. Pour ceux qui dénoncent cette colonisation culturelle ou cette aliénation et qui voudraient un jour retourner aux sources authentiques de nos spécificités culturelles d’antan voici, à titre indicatif, quelques prénoms mandingues quasiment disparus. Cette liste n’a pas la prétention d’être exhaustive. Il serait donc souhaitable qu’elle inspire les ethnologues, les linguistes, les sociologues, les historiens... pour dresser la liste complète des prénoms authentiques des différentes provinces mandingues afin de récapituler et de consigner ces différentes listes dans un répertoire général où les générations futures pourraient puiser. La présente liste est donc très incomplète. Qu’on veuille bien nous excuser les omissions commises. N’est-il pas nécessaire de signaler encore que Dieu n’a pas communiqué à ses prophètes une liste de noms que doivent porter leurs disciples. Les arabes contemporains du Prophète Mahomet tout comme les disciples du Prophète Jésus Christ ont bel et bien conservé leurs noms anciens authentiques qu’ils portaient avant la révélation de ces deux religions. Pourquoi l’Afrique ne feraitelle pas la même chose? En tout cas l’ancrage systématique des noms arabes et 618


chrétiens dans nos sociétés n’est ni plus ni moins qu’une colonisation culturelle. Par conséquent revenir à nos noms authentiques ne doit pas être taxé d’hérésie. Toutefois, il faut noter que chaque prénom ou nom Mandingue a une signification et exprime une idée. Aussi, dans la pratique, les racines Fa, NFa ou NVa (père, papa) précède très souvent les prénoms masculins et Ma, M’Ma, Na ou N’Na (mère, maman) pour marquer le respect pour la personne qu’on interpelle ou pour son homonyme. Pour ceux qui voudraient réhabiliter ces noms ou ce pan oublié ou inconnu de notre culture, qu’ils trouvent ci-dessous quelques-uns que nous avons pu reconstituer à leur attention et à titre purement indicatif. Ainsi nous contribuons partiellement au retour et à la réhabilitation de notre culture authentique qui doivent se faire sans aucun complexe. DICTIONNAIRE DE QUELQUES PRÉNOMS MASCULINS MANDINGUES Abla = Abila (laisse tomber, laisse le) Adia (douceur) Adian (donne) Adiama (donne-lui) Adima (donne-moi) Adigbè (blanc) Adjigbè Adio (il a raison, lave le) Akafissa (appréciable, c’est mieux) Akagni (il est bon, généreux) Akanba Akodi (que dit-il?) Aladen (fils de Dieu) Aladion (serviteur de Dieu) Alafè (il est avec Dieu) Alagnè (à cause de Dieu) Alakabon (Dieu est grand) Alakafo (Dieu a dit, rassemble, celui qui rassemble) Alakamisa Alakòsòn (à cause de Dieu) Alalakè (fait de Dieu, c’est Dieu qui l’a voulu, c’est Dieu qui l’a fait) Alalako (fait de Dieu, à de cause de Dieu) Alama (à cause de Dieu, qui fait doucement, patient) Alamado (grandeur de Dieu) Alamako (affaire de Dieu) Alamara (gardez-le, surveille-le) Alamatra (implorer Dieu) Alamina (confie-toi à Dieu, réponds, remets-toi à Dieu, résigne toi) 619


Alaminaboa (qui se remet à Dieu) Alasé ou Alalassé (seul Dieu peut, Informe) Alasonna (si Dieu le veut, Dieu est d’accord) Alatara (Créateur Suprême) Alayan (Pose ici) Alayè = Alagnè (à cause de Dieu) Alfa ou Alpha Alimankan (exceptionnel) Alimankan Bala Amara (conserver, commander, blesser) Amara Djéli Amina (qui souhaite le bonheur, celui qui accepte la volonté de Dieu, qui est résigné...) Amori Arafan Assa Dioumè Ata (prends) Atigui (le propriétaire) Atoo (cesse, arrête) Ato-Alagnè = Ato-Alama (pardonne à cause de Dieu, clémence, indulgence) Atoyé (laisse tomber, pardonne-le) Baba (papa) Babenba Babignè Baden = M’Baden (frère, mon frère) Badenba Badenbèrè (bon frère) Badengnouma (frère sérieux, gentil ou sœur aimable) Badenma (frère maternel, cousin, neveu, sœur, nièce, cousine) Badensobèn (frère sérieux, gentil ou sœur aimable) Badenya (fraternité) Badian = Bandian Badio Bandiou Badiou = Bandiou = Bandiougou Badji Bafabala Bafao Bafamori Bafèmori = Bafènmori Bafounou Kaba Bakari 620


Bakounadi Bala (porc-épic) Balakè Balamamori Balamassa, Balanmansa Bali, Balikoro (invincible) Bali (l’invincible, l’invulnérable) Bama Bamadjigbè Bamba (caïman) Bambafaran Bamba Oulèn (caïman rouge) Bambasira Bamboa (contestataire) Bamboï Bamori Bamoro Bamoriba Banakarifa Banamangnan Banamori Banandjou Banaséri Banbadian Bandakarifa Bandi Bandiali Bandian Bandjou Bangali Banifing Bankoma (rebelle, refus, homme véridique, qui prend position sans ambigüité, qui a son franc parlé, qui sait assumer les conséquences de son refus) Bankoro Baraka (puissance) Barato Barifing Barika (merci) Baséri Basidi Basouman Basiriman Bassa (lézard) 621


Bassi (médicament) Bassourou Batèrènè (surprise) Baya = Bayan Bèbiyèrègnè (chacun pour soi) Bègnan Bêhitafo (que chacun dise ce qu’il veut; le chien aboie et la caravane passe) Bèkoumou Bèkousan (chacun peut le faire) Bélébélé (le grand, le puissant, le noble, le phénomène) Bèmako (qui concerne tout le monde) Bèmankan (tout le monde n’est pas pareil, les gens sont différents) Bèn (entente) Bènako (qui motive, qui mobilise tout le monde) Bènakoun (ce qui mobilise tout le monde) Bènma (entente) Bènmako (convention, unanimité, consensus) Bènignon (à chacun son remplaçant) Bènkadi (l’entente est bénéfique, l’entente crée le bonheur) Bènkoma (consensus, entente, convention) Bènkoro (ancienne entente) Bènigno (chacun a son remplaçant) Bènogo (chacun a son remplaçant) Bènséma (celui qui a toujours la chance de réussir dans ses projets, dans ses démarches, celui à qui tout réussi) Bèrèma (pointure, chausse ta pointure pour être à l’aise, prend ta catégorie) Bèrènani Bérèya (qui fait du bien, protecteur) Bèsè (qui coupe, celui neutralise tout le monde, invulnérable) Bètako (qui concerne tout le monde) Bètamòò (le populaire, celui qui s’entend avec tout le monde) Bèyèdoko (chacun en veut) Bèyékouma (que chacun parle, que chacun dise son opinion) Bèyékoun (de la place pour tout le monde, celui qui reçoit tout le monde) Bia Biasory Bibi (aigle, vautour) Bignè (foie) Bilan’nko (suis-moi) Bilisi (qui aime se bagarrer, qui crée la zizanie entre les gens, les familles, les clans, les villages, les tribus, les provinces...) Bingo (qui ne peut tomber) Binko (qui suit) 622


Binko Mori Binko Morigbè Biramasé Birinba Biton Bodian Bo (désigne les jumeaux masculins ou féminins) Bodou Bakari Bogari Bolo (main) Bolobalou Bolofing (main noire) Bologbè (main blanche) Bolokala (dernier enfant, benjamin) Bolokoun Bolo Tamba Bolou Morou Bongo (ne me suit pas) Bongo Mori Bongo Morigbè Bonoma Bonoma-woro (maudit) Bonon (perte) Bononbali (celui qui ne perd jamais, celui qui a toujours la chance dans les affaires) Bori (qui court, course, fuite) Boribana (fin de course, dernière course, dernière étape) Boubou Boukoro Boulanké Boumba (le grand, beaucoup, aîné) Boumou Boundou = Gboundo = Gboundou (secret, personne discrète) Bounounko Bounyè (grandeur, respect, honneur) Bori (course, qui court, vitesse) Borokoro Boura Bourimou (poussière, mesquin) Bouroumou Bouroumoudian Brisi = Blisi (fumiste, agitateur, perturbateur)

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Cé-Birama Cé-Touman Da = Daa, Vadaa (canari) Daba (grand canari, se dit des personnes généreuses, hospitalières) Daba, Vadaba (houe, grand cultivateur) Dabali (qu’on en peut vaincre, mystère, mystérieux) Dabila Dabla Dada Dadi Dadjolo (moustachu, barbu) Dadjoloba (celui qui a la moustache longue) Dafa (celui qui est complet, accompli) Dâfa (qui remplit son contenant) Dagaba Dagayor Dagba Daï, Daï Kaba Daïka Dakabananko (phénoménal, extraordinaire) Dakan (engagement, parole d’honneur, serment...) Dala Dalagbè Daliko Damagnan Damalasinè Daman Damandian Damani Dambèkola (chaque chose a une fin) Damisa Damonson Damonzon Dan (limite) Danatambi = Danatami (autoritaire, celui qui exagère) Danba Dandan Dandouma (qui sait s’arrêter où il faut, limite raisonnable) Danfing Danfing Bignè Dangba (malpropre, sale, hideux) Dangna (prédestiné, destin singulier) 624


Dango (ne me suit pas) Dankaran Touman Dankoh (prédestiné) Dakoun (tour, c’est son tour) Danan (mur, limite) Danatanbi (perturbateur, insupportable) Danimansa (Dieu, le Tout Puissant Créateur) Dan Massa Dan Massa Woulanba Dan Massa Woulani Dansémo Dansoko Dantèkola (ce qui ne finit pas, sans fin, éternel, immense) Dantili Dantini Dantouman Daoulèn (canari rouge) Daringa Daritignè (qui rompre l’habitude) Datan (qui a dix bouches, qui parle beaucoup, qui sait bien parler, loquace) Dawo (trou, profondeur) Dédé (benjamin) Demba (gros bébé) Denbagnouma (porte bonheur) Denfo Denfòlò (aîné, premier enfant) Denga Dia = Diya (bonheur) Diaba Diabadi Diaboï Diaboula Diadouba Diafa (pardon, clémence, magnanime) Diafara Diagba Diagbasi (distraction, raillerie, amuseur) Diagbo Diagnè (amour) Diaka Kaman Diakaye Dialakoro Mori Dialakourou 625


Diama (peuple, public, foule) Diaman (colère) Diaman-Oussou Diamanatigui (chef, chef de province, chef de canton) Diamo Dian (grand, long) Dianba Dianfa (trahison) Dianfòlò Dianka Diankana Dianka Dianka Féré Dianka Térè Diansa (récompense) Dianta (prétentieux) Diara (lion, arbre) Diaraba (grand ou gros lion) Diaradéni (petit lion) Diarakè Diarakin Diarakoro Diarakoro Dian = Djan (grand, long) Diarakoroba Diarakourou Diarisso Diariya Diassa Diasso Diassoba Diassou Diataman Diatigui (hôte) Diawamori Diawani Sinè Diawari Diégbé Diékè Diéli (sang, griot) Diéliba (grand griot) Diélifodé (Fodé le griot) Diélikè Diéliman 626


Diélimandian Diélimassadi Diélimori (Diémori) Diéliso Diéli Toumani Diéman Diémori (Diélimori) Diénéba Morou Dièngbè Dièntè Diérégbè Dièrèsso (se servir à volonté) Dièrètignè (qui se gâte lui-même, enfant gâté) Diéri Diérigbè Diétè Dignè (tolérant, patient, celui est inoffensif, le pacifique) Dignèkoma (qui accepte l’ordre, qui respecte la convention) Dininba Dinkaran Dioba Diogbo Diogo Dioman Diomankourou Diomba (grand ou gros captif) Dion (captif, esclave, fidèle à Dieu) Dionsoba Diontanatè (permis, autorisé à l’esclave, ce que peut faire un fidèle) Diori Moriba Diorro (qui a des ailes pour voler loin) Dioufaga (qui tue l’ennemi) Dioumè = Djoumè Dioutanatè (autorisé à l’ennemi) Disiba (celui a une forte poitrine, qui est fort) Djémori Djèrèlon (celui qui se connaît, celui qui est modeste) Djéssou Mori Djiba (maître de l’eau) Djibadian (le grand Djiba) Djibi Djidiara (lion de l’eau) Djidjo 627


Djigbè (eau blanche, source blanche et limpide) Djigbèma Djigbo Djigui (espoir, référence, soutien, allié) Djiguiba (grand espoir) Djikamou Djimba Djimbala Djimbé Djimin Djinamansa (chef diable, chef puissant) Djina Oulèn (diable rouge) Djinasolo Djingbè Djitigui (maître de l’eau) Djitoumou Djô (fétiche) Djobi Djodjo Djogo Djogofo Djoro = Djorro (grand coursier, celui est très rapide, qui court vite, qui est aussi rapide qu’une flèche) Djoufâ (qui tue l’ennemi) Djouma Djoumakono (celui qui attend fermement son ennemi) Djoumana Dòbò Dogan Domba (grande danse) Domoko Domòò Dòòni Doua = Douga (charognard, le preux) Douba (encre, prière, meilleurs vœux) Dougbè (terre blanche) Dougbè Kaba Dougou (terre) Dougoufana Dougoutigui (chef de canton ou de province) Dousoumori Dousousilé Douwaou (bénédictions) 628


Drò Dyò (fétiche, féticheur) Dyoro Enza Fa = N’Va (père) Fa Alpha Faama = Fama Faana Faba (grand père) Fabala (chez son père) Fabanba Fabani Fabara (travail du père, pour le père) Fabaraka (celui qui a les bénédictions de son père) Fabèrè (bon père, père généreux) Fabèrèso (cadeau de la part d’un père) Fabèrèsoron (celui qui est né d’un bon père) Fabèsi Fabignè = N’Vabignè Fabindi Faboï Fabori Fabou Fabou Oulèn Fabrèsi Faden (frère paternel, cousin paternel) Facéli = Fancéli Faciné Facinéba Fadaba (grand paysan) Fadaka Fadama Fadiala Fadima Mori Fadima Morikè Fadiamba (grand fumeur, grand chiqueur) Fadimba Fadioba Fadiou (père méchant, sévère) Fadiouba Fadioumé 629


Fadiounba Fadji Fadjigui Fadjimba Fadjisouma (homme sage, tolérant, inoffensif) Fadoua Fadouba (bénédicteur) Fadouba-Laya Fafa (sac vide) Fafagna Fafamba Fafaran (celui qui sépare ou aime séparer) Faféré (« je m’en foutiste », désinvolte) = Vaféré Fafini Fafodé = Vaféré Fafoin Fafounou Fafounou Nyakoro Fafran = Fafaran Fagbon Fagbo Oulèn Fagboundou (personne discrète, qui ne révèle jamais un secret) Fagnan Fagnaman Fakaba = Vakaba Fakamba Fakandia (chanteur à la voix mélodieuse) Fakangbo Fakari Fakarisa = Fakalisa (monsieur X) Fakassia Fakèmo Fakéséri Fakò (héritier qui fait prospérer le leg paternel) Fakokoura (ambitieux, frivole) Fakokourou Fakola Fakoli, Fakoli Koumba, Fakoli Daba (ancêtre des Kourouma ou Doumbia. Célèbre personnage historique de l’épopée mandingue. Il était le neveu de Soumaoro Kanté, roi du Soso, qui sema la terreur dans le Mandingue, dans le Soso. Soumaoro commit l’erreur fatale d’extorquer la femme de son neveu Fakoli. Pour ce fait de frustration, celui-ci déserta l’armée du Soso, et par esprit de vengeance, donna la main à Soundjata Keita pour libérer le Mandingue de la 630


tyrannie de Soumaoro Kanté qui fut battu dans la grande bataille de 1235 à Kirina. La très célèbre et populaire chanson du Dyandyon a été composée depuis le Moyen Âge par les griots pour magnifier la bravoure de Fakoli, l’indomptable héros antique). Fakomangan Fakonè Fakoro Fakoulouwa Fakourou Fakourouba Fakourounba Fala Falaba Falakan Falankan Falamba Falama Falamini Falan Falangbè Falani Falènbè Fali (N’Vali) Falikan Faliko Falikou Fama (empereur, roi, prince, chef) Famagan Famagna (son père a échoué) Famako (affaire de chefs) Faman Famani Famankan Famansi (descendant de Faman) Famari Famèlè Famisa Famo Famoé Famoï Famori Famoriba Famoridian 631


Famorigbè Famoro Famossi (descendant de Famo) Famou (compréhension) Famoudou Famourou Fan (sabre) Fanbani Fandyara Fandyarakèn Fanfodé Fanga (force) Fangadama (sacrifice selon ses moyens) Fangama (l’homme fort, Hercule) Fanifara Fankoloni Fankono Fankoro Fanouba (grand forgeron, maître du fer) Fanséli = Fanséri Fantigui (propriétaire, porteur de sabre, grand guerrier, grand combattant) Fantouman Oulèn Fanzamba Fanzan Fanzèn Fao Faolabola (amuseur publique, comédien) Faouli Faoussou Faporopara (pagailleur, désinvolte) Fara (action de déchirer) Faraba Laye Farabamisa (qui fait la différence) Faraban Farabana Farabani Farafina (Noir, Afrique noire) Farafing Faragbala Faragbè Farangbè = Frangbè Faragbèla Farakan 632


Farakèlè Farako Farakoro Farakoro Mangan Farakoro Mansa Farakourou Farala-Fagba (garçon timide à l’excès, sans cœur, ni dignité, qui ne réagit à rien, même aux provocations exagérées de ses camarades) Faramangan Faramani Faramankaran Faramoï Faran = Fran (séparation) Faranséri Farantoumani Farawaya Farèmba Fariba Farima Mori Farima Oulèn Farima-Oé Farima-Oy Farimba Farin Kaman = Foni Kaman = Foni Kama, ancêtre mythique des Camara de la Guinée Forestière, du Sud de la Haute Guinée, du Libéria... dont le règne à Moussadou (Beyla) et sur le Konya (Beyla, Macenta, Kérouané...) remonte au XIVème siècle. Il fut le concepteur du code pénal qui régit la vie des Konyanké avant l’ère coloniale et qui est encore en vigueur dans certains villages tel que Damaro (Beyla, Guinée) du moins pour les délits mineurs. Fasankoma (opiniâtre, celui-ci qui s’accroche à son idéal) Fasawa (homme jovial, qui est toujours de bonne humeur) Faséké Faséli Faséma Faséman Fasinè Fasiri Fasiriman Fassankoloni Fasséké Fassou Fassouba Fassoudian 633


Fassou Oulèn Fatamba Fatako Fatéssouma (sang chaud) Fatibiri Fatiribiri Fatiya Fato Fatoo Fatooma = Fatogoma (homonyme du père) Fawali (matérialiste) Fawoni (nerveux, piquant, susceptible) Faworou Faya Fazanba Fazèn Fèmandi (rien n’est bon ou doux, mésaventure) Fèmba (grande chose, grand physiquement ou moralement) Fémébou Fènbréma Fèndia Fèndouman (ce qui est doux) Fènèdou Fèngbè (blanc) Fèngouma (ce qui est beau, ce qui est intéressant) Fènko (cupide) Fènmobali (ce qu’on n’arrive pas à cuir) Fènmogoba Fènnadi Fènsèmba (qui a de grands pieds) Fènsèmènè Fènsèmèni (qui s’adosse) Fèntigui (le riche) Fènzan Fènzanba Féré (fleur) Féréba (Féré le grand) Férébori Férédoua Féréfing (Féré le noir) Férégban Férégbè (fleur blanche, Féré le clair) Férégnouma 634


Férékaba Férémo Férémòò Férémori Fètigui Fila Filakali (qui cueille les feuilles, grand guérisseur, nom d’un général célèbre de l’Almamy Samory Touré) Filakéra Filakoro Filamori Filamoro Filamorou Filamoudou Filani Filanimori Filanimoro Filasao Mori Filifing Finasongo Finèbala Finsémènè Firawana Firawaran Firigui Fissa Fodé Fodéba Fodéfing (Fodé le noir) Fodégbè (Fodé le clair) Fofing Fofo (sans consistance, déchet) Foï = Fosi (rien) Foli (salutations) Fòlò (avant, ancien) Fòlònka Fòlònka Morou Fòlònkoun Fonikè (jeune homme) Fono Foo Foroba (bien commun) Forobamisa = Forobamoussa 635


Foromalo Foromo Foroto-Moso (personne autoritaire, nerveuse, pimentée) Foudou Bala Foula Lamini Foumba Foungbè Founou Oussou Fourouba Fousoun Fousounkaba Foya (mensonge, blague) Framan Fran (séparation) Franba Frandion Frandiou Franfing Frangbè Frankoma (convention) Frantouman Frantoumani Franwali Franwani Franwoni Frègbè Fressou Ganoufo Gaoussou Garanké Garanké Mori Gbaba Gbafa Gbafao Gbafara Gbaféré Gbagba Gbakan Gbakou Gbakourou Gbalako Gbalama 636


Gbalo (malheur, celui qui donne le malheur) Gbana (celui qui s’énerve vite, nervosité) Gbanba Gbanda Gbando Gbangban Gbankalo Gbankouno Gbankouno Saadji Camara ou Gbankouno Saadji Diomandé, célèbre roi konyanké au XIXème siècle dans le Simandou (Damaro, Beyla) qui fut éliminé par l’Almamy Samory Touré. Gbanworo Gbaou Gbara (celui qui aime les concertations) Gbarala Gbara Oulèn Gbasi (qui frappe) Gbasibali (qu’on ne frappe pas, qui ne sanctionne pas, enfant gâté) Gbassa Gbato Gbawa Gbègbè Gbèkan (savane) Gbèlè (canon, canonnier) Gbèlèta Kesséry, « Kesséry le preneur de canon », général de l’armée samoryenne qui battit les Anglais à Wâ et pris leur canon qui renforça l’armée impériale. Au terme du procès lié l’assassinat de la mission du Capitaine Braulot organisé à Beyla en 1898, Gbèlèta Kesséry fut reconnu coupable et fusillé à Kankan. Il fut un sofa très réputé, combattif et stratège de l’armée de Samory. Gbèlètigui (qui maîtrise le canon, artilleur habile) Gbèmè Gbèndjoulo (celui qui court vite) Gbèngbèn Gbèni Gbènkoro Gbèsimodou Gbofing Gbogbè Gbokoro Gbolo (nouvelle recrue dans l’armée) Gbolofasa Gbolokoumou Gbon (nom donné au garçon particulièrement laid comme le cynocéphale) 637


Gbonba (cynocéphale géant) Gbònba (grenouille) Gbondo = Gboundo (secret, discrétion, confidence) Gbonkè Gbonokoro Gbonoumansa Gbontolo Gboosso Gbootè Gborokoro (rente) Gboto Gboundofara (indiscret) Gbouroukoro Gbouroukourou Gboutolo Gnagbè Gnagbèba Gnakoro (tolérance) Gnaligbassa (dangereux, invincible...) Gnama (saleté, ordure, éveillé) Gnaman Gnouma Mori Golo = N’Golo Gomba Gomo = N’Gomo Gomoro Goto Gouakou = N’Gouakou Gouamo = N’Gouamo Gouamourou = N’Gouamourou Gouassé = N’Gouassé Hèrè (bonheur) Hèrèmakono (lieu paisible, lieu où on attend le bonheur, lieu du bonheur) Hèrètigui (qui crée le bonheur, homme de paix) Hinanté (magnanime) Ikana-Itasara (ne te venge pas, pardonne) Kaabi Kaabon (verser) Kaala Kaba (pierre) 638


Kabadian Kabafing (pierre noire) Kabagbè (pierre blanche) Kabakarou Kabakinyè Kabako (étonnant, extraordinaire, interjection pour marquer l’étonnement, la surprise) = Dakabananko (enfant terrible au destin singulier, enfant aux caractères difficiles, enfant têtu, qui échappe à tous les traquenards, qui surmonte toutes les épreuves difficiles) Kabakoro Kabangbè Kabani Kaba Oulèn Kabasan Kabaséli Kabi (depuis longtemps) Kabila (clan, famille) Kabinè Kadari (habitude) Kadiali Kaïmba Kaïra (bonheur) Kaïraba (grand bonheur, grand bonheur, celui qui crée le bonheur chez les autres) Kakariba Kakarima Kakè (faire, agir) Kakoriba Kakoro (ancien) Kala (arc) Kalaban (terminer) Kaladian (longue manche) Kaladion Kalagban (qui pardonne) Kalagbè Kalako (parfait) Kalanbanté (canaille) Kalandan (qui arrange, négociateur, qui tolère) Kalandian (manche longue) Kalata (prendre l’arc, prendre la première arme) Kalato (qui crée des problèmes) Kalaton (le fait de sanctionner) Kali (serment, jurer sur l’honneur) 639


Kalia Kalifa = Karifa (ce qui est confié) Kama (non trié, brute, non décortiqué) Kamakinyè Kaman (cercle qu’on forme pour les danses populaires) Kamanba (Kaman le grand, grand cercle) Kamandian Kamangan Kamankékoura Kaman Kékoura Camara, roi de Kouankan, Boussé, Macenta. Il fut lieutenant de Samory et eut plusieurs conflits armés avec les Toma de la région forestière. Kamankoro Kamankourou Kamara (garder, commander) Kamaro = Kamalo (qui fait honnir, qui a honte) Kamarou Kamarouba Kamasoron (à cause de...) Kamasoutra (qui protège, qui aide...) Kamba Kamba Sori Kambi Kamisa Kamissoko Kamori Kana (conserver, protèger) Kanaba Mori Kana Mori Kanan Kanbelen (gaillard, insinue le physique fort) Kanbelenba (truand, fossoyeur) Kanda (celui qui est protégé par Dieu, garder, gardien, chef de clan, de village, de province) Kandé Kandia (celui a une voix mélodieuse, une voix douce) Kandié Kanéa Kanféré Kanfing Féré Kanga Kango Kaninga Kaniara = Kanyara (humaniste, celui qui a pitié) 640


Kanimori Kankelentigui (homme de parole d’honneur, qui respecte sa parole donnée) Kankiéré Kanou Simbon Kansori Kantoro (qui souffre ou qui fait souffrir) Kan Vali Kara Karafoda Karafodé Karamo = Karamoko (nom de toute personne qui dispense un enseignement, qui communique son savoir) Karamokoba (grand marabout, grand érudit) Karamoko Mori Karan Karatakoro Kariba Karibaga Karibaya Karifa (ce qui est confié) Karifala Karima Karinka Karinka Oulèn Kasa (odeur, qui sent mauvais) Kasaba Kasagba Kasakoro Kasakoro Mori Kasaro Kasé Kaséï Kaséri Kasia Kasiaba Kasia Oulèn Kasiamoro Kasiamourou Kasouma (celui qui est pacifique, inoffensif) Kasouman (mesurer, qui mesure) Kati (casser, approbation, celui qui dit la vérité, celui qui a son franc parler) Kato (cesser, arrêter, pardonner) Katoyé (laisser faire) 641


Kawa (vas-y) Kaya Kaya Mankan Kayanka Kayèn (voir, celui qui voit mieux, qui voit vite, qui comprend vite, qui prédit) Kayèn-Katoyé (le voir et le laisser tranquille) Kèba (homme gros, grand) Kèbani (homme révolté, insoumis) Kèdian = Kèdjan (homme grand) Kèfa Kèfing (homme noir) Kèfinba (noir et gros) Kègbanan (homme célibataire) Kéké Kèkoura (homme nouveau) Kèlè (guerre, celui qui aime la guerre, les querelles) Kèlèfa Kélègna (l’isolement) Kèlèkèla (qui aime la bagarre, palabreur, belliqueux) Kèlèkountigui (chef de guerre, commandant, général) Kèlèmansa (roi, seigneur de la guerre, héro, preux) Kèlètigui (homme de guerre, officier supérieur dans l’armée de Samory) Kéma Kèmè Amara Kèmè Lancé Kèmè Laye Kèmè Mori Kèmo, Kèmoko (vieux, terme de respect envers une personne) Kènèmansa (chef des initiés) Kénou Kèoulèn Kerfala Késa Balla Késéry = Késéli Kétè (n’est-ce pas?) Kiba Laye Kidi Kiéba Oulèn Kiéba Mori Kinyèba Kinyègbè Kinting Kirasé Mori 642


Kissè (balle, le preux) Kissi = Vakissi (sauvé, sauveur, rescapé, sauveteur) Kissi Kaba Keita, roi des Kissi qui fut lieutenant de l’Almamy Samory Touré à Kissidou, en Guinée. À cause de son insubordination aux autorités coloniales françaises, il fut arrêté et exécuté à Siguiri, Guinée. Koba (grande affaire, ce qui dépasse l’entendement humain) Kobannan (affaire conclue, finie) Kobèban (fin de tout) Kobèlakòròsi (celui qui fait attention à tout, personne vigilante) Kobèlon (celui qui connaît beaucoup de choses, personne cultivée, savant) Kobèyèn (tout voir, celui qui voit tout) Kobèyéyan (tout est ici) Kobi (personne souvent amère dans ses propos) Kobo Kodia (animateur) Kodjo Kodjougou (mal, mauvais) Koéssia Kognè Morifing Kognè Mori Kokisi (homme providentiel, homme qui sauve les autres) Koklè Koko Kokoro (chose ancienne) Kokourou Kolabanmòò (celui qui respecte ses engagements) Koladengno (associé) Kolako Kolakoma (comparaison) Kolamandian Kolamandiou Kolatèguè (superviseur, premier responsable) Kolatonna (celui qui sanctionne, le justicier, le juge) Koli Koliko (invincible) Kolokassa Kolokoto (qui pardonne, magnanime) Kolon (savant, personne cultivée, personne au savoir étendu) Kolonbali (ignorant) Kolonka Mori Kolonka Toumani Kolonna (savant, intellectuel, spécialiste) Kòma 643


Kominyagbè Kominya Oulèn Kondé Bréma Kondo Kondofili (embarras, celui qui embarrasse) Kondo Oulèn Kongofa (roi de la brousse) Kongofama (roi de la brousse) Konya Mambi Konkè Mory, ami d’enfance de Samory qui mourut prématurément, avant sa consécration. Cette disparition le marqua toute sa vie. Au nom du règlement des sèrè, il se moquait toujours de celui-ci en lui attribuant tous les défauts. Pour marquer l’esprit de solidarité, de fraternité... des sèrè, il aimait comparer, par raillerie, toutes les vilaines choses à son ami Konkè Mory. Très souvent pour prendre une décision grave, pour ordonner une exécution, il aimait dire: « Alu ye wa a di Konkè Mori diya la » (Allez le loger au domicile de Konkè Mory - qui est mort depuis - = Tuez-le). Konko = Konkoba (grand cultivateur, grand paysan, grand producteur agricole) Konko Samo (grand agriculteur, personne qui a pleinement réussi dans l’agriculture) Konkoba Sayon (grand cultivateur, riche par le travail de la terre) Konkon Konoba Kono Manfing (roi Camara de Konokoro dans Macenta, Guinée) Konon Oulèn Konoba Konsaba Konson = Konzon Kontoron (grand chasseur) Konyouma (bienfait, cadeau) Konyoumalonna (reconnaissant) Koba (grand fleuve) Komi Koni (petit, négligeable) Korigna Kòrò (grand frère, vieillesse) Kòròbèrèsoro (celui qui a la chance d’avoir des aînés généreux, gentils, bon grand frère) Korogna (pagaille, pagailleur) Koromba (qui vient de l’Est) Korongbè (matinal, celui qui se réveille très tôt) Koronkoronba (cafard) Kòròsi (sensible, attentif) 644


Kòròya (vieillesse) Kosimangan (les choses sont incomparables, celui qui n’a pas d’égal) Kosokasa (qui aime les situations compliquées, difficiles, aime les intrigues) Kosoron (celui a des problèmes) Kotéban (éternel, qui ne finit pas) Kotélon (ignorant, personne insaisissable, celui qui des caractères fluctuants) Kotèma (au milieu de l’eau) Kotéma (je ne dois rien, je ne dois à personne) Kòti (premier responsable) Kotigui (maître de l’eau) Kotila (n’hésite pas, tu ne risques rien) Kotima (tu ne dois rien) Koto (pardon, qui pardonne) Koto-Alama (pardonner à cause de Dieu) Koto N’Tama (respectez ma volonté, celui qui a le dernier mot) Kòtou (forêt) Koudou Koulaba Mori Koulako Koulako Boumba Koulako Balla Koulako Lamini Koulouba Kouloubamò Koulou Friki Kouloumba Kouma (parole) Koumabèfola (celui qui dit tout, sans ambages) Koumandian Koumou (acide, personne compliquée, difficile, susceptible) Kounadi (chanceux) Kounadikèlèboa (celui qui combat un homme au destin singulier, radieux; combattre inutilement un homme de Dieu) Kounadia (chance, porte bonheur) Kounagbo (malchanceux, maudit) Koundian (grosse tête) Koundian Mori Kounfè (étourdi, qui passe tout son temps au champ, cultivateur laborieux) Koungbè (cheveux blancs) Kounmansa (grand cultivateur, champion) Kounoun (éveillé, réveille-toi) Kounoun Misa Kountasia (qui n’a pas de programme précis, étourdi, mal organisé) 645


Koura Gnaman Koura Manbi Kourouba Kourouba Misa Kouroumba = Koulounba (montagne, entrave) Koyo Koyò Koyé-Antè (serment, convention entre nous) Kozan Kozo Kozon Laana = laanda (tradition, coutumes) Laciné (jumeau) Lacinéba (jumeau) Lafo (qui fait perdre) Lafòlò (qui débute) Laï Laïba Laïdian Lama (calme, serein) Lamandian Lamènka (celui qui entend bien et ne répète que ce qu’il a entendu) Lamènkan (propos d’autrui) Lami (invulnérable) Lami (fétiche qui rend invulnérable aux balles, à l’arme blanche, à la sorcellerie) Lamini Lancé (jumeau) Lancéi (jumeau) Lancéiba Lanfia Lanfo Langa (augmenter, celui qui augmente) Langama (porter sur l’épaule) Langamandji Langama Vali (comandant de l’armée de Samory) Lankoma (qui se compare) Lannaya (confiance) Lansana (jumeau) Lanséï Lasso Latèko (accidentel) Lawalé 646


Layiri (engagements, promesse, qui respecte son engagement) Lémourouba Lèngué Lènko Amara (roi de Bamadou dont la capitale est Lènko, Kérouané) Limanéya (croyant, confiance, foi en Dieu) Locéni (jumeau) Loondian (jour lointain) Longoma (celui qu’on reconnaît par son savoir-faire) Lonko (connaissance, savoir, savant) Lonsébalitè (jour attendu, rien ne se fait avant le jour) Lonsénigbèma Loutigui (fondateur de la cour, père de famille) Ma Macé = Massé (je n’ai pas pu le faire) Macé Amara Madigbè Mafili (celui qui se trompe toujours ou très souvent) Magan Maïkan Mori Makan Makè (mon frère, appellation d’un frère par une sœur) Makono (qui aime se mettre au diapason des autres, patient, posé) Makosaren Mori Makounta Makoura Diara Makoura Mori Malamini Malidiara Mali Kaba Mali Kaba Amara Mallé Mama Lansiné Mamari (homme à cohabitation difficile) Mamba Mambi = Mamby Mami = Mamy Mamourou Man Manden Mori Mandoua Mandouman Mandian (qui n’est pas grand) 647


Manfing Mangan, Vamangan (celui qui est différent des autres, sans pareil, moyen, intermédiaire) Mangbè Mori Manigbè Mori Mani Kaba Manikaba Amara Mansa (roi, président) Mansa Dankaran Touman Mansadian Mansa Kolon Manson Féréma Mantoro (malheur) Mantouman Maoulèn Nounkè Mari = Mali (hippopotame) Maridiaba Marigbè Marikaba Marin Maringbè Massa Massabori Massagbè Moro Massa Kaman Massa Kègbanan Massa Kouroun Massaren Féré Massaren Lancé Massaren Mori Massaren Séri Massa Sèba Massayan Masòn (je refuse) Massé (je ne peux pas) Matò (qui aime les flatteries) M’Benba (grand-père, surnom très respectueux qu’on donne à l’homonyme d’un grand-père) Méa Kanè Méa Kourou Méansé Médiongbo Mégbato 648


Mégbou Mékasou Mélama (fais doucement, ne brusque pas les choses) Méma Mèmè (grand-père, homonyme du grand-père) Mènban Mènbankélèmé Méndiakourou Mènkadi (c’est bon, c’est doux, qui aime les bonnes choses) Mènkadi-Alagnè (celui que Dieu aime, ce que Dieu aime, ce qui plait à Dieu) Mènkaman (valable, il en vaut tant) Mènkè (fais ça!) Mènkè-Alayè (fais à cause de Dieu) Mènso (donne lui en) Mènso Oulèn Mèntoma (qui respecte l’ordre, conformiste) Mènto-Alagnè (pardonne à cause de Dieu) Mèralè Mèri Mésouma = Mènsouman (mesure-moi ça!) Métòma (son homonyme) Miakanè Miakourou Mianséry Mikri, Mikili (je ne t’ai pas appelé) Miman Mimanbo Minan Misadian Mobara (chez les gens) Mòbara (le travail des autres) Mòbèrè (personne sérieuse, qui respecte ses engagements, qui fait du bien) Mòcéré (témoin) Modibo Mokè Mondon (poignée de riz, poignée) Monè (outrage, provocation) Mònèbò (qui se venge) Mònèboden (enfant digne qui relève le défi, qui n’encaisse pas les foutaises) Monné (jamais, qui refuse catégoriquement le déshonneur, l’indignité) Monsonguila Monzon Monzonba 649


Monzonguila Mòòba (personnage respectable, notable, sage, riche) Mòòfila (jumeaux) Morciré Mori Moriba Moribadiassa, génie porte-bonheur à qui on se lie librement par serment inviolable ou dakan et pour qui il faut danser travesti à travers le village si les vœux souhaités sont exaucés, génie bienfaiteur, protecteur. Moribagboto Moribakèn (Mori le beau, le prestigieux) Moribignè Moridian (Mori le grand, le géant) Moriféré Morifindian, nom du célèbre griot, fidèle compagnon de Samory. Compagnon de la première heure de l’empereur du Konya, il fut condamné à la déportation au Gabon avec son maître après la chute de l’empire. Morifing Morigbè Morigbèba Morikèn Morikandian (Mori au long cou) Morikè Morikèn Morikin Morikoumala Mori Oulèn = Morioulèn Morimisa Morisanda Morisara Morisiman Morlaye Moro Morou Mougna Mougnabala Mouké Dantouman Mouke Moussa Mounyè (qui se résigne, tolérance, sage) Mouroudian

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Naba Nada Nadaba, Vadaba (ma houe) Nadamangan Nafa (intérêt, qui cherche et ne suit que ses intérêts) Nafaga Nafolo (cupide, matérialiste, richesse, riche) Nagnouma Mori Nagnouma Morou Naïma Konson Naïni Nama (surnom de l’hyène, gourmand, ambitieux, enfant terrible) Naman Namba Namakoro (hyène) Namandian Namori Namorigbè Namoro Nanan Vali Nanbala Nandalibala Nandamangan Nanfodé Nanfoli (vient me détacher) Nangama (homme prédestiné, homme à qui ne peut faire du mal) Nango (suis-moi) Nani Naninkò = Naminkò (il faut suivre celui-ci) Nankama (homme prédestiné à la gloire, à la grandeur et qui ne peut être vaincu par ses ennemis. Un tel homme échappe toujours aux intrigues, homme providentiel.) Nankaman Triban Nankouma Nankounba Nanourou Nansadi Nansamourou Naoulama Narémagan Narounba Nasamoudou N’Bè, N’Bô (mon ami, mon camarade de même génération) 651


N’Déli, N’Délikè (mon ami) Némisa = Nimisa (regret amer) N’Fa (mon père) N’Golo N’Goman N’Gomo N’Gomou N’Gouakourou N’Gouamoro N’Gouamourou N’Gouassé Ni (âme, part dans le partage) Niaba = Gnaba (qui aime appliquer la raison du plus fort, qui aime confisquer la part des autres) Niagba (celui qui a souffert, endurance) Niakoro Niakoroba Nialèn Kaman = Gnalèn Kaman Nialèn Mori = Gnalèn Mori Nialoko (prestigieux) Niamakana Amara ou Gnamakana Amara, ami d’enfance et fidèle compagnon de Samory. Pour avoir réclamé et obtenu la paternité de l’assassinat du Capitaine Braulot et de ses compagnons à Bouna en 1898, il fut condamné à mort et exécuté par la cour martiale organisée à Beyla. Son geste magnanime a permis de sauver la vie du Prince Sarenké Mory Touré dont était le mentor. Ce dernier qui était effectivement le maître d’œuvre de cette forfaiture fut auparavant blâmé par son père qui le mit en disgrâce pour lâchement assassiner la mission. Samory a toujours prêché le combat loyal et non la forfaiture, qui ternit toujours une victoire. Niaman = Gnaman Niamando (fin observateur, vigilent, observateur) Niamoko Niamori Niangbo (égoïste) Nianko Niantouman Niékoro Niéma Fodé Nikoun (celui qu’on aime plus que tout, l’âme) Nimisa (regret, colère, qui ne doit pas s’énerver) Niouma = Gnouma (celui qui fait du bien, personne généreuse) Nodaba Nombò (persévérant, accrocheur) 652


Noufadjiri Noufòlò Nouman Noumandian Noumisa Noumoro Noumori Noumou (forgeron) Noumoukè Nounféré Nounkoro Nounfodé Nounkè N’Tamagnon (mon compagnon) N’Tékoli (je suis capable, je ne peux pas échouer) N’Tèsé (je ne peux pas, je refuse catégoriquement) N’Této-N’dara (j’en ai marre, j’en ai assez...) N’Vafing N’Vofing Oula = Woula (brousse) Oulanba Oulani Ourou Ouroudjimba Ousaman Ousamandan Oussou Oussouba Paki (interjection!, celui qui dit la vérité) Pakisana (diseur de vérité, désapprobation) Porèkèrè (abondance, je-m’en-foutiste, désinvolte, celui qui ne prend rien au sérieux) Porèkoro Saa, N’Fasaa Saadji, Saadji Cama, Diomani Saadji, nom du célèbre roi Camara de Gbéradou, dans le Simandou (Damaro), qui fut le principal ennemi de Samory et dont l’élimination a parachevé la mainmise de Samory sur le Konya. Saadji fut victime de plusieurs trahisons pendant le long siège du col de Gbankouno où il s’était retiré et qui était inexpugnable. Mais dans une guerre, l’espionnage et les

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trahisons sont parfois plus efficaces que les fusils. Pour tuer tout germe de chefferie dans la famille de Saadji, Samory fit bouillir sa tête avec du sel. Saba (gros serpent) Sababou (tremplin du bonheur) Sabanan (troisième) Sabanan Oulèn Sabari (sagesse, inoffensif, pacifique) Sabati, Sabatigui (prospère, personne ayant réussi moralement et matériellement) Sabou (tremplin du bonheur) Sabougnouma (porte-bonheur, qui porte bonheur) Saboumando Sadia Sadji = Saadji (bélier, nom de ceux qui ont le coup de tête redoutable) Sadou Saféré Saga Sagaba Sagaba Mangan Sagasouméla Sagba Sagbè Sakaba Saki Salatigui Sama Samadou Samakoro Samba Sambadian Sambala Samènè Samènka Samò Samorigbè Samorifing Samory Touré, Empereur du Konya, simple négociant sur les différents marchés du Konya et de la forêt, qui allait chercher la liberté de sa mère Sona Camara devenue captive chez les Cissé de Madina qui avaient razzié son village natal pendant qu’il était absent. Il se constitua esclave pendant sept ans avant d’obtenir la libération de sa mère. Dans l’armée des Cissé il acquit et maîtrisa le métier de sofa. Fortement inspiré par la conquête, il créa sa propre armée avec le concours de ses oncles, les Camara du Konya qui fut le noyau du vaste empire 654


qu’il battit en éliminant tour à tour tous les rois qui lui portaient ombrage. Ses premiers affrontements avec les troupes de conquêtes coloniales eurent lieu en 1881 et durèrent pendant dix-sept ans (29 septembre 1898). Il fut incontestablement le plus grand résistant à la pénétration européenne en Afrique au XIXème siècle. Les officiers français qui le combattirent reconnaissent en lui les qualités de stratège militaire digne d’officiers sortie des célèbres académies militaires, de conducteur d’hommes et d’organisateur parfait. Il mourut en exil, le 2 juin 1900 au Gabon. Samou Samoudou Samourou Samouka Samoura Samoyan Sana Sanaï Sanan Sanankorèba Sanan Oulèn Sanan Ouroulalo Sanbadjigui Sandékoni (maître chasseur) Sanfan Sanfing Sanfring Sangban (le bouffon) Sangbanya Féré (personnage comique, qui aime se moquer des autres) Sangbara Sani (or) = Massani (mon or) Sanousi Sansonba Sansonba Mori Santigui Santiguignouma Sa Oulèni Sara Sarama (le populaire) Saran Souaré Mori, roi Bérété du Toron qui fut un des ennemis jurés de Samory qui eut à l’éliminer. Saré Sata Fodé Sata Mori Satigui 655


Sa Woussou Sayon (surnom de ceux qui naissent immédiatement après les jumeaux, ceux qui les suivent) Sébori Sédou Sédou Namori Ségbon Seiman = Séman Séko (celui qui peut) Sékoba Sékolo Sémansa Sémori Sèngbè Sènzé Séré Bréma, roi Cissé de Madina, Gbéléban, Côte d’Ivoire, qui prit en captivité, avec ses frères Bourlaye et Morlaye Cissé, Sona Camara, la mère de Samory, pendant sept ans. Samory le fit prisonnier et le supprima plus tard. Séri Sérikiyo Sériko Sétè (ce n’est pas de sa faute, il n’en est pas responsable, impuissant) Sétèdiongnè (l’être humain est impuissant, l’homme n’y peut rien) Séthou Sétigui (nanti, qui a un certain pouvoir) Siafa Siaka Siaman Siamoro Siamoro Oulèn Siba Sibiri Sidafa Sidibaba Sifani Amara Sifing (jeune, celui n’a pas encore blanchi) Sigbè (celui qui a des cheveux blancs, sage, vieillard) Sigbètigui Sikato (poltron) Silafana (provision) Silatigui (guide, propriétaire des lieux) Silé = Soulé Simaya (qui a longue vie) 656


Siman = Souman (nourriture, qui produit beaucoup ou donne beaucoup à manger) Simba Simbon (grand chasseur, maître en la matière, grand sorcier) Sinali Sinè Sinèba Sinè Féré Sinèfing Sinègbè Sinè Mangan Sinèn Sini (demain, futur) Sinikan (qui dit des paroles choquantes qu’on n’oublie jamais) Siniko (qui prévoit l’avenir) Sinikiyo Sinikoro Sinimori (personnage des contes mandingues. Orphelin de mère qui fut sauvé plusieurs fois de l’empoisonnement de ses repas par sa marâtre grâce à son chien qui parlait le Mandingue, à l’époque où les animaux parlaient comme les hommes) Sinzé Sirafa Sirafa Mori Siraman Sirimakan Sirèkoromba Sirikoro Sirimankana Sisèkè Sisèkè Kaba Sisi (belliqueux, fumée) Sita Mori Sitapha Sitigui (qui a longue vie) Siya (lignage) Siyabori Siyadou Siyafa Soko (queue de cheval) Soko Mori Sola Oulènkoun (tête de singe) Soli 657


Soli = Sori Soliman Solimangan Solo Solodamo Solobamogo Solomany Soma (féticheur, guérisseur, celui qui a un pouvoir mystique, maîtres des rites, grand sorcier) Sòma (matin) Sòmasandji (pluie matinale qu’on ne peut éviter si on doit sortir ou partir tôt) Somori Sonè Kaman Sonè Siman Songba (nervosité, personne qui s’énerve vite, personne hypersensible) Songba Késéry Songba Mori Soni Ténin Bakary, ancêtre des Kourouma de Macenta, fondateur de la ville de Macenta en Guinée. Sonkoli = Sonkoly Sontila (sans défaut) Sontò (fautif) Sori Soriba Soridian Sori Oulèn Soro Sorokoumba Soromandi (ce qui est difficile à avoir, ce qui est rare) Soronaba (réconciliateur, médiateur, arrangeur des situations difficiles) Soso Sosobali (celui qui ne doit pas être contexte) Sotigui (chef de village, chef de famille) Sotiguignale (chef de famille ou de village jovial) Sotiguignani (chef de village comblé, heureux, écouté et suivi) Sotigui Kèmòò (chef de village, chef du clan, sage, patriarche) Soulakata, l’ancêtre des griots notamment les Kouyaté. Souloukou (hyène, surnom des personnes crapules, escrocs, personne dangereuse) Soumabalé Souman (nourriture, mesurer, celui qui est précautionneux) Soundiara

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Soundjata, nom du célèbre, de l’emblématique Empereur mythique Mandingue (1230-1255) qui sauva, reconstitua et agrandit l’Empire du Mandingue au Moyen Âge. Il fut le plus célèbre Empereur du Mandingue médiévale. Soungalo Soutra (protecteur, bienfaiteur) Ta Taali Mankan Taïba Mori Takabila (prendre et laisser tomber brusquement, violemment, escroc) Takoma (modèle) Takounma (indexer) Talakognè (celui qui sait partager équitablement) Tamba Tana Massa (celui qui respecte ce qui est interdit, l’interdit n’est pas levé) Tanbi (passe) Tangbo Tangbo Oulèn Tara Koma (celui qui défend une cause juste) Tarigbè Féré Tarigbè Mori Tari Mori Tari Morou Tasibali (celui qui n’a pas honte, qui ne réfléchit pas, turbulent) Tasiliman Tasirimankan = Tèsirimanka (personnage central, entreprenant, accrocheur, persévérant) Tébaga Télin (intègre) Ténèn Kali Ténèn Mangan Ténèn Souo Kaba Tènsoya (manque de confiance) Tere = Tile (soleil, celui qui brille comme le soleil) Térèmèsè (qui glisse, celui n’a aucun problème, qui surmonte toutes les embuches) Tèrèna, Terna (surprise, celui qui surprend, affaire surprenante) Tèrènako (surprise, celui qui surprend, se dit des enfants désirés, enfants nés au moment où tout espoir de procréation est perdu, Dieu donné, ou Dieu a donné) Téré Yara Tèsirimakan (personne fortement engagée pour une cause) Tiakonè Tiaman 659


Tièba (homme gros et grand physiquement, homme vénérable) Tièbèlè (généreux, gentil) Tièdaba (qui une grande gueule, qui est loquace, éloquent) Tièdiouma Tièfing (homme de teint noir) Tièfingba Tiègbanan (célibataire) Tiègbè (homme de teint clair) Tiègbèba Tiègboro Tièkoro (vieux) Tièkoroba (vieux, vieillard) Tièkoura Tièkouragbè Tièkourou Tièmankan (homme moyen, homme chanceux) Tièmo = Tièmoko (le vénérable) Tièmokoni Tièni Tièoulèn (homme de teint clair) Tièsilé Tièzan Tignè (celui qui gâte) Tile (soleil, celui qui brille comme le soleil) Tileba Tima Timan (grand laboureur, champion) Tinko Tinko Mori Tinkoro Tinsoya (manque de confiance) Tintan Tintanba Tintimba Tinzan Tinzèrèkèrè Tinzon Tiraman = Touraman = Traoré Tiribiri = Fatiribiri Tirkaman Titi Titiyama Titriba (prétentieux) 660


Titrikan Titrimankan (celui qui est supérieur, incomparable) Too (dimunitif d’homonyme) Tognèli = Tognèlila (tort, celui qui fait du tort aux autres) Tolofasa (qui est têtu) Tolomassa Tòn (interdit, champion en labour) Tontigui (celui qui surveille et applique la loi, juge) Tontinyè (enfant gâté qui ne pas être corrigé, celui qui viole délibérément et impunément les règles, les lois) Toomaséré (signalement particulier, singulier) Toubi (personne de grande foi inébranlable) Tounyètigui = Tunyètii (celui dit la vérité, celui qui défend la justice, intègre) Tounyèfoola (celui qui dit et défend la vérité) Touman Toumani Toumasé (il est enfin temps, se dit des enfants dont la naissance intervient après une longue stérilité, bienvenu, enfant désiré) Toumba Tounkan (pays hôte, pays étranger où on immigre) Touraman = Tiraman = Traoré (nom d’un grand général de Soundjata) Trikan Vaba Vabala Vabignè Vabori (peureux, celui qui aime courir) Vabounyè (celui qui respecte tout le monde, Celui qui est bien éduqué) Vada Vadaba (grand cultivateur) Vadan (qui respecte les limites) Vadiaba Vadiassa Vadiasso Vadio (celui a toujours raison ou qui cherche toujours à avoir raison) Vadios Vaféré Vaféréba Vaférégbè Vaférékoli Vafing = N’Vanfing Vafoumba Vafoungbè 661


Vagbèma Vahina (celui qui a pitié, qui est sensible) Vakaba Vakamba Vakarangbè Vakassa Vakoun Vakourou Vakouroungbè Vali Vali Oulèn Vamandji Vamankoro Vamankoroba Vamara Vamèmè Vamo Vamori Vamorikè Vamoro Vamoya (philanthrope, celui qui aime et reçoit les étrangers, celui a pitié des indigents) Vamoyadian Vana Vanba Vandyara Vasaa Vasako Vasé Vaséiman Vaséko (celui qui peut faire quelque chose) Vasélé = Vaséré (celui qui est témoin de tout ou qui aime témoigner) Vasènèba (celui qui fait de grands champs) Vaséri = Vaséli (celui qui aime la prière) Vasôbè (celui qui fait du sérieux, celui qui fait avec amour ce qu’il a faire) Vasombè (coupable) Vasòrò (celui qui se promène toujours inutilement) Vasoron (celui qui gagne toujours, qui est chanceux) Vasoulé Vatiéoulèn Vatogba Vatola Vatoulé 662


Vaworo (celui qui est rusé) Vayanka Vayankoro Vofing Walan Walani Wami Wana (enfant terrible, irréductible) Wanda Wara (panthère, fauve dangereux) Waraba (panthère) Wasa (qui est comblé par le destin, qui a tout, qui est heureux, abondance) Wasabali (insatiable, trop cupide) Wasabori Wasama Wasara Wati (moment opportun, qui arrive ou se fait au moment opportun) Womi Woulanba Woulani Wousou Wousoumandan Woussè (enfant turbulent, vaniteux) Woya Woyo Yamba Yaman Yamori Yamoriba Yamoudou Yansana Yarabi Yirabi Yiramba Yèrèlon (celui qui se connaît, qui est modeste) Yomani Yomba Yoro Yosso-Yassa (pagailleur, désordonné)

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Zan Zan Oulèn Zanzan Zarra (poursuivre quelqu’un) Zarra Kassia Zié Zingbé Zinzé Zinzin DICTIONNAIRE DE QUELQUES PRÉNOMS FÉMININS MANDINGUES Généralement, pour marquer le respect, on fait précéder le prénom féminin par la racine Ma ou M’Ma, Na ou N’Na, selon les régions et qui signifient maman, mère. Mais pour une commodité de l’écriture, on préfère le préfixe simple Ma ou Na. Abla = Abila (laisse-le, laisse tomber) Adama = Dama = Madama Alagnè (à cause de Dieu, pour Dieu) Alakabon (Dieu est grand) Alakafo (parole de Dieu, rassembler, associer) Alalakè (volonté de Dieu) Alalako (à cause de Dieu) Alama (faire tout doucement, pacifique) Alamako (affaire de Dieu, Dieu en a besoin) Alamandi (fille ou femme qu’on donne en mariage sans que son mari ne fasse aucune dépense, cadeau qu’on fait à Dieu à travers ses fidèles serviteurs, généralement un indigent) Alanyè = Alagnè (à cause de Dieu) Amina (bonheur, attrapé, celle dont les vœux sont exaucés) Arama Assa (qui gâte, gâter un marché) Assakoura Ba Baba Babou Badè Bafitini (la petite maman) Bagbè Bakoro (la vieille) 664


Bakoroba (la vieille) Bakounadi (celle qui a la chance) Bakourou Bama Bana (la riche, prospère, maladie, maladive) Banafana Banafani Banafarima Banakin Banakoro Banamoï Banasiri Banaténin Bandjou Bankoma (celle qui refuse catégoriquement, hostile) BaNouny = MaNouny Baraka (puissance, force, resplendi de) Baramuso (l’épouse favorite) Basama Bassi Batourouba Batrou = Batourou Bawa Baya Bèbiyèrègnè (chacun pour soi) Bèmako (affaire de tout le monde) Bèmankan (tout le monde n’est pas pareille, chacun a ses particularités) Bènignò (chacun a son remplaçant) Bènkadi (entente) Bènkoma (opportuniste) Bènmako (consensus) Bètako (concerne tout le monde) Bèyédoko (chacun en veut) Bia Bibi Bilangnè (éclaireur, celui qui guide, qui est devant) Bilankò (celui est derrière, arrière garde) Bilisi (qui aime les querelles ou qui les provoque) Binè = Bounè Binko Bintou Bintougbè Bò (jumelle) 665


Bòbo Bòdou Bolokala (désigne le dernier enfant, le ou la benjamin[e]) Bolokoun Bongo = Bonko (ne me suit pas) Bonon (perte) Bònyona (sélection, séparation, ressemblance) Boron = Bron Boronké = Bronké Boron Oulèn Bosso (Mabosso) Bounba (la grande, l’aînée) Brisi (fumiste, qui aime se battre, palabreuse) Damou Daba (Madaba) Dabalo Dafa Dagbè (bouche blanche) Dagna (personne prédestinée) Dakabananko (qui fait des choses extraordinaires) Dala Dalagbè Dali (habitude) Dalifèn (créature de Dieu) Dalo Daloba Dalogbè Dama = Madama (grande gueule) Damagna Damakèn Damba Dandan (celle qui soigne) Dangna (prédestiné) Danmassa Dansi (celle qui respecte la limite) Daritignè (celle qui rompre avec l’habitude) Déba Dédé (désigne la benjamine, fille gâtée) Deïba Denbadiala Denda Denfo 666


Denga Dengbè = Madengbè (fille de teint clair) Denkoma (partenaire) Diaba Diabafing Diadouba Diafa (qui pardonne ou qu’on pardonne) Diagba = Madiagba Diagbasi Diaka Diakadi Diakafing Diakagbè Diakan Diali Dialiba Dialikoura Dialouma Diamankani (celle qui aime le diamant) Dianfòlò Dianka Diankana Diaoulèn Diarabi (amour, celle qu’on aime affectueusement) Diarakoro Diassa Diata Diatè Diatii, Diatigui (hôte) Diawa Diawani Diéfarima Diékani Diékoria Diékounba Diékoura Diélikani Diènè Diènèba Diénébou Diènèfing Diènègbè Dièrèlon (celle qui se connaît) 667


Dignè (celle qui se soumet, qui est soumise, tolérance, tolérante) Diéssou Diétoulou Dignè (qui tolère, pacifique) Dignèkoma (qui respecte l’ordre) Diola Diomagan (toutes les créatures ne sont pas égales) Diomba Diombala Dionba Diongbè Diongbèdian Diontan (qui vaut dix esclaves ou dont la dot fait dix esclaves) Diouba Dioran Diori Diouma Dioumaténin Diossé Dioulatignè Djagba Djata = Diata Djéli Musonin = Diéli Musonin Djèrèbèrè (qui aime son corps, qui ne fait aucun effort) Djèrèdia (orgueilleuse, fière) Djèrèlon (modeste) Djésira Djéssou Djibokoro Djigbè (chute, eau blanche) Djigui (support, tremplin) Djimissiba Djinafarima Djingbè Djisèmè (protectrice) Djogo Djouba Djousouba (qui a gros cœur, nerveuse) Domani (la petite, la benjamine) Doua Douba Doubafing Dousou 668


Dousouba Dousoukèn Fadima Fana Fanzan Faraba (grande plaine, se dit des femmes généreuses, qui reçoivent bien tout le monde) Faragbè (femme blanche) Farafing (femme noire) Farba Farima Farimagbè Farima-Oy Farimba Fata Fatafinè Fatafing Fatafini Fatagbè Fèngbè Fènko (cupide, matérialiste) Fènzin (qui étale, qui n’est pas discrète) Fènzanba Férégbè Férèn Filanba = Mafilanba Filani = Mafilani (jumelle) Filanisaran Filanisaren Filasao Filasaren Fina Finè Finèba Finègbè Fofo = Mafofo (déchet) Frègbè Gbadonna (cuisinière, celle qui prépare bien) Gbakoro (vieille cuisinière, vieille maîtresse de cuisine) Gbamba Gbana (qui se fâche vite, nerveux) 669


Gbani Gbankalo Gbasibali (qu’on ne frappe pas, intouchable, fille gâtée) Gbati = Gbatigui (bonne cuisinière) Gbèinkan Gbinrimba Gbokoro Gboonba (grenouille) Gna (gracieuse) Gnagna (celle qui est joviale) Gnalèn Gnalènba Gnalin Gnalinba Gnama (saleté, ordure, malpropre) Gnamako Gnamakoro Gnaman = Magnaman Gnamayaran Gnami Gnamoï Gnan Gnananba Gnanfing Gnani Gnanikèn (la belle, la gracieuse, qui aime faire le fanfaron) Gnankonè Gnankourou Gnarodia (complaisance, complicité, tolérante) Gnasouma (paisible, inoffensive) Gnayèn (paisible, qui comprend tout le monde) Gnina (qui oublie beaucoup) Gninima Gnonfing Gnonkon Gnouma (la généreuse, la gentille, porte bonheur, qui a bon cœur) Gnoumagbè Gnoumakoro (ancien bonheur) Gnouma Saren Hina = Mahina (pitié, pardon, générosité) Hinanté (celle qui a pitié) Hèrè = Mahèrè (bonheur, qui porte-bonheur) 670


Kaala Kaalaba Kaba Kabakinyè Kabakarou Kabako Kabasaran Kadali, Kadari (habitué, habitude) Kadé Kadié Kadou Kagbè Kagbèdian Kan = Makan Kaïra (bonheur) Kaïraba (qui porte bonheur) Kaïraba = Makaïraba (grand bonheur, qui porte bonheur, qui en créé chez les autres) Kaïssa Kaka Kalé = Makalé Kalo = Makalo (sans maternité) Kama Kamisa Kan = Makan Kana (protectrice, protégée, ce qui est bien surveillé) Kanaba (celle qui protège, qui surveille attentivement) Kandé Kanfing Kangbè Kani (amour, bien aimée) = Makani, Manakani, Nakani (mon amour, ma chérie) Kanibaoulèn Kanigbè Kaninba Kankelentigui (qui n’a qu’une parole, qui respecte ses engagements) Kanko (affaire de langue, action de se laver) Kankou Kankounba Kanou Kanou Simbon Kanna (qui protège, qui se préserve) Kanson (qui triche, qui trompe, qui extorque) Kantignè (qui gâte le serment, la parole donnée, la parole d’honneur) 671


Kasianfing Kasiangbè Katô-Alama (pardonner à cause de Dieu) Kèdjougou (la vilaine, terme de raillerie qui ne signifie pas forcément laideur physique) Kèmè = Makèmè, Makèmè-Mansa (reine des excisées qui n’est forcément l’aînée des initiées, mais souvent la fille du doyen du clan) Kèrè Késa Oulèn Kessa Kétè (n’est-ce pas? celle qui aime demander, celle qui aime se faire approuver, qui cherche des témoins) Kiba Kiéba Kiéba Oulèn Kiki Kinyè = Makinyè (la belle, la déesse) Kinyèba Oulèn Kinyègbè (sable blanc) Kirasé Kissi = Makissi (rescapée, celle qui a été sauvé de justesse) Kita Kitagbè Kobèrè = Makobèrè, Kobèlè (qui en fait que du bien, qui fait de bonnes choses) Koko Kokoro (ce qui est ancien) Kokoura (qui n’aime que les nouvelles choses, frivole) Koladengnò (associée) Kolako Kolako Boumba Kolakoma (comparable) Koliko (invincible) Kolokoto = Makolokoto (qui pardonne) Kolon (qui sait tout) Kolonka Kolonkalan Kòma Komba Kombo Bana Komi Konè = Koné, Makonè Konké Konkoba 672


Konoba Konominyan Kono Konon Konorofili (embarras, celle qui embarrasse) Konyè Konyègbè Konyokoura (la nouvelle mariée) Koonon Koonou Koria = Nakoria, Makoria (qui va jusqu’au bout) Korika = Makorika (l’invincible, l’incorruptible) Korikoma (invincible, intraitable, incorruptible) Korobèrè Sòrò (avoir un bon grand frère) Koroman = Makoroman (aînée, ancienne, qui aime les choses anciennes) Koronba (celle qui est matinale) Kòròsi (attentive, sage, vigilant) Korotoumou Kòsi Kosimankan (incomprable) Kotéban = Makotéban (ce qui dure, on ne sait jamais ce qui adviendra, éternel) Kòtèma = Makòtèma (qui est au milieu de l’eau, responsable qui aime s’entourer d’autres personnes) Kotélon (mystère, ce qui est mystérieux, ce qu’on ne peut connaître, ignorant) Kotifan Kotii (propriétaire d’une chose ou d’une affaire, première responsable, première propriétaire) Kòtila (ne craint rien, tu n’auras rien) Koto-N’Tama (qu’on respecte ma volonté, ma décision) Koudouman (la bossue, l’handicapée) Koukou = Makoukou Koulaba Koulako Koulouba Kouma = Makouma (parole, qui aime beaucoup parler loquace) Koumba (grande tête, sage, chanceuse) Koumbakoura Kounadi = Makounadi (chance, celle qui a la chance ou qui porte bonheur) Kounadikèmè Kounaditénin Kounagbo (malchanceuse, maudite) Koundian Kounfa (désir, vœux) 673


Kounfè = Makounfè (qui aime l’aventure) Kounkelen = Makounkelen (solitude, qui aime la solitude) Kounoun = Makounoun (hier, celle qui n’oublie pas le passé) Kountan (qui ne vaut rien) Kountassia = Makountassia (étourdie, sans programme, instable) Koura = Makoura, Nakoura (la nouvelle, la fraîche, qui aime les choses nouvelles) Koura Gnama Koutoubou = Makoutoubou Koya = Makoya Koyé-Antè (un serment nous lie, n’oublie pas notre convention) Koyafing Koyagbè Koya Oulèn Lala Lama = Malama (celle qui est patiente, précautionneuse) Lanaya (confiance, celle en qui on peut faire confiance) Langa = Malanga (celle qui aime se faire accompagner, qui se fait toujours assister) Layiri (promesse, celle qui réalise ses promesses, celle qui respecte ses engagements) Lènko Saren Loba = Maloba (qui fait bon marché, grande commerçante) Lòbadia Lòdia, Malòdia (qui fait bon marché, qui vend bien) Lògbéya (qui vend mal, qui perd dans le commerce ou dans les affaires) Lòlo = Malòlo (celle qui ne manque jamais le marché, grande commerçante) Lòmakono = Lònmakono (qui attend son tour, qui attend le moment opportun pour agir, pour parler) Longo (connaissance, celle qui connaît ou fait croire qu’elle sait beaucoup de choses) Lonkadian (jour éloigné, éternel) Lòtédia = Lòmadia (qui fait un mauvais marché, malchanceux) Lòtégbéya (qui fait bon marché) Ma = M’Ma (mère, maman) Maba = Banaya (richesse, opulence) Mabana (la riche) Mabankin Mabinta Mabintou Maborè 674


Mabourou (désigne la présidente d’une association féminine) Macé = Massé (je n’ai pas pu) Macéfarima Madagbè Madama Madamakin Madengbè Madia (prie-moi, populaire, qu’on me congratule) Madiaba Madiali Madiawani Madioli Madjassa (celle qui est désordonnée, qui aime le désordre) Madjikan (qui aime l’eau) Madjossodjassa (anarchiste) Madjousou (nerveuse) Madouba (qui aime recevoir des bénédictions ou qui en fait) Madoubalò Madousou Madousouba Madoya (celle qui aime engueuler) Mafélé (celle qui vend bien, qui a la chance dans le commerce) Mafilani (jumelle) Magbala (celle qui est toujours embarrassée, qui a toujours des problèmes) Magbati (celle qui prépare bien) Magna (celle qui réussit, celle qui est aimée, désirée, qui est recherchée) Magnaba Magnako (ce n’est qu’elle que j’aime, celle que je désiré fortement, ma chérie) Magnakoro (la prestigieuse) Magnama Magnamakoro Magnaman Magnankonè Magnilako (pitié, qui fait pitié ou qui a pitié) Magnonkon Maïkan Maïlon Makale (le bien aimé) Makan Makangbè Makani (l’affectueuse, mon amour) Makessa (celle qui empêche de travailler) Makinyè (la belle, la déesse) 675


Makissi (celle qui sauve ou a été sauvé) Mako (c’est mon affaire) Makònò (attends-moi) Makonya (qui rend service) Makoroba (grand-mère) Makosa (celle qui gâte les affaires, qui crée des complications, qui gêne) Makosaren Makòti (qui a toujours du sel, qui en vend, qui maîtrise l’eau) Makoura Makouraba Makoura Oulèn Makoutou Makoya Malako Malama (qui fait doucement, attentive) Malalo Malé Malòba (qui ne manque jamais le marché, grande commerçante) Malon (celle qu’on ne connaît pas, inconnue) Malondian Malonté (je regrette, je l’ignore) Mama Mamasà Maminyan Mamouya Mana Manadara Manadoua Manafolo (matérialiste, envieuse, cupide) Managbè Managbè Saren Manakan Manakani Manakolo Manamba = Mananba Manasa Manasani Manasouma Mandjin Manéma Manè = Manaï Manfing Manfila 676


Manga (incomparable, supérieure, moyen) Mangbè Mangoro Mangoroba Mani Manian (serpent bois) Manifing Manigbè Manimisa (la nerveuse) Maninba Manouny Manti Mantignè Maoulèn Maoura Oulèn Maraba Marama Maraman Marèna Marènaba Maséni Masogona Masòn (je refuse) Masona Masonacé Masooni Masoro Masorona (celle qui aime prier pour obtenir, celle qui intervient pour réconcilier) Masou Farima Massa Massaba Massabari (l’inoffensive, celle qui est résignée) Massaborè Massagbè Massagbèrè Massama Massanacé Massani (mon or) Massaran Massarangbè Massarenké Massia 677


Massiami Massou Massouba Maténin Maténinké Maténin Oulèn Matignè (celle qui gâte tout) Matoligbè Matòma (pour designer l’homonyme de la maman) Matòtè (dont on n’ose pas prononcer le nom) Matòtignè (qui gâte le nom, qui vilipende) Maworo (maligne) M’Balou Mékon Mékongbè Mélama (fais doucement, traite-le avec beaucoup de soins) Méma Mènto-Alagnè (pardonne à cause de Dieu) Mikri = Mamikri, Mômikri (je ne t’ai pas appelée) Minagbè Minogbè Minyan = Maminyan, Môminyan Miriya (pensée) Misagbè Misali (modèle) Misira Mòbèrè (personne généreuse, sensible) Mòïma Mònamin Mônè (colère, frustration, outrage) Mònòtè (ce n’est la faute de personne) Mòsà Mòtigui (personne populaire, accueillante) Mòtòma (désigne celle qui porte le nom de la grand-mère) Mouba Moussokoura = Musokura (la nouvelle) Moussokouro = Musokoro (la vieille) Mouya Naako = N’Nako (c’est mon affaire) Naboo Nada Nadia (la douce, la tendre, la tendresse, celle qui m’aime, celle qui aime) 678


Nadji (douce et bonne sauce, celle qui sait bien préparer, bonne cuisinière) Nado (ne me réduit pas) Nadouba (celle pour qui on formule de meilleurs vœux) Nafa (intérêt) Nafènba (ma chose sacrée) Nafina Nafinba Nafolo (cupide, matérialiste, richesse) Nagna (bonne naissance, qui est issue d’une bonne famille) Nagnalin Nagnouma (la généreuse) Naïma Nakelen (unique fille) Nakomba Nakònè Nakouma Nakoura Nalèn Namakoro (hyène, celle qui gâte tout, comme l’hyène dans nos contes et légendes) Namamba Namanakan Namassa Namba Namin Nana Nanatriban Nanba Nanfarima Nanfoli (viens me détacher) Nankagnouma Nankama (celle qui est prédestinée à un avenir radieux, celle à qui on ne peut faire du mal) Nankò (suis-moi) Nankouma Nankoumba Nankoria Nansalò Nara Naran Naré Narèn Naroumba 679


Nasia Nasian Nasika (celle qui doute, qui est très méfiante, celle qui fait douter, qui est sceptique) Nassa Nassou Nassouma Nata (envieux, cupide) Natò Naye N’Bala N’Bamisa N’Diagno (ma compagne chérie, mon amour chéri) N’Dòfè (à côté de moi) Néma (nourriture, celle qui donne gracieusement à manger) Nènè (la maman, la tendre, l’affectueuse) N’Goman N’Gnòntè (je n’ai pas de semblable, sans pareille) N’Gounfè (aventurière, par hasard) Ni (mon âme) Nialèmba Nialèn Nialènfing Nialèngbè Nialènko Niama (ordures, malédiction) Niamakana = Gnamakana Niamakoro Niamando (vigilante, attentive) Niangbo (égoïste) Niba (celle qui a gros cœur, nerveuse) Niéba (celle qui extorque, qui mange la part de tout le monde) Nikoun (mon amour) Nima (qui s’énerve vite) Nimisa (nerveuse, très sensible, regret) Nina (désigne une personne qu’on affectionne tendrement) Niali (qui porte bonheur) Nikan (celle que j’aime autant que mon âme) Niko (celle qui me ^préoccupe comme mon âme) Nima Nini (mon amour chéri, ma chérie) Nòrò (ascendance, aura brillant) Noumuso 680


Noungbè Nounkou = Nounkoun (belle, lisse, charmante) Nounkoumba Nouny Nounyténin Noussira Nouténin N’Séré (mon témoin) N’Tamagnon (ma compagne) N’Tè (refus, je refuse celle qui n’est pas disciplinée, rebelle) N’Tèkoma (je ne fais rien, je ne m’occupe de rien, je ne suis complice de rien) N’Tèsòn (je refuse catégoriquement) N’Tifè (je ne t’aime pas) Nyamakoro N’Zema (matrone, maîtresse d’initiation) Oria Oriagbè Orosa Orosagbè = Worosagbè Oulasé Payapaya (qui sème la pagaille, je-m’en-foutiste, qui aime se foutre des autres) Paki (interjection! celle qui dit la vérité) Passi Pati (celle qui s’en fou) Pésékéré (celui qui refuse catégoriquement) Porè (abondance, abondante) Porèkèrè (celle qui a tout, qui est heureuse) Poyopaya (pagaille, pagailleuse, désordre) Sa = Saa Saba Sababoumandò (tremplin qui permet d’atteindre un objectif, modeste moyen) Sabanan (la troisième) Sabari = Masabari (paisible, sagesse, celle qui est sage, pacifique, inoffensive) Sabati (qui est prospère) Sabèlè Saborè Sabou = Masabou (tremplin) Sabougnouma (bon tremplin, la généreuse, porte bonheur) Sada Sadan Mori = Saran Morin 681


Sadéni (petit serpent fragile) Sadian Safina Safing Sagaba Sakonè Saléa Sama = Masama (éléphant) Samacé Samafing Samakèn Samawati (tant pis pour toi, je m’en fou, à bon entendeur tant mieux ou tant pis) Sambin (anniversaire) Sana Sanaba Sanacé Sanan (gratin) Sanasi Sandia (année prospère) Sanfò (qui a le pouvoir de contrarier la pluie) Sani = Masani (l’or) Sanimba Sansomba Sarama (populaire) Saramaya (popularité) Saran Sarbou Saren Sarenfing Sarengbè Sarenké Sasilon (la majestueuse, l’élégante, la belle) Sasouma Sata Satan Sàténin Sàyan Sayon (celle qui est née après les jumeaux) Séa = Seya Sédou Ségbè Séko (celle qui tout faire) Séouka 682


Séré = Maséré (celle qui est témoin) Séréba Séréfing Sérégbè Séréya = Maséréya (celle qui ne fait rien sans avoir un ou des témoin[s]) Sétè (impuissante, elle ne peut rien) Sétèdiongnè (l’être humain ne peut rien contre la volonté de Dieu) Séya Sia Siagbè Siami Sibiri Sifàni Silan (qui aime balayer, qui est propre) Silanba Simaya Simba Simita Simitaba Simitagbè Sina Sinè Sini (demain, l’avenir) Sinikan (médisance qu’on n’oublie pas) Sininko Sininkoro Sira Siraba Siragbè Sirama Siramba Siré Sirifana Sirigbè Sita = Sitan Sitagbè Siya (lignage) Sòba Sobèn (sérieux) Sobènanko (affaire sérieuse, qui fait du sérieux) Sobènanmò (qui fait du sérieux) Sodia (animatrice de la société, qui distrait) Sogbè 683


Sogolon Sogolon Kèdjougou, nom de la mère de Soundjata Keita, empereur du Mali. Sogona = Sòna, Sonè Sogoni Sohoni Sokani (celle qui aime son village, son pays) Soké Soko Solomba = Sòròmba Soma (maître féticheur) Somba Sona Sonaba Sonacé Sondia (celle qui a bon cœur) Sonè = Sokona Sonèba Sonèfing Sonègbè Sòni Sòniténèn Sonkoma (celle qui accepte tout) Sontila (sans défaut) Sooni Sooninkoun Sorò (qui aime divaguer, fainéante) Sòròn (avoir personnel, propriété) Sorona (qui prie pour se repentir) Soronaboa = Soronalila (celle qui aime réconcilier les parties adverses) Soronba Sòrònmandi (difficile à obtenir, l’oiseau rare) Soronmaya Soulouwa Sounkani Sounounkoun (poubelle) Sounounkounba (celle qui tolère beaucoup, qui tolère tout, celle qui reçoit tout comme un dépotoir d’ordures, pacifique) Soutra (protectrice, généreuse, celle qui fait du bien aux autres) Sowa Taama (qui marche beaucoup) Taamakognè (qui marche doucement, qui est prudente) Taara 684


Tadigbè Taïba Takoma (modèle) Talanka Talon Talonka Talonna Tàri = Taali Tàrigbè Tasoumna Tassi (honte, pudeur) Tassibali (celle qui n’a pas honte) Tata Tayòròsa (qui immobilise, qui empêche d’aller) Télin (droiture, juste, intègre) Tèmasi (qui se plaindre) Ténèn Ténèmba = Ténènba Ténèngbè Ténènké Ténèn Oulèn Ténènsouo Tènsoya (celle en qui on n’a pas confiance, déconsidération, manque de respect) Tèntènba Tèrèmesa (qui glisse) Térèna = Trèna (surprise, désigne les enfants désirés, nés au moment où tout espoir de procréation est perdu pour le couple) Tèrènako =Tèrènèko (qui surprend, désigne ce qu’on ne croyait plus obtenir) Tèrèmassa Tèrèmèsè (glisser, qui glisse) Tété Tiako Tignè (celle qui gâte tout) Timba Tile (soleil) Tini Tinka Tinko Tintan Tintanba Tira = Matira Tirankè = Tiguidankè Tisso = Matisso 685


Tita Titi Titiyama Titriba (prétentieuse, vulgaire, frivole) Tò Toli (bienvenue) Toligbè Tolima (gage) Toloba Tolomassa Tòma Tomaséré (celle qui porte des signes particuliers, exemple, personne indexée, personne singulière) Tomba Tontinyè (enfant gâté, qu’on ne sanctionne pas, qu’on place par complaisance au-dessus des règlements, de la loi) Tòtè (sans nom, qu’on n’ose pas appeler par son nom) Tounyè (celle qui dit la vérité) Toumacé (opportuniste, celle qui arrive toujours à temps) Toumaro Toumiono Toumou Manya Tounkan (pays étranger quand on y réside) Touroukelen Tousou Toutou Tromba = Matromba (grands pieds, qui a de grands pieds) Waati (bon moment, qui fait ce qui est à faire au bon moment) Wami Wana (personne irascible) Wasa (abondance) Wasaba Wasabali (insatiable) Wasama Wassagbè Wasso = Mawasso (vantardise, qui se vante) Wata = Mawata Watagbè Waya (celle qui gâte) Wèrènani (celle qui possède beaucoup de bœufs) Wodia Worya 686


Woya Woyo Wuyawuya (turbulente, agitée) Yagba Yarabi (mon amour, amour ardent, celle qu’o aime passionnément) Yaya Yayé (surnom très respectueux donnée à une généreuse mère) Yèrèlon (celle qui se connaît) Yiya Youma Yoyo Zala Zara Zéma Ziza Zozo QUELQUES NOMS DE FAMILLES MANDINGUES OU MANDEN-DYAMU = MANDEN-LANBE Bamba Bakayoko Bayo = Kamissoko Bérété Binaté Camara = Diomandé Cissé = Kalicé = Karisi Cissoko = Kourouma = Doumbia Condé = Koné = Diara = Kanouté = Mara = Oularé = Tambassa Coulibali = Konaté = Keita = Douno = Danwo = Souko Dabo = Fofana = Wattara Dafé Dan = Dansouba Dansoko Danwo Dembélé = Dansira Diabaté = Diabagaté = Diobaté = Dioubaté Diabi Diakité Diané Diarra = Dyarassouba = Koné = Condé = Kanouté 687


Diawara = Dia = Diaora Donzo = Dosso Doré = Soumahoro = Koéssia Doukara Doukoué Doumbia = Kourouma Douno Dramé = Gasama Dyarasso = Kanté = Bamba Fadiga = Fadika Fani Fofana Kaba Kaké = Makanéra Kakoro Kamagaté = Kanaté = Kamaté Kamè = Kourouma = Doumbia Kamissoko = Bayo Kandé Kané Kanouté Kantara Kanté Keita = Mansaré = Souko = Douno Kéra = Kéïra Koïta Koma = Komara Konaré Konaté Koumaré Kourouma = Kamè = DoumbiaKouyaté Magassouba Maïga = Magassouba = Dafé Mansaré = Keita Mara Mariko Méïté Nabé Naïté Ouattara Oularé Sako Samaké = Touré 688


Samasi = Souaré Samoura Sano = Saganoko = Sanogo Sidibé = Diallo = Diakité = Sangaré Sidimé = Traoré Sissoko = Kourouma = Doumbia Souaré = Samasi Soumahoro = Doré = Koéssia Sylla Timité Tioté Tounkara Touré = Mandiou = Samaké Traoré = Touraman = Diabaté Yama = Gasama O) - LA STÉRILITÉ ET LA FÉCONDITÉ La stérilité très mal perçue au Mandingue et est considérée comme le plus grand malheur du couple et une grande honte pour les deux familles. Un homme doit être capable de pérenniser sa famille et son clan en prenant au moins une femme et en faisant des enfants. Objectivement, le manque d’enfants dans une famille peut être imputé à l’un ou à l’autre des deux conjoints ou parfois est dû à une incompatibilité sanguine. Donc on doit parler tant de la stérilité féminine que de la stérilité masculine. a) - La stérilité masculine « Le mariage était une obligation à laquelle nul ne pouvait se soustraire sans être mis au ban de la société. Et quand bien même un homme était impuissant, infécond ou infertile, il prenait femme quitte à faire appel discrètement à un frère ou à un cousin pour avoir des enfants... » (20) Madame TRAORÉ RAY-AUTRA née Hadja Mariama Séré Damaro CAMARA ----------o---------C’est parfois à tort qu’on met l’incapacité du couple de faire des enfants sur le seul compte de la femme. En effet le mari peut bien présenter l’un des nombreux cas de stérilité. Malheureusement, la médecine traditionnelle est incapable de procéder à des examens prénuptiaux afin de déterminer les chances de procréation du couple. Il suffit tout simplement que le mari soit capable de 689


rapports sexuels normaux pour que l’on impute à la femme la stérilité du couple. Or, actuellement on sait que ce constat de virilité sexuelle de l’homme n’implique nullement ou ne justifie pas sa capacité de féconder sa femme. En terme clair on peut se demander si les spermatozoïdes de l’homme sont de bonne qualité pour féconder les ovules de la femme. Il peut aussi se poser au couple un problème d’incompatibilité de leurs groupes sanguins au cas où les deux partenaires pris individuellement sont irréprochables physiquement. Dans nos sociétés traditionnelles c’est l’épouse qui est presque toujours seule incriminée et responsable de la situation. Le mari admet difficilement qu’on cherche de son côté des symptômes ou des causes de stérilité, ou qu’on le rende responsable de la situation. Il réagit toujours violemment contre de telles insinuations. Il faut envisager maintenant le cas de stérilité masculine avouée ou d’une impuissance sexuelle notoire. Dans ce cas, on voit le mari, par soif de paternité et pour ne pas être indexé ou marginalisé dans son environnement social, accepter un compromis pour sauver son honneur. Il fait intervenir ou laisse intervenir comme substitut sexuel une tierce personne, généralement un de ses jeunes frères ou un de ses cousins. Par convention discrète entre lui, sa femme et ce substitut, il s’efface devant ce partenaire sexuel désigné de sa femme. Dans ce cas, il doit faire preuve de cécité et de surdité. Il n’est donc pas question pour lui de faire de la jalousie de façon manifeste. Il doit faire preuve de cécité et de surdité permanentes et volontaires. Par contre, les acteurs de cette comédie doivent prendre toutes les dispositions pour ne pas s’exposer ou indisposer de façon flagrante le mari en mauvaise situation. Il reconnaîtra la paternité de tous les enfants issus de ce contrat, les aimera et les éduquera comme siens. D’ailleurs il en est le père légitime et personne ne lui conteste sa paternité sur eux, même pas le substitut qui est le père biologique des enfants. Il arrive aussi que le mari vieillissant cède, par le même accord, ses jeunes épouses à ses jeunes frères afin que les enfants soient du sang de la famille, car il vaut mieux que cela soit fait par un frère que par un autre homme qui n’est pas de la famille. Avec le temps certains enfants issus de telles relations rejoignent souvent celui dont ils sont le vrai sang (le père biologique), surtout après la mort du mari légitime de la mère ou quand la ressemblance physique avec le substitut est trop frappante. L’enfant en prend conscience quand certaines mauvaises langues font preuve d’indiscrétion ou d’intrusion. Mais si le mari cède à contre cœur certains de ses attributs, son substitut sexuel ou sentimental et sa femme doivent obligatoirement ménager sa susceptibilité, sa dignité de mari en organisant habilement et discrètement toutes leurs rencontres intimes. Évidemment l’époux doit aussi s’abstenir de les épier sévèrement et de faire des scènes de jalousie. C’est là les règles du jeu. Tant qu’il y a la discrétion, il n’y a pas de scandale. La collectivité ne s’en rend compte que lorsque les enfants ont une ressemblance physique frappante avec celui dont ils sont le vrai sang. L’épouse reste sous le toit du mari légitime qui exerce sur elle une autorité totale. Elle le respecte, 690


l’aime et feint d’ignorer apparemment l’existence de l’autre, du moins en présence de son mari. Il y a des cas où le mari n’est pas directement associé au contrat, mais il finit toujours par savoir qui sa femme a choisi pour le remplacer au lit. Il respecte ce choix de la femme au risque de voir celle-ci partir en dévoilant son état d’impuissance, ce qui l’exposerait à la risée de toute la communauté et compromettre ses éventuels mariages. Généralement à la mort de son mari, elle revient presque toujours à son partenaire sexuel qui fut le substitut du défunt et qui l’épouse en secondes noces pour mener une vie amoureuse officielle et tant souhaitée. Certains époux réalistes acceptent de se soumettre à des soins appropriés pour recouvrer ou acquérir toute leur virilité masculine et leur capacité de procréation en subissant des traitements appropriés. b) - La stérilité féminine « La femme stérile était aussi considérée comme frappée de malédiction, ses coépouses et ses compagnes d’âges ne manquaient aucune occasion de lui rappeler son infortune... » (20) Madame TRAORÉ RAY-AUTRA née Hadja Mariama Séré Damaro CAMARA ----------o---------Le rôle primordiale d’une femme est de procréer dans un foyer. Mais quand une stérilité même précoce est constatée dans la vie d’un couple, c’est la femme qu’on rend responsable à tort ou à raison de ce malheur qui frappe le couple. Le mari est rarement mis en cause. On doute rarement de la capacité de procréation du mari. C’est ainsi qu’on cherche rarement de son côté les causes de la stérilité du couple. Une femme stérile se culpabilise d’être l’unique responsable de cette malheureuse situation. Une femme ne se sent pleinement accomplie que si elle procrée. Elle recherche durant toute sa vie la maternité. Une mère très féconde (muso yirila) a plus de chance de trouver des prétendants pour ses filles que celle qui, toute sa vie, n’a qu’un ou deux enfants. On a tendance à faire croiresouvent à tort « telle mère, telle fille ». Donc sa mère a fait beaucoup d’enfants. Inévitablement sa fille lui ressemblera en procurant beaucoup comme elle, sinon plus. En pays malinké une femme stérile est réellement malheureuse parce qu’elle a conscience que sa vie est ratée et n’a aucun sens. Elle est susceptible. Au moindre conflit avec ses coépouses mères ou même avec son mari, elle se plaint et déclare que c’est parce qu’elle n’a pas d’enfant qu’on se moque d’elle ou qu’on la traite mal (konamuso). Pour la consoler, son mari lui confie très 691


souvent l’éducation d’un ou de plusieurs de ses enfants à bas âge qui deviennent par conséquent ses enfants et se comportent comme tels à son endroit. Parfois c’est un frère, un cousin, un neveu, un oncle de sa famille maternelle ou paternelle ou un allié de sa famille qui lui donne définitivement un enfant sur qui elle exerce pleinement une indiscutable autorité maternelle. Elle aime et éduque cet enfant comme sien et en retour celui-ci lui témoigne une totale et sincère piété filiale et parfois semble ignorer celle qui l’a mis au monde. Les sentiments de part et d’autre sont sincères. Une femme stérile ne se résigne jamais et ne se croit pas condamnée à ne jamais enfanter. Elle accepte de se soumettre à tous les traitements et fait tous les sacrifices possibles pour vaincre son état. C’est ainsi que son premier recours est la prière quotidienne. Elle implore les faveurs divines et fait régulièrement l’aumône aux misérables, fait aussi preuve de générosité envers tout le monde. En retour de ses bontés, elle reçoit des bénédictions des uns et des autres pour enfanter. Par contre d’autres femmes stériles s’en prennent aux gens à tort. Victimes du mauvais sort, elles sont très susceptibles et parfois agressives. Si au bout d’un certain temps ses vœux ne sont pas exaucés, la femme stérile s’en remet aux marabouts, aux guérisseurs, aux féticheurs, aux devins et autres géomanciens qui lui donnent toujours de l’espoir en lui faisant croire sa victoire certaine sur son mal. Pour ce faire on lui donne à porter, en permanence, sur elle des gris-gris protecteurs, de l’eau mystérieuse bénie et bienfaisante. Cette eau s’obtient par la mixture d’écorces, de feuilles et de racines de plantes appropriées. On l’appelle dyòbòdyi quand la recette est préparée par un guérisseur ou un féticheur. Mais quand lest par un marabout, on l’appelle nasidyi. Dans tous les cas la femme stérile ou en situation difficile doit boire ou se laver très souvent avec cette eau afin de la débarrasser de son génie allié (dadjina ou dameleka), du diable qui la persécute (dadjina-dyuu), des mauvais esprits et de l’effet nocif des sorciers. Elle doit porter le gris-gris et les talismans (lisimu, nasidyi) à la hanche, dans les cheveux ou les placer dans sa valise, sous sa natte ou sous son matelas ou parfois les fixer tout juste au seuil de la porte d’entrée de sa chambre. Mais pour que ces amulettes soient efficaces, elle doit observer certaines recommandations et se soumettre parfois à de sévères interdits dont entre autres l’infidélité. À certaines femmes stériles ces devins et mystiques affirment parfois qu’elles sont elles-mêmes responsables de leur état, de leur infortune à cause de leur infidélité à leur mari. Pour enfanter, elles doivent se confesser à leur mari en dressant la liste complète de leurs partenaires sexuels (tyè tòò fò), avant ou après leur mariage. Parfois on exige que cette confession soit faite publiquement et suivie de sacrifices expiatoires au cours desquels le mari cocu doit verser l’eau (ka dyi bon), c’est-à-dire pardonné les fautes commises par sa femme à son endroit. Cela nécessite des cérémonies rituelles sous l’arbre tutélaire du clan, du village ou de la tribu. Après un aveu complet de toutes ses malveillances, elle demande publiquement pardon à son mari en se couchant à plat ventre et en lui tenant ses 692


pieds. Dans ce cas, celui doit, dans l’intérêt du couple, accepter toutes les doléances, mais prend soin de se référer à ses ancêtres morts. On immole un coq à leur mémoire (ka sulu sò). Si en mourant le coq égorgé se tient sur le dos, les pieds en l’air, le sacrifice et le pardon sont acceptés. Toute autre position du corps signifie que la femme cache encore des secrets et que sa confession est fragmentaire. Elle doit parler plus sincèrement en faisant des révélations (ka a kònò-rò-kuma bèè fò). Si elle ne soumet pas à cet impératif catégorique, jamais elle ne pourra faire des enfants. Pour être féconde, une femme stérile doit aussi ingurgiter régulièrement et abondamment des décoctions amères, se frotter après chaque toilette, chaque matin et au coucher avec du sòròo qui est un mélange d’huile et de poudre d’écorce de certaines plantes. Le sòròo est, dit-on, très efficace contre le poison. C’est le meilleur antidote connu (basi lakali) en pays malinké. La femme stérile peut aussi utiliser du mòssò qui est la terre pétrie avec des poudres de plantes médicinales. De forme fuselée, le mòssò a une longueur de 10 centimètres environ. Sur recommandations des géomanciens, elle doit faire également des sacrifices d’habits, de repas divers, de denrées diverses, immoler des poulets et des moutons à la mémoire des ancêtres (ka sulu sò) sans oublier dans ses prières et incantations son génie protecteur (dadjina) ou celui de sa famille paternelle et maternelle. Parfois ces sacrifices nécessitent son retour dans son village natal pour se soumettre aux rites appropriés qui lui permettent de se défaire de l’action néfaste des jeteurs de mauvais sort hostiles à elle, à son mari ou à ses parents paternels et maternels. Ces cérémonies doivent s’accompagner de confession de foi sincère de sa part si elle se reproche quelque chose ou si c’est son environnement social la suspecte de pratiques ou de comportements répréhensibles. Les rêves d’une femme stérile sont toujours attentivement interprétés et on s’efforce de dégager les rapports qu’ils peuvent avoir avec la procréation. Elle a toujours fait les sacrifices inhérents à ses rêves et à ceux faits par les autres sur elle. Elle est si crédule qu’elle peut se laisser escroquer par n’importe quelle personne qui se dit « capable » de l’aider à vaincre son mal. Elle est très susceptible, très sensible à tous les propos de son environnement social et met tout en rapport avec son état. P) - L’HISTOIRE DU MORIBADYASSA (MORYBA-DYASA), LE GÉNIE BIENFAITEUR LE SERMENT (DAKAN) ET LA DANSE DU MORIBADYASSA Une femme stérile ne se résigne jamais et ne s’avoue vaincue ou condamnée à ne plus faire d’enfant qu’après avoir constaté une ménopause aiguë. Elle lutte toujours énergiquement et inlassablement contre son état d’infortune jusqu’à la ménopause. Son ardent désir de procréer l’amène à se lier, 693


par un serment sacré (dakan), lourd de conséquences, inviolable chez les Malinké, à un génie réputé. Il « existe » donc un génie, une divinité, un esprit bienfaiteur chez les Malinké appelé Moribadyassa qui vient toujours en aide aux personnes en détresse ou embarrassées qui l’implorent. Formulez un vœu précis qu’il exauce « infailliblement » dit-on dans ce milieu traditionnel crédule. PRESTATION DU SERMENT DE MORIBADYASSA: CETTE IMPLORATION DU GÉNIE SE FAIT SANS ASSISTANCE EN TOUTE INTIMITÉ

Une femme stérile désespérée implore la grâce du génie Moribadyassa pour enfanter. EXAUCEMENT DES VŒUX DE LA FEMME STÉRILE: SE TRADUIT PAR LA NAISSANCE D’UN ENFANT SUIVIE DE L’EXPLOSION GÉNÉRALE DE JOIE DANS LA FAMILLE ET DANS TOUT LE VILLAGE APRÈS LA NAISSANCE DE L’ENFANT PRODIGE.

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Suite à cette imploration du génie la dame conçoit un enfant. Ce qui provoque une explosion de joie immense dans son environnement social (son mari, ses parents, ses amis, ses alliés et ses sympathisants…).

LE RESPECT OBLIGATOIRE DU SERMENT OU LA DANSE DE MORIBADYASSA (DAKAN NA TELIN) Malgré l’impact des religions chrétienne et musulmane, l’Afrique reste encore un continent de superstition, de mythes et de rites sacrés animistes. L’Islam et le Christianisme y restent fortement teintés d’animisme. C’est ainsi qu’on trouve des familles, des villages, des clans, des tribus qui gardent 695


jalousement encore des objets de culte (masque, canari, statuette...) qui sont « doués » de forces surnaturelles capables de faire du mal ou du bien, de provoquer ou d’extirper des calamités. Le Moribadyassa est une de ces forces mystiques, mystérieuses et divines. Cela remonte aux ténèbres des temps immémoriaux, un homme saint et charitable qui était capable de faire des miracles avait parcouru le grand et vieux Mandingue. Toute personne malheureuse ou en détresse pouvait l’implorer et obtenir son assistance morale et matérielle. Il avait fait des miracles et émerveillé toutes les régions qu’il avait visitées. Entre autres pouvoirs, il avait le don de donner la maternité aux femmes stériles, de détourner d’une région un conquérant, d’assurer la victoire à une armée qui s’était placée sous sa protection, de faire tomber la pluie sur une région où la sécheresse sévit, de protéger des populations qui le vénèrent contre des maladies épidémiques et endémiques... Considérant tous ces miracles qu’il est capable d’enrayer, les Malinké l’ont surnommé « Mòòlu ba dyassa » = « Mòòluba dyansa » (Louange et honneur au père, à la mère, ou reconnaissance au bienfaiteur universel de tout le monde) ou tout simplement aussi « Moriba » (grand marabout) et « dyassa » qualifie son habillement vulgaire et insolite, car il s’habillait en haillon pour passer inaperçu et diminuer les multiples sollicitations qu’il recevait de partout. Donc Moribadyassa veut dire Grand marabout habillé en haillon. On voit en ce personnage mythique un bienfaiteur qui aide toutes les personnes en situation difficile qui l’implorent. Son souvenir est resté vivace et gravé dans la mémoire du peuple mandingue en Guinée, en Gambie, en Guinée-Bissau, au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal. On lui fait recours en cas de malheur, de détresse ou de simples embarras. On évoque son nom, on lui soumet le problème auquel on est confronté. La femme en situation doit se travestir en homme, prendre des habits masculins vieux et usés, parfois des sacs du riz déchirés, prendre ainsi l’allure d’une folle dans un tel accoutre et bizarre. C’est ainsi qu’une femme, qui a duré sans procréer et qui a prêté le serment du Moribadyassa, s’adresse à ce génie en ces termes: « Ne le k’a fò, Ko ni n ka kònò ta, Ka den sòrò hèrè lò, N bè Moribadyassa don. » Ce qui se traduit par: « C’est moi qui promis, Que si je tombe en grossesse, Et accouche d’un enfant normal et dans les meilleurs conditions. Je me déguiserai en homme et en haillon pour danser le Moribadyassa. »

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C’est ainsi que les mères s’adressaient à lui pour le retour triomphal de leurs fils partis en guerre: « Ni n den bòra kèlèkèyòrò lò hèrè lò. » (= Si mon fils revient sain et sauf du front.) « Ani a madimi. » (= S’il n’est pas blessé ou malade.) « A ka kènè. » (= S’il est bien portant.) « N bè Moribadyassa don. » (= Je danserai le Moribadyassa pour remercier le protecteur.) Ce genre de serment a été prêté par beaucoup de mères dont les enfants étaient enrôlés comme sofas dans les guerres tribales, régionales, comme tirailleurs pour aller combattre les Allemands aux côtés des Français ou combattre en Indochine ou en Algérie. Si les vœux sont exaucés, la personne en situation ou engagée est obligée de respecter ses engagements vis-à-vis du Moribadyassa. De nos jours, les femmes ont recours à l’intervention du Moribadyassa pour sauver un enfant malade, pour le retour au bercail d’un enfant longtemps parti à l’aventure ou pour procréer... La danse du Moribadyassa est sainte et délicate. Il s’agit de se travestir, de se faire accompagner par des joueurs de tam-tams, par des femmes et des enfants et danser en plein jour à travers le village, dans le quartier, voire dans le marché. Il faut donc rendre un vibrant hommage à la générosité de Moribadyassa. L’assermentée se travestie en homme ou s’habille en haillon pour chanter et danser afin de respecter son engagement vis-à-vis de ce génie bienfaiteur et protecteur. Voici le chant qui accompagne la danse du Moribadyassa d’une femme stérile assermentée qui a enfanté grâce aux faveurs de ce génie. Ce chant est un dialogue entre l’assermentée qui fait l’éloge du génie bienfaiteur et la foule de femmes et d’enfants qui la suit et répond imperturbablement « Moribadyassa » à chacune des phrases de celle-ci, en battant les mains et en dansant aux rythmes des tam-tams. Voici le dialogue engagé par l’assermentée et la foule: - L’assermentée: « Kuku kuku! » (ou « kuhikuhi kuhikuhi! ») - La foule: « Moribadyassa! » - L’assermentée: « Ne le k’a fò! » (= C’est moi qui ai dit ou promis!) - La foule: « Moribadyassa! » - L’assermentée: « N ko ni n ka kònò ta! » (= Que si je tombe en grossesse!) - La foule: « Moribadyassa! » 697


- L’assermentée: « Ka den sòrò hèrè lò! » (= Que si j’accouche normalement d’un bel enfant!) - La foule: « Moribadyassa! » - L’assermentée: « N bè dyassa don! » (= Que je danserai la danse de Moribadyassa!) - La foule: « Moribadyassa! » - L’assermentée: « Wo dyassa le! » (= C’est cette danse que je danse aujourd’hui devant tout le monde) - La foule: « Moribadyassa! » - L’assermentée: « Kuhikuhi! Kuhikuhi! » - La foule: « Moribadyassa! » - L’assermentée: «Yosso yassa! » - La foule: « Moribadyassa! » Donc à chaque phrase prononcée par l’assermentée, la foule répond imperturbablement et invariablement MORIBADYASSA! On reprend ce chant de réjouissance autant qu’on peut ou veut. Après plusieurs heures de danse à travers le village ou le quartier, la cérémonie rituelle se termine par les paroles suivantes: - L’assermentée: « Moribadyassa i la donnalu bara sèè! » (= Moribadyassa tes danseurs sont maintenant fatigués et veulent rentrer à la maison avec ta permission!) - La foule: « Moribadyassa! » - L’assermentée: « Yosso yassa! » - La foule: « Moribadyassa! » Ainsi donc, après plusieurs tours dans les différentes concessions, la cohue se dirige hors du village afin que l’assermentée puisse se débarrasser de ses haillons (nyama) constitués de vieux sacs de riz déchirés, de sisal, de cordages, d’habits d’homme usés et déchirés... Certaines s’enduisent de Kaolin. Elle dépose ces accoutrements à un carrefour, à l’entrée du village, ou dans un marigot proche, puis s’habille correctement et rejoint sa maison tout comme chaque participant à la cérémonie. Ainsi donc, elle est déliée de son serment et ne craint plus la colère ou les représailles aux conséquences fâcheuses de Moribadyassa. Les hommes prêtent rarement le serment du Moribadyassa. En cas de négligence coupable ou de refus systématique de respecter le serment du Moribadyassa (Ni i ka i ban i dakan na telinko ma), l’enfant offert par le génie est frappé d’une infirmité ou meurt inévitablement ou alors un malheur sans précédent s’abat sur le ou la parjure ou sur sa famille, car le génie ou l’esprit de Moribadyassa méprise les ingrats et les parjures. Une fois le mal extirpé ou les veux exaucés, la personne qui a délibérément prêté le serment doit obligatoirement danser le Moribadyassa conformément à la coutume ancestrale. 698


Il n’y a pas de tricherie possible. Personne ne doit danser à la place de l’assermentée. La promesse est une dette qu’il faut absolument payer, même visà-vis de nos semblables. Dieu nous contraint de respecter nos engagements, de réaliser les promesses que nous faisons librement. (Ala ko, ko i ka layiri ma faa, layiri ka gèlèn Ala ma.) Mais si jamais vous ne respectez pas le serment librement contracté, ou si vous ne dansez pas cette fameuse danse étant déguisé ou travesti comme il se doit, le génie du Moribadyassa remet immédiatement et infailliblement en cause la faveur qu’il vous avait accordée parce que vous n’êtes qu’un minable parjure et Dieu n’aime pas les renégats. Dans ce cas de figure, l’enfant de la parjure meurt inévitablement ou devient un handicapé physique ou mental.

Mobilisation générale de la population pour accompgner l’assermentée lors de la danse du Moribadyassa à travers le village, le ou les quartier(s).

Fin de la cérémonie: la foule se dirige vers le marigot pour laver l’assermentée et la délier du serment. 699


Les femmes la débarrassent de ses habillons (nyama-nyama) puis la lavent, loin des regards indiscrets des hommes.

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On lave proprement l’assermentée, puis elle porte des habits propres après s’être débarrassée des haillons qu’elle portait depuis le début de la danse. Ces haillons (nyama) sont abandonnés dans l’eau du marigot.

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Toute heureuse d’être enfin devenue une mère accomplie comme les autres femmes du clan et du village, l’assermentée prononce solennellement des prières et des remerciements au Génie Bienfaiteur du Moribadyassa et aux femmes qui l’ont accompagnée.

À la fin de la cérémonie, l’heureuse assermentée remercie infiniment le Génie Bienfaiteur du Moribadyassa pour avoir exaucé ses vœux. Elle est fière de son enfant que « lui a donné » le génie et qui sera suivi d’autres enfants vigoureux. Très souvent un tel enfant porte le nom « Tèrènèkò », c’est-à-dire l’enfant dont la naissance était vivement souhaitée et ardemment attendue ou l’enfant dont on souhaitait tant la naissance. 702


En se retirant des lieux, on abandonne les vieux habits qu’elle portait ainsi que la calebasse que le cours d’eau drainera dans son sillage; aussi loin que possible, et qu’on croit être utilisée par le génie Moribadyassa comme verre à boire. Q) - LE DIVORCE Le divorce est l’acte par lequel on met fin au mariage. Il est consécutif surtout à des divergences d’humeurs, de comportements, donc c’est surtout la conséquence des incompréhensions profondes et persistances des deux conjoints. Un mariage peut être cassé aussi par la faute ou à la demande d’un des deux groupes de parents. Dans tous les cas cette rupture des liens conjugaux n’intervient pas aussi facilement en milieu traditionnel, car le mariage n’est pas l’affaire exclusive des deux conjoints, ni celle des deux familles ou des deux clans, mais concerne au plus haut point toute la communauté villageoise qui a été pleinement associée à cette union sacrée. Quelle que soit la gravité du conflit qui secoue le foyer, les deux familles intéressées se concertent généralement par le biais de l’intermédiaire ou témoin (furu nyèlò), soit aussi par le truchement d’un sage ou du conseil des sages ou parfois directement - cas rare - si la gravité de la crise l’exige. D’une manière générale, on ne suit pas les conjoints dans leurs caprices ou entêtements. On tente toujours de trouver une solution amiable, une réconciliation satisfaisante et honorable pour les deux familles. D’ailleurs des pressions sont exercées tant sur le couple que sur leurs parents respectifs par des sages du village afin d’éviter le pire. Les alliées matrimoniaux et les sanankun qui sont toujours respectés et écoutés pieusement interviennent également de part et d’autres pour colmater la brèche. Grâce à ces différentes interventions et pressions on parvient presque toujours à trouver un compromis et à ressouder les liens. Si le mari et ses parents ont tort, leurs démarches de pardon s’accompagne toujours d’un cadeau, de dix noix de cola (soronali woro), d’un poulet (soronali sisè)... D’une manière générale c’est le mari et ses parents qui prennent le dessous pour faciliter la réconciliation s’ils tiennent à conserver la femme. (Mòò tè lola a biran nyè.) Si la crise est très grave, la réconciliation exige de longues palabres (pourparlers) au cours desquelles la partie offensée ou brimée tire longtemps sur la ficelle afin que l’autre partie prenne conscience et évite, dans l’avenir, une récidive de la faute. Très souvent la femme n’a pas raison sur son mari. Si le divorce est demandé par le mari à la suite de mauvais comportements de son épouse, il doit, avant d’en arriver là, saisir l’intermédiaire (furu nyèlò) qui essaye de ramener la femme à la raison. Si cette démarche s’avère inefficace, celui-ci se réfère aux parents de la femme qui interviennent à leur tour en donnant des conseils à leur fille. C’est seulement après tout cela que la femme est renvoyée temporairement dans sa famille paternelle pour une rééducation, pour lui donner des conseils de sagesse. C’est un congé forcé qui peut durer parfois des mois voire des années. (A ye muso laseyiko a baramòòlu 703


ma, kosa a di hakili sòrò, kosa alu di a lali.) C’est un peu l’équivalent de la séparation de corps en occident. Pour divorcer une femme, le mari et plus exactement ses parents doivent faire parvenir aux beaux-parents, par le truchement de l’intermédiaire (furu nyèlò), un seul paquet de neuf colas attaché par un fil noir (signe de malheur) plus une somme symbolique de 200 francs. Alors que pour réaliser un mariage on adresse successivement aux beaux-parents trois paquets de dix noix de cola chacun avec une somme de 100 francs pour le paquet, 200 francs pour le second colis et 300 francs accompagnent le troisième paquet. Ces sommes d’argent, certes symboliques, varient suivant les moyens financiers des parents du mari. En tout cas le divorce n’est consommé qu’après l’échec de plusieurs tentatives de réconciliation menées par les intermédiaires des deux camps, y compris les alliés et les sages du village, car le mariage est l’affaire de tout le monde, par conséquent tout le monde s’implique pour rapprocher les positions divergentes des deux camps, enjamber les difficultés afin d’éviter le divorce qui n’honore personne. 1) - Les motifs de divorce Généralement le mari renvoie sa femme quand celle-ci est coupable et récidiviste des délits: ▪ D’infidélité, surtout quand elle est prise en flagrant délit d’adultère. La naissance d’un bâtard accentue le drame. ▪ De vol, surtout en dehors du foyer conjugal. ▪ De mensonges entraînant des conflits graves entre son mari et d’autres membres de la famille, entre ses coépouses, entre les parents de son mari, entre ceux-ci et d’autres familles, ou alors qui opposent d’autres familles, d’autres personnes (c’est le naafiya). Quand elle crée la suspicion ou sème la zizanie entre les gens (wuyafòla le, naafi le, lutii ta le...). ▪ De débits insolvables. Quand elle est débitrice insolvable (dyulusiyaman-tala) et surtout quand son mari a déjà résolu plusieurs cas de dettes qu’elle doit par-ci par-là. ▪ De tentative d’empoisonnement de tierce personne ou d’empoisonnement de son mari, d’une coépouse, d’un enfant de son mari ou de toute autre personne. ▪ De sorcellerie prouvée ou parfois simplement soupçonnée. ▪ D’injures grossières proférées - surtout publiquement - à l’endroit de son mari et des parents de celui-ci (surtout son père, sa mère, ses oncles, ses tantes et ses frères aînés). ▪ De porter la main sur son mari au cours d’une bagarre, même quand elle a raison. Une femme doit toujours détaler devant son mari en colère ou menaçant ou alors se résigner à encaisser stoïquement les coups de fouets et de poings de celui-ci. Elle ne doit jamais lui opposer une résistance même si 704


physiquement elle est plus forte que son époux. D’ailleurs elle a rarement raison sur son mari qui est absolument souverain dans le foyer. Son mari a le droit et peut à tout moment l’insulter et la battre, sans pour autant la blesser et elle ne doit pas rechigner. Ainsi veut la tradition. ▪ De désobéissance notoire, surtout en public... À tout cela il faut ajouter le manque total d’amour sincère du mari pour elle ou vice versa, car la femme vit dans un milieu polygame. Parfois et pour peu le mari peut la renvoyer temporairement ou définitivement. En tout cas la répudiation est une arme de chantage que le mari brandit pour menacer ou pour faire marcher ses femmes selon ses caprices. Quand l’épouse répudiée est mère d’un ou de plusieurs enfants elle finit presque toujours par rejoindre son premier foyer conjugal! En effet, devenus majeurs, ses enfants exercent de fortes pressions sur elle et sur leur père en vue de les réconcilier. Ils ne manquent pas de faire intervenir, si besoins est, leurs grands-parents paternels et maternels et tous les membres influents de la collectivité, sans oublier les alliés des deux familles pour faire revenir leur mère. Cette démarche est très souvent couronnée de succès. En tout cas il est très courant de voir un couple divorcé depuis des années terminer leurs vieux jours sous le même toit et dans la plus parfaite concorde. Il faut noter que très souvent cette reprise entraîne parfois la rupture du second mariage contracté par la mère après son premier divorce. Ce retour est plus facile si la mère n’a pas fait d’autres enfants dans son second ménage. Une petite anecdote mérite d’être citée ici. Un père, qui avait répudié sa première femme qui avait donné le jour à ses premiers enfants, était resté, pendant des années, insensible aux démarches des notables et de ses enfants pour le retour de sa femme. Il demeura inflexible sur sa décision. À bout d’efforts, d’arguments et de patience, son fils aîné décida de ramener sa mère dans la concession paternelle, faisant fi du mépris et de toutes les protestations de son père. Décidé à braver son père, il fit donc revenir sa mère au grand étonnement de tout le monde et la logea dans la case de sa femme. Les vociférations du père n’eurent aucun effet sur son fils et sur sa femme - la mère de celui-ci - qui étaient déterminés à le braver et à le faire fléchir. Un jour son fils osa lui déclarer: « Père, cette concession n’est pas fondée par toi. C’est notre arrièregrand-père qui l’a créée. Tu l’as héritée de ton père et moi j’ai la même prétention, le même droit là-dessus que toi au nom de mon père que tu es. Nous avons ici les mêmes droits. Ta maman a vécu avec toi ici, et je décide à mon tour de vivre ici contre vents et marrées avec la mienne. Un jour tu pourras me renvoyer de la concession que tu auras créée toi-même. Et d’ailleurs personne ne peut et ne doit pas me renvoyer de la cour de mon père, à moins que je sois un bâtard. » Devant cette détermination du fils, et au fil du temps, le père fut obliger de céder et accepter progressivement, malgré lui, la cohabitation. Il revint à de 705


meilleurs sentiments tant avec le fils qu’avec son épouse qu’il avait répudiée. Mais pour amener son mari à lui parler, la femme usa d’une astuce que toute femme attentive connaît pour tenir son mari. Elle savait que son mari était très friand de viande grillée, notamment le poulet. Elle se fit ravitailler en poulets par son fils, tous les jours que Dieu fit. Elle y mit toute son expérience de bonne cuisinière pour bien aromatiser ces grillades pour inciter d’avantage l’appétit de son mari. Elle les mangeait au su et vu de l’intraitable mari et en distribuait à tout le monde dans la cour sauf au vieux. Parfois même, elle en donnait aux voisins au su et au vu de son ex-mari rebelle. Se sentant brimé ou frustré, un jour, le vieux éclata en ces termes: « Ile muso bokunna, i ye bèè sola sobo sò, fo n de kelen; n ka munde kè i la? » Ce qui se traduit par: « Hé! Toi méchante et pingre femme, tu distribues de la viande à tout le monde sauf à moi seul; qu’ai-je fait de mal pour mériter un tel isolement, une telle frustration ou ségrégation? » Et la femme lui répondit: « I ni mòò min tè kumala, i tè se ka wo sò fèn na. N ni mòò min ye kumala, n ye wole sò la. » Ce qui signifie: « On ne fait pas de cadeau à une personne qui vous boude. » Devant cette démarche du mari gourmand et gourmet, la vieille épouse servit son mari intraitable. Par ce geste et cette astuce les liens de monsieur et de madame furent rétablis spontanément et à la surprise générale alors que toutes les interventions des bonnes volontés et des sages avaient échoué. Ainsi, par la ruse subtile, cette femme avait réussi à rétablir la parole entre elle et son mari. Son objectif inavoué était largement atteint. Elle servit son mari. Celui-ci reçut, à partir de ce jour, régulièrement sa part de petits plats et mets divers que préparait avec art sa femme. Le couple ainsi reconstitué vécut depuis dans une parfaite harmonie et communion d’idées jusqu’à leurs derniers jours. 2) Motifs pouvant entraîner l’abandon du foyer par une femme mariée Vous pouvez perdre votre épouse: 1) - Si vous insultez ses parents (surtout son père et sa mère). (Ton siinin muso kòmòòlu naninli la; biranlu tè nanin la; bisannin nèn dyan di furu sa) 2) - Si vous la blessez volontairement et à tort. 3) - Si vous êtes victime d’une impuissance sexuelle. Dans ce cas, si vous voulez la conserver, tolérez ses relations extra-conjugales. Ou vous acceptez discrètement votre substitut sexuel ou la femme s’en va et vous risquez de ne plus trouver une seconde épouse, surtout si votre épouse fait preuve d’indiscrétion sur votre état. D’ailleurs, pour cacher leur défaillance sexuelle, beaucoup de maris qui se trouvent dans une pareille situation inconfortable acceptent volontairement ce compromis. Aussi, on note que les hommes impuissants aiment beaucoup parler des femmes, se plaisent à les taquiner mais 706


évitent des rencontres intimes avec elles. Ils ne font jamais de propositions dans ce sens. Jamais de nez-à-nez. D’une manière générale les droits de la femme sur son mari sont très limités. Elle est répudiable à tout âge. En cas d’infidélité - même en cas de flagrant délit d’adultère - de son mari, elle ne doit pas abandonner son foyer. Ce motif n’est pas suffisant chez les Malinké pour faire valoir la nécessité du divorce. Toutefois, elle a le droit de protester, de faire des scènes de jalousie, mais elle ne doit pas abandonner son foyer parce que son mari l’a trompée. Cette attitude de la société traditionnelle qui consiste à réprimer énergiquement l’infidélité de l’épouse et à tolérer celle du mari est paradoxale voire injuste. C’est encore une façon méchante de brimer la femme, de lui ôter toute personnalité, tout droit. On ne tient pas compte de sa sensibilité, et de sa dignité. Le divorce est consommé après l’échec de toutes les interventions et pressions de toutes les origines pour une réconciliation. Dans la société traditionnelle malinké, le divorce était toujours prononcé hors du village, sous un arbre qui, par la suite, perdait ses feuilles, séchait et tombait. On évitait autant que possible le divorce. Il faut éviter de prendre en témoignage les ancêtres morts de la désintégration et de la dislocation d’une famille. En effet, les pères de familles sont presque toujours enterrés dans leur clôture. Il faut éviter de les importuner. Cette manière de rompre les liens de mariage hors du village permet à la communauté de ne pas connaître si tôt un nouveau cas de divorce et d’éviter aux vivants - surtout à tous ceux qui ont joué un rôle néfaste dans la rupture du mariage - les conséquences (nyama) de la réaction de l’âme des morts qui ne sont pas morts, car même disparus physiquement, ils nous côtoient tous les jours, nous voient et nous entendent dit la tradition. C’est pourquoi que, convaincu de la réalité de cette deuxième vie outre-tombe, le Malinké s’adresse à tout instant à ses parents morts, à ses ancêtres morts et implorent leur intervention bénéfique dans toutes les situations difficiles qu’il rencontre (ka sulu daali; ka sulu sò). 3) Conséquences du divorce Le divorce entraîne très souvent la discorde et la haine entre les familles. Celles-ci se boudent longtemps, s’évitent et deviennent vindicatives ou des ennemies. Il faut déplorer, dénoncer et condamner vigoureusement le remboursement intégral ou partiel de la dot, qui est une pratique assez courante dans nos villages. En effet, après la proclamation du divorce, le mari et les siens exigent que leur soit remboursé tout ce qu’ils ont dépensé pour leur ex-épouse et ses parents. On fait le décompte devant le conseil des sages ou chez le chef. Tous les menus services rendus, tous les petits cadeaux faits à chaque membre de la famille sont recensés, valorisés, comptabilisés et remboursés. C’est le furufèn nyòòn labò ou furufèn nyòòn lase (restitution intégrale de la dot et de 707


tous les biens matériels et services offerts par le mari et les siens à la femme et à ses parents). D’ailleurs le mari commence par confisquer tous les bijoux, tous les habits de valeur qu’il lui a achetés. Il la dépouille complètement de tous les biens, surtout quand c’est celle-ci qui veut abandonner le foyer conjugal. Dans cette procédure condamnable, on ne tient pas compte de l’effort personnel ou de la participation de la femme à l’acquisition des biens matériels de la famille. Elle n’a droit à rien. On ne lui donne aucune compensation. Comme on l’a déjà dit, elle est répudiable à tout âge, même après des dizaines d’années de mariage ou après plusieurs maternités et souvent pour des raisons fantaisistes et arbitraires. Parfois son mari peut la renvoyer provisoirement ou définitivement pour tout simplement épouser une femme plus jeune et plus belle. Si ses parents ne peuvent pas rembourser dans l’immédiat tout ce qu’ils ont reçu comme cadeau ou dot, on attend que la femme trouve un second mari afin que celui-ci s’engage et répare le « préjudice » causé par celle qu’il veut marier. Ce dédommagement ou furunyòòn labò du premier mari qui représente d’office la dot qu’il devrait verser à ses beaux-parents. Ce remboursement se fait toujours par le truchement du doyen du clan ou devant le chef du clan, du village ou de la province. La garde des enfants revient toujours de plein droit au père. Cependant, la mère garde ceux qui sont à bas âge pour les rendre plus tard dès qu’ils pourront supporter, sans traumatisme, la séparation d’avec elle. Dans des cas extrêmes de haine, on peut la priver de cette garde, même si les enfants sont très mineurs. Beaucoup de femmes acceptent de supporter les difficultés, les brimades du mariage aussi longtemps que possible si non pendant toute leur vie pour ne pas abandonner leurs enfants aux mains de leurs coépouses qui ne sont pas toujours tendres avec les orphelins ou avec les enfants dont la mère est divorcée. Le divorce traumatise et frustre l’enfant des précieux et irremplaçables sentiments maternels. L’absence de l’affection maternelle déséquilibre l’enfant surtout quand il a le malheur de tomber sur une méchante marâtre. Celle-ci qui devrait se substituer à sa mère a souvent le cœur très dur. Nos contes et légendes chantent encore les misères des orphelins de mère ou de celles des enfants dont la mère est divorcée. Mais reconnaissons que - bien que rares - certaines marâtres sont tendres et généreuses. R) - LA VIE DANS LA FAMILLE TRADITIONNELLE MANDINGUE Selon le Professeur Elikia M’Bokolo: « La société traditionnelle c’est d’abord le sens de l’honneur de la famille. L’individu n’existe pas par lui-même, il ne compte pas. Il est le pion dans la famille. Il lutte non pas pour son honneur, mais pour celui de la famille. Partout où il voit un des siens dans une position difficile, il se fait un devoir de lui venir en aide. On ne voyait jamais en Afrique la famille rejeter un de ses membres sous prétexte qu’il était sourd-muet, aveugle ou qu’il n’était pas rentable. Rejeter un membre de la famille invalide aurait constitué un blasphème. De quelqu’un qui 708


ne s’occupait pas de son père ou de sa mère en disant: « Il était celui qui ne se connaît pas... » Donc l’honneur de l’individu, l’honneur de sa famille, l’honneur de son quartier, l’honneur de son village... voilà ce qui se développait. On disait: « Sois noble et fier de toi-même. » Pour nous l’esclave est celui qui ne se respecte pas. L’esclavage n’empêchait pas un noble de se respecter parce qu’il n’y a pas un arbre d’esclavage, mais il y a l’homme vaincu réduit à l’esclavage. On devient esclave, on ne naît pas esclave. Donc les notions de la famille, de l’honneur, de l’utilisation de la fortune, sont toutes à repousser à réviser. Pour nous ce n’est pas la fortune qui classait l’homme, mais c’est la vertu. On dit qu’« être noble c’est mieux qu’être né noble ». Chacun cherche sa noblesse qui consiste à venir au secours de ses parents et de tous les malheureux. C’est donc à la notion de l’utilisation de la tradition qu’il faut revenir: aller de l’individu au gouvernement. » (9) Le Mandingue a une conception beaucoup plus large de la famille. Contrairement à la notion de famille nucléaire ou famille moderne qui est égoïste, restreinte et limitée exclusivement au père, à la mère et aux enfants, la famille traditionnelle mandingue englobe outre ces composantes de la famille nucléaire - les oncles, les tantes, les cousines, les cousins, les neveux et les nièces et de tout autre élément de la lignée ancestrale ou kabila den (membre du clan), du village ou même de la région. Donc tous ceux qui appartiennent au même lignage sont des frères à part entière et sont très solidaires entre eux. La famille traditionnelle mandingue comporte également un carré rassemblant dans un même creuset d’intérêts et sous une même autorité, celle du kabila kuntii ou doyen du clan qui jouit des prérogatives du commandement du chef spirituel sur plusieurs familles nucléaires et polynucléaires dont chaque élément mâle majeur se marie et se fait construire sa case ou sa concession par la collectivité familiale, clanique ou villageoise, tout en restant dans la même sphère géographique familiale ou ancestrale. La vie à l’intérieur de cet ensemble familial ou clanique est parfaitement harmonieuse, structurée et hiérarchisée. Chacun y a sa place, a des droits et des devoirs précis. Un profond sentiment d’unité, d’amour, de fraternité, de solidarité réelle, crée une affinité entre les membres de la famille, du même clan et de la même collectivité villageoise. Le concept occidental de cousin, de neveu ou de parent n’a pas la même interprétation ou le même contenu dans nos sociétés traditionnelles. Chez nous, les enfants de deux frères (c’est-à-dire les cousins et les cousines) sont purement et simplement des frères et sœurs à part entière, et les oncles les considèrent tous et indifféremment comme leurs propres enfants. D’ailleurs, ils s’interpellent n kòròtyè ou n kòròmuso (grand frère ou grande sœur) ou n dòòtyè ou n dòòmuso (petit frère, petite sœur). Tous les cousins et cousines sont éduqués ensemble, s’aiment comme des frères et sœurs paternels et maternels, travaillent ensemble dans le même champ (surveillance du champ, des animaux...) dans l’intérêt exclusif de la famille, mangent ensemble, sont initiés ensemble, sont associés à tous les problèmes de la famille. Personne n’est rejetée ou marginalisée 709


négativement, y compris les orphelins de père et de mère, ainsi que les handicapés. Chacun bénéficie de la solidarité de tous. Entre eux le respect absolu de la hiérarchie basée sur le droit d’aînesse est rigoureusement imposé. C’est la vie communautaire intégrale pour tous Les neveux et les nièces appellent leurs oncles paternels n fa, n fadòòni ou n bènòòtyè c’est-à-dire « mon petit père », et les frères aînés de leur père sont interpellés n benba (« grand-père »). Ces différentes assimilations sont sincères et dénotent une réelle affinité et une profonde unité dans nos familles traditionnelles malinkées. Les oncles paternels sont autant respectés que les pères biologiques et ont une main mise ferme et incontestée sur les neveux et les nièces qui les craignent, car certains oncles sont très autoritaires voir sévères. Ils jouent très souvent le rôle de censeur de conscience. Ces jeunes oncles décident et appliquent les sanctions disciplinaires sans que le père biologique (leur frère aîné) et la mère (leur belle-sœur) n’osent les désapprouver même si la dose des sanctions est excessive ou arbitraire par rapport à la faute commise. Dans le domaine du mariage des nièces, c’est le jeune oncle (fadòò ou fadòòni) qui a le pouvoir de décision. C’est le jeune oncle qui suit immédiatement le père de la fille et ses cadets qui ont ce privilège. En qualité de parrain incontesté, il impose un prétendant de son choix devant lequel son grand frère (le père de la fille) s’incline très souvent. Il s’efface devant l’autorité de son jeune frère qui doit avoir les mains libres pour manœuvrer. Si le père de la femme est favorable à un autre candidat, il doit passer par les amis de son jeune frère pour faire valoir habilement ses souhaits. Mais en dépit de son autorité absolue que lui confère la tradition sur les enfants de son grand frère, le petit oncle raisonnable n’en a abuse pas, outre mesure. Il concerte celui-ci pour recueillir son avis préalable sur le sort de ses enfants. Si ce choix présente quelques inconvénients, le jeune frère, parrain du mariage, tente toujours de dissuader son aîné ou vice versa. Dans les familles harmonieuses, on parvient toujours à un consensus familial. De son vivant, le père présente son frère cadet immédiat à ses enfants comme étant son héritier de plein droit. Il ne tolère aucune contestation de cette décision, de cette volonté ou de ce testament. À sa mort, celui-ci s’occupe toujours de ses neveux et reprend ses belles-sœurs en secondes noces. Quand le grand frère n’approuve pas le choix ou la décision de son jeune frère concernant ses enfants, il passe très souvent par les amis de celui-ci pour atténuer ou abandonner la décision. Il évite de le contester publiquement afin de ne pas compromettre la cohésion de la famille. Chacun doit éviter l’affrontement, l’effritement et la dislocation de la famille. Par ailleurs les enfants d’une sœur et leurs oncles maternels s’interpellent indifféremment n barin ou n borin. Les enfants d’une sœur (les neveux et les nièces) et ceux d’une tante (cousines et cousins) jouissent d’une grande sollicitude dans leur famille maternelle. Ils sont choyés. Chacun se soumet avec plaisir à leurs caprices et satisfait dans la mesure du possible leurs demandes. On 710


ne leur refuse jamais un service possible. Quand la tante et la sœur reviennent en congé au bercail, on les appelle senkòmuso. Pendant son séjour, si bref ou si long soit-il, au bercail, la sœur ou la tante bénéficie avec ses enfants d’une grande sollicitude de tous les membres de la famille et du clan. On ménage leurs susceptibilités. Quand un de ses enfants est battu par un autre de la famille, du clan ou du village, elle exige que cet agresseur soit dépouillé de ses habits au profit du sien battu. Elle en fait un scandale sans précédent pour obtenir le dédommagement de son enfant, même si celui-ci a tort (senkòden tè gbasila; senkòden tè lakasila). C’est pourquoi on évite toujours d’être en conflit avec les enfants de ces senkò, car c’est toujours la même conséquence malheureuse du choc entre l’œuf qui tombe sur le rocher ou le rocher qui tombe sur l’œuf. Dans l’un ou l’autre cas, c’est l’œuf qui se casse. Une personne en conflit avec sa famille paternelle a toujours trouvé soutien infaillible, inconditionnel et refuge auprès de ses parents maternels (n barina = n borina). Que ces privilèges dont jouissent les enfants d’une sœur (kòròmuso, dòòmuso, fènmuso) et ceux d’une tante (tènènmuso) ne vous laissent pas croire à un quelconque régime du matriarcat comme chez certains peuples forestiers qui dépossèdent et frustrent les enfants d’un père défunt au profit de leurs cousins, plus précisément au profit des enfants des sœurs du défunt. Chez les Malinké, l’héritage revient de droit aux enfants du défunt, mais c’est un des jeunes oncles qui gère le patrimoine si les enfants du défunt sont mineurs au moment du décès. Celui-ci doit assurer la satisfaction de leurs besoins vitaux et leur éducation aux côtés des siens. Les orphelins ont les mêmes droits et devoirs que les siens. Pas de privilèges, pas de frustrations pour les uns ou pour les autres. Ils sont tous égaux. Toutefois il y a souvent des cas où l’oncle héritier confisque tout l’héritage aux profits des siens. Une telle cupidité entraîne toujours des conflits qui déchirent les familles quand les ayants droit réclament leur dû. Les enfants de l’oncle cupide qui a détourné l’héritage de son frère défunt sont toujours pris à partie à tort par leurs cousins offusqués. Il faut noter qu’en plus des biens matériels les enfants et les épouses d’un défunt font partie intégrante du patrimoine personnel du frère héritier. On ne refuse rien aux enfants d’une sœur, d’une cousine ou d’une tante. D’ailleurs ils sont toujours mariés dans des conditions privilégiées dans leur famille maternelle (barinya furu, badenya furu, barinyamuso). Ils cherchent toujours à séjourner aussi longtemps que possible dans leur famille maternelle où ils n’ont aucun problème. C’est pourquoi les orphelins de mères trop mineurs sont généralement confiés à leurs parents maternels dont la tendresse indéfectible leur fait oublier l’affection maternelle dont ils sont frustrés. Devenus majeurs, ils rejoignent leur famille paternelle. L’individualisme et l’égoïsme sont proscrits dans nos sociétés traditionnelles. Tout se conçoit et se fait ensemble. Les champs sont collectifs et les repas sont préparés et mangés ensemble. Les coépouses et les épouses des différents frères et cousins font la cuisine tour à tour. Le grenier étant commun, 711


le chef de famille ou le fondateur de la concession (lutii) ou le doyen du clan (kabila kuntii) qui détient la clef du grenier donne la ration quotidienne, chaque matin, à la cuisinière du jour ou parfois la quantité de céréales correspondant à la durée de son service. Cette distribution de céréales qui doit couvrir les besoins alimentaires de la famille pendant un, deux, trois... jours, parfois une semaine, selon la durée convenue avec les femmes, s’appelle sòròbò. Pour la remise de la popote, le doyen ou le chef de famille peut se faire assister de sa première femme (muso fòlò ou musokuntii). Les convives se regroupent toujours par sexe et par groupe d’âge: 1) - Les hommes adultes et les vieux se réunissent autour d’un plat unique (tyè-dèè). 2) - Les adolescents mangent ensemble (kanbelen-dè). 3) - Les adolescentes en font autant (sunkurun-dè). 4) - Les enfants de moins de sept ans constituent un groupe à part (denmisèn-dè ou denin-dè) ou parfois mangent avec leur(s) papa(s) ou leur(s) maman(s) afin de leur apprendre les bonnes manières. On préfère souvent les isoler au départ pour que leurs aînés ne les briment ou ne les lèsent. Aussi il est formellement interdit à un enfant de se servir en viande quand il mange avec les vieux. Il doit se contenter de se gaver. C’est à la fin du repas qu’on lui sert des os ou des miettes. (Denin man kan ka sobo ta kini ka mòòbalu kòrò.) Cette attitude est enseignée depuis le jeune âge ou pendant la durée de la circoncision ou de l’excision. Toutes les femmes mariées de la cour se regroupent autour d’un seul plat (muso-dè). 1) - Les vieilles femmes (musokòròni-dè) en font autant. Les grandsmères mangent presque toujours avec leurs petits-enfants de trois à six ans, surtout ceux qui sont orphelins de mère ou de père. 2) - Les sœurs et les cousines ainsi que les tantes en congé se regroupent. Le soir, au clair de lune, devant ou dans les cases, selon le temps ces différents groupes de convives se forment, très souvent dès après la prière du crépuscule. On mange dans le même plat, on boit dans le même gobelet, sans répugnance et même avec les malades. Quelle communion! Quelle fraternité! Cette pratique est répulsive pour les intellectuels pour une question d’hygiène. Mais dans ce milieu traditionnel, on dit que manger ensemble, dans de telles conditions, crée et consolide des sentiments d’amour fraternel. Ces heures de repas sont l’un des meilleurs moments de la vie communautaire. C’est un moment de frottement qui crée la détente en comblant le fossé. C’est cette intimité sans répugnance constitue l’une des forces de la société traditionnelle mandingue. Il faut noter ou rappeler que généralement les tout petits enfants mangent au départ avec leurs parents. Cela vise surtout à leur apprendre les bonnes manières, les attitudes correctes à adopter en mangeant.

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S) - MONOGAMIE ET POLYGAMIE « La polygamie garantit l’alliance ou la neutralité de la famille, du clan, du village, de l’ethnie ou du pays de la fille en cas de conflit ou de guerre. C’est pourquoi les rois se mariaient à plusieurs femmes ou donnaient en mariage leurs filles à des hommes issus de grandes familles ou de familles régnantes... » Assertion mandingue ----------o---------La monogamie est peu courante en milieu traditionnel mandingue. Ceux qui la pratiquent sont tout simplement limités économiquement. La polygamie est donc la forme de mariage la plus répandue. Elle est institutionnalisée et tolérée comme mœurs indispensables. Le nombre de femmes n’est pas limité. On en prend autant qu’on peut ou veut. Toutefois, les adeptes de l’Islam ne doivent pas dépasser quatre épouses selon les prescriptions du Saint Coran. Mais il est important de noter que du point de vue islamique, la polygamie suppose une rigoureuse équité entre les femmes. L’Islam réprouve l’injustice et le favoritisme dans les foyers polygames. Privilégier une conjointe au détriment d’une autre est un pêcher qui pèsera dans la balance du dernier jugement. La polygamie est sujette surtout à des contingences économiques et à des considérations sociales plutôt qu’à un appétit sexuel insatiable. Eu égard à cette considération sexuelle, la pluralité des épouses apporte indéniablement quelques variétés dans les relations sexuelles de l’homme, mais ce n’est nullement la motivation fondamentale de la polygamie. Certes, avoir plusieurs femmes expose moins l’homme à la débauche et à l’adultère qui sont sévèrement réprimés par la société. Il est donc avantageux pour un homme d’être entretenu par plusieurs épouses qui rivalisent dans ce sens. Chacune d’elle se déploie activement et régulièrement dans l’entretien du mari afin de plaire à celui-ci et d’être dans ses faveurs (tyè ladiya kèlèya). Celle qui parvient à séduire mieux le mari commun ou qui parvient à être la plus aimée s’appelle la « baramuso ». Par contre, la mal aimée qui est parfois répugnée, en dépit de ses efforts, de sa docilité, de sa serviabilité, de sa gentillesse s’appelle la « gbalomuso ». En tout cas la bataille pour avoir les faveurs du mari commun est rude, implacable et permanente (kèlèya). Tous les moyens sont bons et usités pour parvenir à dominer le mari, à le monopoliser ou à être aimée par lui. Dans les grandes familles polygames où le nombre des épouses peut dépasser dix, les relations sexuelles ne sont pas aussi régulières que l’auraient souhaité les épouses. Un chef aussi prestigieux que l’Almamy Samory Touré ne pouvait pratiquement satisfaire sexuellement ses deux cent épouses, chiffre retenu par les Français au moment de son arrestation. Ici les femmes de l’Almamy étaient encadrées par de 713


vieilles matrones très expérimentées, en l’occurrence ses premières épouses, qui surveillaient les reines et savaient déterminer avec précision les périodes de fécondité de celles-ci. Et Samory ne recevait au lit conjugal les épouses qu’à cette période propice aux relations sexuelles fécondes. Dès qu’une grossesse était soupçonnée ou constatée, l’épouse concernée n’était plus programmée durant la longue période de grossesse et celle non moins longue de l’allaitement, car le sevrage n’intervenait pas avant deux ans, parfois même trois. Dans les ménages polygames moins structurés, les épouses prennent toujours soins de signaler à leur époux qu’elles sont en règle (n bara bara damina = n bolo ye dyi lò) ou qu’elles ont fini les règles (n bara ban barala). Ce qui est une invitation lancée au mari pour qu’il puisse faire son devoir. Dans ce milieu, la fécondité d’une femme commence immédiatement après la fin des règles alors que la médecine moderne retient la période allant du onzième au seizième jour inclus à partir du début des règles. Pendant cette longue période de privation de la femme, les relations sexuelles étant suspendues, l’époux est libéré de cette contrainte sexuelle, et comme une abeille il peut voltiger vers d’autres fleurs pour sucer d’autres nectars plus délicieux. Il se rabat donc sur ses autres épouses plus aptes pour la satisfaction de ses instincts. La femme en grossesse ou nourrice est toujours victime de cette longue abstinence injuste et injustifiée. Puisqu’il parvient à satisfaire ses instincts ailleurs, le mari n’est jamais pressé de prendre des initiatives pour vite sevrer le bébé. Dans chaque famille polygame les épouses font les travaux ménagers, surtout la cuisine, à tour de rôle, pendant un certain nombre de jours convenu entre elles et le mari. Cette alternance des services conjugaux s’appelle « gba tala » que d’autres appellent tout simplement « su tala » (partager les nuits entre les coépouses). La femme de service passe évidemment la nuit chez le mari. Pour tous ses services, le mari ne doit s’adresser qu’à elle, la gba-dònna-muso. Il doit éviter les erreurs dans le calendrier, au risque de se voir traduit devant le conseil des sages par l’épouse frustrée. Il s’en sort toujours avec des blâmes. Les comptes se mélangent souvent à l’issue d’une longue absence du mari. Si par erreur ou par maladresse le mari reçoit au lit conjugal une femme qui n’a pas droit à ses faveurs ce jour-là, il en résulte inévitablement de vives protestations de celle qui en est frustrée. Un conseil est provoqué pour faire la part des choses et le calendrier normal est rétabli de nouveau après des excuses présentées à la victime. « Muso tè ntolonna a la suko la. » (= Une femme tient plus à sa nuit dans le lit marital qu’à la prunelle de ses yeux.) Les gestes du mari sont contrôlés le matin par les autres épouses. Gare à lui s’il se lave le matin, cela signifie en clair qu’il a eu des relations sexuelles avec celle qui a dormi avec lui. L’épouse qui n’a pas eu ce privilège pendant son tour se fâche, se voit brimée, frustrée et fait des scènes de jalousie du reste justifiées. Que son mari et la coépouse qui a profité de son tour se méfient d’elle ce jour-là où elle devient particulièrement agressive! Ce genre d’incident est très 714


courant dans les ménages polygames où les relations sexuelles sont loin d’être un plaisir, mais une obligation quotidienne, une véritable corvée. La polygamie atténue mais n’empêche pas systématiquement la débauche et l’adultère. En effet, combien de maris polygames ont des relations sexuelles extraconjugales ou qui entretiennent des maîtresses? Parfois, on en prend même en flagrant délit d’adultère avec des femmes légitimement mariées, des jeunes filles et des jeunes femmes veuves ou célibataires. L’hégémonie entre les familles d’un même lignage ou entre les différents lignages du village provoque souvent des rivalités (fadenya kèlè = fadenya kèlèya). Seul le lignage ou le clan le plus important en nombre ou le plus nanti s’impose dans le village ou dans la région. Cette préoccupation amène beaucoup de pères de familles à multiplier leurs épouses dans l’espoir de faire beaucoup d’enfants et incitent leurs fils à se marier très tôt pour les mêmes raisons. En effet, jusqu’à une date encore très récente, la prospérité d’un Mandingue ainsi que son importance sociale se mesuraient par le nombre de ses femmes et de ses enfants. Il en parle avec aisance et fierté. Il en tire une impression de puissance et de grandeur sociale. C’est pourquoi la fécondité d’une mère est un paramètre qui milite beaucoup en faveur de ses filles pour trouver facilement des prétendants: « Muso yirila denmuso ka kan ka bò a na la. » (= Telle mère, telle fille. On espère qu’une fille née d’une femme qui a fait plusieurs maternités procréera autant que sa mère féconde.) Parfois on s’en prend à une femme mariée qui n’a pu faire que deux ou trois enfants: « A bannin den sòròko ma; den kelen pe le ye a bolo; den fila dòròn pe le ye a bolo. » (= Elle ne veut pas enfanter; elle n’a qu’un seul enfant; elle n’en a que deux seulement.) Donc la fonction principale de la femme est la procréation. Aussi, l’homme qui a la chance de faire beaucoup d’enfants obéit plus à des considérations sociales qu’économiques. Les raisons d’ordre économique sont tout aussi valables que cette motivation sociale pour justifier ou expliquer la polygamie. L’activité fondamentale de la société traditionnelle est l’agriculture. Les méthodes de cultures sont quasi-archaïques. L’énergie déployée est essentiellement la force humaine et rarement la traction animale est utilisée. La mécanisation reste encore un privilège pour quelques nantis. L’étendue des domaines agricoles familiaux est proportionnelle à l’importance numérique de la famille. Plus une famille est nombreuse, plus il y a des travailleurs, plus ses champs sont vastes et variés et plus elle produit abondamment des denrées pour surtout l’autosubsistance de ses membres. C’est pour bénéficier d’une abondante main d’œuvre que chaque famille tient à avoir une nombreuse lignée. Eu égard à cette considération, la stérilité d’une femme est très mal accueillie dans les familles 715


mandingues. Elle peut être cause irréversible de répudiation ou de divorce. La femme stérile est contrainte de se battre pour se soigner. Dans un pareil cas, le père, la mère, les oncles ou les tantes du mari font pression sur celui-ci afin qu’il prenne une seconde femme, s’il n’en a qu’une seule. On traite parfois la pauvre femme stérile de porte malheur (muso nòròdyuu, konamuso). On dit que par son infécondité elle ternit l’éclat de la famille car la continuité de la lignée s’en trouve gravement compromise. T) - LA VIE ENTRE LES COÉPOUSES OU LA LUTTE IMPLACABLE DES COÉPOUSES (SINAMUSOYA) Plusieurs femmes sont obligées de porter leur amour sur un seul et même homme, leur mari, dont elles doivent partager les faveurs. C’est la polygamie. Ce dénominateur commun est vivement convoité. Chaque épouse tient à le posséder. Pour parvenir à cette fin, les coépouses utilisent tous les subterfuges notamment la séduction du mari par la toilette et par les menus services rendus à lui et à ses parents et amis. L’entretien du mari (blanchissage de ses habits, propreté de sa chambre, lui offrir des habits si possible et des petits plats délicieux et inopinés faits à leurs frais, la serviabilité envers lui, le sens du respect absolu et d’hospitalité envers ses parents, amis et connaissances...) est déterminant pour se faire apprécier et gagner la bataille qui est permanente et impitoyable. Le maraboutage et le trucage pour détourner le cœur du mari à son seul profit sont, entre autres, des pratiques courantes dans les ménages polygames. Cette lutte d’influence engendre des conflits et des intrigues entre les coépouses qui s’opposent férocement dans des scènes de jalousie sauvage. C’est le sinamusoya ou sinaya tout court. La polygamie a incontestablement une mauvaise incidence tant sur la vie des femmes que sur celle des enfants qui se trouvent indirectement mêlés à cette sourde et implacable lutte en prenant position en faveur de celle qui les a mis au monde. En effet il est pratiquement impossible à un homme d’avoir le même degré d’amour pour ses deux, trois, quatre... femmes. Certaines sont plus aimées et plus favorisées que d’autres. Il y a toujours une préférée, une favorite appelée baramuso qui jouit pleinement de l’affection profonde, de l’amour ardent du mari; c’est elle qui dispose aisément des biens matériels de celui-ci. Les autres épouses sont très souvent frustrées, méprisées parfois et misérables moralement et matériellement. Ces mal-aimés sont les gbalomuso. La polygamie est une institution sociale basée sur la frustration et sur l’injustice. Elle crée une situation conflictuelle permanente qui oblige chaque coépouse à lutter pour s’attirer les faveurs du mari en tentant d’évincer les autres concurrentes. Officiellement, les enfants doivent rester en dehors de ces conflits (sinaya = sinamusoya). Mais cette neutralité est très difficile à observer, car chez nous il est impossible à un enfant de se détourner ou d’être indifférent de la misère, des problèmes, des difficultés et de la souffrance morale ou physique de 716


sa mère. Parfois l’enfant ne peut s’empêcher de réagir devant certaines injustices dont est victime sa mère. L’enfant qui tient beaucoup plus à sa mère qu’à son père, n’hésite pas à prendre fait et cause pour sa mère surtout quand celle-ci est brimée par son père, par une de ses marâtres, par un oncle ou parfois par les grands-parents. Toutefois, l’enfant est tenu de respecter sa marâtre autant que sa mère. Il doit l’appeler n na dòòni (ma petite mère) ou n na bonba (la grande sœur de ma mère) selon que celle-ci est plus jeune ou plus âgée que sa mère. Entre elles, les coépouses s’interpellent dans le meilleur des cas et par complaisance n dòòni (petite sœur) ou n kòrò (grande sœur). Même si la première est relativement plus jeune que la seconde, la troisième ou les autres épouses du mari, la première venue est toujours considérée comme l’aînée et doit jouir des prérogatives liées au droit d’aînesse. Dans ce contexte le droit d’aînesse s’établit non en fonction de l’âge réel des coépouses, mais se conforme à l’ordre d’arrivée sous le toit conjugal d’un même mari. La vie entre les coépouses est souvent pénible et meublée de violentes scènes de jalousie (kèlèya) dont certaines tournent au drame (disputes, injures, bagarres avec coups et blessures, empoisonnement, agression verbale et physique, meurtres, intrigues, sorcellerie, truquage, maraboutage, sacrifices de tous genres pour faire le malheur de sa coépouse et entraver l’ascension ou la réussite des enfants de celle-ci...). Tout cela finit par impliquer et par opposer les enfants si l’autorité paternelle n’est pas ferme pour brasser ceux-ci dans une même moule d’unité et d’amour fraternel. Il faut noter aussi que par bonheur certaines coépouses s’entendent parfaitement bien, s’aiment réciproquement comme de vraies sœurs ou comme une mère et sa fille. De telles coépouses se conseillent mutuellement, dialoguent sincèrement à deux ou devant témoin pour régler pacifiquement leurs litiges. Elles bâtissent dans ce cas une vie harmonieuse. Parfois elles se coalisent contre le mari qu’elles parviennent à tromper, à escroquer. L’homme le plus malin, le plus vigilant et le plus averti ne peut échapper à leurs astuces, à leurs sarcasmes et à leurs conspirations. Comme le dit un adage de chez nous: « Muso masuba ka bon » ou encore « Muso tè lòn n na », c’est à dire que nul ne peut connaître la femme qui dispose de mille tours pour se jouer de l’homme. D’autres renchérissent en disant: « Muso kènin koron ne di » ce qui signifie que la femme est un puits dont personne ne peut voir le fond. Donc personne ne peut connaître une femme dans tous ses repères, sous toutes les formes. Elle est insaisissable. Généralement un homme met quatre à cinq ans ou plus avant de se marier à une seconde épouse, sauf en cas de stérilité notoire du couple dont on rend à priori et souvent à tort la femme responsable. Dans ce cas on n’attend pas longtemps pour envisager un second mariage. Généralement, la capacité de procréation du mari n’est mise en doute que si celui-ci n’arrive pas à féconder sa première, sa deuxième ou sa troisième épouse.

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Pour le mariage de sa coépouse ou de ses coépouses, la femme n’est jamais concertée. Son avis importe peu. On ne tient nullement compte de ses réactions de désapprobation ou d’hostilité. Tout de même son mari ou la famille de celui-ci prend la peine de l’informer de son intention de marier une deuxième femme ou de l’arrivée imminente de celle-ci dans le foyer. Parfois on prétend que c’est pour l’aider dans les travaux champêtres et ménagers. D’ailleurs c’est une hypocrisie du mari. Quelle que soit la raison qui pousse celui-ci à être polygame, la femme est contrainte d’accepter ses coépouses. La seconde épouse est logée dans un premier temps, parfois pour longtemps, dans la même case que la première femme de son mari. Généralement, ou tout au moins au début de cette nouvelle vie commune, la dernière venue fait preuve de docilité, de respect envers sa coépouse aînée qu’elle appelle avons-nous dit n kòrò (grande sœur). Par conséquent, la plupart des petits travaux du ménage lui reviennent (balayage, lavage des linges et des ustensiles de cuisine, la cuisine...). Cette relation cordiale et tendre entre les deux coépouses des premiers jours ou mois... se dégrade rapidement et s’effrite au fil du temps. En effet, la fausse gentillesse et les sourires hypocrites de la première femme se transforment progressivement en passion et en haine consécutives à certaines intimités indiscrètes entre le mari et la nouvelle mariée considérée comme une herbe sauvage envahissante qui vient détruire l’harmonie ou la quiétude du foyer. Elle est considérée comme une intrue à éliminer et dont certains comportements indélicats frisent parfois la provocation. Certaines marques de tendresse du mari à peine voilée pour la nouvelle mariée sont mal perçues et insupportables par la première femme. Victime d’injustices flagrantes, choquée par l’indifférence totale du mari à son endroit, frustrée de sentiments, elle n’a d’autres recours que la révolte contre les maladresses du couple. Ainsi l’harmonie du foyer est perturbée par des scènes de jalousie et par des querelles. Le mari est presque toujours impliqué et incriminé. Il n’est d’ailleurs pas innocent. Par instinct de conservation, la première épouse réagit contre ce qu’elle appelle la coalition (dyanfa) de son mari et de sa coépouse (kèlèya). Parfois le phénomène contraire se produit. Le mari n’échappe pas à l’emprise de sa première femme. Évidemment on assiste dans ce cas à la réaction identique de la part de la nouvelle épouse qui se sent frustrée, abandonnée à elle-même. Certaines crises sont si graves qu’elles débouchent inéluctablement sur l’éclatement de la famille ou se terminent par la rupture de l’un ou de l’autre mariage. Dans les familles aisées où sont réunies une ou plusieurs dizaines de femmes autour d’un seul mari, le problème est plus complexe. Ici, les jeune épouses sont placées sous l’autorité directe des premières appelées muso fòlò ou musokun dont chacune peut être responsable de deux ou trois coépouses (sinamuso) voire plus qui vivent dans sa case. Ces muso fòlò font souvent preuve de méchanceté et d’animosité envers leurs jeunes coépouses qu’elles 718


terrorisent souvent au point de les abrutir en leur faisant voir de toutes les couleurs. Elles sont craintes et se comportent en véritables reines qui tyrannisent. Elles transforment systématiquement les jeunes coépouses en servantes, en esclaves n’ayant que des devoirs et presque pas de droit. Parfois certaines poussent le cynisme jusqu’à priver ou à contrôler les rapports sexuels de celles-ci avec le mari commun. Leurs enfants ne sont pas épargnés. Par contre, d’autres muso fòlò plus pacifiques font preuve d’humanisme et se comportent envers leurs jeunes coépouses comme une mère à l’endroit de sa fille, comme une véritable grande sœur envers sa cadette. En retour elles sont vénérées, aimées par les jeunes coépouses qui les consultent, se confient à elles et suivent leurs sages conseils. Ce sont ces muso fòlò pacifiques qui veillent à l’entente entre les autres jeunes femmes du foyer et qui règlent tous les litiges entre elles et le mari commun ou ceux qui les opposent entre elles. Elles s’intéressent à leurs problèmes personnels qu’elles essayent toujours de résoudre dans la mesure du possible. On en a vues faire pression sur le mari afin que celui-ci se penchent avec bienveillance sur les problèmes de telle ou telle coépouse. Certaines renoncent parfois à certains de leurs privilèges, à certaines de leurs nuits dans le lit conjugal au profit d’une jeune coépouse frustrée ou qui semble avoir plus d’appétit sexuel, tout cela pour éviter des incidents dans le foyer. Juridiquement les coépouses sont toutes mariées légalement, du moins au regard de la tradition, donc elles sont susceptibles d’être mises sur le même pied d’égalité en devoirs et en droits dans un souci d’équité dans tout partage. Quand une chose à partager n’est pas suffisante, généralement la première épouse s’en prive au profit des plus jeunes coépouses. En raison de cette attitude de sagesse qu’on attend d’elle, elle est souvent considérée comme la poubelle (sununkun) de la famille. D’ailleurs, le jour du mariage, les parents de sa jeune coépouse lui adressent une mention spéciale de remerciements et lui confient celle-ci en lui demandant de la considérer comme une jeune sœur et non pas comme une coépouse. Des consignes de respect sont données à la jeune coépouse par ses parents envers sa coépouse aînée. Cette démarche des parents tend à instaurer un climat sain, serein et une harmonie dans le foyer. La première femme doit éduquer indifféremment tous les enfants de la famille. Elle doit être le centre de gravité de ce monde dont elle doit réaliser l’unité, préserver l’intégrité et les intérêts. Elle trouve pour chacun des mots aimables, sait apaiser les cœurs, réduit les tensions, évite les conflits, les méfiances à tous les niveaux, réconcilie ceux qui ne s’entendent pas. Elle accomplit des missions importantes en lieu et place de son mari. « Tyèbakòrò ye wole a muso di » c’est-à-dire qu’une femme, dans bien des circonstances, peut agir en lieu et place de son mari. En effet, très souvent, en cas d’empêchement ou d’absence du mari, elle représente celui-ci dans les cérémonies de mariages, de baptêmes, de funérailles. En l’absence du mari et à défaut d’un beau-frère, elle jouit des prérogatives de chef de famille. Elle s’acquitte intelligemment de 719


sa mission de substitut et ne fait pas d’abus d’autorité au risque de se voir déchargée de cette responsabilité à la prochaine absence du père de la famille. Elle reçoit, loge et entretient les hôtes de la famille jusqu’au retour du mari. En effet ce rôle de substitut du mari que la muso fòlò doit pleinement jouer est souvent un test de sa capacité morale au commandement. C’est aussi l’occasion pour elle de prouver qu’elle est bonne gestionnaire, car le mari, à son départ, lui laisse la ration de la famille (céréales et popote). Et quand les provisions laissées par le mari s’avèrent insuffisantes, elle doit se débrouiller pour nourrir toute la famille et faire face à tous les besoins vitaux de celle-ci jusqu’au retour du maître de la famille. Il faut aussi signaler que certaines premières femmes n’arrivent pas à se maîtriser devant cette lourde responsabilité de sagesse et se laissent dévoyer par le fait de la passion et de la haine qui les transforment en démon ignoble, en méchante... Que d’enfants, que d’orphelins, que de coépouses ont souffert de leurs tracasseries. Les méchancetés de ces marâtres ignobles sont dénoncées dans nos contes et légendes. Dans une famille polygame harmonieuse, il s’établit entre les demi-frères une profonde affinité, une fraternité réelle et exemplaire, une solidarité effective. Ils constituent un bloc homogène face aux autres groupements de la famille et du clan. Dans une même concession paternelle, les enfants sont regroupés par musobon ou babon. On appelle musobon l’ensemble des coépouses et de leurs enfants nés et vivant sous le même toit et placés sous l’autorité incontestée d’une muso fòlò (première femme, première épouse). Ce regroupement des coépouses et de leurs enfants au sein de ces musobon est surtout fréquent dans les familles régnantes ou dans les familles aisées où le nombre des coépouses dépasse souvent la dizaine. Les enfants nés d’une même mère se regroupent naturellement autour de celle-ci et constituent la babon. Ainsi une grande famille peut se subdiviser en plusieurs musobon à l’intérieur desquelles se trouvent une, deux ou trois babon. En plus de ses coépouses et de leurs enfants, une muso fòlò ou musokun peut avoir sous sa responsabilité les épouses et les enfants de certains beaux-frères et de certains cousins de son mari. En dehors de l’exploitation agricole familiale ou collective classique (champ de riz, de fonio, de manioc, d’igname...), chaque femme ou dans certains cas, chaque musobon aménage sa petite exploitation agricole (nangban) qui est généralement un petit potager où on trouve: oignon, gombo, tomate, aubergine, patate, taro... dont le bénéfice lui permet de subvenir à ses petits besoins, à ceux de son petit monde ou de sa petite communauté ou d’éviter dans un premier temps d’acheter ces condiments. Il n’est pas exclu que chaque famille nucléaire (le mari, la femme et les enfants) ait son petit domaine agricole (tabac, arachide, patate...) qu’elle exploite à son profit exclusif sans cesser de dépendre de la grande famille polynucléaire dont elle ne constitue qu’un élément.

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De nos jours, on assiste avec regret à la désintégration de cette famille polynucléaire globale et homogène. Depuis l’apparition de nouveaux besoins crées par l’économie monétaire dans nos sociétés traditionnelles, l’exploitation agricole familiale classique ne permet plus de satisfaire tous les besoins de tous les membres de la famille. Ainsi, chaque famille élémentaire ou nucléaire se voit obligée de créer sa propre plantation de cultures industrielles et d’aménager parallèlement des champs de cultures vivrières. En effet, les besoins se sont multipliés dans la société moderne: logement décent, habillement luxueux, scolarisation de plus en plus onéreuse des enfants, frais pharmaceutiques coûteux sans oublier les autres besoins nouveaux et plaisirs de la vie qui exigent beaucoup d’argent. Ainsi les multiples exigences de la vie moderne ont disloqué la famille traditionnelle large qui s’est muée en famille restreinte, individualiste et égoïste, surtout dans les centres urbains. La vie communautaire s’est donc effritée. Mais fort heureusement l’unité, la solidarité dans le malheur, l’harmonie sociale existent encore dans nos villages dont beaucoup sont encore à l’abri de la dépravation des mœurs.

Plan d’une grande concession traditionnelle malinké.

Si l’Afrique moderne tend à abandonner la polygamie sous sa forme traditionnelle, elle a érigé à sa place le concubinage et la débauche. Les maîtresses se multiplient et leur entretien coûte plus cher que celui de la famille légale. Certains citadins qui pratiquent la polygamie ont opté pour la séparation des coépouses. Dans ce cas, on les éparpille à travers les quartiers de la ville. Ils 721


ont certes la paix du cœur, mais cette séparation porte dangereusement préjudice à l’éducation et à l’unité des enfants qui se méconnaissent et ne s’aiment pas puisqu’ils n’ont presque pas de contact. Ce manque d’affection fraternelle fait que des frères paternels ne s’entendent pas comme ceux qui ont été élevés sous le même toit et qui par conséquent ont reçu la même éducation. Le manque de sentiment chez les enfants élevés dans de telles conditions entraîne toujours des déchirements et de l’animosité autour de l’héritage du père (fadenya kèlè, tyèko kèlè). U) - LES HOSTILITÉS FRATRICIDES (FADENYA = FADENYA KÈLÈ) « Manden fadenya kèlè ye sunòòla le, wa a tè faala. » signifie « Les hostilités sourdes entre frères au Manden peuvent par moment se calmer, somnoler, mais ne disparaissent jamais. Elles peuvent donc se réveiller avec plus de vivacité, de rancœur et de haine aveugle à la moindre occasion. Il faut donc éviter les querelles et les guerres fratricides, » dit-on au Mandingue. L’opposition permanente, la sournoiserie, les intrigues interminables... entre les coépouses ont pour conséquences néfastes directes les profondes dissensions entre les enfants et la division de la famille en clans hostiles. Il existe parfois de graves conflits qui engendrent une sourde lutte d’influence, appelée fadenya ou fadenya kèlè, entre les éléments centrés sur les babon (case maternelle) ou sur les musobon qui rassemblent, sous la même autorité et dans la même case, plusieurs épouses et leurs enfants entre lesquels s’établit une certaine affinité. Parfois, cette lutte fratricide est sans répit et sans merci. Mais le fadenya est très atténué ou parfois inexistant à l’intérieur de chaque musobon. Les enfants d’une même mère (les baden, badenma) et ceux nés et éduqués dans la même case (musobon) appelés musobonden, enfants qui vivent sous le même toit et sous la tutelles d’une même et seule femme ou épouse aînée (muso fòlò) sont plus fraternellement unis et font toujours cause commune face aux autres enfants des autres musobon. Généralement on ne parle de fadenya que lorsqu’il y a mésentente profonde entre les frères paternels ou entre ceux d’un même clan. Ces hostilités sont si fréquentes, si persistantes dans les familles polygames qu’on dit encore: « Manden fadenya kèlè tè banna. » ou bien « Manden fadenya ye sunòòla le, wa a tè faala. » Ce qui se traduit par: « Les hostilités fratricides au Manden peuvent somnoler pendant un certain temps, mais ne meurent jamais. » Cela signifie également: « Les hostilités fraternelles au Manden sont une flamme qui peut par moment pâlir mais ne s’éteint jamais. Pour un rien ce feu peut se réveiller, se raviver et faire des dégâts… » Il n’est pas facile d’appréhender tous les aspects de ce monde d’intrigues, de suspicions, de susceptibilités... où on se combat parfois sous toutes les formes et d’une manière inlassable, on cherche à se nuire, à se détruire mutuellement. 722


Parfois la mort n’arrive même pas à éteindre cet esprit d’hostilités qui survit souvent à travers des générations. Le Mandingue est très sensible voire susceptible. Dans son cercle familial et même dans son environnement social il se vante de la noblesse de sa naissance et de ses origines surtout quand celles-ci ne sont pas entachées d’indignité, c’est-à-dire quand il n’est pas un bâtard ou quand il est issu d’une famille noble, prestigieuse (yèrèworo, yèrèworoya, hòrònya). C’est pourquoi que: a) - L’adultère de la femme est très sévèrement réprimé en milieu traditionnel mandingue. La femme doit se résigner et attendre obligatoirement son tour dans le lit conjugal, quelle que soit la durée du cycle ou de l’absence de son mari. Dans une famille polygame de plusieurs femmes, chaque épouse doit attendre parfois des semaines avant d’avoir des relations sexuelles avec son mari. En cas d’indisposition de celui-ci, elle est obligée d’attendre le prochain tour. Il n’y a pas de séance ou de mesure de compensation, de rattrapage ou de réparation du tort causé à la partenaire. Il en est de même en cas de maladie de longue durée du mari. Elle doit toujours faire preuve d’abstinence jusqu’à ce que celui-ci soit rétabli. b) - Le constat d’une grossesse illégale entraîne toujours la répudiation de l’infidèle ou le divorce dans les familles malinké. C’est pour cette raison que beaucoup de femmes s’abstiennent des relations extraconjugales. L’infidélité féminine est une souillure sévèrement réprimée par toute la société. Le seul cas toléré où la femme ne risque pas la répudiation est celui qui se justifie par une stérilité ou une impuissance sexuelle prouvée du mari. Dans ce cas, et du point de vue de l’Islam, il vaut mieux prononcer le divorce afin de libérer la femme et de la mettre à l’abri d’un tel sacrilège. c) - Le Mandingue est très orgueilleux. Il aime les honneurs et tient à ce qu’on lui en fasse le plus souvent. Pour lui soutirer quelques sous, quelque chose ou pour obtenir ses faveurs, il faut le flatter - surtout publiquement - et rendre célèbres ses ascendants paternels et maternels. C’est pourquoi traiter un Mandingue de bâtard (nyamòòden) provoque de sa part une violente réaction. On ne pardonne pas un tel blasphème à qui que ce soit. Une bagarre, où coups et blessures ne sont pas exclus, peut s’en suivre, et parfois un procès publique est organisé pour donner les preuves tangibles de cette allégation, sinon celui qui ose proférer de telles insanités est blâmé et doit obligatoirement dédommager sa victime à qui il présente, séance tenante, ses excuses et lui paye une amende dont la valeur est déterminée par le conseil des sages. d) - Tout enfant dont la paternité est douteuse ou qui est reconnu comme bâtard (nyamòòden) est moralement frustré, brimé et ne peut lever la voix ou s’imposer dans une famille malinké. C’est ainsi que dans un sursaut d’orgueil et d’honneur, un enfant majeur dont la naissance est obscure met souvent sa mère en demeure d’éclairer ce côté important de sa vie. Souvent il n’hésite pas à rejoindre son père biologique, celui dont il est le sang et que sa 723


mère est seule à connaître. Parfois aussi, dans son environnement social, il est le seul à ignorer sa situation de mal né. La bâtardise est un sacrilège, un déshonneur autant pour l’enfant que pour sa mère et les parents de celle-ci. Parfois, le bâtard, bien que conscient de son état, préfère conserver la filiation de l’époux de sa mère, son père adoptif, qui peut parfois l’affectionner autant que les siens. Attitude de reconnaissance qui prime rarement sur l’honneur. Ainsi dans la plupart des cas, l’enfant d’une telle condition préfère quitter le foyer conjugal de sa mère pour aller à l’aventure ou pour rejoindre ses parents maternels. Dans le cas où le père du bâtard est inconnu tant par sa mère que par tout le monde - cas très rare - le bâtard prend le nom de famille de sa mère. Aussi il prend le nom de sa famille maternelle si son père nie sa paternité jusqu’à ce que celui-ci prenne conscience et le reconnaisse comme sien. Se repentir de cet acte irresponsable, humiliant et déshonorant qui est considéré comme une grave faute, demande une longue procédure de démarches auprès de la famille frustrée et humiliée. Après les excuses publiques, une forte amende est exigée du père biologique pour réparer le préjudice moral et financier qu’il a causé tant à l’enfant qu’à sa mère et à la famille de celle-ci. Donc la réparation morale et matérielle est obligatoire de sa part. Sa démission, son inconscience, son manque de responsabilité et de dignité... sont dénoncés, décriés et dénoncés par toute la collectivité villageoise. V) - RAPPORTS ENTRE UN ÉPOUX OU UNE ÉPOUSE AVEC SES BEAUX-FRÈRES, SES BELLES-SŒURS, SES COUSINS ET SES COUSINES OU LA PRATIQUE FERTILE DU « NIMÒÒYA » (NIMÒÒYA TOLON) Le nimòòya désigne les relations cordiales, faites de convivialité, d’une femme mariée ou fiancée avec les frères, sœurs, cousins et cousines de son mari ou celles d’un homme fiancé ou marié avec ceux de son épouse. Une femme est mariée par une famille entière, par un clan entier et par tout un village. Par conséquent elle n’appartient pas à son seul mari. Elle est liée à son beau-père (birantyè) et à sa belle-mère (biranmuso) par un respect absolu, par des relations tendres, empreintes de railleries, de chahuts de tous bords avec ses beaux-frères, belles-sœurs y compris les cousins et les cousines de son mari et par extrapolation avec tout le clan et tout le village de son mari. Elle les interpelle indifféremment nimòòtyè (beau-frère) ou nimòòmuso (belle-sœur). En retour ceux-ci l’appellent tous nimòòmuso (belle-sœur). Elle doit et peut s’amuser avec eux tous. Les plaisanteries et les chahuts de tous genres sont réciproquement échangés et acceptés. Mais les amusements ont des limites. Il ne faut jamais pousser les blagues jusqu’aux injures de parents et aux relations sexuelles. Ce qui est considéré comme un sacrilège, comme un acte incestueux répréhensible. Parfois l’excès d’intimité entre une belle-sœur et son beau-frère ou certaines de leurs maladresses ou légèretés au su et au vu des gens, donc 724


relations non discrètes des deux partenaires, choquent la dignité du mari qui a de bonnes raisons d’en être jaloux. De tels comportements indélicats provoquent souvent des scandales dans la famille. Parfois, à tort ou à raison, le mari soupçonne son jeune frère de vouloir se substituer flagramment à lui auprès de sa femme. La belle-sœur dans certains cas est plus attentive à son beau-frère qu’à son mari. Et là le bât blesse. Mais au cas où cette suspicion est gratuite, l’accusé réagit violemment et exige que la lumière soit faite publiquement. Dans l’un ou l’autre cas, on assiste presque toujours à une rupture ou à un refroidissement des relations fraternelles. Pour éviter d’en arriver là, les jeunes frères doivent savoir modérer leurs relations avec les belles-sœurs et préserver une certaine distance par rapport à elles. Mais dans de nombreux cas, on dit que ce sont les belles-sœurs qui font les premiers pas vers les beaux-frères. Ce sont elles qui encouragent les démarches sentimentales répréhensibles de ceux-ci vers elles. Il ne faut pas accabler, outre mesure, la belle-sœur, car ce clin d’œil provocateur peut bien provenir aussi du beau-frère. Dans tous les cas, les deux sont toujours consentants et doivent se partager équitablement la culpabilité et la responsabilité de l’acte incestueux. Par conséquent une certaine intimité douteuse entre eux doit être évitée afin que celle-ci ne débouche sur un scandale dans la famille. Il faut signaler que dans la tradition malinké, les veuves doivent prioritairement ou obligatoirement se remarier avec les jeunes frères et cousins du mari défunt pour continuer harmonieusement l’éducation des enfants dans le même cercle familial. Ceci vise aussi à maintenir l’union de la famille et l’amour fraternel entre les enfants du défunt et ceux du clan et en plus sauvegarder les bonnes relations entre les deux familles alliées. Ainsi, sont moulés dans le même creuset d’éducation tous les cousins et cousines d’une même famille ou d’un même clan. Du vivant du grand frère, ses femmes et ses jeunes frères et cousins paternels entretiennent entre eux des relations régulières de plaisanterie (nimòòya tolon) et de services mutuels. Ce rapprochement suivi peut déboucher sur l’éventualité du mariage à la mort du mari (le grand frère) et au terme du veuvage qui dure quatre mois dix jours. Cette affinité est tolérée et admise par le mari ou le frère et par toute la société tant qu’elle est irréprochable et discrète. Dans les régimes où le nimòòya est institutionnalisé, le beau-frère est autorisé à manifester à sa belle-sœur ses nobles intentions de mariage pendant le veuvage en envoyant fréquemment à celle-ci des noix de cola de grosseur phénoménale par le biais d’une vieille femme ou d’une tante qui parraine ses démarches discrètes. Les contacts directs ne sont pas permis entre la veuve et les aspirants pendant le veuvage, ou tout au moins au début. Selon l’Islam, il n’est pas question de parler de projet de mariage avant la fin complète du veuvage. Dans cette nouvelle conquête qui débute très souvent du vivant du grand frère ou du mari, les services rendus sont autorisés et réciproques entre les deux nimòò (beau-frère et belle-sœur). Ainsi, une belle-sœur entretient son beau-frère en 725


lavant ses habits, en balayant quotidiennement sa maison et en lui offrant très souvent des petits plats et en recevant ses étrangers. Par contre, le beau-frère se charge de réparer l’enclos et la maison de sa belle-sœur, chaque fois que cela est nécessaire, sans que cela n’indispose le mari. C’est lui qui doit aussi labourer le jardin potager de celle-ci. Les cadeaux divers sont réciproquement échangés entre eux. On ferme les yeux sur la naissance et l’évolution de telles relations. Personne ne crie au scandale. Disons, tout le monde cautionne tant que cette relation est discrète et peu choquante. Quand un jeune frère meurt, rarement ses frères aînés se marient avec ses veuves. Dans la société traditionnelle malinké, un grand frère est assimilé au père du défunt par les femmes et les enfants de ses jeunes frères qui l’appellent affectueusement grand-père (n benba). Du point de vue autorité, les grands oncles sont plus complaisants, plus tolérants que les jeunes oncles dont la sévérité terrorise les neveux, les nièces et les belles-sœurs. Aucun père, aucun mari ne conteste l’autorité de son jeune frère sur ses enfants et sur ses épouses. Les tantes jouissent des mêmes prérogatives sur les neveux, nièces et bellessœurs. Un mari a toujours mis ses épouses en demeure de ménager la susceptibilité de ses sœurs et cousines (senkò = fènmuso) que lui-même n’ose pas braver dans certaines situations, surtout quand il s’agit de problèmes relatifs à sa propre famille. Tout mari est également lié aux sœurs, frères, neveux, nièces et cousins jeunes de sa femme par les mêmes relations de plaisanterie du nimòòya. Ces mêmes éléments aînés de sa femme méritent son respect le plus absolu au même titre que le père, la mère, les oncles et les tantes de celle-ci. Pour s’assurer de la fidélité absolue de son épouse, le mari jaloux se lie à celle-ci par le serment inviolable du cola. Il s’agit de faire manger par l’épouse une tranche de cola percée par une aiguille (ka woro kè muso kònò). La cola représente le cœur et l’aiguille le justicier. En cas de violation du serment, suite à une infidélité de la femme, le cœur de la parjure ou de l’assermentée doit saigner abondamment par la bouche jusqu’à ce que mort s’en suive. Le serment du cola est considéré comme le serment le plus violent, le plus efficace et le plus dangereux dont la violation entraîne toujours la mort du parjure. C’est pourquoi on y a toujours recours pour blanchir un accusé en matière d’adultère ou pour confirmer le soupçon porté sur lui. Un homme ou une femme accusé(e) d’infidélité ou d’acte incestueux ne peut prouver son innocence qu’en jurant sur la cola ou qu’en croquant publiquement un morceau de cola transpercé par une aiguille. Si aucune réaction maléfique ne s’en suit, alors l’accusé est blanchi et réhabilité. Mais si par malheur un quelconque malaise intervient chez le sujet soupçonné et soumis au serment ou chez son (ou sa) « partenaire », on croit tout de suite à sa culpabilité. Pour éviter une mort certaine, la personne en situation doit se délier du serment en faisant publiquement des aveux complets. La cérémonie de prestation de serment s’appelle « woro nyimi » ou « woro tyè kònò » ou tout simplement « seni » ou « seli ». On utilise aussi le Saint Coran ou les 726


fétiches (Dyo ou Koma) qui produisent les mêmes effets que la cola. Seulement la cola foudroie plus rapidement le parjure. Délier un serment est appelé « woro bò a kònò » ou « seli ka nòò bò ». Cette démarche s’accompagne toujours de rites et de sacrifices. Avant, beaucoup de jeunes fiancées et de jeunes femmes mariées mourraient à l’accouchement pour avoir refusé de dénoncer le partenaire sexuel qui les a fait jurer sur la cola afin que celui-ci reste dans l’anonymat total. C’était bien souvent le cas des amoureux coupables d’actes incestueux. Il faut dénoncer ici l’action nocives des matrones qui ne cessent de harceler la patiente de questions et l’obligent à dresser la liste complète de ses partenaires sexuels extra-conjugaux. Ceux-ci doivent réparer le préjudice et le déshonneur causés au mari légitime ou au fiancé (tyè tòò fò ou encore musoko lada). Il en est de même quand un nourrisson refuse de téter le sein maternel. En milieu traditionnel, ce comportement du bébé, surtout quand il vient de naître, est la preuve matérielle irréfutable de l’infidélité de sa mère. Celle-ci doit, pour sauver son enfant, dresser la liste complète de ses partenaires sexuels extra conjugaux. Si la femme en travail d’accouchement difficile refuse de se soumettre à cette contrainte de dénonciation soit par pudeur, soit par honte, soit pour protéger son amant, soit parce qu’il n’y en a pas et ne veut pas mentir en faisant de fausse accusation, elle risque une mort certaine ou celle de son bébé. Dans les deux cas, ces aveux provoquent souvent de graves incidents entre la famille du mari cocu et celle de l’amant. La réaction du mari est très violente et peut souvent déboucher sur le divorce. Certains maris refusent de pardonner la faute commise par la femme en ne versant pas par terre l’eau contenue dans une calebasse blanche ou dans une calebasse à queue (ka dyi bon). Dans ce cas, la femme infidèle risque de mourir car elle ne pourra pas accoucher. L’esprit des ancêtres morts ne peut répondre qu’au seul appel du mari cocu en cette circonstance. Son intransigeance peut être fatale à la femme infidèle ou à son nouveau-né. Mais parfois, pour mettre fin à sa douleur, la femme en difficulté d’accouchement peut faire de fausses accusations, de faux aveux, croyant que c’est là son salut. Il faut donc faire preuve de discernement pour ne pas considérer toutes les difficultés d’accouchement comme preuve évidente de l’infidélité de la femme. Dans bien des cas, les dénonciations doivent être accueillies avec réserves et se méfier des pressions des matrones qui peuvent toujours influencer négativement une patiente. Quand l’assermentée est foudroyée suite à son parjure, on dit que « Woronyama bara a mina ». Seule la dénonciation publique et intégrale de son ou de ses partenaires sexuels et le pardon de son seul mari, qui doit verser de l’eau (ka dyi bon), peut la délier et la sauver. C’est pour elle la seule manière d’éviter la mort.

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- L’EMPRISE DE LA FEMME SUR LE SEXE FORT OU LE RÔLE PROTECTEUR D’UNE BONNE MARÂTRE La marâtre n’est pas toujours une mauvaise femme déterminée à faire souffrir les enfants de sa coépouse. Il y a des marâtres très généreuses, protectrices qui aiment tendrement, au même titre que les leurs, tous les enfants du mari commun et de toute la grande famille. Les marâtres de ce genre sont très souvent des confidentes qui orientent sagement les pas des jeunes gens de la famille qu’elles adoptent et aident à résoudre leurs problèmes et les conflits qui les opposent à leur père, à leur mère ou qui les divisent entre eux. Dans ce cas elles font pression sur le père ou sur la mère et parfois sur les oncles et les tantes en défendant apparemment la cause ou le point de vue des jeunes adolescents et réclament toujours plus de compréhension et de magnanimité de la part des adultes. Ainsi elles les orientent très souvent dans le choix judicieux de leur conjoint(e). Venons-en, entre autres, à l’intervention bénéfique d’une bonne marâtre en faveur du fils de sa coépouse. Un père de famille qui était un sanguwan (ou sangban, bouffon, plaisantin, moqueur...) réputé qui se complaisait à épier toutes les nuits les jeunes adolescents du village en se postant derrière leur case pour enregistrer toutes leurs causeries intimes qu’il diffusait dès le lendemain matin et les jours suivants, sous tous les toits, en se moquant d’eux. Ses propres enfants n’étaient pas à l’abri de ses sarcasmes amers. Une nuit, en faisant sa ronde quotidienne, il se trouva derrière la case de son fils aîné qui était en intimité avec sa bien-aimée. Celle-ci ne voulait pas passer la nuit avec son amant, contrairement aux vœux de celui-ci. L’amant se lamentait et ne cessait de prier la jeune fille de lui tenir compagnie cette nuit-là. Mais le refus de la belle était catégorique. Elle restait insensible à toutes les prières et démarches de celui-ci. Pour embarrasser celui-ci et comme pour se débarrasser de lui, elle lui posa une condition difficile que le jeune homme aurait sans doute refusée de remplir par orgueil pour accéder à son désir. Mais parfois en amour la raison, le bon sens et la dignité n’ont pas de place dans le cœur. Voici cette condition qu’elle pose et le dialogue des deux jeunes: La jeune fille: « Ni i b’a fè n ye sii i bara, fo i ye i fa nanin... » (= Si tu insultes ton père, je passerai la nuit entière avec toi. ») Le jeune homme: « Wo man gbèlè: n fa mòò fuu, n fa manamana mòò... » Ce qui se traduit par: « Qu’à cela ne tienne, ça c’est la moindre des choses. Mon père ne vaut rien, c’est un imbécile, un salaud... » Évidemment, la jeune fille respecta sa parole donnée, puisque son amant avait bien payé le prix qu’elle avait exigé. Elle y passa la nuit comme le souhaitait son amant. Le père espion, qui avait tout entendu avec indignation et ahurissement, se retira sur la pointe des pieds avec cette belle moisson de preuves devant lui permettre de se moquer de son fils qui passa à ses yeux pour un obsédé sexuel. 728


Le lendemain, tout juste à l’heure du repas familial qui se prend toujours en groupe - les hommes d’un côté avec ou sans les adolescents, de l’autre côté les femmes - le père sanguwan voulut mettre son fils en situation inconfortable voire gênante. Il déclara de vive voix, sans nommer l’intéressé qui devait évidemment se reconnaître: « Haa! Dununya bara tinyè, bi kanbelen dòlu tè se ka sunkurun sòrò fo alu ye ayi fa nanin. Munde dankatòya ye wo di, kabako ye. » Ce qui se traduit par: « Ah! Le monde est devenu bizarre, certains jeunes gens d’aujourd’hui sont incapables d’avoir une femme sauf s’ils insultent leur père. Quelle malédiction! » À ces mots, le fils qui comprit qu’il était tombé dans le piège de son père sanguwan qui s’adressait bien à lui. Un adage mandingue dit: « Mòò di fili i ni kini ma, wa i tè fili i ni kuma ma. » Ce qui signifie: « Une personne peut ne pas reconnaître son plat de riz tous les jours, quand surtout on change la calebasse ou les assiettes dans lesquelles on lui sert habituellement son plat et où elle mange habituellement, mais elle reconnaît toujours une parole adressée à elle, même indirectement. » Donc le jeune comprit que parmi les convives, son père ne s’adressait qu’à lui. Ainsi donc, il eut honte et se retira sans manger. Par excès de sarcasme ou par cynisme, le père brandissait à chaque repas ces pamphlets contre son fils. Mais l’état d’amaigrissement et déprimant du jeune homme frappa et inquiéta sérieusement une de ses jeunes marâtres (n na dòòni) à qui il finit par se confier sur l’insistance de celle-ci. Alors, cette marâtre résolut de mettre fin au calvaire que son fils ne pouvait plus supporter. Elle lui demanda d’épier ses conversations intimes avec son mari - le père de l’infortuné amoureux - quand son tour arrivera de dormir avec ce sanguwan. Le jour J, le jeune homme fut averti par sa jeune marâtre. Il vint à l’heure indiquée se poster derrière la case paternelle. Il se blottit dans l’obscurité et coupa le souffle pour éviter tout soupçon. Il tendit attentivement les oreilles pour que rien ne lui échappe de tout ce que dira son père. Cette nuit-là, le mari voulut absolument avoir des relations sexuelles avec sa jeune et charmante épouse. Mais celle-ci refusa de se livrer à lui, prétextant qu’elle n’était pas disposée à faire l’amour cette nuit-là. Et le mari excité voulut forcer, mais en vain. Puis il commença à la prier. Le refus était toujours catégorique. Il était à bout d’arguments et de force quand sa femme lui déclara: « Ni i b’a fè n ye n la i fè bi, fo i ye bakòròni-muso-nyini-kan naden (nadali). » Ce qui se traduit par: « Aujourd’hui je ne céderai que quand tu imiteras parfaitement bien les gestes et voix du bouc courtisant la chèvre. » Et le mari tout exténué répondit: « I ye wo dòròn ne fè? » Ce qui signifie: « Qu’à cela ne tienne; c’est tout ce que tu exiges comme prix à payer pour me donner satisfaction? » « Oui! » lui répondit sa bien-aimée épouse. 729


Ce qu’il fit aussitôt et si bien en disant et en faisant: « Nbèè! Nbèè! Pu! Pu! Pu! Nbèè! Pu! Pu! Pu!... » La femme se plaignit qu’elle n’entendait rien. Et le mari reprit l’imitation du bouc en amplifiant sa voix accompagnée bien sûr des gestes du bouc. En tout cas, le tour fut bien joué. Oui! Drôle de scène. Mais le fils s’empêcha, très difficilement d’ailleurs, de rire. Il se retira, lui aussi, sur la pointe des pieds. Et le père fut satisfait, car il avait bien payé le prix exigé pour avoir son plaisir. En tout cas le jeu était très bien joué. Le bouffon était bel et bien tombé dans le piège. Le lendemain, comme d’habitude, le père reprit encore ses sarcasmes en direction de son fils. Suffisamment armé, celui-ci répliqua audacieusement en ces termes: « Dununya bara tinyè, a fo ko ni i ma bakòròni-muso-nyini-kan nadali, i tè furumuso sòrò. Ala la ne kòni tè sòn wo ma... » Ce qui se traduit par: « Le monde est gâté et bizarre; moi je n’admettrai jamais d’imiter le bouc pour pouvoir avoir des relations sexuelles avec ma propre femme. Où est donc l’avantage du mariage légal. C’est vraiment honteux et avilissant… » Le père sut dès lors que sa femme l’avait manipulé et livré à son fils. Néanmoins, pris au dépourvu, il répliqua en ces termes: « I kan bè dyòn de ma? Ile dakanden! Ka a fara bi la, i kana n ta fò, n kana i ta fò... » Ce qui se traduit par: « À qui t’adresses-tu? Maudit, imbécile? À partir d’aujourd’hui n’évoque plus ma mésaventure et je ne ferai plus allusion à la tienne... » Évidemment le fils, tout satisfait d’avoir atteint son objectif, répondit ironiquement: « Wa, n fa, n kan tè ile ma! » C’est-à-dire: « Mais papa, je ne parle pas de toi! L’anecdote ne te concerne nullement pas. » Ce fut donc un match nul bien équitable. Depuis ce jour, les souffrances de l’infortuné jeune fils prirent fin grâce à cette mise en scène bien réussie ou à ce tour bien joué par sa jeune marâtre qui réussit à ridiculiser, sans violence, son propre mari, dans son propre lit conjugal. On voit donc que l’homme, même très puissant ou nanti, est parfois mis en parfaite position de faiblesse ou est vulnérable quand il est en intimité avec une femme qu’il aime. En ces instants précis, la femme peut manipuler l’homme, son partenaire sexuel, et obtenir de lui d’importantes informations ou le faire fléchir sur une décision importante. C’est pourquoi on dit qu’en période de guerre la femme est dangereuse et efficace comme agent de renseignements. Elle peut infiltrer la hiérarchie militaire ou le Haut Commandement des opérations et obtenir des secrets de première importance et causer la défaite de l’armée ennemie. Cette anecdote prouve que la marâtre n’est pas toujours la méchante femme que l’on croit. En raison de sa gentillesse, de sa générosité, on lui offre, dans certaines familles, la garde et l’éducation totale d’un enfant d’une de ses 730


coépouses, surtout quand elle n’en a pas fait. Parfois aussi certaines femmes ne font que des filles ou que des garçons. Dans l’un ou l’autre cas, le mari, en accord avec toute la famille, compense le manque à gagner en leur donnant un enfant du sexe qui leur fait défaut. Généralement le choix se porte sur l’enfant qu’elle a su attirer vers elle par un témoignage de réelle affection maternelle compensée par un attachement profond de celui-ci à elle. Elle se substitut entièrement à la mère véritable de l’enfant dont elle a la tutelle. Celui-ci lui confie tout et la recueille pendant ses vieux jours. W) - LES FONDEMENTS INTANGIBLES DE L’ÉDUCATION TRADITIONNELLE MANDINGUE L’éducation traditionnelle malinké est très exigeante, contraignante voire oppressive. Elle est fondée sur le respect absolu et la soumission totale du cadet à l’aîné. En voici quelques principes intangibles: 1) - Le respect absolu et permanent du cadet envers tous les aînés. C’est le respect dû à l’âge. Le culte du vieux est le meilleur signe de la bonne éducation d’un adolescent. Celui-ci tire d’ailleurs la « baraka », des bénédictions du vieux ou de l’aîné, clef de la réussite dans la vie. On ne conteste donc pas la décision de l’aînée, surtout s’il est vieux. 2) - Interdiction à tout cadet d’insulter un aîné. Toutefois, dérogation est faite au cas où l’aîné insulte les parents d’un cadet. Les injures de parents constituent une offense qui est un interdit social. Les parents sont vénérés et on ne permet à personne de les souiller. Tout affront dans ce sens n’est aucunement toléré et entraîne la riposte légitime et illimitée du cadet. Dans ce cas d’affront il lui est permis de relever ce défi qui déshonore sa famille. « Fa dyènbèli ani na dyènbèli dyulu tè donna Manden kònò » (= Au Mandingue, les injures de parents [père et mère] sont une dette qui doit être remboursée avec promptitude et sans conséquence, donc sans la moindre réprimande de la part de la société qui trouve normale et digne la réaction de l’adolescent ou de la personne offensée par ce genre de propos obscène.) 3) - Obligation de faire des commissions pour l’aîné. Tout cadet est obligé de faire les commissions de ses aînés et de se soumettre à leurs ordres. 4) - Tout cadet est obligé de prendre les bagages ou le colis d’un aîné, quand ils cheminent ensemble, et surtout quand lui-même n’en porte pas de pesant ou de volumineux qui l’empêche d’offrir ses services. 5) - Il est interdit aux enfants de se laver les mains avant leurs aînés pour manger dans le même plat. Ce service de propreté se fait à tour de rôle: du plus âgé au plus jeune convive. Mais par contre après le repas, aucun ordre n’est imposé. On se lave les mains au fur et à mesure qu’on est rassasié. Par contre le besoin de boire est satisfait tout au long du repas, chaque fois qu’il se manifeste. Là, pas d’ordre! Tout le monde boit dans un seul et même gobelet. 731


6) - Les enfants sont obligés de tenir avec la main gauche la cuvette dans laquelle ils mangent, quand surtout ils ont pour convives des aînés. C’est le benjamin des convives qui doit curer le fond du plat quand il continue de manger jusqu’aux derniers grains. Ensuite c’est le plus jeune des convives qui doit ramasser les bols pour les rendre aux cuisinières. 7) - Il est formellement interdit aux enfants de se servir en viande pendant qu’ils mangent dans un même plat avec des aînés et surtout quand certains convives sont des vieux. C’est seulement à la fin du repas qu’on leur distribue parfois des miettes, notamment des os peu charnus. On dit que l’enfant doit plutôt se préoccuper de remplir son ventre que de se gaver de viande ou de mets délicieux. Devenu majeur ou vieux, l’enfant brime à son tour ses cadets de la même manière qu’il a subie jadis. 8) - Il est absolument interdit aux enfants de parler autour du plat qui se prend toujours en commun, surtout quand ils mangent avec des vieux. Ce privilège n’est réservé qu’aux aînés. Même si tous les convives sont des adolescents, ce privilège revient aux aînés du groupe. 9) - Il est formellement interdit à un cadet d’insulter ou de frapper un aîné, même s’il est physiquement plus fort que celui-ci. Bien au contraire, il peut être insulté par ses aînés sans justification et sans qu’il n’ait le droit de rendre la monnaie. Le seul prétexte ou la dérogation qui l’autorise à réagir est quand il se trouve en situation de légitime défense c’est-à-dire quand l’aîné le brutalise au point de le blesser. Dans ce cas, sa riposte est légitime et sans limite. Devant le conseil des sages l’aîné en cause est publiquement blâmé pour avoir abusé de son droit et de sa force. En cas de blessure grave, la famille de l’aîné agresseur paye à sa victime des dommages et intérêts symboliques suivant l’exigence des parents de celle-ci. D’une manière générale, le cadet n’a jamais raison sur son aîné. Cette attitude de la société fait du cadet l’éternel brimé de l’aîné. On l’oblige à se résigner, à se soumettre à l’aîné. Il ne peut que ruminer ses sentiments de frustration et d’injustice. 10) - Les injures de parents sont formellement interdites de part et d’autre. Cet anathème frappe tous les âges, tous les sexes... sans distinction de rang social. Les chefs et les nantis n’en ont pas le droit. Les injures de parents entraînent toujours des conflits violents qui opposent des individus, des familles, des clans, des villages entre eux. Le prestige et l’honneur de la famille contraignent toute personne digne de relever un tel défi. Jadis, certaines guerres tribales ont eu pour cause des injures de parents. Il faut donc modérer le langage dans les altercations. 11) - L’obéissance au chef est un devoir rigoureux, une obligation. Aussi, le chargé de mission du chef est tout aussi respecté que son mandant. Toute offense faite à lui implique le chef et entraîne toujours de sévères sanctions de la part de celui-ci. Ce conformisme prédispose chaque individu à respecter tout ordre social établi, toutes les autorités, toutes les hiérarchies 732


corporatives. Dans ces derniers cas, peu importe l’âge. C’est la maîtrise du métier, la durée de l’apprentissage ou l’expérience qui prévalent. 12) - L’adolescent ne doit pas demander directement à son père, à un grand chef, ou à une vieille personne un service ou une faveur d’une certaine importance. Ses doléances doivent toujours être présentées par une tierce personne. Évidemment ce déficit de dialogue direct ou cette contrainte oblige l’enfant à se replier sur lui-même. Cependant le dialogue direct est plus constructif et libère plus le sujet. Les parents doivent se mettre directement à l’écoute de leurs enfants qui doivent oser les aborder pour discuter avec eux de leurs problèmes, de leurs préoccupations. Pour la réalisation certaine d’un vœu cher - par exemple celui d’épouser une femme de son choix - pour se repentir d’une grave faute, pour assurer la réussite de ses démarches, la règle veut qu’il doit toujours solliciter l’intercession d’un ami (kanunyòòn = terityè), d’un camarade d’âge (sèrèden) de son père, du doyen du clan et parfois - selon la situation - celle d’un allié (sanankun), de ses propres oncles et tantes et ceux de son père qui peuvent exercer une pression morale sur celui-ci afin qu’il puisse accéder au désir de son enfant. Aussi, les marâtres du père peuvent faire fléchir celui-ci. Ces intermédiaires peuvent trouver les mots qu’il faut ou la forme appropriée dans la formulation du désir. 13) - Un adolescent doit obligatoirement céder le passage à un aîné qu’il rencontre dans un couloir rétréci ou partout où deux personnes ne peuvent se dépasser sans se gêner. 14) - Il est interdit à un adolescent convié à une réunion de parler sans l’autorisation préalable du président de séance. Il doit dire son point de vue ou donner une information très poliment, sans indisposer les aînés ou son auditoire. Tout langage désobligeant de sa part l’expose à des sanctions corporelles immédiates. Donc qu’il sache se tenir correctement et éviter de manifester son mécontentement ou sa désapprobation (ségrégation). L’éducation de l’enfant dans la société traditionnelle mandingue était collégiale, donc l’affaire de tous. Ce qui n’est pas le cas en Europe ou dans les autres sociétés dites modernes ou civilisées qui, par contagion ou par snobisme, sont en train de se substituer progressivement à nos us et coutumes. En effet, chez nous, au village, en matière d’éducation, l’enfant est très tôt pris en charge à tout moment et en tous lieux aussi bien par ses parents que par l’ensemble de la collectivité villageoise. Mais en dépit de cette emprise quasi-totale de la société sur l’enfant, on enregistre des cas, certes rares, de délinquance notoire. Dans ces cas d’enfants têtus, désobéissants, difficiles à canaliser voire outrageants et agressifs, on ne s’en prend qu’aux parents qui sont tenus pour seuls et uniques responsables de son éducation ratée. La mère endosse singulièrement, souvent à tort, l’essentiel de la responsabilité de cet échec qui est en réalité collectif et imputable à toute la famille. En effet, dans nos sociétés traditionnelles, la mauvaise ou la bonne conduite d’un enfant dépend de l’efficacité de son éducation de base, celle acquise dans son milieu familial. 733


L’influence de la mère est en effet plus directe et plus déterminante sur l’enfant en raison de la permanence de son contact avec celle-ci par rapport à la fréquence de ses contacts avec son père: « Dentyè nyala, dentyè tinyèla, i ye i na le bolo. » (= La réussite ou l’échec d’un enfant dans la vie dépend de la moralité et de la docilité de sa mère dans son foyer conjugal.) Cette autre assertion contraint la mère à la soumission totale, à son mari et à une résignation absolue devant son sort, si triste soit-il, afin de mettre ses enfants à l’abri des multiples déboires de la vie: « Muso-nyani-tyèla-den tè tola kò. » (= L’enfant d’une épouse fidèle, soumise, résignée, laborieuse, généreuse, serviable... n’échoue jamais dans la conquête du bonheur matériel et moral.) Pour corroborer ce souci de soumission de la femme on renchérit dans certains milieux: « Ni den nyala a di kè dununya bèè den di, wa ni a tinyèla, a di kè a fa ani a na ta di. » (= Quand en enfant est comblé matériellement et moralement et qu’il est utile à tous, tout le monde l’adopte. Mais s’il devient un voleur, un drogueur, un ivrogne, un bandit, bref un raté, on le rejette dans les bras de ses parents qui sont rendus entièrement responsables, souvent à tort ou à raison, de son échec ou de sa délinquance.) Ces préjugés sociaux accordent peu de crédit au mérite et à l’effort personnels de l’individu dans la conquête et l’appréciation et la conservation de sa bonne situation sociale, matérielle et morale dont il est l’unique artisan inlassable. C’est plutôt la moralité de la mère qui pèse plus dans la balance et qui détermine la condition sociale et matérielle de chacun. L’enfant, dans sa tendre jeunesse, est confiné dans son cercle familial, relativement restreint. Ce petit monde joue un rôle de premier plan dans son éducation de base. On sait que le but du mariage est essentiellement la procréation. C’est l’enfant qui doit assurer la pérennité de la famille. C’est bien pour cette raison que les parents se déploient constamment à le modeler suivant un idéal de grandeur conforme aux exigences de l’environnement social dans lequel ils vivent. Il reçoit donc dans sa famille les éléments de base de son éducation. L’efficacité ou l’harmonie de ce premier milieu éducateur suppose des parents conscients, exigeants et autoritaires, parfaitement informés et formés pour remplir avec une certaine rigueur et ferme autorité le rôle de premier censeur moral de l’enfant. Donc, pour ne pas rater l’intégration sociale de l’enfant, son environnement familial doit être sain, équilibré et autoritaire. En effet, du fait que l’enfant a toujours tendance à s’identifier à ses parents, ceux-ci doivent être d’une moralité irréprochable afin de ne pas voir façonner à leur noble image une progéniture décadente voire marginale. L’enfant trouve normaux et bons tous les comportements de ses parents, du moins dans sa tendre adolescence. Ainsi, un enfant de parents ivrognes est évidemment enclin à 734


l’alcoolisme. Un enfant élevé dans un tel milieu affiche presque toujours un net mépris pour l’anathème qui frappe ce vice ou ce fléau dégradant parce que les siens en ont fait une prédilection. Il reste donc entendu qu’une famille bonne ou mauvaise se reconnaît généralement à travers les comportements de ses membres dans leurs rapports sociaux quotidiens. C’est dans la famille que l’enfant apprend à aimer, à respecter d’abord ses frères et sœurs, ses cousins et cousines, ses neveux et nièces aînés, ses oncles et tantes puis les alliés de la famille et les autres. Dès son jeune âge, on l’oblige à se soumettre aux ordres des aînés, à se conformer à tout ordre social établi, à s’incliner devant les interdits, les obligations à respecter, les us et coutumes. Cette attitude qu’on lui impose dans son berceau est extrapolée dès qu’il sort de son cadre familial habituel qui doit être un échantillon harmonieux et idéal de la société. Dans la société traditionnelle, chaque membres de la communauté avait le droit et le devoir, sans la moindre désapprobation des parents, de corriger ou de réprimander tout enfant qui fait fi des règles élémentaires de la bonne conduite. Par modestie, il peut volontairement doser la sanction; en tous cas celle-ci doit être instantanée, exemplaire et sans appel. Dans les cas d’impolitesse caractérisée, les parents du délinquant administrent en plus à celui-ci des coups supplémentaires, tout en remerciant ce censeur, co-éducateur vigilant qui s’est substitué à eux pour sévir contre leur enfant dévoyé. Devant cette collaboration étroite efficace, vigilante et permanente des parents et de la communauté villageoise, l’enfant est obligé de respecter, d’être sérieux, d’aimer et de se soumettre, même en dehors de son cadre familial. Il ne peut échapper à ce contrôle omniprésent qui ne faillit jamais. Donc l’éducation de l’enfant est collégiale. Mais de nos jours, il faut déplorer la disparition de cette conjugaison des efforts des parents et de la société dans l’éducation permanente des enfants. Cette collaboration a quasiment disparu dans nos centres urbains où, en dehors des parents, personne n’ose réprimander ou sanctionner un enfant qui fait preuve d’indélicatesse, d’indiscipline notoire ou qui commet un délit majeur qui nécessite l’intervention de la police ou de la justice. Dans certains milieux modernes extrémistes ou complaisants, certains censeurs extra familiaux font l’objet de plaintes à la police et de poursuite judiciaires pour avoir osé frapper un enfant indélicat. C’est souvent la mésaventure que connaissent aujourd’hui certains maîtres d’école qui font usage de la chicote pour mettre à l’ordre un élève paresseux ou indélicat. La majorité des parents actuels ont totalement démissionné devant leurs responsabilités en matière d’éducation suivie. Beaucoup d’enfants sont abandonnés à eux-mêmes. On est de plus en plus complaisant avec eux. On ne surveille plus avec rigueur leurs fréquentations. Pis, on se soumet facilement à tous leurs caprices sous prétexte que les temps ont changé. Dans certaines familles complaisantes ou sans autorité, les enfants ont très tôt accès à l’argent (argent de poche), au luxe 735


parfois insolent. La volonté de paraître fascine de nos jours beaucoup de jeunes. Il y en a même qui exigent ces privilèges comme un droit inaliénable auquel la situation matérielle et sociale de leurs parents leur permet d’accéder. Tout refus ou toute incapacité justifiée de la famille de satisfaire leurs exigences matérielle entraîne un conflit avec eux et souvent leur rébellion. Ce goût trop prononcé pour l’argent et le matériel les expose à la facilité, à toutes les tentations. Certains parents complices les encouragent, souvent inconsciemment, dans cette voie de perdition. Malheureusement, ils en prennent conscience souvent tard, car l’enfant a déjà acquis son caractère de contestataire et d’insoumis à ses parents ou à toute autorité et par ricochet à toute la société. Un enfant d’une telle éducation a tendance à imposer ses opinions ou options qui ne sont pas toujours viables. Parfois, en cas de moindre remontrance ou de refus de ses parents d’accéder à son désir, il se révolte contre la volonté d’affirmation de l’autorité parentale qu’il a l’habitude de braver et de bafouer impunément. Poussés par cet esprit d’indépendance, certains délinquants désertent purement et simplement leur famille parce qu’on a osé leur reprocher tel ou tel comportement répréhensible, incompatible à l’harmonie de la famille et de la société. Se disant majeurs, ils optent pour la liberté et pour l’aventure. Dans cet élan de liberté incontrôlée et d’affirmation de leur personnalité, ils se pervertissent et deviennent la proie facile de la drogue, de l’alcool, du banditisme qui n’excluent pas la prédilection pour la criminalité. Solution de facilité oblige. Cette détérioration inquiétante de l’éthique traditionnelle est certes le résultat négatif des nombreuses mutations incontrôlées que subit notre société depuis son contact avec la civilisation occidentale à laquelle elle emprunte abusivement. Aussi, l’instauration de l’économie monétaire nous incite à l’égoïsme, à l’individualisme et au renoncement à nos vertus et spécificités culturelles. Ce comportement qui se généralise est devenu un véritable scandale culturel préoccupant qu’il faut dénoncer et prendre dès à présent des mesures de redressement. Dans la perspective de cette prise de conscience urgente on doit recenser toutes les vertus et les méthodes de l’éducation traditionnelle omniprésente qui oblige l’ensemble de la société à prendre indifféremment en charge l’ensemble des enfants de la communauté villageoise et même les adultes. Il est même souhaitable de soutenir cette éducation traditionnelle par un enseignement pédagogique dynamique et permanent qui puisse suivre alors chaque individu tout au long de son enfance et de son adolescence. En effet, même les adultes n’échappent pas à l’encadrement permanent de la société. À Damaro est planté un tronc d’arbre sec au milieu de la cour du patriarche Fata Kéoulèn Camara dit Diomani Kéoulèn, un tronc d’arbre sec séculaire précisément entre cette case devenue musée abritant les vestiges des ancêtres et la salle de réunion et des fêtes de Damaro. Ce tronc, qui avait 123 ans en 2017 (1894-2017) est appelé: « Hòròn koron siri kòròma », c’est-à- dire: « L’arbre sur lequel on attache tous les délinquants, sans limitation d’âge, sans 736


distinction de sexe et de condition sociale, célibataires ou mariés, jeunes ou vieux, car personne n’est au-dessus de la loi. On vous attache sur ce tronc sec séculaire parfois de 8 heures à 14 heures sur décision du conseil de discipline du village ou parfois à la demande des jeunes du village, et surtout quand le délinquant tient un langage d’arrogance à l’endroit de la collectivité, en dépit de sa faute ou de ses errements négatifs répréhensibles… On vous attache sur ce tronc d’arbre quand vous êtes coupable: - d’injures grossières et d’agression à l’endroit de vos propres parents (père, mère, oncle, tante), - de refus de participer à un travail d’intérêt collectif ordonné par le sotii kèmòò, le conseil des sages ou par votre sèrè, - quand vous êtes l’auteur d’une grossesse d’une mineure ou d’une fille fiancée, - quand vous êtes pris en flagrant délits d’adultère, - quand vous êtes coupable de coups et blessures au cours d’une bagarre où vous avez tort... En plus de votre immobilisation pendant des heures, on vous administre des coups de fouet dont le nombre est en rapport avec la nature et l’importance du délit commis. Le paiement d’une amende n’est pas exclu . Ce tronc d’arbre sec qui se dresse encore fièrement devant la case du patriarche Fata Kéoulèn Camara est un justicier permanent qui dissuade les délinquants. Avec l’âge et l’usure du temps et des intempéries, il est remplacé chaque fois qu’il tombe. Dans son rôle de dissuasion, il peut recevoir les délinquants de toutes les origines, sans distinctions d’âges, de rang social (adultes, jeunes mariés, célibataire, riches, pauvres... » Parfois le délinquant est sévèrement ligoté, debout et sur tout le long de son corps, sur ce tronc plusieurs fois séculaire planté au beau milieu de la cour, par les membres de son sèrè, ou par le conseil de discipline des jeunes du village et sur instructions fermes du sotii kèmòò (doyen, patriarche) et avec l’approbation du conseil des sages. Tout le monde convient de punir sévèrement le cas en question afin qu’il ne serve de mauvais précédent. Le supplice peut durer de 8 heures à 14 heures, ou au-delà. Ici l’application du code coutumier est rigoureuse, sans complaisance. Ce châtiment corporel humiliant et exemplaire est non seulement correctif, mais surtout dissuasif, ne pend fin que si les parents du délinquant présentent publiquement leurs excuses à la victime et à la famille de celle-ci, et par ricochet à toute la collectivité villageoise, garantissent en plus le bon comportement futur de celui-ci et s’engagent, avant qu’il ne soit détaché, à payer, séance tenante, une forte amende réparatrice propositionnelle à la gravité de la faute commise (une somme d’argent, un mouton parfois un bœuf), ou si le délinquant s’engage publiquement à ne pas récidiver et à se repentir.

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« Hòròn koron siri kòròma » de Damaro. Il est rongé par les termites et les intempéries, mais toujours apte à recevoir et à punir les délinquants. En dépit de son état vieillissant actuel, il se dresse encore fièrement. Pour ce faire, il va falloir envisager son remplacement, comme par le passé, par un autre tronc plus frais et plus solide si on veut bien perpétuer le rôle que la tradition lui assigne. En tout cas il est très dissuasif. Par crainte de son châtiment, chaque citoyen ou ressortissant de Damaro doit éviter d’enfreindre aux lois et aux règlements qui régissent le village (photographié le 12 novembre 2018 par Ansoumane Damaro Camara dit « Zico »).

Toutefois, sa pénitence certes inconfortable et humiliante peut être assouplie ou interrompue suite à l’intercession d’un étranger en séjour dans le village qu’on doit respecter, ou d’un sanankun, car on ne doit rien refuser à ces deux catégories de personnes. En effet, l’étranger étant considéré comme un don de Dieu, et le sanankun étant lui aussi un allié qui intervient toujours au nom du serment sacré et inviolable conclu par les ancêtres, méritent tous les deux respect et considération. Par conséquent, on ne doit rien leur refuser. On doit respecter (bunyè) l’étranger et le sanankun auxquels on ne doit rien refuser, car ils agissent, l’un au nom de Dieu, et l’autre au nom du serment d’allégeance des ancêtres. Parfois les tantes du délinquant peuvent s’impliquer massivement avec succès en sa faveur. Le conseil de discipline peut les écouter et ordonner sa libération assortie de paiement d’amende et de promesse de repentance du délinquant. Qu’on sache que la méthode courante de l’éducation traditionnelle est l’utilisation de la chicote. Tout individu de la société peut être soumis à la correction corporelle par ses aînés ou par le conseil des sages, quels que soient son âge, sa condition sociale, l’importance de ses moyens matériels... D’ailleurs, 738


dans ce dernier cas, on peut penser que c’est en raison sa richesse que l’intéressé nargue la société et se croit supérieur aux autres. Ce qui peut aggraver son cas. Les cas: ● - d’indiscipline notoire à l’endroit de ses propres parents, ou des personnes âgées, ● - de violence verbale ou physique sur un aîné, notamment l’arrogance à l’endroit d’une vieille personne, ● - de désobéissance de ses propres parents (coups et blessures), ● - de refus de participer à un travail d’intérêt collectif, ● - d’adultère flagrant, surtout les cas d’incestes, ● - de vol avec coups et blessures sur la victime. Le fouet est un instrument très dissuasif et efficace en matière d’éducation. Selon la gravité du délit, les peines varient de dix coups de fouet à cent. Pour recevoir cette sanction, le délinquant se couchait à plat ventre ou alors on le tendait par quatre gaillards. On ignorait la peine d’emprisonnement (ka a bila fara la = ka a ladon fara la) pour la petite délinquance. Cette dernière sanction (la prison) est une pratique occidentale. À un moment donné, l’enfant n’a peur que du châtiment corporel et est peu sensible aux conseils. La correction corporelle est une méthode instantanée efficace et constitue un sérieux avertissement pour tous les éventuels délinquants et récidivistes. Cette méthode est sans doute désapprouvée par les psychologues et éducateurs occidentaux. Il faut certes d’abord gronder, blâmer ou conseiller l’enfant en faute. Mais si cette démarche échoue, la cravache le met vite au pas. Mais malheureusement le constat indéniable de sa disparition dans l’éducation quotidienne et le manque de collaboration permanente entre les censeurs extérieurs et la famille expliquent en grande partie la désintégration de la cellule familiale et de la société traditionnelle toute entière. En effet, aujourd’hui, l’enfant peut être docile et correct à la maison et être indiscipliné en dehors de son cadre familial parce que le censeur extérieur qu’il peut rencontrer dans la société a présentement disparu. De nos jours, certains parents défaillants se rabattent maladroitement sur le maître d’école pour corriger le tir raté par eux. Souvent ils regrettent leur complaisance coupable dans l’éducation de leurs enfants qui ratent leur intégration sociale en devenant des éléments marginaux qui passent une bonne partie de leur vie - si ce n’est la totalité de leur adolescence - entre les commissariats, la justice et la prison. Pour éviter de tels désagréments, les parents doivent être responsables et même rigoureux dans l’éducation de leurs enfants. Aussi, ils doivent accepter l’intervention omniprésente et le rôle de coéducateurs des autres censeurs de conscience de la société. Il faut donc que les enfants soient suivis, conseillés, blâmés et corrigés en dehors du berceau familial par d’autres censeurs. Grâce à cette collaboration ou collégialité permanente entre parents et société, on pourra donner une base solide à l’éducation de base et réduire le nombre d’enfants délinquants. 739


X) - RAPPORTS ENFANT-PARENTS: LE RÔLE PRÉPONDERANT DE LA MÈRE ET LES DIFFICILES RELATIONS DE L’ENFANT AVEC SON PÈRE Il n’est pas superflu de cerner la vie de l’enfant, étape par étape, dans le milieu traditionnel mandingue tout en mettant l’accent sur le rôle des différents censeurs de conscience chargés de modeler les caractères de l’enfant suivant un idéal de vertus et de grandeur morale. Contrairement à l’Europe et aux sociétés modernes dites civilisées qu’elle a engendrées, chez nous, en Afrique, l’éducation de l’enfant est collégiale, donc l’affaire de tout le monde. En effet, ici, l’enfant ou l’individu est, à tout moment de sa vie, pris en charge par toute la collectivité villageoise. Mais en dépit de cette intervention omniprésente de la société, il y a souvent des cas, certes rares, d’enfants têtus ou impossibles qui échappent à l’emprise de l’autorité parentale et aux exigences de leur environnement social. Dans la société traditionnelle mandingue, on rend très souvent, à tort, la mère responsable de tout ce que l’enfant fait, tant en bien qu’en mal. Dans le cas d’une éducation ratée, la société rend les parents entièrement responsables de cet échec, singulièrement la mère, « du fait de la mauvaise conduite » de celle-ci dans son foyer. Donc une bonne éducation dépend à priori de l’efficacité de la rigueur de celle reçue par l’enfant à la base, dans sa famille. L’enfant, dans sa tendre jeunesse, est certes confiné dans un cercle familial relativement restreint qui se ramène essentiellement à celui de sa mère. C’est en raison de l’affinité ou de l’affection particulière qui lie l’enfant à sa mère qu’on rend, très souvent à tort, la mère l’unique responsable des actes de l’enfant, même quand il est majeur. Ce petit monde joue certes un rôle de premier plan dans son éducation de base. C’est pourquoi on incrimine ou on loue la mère dans l’échec ou dans la réussite matérielle d’un enfant. Ce préjuge n’église donc totalement le mérite et l’effort personnels d’un individu dans la conquête du bonheur ou dans la réalisation de ses aspirations et projets. On tend à faire des résultats de son éducation l’affaire exclusive de sa seule mère. N’estce pas là un mauvais jugement et une injustice de la société? Ce jugement erroné est constamment exprimé dans cette réflexion: « Dentyè nyala, dentyè tinyèla, i ye i na le bolo. » C’est-à-dire que: « La réussite facile et éclatante ou l’échec d’un enfant dans la vie dépend uniquement de la bonne moralité de sa mère, surtout envers son mari. » Donc l’enfant d’une épouse fidèle, laborieuse, serviable, généreuse, soumise à son mari n’échoue jamais dans la vie. On dit aussi: « Muso-nyani-tyèla-den tè tola kò. » Ce qui signifie: « Que la conquête facile et rapide du bonheur matériel et moral d’un enfant dépend exclusivement du degré de soumission de sa mère à son père biologique. »

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Pour corroborer cette assertion sur le rôle prépondérant des parents dans l’éducation, certains renchérissent: « Ni den nyala a di kè dununya bèè den di, wa ni a tinyèla a di kè a fa ani a na dòròn ta di. » Ce qui se traduit par: « Quand un enfant est comblé matériellement et moralement et qu’il est utile à tous, tout le monde l’adopte. Mais s’il devient délinquant (den kolobali), voleur, drogueur, ivrogne, bandit... on le rejette et il devient la propriété ou la chose exclusive de ses parents qui sont responsables à tort ou à raison de son état. » Aussi, on entend souvent dire, à propos d’un enfant nanti: « Wo tèrè di kè a nyè. A na sèèla a fa nyè... A na ka a fa sutura... » Ce qui se traduit par: « Cet enfant mérite de réussir matériellement dans la vie, car sa maman s’est trop investie pour son père qu’elle n’a cessé de respecter, de servir docilement, d’aimer, de protéger... Elle est ou a été une épouse exemplaire, un modèle à suivre. Son enfant ne peut pas échouer dans la vie... » Cependant, malgré la fermeté de l’autorité des parents, certains enfants sont des têtes brûlées, des irréductibles. Donc un enfant qui échoue dans la vie ne doit s’en prendre qu’à sa seule mère à qui il doit demander des comptes, car c’est elle qui est l’unique responsable de sa situation. On a souvent rabroué ou réprimandé les enfants turbulents, incorrects ou indisciplinés en ces termes: « I bò yèn, ile muso-koron-den. » Ce se traduit par: « Fiche le camp, espèce d’enfant engendré par une mauvaise mère. » On sait que le but du mariage est essentiellement la procréation. C’est l’enfant qui doit assurer la pérennité de la famille et c’est pourquoi celle-ci se déploie constamment à le modeler suivant un idéal de grandeur conforme aux exigences de la société. L’enfant reçoit dans sa famille les éléments de base de son éducation sociale comme le dit Komlan Agbétiafa, Ministre togolais de l’Enseignement, dans sa conférence sur l’éducation en 1984: « La famille est le premier milieu éducateur de l’enfant. Car lorsque les parents sont suffisamment informés, éclairés et conscients de la mission qu’ils ont à assumer et des devoirs qui leur incombent, tout est gagné d’avance… » Donc, pour ne pas rater l’intégration sociale de l’enfant, son environnement familial doit être sain. En effet l’enfant s’identifie facilement à ses parents. Ceux-ci doivent être d’une moralité irréprochable pour ne pas façonner une progéniture marginale. L’enfant trouve normal et bon tous les comportements de ses parents. C’est ainsi que quand ceux-ci sont ivrognes, il s’abonne facilement à ce vice pratiqué par les siens. Pour lui, l’interdit social ou religieux qui frappe ce vice ou cet état n’a aucune valeur dans la mesure où ses parents ont une prédilection pour l’alcool. Dans la vie courante, on reconnaît une bonne ou mauvaise famille à travers les comportements de ses enfants dans les rapports sociaux. C’est donc dans le milieu familial que l’enfant apprend à aimer, à respecter ses frères et sœurs, à se soumettre aux ordres de tout aîné, aux interdits

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et aux obligations. Cette attitude est extrapolée dès qu’il sort du cercle restreint de la famille qui doit avoir à cœur d’être un échantillon de la société idéale. Dans la société traditionnelle, chaque membre de la communauté a le droit et le devoir, sans la moindre désapprobation des parents, de corriger tout enfant qui fait fi des règles élémentaires de la bonne conduite. Par modestie, il peut volontairement doser la sanction; en tout cas celle-ci doit être instantanée, exemplaire et sans appel. Dans nos villages d’antan, les cas d’impolitesse caractérisée étaient collectivement et instantanément sanctionnés par les premiers témoins de l’acte et par toute la société. Chaque personne majeure s’improvisait en censeur pour punir ou redresser le délinquant, sans aucun risque de reproches de la part de ses parents. Mais malheureusement cette éducation collégiale est en train de disparaître dans nos sociétés et l’est quasiment dans nos centres urbains où, en dehors des parents, personne n’ose réprimander ou sanctionner un enfant qui fait preuve d’indiscipline notoire ou qui commet un délit. Certains parents n’hésitent même pas à traîner devant la justice toute personne étrangère qui se substitue à eux dans le domaine de l’éducation de leurs enfants, surtout quand il y a coups ou blessures ou toute autre forme de sévices. Par contre, n’entendons pas actuellement certains parents adresser ces termes, irrévérencieux à certains censeurs extérieurs qui prennent l’initiative de corriger leur enfant délinquants: « Tu n’as pas le droit de frapper mon enfant parce que ce n’est pas toi qui le nourrit, qui le soigne, qui l’habille ou qui paye ses études... » Ce genre de propos démobilise et fait disparaître progressivement le censeur extérieur. Il faut cependant rappeler l’efficacité de cette éducation collégiale des enfants dont les parents félicitaient ou remerciaient le censeur substitut pour son initiative et parfois ajoutaient d’autres sanctions à celles appliquées par ce dernier. Donc l’enfant ne pouvait pas compter sur ses parents pour réprimander la personne qui l’avait corrigé suite à une de ses fautes répréhensibles. Actuellement certains délinquants désertent leur famille parce qu’on leur reproche tel ou tel mauvais comportement, se disant majeurs, ils se pervertissent et deviennent la proie facile de la drogue, de l’alcoolisme, du banditisme sous toutes ses formes, de la criminalité. Nous ne cesserons jamais de louer les vertus de l’éducation omniprésente de tous les enfants par l’ensemble de la collectivité traditionnelle. Les parents d’aujourd’hui ont totalement démissionné devant leurs responsabilités en matière d’éducation suivie. La plupart des enfants sont abandonnés à eux-mêmes. On ne surveille plus, comme par le passé, leurs fréquentations. Pis, on se soumet à toutes leurs caprices sous prétexte que les temps ont changé. Ils ont très tôt accès à l’argent (argent de poche), au luxe. La volonté de paraître qui fascine tous les enfants d’aujourd’hui les expose à la

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facilité, à toutes les tentations. Certains parents complices les encouragent inconsciemment dans cette voie. Malheureusement, ils réagissent à contretemps, car l’enfant a déjà ses caractères. Il impose ses opinions et ses options, pas toujours viables, à ses parents. En cas de refus de la part de ses parents de leur permettre d’accéder à ses désirs, celui-ci n’a souvent d’autre recours que de déserter pour s’engager dans une aventure dont l’issue finale est très souvent la prison. Les enfants doivent certes s’affirmer, mais dans le bon sens. Selon Komlan Agbétiafa: (21) « Hier, les parents avaient un rôle prépondérant dans l’éducation des enfants. Ces jeunes placés dans des situations réelles de la vie et dans le cadre d’une solidarité organisée se sentaient à tout moment pris en charge, non seulement par des parents directs, mais aussi par l’ensemble de la communauté: oncles, tantes, cousines, grands-parents, voisins etc... dont le destin est très lié à leur propre destin. Malheureusement, cet esprit de solidarité des parents a disparu. Aujourd’hui, on assiste à la désintégration de la cellule familiale à cause des nombreuses sollicitations dont les parents sont l’objet. Certains parents pensent que c’est l’école qui doit faire l’éducation de leurs enfants. Mais la majorité des parents pensent qu’en créant des écoles, l’état les a dépossédés de ce droit sacré. Aujourd’hui, l’école ne doit pas être uniquement l’affaire des enseignants et des départements ministériels. Elle concerne aussi les parents et aussi les élèves. Premiers responsables de l’avenir des enfants, les parents ont besoin de comprendre que tout échec scolaire est avant tout un échec de la famille. Deux voies s’ouvrent donc aux parents résolument décidés à assurer la réussite de leurs enfants. La première voie est la participation. Les parents exercent leur droit naturel de co-éducateurs. Cela requiert beaucoup de qualités. L’attitude des parents doit être de réclamer la formation nécessaire à l’efficacité d’une action auprès des enfants et des enseignements, de créer autour de l’école une communauté éducative, pour soutenir la formation morale des élèves, de modifier la relation traditionnelle parents-enseignants, pour lui substituer une véritable coopération famille-école. La seconde voie, qui s’ouvre devant les parents qui désirent apporter une contribution, si modeste soit-elle, dans l’entreprise éducative, est celle de la gestion associative des établissements scolaires. Cette gestion doit se traduire par des activités bien précises et significatives. Militer dans une association des parents des élèves consiste à participer à toutes ses activités.

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- Participer aux commissions d’orientation des élèves pour l’attribution des bourses d’études, du conseil de discipline et aux journées culturelles des établissements. - Accepter des postes pour l’encadrement de certaines activités pré- et post-scolaires. - L’éducation est une œuvre collective qui requiert la participation de tous. » 1) PREMIÈRE PÉRIODE ALLANT DE LA NAISSANCE À L’ÂGE DE SEPT ANS À présent, cernons la vie et l’éducation de l’enfant, étape par étape, dans le milieu traditionnel mandingue. Hampâté Bâ divise la vie de l’adolescent en trois fractions de 7 ans. Soit 3 x 7 = 21 ans. 1) - L’enfant dans sa tendre jeunesse, n’a malheureusement presque pas de contact avec son père. Celui-ci apparaît dans son monde comme un étranger, un tyran, à qui on fait appel pour le ramener à la raison, à l’ordre ou pour lui donner des coups de chicotes. Chaque fois que son père l’appelle, il a peur, croyant que c’est pour le gronder ou le frapper. Il ne sort de sa frayeur que lorsqu’il s’aperçoit que celui-ci l’appelle pour aller faire une commission ou pour lui confier une tâche à accomplir. Il est donc quelque peu frustré de l’affection paternelle à laquelle se substitue une autorité répressive de son père. Nourri exclusivement au lait maternel, l’enfant garde un contact permanent de sa mère qui le porte à califourchon sur son dos pendant deux ou trois ans, âge minimum du sevrage. Il ne quitte presque jamais sa mère qui le cajole, le dorlote, l’adore, le protège et supporte ses caprices. L’on comprend donc pourquoi l’enfant de chez nous nourrit plus d’affection et de piété pour sa mère et semble par moment renier ou rejeter son père. 2) - À l’âge de trois ans, l’enfant connaît des moments particulièrement difficiles. Le sevrage l’éprouve assez profondément. Il commence à perdre les nombreux privilèges dont il jouissait pleinement. En effet, dès qu’une nouvelle grossesse est conçue par sa mère, celle-ci le néglige progressivement malgré ses réactions qui se manifestent par des pleurs prolongés, parfois injustifiés. On commence à mal supporter ses caprices. Très souvent, c’est son père qui intervient de façon brutale en le grondant ou en le frappant pour le mettre au pas ou pour le faire taire. 3) - À la naissance de son frère ou de sa sœur, son monde jusque-là tranquille est perturbé et il perd presque toutes les faveurs. On devient de moins en moins attentif à lui. Il accepte difficilement cette frustration et devient de plus en plus capricieux. Il se réfugie dans des pleurs interminables. Le nouveau-né 744


devient le bijou sacré adoré par tout le monde. On fait dorénavant plus attention à cet intrus, à cet usurpateur. Néanmoins il finit par s’adapter à cette nouvelle situation défavorable et pénible. De temps en temps, et même très fréquemment, son père intervient avec le fouet pour le rappeler à l’ordre et le réduire au silence et à la résignation. Ainsi il perçoit son père comme un bourreau impitoyable. S’il ne peut plus partager le même pagne avec sa mère, il a néanmoins la possibilité de la côtoyer sur le même natte, la suit presque partout dans la cour et dans le village. Pour ces raisons, l’enfant en milieu traditionnel malinké, aime mieux sa mère qui l’affectionne plus que son père qui le terrorise et qui ne fait rien pour le rassurer, réduire le fossé qui les sépare en le ramenant à lui. Parfois le père s’étonne de cette piété filiale aiguë que l’enfant ne cesse de témoigner à sa mère, oubliant la terreur qu’il fait planer sur l’enfant. N’a-t-on pas souvent entendu autrui apeurer un enfant perturbateur, agité ou capricieux en lui criant: « Attention! Tais-toi! Reste tranquille... ton père arrive. » Et, bien souvent, cette menace l’affecte sérieusement, le trouble, le déséquilibre car c’est bien papa qui lui donne impitoyablement de sévères coups. Son père n’intervient dans sa vie que pour le punir ou pour le brimer. En tout cas, il le ménage moins que la maman. C’est bien pourquoi l’enfant de chez nous se confie plus facilement à sa mère dont il accepte les conseils alors qu’il n’ose pas aborder son père pour lui exposer ses problèmes. Ainsi donc, en raison de cette affinité on rend toujours la mère entièrement responsable de la réussite ou des échecs de l’enfant. On tend à faire de son éducation, à tort, une affaire exclusive de la maman. Ce qui s’exprime dans la réflexion suivante par laquelle une mère est conviée à plus de soumission à son mari: « Dentyè nyala, dentyè tinyèla, i ye i na le bolo. » C’est-à-dire que: « L’enfant qui réussit dans ses entreprises est celui dont la mère est ou a été laborieuse, docile et surtout fidèle et soumise à son mari. » Ici, le mérite personnel de l’enfant, ses efforts inlassables, son opiniâtreté, son abnégation, son intelligence et son esprit d’initiative sont négligés et relégués à un plan bien secondaire. Tout cela est pétri dans cette expression de servitude de la mère. « Muso-nyani-tyèla-den tè tola kò. » Ce qui signifie: « L’enfant dont la mère a été soumise à son mari n’échoue jamais dans la vie, dans ses entreprises. » Aussi, un enfant mal éduqué, gâté et impoli dont la vie est inévitablement cousue d’échecs ne doit s’en prendre qu’à sa mère. Parfois pour subir une sanction corporelle, le délinquant se couchait à plat ventre ou alors on le tendait par quatre gaillards. On ignorait la peine d’emprisonnement dans l’éducation de l’enfant. Cette éducation suivie par l’autorité maternelle est donc partielle du fait que l’affection paternelle fait défaut. Le père se dérobe à cette responsabilité. Pour compenser cette carence de l’affection paternelle dont il est frustré, l’enfant s’attache intimement parfois à tout homme qui l’affectionne, le dorlote et en fait le substitut de son père. Dans un conflit opposant ses parents, l’enfant n’hésite 745


pas à prendre implicitement cause et fait pour sa mère qui est, à ses yeux, toujours innocente et victime, comme lui, de l’abus d’autorité du tyran qui est son père. 4) - Vers quatre, cinq ou sept ans, le garçon, qu’on appelle très souvent bilakoro (garçonnet non circoncis), à cette période de sa vie, prend un peu plus de distance pour intégrer le groupe de ses camarades de même âge (sèrèden). Là commence la belle vie. On mange et on s’amuse à sa guise à la maison, au village ou au champ, en brousse où on joue au grimpe dans les arbres, à cachecache..., donc on mène une vie tranquille et insouciante. Mais à cet âge il est envoyé à l’école coranique où, tous les matins il doit se rendre pour apprendre le coran et les principes fondamentaux de l’Islam. Ici commencent les contraintes. Il est soumis à une discipline rigoureuse de la part de son maître et de ses camarades d’école dont les aînés exercent une forte pression sur les nouveaux. 2) LA DEUXIÈME PÉRIODE: DE SEPT À QUATORZE ANS Malheureusement cette belle vie de la première période est très vite perturbée par les services que la famille commence à exiger de l’enfant. Il est progressivement sollicité et intégré au système de production. Les épreuves d’endurance commencent. On lui confie des responsabilités telles que la garde des moutons ou des bœufs qu’il doit conduire toute la journée au pâturage, par monts et par vaux, dans les herbes, exposé aux intempéries et à l’agressivité de la flore et de la faune. Gare à lui si son troupeau erre et cause des dommages dans les champs d’autrui. Le matin, il guide d’abord au champ, les bœufs de labour, puis après les travaux il va les surveiller au pâturage avec les autres animaux. On peut lui confier également la surveillance des champs contre les animaux dévastateurs et les oiseaux maraudeurs. Il tend des pièges pour prendre des animaux et des oiseaux. Il est très tôt considéré comme une véritable force productive dont l’effort doit largement contribuer au bien-être de la famille. Il n’a de temps libre que la nuit ou pendant la saison sèche pour se consacrer aux jeux et aux loisirs. Au village, les clairs de lune étaient des moments agréables pendant lesquels les jeunes de tous les âges et de tout sexe s’ébattaient aux sons du tam-tam ou se livraient à toutes sortes de jeux. Pendant la saison morte ou saison sèche, l’enfant est en répit. Ses journées sont partagées entre les jeux dont surtout celui de la toupie (sèmuru) et les parties de chasse ordinaire (fèrè = fèdè) qui l’amènent soit aux côtés des aînés, soit avec les autres jeunes gens de différents âges pour chasser. Les baignades collectives (nèni) dans les rivières proches du village les rassemblent en grand nombre, dans les après-midis. Les nuits sombres n’attristaient pas pour autant le village. On se retrouvait toujours chez les mentons velus pour écouter les beaux contes, les devinettes, les légendes, les récits historiques sur les gloires des héros d’antan, interpréter les proverbes et les devinettes, en un mot apprendre la sagesse pour être un jour un 746


instructeur informé, un adulte avisé et un vieux précieux, un monument de connaissances, une source intarissable de la culture capable de désaltérer les jeunes de demain, en répondant à toutes leurs questions sur le passé du pays. Aussi certaines nuits sombres de la saison sèche sont passionnément consacrées à la chasse aux flambeaux (bibili) qui mobilise tous les jeunes valides du village. Tel à la retraite aux flambeaux, ils errent dans la savane brûlée, dans les clairières surtout, munis de chicotes, de cannes comme armes. Après des heures de chasse nocturne, chacun vient comptabiliser ses prises à l’entrée du village. Les prises les plus importantes telles que les perdrix et les lapins sont offertes aux vieux le matin. Aussi les plus jeunes porteurs de bottes de paille sèche, suivant pas à pas leurs aînés plus vigoureux, reçoivent leur part de souris. Évidemment, il faut noter que les bagarres et les disputes ne manquent pas au cours de ces parties de chasse nocturnes, car un jeune chasseur rapide peut s’élancer à la poursuite d’un animal (souris, lapin...) ou d’un oiseau (perdrix), l’atteindre ou le toucher sérieusement avec sa chicote ou son bâton. Mais un aîné peut, par abus de force ou d’autorité, lui spolier la prise. Ce qui ne manque pas souvent de provoquer des incidents entre les amis et les frères des deux antagonistes. Le conflit peut être sérieux, car les parents peuvent s’y mêler. Alors les sages du village interviennent promptement pour circonscrire et régler le différend à l’amiable et tout rentre dans l’ordre. Chaque partie est dépassionnée et l’affaire est considérée comme banale. La chasse peut reprendre la nuit suivante, ou les autres nuits noires. Précisons que dans cette partie de chasse nocturne des jeunes, on utilise comme armes que des chicottes, des branchages défeuillés, des bâtons, mais jamais des fusils. Malheureusement, à ces veillées africaines, à ces merveilleuses nuits africaines, nuits de gaieté, nuits de sagesse et d’apprentissage du savoir-faire, du savoir parler... se substituent des nuits de répétitions théâtrales, de danses modernes, de surprises « parties »... Nos villages deviennent fades, fastidieux, indolents, sans vie, sans intérêts à cause des mutations profondes sociales et culturelles qu’ils subissent depuis que les jeunes ont tendance à épouser les mœurs importées. Il en résulte l’exode rural, conséquence de la disparition de ces veillées africaines qui liaient intimement les jeunes gens au terroir ancestral. Aussi, il faut noter la baisse considérable de la production agricole, autre conséquence fâcheuse de l’abandon massif de la campagne par les milliers de jeunes, de forces productives, parce que éblouis par le mirage chimérique du bonheur hypothétique ou chimérique citadin, par le modernisme dévergondé. Vis-à-vis de ses aînés, l’enfant souffre d’un complexe d’infériorité et doit faire, en tout temps et en tout lieu, preuve d’obéissance absolue et de servitude constante. Il doit se soumettre stoïquement aux injures et aux brimades de ceuxci. Il n’a pas accès à certains milieux parce qu’il n’est pas initié. Évidemment cette exclusion crée en lui un profond sentiment de frustration qu’il est obligé de digérer. Des injures telles que bilakoro (pour les garçons) et denmusonin ou bien solima (pour les jeunes filles non-excisées) l’indisposent et accroissent 747


considérablement son sentiment d’infériorité et de frustration. Il éprouve presque toujours le besoin de s’affranchir de cette tutelle féroce de ses aînés et surtout de ses camarades du même âge déjà initiés qui lui sont socialement supérieurs, qui le marginalisent et se moquent très souvent de lui. Tout cela l’écrase et accentue ses sentiments de frustration et lui donne l’envie de s’affranchir en se faisant initier. 3) LA TROISIÈME PÉRIODE: DE QUATORZE ANS À VINGT-UN ANS Sa circoncision ou son excision intervient généralement à partir de quatorze ans. À cette période il a déjà une amie d’enfance avec qui il entretient des relations sentimentales innocentes assorties d’abstinence. À cet âge l’adolescent est devenu un élément de la famille pleinement intégré à tous les systèmes de production de denrées alimentaires pour l’entretien de la famille entière: ● - Il fait le défrichage des champs de la famille. ● - Il cultive les champs avec sa houe ou avec des bœufs attelés à la charrue de la famille ou parfois avec un attelage prêté. ● - Il est susceptible de prendre des initiatives, de mobiliser les jeunes gens de son sèrè ou du village pour labourer le champ familial, ensemencer et récolter les céréales à maturité. Il faut noter que la circoncision et l’excision sont des cérémonies obligatoires d’initiation aux termes desquelles le jeune adolescent est affranchi et intègre le cercle des adultes et des hommes murs. Il n’est plus frustré par les aînés. À cet âge on pense à le (la) marier pour le rendre plus responsable et assurer la continuité de la famille. Très souvent, le choix de son épouse est fait par son père, ou par une tante, une grand-sœur, un oncle... Il se retrouve ainsi dans un mariage de raison. Il doit obligatoirement accepter les motivations de ces liens matrimoniaux. Aussi, très souvent le choix du nom de ses premiers enfants revient à ses parents. Bien que majeur, il évolue sous l’influence ou la tutelle totale de sa famille. Son esprit d’indépendance est souvent bloqué par la famille à laquelle il reste assujetti, parfois pour longtemps. Ainsi ses décisions ne sont pas irréversibles car elles peuvent être modifiées ou annulées par son père ou par le conseil de sa famille ou de son clan. Y) - L’INITIATION (KÈNÈ): LA CIRCONCISION ET L’EXCISION Selon Amadou Hampâté Bâ (« Aspects de la civilisation africaine, » Édition Présence Africaine, p. 12-13): « L’initiation a pour but de donner à la personne psychique une puissance morale et mentale qui conditionne et aide la réalisation parfaite et totale de l’individu. 748


La tradition considère que la vie d’un homme normal comporte deux grandes phases: L’une ascendante, jusqu’à soixante-trois ans, L’autre descendante, jusqu’à cent vingt-six ans. Chacune de ces phases comporte trois grandes sections de vingt et un ans, Composée de trois périodes de sept ans. Chaque section de vingt et un ans marque un degré dans l’initiation, et chaque période de sept ans marque un seuil dans l’évolution de la personne humaine. Ainsi par exemple, pendant les sept premières années de son existence, où la personne en formation requiert le plus de soins possibles, l’enfant restera intimement relié à sa mère dont il dépend pour tous les aspects de sa vie. ● De sept ans à quatorze ans, il est confronté avec le milieu extérieur dont il reçoit les influences, mais il éprouve toujours le besoin de se référer à sa mère, qui est son critère. ● De quatorze ans à vingt et ans, il est à l’école de la vie et de ses maîtres, et s’éloigne progressivement de l’influence de sa mère. ● L’âge de vingt et un ans marque un seuil très important, puisqu’il est celui de la circoncision rituelle et de l’initiation aux cérémonies des Dieux. Pendant la seconde tranche de vingt et un ans, l’homme va mûrir les enseignements qu’il a reçus dans la période antérieure. Il est alors considéré comme étant à l’écoute des sages, et s’il arrive qu’on lui donne la parole, c’est par faveur, ou mise à l’épreuve, et non par droit. ● À quarante-trois ans, par contre, il est censé avoir atteint virtuellement la maturité et figure parmi les maîtres. Ayant droit à la parole, il est tenu d’enseigner aux autres ce qu’il a appris et mûri durant les deux premières périodes de sa vie. ● À soixante-trois ans enfin, terme de la grande phase ascendante, il est considéré comme ayant achevé sa vie active et n’est plus astreint à aucune obligation, ce qui ne l’empêche pas, éventuellement, de continuer à enseigner, si telle est sa vocations ou sa capacité. » La circoncision pour le garçon et l’excision pour les filles sont les principales cérémonies d’initiation et d’intégration sociale chez les Mandingues. Poussés par le désir ardent d’être considérés comme des hommes ou des femmes à part entière, n’a-t-on pas vu des jeunes adolescents faire irruption sur les lieux des cérémonies à l’insu de leurs parents? Or un non-initié venu à l’incognito aux lieux sacrés ne peut en sortir sans être initié. Cet acte de bravoure se note souvent chez les jeunes de plus de quinze ans dont les parents ont retardé leur initiation souvent par manque de moyens matériels. La circoncision comme l’excision peut regrouper des dizaines de jeunes du village de onze à dix-sept ans. Elles sont organisées en période de saison sèche des années de bonnes récoltes. Pour alléger les dépenses, des familles peuvent organiser conjointement l’initiation de leurs enfants. Aussi certains chefs de familles aisés peuvent faire 749


accompagner leurs enfants par d’autres jeunes du village, sans parfois avertir au préalable les familles intéressées. Celles-ci sont avisées par le Fali-fali, danse guerrière organisée pour marquer la fin des opérations chirurgicales par les hommes, les femmes et les jeunes du village qui, munis de branchages et aux sons du tam-tam, entonnent des chants guerriers pour magnifier la bravoure des nouveaux initiés, et passent dans chaque concession notamment dans celle de chaque nouvel initié. Chaque parent rejoint en pleurant la danse et chante le nom de son enfant. Les mères des initiés défont leurs tresses et laissent leurs cheveux en vrac, ébouriffés. Certaines familles désapprouvent la circoncision improvisée de leur fils ou l’excision de leur fille comme cela arrive souvent sans leur consentement préalable, car l’initiation des enfants par les soins de leurs propres parents est un point d’honneur inaliénable et fait partie intégrante d’un ensemble de devoirs de la famille dont entre autres: 1°) - Donner un nom musulman à un enfant, faire son baptême en tuant à son nom un mouton (si c’est une fille) et deux moutons (si c’est un garçon). C’est le premier sacrifice obligatoire de l’enfant. 2°) - Faire sa circoncision ou son excision avec faste. 3°) - Doter la première femme de son fils et marier sa fille à un homme digne, noble et musulman. Aucun père de famille ne doit se dérober à ces devoirs impérieux. Les incidents qui peuvent résulter de cette usurpation des responsabilités sont très vite circonscrits par le conseil des sages. Dans certains cas, c’est le doyen du village qui organise l’initiation. Ainsi, la cérémonie prend plus d’ampleur. Au cas où il y a association des familles, les organisateurs de ces cérémonies saisissent au préalable le doyen du clan organisateur ou le chef du village en lui présentant dix noix de cola pour exprimer son souhait de cette opportunité pour circoncire ses enfants. Celui-ci se charge d’informer toute la communauté villageoise ainsi que les villages voisins. Chacun en fait donc une affaire personnelle et la mobilisation est générale. En plus chaque famille organisatrice prend soin de faire part à ses proches, à ses belles-familles, à ses alliés et ceux-ci déposent parfois leur contribution en denrées, en nature, en argent ou en repas, avant ou pendant la durée de l’initiation. La veille des cérémonies donne toujours lieu à des danses populaires appelées Solisi. Pour mobiliser tout le monde, dix noix de cola traditionnels sont alors adressées aux jeunes, ainsi qu’à l’association des femmes, sans oublier les sèrè. Par cette démarche, les organisateurs sollicitent et obtiennent la participation massive de la communauté au Soli. Il s’agit de danser en l’honneur des candidats à l’initiation. On y accorde une grande importance car en milieu traditionnel malinké la réussite de la danse du Soli donne la mesure de l’importance sociale, de l’efficacité et de la grandeur de la famille organisatrice. C’est une question d’honneur et de prestige. En effet, chaque famille doit organiser avec éclat la circoncision ou l’excision de ses enfants avec faste et dans la mesure de ses moyens matériels et financiers. 750


Pendant que le tam-tam résonne dans le village pendant la nuit et que le cortège de musiciens, de danseurs et de danseuses va d’une concession à une autre, les candidats sont rassemblés dans une même case. Là, certains initiés leur prodiguent de bons conseils: « Soyez courageux! ». Par contre, d’autres, plus méchants, accroissent leur angoisse en leur faisant plus peur, car le jeune noninitié ignore pratiquement tout des cérémonies; pour lui c’est un mystère qui l’écrase. Il se fait des illusions. Dans sa tentative d’obtenir des informations sur cette cérémonie d’initiation et de percer tous les mystères l’entourant, l’enfant s’est toujours heurté soit à un mutisme complet soit au refus systématique délibéré, soit à l’incompréhension des initiés. Cette attitude accroît son sentiment d’infériorité et sa volonté de s’affirmer, de s’intégrer pleinement dans la société. Il vient de mettre fin à la marginalisation et aux différentes frustrations dont il est souvent victimes de la part des initiés, notamment ses camarades de même âge qui ont franchi cette étape de la vie bien avant lui. Pour les candidats, cette nuit est particulièrement pénible et longue, tant leurs inquiétudes sont grandes devant l’inconnu qu’ils doivent affronter. Pendant ce temps au village, la danse continue de plus belle, toute la nuit. C’est le Solisi. Les mamans des candidats avons-nous dit se reconnaissent facilement dans la foule par leurs cheveux démêlés en vrac, hérissés en tous sens. Certaines se déguisent en homme. Elles chantent et dansent leur attachement à leurs enfants. Quant aux papas, ils se manifestent par des coups de fusils. La danse continue tard dans la nuit ou jusqu’au matin. Vers cinq ou six heures du matin, un plat de riz chaud appelé « Tyè faliya kini » ou encore « Tyè faliya fidi » ou plat de riz que seuls peuvent manger les candidats preux et les plus jeunes inconscients ou peu inquiets de ce qui les attend est offert aux candidats. L’angoisse est telle que la majorité des candidats n’arrive pas à manger. Les propos dramatiques et exagérés de leurs camarades d’âge déjà initiés font de l’événement un mystère terrifiant, insoutenable et inexplicable. Ce qui aiguise l’angoisse des futurs initiés. C’est pourquoi ceux-ci, en grand nombre, n’en mangent presque pas en raison de l’amertume qui les assaille et les bouleverse. Après ce repas, ils sont conduits à l’aube, en brousse, sur les lieux des cérémonies où ont lieu les opérations chirurgicales, situés soit dans une caverne soit dans une rivière ou dans une forêt. Le Soli est alors suspendu jusqu’à la fin des opérations chirurgicales et des premiers rites. Dès la fin heureuse de ceux-ci, quelqu’un est dépêché au village pour libérer les parents de leur inquiétude, car des accidents provoqués par l’hémorragie intense sont fréquents. Si tout s’est bien passé, c’est un coup de fusil tiré depuis le lieu de la retraite sacrée ou à l’orée du village qui annonce la bonne nouvelle, c’est-à-dire le fin heureuse des interventions chirurgicales. Tout le monde étant ainsi libéré et rassurée, la danse populaire reprend aussitôt avec plus d’entrain mais non plus sous le nom de Soli mais sous celui de Fali-fali qui chante et magnifie la bravoure des nouveaux initiés.

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Chaque maman concernée entonne ce dialogue ou ce chant héroïque en dansant sous l’acclamation d’une nombreuse foule de femmes, d’enfants et de badauds. La mère de l’initié explose de joie, chante en dansant: « Fali! Fali! Wo! Tyèfuwa! » La foule répond en chœur: « Kuru bòra an kan na! » La maman de poursuivre: « N dòòni bòra tyèfuwa la. » La foule renchérit: « Kuru bòra an kan na! » Ce qui se traduit respectivement par: La maman: « Venez tous vers moi pour me soutenir, partager ma joie, chanter et danser la danse des Preux, des Héros, car mon enfant (garçon ou fille) a pu vaillamment affronter et supporter les dures et terribles épreuves de l’initiation... À présent il est devenu un homme qui mérite du respect... » La foule répond et accompagne: « Nous sommes enfin tous libérés de l’angoisse et de la peur qui nous assaillaient. » La maman enchaînée: « Mon enfant a vaillamment supporté l’épreuve des hommes vaillants de la forêt sacrée. Je suis donc très fière de lui. Comprenez donc ma joie. Chantez avec moi, soutenez mes pas et dansez avec moi, car aujourd’hui est pour moi un grand jour, un jour de libération... » La foule accompagne imperturbablement: « Nous ne nous faisons plus de souci... » Parfois, c’est le suspense ou la grande inquiétude des parents des nouveaux initiés quand la nouvelle de la fin de l’opération tarde à venir au village, car des accidents souvent graves peuvent y survenir, surtout chez les candidats trop poltrons. Pour aller plus vite que les piétons annonciateurs de la bonne nouvelle, on peut recourir aux coups de fusils ou aux sons du tam-tam. C’est alors que tout le monde s’arme de branchages feuillues et se porte hors du village, à la rencontre du dyotyè (= soma ou kènèdyeli), l’opérateur, le grand maître de la cérémonie ou dyomuso s’il s’agit d’une femme. Il est conduit au village où on danse et chante à son honneur le chant du Fali-fali ou du Duga (Duwa) c’est-à-dire le chant et la danse des preux. Les jeunes circoncis restent généralement en brousse aussi longtemps que possible et ne rentrent au village que le soir. Par contre, les excisées accompagnent souvent l’opératrice (dyomuso) au village en chantant et en dansant; l’ablation ou l’amputation du clitoris étant moins importante et moins sensible chez les filles que chez les garçons. On brandit en l’air les branchages feuillus, on tape le sol à pas cadencés. On fait des simulacres de guerre, de scènes d’amour, les chants anecdotiques sont concurremment entonnés et repris en chœur par tous les danseurs. Généralement les femmes triomphent dans cette compétition humoristique. Elles connaissent et composent plus de chants que les hommes qu’elles tournent en ridicule dans des chants paraboliques. 752


Les accidents et les difficultés de guérison ou toutes les complications qui peuvent advenir entraînent des explications superstitieuses et souvent des accusations fortuites et gratuites. Le dyo ou kènèdyeli, maître opérateur, grand sorcier, grand féticheur... use de toutes ses connaissances mystiques, cosmogoniques pour dépister et dénoncer les impurs, les sorciers et sorcières qui font du tort aux jeunes innocents pour se venger de leurs parents auxquels ils en veulent. Le cas est plus grave en cas de décès. Parfois c’est un véritable procès qui s’en suit. Sont soupçonnées toutes personnes ayant eu des disputes, des querelles véhémentes avec échange de propos malveillants et de menaces avec l’un des parents du défunt ou avec le défunt lui-même. On les accuse et sous la pression, elles sont souvent obligées d’avouer un crime qu’elles n’ont peut-être pas commis. Ainsi de profondes crises divisent pour longtemps certaines familles et certains villages. Sachons que les instruments chirurgicaux des dyo ou kènèdyeli, n’étant pas suffisamment stérilisés et servant à la fois à plusieurs ablations, peuvent être infectés et provoquer le tétanos. Parfois un même couteau sert à circoncire, l’un après l’autre, dix à vingt garçons ou filles. Aussi les méthodes curatives des plaies laissent à désirer. On utilise très souvent la sève de certains arbres ou de la poudre d’écorce de certaines plantes médicinales vertueuses pour soigner les plaies. Chez les garçons, on confectionne des petits sachets en coton contenant de la poudre dans laquelle est plongé en permanence le bout du pénis, et qui est retenu par une corde qui fait le tour de la hanche. Pour les pansements, on les fait asseoir, très tôt le matin, dans l’eau, toute froide ou glaciale du marigot ou de la rivière. À eux de chasser ou de faire attention aux petits poissons qui viennent roder autour de leur pénis et qui tentent souvent d’en manger. Ils sont donc obligés de jouer au tam-tam autour de leur pénis qui flotte dans l’eau. Les cérémonies d’initiation sont des occasions de solidarité pour les amis, les parents, les alliés, les voisins... Ceux-ci se manifestent en donnant la mesure de leur amitié ou de leur affinité en offrant des cadeaux divers. En guise de secours à un ami ou à un parent dont l’enfant est circoncis ou excisée on offre de gros plats de riz ou on lui fait des dons en nature, notamment en céréales. Les plus aisés donnent une chèvre ou un mouton voire même un bœuf. Chez les femmes l’excision est entourée de plus de mythes. Ici la danse des excisées est particulièrement importante. Elle commence surtout à partir du septième jour de l’opération. Elle entraîne toujours des dépenses grandioses, surtout de la part de la belle-famille de celles qui sont fiancées. Les parents du fiancé sont moralement contraints d’offrir à la belle-famille de nombreux cadeaux en argent, en céréales et en bêtes. Ce geste donne la mesure exacte de leur attachement à leur future épouse. C’est le « kènèba yirima » ou « kènèna yirima » ou bien « biran bolo magèn », c’est-à-dire le cadeau auquel une mère s’attend inéluctablement lors de l’excision de sa fille fiancée de la part de son beau-fils et des parents de celui-ci. Au cours des danses de concession en concession, les jeunes filles fiancées chantent en l’honneur de leur futur époux dont les parents 753


distribuent publiquement et autant qu’ils le peuvent des habits, de l’argent... aux griots et aux vieilles femmes maîtresses. La calebasse à queue que tient la fiancée fait régulièrement son plein d’argent. On appelle cela « musonin dyansa ». Les familles rivalisent dans cette démonstration stupide de fortune souvent ruineuse, car prétendant veut dépasser les autres tant en dons qu’en mobilisation. Il faut donc noter la négation de cette concurrence ruineuse, car on a souvent vu ceux qui sont matériellement défavorisés ou démunis s’endetter pour honorer publiquement la future épouse de leur fils parmi ses camarades coinitiées et devant le public qui les incite en cela. Les fiancés qui, faute de moyens, ne parviennent pas à être prodigues, perdent souvent leur fiancée qui demande le divorce ou renonce au projet de mariage parce que déshonorée. C’est sans doute une raison stupide, en tout cas peu réaliste pour « plaquer » un fiancé. Toutefois, il faut noter qu’une rupture pour un tel motif n’est pas courante. Les filles non-fiancées qui ne sont pas entourées de tant de sollicitudes et d’affections s’en prennent alors à leur mauvais destin et très souvent fondent en larmes quand leurs chants ne sont pas soutenus avec enthousiasme et chaleur et quand certaines de leurs co-initiées sont portées en triomphe. Le septième jour est considéré comme le jour le plus important, car il constitue la fin de la première étape. Cette période après l’initiation peut durer deux ou trois semaines, ou plus, si les organisateurs ont les moyens d’entretenir, disons de nourrir gracieusement et grassement, les initiées et leurs encadreurs. On peut organiser leur sortie ou leur libération lorsqu’on est rassuré qu’elles sont toutes guéries ou qu’ils le sont tous. Une cérémonie grandiose dite « kò-lakali » est organisée ce jour-là. Il s’agit d’un véritable festin qui réunit tous les hommes du village pour la circoncision et toutes les femmes pour l’excision. Il faut préciser que dans tous les cas les non-initiés ne sont pas autorisés à y participer. Ce qui accroît sans cesse le complexe d’infériorité, de frustration des non-initiés qui ne peuvent même pas aller manger. Ils sont écartés de la fête. La maman de chaque nouvel initié doit donner les preuves de sa compétence dans l’art culinaire. Ce jour-là, on prépare de toutes les spécialités en quantité sans négliger la qualité. L’abondance des mets est telle que parfois les villages voisins sont invités à cette bombance. C’est la fin du processus de l’initiation qui est une véritable du savoir, du savoir-vivre et du savoir-faire. Selon Komlan Agbétiafa: (21) « Sur le plan moral et social, en se frottant aux adultes au cours des fêtes et des cérémonies traditionnelles l’enfant apprend à devenir un citoyen responsable et complet. À travers les mythes, les contes, les légendes et les proverbes, il s’initie aux formes de politesse, aux règles de conduite collective, aux bonnes manières et au respect dû aux interdits de toutes sortes. » En effet, les surveillantes et les surveillants qu’on appelle sema (n’zema) sont chargées, pendant toute la durée de l’initiation, d’éduquer les enfants dans tous les domaines. On leur donne toutes les bonnes habitudes de la société et on 754


prend soin de corriger leurs défauts individuels. On leur apprend à être ordonné, à être propre, à savoir parler et même à manger en public. Ils sont initiés à la médecine traditionnelle en apprenant le secret des plantes. Ils sont soumis à toutes sortes d’épreuves d’endurance. En un mot, ils sont préparés physiquement et psychologiquement à affronter une nouvelle vie, celle des adultes. Ainsi, par cette éducation rigoureuse très suivie, leur intégration dans la société est facilitée et se fait sans grand choc ou traumatisme. Si l’excision est condamnable pour son côté atteinte à l’intégrité et à la sensibilité physiques ainsi qu’à la sensualité de la femme, elle doit cependant subsister comme la circoncision pour le côté éducatif très positif des jeunes gens qui en sortent suffisamment avertis ou formés pour une intégration sociale facile ou apaisée. On leur apprend le savoir-faire et les bonnes manières pour vivre sans heurts en société. C’est pour cette raison que nous pensons qu’il faut créer d’autres motifs ou contextes de regroupement des jeunes gens de tous les sexes afin de leur donner une bonne éducation collective et des repères importants en leur enseignant ce qui est mauvais ou ce qui est interdit de faire dans la vie communautaire et qui pourrait indisposer les autres. C’était l’école d’apprentissage des bonnes règles de conduite décente. La circoncision et l’excision venaient en appoint en renforçant ou en complétant l’éducation de base reçue dans le cercle familial. Pendant la durée de l’initiation, chaque initié porte un surnom. Ce sobriquet survit à l’initiation et est usité par les co-initié(e)s pendant tout le reste de leur vie, surtout chez les femmes qui restent fidèles à cette pratique. Ces jeunes placés dans des situations réelles de la vie sociale et dans le cadre d’une solidarité organisée se sentaient obligés de se rendre services mutuellement à tout moment. Les grands-parents profitent toujours de cette initiation pour se moquer de leurs petits-enfants quand surtout ceux-ci se sont montrés peureux pour affronter l’épreuve. Les voisins ont toujours profité de l’initiation pour se solidariser entre eux, car leur destin est très lié à celui des parents des initiés. Ce témoignage matériel et moral qu’ils se manifestent réciproquement leur est rendu quand c’est eux qui organisent l’initiation ou le mariage de leurs enfants. Cette démarche réciproque ne doit jamais faire défaut ou défaillance. On est toujours prêt à rendre la monnaie, à assurer le retour de l’ascenseur aux autres qui l’attendent. Par cette éducation multiforme et globale suivie, l’intégration des enfants dans la société est facilitée. Pendant la durée de l’initiation, chaque initié porte généralement un surnom qui survit souvent et par lequel ses co-initié(e)s continuent de l’appeler pour le reste de leur vie. On retient à titre indicatif, entre autres noms: ● Le doyen des initié(e)s s’appelle « Kènè Mansa » (= le roi ou la reine de la circoncision ou de l’excision) ou « Kòtii », c’est-à-dire: le maître de l’eau. Mais ce titre de noblesse ne revient pas forcément au plus âgé, mais est surtout porté par le fils du doyen des parents organisateurs du côté noble. Cette 755


distinction honorifique suprême écarte systématiquement le fils ou la fille d’un homme de caste, même quand l’initié(e) ou son père est le plus âgé. ● Kòtyèma ou celui qui est au milieu de l’eau désigne son adjoint. On note entre autres surnoms: ● Nyalo: Qui a beaucoup honte. ● Dyisuma: Eau froide, sagesse, sage, l’inoffensif. ● Tontinyè: Exempt de corrections. Ce titre revient de droit à l’enfant d’une tante (tènènmusoden, senkòden) ou à celui d’une sœur ou d’une cousine. On ne peut ni l’insulter, ni le frapper. Il ou elle est au-dessus de la loi. On accède à tous ses désirs. ● Dede: Benjamin, le plus choyé. ● Sabari: Qui est résigné, pacifique, symbole de la sagesse. ● Kayiraba: Bonheur, porte bonheur. ● Sewa: Bonne humeur, joie. ● Kòtii Kòròbò: Discrétion. ● Kòròsi: Attentif. ● Kuntasiya: Étourdi. ● N’Kunfè: Agité, turbulent. ● Sèrèba = Masèrèba: La mère commune. ● Kèlèban: La pacifique, l’inoffensive. ● Zabali: La paix, l’inoffensive, la conciliante. ● Madyuru ● Winga ● Mayono ● Lòba = Malòba: La chanceuse, celle qui vend bien ses marchandises. ● Djèmèrè ● Maganè ● Matala ● Manafolo = Cupide, matérialiste, envieuse. ● Madiyara ● Mawau ● Makèlèban Etc... Car les sobriquets sont très nombreux et varient selon les provinces ou les sous ethnies mandingues. Il faut noter que chez les femmes, chaque sobriquet est précédé de la racine Ma = Na (mère, terme de respect). Les femmes tiennent beaucoup plus à ces surnoms. Elles les font survivre pendant toute leur vie en s’interpelant par ces surnoms. Ainsi donc, les coinitiées continuent de s’interpeller par ces pseudonymes après l’initiation. Il se crée un véritable sentiment de fraternité et d’amour entre tous ceux qui sont initiés en même temps. La durée de l’initiation est indéterminée. Elle est fonction des moyens matériels des organisateurs.

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Chez les Mandingues, l’initiation peut durer un mois au minimum ou trois mois, voire plus, selon les moyens des organisateurs, tandis que chez les Toma les cérémonies de tatouages duraient parfois sept ans pendant lesquels la visite des personnes de sexes opposés et des non-initiés est prohibée. Cela demande une préparation de plusieurs années qui exige la collecte et le stockage de plusieurs récoltes pour pouvoir donner à la cérémonie un caractère fastueux. La nuit de la veille de la libération, donc la dernière nuit à passer ensemble, on assiste à une véritable veillée. Tous les initié(e)s sont regroupés sous le haut patronage du dyo, du soma (opérateur) ou des sema ou n’zema (surveillant(e)s). On répète cette nuit-là tous les chants, tous les contes, proverbes, légendes et devinettes, toutes les leçons de médecine (les secrets, l’utilisation des plantes médicinales). Ainsi, on se rassure du fait que toutes les leçons de sagesse, de savoir-faire de savoir-vivre... ont été bien assimilées par ces nouveaux initiés. Toutes les femmes et les jeunes du village sont associés à cette dernière veillée solennelle. C’est une longue nuit exceptionnelle de récitals. On reprend donc en chœur les différents chants. Chaque initié(e) est interrogé(e) au hasard sur quelque chose qui a été enseignée pendant l’initiation. Ceux qui s’en sortent bien ou répondent bien sont félicités. Le matin du jour de la libération des initiés, très tôt, on met fin à la veillée de répétition et aux répétitions des chants et des enseignements reçus tout au long de l’initiation. Après, ils reçoivent les derniers conseils et des consignes formelles de discrétion sur le déroulement de l’initiation, surtout vis-à-vis des éléments de l’autre sexe. Par exemple aux circoncis on dit que s’ils font preuve d’indiscrétion ou si une femme voit leur sexe ils s’exposent soit à l’impuissance sexuelle ou à la stérilité soit à une mutation du sexe dont le bout deviendra blanc comme du coton. Dans tous les cas les deux sexes s’évitent, se méfient beaucoup l’un de l’autre. Celui qui fait preuve d’indiscrétion est banni de la société. Le matin, vers 5 heures, les initiés retournent dans la forêt sacrée. Là, on les débarrasse des habits qu’ils ont portés pendant toute la durée de l’initiation. On les brûle. Par ce geste, on détruit le « nyama » ou on dit aussi « ka wansèn dyèni = brûler le crabe » ou les maléfices qu’ils sont susceptibles de porter. Puis on les lave et les habille dans l’uniforme cousue pour eux à cet effet. Un repas copieux est pris ensemble pour la dernière fois. Encore les derniers conseils sont donnés par les séma, le njoo et les aînés. Ainsi chaque enfant rejoint en début de matinée sa famille, satisfait et fier e sa nouvelle situation et de son séjour parmi les initiés dans la forêt sacrée. C’est une véritable libération des entraves sociales. À présent ils sont pleinement accomplis et sont devenus des personnes majeures à considérer, à intégrer dans la société des personnes majeures. On les fait constituer des petits groupes de quatre ou cinq, dans la position debout, en formant un cercle. L’aîné des initiés ferme une de ses mains retournées vers le bas, le point fermé énergiquement à la hauteur de sa hanche et les autres superposent les leurs de manière que chacun doit éviter que ses propres mains soient en contact, l’une contre l’autre. Il s’agit de pincer très 757


fortement la main qui se trouve en bas de la sienne. En tout cas chacun reçoit douloureusement ces pincements, sans se plaindre. On forme ainsi une chaîne verticale. Au signal donné par un des surveillants ou maîtres initiateurs, au terme d’un chant, chacun pince aussi fortement que possible la main qui est en contact avec les siennes. On entend l’ordre ou le signal de rupture: « Sòsònin sòsònin bèè ye taa i ba bara foyin! » Ce qui signifie: « Moustique, à présent tu es libre et tu peux voler vers la maison de ta mère » À cet ordre, la chaîne est brusquement rompue et chacun se met à courir en direction du village ou précisément vers sa case maternelle.

« Sòsònin sòsònin, bèè ye taa i ba bara foyin! » C’est-à-dire: « À partir de maintenant, vous êtes tous libérés. Ayez le courage de franchir les obstacles sur le chemin de retour. Encaissez sans réagir tout ce qui vous arrivera sur la route. Chacun pour soi et Dieu pour tous! Que chacun rejoigne immédiatement la case de sa mère! »

On se pince réciproquement et fortement. Personne ne doit se plaindre de la douleur qu’il ressent. Ce qui serait d’ailleurs une défaillance notoire et un manque de maîtrise de soi face à la douleur ou face à tout danger. Mais attention! Une dernière épreuve d’endurance reste à franchir. En effet, le jour de la libération, les initié(e)s tombent inévitablement, à l’entrée du village, dans des embuscades montées, par-ci et par-là, par leurs camarades d’âges déjà initiés. Chaque buisson est un donc un piège potentiel. Il faut faire attention en passant à côté. En effet, ces ancien(ne)s initié(e)s s’arment de branchages, de nerfs de bœufs, de chicotes de tout acabit et se cachent dans les 758


buissons ou dans les hautes herbes pour fouetter les nouveaux initiés à leur passage. Ils doivent courir comme un lièvre du lieu de l’initiation ou de la retraite à leur case maternelle -

sans réagir, ni crier, ni s’arrêter, ni se retourner, ni regarder en arrière pour tenter de reconnaître les agresseurs pour voir éventuellement se venger et ni se plaindre des coups méchants reçus ou si violents soient-ils. En tout cas il n’est pas question, pour eux, de se venger immédiatement ou les jours suivants, même s’ils reconnaissent ceux qui leur ont distribué méchamment et violemment ces coups de fouets. Ce serait trahir les consignes d’endurance enseignées par les encadreurs. C’est une épreuve d’endurance obligatoire qui fait partie de la formation. Dans leur course, on leur interdit même de regarder en derrière avant d’entrer dans la case maternelle. Une telle attitude n’est pas digne d’un brave. C’est la dernière occasion que les anciens initiés ont pour traumatiser les nouveaux initiés Ce stoïcisme prouve qu’ils sont effectivement devenus des preux, des hommes accomplis. Évidemment les grands coureurs, qui ont les jambes bien solides, s’en tirent avec moins de coups. En tout cas ils sont poursuivis avec acharnement jusqu’au seuil de la case maternelle. C’est la dernière épreuve d’endurance. Chaque initié(e) sort de cet événement « la bouche cousue ». Voilà donc l’enfant initié et intégré dans la société des grands. À présent, il est un homme accompli et jouit de plusieurs prérogatives. Mais son jeune âge constitue encore un handicap pour sa participation à certaines cérémonies rituelles telles que la sortie du Koma, homme fétiche qui est un trait d’union entre les hommes et les esprits. L’intervention de ce médium auprès des divinités et ses incantations jugulent les calamités: maladies endémiques, la sécheresse, les chenilles dévastatrices des champs... C’est lui aussi qui dépiste et arrête les sorciers dans leurs actions nocives. Il est à la base de tout le bonheur de la société. Tous les sacrifices sont placés sous sa présidence. Toutes ses déclarations sont de véritables arguments d’autorité. Il a aussi un rôle unificateur de la société en plus de celui de protecteur référentiel. Z-A) LES CLASSES D’ÂGES OU LES SÈRÈ Au village, les garçons et les filles qui ont sensiblement le même âge, ou qui ont une différence de trois ans au maximum, forment un même sèrè ou groupe d’âge et ont les mêmes intérêts. Ainsi, on retrouve plusieurs sèrè dans un gros village. Entre villages voisins, les groupes d’âge correspondants ou de même âge entretiennent des relations amicales très nourries. En restant à l’intérieur d’un même sèrè, on se trouve en face d’une véritable société 759


organisée, structurée avec des règlements intérieurs très rigoureux appelés ton. Le sèrè regroupe les gens des deux sexes qui n’ont pas plus de trois ans d’âge d’écart. Ainsi donc dans un même sèrè, l’écart d’âge entre l’élément le plus âgé et celui qui est le moins âgé ne dépasse pas trois ans. Le ton trace une règle de conduite rigoureuse pour chaque sociétaire. Il prévoit des sanctions, des peines contre les actes de sabotage et les rebelles. Un esprit d’amitié sincère, de fraternité réelle et de solidarité effective tant dans le malheur que dans le bonheur est de rigueur entre les membres d’un même sèrè durant toute leur vie. Exemple de sanctions (ko latòn): 1°) - Si vous refusez de participer à une réunion du sèrè sans motif valable, on vous emmène manu militari et vous payez séance tenante une amende forfaitaire. On peut confisquer certains de vos biens jusqu’à acquittement de l’amende qui vous frappe. 2°) - Si vous êtes absent à un travail d’intérêt public (nettoyage du village, réfection d’un pont, d’une route, construction d’édifice publique...), vous êtes lynché et battu, en plus, vous payez une amende. Si votre absence est motivée par une maladie, prenez soin d’avertir avant le travail le « sèrèkuntii » ou chef du sèrè. En effet, à la tête du sèrè se trouve le sèrèkuntii dont le prénom principal (le nom de baptême) est attribué à son sèrè, c’est-à-dire à son groupe d’âge, pour une distinction d’avec les autres groupes d’âge ou sèrè du village. S’il se nomme Drissa, son groupe d’âge s’appellera Drissa-Sèrè (22) ou s’il se nomme Sidiki, son sèrè s’appellera Sidiki-Sèrè et celui de Kéoulèn s’appellera Kéoulèn-Sèrè... Dans un sèrè les relations sont empreintes de chahuts d’amour, de fraternité, d’affinité, de solidarité... Le chahut est permis toute la vie et en tout lieu. On s’interpelle affectueusement n bò ou n bè (= mon égal) ou encore tyè (homme). On ne doit rien refuser à un membre de son sèrè. Son intervention suffit pour reprendre une épouse répudiée ou un enfant banni. Les rapports entre sèrè sont inviolables et sacro-saints. Au Mandingue, quand deux personnes s’interpellent respectivement tyè, n bè, n bò, ou n madn, cela signifie tout simplement qu’elles sont du même sèrè et qu’entre elles il n’y a aucune barrière. Ces quatre mots se valent et signifient exactement la même chose. Chacun joue le rôle de fissible électrique qui fait sauter toutes les barrières en raison de leur intimité, de leur familiarité, de leurs expériences communes vécues ensemble et de la charte qui règlemente tous les sèrè. L’adjoint du sèrèkuntii s’appelle sèrè kankòròsi. Ainsi, chaque sèrè se dote d’une organisation bien structurée, avec des postes de responsabilités bien définies pour les camarades élus en assemblée générale ou automatiquement désignés d’avance par les principes de la société. Chaque sèrè dispose ou adopte règlement intérieur avec des dispositions de discipline rigoureuse. Chaque sèrè se place sous le parrainage d’un adulte appelé 760


sèrèfa ou père spirituel du groupe. Il n’y a pas de critères préétablis pour le choix de ce parrain. En cas de propositions de plusieurs candidats ou d’actes de candidatures, l’assemblée générale du sèrè procède au vote. Finalement le gagnant est le parrain de tous. Celui-ci doit être neutre et rassembleur de tous ses « enfants » Parallèlement les femmes d’un même sèrè peuvent se choisir une « maman » appelée sèrèba ou sèrèna. Dans l’un ou l’autre cas la personne retenue joue le rôle de conseiller éminent pieusement écouté. Ses directives sont suivies. Il tranche les litiges - généralement des problèmes de filles donc d’amour entre les jeunes - et les réconcilie. C’est le coordinateur de toutes les actions du sèrè. Mais il faut noter que les deux structures (masculine et féminine), souvent parallèles, ne s’opposent pas et se fondent en une seule pour avoir le même parrain ou la même marraine. Le même groupe d’âge ne se dissocie pas et mène solidairement ensemble les mêmes actions ou activités. Tous veillent sur l’unité et l’harmonie du groupe, même après leur mariage. Cette affinité est entretenue par tous durant toute leur vie. C’est généralement le fils le plus âgé du doyen du village ou du clan (côté noble) ou du neveu le plus âgé de celui-ci qui est nommé sèrèkuntii. Les mêmes critères entrent en ligne de compte pour désigner la première responsable féminine du sèrè. La règle veut souvent que soit nommé sèrèkuntii le cousin le plus âgé et au détriment des neveux, même plus âgés que lui. Parfois on procède aussi au vote, en cas des divergences fondamentales ou d’hostilités. Dans tous les cas la personne retenue est acceptée par tous. Le groupe organise chaque année, ou chaque deux ans, des manifestations distractives. En raison parfois du grand nombre des sèrè dans le village, l’organisation de la fête est tournante. Une année réservée à chaque sèrè. L’idée de la fête est lancée et adoptée en assemblée générale du sèrè. Chaque membre du sèrè prend les dispositions utiles pour la préparer. Sur demande adressée (dix noix de cola) au sèrèfa (parrain) ou au sèrèkuntii (le chef, le président ou le premier responsable), le groupe laboure, ensemence ou récolte le champ d’un notable qui en fait la demande moyennant une rémunération en nature, en bêtes ou en argent du travail effectué. Selon l’importance et la capacité de travail ou de rendement du sèrè, on fait un champ dont la valeur équivaut à un coq, c’est le sisè sènè, à un mouton, c’est le saa sènè, à une chèvre, c’est le ba sènè, à un bœuf, c’est le nisi sènè (= misi sènè). Ce prix symbolique est fonction de la capacité de réalisation du sèrè et de la superficie cultivée. Mais étant donné que tous les hommes valides du village viennent spontanément ou sur invitation ce jour-là en renfort pour cette forme de labour appelé sènè sunyè, le rendement est très élevé. Le travail réalisé dépasse largement le salaire payé qui n’est d’ailleurs que symbolique. Ainsi le labour de plusieurs champs procure au sèrè des bêtes qui seront abattues ou vendues au profit de tous les membres du sèrè pendant la grande fête ou salibò qui se situe toujours après les récoltes, donc en pleine saison sèche. Une caisse commune est créée et confiée au sèrèfa qui est trésorier

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et conseiller principal du sèrè. La recette collectée est conservé et répartie équitablement entre les différents groupes constitués pendant la fête. Libérés de tous les travaux champêtres, plusieurs membres du sèrè se déployaient ici et là afin de s’acheter des habits pour bien paraître lors de la fête du sèrè. Certains faisaient des champs individuels de tabac... qu’ils revendaient en ville ou dans les marchés hebdomadaires voisins afin de s’acheter des habits neufs. D’autres se faisaient offrir des animaux par leurs parents dans le même but. Les plus déshérités allaient se faire embaucher comme manœuvres contractuels dans les plantations surtout industrielles dans les zones forestières ou sur les chantiers de construction de maisons dans les centres urbains. Au retour au village, on faisait des cadeaux aux parents avec l’économie réalisée. On n’oubliait pas la fiancée qui, même si elle ne faisait pas partie du sèrè concerné, devait aussi se parer correctement pendant la fête. Ces fêtes que les jeunes villageois préparaient jadis avec soins entraînaient toujours le retour au village des ressortissants installés dans les villes. À ces occasions, le village retrouvait une animation débordante pendant quelques jours. Ces fêtes avaient l’avantage en plus de leur caractère distractif de fixer au village beaucoup de jeunes qui étaient peu enclin à l’exode rural qui vide malheureusement aujourd’hui nos campagnes. En effet, à l’époque, le fléau que constitue l’exode rural était moins criard qu’il ne l’est aujourd’hui. Malheureusement, le mirage de la ville moderne séduit les jeunes analphabètes qui émigrent massivement dans les centres urbains dans l’espoir de trouver un hypothétique bonheur qui devient très vite chimérique. Très vite désenchantés, déchus par la dure et triste réalité rigoureuse des contraintes de la vie dans la ville, ils deviennent dans la plupart des cas la proie facile des travers sociaux tels que le banditisme, la drogue, l’alcool... Bref! Ils deviennent des parasites et des dangers pour la société. Pour la fête, un hangar en séco (roseaux) est construit sur la place publique pour abriter les fêtards du « tabali pali » ou bien « tabali kanabèn ». Le sèrèfa ou parrain procède à une répartition des filles entre les garçons. Il forme des couples sans tenir compte des sentiments ou des affinités des uns pour les autres. Cette répartition suscite souvent des mécontentements, des protestations voire des disputes. Certains sont mécontents parce qu’ils auraient préféré la compagnie de telles filles plutôt que de celles-là. Certaines jeunes filles adoptent également la même attitude de désapprobation si leur affectation est mauvaise ou non conforme à leur souhait. Les garçons sont donc divisés en plusieurs groupuscules auxquels sont affectées au hasard des filles. On ne tient donc pas compte de leur affinité, sinon on ne s’en sortirait pas. Chaque groupe prépare sa table sous le hangar qui est construit dans un enclos avec portail unique où sont disposées en rangées des tables avec chaises ou bancs, avec des couloirs de circulation entre toutes les rangées des autres groupes. Une vive concurrence pour le meilleur décor oppose les groupes. Les filles apportent leurs plus belles nappes brodées ou leurs plus beaux pagnes pour couvrir leur table et 762


décorer le mur en séco. Certains parents aisés leur prêtent à cet effet de somptueux tapis arabes ou de l’Orient. Dès l’aube du jour J, les tam-tams crépitent ici et là dans le village. Les mères apportent à leurs filles leurs expériences et précieux concours dans l’art culinaire pour préparer d’excellents mets. Évidemment, à table, les mets les plus délicieux attirent plus de convives et les filles qui les ont préparés en sont très fières. Et celles-ci acquièrent la réputation d’excellentes cuisinières qui se propage dans le village. Avant midi, toutes les installations sont terminées et les repas prêts à être servis y sont déposés. Les principaux chefs du sèrè ou de la génération se retrouvent hors du village pour s’habiller de leurs plus beaux habits en vue de leur réception par toute la communauté villageoise. À midi, tous les villageois (jeunes, vieux, femmes et enfants) magnifiquement habillés se portent au-devant d’eux en vue de les recevoir en pompe comme des Princes d’Orient. Le sèrèkuntii est élevé au rang de président et porté triomphalement en hamac par ses camarades du même sèrè ou parfois par des jeunes cadets du sèrè qui suit le leur ou parfois il monte sur un cheval richement vêtu pour la circonstance. Une longue haie d’honneur est formée à l’entrée du village. Les musiciens font preuve de grande virtuosité. Des coups de fusils saluent son entrée triomphale au village. Le cortège sillonne le village en chantant et en dansant pour finalement s’attarder chez le doyen du village qui exprime sa grande joie et rappelle aux jeunes l’intérêt de cette fête de génération qui égaie le village et fait régner entre tous l’esprit de fraternité et de concorde... Les fêtes les plus réussies des générations antérieures sont rappelées avec éclat. Le doyen peut offrir un bœuf, ce qui provoque une grande acclamation. Puis on rejoint le hangar construit et aménagé pour la circonstance où chacun s’installe à sa table achalandée de divers mets. Un service d’ordre impeccable sélectionne les invités d’honneur et les installe aux différentes tables. Même pour ceux-ci, la tenue correcte est exigée. Les jeunes garçons qui parviennent à tromper la vigilance des agents du service d’ordre s’introduisent souvent frauduleusement sous les tables sont recherchés et éjectés de l’enclos. Les après-midi et les nuits (après le souper) sont réservés aux danses folkloriques auxquelles toute la collectivité villageoise participe. La fête peut durer deux à trois jours voire une semaine. Chaque matin on peut abattre, selon les moyens et l’importance du sèrè, un bœuf, des moutons et des chèvres ou deux ou trois bœufs dont la viande est équitablement partagée entre les différentes tables. Le chef de chacune prend la responsabilité de la redistribuer entre les filles affectées à sa table. Le dernier jour de la fête est marqué par des discours du doyen ou de celui du chef du village et des vénérables sages. Ceuxci font l’éloge des organisateurs, félicitent le sèrè, le groupe d’âge organisateur et remercient tous ceux qui ont contribué au succès de la fête. Les uns et les autres encouragent les autres sèrè qui ont l’intention de faire autant l’année 763


suivante ou dans un avenir plus ou moins proche. Le sèrè du jour est convié à récidiver et à améliorer son action ou son organisation. La fête terminée, le village retrouve au fil des jours suivants sa sérénité et sa torpeur habituelles. Évidemment, les commentaires continuent leur entrain pendant des mois et parfois jusqu’à la fête suivante. On se donne rendez-vous pour l’année suivante pour la fête d’un autre sèrè qui tentera de faire mieux que le précédent. On rivalise, la fête est annuelle dans le village mais suivant le nombre des sèrè. La fête est donc cyclique, tournante, alternée, à chacun son tour. Parfois chaque sèrè fête tous les deux ou trois ans. Ah! Si ces fêtes de générations pouvaient subsister dans le ltemps et dans l’espace! En tout cas elles freinaient considérablement l’exode rural des jeunes, véritable fléau de nos sociétés modernes, vers les villes. Elles étaient facteurs de développement, d’éveil et d’animation du village. Un esprit de saine émulation, de concurrence constructive dans les travaux entraînait une nette amélioration de la production de denrées alimentaires et assurait l’autosuffisance alimentaire de la collectivité. Ainsi, la solidarité effective dont faisaient preuve les différents Sèrè à l’endroit des indigents et même des nantis moyennant un salaire modique, voire symbolique et celle qui s’instaurait à l’intérieur du même sèrè ou entre les sèrèden entre les sèrè étaient un témoignage de disponibilité de solidarité permanente et réciproque des uns et des autres qui tirait la communauté villageoise de sa torpeur. Il faut noter qu’en cas de maladie grave d’un membre du sèrè ou d’un membre de la famille d’un camarade tous les membres de son sèrè l’assistaient dans les soins. Ainsi, tout sèrèden (tout membre d’un sèrè) indigent, de façon notoire, bénéficiait de la solidarité effective de son sèrè qui pouvait, dans ce cadre, cultiver ou récolter gracieusement son champ. La solidarité effective était pratiquée sans exclusive à l’intérieur du sèrè. LISTE DES SÈRÈ CONSTITUÉS À DAMARO DE 1900 À 2021 N° APPELATION DES NOMS DES CHEFS NOMS DU CLAN ORDRE SÈRÈ DE GROUPES OU DU DU CHEF DU SÈRÈ PRÉSIDENT DU SÈRÈ Kourisirikoron Sèrè 1 ou Korontiilu Gninima Siaka Maténin Koroo Youssouf 2 Doba Sèrè Maténin Mamadi Maténin Mamadi (Kèmèdou) Groupe Baba Mamadi et 3 Dyaragbè-tii Sèrè Baba Mamadi Farimagbè Mamadi (Kèmèdou) 4 Gnaman-Sèrè Tignè Fréssou Camara Kourani Sidikidou 5 Zoumana-Sèrè Tignè Zoumana Camara Kourani Sidikidou 6 Vali-Sèrè Saa Vali Camara Diongbè-Diomandou 7 Kéoulèn-Sèrè Fata Kéoulèn dit Wara Kourani Sidikidou 8 Siaka-Sèrè Macé Siaka Camara Magna Kabadou (Kagbè Férédou) 764


9 Siriki-Sèrè 10 Djiba-Sèrè 11 Drissa-Sèrè 12 Yaya-Sèrè 13 Talibi-Sèrè 14 Amara-Sèrè 15 Vali-Sèrè 16 Youssoufou-Sèrè

Siagbè Siriki Camara Kassian Djiba Camara Moïma Drisa Camara Gnaman Yaya Camara Macé Talibi Camara Bintou Amara Camara Saran Valy Camara Assata Youssoufou Camara

17 Zouman-Sèrè 18 Mamadi-Sèrè 19 Misa-Sèrè 20 Kalilou-Sèrè

Makin Zoumana Mawa Mamadi Camara Séré-Misa Camara Séré Kalilou Camara

21 Kèmo-Sèrè 22 Lassinè-Sèrè

Saran Kèmo Camara Sonè-Kèmo Lassinè Mangbè Amadou Camara

23 Amadou-Sèrè 24 Moctar-Sèrè 25 Mandiou-Sèrè 26 Sékou-Sèrè 27 Sidiki-Sèrè 28 Djiba-Sèrè 29 Fréssou-Sèrè 30 Oumar-Sèrè

Dagbè Awa Moctar Diongbè Morioulèn Mandiou Koro Mawa Youssouf Kariata Sidiki Mawa Djiba Fatouma Fréssou Minata Oumar

31 Bangaly-Sèrè

Saa Losani

32 Abou-Sèrè

Kadiatou Abou

33 Taliby-Sèrè Fatoumata Taliby Amara-Sèrè (dernier Sèrè créé en 34 2021) Kadiatou Amara

Kèmèdou Magna Kabadou (Kagbè Férédou) Magna Kabadou (Kagbè Férédou) Namin Bakarydou Magna Kabadou (Kagbè Férédou) Saaténin Sidikidou Magna Kabadou Tignè Fréssou (Kourani Sidikidou) Bama-Brémadou-SiiFani Sokoudou Kessa Kèmo-Koro Youssoufou Moîma Brahima-Magna Kabadou Maténin Vali-Gnouma Oussoudou Fatouma-Morioulèn-Gninima Siakadou Sonè Kèmo-Awa Amaradou Watta Abdoulayedou Diaoulèn Sékou-Maténin Mamadidou (Kèmèdou) Diongbè Morioulèn-Saténin Sidikidou Koroo Minata Morioulèn Soro Morioulèn Imam Tignè Fréssoudou Minata Morioulèndou Bossobè-Zoumandou (Mékoon Mandiou) Kourani-Sidikidou (fils de Youssouf Super) Laye Tassi foumba (SékouPitidou)

Kourani -Sidikidou

N.B.: Il faut noter que deux enfants nés d’une même mère se retrouvent rarement dans un même sèrè car l’allaitement d’un enfant durait trois ou quatre ans. Pour cette raison de sevrage tardif, les frères et sœurs maternels appartenaient toujours à des sèrè différents. Par ailleurs, pour faciliter la coordination des activités des sèrè, pour faciliter la mobilisation rapide des différents sèrè ou pour faciliter la transmission rapide, ou la circulation d’un message on désignait toujours à cet effet un chef appelé kanbelen kuntii. Il n’y avait pas de critères préétablis pour la désignation de ce facilitateur. Il jouissait très grande autorité morale que tous les sociétaires respectaient rigoureusement. Celui-ci n’était pas nécessairement le plus âgé, le plus beau, le plus nanti... du village. Aussi, il n’était pas indispensable que ce personnage soit issu d’une famille aisée ou d’un clan 765


régnant. En tout cas il devait être une personne autoritaire capable de conduire les troupes à tout moment. Il était aussi et surtout une personne consensuelle, un facilitateur, un rassembleur patient. Le sèrè se confie à un sage appelé sèrèfa et à une femme majeure désignée par le terme sèrèna. Ces deux personnes sont des autorités morales chargées de conseiller les membres du sèrè et de les encadrer dans la recherche des solutions des problèmes qui peuvent surgir en interne, entre les membres du sèrè ou pouvant les opposer à d’autres sèrè du village.

Z-B) TYÉ OU TYÉKÈ ----------o---------« Travaux collectifs bénévoles d’intérêt publique, travaux collectifs rémunérés » ----------o---------« Travaux collectifs gratuits par solidarité au bénéfice d’un indigent ou de toute personne qui en fait la demande » ----------o---------Etymologiquement: tyé-kè signifie faire un travail. tyé = travail kè = faire Tyé ou tyékè sont synonymes de travail collectif d’intérêt collectif ou travail gratuit au bénéfice d’un indigent. On pourrait l’appeler aussi: investissement humain. Dans notre contexte, son explication nous amène donc à parler du travail collectif ou plus exactement de l’investissement humain ou du travail bénévole en faveur d’une personne, d’une famille nécessiteuse ou de toute la collectivité. C’est la solidarité agissante et gratuite dans tous ses sens. Elle est l’un des supports de la société traditionnelle mandingue. En effet, en milieu traditionnel mandingue, la solidarité est effective et fait ses preuves en toutes occasions. Toutes les forces productives valides du village peuvent être exploitées tour à tour par chaque famille pendant au moins une journée, moyennant paiement d’une modique somme ou très souvent bénévolement. Dans ce dernier cas de gratuité, le repas du jour des travailleurs est assuré par le bénéficiaire. Tout chef de famille désirant labourer une grande superficie et manquant de main d’œuvre peut solliciter et obtenir le concours bénévole d’un, de plusieurs sèrè ou de toute la collectivité. C’est le tyékè. 766


En effet ce chef de famille adresse au doyen de la communauté une demande symbolisée par dix noix de cola. La demande est ainsi répercutée au niveau de tout le village. Au jour fixé d’un commun accord, tous les hommes et femmes valides se rendent dans le champ du demandeur qu’ils labourent toute la journée. Pour revigorer l’ardeur des travailleurs ou tyékèlalu, les femmes et les musiciens s’associent au travail. Évidemment le bénéficiaire se charge d’assurer le repas de midi de ce jour. Selon ses moyens il abat un bœuf, un mouton ou une chèvre. En tout cas tout le monde doit manger suffisamment. La quantité, la qualité et la variété des mets ne doivent pas faire défaut ce jour-là, le travail étant ici bénévole. Très souvent, ses parents, amis et alliés (surtout les familles où sont mariées ses filles) peuvent lui venir en aide en lui offrant soit des céréales soit des plats. Parfois les villages voisins sont associés à ce travail bénévole qui ne se limite pas seulement au labour. Il est assez fréquent pendant les récoltes de riz ou de fonio. Cette solidarité de toute la collectivité englobe tous les travaux et se manifeste lors des cérémonies rituelles (initiation, mariage...). Dans cet esprit de solidarité, un vieillard, un malade, un père de famille déshérité ou en voyage bénéficient gratuitement de cette assistance généreuse, et parfois même spontanée de toute la communauté villageoise. Les constructions de cases sont aussi assurées par la communauté sur la base de l’entraide réciproque. La solidarité effective tant dans le bonheur que dans le malheur est la force de la société traditionnelle mandingue. Il faut la sauvegarder, la mettre à l’abri de l’individualisme égoïste qui caractérise les sociétés modernes d’aujourd’hui où l’individu est abandonné à lui-même. Chez nous, en pays mandingue, personne n’est rejetée de la société du fait de sa condition physique, mentale ou matérielle, si médiocre soit-elle.

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DOCUMENT DE LECTURE « LA CHARTE DE KURUKAN FUWA OU LES FONDEMENTS DE LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE MANDINGUE (MANDENKAYA) » SELON FEU SÉKOU KOUYATÉ, ORIGINAIRE DE BIDIKA DANS LA SOUS-PREFECTURE DE FRANWALIA (PRÉFECTURE DE SIGUIRI, RÉPUBLIQUE DE GUINÉE) ----------o---------INTRODUCTION ● - Mandenkaya kèya (structures de la société mandingue) ● - Manden sariya (les lois mandingues) ● - Manden siya (les relations sociales ou l’organisation sociale au Mandingue) L’impérieuse nécessité pour les hommes de vivre ensemble sur un même espace donné les oblige de s’accepter mutuellement, de s’organiser harmonieusement dans leur environnement social et naturel. Cet impératif catégorique de vie communautaire les a amenés, à travers les âges, à concevoir progressivement des règles précises de conduite que chacun doit respecter pour pouvoir vivre en symbiose avec les autres. Ainsi, les devoirs, les obligations et les droits des uns et des autres ont été systématiquement ciblés et codifiés. Mais ces règles sont parfois fluctuantes au gré des vicissitudes de la vie. Aussi, certains évènements viennent souvent, telles des lames de fond, bouleverser ces principes qui s’en trouvent souvent profondément modifiés. Ils sont soit abandonnées soit améliorés, soit consolidés dans l’un ou dans l’autre sens. L’ordre des choses est donc souvent perturbé. C’est ainsi que le Mandingue retient encore de nos jours le règne sanglant de Soumaoro Kanté comme période de déclin sans précédent de son histoire. Devant l’ampleur du drame et du chaos, les Mandenka prirent conscience de cette léthargie, de cette sombre période pour canaliser leurs velléités patriotiques éparses afin de reconstituer l’intégrité territoriale de la patrie disloquée. Il fallait donc absolument reconquérir l’indépendance totale du faso (patrie). Ce sursaut patriotique leur permit de réaliser l’unité de la patrie (faso) et surtout de concevoir un code pénal rigoureux appelé sariya qui devrait entrer en vigueur immédiatement dans les régions libres du Manden et après dans les provinces conquises par Soumaoro quand celles-ci seront libérées. Trois réunions des différentes provinces mandingues furent nécessaires pour élaborer une charte consensuelle initiée d’abord à Sibi Kuru puis amendée à Tyèbèn Fuwa et finalement adoptée et promulguée à Kurukan Fuwa. Cette 768


charte peut être considérée comme la Loi Fondamentale du Mandingue parce qu’elle renferme tous les principes du Mandenkaya ou principes fondamentaux de la civilisation mandingue qui, à peu de variantes prés, est identique dans toutes les provinces du Mandingue. ----------o---------I - LA RÉUNION DE SIBI KURU (SIBI GBARA) La tyrannie de Soumaoro Kanté était devenue une grande humiliation, un joug insupportable pour le Mandingue entier qui s’en était effrité. Pour cette raison, beaucoup de Mandenka furent réduits à la soumission ou contraints à l’exil pour échapper aux exactions. Ce fut le cas de Soundjata Keita qui, fuyant en plus la haine fratricide (fadenya kèlè) se réfugia à Méma avec sa mère Sogolon et son frère cadet Manden Mory. D’autres Mandenka s’exilèrent à Namamba Kuru (Kirina), à Kéla et ailleurs. Pour juguler le joug du tyran et réhabiliter le Manden dans sa grandeur territoriale et dans toute sa noblesse, Kamandian Camara, roi de Sibi, lança un vibrant appel patriotique en conviant tous les Mandenka épris de liberté, de paix et de justice à participer massivement à une réunion de salut public que certains appellent à juste titre « Premier Conseil de Guerre du Manden » (Manden makaran gbara fòlò). Il s’agissait de relever le défi en sauvant la patrie (faso) en danger de disparition. Avaient participé à cette réunion de Sibi Kuru les rois ou chefs de provinces ci-dessous: 1 - Kamandian Camara, roi de Sibi et initiateur de la réunion de Kurukan Fuwa 2 - Saran Kaman Konaté, roi du Toron (Kankan) 3 - Mangan Traoré, roi de Kango 4 - Walyan Manga, roi du Kaarta 5 - Famani Condé, roi du Sankaran 6 - Sòrò Siriman Kamissoko, roi de Kirina 7 - Damandian Diawara, roi de Markala 8 - Siramankan Koïta, roi de Masisodian 9 - Tabon Wana Fran Camara, roi de Tabon Au cours de cette réunion, un événement insolite se produisit. En effet trois oiseaux vinrent se percher sur le baobab tutélaire, protecteur, abri et témoin de la réunion. Chacun d’eux était porteur d’un message singulier. Ils vinrent s’adresser simultanément à cet auguste assemblé en ces termes: Le premier oiseau s’écria: « Manden bara tyi, Manden bara tinyè. » (= Le Manden est en ruine, le Manden est gâté et disloqué.) 769


Le second oiseau enchaîna: « Manden tè se ka tyi mòòba min bèè nyana. » (= Comment le Manden peut-il se désintégrer du vivant et au su et vu de tous ces hauts dignitaires et sages ici réunis?) Le troisième oiseau conclut: « Ni Manden tola a la mòòba minnu kòfè, Manden di kunun, Manden di a wuli, Manden tè tyi muku, Manden di wuliki. » (= Si le Manden suit la voie et écoute la voix de ces patriarches ici présents, il régénérera puissamment et fièrement de ses cendres et prospérera.) Ces trois messages furent si bien perçus par l’auditoire qu’ils devinrent le baromètre des débats. Ainsi, une nette ferveur patriotique s’empara dès lors vigoureusement de toute l’assistance. On discuta alors des mesures urgentes à prendre pour la résurrection et la survie du Manden. De son exil de Méma, Soundjata fit siens les nobles soucis de cette première réunion des patriotes qui devraient prendre les premières dispositions pratiques pour la résurrection immédiate du faso disloqué. C’est ainsi qu’il se rendit à Sibi Kuru avec une escorte de soixante-une personnes pour témoigner sa totale adhésion à l’esprit de la réunion, notamment la libération inconditionnelle du Manden du joug et de la tyrannie du roi Soso. En tant que patriote convaincu et prince frustré de ses droits légitimes, il ne pouvait rester en marge de ce processus historique de reconquête de l’indépendance et de l’intégrité territoriale du Manden. Il se distingua au cours des débats par ses interventions déterminantes, par son ardeur inébranlable de mettre rapidement en application les recommandations et mesures décidées. Au terme de cette réunion, les devins recommandèrent, à cette auguste assemblée, de faire avant la fin des travaux et le retour des participants chez eux, un sacrifice insolite dont les éléments constitutifs furent immédiatement réunis par Kamandian Camara, le promoteur de cette mémorable et historique réunion de la dernière chance. Il fallait sacrifier avant de se séparer: ■ Sept taureaux rouges (tora wulen wòrònfila) ■ Sept béliers rouges (saadyii wulen wòrònfila) ■ Sept béliers noirs (saadyii fin wòrònfila) ■ Sept boucs rouges (bakòrònin wulen wòrònfila) ■ Cent coqs blancs (dondon gbè kèmè) Ces animaux furent immolés à la mémoire des ancêtres et pour la résurrection, l’unité, la prospérité et la victoire finale du Manden sur ses ennemis. On se sépara après ces sacrifices avec la ferme volonté de se retrouver sous peu à Tyèbèn Fuwa ou lieu de retraite des hommes pour une deuxième conférence élargie à toutes les provinces du Mandingue pour faire le point sur l’application des recommandations de la réunion de Sibi Kuru.

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II - LA CONFÉRENCE DE TYÈBÈN FUWA Les velléités de résistance farouche à la tyrannie de Soumaoro Kanté avaient fait de nombreux émules masculins et féminins dans toutes les provinces du Mandingue. Les plus radicaux firent massivement le déplacement pour rehausser l’éclat de la réunion de Tyèbèn Fuwa. Cette ferveur patriotique les amena à poser les bases juridiques de la future société mandingue après l’ère ensanglantée du tyran Soso. À cette réunion qui amorça l’unité éternelle du Mandingue et harmonisa ses relations avec ses voisins et alliés, avaient participé entre autres: 1 - Soundjata Keita 2 - Manden Mory Keita, frère cadet de Soundjata 3 - Tabon Wana Camara, roi de Tabon 4 - Kamandian Camara, roi de Sibi et l’initiateur de la réunion de Sibi Kuru 5 - Mansa Traoré 6 - Famani Condé, roi du Sankaran 7 - Fakoli Kourouma, neveu de Soumaoro Kanté 8 - Daman Diawara 9 - Sòròmba Koïta 10 - Séyan Kissi Konaté, roi du Toron 11 - Biton Coulibaly 12 - Karamata Konkon 13 - Sansa Saralon --Au terme de cette deuxième réunion des Mandenka à Tyèbèn Fuwa, Soundjata, le Messie, fut reconnu et intronisé officiellement roi incontesté du Manden. Aussi, de cette concertation, sortit un projet de code pénal consensuel qui devrait dorénavant régir la vie des Mandenka. C’était bien la réponse à la question suivante: « Quel type de société faut-il mettre en place au Mandingue après la chute de Soumaoro Kanté? » Par rapport à cette question fondamentale et pour bâtir un état viable et stable, on procéda au recensement systématique des devoirs, obligations et droits de tous et de chacun. On mit l’accent sur les interdits dont le respect scrupuleux devrait mieux sécuriser l’individu et toute la société et assurer la bienséance pour tous. Aucun aspect d’une vie communautaire harmonieuse ne fut négligé. Toutes ces dispositions furent consignées dans une charte de 44 articles qui régit encore de nos jours la société traditionnelle mandingue dans bien de nos villages. Certains de ces articles sont encore, heureusement, mis à l’abri de la dépravation de nos mœurs. Kurukan Fuwa fut retenu pour abriter les travaux de la troisième réunion extraordinaire et générale des Mandenka pour entériner 771


la nouvelle charte, d’où son nom de « Charte de Kurukan Fuwa » qui n’est autre que le recueil de tous les principes, de toutes les bonnes règles et de tous les interdits qui régissent le comportement individuel de chaque Mandenka et de celui de toute la société mandingue. Depuis, ces fondements multiséculaires de la société mandingue constituent le baromètre de certains villages et de certaines provinces qui se réfèrent encore à certaines de ces vertus. III - LA CHARTE DE KURUKAN FUWA Les gens de Kurukan Fuwa furent chargés de construire à cet effet trente hangars (Gba ou Dyasa) à la place retenue pour abriter la conférence. Ce qui correspond à vingt-neuf tributs ou provinces. Le trentième hangar dont le mirador devrait être plus haut que les autres fut réservé aux nyara (griots) dont le porte-parole était le célèbre Balla Fasséké Kouyaté, fidèle compagnon de Soundjata, afin de permettre à celui-ci d’être entendu le plus loin possible et permettre aussi aux participants les plus éloignés d’entendre les commentaires des résolutions ou plus précisément le contenu du nouveau code de bonne conduite des Mandenka. Devant cette foule bigarrée de Mandenka réunis à Kurukan Fuwa, l’honneur revint à Soundjata Keita de livrer le contenu de ce bréviaire. Son célèbre griot, Balla Fasséké Kouyaté, le répétiteur, amplifiait et commentait haut et fort chacun des 44 articles de la charte qui sont, même de nos jours, les fondements intangibles de la société et de la culture mandingues. Il faut noter que les chroniqueurs de cette tradition et les historiens de cet empire moyenâgeux ne s’accordent pas sur la date de la tenue de cette fameuse réunion de Kurukan Fuwa. Certains la situent en 1236, donc immédiatement après la fameuse bataille de Kirina au cours de laquelle Soundjata vainquit Soumaoro Kanté. Par contre, d’autres soutiennent que la conférence de Kurukan Fuwa est bien antérieure à 1235. Sans nous attarder sur la période et sur ce débat entre les érudits de l’histoire tumultueuse et passionnante du Manden, retenons plutôt l’événement, son contenu et son incidence sur la vie des Mandenka.

Article 1: Composition de la société mandingue Le Manden se compose de 30 catégories de personnes ou de 30 clans complémentaires qui sont: a) - Tontadyòn mòò tan ani wòrò (Les 16 clans nobles qui ont volontairement renoncé à la chefferie, au pouvoir, au commandement suprême, mais qui sont les seuls habiletés à introniser les chefs... Condé, Traoré, Konaté, Camara...) b) - Mansa bonsi mòò naani (les 4 clans régnants): 772


1 - Danwoo 2 - Coulibaly 3 - Konaté 4 - Keita c) - Mori bonsi loolu (les 5 familles de marabouts qui sont): 1) - Mandian Bérété 2) - Sigbè Mara Cissé 3) - Sirimankana Touré 4) - Séré Bouari Diané 5) - Séry Kaman Sylla d) - Nyara si naani (les 4 groupes de griots ou de gens de castes): 1) - Numu: Forgeron (artisan qui fabrique les outils agricoles) 2) - Dyeli: Griot (généalogiste, musicien, troubadour. Il vit des louanges qu’il fait surtout lors des cérémonies de circoncision, d’excision, de baptême, de funérailles, de mariage et de réceptions faites en l’honneur des chefs, ou lors des fêtes de générations, des fêtes religieuses ou à l’occasion de toutes les réjouissances.) 3) - Fina: Griot de second ordre (cette catégorie inférieure de griots est liée à une famille qui l’utilise comme ambassadeur. C’est elle qui négocie les mariages. Le fina est un allié inconditionnel de son maître.) 4) - Garanké: Cordonnier (cette classe englobe très souvent les autres artisans: menuisier (siyaki), tisserand (dyesedanna). Dans certaines provinces se trouvent les gawulo qui constituent une catégorie de fina très méprisée. C’est presque des parias. Ils se caractérisent par une effronterie au-dessus de toute gêne. Ils peuvent recourir parfois à la nudité pour obtenir ce qu’ils veulent. e) - Dyòn: Esclave On en distingue trois types: Dyòn, Sandyòn et Boridyòn. 1 - Dyòn: Esclave de naissance. Il fait partie intégrante de l’héritage des familles nobles, régnantes et nanties. Ce sont des inconditionnels dont la fidélité n’a jamais fait défaut. 2 - Sandyòn: Esclave acheté sur les marchés ou gagés. Il cherche toujours à s’affranchir (ka a yèrè kun makaran = ka a yèrè kun maka). 3 - Boridyòn: Esclave ou captif de guerre. Cette dernière catégorie est en fait le produit ou le butin de guerre (kèlè kanson). Comme tel, il peut fuir dès qu’il en a l’opportunité d’où son nom de boridyòn (bori = fuir = fuite = courir), autrement dit, il est attrapé suite à une course effrénée et peut fuir dès qu’il peut le faire.

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Ainsi donc: 16 clans (a) + 4 clans (b) + 5 clans (c) + 1 clan (e) + 4 clans (d) = 30 clans qui constituent la société traditionnelle mandingue.

Article 2: Les nyara ou griots a) - « Nyaralu ye badenya lada. » (= Que les griots consolident la fraternité, reconstituent ou recollent le tissu social déchiré en s’impliquant dans la résolution des conflits entre les individus, entre les familles, entre les chefs, entre les clans, et entre les villages et les pays. Ce fut le cas de la brillante intervention du chantre Sory Kandia Kouyaté qui, par des chants circonstanciels appropriés, réussit, en 1975, à reconcilier publiquement, sur la scène de spectacles du Palais du Peuple de Conakry, les Présidents et Généraux Moussa Traoré du Mali et Lamizana de la Haute-Volta dont les pays étaient engagés dans une stupide guerre fraternelle pour une question de frontière, alors toutes les institutions sous-régionales (CEDEAO), continentales (OUA) et le Conseil de Sécurité des Nations Unies avaient lamentablement échoué dans leurs tentatives de médiation. Par la magie des mots, Sory Kandia Kouyaté put brillamment faire taire les crépitements des mitraillettes et des canons destructeurs pour laisser la priorité au dialogue constructif, parfois plus efficace que la violence pour résoudre les conflits. Cette catégorie des griots était d’excellents négociateurs et ambassadeurs des souverains.) b) - « Nyaralu ye furu lada. » (= Que les griots nouent les mariages.) c) - « Nyaralu ye kèlè ban badenlu tè. » (= Que les griots réconcilient les frères ennemis.) d) - « Nyaralu ye kèlè ban kabilalu tè. » (= Que les griots réconcilient les familles et les frères hostiles.) e) - « Nyaralu ye kèlè ban dyamanalu tè. » (= Que les griots désamorcent les conflits entre les pays.) f) - « Nyaralu ye kèlè ban mansalu tè. » (= Que les griots réconcilient les chefs hostiles.) La mission sacrée des griots qui sont des catalyseurs positifs consiste à réconcilier les frères ennemis, les amis opposés, les ménages disloqués ou en voie de l’être, les familles, les clans, les voisins, les pays, les chefs… en conflits. Ils doivent donc éteindre les foyers de tension et de guerre. Ils constituent un véritable liant qui soude harmonieusement les différents éléments du tissu social. Par la magie du verbe, ils sont capables d’envenimer des conflits ou d’en créer. Ils doivent ressouder, raccommoder ou recoudre les différents morceaux du tissu social en banalisant les conflits et leurs motifs. C’est pourquoi on dit « qu’ils sont des aiguilles de la société, des ambassadeurs, des négociateurs habiles... ». 774


Aussi ils doivent, sans complexe ni risque, louer publiquement les nobles et indexer les captifs, les esclaves et les bâtards. La dénonciation publique du bâtard qui est une souillure de la société, contraint les femmes à éviter de donner naissance à des enfants de cette espèce. Ce qui est un moyen certain de lutter contre la dépravation des mœurs, contre l’adultère.

Article 3: Moribon si loolu ye silamaya ladon Manden kònò (= Que les cinq clans de marabouts (Bérété, Cissé, Touré, Diané et Sylla) répandent l’Islam dans le Manden afin que le peuple puisse mieux comprendre et suivre la voie indiquée par Dieu et le Prophète Mahomet.)

Article 4: Kamaralu le ye Manden mòò fòlò di = Kamaralu le ye Manden duutii fòlò di (= Les Camara sont les premiers occupants du Mandingue = Les Camara sont les premiers propriétaires du Mandingue = Les Camara sont les premiers détenteurs du pouvoir du pouvoir au Mandingue) « Kamaralu le kènin Manden mòò fòlò di. » (= Les Camara sont les premiers occupants du Manden.) « Kamaralu le kènin Manden mansa fòlò di, alu le kènin tontii di. » (= Les Camara sont les premiers détenteurs du pouvoir au Manden.) « Alu ye dinyè Kamaralu la mansaya ma. » (= Ne contestez pas le pouvoir, l’autorité, le commandement des Camara.) Etymologiquement, Camara se décompose en ca (ka) et en mara, ca (ka) = action, mara = garder, régner, commander, blesser. Donc Camara signifie action de garder, de régner, de commander ou de blesser.

Article 5: À propos de l’étranger - l’Hospitalité « Ayi ye lonan bunyè. » (= Respectez l’étranger.) « Ayi ye hina lonan na. » (= Protégez l’étranger.) « Lonan kènin Ala la karifa le di. » (= L’étranger un don de Dieu que vous devez protéger; entretenez-le, logez-le, donnez-lui à manger...)

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« Ayi ye siiyòrò karifa lonan na, wa ayi kana kotiiya di lonan ma. Ni ayi ka kotiiya di lonan ma, lon do a di kotiiya mina alu la, a di kè kotii di, alu dòròn di kè lonan di. » (= Confiez lui un lopin de terre pour qu’il s’y installe. Mais qu’il n’en fasse pas sa propriété. Aussi, ne partagez jamais vos prérogatives avec l’étranger à fortiori ne le nommez pas chef car lui ou ses descendants risquent de vous déborder et de vous phagocyter plus tard. Protégez donc l’étranger, mais ne lui donnez jamais l’épée du commandement, car il peut vous transformer en sujet. Malgré tout l’hospitalité bien dosée est une vertu sacrée intangible au Manden.)

Article 6: Le mariage « Ayi ye muso furu ayi dentyè nyè min bara san muwan sòrò. » (= Mariez obligatoirement tout adolescent âgé de vingt ans.)

Article 7: À propos de la puberté « Denmuso min bara san tan ani loolu sòrò, wa san tan ani wòrò sòrò, ka kan ka furu. » (= Toute fille âgée de quinze ou seize ans doit vivre obligatoirement dans un foyer conjugal.)

Article 8: Hòròn di se ka dyònmuso furu; woloden tè dyòn di (= Un noble peut épouser une esclave. L’enfant issu de ce mariage n’est ni captif, ni esclave, mais un noble à part entière.)

Article 9: Hòròn man kan ka dyelimuso furu (= Un noble ne doit pas épouser une griotte à fortiori une fina. Outre passer un tel interdit entraîne la déchéance morale et matérielle (éclipse totale ou partielle de son aura), échec des affaires. Si toutefois qu’une griotte est épousée par un noble, ce dernier ne doit pas empêcher celle-ci de pratiquer sa culture, le griotisme. Les griots (dyeli, fina, numu...), d’une manière générale, les gens de castes sont confinés dans un créneau de mariage endogamique rigide voire non étanche.)

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Article 10: Dyeli man kan ka hòrònmuso furu (= Un griot ne doit pas épouser une femme noble. En dépit de cette prohibition, si un tel mariage contre nature est noué, le griot ne doit pas contraindre son épouse noble de pratiquer le griotisme qui n’est pas sa culture.)

Article 11: Le divorce « Ai ye furu lasabati; bèè ye furu makaran. » (= Faire tout pour sauvegarder un mariage. C’est toute la collectivité villageoise qui noue le mariage et elle doit donc s’impliquer en cas de dissensions graves entre les époux, entre les familles alliées, entre les clans... Du fait que la vie d’un couple est l’affaire de toute la société, toutes les pressions sont utilisées pour éviter le pire. Mais en cas d’échec de tous les bons offices, le divorce n’est jamais prononcé au village afin d’éviter ou d’atténuer le malheur qui suit après le divorce. Dans ce cas, on se retire en brousse, ou à un carrefour, sous un arbre pour prononcer la rupture des liens sacrés. L’histoire retient que certains arbres, ayant abrité la séance fatidique de divorce, ont séché quarante jours après.) Les motifs du divorce « Furu sa kun » Les seuls motifs retenus au Mandingue pour disloquer le mariage sont: 1 - La stérilité notoire ou l’impuissance sexuelle du mari. Cependant, quand la femme se trouve dans une telle posture incommode, elle fait tout pour couvrir l’infortune de son mari. Très souvent c’est la femme qu’on incrimine à priori et souvent à tort, car la stérilité du mari est rarement mise en cause par la société. C’est la femme qui est toujours accusée et qu’on soumet à des traitements, surtout quand le mari accomplit efficacement les rapports sexuels. Il faut attendre que le mari soit incapable de féconder deux ou trois épouses. Après ce constat on cherche la cause de la stérilité de son côté. En effet, dans le cas d’incapacité de procréer avec sa première femme, le mari peut marier d’autres femmes dans l’espoir que celles-ci pourront enfanter pour lui. Mais s’il s’avère que c’est l’époux qui est en cause, les femmes peuvent sans contrainte rester ou alors partir tenter leur chance dans un autre foyer. Pour camoufler le problème on fait recours à un autre homme. Très souvent c’est le jeune frère ou le jeune cousin du mari qui se substitue à lui pour procréer dans la discrétion et le respect absolu du mari. Les enfants issus de cette union sont reconnus et adoptés par le mari stérile ou impuissant. Évidemment, ce dernier ne doit pas être jaloux. Aussi le substitut n’a aucun droit de paternité sur les enfants même quand ceux-ci lui ressemblent physiquement. On tolère cet arrangement ou cette situation pour ménager la susceptibilité et la dignité du mari.

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2 - La folie du mari. Ce cas est suffisant pour prononcer le divorce si l’épouse ne veut plus rester dans ce foyer. Par contre si la femme est en état de démence, son mari est tenu de la soigner. Il est obligé de faire face aux frais qu’exigent les soins de celle-ci, aussi longtemps que possible. Il peut l’envoyer chez les beaux-parents en accord avec ceux-ci. Et même dans ce cas, son assistance morale et matérielle ne doit pas faire défaut. 3 - L’incapacité notoire de l’époux d’entretenir sa femme matériellement et moralement (la nourrir, l’habiller, la soigner---). Ce dernier motif est rarement appliqué même dans les cas d’extrême pauvreté dont l’époux n’est pas responsable. Mais on n’est pas tolérant vis à vis du mari quand il a les moyens suffisants et qu’il refuse de faire le bonheur de son épouse parce qu’il ne l’aime pas ou alors si par avarice ou par mauvaise volonté il est coupable d’un tel acte. 4 - L’excès de violence physique sur la femme peut entraîner le divorce. Parfois c’est toute la société ou l’environnement social immédiat du couple qui prend l’initiative ou appuie la démarche de la femme ou de ses parents qui engagent la procédure si les avertissements n’ont pas d’effet. Dans une telle situation, les témoignages des voisins immédiats l’accablent.

Article 12: De l’esprit de bon voisinage a) - « Ayi ye ayi siinyòòn bunyè; ayi ni ayi siinyòòn ye bèn; bènnin sii diyala. » (= Créez et entretenez l’esprit de bon voisinage. Le respect du voisin et de son domicile est obligatoire. Aussi, obligation vous est faite d’accepter l’intercession du voisin dans tout conflit qui vous oppose à tiers et surtout à un des vôtres. Évidemment la réciproque est valable et est de rigueur.) b) - « Ayi kana sòn ka ayi den gbasi siinyòòn bara. » (= Ne frappez jamais chez votre voisin votre enfant qui s’est réfugié chez celui-ci et surtout pendant qu’il s’y trouve, quelle que soit l’intensité de votre colère ou la gravité de la faute commise. Une telle maladresse ou manque de respect (dyomaya) est condamnée et provoque toujours une riposte violente du voisin dont le domicile est violé. Le père ou le mari agresseur est réprimandé par le conseil des sages qui l’oblige de présenter ses excuses publiques et de s’engager de ne plus jamais récidiver.) c) - « Ayi kana sòn ka ayi muso ani ayi den gbasi ayi siinyòòn bara. » (= Il vous est formellement interdit de frapper votre épouse ou votre enfant qui a demandé protection ou asile chez votre voisin.) d) « Mòòsiinyòòn le i baden fòlò di; mòòsiinyòòn le i ma kalanna ni tanama ka i sòrò; sani i badenlu ye na. » (= C’est votre voisin immédiat qui vous offre la première assistance en cas de danger - incendie dans votre maison, agression par les malfrats ou vol de 778


vos biens, accident, grave, maladie nocturne, décès dans votre maison... C’est effectivement bien après vos voisins que vos propres parents interviennent. Le Mandingue attache une importance particulière au respect du voisin, de son domicile et de ses biens et à l’harmonie de chacun avec son environnement social.)

Article 13: Ayi kana musolu labò ko bèè kò (= N’écartez pas les femmes de la résolution de tous les problèmes de la cité. Associez-les à la prise des grandes décisions. Impliquez donc les femmes dans les différentes activités de la société, car l’homme n’est rien sans la femme. Elle est son complément. Donc associez les femmes à tous les projets. Elles peuvent et doivent contribuer largement à la réalisation de l’édifice, au bienêtre social. La femme est le complément de l’homme. Il ne faut pas la minimiser outre mesure. En application de cet article, Soundjata Keita n’avait-il pas nommé des femmes dans son conseil de guerre?)

Article 14: Manden kònò, ayi ye ayi fanda ko saba ma (= Au Manden, méfiez-vous de trois choses.) 1) - « Kobatii tan. » (= Méfiez-vous d’une grande affaire sans responsable, sans superviseur, ce qui est synonyme de pagaille, d’anarchie.) 2) - « Kobatii siyman. » (= Méfiez-vous d’une affaire gérée à la fois par plusieurs personnes, ce qui provoque une grande pagaille, la cacophonie.) 3) - « Muso kotii. » (= Méfiez-vous d’une affaire dirigée par une femme. Pour compenser son complexe d’infériorité féminine, une femme responsable fait souvent preuve d’autorité excessive, d’abus de pouvoir pour s’affirmer.)

Article 15: Manden kotiiya ye kòròmamòò le bolo (= Au Manden le droit d’aînesse est inaliénable. La responsabilité et l’honneur reviennent de plein droit à l’aîné. Chacun est tenu de respecter tout aîné, quelle que soit la condition sociale, matérielle, morale et physique de celui-ci. Toute personne aînée est implicitement et affectueusement appelée par le terme révérencieux de n kòrò ou kòrò (grand frère ou grande sœur). Ce respect scrupuleux de l’aîné est un des principes fondamentaux de l’éducation traditionnelle mandingue.)

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Article 16: Manden kotiiya ye fa kunda le la (= L’autorité des oncles et tantes paternels est incontestable et intangible. En effet, soyez plus âgé, plus fort physiquement, plus nanti, socialement mieux placé... que votre oncle et votre tante paternel et maternel, vous êtes tenus de le respecter et de tenir compte de sa présence, de ses démarches et de son point de vue, car l’oncle ou la tante s’identifie au papa ou à la maman. Le neveu ne doit pas être chef de village (sotii), chef de province (dyamanatii), chef de clan (kabila kuntii)... tant qu’un de ses oncles paternels est vivant et surtout quand celui-ci est sain de corps et d’esprit. Toutefois, le neveu peut accéder à l’autorité à condition que son oncle héritier se dessaisisse volontairement en sa faveur. Et même dans ce cas il doit le consulter sur tous les problèmes et tenir compte de l’avis de l’oncle, ou de l’informer des décisions qu’il a eu à prendre... Fa dòònin sago ka kan ka don ko bèè lòn.)

Article 17: Saya foli bara kè fanga di ka la bèè kan Manden kònò (= La présentation des condoléances aux éprouvés devient obligatoire pour tout le monde au Mandingue.) « Saya foli ye mòòlu tin don ani nyòòn don. » = Témoigner sa compassion aux éprouvés lors d’un décès ou d’un malheur consolide les liens de fraternité, de solidarité et raffermit l’esprit de bon voisinage. Ce geste hautement apprécié au Mandingue permet de réconcilier deux ennemis jurés, deux familles ou deux clans hostiles. Le Mandingue ne tolère pas la défaillance de son voisin, de son frère, de son allié, de ses connaissances par rapport à ce principe sacrosaint. Le témoignage de la compassion lors d’un décès est donc une contrainte pour toute la société à l’endroit des éprouvés. Quand bien même il s’agit du décès d’un ennemi juré ou du décès d’un membre d’une famille hostile, cette démarche est considérée comme conciliante. Elle peut parfois englober tout autre malheur majeur... (incendie de la maison, récolte ou champ consumés par le feu...).

Article 18: Wuyawuya ka a san binaani sòrò, wo bara kè tunyè di (= Tout mensonge qui survit pendant quarante ans devient vérité. Par exemple une naissance douteuse ou indigne - bâtard notamment - qu’on tolère ou qui n’a pu être démenti pendant quarante ans devient vérité qu’il faut accepter comme telle et ne saurait ternir outre mesure l’image de l’enfant en cause.)

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Article 19: Ban ka fisa dyanfa di (Refusez clairement, catégoriquement et irréversiblement plutôt que de trahir. « I ban, wa i kana dyanfa kè. » Ayez le courage d’exprimer honnêtement votre opinion si amère soit-elle, votre position si dure soit-elle, votre décision si sévère soit-elle... plutôt que de trahir, que d’agir sournoisement. Donc assumez sans ambages la responsabilité totale et entière ou les conséquences qui découlent de votre libre choix, de votre libre opinion, de votre décision conséquente.)

Article 20: Tunyè ka fisa wuya di. Tyè b’i ban, a fò n tè! (= Dire la vérité en toutes circonstances plutôt que de mentir. Quand un homme intègre refuse, il dit clairement, catégoriquement et irréversiblement NON! La vérité est amère, mais elle libère.)

Article 21: Ayi ye ayi dyuulu kèlè gbè rò (Combattez loyalement et ouvertement votre ennemi.) a) - « Ayi ye ayi dyuu mina. » (Attrapez votre ennemi.) b) - « Ayi ye ayi dyuu faa. » (Tuez votre ennemi.) c) - « Wa, ayi kana ayi dyuu lamaloya. » (Mais n’humiliez pas votre ennemi, car il a une dignité qui mérite respect.)

Article 22: Le terme d’échange (troc) relatif aux animaux est le suivant: - Un bœuf vaut quatre moutons. - Un bœuf vaut six chèvres.

Article 23: Une personne qui élève des animaux domestiques pour le compte d’une autre personne est récompensée ou rémunérée de la façon suivante: a) - Les trois premières couches appartiennent ipso facto au propriétaire de l’animal. b) - La quatrième gestation revient à l’éleveur en guise de salaire ou de rémunération.

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Article 24: Ile lonantyè, ile duurèn, bò so kònò ni i tè se ka so min sariya lasabati (= Toi étranger, toi autochtone, quitte tout village, toute province ou tout pays dont tu ne peux pas ou ne veux pas respecter les lois, les règles de bienséance et d’hospitalité au lieu de les transgresser. L’étranger doit respecter scrupuleusement les lois du pays hôte ou alors qu’il le quitte s’il ne peut s’y soumettre.)

Article 25: Ayi kana ayi mòònyòòn mina iyo biyan (= Il est interdit de traiter comme un animal une personne, même s’il s’agit d’un esclave ou d’un captif. Du fait de sa condition humaine, toute personne a une dignité qu’il faut respecter.) Il faut noter qu’à la page 265 de » La Grande Geste du Mali », feu Wa Kamissoko du Mali, rapporte cette recommandation importante de Sogolon Koudouman faite à son fils, Makan Soundjata, prince héritier frustré en exil et futur empereur du Mali, « … si les Malinké consentent à mettre fin à l’esclavage et à ne plus placer le fer dans la bouche de leurs semblables pour aller les vendre, alors accepte d’être leur Mansa. Mais s’ils s’y refusent, repousse catégoriquement leur « mansaya » qu’ils lui proposent. » Ceci dénote donc le souci de Sogolon d’enrayer les traitements inhumains dont la pratique était générale, courante et tolérée à l’époque.

Article 26: Ayi kana tyila-laseden dòòya. Ni ayi ka tyilalaseden dòòya, mòò min ka a tyi, ayi ka wole dòòya (= Le Mandenka ne doit pas s’en prendre à un commissionnaire (tyilalaseden) qui n’est pas responsable du contenu et de la forme du message qu’il transmet. Toute maladresse, tout manquement, toute humiliation à son endroit rejaillit sur son mandant tout comme tout honneur qu’il reçoit au cours de sa mission.)

Article 27: Musolu ye denlu se bò alu la sinaya lò = Musolu la sinaya kana se denlu ma (Que les enfants d’un même père soient mis hors des hostilités sournoises, sourdes et implacables de leurs mères. Que les frères paternels soient égaux en droits et en devoirs. La division des enfants d’une même famille est généralement la conséquence de cette lutte implacable des coépouses pour avoir les faveurs du mari commun et des neveux de celui-ci.)

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Article 28: Manden siinin-ko saba le ma (= Le Manden repose sur trois principes, sur trois valeurs ou sur trois piliers.) 1) - Tunya. (La vérité: chercher et dire la vérité en dépit de tout, quels que soient le prix et les conséquences.) 2) - Sènè kè, ka konko matanga. (Généraliser l’agriculture pour produire en abondance afin d’assurer l’autosuffisance alimentaire. Il faut éviter la faim, la disette.) 3) - Kolòn, hakili labaara, ani bèn. (Le troisième pilier est le savoir, la sagesse, la tolérance, la fraternité, la recherche de l’harmonie sociale.)

Article 29: Ka biyanlu mina sènè waati (= En période de culture, mettre fin à la divagation des animaux domestiques (moutons, chèvres, bœufs,...) afin d’éviter les dégâts dans les champs. Les contrevenants doivent payer une amende dont la valeur est en rapport avec l’importance du sinistre causé.)

Article 30: Dyiko, tuko (pluviométrie, déforestation) - Manden si ni sènè le ma. (= L’agriculture est l’activité principale des Mandenka.) - Sènè tè sabati ni dyi tè yèn. (= Sans eau, pas d’agriculture.) - Yiritèèba ani tasunba le ye dyiko gbèlèya. (= Le déboisement systématique, les feux de brousse détruisent la flore et créent la peignerie d’eau.) - Alu ye yiridennalu sènè. (= Reboisez, plantez des arbres fruitiers.) (L’agriculture étant la principale activité des Mandenka, on ne peut réaliser une bonne productivité sans suffisamment d’eau. Et pour qu’il y ait assez d’eau, il faut cesser de couper systématiquement les arbres. Il faut arrêter le déboisement sauvage, les feux de brousse dévastateurs et encourager la plantation des arbres fruitiers. Le souci de préserver l’environnement naturel était déjà dans les consciences.)

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Article 31: Sariyalakanabaa = Ton-kun na siila = Sariya-kun na siila Sariyala kana bò mankan ka sariya tinyè. Tontii ka kan ka tilen (= Que ceux qui incarnent la loi (sariya), qui sont chargés de l’appliquer, que ceux qui doivent veiller sur les interdits fassent preuve de rigueur, d’intégrité morale envers eux-mêmes, envers les leurs et envers les autres. Ils doivent donner le bon exemple en respectant les principes, les règles de bonne conduite. Ils doivent chercher à dire la vérité, juger avec lucidité, objectivité, entendre toutes les parties en conflits, analyser et discriminer leurs versions des faits et des évènements afin de pouvoir décider en parfaite connaissance de cause. Ainsi, ils pourront éviter les frustrations et les erreurs judiciaires. Que les peines soient en rapport avec les délits. Aussi, il doit appliquer les sanctions de façon impartiale, car personne ne doit être au-dessus de la loi).

Article 32: Vol Une personne qui vole du manioc, de la patate, du maïs... dans un champ pour assouvir tout juste sa faim n’est pas considérée comme voleur, car c’est la nécessité ou le besoin de survivre qui l’a contrainte à commettre cet acte. Mais par contre celui-ci est qualifié de vol répréhensible dès que la personne affamée en apporte suffisamment à la maison.

Article 33: Fraternité, alliance et solidarité - Alu ye ayi baden makaran. (= Assistez vos frères en difficultés, rachetez leur liberté.) - Alu ye ayi sanankunlu makaran. (= Aidez et sauvez vos sanankun en danger.)

Article 34: La paix sociale - Mandenkalu alu ye bèn. (= Que les Mandenka prêchent et cultivent la fraternité, l’entente, la paix, l’amour du prochain.) - Alu ma fèn ma sòrò bèn nò, kèlè tè nala wo dila alu ma. (= Le bonheur que vous n’avez pu obtenir dans la paix, ce n’est pas la guerre ou la mésentente qui vous le procurera.) - Benbaliyaso benbaliyaso bèè ye lon kelen tonbon ne di.

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(= Tout pays en constantes hostilités internes ou externes ou en guerre perpétuelle ne connaîtra jamais le développement et bonheur et sera inéluctablement un jour un amas de ruine. Toute cité où règnent en permanence la suspicion, la haine, l’intolérance, la mésentente, l’hostilité… n’est que ruine en puissance.) - Mandenkalu, alu ye badenya lòòdiya. (= Que les Mandingues s’imposent la paix sociale, l’amour fraternel, la concorde...) - Manden fadenya kèlè ye sunòòla le, wa a fadenya tè banna. (= Au Mandingue, on évite les querelles fratricides, car une fois déclenchées, elles peuvent somnoler un moment donné ou connaître un certain répit, mais elles ne finissent jamais, et peuvent se raviver brusquement un jour, autant donc ne pas les déclencher. Évitons les conflits et les guerres fratricides.)

Article 35: Atteinte à la pudeur « Mòò malobali, kanbelenba, diyalon, kodyuukèla... alu ka kan ka ayi lamaloya bara lò. » (= Les malfaiteurs, les escrocs, les personnes prises en flagrant délit d’adultère, les criminels... doivent être humiliés publiquement. Ils doivent être ligotés, battus et exposés à la risée publique, au besoin sur la place publique. Ils doivent subir une correction corporelle exemplaire et payer après une amende. Aussi, leurs victimes doivent être dédommagées matériellement et moralement.)

Article 36: De la défense nationale et de l’intégrité territoriale - Manden ka kan ka a yèrè makaran. (= Le Manden doit se défendre.) - Manden ka kan ka a la sofa-fafa sii dyamana tunkun naani bèè la (= Le Manden doit construire des camps militaires (sofa-fafa) aux quatre points cardinaux ainsi qu’à l’intérieur afin d’assurer la défense de l’intégrité territoriale de ses états contre les agresseurs et envahisseurs et assurer sa sécurité intérieure et extérieure et sa stabilité.)

Article 37: Ayi ye biranya bunyè, wole ye denlu barakada la (= Respecter obligatoirement les beaux-parents, car ceci peut contribuer à l’ascension, à la réussite matérielle et morale des enfants issus du mariage.)

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Article 38: La fraternité - Ka badenya lòòdiya. (= Cultivez la fraternité.) - Ni wo kèla, alu di ayi nyòòn tònò damu. (= L’entente, l’harmonie, la tolérance, la solidarité réciproque effective, la vraie fraternité, l’amour sincère du prochain... équilibrent l’individu et créent la paix sociale au profit de tous.)

Article 39: Mandenkalu, ayi kana la ko bèè la, ayi kana tèè ko bèè lò - Ayi kana la ko bèè la. (= Ne croyez pas naïvement à tout, car tout n’est pas vérité.) - Ayi kana tèè ko bèè lò. (= Ne reniez pas tout par pessimisme, ou incrédulité, car tout n’est pas faux. = Ne minimisez pas tout pour éviter d’être surpris par la réalité. = Ne rejetez pas toutes les informations qu’il faut au préalable chercher à vérifier à la source afin de pouvoir s’assurer de leur véracité ou de vérifier leurs fondements. Bref! Vérifiez toujours une information pour ne pas être surpris et éviter des erreurs d’appréciation et de jugements préjudiciables.)

Articles 40, 41, 42, 42, 43, 44 (= À propos des censeurs du pouvoir et de la société) « Manden sii ni korodiya loolu le ma. » (= Le Manden repose sur cinq vertus qui constituent le ciment social et en font son équilibre harmonieux et qui tous des censeurs du pouvoir: « Mandenkaya lòòdiya ni ko loolu le bèè yèn. » (= Cinq vertus équilibrent harmonieusement la société traditionnelle mandingue. Ce sont: 1) - Le Mamarènya 2) - Le Sanankunya 3) - Le Nimòòya 4) - Le Kanyanyòònya ou le Flannyòònya 5) - N-na-kòmòòlu (Les oncles et tantes paternels et maternels)

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En matière de relations humaines, le Mandingue a su concevoir, entre autres dispositions pour l’équilibre social, cinq vertus fondamentales dont la pratique quotidienne crée une parfaite harmonie entre les individus, entre les différentes couches sociales, entre les différents clans, entre les familles et entre les provinces. Ces personnages savent habilement créer la détente sociale et désamorcer les crises. Les générations futures doivent les connaître, les pratiquer, les cultiver afin de perpétuer l’harmonie, la bonne humeur et la détente sociale qui en résultent. Nos gouvernements devraient créer dans nos écoles primaires, secondaires et universités une chaire pour l’enseignement des aspects positifs de nos us et coutumes en faisant appel aux sages dépositaires de cette immense culture que sont nos griots et patriarches. En effet, ce fond culturel positif doit être mis à l’abri du brassage des cultures; du choc des cultures et doit ou peut inspirer d’autres civilisations. Du fait de l’humanisme, de la solidarité... qui caractérise sa civilisation, le Mandingue peut donc valablement et fièrement apporter, au rendez-vous universel du donner et du recevoir des cultures et des civilisations, ces éléments culturels dynamiques qui sont de véritables censeurs incorruptibles de la société. Nous reprendrons plus loin, avec plus de détails, ces aspects vertueux du Mandenkaya.

Article 40: Mamarènya tolon (= Liens ou relations cordiales entre enfants et grands-parents) 1 - Mòò mamarèn ye tolonna i la le. (= Le petit-enfant ne prend jamais ses grands-parents au sérieux. Il ne les craint pas et peut leur dire tout haut ce que les autres membres de la famille n’osent ne pas dire même plus bas. Chaque grand-parent est un pantin un jouet entre les mains de ses petits-enfants qui le manipulent à leur guise.) 2 - Mamarènya tolon tè latòn na. Mamarènya tolon na daanin ye Manden kònò. (= Les propos si obscènes soient-ils, les blagues si piquantes soient-elles provenant d’un petit-fils ou d’une petite-fille à l’endroit d’un grand-parent ne sont pas sanctionnés.) 3 - Mòò mamarèn ma i sòbèn lòn. (= Votre petit-fils ne vous prend jamais au sérieux.) En effet, leurs relations sont caractérisées par la raillerie tous azimuts, par la tolérance du comportement et du langage. Le grand-père appelle affectueusement sa petite-fille « ma femme » et celle-ci en retour l’appel « mon mari ». Tout comme la grand-mère et le petit-fils s’appellent affectueusement: « mon mari » ou « ma femme ». Sont concernés par cette blague les enfants de 787


votre fils ou de votre fille et par ricochet et qui englobe les rejetons de leurs cousins et cousines. Les enfants du clan ou du village peuvent parfois être impliqués dans la pratique de cette relation affectueuse. La pratique s’étend à toutes les femmes et à tous les hommes du village maternel. Chez les Mandenka, on fait dire par les petits-enfants ce que leur père, leur mère, leurs oncles, leurs tantes... n’osent dire à leurs grands-parents. En effet, ce sont eux qui peuvent dénoncer, sans aucun risque, les défauts, les abus d’autorité... de leurs grands-parents. Face à cette attitude de tolérance de la société, le grand-parent en situation ne peut que s’incliner en acceptant humblement ces sarcasmes même les plus piquants, ainsi que ces vérités les plus crues, les plus amères ou piquantes venant de la bouche des petits-enfants. La réciprocité est de mise. Mais très souvent c’est le petit-enfant qui prend le dessus dans cet affrontement verbal. C’est le petit-fils qui peut, sans aucun risque de sanction, dire aux grands-parents tout haut ce que les autres membres de la famille n’osent pas dire tout bas et même y penser, en raison de son immunité).

Article 41: Le sanankunya ou parenté à plaisanteries illimitées Cette pratique qui est en vogue dans tout le Mandingue peut être considérée comme la vertu fondamentale de la culture mandingue dans les relations sociales. Elle est un facteur de décrispation sociale et permet à un sujet de dire sa part de vérité ou toutes les vérités à son souverain, à son chef et à toutes les .personnes liées à lui par ce lien sacré du sanankunya, sans aucun risque de sanctions. C’est l’une des tribunes les plus privilégiées et les plus sûres que les faibles peuvent exploiter librement pour s’adresser à leurs partenaires, sans distinction de rang social, en leur disant de la manière la plus piquante ce qu’ils pensent. En effet les faibles, les nantis, les puissants, les rois... se critiquent mutuellement, se moquent sans limite les uns des autres. Dans cette pratique, chacun cherche à tourner en ridicule l’autre. Les langues bien déliées et ceux qui connaissent beaucoup d’humours et d’anecdotes prennent toujours le dessus dans cette dualité verbale libérale, sans violence physique, sans aucun risque de sanction. Le sanankunya crée la détente, l’harmonie entre les individus alliés, entre les différentes couches sociales, entre les villages, entre les provinces et même parfois entre les couronnes. Aussi, sa pratique nous contraint de ne rien refuser à notre sanankun, à le protéger, à l’aider sur tous les plans, à ne pas lui faire du mal, quelle que soit la gravité de la faute qu’il commet ou à cause de ses carcasses à notre endroit... comme le prévoit le serment d’allégeance contracté par les ancêtres. Cependant, la règle nous autorise à lui en dire autant, si non plus. On n’a même pas le droit de se fâcher contre lui. Il est protégé et immunisé 788


par le serment sacré des ancêtres que personne ne doit ni renier, ni violer délibérément. Nous reprendrons plus loin le sanankunya de façon plus exhaustive. Le sanankun jouit d’une parfaite et totale immunité.

Article 42: Nimòòya: tolon ani manyaali le ye mòò ni i nimòòlu bèè tè Les jeunes frères et sœurs, les jeunes cousins et cousines ainsi que les jeunes neveux et nièces de votre épouse ou ceux de votre époux doivent et peuvent chahuter avec vous dans une large mesure, sans aucun risque de sanction, sans que vous ne vous énervez outre mesure. On les appelle tout court les beaux-frères ou les belles-sœurs. Chaque partenaire doit s’ouvrir aux sarcasmes de l’autre tout en se défendant bien sûr, autant qu’il peut. Il est donc permis de se ridiculiser mutuellement. Le jeu est si large et peut impliquer, en plus des acteurs ci-dessus cités, les éléments moins âgés de tout le clan voire de toute la province des deux conjoints. Certes, la raillerie est ouverte mais exclut les insolences et les grossièretés. Le nimòò jouit aussi d’une parfaite immunité.

Article 43: Flannyòònya = Kanyanyòònya = Sèrèdenya = Dunyòònya « Mòò kanyanyòòn le ye tunyè gbani fòla i nyè = mòò kanyanyòòn tè silanna i nyè = mòò kanyanyòòn ma i sòbèn lòn. » ou bien: « Mòò sèrèdennyòòn tè silanna i nyè. » Chacun de ces termes désigne exactement les personnes d’un même groupe d’âge. Il s’agit en fait de toutes les personnes de votre génération avec lesquelles vous avez fait les jeux d’enfance depuis la poussière du village, dans le quartier, dans la brousse, dans les champs, au clair de lune... En effet, dans la tradition mandingue, la personne de votre âge qui a grandi avec vous n’a pas et ne doit pas avoir peur, outre mesure, pour vous dire la vérité, car il ne risque rien, il nous connaît depuis votre tendre enfance et vous vous êtes vus grandir ensemble et n’a aucune raison d’avoir peur pour vous. En effet, quel que soit votre rang social, si élevé soit-il, votre sèrèden est autorisé par la tradition de s’adresser à vous sans contour, sans aucun risque de sanction ou de désapprobation. Son langage envers vous est direct, libéral, ses propos sont désinvoltes, car il jouit d’une parfaite et totale immunité ou impunité. Vous êtes réduit à encaisser ses sarcasmes ou à lui en dire autant. Celui qui a la langue bien déliée et qui connaît beaucoup d’humours sort de ce combat verbal avec brio. Ces trois noms qui désignent exactement le même personnage qui jouit d’une parfaite immunité.

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Ce personnage est très sollicité par les familles pour obliger un partenaire à reprendre une épouse répudiée ou à réintégrer un enfant banni. En effet il a le pouvoir de vous faire fléchir ou de vous faire décamper d’une position rigoureuse. Sa familiarité est telle que parfois votre entourage ou celui du chef le trouve trop audacieux dans ses propos et comportements désinvoltes à votre endroit. Ce personnage jouit d’une totale impunité dans ses propos et comportements. Il faut noter que même le mansa (chef, roi, président) est contraint d’accepter, de tolérer les propos sarcastiques et les comportements désinvoltes à son endroit de ses petits-enfants (mamarèn), de ses alliés à plaisanteries (sanankun), de ses beaux-frères et belles-sœurs (nimòò) et de ses amis et camarades de même âge avec lesquels il a fait les premiers jeux de l’adolescence (sèrèden, kanyanyòòn, flannyòòn).

44: Barinya (neveux et nièces) ► Ba-kò-mòòlu ou na-kò-mòòlu (parents maternels) ► Fa-dòòlu (oncles et tantes paternels) ► Benbalu (les grands-parents) Ces personnages qui sont en fait des censeurs de conscience, reconnus et acceptés par l’autorité, par chaque individu et par toute la société, jouissent d’une parfaite immunité dans leurs paroles ou propos et dans leurs comportements face à leurs partenaires sociaux. Ces cinq catégories de personnes sont respectées et s’imposent à tous. Elles jouissent d’une totale immunité. Leurs paroles, leurs décisions ou actes sont inattaquables et incontestables. Elles sont exemptes des sanctions de la part de leurs partenaires d’en face ou en situation. ----------o---------Nous devons l’ossature de cette version de la charte de Kurukan Fuwa à feu Sékou Kouyaté, quinquagénaire en 2002, griot à la mémoire féconde et féroce, originaire de Bidika dans la Sous-Préfecture de Franwalia, Préfecture de Siguiri. Cette version a été recueillie en 2002 à Conakry par Daouda Damaro Camara. Nous l’en remercions vivement pour son importante et brillante contribution à l’effort de reconstitution de la merveilleuse histoire et de la culture du Mandingue qui se trouve beaucoup plus dans la mémoire collective que dans les livres. Pour conclure sur cette Charte de Kurukan Fuwa, nous souhaitons vivement que des magistrats et des juristes compétents reprennent ces différents articles en leur donnant une forme juridique plus appropriée, afin que, par une volonté politique, certains de ces articles soient amendés et pris en compte dans nos constitutions. 790


En effet l’Afrique moderne et ses constitutionalistes ne doivent-ils pas s’inspirer de nos US et COUTUMES et de la « CHARTE DE KURUKAN FUWA » pour concevoir et écrire nos constitutions, nos lois et nos codes pénaux, qui puissent refléter nos spécificités culturelles, « au-lieu de faire du « copier-coller » des lois européennes »? Il faut donc que nos lois tiennent compte de nos réalités socioculturelles. Elles doivent s’adapter à certaines de nos coutumes, à nos réalités socio-culturelles, les intégrer pour que nous soyons en parfaite harmonie avec nous-mêmes, avec nos codes pénaux et afin qu’elles soient bien comprises par nos concitoyens. En effet, nous sommes heureux et fiers de constater¸ à travers ces différents articles de la Charte de Kurukan Fuwa, que la société traditionnelle mandingue était bien structurée, avait élaboré un code de déontologie pour règlementer la vie sociale. Nos juristes peuvent ou doivent relire, reprendre et adapter la formulation de ces articles afin d’en faire notre loi fondamentale, car cette constitution est et demeure une source précieuse d’inspiration pour concevoir et élaborer une société mieux stabilisée, plus harmonieuse, plus philanthropique et plus sécurisante. La Charte de Kurukan Fuwa est la preuve que le Mandingue ou l’Afrique avait su règlementer la vie de ses citoyens suivant des structures et des lois consensuelles et sécurisantes pour chacun et pour tous. En tout cas, l’individu ou le citoyen n’y était nullement exclu de la société. Il n’y avait pas au Mandingue médiéval un conflit ou des conflits de rejet, d’exclusion ou d’adaptation de l’individu ou d’un groupe d’individus à son environnement social. Malheureusement, Sékou Kouyaté, cette archive vivante de la tradition orale Mandingue, est mort en juillet 2012 à Conakry. Nous regrettons amèrement de n’avoir pu obtenir de lui sa photo pour l’illustration de ce livre ou de cette page, car, en raison de sa contribution très positive à la restitution fidèle et à la redécouverte de l’histoire du Mandingue, nous devons lui rendre l’hommage qu’il mérite, même à titre posthume. En effet Sékou Kouyaté a toujours animé les cérémonies de mariage, de funérailles et de baptêmes dans les milieux malinké de Conakry. Très souvent il ne se faisait pas inviter à ces cérémonies pour venir débiter ces pages illustres du Mandingue. En fait il était considéré à juste titre comme l’un des meilleurs détenteurs authentiques (belentii) de la merveilleuse et fabuleuse histoire du Mandingue qu’il aimait débiter sans contrepartie. Il laisse donc un vide difficile à combler. Que son âme repose en paix. Amen!

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COMPOSITION DE LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE MANDINGUE: MANDENKAYA SIINYA OU MANDENKAYA KÈNYA ----------o---------Après avoir survolé la Charte de Kurukan Fuwa ou la constitution qui a régi la société traditionnelle mandingue, tentons à présent de nous pencher sur les composantes de cette société, afin de mieux cerner et de mieux comprendre ce qu’on peut appeler le Mandenkaya dans toutes ses ramifications. Le besoin de vivre en harmonie sur un espace circonscrit, des hommes ou groupes d’hommes ont décidé d’unir leur destin, de créer et de défendre leurs intérêts communs et d’organiser leur vie suivant un certain idéal. Cette démarche a permis de créer dans l’histoire de l’humanité des entités unies, organisées et stables dans un temps donné et sur un même espace. Comme dans toutes les sociétés humaines, la société mandingue ou malinké se divise essentiellement en groupes professionnels, en clans, en lignages... Il s’agit plus d’une différenciation sociale que de véritables classes sociales dont les intérêts sont opposés et qui s’engagent dans une lutte des classes comme en Europe ou dans les sociétés modernes. Notons que le Mandingue peut être à la fois paysan et artisan c’est-à-dire cultivateur, menuisier, chasseur. Il n’est donc pas figé ou confiné dans une structure hermétique. LES CLASSES NOBLES MANDINGUES ET LES CASTES INFÉRIEURES On distingue deux catégories principales de classes sociales: I - Les non-griots considérés comme des nobles II - Les griots et les artisans considérés comme classes inférieures I - LES NOBLES OU LES NON-GRIOTS Cette catégorie est noble et englobe, suivant les provinces, les pays et les coutumes, tous les tontii ou les détenteurs du pouvoir à savoir: les Camara (Diomandé, Farin Kaman), Kourouma (Doumbia), Traoré (Touraman), Koné (Diara), Cissé, Keita (Mansaré), Touré (Mandyou)... Ils sont les détenteurs du pouvoir, du commandement dans les différentes provinces du Mandingue. La tradition reconnaît que les Camara furent les premiers détenteurs du pouvoir et du commandement dans le Mandingue. Le nom Camara signifie: commander, garder sous son autorité (ka a mara) qui s’est mué en Kamara = Camara. Donc les Camara incarnent l’autorité, le pouvoir, le commandement qu’ils exercent dans plusieurs provinces du Mandingue depuis plusieurs siècles.

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II - LES GRIOTS ET LES ARTISANS Les griots et les artisans sont subdivisés en cinq catégories professionnelles: 1 - Les mendiants 2 - Les musiciens 3 - Les domestiques 4 - Les cordonniers ou garanké 5 - Les tisserands (dyesedanna) Toutes ces catégories de griots et d’artisans peuvent indifféremment être mendiants, musiciens, artisans ou domestiques. Parmi eux on distingue: Primo: Les griots proprement dits appelés Kouyaté ou descendants de Soulakata, premier joueur de balafon dans le Mandingue. Ko ye an té = Koyanté = Kouyaté qui signifie ou se décompose en quatre syllabes: Ko ye an tè Ko = Kou = chose, convention Ye = existe An = nous Tè = entre Donc Ko ye an tè = Koyanté = Kouyaté = « Un serment ou une convention nous lie. » Soulakata serait, dit-on, le premier griot et compagnon du Prophète Mahomet. Secondo: Les Dioubaté ou Diabaté sont de la lignée directe d’une autre branche de griots et sont aussi célèbres que les Kouyaté. Dioubaté = Diabaté = Traoré = Touraman À l’origine, ce sont des Traoré ou Touraman. C’était au XIIème siècle que Danmassa Oulanba et Danmassa Oulani, deux jeunes chasseurs qui étaient des frères et qui avaient réussi miraculeusement à abattre le buffle de Do qui n’était autre que le double invincible d’une vieille sorcière victime de ségrégation et de frustration de la part de ses frères lors du partage de l’héritage paternel. Par esprit de vengeance, elle s’acharna contre tous les chasseurs venus à Do pour abattre le buffle qui était son double. Mais usant de politesse, de courtoisie et de générosité, les deux jeunes chasseurs réussirent à séduire et à rassurer la vieille femme au point qu’elle accepta, suite a un pacte discret, de se livrer à eux. C’est ainsi qu’elle leur dévoila tous les antidotes et tous les secrets de sa puissance jusque-là invaincue et sans lesquels aucun humain ne pouvait l’éliminer. Croyant à un guet-apens, de la vieille sorcière, Danmassa Oulanba, le grand frère, crut plus prudent de monter à un arbre de la plaine, s’y percher très haut pour observer la scène. Plus audacieux, Danmassa Oulani, respecta toutes les consignes de la vielle sorcière et tira sur le buffle au moment et au lieu 793


indiqués par la vieille sorcière. Dispensons-nous des détails qu’on pourra lire dans l’histoire de Soundjata Keita écrite par le Professeur Djibril Tamsir Niane dans son célèbre roman « Soundjata ou l’épopée mandingue ». Pendant que le buffle gisait et agonisait dans un flot de sang, le grand frère terrifié refusa de descendre de l’arbre comme le lui avait demandé son frangin. Mais il n’en descendit que seulement quand le héros coupa et agita la queue du buffle mort, comme l’avait souhaité le froussard. Ainsi rassuré par son jeune frère le grand frère, sorti de sa frayeur et en descendant de son perchoir, déclara à son audacieux et téméraire jeune frère: « N dyiiya tun bara tèè. = N dyii bara tèè. = N diya bara tèè. » (= J’avais tellement peur que j’avais perdu tout espoir de vivre.) L’expression N dyii tun bara tèè s’est mué d’abord en N diya bara tèè, puis en Dianbatè et finalement en Diabaté ou Dioubaté. Depuis, les descendants de Danmassa Oulanba, l’aîné des deux jeunes chasseurs sont désignés par le patronyme Diabaté (flatteur) et ceux du cadet Danmassa Oulani conservent celui de Traoré ou Touraman (le brave, le preux ou le chevalier sans peur et sans reproche). Tertio: Il y a des griots adhérents c’est-à-dire ceux qui ne sont pas d’origine griotte. Ils portent très souvent par alliance les noms patronymiques des grandes familles nobles à savoir: Kourouma ou Doumbia, Koné, Keita ou Mansaré, Duno, Camara... Les Camara fina ou finè constituaient une caste de paria par rapport aux Camara nobles; pour cette raison le nom Camara s’est quelque peu altéré dans certaines régions du Mali et notamment en Côte d’Ivoire à telle enseigne que tous ceux qui sont Camara dans ces régions sont, sans distinction, assimilés à tort aux Camara fina, c’est-à-dire aux griots. Il y a donc lieu de signaler cette altération pour éviter une certaine confusion. Donc il y a les Camara tontii (Camara détenteur du pouvoir, du commandement, de la chefferie) et les Camara fina (Camara griot). Les Camara fina venant originellement du Bouré (Siguiri, Guinée) seraient, selon la tradition, les descendants de Adjouba Nadjaridjou, premier hôte du Prophète Mahomet dont le chameau se serait arrêté devant sa maison à Médine. ROLE DANS LA SOCIÉTÉ La poésie africaine est aussi vieille que le monde. Cette poésie est orale surtout et se transmet de génération à génération par l’intermédiaire de ceux que nous appelons les griots c’est-à-dire les troubadours africains. Ils ont l’imagination féconde et la sensibilité vive. Ils ont le don et le secret de la parole.

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Doués d’une mémoire prodigieuse, ils conservent pieusement l’histoire africaine et sont donc considérés comme de véritables archives vivantes dont le rôle reste déterminant dans la reconstitution de notre passé, car l’histoire africaine se trouve présentement beaucoup plus dans la mémoire du peuple que dans les livres. À propos d’eux et des vieillards, Amadou Hampâté Bâ écrit: « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle. » De son côté, Djibril Tamsir Niane écrit dans la préface de son livre « Soundjata ou l’épopée mandingue »: « Dans la société Africaine bien hiérarchisée d’avant la colonisation, où chacun trouvait sa place, le griot nous apparaît comme l’un des membres les plus importants de cette société car c’est lui qui, à défaut d’archives, détenait les coutumes, les traditions et les principes de gouvernement des rois. » Pour Sory Camara aux pages 222 et 224 de « GENS DE LA PAROLE »: « ... Par son intermédiaire, les sujets pouvaient présenter leurs doléances au souverain. Et lors des conseils royaux, il siégeait à la droite du roi, transmettant la volonté de celui-ci à l’assemblée et les réponses de celle-ci au premier... Tout personnage détenant quelque autorité politique tient à ne point s’adresser directement à ses sujets; il est pour cela toujours accompagné d’un griot familier qui ne le quitte jamais... Gens de la parole, les griots disposent des moyens les plus efficaces pour leur mission. Ils peuvent émouvoir leurs interlocuteurs et les amener à de meilleures dispositions, grâce à l’art de la parole et la connaissance de l’histoire généalogique des clans et des familles... » Les griots ont été dans l’Afrique traditionnelle de véritables et efficaces ambassadeurs de leurs souverains et de leurs maîtres. Ils ont toujours accompli des missions difficiles, souvent au prix de leur vie ou de leur liberté, auprès d’autres souverains. Par ailleurs les griots constituent un véritable trait d’union entre les familles, les chefs, les villages et même les tribus. Ils servent d’intermédiaires dans les mariages qu’ils arrangent toujours au mieux et qui sont du reste une de leurs principales sources de revenus. Pendant les baptêmes, les mariages, les cérémonies d’initiation (circoncision et excision...) et les fêtes populaires, ils savent flatter les riches et les puissants qui leur distribuent argent, vêtements... Ils vivent aux dépends de ceux qui les écoutent. Leur talent oratoire se montre particulièrement fécond, fleuri et efficace dans les palabres où ils servent de porte-parole et sont les confidents écoutés des chefs, des doyens et des grands notables dont ils influencent très souvent les décisions. Il faut noter aussi qu’ils sont souvent de véritables instigateurs de querelles et de conflits armés entre des individus, des chefs, des familles, des villages et même des pays. En effet, la tradition reproche à certains griots d’avoir créé ou envenimé des conflits armés qui ont ensanglanté des villages. Ils profitent de leur position privilégiée d’animateurs de la société, de confidents 795


écoutés des chefs et des doyens, de leur talent de maître de la parole pour dramatiser des propos - mêmes insignifiants - tenus par telle personne à l’endroit de telle autre personne à tel point que les deux parties renoncent à la sagesse, à la palabre (dialogue) pour en venir aux mains. N’a-t-on pas entendu certains inciter à la bagarre une personne offensée, qui n’en avait pas l’intention, en lui disant: 1 - « Saya ka fisa maloya di. » (= Plutôt mourir que de se laisser couvrir de honte.) 2 - « Ni i bè kèla ile le la. » (= C’est toi seul qui peut admettre un tel affront sans réagir.) 3 - « Wo koni tè bèn ne ma. » (= En tout cas moi je n’admettrai jamais cela.) 4 - « Ni i ma nya saya kò, mònèbòden bè a ta kè. » (= La mort est inéluctable, mais le preux et l’homme digne et noble relève toujours le défi, fait toujours une action d’éclat mémorable avant de disparaître et donne ainsi un sens historique à sa mort.) Toutes ces expressions sont des incitations à la violence. Ils entonnent des chants populaires historiques évoquant la réaction digne et l’audace de tel héros face à un tel affront. Tout cela pousse à l’action, envenime les incidents, ranime les passions et incite à la bagarre pour sauver l’honneur et la dignité. Par contre ils ont aussi la langue très déliée pour réduire les tensions en minimisant l’affront ou les faits qui auraient pu engendrer un esprit vindicatif. Ils savent dégonfler les prétentieux, les belligérants en les conviant à la sagesse, au dialogue constructif. 1 - « Ayi ya to, kèlè man nyi, kèlè tè maloyala fènfèn ma. » (= Arrêtez, la bagarre et la guerre ne sont pas bonnes, car elles n’épargnent rien et détruisent tout ce qu’il y a de bien et de beau, y compris la vie même.) 2 - « Kèlèlòòko tè min di. » (= Cela ne vaut pas la peine de se battre; ce n’est pas une raison valable pour se bagarrer, discutez en pour éviter le pire.) 3 - Ayi ye sii ka fò ka bèn kokèlè ma. » (= Dialoguez, expliquez-vous pour vous comprendre et résoudre les problèmes qui se posent.) À présent, examinons les différentes catégories de griots: A) - Les mendiants ou nyamakala En général, ils n’ont pas d’activités productives et vivent aux dépens de leurs maîtres et des autres couches nobles de la société. Les plus célèbres sont par ordre décroissant d’importance: 796


1) - Les dyeli ou nyamakala 2) - Les fina 3) - Les woloso 4) - Les gawulo Ces derniers (les gawulo) sont les plus inférieurs, les plus effrontés. La société les tolère beaucoup dans leur langage vulgaire, dévoyé et outrageant. Parfois ils se déshabillent publiquement pour uriner ou chier... afin d’obliger les gens de les satisfaire. Ceux qui ont horreur de tel spectacle blasphématoire les arrêtent dans leur démarche de nudité en leur faisant des cadeaux, ou en accédant à leurs désidératas. C’est pour cette raison qu’ils sont répugnants et sont considérés comme des parias. B) - Les musiciens Les griots sont aussi et surtout de grands musiciens et vivent des produits que leur procure leur musique. Certains sont itinérants, d’autres s’attachent à des maîtres et à des chefs dont ils connaissent parfaitement bien la généalogie. Ils chantent les gloires de leurs ancêtres et font leurs éloges. Ils savent broder les événements au point d’en faire des légendes. Jadis ils exaltaient le courage des chefs guerriers et des sofas pendant et après les combats et consolaient les familles des morts grâce aux sons de leurs guitares, bolons, coras, balafons, violons... admirablement soutenus par leurs voix mélodieuses au cours des soirées populaires. C’étaient aussi de braves et fidèles ambassadeurs prêts à affronter toutes les missions périlleuses. Ils restent fidèles à la mémoire des Soundjata, des El Hadj Oumar, des Samory... dont ils rappellent toujours les glorieux souvenirs dans des poèmes chantés au cours de certaines cérémonies rituelles (mariage, baptême, circoncision, excision...). Il faut cependant signaler l’existence d’une catégorie de musiciens qui ont une fonction utilitaire. Il s’agit des dununfòla (= dundunfòla), des tamanfòla ou joueurs de tambourins. Ils ne sont pas forcément griots de naissance. Certains joueurs de dunun, de tam-tam, de dyagba... jouent avec virtuosité ces instruments et font des éloges sans être des griots attitrés, mais pour tout simplement distraire leurs camarades, tout le village et satisfaire leur passion de la musique. Soutenus par un orchestre de tam-tams et les voix chaudes et mélodieuses des jeunes filles qui reprennent en chœur leurs chants. Ils savent créer et aiguiser l’esprit de compétition entre les travailleurs dont ils exaltent le courage et l’ardeur combative. Ainsi, ils contribuent à élever le rendement individuel et collectif lors des travaux surtout champêtres. Le soir, au clair de lune, ils continuent de vanter les meilleurs travailleurs de la journée. Les autres non glorifiés ou non cités se sentent déshonorés et promettent de se surpasser aux prochains travaux champêtres collectifs (labour, récolte...) pendant lesquels la compétition s’aiguise. Chacun voulant être le timan, le ton ou le sènè sanmòò c’est-à-dire le champion.

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C) - Les domestiques Ils n’ont généralement pas d’instruments. Ils s’attachent à leurs maîtres et font souvent partie des délégations de mariage. Ils sont aussi des témoins, des intermédiaires et des confidents très discrets de leurs maîtres. Ils sont également de bons conseillers et restent très fidèles dans le bonheur comme dans le malheur. Ce sont eux qui connaissent et débitent la généalogie de leurs maîtres pour lesquels ils ne tarissent pas d’éloges, surtout en public et pendant les cérémonies. Ils sont donc très fidèles à ceux-ci. Du fait de son rôle d’animateur, de poète et d’intermédiaire rapprochant les hommes, créant et maintenant une parfaite harmonie sociale, la caste des griots, pensons-nous, doit être sans complexe mise à l’abri du brassage des classes sociales et surtout de la domestication ou la destruction de la tradition dont elle est le dépositaire - par la technologie (disque, audiocassette, vidéocassette...) qui est en train de se substituer progressivement à eux. Dans ce cas il faudrait la débarrasser des scories nuisibles telles que le parasitisme, l’exploitation de l’autre par la flatterie et le complexe d’infériorité dont elle souffre et qui ternissent sa fonction utilitaire. D) - Les garanké ou cordonniers Le travail du cuir revient à la caste des garanké. Mais le rôle de ce groupe professionnel est devenu très superflu car la production industrielle des chaussures est qualitativement et quantitativement supérieure à celle fournie par l’artisanat local. Ils fabriquaient des chaussures ou sandales appelées « gbasi samara ». C’était une espèce de repose pieds qu’on ne trouve plus parce que plus fabriquée au profit des chaussures importées d’Europe ou des fabrications des industries locales. À présent, leur travail se limite essentiellement à des réparations de chaussures et à la fabrication de sandales et d’articles décoratifs. E) - Les tisserands ou dyesedanna Le métier de tisserand est pratiqué par essentiellement des personnes âgées qui se rencontrent dans toutes les classes de la société. Leur intervention se situe après l’égrenage et le filage du coton par le collectif des femmes qui se mettent en grand nombre pour effectuer ce travail préliminaire. Le tissage se fait exclusivement par les hommes adultes de toutes les classes. Le tisserand peut être aussi tailleur. Mais cette dernière opération se faisait exclusivement à la main par des adultes. Le produit final permettait d’habiller toute la population. Ce métier a pratiquement disparu depuis l’introduction massive des tissus manufacturés et des machines à coudre modernes. En tout cas, en Guinée, le métier de tisserand a quasiment disparu dans la majorité des villages et des régions, à telle enseigne que beaucoup d’adolescents n’ont jamais vu un tisserand. La production des tissus en cotonnade locale n’existe donc plus et les habits en cotonnade locale n’existent plus aussi. 798


Une volonté politique de promotion ou de mise en valeur de ce patrimoine devrait exiger ou encourager le port des habits en cotonnade locale. Ainsi ce métier allait renaître de ses cendres et créer suffisamment d’emplois. C’est bien pour cette raison que le bel exemple ou l’expérience à suivre en la matière du Burkina Faso dont le Président, feu Thomas Sankara, dans un élan révolutionnaire, décréta le port obligatoire des habits en cotonnade locale dans les bureaux et dans les manifestations populaires. L’adoption de ce mode vestimentaire imposé à tous les fonctionnaires de l’état fait la fierté nationale des Burkinabés et doit aussi inspirer d’autres états africains en quête d’authenticité.

Le tisserand Mamadou Samba Diallo Lélouma du Musée National de Sanderwalia, Conakry, en pleine production. En 2017, il était l’un des rares citoyens de Conakry seul à exercer ce noble métier (photo de Daouda Damaro Camara).

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Quelques échantillons de cotonnade tissés par Mamadou Samba Diallo Lélouma en 2017.

F - Les travailleurs de métaux Il en existe deux catégories: 1) - Les bijoutiers (siyaki) Avant l’arrivée des Européens, il n’y avait moins de gens spécialisés dans l’art de travailler le bois (siyaki ou menuisier). Tout se faisait par les « siyaki » connus sous le nom de bijoutiers qui font des bijoux, les armes et s’occupent des travaux de bois. 2) - Les forgerons (numu) Ils façonnent des instruments aratoires, les monnaies locales (gbènzèn) suivant les régions. Ils fabriquent le fer qu’ils obtiennent par les fontes des blocs de pierre ferrugineux à l’aide de grands fourneaux. Ils transportent leurs pénates et installations au fur et à mesure que le bois convenant à leur industrie se fait rare. Par contre, les forgerons du Simandou (Beyla-Kérouané) s’accrochent particulièrement à la grande chaîne de montagne dénommée Simandou qui traverse le pays sur plus de 100 km à cause de sa richesse en minerai de fer de haute teneur qu’on y trouve à ciel ouvert. Le Simandou porte le nom de Sonè Siman Camara, l’aïeul des Camara de Damaro et d’une partie du Simandou. Ces forgerons du Simandou haïssent les cadeaux mais par contre ils préfèrent s’endetter par orgueil constamment. La majorité repousse l’agriculture incompatible avec leur occupation traditionnelle. Mal nourris, mal logés, ils vivent au jour le jour. Autrefois ils ravitaillaient Samory en fer, matière première qui permettait la confection d’armes à Téré dans le Gondo, cercle de Kankan. Avec la colonisation, le troc diminuait progressivement avec cette ancienne monnaie de fer appelée le « gbènzèn ». En 1949 le cours du gbènzèn variait entre 1,50 F CFA et 1,75 F 800


CFA. (23) À la fin de la colonisation et depuis l’indépendance des pays de l’Ouest Africain qui l’utilisaient comme monnaie, le gbènzèn a progressivement disparu du marché ou en tout cas comme moyen de transaction. L’importance des forgerons sera accrue sous le règne de l’Almamy Samory qui leur demandera d’imiter les fusils européens. L’exploitation à ciel ouvert du minerai du fer du mont Simandou connaîtra ainsi un grand essor. Ainsi, on assistera, sous l’injonction ou sur l’initiative de Fantouman Oulèn, le petit fils de Farin Kaman Camara de Moussadou, à une intense production de gbènzèn dont la refonte servira à fabriquer des fusils, des armes blanches, des munitions et des outils agricoles dans plusieurs ateliers de fabrique d’armes de l’Almamy Samory. Mais la caste des forgerons dans leur fonction primaire est en voie de disparition parce que sa production trop rudimentaire et de qualité médiocre est de moins en moins sollicitée devant la production d’outils agricoles modernes mieux appréciés, mieux adaptés, plus performants, mieux appropriés et plus abondants parfois. Aussi la ferraille des automobiles s’est substituée à lui. Ainsi, on préfère récupérer tout simplement la ferraille des véhicules usés et abandonnés que de ramasser, même à ciel ouvert, des blocs de pierres ferreux, à fondre dans les hauts fourneaux. Évidemment l’effort, le rendement et la qualité ne sont pas les mêmes. Ils sont donc partisans du moindre effort, raison pour laquelle la génération actuelle a tendance à abandonner ce métier ancestral. LA FABRICATION DE LA POUDRE À la faveur des guerres de conquête coloniale et de la résistance africaine qui ont entraîné l’introduction et l’utilisation généralisée des armes à feu modernes, au XIXème siècle, le Mandingue se mit peu à peu à se procurer de la poudre pour alimenter ses fusils. Pour obtenir cette matière première, il fallait trouver de la potasse appelée « bassèè ». Ce « bassèè » n’est autre chose que du salpêtre que l’on trouve dans les grottes en plusieurs endroits du mont Simandou. LE MARIAGE DANS LES CASTES DE LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE MANDINGUE LES MARIAGES ENDOGAMIQUES Autrefois le mariage se faisait exclusivement à l’intérieur des classes. Il était donc endogène ou endogamique: nobles entre nobles, griots entre griots, forgerons entre forgerons... et jamais entre nobles et griots. Le mariage exogamique portait malheurs tant au couple qu’à leur famille respective. Toutefois, il est arrivé à un certain nombre de griots, au service des chefs conquérants, d’épouser malgré elles des femmes non-griottes tombées entre 801


leurs mains (butin de guerre ou kelè konson). De nos jours la barrière est moins étanche puisque les nobles épousent des griottes mais à l’inverse un griot ne peut et ne doit en aucun cas épouser une femme noble. Les fina, plus marginalisés, sont mis à l’écart et s’épousent mutuellement entre eux. Quant aux cordonniers ou garanké, quoiqu’ils soient considérés comme inférieurs aux autres, ils peuvent réciproquement se marier avec des femmes griottes. Le mariage entre les nobles et les castes inférieures était exclu voire prohibé.

Les forgerons traditionnels dans leur forge. Ils avaient pour activités principales l’extraction du minerai de fer à ciel ouvert sur le flanc du mont Simandou et la fabrication des outils agricoles (daba ou houe, coupe-coupe... des armes: fusils, flèches, lances, poudre, balles et aussi la confection du gbènzèn (monnaie locale du Simandou et du Konya qui permettait de réguler les échanges entre la savane et la forêt...). Le gbènzèn était échangé contre les produits forestiers (colas, huile palme, tissus en cotonnade...).

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1) - Chez les forgerons Dans certains pays, le mariage de filles de forgerons est autorisé, mais l’inverse est rare. Depuis la pénétration de l’Islam dans les pays du Mandingue, cette coutume se trouve modifiée dans certaines régions, mais cela n’empêche qu’il y ait d’autres qui lui conservent encore son caractère strictement quasiinfâmant. 2) - Les chasseurs (donzo, donzokè, sèrèwa, simbon ou Manden Mory) Les chasseurs forment une caste redoutée dans les temps immémoriaux. Ce sont les émules des djinns (diables) qui les protègent contre les fauves. Ils vivent dans de puissantes confrèreries solidaires bien structurées. Ils se soumettent à de durs interdits et obligations pour se rendre favorables leurs excursions par monts et par vaux. Ces confrèreries regroupent tous les chasseurs du pays appelé Plateau Nigérien. Ils viennent du Mandingue originel en quête de forêts giboyeuses. Tous portent les noms de simbon, Manden Mory, Manden Boï, Many Mory, Many Moï, sèrèwa... selon les régions. Tous ces génériques qui indiquent la qualité de « maître chasseur » s’appliquent encore à tout chasseur pour montrer son appartenance ipso facto à la société des chasseurs dont nous allons parler. Il faut tout de suite souligner que la profession de chasseur est menacée de disparition, car les animaux sauvages sont décimés à tel point que certaines espèces animales sont aujourd’hui inconnues de nos enfants. Évidemment la prolifération incontrôlée des fusils de chasse et le non-respect de la réglementation de la chasse sont les causes de ce génocide des animaux. Cependant différencions les chasseurs. Leurs armes sont composées de flèches, de lances et de fusils à pierre ou à piston et plus tard de fusils à balles de fer. Certains chasseurs (simbon) sont des devins qui savent prédire l’avenir avec une certaine exactitude. Ce sont des voyants, des prédicateurs, des charlatans, des géomanciens et surtout des guérisseurs qui sont toujours consultés et sollicités pour le traitement de beaucoup de maladies, car ils connaissent les vertus des différentes plantes. Des gris-gris protecteurs leur assurent l’immunité en cas de danger. Chaque gris-gris a un rôle défini et un pouvoir précis. Ces nemrods ont une confiance telle en leurs gris-gris qu’ils ont réussi à créer autour d’eux un mur de mythes et de mystères insondables ou inexplicables par le commun des mortels. C’est ainsi: ● Qu’un dénommé Diagba Sire prétend s’être abrité sous un éléphant et après la pluie qu’il s’est retiré pour tuer l’animal. ● Que Fognéba fait revenir l’animal sur ses pas. ● Que Kontoron fait revenir aussi l’éléphant sur ses pas, jusqu’à une faible distance du chasseur. ● Que Sandékoni, dans le Toron et dans le Ouassoulou, en fait autant. ● Que Djina Solo se protège contre le diable dans les cornes du bélier. 803


D’autres chasseurs sont de grands guérisseurs possédant le secret des feuilles et des plantes médicinales. On affirme qu’ils l’obtiennent du diable et des animaux. Ils se lavent avec le dyòbòdyi ou eau sacrée provenant de certaines feuilles au pouvoir magique. LES CHASSEURS OU MANDEN-MORY DU MANDINGUE EN IMAGES

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Un groupe de chasseurs lors d’une cérémonie d’hommage à un confrère décédé.

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Un musicien chasseur en pleine prestation.

Des chasseurs en conclave.

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Un maître chasseur chamarré de gris-gris et de fétiches.

Un groupe de chasseurs et de spectateurs écoutent la prestation d’un musicien.

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Une orchestre de musiciens chasseurs lors d’une cérémonie.

Un orchestre des chasseurs à N’Banidou (Sous-Préfecture de Damaro, Préfecture de Kérouané) en 2016 (photo de Daouda Damaro Camara).

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Un musicien chasseur et son acolyte à N’Banidou (Sous-Préfecture de Damaro, Préfecture de Kérouané) en 2016 (photo de Daouda Damaro Camara).

Un chasseur (donzo) de N’Banidou, à 5 km de Damaro, lors de l’inauguration de l’école de trois classes de N’Banidou dans la Sous-Préfecture de Damaro en mars 2016 (photo de Daouda Damaro Camara).

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INTERDITS DANS LA SOCIÉTÉ SECRÈTE DES CHASSEURS L’acceptation de faire partie d’une association entraîne toujours des obligations de tous genres telles que le respect scrupuleux du statut de la société, l’amour des autres membres, la solidarité mutuelle, etc. Pour les chasseurs voici quelques principes fondamentaux ou règles de bonne conduite à respecter avec la plus grande rigueur: 1°) - Un chasseur ne doit avoir de relations sexuelles qu’avec sa femme légitime. Transgresser cet interdit expose le chasseur délinquant ou irrévérencieux à la mort par la bête qu’il attaque ou traque, notamment les fauves. 2°) - Il ne doit point médire d’un autre chasseur. 3°) - En cas de guerre, aucun chasseur ne doit délibérément ou manifestement tirer sur un autre chasseur identifié comme tel, même s’il s’agit d’un ennemi. 4°) - Pendant une partie de chasse, si une bête blessée se défend et traque le chasseur qui a tiré sur elle, celui-ci doit se confesser immédiatement devant ses associés. Une telle réaction de l’animal ne s’explique que par le fait que le chasseur a délibérément violé un des interdits qui régissent la vie des MandingBoï ou chasseurs. Après cette confession, la chasse doit reprendre et l’animal blessé et enragé doit dès lors être abattu sans difficulté si la confession est sincère. Dans ce cas, l’animal perd aussitôt ses forces de résistance. Mais si la confession est de mauvaise foi, l’animal devient plus redoutable et peut tuer le chasseur ou faire d’autres victimes. 1) DISCIPLINE La société des chasseurs est parfaitement structurée, rigoureusement hiérarchisée. Dans les assemblées des chasseurs, le plus gradé est celui qui est initié en premier lieu aux secrets du métier. Il est considéré comme le doyen en raison de son expérience. Précisons, en raison de ce critère, qu’il n’est pas toujours le plus âgé. Il va sans dire que les occupations manuelles et les commissions reviennent de ce fait aux plus jeunes initiés, surtout les derniers. Le portage de la viande des gibiers tués, des bagages, les commissions et tous les signes par lesquels l’élève vénère son maître sont en tous points identiques aux devoirs du nouvel initié à l’égard de ses aînés dans la société traditionnelle mandingue. Si un gibier est tué: A - Par le nouvel initié 1°) - Au maître le plus ancien des chasseurs présents reviennent le boyau, le filet, les côtes, la cuisse détachée en premier lieu, un morceau de foie, les 815


tripes et la peau (non compris les carnivores, et surtout les fauves). La peau des carnivores est obligatoirement donnée au chef de la région (faama). 2°) Aux autres chasseurs reviennent les côtes découvertes (celles du côté qui ne colle pas le sol pendant le dépeçage), un morceau de foie, le trumeau, le flanchet. B - Par les plus anciens Quand un vieux chasseur ou un maître chasseur tue un animal, il en donne aux autres chasseurs présents sans que ceux-ci n’exigent telle ou telle partie de la viande comme dans le cas du nouvel initié. C - Autres moyens de défense des chasseurs Pour se prémunir contre les attaques des sorciers, les chasseurs ou Manden Moï ont individuellement des gris-gris qui varient suivant les pays. Il en existe contre les sorciers, par exemple: Tofèla, Solonkale, Seikòrò... D - Décès d’un chasseur 1) - Obsèques ou l’inhumation d’un chasseur. D’une façon générale, la mort d’un chasseur donne toujours lieu à des cérémonies rituelles. Les chasseurs des villages environnants arrivent, si possible, le jour même du décès. La tombe est creusée dans les heures qui suivent le décès par les villageois. À noter que les Malinké enterrent un cadavre immédiatement après la mort et donnent ainsi l’impression de se débarrasser du corps encombrant du défunt. Par cette pratique hâtive combien de personnes tombées en syncope respiratoire sont expédiées vivantes dans la tombe? Quand un nombre suffisant de chasseurs de la région est réuni, on organise une danse essentiellement animée par les chasseurs. Ceux-ci, selon une hiérarchie décroissante, les plus anciens en tête suivis des plus jeunes initiés, marchent en file indienne, en chantant et en dansant, vers la fosse funèbre. Des coups de fusils retentissent, ils ont pour but de chasser de la tombe l’âme des bêtes tuées par le défunt, sans quoi celle-ci pourrait constituer une charge lourde dans la balance du jugement divin du disparu. L’enterrement n’a lieu qu’après que les chasseurs se soient assurés qu’ils ont réussi à chasser de la tombe de leur confrère défunt l’âme de tous les animaux tués par celui-ci. En effet, on dit que les animaux abattus viennent toujours traquer l’âme des chasseurs morts jusque dans leur tombe. Cette démarche tend aussi à éloigner aussi loin que possible les mauvais esprits et les génies que le défunt aurait volontairement ou involontairement offensés dans la savane ou dans la jungle. Après l’enterrement, les condoléances sont adressées à la famille du défunt. Les funérailles ou sukoya sont renvoyées à une date ultérieure. Ce rituel peut durer une journée ou plus dans certains cas graves où les charges contre le défunt sont multiples et lourdes.

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2) - Les funérailles de chasseur, sukoya (= konsii pour les chasseurs). Les frais de funérailles et la date sont fixés par les éprouvés. Pour la réussite de funérailles grandioses, ou pour éviter l’anticipation, ceux-ci tiennent compte de leurs réelles possibilités matérielles, car les frais sont très coûteux et donnent toujours la mesure de l’attachement des éprouvés, des parents et des amis au défunt. Il va sans dire que ce n’est qu’après avoir pris toutes les dispositions nécessaires à la réussite que les éprouvés convoquent tous les chasseurs de la région, les parents, alliés, les amis et sympathisants pour le jour de leur convenance. Cela se faisait sous la supervision suprême du chef de la province (dyamanatii) où résidait le défunt. Les invités arrivent de toutes parts, en grand nombre. Ils se livrent à une grande fête qui dure toute la journée et même la nuit suivante ou pendante des jours. Armés de fusils, aux sons des violes des donzo nkoni, ils esquissent des simulacres de chasse, les coups de sifflets retentissent. C’est la liesse générale. Le lendemain, chaque chasseur va en brousse et ramène ce qu’il peut trouver comme gibier. Toutes les bêtes tuées ce jour-là sont remises au chef chasseur du jour (le plus ancien dans le métier) qui les offre à l’organisateur en chef des funérailles comme contribution des Manden Boï ou Manden Moï (chasseur). Discours d’éloges et de remerciements sont échangés de part et d’autre. Les cornes et les têtes sont préalablement enlevées, rassemblées et suspendues à une termitière à l’entrée du village pour effrayer l’âme des animaux victimes (blessés ou tués) du défunt et neutraliser l’esprit vindicatif de ses condisciples qui, pour une raison ou une autre, veulent ternir sa mémoire et empêcher le repos de son âme. 3) - Les danses continuent toute la journée. Le soir, les chasseurs offrent un spectacle particulièrement impressionnant aux invités d’honneur et aux spectateurs. Trois tas de bois secs sont faits dans le bara (barabò) ou cercle de danse. Il s’agit de mettre le feu à ces bois d’une matière mystérieuse. On n’utilise ni liquide inflammable, ni braise, ni flamme pour allumer ces trois tas de bois. C’est l’occasion propice pour les chasseurs émérites de démontrer leur compétence en sciences occultes. Du reste, qui ignore qu’ils sont tous de grands sorciers? Leurs cris de joie entrecoupent la musique et donnent une nouvelle vigueur à la danse. Après plusieurs tours de danse, ils commencent à tirer sur l’un des tas dans le but d’allumer le feu. Au préalable, chacun se vante au su et vu de toute l’assistance d’être capable de faire ce que tout le monde attend. Dans cette lutte de démonstration du pouvoir mystique et du savoir-faire on fait tout pour se neutraliser, se nuire. Évidemment, c’est le plus fort qui réussit le tour. En tout cas les spectateurs ne savent pas comment les choses se passent. Pourtant ils suivent attentivement tout le scénario, mais à la dernière séquence celle de l’allumage - tout échappe brusquement et complètement à leur vigilance, à leur entendement. Aux coups de fusils de certains chasseurs, la

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flamme apparaît brusquement et le bois se met à brûler. C’est la stupéfaction générale de tous les spectateurs. Les trois feux ainsi allumés tour à tour sont répartis comme suit: - Le premier feu est attribué aux chasseurs qui ont attaqué et tué les fauves et les carnivores dangereux. - Le deuxième feu revient aux autres chasseurs peu compétents c’est-àdire les nouveaux initiés. - Le troisième feu regroupe les parents, les amis du défunt et les autres invités non-chasseurs. Chacun danse autour du feu après avoir fait ripailles et bombances. Ces occasions exceptionnelles sont toujours recherchées par les gourmets et les gourmands qui s’y régalent à leur guise. Au lendemain de ces danses, tous les chasseurs vont sur la route où se trouvent les cornes suspendues la veille autour d’une termitière sur laquelle ils ont immolé un coq blanc et de la farine de riz (dègè) à la mémoire de leur ancêtre Mandin-Moï et pour le repos paisible de l’âme de leur camarade défunt: c’est le « dankunsò ». Puis, à la fin de ces rituels, ils rentrent au village, en rangs serrés, bercés par leur musique, aux pas de danses, tirant des coups de fusils en rentrant dans la cour du domicile du défunt, pour ainsi éloigner définitivement l’âme des fauves rebelles qui pourraient traquer celle de leur confrère défunt. Là, ils organisent des farandoles. Les coups de fusils éclatent, la viole ou « donzo nkoni » et la flûte émettent des sons aux airs entraînants. Ce sont des danses endiablées dans l’allégresse générale. De la mangeaille à gogo pour tous et la distribution des cadeaux aux éprouvés caractérisent ces funérailles pour le public; mais pour la classe des chasseurs (sèrèwa ou donzo) c’est une véritable libération, une purification de l’âme du défunt et c’est aussi le respect de la dernière volonté de tout chasseur. Les cérémonies terminées, l’âme du défunt sera dans une quiétude complète. Selon leurs moyens, les organisateurs donnent eux aussi des cadeaux et une certaine somme de « gbènzèn » (25) aux chasseurs invités aux funérailles pour leur permettre d’acheter de la poudre. Tout grand chasseur émet toujours les vœux ardents d’avoir droit à des funérailles pompeuses et dignes. Rappelons que jadis, dans la société traditionnelle mandingue, tous les chefs, tous les doyens et mêmes certains chefs de familles aisées exigeaient leur « suko » (funérailles), qui donnait toujours lieu à des dépenses prodigieuses et onéreuses, à des démonstrations de richesses et de l’importance du défunt et de sa famille. Conformément aux voeux du défunt, est convoqué un rassemblement général (dyama, dyamako, ladyè) des parents, beaux-parents, amis, sympathisants... qui viennent de partout. Les funérailles ou suko des chefs et doyens peuvent durer sept jours. Elles rassemblent des centaines de personnes que les organisateurs doivent loger et nourrir pendant les festivités. Le jour officiel des cérémonies sont abattus des bœufs, des moutons, des chèvres et des poulets dont le nombre 818


varie suivant les moyens des organisateurs, l’importance de l’héritage matériel du défunt ainsi que la popularité et l’importance de celui-ci. En effet on puise dans son bétail qu’il a laissé en héritage, parfois lui-même désigne, avant sa mort, les bêtes qu’il destine à son suko. On en fait un point d’honneur et les familles rivalisent par l’ampleur des cérémonies dont l’organisation est généralement la dernière volonté des défunts. Par ailleurs, dans un esprit de concurrence, les enfants du défunt (garçons comme filles), ses beaux-parents, ses oncles maternels, ses amis... offrent, chacun, ce qu’ils peuvent soit en bêtes, soit en céréales ou soit en espèce sonnantes pour contribuer à la réussite des cérémonies. Chaque donateur, à l’exception des enfants du défunt, prend la parole publiquement pour expliquer à l’assistance (dyama) les motivations de son geste. Il dégage, en la circonstance les liens indestructibles qui l’unissent au défunt pour qui il ne tarit pas d’éloges. Le moindre service rendu par celui-ci est rappelé et prôné parfois avec exagération. Chaque bonne parole est saluée par des danses guerrières et des coups de fusils, la poudre étant préalablement et abondamment distribuée gratuitement à qui en veut. Les griots interviennent à leur tour pour flétrir la pitié, la générosité, la franchise et la bravoure du défunt à qui on attribue toutes les bonnes qualités humaines. Ils le grandissent et le comparent aux preux les plus valeureux d’antan qu’ils connaissent et chantent à son honneur le duga (duwa), le dyandyon... qui sont des airs populaires composés et joués à l’honneur des héros antiques, des grandes figures remarquables et de ceux qui leur ressemblent, tant soit peu. À cette occasion les griots s’adressent à tous ceux qui, par des actions d’éclats utiles, ont marqué la mémoire du peuple. Alors, tous les parents et amis du défunt sensibilisés, médusés, les larmes aux yeux, se mêlent à la danse et font preuve d’une prodigalité extraordinaire. Les interventions de ce genre continuent pendant des jours. On donne à chaque intervenant le temps qu’il veut. On fait preuve de patience pour éviter les sentiments de frustration. On mange et on danse, chacun à sa guise. Il y a mangeaille, beuverie, palabres, réjouissances. Tout le monde y accourt. C’est l’occasion qu’on mettait à profit pour résoudre tous les problèmes de la société, pour discuter et finir les différends, pour réconcilier les irréductibles ennemis, pour renouer les liens de mariage rompus ou en voie de rupture, pour recoller ou colmater le tissu social, régler les conflits domaniaux... Tous les problèmes sont recensés, discutés et solutionnés. Rien n’est laissé au hasard. Bref! On en profite pour inoculer un sang nouveau et vivificateur, à la société. C’est le festin. C’est la grande retrouvaille. L’ampleur des dépenses exige une longue et minutieuse préparation. Ainsi le suko n’est organisé que par des familles aisées, les doyens et les chefs en font leur dernière volonté et un point d’honneur que leurs enfants, parents et amis doivent honorer. Certains mobilisent avant leur mort les moyens matériels de leur suko (funérailles). Il faut noter et rappeler que, si les funérailles sont toujours mises à profit pour 819


réconcilier dans le village les familles opposées et régler tous les litiges entre les clans et entre les villages, son caractère unificateur est certes digne d’intérêt. À cet égard leur importance est donc indéniable et mérite d’être sauvegardée. Mais du fait qu’elles ruinent matériellement les familles organisatrices, leur conservation ou pratique doit se faire dans un esprit de modération, car plusieurs familles se relèvent difficilement et parfois pas du tout après les grandioses, onéreuses et ruineuses funérailles. L’ORIGINE DE L’ORTHOPÉDIE TRADITIONNELLE DE BATÈNAFADJI (KANKAN, EN RÉPUBLIQUE DE GUINÉE) (24) Le cas d’un chasseur anonyme de fauves mérite d’être signalé. En effet, un chasseur de fauves de la famille Bérété du village de Batè-Nafadji (Kankan, Guinée) aurait eu une aventure extraordinaire au cours d’une partie de chasse. Ayant mortellement blessé une panthère pendant la nuit, il reprit la poursuite de la bête le matin afin de la retrouver et de l’achever. Suivant les traces de sang, il retrouva la panthère paralysée par ses blessures. S’apprêtant à tirer le coup de grâce, le chasseur fut sensibilisé voire bouleversé par un geste inattendu et insolite de l’animal en détresse. En effet, la bête blessée leva sa patte fracturée en direction du chasseur comme si elle lui demandait pardon et d’épargner sa vie. Alors, le chasseur, le cœur en désarroi, exauça ces vœux de la panthère et renonça à sa tentative de tir. Il déposa son fusil et s’approcha courageusement de sa victime immobilisée par la douleur et par la faim. Suite à ce contact pacifique, il fit une ligature autour de la patte fracturée de l’animal, puis s’en alla à la chasse. Il ramena un gibier qu’il offrit à la malheureuse bête dont il gagna vite la confiance. Ce médecin improvisé réussit, après quelques semaines de patience, à soigner la panthère. Pendant ce traitement, toutes ses prises étaient en totalité ou en grande partie destinées à ce carnivore en convalescence. Sa famille qui ne soupçonnait rien de ce qui se passait demandait sans cesse au chasseur les raisons de sa maladresse inaccoutumée, puisque d’habitude il ramenait au moins un gibier par jour ou par sortie. Mais notre chasseur continuait dans la plus grande discrétion d’entretenir sa victime d’hier devenue, par la force des choses, son amie et sa protégée d’aujourd’hui. Un jour il fut surpris par la disparition de la bête. Alors il tenta, mais vainement, de la retrouver dans la jungle. Fatigué d’errer en brousse, il revint s’asseoir sur le lieu de son alliance avec la panthère et qui était devenu sa base. Il sombra aussitôt dans un profond sommeil réparateur. Miraculeusement, la panthère lui apparut en rêve. Elle lui présenta ses remerciements les plus sincères pour l’avoir sauvée. Et en guise de reconnaissance elle lui donna le pouvoir de guérir les traumatismes, surtout les fractures. En effet, elle lui indiqua une recette de médicaments et de procédés thérapeutiques devant lui permettre, ainsi qu’à sa progéniture, de soigner efficacement tous les cas de fractures. 820


Le chasseur, à son tour, raconta son aventure et vulgarisa dans tout le village de Batè-Nafadji ce nouveau procédé de traitement de la fracture qui ne tarda pas à émerveiller par ses résultats positifs. La réputation et la réussite des Bérété de Batè Nafadji, sa progéniture, dépasse actuellement les frontières guinéennes et les patients accourent de toutes parts à Batè-Nafadji et en repartent toujours guéris. Pour rassurer leurs patients ces chirurgiens traditionnels de Batè-Nafadji font toujours une démonstration spectaculaire et éblouissante; à l’aide de leur couteau, ils coupent en deux une tige de maïs qu’ils ressoudent aussitôt, séance tenante à la stupéfaction de l’assistance qui voit sans savoir ou sans comprendre comment les choses se passent. Le traitement est presque gratuit. Cependant les cadeaux offerts délibérément sont acceptés. Le patient ne subit aucune contrainte financière dans ce sens. Outre ce cas précis, la médecine traditionnelle a fait ses preuves contre bien des maladies dont souffre l’humanité et que la médecine moderne traite souvent plus ou moins bien ou parfois qu’elle ne réussit pas à guérir. Il faut donc cesser de bouder la médecine traditionnelle, de renier ses valeurs qui, à bien des égards, sont incontestables. Peut-être qu’un jour, la médecine moderne recherchera la collaboration réelle de ces médecins traditionnels de Batè-Nafadji et d’ailleurs pour apprendre et vulgariser leurs expériences au profit de tous. Ces guérisseurs ne tirent-ils pas leur efficacité de la satisfaction morale qu’ils procurent à leurs patients? Le malade est une personne en détresse dont le désespoir est souvent illimité et qui a besoin non seulement de médicaments mais aussi de réconfort moral pour vaincre sa maladie et sa situation. Nos guérisseurs qui ont bien compris cette nécessité aiment leurs patients, les côtoient, les écoutent, leur demandent de faire preuve de patience et que le traitement est lent mais sûr... Ils ne découragent jamais un malade, quelle que soit la gravité ou la délicatesse de son mal. Ils ont le grand mérite de ne jamais s’avouer vaincus à l’avance, de se trouver dans l’incapacité de traiter le mal du patient, de ne jamais faire perdre espoir à celui-ci ou encore moins de lui faire savoir directement ou indirectement que sa cause est perdue et qu’il est condamné à mourir par son mal. Cette attitude particulière de consolation du médecin traditionnel qui tente toujours de faire quelque chose, même dans le pire des cas de désespoir, doit inspirer les médecins modernes dont certains fuient souvent leurs devoirs par crainte de contagion. Or le choix de ce métier implique implicitement l’acceptation de tous les risques auxquels s’expose tout postulant. La force de la médecine traditionnelle est de faire espérer le malade, de banaliser son mal et de ne pas se méfier d’un malade même atteint d’une maladie contagieuse... Ici, nos malades sont rarement ou jamais mis en quarantaine. En tout cas, l’apport de la médecine traditionnelle à l’évolution de la médecine moderne en général peut être appréciable et bénéfique pour l’humanité toute entière. Il est donc grand temps de tendre la main à nos guérisseurs surtout

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que certains grands spécialistes sont en train de disparaître avec leurs sciences et leur savoir-faire. Il reste entendu que ceux-ci doivent être moins égoïstes, plus ouverts et plus utiles à la société en acceptant de communiquer sincèrement aux autres leur science. En effet combien de guérisseurs disparaissent au regret des populations sans faire la moindre communication ou la moindre vulgarisation de leurs pouvoirs, de leurs méthodes thérapeutiques. Ils ont pourtant leur place au « Rendez-vous universel du donner et du recevoir des civilisations ». Dans un cénacle de médecins, nos guérisseurs sont bien capables de communications et d’apports très appréciables sur le traitement de telle ou telle maladie et contribuer positivement et largement à l’évolution générale de la médecine. Seulement la médecine moderne doit reprendre, rationaliser et moderniser leurs méthodes thérapeutiques, car ils semblent ignorer le dosage qui n’est pas souvent modéré. Pour eux, un médicament n’est efficace que lorsqu’il est absorbé en grande quantité. En effet on les entend recommander à leurs patients: « A siyaman min, i ye i kònò lafa. » (= Bois beaucoup jusqu’à remplir ton ventre.) Ou bien: « I kana sika fo a ye i kònò lòbò. » (= Bois en abondance, il n’ y a aucun risque d’intoxication et d’accident mortel.) Il y a donc souvent des risques d’intoxication par ce manque de dosage modéré, précis ou rigoureux. Mais notons que la pharmacopée a fait ses preuves dans le traitement de beaucoup de maladies. Par conséquent, une collaboration bilatérale fructueuse et étroite établie entre la médecine moderne et nos guérisseurs traditionnels pourrait certainement faire évoluer la médecine au bénéficie de l’humanité entière.

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LES CONTRE-POUVOIRS OU LES CENSEURS DE CONSCIENCE DANS LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE MANDINGUE ----------o---------1) - LES GRIOTS 2) - LES SANANKUN 3) - LES SÒSÒLIKÈLA 4) - LES SANGBAN 5) - LES PATRIARCHES 6) - LES ONCLES ET LES TANTES 7) - LES SÈRÈDEN OU KANYANYÒÒN 8) - LES SŒURS ET COUSINES ----------o---------« Avec les sanankun, nos pouvoirs traditionnels disposaient de contrepoids judicieux et efficaces. Il y avait des gens à qui il était permis de dire les quatre vérité au roi sans risque aucun. » Amadou Hampâté BÂ (« Jeune Afrique » N° 1095 du 30 décembre 1981) ----------o---------« Ils (les griots) amusent les chefs et le peuple par des bouffonneries grossières et ils chantent des louanges et tous ceux qui les paient dans des espèces d’improvisations empathiques; ils s’accompagnent ordinairement d’une guitare à trois cordes qui a pour caisse de résonance une moitié de calebasse. Les griots ont le droit de tout dire dans le feu de leur improvisation, et il est malséant de se fâcher de leurs paroles, fussent-elles désobligeantes, ce qui arrive fort souvent, même à l’égard de leur chef. Ils sont leurs compagnons fidèles dans les combats et dans les réunions politiques; ils les suivent aux fêtes. » Selon A. RAFFENEL (Voyage ---, Paris, 1846, p. 15 cité par Sory Camara à la page 213 de son ouvrage « Gens de la parole ») ----------o----------

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« Ton parler est ton prisonnier tant que tu ne l’as pas exprimé. Mais dès que tu l’exprimes, tu deviens le sien. Thésaurise ta langue comme tu thésaurises ton or et ton argent car il se peut qu’une seule parole te retire un bonheur et t’attire une calamité. » (Chapitre 29 du CORAN) ----------o---------« Par son intermédiaire, les sujets pouvaient présenter leurs doléances au souverain. Et lors des conseils royaux, il (le griot) siégeait à la droite du roi, transmettant la volonté de celui-ci à l’assemblée et les réponses de celui-ci au premier... Toute personne détenant quelque autorité tient à ne point s’adresser directement â ses sujets; il est pour cela toujours accompagné d’un griot familier qui ne le quitte jamais. Dans certains conseils, nous savons que la médiation suivait une chaîne de griots assurant la transmission des messages dans les deux sens. Ce phénomène signifiait, certes, l’extrême éminence du chef, son caractère presque sacré, mais cela introduisait une lenteur dans les palabres en entravant le dialogue... » Sory CAMARA (« Gens de la parole, » p. 222) ----------o---------« Les leçons que les Noirs peuvent encore tirer de leur histoire pour construire leur avenir, c’est qu’en matière de libertés et de démocratie, les Africains ne sauraient recevoir de leçons de la part de quiconque et surtout pas des Européens et des Occidentaux. Car l’Europe ne peut pas à la fois se dire démocratique ou détentrice des principes démocratiques qu’elle aurait acquis depuis la Révolution française et, en même temps, envahir l’Afrique, priver les Noirs de liberté par la colonisation - et l’esclavage - et les maintenir ensuite dans le néo-colonialisme. » DOUÉ GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 312)

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DOCUMENTS DE LECTURE ----------o---------A – LES GRIOTS DOCUMENT DE LECTURE I « LA POÉSIE AU SERVICE DE LA LUTTE EMANCIPATOIRE » (26) « Il y a eu de tout temps une poésie africaine, une poésie orale qui se transmet par l’intermédiaire de ceux que nous appelons griots, c’est-à-dire les troubadours africains. Les griots, dont l’imagination est très féconde et la sensibilité très vive, forment une caste de la société dont l’ancêtre, convaincu de la magie du verbe, jurait que « la parole mange l’homme ». Bien avant la colonisation, les griots qui sont aussi de grands musiciens chantaient la gloire de leurs maîtres, exaltaient le courage des chefs guerriers ou, aux heures de déception, célébraient la puissance de la nature: grands arbres aux feuillages mystérieux, fleuves aux flots redoutés, montagnes aux rochers menaçants... Il est donc évident que la vraie poésie africaine prenant fond sur nos mœurs de simplicité, et s’inspirant de notre aimable voisine la nature, ne saurait être ni hermétique, ni trop intellectuelle, ni même particulièrement religieuse de mouvement ou de ton. Peut-être pour orner sa nudité, se voilerait-elle, tout au plus, d’un très léger mysticisme qui ajoute à sa beauté et à son originalité! Aujourd’hui encore, il y a des griots en Afrique. Fidèles à la mémoire des Soundjata, des El Hadj Omar et des Samory (les héros du passé) ils rappellent toujours leurs glorieux souvenirs dans les poèmes chantés au cours de certaines cérémonies rituelles. Mais les griots d’aujourd’hui ne font pas que chanter le passé. Sans doute la colonisation a orienté leur inspiration vers d’autres thèmes. Autant ils sont sensibles aux bienfaits des écoles et des dispensaires, autant ils savent désapprouver en des chants lyriques, l’oppression colonialiste, contraire à l’humanité, contraire même aux leçons quotidiennes de générosité du grand fleuve Niger qui, en fertilisant les champs depuis des siècles, enseigne que le bienfait désintéressé est le seul qui vaille. Ainsi les griots chanteront, au son d’une guitare, la gloire d’un frère du village mort sur les chantiers de travail forcé (navetanes soudanais ou guinéens envoyés au Sénégal) ou fusillé sous Vichy pour avoir transporté inconsciemment les bagages d’un blanc gaulliste se rendant en Gambie. Le poème « MINUIT » est le type de ces chansons mandingues qui, tout en marquant des étapes de l’histoire de la colonisation, flétrissent le colonialisme. Il n’est donc pas étonnant que les jeunes africains qui écrivent en langue française et qui ont été bercés tous les soirs, dans leur enfance, autour du feu de 825


bois, par ces troubadours, traduisent eux aussi leur désapprobation à l’endroit de tous les oppresseurs qu’ils soient blancs, noirs ou jaunes. Et l’on comprend alors combien cette indication combative qui émane de leurs poèmes est l’expression authentique des sentiments de la masse africaine. C’est en ce sens qu’il faut expliquer selon nous, la poésie africaine, cette poésie, nous le disons bien, née de nos contes et légendes, de nos chansons populaires et qui certainement peut seule se réclamer de l’Afrique ». KEITA Fodéba (26) (« Réveil » N° 359 du lundi 11 avril 1948) (Écrivain, dramaturge homme de culture mandingue, poète, homme politique... Fodéba Keita fut le fondateur des célèbres « Ballets Africains de Keita Fodéba » devenus à l’indépendance de la Guinée en 1958 « LES BALLETS AFRICAINS DE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE » qui eurent le mérite de présenter à l’Europe, à l’Amérique et à l’Asie quelques facettes de la culture mandingue et africaine. Rentré en Guinée à la faveur de la LOI-CADRE GASTON DEFFERRE, pour servir son pays, il devint en 1956 Ministre de l’Intérieur et promu ensuite, à l’Indépendance de la Guinée en 1958, Ministère de l’Intérieur, de la Défense Nationale et des Services de Sécurité. À ce poste il était le Super Ministre du Gouvernement. Devenu homme d’état trop gênant, il fut arrêté et exécuté en 1969 pour complot. Malheureusement, ses qualités d’homme de culture, d’artiste, d’organisateur hors pair... s’inclinent devant sa férocité dans l’exercice du pouvoir, du commandement. Il fut le concepteur du célèbre et triste CAMP BOIRO de Conakry, geôle où il périt avec des centaines de prisonniers politiques. Ainsi, il fut impitoyablement broyé par sa propre machine, par sa propre invention.) DOCUMENT DE LECTURE II « DÉFENSE DES GRIOTS OU ARCHIVES AFRICAINES » (27) « Ce livre est plutôt l’œuvre d’un obscur griot du village de Djéliba-Koro dans la circonscription de Siguiri en Guinée. Je lui dois tout. Ma connaissance du pays malinké m’a permis d’apprécier hautement la science et le talent des griots traditionalistes du Mandingue en matière d’histoire. Il faut cependant, dès maintenant, lever une équivoque. Aujourd’hui, dès qu’on parle de griots, on pense à cette « caste de musiciens professionnels » faite pour vivre sur le dos des autres; dès qu’on dit griot, on pense à ces nombreux guitaristes qui peuplent nos villages et villes et vont vendre leur musique dans les studios d’enregistrement de Dakar ou d’Abidjan. Si, aujourd’hui, le griot est réduit à tirer parti de son art musical ou même travailler de ses mains pour vivre, il n’en a pas toujours été ainsi dans 826


l’Afrique antique. Autrefois les griots étaient les conseillers des rois, ils détenaient les constitutions des royaumes par le seul travail de la mémoire, chaque famille princière avait son griot préposé à la conservation de la tradition, c’est parmi les griots que les rois choisissaient les précepteurs des jeunes princes. Dans la société africaine bien hiérarchisée d’avant la colonisation, où chacun trouvait sa place, le griot nous apparaît comme l’un des membres les plus importants de cette société car c’est lui qui, à défaut d’archives, détenait les coutumes, les traditions et les principes de gouvernement des rois. Les bouleversements sociaux dus à la conquête font qu’aujourd’hui les griots doivent vivre autrement: aussi tirent-ils profit de ce qui, jusque-là, avait été leur fief, l’art de la parole et la musique. Cependant on peut encore trouver le griot presque dans son cadre ancien, loin de la ville, dans les vieux villages du Mandingue tels que Kaaba (Kangaba), Djeliba-Koro, Krina, etc...; qui se vantent de perpétuer encore les coutumes du temps des ancêtres. En général dans chaque village du vieux Mandingue il y a une famille de griot traditionaliste qui détient la tradition historique et l’enseigne; plus généralement on trouve un village de traditionaliste par province, ainsi; Fadama pour le Hamana (Kouroussa, Guinée), Djéela (pour Dioma, Siguiri), Keyla (au Soudan) etc. L’occident nous a malheureusement appris à mépriser les sources orales en matière d’Histoire, tout ce qui n’est pas écrit noir sur blanc étant considéré comme sans fondement. Aussi même parmi les intellectuels africains il s’en trouve d’assez bornés pour regarder avec dédain les documents « parlants » que sont les griots et pour croire que nous ne savons rien ou presque rien de notre passé, faute de documents écrits. Ceux-là prouvent tout simplement qu’ils ne connaissent leur propre pays que d’après les blancs. La parole des griots traditionalistes a droit à autre chose que du mépris. Le griot qui détient la chaire d’Histoire dans un village et qu’on appelle Belen-Tigui est un monsieur très respectable qui a fait son Tour du Mandingue. Il est allé de village en village pour écouter l’enseignement des grands Maîtres; pendant de longues années il a appris l’art oratoire de l’histoire; de plus il est assermenté et n’enseigne que ce que sa « corporation » exige car, disent les griots: « Toute science véritable doit être un secret. » Aussi le traditionaliste est-il maître dans l’art des périphrases, il parle avec des formules archaïques ou bien transpose les faits en légendes amusantes pour le public, mais qui ont un sens secret dont le vulgaire ne se doute guère. Mes yeux viennent à peine de s’ouvrir à ces mystères de l’Afrique éternelle et dans ma soif de savoir, j’ai dû plus d’une fois sacrifier ma petite prétention d’intellectuel en veston devant les silences des traditions quand mes questions par trop impertinentes voulaient lever un mystère. Ce livre est donc le fruit d’un premier contact avec les plus authentiques traditionalistes du Mandingue. Je ne suis qu’un traducteur, je dois tout aux 827


maîtres de Fadama, de Djéliba-Koro et de Keyla et plus particulièrement à Djéli Mamadou Kouyaté, du village de Djéliba-Koro (Siguiri), en Guinée. Puisse ce livre ouvrir les yeux à plus d’un Africain, l’inciter à venir s’asseoir humblement près des Anciens et écouter les paroles des griots qui enseignent la sagesse et l’histoire. » Djibril Tamsir NIANE (« Soundjata ou l’épopée mandingue, » p. 5-7) DOCUMENT DE LECTURE III LES GRIOTS « Autrefois dépositaires des traditions et de l’histoire, les griots voient leur rôle diminuer maintenant qu’ils ne sont plus l’unique mémoire des hommes. Le métier de griot est-il encore possible à exercer de nos jours? Les griots forment une caste à part au sein des sociétés africaines. L’on dit que leur caste est l’une des dernières de la hiérarchie sociale, tout comme celles des forgerons, des cordonniers et des tisserands, les griots ont le monopole de la parole. Ils disposent d’une arme à la fois précieuse et redoutable dans les pays où le patrimoine culturel est fondé sur la tradition orale. Autrefois, la profession de griot était héréditaire. Elle était de celles qui étaient fermées à d’autres membres de la société. Non pas pour raison d’incapacité, mais parce que le métier représentait une propriété tribale. Les griots sont surtout nombreux et influents dans les pays islamisés où de puissants rois et chefs ont exercé leur autorité. Les régions Soudano-sahéliennes comptent ainsi le plus grand nombre de griots en Afrique Noire. Le rôle du griot est multiple. Musicien et troubadour il est de toutes les solennités. Il constitue l’élément important du faste d’une cérémonie et il sait largement monnayer son concours. L’on fait appel à lui dans toutes les grandes circonstances de la vie: baptême, circoncision, mariage. Le mariage est cependant l’occasion de dépenses les plus ruineuses. Il faut pour la circonstance, des griots professionnels qui connaissent à fond l’art oratoire. De plus il ne saurait être question pour le marié ou les membres de sa familles de faire moins que le voisin, de lésiner sur le prix, de peur de la réputation d’avarice que les griots ne tarderaient pas de faire naître. Mais le répertoire des griots n’est pas fait seulement de pièces de circonstances. Causeur intarissable, le griot est aussi le troubadour de son village et de sa communauté. On le rencontre devant les cases, dans les rues, sur les places publiques, il se promène avec son tambourin dont il tire des

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accents variés pour accompagner les louanges qu’il prodigue à ses généreux donateurs » GARDIENS DE NOS COUTUMES ET TRADITIONS « Humoriste, le griot sème autour de lui la gaieté, tant par son esprit de répartie que par ses bouffonneries et son accoutrement. Faut-il rappeler aussi le rôle qu’il joue au moment du labeur ou de la moisson? Le chant et la musique constituent un stimulant pour l’Africain. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’un encouragement par des paroles flatteuses; mais d’une véritable transmission d’énergie par la musique. Comment expliquer autrement l’ardeur au champ des cultivateurs? C’est que les tambourinaires sont là pour fortifier l’entrain des travailleurs. Le travail devient ainsi une partie de plaisir au cours de laquelle on crie, on chante, on mange et on boit. Il faut cependant remonter à l’époque précoloniale pour situer dans son vrai cadre, le griot professionnel. Historiens et généalogistes, les griots ont été les dépositaires des coutumes et des traditions des peuples qui ont ignoré l’écriture tout au long de leur histoire. Ils détenaient les principes de gouvernement et les constitutions des royaumes. Attaché à la personne du roi, le griot était le précepteur du jeune prince, le conseiller écouté et influent dont dépendaient quelques fois les hauts dignitaires du royaume, le dispensateur de grâce et de faveurs que la noblesse courtisait. Il refusait lui, homme du peuple, d’abandonner les mœurs de sa caste et bien loin de s’adapter aux étiquettes de la cour, il contraignait bien souvent à subir sa rudesse et au besoin sa brutale insolence. Les griots, nous l’avons rappelé, ont le monopole de la parole. Maîtres dans l’art des périphrases, ils parlent en paraboles, en proverbes et en légendes amusantes. Tout ce qu’ils disent a un sens secret, compris seulement de quelques rares initiés. À un généreux donateur, le griot dira par exemple: « Le nom n’a ni ailes, ni pieds, mais il peut traverser les grands fleuves et les océans. » Et il ajoutera: « Quand tu attaches une clochette aux pattes d’un oiseau, tous les arbres de la forêt entendent le tintement. » Littéralement les deux proverbes signifient: « Le bienfait ne se cache pas... Tôt ou tard on finit par en parler. » À un homme qu’un événement a pris au dépourvu, le griot rappelle ce vieux dicton: « L’oiseau ne pond pas sur une branche nue, il a toujours soin de préparer avant son nid. » Quand le roi crie vengeance, le griot dit au peuple: « Le rat des champs a giflé la panthère, la forêt va vivre des jours mouvementés. » À un jeune présomptueux le griot avertira: « Le grand bouc a la barbe, le petit bouc aussi. Mais ce n’est pas la barbe qui donnera à celui-ci la force de celui-là. » À ceux qui rient du malheur des autres, le griot rétorquera: « Tant que le feu de brousse n’est pas éteint, les sauterelles échappées au feu ne rient pas trop de celles qui ont péri. »

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Nous pourrions citer indéfiniment ces locutions imagées empruntées aux plantes et aux animaux pour caractériser des situations humaines. Elles constituent avec les contes, une part non négligeable de notre patrimoine culturel. En les perpétuant, les griots exercent une profonde influence sur la littérature orale africaine. L’ON NE PEUT PAS ÊTRE GRIOT PAR CONTRAT Ils font aussi, à travers les contes et les proverbes, œuvre d’éducateurs, les soirs, au village, au milieu des enfants réunis autour d’un feu de bois, ils commentent dans les détails les leçons de sagesse que renferment les contes. Les griots ont donc joué un rôle important au sein des sociétés traditionnelles. Les temps ont cependant changé. Les sociétés africaines fortement hiérarchisées, où chaque membre trouvait sa place, se désagrège au fil des années. Des bouleversements de tous ordres ont arraché les griots de leur cadre traditionnel et font aujourd’hui qu’ils doivent vivre autrement. Des profanateurs sont venus grossir la caste. Des cordonniers, tisserands, colporteurs et même certains membres de la noblesse, tirent actuellement profit de ce qui jusque-là avait été le domaine de la seule caste des griots: l’art de la parole et de la musique. Ils forment une cohorte bruyante de non-initiés, ne retenant de la profession que le seul attrait du gain et du profit. L’on peut cependant rencontrer de nos jours les vrais descendants de griots qui se donnent pour mission de perpétuer les traditions de leurs ancêtres. LES GRIOTS SONT-ILS NÉCESSAIRES DANS NOS SOCIÉTÉS? Les avis sont partagés, souvent même contradictoires sur le rôle des griots dans les sociétés modernes africaines. Certaines personnes les considèrent comme de simples parasites dont les activités lors des cérémonies, incitent à faire des dépenses ruineuses, contraires aux vertus de l’épargne que l’on s’efforce d’inculquer. Pour d’autres au contraire, le personnage du griot fait partie de notre patrimoine culturel et a droit à ce titre à tous les égards. Monsieur Tidiane Diakité a une opinion assez nuancée sur le sujet. Il est pour le maintien des griots surtout à cause du rôle qu’ils jouent dans certaines communautés villageoises. « Ils sont souvent des intermédiaires indispensables entre les familles des jeunes sur le point de se marier. Le griot connaît mieux que quiconque les personnes qu’il doit contacter pour faciliter l’union. Gardien de nos coutumes, il dicte les obligations et les devoirs du jeune homme envers ses futurs beaux-parents. En outre, quand des difficultés surgissent ce qui arrive souvent-le griot, fin diplomate, trouve toujours des mots justes pour les aplanir. Il lui arrive aussi de réconcilier les membres d’une famille divisée. Ce rôle des griots est à encourager. »

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Mais je suis contre le griot quand il devient le parasite de la société. À l’occasion d’un baptême ou d’un mariage, le griot est le personnage central et il recueille grâce à ses louanges des sommes énormes. Il a le don de créer une sorte de concurrence dans l’assistance. Ses meilleurs chants iront à celui qui aura fait preuve de plus de générosité. J’ai vu au cours d’un mariage, le marié brandir ostensiblement la somme de cinquante mille francs pour l’offrir au griot qui chantait les louanges de sa famille. Certains griots de rang social élevé reçoivent même des bœufs à l’occasion des cérémonies de réjouissance. De telles pratiques ne sont évidemment plus de mise avec l’évolution de nos sociétés. Les temps ont changé. Le mariage implique devoirs et obligations: obligation de loger, de nourrir et de vêtir les enfants et leur assurer un avenir stable. Dans la mesure où le griot assume le rôle de gardien de nos coutumes et traditions, il a droit à notre respect. Mais lorsqu’il devient un parasite s’enrichissant sur le dos des autres, il est nuisible à la société. Je peux citer le nom des très célèbres griots dont la renommée dépasse largement les frontières de leur pays. Il s’agit de Granké-Manou, Bakary Somono et Djéli Tyèba Cheick Djabaté, tous du Mali. Il faut ajouter à cette pléiade de grands maîtres de l’art oratoire, le nom du très célèbre griot aveugle du Mali Bazoumana Sissoko, virtuose de la guitare africaine appelée « nkoni » en Bambara. Bazoumana a porté l’art du chant de louanges à un degré jamais égalé. Par sa voix puissante et chaude il a le secret d’agir sur les masses et de les influencer. Personne ne peut demeurer indifférent aux louanges de tels griots. Ils retracent les plus belles pages de l’histoire africaine. Ces grands généalogistes doivent être encouragés, car ils transmettent aux jeunes générations, l’histoire des grands empires Noirs. » CONSERVER NOS ARCHIVES « PARLANTES » Pour Monsieur H. Hamza, le griot brutalement arraché à son cadre traditionnel, s’est trouvé dans la nécessité de faire de son art essentiellement éducatif, un métier purement distractif et lucratif. Cette mutation fait de lui une sorte de « troubadour ambulant » que l’on retrouve dans toutes les manifestations: naissance, circoncision, mariage. Et M. Hamza relève le paradoxe suivant: « Le griot est décrié et même méprisé par certains, pourtant personne ne peut se passer de ses services. Le griot n’est-il pas le porte-parole idéal pour demander la main d’une fille? N’est-ce pas lui, le Hérault qui annonce dans nos villages la bonne ou la mauvaise nouvelle? N’est-ce pas encore à lui qu’on fait appel pour réconcilier des familles, des clans et même des ethnies en conflits? Enfin sa seule présence ne suffit-elle pas à conférer plus d’éclat aux cérémonies? Les griots détiennent aussi l’histoire de nos peuples. Pour parodier un grand sage d’Afrique, qui a dit que lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle, je dirais que se passer de 831


certains griots, c’est vouloir écrire notre histoire en rejetant les archives « parlantes » dont nous disposons. » Monsieur Sidy Makalou, pour sa part, ne retient que le côté utilitaire du métier des griots. « En cas de conflit dans un foyer, » dit-il, « lorsque l’épouse abandonne le domicile conjugal, le mari fait appel au griot de sa tribu. Celuici après s’être renseigné, se rend chez le premier témoin du mariage pour lui expliquer les causes et le charge d’intervenir auprès des parents de la femme. Généralement cette première démarche permet au témoin de connaître le point de vue des beaux-parents. Une fois en possession de la version des faits des deux parties, le griot entre en scène. Et il a toujours le secret d’apaiser les esprits et de faire régner l’harmonie dans le ménage. Intimement liés à la vie de leur société, et au fait des rivalités qui agitent les tribus, les clans et les familles, les griots sont donc des conciliateurs très avides. Plus d’une inimitié, plus d’un différend ont été réglés grâce à leur intervention. » En me plaçant à ce seul point de vue, je suis pour le maintien des griots. Par contre je m’oppose à certaines de leurs activités, celle qui consiste par exemple à pousser les gens à des dépenses onéreuses lors des cérémonies. D’ailleurs il se trouve même une catégorie de griots pour condamner ces genres de trafic d’influence. LE GRIOT: LA MÉMOIRE DES HOMMES Nous avons recueilli aussi le point de vue d’un spécialiste Monsieur Bamba Sékou, jeune professeur à la section de la tradition orale de l’Institut d’Histoire à l’Université d’Abidjan. Il regrette que les gens ne voient que l’aspect folklorique du griot qui le fait passer pour un parasite dans la société « Il convient de faire, » a-t-il dit, « une distinction entre le griot spécialiste du chant, des contes et de la poésie et le griot traditionaliste. On désigne le premier sous le nom un peu impropre de troubadour des temps modernes. De fait il n’est nullement un simple troubadour. Car sous le voile allégorique des contes, des chants et de la poésie, le chercheur retrouve des éléments de l’histoire africaine. Le seul danger est que, généralement dans ses contes et ses chants les faits sont démesurément amplifiés. Mais l’historien ou le chercheur en y regardant de plus près y trouve toujours une vérité pour son compte. » Les griots traditionalistes ont droit eux à plus d’égards, car ils représentent une mine de richesses inestimables. Ces griots ont en effet joué un rôle important à une époque de notre histoire. Ils détenaient les constitutions de royaumes. Chaque roi avait un griot proposé à la conservation de la tradition. Ils étaient de ce fait des conseillers très écoutés et étaient aussi chargés de l’éducation des jeunes princes. Les griots n’étaient certes pas des hommes libres, mais ils n’avaient pas non plus de maîtres. Cette situation leur permettrait de dire en toute liberté leur vérité à tous, même aux chefs les plus 832


craints. Quand un conflit surgissait dans l’État, c’est donc à eux que l’on faisait appel. Il disait alors au roi la ligne de conduite à suivre. Ces griots jouaient le rôle dévolu aujourd’hui à la Cour Suprême dans nos États modernes. Ce que je pense de l’avenir des griots? À mon avis ils disparaîtront avec l’évolution de nos sociétés. Vous savez qu’il existait avant, tant dans l’organisation politique, que dans le système de la production et de l’éducation, une solidarité qui opérait à l’intérieur de la caste, de la tribu et de l’État. Que les greniers soient pleins ou vides, que les vaches soient grasses ou maigres, chaque membre de la société avait de quoi se nourrir. L’éducation des enfants était l’affaire de toute la société. La formation des enfants commençait très tôt au sein des associations d’âge. Il ne se posait pas aussi le problème du choix d’un métier, la profession étant généralement héréditaire. Dès le début de la pénétration française, fut introduit un autre système de production fondé sur le profit et le rendement. Du coup l’intérêt individuel a finalement primé sur l’intérêt général. Ce changement de mentalité ajouté à d’autres bouleversements a provoqué un déséquilibre des structures sociales. Tous les membres de la société sont ainsi devenus des inadaptés. Les griots se sont trouvés dans une situation difficile tout comme les anciens chefs auprès desquels ils tiraient privilèges et prestiges. Les enfants des griots vont maintenant à l’école et occupent d’importantes fonctions dans les sociétés modernes. La caste des griots est condamnée à disparaître car il ne peut plus être question de revenir aux sociétés traditionnelles. Ils demeurent cependant d’un grand intérêt pour les chercheurs qui ne peuvent se passer de leur collaboration, car ils détiennent une somme considérable de précieux documents. Nous ne pouvons bâtir l’avenir sans le soubassement de notre passé. Dans ce domaine les griots nous sont très utiles car ils le disent eux-mêmes, ils sont la mémoire des hommes. LES GRIOTS DES TEMPS MODERNES Ce point de vue de spécialiste aurait pu clore le débat. Le griot en dépit des critiques dont il est la cible, voit son pouvoir se renforcer et ses revenus augmenter avec l’élévation du niveau de vie. De surcroît dans certains États Africains, les griots ont été des agents de propagande très actifs et efficaces contribuant même pour une large part à l’ascension de certains hommes politiques. Certaines stations africaines de radio ne diffusent-elles pas aussi des chants de louanges pour faire valoir les mérites du leader du régime en place ou les exploits de ses ancêtres. L’on est donc en droit de se demander en quoi l’effondrement des cadres traditionnels a réussi à limiter l’influence et l’audience du griot auprès du grand public. » Kos KOUAMÉ (Le journal ivoirien « Ivoire Dimanche » N° 154 du 20 janvier 1974) 833


B - LE SANANKUNYA ----------o---------« ... Notre jeunesse, du fait qu’elle a trop été éloignée des valeurs morales de la tradition, a failli s’embourber irrémédiablement dans un magma d’idées nouvelles dites modernes qui ne conçoivent de la vie que son côté matériel. » Tidiane DEM (29) ----------o---------« ... Mon objectif est que quand vous, jeunes Africains, aurez perdu toutes les sources, j’en aurais sauvé quelques-unes... » Boubou HAMA (30) ----------o---------LA PRATIQUE DU SANANKUNYA (TOLON) Après l’éclipse culturelle, due à la parenthèse coloniale, l’Afrique Noire s’engage, plus verbalement qu’effectivement, dans un processus de retour aux sources vives et profondes de ses valeurs d’antan. En effet, on note quelques rares et timides sursauts de prises de conscience pour la sauvegarde et la renaissance des coutumes et traditions susceptibles d’être réhabilitées. (31) Mais reconnaissons que le contact de l’Afrique avec l’Europe a indéniablement eu sur notre civilisation des aspects positifs tels que l’accès à la technique, à la technologie et à la science, mais aussi des incidences nocives dont l’acculturation. En effet, ce contact avec la civilisation occidentale a largement porté préjudice à la culture africaine qui s’en trouve profondément modifiée par la perte progressive de certaines de ses formes dynamiques. Par contre, l’Europe a jalousement conservé son originalité en restant à l’abri de toutes les influences de la civilisation africaine. En effet, l’Europe boude et méprise même notre civilisation, dans toutes ses manifestations, à tel point qu’après des siècles de contact, on ne retrouve rien d’africain dans le mode de vie et de pensée des européens. Même ceux qui sont nés et ont grandi en Afrique ou ceux qui y ont vécu pendant des décennies n’ont fait aucun emprunt culturel à l’Afrique. Tandis qu’il suffit à un Africain de faire un séjour de quelques mois en Europe pour qu’il en revienne culturellement métamorphosé, avec des manières et l’accent des blancs. On note donc une communication à sens unique, un emprunt unilatéral. Le bilan est donc une évidente acculturation dont l’Afrique est victime. C’est ainsi qu’on constate que les jeunes Africains se 834


complaisent, par complexe d’infériorité ou par snobisme stupide, à imiter aveuglement des pratiques extravagantes et à épouser des concepts européens qui les dégradent et les dépersonnalisent. Ils sont fiers d’être des échos ou des copies certifiées conformes des mœurs occidentales. Or, malgré le poids écrasant de ce complexe d’infériorité et leur volonté de paraître à l’image des Européens, ils ne peuvent réussir totalement cette mutation, cette intégration, cette métamorphose culturelle, car « Un morceau de bois a beau demeuré dans l’eau, jamais il ne deviendra un caïman » dit un adage de chez nous. À propos des espoirs et des craintes que suscite notre jeunesse, Tidiane Dem écrit: « Je vais me permettre de placer les craintes avant les espoirs car elles sont plus vives dans nos consciences. Depuis quelques années, notre société assiste impuissante à la montée de la perversion des mœurs, de la délinquance juvénile, du banditisme de mieux en mieux organisé parce que, plus instruit grâce aux méthodes distribuées gratuitement par les médias, le cinéma et autres moyens de communication. Il semble que notre société s’est laissée submerger presque inconsciemment par les aspects les plus nocifs de ce qu’on appelle le modernisme tout en négligeant les côtés positifs des modèles proposés à notre société au travers de sa jeunesse. Pour inculquer à nos enfants l’esprit d’agressivité et d’arrogance, on leur a proposé comme cadeaux de Noël des pistolets-jouets, des épées et aussi des bonbons. Aux adultes, on a tendu les pièges pernicieux de la drogue, caché sous les slogans percutants qui les invitaient à adorer ce nouveau mode de vie. On a sublimé la sexualité en la plaçant sur un piédestal bâti avec des matériaux d’obscénité. Il n’en fallait pas plus pour dépraver notre société entière en orientant notre jeunesse vers le reniement de toutes les valeurs culturelles et morales. Le résultat aujourd’hui, c’est le banditisme à visage découvert, le vol à main armée, le viol, la licence sexuelle qui ravale l’homme au niveau de l’animalité, la rivalité permanente de nos jeunes intellectuels engagés dans une course folle pour se hisser au premier rang. Et, comme excuse, on leur a enseigné que « la fin justifie les moyens ». Les espoirs résident dans la prise de conscience qui se fait jour dans les couches les plus responsables de nos jeunes. Je veux parler de nos intellectuels qui, formés il y a quelques années hors d’Afrique, trop arrachés à la tradition l’avaient désignée du doigt comme source de tous les maux de notre continent. Aujourd’hui, ils tentent de saisir à pleines mains leurs traditions, de les cribler en se servant de tamis dont les mailles ne laissent pas passer seulement le rationnel, mais aussi ce qui, à première vue, paraît irrationnel. Il faut pour cela beaucoup de persévérance et de courage. Je suis persuadé que nos jeunes sont conscients de leur responsabilité dans la survie de notre personnalité et la sauvegarde de notre culture dont la perfectibilité ne fait plus l’ombre d’un doute dans leur esprit... » (29) 835


Heureusement, qu’au lendemain des indépendances africaines, on a enregistré, dans certains pays, un sursaut de prise de conscience - certes très timide - du danger de l’européanisation de l’Afrique, donc de son acculturation. Il s’en est suivi une exhortation au retour a l’authenticité africaine. Mais convenons que cette noble et légitime démarche ou ce retour sur les traces de nos glorieux ancêtres ne doit pas être passionnée ni passionnelle. Il faut être réaliste en faisant la part des choses utiles afin de ne pas s’embarrasser de ce qui est superflu. Il n’est donc pas question de revenir à l’état de nature, car ce serait fausser le concept réaliste que nous prônons. Ce retour à l’authenticité ne doit pas être une opération systématique de destruction de tous les emprunts culturels positifs que nous avons absorbés, mais une attitude de conciliation et de synthèse en vue de parvenir à une civilisation universelle. À l’égard de ce principe, on ne saurait plus, par chauvinisme porter un pagne traditionnel ou un grand boubou pour travailler dans un atelier ou dans une usine, ou alors s’habiller de feuilles de bananier ou de raphia pour les femmes et de cornes pour les hommes parce que c’était le mode vestimentaire de nos ancêtres à une époque donnée de notre histoire. Et dans ce domaine précis, il y a eu du progrès avant l’imposition de la civilisation importée. Mais il s’agit d’inventorier, de discriminer et de choisir dans ce passé toutes les pratiques utiles à nous-mêmes et que d’autres civilisations peuvent emprunter, notamment dans le domaine des relations sociales où nos vertus sont inégalées et doivent inspirer bien d’autres peuples. On sait aussi que la comparaison absolue entre deux civilisations est difficile, étant donné que chacune d’elles a indéniablement des aspects aussi bien positifs-communicables que négatifs-détruisables. Et c’est bien pour cette raison que le savant et égyptologue sénégalais écrit: « Les intellectuels doivent étudier le passé non pas pour s’y complaire, mais y tirer des leçons. » Cette considération ou cette exploration des valeurs spécifiques culturelles positives de l’Afrique conduit certaines opinions à alléguer qu’il n’y a pas de civilisation supérieure ou inférieure, mais tout simplement des civilisations différentes. Elles doivent et peuvent se compléter, s’enrichir mutuellement. En ce qui concerne la civilisation nègre, tant reniée et avilie par mauvaise foi, il est incontestable, qu’à bien des égards, elle a son mot à dire au « Rendezvous universel du donner et du recevoir des civilisations », car elle n’est pas si passive, mais est dynamique et recèle aussi plusieurs valeurs humaines. Ces vertus garantissent l’équilibre de l’individu et harmonisent la société et que d’autres civilisations doivent emprunter et cultiver pour mieux s’humaniser. Aux défenseurs du retour aux sources vives de notre culture, signalons avec insistance que le « sanankunya » est une pratique mandingue en voie de disparition et que les générations présentes et futures doivent remettre en honneur et généraliser sa pratique pour fermenter et harmoniser les relations sociales.

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La société traditionnelle mandingue est très équilibrée. Les crises fondamentales d’adaptation de l’individu à son milieu social qui bouleversent tant les sociétés dites modernes n’y existent pas. Si la société moderne est caractérisée: ● Par une âpre lutte de l’individu pour sa survie, ● Par une volonté inébranlable d’accumulation matérielle qui détermine sa valeur, par un égoïsme exacerbé et ● Par le mépris de l’autre, la société traditionnelle, par contre, est plus réceptive, plus harmonieuse, car elle donne à l’individu toutes les dimensions humaines, garantit son équilibre psychique et son bien être en lui apportant, chaque jour, et en toutes circonstances, une assistance morale et matérielle régulière... « chacun pour soi et Dieu pour tous » est un concept qui n’existe pas dans nos sociétés traditionnelles africaines, notamment au Mandingue. « Bèè bè i yèrè nye » est une pratique inconnue dans notre société traditionnelle. Il n’y a donc pas de conflit entre l’individu et son environnement social traditionnel. Cette société n’isole pas et n’abandonne jamais l’individu parce qu’il est fou, lépreux, tuberculeux, handicapé physique ou mental, vieux ou improductif. L’Afrique traditionnelle n’a jamais connu d’asile pour les fous, pour les tuberculeux et pour les vieillards qui sont abandonnés ou jetés avec mépris dans des maisons de retraites, milieu dans lequel ils sont privés de chaleur familiale. Également nous ne connaissons les crèches qui libèrent sûrement les parents mais font perdre à l’enfant la notion de famille élargie et ses sentiments affectifs pour ses parents. En tout cas, l’éducation qu’il y reçoit est très déficiente. L’individu, dans tous ses états, est adopté, aimé et protégé par la communauté qui l’intègre intimement, compatit à sa douleur, à ses souffrances et partage également solidairement ses joies. Pour ces raisons, l’individu attend et reçoit toujours l’assistance morale et matérielle des autres. Ainsi un orphelin de mère ou de père et surtout un orphelin intégral est toujours adopté par un oncle, une tante, un cousin ou par une autre famille qui en fait sien. Jamais cet enfant n’aura le sentiment de frustration de l’affection parentale qu’aucun orphelinat ne pourrait lui faire oublier. Si l’on compte les statistiques des cas de suicides, des sans familles, des déséquilibrés, des révoltés et des aigris contre la société ou des asociaux... en Afrique, en Europe et ailleurs, il appert clairement que notre continent peut fièrement lever la tête au terme de cette comparaison ou de cette confrontation. En effet, ailleurs qu’en Afrique, le milieu est individualiste, égoïste, indifférent ou insensible aux problèmes de l’individu dont la valeur ne s’établit qu’en fonction de sa capacité d’action ou d’accumulation de fortune. En Afrique, fort heureusement, l’esprit communautaire prévaut encore, du moins dans les villages où l’individu s’épanouit pleinement, acquiert toutes les dimensions 837


humaines, du simple fait de sa condition humaine, sans tenir compte de son rang social, de son état psychique ou de sa fortune. La société traditionnelle mandingue en particulier et africaine en général, est donc une société ouverte, harmonieuse et solidaire. Pour le démontrer, venons-en au « sanankunya » ou alliance par la solidarité et par la plaisanterie entre les individus, entre les familles, entre les clans, entre les tribus, entre les provinces, et même entre les pays... Il nous est impossible de dire où, quand, par qui et dans quelles circonstances est née pour la première fois la pratique du « sanankunya » (ou « lasidiya »). D’ailleurs chaque clan, chaque lignage ou chaque famille a sa petite histoire spécifique sur ses liens de sanankunya avec tel clan, tel lignage ou avec telle famille. Le sanankunya peut être défini comme étant des rapports de cousinage, d’alliance, d’amour, de fidélité, de respect, de protection mutuelle et surtout de moqueries, de plaisanteries réciproques et sans borne entre individus, familles, ethnies. Il en est de même pour Ray-Autra qui écrit: « Le Tanaïa conduit tout simplement à ce que l’on a appelé faute de mieux la parenté à plaisanterie ou Sanankunya. En fait entre les différents clans, il s’est établi, en partant des tana (totems), une espèce de parenté qui oppose castes ou tribus deux à deux et le Sanankunya contient à la fois une idée d’incompatibilité (prohibition de mariage) une idée d’antagonisme (supériorité d’un clan par rapport à l’autre; alors on se lance des moqueries et des plaisanteries) et une idée d’abnégation désintéressée (obligations diverses). La prohibition du mariage provient souvent de ce que l’un des clans arguant de sa supériorité croit déroger en épousant une femme du clan Sanankun. Sur le plan des moqueries et des plaisanteries, les Sanankun peuvent se dire toutes sortes d’injures grossières, se ridiculiser sans se fâcher. On va jusqu’à injurier, grossièrement le père de son Sanankun sans que cela prête à conséquence... » (30) La pratique du sanankunya remonte aux ténèbres des temps immémoriaux. Il crée le même esprit de détente sociale que la pratique du « poisson d’avril » des occidentaux et qui n’est malheureusement valable que pour une seule journée. En effet le premier avril de chaque année, le mensonge et les plaisanteries sont permis à tous les niveaux, sans aucune restriction. À l’inverse du poisson d’avril, le sanankunya a l’avantage d’être une pratique permanente. Il est scellé, sous forme de serment inviolable, soit à l’issue d’une même situation de détresse, de danger... vécue ensemble par un individu et son sauveur, soit par les rescapés d’une épreuve d’endurance, de souffrance, de difficultés communes, de malheurs, d’aventures communes... Comme on le sait, une amitié scellée dans la misère est plus solide et plus indéfectible que celle motivée par un quelconque intérêt matériel. Cette dernière s’étiole et s’effrite dès que cet intérêt fait défaut. 838


Le sanankunya apparaît donc comme un indestructible lien ou ciment social qui unit deux individus, leur famille, voire leur ethnie respective. Il fait toujours ses preuves en toutes circonstances. Avant de dégager les règles fondamentales qui le régissent, rappelons deux exemples du sanankunya. LE SANAKUNYA ENTRE KEITA ET COULIBALY Dans le vieux Mandingue, ainsi qu’au Mali actuel, les Coulibaly étaient les détenteurs privilégiés et les grands pratiquants de l’occultisme. Ils étaient des féticheurs réputés, profondément attachés aux pratiques païennes. Étant donc les dépositaires patentés des secrets, de la magie et de la puissance mystique, ils étaient intimement liés à la famille royale Keita dont le nom serait la dérivation de Konaté. Pour avoir produit les plus célèbres empereurs et princes mandingues, cette branche Keita s’est ennoblie. Soucieuse d’auréoler les origines, même les plus modestes, la tradition orale fait descendre les Konaté et les Keita de Bilali, fidèle disciple du Prophète MOHAMET. Depuis l’expansion islamique, à partir du VIIème siècle, par les khalifes de Mahomet, les descendants de ce Bilali auraient eu le privilège divin de régner dans les régions d’Afrique Noire converties à l’Islam. Le premier fils d’un des descendants de ce Bilal s’appellerait Kêta ou Keita. Malheureusement la tradition orale ne précise pas le nom du père de ce Keita, et c’est là un pan d’ombre à éclairer, à expliquer... Le nom Keita se décompose en deux syllabes, à savoir: Keï = Kê = Tyè qui signifie héritage ou homme, Ta qui signifie prendre ou feu. Donc Kêta (contraction de Keita et de Tyèta = Tyètala) signifie prendre l’héritage ou plus précisément preneur d’héritage ou héritier. Comme la primauté de l’homme sur la femme est incontestable en milieu traditionnel mandingue ou malinké. C’est le bien le garçon qui prend l’héritage paternel. C’est le Kêtala (Tyètala) ou héritier. Par ailleurs, le droit d’aînesse est inaliénable, c’est un ordre social plusieurs fois séculaire ou millénaire que personne ne conteste. Dans une famille régnante tout comme dans une famille modeste, c’est le premier fils qui devient le prince héritier ou le nouveau chef de famille et jouit pleinement de toutes les prérogatives du père défunt. Parfois c’est un des frères du défunt père qui accède au trône ou au commandement par consensus ou si les héritiers sont des mineurs ou uniquement des filles. On se soumet dans ce cas à l’autorité de cet oncle qui succède au père, donc en tant que régent de toute la famille. L’autorité du fils héritier, nouveau chef de famille, s’étend à tous ceux qui sont nés après lui dans la famille. C’est ainsi que les autres garçons et filles Keita ainsi que les Konaté furent systématiquement écartés de l’exercice effectif du pouvoir auquel ils restaient toutefois liés moralement en raison de leur ascendance commune avec les Keita. 839


Signalons aussi que la première fille, comme toutes les autres filles de la famille, s’appelait Senkò (retour, celle qui revient au bercail) ou Seïkò et Sukò pour d’autres. nom qui se décompose en deux syllabes: Sen et kò ou Séï et kò ou Su et kò. Également, Su, Sèn, So et Kò signifient respectivement: ● Nuit (Su) ● Les pieds (Sen) qui reviennent sur leurs pas, donc au bercail ● Maison (So) ● Kò signifie dos, derrière, dehors, rivière ● Senkò et Sukò désignent, dans notre contexte, les membres d’une famille vivant à l’extérieur, hors du cadre du berceau familial. Or ce sont les filles qui, à cause du mariage, vivent hors de la famille. Ainsi donc les filles sont très souvent éliminées théoriquement de la famille car elles ne sont jamais associées à la gestion du patrimoine familial, aux décisions importantes prises dans la famille paternelle. Elles ne peuvent et ne doivent en aucun cas prétendre ni à l’héritage, ni au pouvoir. Même leurs jeunes frères exercent sur elles une suprématie dans une certaine mesure (héritage). Si la famille paternelle ne compte pas de garçons, avons-nous dit, ce sont les oncles paternels qui deviennent ipso facto héritiers. Ceux-ci deviennent aussi héritiers quand les fils du frère défunt sont mineurs, donc incapables de gérer le patrimoine paternel. Dans certains cas, cette transition, qui doit prendre fin normalement quand l’aîné des héritiers devient majeur, s’éternise parfois et crée des sentiments de frustration quand l’oncle, au départ administrateur provisoire, privilégie ses propres enfants par rapport à ceux de son frère défunt. Ce genre d’usurpation a souvent fait éclater l’unité de maintes familles régnantes. Le nom Kêta ou Keita s’est généralisé partir de Narin Famagan Keita, père de Soundjata Keita. Pour écarter du trône les cousins Konaté, Narin Famagan Keita s’appuya sur les Coulibaly, maîtres incontestés du pouvoir occulte, pour consolider, diviniser, légitimer, mystifier et légiférer les prérogatives du règne au profit exclusif des Keita. Cette confiscation ou prise pacifique du pouvoir par Narin Famagan Keita au détriment des Konaté, grâce à la complicité des Coulibaly, institua le règne exclusif des Keita et devint la base et le point de départ de l’alliance ou sanankunya entre Coulibaly et Keita. En effet, fuyant la haine de son frère Dankanran Touman Keita, roi du Manding, et les machinations machiavéliques et diaboliques de sa marâtre, la reine mère Sassouma Bérété, Soundjata Keita, accompagné de sa mère Sogolon Kèdjougou Condé (Sogolon la laide), de son jeune frère Manden Mory et de sa petite sœur Kolonkan, se réfugia à Méma, royaume hôte des Tounkara ou Cissé. La mère du roi Tounkara de Méma était Coulibaly alors que Sogolon Kèdjougou était une Condé. La mère du roi fut si apitoyée par le triste sort d’une mère en détresse qu’elle prit celle-ci pour une sœur. Cette vieille reine se vit obligée, par respect du serment du sanankunya entre Coulibaly et Keita, d’offrir l’hospitalité aux fugitifs. Elle fit ainsi pression sur son fils, le roi de 840


Méma, afin que celui-ci ouvrît les portes du royaume et de la cour royale à Sogolon et à ses enfants. Le roi posa la condition suivante: « Que Soundjata accepte de jouer avec moi à l’awaloo. Si l’étranger gagne, il lui sera accordé le droit d’asile. Mais si malheureusement il est battu, il perdra sa tête. » Le risque était donc grand. En effet, tout le monde savait que le roi de Méma était imbattable à l’awaloo et il était conscient de son art et de sa force dans ce jeu. Il n’y avait pas d’autres alternatives pour Soundjata qui accepta ce combat insolite et périlleux pour lui. Mais il demanda un temps de préparation qui lui fut accordé. Grâce à son charme et à son intelligence, il entra dans les faveurs d’une des princesses de Méma. Dans leur intimité, il réussit à tirer la langue de celle-ci. En effet cette princesse, bien aimée par le roi, était seule à être dans les secrets de son père. Pour prouver son amour à Soundjata, elle révéla à celui-ci le secret de la force et de la science occulte de son père. Ainsi armée et aidé par cette complicité, Soundjata surmonta brillamment cette impétueuse épreuve. Ce fut la stupéfaction pour le roi et pour le peuple qui voyaient Soundjata inévitablement perdant comme tous ceux qui l’avaient précédé. Ainsi, Sogolon et ses enfants furent adoptés par le royaume de Méma. Homme prédestiné au métier des armes, Soundjata fut enrôlé dans l’armée royale où il transcenda rapidement par sa valeur intrinsèque, gravit vite toutes les échelons de la hiérarchie et devint un grand commandant dont l’autorité, la générosité, l’intelligence et la bravoure l’imposèrent et le firent adopter par tous. Malheureusement, l’Empire du Mandingue était décadent voire agonisant, car Dankaran Touman, frère de Soundjata et successeur de Narin Famagan Keita, était un roi faible, incapable de prendre une décision que sa mère Sassouma Bérété ne lui eût dictée. En effet, c’était cette mère qui détenait pratiquement tous les pouvoirs et régnait effectivement en lieu et place de son fils, Dankaran Touman, qui ne réussit jamais à échapper à son emprise. Soumaoro Kanté (ou Soumangourou Kanté), le redoutable sorcier, roi de Sosso avait détruit le Mandingue et emporté Bala Fasséké Kouyaté, le célèbre griot traditionaliste et généalogiste de la famille royale Keita. Ce fut la désolation, car le Mandingue était sans roi; le titulaire du trône, Dankaran Touman, n’ayant pu contenir la force et la fougue de l’armée de Soumaoro Kanté, s’évada. Recherché dans les quatre points cardinaux par plusieurs émissaires du Mandingue, Soundjata fut enfin retrouvé à Méma. Il fut impérativement invité à rentrer au bercail par une députation du Mandingue pour relever le défi, laver l’affront et sauver la patrie en danger de désintégration et de disparition. Soundjata Keita, dont l’étoile brillait depuis dans le ciel du Soudan, prit congé de son hôte. Mais cette sage décision patriotique engendra une profonde crise entre Soundjata et Farin Méma Tounkara, car celui-ci ne voulait pas laisser partir son général dont la présence dans son armée lui avait assuré tant de victoires. Toutes les tentatives de dissuasion du roi se heurtèrent à la ferveur patriotique de Soundjata qui sentait son heure venue au Mandingue. Il était très 841


conscient de sa mission de Messie, de son devoir de relever l’affront fait au Mandingue par Soumaoro Kanté. Mais à l’époque, Sogolon Kèdjougou n’était plus qu’une vieille femme très maladive. Par piété filiale, Soundjata ne pouvait abandonner sa mère malade pour aller défendre la patrie (faso) en danger et désintégrée. Celle-ci ne pouvait non plus résister aux peines et rigueurs d’un long et fastidieux voyage. Pour libérer Soundjata des entraves qu’elle constituait, Sogolon pria vivement pour que Dieu la rappelât instantanément au ciel. Par un concours de circonstances mystérieuses, le Tout Puissant exauça ce vœu et elle mourut peu après l’arrivée de la délégation du Mandingue. Celle-ci comprenait: Mandjou Bérété (frère de Sassouma Bérété, la marâtre de Soundjata), Sirimankan Touré et Mara Cissé, deux marabouts. (32) Mais un coup de théâtre se produisit. Farin Méma Tounkara, roi de Méma, interdit à Soundjata d’enterrer sa mère Sogolon dans son sol. Furieux, Soundjata envoya au roi Farin Méma Tounkara un message assez singulier qui comprenait: 1) - Un paquet de poudre 2) - Des débris de canaris 3) - De la paille et des plumes de perdrix Dès réception de ce message, Farin Méma Tounkara, qui n’en comprenait pas le sens, fit appel à tous les vieillards, sages, griots... auprès desquels il prenait toujours le meilleur avis et dont les sages conseils avaient force de véritables arguments d’autorité et même force de loi. Les plus célèbres de ces conseillers étaient: 1 - « Kèmòò Kobèèye » (= Un vieux qui a tout vu et qui voit tout) 2 - « Kèmòò Kobèèmèn » (= Un vieux qui a tout entendu et qui entend tout) 3 - « Kèmòò Kobèèlòn » (= Un vieux qui a tout appris et qui connaît tout.) Ceux-ci, en raison de leurs longues expériences de la vie, interprétèrent le message et en donnèrent la signification suivante: 1) - La poudre signifie la guerre, d’où déclaration de guerre en puissance. 2) - Les débris de canaris signifient la ruine. Donc en cas de retour de Soundjata, tout sera saccagé et brisé à Méma. 3) - Les plumes de perdrix et la paille constituent une parabole et signifient que la destruction de Méma sera totale et les perdrix, qui craignent tant les hommes, viendront picorer tranquillement dans les ruines de la cité, car aucun survivant ne pourra les y effrayer ou les en empêcher. Ainsi ce message, plein de menaces, fût soupesé et apprécié à sa juste valeur, car chacun était conscient de l’intransigeance de Soundjata. Pour écarter ces menaces, le conseil royal prit la décision sage, réaliste et opportune d’autoriser Soundjata à enterrer sa mère avec tous les honneurs dûs à 842


son rang de reine, car elle était bien l’épouse de Narin Famagan Keita, roi du Mandingue. Contrairement à la coutume Mandingue qui interdit la présence des femmes à l’enterrement, la vieille Coulibaly, mère du roi de Méma, exigea d’assister personnellement et exceptionnellement à l’enterrement pour rendre un dernier hommage à sa sœur défunte et unir leurs enfants par un serment d’allégeance. Elle avait adopté et aimé Sogolon comme sa propre sœur et Soundjata comme sien. Elle conclut sur la tombe de Sogolon un pacte d’alliance d’amour de solidarité mutuelle et de plaisanterie inviolable entre Soundjata Keita et son fils Farin Méma Tounkara en particulier et tacitement entre tous les Keita et tous les Coulibaly. Cette alliance englobe aussi tous ceux qui avaient une alliance avec l’un ou l’autre clan. Rappelons encore que les Coulibaly étaient les détenteurs privilégiés du pouvoir mystique et avaient permis aux Keita d’éloigner astucieusement du pouvoir les Konaté, leurs cousins. Chacun versa sur la tombe son sang qui fut pétri avec la terre fraîche de la tombe de Sogolon. Chaque famille garda pieusement un morceau de cette terre ensanglantée pour sa progéniture en guise de souvenir et de témoignage de cette alliance très affine entre Keita et Coulibaly. Ainsi, Keita et Coulibaly étaient condamnés à avoir réciproquement, les uns pour les autres et selon les clauses de ce serment, le droit et le devoir de plaisanterie sans borne, de respect, de protection et d’entraide mutuelle en toutes circonstances. C’est cette forme d’alliance que les Mandingues appellent le sanankunya. Cette relation harmonieuse entre Keita et Coulibaly a survécu à travers les siècles et est encore entretenue de nos jours par ces deux clans dans plusieurs régions du Mandingue. LE SANANKUNYA ENTRE LES CAMARA-DIOMANDÉ ET LES FOULAH (PEUL) DU OUASSOULOU ET CEUX DU KONYA (BASSANNO-FOULAH) En Guinée Forestière, en Haute Guinée et en Côte d’Ivoire, les BassannoFoulah (ou Peul du haut fleuve, de l’amont) et du Ouassoulou (à savoir: les Diallo, Diakité, Sangaré et les Sidibé) sont les sanankun des Camara-Diomandé. La tradition orale rapporte, sur l’origine de cette relation particulière, deux intéressants récits. LE PREMIER RÉCIT nous paraît relever de la légende. En effet les épouses de deux cohabitants, une Camara et une Diallo (Foulah ou Peul), auraient accouché simultanément, à la même heure, deux garçons et dans la même case. Les deux nouveaux nés furent couchés côte à côte, sur la même natte, sans qu’on ait pris soin de les identifier, de les singulariser. Quelques instants plus tard, les deux mères prirent un bain chaud au même moment, dans la même clôture (encore une coïncidence!). Brusquement, la case qui abritait les bébés prit feu. Naturellement les mères se précipitèrent dans la case, toutes nues 843


pour se saisir chacune de l’un des deux rejetons. On note encore ici le souci de la tradition orale d’auréoler les faits. Elle veut susciter et broder l’intérêt du récit en louant l’audace et l’abnégation dont est capable l’affection maternelle. Après l’extinction de l’incendie, ni les mamans, ni les matrones n’étaient capables de reconnaître lequel des deux garçons était Camara ou Diallo. Pour mettre fin aux discussions, les sages du village décidèrent que chacune des deux mères gardât et considérât comme sien le bébé que le hasard lui fit prendre. C’est alors que les deux pères - le Camara et le Diallo - décidèrent de lier le destin des deux enfants par un serment inviolable, d’amour réciproque, de fraternité, de tolérance, de solidarité agissante, de protection mutuelle et de plaisanterie illimitée. Les deux familles - Camara et Diallo - adhérèrent tacitement à ce pacte appelé sanankunya qui engloba plus tard tous les Camara-Diomandé et tous les Foulah (Peul) et singulièrement les Diallo, Diakité, Sangaré et Sidibé qui sont à l’origine des frères maternels, comme on l’a vu. LE DEUXIÈME RÉCIT rapporte qu’un jour, un patriarche Camara était pourchassé dans le Mandingue par des ennemis. Précédant de peu ceux-ci, le vieux Camara aurait trouvé un Foulah dans son champ de fonio. Après une brève explication sur sa tragique situation d’homme traqué à ce Foulah, ce dernier, pris de piété et de compassion, accepta de cacher le fugitif sous les tas de bottes de fonio indifféremment appelées en Maninkakan: Foni-bu, Foni-kama ou Foni-gban. Respectueux de la règle de l’hospitalité si chère au Mandingue, le Foulah ne céda point aux menaces et jura, devant les sofas arrivés peu après, de n’avoir vu personne. Ceux-ci rassurés de ce côté, continuèrent leur chasse à l’homme. Rassuré de leur départ et de leur non-retour, le fugitif sortit de sa cachette et remercia son sauveur de son geste magnanime. Chez nous, toute personne en détresse mérite protection et assistance. Protégez toute personne qui se confie à vous ordonne Dieu. (Karifa ka gèlèn Ala ma.) Pour pérenniser sa reconnaissance envers son sauveur, le patriarche Camara manifesta son souci de se lier à celui-ci par un serment de fidélité, d’entraide. Ce vieux Camara rescapé déclara en substance au Foulah: « Tu m’as sauvé la vie. Je te serai reconnaissant toute ma vie et ma progéniture en fera autant à l’endroit de la tienne. Tu deviens mon allié de toujours. Nous devons nous aimer, nous protéger, nous entraider, plaisanter, nous dire tout sans restriction, sans conséquences donc ni rancune et ni esprit vindicatif. Mes descendants ne refuseront rien qui soit possible aux tiens, inversement aussi. Tu deviens donc mon sanankun et par ricochet cette affinité s’étend à tous les Camara et à tous les Foulah...” Ainsi furent unis les Camara-Diomandé et les Foulah par le lien sacré et fertile du sanankunya qui subsiste encore de nos jours avec persistance. Les deux clans pratiquent le sanankunya avec beaucoup d’humour. Le soir au village, le Foulah raconta aux siens les circonstances dans lesquelles il fut amené à sauver le patriarche Camara.

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Puisque le droit de plaisanterie sans restriction est désormais permis entre sanankun par le serment et à tous les niveaux, sans tenir compte de l’âge, du sexe ou du rang social, le vieux Camara fut surnommé Foni Kama (allusion aux bottes de fonio sous lesquelles il s’était caché) et plus tard la déformation de ce nom donna Foni Kaman puis Farin Kaman. Le nom Farin Kaman est même considéré comme synonyme de Camara-Diomandé dans certaines régions peuplées de Camara. Ce nom Farin Kaman est attribué par la tradition à un des aïeux des Camara qui aurait créé dans le Mandingue, au XIème siècle ou au XIIème siècle, un village des Camara du nom de Farinkamanya ou Frenkamanya qui existe encore de nos jours dans la région de Siguiri et est traversé par la route nationale carrossable reliant Kankan et Siguiri (République de Guinée) et qui se prolonge jusqu’à Bamako (Mali). À présent, les Camara et les Foulah (Diallo, Diakité, Sangaré et Sidibé) entretiennent ces liens plusieurs fois séculaires de servitude mutuelle, de protection réciproque de tolérance, d’amour fraternel et de plaisanterie sans borne. Les Foulah rappellent toujours aux Camara ces faits historiques lors des discussions, des causeries de sanankunya et leur crient aux oreilles qu’ils leurs doivent vie et reconnaissance. Ils traitent les Camara-Diomandé de peureux. Ce à quoi les Camara-Diomandé ne manquent pas de répliques. À leur tour, ils traitent les Foulah de « bâtards », car leur aïeule fit quatre fils adultérins appelés Diallo, Diakité, Sangaré et Sidibé dont chacun avait son père. Pour eux cette femme a manqué de sérieux toute sa vie en faisant des enfants pour quatre hommes différents. L’expression: « Fulamuso ani a dentyè si naani. » Ce qui signifie: « La femme peule qui est mère de quatre fils au sang différent » corrobore ce chahut. Ainsi, chaque fois qu’un homme (ou une femme) est pris en flagrant délit d’adultère, un Camara-Diomandé s’exclame implicitement, sans avoir la moindre information sur l’identité de la personne en question: « Ha! Fulamuso ni a dentyè si naani ani a bònsòn tè maloyala. Hali bi alu mafaran alu mamamuso la baarala... » Ce qui peut se traduire par: « Ha! Jusqu’à présent la progéniture de cette vieille Peul adultérine et infidèle continue toujours l’adultère comme son aïeule? Quel dommage... » Ou encore: « Mòò si tè nin kè fo Fula... » Ce qui signifie en raccourci: « Que le Foulah (homme ou femme) serait indigne de son ancêtre et de sa famille s’il abandonnait l’adultère qui fut la règle de conduite de son aïeule qui fit quatre fils de pères différents et nés hors mariage. » Par ailleurs, au nom du sanankunya, le Camara ou Diomandé considère que tout voleur est à priori ou en principe un Foulah car, pour lui, le Foulah a la pratique du vol dans son sang. C’est donc un vice héréditaire. Ils leur attribuent la responsabilité de tous les travers sociaux répréhensibles sans que ceux-ci ne se fâchent. D’ailleurs ils peuvent à leur tour tenir à l’endroit de ceux-ci les pires propos désobligeants sans la moindre conséquence.

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Dans le pire des cas, c’est-à-dire celui où la personne coupable d’adultère ou de vol est effectivement un Foulah, le Camara-Diomandé s’apitoie sur le sort de son sanankun en mauvaise posture et intervient aussitôt au nom du serment d’entraide pour le tirer de son calvaire ou de son pétrin. En tout cas son indifférence serait une démission, une violation flagrante du serment des anciens, un manque de respect à la mémoire et à la volonté des ancêtres. C’est donc un sacrilège. Les relations de sanankunya varient peu. Elles reposent sur des principes absolument identiques dans les régions, les familles, les ethnies, les clans, les tribus et les pays mandingues qui le pratiquent. Les règles qui le régissent ne tiennent pas compte du sexe, de l’âge et du rang social. Personne n’y échappe. En pays mandingue, le respect envers les vieux et les aînés en général est absolu et unilatéral. La tradition exige d’un enfant la soumission totale à toute personne plus âgée que lui et envers qui il a plus de devoirs que de droits. L’enfant doit se soumettre, sans rechigner, aux caprices, aux injures et même aux actions arbitraires de ses aînés qui ne sont réprimandés qu’en cas de violence ou de blessure grave, sur lui. C’est seulement la pratique du sanankunya qui permet d’insulter, de chanter, de ridiculiser les aînés, les vieux et même les chefs, sans aucun risque de sanctions ou d’être traité d’insolent, de mal éduqué ou autre. Au contraire, ceux qui ont la langue bien déliée ou qui sont beaux parleurs et humoristes prennent nettement le dessus dans les causeries rappelant ou imaginant, de toutes pièces, des histoires ridicules qu’ils attribuent aux ancêtres de leurs partenaires sanankun ou à ceux-ci mêmes. Ils s’en tirent toujours avec l’admiration de l’assistance. Certains, qui se sentent en position de faiblesse, demandent discrètement à leur partenaire sanankun de les épargner les railleries, le ridicule... dans tel milieu ou dans tel autre moyennant parfois un cadeau comme prix du silence ou du pardon. En tout cas tout langage, même le plus obscène (injures directes de la personne en compétition, de ses parents...), est permis sans passion. Vous pouvez ou devez lui en dire autant si non plus ou alors vous vous soumettez purement et simplement, sans rechigner, à ses sarcasmes. C’est la règle intangible ou alors vous lui appliquez également la réciproque au même degré ou plus, sans la moindre conséquence. Aussi et ainsi l’obligation vous est faite de concéder à votre sanankun l’arrêt et l’abandon définitif d’une querelle dès que celui-ci intervient dans un conflit qui vous oppose à une autre personne, même quand vous raison sur toutes les lignes, ou vous victime d’une agression. Vous devez lâcher prise dès qu’il vous apostrophe en tant que sanankun. À la lumière de ces faits, le sanankunya apparaît comme un véritable ciment qui soude, consolide et harmonise les liens affectifs et créent une parfaite détente entre les différentes composantes de la société. Il met un terme à la violence en cultivant la tolérance. Qu’il survive donc aux mutations sociales qui bouleversent notre Afrique dans ses profondeurs spécifiques, authentiques et humanitaires. Le sanankunya est donc l’une des vertus dynamiques de notre 846


culture que nous devons absolument sauvegarder et enseigner à nos enfants qui le connaissent peu ou mal aujourd’hui et qui, pour cette raison, ne peuvent le pratiquer. Par conséquent ne faudrait-il pas envisager de créer dans nos écoles primaires, dans nos collèges et lycées et dans nos universités des chaires d’enseignement des vertus de notre culture par les sages, les griots, les médecins traditionnels... qui en sont les dépositaires. LES RÈGLES DE LA PRATIQUE DU SANANKUNYA 1) LE SANANKUN est un allié dont la fidélité et l’état d’esprit de tolérance réciproque, d’acceptation et de solidarité réciproques doivent faire leurs preuves en toutes circonstances, en tous les temps et en tous lieux. 2) DEVOIRS ET OBLIGATIONS D’UN SANANKUN Il faut: a) - Dire la vérité, même la plus désagréable et la plus cruelle, à son sanankun quels que soient son rang social, ses prérogatives et dans toutes les circonstances est un principe sacro-saint et intangible. Celui-ci est tenu de s’incliner. b) - Protéger son sanankun est un devoir. c) - Aider et sauver un sanankun en détresse est une obligation. d) - Aimer son sanankun est recommandé. e) - Pardonner tout à un sanankun est obligatoire. f) - Accepter l’intercession d’un sanankun dans toutes les circonstances, dans tous les conflits est une contrainte. g) - Ne jamais le contrarier est une prudence. h) - Ne jamais lui mentir est une fidélité au serment des ancêtres. i) - Ne jamais le décevoir ou le faire pleurer est une obligation. j) - L’accueillir sous son toit est une obligation, surtout quand il s’agit d’un étranger en voyage, en séjour ou de passage dans le village, même si vous ne l’avez jamais vu. Ceci est une marque de respect pour la mémoire des ancêtres. Le sanankunya est un donc un vrai ciment social qui contribue à la décrispation et à l’harmonie de la vie sociale. 3) CE QUI EST PERMIS ENTRE SANANKUN Il est permis: a) - D’agir en lieu et place d’un sanankun à condition de l’en informer avant ou après.

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b) - D’insulter sans restriction et sans passion, les injures même grossières à l’adresse des parents sont encaissées sans se fâcher, sans que cela ne prête à conséquence. c) - De plaisanter avec un sanankun sans limite et même de lui attribuer, à tort ou à raison, la responsabilité ou la paternité de toutes les actions viles. d) - De le ridiculiser sans restriction de sexe, d’âge et de rang social. Sa réaction se limitera à vous en dire autant sinon plus s’il maîtrise mieux que vous l’art de la moquerie. 4) - CE QUI EST INTERDIT DANS LE SANANKUNYA Il est interdit: a) - De verser des larmes de son sanankun. b) - De refuser un service possible à un sanankun. c) - De se battre avec lui. d) - De le blesser volontairement, à fortiori de le tuer ou de le réduire à l’esclavage. e) - De rejeter sa médiation dans un conflit qui vous oppose à un des vôtres ou à toute autre personne. Selon Ray-Autra: « On pardonne tout à son Sanankun et, par sa médiation, on pardonne aussi aux autres hommes. Quand une personne rejette l’intercession de son Sanankun dans une affaire, c’est la marque éclatante qu’elle n’en démordra pas. Mais ces cas sont plutôt rares, car le Sanankun mortifié peut proférer des malédictions aussi redoutées que celles prononcées par les pères et mères. Pour apaiser dans ce cas le courroux du Sanankun, il faut lui demander pardon, le combler de cadeaux et immoler une tête de bétail aux mânes des ancêtres » = Ka soronali kè ou bien ka sulu sorona. 5) - LES MORTS N’ÉCHAPPENT PAS À LA PRATIQUE DU SANANKUNYA À la mort du sanankun, ses partenaires peuvent se permettre d'aller barrer la route devant son cadavre qu’on transporte au cimetière sous prétexte que le défunt leur doit des dettes qu’il doit payer avant de rejoindre sa dernière demeure. La famille éprouvée et ses alliés doivent le délivrer en leur faisant des cadeaux. Parfois une modique somme peut lever cet obstacle. Cette pratique est souvent courante dans le cas de décès d’un vieillard, d’un chef de clan ou d’un chef puissant. Les petits enfants ont une prédilection pour cette pratique à l’occasion du décès d’un grand parent. Parfois l’un d’eux peut se travestir en portant l’habit préféré du défunt. Dans ces cas, tout le monde, et même les éprouvés, cesse de pleurer pour se laisser distraire par les sanankun et les petitsenfants. Ils exigent des dons pour que les cérémonies d’enterrement ou de sacrifices puissent se poursuivre. Généralement une danse est improvisée et les

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plaisanteries vont bon train tant que la rançon (kun karan fèn ou kun makaran fèn = dyansali fèn) n’a pas été payée, » selon Ray-Autra. CAS D’UN ÉTRANGER Si au cours d’un voyage dans un village ou dans un pays où vous ne connaissez personne, recherchez une famille sanankun. Celle-ci est tenue de vous recevoir à bras ouverts et de vous accorder toute l’assistance nécessaire pour agrémenter votre séjour. On ne ferme jamais sciemment sa porte à un sanankun. Toute attitude hostile à un sanankun ou toute défaillance dans ce sens sera préjudiciable à toute personne qui la fait par mépris, ainsi qu’à sa famille. Chacun de nous est tenu de faire tout ce qui est possible pour mettre à l’aise son sanankun par la chaleur de l’accueil réservé à l’étranger y compris par des chahuts pour le mettre à l’aise pendant son séjour, si court ou si long soit-il dans votre maison ou dans votre village. On vous dira par exemple de ne pas voler et emporter leurs biens discrètement à l’aube, pendant qu’ils dorment. Vous avez aussi la latitude de vous défendre et de répliquer en leur confiant vos bagages, seule manière d’embarrasser un voleur qui ne peut soustraire malhonnêtement ce qui lui est confié. Aussi, il suffit tout simplement d’entendre l’interpellation d’une personne par son nom de famille pour que vous sachez qu’il s’agit d’un de vos sanankun pour que vous vous donniez la liberté de l’attaquer, de lui attribuer tant à lui qu’à ses parents et aïeux toutes sortes de blagues, de vices, de défauts... La tradition vous l’autorise, et quelle que soit le contenu des propos tenus, ce partenaire doit les encaisser ou répliquer en vous disant autant ou plus. Cela est permis même dès votre premier contact. Ainsi donc toutes les moqueries sont permises et acceptées de part et d’autre, donc de la part des deux partenaires ou des deux clans. Ainsi l’inconnu ou l’étranger est mis à l’aise et bénéficie aussitôt de tous les bienfaits du sanankunya. EXTRAPOLATION DU SANANKUNYA Le sanankun de votre sanankun peut, par extrapolation, vous appliquer la règle du sanankunya. Il appert donc que le sanankunya est un véritable facteur positif de détente sociale. Sa pratique extrapolée unit deux ou plusieurs personnes, des familles, des ethnies, des tribus, des villages, des régions et instaure la paix sociale. Sa renaissance serait salutaire dans notre monde matérialiste, fade, impitoyable, insensible aux malheurs des autres et égoïste où, selon Tidiane Dem: « ... Notre jeunesse, du fait qu’elle a trop été éloignée des valeurs morales de la tradition, a failli s’embourber irrémédiablement dans un magma d’idées nouvelles dites modernes qui ne conçoivent de la vie que son côté matériel. » 849


Du fait aussi et surtout de son rôle de contre poids ou de contre-pouvoir, nos gouvernants doivent connaître leurs sanankun, accepter et appliquer les principes du sanankunya, ce qui pourra sûrement les mettre à l’abri du culte de la personnalité, de la dictature sanglante... car leurs sanankun oseront leur dire les vérités que l’entourage et les collaborateurs n’oseront leur dire par crainte de châtiments. Or le sanankun est immunisé, intouchable, pas sanctionnable, quels que soient son rang social, son âge et son sexe... Chaque jeune a donc le droit et le devoir de chercher à connaître ses sanankun, de pratiquer et d’entretenir avec eux ces relations d’affinité et contribuer ainsi à leur propre équilibre et à celui de la société. Et que les autres peuples s’en inspirent pour s’humaniser et s’harmoniser mieux. L’Afrique ou le Mandingue peut fièrement exhiber le sanankunya comme valeur morale au « Rendez-vous universel du donner et du recevoir des cultures ». Il faut noter que la pratique du sanankunya est quotidienne et généralisée en Basse Guinée, sans distinction d’âge de sexe ou de rang social. Le Soussou, ou l’ethnie Soussou, est très attaché à cet élément positif de la culture africaine. Dans les marchés, dans les bus de transport public, dans les taxis, dans les cérémonies de réjouissances (mariage, baptême, circoncision, excision, travaux champêtres collectifs...) ou lors des cérémonies de funérailles, de sacrifices... les Soussou recherchent leurs sanankun pour se donner libre cours aux chahuts. Ce qui crée toujours une parenthèse très agréable qui décrispe très souvent la mauvaise humeur. On n’épargne même pas le défunt qu’on se permet de traiter de tout (voleur, criminel, époux (se) infidèle... Évidemment les éprouvés lui donnent des cadeaux (dyansali) pour arrêter les sarcasmes, « délivrer » leur tête (ka i kun makaran, ka i kun makan) ou alors peuvent réagir en se livrant à volonté au jeu du sanankunya en se défendant ou en disant des choses pires à l’autre ou à tous les leurs sanankun présents à la cérémonie. En raison de son importance, de son utilité dans la civilisation mandingue et africaine et de son impact positif dans les relations sociales pour lesquelles il constitue un facteur de détente, un ciment social, le sanankunya doit être enseigné à la postérité. Pourquoi ne pas créer une chaire de traditions dans nos écoles primaires, dans nos collèges, dans nos lycées et dans nos universités. Il peut constituer un bon programme d’instruction civique. Pour son enseignement, on peut faire appel à nos griots et à nos sages rationalistes dépositaires de nos sagesses et de nos cultures africaines. Le sanankunya est donc une pratique qui doit inspirer d’autres civilisations, d’autres peuples pour réaliser l’équilibre de l’individu et fermenter leur harmonie sociale.

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TABLEAU DE QUELQUES NOMS DE FAMILLE MANDINGUES, DE LEURS SYNONIMES (DYAMU, LANBE), DES ALLIÉS (SANANKUN) ET DE LEURS TOTEMS (TANA) NOMS DE FAMILLES Bamba Ballo Baro Bakayoko = Bayo Bérété Camara

Cissé Condé, Koné Chérif Dabo Dembélé Diabi Diané Diaré Diabaté = Dioubaté Diakité Diallo Diawara Duno Donzo Dramé

NOMS SYNONIMES PLUS USITÉS

FAMILLES ALLIÉES SANANKUN

TOTEMS (TANA) Caïman

Diomandé

Kourouma ou Panthère Doumbia, Sidibé, Diallo, Sangaré, Sylla Keita, Doumbia Traoré, Chérif Buffle Condé Doumbia Condé

Karicé, Kalicé Diarra, Tamboura Haïdara Traoré

Sylla, Keita, Nabé Traoré = Touraman = Haïdara

Condé

Camara, Doumbia Keita Kouyaté, Condé

Keita Fofana

Doukouré Fadika = Fadiga Fofana

Doumbia Kourouma ou Doumbia

Kallo = Kaloga Keita

Sylla Mansaré

Kaba Kaké

Diakité

Kané = Kandé =

Keita

Kanté, Kouyaté, Lion Cissé, Diané, Fofana, Traoré, Bérété Keita

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Kanté Kamissoko Keyra Koulibali Konaté Koïta Konaré Kourouma Kouyaté Magassouba Maréna Mara Nabé Nimaga Niaré Oularé Sangaré Sako Samaké Samoura Sagno Sano = Sanogo, Saganoko Sissoko

Keita, Konaté, Duno Keita

Doumbia, Camara

Doumbia, Kamè

Camara, Konaté, Magassouba, Bérété, Keita Camara

Maïga

Sylla, Diané, Keita

Camara

Traoré

Doumbia, Kourouma

Condé, Diallo, Sidibé, Magassouba, Sako Camara, Doumbia, Kanté, Bayo

Sidibé Sidimé Simagan Sinayoko Souaré Sylla Sy Tamboura Touré Tounkara Traoré Yama

Panthère

Keita, Doumbia Camara Condé, Touraman Mandiou

Traoré Keita Keita Keita Cissé

Touraman

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Singe


N.B.: Ce tableau n’est qu’une indication et n’est nullement rigoureux, donc sujet à des modifications, à des adaptations et à des augmentations, car les relations de sanankunya varient d’une région à une autre, d’une famille à une autre, d’un clan à un autre, un lignage à un autre et peuvent ne pas correspondre au présent tableau. Le monde mandingue étant très vaste et varié, il appartient à chacun de rechercher et de déceler ses sanankun. En tout cas chacun peut et doit chercher son partenaire sanankun auprès des sages de sa famille et de son clan, car au Mandingue chaque famille a son ou ses sanankun.

À la lecture attentive du présent chapitre, nous demandons aux jeunes, aux personnes de tous les âges et de tous les sexes de chercher à connaître leurs sanankun auxquels ils doivent et peuvent, sans aucun risque, appliquer les règles de la pratique du sanankunya, quels que soient leur âge, leur rang social, leur fortune, leur degré d’instruction... Ils peuvent les attaquer pour décrisper l’atmosphère, créer la détente afin de bénéficier de leur tolérance, car ceux-ci sont contraints d’accepter et de faire le jeu. Qu’ils daignent le faire en tous lieux en toutes circonstances quel que soit le rang social de leurs interlocuteurs, et cela sans aucun risque. Le serment des ancêtres qui vous autorise à le faire vous protège ne peut pas être délibérément foulé aux pieds. Que le sanankunya survive, qu’il soit enseigné dans nos établissements scolaires, pratiqué dans nos marchés, dans les rues, dans les rassemblements publiques… pour régir harmonieusement nos relations individuelles, familiales, claniques, ethniques et intercommunautaires. Nous souhaitons vivement que cette richesse culturelle soit rétablie, institutionnalisée, enseignée et pratiquée car elle est synonyme de Paix, de Nonviolence, de Tolérance, d’Amour, de Fraternité réelle, de Bonne Humeur, de Ciment ou de lien pour consolider le tissu social, d’Engrais fertile pour créer la Détente Sociale indispensable à l’équilibre psychologique et social de chaque individu et de toute la société. Quel que soit le contenu des propos tenus dans le cadre de la pratique du sanankunya, la plaisanterie ne dégénère jamais en affrontement physique. Cependant la réplique verbale est permise. Invite est donc faite à nos sociologues, à nos historiens et autres chercheurs de se mettre immédiatement à table pour recenser systématiquement les noms de familles et établir leurs relations de sanankunya afin d’orienter et d’inciter nos jeunes africains à pratiquer les règles du sanankunya en toute parfaite connaissance de causes, car il s’agit bien de l’un des aspects les plus dynamiques, les plus positives, de notre culture dont peuvent et doivent s’inspirer d’autres civilisations pour mieux s’humaniser. En tout cas, faisons en sorte que le sanankunya ne disparaisse pas dans nos sociétés en raison de ses vertus de ciment social, de facteurs de non-violence, de détente et d’harmonie sociale...

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LE DOUBLE PERSONNAGE DE DEUX CENSEURS DE LA SOCIÉTÉ: 1 - LE SÒSÒLIKÈLA ET 2 - LE SANGBAN (33) ----------o---------« Je sais bien que le monde évolue et que, nous aussi, devons évoluer. Mais certains éléments de notre culture n’ont aucun intérêt à dévier de leur contexte. C’est en accord avec nos traditions qu’elle doit évoluer... » Soundioulou CISSOKO (34) ----------o---------« Mon objectif est de sauver certaines sources de notre tradition orale avant que toutes ne disparaissent... » Boubou HAMA (35) (« Bongo » N° 344 de septembre 1981) ----------o---------Le chercheur africain en sciences humaines ou sociales doit s’atteler, essentiellement, à recueillir et à préserver un ensemble de valeurs morales susceptibles d’inspirer positivement les générations futures, de leurs permettre de se comprendre mutuellement et de fraterniser aussi avec les autres peuples de cultures différentes. Puisque le présent découle du passé, l’historien ou le sociologue africain doit certes se préoccuper de signaler, à titre d’information, toutes les erreurs et tares du passé qui constituent, à certains égards, un poids lourd et une entrave à notre évolution harmonieuse; mais il doit surtout se déployer à inventorier, à discriminer et à agencer dans leur ordre chronologique ou selon leur importance tous les éléments dynamiques de notre passé culturel. Mais convenons aussi que cette référence constante et nécessaire aux aspects positifs de notre patrimoine culturel doit être un effort collectif soutenu. Pour Bakary Diawara, historien ivoirien, cette évocation du passé ou ce retour aux sources vives de nos spécificités est une démarche vitale pour notre avenir: « C’est, en parlant du passé, une source où va boire tout peuple qui veut garder son identité. Dans cette perspective, la connaissance active du passé est un besoin, une faim pour la collectivité soit pour se prémunir, soit pour enclencher une lutte. Mais la connaissance active du passé est un refuge contre ce qui fait mal aujourd’hui... » allègue-t-il. (36) 854


Donc le passé secrète et conditionne le présent, et l’avenir (le futur) est le prolongement logique du présent. C’est ce trépied du temps ou cette triple corrélation informatrice (Passé → Présent → Avenir) qui constitue le support de notre démarche. « Une époque, quelle qu’elle soit, est nécessairement une transition entre celle qui la précède et celle qui lui succède. Il en résulte que chaque période a ses préludes, qui appartiennent à la période antérieure, et ses lendemains, lesquels peuvent être des affirmations ou des revirements, et qui appartiennent à la période postérieure » a écrit Maurice Bouvier-Ajam dans « Essai de Méthodologie Historique », à propos de l’interdépendance des relations des temps. Ainsi donc:

Le Passé ▬► Le Présent ▬►Le Futur Le Présent ne s’explique et ne se comprend que par les informations transmises par le Passé, et le Futur, à son tour, s’en informe, s’y enracine solidement et se nourrit du suc nourricier tiré de la synthèse Passé-Présent.

DONC CHAQUE PÉRIODE A SON ANTÉRIORITÉ ET SA POSTERIORITÉ AVEC UNE LIAISON DIALECTIQUE ENTRE ELLES Maintenant que l’euphorie et les tourmentes de l’indépendance ainsi que le laisser-aller trop exacerbé au modernisme se sont quelque peu dissipés, il est de plus en plus question de retour aux aspects dynamiques de nos spécificités culturelles. Cette démarche doit être entamée avec objectivité et rigueur afin de ne puiser aux sources du passé culturel que ce qui est vitalité et qui puisse s’harmoniser pleinement avec les contraintes de notre devenir. C’est pourquoi notre devoir d’aînés et d’héritiers spirituels privilégiés de ce beau passé, hélas! Peu connu aujourd’hui, nous commande d’enseigner à nos jeunes et de proposer à nos gouvernants une identité culturelle dynamique et réaliste. Mais ce retour aux sources nobles de notre culture doit se faire sans chauvinisme ou démagogie. En tout cas il n’est pas question, dans cette démarche, de revivre la vie passée de nos ancêtres dans son entièreté. Ce passé doit, certes, nous inspirer en certains aspects positifs, car l’histoire doit être un ensemble d’enseignements tirés du passé. Nous ne devons pas répéter les erreurs du passé par chauvinisme, mais cependant nous appesantir sur tout ce qui s’y trouve de vertueux. « Elle (l’Histoire) est valeur éducative (pour ceux du moins qui savent l’entendre) en ce sens très simple qu’elle nous aide à comprendre les hommes et la vie. Elle n’a point pour fonction, d’écraser sous le poids de son passé, mais de lui montrer ce passé et de rappeler discrètement que nous sommes ses 855


héritiers. Parce que le passé est l’origine du présent, l’histoire nous aide à mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui à savoir quoi défendre et préserver, à savoir aussi quoi renverser et détruire. L’histoire est un rapport actif du passé..., » précise Bakary Diawara. (36) Il faut donc faire la part des choses utiles dans le choix des éléments culturels du passé. Tout ce qui est superflu et qui peut ternir ou compromettre notre évolution harmonieuse avec les autres civilisations doit être systématiquement éliminé ou amélioré en l’adaptant. Aussi, dans la perspective de l’ébauche d’une civilisation universelle, nous ne devons pas renier en bloc l’apport culturel extérieur, tout comme les autres civilisations doivent s’ouvrir aux éléments vivificateurs de notre culture, notamment dans le domaine des relations humaines. C’est pourquoi, dans notre effort d’inventorier, de discriminer et d’agencer les éléments dynamiques de notre culture, nous avons sans cesse mis l’accent sur les rapports sociaux qui nous ont parus fondamentaux. En effet, l’Afrique recèle bien de vertus et excelle nettement en matière de relations humaines. Mais par contre, on ne saurait revenir par chauvinisme à notre technologie rudimentaire de production d’outils agricoles..., domaine mieux maîtrisé par l’Europe. Bakary Diawara poursuit dans ce sens: « ... Mais le présent n’a besoin du passé que par rapport à l’avenir. On interroge le passé pour obtenir de lui des réponses pour motiver un changement ou pour préserver un ordre établi... » C’est en conformité à ce souci de synthèse qualitative que nous avons cru opportun d’enrichir cet ouvrage posthume en reprenant les points à peine effleurés ou insuffisamment traités par l’auteur ou en y insérant des études assez exhaustives dont l’intérêt lui avait échappé. Pour combler ces lacunes de l’histoire africaine, le chercheur doit se dépouiller des passions aveugles en se mettant, dans la mesure du possible, à l’abri des luttes tendancieuses politiques et idéologiques. Dans notre cas, il s’agit de pénétrer la cosmogonie mandingue qui est à la fois mystérieuse et mythologique. L’objectif devrait être de découvrir et d’expliquer partiellement ou totalement tous les pans d’ombre afin d’en tirer des leçons de sagesse pour l’avenir. Mais pour beaucoup d’historiens cet objectivisme apolitique est un leurre, car disent-ils, comme Bakary Diawara, que: « L’historien est un élément intégrant de la société appartenant sciemment ou inconsciemment à une classe. Il est aisé de comprendre que l’objectivisme apolitique brandi par la vieille école est un leurre. » Cependant, pour Fénélon: « Le bon historien n’est d’aucun temps ni d’aucun pays. » « Ceci n’est qu’un idéal, » conclut Bakary Diawara, défenseur acharné, comme tant d’autres historiens modernes, de l’inévitable engagement de l’historien. Devant cette rigueur des jeunes historiens africains et les exigences

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de ce nouveau courant, de cette conception, on ne peut s’empêcher de se poser la question suivante: « Faut-il présenter l’histoire conformément à l’idéal politique ou social de l’historien? Si oui, dans ce cas, combien de versions de l’histoire auronsnous? Et quelle sera la version la plus crédible? Car on peut bien se trouver en présence de plusieurs thèses rattachées, chacune, à une doctrine particulière ou à des intérêts particuliers. » Par ailleurs, le Professeur Maurice Bouvier-Ajam relève: (37) « Selon que cet historien a une conception de l’histoire cynique ou généreuse, matérialiste ou utopique, aristocratique ou démocratique, bourgeoise ou socialiste, selon qu’il croit à une fatalité de l’évolution ou à une évolution imposée par le changement du rapport des forces il mettra en évidence, pour affirmer et illustrer sa thèse, tels événements ou tels autres seulement... » Cette conception partisane de l’histoire a pour corollaire évident des choix dangereux et subjectifs, donc des interprétations tendancieuses, des falsifications, des omissions et des silences volontaires qui dénaturent sûrement l’histoire en travestissant les événements. La vérité historique est donc contre façonnée voire sacrifiée au profit des intérêts subjectifs, d’État ou de ceux des classes privilégiées. Il appert donc que cet engagement idéaliste ou politique inconditionnel de l’histoire est très dangereux pour l’histoire africaine qui s’en trouve malheureusement ou joliment brodée, ou systématiquement amputée, ou subtilement falsifiée... Or cette histoire, en son état actuelle, se trouve beaucoup moins dans les livres que dans la mémoire du peuple. Cette carence d’archives est encore gravement accentuée par la disparition quotidienne et quasi-totale des derniers dépositaires de la connaissance, du savoir-faire, de la tradition orale... ainsi que par la réserve ou le mutisme complet de ceux-ci devant la farouche détermination et la soif ardente de tout connaître que manifestent les jeunes chercheurs. Pour eux - les vieillards, les féticheurs, les guérisseurs, les charlatans et autres géomanciens - certaines questions ou certaines choses sont des tabous dont on ne peut parler qu’avec circonspection. C’est donc commettre un sacrilège en dévoilant tout à des non-initiés, à des jeunes indiscrets que sont les intellectuels, et surtout à des blancs disent-ils: « Ko bèè tè fò la, ni wo tè i bè bila sulu la. » (= On ne doit pas tout dire au risque de déranger les morts dans leur paisible repos outre-tombe.) Et pourtant on ne saurait assez mettre l’accent sur l’urgence et l’immensité du travail de sauvetage culturel à accomplir. « Nous pensons qu’il faut, dans l’immédiat, recueillir tout, en vrac, pour ensuite analyser et choisir, car on ne peut réhabiliter ce qu’on ignore, si louable soit-il, » a dit le sage et vénérable Mamba Sano. Pour cela, ne faudrait-il pas suivre ces sages recommandations d’Amadou Hampâté Bâ, qui est un vrai repère en matière de culture africaine quand il dit: 857


« ... Pour systématiser les traditions, il faudrait agir comme à la cueillette: on cueille les fruits au hasard et on les met dans le panier. Et ce n’est qu’une fois à la maison qu’on procède au tri. Je demande aux intellectuels d’enregistrer tout ce que les vieux peuvent leur dire et de retour chez eux, qu’ils fassent le tri de manière à se faire comprendre par les Européens qui ne comprendraient pas la tradition chaotique. C’est donc une question de formation et de méthodologie..., » propose-t-il. (38) Dans tous les cas, une erreur, une faiblesse ou une défaillance du passé ou du présent risque d’être récidivée inconsciemment parce qu’on l’ignore comme telle. C’est donc après avoir accompli cette urgente collecte des vertus et des tares de notre passé culturel que nous pourrons en tirer des leçons de sagesse comme le préconise aussi le Professeur Ibrahima Baba Kaké dans une interview (39) sur son ouvrage « Les Armées Traditionnelles de l’Afrique »: (40) « Certains aspects des armées anciennes que j’ai soulignés dans mon livre peuvent être situés dans l’actualité. Les armées des pays africains indépendants peuvent, peut-être, s’inspirer de certaines vertus et de certaines formes d’organisation propres aux armées traditionnelles. Les pays africains ignorent qu’il y avait dans l’armée traditionnelle, une structure bien faite avec des titres, des décorations, des cérémonies d’intronisation d’officiers... Il existe par conséquent, un héritage certain dont l’armée actuelle peut s’inspirer. Au lieu de tricher tout le temps, les autres. Ne nous reprochons-t-on pas de nous inspirer du monde occidental à tous les niveaux? Le cas de notre histoire est édifiant: Nous faisons l’histoire des pays colonisateurs de l’Europe, alors que nous avons notre propre histoire à faire. Il ne s’agit pas seulement de repenser cet enseignement de l’histoire, cette connaissance de l’histoire de l’Afrique et de nous en inspirer. Non pas d’ailleurs, comme certains le croient, pour imiter nos ancêtres, mais plutôt pour éviter certaines erreurs commises, pour comprendre, pourquoi, il y a eu des erreurs et comment faire pour les éviter. » C’est pourquoi nous ne cesserons pas de paraphraser Bakary Diawara qui dit: « ... Mais le présent n’a besoin du passé que par rapport à l’avenir. On interroge le passé pour obtenir de lucides réponses pour motiver un changement ou pour préserver un ordre établi. » Oui, l’histoire africaine ne doit pas être tournée uniquement vers une simple évocation des erreurs et des insuffisances de nos ancêtres, ou de leurs hauts faits et gloires passionnantes. Mais bien au contraire, elle doit surtout tendre vers un enseignement des vertus susceptibles d’inciter nos jeunes à accomplir de nobles actions, à faire preuve d’une grande probité dans une communauté internationale élargie, indulgente et harmonieuse qui doit nécessairement respecter, d’une manière scrupuleuse, la Liberté, la Sécurité, la Dignité, la Vie et les Biens de l’Homme. Mais la mondialisation ne doit pas nous faire perdre nos spécificités culturelles positives. Cette recherche des vertus exige qu’on interroge régulièrement le passé pour obtenir de lui des réponses devant motiver un changement ou préserver un 858


ordre établi. Dans l’étude qui suit, nous pensons avoir apporté une réponse à la question que les jeunes se posent sur l’existence et le fonctionnement de la démocratie et de la liberté d’opinion et de pensée dans nos sociétés traditionnelles. En effet, pour ce besoin permanent de faire une excursion dans le passé, de faire un retour aux sources même de nos spécificités culturelles, notamment dans le domaine des relations humaines, nous devons remettre à honneur certaines pratiques vertueuses d’antan. Ainsi, entre autres vertus abandonnées, le double personnage historique du sòsòlikèla et du sangban, peu connu de nos jeunes, doit être réhabilité totalement tout comme la pratique du sanankunya, des sèrè (classes d’âges), de même que le respect absolu pour les oncles, les tantes paternels et maternels, pour les personnes âgées... qui sont des concepts jouant parfaitement le rôle de contre-pouvoir (voir plus loin). Le double personnage du sòsòlikèla et du sangban doit être ressuscité, toléré et institutionnalisé dans nos familles, dans nos clans, dans nos villages et dans nos villes, dans nos palais présidentiels et royaux... Il doit apparaître comme une nécessité dans la vie quotidienne de chacun et de tous. Ce curieux personnage était, comme on le verra, le garant de la liberté individuelle, de la liberté de parole, de la démocratie, de l’harmonie sociale, de la tolérance... Il symbolisait la vérité directe, choquante ou noyée dans l’humour. Il était le censeur qui dénonçait et empêchait les abus de pouvoir, la tyrannie, l’absolutisme... Son rôle était déterminant dans le maintien de l’ordre, de l’harmonie et de la pratique de la solidarité dans la société. Ses positions reflétaient toujours le point de vue de la majorité, le jeu de la démocratie se faisait toujours par son canal. En tout cas ses remarques piquantes et souvent incongruentes étaient toujours examinées attentivement. Il prenait presque toujours le contrepied de la position du chef à qui il n’hésitait toujours pas de dire: « Ne ma son ayi ta wo ma. » (= Moi je n’accepte pas ce que vous arrêtez.) ou alors « Ne ma wo mina. » (= Moi, je ne suis pas d’accord sur ce qui a été dit ou arrêté.) Dans la société traditionnelle mandingue, le chef était toujours assisté d’un conseil de sages composés de vieux notables expérimentés, de griots généalogistes qui sont nos archives parlantes donc vivantes. Il les consultait régulièrement, discutait librement avec eux de tous les problèmes importants du clan, du village ou du pays afin de recueillir les meilleurs avis et prendre ensemble une décision consensuelle, convenable, susceptible de recueillir l’assentiment populaire. Le chef tenait compte de l’avis unanime ou majoritaire de ces assesseurs très influents. Il prenait aussi des décisions conformément au code pénal traditionnel en vigueur dans le village ou dans le pays, sans attendre la décision du conseil des sages. En raison de leur sagesse et de leur âge très avancé, donc de leurs longues et riches expériences de la vie, ces conseillers exerçaient une nette emprise sur le chef du clan, du village ou du pays. Ils influençaient nettement les décisions de l’autorité en place et s’opposaient à tout

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abus d’autorité et à toutes les injustices... C’est ainsi qu’on les entendait dire souvent et sans ambages: « Anu ma sòn wo ma. » (= Nous n’acceptons pas cela.) ou encore: « Wo tè bèn. » (= Cela ne doit pas se faire. = Ce que vous dites ou voulez faire n’est pas bon et est contraire à nos mœurs et nous humilie.) D’ailleurs ils n’avaient aucune raison d’avoir peur du chef, de lui dire la vérité, de le désavouer ouvertement, et même de lui faire des remontrances, surtout en cas de décisions hâtives unilatérales, d’injustice, d’erreurs judiciaires flagrantes... de sa part. En effet, ils bénéficiaient d’une incontestable immunité, et le chef était lui aussi soumis à l’implacable respect absolu envers les aînés, ses oncles et tantes paternels et maternels de tout âge qui pouvaient, à tout moment et en tout lieu, le réduire au silence ou à l’impuissance. Il était contraint de s’incliner devant leur volonté, s’il voulait la baraka (bénédiction) ou s’il aspirait à une puissance durable invulnérable. La gérontocratie était donc un vrai pouvoir parallèle qui contrebalançait efficacement celui du chef, du clan, du village, de la tribu ou du pays tout entier. En outre, ces vieux contrôlaient rigoureusement le fonctionnement des institutions traditionnelles (code pénal, rites d’initiation ou d’intégration sociale comme la circoncision, l’excision, le mariage, les sacrifices rituels...). Aussi, aucun membre de l’exécutif (divers agents au service du chef) n’échappait à leur jugement suprême et à leurs répréhensions. En plus de ces juges suprêmes, il y avait toujours dans la société traditionnelle trois autres censeurs impitoyables et incorruptibles, du pouvoir et de toute la société appelés: ● Sòsòlikèla ● Sangban ● Faolabòla, manyanikèla ● Sanankun 1) - LE SÒSÒLIKÈLA ----------o---------« La sagesse africaine voudrait qu’on prenne chez les blancs leur technique en vue de réaliser le confort de notre corps, tout en préservant la paix du cœur. Mais je reconnais que c’est difficile. » Amadou Hampâté BÂ (« Jeune Afrique » N° 1095 du 30 décembre 1981) ----------o----------

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Le sòsòlikèla est un contestataire, un contradicteur irréductible qui a le droit et le devoir de désavouer un chef ou toute autre personne, ou de s’opposer à toutes les décisions prises à son insu sans son consentement, ou prises et à n’importe quel niveau et par n’importe quelle autorité. Il dénonce avec véhémence toutes les irrégularités et injustices intervenues lors d’un jugement et celles constatées dans les rapports sociaux. Il a son franc parler incorruptible qu’il tient en toutes circonstances et à l’endroit de tout le monde, sans exception de rang social, de sexe et d’âge. Il n’encourt aucune sanction. Assuré d’une complète immunité, il dit à tous, les vérités les plus piquantes, les choses les plus graves, les plus sérieuses, les paroles les plus amères. Cette intervention, dans bien des cas, se fait brutalement, voire maladroitement. Mais très souvent, pour une question de simple courtoisie et non par crainte d’un quelconque risque de châtiment, il le fait habilement quand il s’agit du chef ou d’une personne beaucoup plus âgée. Animateur infatigable des assemblées, des causeries, il est philosophe, beau parleur et grand dialecticien. On se laisse facilement convaincre par son argumentation et son éloquence séduisante. Il n’est presque jamais d’accord sur les décisions et les opinions des autres. Cette divergence avec les autres s’affirme à tout moment et envers tout le monde. Parfois on le trouve trop obstiné dans ses contestations et contradictions. On l’entend dire catégoriquement ou ironiquement à un chef de famille, de clan, de tribu, à ses amis, à ses parents et même à des personnes qu’il ne connaît pas l’une des phrases fatidiques suivantes: 1) - « Ne ma wo mina. » (= Moi, je n’accepte pas cela.) 2) - « Wo tè bèn. » (= Cela n’est pas normal.) 3) - « Wo nyòòn ma dali kèla yan. » (= Cela ne s’est jamais fait ici, chez-nous.) 4) - « Wo ma bèn mansa ma. » (= Cela n’est pas digne d’un chef.) 5) - « Wo ma bèn hòròn ma. » (= Cela dégrade un noble, un homme libre et digne.) 6) - « Mansa man kan ka wo kè. » (= Un chef ne doit pas faire ceci (ou n’a pas le droit de faire cela).) 7) - « N tè sòn wo ma. » (= Moi je m’oppose à cela.) 8) - « A ma kè kunun, a tè bèn bi, a fana tè bèn sini. » (= On ne l’a pas fait hier, on le réprouve aujourd’hui et on ne le fera pas demain.) Ainsi, pour le rallier à une position ou à une cause, pour éviter sa réprobation brutale et publique, il faut user habilement de sentiments, de paroles

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douces. Il faut donc le préparer psychologiquement, surtout s’il n’a pas participé aux débats. Même s’il n’était pas toujours écouté sur le champ, le sòsòlikèla entraînait toujours à la longue, par la persévérance, la pertinence et souvent par le bien fondé de ses contestations et contradictions, une révision du procès, un nouvel examen de la question qu’il abordait ou de la cause qu’il défendait. Parfois en privée, le roi ou le chef de famille lui faisait de sévères observations pour ses remarques passées pour incongrues ou impertinentes. À cause de son audace et de son obstination, il est souvent traité de fou (fato). À son sujet on entend dire la réflexion suivante: « Alu ye wo to yén, fato le. » ou bien « = Alu kana ayi bila wo fè, manamana mòò le. » (= Laissez-le, il est fou, il dit ce qui lui plaît, n’en déplaise aux autres. C’est une personne sans importance, donc négligeable.) « A tè silanna mòò si nyè. » (= Il n’a peur de personne.) « A tè maloya mòò si ma. » (= Il ne respecte personne, il n’épargne personne pour dire la vérité.) « A bè tunyè fò bèè nyè... » (= Il dit sans aucune retenue ses convictions et la vérité à tout le monde. Il n’a peur de personne pour dire la vérité, sa vérité.) Ainsi donc, pour éviter une remise en question des décisions ou une révision totale du procès et des débats auxquels il n’a pas participé, on prend soin de l’informer respectueusement et largement des conclusions de l’assemblée. La hantise de l’abrogation pure et simple de leurs décisions par le sòsòlikèla amène les juges et les participants à toute réunion de concertation, d’arbitrage... à l’associer à toutes les affaires ou à déclarer en substance: « An ye sòsòlikèla bunyè do an na a kuma mèn do, ni wo tè, a ka na a kuma bila. An na bèè ma kan do, a kana an na maloya... » Ce qui se traduit par: « Associons le sòsòlikèla à nos débats. Soumettons préalablement nos résolutions à l’approbation de l’irréductible contradicteur, si non, par ses contradictions et dénonciations intempestives, il les mettra en cause et nous fera honnir... » On comprend donc pourquoi tout le monde le ménage en le prenant par les sentiments et la ruse. Il aime les honneurs (bunyè). C’est seulement par l’usage de cette sensibilité du cœur qu’on peut atténuer ses contestations. Ce même ménagement est aussi adopté à l’égard du sangban. En effet le sòsòlikèla est craint parce qu’il n’est jamais d’accord du coup sur ce que disent, décident ou font les autres tout comme un parti politique d’opposition dans un régime libéral ou démocratique. Par contre le sangban est craint à cause de ses sarcasmes mordants qui n’épargnent personne dans la société, car il peut ridiculiser tout le monde sans aucun risque. 862


Feu, Mamadou Traoré dit Ray-Autra (41) évoque éloquemment, dans un article inédit, deux anecdotes où un sòsòlikèla n’hésita pas de mettre son souverain dans une posture incommode: « Ce jour-là, dès que le Mansa (chef) apparut devant la cour, Monsieur Contestataire d’entonner: « Sur la ceinture de mon père, sur la tête de mes enfants, une journée ne peut être plus faste que celle d’aujourd’hui. Je vais revêtir une tenue royale; ce somptueux boubou de notre digne maître et seigneur va changer de propriétaire et sur le champ, et sera sur le corps d’un goujat de mon espèce. » Et de poursuive: « Faama, je t’attendais pour partager avec toi la noix de cola qui « rougit » les bords de tes lèvres, car semble-t-il, que tu as déclaré la guerre à Kissi-mansa (42) sans nous prévenir. Mais ne te presse pas, finis d’égrener ton chapelet et surtout ne nous vend pas à ton Dieu pour un boubou, laisse tomber les dernières graines de perles que d’aucuns aiment plutôt faire bruire sur les rotondités incongrues ». (43) Le souverain finissait justement d’égrener son chapelet et, après avoir prononcé le « A-salamalekoum! », (44) l’avait porté à son front ramassé dans sa paume, les yeux clos pour une ultime action de grâce. Ses paupières étaient encore fermées quand ses doigts glissèrent sur sa poitrine, cherchant la poche de son boubou pour y remettre le chapelet et prendre la noix de cola... Et quelle ne fut grande sa surprise de constater, tous yeux ouverts, qu’il avait mis son vêtement de parade... à l’envers. Le triboulet jubile. Il emboîta le pas au roi qui, mesurant l’étendue de sa bévue, reprit « Soub-hanna lahi... ». (45) Bientôt, le Fama revenait revêtu d’un autre boubou, tandis que le contestataire arborait, celui richement brodé qui recouvrait tout à l’heure le torse royal, fier comme Artaban... Sur leurs pas, suivaient deux esclaves chargées de lourds paniers de cola où chacun puisa à pleines soignées. Une caravane fut constituée aussitôt en vue d’assurer le ravitaillement du pays en cola... On sut par la suite que ce matin-là, le Fama s’était levé de fort mauvaise grâce parce que précisément ses doigts fiévreux n’avaient pu caresser les perles de son épouse préférée... d’où ce boubou à l’envers avec lequel il était allé à la mosquée avant de se présenter à la cour... Et n’allez pas croire que le souverain était dupe: il savait parfaitement que le « scélérat » de Sòsòlikèla venait de lever le voile sur l’alcôve royale et que son infortune de cette nuit-là était jetée en pâture au peuple. Mais, noblesse oblige. La dignité attachée à la qualité de « première tête du pays » a ses petits et gros désagréments, qu’il faut savoir supporter stoïquement. Du moins telle était la philosophie de l’époque. Les grosses parures vont avec un lot de larmes. Si tu ne peux pas supporter le poids de la couronne, renonce à la chefferie. On cite aussi le cas du Sòsòlikèla qui se trouva dans une situation autrement plus scabreuse où, pour une fois, il jouait sur sa tête.

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Ce puissant roi que nous appelons Touramagan avait un cheval auquel il était très attaché et surtout depuis qu’il lui avait sauvé la vie, voilà dans quelle condition. Touramagan décida un jour d’aller mettre à la raison un petit peuple guerrier, les Sofas qui faisaient trop parler d’eux. Après huit soleils de marche, son armée arriva à la limite de ses états. La bataille devait s’engager le lendemain. Dès les premières lueurs du jour les troupes de Touramagan pénétrèrent sur le sol étranger sans rencontrer la moindre résistance. La victoire était plus que certaine. Mais voilà que bientôt une véritable pluie de flèches s’abattit sur les attaquants sans que l’on puisse voir le moindre guerrier ennemi: les Sofas étaient cachés dans les hautes herbes, les fourrés, les branches feuillues. Aussitôt un héraut de Touramagan cria à l’intervention du diable et donna le signal de la retraite. Et ce fut le sauve-qui peut. Touramagan ne sut par quel miracle son coursier fit volte-face et lui fit subir la plus folle des chevauchées. Lorsqu’il reprit conscience il se retrouva tête nue - son bonnet avait été emporté par une flèche, loin des projectiles ennemis. Mettant pieds à terre au milieu de quelques fidèles, il rendit grâce au ciel d’avoir épargné sa vie et, caressant son cheval qu’il appela désormais « Sabougnouma » - Providence -, il lui promit une retraite dorée. C’est ainsi donc que Sabougnouma fut confié à un village voisin de la capitale où il devait être choyé. Chaque matin, un émissaire venait donner de ses nouvelles à Touramagan qui ne retrouvait son humeur habituelle qu’après le passage de l’envoyé. Or, une nuit, Sabougnouma mourut de sa belle mort. Le lendemain, grande consternation dans le village. Touramagan n’avait-il pas promis de trancher la tête à celui qui viendrait lui annoncer le trépas de son coursier affectionné? Les vieux du village tinrent immédiatement conseil, un conseil des grands jours où s’examinent les graves problèmes. Après une discussion dramatique, un des anciens s’offrit en holocauste. Dans le lourd silence qui suivit sa déclaration faite sur un ton de touchante résignation, un toussotement fit tressaillir l’Assemblée. Aussitôt, tous les yeux se braquèrent sur l’homme qui venait de manifester ainsi sa présence. C’était Sòsòlikèla lequel, en pleine discussion avait réussi à se glisser subrepticement dans la case du conseil. La surprise était d’autant plus grande surprise mêlée d’inquiétude - qu’ordre avait été donné de veiller à ce que personne n’entre ni ne sorte du village de peur que la nouvelle n’arrive aux oreilles du Souverain avant une décision du Conseil. Touramagan pouvait bien, dans son auguste courroux, faire tomber des centaines de têtes! Sòsòlikèla, à son tour, jeta un regard circulaire sur les anciens tandis qu’un sourire énigmatique se dessinait sur ses lèvres et que ses yeux brillaient de malice. Le conclave était haletant. Après avoir joui pendant quelques instants de sa domination sur les vieux, il articula dans un silence glacial, sans plus de 864


précaution oratoire: « Je m’offre en lieu et place du Père Balo pour annoncer la nouvelle à Touramagan. » Des soupirs de soulagement accueillirent ces premières paroles et Sòsòlikèla continue: - « Mais... À nouveau, le cénacle d’Anciens fut suspendu à ses lèvres. - « Mais, je demande deux pleines poignées d’or, six taureaux et autant de vaches, de chèvres, de moutons... » Des bénédictions fusèrent de toutes parts à l’adresse de l’homme providentiel et les conditions furent acceptées sans discussion. Sur quoi, Sòsòlikèla reprit le chemin de la capitale et se dirigea tout droit vers le Palais royal. Touramagan qui s’inquiétait de ne l’avoir pas vu à son lever, commença par le blâmer sans ménagements. L’autre de se confesser qu’il avait dû aller nuitamment dans un village voisin au chevet du père de son épouse préférée. Il s’excusa de n’avoir pu en aviser son maître, pensant qu’il serait de retour avant le lever du jour pour être à ses côtés à la mosquée pour la prière de l’aube. Le rusé compère insinua qu’il était passé par le village de Diakoli, le fameux hamea où se trouvait Sabougnouma - et que... À l’évocation de ce nom de village, Touramagan bondit et demanda des nouvelles de son cheval. Mais Sòsòlikèla poursuivit sa narration comme s’il n’avait rien entendu. Le souverain l’arrêta une deuxième, une troisième fois... Seulement, notre contestataire après un temps de pose, raconta qu’il avait, en traversant Diakoli, aperçu un cheval tout blanc, couché, les pattes en l’air... Son interlocuteur, d’une voix étranglée, de lancer sans y prendre garde, et de se répandre en lamentations. Sòsòlikèla triomphait. Il venait de prendre le roi à son propre piège, de lui faire dire la phrase fatidique. - « C’est vous qui l’avez dit, » jeta-t-il, « pas moi! J’ai seulement signalé avoir vu un cheval blanc, couché dans le pré, les quatre pattes en l’air... » Ainsi de façon subtile, le Sòsòlikèla a pu sauver les gardiens de son cheval qui se seraient exposés à la mort en annonçant la mort du cheval du roi. 2) - LE SANGBAN (46) ----------o---------➢ Dans l’Afrique traditionnelle, les systèmes de gouvernement contenaient-ils des contre-pouvoirs? ➢ Les pouvoirs étaient-ils contrôlés? Si oui, par qui et comment? ➢ Qui pouvait contester les décisions des rois? ➢ Qui pouvait redresser un roi? ➢ Qui pouvait dénoncer les abus d’autorité du roi? 865


➢ Qui pouvait dire la vérité au roi sans aucun risque? ➢ Qui avait ou détenait le pouvoir de censurer le chef? ----------o---------« Je ne refuse ni la culture ni les techniques occidentales, ce que je veux, c’est retremper notre culture dans son contexte africain. Et ce, à un moment où je suis bien obligé de constater une certaine disparition de notre culture au profit de celle venant d’ailleurs... » Soundioulou CISSOKO (34) ----------o---------LE SANGBAN Quant au sangban, appelé aussi, selon les provinces mandingues, il s’incarne parfaitement bien dans les personnages suivants: ◊ Sangbankòrò ◊ Sangbanya Féré ◊ Sangbanya Fodé ◊ Faolabòla ◊ Mòòkòrò ◊ Manyanikèla ◊ Manamanamòò ◊ Yèlèmakolabòla... C’est un critiqueur acerbe, un juge social incorruptible et impitoyable, un bouffon, l’amuseur publique numéro un de la société, un moqueur possédant l’art de parler de faire rire qui n’épargne personne dans son environnement social. Même le chef ou le roi, qu’il peut ridiculiser sans aucun risque de sanction, n’échappe pas à ses sarcasmes. Pendant les nuits sombres de la savane mandingue, pendant les veillées animées par les sages conteurs et les griots, on ne se languissait jamais de conter et d’écouter attentivement ses merveilleuses aventures et anecdotes dans les cours royales et dans les grandes familles où il ne cessait de dénoncer tous les abus d’autorités et tares de la société qu’il a vécus ou qu’on lui a rapportés et de tourner en ridicule tous ceux qui osaient le critiquer ouvertement. Il n’hésitait pas à clouer au pilori tous les puissants et tyrans les plus craints sans aucun risque. Imbu d’humours, il ne manque jamais d’idées, d’imagination, d’anecdotes... et d’occasions pour ridiculiser les plus hauts personnages du clan, du village ou du pays, y compris son auguste maître à qui il doit pourtant tout matériellement ou qui le fait vivre. Celui-ci peut être 866


entre autres son père, un de ses oncles, le chef ou un notable du village. Il s’attaque aussi aux pères de familles injustes, méchants, trop autoritaires ou faibles de caractères, aux époux jaloux, aux amoureux hypocrites, aux gourmands et gourmets insatiables à ceux qui refusent de prendre leurs responsabilités ou qui refusent d’être des modèles à imiter... Ainsi donc il a une prédilection pour la dénonciation; pour les actes déshonorants, pour les scandales sociaux comme pour les flagrants délits d’adultères, comme pour des autres travers sociaux comme le viol, les scènes de jalousie, l’hypocrisie sentimentale, le vol, les faiblesses physiques ou morales, le manque de bravoure, le non-respect d’un engagement ou d’une parole d’honneur, l’incapacité notoire d’une personne, surtout un garçon, de relever un défi, les erreurs et les incorrections de langage, le mensonge, l’abus d’autorité... Il dénonce avec véhémence toutes les tares, toutes les anomalies, tous les maux et cas d’injustice flagrante dont souffrent les faibles en particulier et toute la société en général. Il est toujours prompt à critiquer pour redresser, à se moquer, à ridiculiser toute personne coupable d’un quelconque délit, d’insuffisance, de faiblesse, en un mot d’actes répréhensibles qu’il se complaît à colporter de bouche à oreille, à étaler sans gêne dans les causeries publiques, pendant les cérémonies de sacrifices, de mariage, d’initiation (circoncision, excision ou autre rites), en les amplifiant, comme il en a le secret et l’éloquence, sans jamais tenir compte de la susceptibilité, de la réaction et de la dignité de la personne qu’il met en situation. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire qu’il soit témoin du délit ou de l’événement. Pour peu qu’il en ait vent, il s’en empare, dramatise les faits, les exploite et fait une arme ou un argument de critique acerbe, de moquerie soit pour assouvir son plaisir personnel de plaisantin, soit pour défendre un faible pour qui il prend cause et fait. Dans ce dernier cas, il le fait bénévolement mais jamais pour une rémunération financière ou matérielle. C’est ainsi qu’une femme brimée peut faire appel à ses services contre son mari autoritaire, violent et injuste, tout comme un enfant terrorisé contre son père, ses oncles, ses aînés... ainsi qu’un sujet contre son maître... Parfois, il se complaît à imaginer et à broder des fautes, des situations comiques, inconfortables ou répréhensibles, propres à faire honnir ou à ridiculiser dont il fait endosser la responsabilité entière à telle personne qu’il veut mettre en situation incommode dans son environnement social. C’est ça sa force! À ses humours piquants, à ses moqueries mordantes, à ses paraboles... ses victimes éprouvent de profonds sentiments de honte et de frustration, surtout quand celles-ci ne se sentent pas suffisamment armées pour répliquer efficacement à ses épigrammes. Très peu de gens sont capables de relever le défi qu’il lance ici et là. Philosophe, historien, grand penseur, sociologue, psychologue, spirituel, charmeur par son éloquence inégalée, moqueur imbattable, flatteur parfois..., le sangban est surtout un critique acerbe, un censeur incorruptible de la société. Mais il est parfois sans vergogne et jouit d’une totale immunité que personne ne lui conteste, ce qui lui donne le droit exceptionnel d’avoir une totale liberté de 867


parole. Il ne se gêne guère dans ses propos. Il est même grotesque. Il critique sans risque de châtiment et plaisante sans retenue avec tout le monde - sans exception de rang social, d’âge et de sexe - et dit les choses les plus sérieuses, les plus graves, les plus sacrées. Il ignore la discrétion, la peur, le respect aliénateur. Pour ces raisons on dit que: « A da farani. » (= Sa bouche est déchirée, c’est-à-dire qu’il parle trop, dit tout ou qu’il se complaît dans la médisance, dans le ridicule...) « A da ka bon. » (= Il a une grande gueule, donc idem.) Lui-même renchérit cette image en déclarant sans ambages: « Ko tè ye ni ne da tè se ka min fò. » « N tè silanna mòò si nyè. » « Bèè ye silanna ne da nyè. » « Mòò si ka a lòn nyè, mòò si bilala n kò. N di a tii-tòò tinyè ne da la. N bèna a lamaloya... » Ce qui se traduit respectivement par: ● Il n’y a rien que moi je ne puisse dire à quelqu’un, quel que soit son rang social. ● Je n’ai peur de personne et brave impunément tout le monde. ● Au contraire, tout le monde a peur de mon audacieuse et médisante bouche. ● Celui qui ose m’outrager ou me combattre doit s’attendre de moi, dans le temps et dans l’espace, à une campagne systématique de critiques, de dénigrements et de moqueries sans limite. Il peut traîner dans la boue, sans aucun risque, tous ceux qui osent s’attaquer à lui, tous ceux qui osent le menacer... En effet, pédant, il a effectivement la langue très déliée pour faire avaler ses ragots à son entourage. Il manie aisément l’arme redoutable de la raillerie. Bien sûr, chacun peut le défier sur son terrain, mais il a toujours eu le dessus, car il ne manque jamais de diatribes et de sarcasmes réels et mêmes imaginaires contre sa propre personne qu’il n’épargne pas et fustige sévèrement. Pour désarmer ses détracteurs ou ses concurrents, il commence par se décrier luimême, par décrire avec acuité ses propres carences physiques, ses défauts... En compensation, il est très réceptif aux attaques, injures et moqueries des autres. Il est très pacifique. Il ignore et réprouve la violence; c’est pourquoi il ne se fâche jamais et ne se bat jamais. Chacun ménage ce moqueur imbattable et incorrigible en agissant tendrement avec lui ou en lui parlant avec circonspection. Il faut surtout éviter de se faire prendre en flagrant délit par lui au risque d’être mis au pilori. Une personne qui l’attaque s’avoue très vite vaincue devant ses critiques et ses sarcasmes justifiés ou non en disant: 868


« Dyòn ye a bilala, ile manamana mòò fè, I la sarantanya kana se ne ma, I la dabaya kana se ne ma, I tè maloya la mòò si ma... » Ce qui signifie: « On ne doit pas s’occuper d’un bon à rien comme toi, Épargne-moi de tes sarcasmes, Que ta médisante et grande gueule ne me salisse, Tu ne respectes personne… » Le sangban - tout comme le sòsòlikèla - est un justicier implacable qui n’hésite pas à mettre au pilori tout défaillant. Il est véridique et se singularise par son franc parlé incorruptible. Mais son rôle dans la société ne se résume pas seulement à dénoncer ou à critiquer les erreurs, les flagrants délits et les personnes coupables d’actes honteux, d’ignominies (incestes, coups portés au père, à la mère, aux oncles, aux tantes et aux vieux, injures à l’adresse du père de la mère, des beaux-parents, vols, crimes...). Il est aussi particulièrement sollicité dans les familles en deuil. Comme on le sait, toute mort est profondément ressentie et le deuil unanimement porté par toute la collectivité villageoise, au même titre que les proches parents du défunt. Pendant sept jours, voire d’avantage, selon l’âge et l’importance sociale du disparu, les repas affluent de toutes les familles vers la concession éprouvée. En guise de solidarité effective et pour preuve de compassion, la collectivité villageoise se charge d’accomplir bénévolement tous les travaux ménagers quotidiens ainsi que les travaux champêtres en cours des éprouvés pendant un certain temps. Aussi, les vieux du village se regroupent permanemment dans la case du père ou du doyen de la famille ou du clan éprouvé(e). De leur côté, les vieilles du village se rassemblent dans la demeure de la mère du défunt ou de la femme décédée. Ils reçoivent les parents, amis alliés... des villages voisins venus présenter leurs condoléances. Pour une longue durée, parfois quarante jours, toutes les distractions sont suspendues ou interdites dans le village. Mais par contre, le sangban vient spontanément, ou par sollicitation, tenir compagnie avec ces permanents (subon dalasiilalu) et passe tout son temps à raconter à gogo des histoires drôles qui décrispent, distraient, atténuent l’émotion et le chagrin et font oublier par moment le deuil. Il minimise la mort, magnifie le défunt, évoque ses meilleurs souvenirs et s’attache à rappeler le côté énigmatique de sa vie. En guise d’apaisement et de compassion, il rappelle certaines morts plus pénibles que la présente et amène ainsi les éprouvés à s’émouvoir moins et à accepter avec résignation cette perte (ka u nili). Après tout c’est la volonté de Dieu. En tout cas il réussit toujours à créer dans la famille éprouvée la bonne humeur par ses mille et une anecdotes. Le sangban est malgré tout un personnage très populaire qui draine toujours à sa suite de nombreux admirateurs qui restent longtemps accrochées à sa langue. Souvent invité à manger et à causer dans les familles, il n’hésite pas à 869


dénoncer les anomalies qu’il y constate personnellement ou qu’une victime lui souffle préalablement et subtilement à l’oreille. Censeur des mœurs, il constitue le grand défenseur de la moralité de chacun et de tous. Par crainte de ses remarques pertinentes et parfois incongrues, de ses représailles, de ses critiques et sarcasmes, chacun évite de se faire prendre en flagrant délit par lui. Parfois le sangban est un chansonnier, un musicien. Il est alors flanqué d’un disciple - son élève - qui soutient son argumentation, son éloquence, approuve sans réserve, reprend et amplifie tous ses propos en disant: « Hali! A kèla n nya na... » = « Naamu! » C’est-à-dire: « C’est exact, j’étais présent et pourrais témoigner partout où on voudrait mettre en doute tes allégations... » Il faut noter que le personnage du sangban confirmé s’incarne généralement dans une personne majeure, voire adulte ou vieille, car même si le mineur a des aptitudes intellectuelles et morale qui le prédisposent à jouer ce rôle, il se trouvera à court d’expériences personnelles vécues ou collectives transmises pour s’affirmer et s’imposer à tout le monde. Aussi, son jeune âge qui constitue un certain handicap l’oblige à se confiner momentanément dans le cercle de ses camarades d’âge, à modérer ses propos et à ménager, dans une large mesure, les vieilles personnes. Comédien (yèlènmako labòla), profondément enraciné dans la tradition, il est parfaitement bien cultivé et capable de répondre avec humour à toutes les questions qu’on lui pose. Il passe donc pour être un savant et un homme hautement cultivé qui connaît tout. On ne le prend jamais au dépourvu. Il a la réponse à toutes les questions, aucune question ne le surprend... « Kuma bèè dyabi bè a fè. » = « Kuma bèè dyabi ye a bolo. » (= Il peut répondre à toutes les questions. Aucune question ne le surprend.) « Kuma tè bara la nò. » (= Il n’est jamais surpris par une question.) Mais malheureusement on a tendance à ne retenir de lui que l’aspect comique et folklorique, car la comédie cache parfois son vrai visage de critique sociale, de censeur incorrigible et incorruptible des mœurs de sa société. Pour mieux cerner et comprendre toute l’importance de ce personnage à la fois singulier, grotesque, sérieux, vulgaire et complexe, nous allons nous appesantir sur quelques exemples concrets du comportement et des prouesses de quelques sangban légendaires ou modernes qui ont été nos contemporains en République de Guinée de 1958 à 1984 pour certains et dont d’autres vivaient encore en 2014.

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I) - UN EXPLOIT EXCEPTIONNEL DU PERSONNAGE MYTHIQUE ET LÉGENDAIRE: - SANGBANYA FODÉ - SANGBANYA FÉRÉ DIT TYÈNIN GBANANIN (= LE MALIN, L’IMPUDENT, L’ESCROC) Un jour, Sangbanya Fodé se rendit très tôt dans la cour royale pour y passer la journée, comme il en avait souvent l’habitude, chaque fois qu’il constatait une anomalie dans son environnement social. D’ailleurs, le Mansa l’y invitait assez souvent soit pour l’égayer par les nombreuses anecdotes riches et colorées qu’il ne finissait jamais de raconter. C’était donc à travers lui, que le chef arrivait à jauger le moral du peuple, à prendre le pouls du village, et du pays.. En effet, le sangban était le seul - avec les vieux, les oncles du roi ainsi que le sòsòlikèla et le sanankun (allié en plaisanterie) - qui, à tout moment, osait dire au chef ou au roi... ce qui n’allait pas dans la société, dans le village ou dans le pays. Il dénonçait systématiquement toutes les injustices et tous les maux dont souffrait le peuple ou tel individu impuissant et sans défense. Quand le Sangbanya Fodé venait chez le roi à l’improviste, celui-ci était toujours déconcerté, voire angoissé et ne sortait de cette impasse que seulement quand l’hôte incongru disait les raisons réelles de sa présence inopinée. En tout cas, sa présence spontanée présageait toujours un malaise social qui couvait et dont les conséquences imminentes seraient fâcheuses, tant pour le peuple que pour l’autorité. Pour mettre l’accent sur la gravité de la situation ou du fait qu’il voulait dénoncer, ou encore pour mieux troubler le roi ou le chef, il se présentait à celui-ci dans des habits portés à l’envers ou déchirés. Ce qui veut dire: « Dyamana bara nyaamin. » (= Ça ne va pas dans le pays. Le pays est à l’envers...) Il diagnostiquait le mal et des mesures concrètes de redressement suivaient toujours ses entretiens avec le mansa ou le tenant de l’autorité. On était en période de crise totale de miel et de sel dans le pays, alors que le mois de carême approchait. La pénurie préoccupait tout le monde; les ménagères étaient beaucoup peinées par cette disette, car les repas étaient si fades que tout le monde s’en plaignait. Avant d’aller chez le mansa (roi), Sangbanya Fodé avait fait le tour du village pour se procurer d’un peu de miel et de sel chez ceux qui avaient encore la chance d’en avoir. Pourtant il savait, comme tout le peuple, que la réserve royale était loin d’être épuisée. Le mansa remarqua vite Sangbanya Fodé parmi ses convives du petit déjeuner qui comprenait, ce jour-là de la bouillie très mielleuse et du riz bien aromatisé dont l’odeur appétissante embaumait la salle à manger. Inquiet, le mansa ne cessait de scruter le comportement de son illustre visiteur indélicat dont la présence lui causait un désagrément. Il l’invitait à manger dans le même plat que lui, car il savait que ce bouffon était venu lui annoncer une désagréable 871


nouvelle. Il perdait l’appétit et était pressé d’entendre ce porte-parole et défenseur du peuple. Sans rien dire et sans même prendre la peine de goûter la bouillie de miel, Sangbanya Fodé sortit de sa poche, sous le regard attentif du roi, une petite gourde de miel qu’il versa dans le plat. Il en fit autant - avec du sel - quand le plat de riz leur fut servi. Le mansa qui ne comprenait rien de cette mime énigmatique demanda des explications à son hôte qui l’incommodait. Un dialogue s’instaura entre eux. Le Mansa: « Pourquoi tu mets du miel et du sel dans les plats qui en sont déjà bien saturés? » Sangbanya Fodé: « Parce que je croyais que notre illustre et bien aimé Mansa manquait lui aussi de ces denrées de première nécessité, car le peuple en est privé depuis très longtemps. La disette est sensée être générale. Tout le monde doit en être frappé sans exception. » Tombant dans le piège tendu par son visiteur, le roi déclara inconsciemment: Le Mansa: « Moi, en tant que roi, je ne manque jamais de rien ici. Je mange copieusement. D’ailleurs comment veux-tu que moi, le roi, manque de l’essentiel? Pourquoi serais-je donc roi?... » Et Sangbanya Fodé (Sangbanya Féré) le visiteur répondit sans ambages avec commentaires: « Ah! Maître, nous ignorions que cette grave pénurie ne vous touchait pas. Mais sachez que le peuple aime autant que son roi - si non plus - le miel, le sel, les autres mets délicieux et toutes les bonnes choses. Il aime aussi vivre bien. Tout ce que le roi aime manger ne peut être qu’appétissant pour les pauvres (Fènfèn ka di mansa da, wo fana ka di fantan bèè da...). Malheureusement, les guerres déclenchées par notre mansa ainsi que ses grands travaux de prestige ont longtemps mobilisé le peuple qui n’a pu fabriquer et poser à temps les ruches, et aussi, par mesures de représailles motivées par notre agression contre les autres états, la route du sel nous est coupée par la coalition des chefs forestiers et côtiers. Aussi pour les mêmes raisons, les grands marchés hebdomadaires voisins sont interdits à nos populations, les échanges commerciaux ne sont plus possibles à cause de notre agressivité et de l’état de belligérance que vous entretenez. Un chef doit toujours se préoccuper du bien être moral et matériel de son peuple au risque de se faire dégoûter, haïr ou de se faire vilipender par celui-ci. En effet, l’amertume, le chagrin... qu’on éprouve à l’absence ou à la mort de quelqu’un sont à la mesure de la qualité et de la constance des bienfaits et services qu’il a rendus de son vivant aux autres (Tòònòò le bè nyadyi bòla...) ». Dès cette mise au point pertinente de Sangbanya Fodé, le mansa prit immédiatement l’initiative de se réconcilier avec ses voisins en vue d’assurer, dans les meilleurs délais, le ravitaillement régulier de son peuple tant en sel

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qu’en miel. Il décida depuis ce jour-là de vivre en bonne intelligence avec ses voisins afin que plus rien ne manquât dans son royaume. II) - SARA, LE SANGBAN POPULAIRE MALINKÉ DE KANKAN À l’image de Fodé Moudougbè décrit par le Professeur Lansiné Kaba dans son livre sur Cheick Fanta Mamadi Chérif de Kankan: « Il (Fodé Moudougbè ou Sara de nos jours) se plaisait de dire de manière insolite ce que les gens pensaient, mais n’osaient pas exprimer. » À Kankan, République de Guinée, vivait en 2015 un Sangban, octogénaire, très populaire, du nom de SARA. (47) En plus de sa fonction de crieur public, il y était considéré comme le porte-parole incorruptible du peuple de Guinée qui l’a adopté et dont il défendait audacieusement les intérêts et droits inaliénables. Il était le seul à oser dénoncer ouvertement, sans être inquiété, les tares du régime révolutionnaire, totalitaire instauré par feu Sékou Touré en Guinée, depuis l’indépendance en 1958 à jusqu’à sa mort en 1984. Humoriste réputé pour ses anecdotes riches et variés, Lanfia Kouyaté dit Sara n’épargnait personne. Il faisait le procès du Président Sékou Touré et de tous les dignitaires de son régime. L’abus de pouvoirs et les défauts personnels du Président Sékou Touré étaient sa cible préférée. D’une manière plus subtile, feu Sory Kandia Kouyaté, célèbre chantre, poète et compositeur guinéen, a aussi fait le procès du même régime à travers ses chants et adaptations des anciens airs populaires de l’épopée mandingue qui, sans esprit de discernement subtile, passent à priori pour des éloges. Absolument couvert par l’immunité dont bénéficie tout sangban, Sara dit cruellement et tout haut ce que les autres disent tout bas pour une raison évidente de sécurité dans un régime aussi autoritaire que celui instauré en Guinée. En pays mandingue, le sangban dit et fait ce qu’il veut. Un chef ou toute personne qui le sanctionne témoigne de sa tyrannie ou de sa médiocrité. Un chef ne se rabaisse jamais au niveau de ce personnage vulgaire, bouffon qu’on traite d’un bon à rien et que certains assimilent à un fou. Oui, Sara était le fou du village qu’on écoutait attentivement mais qu’on ne pouvait ni blâmer ni sanctionner pour ses propos, si virulents ou piquants soient-ils. Ses propos, quelle que soit leur teneur, n’entraînaient aucune conséquence pour lui ou pour ceux qui l’écoutaient. Le chef ou la personne à qui il adressait son message ne pouvait que l’accepter et en tirer si besoin était des leçons. Un jour Sara eut l’honneur d’être invité à Conakry, la capitale guinéenne, par le Président Ahmed Sékou Touré. Venu de Kankan, sa résidence, par avion pour la première fois, au frais de son auguste hôte, Sara fut reçu, sur sa demande, avec beaucoup d’égards, et séjourna au palais présidentiel. Le Président voulait certainement se délasser de ses multiples charges, car on sait que Sara est synonyme de bonne humeur, de rire à gogo... de sagesse mais aussi 873


de critiques acerbes à peine voilées. Pour marquer le coup dès le premier contact et pour dénoncer la persistance de la crise de vêtements, Sara prit soin, malgré les multiples tentatives de dissuasion des siens, de s’habiller en haillons et porta des sandales rapiécées ici et là dont un pied était coupé et différent de l’autre. Donc il marchait clopin-clopant. Cet avant-goût fit tiquer le président et son service de protocole. Aussi, dès son premier petit déjeuner en compagnie du Responsable Suprême de la Révolution, la « Première Tête du Pays », Sara mit à profit cette ultime rencontre pour rester fidèle à sa vocation, à son image satirique et sarcastique en dénonçant certains malaises sociaux, certaines anomalies dont souffrait le peuple qu’il défend et dont il traduit les sentiments les plus profonds. Il avait pris soin d’apporter discrètement de Kankan quelques morceaux de sucre que certains privilégiés avaient fait venir clandestinement des pays voisins. À table, il s’attira le regard attentif du Président qui n’avait d’yeux et d’oreilles que pour ce personnage burlesque. Sara sortit donc de sa poche quelques morceaux de sucre, de la marque française Saint-Louis très prisée, qu’il mit dans sa tasse de café, pourtant le sucrier en était bien plein. Pour répondre à la question du Président sur la signification de son geste, Sara fit comprendre qu’il était particulièrement friand du café au lait bien sucré. En venant chez le premier magistrat du pays, il avait demandé à ses amis et parents de l’approvisionner en sucre car, pensait-il que l’intérieur du pays était le reflet de la capitale et de la Présidence de la République Populaire et Révolutionnaire qui ne pouvaient s’accorder des privilèges matériels et frustrer le peuple laborieux du minimum vital. En effet, comme le sucre manquait totalement à l’intérieur du pays depuis des mois, il était donc certains de ne pas en trouver à la présidence; cette parabole ou cette mime dénonçait au Président de la République une grave et persistante pénurie de cette denrée de première nécessité. La crise fut encore plus désastreuse pendant le mois de carême musulman, période où la consommation de sucre est doublée voire triplée dans les familles. Cette intervention de Sara fut bénéfique, car elle amena le Président Sékou Touré à prendre conscience de la gravité de la crise alimentaire qui frustrait le peuple. Des mesures pratiques et urgentes furent prises aussitôt par le gouvernement pour enrayer - du moins provisoirement - la disette de denrées alimentaires. Revenant sur son accoutrement bizarre, le Président lui demanda pourquoi il lui fit l’injure de se présenter à lui dans un état si piteux. Sara qui ne manque jamais de réponse déclara, sans ambages: « Présidan! N b’a fè i ka fanisanyòrò do lòn, a fò n nyè, n di wa do san. Ka bò Kankan fo Conakry, fani tè yòrò si. Wole ka kè n ka n na fani kòrò n na barinin bila n kan na... » Ce qui se traduit par: « Président, pouvez-vous m’indiquer où on peut acheter des habits? De Kankan à Conakry, je ne sais où acheter des habits, 874


puisqu’on n’en trouve nulle part. À défaut d’habits neufs, je suis obligé de me contenter de mes vieux habits usés, déchirés et raccommodés... » Sara était par conséquent obligé de porter des habits crasseux en attendant, comme toujours promis, que les bateaux déversent leurs cargaisons de marchandises diverses ou qu’on construise des usines capables de satisfaire les besoins vitaux du peuple. Ce message fit comprendre au Président Sékou Touré que son peuple était dans l’impérieux besoin de se vêtir décemment et de manger à satiété. Les carences et les crises étaient souvent si aiguës, si persistantes et si récurrentes que parfois le peuple regrettait la parenthèse coloniale surtout que l’abondance régnait dans tous les pays voisins de la Guinée qui avaient voté OUI! lors du référendum organisé par le Général Charles de Gaule en 1958, contrairement à la Guinée qui était seule à voter NON! et qui par conséquent avait accédé à la pleine souveraineté nationale. Par cette parabole subtile Sara voulait tout simplement informer le Président que le sucre manquait à la population. Il voulait ou souhaitait donc que le minimum vital soit assuré au peuple de Guinée. C’était une invite à l’adresse du Président Sékou Touré afin que celui-ci puisse se pencher sur les souffrances de son peuple. Sara, dans ses flagorneries, avait dit aux Kankanais qu’il les obligera un jour à l’accueillir massivement avec tous les honneurs dus à un chef d’État. Évidemment personne ne pouvait croire à une telle prétention fantaisiste. Au cours d’une de ses causeries avec le Responsable Suprême de la Révolution, le subtile et délicat étranger demanda à celui-ci un service ou un honneur. Évidemment, le Président était curieux de savoir de quel servir s’agissait-il? Et Sara de répondre: « Présidan! N b’a fè i ye n bila avion kònò n kòsegin-waati Kankan, ani ka fò Kankankalu ye ko ile natò avion kònò. Ni wo kèla, dyama di bò ka n na bèn. Nko Kankankalu ye nko n di alu lò n ni Sara labèn lon dò. Ayi ka nyani ko fa bara bila Sara lò. Ni i ka wo kè n ye, wo di diya n ye, wo di n kunnayelen Kankan kònò... » En voici la traduction: « Président! Je souhaite que vous me faites retourner par avion à Kankan tout en ordonnant aux Kankanais que vous viendrez leur rendre visite avec un de vos hôtes de marque à qui vous souhaitez réserver un accueil chaleureux à Kankan. Ils m’ont traité de fou après leur avoir tenu ces propos lors d’une de mes causeries. La réalisation de ce projet sera un grand honneur pour moi et une grande victoire qui me permettront de me moquer toujours des Kankanais qui sont très prétentieux. Évidemment, cet étranger sera votre Sara. Et tous les Kankanais, massivement mobilisés comme d’habitude, seront surpris et étonnés de constater que ce n’est ni le Président en personne et ni un étranger qui débarquent de l’avion mais que c’est leur vulgaire Sara qu’ils accueillent avec tant d’honneur. Ainsi, j’aurai gagné mon jeu et mon pari... » Et le Président souscrivit à cette doléances. Pour répondre aux consignes données par le Président, les autorités administratives et politiques de Kankan prirent toutes les dispositions pour 875


honorer le Président et sa délégation. Mais quand l’avion s’immobilisa, quelles furent grandes la surprise et la déception de la foule en apercevant et en reconnaissant Sara tout blanc vêtu agiter, comme le Président Sékou Touré, le mouchoir blanc traditionnel, imitant celui-ci dans ses grands gestes de salutations en levant les bras en l’air agitant imperturbablement un mouchoir blanc pour répondre aux ovations de la foule des militants. Évidemment Sara avait joué et gagné. Bien sûr; il se fit couvrir d’injures par la population les jours suivants. La foule se démobilisa. Et chacun rejoignit son domicile très déçu du tour joué et réussi par Sara avec la complicité du Président. La découverte de cette scène de moqueries et de foutaises fit rapidement le tour de la ville. Comme cela ne fut possible avec la complicité de l’incontestable Président fut digérée par tout le monde. Évidemment, le triomphaliste Sara continua imperturbablement ses moqueries en direction des Kankanais qui n’eurent de réponses que de l’insulter. Ainsi donc, Sara continua ses sarcasmes en leur disant: « Je n’ai fait que ce que j’avais promis de faire. En tout cas cette fois-ci vous avez perdu la face et vous ne pouvez que m’insulter pas plus. Je remercie le Président pour sa bonne compréhension pour m’avoir prêté pour un instant son fauteuil et ses prérogatives. Walahi, presidanya duman (= Ha! Que c’est bon d’être Président). » Et la vie continua, car les Kankanais étaient obligés de digérer la farce... Au terme donc de sa visite à Conakry, Sara fut comblé de cadeaux divers, notamment des habits, par le Président et les dignitaires de son régime. En prenant congé il déclara à son illustre hôte: « Presidan, i barika! Barika! I bara ne ta di, n bara wasa, a to ni dyama le ta ma sinèn. Dyama kònkònin; fariya bè dyamadenlu bèè la ka tambi ne Sara la. » Ce qui se traduit par: « Président, merci beaucoup. Vous avez certes donné ma part. Je suis comblé de cadeaux et honoré en plus. Je suis donc gratifié et ravi, mais il vous reste à présent à donner celle du peuple tout entier qui est tout aussi nécessiteux, sinon plus que moi. En tout cas, ce que j’ai reçu est insuffisant pour que tous les Guinéens en reçoivent de moi. Le peuple est certes plus affamé et moins vêtu que moi. » Par ailleurs, la Voix de la Révolution (Radio Guinée) diffusait très souvent sciemment ou par inadvertance une bande enregistrée de Sara sur laquelle il osait clouer au pilori le Président Sékou Touré en décriant ses défauts dont entre autres: son autoritarisme, son absolutisme, le culte de la personnalité qui le fascinait tant, son excès d’orgueil, son manque de magnanimité et sa rancœur envers ses opposants politiques, son obstination même dans l’erreur... Mais le message profond de critique acerbe de Sara se noyait subtilement dans la bouffonnerie et échappait à l’entendement de beaucoup de gens qui ne retenaient que le côté flagornerie. Entre autres pamphlets, il disait: « Farafin bèè yèn ko ile Seku Ture ko min dòn, alu si lòn ko tè a rò. Fènfèn ka fò ko a ka Seku Ture lòn, a wuya fuu. Ayi bè a diya, wo tè i mina sa la. 876


Ayi bè a goya, a fò i mina tuma bara sera. Ayi bè a diya, wo tè i mina sa. Ayi bè a goya, wo yèrè duman i la dooni, I di se ka i yèrè kòròsi. » Ce qui se traduit respectivement par: « Tous les noirs sont impuissants devant le mythe Sékou Touré. Personne n’y comprend rien et ne peut rien contre lui. Celui qui prétend connaître Sékou Touré se trompe gravement, car il est impulsif et imprévisible dans ses décisions et comportements et dans ces relations. Si vous êtes son ami, son confident ou son collaborateur, vous n’échappez pas pour autant aux purges, aux arrestations et à un jugement sommaire, sans avoir droit à la défense. Et si vous êtes son ennemi déclaré, vous êtes à sa merci et vos jours sont comptés. D’ailleurs si vous bénéficiez de ses faveurs, vous êtes en liberté surveillée ou provisoire et vous serez condamné tôt ou tard à disparaître, seul et unique moyen de vous faire taire. Pour vous réduire à néant ou pour vous faire disparaître définitivement. Dans ce cas, il vaut mieux être en désaccord avec lui, car en homme averti, vous pouvez prendre tôt vos distances et précautions appropriées pour ne pas être pris... » C’était une dénonciation sévère de la dictature aveugle, du non-respect des droits de l’homme, de la liberté de parole et d’action de ses citoyens ou de ses compatriotes... Ce message satirique profond entrecoupé d’humour échappait à l’entendement et à l’analyse des gens et surtout du régime révolutionnaire autoritaire guinéen qui était pourtant très susceptible et réprimait énergiquement et très souvent avec violence la moindre critique, la moindre contestation, la moindre contradiction. Personnellement, Sékou Touré était très allergique à la contestation, aux critiques... qu’il réprimait toujours avec la dernière énergie. Les séries de complots réels ou imaginaires des vingt-six années de règne sans partage de Sékou Touré avaient entraîné des purges sanglantes le témoignent éloquemment. Les flagorneries l’envoûtaient et le poussaient souvent à prendre des mesures extrêmes dans l’un ou dans l’autre sens. Sur la même bande sonore, Sara renchérit: « Hali i ma fèn sòrò Séku Turé tile min dò, Ni ko tè i ni la, a fò Al’hamdulilahi, I ka kan ka Ala tando... Séku Turé tè dòòla mòò si ma kèlèbolo ma. Mòò si man bò, mòò si man bò a la minali ma, Dennin, muso, tyè, mòòbakòrò, mòò karanin, Mòò karanbali, faama, fèntii, fantan... fènfèn ni i birala 877


a la, a di ko latòn a tii la; a di a tii mina ka a latunun... » Ce qui signifie: « Être moralement ou matériellement malheureux sous le règne de Sékou Touré n’a rien d’étonnant, puisque la misère du peuple est le résumé du bilan de son règne, Mais être en liberté ou en vie est providentiel, voire miraculeux. Il faut dans ce dernier cas dire: Al’hamdoulilahi!, Et remercier le bon Dieu de sa protection divine... En tout cas Sékou Touré ne minimise aucun opposant, Aucun contradicteur ou contestataire. Il réprime avec violence toutes velléités de résistance, D’opposition, de contestation tant soit peu Manifestées par une personne, qu’elle soit Enfant (mineur), femme, homme majeur ou vieux, s’il y a fauté. » Sara va plus loin en déclarant, toujours à l’adresse du Président Sékou Touré: « A di i layèlè sanfè. A di ban lon kelen ka i ladyii bèè nya na. Ka i lamaloya ka a ma sòrò konin fitini fè. Ni i diyara a nyè, i di diya bèè nyè. Ni a ka i kèlè, bèè di i kèlè. Ni a ka ila yèlè sanfè dununya nya na. Ni alu kèlèla, kèlè banna tè sòrò. I di goya bèè nyè, bèè di ka ban i lò. O tuma i le ko ye Ala kelenpe le bolo... » Ce qui signifie: « Il (Sékou Touré) est capable, simultanément et impulsivement de vous hisser au pinacle de la gloire devant tout le monde, De vous dégrader et de vous traîner dans la boue pour un rien. S’il vous aime, tout le monde vous adopte. Mais aussi si vous perdez sa confiance, ses faveurs, tout le monde vous évite, vous boude, vous lâche et vous renie. Si vous êtes en désaccord avec lui, ou si vous êtes mis en disgrâce, personne ne vous fréquente et n’ose intervenir en votre faveur en vue d’une réconciliation ou d’un pardon de sa part. Vous êtes automatiquement mis en quarantaine. Dans ce cas, vous êtes condamné à disparaître, tôt ou tard, Seul la Providence peut vous sauver... » Sara était très informé sur tout ce qui passait dans la cité. Il était la boîte de Pandore qui enregistrait tout pour ensuite déballer la substance sur la place publique. C’est ainsi que les brimés et les victimes d’abus d’autorité venaient 878


nuitamment ou discrètement se confier à lui et il devenait ipso facto leur défenseur. Dans ses causeries du lendemain ou des jours suivants, qui drainaient toujours du monde, il en parlait et critiquait l’acte en parabole ou souvent directement, sans aucun risque, et fustigeait les auteurs de ces exactions. Il joua parfaitement bien ce rôle de censeur de conscience. Il n’épargnait ni sa propre personne, ni celle de son père, de sa mère et des dignitaires du pouvoir politique en place. On l’écoutait avec attention, car c’était bien lui seul en Guinée qui osait critiquer et dénoncer, sans aucun risque de sanction, les anomalies et les tares du Président Sékou Touré et de son régime. Son genre, en raison de son utilité sociale et politique, est à créer et à tolérer. Le personnage du sangban est plus efficace qu’un parti politique d’opposition dans un système démocratique. Le sangban est un véritable censeur de conscience incorruptible, implacable, inattaquable et incorrigible. Recréons et mettons à l’honneur la pratique du sanankunya et du sangbanya pour harmoniser, sans violence, la vie dans nos villes et villages, dans un esprit de tolérance réciproque et d’acceptation mutuelle de l’autre d’en face avec ses différences culturelles. UN EXPLOIT EXCEPTIONNEL ET RIDICULE DE SARA À KANKAN Lors d’un séjour du Président Ahmed Sékou Touré à Kankan, et au cours d’une réunion des responsables et militants du PDG-RDA de la section locale du parti, Sara aurait audacieusement apostrophé ou invectivé le Responsable Suprême de la Révolution Guinéenne de la manière dont il était le seul à faire en Guinée sans aucun risque. Parfois le Président Sékou Touré donnait la parole au peuple lors des meetings qu’il appelait « Conférence de la bouche ouverte » au cours de laquelle les citoyens et les militants pouvaient de dénoncer publiquement les tares de son régime et surtout les abus d’autorité des agents de l’administration et les responsables politiques véreux. Mais attention! aux dérapages verbaux directs à l’endroit de sa personne. Toutefois, ses collaborateurs directs et les fonctionnaires n’étaient pas épargnés, sans conséquences immédiates. Mais il arrivait à certains plaignants de subir, après le départ fu Président, une certaine persécution de la part des agents dénoncés. Mais un tel comportement était sévèrement puni, car l’accès du Président était facile, et le citoyen persécuté pouvait remonter au Président par lui-même ou personne interposée, le calvaire qu’on lui faisait subir. Celui-ci avait toujours réagi violemment contre les auteurs d’un tel esprit de vengeance. Cette pratique du contact direct et permanent avec le peuple lui permettait de prendre régulièrement le pouls de la situation et de prendre en temps opportun ou par anticipation des mesures punitives contre les cadres coupables d’abus d’autorité et de malversations. Ainsi Sékou Touré, qui était régulièrement à l’écoute de son peuple, n’était jamais surpris par les évènements à l’intérieur du pays. Son bureau était ouvert à 879


tout moment. Chacun avait la possibilité de le voir. Les services du protocole de la Présidence organisaient les audiences du Président sans aucune discrimination. Lors d’un de ses séjours à Kankan, Sara se serait adressé au Président en ces termes audacieux. Cet entretien aurait eu lieu dans une permanence (salle de réunion du PDG-RDA, pleine à craquer, de la section locale de Kankan): Sara: « Président, j’ai envie de vous demander une confirmation, mais j’ai peur de votre réaction et d’une sanction exemplaire que je pourrai subir de vous ou des responsables politiques et administratifs de Kankan... » Sékou Touré: « Mais, Sara, mets-toi à l’aise. Pose la question sur tout ce que tu veux ou sur tout ce que tu veux savoir, sur tout ce qui t’embarrasse... » Sara: « Président, j’ai appris qu’un certain Tidiane s’est jeté sur vous dans votre voiture de commandement et est parvenu à vous terrassé devant votre hôte de marque. Vous avez été heureusement aidé par un de vos amis président en visite à Conakry qui occupait la même voiture que vous au moment de l’agression. Est-ce vrai que c’est ce président qui vous a sauvé? En tout cas vous lui devez votre salut et votre vie sauve... » La mine du Président changea brusquement, et sur un ton très grave, impératif et menaçant il demanda à son interlocuteur désemparé en martelant les mots: Sékou Touré: « Sara!... Qui... t’a... dit... ça…? » Sara qui s’attendait bien à la foudre, à la pire réaction légitime et publique et spontanée du Président, fut inspiré, car il fallait bien donner obligatoirement sa source d’information. Sara, pensif, perplexe, cherchant à sauver sa tête, répondit: Sara: « Président, c’est bien ce que je craignais... C’est bien vous qui m’avez autorisé à parler devant tout ce monde ici présent... » Sékou Touré: « Sara, dis-moi donc le nom de la personne qui t’a dit de telles insanités, de telles contre-vérités, de tels propos contrerévolutionnaires... » Mais notre sangban populaire qui ne se jamais surpris par une question, par une situation, fut fortement et spontanément inspiré répondit pour sauver sa peau: Sara: « Président, regardez bien autour de vous et dans la salle, la personne qui ne rit pas est mon informateur... » Et bien sûr, le Président se mit aussitôt à scruter attentivement la salle, dans l’espoir de découvrir le fameux et audacieux informateur de Sara, c’est-àdire la personne qui ne rit pas. Mais, curieusement, ministres, gouverneurs, préfets, sous-préfets, responsables politiques du Bureau Politique National, responsables politiques de la localité, même les simples citoyens ou militants et les fonctionnaires de l’administration présents dans la salle se mirent tous à rire, à l’exception de Sara et du Président Sékou Touré, pour ne pas être repéré par le Responsable 880


Suprême de la Révolution comme étant à la source de l’information blasphématoire et subir les conséquences de la colère du Timonier. En effet il faut éviter de rappeler les déboires du Président, surtout devant ses sujets. Sékou Touré n’a jamais digéré cette scène humiliante qu’il a vécue et subie devant son hôte de marque, le Président Kenneth Kaunda de Zambie, et devant son peuple massivement mobilisé sur plus de 15 kilomètres pour la circonstance pour donner à cet illustre hôte la mesure de sa popularité. Mais puisque tout le monde riait obligatoirement aux grands éclats dans la salle, personne ne pouvait, dans ce cas, être indexée, accusée ou soupçonnée, et subir la colère foudroyante du Président Sékou Touré, Responsable de la Révolution, le Timonier, le Guide Éclairé de la Nation... La prospection pour déceler cet informateur audacieux n’ayant rien donné, le Président se tourna vers Sara en lui disant: Sékou Touré: « Mais Sara, tout le monde rit aux grands éclats dans la salle…, » déclara le Président. Sara réagit en ces termes: « Non! Président! Regardez bien attentivement, car la personne en question que vous cherchez se trouve bien dans la salle… » Sékou Touré enchaîna: « Je ne vois personne qui ne soit pas en train de rire. Dans ce cas je te demande de m’indexer toi-même cette personne... » Sara continua de rouler le Président en disant: « Cependant l’informateur que vous cherchez se trouve bien dans la salle… » N’ayant pas découvert la personne qui ne riait pas dans la salle, le président déclara: « Décidément tu continues à te foudre de moi… » Sara conclut ainsi le dialogue que toute la salle suivait avec attention et attendait le dénouement final de ce baroud avec beaucoup d’interrogations et d’inquiétudes, car on ne savait pas que si en dépit de ce rire obligatoire commandé ou discipliné Sara pouvait accuser quelqu’un dans la salle. Pour cette raison, tout en continuant ce rire obligatoire ou commandé, chacun était inquiet d’être désigné par le sangban comme étant ce fameux informateur pour sauver sa tête. Et Sara de continuer son manège: « Président, puisque dans la salle il n’y a que vous et moi qui ne rions pas, c’est donc incontestablement vous qui êtes mon informateur ou c’est moi Sara qui le suis ou qui ait inventé cette histoire qui n’est d’ailleurs pas fausse car au moment des faits toutes les radios et presses écrites du monde en ont suffisamment parlé. En tout cas ou c’est vous ou c’est moi. Dans ce cas de figure ne continuons plus à chercher mon informateur dans la salle, car il n’y est pas. » La salle se décrispa subitement, respira à pleins poumons et tout le monde se mit à rire aisément, car Sara avait pleinement réussi à ridiculiser le Responsable Suprême de la Révolution sans aucun risque, devant tout ce monde. 881


Aucune autre personne n’aurait osé tenir un tel discours ou un tel dialogue avec le Responsable Suprême de la Révolution sans avoir de gros ennuis ou sans être arrêtée et condamnée sévèrement. Sékou Touré conclut la séquence en ces termes: « Sara, ou tu mens ou alors tu te moques de moi. Décidément tu continues à te foudre de moi. Dans ce cas tu n’es qu’un imbécile. Arrête donc ce genre de jeux. Ce sujet est très grave et très sensible pour qu’on en parle de cette manière aussi légère. On ne doit pas blaguer avec cet évènement. Ne sais-tu pas qu’il s’agit de ma vie, de ma dignité et de mon honneur qu’une canaille a bafoués? J’ai été humilié publiquement par la cinquième colonne qui doit payer très cher pour cette forfaiture que je n’admets pas. » Tout Kankan fut étonné de la manière dont Sara a impunément ridiculisé le Président Sékou Touré. Ce personnage vulgaire au physique frêle, handicapé physique (borgne), mais dont les propos étaient toujours piquants et funestes. Il était intouchable et de surcroît au-dessus de la loi, car il se trouvait au bas de l’échelle de la société, et à ce niveau personne n’osait se mettre à son niveau et croiser le fer avec lui. Le sanctionner ou répondre à ses sarcasmes était insensé et vile de la part de ceux qu’il invectivait ou offusquait. Il était donc incorruptible, incorrigible et par-dessus tout, au-dessus de la loi, donc exempte de sanctions. Il pouvait tout dire, critiquer impunément tout le monde, y compris le chef, sans aucun risque de sanctions. En guise d’information il faut rappeler qu’un certain Tidiane Keita, l’agresseur qui avait attenté à la vie du Président Sékou Touré, fut immédiatement tué par les services de sécurité du cortège présidentiel et la concession du père du délinquant, à Madina, fut systématiquement rasée par les bulldozers, sur instructions des autorités politiques et administratives, quelques jours après la forfaiture. Mais est-il normal ou juste de rendre les parents responsables des actes d’un leurs enfants majeurs coupables d’un acte répréhensible, si grave soit-il? Nous pensons que non, car l’individu ou le délinquant majeur doit être seul à assumer la responsabilité et les conséquences de ses actes. Cette mesure extrême visant à inquiéter ou à punir les parents du délinquant devait dissuader les candidats potentiels à un tel acte suicidaire. C’est ainsi que Sara, le sangban populaire de Kankan, échappa à de sévères sanctions et réussit à imposer un rire discipliné à tout le monde, disons un rire commandé, un rire forcé, tout en ridiculisant le Président Sékou Touré avec humour. C’est ainsi aussi qu’il put décontracter l’atmosphère, calmer la colère du Président et ridiculiser les habitants de Kankan. Puisque le personnage de Sara est si vulgaire, personne ne doit se rabaisser en se mettant à son niveau. Mal habillé, chétif, maladif, borgne de surcroît, il était considéré comme le fou du village dont on ne devait sanctionner ni les actes, ni les dires. Le Président comprit que c’était tout simplement une mise en scène du sangban populaire qu’on ne doit pas ni insulter, ni emprisonner, car ce serait se ridiculiser soi882


même. Cette page fut alors simplement tournée pour continuer la réunion ou la conférence sur le thème du jour. En effet cette séquence ridicule était de la griffe de Sara qui est au-dessus de la loi. Par la suite, Sara se moqua amèrement des gens de Kankan auxquels il avait prédit qu’un jour qu’il obligera tout Kankan à rire obligatoirement. « N ka a fò ayi nyè n ko n di Kankankalu bèè layèlèn la. Ne bara wo kè... » (= « J’ai promis ici que j’obligerai un jour tout Kankan à rire de façon spontanée et disciplinée. Personne ne m’a cru. Mais je viens de réussir ce pari. C’est bien ce rire générale et obligatoire des Kankanais qui a sauvé Kankan. Ce jour-là, qui pouvait refuser de rire...? Personne! ») C’était bien le genre de SARA. Oui! ainsi promit, ainsi fait. Pour une question évidente de sécurité personnelle, tous firent ce sourire commandé et discipliné pour échapper à la vindicte du Responsable Suprême de la Révolution. Sara a été capable de de monter beaucoup de scènes ridicules dans son Kankan natal. Il a chaque fois réussi à ridiculiser les dignitaires locaux du régime, les notables de la cité. Il n’a épargné personne de ses sarcasmes sans aucun risque de sanction. Il a été de tous les temps un censeur féroce et incorruptible du pouvoir et un défenseur inconditionnel et permanant des faibles. Il a toujours dénoncé les tares de la société et les abus de pouvoir des autorités politiques et administratives de Kankan et de la Guinée. Sachons une fois encore que les chefs n’aiment pas qu’on rappelle leur défaite ou qu’on fasse allusion à leur faiblesse, à leur défaillance... Vous risquez dans ces cas de subir la pire colère de leur réaction. Souvent les témoins oculaires des situations incongrues qu’ils subissent ou vivent paient de leur vie leur indiscrétion. Donc sachez tenir votre langue quand vous parlez des chefs. Les chefs sont allergiques au rappel de leurs défaillances, de leurs échecs, de leurs mésaventures sentimentales et militaires. En le faisant vous compromettez votre liberté et votre vie. Tout le monde n’est pas sangban comme Sara pour bénéficier d’une telle liberté de langage sans aucun risque. Qui en dehors de Sara pouvait oser rappeler les déboires du Président Sékou Touré qui était foncièrement allergique à la contradiction et à la contestation publiques. Rappelons encore que cet évènement malheureux a effectivement eu lieu à Conakry lors d’une Visite d’État du Président Kenneth Kaunda de Zambie. Tidiane, l’agresseur, fut immédiatement abattu sur les lieux par les services de sécurité du cortège présidentiel. Évidemment cet acte d’élimination prématurée du délinquant fut désavoué par le Président Sékou Touré. Il fallait arrêter Tidiane Keita, l’interroger pour expliquer les motivations de son acte si besoin dénoncer les auteurs et les complices du complot. Mais la mort de Tidiane a brouillé toutes les pistes devant permettre de mener une enquête rigoureuse et saine. En tout cas le Président Sékou Touré n’a jamais digéré cette humiliante 883


scène qu’il a vécue et subie devant son hôte de marque, le Président Kenneth Kaunda de Zambie, et devant son peuple mobilisé pour la circonstance pour donner à cet illustre hôte la mesure de sa popularité. NÉCROLOGIE LANFIA KOUYATÉ DIT SARA, L’ICÔNE, LE SANGNBAN POPULAIRE, L’AMUSEUR PUBLIQUE, LE FOU DU VILLAGE, LE CENSEUR INCORRUPTIBLE DES CONSCIENCES, DES NANTIS, DES DETENTEURS DU POUVOIR POLITIQUE, ADMINISTRATIF, JUDICIAIRE, DES CHEFS DE FAMILLE, DES CHEFS DE CLANS ET DU SOTII KÈMÒÒ, LE BAROMÈTRE DE LA SOCIETÉ MANDINGUE DE KANKAN A RENDU L’ÂME LE DIMANCHE 28 MAI 2017 À KANKAN À L’ÂGE DE 85 ANS

Photo de Lanfia Kouyaté dit Sara, le sangban ou l’humoriste populaire de Kankan. Borgne, philosophe, bouffon toujours mal /habillé, Sara de Kankan était le prototype du sangban. Vulgaire en apparence, mais profond dans ses paraboles, il était très populaire et drainait toujours des foules qui écoutaient attentivement, dans les coins des rues, ses « sornettes » et ses sarcasmes qui étaient toutes profondes et dénonciatrices des tares de sa société. Sara disait tout haut ce que les autres pensaient ou disaient tout bas. Il noyait toutes ses critiques dans des railleries qui amusaient son auditoire qui ne se lassait jamais de l’écouter (photo du Professeur Gnagna Morikè Sidibé, enseignant chercheur à l’Université de Kankan).

« EN RAISON DE SON FRANC PARLER INCORRUPTIBLE ET DE SES CRITIQUES AUDACIEUSES À L’ENDROIT DES PUISSANTS, DES NANTIS ET DE TOUTES LES AUTORITES, NE FAUT-IL PAS CRÉER UN AUTRE SARA POUR COMBLER LE VIDE QUE LANFIA KOUYATÉ A LAISSÉ? »

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Lanfia Kouyaté dit Sara, le sangban populaire de Kankan, en 2015. À 82 ans, il vivait en 2015 très malade et totalement démuni à Kankan. Son genre existait partout dans la société traditionnelle mandingue. Ses sarcasmes n’épargnent ni sa propre personne, ni celle des rois, ni celle des nantis, ni celle des pères de famille. Critique social très vigilant et très acerbe, il dénonçait toutes les tares de la société avec humour. Pour mieux distraire et retenir son auditoire, il entrecoupait ses causeries par des chansons populaires ou par ses propres compositions musicales, soutenues ou agrémentées par sa guitare à trois cordes. Il était souvent accompagné d’un jeune joueur de tam-tam. Chaque phrase de Sara était une satire subtile qui mettait au pilori les tenants du pouvoir, les nantis... Il dénonce toutes les tares de la société. Le sangban jouit d’une totale immunité. Personnage singulier et très vulgaire qu’on reconnaît par son accoutrement très souvent bizarre. Certains sangban sont même des handicapés physiques qu’on ne doit ni insulter ni frapper, ni mettre en prison et ni inquiéter à cause de leurs propos si piquants soient-ils. Aussi, répondre à leurs attaques, si piquantes soient-elles, si virulentes soient-elles, c’est se rabaisser. Le sangban est parfois invité par des nantis et les chefs pour animer des causeries nocturnes, car il connaît beaucoup d’anecdotes et informe les tenants du pouvoir sur ce qui ne va pas dans la société. Ce sont de véritables baromètres qui permettent de jauger le moral du peuple ou de prendre le pouls de la cité. Il est souvent sollicité dans les maisons mortuaires pour apaiser les cœurs et adoucir les humeurs et les chagrins. Il jouit donc d’une totale liberté de parole et d’une totale immunité. Sara est mort en 2017 à Kankan dans une dénouement total, mais il a marqué ses contemporains par son humour piquants et par ses dénonciations intempestives et réserves des tares de sa société. Un tel personnage doit être toléré et créé et même institutionnalisé car il a joué pleinement et efficacement le rôle de contre-pouvoir efficient (photo du Professeur Gnagna Morikè Sidibé, enseignant chercheur à l’Université de

Kankan). 885


III) - EL HADJ SORY KANDIA KOUYATÉ, LE PLUS GRAND CHANTRE MODERNE DE L’ÉPOPÉE MANDINGUE Le plus grand et le plus célèbre griot moderne de l’épopée mandingue. Poète, chanteur interpréteur des airs anciens mandingues et grand compositeur inspiré des airs nouveaux et des chansons d’amour de la musique moderne mandingue, philosophe, historien chroniqueur aux récits savoureux du peuple mandingue, chorégraphe… Sory Kandia Kouyaté connaissait parfaitement bien l’histoire de tous les royaumes mandingues depuis le moyen âge… Il a porté la musique et l’épopée mandingues au plus haut niveau de la perfection. ► Par ses compositions, ses arrangements des airs mandingues anciens et nouveaux, ► Par sa parfaite maîtrise de tous les instruments traditionnels de la musique mandingue qu’il savait jouer avec dextérité, ► Par sa rhétorique savoureuse et exceptionnelle, ► Par sa berceuse voix incomparable de ténor et de soprano, ► Par sa musique mélodieuse et envoutante, ► Par son inspiration, ► Par ses improvisations de chants et de pas de danse alertes ► Par sa prestance majestueuse sur scène, ► Par son charme et son élégance… SORY KANDIA KOUYATÉ, l’artiste fut, simultanément, la vedette des Ballets Africains de Keita Fodéba, des Ballets Africains de la République de Guinée, Directeur des Ballets Dioliba de Guinée, directeur de l’ensemble instrumental traditionnel de la Radio-Guinée …. Durant toute sa carrière de gloire il a émerveillé les salles de spectacles archicombles d’Afrique, d’Europe, d’Amérique, d’Asie… Sory Kandia Kouyaté fut incontestablement, « NOTRE IMMORTEL HOMÈRE MANDINGUE » QUI FAIT PARTIE DESORMAIS DE NOS CÈLÉBRITÉS AFRICAINES INOUBLIABLES maîtrisant parfaitement bien tous les instruments de musique mandingue, il connaissait aussi l’histoire des peuples de l’Afrique occidentale et a pu réconcilier les peuples malien et voltaïque (burkinabé) qui étaient engagés dans une guerre fratricide meurtrière, stupide et ruineuse, grâce à la magie des mots ou plutôt du verbe ainsi que par à sa musique mélodieuse soutenue par des ses chansons patriotiques anciens ou improvisés, composés spontanément pour la circonstance par lui dans lesquels il vantait les vertus du dialogue pour résoudre un conflit au lieu de faire inutilement des orphelins et des veuves innocents, sans oublier les importants dégâts matériels irréparables.

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Là où la diplomatie traditionnelle a lamentablement échoué, SORY KANDIA KOUYATÉ a réussi à faire taire miraculeusement les canons des deux belligérants. Oui! ● Par sa voix envoûtante, ● Par la saveur de sa musique soutenue par des récits historiques des deux peuples, l’artiste émérite a réussi par miracle à réconcilier ces deux peuples belligérants là où ont lamentablement échoué: ● La diplomatie traditionnelle, ● Les institutions africaines (CEDEAO, OUA) et ● Le Conseil de Sécurité des Nations Unies, n’ont pu faire arrêter le baroud d’honneur stupide. Peut-on oublier aussi ses nombreux chants d’amour dont la volupté berçait tant les amoureux…? N’est-ce pas lui, le seul griot, qui, par la subtilité de la rhétorique dont il avait le secret, réussit à n’insulter ou à médire du mal, à peindre sévèrement par des métaphores et sans risque, sur scène et sur disques agréés, les caractères durs ou la personnalité du Président Ahmed Sékou Touré, à travers « des chants apparemment laudatifs », tels que, entre autres, Souaressi… dont celui-ci n’a jamais pu comprendre ni le vrai sens, ni la portée et ni les métaphores alors qu’il était très susceptible et très allergique aux critiques, à la contestation et à la contradiction. SORY KANDIA KOUYATÉ a subtilement comparé Sékou Touré à une vipère à neuf têtes et à une hyène affamée. La morsure d’une vipère à une seule tête n’est-elle pas mortelle à fortiori celle d’une vipère à neuf têtes. Aussi, une hyène affamée n’arrange rien de bon dans nos comptes et légendes, quand surtout elle est affamée. « S’il prend un opposant, il ne le lâche que dans la tombe », d’où son caractère cynique, intolérant et vindicatif. Cette métaphore lui aurait coûté sans doute la vie si le Responsable Suprême de la Révolution avait compris le vrai sens de ses chants ou la profondeur de sa pensée. Cet artiste incorruptible du peuple qui n’a jamais voulu se prostituer pour avoir le bonheur matériel que son art aurait pu lui procurer ailleurs, était, par sa modestie, très peu enclin à l’argent et au matériel. C’est ainsi qu’il refusa de s’exiler et accepta, malgré sa célébrité , de vivre humblement dans la précarité, avec sa famille dans un certain dénuement dans une villa sobre et austère à la SIG-Madina, dans la banlieue de Conakry dont il a chanté le charme pendant la nuit surtout, que « La Radio-Guinée » fait passer régulièrement sur ses antennes , tous les jours à midi, depuis des décades… Ce griot du peuple, Sory Kandia Kouyaté, est donc immortel… Hommages, Gloire et Honneur à Sory Kandia Kouyaté!

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III A) LES SATIRES SUBTILES DE SORY KANDIA KOUYATÉ (48) Sory Kandia Kouyaté, le plus illustre griot moderne mandingue, a été découvert dans les années 1950 par Fodéba Keita, fondateur des célèbres Ballets Africains qui ont véhiculé la culture africaine, notamment mandingue, à travers tous les continents après la fin de la deuxième guerre mondiale. Cet oiseau rare était un jeune adolescent perdu dans les montagnes du Fouta Djallon de Dalaba où ses parents résidaient. Dès son intégration, Sory Kandia redynamisa cet ensemble aux dimensions internationales, grâce à ses créations et interprétations des chants et airs anciens dont entre autres: Nina (chant d’amour) Malisadio (chant de fidélité dans l’amour pur, dans l’amitié fidèle sincère et désintéressé entre les personnes de mêmes sexes ou de sexes différents ou entre les personnes et les animaux) Toubaka (une mélodie pour les amoureux) Dyandyon (qui chante la gloire des preux) Duga ou Duwa (qui magnifie la bravoure) Lamban, Souaressi Etc.... qu’on peut appeler l’épopée mandingue. Par patriotisme, Fodéba Keita mit à la disposition de la jeune République de Guinée en 1959 ce prestigieux ensemble qui était le porte flambeau de la culture africaine de par le monde entier. Devant l’engouement massif de la jeunesse guinéenne vers la chose culturelle dont la conséquence fut l’éclosion de nombreux talents artistiques. La création, le contrôle, l’orientation et la structuration des ensembles artistiques furent décidés par les autorités politiques et administratives. C’est ainsi que Sory Kandia fut détaché des Ballets Africains pour créer en 1965 un second ensemble appelé « Ballets National Dioliba » avec le concours de Harry Belafonte, grand artiste américain, créateur du calypso. Les troupes théâtrales et artistiques germèrent partout en foisonnement en Guinée. Chaque année, une trentaine de troupes étaient engagées dans une compétition qui les opposait pendant la quinzaine artistique qui les rassemblait à Conakry, dans toutes les disciplines. Les meilleurs troupes et artistes, repérés dans les villages et les quartiers, étaient honorés et primés. La préparation de cette confrontation mobilisait pratiquement toute l’année les jeunes des différents villages, quartiers et villes de la République. Devant ce foisonnement de troupes et d’artistes, Sory Kandia, après avoir lancé les Ballets Dioliba, fut sollicité pour prendre la direction de l’Ensemble Instrumental Traditionnel de la Radio Nationale qui rassembla les meilleurs artistes (chanteurs, compositeurs, instrumentistes locaux). Sory Kandia réussit à revaloriser et à redynamiser nos instruments traditionnels et nos mélodies ancestrales avec le précieux concours des Kadé Diawara (avec Wouloukoro, Malisadio en solo ou en duo avec Sory Kandia Kouyaté...), Diéli Mamoudou Kandé (auteur du morceau « NON! au référendum de 1958 », les paroles mandingues de l’hymne national, 888


« Armée guinéenne », « Loi fondamentale »...) et tant d’autres. Ici Sory Kandia confirma son talent dans l’interprétation et la vulgarisation des mélodies de l’épopée mandingue qu’il porta à un niveau de perfection jamais égalé. Il faut citer, entre autres: Dyandyon, Malisadio, Toubaka, Souaressi, Sakhodougou, Makalé, Dyarabi, Lamban, Sòrònkono Dyila Basanno, Boloba, Kanbelenba, Conakry... qui sont des chants d’amour, de guerre, de réjouissances populaires qui nous replongent dans le Mandingue médiéval de Soundjata Keita et dans l’épopée de l’Almamy Samory Touré, le plus illustre résistant noir à la colonisation française. SORY KANDIA KOUYATÉ, LE CHANTRE DE L’EPOPÉE MANDINGUE

La photo majestueuse du plus illustre chantre mandingue moderne qui, par la magie du verbe, a réussi à finir la guerre entre le Mali du Président Moussa Traoré et la HauteVolta du Président Sangoulé Lamizana. Sur scène, Sory Kandia Kouyaté symbolisait la prestance, l’élégance… dans ses boubous en bazin magnifiquement brodés. Ces deux pays étaient engagés dans une guerre fratricide stupide et ruineuse que la CEDEAO, l’OUA et le Conseil de Sécurité de l’ONU et les démarches de la diplomatie moderne et traditionnelle n’avaient pu faire taire les canons, arrêter la guerre et créer la paix entre les deux belligérants. Honneur à Sory Kandia Kouyaté qui avait pu réconcilier les deux belligérants par la puissance du verbe, dans la salle archicomble du Palais du Peuple de Conakry appelé, depuis, « LE TEMPLE DE LA PAIX ».

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Avec sa voix inégalée, sa grande maîtrise des instruments traditionnels, sa forte personnalité irrésistible, sa maîtrise de la scène, sa forte et profonde inspiration, sa réussite dans les improvisations sur scène, la subtilité de ses satires qu’il noyait subtilement dans les louanges, notamment dans Souaressi, Kanbelenba… de par son charme, sa beauté, sa prestance majestueuse sur scène, son humilité… Sory Kandia Kouyaté mérite le droit de cité au panthéon des illustres artistes et griots de la musique mandingue qui ont toujours dit la vérité, soudé les familles, les clans, les villages et les pays par la puissance et l’éloquence de leurs verbes et par l’envoûtement que produisait leur musique sur l’auditoire. Aussi, parmi les censeurs de conscience et les critiques des travers des chefs et de la société, Sory Kandia Kouyaté, en tant que chantre guinéen regretté, cerne et renforce astucieusement, mieux que quiconque, la vrai image du Président Sékou Touré dans des paraboles satiriques subtiles imprimées sur disques par Syliphone. (49) Ses chants sont à la fois éloges et satires acerbes et subtiles. HOMMAGE DU PEUPLE AU GRIOT: LA STATUE DE SORY KANDIA KOUYATÉ AU CARREFOUR DE LA COMMUNE DE MATOTO À CONAKRY

Une stèle non bâtie officiellement au nom de Sory Kandia Kouyaté au carrefour de la Commune de Matoto (Conakry). La population de Conakry a même baptisé ce carrefour « CARREFOUR SORY KANDIA KOUYATÉ » sans cérémonie et ni discours parce que cette stèle ressemble au physique de l’artiste chantre.

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Le griot jouant la cora, l’instrument à vingt-un cordes dont l’apprentissage pouvait durer sept ans dans le Mandingue antique. La population de Conakry pense que cette statue représente Sory Kandia Kouyaté.

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III B) À PROPOS DES CHANTS « LAUDATIFS » DE SORY KANDIA KOUYATÉ Ses chants sont à la fois éloges et satires acerbes et subtiles. Ils sont donc un couteau à double tranchant. En raison de leur mélodie captivante, émouvante et de leur profondeur, aucun cœur sensible ne se lasse jamais de les écouter. Mais en plus de la mélodie savoureuse, il faut savoir écouter attentivement sa musique pour pénétrer la profondeur de ses phrases, de ses mots et de sa pensée qui en disent toujours long. Il faut donc savoir lire entre les lignes, entre les sons, entre les mots, et entre les phrases de Sory Kandia Kouyaté pour mieux comprendre les messages qu’il diffuse. En effet, si Sara dilue ses sarcasmes et critiques acerbes dans des anecdotes et des bouffonneries, la portée réelle du message satirique de feu Sory Kandia Kouyaté se dilue subtilement dans des éloges. En plus de ses chants laudatifs en faveur du Président Sékou Touré et de ses chants d’amour, Sory Kandia Kouyaté, à l’image de Dièly Kaba Soumano, un autre chanteur malinké octogénaire de Kankan, laisse très subtilement en entre filet, ou entre les lignes, des paroles et des qualifications ou qualificatifs très obscènes et blasphématoires qui, apparemment ne sont que des éloges mais qui, avec seulement un peu d’attention et d’esprit critique, se révèlent être de violentes satires incomprises. Écoutez entre autres le disque « Souaressi » et vous entendrez ici et là Kandia dire à l’adresse du Président Sékou Touré: 892


« Ayi ma i lòn de, ayi ma i lòn, Na Minata Fadiga den. (50) Ole ye a kèla alu ye tolonna i la. Ayi ma i lòn, kanbelenba. (51) Ayi ma i lòn, farafina nama! (52) Ayi ma i lòn, suluku suntò! (53) Ayi ma i lòn, tulusa kun kònònto. (54) Ayi ma i lòn, wole ye a kèla alu ye tolonna i la. Ni i ma mòò lòn, ni i ka a balo di i lakari. Na ka i mina, a tè i bila fo denka rò... » (55) Ce qui peut se traduit respectivement par: « Le connaissez-vous (Le connaissez-vous bien)? Ce fils de Na Minata Fadiga (Nom de la mère de Sékou Touré) Le connaissez-vous bien? C’est un Kanbelenba (= un bandit, un truand, un immoral...) (49) Le connaissez-vous bien? C’est le dangereux fauve blessé d’Afrique. Le connaissez-vous? (50) C’est une hyène affamée (qui n’arrange rien de bon...) (51) Le connaissez-vous bien? C’est une vipère à neuf têtes! (Imaginez la morsure d’une vipère à neuf têtes, quel danger!) (52) Oui! On peut inconsciemment éduquer ou servir une personne ou un ennemi qui peut un jour vous abattre en exploitant vos secrets et vos faiblesses... Connaissez-vous bien ce fils de Na Minata Fadiga? Car s’il vous attrape, il ne vous lâche que dans la tombe... » (53) C’est-à-dire que tout opposant arrêté est condamné à la mort. En effet très peu d’opposants politiques arrêtés ont pu sortir vivants des geôles de Sékou Touré. Ce message est considéré par inadvertance comme une adulation, alors qu’il est plutôt médisant, bien qu’il traduise une certaine vérité évidente illustrée par les multiples et sanglantes purges qu’a connues la Guinée pendant les vingtsix ans de règne sans partage du Président Sékou Touré. Sory Kandia Kouyaté est resté humble, digne, authentique. En dépit de sa mauvaise condition de vie dans sa modeste maison de la SIG-Madina à Conakry, il ne s’est jamais prostitué pour avoir de l’argent. Il est resté soudé à son peuple qui l’a en retour tant aimé et qui l’a adopté. Il aurait pu s’exiler et vivre dans l’opulence avec ses droits d’auteur sur ses disques et cassettes. Le peuple de Guinée n’oubliera jamais ce chantre de la musique et de l’art mandingues qui a eu, en 1969, le Prix Charles 893


Gros de France. Sa musique est douce, captivante et mélodieuse qu’on ne cesse ou qu’on ne se lasse jamais d’écouter tout comme ses paroles profondes, émouvantes, paraboliques, satiriques et amoureuses. Pourra-t-on comprendre et cerner suffisamment toute la profondeur, toutes les subtilités des messages de ce célèbre chantre de l’épopée Mandingue? En tout cas les linguistes, les musicologues, les sociologues, les historiens et autres chercheurs doivent se pencher sur la signification réelle de ses chants, de ses mélodies. En tout cas les thèmes qu’il aborde sont si variés et si nombreux qu’ils méritent d’en faire des sujets de maîtrise et de doctorat par nos chercheurs. III C) L’INCROYABLE RECONCILIATION SPECTACULAIRE ET INATTENDUE DU MALI ET DE LA HAUTE-VOLTA (BURKINA FASO) PAR SORY KANDIA KOUYATÉ, LE 10 JUILLET 1975 AU PALAIS DU PEUPLE DE CONAKRY ----------o---------LA PUISSANCE ET L’EFFICIENCE DE LA PAROLE DES GRIOTS MANDINGUES POUR ENVÉNIMER OU RESOUDRE LES CONFLITS OU « L’EFFET DE LA PAROLE ET DE LA MUSIQUE SUR LES CŒURS SENSIBLES AU MANDINGUE » ----------o---------Sory Kandia Kouyaté, illustre chantre de la musique, des épopées et de la poésie mandingues a joué un rôle exceptionnel dans le processus de réconciliation du Mali et de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) qui étaient en guerre pour une question territoriale. Plusieurs tentatives de la CEDEAO et de l’OUA furent vaines pour réconcilier les Présidents Moussa Traoré du Mali et Sangoulé Lamizana de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso). Les armées de ces deux pays sahéliens étaient engagées dans une guerre de reconquête territoriale. C’est alors que le Président Ahmed Sékou Touré offrit ses bons offices pour mettre les deux belligérants autour d’une même table afin d’enterrer la hache de guerre et faire l’économie d’une querelle fraternelle et d’une guerre superflue et ruineuse. C’est ainsi qu’en juillet 1975 les deux belligérants furent invités à Conakry pour une dernière tentative de réconciliation. Inspiré par la sensibilité africaine et fondant tout son espoir sur l’efficacité des griots dans l’incitation au pire, et leur capacité dans la banalisation des causes des altercations et dans la recherche des solutions d’un conflit, si grave soit-il, sachant donc que le griot est capable de réconcilier deux ennemis jurés par la magie des mots. Le Président Sékou Touré invita les délégués des deux belligérants à un spectacle artistique et culturel au Palais du Peuple, temple de la culture africaine et de la paix, pour une consultation. Le but de cette soirée 894


africaine était d’adoucir les nerfs et d’assouplir les positions par la musique et les chants avant d’engager les pourparlers le lendemain. Il faut préciser qu’avant le spectacle Sory Kandia Kouyaté, ce chantre de l’épopée Mandingue, avait solennellement promis le miracle au Président Sékou Touré en ces termes: « Sinbo! Ni Ala sònna, bi, n di kèlè nin ban bèè nya na Palais kònò. N di wo kè bi n benba Sulakata tòò lò. N di wo kè bi dununya bèè nya na. Bèè di fadenya, siinyòònya kèlè ani badenya kèlè nin ban tòò di i ma. Ni Ala sònna kèlèban nin kunnayelen di i ma. Badenya di tuun bi, muu tè kuma butun... » Ce qu’on peut traduire par: « Simbon! (nom des grands chasseurs capables de faire du miracle), grâce à Dieu, je parviendrai à réconcilier ces deux belligérants, ce soir devant le public du Palais du Peuple. Grâce aux bénédictions et la force des mots et des enseignements de mon aïeul Soulakata, je le ferai de façon inattendue et spectaculaire et le monde entier vous reconnaîtra le mérite et l’honneur de cette réconciliation des frères ennemis. Et les canons ne tonneront plus... » Cette nuit-là, le chantre Sory Kandia Kouyaté était effectivement programmé pour se produire avec son ensemble instrumental de musique traditionnelle et d’autres troupes artistiques. Avec sa guitare, Kandia monta sur la scène pour pincer la sensibilité et l’émotion africaines avec sa voix de ténor percutante et captivante, dans une éloquence verbale sans égale qui lui était propre et dont lui seul avait le secret. Sachant qu’en Afrique chacun aime entendre parler des éloges de ses ancêtres, il évoqua le règne célèbre et pacifique de tant de prestigieux rois mossi et d’empereurs, de rois et de princes mandingues dont Soundjata Keita, empereur du Mali, le vaillant et preux Touraman Traoré, ancêtre de Moussa Traoré, à travers les anciens airs mandingues tels que Dyandyon, Douga, Touraman, Kèlèmansa bon tè la koronyala, Boloba, Sòrònkono... auxquels aucun Mandingue ne peut rester indifférent. Sory Kandia entonna les louanges des anciens héros mandingues ponctués de sages conseils et de leçons que l’expérience de la vie pratique et l’histoire n’ont jamais démentis. Accompagné par les virtuoses des instruments traditionnels de l’ensemble instrument de « La Voix de la Révolution », la radio guinéenne, dont il était le Directeur, et qu’animaient le chœur des meilleures cantatrices de Guinée, drapé dans son ensemble de grand boubou traditionnel en bazin magnifiquement brodé qui lui donnait de la majesté et de la prestance déclara: « Alu ye ayi tolo malò n na bi kuma koro la. » (= Ayez l’amabilité et la patience d’écouter et de comprendre le sens de mes paroles d’aujourd’hui.) « N di ko kelen fo alu nyè bi. » (= Sachez que ce que je vais vous dire aujourd’hui n’est pas à négliger en raison de son intérêt.) 895


« Alu ye a lòn ko kèlè man nyi. » (Sachez que la discorde et la guerre ne sont pas bonnes.) « Badenya-kèlè ani fadenya-kèlè man nyi. » (= La guerre fratricide détruit les nobles sentiments fraternels.) « Kaninyòònya-kèlè man nyi, a ye gbundo le farala. » (= La discorde des amis est préjudiciable aux deux parties, car elle divulgue les secrets respectifs.) « Siinyòònya-kèlè man nyi; a di si lòòbèya. » (= La mésentente entre deux voisins est dommageable aux deux parties, car ils sont obligés dans ce cas de vivre dans la méfiance.) « Benbaliyaso benbaliyaso bèè ye lon kelen tonbon ne di. » (= Toute cité où règnent l’incompréhension, la discorde et l’intolérance est en puissance une citée en ruines.) « Alu ma fèn ani hèrè min sòrò bèn kònò, kèlè tèna wo dila alu ma. » (= Le bonheur que la paix, l’entente, l’amour, le dialogue et la tolérance ne vous procurent pas, ce ne sont pas la méfiance, la haine et la guerre qui vous le donneront.) « Fèn min duman i nyè, kèlè ye wole tinyèla. » (= La guerre ne gâte que ce que vous aimez le plus, que ce que est le plus cher.) « Kèlè tè maloyalafèn fuyi si ma. » (= La guerre n’épargne pas vos plus belles, vos plus importantes et mémorables réalisations.) « Kèlè di se ka i dentyè kelen faa. » (= La guerre peut arracher à votre affection votre unique fils, votre unique héritier, votre espoir.) « Kèlè di se ka i sèènò bèè tinyè lon kelen pe. » (= La guerre peut, en quelques instants, détruire ce que vous avez bâti patiemment pendant des années, pendant toute votre vie.) « Ayi ma lòn ko kèlè ye mòòlu kèla bènbèn di, ka mòòlu kè faritani di, ka musolu kè firinyatò di? » (= Ne savez-vous pas que la guerre fait des gens sans abri, des affamés, des orphelins et des veuves?) « Alu ye a lòn ko kèlè man nyi. » (= Savez donc que la guerre n’est pas une bonne chose eut égard à ses conséquences néfastes?) « Alu ye a fè ka alu la dyamana tinyè? » (= Voulez-vous donc détruire vos pays respectifs?) « A kèla nyanyama, kèlèkèla fila bèè di dò sòrò tinyèli lò. » (= En faisant le bilan d’une guerre, d’un affrontement, chaque belligérant subit des pertes, si moindres soient-elles. Personne ne s’en sort totalement indemne, matériellement, moralement ou physiquement.) « Ayi kana sòn ka ayi la dyamana kè ta la. » 896


(= N’acceptez pas d’être devant l’histoire responsable des malheurs de votre pays, de le mettre à feu et en sang, de le détruire.) « Alu kana sòn wo ma. » (= Non! vous n’accepterez pas une telle responsabilité qui ternit votre image devant l’histoire.) « N di a fò alu nyè ko bi. » (= Je vous redis encore aujourd’hui que:) « Bènbaliya ye worola fitina le la. » (= L’incompréhension engendre le conflit destructeur.) « Fitina ye worola balawu le la. » (= Le conflit engendre le désastre irréparable.) « Balawu ye worola kèlè le la. » (= Le désastre engendre le chaos.) « Kèlè ye worola tinyèli le la. » (= La guerre engendre la désolation.) « Tinyèli ye worola nimisa le la. » (= La désolation et le gâchis engendrent les regrets de n’avoir pu éviter le malheur, les pertes matérielles et les vies, les blessés et blessures morales et matérielles.) « Alu ye ni bila, alu ye dyusu bila. » (= Abandonnez tout ce qui provoque la méfiance, la haine dans l’intérêt supérieur de vos peuples respectifs.) « Alu ye ayi la siinyòònya lakafò, ka ayi la badenya lòòdiya, ka siinyòònya lòòdiya. » (= Engagez le dialogue franc pour sauver et cultiver l’esprit de fraternité et de bon voisinage.) « Alu ye kèlè bila. » (= Abandonnez la guerre qui ruine tout et détruit tout.) « Alu ye ayi bolo dòn nyòòn bolo, alu ye a lòn ko si tè ban kèlè lò. » (= Donnez-vous la main pour vous tolérer et vous accepter réciproquement par le dialogue franc et constructeur afin de mieux cohabiter.) « Ayi ka hèrè munde sòrò kèlè min nò? » (= Qu’avez-vous gagné de bon dans cette guerre?) « Ni ayi ka a lòn ko ayi ma fèn min sòrò hèrè kònò, ni ayi ma wunanfagi min sòrò bèn kònò, kèlè tèna la wo dira alu ma. Kèlè tè fo si dila kèlèmòò ma, kèlè ye tinyèli le kèla... » (= Si vous savez que le bien-être et le vrai bonheur ne se procurent et ne se conservent durablement que dans la PAIX, vous n’allez pas vous aventurer dans la GUERRE ruineuse qui détruit tout ce qu’il y a de beau, tout ce qu’il y a de précieux...) « Alu kana bò yan bi, an na bèn bon kònò, an na hèrè bonba min kònò ani an na sutarabon bonba min kònò fo kèlè nin bara ban. » 897


(= Vous -ne sortirez aujourd’hui de ce TEMPLE DE LA PAIX qu’après avoir enterré définitivement la hache de guerre en signant « la paix des braves », dans laquelle il n’y a ni perdant et ni gagnant. Et l’histoire africaine retiendra à votre actif ce mérite, ce courage, ce réalisme et ce patriotisme qui serviront d’exemple à suivre et inspireront les générations futures pour résoudre par la sagesse et le dialogue les différents conflits internes et externes.) Après ces satires émouvantes et leçons de sagesses que l’auditoire a pieusement écoutées dans un silence absolu, dans un recueillement total, dans une parfaite communion d’idées, seule la voix mélodieuse de Kandia se faisait entendre. Puis ce chantre national, illuminé et inspiré, s’adressa directement et tour à tour à chacun des deux présidents protagonistes, pour mieux les sensibiliser. C’est ainsi qu’il fit les éloges et chanta les exploits des empereurs mandingues et la sagesse des rois mossi au pouvoir plusieurs fois séculaire. Il s’adressa d’abord au Président Moussa Traoré, le jeune frère (primauté du droit d’aînesse oblige le cadet à faire profil bas au Mandingue), et lui déclara: « Ho! Prince mandingue, digne héritier de Soundjata, du paisible mais redoutable Touraman et d’autres héros mandingues, ne savez-vous pas que la guerre n’épargne rien, détruit tout et tue des innocents? Oh! Digne descendant de Touraman, avez-vous la mission de détruire ce que vous n’avez pas construit? Pouvez-vous fouler au sol les principes sacrés de bon voisinage édictés par la charte de Kurukan Fuwa? Est-ce pour cela que le vaillant peuple du Mali vous a-t-il choisi? Non! Vous ne pouvez faire le malheur de votre peuple que votre illustre ancêtre Touraman a aimé, servi et défendu. Touraman Traoré a eu la noble réputation d’être pacifique, donc farouche partisan du dialogue... Il a toujours arrangé les conflits par le dialogue. Oui! Touraman, votre illustre ancêtre, de qui vous descendez, a toujours privilégié le dialogue au détriment de la force. Pour lui, le recours aux armes n’était que la dernière solution. Pour lui, seul le dialogue franc et sincère devait prévaloir dans un conflit. Pourquoi ne voulez pas ressembler à votre ancêtre? Vous ne saurez donc vous engager dans cette voie du déshonneur et de la violence. Ressaisissez-vous donc, Prince mandingue, pour limiter les dégâts dans votre cité, dans votre pays et chez votre voisin qui n’est qu’un frère. Levez-vous et venez serrer la main de votre grand frère devant Simbon (Ahmed Sékou Touré), devant ce public du Temple de la Culture et de la Paix qui sera le témoin de votre humilité, de votre noblesse, en acceptant d’enterrer la hache de guerre, non par peur, mais par sagesse. Je sais que le digne fils du Mandingue que vous êtes respectera sûrement et publiquement ce principe sacré au Mandingue. Lève-toi et vient serrer la main de ton aîné qui attend ce geste noble et qui est prêt à t’accueillir à bras et à cœur ouverts... » Puis, il se tourna vers le Général Sangoulé Lamizana, l’aîné, en déclarant: « Quant à vous, Président Général Lamizana, le grand frère, vous 898


avez été dignement défendre la paix et l’intégrité du territoire national français lors de la noble et patriotique guerre de résistance que la France a livrée à l’envahisseur allemand. Avez-vous donc appris la guerre que pour venir endeuiller votre peuple, vos frères et vos voisins? Pourquoi ne faitesvous pas la paix chez vous et avec vos voisins qui ne sont que des frères. Dites donc non à la guerre fratricide et contre vos voisins... I ban badenya-kèlè ma. I ban siinyòò-kèlè ma. Avez-vous consulté l’honorable et pacifique Moro Naaba pour engager votre laborieux et paisible peuple dans une stupide et incertaine guerre? Non! Vous vous êtes trompé en prenant une telle grave décision. Ressaisissez-vous maintenant pour éviter l’irréparable. Ressaisissez-vous aussi pour rester à l’image fidèle des pacifiques, inoffensifs, dociles et laborieux peuples Mossi, Dafing, Samo… qui ne demandent qu’à vivre en paix. Mossi ne signifie-t-il pas source, graine, semence de l’humanité? Voulez-vous détruire la semence de l’humanité? Ne vous a-t-on pas appris que le Mossi n’est célèbre que dans le travail et a vaincu la nature que par son travail ardu? Suivez donc la noble et sage voie des Moro Naaba, car la guerre ne construit pas un pays, mais le détruit. Donc déposez et enterrez définitivement votre hache de guerre qui ne doit plus faire tomber de têtes. Acceptez, au nom de ton peuple, la main tendue de votre jeune cadet au nom de son peuple... ◙ Acceptez publiquement la humble démarche de votre cadet, devant nous qui sommes les dignes fils du vaillant peuple du 28 septembre 1958, soyez impérativement à l’écoute des peuples africains qui vous suivent depuis que vous êtes en Guinée et au nom de ton vaillant peuple voltaïque, N’écoutez plus vos belliqueux et capricieux cœurs, ◙ Écoutez ceux qui vous dissuadent de faire taire les canons, ◙ Engagez le dialogue, en sortant de ce Palais que je baptise à partir d’aujourd’hui « TEMPLE DE LA PAIX », ◙ Acceptez bien, dis-je, la main tendue de votre jeune cadet au nom de son peuple et du tien et que vous êtes obligés de respecter et d’accueillir, car après l’échec cuisant de vos génies militaires réciproques, de vos tactiques de guerre acquises sur différents de guerre et dans les académies militaires et de la puissance de vos canons et de vos chars de combats, après tant de morts et de blessés de part et d’autre, ◙ Je vous demande humblement d’être sensibles aux maux et souffrances de vos peuples respectifs et surtout de consoler ces nombreux handicapés physiques, ces veuves et ces orphelins, ◙ Limitez dès aujourd’hui les dégâts matériels irréparables en déposant purement et simplement les armes au profit d’une concertation ouverte et inclusive, car il n’est encore tard, ◙ Soyez grand par la tolérance et non par la violence, ce prix symbolique, car ce sacrifice qui n’est pas cher à payer vous permettra 899


d’épargner vos efforts financiers que vous devez orienter vers les chantiers du développement économique et social et la réalisation des infrastructures sociales. ◙ Cette UNIQUE voie de la sagesse vous permettra d’instaurer une indispensable ET DURABLE PAIX DES BRAVES entre vos pacifiques peuples et faire l’économie d’une guerre FRATRICDE stupide et ruineuse. ■ Sachez que dans une guerre il n’y a pas de gagnant qui n’aie eu la moindre perte en vie humaine, sans la moindre perte matérielle, sans blessés ni morts... ■ Entendez l’appel du modeste griot mandingue, que je suis, et dont le devoir et la mission sacrée sont de cultiver la paix entre les individus, entre les familles, entre les clans, entre les villages et entre les pays… ■ Acceptez tout ce que je viens de redire insuffisamment après mes ancêtres: ► Soulakata Kouyaté, le fidèle compagnon du Prophète Mahomet, ► Balla Fasséké Kouyaté, le célèbre mentor, le conseiller et ambassadeur de l’Empeur Soundjata Keita, ► Morifindian Diabaté, ami et conseiller de l’illustre Empereur et Résistant Almamy Samory Touré… ► Quelle fierté et quel honneur pour moi de constater qu’avec des mots, ma guitare et ma troupe artistique j’ai pu faire taire les canons et réconcilier deux pays en guerre. Je suis par conséquent le griot le plus flatté et le plus honoré du monde pour avoir eu la chance d’être écouté, compris et suivi par ces illustres personnalités que vous êtes, dans un conflit aussi grave, que des voix plus autorisées et importantes que la mienne n’ont pues réunir pour leur faire entendre la raison et faire taire les canons. N’est pas là l’efficacité de la palabre africaine que nous devons cultiver et enseigner aux générations futures? ► Honorez aussi votre auguste Dyatii, le Président Ahmed Sékou Touré, l’homme du 28 septembre 1958, le Héros de l’indépendance de l’Afrique, ce grand patriote et l’infatigable artisan de l’unité de l’Afrique qui vous a fait venir ici pour mettre fin à cette guerre en proposant un compromis salutaire et honorable pour tout le monde et en tenant compte du bien-fondé de ces quelques faits historiques insuffisamment rappelés, des mots de sagesse et de patriotisme que je viens de dire à votre attention et des sages recommandations de mon auguste maître. Ainsi donc, Vous: ■ Général Sangoulez Lamaizana, ■ Général Moussa Traoré, ■ Ahmed Sékou Touré ■ Et moi-même, votre modeste griot mandingue, dépositaire des traditions mandingues,

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■ Entrerons tous dans l’histoire africaine par la grande porte et resterons immortels dans la mémoire collective des peuples africains pour avoir par grandeur et par réalisme réconcilié deux pays frères, deux peuples voisins et mis fin à un baroud d’honneur stupide et ne pas continuer le jeu des pyromanes, les marchands d’armes et les ennemis de l’Afrique. ■ En tout cas l’histoire africaine retiendra et s’inspirera de notre exemple pour gérer et traiter les conflits éventuels. ■ OUI! à la PAIX DES BRAVES que vous allez conclure cette nuit ● Devant Simbo (surnom du Président Sékou Touré), ● Devant le peuple de Guinée et ● Devant toute l’Afrique qui, plein d’espoir, a les yeux tournés vers Conakry pour suivre la signature de cette PAIX DES BRAVES que l’histoire vous reconnaîtra pour toujours… ■ NON! aux conflits fraternels et à la guerre qui détruit tout, même les plus belles réalisations et les vies humaines. ◙ Arrêtez donc définitivement cette guerre ou ce baroud d’honneur stupide et dès cette nuit pour le bonheur de vos paisibles populations qui ont plus besoin de développement économique que de guerre, plus besoin de tracteurs que de chars de combats, de mitraillettes et de grenades… » Puis, il se tourna vers les deux belligérants et continua, imperturbablement à répéter avec insistance, car la répétition dans nos civilisations orales n’est jamais de trop ou superflue, à donner, en guise de conclusion, de nombreux et sages conseils en ces termes: « I ban badenya-kèlè ma, I ban fadenya-kèlè ma, Benbaliyaso benbaliyaso bèè ye lon kelen tonbon ne di. Tònòò tè kèlèla. I kana son kèlè ma mumè. An benbalu ka ayi la siikè bènnen rò... » Ce qui se traduit par ou signifie: « Refusez catégoriquement la guerre fratricide car toute citée d’incompréhension, de sournoiserie, de susceptibilité et d’intolérance n’est que ruine en puissance. Toute guerre n’est que perte matérielle et perte en vies humaines. Nos ancêtres et nos grands-parents ont su se tolérer dans ce pays commun à nous tous que nous ne devons pas détruire. Nos ancêtres ont réussi en leur temps à régler leurs conflits par le dialogue, sous l’arbre à palabres et rarement par la force des armes. Ne savez-vous pas que toute cité où règnent l’incompréhension, l’intolérance, la haine, la guerre... n’est que ruines en puissance (Benbaliyaso benbaliyaso, wo bèè ye lon kelen tonbon ne di...). Le vrai bonheur, le meilleur bonheur s’obtient et se conserve dans la tolérance, la bonne cohabitation et la paix, alors que la guerre n’apporte que

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désolation, que la misère (Ayi ma hèrè min sòrò bèn nò, kèlè téna la wo dila alu ma...). Puisque la guerre n’arrange rien de bon, car dans toute guerre on enregistre toujours des pertes, si minime soient-elles, dans chaque camp. Ainsi donc, même le gagnant peut subir des pertes de tous genres. Il n’y a donc ni gagnant absolu ou total, sans la moindre perte et ni perdant intégral dans une guerre. En tout cas chaque belligérant perd obligatoirement quelque chose de significatif. Quelque chose de moral ou de matériel. Privilégions donc le dialogue direct et franc pour résoudre nos différends. Mais la réussite de ce concept ou de cette démarche nécessite des concessions obligatoires de la part de tous les belligérants. Abandonnez l’argument ou la raison des armes. Acceptez, chacun de concéder quelque chose pour réaliser le consensus. Par conséquent, je vous confie, dans l’intérêt de vos deux pays et de celui de l’Afrique toute entière, à vous lever pour vous donner courageusement la main, vous embrasser, signer la paix des braves, renoncer à ce baroud d’honneur inutile, stupide et ruineuse. Et je suis convaincu que vos deux armées et vos deux peuples respectifs vous applaudiront et vous suivront dans cette voie pacifique. Ce soir toute l’Afrique vous voit, vous écoute. Acceptez donc de nous épargner des veuves et des orphelins qui ne doivent pas faire les frais de votre incompréhension et de votre baroud d’honneur stupides qui n’apportent que malheurs et désolation. Le temps des gladiateurs est révolu. Privilégions le dialogue constructif pour résoudre nos différends plutôt que la guerre. Nos peuples attendent de vous le bien-être social et économique et non la misère du peuple que cette guerre risque de provoquer. Vous n’êtes que des frères contraints de s’entendre maintenant au lieu d’être obligés de l’être demain. Mais il vaut mieux donc s’entendre à présent au lieu de remettre cette étape incontournable à plus tard. Puisque nous sommes en Afrique, nos civilisations respectives sont fondées sur le respect scrupuleux du droit d’aînesse. La coutume mandingue et africaine vous le demande et vous l’impose. Vous ne pouvez échapper à cette contrainte de nos sociétés. D’ailleurs vous en sortez grandi. Et puisqu’il en est ainsi, Président Moussa Traoré, levez-vous et allez vers votre grand frère, embrassez votre frère aîné, le Président Sangoulé Lamizana. Simbo, Mandiou Touré (autre surnoms et nom de famille de Sékou Touré), prend la main du petit frère et conduit le à son aîné afin que, fraternellement, ils enterrent définitivement la hache de guerre. Embrassez-vous devant le peuple hospitalier de Guinée qui est aujourd’hui le témoin oculaire de votre réconciliation, de celle historique des peuples malien et voltaïque et de toute l’Afrique. Et l’histoire de l’Afrique enregistrera en lettres d’or, dans ses annales, votre sublime et sage geste qui, en pareille circonstance, inspirera sans doute les générations futures pour régler les conflits. Rentrez donc honorablement l’histoire... »

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« Naminata Fadiga den, Sanankoro Faama mamarèn, I wili, bò i la lonan fila tyèma. Alu ko ko kèlè di ban bi? Alu bara dinyè kèlè-ban ma bi? Turaman mamarèn, Bala Musa, I wili ye i kòrò fo, A bolo mina. Seku, Naminata den, Dòòni bolo la a kòrò tèè. Ala a bara dinyè alu la kèlè-ban ma, Alu ye dyafa ayi nyòòn ma, ka kèlè ban... » Ce qui se traduit par: « Le fils de Naminata Fadiga, le petit-fils de l’Empereur du Mandingue, lève-toi, quitte entre tes deux étrangers, dégage-toi pour ouvrir la route historique de la réconciliation qui sera marquée en lettres d’or dans les annales de l’histoire africaine. Petit-fils de Touraman Traoré invitant Moussa Traoré - lève-toi pour prendre les mains de ton frère aîné (Lamizana) comme l’exige nos traditions respectives... Cela ne peut que te grandir devant l’histoire qui retiendra ton humilité et ta grandeur dans la résolution de ce conflit fratricide stupide alors que ton grand frère qui ne peut être ton ennemi ne pourra qu’en être ému au nom des vertus de la civilisation mandingue et africaine. Et ainsi, par ce geste noble et humble, tu auras respecté et honoré ton illustre dyatii (hôte) Sékou Touré. En tout cas le peuple de Guinée tout entier vous en sera gré, ainsi que les peuples malien, voltaïque et toute l’Afrique qui doivent faire l’économie d’une guerre fratricide stupide et ruineuse. Battez-vous sur le champ du développement économique et social et non sur celui de la destruction qui n’apporte rien n’a vos peuples... » Pour réussir ce tour, Kandia, par inspiration, quitta le podium ou la scène du Palais du Peuple pour descendre dans la loge des hôtes de marque afin que son message porte mieux. Ce geste ou cette invite qui fut une surprise totale tomba dans toutes les oreilles attentives. Sékou surveillait attentivement les deux belligérants. Le tour si bien joué par Sory Kandia fut un succès. Tout se passa comme il l’avait demandé ou souhaité. Pour Ansoumane Bangoura, ancien Directeur de « La Voix de la Révolution » (Radio Guinée), témoin oculaire de la scène, reporteur et commentateur du jour de l’évènement, tout cela se passa dans une atmosphère décrispée. Mais l’inquiétude se lisait nettement et était perceptible sur les figures dans la salle archicomble de ce Temple de la Culture qu’est le Palais du Peuple de Conakry. Beaucoup de figures sceptiques se demandaient si le message de Sory Kandia avait été bien compris dans toute sa profondeur et si les deux belligérants allaient accepter de se donner publiquement la main comme l’a souhaité le chantre et philosophe mandingue de Guinée. Heureusement que cette 903


invite fut comprise tant par les deux présidents que par Ahmed Sékou Touré, le facilitateur, qui était assis entre les deux frères belligérants. C’est avec stupéfaction qu’on vit Moussa Traoré, en sa qualité de jeune frère, se lever humblement, puis s’avança majestueusement vers Lamizana. Il prit aussitôt la main de celui-ci, et Sékou Touré accompagna Moussa dans son geste sublime vers Lamizana qui les reçut à bras ouverts. Tout cela se passa sous les ovations de la population de Conakry qui avait fait massivement le déplacement pour être témoin de cet évènement historique. Ce geste était émouvant. Les cœurs sensibles n’ont pu retenir leurs larmes, car par la magie des mots, Sory Kandia venait de réussir miraculeusement là où la diplomatie classique avait lamentablement échoué. En effet, la CEDEAO, l’OUA et le Conseil de Sécurité n’avaient pas pu faire arrêter les hostilités. Tout cela a été dit et chanté par Sory Kandia dans un langage, poignant, avec une éloquence émouvante, saisissante qui alla droit tant au cœur des belligérants que de celui de tout l’auditoire. C’est là le rôle du griot d’antan dans nos sociétés traditionnelles. Le griot était à la fois un contre-pouvoir, le conseiller juridique du roi, le conseiller militaire émérite. Il avait une influence sur le chef grâce à la magie des mots. N’est-ce pas lui qui détenait les archives de l’histoire des grandes familles? En effet, il connaissait l’histoire de toutes les couronnes, celle de toutes les grandes familles. Il avait reçu un enseignement civique de ses aînés. Il était la mémoire fidèle et la référence du peuple. Il pouvait à ce titre envenimer ou banaliser un conflit. L’histoire africaine retient et conservera dans sa mémoire collective cette prouesse de Sory Kandia Kouyaté qui, par la puissance des mots disons du verbe, a réussi à faire les canons et à réconcilier à jamais les peuples voltaïque (burkinabé) et malien. Il a réussi là où la diplomatie classique a lamentablement échoué ainsi que les institutions africaines et internationales. Le griot du genre de Kouyaté Sory Kandia du temps de Sékou Touré, de Balla Fasséké allié et encadreur de Soundjata Keita, de Morifindian Diabaté et de Nyamakana Amara Diabaté confidents, tous les deux, et fidèles compagnons d’armes de l’Almamy Samory Touré... n’est pas à confondre avec les troubadours qui vivent de flagorneries, qui vont de cérémonies à cérémonies pour soutirer de l’argent aux nantis, pour escroquer ceux qui les écoutent ou qui parfois sont naïfs au point parfois de se débarrasser de biens matériels qui leur sont chers ou qui, pour sauver l’honneur à l’évocation du nom de leurs ancêtres, s’endettent pour faire plaisir à cette catégorie de griots. La dépouille mortelle du chantre de la mélodie mandingue a été exposée au Palais du Peuple de Conakry. Sory Kandia Kouyaté a été glorifié et massivement honoré par le Gouvernement et le tout le peuple de Guinée. Mais avouons que lui aussi n’a pas échappé à la comédie humaine qui consiste à ne reconnaître les services rendus par quelqu’un, non pas de son vivant, mais seulement après sa mort. Mais à quoi bon d’auréoler un cadavre alors que la 904


personne défunte concernée a été négligée pendant qu’elle végétait dans la misère. Mais c’est la pratique courante de la comédie humaine qui ne reconnaît le mérite des célébrités qu’après leur mort. Sory Kandia Kouyaté était un griot, un philosophe noble¸ un artiste majestueux qui avait surtout de la prestance sur scène dans ses grands boubous traditionnels bien brodés. C’était un bel homme, très beau et charmant. Il savait communiquer avec le public qu’il réussissait toujours à séduire, à emballer dans ses chants d’amour et de louanges qui étaient surtout satiriques. Personne ne pouvait rester insensible à sa voix unique dans son genre. Même si on ne comprenait pas un mot mandingue, tout spectateur, tout auditeur communiait avec lui. On ne se lasse jamais d’écouter les chants de Sory Kandia Kouyaté. C’était un phénomène unique dans son genre. Il a pu porter la musique mandingue à un niveau de perfection jamais égalé, reconnaît-on en Guinée, au Mali et dans les pays parlant le N’Ko (Mandingue). Jamais il ne s’est prostitué pour de l’argent. Il est resté humble, digne et constant dans son rôle de griot dont la vocation et la noble mission sont la démarche constante d’arranger ce qui est gâté, de réconcilier deux belligérants, de recoudre le tissu social déchiré ou entaché, de critiquer les travers sociaux. Malheureusement, il est mort prématurément dans un état de pauvreté notoire. Il a accepté de vivre démuni et misérable, mais humble et digne, dans sa très modeste maison à la SIG-Madina de Conakry, alors que s’il s’était exilé, il aurait accumulé une fortune colossale à travers ses spectacles et ses disques sur la riche culture mandingue tant appréciée. Cet acte de réconciliation du Mali et de la Haute-Volta par la magie des mots et par l’éloquence de Sory Kandia Kouyaté rend immortel et impérissable ce produit pur de la culture mandingue que Fodéba Keita a découvert et mis en valeur dans ses Ballets Africains qui ont sillonné le monde entier. Jamais on ne se lasse d’écouter les chants de Sory Kandia Kouyaté. Cette victoire diplomatique de Sékou Touré est incontestablement l’œuvre de Sory Kandia. Ses dignes héritiers Sékouba Kandia Kouyaté et Kabinet Kouyaté dit « Kaabi » qui chantent et prônent aussi la PAIX sont certes sur ses traces mais n’atteignent à peine sa cheville. Quant à Sékouba Kandia Kouyaté, il a pu succéder son père à la tête de l’ensemble instrumental traditionnel de la Radiotélévision Guinéenne sans pouvoir autant égaler celui-ci. Cependant les deux fils de Sory Kandia Kouyaté tentent de reprendre, avec plus ou moins de réussite, les anciens airs mandingues joués jadis par leur feu père sur casettes et dans les cérémonies de mariages, de baptêmes, de réjouissances… Le lendemain du spectacle de la réconciliation spectaculaire, les deux délégations se retrouvèrent pour rédiger et signer le communiqué final par lequel la hache de guerre fut depuis définitivement enterrée par ces deux peuples frères. Le lendemain, après la signature du communiqué final par les deux belligérants et leur Dyatii, le Président Sékou Touré les accompagna dans son avion de commandement. Les trois présidents 905


quittèrent donc ensemble Conakry pour déposer d’abord le Président Lamizana à Ouagadougou, puis Moussa Traoré à Bamako; ensuite le facilitateur rentra satisfait à Conakry, fier d’avoir pu réconcilier deux frères ennemis grâce à la magie des mots de Sory Kandia Kouyaté. Que l’âme de Sory Kandia repose donc en paix dans sa Guinée natale qu’il a tant aimée et tant chantée. Que les peuples malien, burkinabé et africains se souviennent donc de lui dans leurs prières en guise reconnaissance de l’économie d’une guerre fratricide stupide et ruineuse que ce chantre a pu réaliser pour eux contre les démons de la division et de la guerre. Grâce: ► À la magie des mots, ► À son éloquence, ► À sa voix envoutante qui coupait le souffle de son auditoire, ► À la mélodie de ses compositions musicales, ► À la rhétorique et de l’épopée mandingue dont il avait une parfaite maîtrise et qu’il a porté à un niveau de perfection jamais égalé, ► Grâce aussi à sa parfaite connaissance de l’histoire des peuples noirs, ► Grâce surtout à sa parfaite connaissance de la généalogie des empires, des royaumes et des grandes familles mandingues, ► Grâce également à sa grande capacité de rejouer avec une parfaite maîtrise tous les anciens airs de la riche épopée mandingue qu’il magnifiait à l’attention des jeunes et futures générations, … Sory Kandia Kouyaté a réussi le miracle de faire taire les canons, de réconcilier deux peuples en guerre, ce que la CEDEAO, le Conseil de Sécurité… n’ont pu faire, là où la diplomatie classique a lamentablement échoué. Ce chantre, ce porte flambeau de la musique, de la culture et de l’art africains a ainsi marqué son temps d’un sceau indélébile comme le témoignent éloquemment et à suffisance ses disques… Sory Kandia Kouyaté est donc immortel, car les peuples malien et burkinabé (jadis voltaïque) ne sauraient nullement l’oublier dans leur mémoire où il reste à jamais gravé en lettres d’or. Il fut et demeure notre Homère qui mérite le droit de cité au panthéon des célébrités mandingues et africaines comme « HOMME DE PAIX ». Son genre doit être créé et entretenu dans nos palais présidentiels afin de pouvoir prévenir et résoudre à l’amiable tous les conflits, en jouant uniquement ou en tirant sur la fibre sensible de l’égo des belligérants et de celui de leur famille, de leur clan ou de leur pays… et surtout en rappelant leur célèbre passé ou les actions pacifiques d’antan de leurs ancêtres au service de la Paix. Par ricochet, depuis cet évènement, on appelle le Palais du Peuple de Conakry: « LE TEMPLE DE LA CULTURE ET DE LA PAIX »

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IV - LE CAS DE KARIFAMORIATYÈ Il faut aussi signaler l’intervention tout aussi pertinente d’un autre sangban - du village de Karfomoriah. près de Kankan, Guinée - qu’on appelle aussi Karifamoriatyè, lors d’une « Conférence de la bouche ouverte » pendant laquelle les gens étaient autorisés à parler franchement. Mais les gens y voyaient des pièges pour repérer les opposants. Pour cette raison et par peur, tout le monde s’abstenait de dire la vérité, de dénoncer les abus... Mais Karifamoriatyè, fort de sa situation de sangban et de son immunité, s’adressa audacieusement en ces termes au Président Sékou Touré qui présidait ladite conférence et qui voulait jauger le moral de son peuple en donnant librement la parole à celui-ci. Karifamoriatyè: « Ne de b’a fè ka kuma... » (= Moi je veux parler...) Président Sékou Touré: « Karifamoriatyè, kuma ye i bolo. » (= L’homme de Karifamoria, tu as la parole.) Karifamoriatyè: « Présidan, i bara kè basa di! » (= Président, vous êtes devenu un lézard!) À ces mots blasphématoires, injurieux ou irrévérencieux, la foule des militants s’écria spontanément: « Héé!!! A bara présidan nanin, a bara présidan dòòya... » (= Il a insulté le président, il a manqué de respect au président...) Chuchota la foule de militants. Mais le Président Sékou Touré, très serein, n’eut heureusement pas la même réaction que cette foule bigarrée, endoctrinée et démagogue. Curieusement, cette fois-ci, il fut plus sage, ne perdit pas son « self control » et engagea le dialogue avec son accusateur qui faisait ainsi son procès publique. Il voulut connaître le sens réel de cette parabole. Sékou Touré: « Wo koro ye mun di? » (= Qu’est-ce à dire?) Karifamoriatyè: « Basa le bè yèrèla yiri bèè la, hali a kònkòn tè se ka yiri-mina fo. An na dyamana tòrònin, i ma wo manòò ka a ladan, i bara Afiriki ani dununya ko bèè ta ka a la i kelen kun. I b’a fè ka Kongo, Angola, Guinée-Bissau... ko ta ka a la i kelen kun, ka sòrò i ma la Guinée ko manòò ka a nyabò. » Ce qui signifie: « Président, vous savez que le lézard grimpe à tous les arbres sans pouvoir embrasser les troncs, les branches et même pas les branchettes. Bref! Qui embrasse trop, étreint mal. Au lieu d’embrasser les problèmes du Congo, de l’Angola, de la Guinée-Bissau et tous les problèmes africains et mondiaux par folie de grandeur et que vous ne pouvez résoudre tout seul, malgré votre bonne volonté et votre opiniâtreté, il vaut mieux vous consacrer à résoudre les problèmes de notre pays qui souffre tant au lieu de continuer à vous essouffler vainement pour les autres. Bref! La charité bien ordonnée commence par soi-même. Rendez-nous heureux au lieu de vous préoccuper du bonheur des autres auxquels vous ne devez rien... » 907


Il voulait montrer au Président Sékou Touré sa grosse erreur de donner la priorité aux problèmes extérieurs au détriment de ceux de notre pays qui, à l’époque, avait atteint un état de misère et de déconfiture insupportable. Après ces explications, il fut chaleureusement ovationné par la foule, car il venait d’exprimer clairement, à qui de droit, les sentiments profonds du peuple de Guinée. Tout le monde admira son courage et on en fit un héros, une idole. Après la conférence, ce sangban de Karifamoria qui avait osé se défouler publiquement, et d’ailleurs s’il ne l’avait pas fait, il en serait malade, fut invité par le président qui lui offrit de nombreux cadeaux dans l’espoir que prochainement il serait plus discret dans ses critiques. Cela n’a pas suffi pour lui « clouer le bec ». Bien au contraire cette intervention publique sans conséquence le détermina plus que jamais dans ses critiques à l’endroit du Président Sékou Touré et de tous les dignitaires de son régime dont il faisait toujours le procès. V - LE CAS DE SANSOBA SOLO KEITA DIT GBÈNSOTYÈ (56) Sansoba Solo Keita dit Gbènsotyè, un autre sangban non moins populaire, dénonça publiquement, dans une parabole très raffinée, le verbalisme creux, les promesses fallacieuses, ou l’illusion d’un bonheur fictif qui fascinait tant les dirigeants de la Première République de Guinée. C’était au cours de la même tournée du Président Sékou Touré à l’intérieur du pays. Voici leur dialogue: Gbènsotyè: « N b’a fè ka i manyininka. » (= Je voudrais vous poser une question.) Sékou Touré: « Fènfèn ka di i nyè a fò! » (= Tu as la parole, dis tout ce que tu veux dire!) Gbènsotyè: « Présidan, i ka li lòn? » (= Vous connaissez bien le miel?) Sékou Touré: « N ka a lòn. » (= Oui! Je sais bien ce que c’est.) Gbènsotyè: « Présidan, li ye kèla di? » (= Qu’est-ce qu’on en fait?) Sékou Touré: « A ye damuna le! » (= On le mange!) Gbènsotyè: « A ye damuna di? » (= Comment le mange-t-on?) Sékou Touré: « A ye bila da le kònò. » (= Naturellement c’est par la bouche qu’on le mange.) Gbènsotyè: « Munna alu ye li bilala anu tolo kònò? Alu ko an nyè ko independan ka di; a bara kè li min di, alu ye dò la an nèn ka sinè (sisan). Li ma bèn tolo kònò... » Ce qui se traduit par: « Pourquoi donc vous mettez le miel dans nos oreilles? On ne peut apprécier valablement un repas, si délicieux soitil, sans le déguster et non par le flair. Vous nous avez affirmé que 908


l’indépendance est une bonne chose. Si l’indépendance peut être considérée comme du miel (bonheur), de grâce, en mettez à présent sur notre langue. Le miel n’est pas fait pour l’oreille qui ne saurait l’apprécier à sa juste valeur... » Gbènsotyè faisait allusion aux nombreux discours programmes ambitieux, aux nombreux plans de développement économique, social, culturel... restés lettres mortes, aux nombreuses et fallacieuses promesses d’un lendemain meilleur, corollaire certain - avait-on dit - de l’indépendance politique... qui fascinaient tant les dirigeants guinéens de la Première République. Profondément déçu par l’illusion d’un bonheur hélas! Il reste fictif voire chimérique et qu’on a longtemps miroité devant le peuple, Gbènsotyè qui venait de dénoncer à qui de droit l’échec et les tares d’un régime, fut vivement ovationné par le peuple et devint depuis ce jour le héros adulé, incarnant les nobles idéaux d’un peuple terrorisé, martyrisé. Son éloquence et son audace étaient telles qu’il était à même de canaliser, d’embrigader et de faire révolter les masses populaires. Les autorités régionales de Kankan en avaient donc très peur. Il fallait donc composer avec lui, ménager sa personne et ses intérêts afin de le faire taire. C’était un orateur talentueux dont les discours avaient un effet certain sur les masses (mòò daaba). À travers lui, on pouvait toujours jauger le moral du peuple. À l’issue de la conférence, il fut reçu en privée par le Président Sékou Touré qui lui offrit un tracteur agricole et ordonna au Ministère des Travaux Publics - qui répercuta l’ordre à la Direction Régionale des TP (Travaux Publiques) de désenclaver son village (Gbènso). Quelques mois après, on construisit une bretelle carrossable de 30 km qui relie depuis Gbènso à Kankan. Mais cela n’a pas suffi pour autant pour corrompre ou réduire au silence Gbènsotyè. Jusqu’à sa mort prématurée en 1960, il dénonça imperturbablement avec rigueur tous les abus d’autorité, toutes les anomalies, toutes les dérives, toutes les injustices et tares du régime. Les autorités locales en avaient si peur qu’elles n’osaient le l’inquiéter, le violenter ou l’arrêter. D’ailleurs le Président Sékou Touré a bien encaissé ses sarcasmes. Donc aucune autorité locale ne pouvait l’inquiéter. En tout cas toute tentative de ce genre aurait inéluctablement entraîné une agitation populaire, des protestations voire des émeutes car cet homme exerçait un ascendant certain sur son environnement social dont il reflétait les idéaux. Même s’ils ne sont pas toujours écoutés immédiatement, l’un (le sòsòlikèla) par l’outrance de ses contestations et contradictions, et l’autre (le sangban), par la pertinence de ses sarcasmes et de ses satires qui n’épargnent personne, entraînent toujours une prise de conscience et un nouvel examen de la question qu’ils abordent, une révision du comportement initial, une remise en cause de la décision ou du procès qu’ils dénoncent. Ils dérangent tout le monde. Parfois, en privée, leurs victimes leur manifestent leur mécontentement pour telle ou telle remarque ou tel sarcasme. Mais aucune menace ne leur fait renoncer à leur vocation ou conviction: la défense de la vérité, des faibles... Tel 909


un parti politique d’opposition dans un régime libéral ou démocratique où la liberté de pensée et d’expression est garantie, ils dénoncent toujours avec vigueur et rigueur toutes les anomalies. Incorruptibles, incorrigibles et imperturbables, ils recommencent, dès le lendemain, leurs contestations, contradictions, critiques et sarcasmes. Du fait qu’autrefois ils étaient couverts par une totale immunité traditionnelle que personne n’osait mettre en cause, ils n’avaient rien à craindre et jouissaient par conséquent d’une totale liberté d’expression. En les sanctionnant ou en leur répondant, le chef se ridiculisait. D’ailleurs le fait de le sanctionner une telle attitude provoquait un tollé général d’indignation et de réprobation. Le sòsòlikèla et le sangban, le sanankun, les griots, les oncles, les vieux, les sèrèden… doivent dire librement et faire ce qu’ils veulent dire ou faire dans une société. Ils ont le droit de braver l’autorité en place sans aucun risque de répression. Nul n’a le droit de les menacer. D’ailleurs une telle démarche ou une telle tentative est ridicule et ridiculise son auteur. En effet, ces personnages sont considérés comme des censeurs officiels de conscience et ne doivent nullement être entravés ou inquiétés dans leur mission de critique acerbe et de défenseur des faibles et de dénonciateur incorruptible des tares de la société. Parfois, le personnage est un infirme ou une personne vulgaire qu’on considère mentalement déséquilibré. Dans ce cas, l’autorité se ridiculiserait ou se rabaisserait en voulant l’inquiéter ou le sanctionner. Son immunité est incontestable et ne saurait souffrir d’aucune entorse. Sa force est que sa bouche ne saurait réduite au silence. Notons encore que ces censeurs implacables et incorruptibles sont très souvent incarnés dans des personnages vulgaires et banals et sont intouchables de par leur statut. On ne doit pas, pour se venger d’eux, ni les insulter, ni les frapper, ni les brutaliser et ni les emprisonner. S’attaquer donc à eux ou leur répondre est vil, dégradant, donc mal apprécié par la société, d’où la raison de leur survivance. C’est pour ces raisons qu’ils bénéficient d’une parfaite immunité. Cependant la réplique pacifique et appropriée à leurs sarcasmes et critiques est permise. Mais, imbus d’humour, pédants et loquaces, ils finissent toujours par ridiculiser toute personne qui croise le fer avec eux sur ce terrain. Contrairement à nos gouvernants d’aujourd’hui si chatouilleux chez qui le moindre coup d’épingle provoque la pire réaction (arrestations abusives et arbitraires allant parfois jusqu’à la sentence de la potence ou du peloton d’exécution après parfois un simulacre de justice expéditive qui se passe très souvent à huis clos et où l’accusé n’a souvent droit ni à la parole, ni à la défense), nos chefs d’antan acceptaient et toléraient dans leur environnement le sangban et le sòsòlikèla, les vieux, les oncles maternels et paternels, les griots... et tenaient compte de leurs observations pour prendre des mesures de redressement. Un parti politique d’opposition ne fait pas mieux qu’eux dans un régime libéral et démocratique. Par ces quelques exemples on perçoit nettement le bien fondé du rôle combien salutaire - du contestataire ou contradicteur (le sòsòlikèla) et de celui 910


du bouffon et pamphlétaire (le sangban). Ce double personnage qui pouvait s’incarner en une seule personne s’imposait tant aux justiciables qu’il défendait qu’au souverain qu’il redressait ou mettait sur la bonne voie: celle de l’équité, de la magnanimité, de la sagesse, du réalisme et de la générosité. Leur prise de position sans ambiguïté était une référence permanente qui inspirait tout un chacun, même la société tout entière. Selon Ray-Autra: « Le Sòsòlikèla ou le Sangban avait toujours dans la bouche la phrase fatidique « N’de ma womina = Moi, je n’accepte pas cela ». Certes, n’était-il pas toujours écouté et recevait-il en aparté de sévères observations du roi par ses prises de positions qui pouvaient passer pour incongrues ou impertinentes. N’empêche que le lendemain, le surlendemain, et au fil des jours, cet incorruptible se laissait prendre en flagrant délit... d’impertinence! N’empêche que l’indésirable était l’objet d’une attention toute spéciale-ses greniers connaissaient l’abondance alors qu’il ne savait même pas tenir une houe. Ses femmes aux « oreilles d’or » - entendez chamarrées d’or suscitaient l’envie de l’alentour. Il avait droit à un cheval dans la suite du « Fama » en déplacement, ce qui n’était pas mince honneur. Une part lui revenait de droit dans les moindres cadeaux d’usages offerts au souverain: dîme, quartiers de viande, chef-d’œuvre d’artisanat... À ce propos, rappelons que l’on réservait au roi tout ce qu’il y avait de meilleur ou qui sortait de l’ordinaire. Par exemple, un veau tout blanc, des fruits ou tubercules d’une grosseur phénoménale, des peaux de fauves... Les cases du Sòsòlikèla (ajoutons aussi celles du Sangban) étaient entretenues au même titre que celles de son maître - à savoir qui était en définitive le maître - par la population. Ses champs de même, débroussés, labourés, semés, désherbés, récoltés... C’est que le rôle salutaire du contestataire s’était imposé et aux justiciables et au souverain lui-même qui, à tête froide, découvrait ses erreurs et évitait des dénis de justice susceptibles d’altérer sa réputation de sagesse à laquelle il devait avant tout son pouvoir. » Nous souhaitons vivement que les juristes, sociologues, ethnologues, historiens et gouvernants africains cernent encore mieux, récréent et réhabilitent ces personnages (le sangban et le sòsòlikèla) qui incarnaient l’opinion publique, la vérité, la justice sociale, la paix, l’harmonie sociale et la bonne humeur. Justicier implacable et censeur incorruptible du pouvoir et des mœurs, sa seule présence et ses interventions intempestives empêchaient les abus d’autorité, la dictature. Dans cet effort de redresser les forts et les nantis, de défendre les faibles et la vérité, de créer une harmonie sociale, on doit également accepter l’intervention du sanankun, des vieux, des oncles, des griots... qui constituent chacun un contre-pouvoir, un censeur de conscience. Chaque société moderne, chaque collectivité villageoise ou citadine... doit donc secréter et remettre à honneur son sòsòlikèla, son sangban, son sanankun... En tout cas leur existence pourrait nous éviter bien de bévues, car ils constituent un élément rayonnant de 911


notre culture qui mérite d’être réhabilité et cultivé pour nous éviter les abus d’autorité ou la création de dictateurs et de présidents mégalomanes enclins au népotisme et au culte de la personnalité. DOCUMENT DE LECTURE: PLAIDOYER DU DÉPUTÉ MAMBA SANO EN FAVEUR DES ANCIENS COMBATTANTS OU TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS SÉGRÉGUÉS ET INJUSTEMENT TRAITÉS Qui étaient les anciens combattants ou tirailleurs sénégalais? Qu’ont-ils fait pour la France? Qu’ont-ils reçu comme récompense? VOICI LA RÉPONSE DE MAMBA SANO

Un tirailleur sénégalais dans le froid européen, loin de sa chaude Afrique et des parents. Oui! Ils ont bravé et supporté: ► le froid glacial, ► la neige, parfois en dessous de 0 degré, ► les tranchés, ► la faim, ► la fatigue, ► les maladies, ► les bombardements aériens, ► les chars, ► le pilonnage des canons allemands…

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Un groupe d’anciens combattants ou tirailleurs sénégalais qui se sont vaillamment battus pour défendre l’intégrité du territoire français. Certains d’entre eux ont été froidement abattus à Thiaroye (dans la banlieue de Dakar) pour avoir retenu leur salaire et prime de guerre légitimes.

QUELLE TRISTE ET INADMISSIBLE SORT! QUELLE INADMISSIBLE RECOMPENSE! QUELLE INGRATITUDE! ► Après avoir vaillamment participé aux deux guerres mondiales pour défendre et libérer la France du joug allemand, ► Après tant de services non-reconnus rendus à la France, ► Après s’être faits broyer par les chars, par les canons et par l’aviation des allemands, tant à Verdun qu’ailleurs, ► Après avoir été gelés par la neige dans les tranchées, ► Après avoir dénombré des milliers de morts et d’handicapés ► Après le massacre effroyable sans remords de ces malheureux tirailleurs africains à Thiaroye (Dakar) dont le tort a été de réclamer leur arriéré de salaire, leurs divers droits et les primes promises, Le Député Blaise Diagne du Sénégal, l’initiateur du recrutement et de l’engagement des tirailleurs Sénégalais (Africains) dans ces deux conflits mondiaux n’a-t-il pas eu de remords sur sa conscience? .

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Une visite du front.

Une revue des troupes.

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« SITUATION DES ANCIENS COMBATTANTS » Mme la Présidente: La parole est à M. Mamba Sano (Applaudissements à l’extrême gauche) « Mesdames, messieurs, ce matin, l’interpellation de notre honorable collègue M. Aubry a fait rebondir la question des anciens combattants, et notre ami M. Hamani Diori, entre autres orateurs, a apporté, dans la discussion générale, une contribution nourrie d’observations, de faits vécus et de chiffres convaincants, dans une nomenclature circonstanciée, qu’il est inutile de reproduire, je me contente de vous y renvoyer. Le 30 juillet, j’intervenais moi-même, à cette tribune, pour soutenir l’amendement de M. Forcinal, en faveur du paiement franc pour franc, sans jeu de conversion astucieux, de la majoration de 500 pour 100 accordée par les décrets des 3 et 4 mars 1948, pris à la suite de nos interventions de février1948, au bénéfice de nos pensionnés africains. Ceux-ci, en effet, continuent hélas! à vivre dans des conditions matérielles et morales inacceptables pour leur dignité comme pour l’honneur de la France, qu’ils ont servie sans reproche, consacrant le meilleur de leur santé, de leurs forces et de leur existence au maintien de l’idéal républicain de liberté, d’égalité et de fraternité. Il faut que le gouvernement se décode à voir le problème en face et prenne mesure de ses responsabilité, pour le résoudre sans retard. Il y va de l’avenir, de la tranquillité et de la bonne tenue politique et sociale de nos territoires, car, comme l’a dit excellemment le gouverneur général Van Vollenhoven, dans sa circulaire du 25 octobre 1917, au sujet des tirailleurs réformés: « C’est avec le sang, avec la souffrance de ces hommes, qu’a été scellé le pacte qui unit aujourd’hui d’une manière indissoluble la colonie à la France. » Dès lors, comment concevoir que ces braves serviteurs qui ont été les bases de l’Union Française attendent encore, aigris et désabusés par la misère, la liquidation et la revalorisation de leurs pensions, qu’ils soient toujours traités en parents pauvres, oubliés ou négligés, eux dont le courage et le sacrifice ont permis à la nation de remonter la pente, de transformer notre défaite humiliante du début en victoire finale éclatante, avec nos grands alliés, en 1914-1918 comme en 1939-1945? Ne sont-ils pas les valeureux artisans de l’ère nouvelle que nous vivons? Loin de moi la pensée de vouloir évoquer à nouveau les douloureux souvenirs surhumains aux côtés de leurs frères métropolitains pendant la guerre mondiale, sur la Marne, sur la Somme, Sur l’Yser, à Dixmude, à Verdun, comme dans la seconde guerre mondiale, dans l’immortelle division Leclerc, du Tchad par le désert, en Tunisie, en Sicile, en Italie jusque dans la libération de Paris et du territoire comme dans l’écrasement de l’ennemi en Allemagne, sous un 915


déluge de fer, de feu et de sang, brisant ainsi par leur impétuosité et leur volonté d’aboutir le rêve d’hégémonie universelle du colosse hitlérien. Combien sont restés sur le champ de bataille? Combien ont payé de leur vie, leur dévouement à cet idéal de justice et de liberté qu’incarne la France, pour le salut de la démocratie et le triomphe des droits des peuples! Pérennisez la prospérité morale et matérielle de l’Union Française, en même temps que vous aurez travaillé à la grandeur de la France. Vous aurez augmenté sa puissance de rayonnement et d’attraction. Vous aurez enfin mérité de la patrie, telle que l’a définie Michelet. (Applaudissements sur tous les bancs) Et c’est avec une émotion profonde mais aussi avec fierté pour la race noire associée au destin de la France que je rappelle en passant l’ignoble martyre de nos quarante tirailleurs lâchement et traîtreusement mitraillés aux environs de Lyon, puis sauvagement écrasés par les chars allemands qui broyèrent leurs corps au mépris de toutes les lois humaines et martiales pour avoir osé se conduire en soldats français jusqu’au bout, ce qui eût dû plutôt forcer l’admiration et les éloges d’un adversaires loyal et chevaleresque, autres que le boche. (Applaudissements) Je peux citer non plus sans un tressaillement de peine et d’orgueil le cas des quarante-trois autres tirailleurs fusillés à Clamecy pendant la libération, toujours au mépris de conventions militaires internationales, dernier acte de cruauté honteuse du boche, avant de se sauver de France la baïonnette dans les reins. Le motif? Voici: Ils étaient prisonniers désarmés et par conséquent, inoffensifs. Un officier allemand, hautain, survient soudain, fonce sur un tirailleur et, les injures à la bouche, lui intime l’ordre de lui remettre un papier écrit dont il était porteur pour un officier français. Naturellement, et le tirailleur, à ses risques et périls, refuse d’obtempérer. L’Allemand, furieux, lui donne un magistral soufflet. Aussitôt, par réflexe, sans tenir compte de la différence de situation, l’offensé, superbe de sacrifice et de rage, mâche immensément son précieux papier et saute à la gorge du buffle. Il ne lâche prise que quand ce dernier s’affaisse inanimé, sous l’étreinte vengeresse. Évidemment, les allemands au paroxysme de la colère, accourent de partout et ont tôt fait de mettre en pièces le malheureux noir qui disparaît ainsi victime de son devoir et de son dévouement à la France. Ses trente-neuf infortunés camarades, condamnés à mort par représailles Ses trente-neuf infortunés camarades, condamnés à mort par représailles, sont fusillés et leurs jetés aux ordures. Les habitants de Clamecy, qui les aimaient et les admiraient à légal des preux, les ont pleurés et ont conservé pieusement souvenir de leur haute conscience, de leur abnégation, de leur courage tranquille souriant devant le trépas injuste.

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Aussi, pour perpétuer leur mémoire qui fait penser à la Tour d’Auvergne, par une souscription volontaire ils viennent d’élever l’ossuaire de nos quarante martyrs, et au cimetière, à l’entrée de la ville, une stèle symbolique due au ciseau d’un artiste local qui sut représenter un tirailleur assis, les jambes repliées en arrière. Dans une attitude de fière et calme méditation, le regard fixe, profond, scrutant le lointain, semblant évoquer par-delà l’espace infini de la savane, la steppe, la brousse ou la forêt d’Afrique, où vit sa famille qu’il ne reverra plus, mais qu’il a hautement honorée et magnifiée par son sacrifice sur la terre de France, dont il était venu défendre l’indépendance et qu’il a en effet défendue jusqu’au suprême don de sa personne. Le 20 juillet dernier, les élus d’outre-mer furent conviés à l’inauguration de l’ossuaire et de la stèle commémorative par la ville de Clamecy dont l’intention, le geste de sympathie concrétisée nous ont profondément touchés et pénétrés de gratitude. En compagnie du ministre des anciens combattants, nous prîmes part à cette cérémonie émouvante et nous pûmes retenir nos larmes de douleur et aussi de fierté, à l’évocation de la vie magnifique et du sacrifice volontaire de nos compatriotes morts pour la France et pour la liberté des peuples. Sous la force brutale, « ils sont tombés en vaincus mais ce sont, eux, les vrais vainqueurs ». Ils ont prouvé par leur beau trépas que la pigmentation de la peau n’a rien à voir avec la vaillance du cœur et les qualités de l’homme (Applaudissements unanimes) et que, par conséquemment, la plus belle conquête d’une nation colonisatrice est celle des âmes par la confiance et la justice, la seule conquête qui soit à l’épreuve du temps et de l’espace (Très bien! très bien!). Voilà le secret de notre attachement à la vraie France, celle de 1789. Certes, la tombe du soldat inconnu est un symbole d’égalité et de fraternité humaine, digne du génie français. Mais le monument moins grandiose, plus modeste, érigé par la faveur et la sympathie fraternelle de Clamecy à la gloire de nos quarante tirailleurs venus de tous les horizons des territoires d’outre-mer me semble plus significatif et plus touchant, plus évocateur de l’Union Française forgée dans l’épreuve et le sang versé coude à coude par ses ressortissants de toutes provenances, de toutes les races et de toutes les opinions, unis par leur confiance et leur foi inébranlable en l’avènement de la démocratie française, pour le mieux-être matériel et moral de tous sans distinction. L’hiver dernier, au cours d’une excursion en Haute Savoie, au banquet de Chamonix qui nous réunissait autour du ministre de la France d’outre-mer, M. Coste-Floret a dit: « L’Union Française, c’est vous et nous qui la feront ensemble, dans la confiance mutuelle et l’amitié. » Et dans son discours du 15 mai 1947, à Hanoï, M. le Haut-Commissaire de Bollaert a déclaré: 917


« La mystique de la communauté que la France organise est une mystique de confiance et d’union... l’Union Française veut voir reposer sa cohésion sur la confiante adhésion des partis. L’ère de l’impérium est révolue. Il faut que l’ère de l’amitié commence. » Par ces déclarations qu’il faut maintenant traduire dans les actes tous rejoignent ainsi Michelet disant: « La patrie est une grande amitié. » Cette formule lapidaire de l’historien poète est d’une brutale actualité. Elle s’applique à la réalisation effective de l’Union Française, cette mosaïque de races, de religions, de pays, de civilisations soudés par la confiance mutuelle dans leur interdépendance économique, sociale et morale à cimenter par la justice et l’égalité. C’est pourquoi le problème des anciens combattants doit requérir toute l’attention et toute le sollicitude du Gouvernement et de l’Assemblée souveraine, responsable des destinées du pays. Ces hommes blancs, jaune ou noir qui ont accompli de si beaux exploits patriotiques ensemble, dans une communion d’idées, de sentiments et de sacrifices méritent d’être traités identiquement, l’on veut maintenir entre eux la splendide harmonie tragique qui les a groupés étroitement dans le danger, a fait vibrer leur cœur à l’unisson pour la défense et la renaissance de la France républicaine, après tant de vicissitudes que nous n’avons droit d’oublier aujourd’hui. Qu’il n’y ait donc plus de soldats métropolitains, de soldats nordafricains, de soldats malgaches et africains, mais des soldats l’Union Française tout court. (Très bien! très bien! à gauche) Attelés au même char, animés d’une même mystique, rigoureusement soumis aux mêmes obligations comme aux mêmes droits. Réalisez, mesdames, messieurs, cette fusion et vous aurez assuré la solidité, la pérennité, la prospérité morale et matérielle de l’Union Française en même temps que vous aurez travaillé à la grandeur de la France. Vous aurez augmenté sa puissance de rayonnement et d’attractions, vous aurez enfin mérité de la patrie, telle que l’a définie Michelet. » (Applaudissements sur tous les bancs) Mme la Présidente: « l’Assemblée a écouté avec beaucoup d’intérêt l’émouvant exposé de M. Mamba Sano. » (Sidiki Kobelé Keita, dans « Esquisses biographiques des premiers députés guinéens, » Éditions Universitaires Conakry, 1995, p. 67-73)

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Rendons donc hommages aux tirailleurs sénégalais pour avoir pleinement rempli leur part de contrat en libérant effectivement la France de l’humiliation et de la domination allemande au prix de leur sang ou de leur vie. Au regard de ce qui s’est réellement passé à Thiaroye et qui révolte la conscience humaine, la France ne reste-t-elle pas toujours redevable à ces vaillants tirailleurs qui ont sacrifié leur vie pour sa libération? Par ailleurs, l’Afrique n’a-t-elle le droit de flétrir le parjure et l’ingratitude de la France, surtout après sa forfaiture flagrante et le dénouement tragique de ce drame à Thiaroye? Ces tirailleurs rescapés sont paradoxalement tombés, non pas sur les champs de bataille, mais après la guerre, par les balles des Français après avoir miraculeusement échappé à celles des Allemands qui devraient normalement les tuer pour les avoir combattus. Quand est-ce que la France va-t-elle, par un sursaut de conscience, reconnaître cette bavure ou cette forfaiture indéfendable et impardonnable, qu’elle aurait pu éviter? Quand est ce que va-t-elle présenter ses excuses publiques à l’Afrique et réparer ce préjudice moral, matériel et financier que sa forfaiture a causé à ces tirailleurs, à leurs familles et à toute l’Afrique? N‘avons-nous pas le droit de dénoncer à grand cri cette forfaiture et par devoir de mémoire glorifier ces victimes innocentées? La balle est donc dans son camp et nous attendrons toujours ses aveux publics qui doivent la repentir, car nous ne saurions oublier ce qui s’est passé à Thiaroye. Sans un tel geste, les victimes outragées de cette tragédie qui doivent être identifiées pourront-elles vraiment dormir paisiblement outre-tombe? Mais pourquoi dans un tel discours si élogieux, épatent et académique, l’avocat défenseur de la cause des anciens combattants, l’éloquent Député Mamba Sano n’a pas fait allusion ou n’a pas condamné la bavure française à Thiaroye? Et pourtant le lieu de la plaidoirie était le mieux indiqué et le moment le plus approprié pour sensibiliser les consciences en évoquant ce triste souvenir, cette ingratitude de la France vis-à-vis des rescapés de sa libération du joug allemand. À propos donc de la tragédie de NAMAN et de ses compagnons d’armes cyniquement et injustement massacrés à Thiaroye, des mesures sévères furent prises par l’administration coloniale pour interdire la diffusion de tous les actes et moyens qui en parlaient. Le disque de Fodéba Keita qui rapportait l’évènement subit cette sévère loi d’interdiction. Mais trop tard, le coup était parti et le disque fit du chemin dans toute l’Afrique et provoqua une nette prise de conscience des masses africaines. 919


En effet, mis sur disque, cette autre tragédie considérée comme subversive ne pouvait être tolérée pour longtemps par l’administration coloniale française qui tenait à étouffer ce génocide. Minuit et Naman eurent un impact sérieux sur le comportement du peuple en Guinée, au Mali et même dans d’autres colonies. Une prise de conscience des africains s’en suivit. La lutte politique et syndicale s’engagea ici et là pour obtenir l’égalité des peuples en droits et en devoirs et qui se mua en lutte pour la reconquête de la souveraineté nationale qui fut finalement arrachée le 28 septembre 1958. Il va donc sans dire que dans la littérature de combat, Keita Fodéba mérite largement droit de cité parmi les sommités. Que les anthologistes de la littérature négro-africaine lui rendent cette justice en le tirant des tréfonds de l’oubli. Synthèse des griots traditionnels et modernes mandingues, Keita Fodéba a eu très tôt le mérite d’améliorer la qualité de la musique traditionnelle malinké en y introduisant des instruments européens (guitare, banjo...), rendant ainsi plus mélodieuse cette savoureuse musique populaire mandingue. Il a aussi repris et arrangé les anciens airs populaires qui chantent la gloire des héros d’antan (Douga, Dyandyon, Maniamba, Soundjata...) et ceux berçant tendrement les amoureux durant les nuits tropicales, sous le ciel scintillant d’étoiles. Pour ceuxlà les airs de Makalé, Dyarabi... sont les plus populaires. L’ascension fulgurante et la popularisation des ensembles folkloriques traditionnels, des troupes théâtrales au niveau des villes, des quartiers, des villages et de toutes les régions de la Guinée, de la musique moderne, la formation d’une brigade féminine de gendarmerie, de la police et de la douane, et la formation des orchestres et surtout d’un orchestre féminin (les amazones) sont essentiellement son œuvre. En tout cas les chorégraphes et les musiciens de sa Guinée natale et même de l’Afrique Occidentale, restent encore profondément marqués par la personnalité artistique et culturelle de cette virtuose. À son retour au pays natal, après sa longue aventure artistique à travers le monde, Keita Fodéba assuma de hautes responsabilités gouvernementales, de 1956 à 1968. Sous la loi-cadre (1956-1958), il devint Ministre de l’Intérieur et fit adopter par l’Assemblée Territoriale de la Guinée la suppression de la chefferie traditionnelle en 1957 qui ne visait au départ que quatre chefs supérieurs de canton influents, à savoir: 1 - Djiguiba Camara de Damaro, chef du canton de Simandou (Damaro), cercle de Beyla et auteur du présent ouvrage. 2 - Koly Kourouma, chef de canton de Gbaya, cercle de N’Zérékoré. 3 - L’Almamy Ibrahima Sory Dara Barry de Mamou, chef de canton de Mamou. 4 - L’Almamy Aguibou Barry de Dabola, père de l’opposant Barry Diawandou. Par réalisme politique ou par opportunisme, Sékou Touré, en sa qualité de Chef de Gouvernement demanda à Fodéba Keita d’étendre la mesure à tous 920


les chefs de canton de la Guinée pour éviter de faire des frustrés et d’avoir sur le dos les familles de ces quatre chefs de cantons. Et ce fut la fin de la chefferie traditionnelle en Guinée. Après le vote négatif historique au référendum organisé par le Général De Gaulle en 1958, la Guinée devint un état souverain. Keita Fodéba fut nommé le tout puissant Ministre de l’Intérieur, de la Défense et des Services de Sécurité de la Guinée. Devenu ainsi l’homme fort du régime totalitaire instauré par le Président Sékou Touré, Keita Fodéba se révéla très autoritaire et ombrageux. Doué d’un sens inné d’organisation raffinée, il était très enclin au luxe dans un régime révolutionnaire, se réclamant du socialisme. Disgracié en 1965 pour « participation au complot » ou pour avoir « entretenu des intelligences graves et obscures avec des commerçants et quelques officiers supérieurs, dont il était le maître incontesté» qui pourraient ou voudraient réagir et tenter de renverser le régime du Président Sékou Touré. Il devint Ministre de l’Agriculture en 1965 jusqu’à son arrestation en 1968 pour « complot ». Il fut alors condamné à mort et exécuté comme d’autres milliers de guinéens. Ainsi Fodéba Keita fut broyé par sa propre machine (le Camp Boiro, geôle) construite par lui et où la majorité des détenus entrait vivant pour n’en sortir que pour le cimetière. Lors de l’agression armée de 1970, les purges furent profondes générales et plus sanglantes. Il en fut de même en 1976 lors du « complot dénommé complot Diallo Telli ». Ainsi la Guinée perdit ses meilleurs cadres et fils au cours des différentes purges politiques. Mais vu l’ampleur et la fréquence régulière des complots, ne faut-il pas se demander si tous les accusés pour complot étaient-ils tous coupables? Certainement pas! Mais on peut les catégoriser. Il est certain qu’il y avait: 1) - Des vrais coupables actifs. 2) - Des coupables passifs (ceux qui en ont entendu parler et dont le tort a été de n’avoir pas dénoncé les comploteurs et qui ont laissé la chose évoluer, ou qu’on peut considérer comme des sympathisants). 3) - Des innocents, certes nombreux, qui ont été pour certaines victimes des règlements de comptes et de la lutte des différents clans hostiles les uns aux autres dont les principaux étaient: a) - Le clan des amis et compagnons de la première heure (Lansana Béavogui, Damantang Camara, N’Famara Keita, Lansana Diané). b) - Le clan des beaux-frères c’est-à-dire les demi-frères de Madame Andrée Touré, la première Dame de la République (dont Mamadi Keita, Seydou Keita, Moussa Diakité...), clan soutenu par les Kourouma, les oncles maternels de celle-ci (dont Alaphai Kourouma, Djimè Kourouma...). c) - Le clan des Touré ou cousins du Président Sékou Touré (dont le Commandant Siaka Touré, célèbre patron du triste geôle du camp Boiro, Mandiou Touré, Mouloukou Souleymane Touré...). d) - Le clan des Touré de Faranah qui sont les demi-frères de Sékou Touré dont le redoutable Ismael Touré, l’inamovible Président de la Commission 921


d’Enquête et du Tribunal Révolutionnaire, Amara Touré, frère aîné du Président qui a régné en maître absolu à Faranah qu’il considéra comme sa république personnelle indépendante qu’il gérait sans rendre compte. Tous ces clans se sont livrés une lutte implacable d’influence et cherchaient à se neutraliser en éliminant les partenaires des autres clans hostiles. Cette triste situation qui était une réalité fit de nombreuses victimes à chaque complot réel ou imaginaire. L’agression armée de 1970 dirigée par les portugais et les opposants guinéens de l’extérieur et de l’intérieur en fut le couronnement. La purge qui en a suivi a décimé les trois quarts des ministres en fonction, des cadres politiques, administratifs, des hommes d’affaires et des officiers de l’armée. L’agression et ses répercussions furent un véritable choc qui a traumatisé le peuple. Rares sont les familles qui n’ont pas perdu un ou plusieurs membres ou alliés. NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - Chapitre entièrement rédigé par Daouda Camara. Cet apport en valait la peine. (2) - « Sous l’orage » de Seydou Badian Kouyaté, romancier malien et ancien ministre du gouvernement de Modibo Keita, premier président de la République du Mali. (3) - Amadou Hampâté Bâ, « Bingo » N° 344 de septembre 1981. (4) - Pour tuer les chenilles destructrices des champs ou les en chasser, on avait un seul recours: c’était l’intervention de Muso Koma ou masque sacré féminin que les hommes ne doivent pas voir. Les femmes se regroupent à l’aube pour chanter et danser à travers le village puis se dirigent dans les champs infectés. Aucun homme n’ose sortir la tête pour les voir. D’ailleurs toutes les femmes ne sont pas admises à cette cérémonie rituelle uniquement réservée à celles qui sont initiées qui sont profondément versées dans la sorcellerie. Généralement cette intervention du Muso Koma était très positive puisque les chenilles disparaissaient dans la journée même de la cérémonie. On ignore comment cela se passe. On voit seulement les effets. Secrets jalousement conservés encore par les femmes. Peut-être qu’un jour une femme intellectuelle initiée nous livrera ce secret. (6) - Par le Président Kenneth Kaunda, premier président de la République de Zambie. (7) - El Hadj Aboubacar Sako, patriarche de Treichville (Abidjan, République de Côte d’Ivoire), qui a consacré sa vie et ses économies à monter une riche bibliothèque de plus de dix mille volumes. (8) - Par Djodji Akoly Nyatépé-Goo, « Bingo » N° 366 de juillet 1983. (9) - Amadou Hampâté Bâ, « Bingo » N° 344 de septembre 1981. (10) - Voici une anecdote pour meubler ce contraste. Un vieillard de soixante ans s’est marié à une fille de dix-sept ans. Simultanément son premier fils de vingt-cinq ans recevait la sienne qui était une jeune fille. Chaque soir, les amis de celui-ci venaient danser dans sa 922


maison aux sons d’un électrophone jusqu’à une heure tardive de la nuit. Parfois, le jeune couple allait au cinéma ou partait se récréer dans les soirées dansantes et dans les « surprise parties ». La jeune marâtre qui était cloîtrée à la maison se sentait frustrée, privée des loisirs de la vie. Elle pleurait et s’apitoyait sur son triste sort et en voulait terriblement à ses parents qui l’avaient contrainte à épouser ce vieux pour une question d’honneur et de matériel. Elle devenait désobéissante et se refusait à son mari au lit. Comprenant que sa femme enviait le couple constitué par son fils et sa belle-fille, le vieux s’emballait dans une colère terrible, prit une hache et vint briser l’électrophone de son fils qui était en train de danser avec sa femme et ses amis en lui criant: « I b’a fè ka n na furu tinyè » c’est-à-dire: « Tu veux casser mon mariage. » Incapable de créer entre lui et la sienne une telle harmonie, il comprit que la cohabitation de son fils était préjudiciable à son foyer qu’il ne put d’ailleurs sauver de la dislocation bien qu’il trouvât le lendemain une maison pour son fils hors de la concession. (11) - Le rôle du furu nyèlò ou intermédiaire est très important dans le mariage. Ses maladresses peuvent compromettre la réussite du projet. Il doit donc être expérimenté et avoir la confiance des deux parties en présence. Il arrive des moments où le prétendant et ses parents s’impatientent devant la longueur ou la lenteur des négociations et tiennent des propos désobligeants. D’autre part, les parents de la fille peuvent s’indigner devant tels ou tels propos ou comportements du prétendant ou de ceux de ses parents. Bref! Il y a très souvent ou inévitablement des critiques, des incompréhensions de part et d’autre. Il appartient au furu nyèlò de savoir apaiser les esprits, d’éviter la déconfiture et l’effritement en ne rapportant pas fidèlement les propos malveillants des uns aux autres et vice versa. On l’appelle l’aiguille sociale qui doit coudre avec un fil appelé « mensonge » dans le but de rapprocher les uns des autres, de réaliser l’entente, la compréhension réciproque. Pour la petite histoire anecdotique, la tradition conserve en sa mémoire les maladresses d’un furu nyèlò. Devant la lenteur et le blocage des négociations du fait de l’incompréhension entre les deux familles créée et entretenue peut-être inconsciemment par le furu nyèlò, une fille impatiente et amoureuse de son fiancé prit l’initiative exceptionnelle en Afrique de venir déclarer aux parents de son fiancé: « Na furu nyèlò kèdyuu. Ni alu ma a yèlèma, na furu tèna bò la, a di sa. » Littéralement cela signifie: « L’intermédiaire entre nous est trop vilain, si vous ne le remplacez pas, les négociations resterons toujours bloquées et le mariage n’aura jamais lieu. » N’ayant pas compris cette parabole, les parents du prétendant demandèrent à leur future belle-fille d’expliquer sa pensée, car pour eux l’intermédiaire en question était effectivement un bel homme. Elle leur expliqua que le furu nyèlò est responsable, par ses maladresses, de la lenteur et du blocage des négociations. En effet, il rapporte textuellement à chaque partie les propos et critiques de l’autre partie. Son rôle est d’apaiser, de conseiller, d’harmoniser au mieux les messages qu’il est chargés de transmettre ici et là. Mais sa défaillance, son manque d’initiative constructive, ses maladresses desservent la noble cause du futur couple. Convaincu du bien-fondé de cette remarque, les parents du prétendant comprirent l’impérieuse nécessité de remplacer le furu nyèlò. Un nouveau furu nyèlò plus conciliateur, plus habile, plus diplomate, réussit à débloquer la situation en dissuadant les parents de la jeune fille de réduire leurs exigences et en demandant à ceux du prétendant de faire preuve de patience et d’abnégation, car le solliciteur doit toujours se soumettre aux caprices des beauxparents et surtout qu’il n’a pas de conditions draconiennes à imposer. Il doit prier et convaincre le donateur de modérer ses exigences, d’assouplir sa position. Les difficultés furent ainsi enjambées et le mariage fut conclu et célébré à la satisfaction de tous.

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(12) - Il faut noter que le mariage entre cousins paternels qui est aujourd’hui pratiqué par certaines familles était jadis prohibé. Du fait que la société mandingue est à présent fortement islamisée et que les principes du Coran sont devenus une référence permanente dans la vie de ce peuple, le mariage entre cousins (nyòònta) se généralise, puisque l’Islam n’a pas envisagé ou interdit ce cas (A tè sèbèli kònò = Ce n’est pas écrit dans le Coran). Il n’est donc ni autorisé ni interdit. Pour la consolidation des liens familiaux, certains favorisent ce genre de mariage (badenya furu). Ils pensent que c’est un moyen efficace pour raffermir les liens fraternels. Mais en cas d’échec la grande famille se divise et se disloque en deux clans hostiles, souvent pour longtemps. (13) - Sidi = siri = attacher, lier, unir Woro siri = attacher les colas, c’est-à-dire célébrer le mariage (furu siri). (14) - Dans la calebasse se trouvent: - Un paquet de noix de cola, constitué chacun de dix grosses noix de cola attachées dans de larges feuilles fraîches à l’aide d’un fil blanc, ou à défaut dans du papier blanc ou kaki. - Des aiguilles et du fil blanc pour permettre à la mariée de ressouder les deux familles alliées ou de concilier ou réconcilier les éléments discordants de la famille de son mari. Bref doit être un fervent liant. C’est un symbole. - Un peu de riz, du fonio, du mil. Ce qui signifie que les parents du prétendant s’engagent sur l’honneur devant toute la collectivité, d’assurer la nourriture permanente de leur brue, à lui donner régulièrement à manger. Ainsi les beaux-parents sont rassurés que leur fille ne sera jamais affamée et sera bien entretenue. - Un sac de sel à distribuer à tous les parents directs de la future mariée, à tous les alliés, à tous les voisins de la belle-famille, parfois à toute la collectivité. Ainsi à travers le repas, assaisonné par ce sel du mariage, qui est pris en commun, tous les parents, amis, alliés... se trouvent concernés par ce mariage. (15) - Le wasamba ou wasama est un instrument de musique constitué d’un bâton à deux branches inégales. Sur la branche la moins longue, on enfile par un trou central une dizaine d’anneaux de rondelles de calebasse. L’autre branche sert de manche et permet d’actionner l’instrument en lui appliquant un mouvement demi circulaire, de haut en bas et de bas en haut, répété et cadencé. Les anneaux glissent donc de haut en bas et de bas en haut en émettant un rythme cadencé et que les mains agiles agitent et arrivent à obtenir une certaine musique, des sons mélodieux. (16) - Camara Laye, écrivain guinéen, « L’enfant noir, » Chapitre V, p. 74-75. (17) - Proverbe mandingue qui veut dire que l’un des conjoints doit être plus tolérant, plus sage pour la survie du couple. (18) - Amadou Kourouma, écrivain ivoirien, auteur de « Les soleils des indépendances, » p. 44. (19) - Djodji Akoly Nyatépé-Goo, « Bingo » N° 366 de juillet 1983: « La famille à travers les tourbillons modernes. »

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(20) - Mme Ray-Autra née Séré Damaro Camara, épouse du sociologue guinéen Mamadou Traoré Ray-Autra et fille de l’auteur du présent ouvrage, « Prestige de la maternité » dans « Amina » N° 131 de 1983, p. 14. (21) - Komlan Agbétiafa, ministre togolais de l’enseignement. Extrait de sa « Conférence sur l’éducation » en 1984, « Bingo » N° 382 de novembre 1984. (22) - Dans mon village, Damaro (Beyla-Guinée), mon groupe d’âge, composé de plus de trois cent filles et garçons, porte le nom de Moïma Drissa Camara, fils de Maya Kaba Diomandé qui avait 45 ans. Idrissa vivait à N’Zérékoré (Guinée) en 1985 à la tête d’une nombreuse famille. Après notre génération (Drissa sèrè) il eut seulement que trois Sèrè: à Damaro. En effet, après l’accession de la Guinée à l’indépendance en 1958 le PDG-RDA et le gouvernement, sous la conduite musclée et autoritaire de Sékou Touré, supprimèrent ces institutions juvéniles traditionnelles. De 1958 à 1984, tous les jeunes de Guinée (élèves, étudiants et ruraux) furent canalisés et embrigadés dans la JRDA (Jeunesse du Rassemblement Démocratique de Guinée). Aucun mouvement, aucune association, aucune manifestation, aucune contestation, aucune liberté de pensée et d’action ne furent tolérés en dehors du creuset, de la ligne ou de la doctrine de ce parti unique qui régna en Guinée sans partage de 1958 à 1984. L’expérience prouve que l’engouement des jeunes pour leur sèrè est fort, spontané, naturel et bénéfique à tous. Un sentiment de solidarité permanente, une affinité, un amour fraternel sincère, un climat de chahut et de détente se créent entre tous les éléments d’un même groupe d’âge. Le village s’en trouvait animé, harmonieux et développé par la sédentarisation des jeunes et l’assistance solidaire, bénévole de tous. Heureusement, nous constatons qu’à la faveur du changement de régime en Guinée le 3 avril 1984, nos villages, nos quartiers, nos villes ont pu reconstituer nos sèrè. Ce qui est salutaire et constitue un retour juste et salutaire à l’une de nos sources vertueuses et contribue à leur équilibre et à la survie de nos sociétés traditionnelles dans ses parties dynamiques et solidaires. (23) - Gbènzèn, monnaie local de la Guinée Forestière faite d’une tige métallique forgée et torsadée dont une extrémité est aplatie et l’outre terminée par deux pointes égales, équidistantes de l’axe.

Un gbènzèn: monnaie locale créée au XVIème siècle par Fantouman Oulèn Camara, petit-fils du patriarche FARIN KAMAN CAMARA de Moussadou. Elle avait cours entre la Guinée Forestière et le Konya. (24) - Une étude de Daouda Damaro Camara. (25) - Cette monnaie avait encore cours dans les années 1950 dans les cercles de Beyla, Macenta, Kissidougou, N’Zérékoré et jusqu’au fond de Libéria. Elle a donc servi dans les transactions commerciales. (26) - Dans le domaine de la culture négro-africaine en général et notamment dans celui du théâtre et de la musique, Keita Fodéba est considéré comme un artiste particulièrement talentueux. Il fut le fondateur, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, 925


de la célèbre troupe artistique et théâtrale dénommée « Les Ballets Africains de Keita Fodéba ». Cette troupe africaine fut très appréciée pendant très longtemps en Europe, en Amérique, en Asie... qu’elle sillonna avec succès. Mais par patriotisme, Keita Fodéba céda sa troupe à l’état, à l’accession de la Guinée, son pays natal, à la souveraineté nationale à la suite de son vote négatif historique au référendum du 28 septembre 1958. Et depuis la troupe est devenue « Les Ballets Africains de la République de Guinée ». Mais en dépit de la profusion des troupes théâtrales nationales et privées africaines, celle créée par Keita Fodéba reste encore nettement la plus célèbre malgré les changements de thèmes apportés dans ses programmes. Mais la chorégraphie et le génie artistique de Keita Fodéba restent vivaces et sont devenus le repère permanent et la source d’inspiration intarissable pour les troupes théâtrales locales. Aussi, ses recueils de poèmes et ses récits sont fortement engagés dans la lutte émancipatrice et libératrice des peuples noirs opprimés par le colonialisme. Les plus célèbres sont entre autres: Aube Africaine, Minuit, Nama... Minuit est une tragédie qui a traumatisé le peuple mandingue. Un blanc est assassiné à Siguiri. Le commandant du poste de Siguiri (Guinée) fait déposer discrètement et à une heure tardive de la nuit, le cadavre du blanc derrière la case du jeune Ballakè, l’idole des jeunes que la belle et gracieuse Sona aime tant après avoir refusé son amour au commandant, le tout puissant maître de la région. Profondément ulcéré par son échec sentimental inadmissible auprès d’une négresse qui n’avait de cœur et d’yeux que pour un misérable paysan nègre, résolument déterminé à éliminer physiquement Ballakè dans l’espoir d’avoir enfin les faveurs de Sona, le commandant mit ce crime sur le dos de son rival Ballakè. Ainsi lâchement accusé, Ballakè fut arrêté, jugé sommairement et condamné à mort. Profondément indigné par cette arrestation et par ce jugement arbitraire, par cette lâcheté, le peuple mandingue de Siguiri se mobilisa spontanément pour empêcher l’exécution injuste de Ballakè, l’innocent, prévue pour le lendemain. Mais très opiniâtre et très subtil, le commandant prit le devant des événements en exécutant par anticipation la sentence à Minuit, d’où le nom de la tragédie. Ballakè fut effectivement et rapidement fusillé dans la précipitation avant que la population indignée et révoltée ne finisse d’organiser la riposte pour libérer Ballakè. La belle Sona n’eut d’autres recours que de se suicider pour ne pas tomber dans les bras du meurtrier de celui qui gouvernait son cœur. Et le héraut du village annonça avec son taman (tambour) la triste nouvelle, l’exécution lâche de Ballakè qui était aimé et respecté par tout le village. Ainsi le peuple fut mis devant le fait accompli, et toutes les velléités de résistance populaire s’avérèrent inutiles, car la cause était perdue. Il fallait limiter les dégâts. Mais ce ne fut pas une résignation totale. Cette tragédie sanglante ouvrit les yeux du peuple sur la vraie nature des nouveaux maîtres du pays dont les méthodes n’étaient pas moins brutales que celles utilisées par les chefs locaux qu’ils avaient éliminés. Ainsi l’on comprit que la prétendue mission civilisatrice que l’Europe s’assignait en Afrique et ailleurs pour justifier le fait colonial devait s’accomplir avec brutalité, dans un bain de sang, dans l’injustice, dans l’abus d’autorité... Sur la scène: Fodéba Keita substitue le pistolet du commandant au corps du blanc assassiné. Très pernicieux et subtile; le commandant, après avoir déclaré le vol de son pistolet, alla discrètement cacher nuitamment son arme dans la paille du toit de la case de Ballakè. Il ordonna alors à tous ses sbires de fouiller systématiquement tout le village pour retrouver le voleur de l’arme. Évidemment cette opération de recherche ne devait pas trop durer, car « LA VICTIME » savait où trouver son objet volé. Après avoir fouillé vainement et pour la forme quelques cases du village, il orienta avec insistance la recherche sur celle de Ballakè où évidemment on retrouva le pistolet là il l’avait caché. Ballakè fut ainsi arrêté, jugé et condamné à mort par une justice expéditive et exécuté. Mais hélas! l’exécution anticipée ou précipitée de Ballakè à minuit au lieu du lendemain comme prévue mit fin aux velléités de révolte ou de riposte des populations indignées. Et depuis, Ballakè et Sona, martyrs du

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colonialisme, sont devenus des symboles de la résistance du peuple Mandingue au fait colonial. Keita Fodéba a su magnifiquement interpréter ou transposer sur scène de théâtre cette sanglante tragédie qu’est Minuit et polariser progressivement, dans un même creuset, toutes les velléités de résistance du peuple contre l’oppression colonialiste. Pour l’administration coloniale il fallait interdire ce disque et cette mise en scène qui ne cessaient de rappeler au peuple cette tragédie sanglante afin d’éviter une rapide et nette prise de conscience populaire du fait colonial ou des méthodes barbares et arbitraires du colonialisme « dans sa prétendue mission civilisatrice des peuples noirs ». Ces résistances et ces censures furent vaines car ce genre d’abus était courant et épars. Les Africains engagèrent vite la lutte politique et syndicale pour l’émancipation des masses et la libération totale du joug colonial. Et cette longue et pénible lutte déboucha sur l’indépendance de la Guinée en 1958. Il faut signaler que cette poignante tragédie magnifiquement transposée sur scène théâtre provoqua un incident d’indignation de certains spectateurs de la prestation à Montréal (Canada). En effet après le spectacle, feu Bakary Cissoko, qui interprétait les actes ou le rôle du commandant blanc se fit agresser dans les rues de Montréal par le public à cause de sa cruauté dans le numéro. Le public avait pris cause et fait pour Ballakè et Sona, victimes d’une injustice intolérable et expéditive; et pourtant le pauvre acteur n’avait fait qu’interprêter magnifiquement et exactement ce qui s’était passé. Il faut par conséquent comprendre la légitime réaction ou l’indignation du peuple mandingue face au fait colonial et l’effet qu’il produisait sur toutes les consciences. Le disque réalisé par Fodéba Keita sur cette tragédie fut d’ailleurs interdit par l’administration colonial afin d’éviter une rapide prise de conscience et les sentiments de frustration et de révolte qu’il provoquait chez les peuples NOIRS. NAMAN est aussi une autre malheureuse tragédie qu’il faut qualifier de parjure inadmissible ou d’ingratitude impardonnable de la France envers ses libérateurs. « LA TRAGÉDIE DE NAMAN, OU LA BAVURE DE LA FRANCE QUI, PAR UN ACTE D’INGRATITUDE INJUSTIFIÉE ET INADMISSAIBLE, A SOUILLÉ ET RÉVOLTÉ LA CONSCIENCE HUMAINE » ----------o---------LE PARJURE DE LA FRANCE OU UNE INGRATITUDE INJUSTIFIÉE, INOUBLIABLE ET IMPARDONNABLE POUR SANCTIONNER UN FIDÈLE SERVITEUR LE PACTE TACITE ENTRE NAMAN, LE TIRAILLEUR SÉNÉGALAIS (ET CONSORTS) ET LA FRANCE

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« Naman, défend vaillamment au prix de ta vie ma liberté perdue et ma dignité bafouée. Naman, libère ma Patrie occupée pour qu’en retour et en guise de reconnaissance de tes sacrifices et services rendus: ► Je puisse refuser de reconnaître, de payer tes droits inaliénables, ► Et en plus que je puisse aussi, sans état d’âme, t’assassiner froidement et cyniquement à Thiaroye, ► Afin que tu ne puisses plus jamais revoir tes parents et vivre paisiblement dans ton pays … » Ainsi pourrait-on résumer le contenu du « PACTE IMPLICITE » qui lia la France aux tirailleurs africains dont NAMAN pendant les guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945... Au regard de ce qui s’est passé, voici les clauses du « PACTE IMPLICITE » ou le prix payé par NAMAN et ses camarades soldats froidement assassinés à Thiaroye, dans la banlieue de Dakar: ۩ Pour avoir osé réclamer leurs droits, leurs salaires et leurs primes de guerre dus, ۩ Après avoir affronté les chars allemands qui les ont impitoyablement broyés, ۩ Après avoir croupis sous les bombes des Allemands, ۩ Après avoir résisté vaillamment dans les tranchées, ۩ Après avoir été gelés par la rigueur de la neige sur les différents fronts, ۩ Après avoir vaillamment contribué à la libération de la France du joug allemand. EN TOUT CAS C’EST BIEN L’IMAGE DU PACTE TACITEMENT CONCLU ET DE CE QUI S’EST PASSÉ AVANT ET APRÈS AU SÉNÉGAL ENTRE LES TIRAILLEURS RESCAPÉS ET LA FRANCE Naman est aussi la tragédie de ce fils unique et soutien moral et matériel de vieux parents, qui fut arraché à l’affection des siens et enrôlé comme tirailleur sénégalais pour aller libérer la patrie française occupée par les envahisseurs allemands. Ce qui coûta la vie à des dizaines de milliers d’africains et fit également des milliers d’handicapés physiques, sans parler de l’effort de guerre durement payé et ressenti par les peuples africains qui furent frustrés et privés de leurs denrées alimentaires pour ravitailler le front. On appliqua aux paysans aussi le dure régime du travail forcé sur les plantations de cultures industrielles et sur les chantiers de construction de routes et de chemins de fer pour permettre l’évacuation des matières premières dont l’industrie européenne avait tant besoin, et inversement pour l’écoulement des produits manufacturés des industries européennes. Ainse de vastes plantations de cultures industrielles furent gracieusement aménagées pour les colons par la même pratique de travaux forcés. De grandes sociétés assuraient les transactions commerciales au profit des industries et des maisons de commerce de l’Europe. Après avoir gagné la guerre, Naman, comme tous les autres tirailleurs ou combattants survivants, rêvait de rentrer au bercail et était attendu impatiemment par les siens qui s’apprêtaient à organiser à son honneur le Douga, le Dyandyon et autres danses réservées aux hommes qui ont vaincu la peur et bravé la mort. Mais pour avoir revendiqué avec insistance le paiement du rappel intégral de leur salaire et de leurs primes de guerre dus et promis, ces tirailleurs furent lâchement et impunément massacrés dans un effroyable bain de sang, sur le chemin de retour, à Thiaroye, dans une caserne de la banlieue de Dakar. Naman et ses 928


compagnons d’armes furent impitoyablement mitraillés à l’aube par des chars de combat français pendant que certains d’entre eux dormaient encore tranquillement dans la caserne de Thiaroye. Ils furent totalement surpris, indignés et révoltés par le refus catégorique de la France de respecter son propre et libre engagement de payer leurs droits légitimes. Ils furent aussi surpris par ce triste et injuste sort qu’on leur a réservé après avoir versé leur sang pour défendre la cause ou la liberté et l’indépendance de la France en défendant l’intégrité de son territoire et en boutant les fascistes allemands hors du sol français. Oui! Nous ne cesserons jamais de clamer haut et fort qu’ils ont bravé les rigueurs de la neige, loin de la chaleur du soleil africain et de leurs parents. Ils ont aussi bravé les chars, les mines et les obus allemands. Ils ont sauté sur des mines, ils ont vécu sous les bombes de l’aviation allemande dans les tranchées... En raison de ces sacrifices ultimes, ils méritaient tous la gratitude et la reconnaissance de la France pour services rendus à la nation française. On ne peut jamais tolérer et oublier que ces vaillants tirailleurs défenseurs de la France envahie et humiliée ont été injustement et cyniquement massacrés à la fin de la guerre, non pas par les chars allemands qu’ils ont combattus, mais par ceux de la France qu’ils ont défendue avec tant d’ardeur et de sacrifices. Quel paradoxe! En tout cas ils méritaient tous, par conséquent, des promotions, des grades des récompenses morales, matérielles et financières…, surtout des primes d’entretien pour le reste de leur vie. Mais leur récompense ne fut malheureusement pas à la hauteur de leur sublime abnégation. Mais l’effort du sang qu’ils ont versé et le don de leur vie ne furent malheureusement récompensés que par leur massacre inattendu qu’on doit qualifier de crime contre l’humanité. Ce massacre resta malheureusement et paradoxalement impuni par la France farouchement attachée à l’Égalité de tous les hommes, à la Liberté, à la Justice pour tous, et au Droit Universel. La France n’aura-t-elle pas sur sa conscience et pour toujours cette trahison, cet ignoble acte de parjure? Quelle ingratitude de la part de la France! La France de tous les temps doit, se souvenir, reconnaître et réparer cette bavure inqualifiable. En tout cas: - Ces héros de la résistance, - Ces braves combattants de la libération de la France du joug des Allemands, dont des milliers sont morts aux Dardanelles, à Verdun, sur la ligne Maginot et ailleurs, sur d’autres fronts dans la neige méritent de la reconnaissance. Ils ne doivent pas être traînés dans la boue. Oui! Ils sont morts dans la neige, loin de leur famille, pendant qu’ils rêvaient de retrouver leur soleil d’Afrique. Oui! Ils sont morts dans la neige, broyés par les bombes, les chars et canons, déchiquetés par les mines des allemands... Ces combattants, ces tirailleurs sénégalais, ne méritaient pas un tel traitement, une telle fin tragique... Ainsi Naman, victime de cette tragédie comme tant d’autres, ne retrouva jamais ses parents, parce que impitoyablement, froidement et cyniquement abattu par l’armée française à Thiaroye. Oui! Naman fut tué par les balles de la France dont il si durement défendu la liberté après avoir échappé miraculeusement à celles de Allemands qui devraient le tuer normalement. Quelle triste fin! Dans l’histoire de la colonisation française, l’épisode ou la tragédie de Thiaroye ne peut pas et ne doit pas être oubliée et pardonnée sans reconnaissance et réparation ni par les Africains et ni oubliée par les Français. Et qu’en dirait le Député Blaise Diagne du Sénégal à l’Assemblée Nationale Française qui fut le promoteur de cette mobilisation massive 929


des ressources humaines de l’Afrique Noire pour défendre le territoire français et libérer la France envahie par l’Allemagne (1914-1918 et 1939-1945)? Un devoir de souvenir et de réparation de cette ignoble bavure s’impose à tous... (Voir ci-dessus: « Document de lecture »: « SITUATION DES ANCIENS COMBATTANTS » PAR MAMBA SANO, PREMIER DEPUTÉ GUINÉEN À L’ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE.) (27) - Djibril Tamsir Niane, Avant-Propos de « Soundjata ou l’épopée mandingue, » p. 5-6. Ancien proviseur du Lycée Classique de Donka (Conakry), Niane fut accusé de complot et arrêté en 1962 par le régime de Sékou Touré en même temps que tous ses camarades du bureau national des enseignants de Guinée dont entre autres: Koumandian Keita, Mamadou Traoré Ray-Autra, Mountana Baldé, Asmiou Baldé, Diara Sidi… pour avoir revendiqué la revalorisation du statut des enseignants de Guinée. Cette élite fut jetée en prison au triste Camp Mamadou Boiro ou certains firent trois ans, d’autres cinq voire sept ans. Heureusement que ce camp créé par Keita Fodéba était à l’époque à ses débuts, donc en expérimentation. Plus tard toutes les méthodes de tortures y furent expérimentées pour extorquer les aveux. À sa libération du bagne de Boiro, Niane fut Doyen de la Faculté des Lettres de l’Institut Polytechnique de Conakry, puis s’exila à Dakar où il fut Directeur de la Fondation Léopold Sédar Senghor. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux empires du Ghana, Mali, Sosso... Niane se rendit célèbre à son arrestation par un poème trouvé dans ses archives à l’issue de la perquisition policière de son domicile et lu à la radio guinéenne par le Président Sékou Touré lui-même. Dans ce poème dont je me rappelle encore vaguement les termes que l’auteur m’en excuse - traduit éloquemment la déception et la complainte du paysan, de l’ouvrier de l’étudiant et de la ménagère - disons du peuple guinéen frustré - devant l’enrichissement illicite et révoltant des cadres du parti, des hauts fonctionnaires de l’administration, des directeurs et des responsables des sociétés commerciales et industrielles de l’état guinéen qui se voulait socialiste et révolutionnaire. Ce qui constituait un paradoxe idéologique. Parallèlement le peuple croupissait dans une misère inqualifiable voire insupportable. De mémoire, nous nous rappelons - certes vaguement - ce poème dans lequel Niane écrit: « Camarade, Moi je ne comprends pas! J’ai voté NON (28) Comme toi aussi d’ailleurs. Le méchant colon est parti, Liberté est venue, escortée par Démocratie, Responsabilité suivait d’un pas grave. Richesse est venue se cacher dans ta gibecière, Auprès de moi resta pauvreté s’accordant sur dignité, Et pourtant, j’ai voté NON! Comme toi! » Que l’auteur et ses ayants droit veuillent bien m’excuser si je n’ai pu reproduire fidèlement le texte original; car la mémoire humaine est faillible. À l’époque (1962), Niane fut traité de contre-révolutionnaire. Ce poème, considéré comme très subversif, fut éloquemment lu et commenté à la radio par Sékou Touré, lors d’une réunion des cadres du parti, et pesa beaucoup dans son accusation et sa condamnation. Mais curieusement, en 1964, le Président Sékou Touré, en se rendant, lui-même, à l’évidence de cette situation en 1964, soit deux ans après Niane Djibril Tamsir, prit des mesures draconiennes (« loi-cadre du 8 Novembre 1964 ») pour atténuer, freiner ou arrêter 930


définitivement cet embourgeoisement illicite et scandaleux des cadres et des commerçants dont beaucoup qui ne purent justifier leur fortune eurent les biens confisqués, nationalisés. Pendant ce temps Niane croupissait au Camp Boiro. Comme quoi: « On a souvent tort d’avoir raison très tôt, avant les autres » dit un adage. Donc, « Observe la vérité, ne la dépasse pas » a dit PTAHHOTEP, philosophe noir de l’Égypte Antique. Donc il ne faut pas voir, entendre, comprendre et dénoncer avant le chef, surtout quand son entourage ou son régime est compromis. Combien de gens honnêtes sont morts en Afrique indépendante pour leur intégrité morale ou pour avoir osé dénoncer les scandales financiers, les détournements de deniers publics. Le chef ou son entourage y voit toujours un outrage et des mesures draconiennes frappent toujours les auteurs de tels propos du moins surtout dans nos pays soumis au régime du parti unique. Lors de cette conférence, certains responsables de la Section PDG de Beyla demandèrent par démagogie le retrait immédiat de la circulation et des établissements scolaires de « SOUNDJATA OU L’ÉPOPÉE MANDINGUE », roman qui a rendu Djibril Tamsir Niane très célèbre. Mais faisant preuve de réalisme politique, le Président Sékou Touré rejeta cette proposition, pourtant accueillie avec acclamation dans la salle. sous le prétexte que le roman n’a pas comploté, « mais c’est son auteur qui a trahi ». Mieux il convainquit en demandant à ses cadres politiques que si Niane était un ingénieur de ponts et chaussées qui avait réalisé un magnifique pont sur le fleuve Niger, fallait-il faire sauter ce pont construit par Niane parce que celui-ci était pris dans un complot? Ne confondons pas les choses, dit-il. Ainsi, ce débat concernant Niane fut clos avec intelligence. Mais, en dépit de cette reconnaissance réaliste, il fit quatre ans au bagne du camp Boiro, tout comme Mamadou Traoré Ray-Autra, Koumandian Keita, Mountaga Baldé, Diara Sidi... qui furent tous relaxés après avoir purgé de lourdes peines d’emprisonnement. (28) - À son avènement au pouvoir en 1958, le Président Charles De Gaulle proposa une nouvelle constitution pour régir les relations des territoires avec la métropole sur de nouvelles bases. En votant NON! au référendum organisé à cet effet, on devenait indépendant; par contre le territoire qui votait OUI! resterait dans la communauté francoafricaine. Seule la Guinée, sous l’égide de Sékou Touré, vota massivement NON! le 28 septembre 1958 et devint par conséquent un État souverain. Cette décision historique fit des émules deux ans après, car tous les territoires qui avaient voté OUI! en 1958 demandèrent, à partir de 1960, leur indépendance par cascade. S’étant ressaisi certainement à temps, on assista à partir de 1960 à une succession de proclamations de l’indépendance des différents états africains, parfois à quelques mois près entre les différentes proclamations de la souveraineté. Cette attitude ou ce revirement spectaculaire des autres colonies françaises d’Afrique Noire donna raison à la Guinée dans son choix historique qui changea son destin (voir 31). (29) - Tidiane Dem, ancien ministre ivoirien, écrivain et auteur de MASENI (= MON OR). Tidiane Dem était un sage de 77 ans en 1985. Son expérience lui fit parler de la jeunesse dans le journal mensuel « Bingo » N° 388 de mai 1985. (30) - Boubou Hama, ex-président de l’Assemblée Nationale de la République du Niger, « Bingo » N° 344 de septembre 1981. (31) - Du fait de la montée irrésistible du nationalisme africain, les colonies françaises d’Afrique Noire étaient en pleine effervescence. Des partis politiques et des syndicats crées engagèrent une lutte sans répit contre la répression colonialiste et pour l’émancipation et la liberté des peuples, pour la vraie égalité et la vraie justice. Devant cette aspiration légitime des 931


Africains, le Général De Gaulle, un visionnaire, un libérateur prit acte de cette option. Il proposa en 1958 un référendum aux territoires d’outre-mer qui étaient divisés entre deux options. Il y avait: - Ceux qui voulaient adhérer à la communauté Franco-Africaine, ou association libre avec la France pouvaient voter Oui, d’une part. - Ceux qui voulaient accéder à l’indépendance totale et immédiate pouvaient voter Non. Parmi tous les territoires, seule la Guinée vota massivement Non! et accéda par ce fait à l’indépendance, d’autre part. - On peut citer entre autres des partis politiques, partis ethniques, partis à caractères régionaux: - Le PDG-RDA, sous l’égide de Sékou Touré, leader du PDG-RDA, derrière qui se rangèrent spontanément, par patriotisme, tous les partis politiques de Guinée dont les principaux étaient: - Le BAG (Bloc Africain de Guinée) dont le leader était Barry Diawadou qui fut arrêté et condamné à mort en 1968 par le régime de Sékou Touré. - Le PS (Parti Socialiste de Guinée) dont le leader était Barry Ibrahima dit « Barry III », qui fut pendu publiquement à Conakry en 1970 au pont Tombo du 8 novembre.) - Le PAI (Parti Africain de l’Indépendance). On ne saurait oublier les autres groupements ethnocentriques et régionaux... dont: - L’Union Mandé de Farfamoï Bérété, - L’Union Forestière de Touré Jean Farah et Mamba Sano, - L’Amicale Gilbert Vieillard pour le Fouta, - L’Union pour la Basse Guinée de Karim Bangoura Fodé Mamoudou Touré... Cette mosaïque de partis politiques et de groupuscules politiques et ethnocentriques s’écroula par patriotisme en 1985, lors du Référendum du 28 septembre. En effet, le patriotisme spontané de tous les Guinéens permit de réaliser spontanément l’unité nationale en cette circonstance historique. La moindre dissidence d’un quelconque parti, si minoritaire fut-il, aurait compromis l’accession du pays à l’indépendance (cf. cas du Niger avec le Sawaba majoritaire de Bakary Djibo qui fut disloqué par l’administration coloniale en exploitant le vote positif du RDA minoritaire de Hamani Diori). À ce rendezvous ultime de l’histoire, la Guinée scella un nouveau destin. Ainsi donc si Barry Diawandou, Barry Ibrahima dit Barry III et bien d’autres leaders politiques s’étaient prêtés au jeu de la France, il y aurait eu des troubles, des émeutes qui auraient justifié l’intervention des troupes françaises basées et renforcées à Conakry pour rétablir l’ordre. Ce qui aurait bloqué l’élan patriotique pour l’indépendance qui serait évidemment, et dans ce cas, étouffé. Et l’indépendance n’aurait pas eu lieu en 1958 ou en tout cas serait différée pour longtemps. Et l’Afrique serait restée pour longtemps dans le giron du colonialisme français. Gloire! et honneur! au patriotisme OPPORTUN: ► de BARRY DIAWANDOU ► de BARRY IBRAHIMA dit BARRY III ► et d’autres artisans et pionniers de l’indépendance de la Guinée et de l’Afrique En Guinée, le pouvoir, populaire au départ, s’érigea progressivement en appareil de répression. La corruption, les détournements de deniers publics, le népotisme, l’enrichissement illicite à tous les niveaux, les règlements de compte devenus monnaie courante, la suprématie absolue du parti unique (le PDG) entraînant une dictature sanglante, la disparition de la liberté de pensée, d’opinion et d’action, l’effondrement de l’économie furent 932


les principaux maux de la Première République Populaire Révolutionnaire de Guinée (28 septembre 1958 - 3 avril 1984). Le docile, l’enthousiaste et le laborieux peuple de Guinée fut ainsi déçu par la promesse d’un bonheur hypothétique par le régime révolutionnaire. Il fut traumatisé par l’embrigadement idéologique, les arrestations arbitraires, la fourniture obligatoire (normes) et la vente à vil prix des 2/3 de sa production vivrière. C’est cet état d’âme meurtri du guinéen que Djibril Tamsir a si bien traduit dans ce poème. Il a eu tort d’avoir stigmatisé très tôt cette situation qui sera d’ailleurs violemment dénoncée en 1964 par Sékou Touré lui-même. Il s’en suivit la vérification des biens acquis par les cadres administratifs, politiques, les commerçants... Certains délinquants eurent leurs biens mal acquis confisqués et nationalisés (cf. loi-cadre du 8 novembre 1964). (32) - Nous tenons ces noms de Djibril Tamsir Niane, « Recherches sur l’Empire du Mali en Moyen Âge, » p. 18. (33) - Un texte de Daouda Camara, héritier paracheveur du présent ouvrage posthume. Cette étude m’a été inspirée après une discussion en 1978 avec un collègue professeur américain blanc qui affirmait que nos sociétés traditionnelles ont totalement ignoré la démocratie et la liberté d’expression et de surcroît qu’il n’y avait pas d’institution de contrôle du pouvoir du chef, donc pas de contre-pouvoir. Démuni d’arguments valables, disons d’exemples, je puis lui dire vaguement, sans conviction, qu’il existait certainement une forme spécifique de démocratie, de contre-pouvoir qui n’avaient rien à avoir avec la pratique occidentale. Depuis je décidai de relever ce défi. J’ai alors cherché et trouvé ce contre-pouvoir dans le sangban, le sòsòlikèla, le sanankun, la gérontocratie, les sèrè (groupes d’âge), les oncles et tantes paternels et maternels... (34) - Soundioulou Cissoko, « Bingo » N° 344 de septembre 1981. Grand griot mandingo de la Casamance (Sénégal), Soundioulou Cissoko était considéré jusqu’en 1984, comme la plus grande virtuose de la cora. Il se retira volontairement de la scène et des studios pour consacrer ses vieux jours à la création d’une école pour les jeunes joueurs de cora afin d’assurer la relève. (35) - Boubou Hama, « Bingo » N° 344 de septembre 1981. (36) - Bakary Diawara, ivoirien, professeur d’Histoire, l’hebdomadaire ivoirien « ID » N° 468 du 27 février 1980. (37) - Maurice Bouvier-Ajam, « Essai de méthodologie historique, » Édition le Pavillon, p. 29. (38) - Hampâté Bâ, « Bingo » N° 344 de septembre 1981. (39) - Ibrahima Baba Kaké: professeur agrégé d’histoire, animateur dans les années 1970-1980 de la célèbre émission radiophonique de radio France internationale: « Mémoire d’un continent » consacré à l’histoire africaine. Kaké a dirigé la grande collection de vulgarisation de l’histoire africaine: « Les grandes figures de l’histoire africaine ». Il fut l’auteur de plusieurs ouvrages: « Les Noirs de la Diaspora », « Les armées traditionnelles de l’Afrique » et de plusieurs articles dans divers journaux traitant de l’histoire africaine... Voir l’hebdomadaire ivoirien « ID » N° 521 du premier février 1981.

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(40) - Ibrahima Baba Kaké: Dans cet ouvrage de 192 pages édité par les Éditions Lion du Gabon, admirablement et richement illustré, Kaké comble une des grandes lacunes de l’Histoire Africaine en y présentant un échantillon de toutes nos armées traditionnelles (costumes, armements, organisation...) depuis l’antiquité jusqu’à la résistance à la conquête coloniale en passant par nos empires et royaumes africains du Moyen Âge. (41) - Mamadou Traoré dit Ray-Autra est un pionnier de l’enseignement en Guinée, sorti de la célèbre pépinière (L’École Normale William Ponty de Gorée transférée ensuite à Sébikotane, Sénégal), comme beaucoup de nos autres aînés. Écrivain, poète, auteur du fameux recueil de poèmes intitulé « VERS LA LIBERTÉ » qui s’inscrit fièrement dans la littérature de combat pour la libération et l’émancipation de l’Afrique. Ray-Autra est aussi journaliste formé sur le tas pendant la longue lutte de libération. Il fut rédacteur en chef de « Coup de Bambou », premier journal du PDG (Parti Démocratique de Guinée), section guinéenne du RDA (Rassemblement Démocratique Africain) dans les années 1950 qui se vendait sous le manteau parce que interdit par l’administration coloniale française. Pour pouvoir mieux se consacrer à la vie du Parti et être à la pointe du noble combat libérateur, il demanda et obtint sa mise en disponibilité. Il fut plusieurs fois arrêté et emprisonné par l’administration coloniale française pour agitation politique. Turbulent, contestataire de nature ayant son franc parler, incorruptible en toutes circonstances, Ray-Autra était toujours en mal avec les inspecteurs de l’enseignement, ses supérieurs, qui le trouvaient peu respectueux, voire indiscipliné, prêt à protester violemment contre les injustices et les abus d’autorité des commandants de cercles, de leurs sbires et d’autres agents serviles de l’administration coloniale. En raison de son tempérament bouillant, il fut exilé au Niger, puis au Dahomey (actuel Bénin) où il reprit la lutte syndicale et politique au sein de la section locale du RDA. Rentré en Guinée en 1957, à la faveur de la loi-cadre, il fut nommé Directeur Adjoint de l’Institut Française d’Afrique Noire (IFAN). Au lendemain de l’indépendance de la Guinée en 1958, il devint Directeur Adjoint de Radio Guinée, poste qu’il quitta en raison de ses éditoriaux incendiaires dirigés contre la France. Il retourna à l’IFAN devenu INDRG (Institut National de Documentation et de Recherche de Guinée) comme directeur. Syndicaliste incorruptible, il fut arrêté en 1962 pour avoir rédigé le cahier de revendications et de doléances du Syndicat National des Enseignants de Guinée dont il était membre du bureau exécutif. Mais cette action syndicale des enseignants fut perçue par les autorités gouvernementales et politiques guinéennes comme une dangereuse action politique subversive tendant à déstabiliser le régime en place et prit alors le caractère de « complot ». L’arrestation des membres du bureau exécutif entraîna de graves remous dans les établissements scolaires de Conakry et par contagion dans ceux de l’intérieur, qui furent fermés pendant six mois. Libéré après cinq ans de détention au camp Boiro de Conakry, avant ses camarades: Koumandian Keita, Niane Djibril Tamsir, Baldé Mountaga, Baldé Hasmiou, Bah Ibrahima, Diara Sidi... Ray-Autra fut nommé de nouveau Directeur de l’INDRG. Quelques années plus tard il fut désigné, comme pour réparer les torts qu’on lui avait causés, Ambassadeur de la République de Guinée en Algérie. Rappelé six mois après pour avoir, diton, eu un entretien avec l’Ambassadeur de France en Algérie au cours d’une réception officielle alors qu’il y avait une rupture totale entre la Guinée et la France, selon un rapport du comptable de l’Ambassade Fata Loceny Diabaté et du Commissaire de Police Mama Fofana qui se sentaient menacés par l’exigence de Ray-Autra e faire procéder à une inspection financière préalable des fonds de l’ambassade restée longtemps sans titulaire. Ses adversaires politiques qui avaient exploité cette accusation considérée comme une haute trahison réussirent à le réduire au silence, car nulle part il ne lui fut permit de s’expliquer ou de se justifier. La « faute » fut consommée comme telle. Ce fut un véritable calvaire pour lui. Réduit au chômage pendant plus de trois ans, il fut contraint de reprendre la craie à plus de 934


soixante ans d’âge à l’École Normale des Instituteurs de Koba (Boffa-Guinée). En 1968, il fut nommé Directeur du Collège Technique de Kindia qu’il rénova sur le plan pédagogique et administratif. Ses résultats aux différents examens scolaires furent élogieux. Il devint alors très populaire tant auprès des élèves que de leurs parents. Mais cette notoriété publique de cet ancien bagnard de Camayenne (Camp Boiro) ouvrit les yeux des autorités locales de Kindia pour lesquelles il devenait trop gênant. Il fut purement et simplement déchargé de ses fonctions sans autre attribution. Cette révocation injustifiée entraîna la révolte des élèves de son établissement fermement soutenus par leurs camarades des autres établissements secondaires de Kindia. N’eut été l’objectivité de la commission d’enquête venue à cet effet de Conakry qui le mit hors de cause, contrairement aux différents rapports des autorités politique et administrative de Kindia, il risquait encore un emprisonnement qui aurait pu lui être fatal, car les séquelles de sa première détention subsistaient encore. Il fut surtout sauvé par son absence au moment du déclenchement de la révolte des élèves. Ceux-ci exigeaient son rétablissement immédiat dans sa fonction. Quelques jours auparavant, il était descendu à Conakry pour pouvoir comprendre les raisons réelles de cette mesure de disgrâce qui le frappait. Longtemps mis en quarantaine, on trouva mieux de l’envoyer loin. Ainsi il fut mis à la disposition de l’Organisation des États Riverains du Fleuve Sénégal (OERS). Après le retrait de la Guinée de cette organisation sous-régionale, conséquence de l’agression armée organisée contre la Guinée, le 22 novembre 1970, dans laquelle le Sénégal serait impliqué, Ray-Autra cru sage de ne pas rentrer en Guinée, bien que rappelé par son Gouvernement, pour éviter la grande purge sanglante qui s’opéra à l’époque en Guinée et qui coûta la vie à des centaines de cadres. Depuis, il vit en exil à Dakar. Il était en 1980 Attaché de recherche au Département d’Anthropologie Culturelle de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN), Université de Dakar. Ray-Autra détient beaucoup de manuscrits inédits et d’autres sont en chantier. Il collaborait aussi au mensuel africain BINGO dans lequel il publiait régulièrement depuis 1982 des articles de sociologie malinké. Il préparait en 1983 à l’Université de Paris, une thèse inédite de doctorat en sciences politiques sur le thème « LES PARLEMENTAIRES AFRICAINS À L’ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE ». Pour ceux qui ont approché et connu Ray-Autra, il appert clairement qu’il s’identifie à son héros, le sòsòlikèla. On l’a connu contestataire, baroudeur, critique acerbe, opposant irréductible d’abord du colonialisme puis du « Régime révolutionnaire » de Sékou Touré. En fait aucun régime politique africain ne lui a donné satisfaction. On voit donc que le personnage du sòsòlikèla qui le fascine tant incarne ses idéaux, son personnage. Après la mort du Président Sékou Touré le 26 mars 1984 et le renversement de son régime le 3 avril 1984, Ray-Autra cherchait à rentrer en Guinée pour y prendre sa retraite et s’y consacrer à la rédaction de ses mémoires politiques dont nous souhaitons vivement la parution. Malheureusement, cet éternel combattant de la liberté, cet opposant irréductible ne fut jamais compris par les détenteurs du pouvoir et par ses contemporains. Cet éternel contestataire, cet éternel rebelle, ce syndicaliste incorruptible, ce journaliste à la plus féconde et acerbe, ce combattant infatigable de la liberté et de la démocratie, ce poète militant mourut en exil à Abidjan le 14 février 1990 où il repose à jamais. Malheureusement son épouse dispose à Conakry de ses nombreux manuscrits inédits qui se trouvent dans un état piteux et risques d’être perdus pour toujours si des dispositions appropriées ne sont pas prises maintenant pour les sauver de la moisissure, des souris et des cafards. (42) - Kissi Mansa est le roi du Kissi, dans la région forestière guinéenne et d’où provenaient les noix de cola du Manden. Ici, l’allusion est directe: il n’y avait plus de cola dans le pays. Un autre petit coup de griffe en passant, le souverain ne pouvait déclarer la guerre sans l’accord unanime des chefs de tribus. 935


(43) - Les femmes ceignaient autour de la hanche des verroterie appelées « BAYA » qui ont certaines vertus quand les doigts fiévreux s’y égarent dans la couche nuptiale. (44) - Mot arabe qui signifie « Que le salut soit sur vous ». C’est une formule de politesse pleine d’humilité. C’est aussi l’adresse de tout visiteur à son hôte ou à un groupe de personnes. En réponse à A-Salamalèkoum on dit Waa-lékoum-salam (« Soyez le bienvenu »). (45) - Soub-hanna lahi se dit pour conjurer un danger, un mal ou pour s’excuser ou se repentir d’une faute, d’une erreur... (46) - Une étude de Daouda Camara. (47) - Sara, personnage d’apparence vulgaire à travers sa tenue vestimentaire, avec sa guitare tri-corde (bolon ou son tambourin) et une queue d’éléphant ou de buffle qu’il agitait, philosophe, bouffon, vivait encore à Kankan en 2017. Ses causeries, très écoutées, étaient souvent diffusées par la « La Voix de la Révolution Guinéenne » redevenue en 1984 « Radio Guinée ». Mais son message passait inaperçu dans sa profondeur parce que caché dans des bouffonneries et dans des anecdotes. L’aspect humoristique de ses paroles semblent essentiel pour certains alors que, subtilement, chaque phrase de Sara contient les préoccupations quotidiennes du peuple dont il transmet, traduit ou exprime directement ou indirectement les aspirations. Il fustige dans ses flagorneries les comportements néfastes des chefs et du régime politique en place, de ceux des pères de famille et des nantis. Heureusement il n’a jamais été inquiété à cause de l’immunité que la société mandingue accorde à son genre. Souvent, les gens l’admirent et disent: « Seul Sara peut se permettre de dire cela sans aucun risque de sanction... » Ce personnage bouffon, vulgaire, sarcastique était l’idole de la population qui osait et pouvait traduire avec éloquence à l’autorité d’enfance ses préoccupations du moment et les tares de la société sans épargner le régime politique qui gère le pays et son chef. (48) - Kouyaté Sory Kandia est considéré comme le plus grand, le plus célèbre griot mandingue de l’après-guerre et des deux premières décennies (1960-1980) des indépendances africaines. Découvert par feu Keita Fodéba dans un village de Dalaba, au Fouta Djallon (Guinée), dans les années 1953, Kandia (= voix douce et mélodieuse) fut intégré dans les fameux Ballets Africains de Keita Fodéba, ambassadeur de l’art et de culture d’Afrique Noire, qui sillonnèrent l’Europe, l’Amérique, l’Asie - et l’Afrique aussi - pour faire entendre le message culturel, artistique et politique des peuples noirs opprimés, aliénés et épris de liberté, de justice et de dignité. Dans la Guinée indépendante, Kandia dirigea l’ensemble instrumental et choral traditionnel de la Voix de la Révolution (Radio Guinée) et fit quelques représentations sporadiques à l’extérieur avec cet ensemble folklorique. Son retour au pays natal l’a donc fait un peu oublier à l’extérieur sur le plan du spectacle. Compositeur infatigable, d’une inspiration hors du commun, Kandia revalorisa, par sa voix ténorisante qu’on écoutait le souffle coupé, les chansons et gestes des héros d’antan tels que: Taara, Dyandyon, Malisadio, Lamban, Souaressi, Manianba, Douga, Soundjata, Boloba... Prématurément arraché à l’affection des siens et de ses nombreux fans de par le monde entier par l’implacable destin - une crise cardiaque - le 25 décembre 1977, Kandia laisse un vide incombé encore dans la musique traditionnelle malinké. Tout le peuple de Guinée, presque tous les médias (les radios, télévisions et les journaux) lui rendirent un vibrant hommage à sa mort. Dans le hit-parade de la musique internationale, ou en tout cas africaine, Kouyaté Sory Kandia est incontestablement un géant aisément comparable à un Tino Rossi, le plus grand chanteur français de tous les temps, mort en 1983. En 1968, Sory Kandia Kouyaté obtint le 936


prix international Charles Gros pour récompenser ses multiples créations artistiques et musicales. Verra-t-on un jour un autre KANDIA? En tout cas il laisse un grand vide qui n’est pas encore comblé et des fans inconsolés. (49) - Syliphone était la régie nationale guinéenne d’édition et de diffusion de disques. C’était une entreprise d’état qui censurait sévèrement, en collaboration avec la Commission Nationale de Censure, le contenu et la forme de toutes les publications (livres, disques, articles de journaux...) qui devaient toutes s’identifier obligatoirement aux idéaux du Parti Démocratique de Guinée (PDG-RDA). Rien ne devait être conçu, dit et fait en dehors du parti ou contre ses dignitaires au risque d’encourir une répression foudroyante. Mais la subtilité des messages laudatifs de Sory Kandia Kouyaté n’a pu être perçue par l’entendement des censeurs du Part-État de Guinée. Leur vigilance avait été prise à défaut, ou alors c’était une défaillance consciente et coupable. (50) - La mère de Sékou Touré s’appelait Naminata Fadiga. (51) - Kanbelenba est un mot mandingue très péjoratif. Il est synonyme de: - Konyakèla, konyamina: escroc, truand, malhonnête - Wuyafòla: menteur, dupeur, parjure - Dyanfakèla: traître - Kanbelenba signifie aussi Don Juan, grand séducteur qui fait beaucoup victimes parmi les femmes - Mòò ròkoron, ou mòò koron: personne sans vergogne, effrontée - Dyulutalaba: débiteur insolvable - Kodyuukèla: malfaiteur, homme sans pitié, Machiavel Donc kanbelenba est un terme ou un nom très péjoratif qui signifie: cynique, méchant, sadique, corrompu, pervers, séducteur, intriguant, combinard, immoral. Le profil du kanbelenba a été parfaitement bien cerné par Diégo Bailly, journaliste ivoirien, dans « Ivoire Dimanche » N° 622 du 9 juin 1983, les caractères de l’acteur Américain JR dans le célèbre feuilleton Dallas, JR comme étant le prototype du kanbelenba. (52) - Nama: Autre nom de l’hyène. Farafina nama = hyène d’Afrique. Dans nos traditions (contes, légendes) toutes les mauvaises actions sont attribuées à l’hyène. L’hyène est une bête ignoble. Nama signifie également dangereux. (53) - Suluku suntò: Hyène affamée, donc qui n’arrange rien de bon, qui gâte tout sur son passage, qui détruit tout pour satisfaire ses seuls besoins physiologiques, ses seuls intérêts égoïstes. (54) - Tulusa kun kònònto: Vipère à neuf têtes, ce qui constitue un danger inqualifiable et irrésistible. Une vipère à une tête est déjà très mortelle. Que devient-on quand on est mordu par une vipère à neuf têtes? (Tulusa = tutusa = turusa = tudusa = vipère) (55) - Na ka i mina, a tè i bila fo denka rò. (= Il est sans pitié pour ses adversaires. Quand il prend ses opposants c’est uniquement la sentence de mort qu’il leur inflige. Il les tue et les enterre définitivement. Sékou ne lâche un opposant arrêté que dans la tombe).

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(56) - Gbènso est un petit village dont était originaire Sansoba Solo Keita et qui est situé à quelques 40 km de Kankan (République de Guinée), dans Batè-Nafadji. Sansoba est le nom de sa mère. En pays malinké, on accompagne toujours le nom d’un enfant de celui de sa mère. On a donc précédé son nom Solo Keita de celui de sa mère Sansoba et de celui de son village pour mieux le distinguer, ainsi on obtient respectivement Sansoba Solo Keita et Gbenso Solo Keita ou tout simplement Gbenso-tyè (l’homme de Gbènso). Pour rendre hommage à sa témérité, le Président Sékou Touré aurait assisté à son enterrement en 1960. Arraché prématurément à l’affection des siens et de ses admirateurs, son souvenir reste encore très vivace dans toute la région de Kankan. Critiquer Sékou Touré même en coulisse était un gros risque à fortiori le faire vis-à-vis. Tous ceux qui avaient tenté une telle audace avaient encouru de longues peines d’emprisonnement ou étaient morts à cause de leurs opinions contraires à celles du Responsable Suprême de la Révolution. Sékou Touré n’a jamais toléré la contradiction et la contestation.

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CHAPITRE IX À PROPOS DE LA DÉMOCRATIE AFRICAINE OU LES VERTUS DE L’ARBRE À PALABRES ----------o---------« En outre, pour mieux appréhender et donc gérer ce que certains appellent les mutations démocratiques actuellement en cours sur le continent, les Noirs peuvent encore aller puiser des leçons dans leur passé... Les leçons que les Noirs peuvent tirer de leur histoire pour construire leur avenir, c’est qu’en matière de libertés et de démocratie, les Africains ne sauraient recevoir de leçons de la part de quiconque et surtout des Européens et des autres Occidentaux. » Doué GNONSÉA (« Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: Combat pour la Re-naissance africaine, » Édition l’Harmattan, p. 312) ----------o---------Ce thème mérite d’être traité ou évoqué, car pour certains, l’Afrique n’a pas connu la pratique de la démocratie. Cette assertion est une grave aberration qu’il faut corriger. À chaque peuple sa culture. Les hommes de toutes origines ou de toutes nationalités sont confrontés aux mêmes problèmes à un moment donné de leur évolution. L’Europe a certes pu créer progressivement des institutions telles que l’exécutif, le législatif, le sénat, le conseil économique et social, les différentes chambres judiciaires dont les membres sont soit formés, soit nommés, soit élus. Aussi les partis politiques sont venus animer les débats. L’Afrique, de son côté, a organisé aussi sa société à sa manière. Ces institutions européennes sont des contre-pouvoirs qui contrôlent le pouvoir exécutif afin d’éviter les abus d’autorité et les dérapages. En Afrique, pour traiter un conflit ou un problème d’intérêt publique, le chef de famille (denbayatii), le patriarche du clan (kabila kuntii), le chef du village (sotii kèmòò), le chef de la province (kanda, faama, mansa, dyamanatii) convoquent toujours une assemblée de tous ceux qui relèvent de leur autorité. Après un exposé liminaire sur le sujet ou sur l’ordre du jour, la parole est donnée aux belligérants ou à chaque membre de l’auditoire en disant: « Ile ko di? » (= Qu’en penses-tu?) « Ayi ko di? » (= Qu’en dites-vous?)

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Ou bien « An ye wo ko minala di? » (= Comment allons-nous traiter ce problème?) On fait preuve de patience et d’écoute attentive. On prend tout le temps qu’il faut pour écouter les différents protagonistes, les différentes versions. Puis, contrairement à l’occident où ne parlent lors d’un débat que ceux qui veulent, chez nous, le chef ou le doyen donne la parole tour à tour à chaque participant pour recueillir son point de vue. Chacun doit parler librement, et on entend souvent le Président de séance dire au cours des assemblées: « Fo bèè ye kuma. » (= Il faut que chacun parle obligatoirement.) « Fo bèè ye a miriya dyira. » (= Chacun doit donner obligatoirement son point de vue, son appréciation de la situation et proposer une solution ou proposer une sentence, un verdict ou une sanction.) « Alu ko di? » (= Qu’est-ce que vous en dites?) Ou bien « Ayi miriya ye mun di? » (Quelle est votre point de vue?) Dans nos débats, dans nos tribunaux coutumiers, l’avocat du diable n’existe pas. On sait que celui-ci est prêt à défendre les causes perdues. Il peut même arriver à étouffer la Vérité et imposer le mensonge par son éloquence. Aussi, il faut noter que la corruption des juges dont souffrent nos Palais de Justice modernes n’existe pas dans nos sociétés traditionnelles, ou du moins à l’échelle inquiétante de celle pratiquée lors des jugements ou des procès dans les pays occidentaux et dans les sociétés dites modernes. Ici les nantis et les tenants du pouvoir ont toujours raison sur les pauvres. Chez nous, il n’y a pas d’avocat défenseur constitué d’avance qui s’attend à des honoraires de la part de son client. En occident, l’avocat a pour rôle la défense, vaille que vaille, de son client, même quand celui-ci a manifestement tort. Il se déploie à atténuer la sentence en démontrant les circonstances atténuantes qui militent en faveur de celui-ci. Cette démarche de faire parler tout le monde au cours d’une réunion ou d’un débat est obligatoire. Évidemment cela prend assez de temps. La palabre africaine est longue, patiente et fastidieuse dit-on souvent. En effet, chez nous, on est bien patient au cours des réunions et des débats, car on prend le temps qu’il faut pour écouter tout le monde, toutes les parties, tous les acteurs ou protagonistes, ainsi que tous les participants, tous les présents. On ne s’impatiente pas et on ne s’ennuie pas d’écouter ce qui a été dit et redit, aussi longtemps que durent les interventions. On tolère donc la répétition de ce qui a été déjà dit et redit par d’autres intervenants. Mais le principe de la palabre africaine veut que chaque participant ou présent à la réunion prenne obligatoirement la parole et donner son point de vue sur le thème ou sur le sujet en discussion. Même s’il y a lieu de redire ce qui a été déjà dit. Voilà la forme de notre démocratie. Il faut noter aussi que pendant les débats, les assistants ou les conseillers peuvent être divisés entre les belligérants. Chacun peut prendre cause et fait pour tel ou tel protagoniste. Ces assesseurs s’érigent ainsi en avocats défenseurs bénévoles. Ensuite, il appartient au doyen de faire la 940


synthèse des idées émises et des points de vue exposés afin que la décision arrêtée ne puisse être contestée parce qu’elle reflète dans une large mesure le consensus. En conclusion le doyen demande: « An bara bèn wo ma? » (= N’est-ce pas ce que nous avons unanimement décidé?) Ou bien « Bèè bara bèn wo ma? » (= Tout le monde est-il d’accord sur ce qui a été convenu et arrêté? = Tout le monde accepte-t-il les conclusions de nos débats ou les décisions prises?) « Dyòn de ma sòn wo ma? » (= Qui n’est pas d’accord sur ce qui a été décidé?) « Dyòn ma an na bèè-ma-kan wo mina? » (= Qui n’est pas d’accord sur ce que nous venons d’arrêter de façon consensuelle?) « Dyòn ye a fè ka kuma? » (= Qui veut encore parler? = Qui n’est pas d’accord?) Ce sont là des questions qu’on attend et entend toujours dans nos assemblées dans l’unique but de réaliser le consensus. On est donc toujours prêt à donner la parole à toute personne qui la veut et la demande pour suggérer ou contester. On se donne donc tout le temps qu’il faut dans ce sens. On accepte les répétitions. Chaque intervenant peut répéter ce qui a été déjà dit par d’autres. Ces réunions de concertation élargie pour débattre des problèmes de société, d’intérêt commun ou pour débattre et résoudre les conflits sont désignées par les termes gbara, ladyè, nyòòn-ye. Les décisions issues de ces concertations s’appellent « Bèn-ma-kan » et engagent tous les participants voire toute la société. Ces réunions de concertation ou ces séances de jugements se tiennent très souvent, en fonction de leur dimension sous le baobab, ou sous le fromager tutélaires ou dans la cse du doyen du clan (kabila kuntii) ou dans le vestibule (bolon) du chef (kanda, mansa, sotii kèmòò...). C’est en ces lieux que l’on règle tous les litiges, qu’on traite tous les problèmes individuels ou collectifs. Des séances qui peuvent durer des heures, des jours ou des semaines. La patience est la vertu principale de la longue palabre africaine. La démocratie n’est donc pas l’apanage exclusif d’aucun peuple. Sa pratique varie certes d’une civilisation à une autre. Elle existe donc chez nous sous une autre forme qui est différente de celle qui est mise en exergue en Europe ou ailleurs. Elle n’est pas un combat impitoyable des idées comme en Europe, mais plutôt une recherche permanente, une convergence des différentes opinions afin de réaliser le consensus général qui engage tout le monde. Cette méthode qui est une forme de démocratie n’est pas à rejeter de façon systématique. Cette synergie des idées librement émises, patiemment écoutées et examinées par tous pour parvenir à un consensus est un processus qui mérite d’être considéré comme une forme de démocratie qu’on ne doit pas rejeter et dont on peut s’inspirer. Notre forme ou notre pratique de la démocratie prend en compte tous les points de vue des parties en présence et celle des participants. On prend le temps et le soin de faire parler obligatoirement tous les témoins et tous les participants pendant les 941


débats. Obligation est donc faite à chacun de prendre la parole pour exprimer ce qu’il pense, même s’il faut répéter ce qui a déjà était dit et redit par les orateurs précédents. Cette procédure d’expression et de consultation est certes fastidieuse, par moment, mais elle vise à recueillir ou à réaliser une synthèse consensuelle qui donne satisfaction à tout le monde, en tout cas les parties en conflits acceptent toujours les conclusions ou les décisions d’une telle assemblée. Après avoir entendu attentivement les différentes explications et témoignages, on se réfère, pour trancher, au code pénal coutumier, de la CHARTE DE KURUKAN FUWA, ou à celle de FARIN KAMAN CAMARA, pour le Konya et qui est fortement inspirée de la loi fondamentale conçue et appliquée depuis le règne de Soundjata Keita. Il faut noter qu’au cours des débats, les assesseurs du doyen ou du chef qui juge le conflit peuvent défendre l’un ou l’autre belligérant, mais sans contrepartie matérielle pendant ou après le procès. Ils le font donc sans rémunération financière. Leur vocation est de dire et de défendre ce qu’ils croient être la vérité. Ces avocats défenseurs bénévoles ne sont nullement payés comme dans la justice occidentale, ni par celui qu’ils défendent, ni par la collectivité villageoise ou par son chef. Chacun le fait suivant ses convictions personnelles, à la lumière des explications des deux parties, et surtout pour défendre la vérité. LE POUVOIR POLITIQUE OU LA CHEFFERIE COÛTUMIÈRE MANDINGUE ----------o---------● MANDEN MANSAYA ● MANDEN FANGA ● MANDEN TONTIIYA ● MANDEN KANDAYA ----------o---------« Suivant moi, il est nécessaire que l’État ait une tête, c’est-à-dire un chef, en qui la nation puisse voir, au-dessus des fluctuations, l’homme en charge de l’essentiel et le garant de ses destinées. » Charles DE GAULLE (Président de la République Française) ----------o----------

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« Dyi kunna koron kalaman. » = « Dyi kunna koron man di. » (= Une source qui ne coule pas sous des arbres n’est pas limpide, est chaude et est appelée à tarir et n’est pas douce) Dicton mandingue ----------o---------La chefferie traditionnelle était une vieille institution sociale dont l’existence remonte à l’origine de l’humanité. Les hommes ont constitué des groupes organisés sur la base de l’affinité sanguine (famille, clan, ethnie) et sur celle de la communauté des intérêts (village, province). Il s’agissait de se donner la main pour vaincre l’adversité de la faune et de la flore, de se défendre contre les agresseurs ou pour élargir leur espace vital. Dans chaque cas, un chef reconnu présidait aux destinées du groupe. Celui-ci était toujours l’aboutissement d’une structure hiérarchisée. Progressivement le chef devenait le garant et le protecteur de la collectivité. Il était le support de tous les autres pouvoirs et de toutes les activités sociales. Il régissait toute la vie politique, sociale, culturelle, économique, mystique... de sa communauté villageoise, provinciale ou territoriale. Emanation de la volonté du peuple, il recevait ses pouvoirs de son prédécesseur et les transmettait à son successeur. À chaque changement de commandement on notait un affaiblissement ou une consolidation du pouvoir selon la poigne du nouveau chef en fonction. Du fait qu’il était la conscience collective, le chef ou le roi était rarement contesté. Si le Mandingue a acquis une longue tradition guerrière et une expérience dans l’exercice du commandement, depuis des siècles, son tempérament belliqueux et guerrier ne s’est affirmé que dans les cas de conflits entre son souverain et un autre ou dans les cas de guerres de résistance à une agression extérieure ou dans les conquêtes extérieures. Les griots harangueurs et flagorneurs étaient là, avec leur musique irrésistible et la magie du verbe dont ils ont le secret, pour former et consolider son ardeur chevaleresque, téméraire et belliqueuse. D’une manière générale, le Mandingue est très conformiste voire résigné devant l’autorité en place. Il respecte toute autorité, toute hiérarchie interne à sa famille, à son clan, à son village ou à son pays. Il n’est pas de nature à bouleverser les structures sociales en place. Pour lui, le chef ou le roi est l’émanation de la volonté divine. L’Islam est venu conforter cette attitude de docilité, de soumission du Mandingue à l’ordre social établi. Une longue et minutieuse éducation omniprésente lui impose cette docilité: « Alu ye fanga bunyè. » (= Soumettez-vous au pouvoir et respectez scrupuleusement le pouvoir, la force, le commandement, la hiérarchie.) « Alu ye ayi nyèmòòlu bunyè. » (= Respectez vos supérieurs, vos aînés.) 943


Toute attitude contraire à ce principe équivaut à un suicide volontaire et injustifié. Dans le milieu mandingue on dit que Dieu n’accepte pas au Paradis l’âme de toute personne qu’un chef ou un roi tue pour l’avoir contesté ou combattu. Un chef qui tue son opposant n’a rien à se reprocher, ni de compte à rendre dans le monde de l’au-delà, car il tient son pouvoir de Dieu (Alla le bèè mansa lasii la) dont il est l’émanation directe. Évidemment cette sanction suprême ne doit intervenir qu’après maints avertissements. La suppression physique d’un opposant, d’un ennemi du roi ne doit pas être gratuite ou arbitraire. Comme on le verra, cette soumission absolue de l’individu n’a pas pour autant favorisé l’installation d’un pouvoir personnel, d’une dictature. Le roi ou le chef, à quelque niveau qu’il se trouvait, était assisté d’un conseil d’anciens, de sages, de ses oncles, de griots, de sanankun (parenté à plaisanterie), de sòsòlikèla, de sangban... qui étaient autant de censeurs qui lui disaient la vérité sans aucun risque et l’arrêtaient chaque fois qu’il y avait abus ou erreur de sa part. Il était bloqué dans ses dérives dictatoriales qui portaient atteinte à la liberté, à l’honneur et aux intérêts de la patrie et de la collectivité. Tout pouvoir répressif était dénoncé et combattu. La colonisation avait bafoué et anéanti nos monarchies et nos us et coutumes. Les chefs coutumiers tolérés étaient ramenés aux dimensions de chef de canton, de chef de village qui étaient devenus essentiellement des auxiliaires de l’administration coloniale. Ils étaient la courroie de transmission entre l’administration et les populations. Ils faisaient exécuter les ordres reçus des administrateurs, en rajoutaient souvent, faisaient payer les impôts à leurs administrés moyennant un salaire modique et une ristourne (nisongo kòsegin). Le Mandingue appelle « nisongo » l’impôt de capitation c’est-à-dire le prix de l’âme et de la liberté. Dans la société traditionnelle mandingue, le roi ou le chef (mansa, faama, kanda, kèlètii, dyamanatii, sotii kèmòò...) était toujours issu de la noblesse. On ne s’appesantira pas longtemps sur les rares cas où un captif, un sofa (guerrier), fort du pouvoir et de la confiance de son maître ou des héritiers de celui-ci, usurpait le pouvoir politique, contre le cours de l’histoire, et imposait une nouvelle dynastie, comme ce fut le cas de la dynastie des Askya qui renversa celle des Sonni dans l’empire Songhaï (1493-1592). Quand Askya Mohamed fit son coup d’état, il fut largement contesté. A-si-kiya signifie: « Il ne sera jamais roi ici. » Dans les clans régnants malinkés de tels changements de commandement sont très rares. Dans une même lignée régnante, le pouvoir se transmettait, par héritage, de père au fils ou du frère au frère. En effet, si le fils du chef défunt ou l’héritier d’un chef très vieux ou malade, donc physiquement, moralement ou mentalement incapable de régner, était mineur pour accéder au commandement, un de ses oncles paternels assurait la régence jusqu’à la maturité du neveu héritier. Mais généralement le régent confisquait le pouvoir jusqu’à sa mort et favorisait, de son vivant, l’ascension politique des siens. Cette frustration des 944


ayants droit ne manquait pas souvent de provoquer de graves dissensions et de conflits dans le clan régnant (mansayako kèlè ou fadenya kèlè). À la tête du pays ou de la tribu règne le mansa ou le faama (chef, roi) appelé encore dans d’autres régions dyamanatii (propriétaire du pays, chef de canton) et kèlètii ou encore muutii quand il s’agit d’un roi guerrier, d’un conquérant, cas de l’Almamy Samory Touré qui fut un parvenu, un usurpateur. Son représentant dans chaque village de la province ou du pays s’appelle duutii (propriétaire de la terre). Généralement les petits hameaux de cultures (tòòda) sont placés sous l’autorité directe du duutii. Le village principal où réside le chef avec ses hameaux satellites où habitent des frères consanguins constitue le kafu ou kafo. Cet ensemble territorial est très homogène, très solidaire du fait que très souvent il s’agit du même clan. Chaque village est composé d’un ou de plusieurs clans (kabila ou bònsòn) qui se distinguent entre eux par un nom patronymique: Camara ou Diomandé, Koné ou Diara ou Tounkara, Touré ou Mandiou, Keita ou Mansaré, Kourouma ou Doumbia... Pour désigner le clan des Camara ou Diomandé on dira Kamarala-kabila ou Diomandenna kabila ou tout simplement Kamara-la-kalu, Kamarala, Diomandenna-kalu. Donc pour désigner un clan, il suffit d’ajouter au nom du clan (la racine) le suffixe la-kabila ou tout simplement le suffixe la-kalu ou lu tout court s’ajoute au radical. Le clan des Traoré s’appellera Traore-la-kalu, Traore-la-kabila, ou Traore-la, tout court Les familles d’un même clan ont les mêmes ascendants. Quand le clan ou lignage (kabila) est très grand, très nombreux, on retrouve des sous-clan (kabila bonda) constituée, chacun, autour du nom de la mère (musobonda), plus précisément autour de chaque coépouse mère. Cette subdivision ne compromet en rien l’unité fondamentale du clan ou du lignage qui, l’on sait, est placé sous l’autorité suprême d’un patriarche appelé kabila kuntii. Celui-ci rassemble ainsi sous son autorité incontestée plusieurs sous-kabila (fa-bon ou ba-bon) constitué de plusieurs familles monogamiques ou polygamiques unies dont chacune a à sa tête un frère, un cousin, un neveu, un allié, un ancien esclave affranchi du patriarche. Ces derniers restent toujours liés au kabila noble qui les a assujettis. Le patriarche (kabila kuntii) reste donc le noyau central et le coordinateur du groupe familial - lignage -, si vaste soit-il. À l’échelle régionale ou à celle du pays, la société et le pouvoir sont hiérarchisés, bien structurés. En ce qui concerne le pouvoir politique ou administratif, au sommet de la pyramide se trouve le roi ou le chef (mansa). Le mansa transmet ses ordres pour exécution au duutii (chef du village ou d’un groupement village (kafo). Celui-ci les répercute au niveau des kabila kuntii (chefs de clans, patriarches). Ceux-ci en saisissent les différents chefs de famille nucléaires (lutii ou denbayatii) auxquels revient le soin d’informer ou de mobiliser chaque personne majeure valide dont ils ont la tutelle (lamòòden ou lasònden). Les jeunes sont rarement associés aux discussions et à la gestion des affaires publiques. Par contre ils sont toujours sollicités pour leur force en vue 945


de l’accomplissement de tous les travaux manuels pénibles. Cette frange de la société est généralement éliminée ou négligée dans les cérémonies rituelles, car on la trouve inexpérimentée. Pour mobiliser promptement toutes les forces vives du village en vue de l’exécution d’un foroba baara ou travail collectif (construction de routes ou leur entretien, extinction d’un incendie et reconstruction des cases après un incendie, construction de nouvelles cases, actes de solidarité telle que l’assistance que toute la collectivité apporte à une famille en participant aux travaux de défrichement, d’ensemencement, de désherbage ou de récolte de son champ), le chef ou le roi brûle cette longue étape de la hiérarchie. Il transmet directement des ordres par l’intermédiaire de son griot crieur publique (welewelelila ou bien kèlè-kèlè madyèrèla ou tamanfòla) qui, à l’aide de son tambour, attire l’attention de la population et diffuse, de vive voix, le message du chef. Parfois aux sons de la tabala (tambour ou symbole royal), toute la population se retrouve promptement chez le chef pour y recevoir directement les informations et les ordres. Aussi, le chef met à profit les différents marchés hebdomadaires du pays pour imposer le silence au moment où le marché bat son plein (ka lòò lasii = faire asseoir ou faire taire le marché, autrement dit: imposer le silence au marché) pour diffuser une information générale ou pour donner des instructions précises. Mais si la transmission d’un ordre nécessite le déplacement dans les différents villages, il désigne un émissaire, généralement un de ses griots, à qui il remet son armoirie, le symbole de son pouvoir (sabre, bague, bonnet, lance, fusil, ou tout autre objet symbolique connu lui appartenant...) pour justifier l’authenticité ou la source du message et éviter ainsi toute contestation ou tout doute de ses administrés. Dans ce cas, l’exécution ou l’application de ses instructions était obligatoirement faite par les différents chefs locaux de la hiérarchie. Mais pour réaliser ses travaux personnels, la formule est plus souple. Il demande ce service sans prière en envoyant dix noix de cola (signe de respect symbolique) soit à ses représentants dans les villages (duutii ou lasiiden) qui en saisissent les chefs de clans (kabila kuntii) ainsi que les chefs de familles (denbayatii). Malgré cette souplesse dans la formulation de la demande du service, tous ceux qui ne participent pas à tout travail collectif et même personnel du chef, sont sanctionnés si une raison bien fondée ne justifie pas leur absence. Les vœux et la volonté du chef ont force de loi exécutoire sans parler de ses ordonnances dans la mesure où le conseil des sages les approuve. Aussi, pour mobiliser rapidement et directement les jeunes du village ou de la province en vue de l’exécution d’un travail collectif, on fait parvenir dix noix de cola à chaque classe d’âge (sèrè) par l’entremise du président ou du premier responsable appelé sèrèkuntii; dans certains cas on s’adresse au parrain (sèrèfa) de chaque génération qui s’adjoint les services de la marraine (sèrèna) pour saisir chaque membre dudit sèrè soit en convoquant une assemblée générale, soit individuellement. Alors on assiste à une compétition loyale et 946


serrée entre les différents sèrè pendant le travail, qui mieux mieux. On se nargue avant et pendant le travail. Le parrain (sèrèfa) des meilleurs éléments (ton) est félicité ainsi que le sèrè qu’il dirige. Ainsi chaque classe d’âge (sèrè) se déploie à produire le champion (ton). Dans d’autres cas on s’adresse directement à l’unique président des jeunes du village (kanbelen kuntii) pour solliciter et obtenir la mobilisation générale et la solidarité spontanée et généreuse de toute la collectivité juvénile. Mais pour bénéficier de l’aide généreuse de toute la collectivité villageoise, on adresse les dix noix de cola du doyen ou au chef de village. Dans les deux cas, le bénéficiaire du travail bénévole (tyékè) a la charge de donner à manger tant en qualité qu’en quantité aux travailleurs pour cette journée de travail (sènètii ka kan ka tyékèlalu kònòn kè). Même le chef n’échappe pas à cette contrainte de donner à manger à gogo aux travailleurs pour cette journée de travail gratuit ou peu rémunéré. Il faut rappeler et noter que le mansa, le kanda (chef, roi) était toujours assisté d’un conseil de sages pour examiner toutes les questions importantes. Il s’adressait à ses conseillers en ces termes: « An ye min ko minala di? » (= Comment allons-nous résoudre ce problème?) Il s’assurait ainsi de leur avis préalable pour adopter une attitude consensuelle. Comme membres du conseil d’état, de la province ou du village que le chef consultait pour recenser et discuter des affaires publiques ou gbara (= nyòòn-ye), on notait diverses personnalités de la collectivité. Elles jouaient à des dégrés divers le rôle de censeur de l’autorité. Les principales étaient somòòbalu ani sotyèmòòlu. 1) - Les patriarches (kabila kuntii) de chaque clan ou lignage. Ils étaient choisis en raison d’une part; de l’emprise réelle qu’ils avaient sur leur clan qui ne contestait nullement leur autorité et d’autre part en fonction surtout de leurs longues expériences de la vie car ils ont beaucoup vu, beaucoup entendu et beaucoup vécu. Ils symbolisent donc la sagesse qu’ils ne cessent de prôner au chef et autour d’eux. Le chef les écoute et les respecte. Dans la société traditionnelle mandingue les vieux notables étaient nantis du pouvoir gérontocratique auquel tout le monde se soumettait, y compris le roi. Les conseillers de celui-ci se recrutaient beaucoup dans cette frange de la société. Et ils n’hésitaient pas à dire au roi toutes les vérités, à l’arrêter dans ses folies de grandeur, à dénoncer son abus d’autorité. Quand il y avait des dérapages de la part du chef, on les entendait dire: « Wo nyòòn ma dali kèla yan. » (= Cela ne s’est jamais fait ici.) Ils n’encouraient d’ailleurs aucun risque de sanction pour les remontrances qu’ils lui faisaient. Ils constituaient un véritable contre poids du pouvoir du roi. 2) - Les griots (dyeli, nyamakala) étaient également d’éminents conseillers des rois. Historiens, psychologues, archives vivantes et parlantes et 947


de surcroît généalogistes de la société traditionnelle, ils jouaient un grand rôle auprès des chefs dont ils étaient les messagers. Ils connaissaient les secrets, les faiblesses, les sensibilités, les prédilections... des chefs. Ils réussissaient à exercer sur ceux-ci une nette emprise. Le rôle de Balla Fassékè auprès de Soundjata Keita, celui de Morifindian Diabaté et de Nyamakana Amara Diabaté auprès l’Almamy Samory Touré méritent d’être cités. Même de nos jours at avec la magie du verbe ces musiciens, ces archives parlantes, ces historiens exercent une emprise incontestable sur chaque personne de leur environnement social. Par des flatteries, par l’effet envoûtant de leur musique ou par un rappel historique émouvant ayant trait à la vie des ancêtres, ils peuvent pousser quelqu’un à prendre une grave décision ou l’en dissuader, quelle que soit l’importance de celle-ci. Ils savent tenir les gens par leur sensibilité et surtout par leur orgueil. Le griot peut et doit dire toutes les vérités au chef qu’il sert sans aucun risque de sanctions de la part de celui-ci. Le griot bénéficie d’une totale immunité. 3) - Le sòsòlikèla: À ces censeurs précédents du pouvoir et de la société tout entière, il faut ajouter le sòsòlikèla, un contestataire chevronné et incorruptible sur ses prises de position radicale par rapport à tous les problèmes de la société. Pour lui, il n’ n’y a pas de sujet tabou dont il ne peut parler. On dit souvent de lui: « Sòsòli ye a dyeli lò. Mòò ma bò a la sòsòliko ma... » Ce qui se traduit par: « La discussion et la contestation sont dans son sang. Il n’est jamais d’accord avec les autres, même avec le roi. Il peut contredire et contester toute décision et toute personne, mais de façon subtile, y compris le chef ou toute autre autorité, car personne n’est à l’abri de ses sarcasmes... » Il avait le droit inaliénable de contestation et de critiques qu’il exerçait sans risque de sanctions. C’est un contradicteur, un contestataire patenté. Ill jouissait d’une totale immunité. 4) - Le sangban: C’est le bouffon, l’amuseur publique numéro un, l’animateur de la société, le critiqueur social incorruptible de la société. Doué d’une éloquence séduisante, il sait noyer ses critiques mordantes et souvent très acerbes dans des moqueries piquantes, dans la raillerie. Il n’épargne personne dans son environnement social. Il jouit d’une totale liberté de parole, d’une immunité incontestable. Il est à la fois un personnage vulgaire par son accoutrement, mais sérieux dans la profondeur de sa pensée, de ses critiques, de ses dénonciations de toutes les anomalies et tares de son environnement social. Chacun évite donc de se faire prendre en flagrant délit par lui, car c’est lui qui peut et qui a le droit de tout dire et à n’importe qui. Personne n’est au-dessus de ses sarcasmes. Parfois on passe par lui pour dénoncer tous les abus d’autorité du chef et toutes les autorités. Dans cette optique, on l’informe régulièrement de 948


tous les travers sociaux qu’il doit dénoncer. Sa présence au moment où se produit l’acte importe peu. On prend toujours soin de l’en informer, même quand il est en voyage. Parfois on est pressé de le voir rentrer au bercail pour lui balancer la nouvelle. Son immunité inviolable le protège et l’impose à tout le monde. Comme tel, il est craint par tout le monde. 5) - Le sanankun ou partenaire dans la plaisanterie systématique: C’est un allié sûr. Il brandit, à chaque moment l’arme redoutable du serment d’allégeance des ancêtres pour dénoncer, sans risque de sanction, tout abus d’autorité, toute injustice de la part de son partenaire, même si celui-ci est roi. Il a le droit et le devoir de faire fléchir son partenaire, même chef, de le ridiculiser, même publiquement et sans aucun risque de sanctions. C’est lui qui peut et doit lui dire les choses les plus graves, les paroles les plus piquantes et le faire décamper d’une position ou le faire revenir sur une décision importante. Mentir à son sanankun, ne pas lui dire toutes les vérités, ne pas dénoncer ses erreurs ou refuser l’intercession d’un sanankun... constituent un sacrilège, une violation flagrante du serment d’alliance des ancêtres. Les conséquences d’un tel comportement laxiste ou défaillant sont graves pour le délinquant. On doit obligatoirement réparer ces erreurs ou ces manquements vis-à-vis de lui par des sacrifices appropriés faits à la mémoire des ancêtres offensés. Le sanankun jouit d’une totale immunité. Quand on lui manque de respect, quand on le frustre, quand on lui ment, quand on le rejette ou quand on lui refuse un service possible ou une assistance, obligation est faite au délinquant de se repentir auprès de lui. Parfois il faut se repentir publiquement auprès de lui en lui demandant pardon et en lui offrant dix de colas par le truchement des sages. Chacun est donc tenu d’accepter tous les dires de son sanankun. Toutefois, il est permis de lui en dire autant, sinon plus. 6) - Les sèrèden ou les kanyanyòòn sont tous les camarades (filles et garçons) de la même génération (sèrè). On est lié dans le cadre du sèrè à ces kanyanyòòn par un serment inviolable de blagues, de chahuts sans borne, d’injures (sauf celles à l’adresse des parents), de solidarité, d’entente et d’affinité qui remonte à la tendre jeunesse. Par ces liens particuliers chacun a le plein droit de se moquer de l’autre partenaire sèrèden et surtout de lui dire les plus dures vérités, quel que soit son rang social et son sexe. La réaction du celui qui est en situation se limite exclusivement à la réciprocité dans les propos. Même le chef le plus puissant n’échappe pas à cette règle immuable de l’emprise de ses kanyanyòòn, ou flannyòòn ou sérèden. On dit chez nous que: « Mòò kanyanyòòn ma i sòbèn lon. » C’est-à-dire: « Que votre sociétaire du même sèrè ne vous prend jamais au sérieux, n’a jamais peur de vous, même quand vous êtes un chef puissant, un grand responsable de société, un père de famille autoritaire. » 949


Les sèrèden s’interpellent entre eux par les termes familiers, affectueux et affectifs de tyè (homme), n bè ou n bò (= mon frère jumeau). D’ailleurs votre sèrèden a tendance à vous minimiser, à vous vulgariser, à vous ridiculiser parfois, à vous démystifier devant vos subordonnés ou devant votre famille. Après tout, les kanyanyòòn sont intouchables et sont au-dessus de votre autorité si ferme, si redoutable soit-elle. Vous n’avez pas aussi le droit de leur refuser un service, de réfuter leur intercession dans un conflit qui vous oppose à quelqu’un. C’est un des fondements sacrés du règlement intérieur du sèrèdenya. C’est d’ailleurs à un de vos kanyanyòòn qu’on préfère faire appel d’abord pour vous faire fléchir et abandonner une décision ou une position intransigeante. Cette relation sociale particulière, cette affinité qui est un véritable ciment, dure toute la vie des différents éléments (masculin et féminin) d’un même sèrè (d’une même génération). Les ayants droit continuent de bénéficier de la protection et de l’aide des kanyanyòòn ou sèrèden de leurs parents défunts. On en a vu marier en secondes noces la femme de leur kanyanyòòn défunt pour perpétuer leurs relations et pour sécuriser la vie des enfants du défunt. D’ailleurs de leur vivant, les épouses répudiées ou menacées de divorce et les enfants reniés ou menacés de bastonnades les mettent toujours en contribution pour résoudre leur situation conflictuelle. Et cette redoutable arme du sèrèdenya ou du kanyanyòònya exhibée a toujours réussi à faire fléchir l’autorité interpelée, à ramener l’époux ou le père à de meilleurs sentiments. L’histoire retient que dans le Konya (Beyla, Macenta, Kérouané... en Guinée), pour ordonner une exécution, l’Almamy Samory Touré se plaisait à dire imperturbablement aux bourreaux des prisonniers condamnés à la peine capitale: « Alu ye wa a di Konkè Mori diya la. » Ce qui se traduit par: « Envoyezle au domicile de Konkè Mory »; en terme clair: « Allez le tuer... » Combien de têtes sont tombées suite à cet ordre impératif de l’Empereur! Étant mort depuis fort longtemps, Konkè Mory n’a d’autre domicile que la tombe, que le monde de l’au-delà. Ce Konkè Mory était son meilleur ami d’enfance mais prématurément arraché à sa compagnie, à son affection. Il aimait parler de lui pour se soulager de sa nostalgie. Pour perpétuer son nom et sa mémoire, il avait attribué son nom à son fils favori, Sarènkin Mory Touré, né de sa femme favorite, la célèbre reine Wèrè Naani Saran Konaté. Ainsi, au nom du lien sacré du pacte de plaisanterie d’amour, de solidarité... entre les sèrèden ou kanyanyòòn (camarades de même génération ou des égaux). Samory se plaisait à attribuer à son ami, feu Konkè Mory, la paternité de toutes les actions viles ignobles, répugnantes, ridicules, de toutes les mauvaises choses de la vie. Quand il s’agissait d’apprécier une belle chose, il disait: « C’est si beau que Konkè Mory ne la mérite pas. » Aussi, pour répugner une action vile il disait: « Cela est digne de Konkè Mory… »

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Ainsi il le faisait revivre à toutes les occasions. Parfois il pouvait pardonner à l’évocation du nom de Konkè Mory. Il faut noter ici que le Professeur Yves Person fait apparaître Konkè Mory en 1898 à Tini Oulèn, à 25 km de Kankan, où cet ami d’enfance de Samory résidait quand l’illustre prisonnier y passait en compagnie de Goureaud et du Commandant de Lartigue. Mais Konkè Mory aurait décliné l’entretien avec lui sollicité par l’Empereur prisonnier, sous prétexte qu’il se sentirait coupable de ne pouvoir aider ou délivrer son ami intime dans une telle situation de détresse. Incapable d’assister ou de sauver son ami prisonnier, il n’a donc pas voulu le rencontrer afin de ne pas garder le mauvais souvenir de celui-ci et pour ne pas ternir l’image plus noble de l’Empereur auréolé de tant de gloire et de prestige, car c’est la image qui subsiste et reste en mémoire. Cependant la tradition orale du Konya affirme que Konkè Mory est mort bien avant la consécration de l’Almamy Samory Touré. S’agit-il du même Konkè Mory ou d’un de ses homonymes? Au Mandingue les sociétaires d’un même sèrè se ménagent respectivement, ne se craignent pas pour avoir grandi ensemble, pour avoir joué ensemble depuis leur jeune âge. Ils jouissent par conséquent d’une totale immunité et peuvent exercer une forte pression les uns sur les autres et faire fléchir le sociétaire qui se trouve en face. Les sèrèden, les kanyanyòòn, les flannyòòn bénéficient toujours d’une totale immunité suivant le règlement intérieur qui régit la vie du sèrè. 7) - L’impact des oncles et des tantes paternels et maternels (surtout) est aussi efficace et constitue un puissant pouvoir de censure sociale. Le respect envers eux est obligatoire. Ils ont le droit de réprimander, d’insulter et de frapper les neveux et, si besoin, surtout quand ceux-ci sont mineurs, de leur dire tout, y compris les vérités les plus piquantes, à leurs neveux et nièces sans aucun risque. Ils peuvent bloquer ou canaliser leurs neveux, si puissants ou si riches soient-ils, Ces derniers ne peuvent qu’encaisser sans rechigner. On dit que les malédictions proférées par eux sont plus nocives que celles du père et de la mère. Les neveux et les nièces ont donc intérêt à se soumettre à eux, à supporter leurs caprices, leur autorité, à les vénérer afin de recevoir leurs bénédictions. Il ne faut jamais commettre l’erreur de lui manquer de respect, de réfuter leur intercession dans un conflit où vous êtes impliqué. Ils bénéficient d’une totale immunité par rapport à leurs neveux et cousins, même majeurs. 8) - Les sœurs (fènmusolu = mamusolu = senkò): Les sœurs, les tantes maternelles et paternelles (tènènmuso), surtout quand elles sont mariées, ont beaucoup de pouvoir de coercition sur leurs frères, cousins et neveux. Cet ascendant des sœurs a sauvé de l’éclatement beaucoup de foyers et a réussi à faire réintégrer beaucoup d’enfants reniés et bien d’épouses répudiées. Ces 951


personnages n’hésitaient pas à dire à leurs frères - même chefs - toutes les vérités, à les arrêter dans leur folie de grandeur, à réprouver leurs abus d’autorité dans leur milieu familial et social. Elles n’encouraient d’ailleurs aucun risque de sanctions pour les remontrances qu’elles leur font. Bénéficiant d’une immunité partielle pour certains et totale pour d’autres, ces différents censeurs du pouvoir avaient le droit et le devoir d’être des justiciers implacables et incorruptibles. Les termes les plus usités, du moins par les plus sages, pour dissuader le chef ou réprouver ses décisions impopulaires sont: « Wo man nyi. » (= Cela n’est pas bon.) « Wo tè bèn. » (= Cela n’est pas normal, cela ne doit pas se faire.) « An tè sòn wo ma yan. » (= Nous n’accepterons jamais cela ici.) Attitude des censeurs ou contestataires les plus réfractaires. « Wo nyòòn ma dali kèla yan. » (= Cela ne s’est jamais fait ici [ou encore]. Pareille chose n’a jamais été faite ici.) Cette dernière expression est très incitatrice, pernicieuse et ambiguë. Elle peut avoir un double effet. Elle est usitée soit pour redresser un chef, le dissuader, le ramener à la raison, au bon sens, à la modération, à la magnanimité, soit, en d’autres circonstances, elle sert à pousser le chef à réagir, à radicaliser sa position, à plus de rigueur, à la prise d’une sanction disciplinaire exemplaire contre une personne ou un groupe de personnes sur qui il exerce une autorité. Pour mieux pousser le chef à réagir spontanément, d’autres extrémistes lui disent: « Wo ye kèla ile la. » (= C’est à toi qu’on ose faire cela.) Du temps de tes prédécesseurs une telle attitude ou un tel propos était exclu devant la rigueur des sanctions draconiennes qui frappaient les délinquants. Les plus extrémistes disaient: « Fo ka nin ko latòn. » (= Il faut absolument sanctionner cette faute qui est un mauvais précédent afin d’éviter une récidive.) Les conseillers de cette tendance extrémiste sont moins nombreux dans l’entourage du chef ou dans la société. Par rapport aux sages qui prônent la tolérance, la conciliation, la dissuasion, l’éducation des délinquants, le dosage des sanctions tout en dénonçant tout abus d’autorité. « An ye min ko mina hakili la, an kana dò tòn yè, an kana hakè sòrò. » (= Faisons preuve de sagesse devant la situation et éviter de faire du tort, de frustrer, de causer des préjudices sous l’effet de la passion, de la colère.) L’existence dans le société et la présence de ces différents censeurs autour des chefs ne favorisaient pas ou empêchaient l’émergence ou l’instauration d’un pouvoir personnel, d’une dictature aveugle et sanglante, et leurs interventions intempestives ont permis d’éviter bien d’injustices, bien de bévues. Tous ces personnages jouaient jadis le rôle que jouent dans les pays occidentaux l’assemblée nationale, le pouvoir judiciaire avec ses différentes 952


juridictions... En tout cas ces censeurs¸ qui furent de véritables contre poids du pouvoir de toute autorité et efficaces dans le contrôle du pouvoir dans la société traditionnelle mandingue. De nos jours leur pratique pourrait nous aider à limiter bien des abus, bien de procès devant les tribunaux dits modernes parfois très onéreux pour les deux parties en conflit et où parfois la corruption des magistrats étouffe la vérité. Ils jouaient tous pleinement et efficacement ce rôle de contre-pouvoir, sans compensation financière et matérielle. En tout cas on sait que dans nos juridictions modernes les juges sont corruptibles et nos avocats défenseurs coûtent chers et peuvent défendre le nanti qui a tort contre le pauvre qui a raison en déformant le mensonge en vérité et vice versa. Or nos censeurs de conscience ne coûtent rien. Leurs prestations sont bénévoles et gratuites. Quand ils réussissent un exploit, leurs salaires c’est généralement et tout simplement le mot MERCI de la part de la personne qui bénéficiait sans contrepartie ou compensation de leur intervention opportune et bénéfique. SCHÉMA DES MAGISTRATS ET DES CENSEURS DU POUVOIR TRADITIONNEL MANDINGUE ----------o---------KANDA-KÒRÒSI-LALU = CEUX QUI SURVEILLENT L’AUTORITÉ, LE CHEF, LE POUVOIR CENTRAL ----------o---------FANGALA-LÒÒ-BAALU = CEUX QUI PEUVENT CONTRECARRER L’AUTORITÉ, ET L’ABUS DE POUVOIR

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A) - Les patriarches: Gérontocratie constituée de différents chefs de clans et de quelques notables âgés qui sont associés au pouvoir et jouissent du pouvoir gérontocratique respecté. Ils peuvent dire la vérité au chef. Ils jouissent d’une TOTALE IMMUNITÉ.

B) - Les kanyanyòòn = Les sèrèden ou camarades et amis de même génération (sèrè). Ils ont le droit de blaguer avec le chef, de le ridiculiser et de lui dire toutes les vérités sans conséquences. Il faut ajouter à cette catégorie de censeurs les petits-enfants (mamarèn), les beaux-frères et belles-sœurs. TOTALE IMMUNITÉ

C) - Les griots (dyeli) Généalogistes ou musiciens flagorneurs. Ils connaissent la sensibilité, les faiblesses, la force et les prédilections des chefs. Ils les influencent par les flatteries. Le chef les écoute. TOTALE IMMUNITÉ

  D) - Les oncles et les tantes paternels et maternels du roi interviennent chaque fois que celui-ci prend une position intransigeante, une grave et mauvaise décision, ou commet un abus de pouvoir. Il est tenu de les respecter, de les écouter. Ils jouissent d’une TOTALE IMMUNITÉ. →  F) -Le sangban Le bouffon, l’amuseur publique, critique incorruptible qui n’épargne personne, dans la société. Dénonce toutes les tares, toutes les injustices et anomalies de la société. TOTALE IMMUNITÉ

 LE ROI (MANSA, KANDA) LE CHEF-LE DOYEN OU PATRIARCHE Détenteur du pouvoir central; juge suprême qui-se fait toujours assister et tient compte de l’avis des différents conseillers ou censeurs de la société. Il subit l’influence de tous ces censeurs qui peuvent lui dire toutes les vérités sans aucun risque et le faire fléchir. Influence réciproque avec B, C et H. 

E) - Les sœurs maternelles, paternelles et les cousines sont toutes appelées senkò ou fènmuso. On ne doit pas les décevoir ou les faire pleurer. TOTALE IMMUNITÉ



G) - Le sòsòlikèla Contradicteur, contestataire. Il n’est jamais d’accord avec les autres. Il conteste toutes les décisions prises à son absence et manifeste publiquement son désaccord sans aucun risque de sanction. TOTALE IMMUNITÉ

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H) - Le sanankun Partenaire lié par un serment de solidarité, de respect, de railleries, d’amour… au nom des ancêtres. On ne doit rien refuser à ce partenaire. Il jouit d’un pouvoir incontestable de pression morale. Agit au nom de l’alliance des ancêtres. Ses interventions sont publiques. Il ne risque aucune sanction. Il peut ridiculiser publiquement le chef, quelle que soit sa condition sociale. La réciprocité est valable pour tous. TOTALE IMMUNITÉ


SCHÉMA DE LA STRUCTURE DE LA HIÉRARCHIE MANDINGUE DOMAINE TERRITORIAL DE L’AUTORITÉ

AUTORITÉ SUPRÊME  KANDA, MANSA, FAAMA, MUUTII, KÈLÈTII, DYAMANATII Autorité suprême, empereur, roi, chef. En cas d’urgence, toute autorité peut donner directement des ordres aux organisations juvéniles (les sèreden) par le biais du premier responsable = kabila kuntii ou par celui du crieur public  DUUTII Chef du village

 →

 →

 KABILA KUNTII Patriarche, doyen, chef du clan

→

 LUTII Chef de famille polynucléaire

→

 GBATII, DENBAYATII Chef de famille nucléaire élémentaire  LASÒNDEN Un individu, chaque élément de la famille nucléaire, famille restreinte

DYAMANA Pays de plusieurs provinces

DUU Village avec ses hameaux satellites (kafo) ou un village d’un ou de plusieurs clans  KABILABON = KABILABONDA Un clan de plusieurs familles de même ascendance  LU ou concession, rassemble le doyen du sous-clan qui a sous son autorité ses enfants, frères, cousins et neveux  GBABON = DENBAYA Famille d’un homme avec sa femme et ses enfants vivant sous le même toit  INDIVIDU SANS RESPONSABILITE Exerçant son autorité sur ses cadets

→

→

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L’INTERFÉRENCE OU LE RÔLE DE DECRISPATION DES CENSEURS DE CONSCIENCE ET DU POUVOIR DANS LES RELATIONS SOCIALES MANDINGUES Il faut donc retenir, à propos des censeurs de la société traditionnelle mandingue qui sont à juste titre de vrais contrepoids ou contre-pouvoirs, qu’en raison du principe de l’immunité absolue et incontestable dont ils jouissent, que ces personnages exercent une nette influence sur les individus, les familles, les clans, les villages, les provinces et sur toutes les autorités comme vu plus haut. La réaction réciproque pacifique du partenaire est permise et tolérée et s’applique indifféremment à chaque membre de la communauté. Dans certains cas seulement. Donc l’influence de certains partenaires est unilatérale, à sens unique. Mais la réciprocité s’applique à B, C et D du tableau ci-dessus. « Mamarèn tolon tè latònna Manden kònò. » (= Un grand-parent doit être réceptif à tous les propos de ses petitsenfants qu’il ne doit même pas blâmer à fortiori les sanctionner.) « Sanankunnyòònma tè lakasila Manden kònò. » (= On ne doit pas faire pleurer un sanankun au Mandingue.) « Sanankunnyòònma tè sòsòyala Manden kònò. » (= On en doit pas outrager un sanankun au Mandingue.) « Sanankun tè dòòyala Manden kònò. » (= On ne doit pas manquer de respect à un sanankun au Mandingue.) « Sanankun tè la i latònna Manden kònò. » (= On ne doit pas sanctionner un sanankun au Mandingue.) « Sanankunnyòònmalu ka kan ka tunyè fò ayi nyòòn ye » (= Les partenaires sanankun doivent se dire mutuellement toutes les vérités, sans aucun risque de sanction, si cruelles ou si amères soientelles.) « Mòòflannyòòn ma i sòbèn lon. » (= Votre ami d’enfance ou même un camarade d’enfance de même âge avec qui vous vous êtes amusés dans la poussière, dans la brousse ne vous ne craint pas, ne vous prend jamais au sérieux, et se donne toujours la latitude de vous aborder sans réserve, sans aucune crainte et par conséquent n’a pas peur de vous dire la vérité.) « Mòòkanyanyòòn man kan ka kori i la. » (= Vous ne devez rien refuser de possible à un ami ou à un camarade d’enfance. C’est lui qui peut vous faire fléchir.) « Mòòsèrèdennyòòn tè silanna i nyè. » (= Votre ami d’enfance n’a pas peur de vous. Il peut sans aucun risque vous dire les vérités les plus amères.) « Mòòkanyanyòòn le tunyè-gbani fòla i nyè. »

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(= C’est ami d’enfance ou un camarade de même génération qui doit vous dire les vérités les plus piquantes que vous êtes obligé d’accepter.) « Mòò ka kan ka i tolo malò i kanyanyòònlu la lalilikan na. » (= On doit être réceptif aux bons conseils des camarades de même âge qui vous connaissent depuis votre tendre enfance.) « Sòsòlikèla tè lamaloyala Manden kònò. » (= Le contestataire ne serait être humilié au Mandingue.) « Sangban, sangbankòrò, faolabòla, sòsòlikèla tè lamaloyala Manden kònò. » (On ne doit pas inquiéter ou faire honnir un bouffon, un sanankun, un contestataire pour avoir dit la vérité que personne n’ose dire.) « Manden kònò mòò si tè a na kòmòòlu dòòyala; mòò tè i lòòla i na kòmòòlu nyè. » (= Au Mandingue on ne doit pas outrager les parents maternels. On ne leur refuse rien. Ils méritent le respect absolu, quel que soit leur sexe ou leur âge.) « Mòò tè i na kòmòòlu dòòyala. » (= On ne doit pas manquer de respect à la famille maternelle.) « Mòò tè i tènènmusolu ani i fadòòlu dòòyala. » (= Les tantes et les oncles paternels et maternels doivent être rigoureusement respectés.) « Manden kònò, fénmusolu tè lakasila. » (= Au Mandingue il est formellement interdit de décevoir, de renvoyer ou de faire pleurer une sœur, une cousine et surtout les tantes paternelles et maternelles.) « Fo ka fènmusolu ani i mamusolu lanaya lòòdiya Manden kònò. » (= Au Mandingue on fait tout pour satisfaire les sollicitations, les désirs des sœurs et des cousines. On évite de les décevoir, de les faire pleurer. On les protège avec leurs enfants.) « Barinden tè lakasila Manden kònò. » (= L’enfant d’une sœur, d’une cousine, d’une tante ou d’une nièce doit être choyé. On ne leur refuse rien. Ils sont toujours les bienvenus dans la famille maternelle.) « Manden nyamakalalu le ka kan ka ko-tinyè-lu bèè ladan. » (= Au Mandingue on nous conseille d’écouter les griots dans leur rôle d’arrangeurs de situation conflictuelle, dans leur tentative de rapprocher les positions hostiles, de désamorcer les conflits. Ils sont utiles dans leur rôle de ciment social. Avec la magie des mots et l’usage subtil du verbe, ils peuvent banaliser les faits sociaux souvent graves et faire éviter la déconfiture. Par ailleurs, avec la magie des mots qu’ils maîtrisent si bien et leurs multiples anecdotes, leur parfaite connaissance de l’histoire des grandes familles et des couronnes, ils peuvent envenimer un conflit, inciter une personne à réagir par rapport à une situation ou à des propos 957


malveillants et lui donner l’envie de se venger, ou la pousser à relever promptement un défi… Aussi ils ont le pouvoir de banaliser des propos vexatoires, de faire éviter des conflits en minimisant les propos et les provocations par leur rhétorique.) « Somòòbalu man kan ka kori mòò si la. » (= On doit s’incliner devant l’intercession des sages qui doivent être respectés dans leurs démarches et dans leur rôle de ciment social.) Votre sanankun peut sans aucun risque de sanction vous ridiculiser, vous dire toutes les vérités, vous faire décamper d’une position, au nom du pacte des ancêtres que vous devez obligatoirement respecter. Le sanankun est exempt de toutes les sanctions de la part de ses différentes partenaires, sans exception. Le sanankun est le censeur le plus toléré dans la société traditionnelle mandingue. Il jouit par conséquent d’une totale immunité. LES ATTRIBUTS DU CHEF ----------o---------« Aucune distinction n’était faite entre la vie privée et la vie publique, entre la vie individuelle et la vie collective, entre la vie laïque et la vie religieuse, entre la vie civile et la vie militaire... Le chef traditionnel était un homme politique, un personnage religieux ou guerrier et un juge. Il détenait tous les pouvoirs familiaux, économiques, administratifs, judiciaires, civils et militaires... » Dotsé Norinyo ETSÉ (16) ----------o---------Le chef jouissait donc de plusieurs attributs. Chaque roi, chaque ethnie ou chaque clan avait son symbole de souveraineté ou son armoirie personnelle qu’on sculptait sur le trône royal (mansa waanin), sur le sabre ou sur le fourreau (mansa muruba = mansa faan), sur la lance (mansa tama) qui n’étaient pas seulement de simples armes, mais avaient la vertu de garder la sariya ou ensemble des lois et des coutumes. Le tambour royal (tabala, taboulé, taman) permettait à chaque chef de réunir ses sujets ou de leur annoncer sa présence ou un messager de lui. Certains rois optaient pour la vipère (satutu = tulusa = turusa) comme armoirie. La vipère passe pour le serpent le plus venimeux en pays mandingue, mais symbolise surtout la patience, la tolérance… « A dyusu sumuyanin komi turusa. = A dyusu lanin komi turusa. » 958


(= Il est patient comme une vipère.) En effet, fasciné par la violence dévastatrice, la patience et la lucidité de la vipère, les adeptes de cette armoirie affirment que le chef le plus puissant doit toujours faire preuve d’indulgence et de modération de sa puissance qu’il ne doit brandir qu’à bout de patience, tout comme la vipère qui ne mord que si seulement on marche sur sa queue, son totem. Elle tolère donc qu’on lui marche dessus, sauf sur sa queue. À son image, un chef doit faire savoir à ses sujets les limites de sa patience avant de sévir. Tolérer au maximum avant de réagir comme la vipère doit inspirer tout chef. La vipère est une force tranquille. Beaucoup de chefs préfèrent, comme armoirie ou emblème, le lion (dyara) qui symbolise la force extrême, la puissance invulnérable et invincible qui n’a pas d’égal que dans la brousse et dans la forêt. Ceux-ci instaurent un pouvoir sans partage et ne tolère pas la contestation, la contradiction. C’est la dictature. D’autres choisissent l’éléphant (senba = sema = sama) pour sa majesté, sa splendeur et sa force énorme et irrésistible dont il ne fait usage que par crainte, qu’en cas d’agression. Il neutralise les autres animaux et juge tous les différends qui les opposent. C’est le maître absolu devant qui tout se soumet, même le lion qu’on dit roi de la brousse et de la forêt. Le lion ne s’attaque jamais à l’éléphant. Pour les chefs de cette tendance, ils ne doivent et ni ne peuvent faire l’objet d’aucune contestation ou d’attaque. Ils tiennent toujours à être victorieux. L’éléphant est la force excessive inoffensive mais tranquille Le buffle (sii) symbolise la puissance aveugle et irrésistible, l’intolérance et la résistance téméraire. Même mortellement blessé, il se bat farouchement jusqu’à la mort. Blessé, il traque les chasseurs dans tous leurs repères. S’il ne tombe pas sur le coup, il sème le chasseur et revient attendre à proximité du lieu du tir pour surprendre tous ceux qui reviennent pour le traquer et l’achever. C’est ainsi qu’il tue ses agresseurs. La queue des animaux, surtout celle des fauves, leur servait de chassemouches. D’autres souverains avaient une prédilection pour la canne en or ou en bois (mansa bele) magnifiquement sculptée en or, en argent ou en fer dont ils ne séparaient jamais, surtout en public. Selon Mamby Sidibé, « Tous les rois du Mali étaient chasseurs, magiciens, sorciers... Ils avaient percé tout le mystère de la science cinétique. » (17) De son côté, le Professeur Cheikh Anta Diop précise les fonctions du roi dans l’Afrique en ces termes: « … Dans le cadre de cette harmonie universelle, où chaque être joue son rôle, le roi a une fonction précise, un rôle déterminant: il doit être celui qui a le plus de force vitale dans le royaume; c’est dans ces conditions seulement qu’il peut servir d’intermédiaire (puisqu’il est sacro-saint) avec l’univers supérieur sans qu’il y ait rupture, bouleversement catastrophique au sein des forces ontologiques. S’il n’est pas un roi légitime, remplissant les conditions régulières 959


de filiation en vigueur, et nommé selon les rites de la tradition, la nature entière sera stérile, la sécheresse envahira les champs, les femmes n’enfanteront plus, les épidémies s’abattront sur le peuple. Aussi longtemps que la tradition était vécue à l’ abri des influences extérieures, le roi remplissait une fonction dans laquelle aucun usurpateur ne pouvait le suppléer. » (18) LE CHOIX D’UN CHEF EN PAYS MANDINGUE OU COMMENT ON CHOISISSAIT LE ROI AU MANDINGUE (MANDEN MANSA LASII) Ne devenait pas chef qui le voulait. Beaucoup de critères moraux et physiques entraient en ligne de compte dans le choix d’un chef. Selon Massa Makan Diabaté: « Il était choisi, évidemment, dans la caste des hòròn (nobles), liée aux travaux champêtres, à la guerre et à la chasse, à partir de critères moraux, soit, mais aussi critères physiques... Oui! Était écarté tout candidat handicapé physiquement, car une infirmité peut être source de complexe et, partant d’injustice. Mieux! Chaque groupe social, né autour d’une profession (travail du fer, travail du cuir, travail « intellectuel » pour les griots), participait directement au pouvoir par l’intermédiaire de son doyen qui, à tout moment pouvait, en tant que porte-parole, s’opposer à la décision du roi ou en tout cas, en atténuer les effets. Ainsi, l’homme qui assumait la charge suprême (empereur ou roi) apparaissait tout simplement comme un centralisateur. Il incarnait non pas le pouvoir à caractère contraignant mais l’autorité qui tient lieu de référence culturelle. Mieux encore! Tout était organisé et concentré de façon à prévenir la naissance du pouvoir personnel, source des injustices. Aussi, le titre d’honneur de Soundjata Keita, fondateur de l’empire du Mali: Tu es venu après des hommes, des hommes viendront après toi. » (20) De son côté, Traoré Mamadou Ray-Autra (19) confirme ce principe de la prééminence morale et physique du roi. Il met en évidence, dans un article, la longue et démocratique procédure qui prévalait dans l’élection d’un chef: « Dans l’ancienne société africaine, le chef jouissait d’un certain nombre d’attributs. Toujours choisi parmi des candidats d’excellentes moralités, il était le représentant de la collectivité, le porte-parole autorisé et le défenseur de ceux-ci. Un enfant bâtard ou de naissance douteuse ne pouvait se présenter comme postulant à la chefferie. Le bâtard tenant plus à la société par sa mère que par l’homme qui était présumé être son père, n’aurait aucun scrupule à déshonorer la collectivité qu’il avait chargé de faire respecter tant à l’intérieur qu’à l’extérieur dans le règlement des affaires publiques. Par ailleurs, la succession d’un chef, même quand la charge était héréditaire ne se faisait pas au petit bonheur, et il fallait procéder à un choix - gnanata dans le malinké, ce 960


qui se traduit par « prendre ce qui plaît ». L’on dirait « élection » dans le monde moderne. À cet effet, tous les chefs de familles se réunissent à jour fixé dans un lieu spécialement réservé, en général, sous l’arbre tutélaire. Le grand sacrificateur de la tribu, le maître de la forêt sacrée, ou le marabout vénéré, à défaut d’un doyen réputé pour sa sagesse, menait le débat et présentait aux électeurs les successeurs éventuels: enfants, frères ou oncles du défunt ou du chef destitué. Il entrait dans les plus petits détails de la vie politique, publique et privée de chacun des candidats, donnant à l’auditoire la possibilité de « choisir » en toute connaissance de cause. Après quoi les postulants s’adossaient à un arbre de la clairière et les chefs de familles se groupaient derrière l’homme de leur choix. On avait plus, au grand jour, qu’à dénombrer les électeurs entourant les candidats. Ainsi élu très démocratiquement, le chef prêtait le serment d’être impartial dans le règlement des affaires qui lui seront soumises, dans l’aplanissement des différends entre familles, jurait de défendre la collectivité contre tout agresseur et tout déshonneur. Le sentiment de l’honneur était à l’époque poussé au plus haut degré, et un proverbe dit: « Mieux vaut la mort que le déshonneur = Saya ka fisa maloya di ». Le serment était prêté dans la forêt sacrée, sous l’arbre tutélaire ou dans la mosquée, au lever du soleil, l’heure la plus propice pour le sacrifice des « débutants » (de ceux qui commencent une chose). Une pâte de farine de riz, dèguè, était préparée et bue par le nouvel élu devant l’assemblée des hommes (tyè dyama). Lorsque le chef n’était pas marié, il avait le choix de se « chercher » une femme et pour cela, deux possibilités s’offraient à lui: soit procéder à l’enlèvement d’une femme mariée; soit demander la main d’une jeune femme (et non d’une jeune fille). L’homme dépossédé de son épouse, s’il se trouvait ainsi, s’inclinait de bon cœur et cherchait alors dans le pays, la jeune fille qu’il croyait capable de le consoler. Par l’intermédiaire du chef, il demandait la main de la nouvelle élue de son cœur. Les parents de cette dernière, très honorés de rendre service au chef, ne mettaient aucune difficulté à faire droit à la demande formulée. Le souverain prenait en charge la dot constituée par une vache, un mouton et quelques paniers de céréales. Tout s’arrangeait ainsi à la satisfaction de tous et la vie reprenait son cours normal. Certes, l’on pourrait s’offusquer devant la possibilité offerte au roi d’enlever une jeune femme à l’un de ses sujets, si l’on n’était pas dans le secret de cette tradition. Écoutons à ce propos les anciens. Le chef doit avoir une conduite irréprochable, ce qui implique entre autres le respect de la femme d’autrui. En lui donnant toute latitude de choisir parmi les femmes du pays sans exception, y compris les femmes mariées, on le met ainsi en condition d’avoir une femme digne de ce côté-là. Selon la tradition... lorsque deux candidats arrivaient à égalité, que la question d’âge ne pouvait permettre de les départager, deux commissions spéciales étaient mandatées à travers le pays, l’une auprès des femmes et l’autre auprès des jeunes. Qu’une femme, une seule, avouât avoir eu des rapports 961


sexuels avec l’un des candidats, ce dernier était aussitôt écarté, même si les choses dataient de 30 ans ou 40 ans! Ainsi, les postulants à la chefferie étaient l’objet d’une véritable inquisition au sens médiéval du terme, moins le côté arbitraire. La pluralité de candidatures était recherchée. Les chefs de famille qui constituaient le corps électoral prenaient tour à tour la parole et critiquaient en toute liberté les candidats. Ils pouvaient tout aussi bien s’ériger en défenseurs de tel favori accablé par la partie adverse. Périodiquement, ces mêmes chefs de famille se réunissaient en congrès ou « gbara » tandis qu’entre les congrès se tenaient des assemblées ou « ladyè » pour discuter des affaires du pays. L’ordre du jour portait sur la sécurité des habitants - c’était là une priorité en ces époques souvent troublées par les guerres intestines - le bonheur et la prospérité du terroir (dyamana yiriwako). Et si l’on abordait aussi les problèmes politiques, économiques et sociaux, les assemblées de notables connaissaient également les différends entre clans et entre villages, se prononçaient sur les fêtes, les cérémonies et les sacrifices annuels. Les débats étaient menés par les chefs de clans qui prenaient les avis des chefs de famille rassemblés autour d’eux. Des griots promus au rang de hérauts, réputés pour leur éloquence, allaient d’un groupe à l’autre, assurant la liaison. Les diverses propositions étaient ensuite soumises aux « congressistes ». On avait alors le choix entre deux procédures: la première consistait à n’entendre que la voix des chefs de clans qui, nous l’avons vu, consultaient les chefs de famille. La seconde faisait appel à toute l’assemblée. Ceux qui étaient pour, se levaient tandis que les opposants restaient assis. La décision prise, même à une voix de majorité, devenait la loi de la communauté, loi que le souverain devait défendre en toute circonstance. Elle était largement diffusée à travers les villages par des hérauts à grands renforts du tam-tam à l’intention des femmes et des impotents. Le chef, ayant été élu dans les conditions précisées plus haut, tout allait pour le mieux jusqu’au moment où il se signalait à l’attention de ses administrés par des actes d’injustice, de méchanceté, de cruauté ou par sa conduite licencieuse. Alors, c’est en général ceux-là même qui lui avaient été favorables qui prenaient la tête du mouvement de rébellion en réclamant sa destitution. N’avaient-ils pas engagé leur honneur sur la place publique devant les autres clans? Non, ils ne pouvaient supporter une telle humiliation (maloya). Et le vote au grand jour prenait tout son sens, car on se surveillait et plutôt que de baisser la tête, on allait au-devant des événements. Les manifestations de mécontentement se traduisaient aussitôt par le refus d’exécuter les ordres, « ban » (refus), le manque de respect ou « dòòyali » (rendre petit), les violences prises à partie. Cette attitude de refus a souvent engendré des guerres (bankèlè). Un congrès extraordinaire était immédiatement convoqué pour une explication publique. Lorsque le chef refusait son autocritique et de payer une 962


amende honorable, il était mis sur le champ à l’écart: personne ne répondait plus à ses convocations ni ne le fréquentait même pas en privé. Le temps de se concerter. Puis, un beau jour, on lui notifiait d’avoir à remettre les attributs de la souveraineté: les armoiries du village ou du pays; les insignes du trône: la lance « tama » au bois sculpté, à pointe de fer, d’argent ou d’or, la chaise en bois incrustée d’argent, de cuivre ou d’aluminium, le « taboulé » ou tabala qui réglait de ses sons la vie de la communauté sans compter le chasse-mouches en queue de buffle... Le chef rendait la justice, avons-nous dit¸ assisté de vieux notables, le plus souvent plus âgés que lui, qui n’avaient donc aucune raison d’avoir peur de le désapprouver en toute occasion...Car lui aussi n’échappait pas au pouvoir de la gérontocratie. » Tous ces témoignages prouvent suffisamment que notre société traditionnelle reposait sur une structure solide, hiérarchisée et viable. Le chef était très souvent choisi démocratiquement quand la succession automatique était interrompue. Il y avait bien des critères rigoureux aux quels tout candidat était soumis. Aussi, le pouvoir du chef était régulièrement censuré par les vieux notables, les chefs de clans, le sòsòlikèla (contestataire, contradicteur), le sangban (bouffon, critique sociale incorruptible), les sanankun (clans liés par le serment inviolable de solidarité, de protection, de moquerie, de plaisanterie sans limite) les griots, les oncles paternels et maternels, les camarades et amis de la même génération (sèrè). Emanation de la volonté divine, le roi était aussi la conscience collective, le garant des destinées du pays et le protecteur de toute la société. Il devait avoir à cœur le souci et le droit de se hisser à la hauteur de cette lourde et noble tâche. Sa défaillance notoire ou son incapacité à commander ainsi que son autoritarisme exacerbé et son manque d’équité entraînaient sa remise en question pouvant aboutir à sa révocation. On voit donc que dans la société traditionnelle, les structures de contrôle et d’intervention existaient dans le fonctionnement des institutions si bien qu’elles ne permettaient pas impunément l’instauration d’un pouvoir personnel absolu du chef, d’une dictature. TRANSMISSION ET AUTHENTICITÉ DU MESSAGE DU CHEF EN PAYS MANDINGUE La transmission d’un message entre deux individus, deux services, deux gouvernements, deux souverains, deux états... et son authenticité posent souvent des problèmes. De nos jours, l’existence des cachets des armoiries, des sigles et des autres symboles spécifiques ou officiels infalsifiables qu’on appose sur les documents dûment signés par les autorités compétentes ou par l’expéditeur, ne met pas en doute, dans une certaine mesure, l’authenticité du message.

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Certes l’Afrique précoloniale n’avait pas connu ou maîtrisé l’écriture et les sceaux. Mais elle avait son système de transmission propre à elle. Pour communiquer à ses institutions, à son peuple ou à ses représentants, le roi remettait à son messager un de ses objets personnels singuliers que tout le peuple était censé reconnaître dans son royaume, notamment le destinataire du message. Pour prouver l’authenticité du son message et pour identifier la moralité du messager, le roi remettait à celui-ci un de ses objets personnels symboliques usuels suivants et connus par la plupart de ses sujets: ● Sa lance ouvragée, ● Son chasse-mouches sculpté (une queue d’éléphant, de buffle ou d’autres fauves), ● Son sabre à la lame (ou au fourreau) ouvragée, ● Son couteau au fourreau œuvré, ● Son bonnet qu’il porte couramment, ● Son turban ou son écharpe qu’il aime porter les jours de fastes, ● Son chapelet dont il ne se départit presque jamais, ● Bague en or ou en argent qu’il porte toujours, ● Cor ou la trompette royal(e) au fourreau sculpté… ou tout autre objet symbolique connu et reconnu comme propriété personnelle du mansa ou du chef. On utilisait dans certaines régions le langage des tambours, des cors et des trompettes (bru). Les moyens de communications variaient donc d’une région à une autre. Dans la société traditionnelle malinké, la présentation d’un des objets cidessus cités authentiques et incontestables rendait obligatoire et exécutoire le message transmis. S’il s’agissait d’une convocation, on était tenu de se présenter obligatoirement et immédiatement avec le messager. Il faut noter que les cas de faux et usage de faux étaient quasi-inexistants. Rarement on doutait de l’authenticité du message. Mais ces cas de faux, usage de faux et d’escroquerie étaient sévèrement réprimé, si cela arrivait. Plus tard, les correspondances écrites en arabe, en français ou dans d’autres langues étrangères, relayèrent ces objets traditionnels d’identification de la véracité et de l’authenticité d’un message. Mais dans ces derniers cas de messages écrits, il y beaucoup de risques de falsification et d’imitation de la signature, des cachets ou du contenu de message.

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LES ALLERGIES, LES SUSCEPTIBILITÉS ET LES PENCHANTS DU ROI, DU CHEF OU DU PRÉSIDENT EN AFRIQUE MODERNE ----------o---------(FARAFIN MANSA TANA ANI A DIYANANKO) « Homo homini lupus » (L’homme est un loup pour l’homme) ----------o---------LES ALLERGIES DU CHEF, DU ROI OU DU PRÉSIDENT: 1 - Si votre influence lui porte ombrage ou l’indispose, il vous anéantit. 2 - Si votre popularité le dérange, il vous humilie. 3 - Si votre témérité l’inquiète, il vous supprime, car le chef exploite les talents du téméraire puis s’en débarrasse. 4 - Si vous le contestez, ou si vous le critiquez publiquement, vous êtes un rebelle audacieux à éliminer. 5 - Si vous êtes plus instruit que lui, il vous ridiculise ou vous néglige. 6 - Si vous êtes plus intelligent que lui, il vous minimise. 7 - Si vous êtes très riche, venez souvent lui demander des services, sinon il vous réduit à néant. 8 - Gare à vous s’il apprend ou s’il a la preuve que vous le détestez. Dans ce cas, vous êtes en sursis. Une telle attitude ou situation vous expose à des frustrations, à des brimades, ou a une des situations suivantes... Donc dans ces cas vous vous exposez à des CONSÉQUENCES: ► Pas de promotion pour vous et vous subirez fréquemment, ► Des brimades, des humiliations, ► Des mutations arbitraires, ► Le limogeage pur et simple peut vous frapper, ► Des arrestations arbitraires, ► Des tortures physiques et morales, ► Des condamnations à la prison à temps ou à vie, ► Parfois un procès bâclé ou un semblant de procès sanctionné très souvent par votre condamnation sévère pouvant déboucher parfois sur votre exécution sommaire, sans jugement régulier, sans défense digne, vous subissez la loi du plus fort dans le pire des cas, et à huis clos. Ce sont-là des situations malheureuses auxquelles vous êtes à tout moment exposé.

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En Afrique, chacune des situations ci-dessus indiquées est un sacrilège qui attire l’attention du chef sur vous, provoque sa jalousie, sa colère, sa susceptibilité et le met en mauvaise posture ou mauvaise humeur. ■ Combien de cadres compétents, ■ Combien d’officiers patriotes et audacieux de nos armées, ■ Combien de syndicalistes intègres, ■ Combien d’opposants politiques patriotes et téméraires, ■ Combien de citoyens innocents… ont été brimés ou ont perdu leur promotion, leur liberté et parfois leur vie à cause de leurs opinions, ou parce que leur étoile scintille brillamment autant ou plus que celle blême du président et du roi qui s’en trouvent offusqués et jaloux. Tous ceux qui, sciemment ou inconsciemment, ternissent l’image, le prestige, l’autorité… du président doivent être neutralisés et éliminés physiquement de son environnement. En Afrique moderne: ◘ Pour être un bon citoyen, un bon sujet¸ un bon travailleur et vivre tranquillement, ◘ Pour échapper à l’attention hostile du pouvoir, ◘ Pour éviter des ennuis avec le pouvoir, ◘ Pour avoir de la promotion ou la conserver, ◘ Pour échapper à la répression, à la haine aveugle du président, ◘ Pour échapper à l’arbitraire et aux règlements de comptes des dignitaires, voyez ou observez les précautions suivantes: DISPOSITIONS OU PRÉCAUTIONS À PRENDRE POUR ÉCHAPPER AUX SANCTIONS DU CHEF SUSCEPTIBLE OU OFFUSQUÉ ● Il faut éviter qu’on parle beaucoup de vous surtout en bien, ● Il faut éviter d’être égocentrique, ● Il faut éviter d’être prétentieux et hautain vis-à-vis de lui, ● Il faut éviter d’être une vedette plus attractive que le président, ● Il faut être modeste et vivre discrètement, ● Il faut charmer le pouvoir en pensant et en agissant dans le sens de sa volonté, ● Il faut éviter de montrer au président que vous êtes instruit, ● Il faut éviter d’exhaler votre richesse au président, ou lui montrer que vous êtes riche, ● Il faut éviter de contester, d’affronter ouvertement le pouvoir, ou de le braver même à raison, surtout en public, ● Il faut éviter de bouder et de critiquer, surtout publiquement, le pouvoir, le président, le chef, ● Il faut éviter que le chef sache que vous n’avez pas peur de lui, 966


● Il faut éviter que le chef sache que vous prétendez le connaître, ● Il faut éviter de divulguer les confidences et les secrets du chef, ● Il faut éviter de créer chez le président un quelconque sentiment de complexe d’infériorité… Par conséquent, et pour votre sécurité, pour votre liberté et pour votre vie: ● Il faut éviter d’être dans ces différents ces cas ou situation, ● Il vaut mieux, par sagesse et prudence, avoir toujours le profil bas devant l’autorité du président de la république ou devant celle de tout chef, ● Il faut s’effacer devant l’autorité du président qui ne doit nullement être contestée, ● Il faut aimer ce que le chef ou le président aime, ● Il faut détester ce le président n’aime pas ou ce qu’il renie, ● Il faut courtiser très souvent le chef, pour être un sujet ou un subalterne docile et exemplaire, être dans sa grâce, et pour avoir de la promotion, car le chef aime cela, ● Il faut savoir subtilement lui dire que sa vision ou sa conception est erronée, ● Il faut dans ce cas faire passer avec beaucoup de finesse vos idées qui sont meilleures que celles du chef. Le chef est très souvent susceptible, allergique et à la fois très jaloux de son autorité, de ses prérogatives qu’il ne laisse pas lorgner. A fortiori il ne tolère jamais une action tendant à l’en déposséder. Aussi, il confie rarement son pouvoir ou ses prérogatives. Jamais il ne les partage... En Guinée sous la Première République; un jeune universitaire du nom de Naoré Sékou Camara dit Sékou Philo Camara de Kouankan (Macenta) fut victime de démagogie et de susceptibilité des responsables politiques de Kankan et du Président Sékou Touré lui-même. Apres de brillantes études de philosophie à Dijon (en France) Sékou Philo, à son retour au pays, s’était rendu très célèbre et très brillant professeur de philosophie dans les lycées de Conakry, au point ou les élèves et étudiants souhaitaient qu’il fut nommé Ministre de l’Éducation Nationale à la place du détenteur Mamadi Keita. Or ce Mamadi KEITA était l’éminence grise du Parti Démocratique de Guinée (PDG-RDA). Il s’en trouva offusque. Pour affirmer son autorité, il trouva mieux de prendre une mesure administrative qui muta cette herbe sauvage envahissante ou cet intrus à Kankan, à l’intérieur du pays. Précédés par les échos de sa réputation, Sékou Philo confirma rapidement tout le bien qu’on disait de lui. En qualité de brillant universitaire, fraîchement débarqué de l’Europe, et ayant de surcroît un sens aigu de la liberté, donc peu enclin à la démagogie couramment pratiquée dans son pays devenu révolutionnaire qu’il ne connaissait plus, il commit « une grave 967


erreur », « une inqualifiable faute » ou « une imprudence fatale » de ne pas se lever pour applaudir, comme tous les autres spectateurs, les images du Président Sékou Touré parues sur l’écran d’une salle de cinéma ou il était venue de distraire, un samedi soir. En effet, il fut le seul a rester assis dans la salle. Il trouva cette attitude purement démagogique. Apres le spectacle, le bureau fédéral du PDG de Kankan se réunit nuitamment pour analyser cette indifférence qui fut considérée comme un affront, un grave délit. Sékou Philo fut arrêté dans la même nuit et emprisonné sans jugement. Ce jeune intellectuel fraîchement venu de l’occident, fut considéré comme un vaniteux, un prétentieux, voir un saboteur et ennemi du Président Sékou Touré. Après six mois de prison au camp Boiro de Conakry, il fut libéré à la suite des démarches de sa vieille mère venue de Kouankan à cet effet. N’Ma Naoré vint prier le Président Sékou Touré d’ordonner l’élargissement de son fils. Mais celui-ci, en sa qualité de Responsable Suprême de la Révolution, avant d’accéder à cette doléance fit comprendre à celle-ci: « I dentyè ko a kalannin ka tanbi bèè la. » (= Ton fils dit qu’il est plus instruit que tout le monde.) « I dentyè ye mòò fandoba le di. » (= Ton fils est prétentieux.) « Munde kòsòn bèè ka min kè, ale ma sòn ka wo kè? » (= Pourquoi n’a-t-il pas fait ce que les autres ont fait?) « Ni a tun ka a wuli, wo tèrè munde kèla a la? » (= Qu’est ce qui lui coûtait de se lever et d’applaudir comme tous les autres?) Le jeune professeur fut ainsi libéré avec une ferme mise en garde contre ses éventuels errements hostiles à la Révolution Populaire. Ainsi débarrassé de son manteau d’intellectuel complexé, de son esprit de suffisance, il devrait dorénavant faire le mouton de Panurge, comme tous les militants ou tous les autres Guinéens. À bon entendeur salut! LE SCHÉMA DE SÉKOU PHILO CAMARA OU L’ITINÉRAIRE DU DETENU POLITIQUE EN GUINÉE SOUS LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE (1958-1984) - DE SON ARRESTATION OU SON INCARCERATION - À SON ENSEVLISSEMENT (APRÈS SA MORT DANS UNE FOSSE COMMUNE, SANS TOILETTES FUNÉRAIRES ET NI PRIÈRES) - EN PASSANT PAR L’HÔPITAL POUR LES PLUS CHANCEUX

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A) - L’ESPOIR: Les cellules du camp Boiro d’où le détenu espère sortir un jour pour rejoindre les siens constituent le point A ou l’un un des sommets du triangle. B) - L’INQUIÉTUDE: À 300 mètres du camp Boiro, se trouve l’hôpital de Donka où les détenus politiques malades, les plus chanceux ou les plus privilégiés, peuvent recevoir discrètement des soins. Mais le détenu peut y mourir et rejoindre le cimetière de Cameroun situé à environ 500 mètres de l’hôpital ou dans des fosses communes crées ailleurs et qui restent de nos jours à localiser. Donc l’hôpital est le second sommet du triangle ou le sommet B. C) - LA MORT ET LE CIMETIÈRE: En cas de mort, le corps du détenu est transféré jamais à la morgue, mais inhumé discrètement, dans un anonymat total. Le corps n’est jamais rendu à la famille, mais inhumé en catimini dans une fosse commune, sans la moindre toilette funèbre et ni le moindre honneur ou prière. Cette étape finale qu’ont connu beaucoup de détenus politiques constitue le troisième sommet (C) du triangle: LE TRIANGLE DE L’ITINÉRAIRE DU DÉTENU POLITIQUE DANS L’UNIVERS CARCERAL DE LA GUINÉE SOUS LE RÉGIME DE SÉKOU TOURÉ (1958-1984) A) - CAMP BOIRO OU AUTRE CAMPS DE DÉTENTION (Arrestation, perte de liberté, cependant avec espoir minime d’en sortir un jour)

A

B

B) - HÔPITAL DONKA (Maladie, soins internes au camp Boiro ou à l’hôpital pour les détenus les plus chanceux ou les plus privilégiés ou mort

C

C) - CIMETIÈRE (Mort, inhumation en catimini parfois dans des fosses communes sans toilettes funèbres 969


du détenu dans l’anonymat total)

ni prières, à l’insu des parents des détenus… Les corps n’ont jamais été rendus aux parents)

N.B.: 1) - En Guinée, aucune famille n’a pu récupérer le corps de son parent détenu politique mort sous la Première République. Jusqu’à présent, les tombes individuelles et les fosses communes n’ont pu être ni localisées ni identifiées individuellement. 2) - Les détenus qui mourraient à leur arrivée au camp (A) avant, pendant ou après l’interrogatoire, étaient directement et discrètement enterrés (C) où les corps des détenus politiques ne recevaient pas de toilettes funèbres dignes et ne méritaient pas de prières religieuses. Dans un isolement total, sans nouvelle de sa famille et du monde extérieur, sans soins appropriés, sans nourriture décente… le détenu politique en Guinée ne tient que par sa foi en Dieu et par ses prières quotidiennes. Mais en dépit de la situation dramatique qu’il traverse, il espère s’en sortir un jour pour vivre une vie normale et paisible parmi les siens.

Prof. Sékou Philo Camara dit Naoré Sékou, né en 1941 à Macenta, mort en 1995 à Conakry. ● Ancien Professeur de philosophie au Lycée classique et moderne de Conakry. ● Ancien Professeur de Philosophie à l’Université Julius Nyerere de Kankan. ● Ancien Directeur Régional de l’Enseignement de la ville de Conakry. ● Ancien Ambassadeur de Guinée à Abidjan. ● Ancien Ambassadeur de Guinée en Algérie. 970


Suivant toujours le mauvais destin, Sékou Philo fut arrêté de nouveau, pour

colorer sa « participation au complot » au dit « complot peul » ou « complot des intellectuels » qui fut un alibi pour justifier l’arrestation de Boubacar Diallo Télli, ancien et premier Secrétaire Général de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine). Mais pour bien d’observateurs politiques, cette deuxième arrestation de Sékou Philo avait permis de colorer subtilement les victimes de ce complot en le rendant moins ethnique ou moins sectaire. Sékou Philo Camara ne partageait pas suffisamment l’idéologie du PDG (Parti Démocratique de Guinée), parti au pouvoir de 1958-1984. Il ne cachait pas aussi ses tendances intellectuelles libérales et sa propension bourgeoise, ce qui pouvait le mettre en mal avec le régime révolutionnaire. En raison de cette contradiction avec la Révolution Guinéenne d’une part, et sa popularité dans les milieux intellectuels et scolaires, d’autre part, l’intellectuel et philosophe Naoré Sékou Camara n’eut que des démêlés avec le régime socialiste et révolutionnaire instauré en Guinée. Malheureusement, en raison de ces dissensions permanentes, surtout avec les gestionnaires du département de l’éducation nationale, le pays ne put exploiter suffisamment ses talents. Quelques années plus tard, Sékou Philo fut libéré, réhabilité et nommé Ambassadeur de la Guinée en Algérie puis en Côte d’Ivoire. Limogé deux ans après pour des raisons que nous ignorons, il reprit la craie et mourut dans un anonymat lugubre et dans un dénuement total et navrant en 1995 à Conakry. Cet intellectuel de haut niveau, ce brillant universitaire, cet éminent professeur de philosophie sorti de l’Université de Dijon (France), était réduit à la mendicité pour vivre. Il fut un charmant garçon, pédant, un dialecticien de haut niveau qui animait brillamment ici et là des causeries et discussions politiques et intellectuelles. Mais faute de moyens financiers et matériels ou par manque de revenus substantiels, on le voyait aller de bureaux à bureaux rendre visite à ses anciens promotionnaires et à ses anciens élèves placés dans les rouages de l’administration, dans l’espoir d’obtenir des bons de carburant pour sa « BABY» ou « DEUX CHEVAUX » ou pour joindre les deux bouts du mois. Toux ceux dans misère, dans les rues de Conakry et n’a jamais eu les moyens de terminer sa villa qu’il avait commencée à bâtir à Conakry. Il faut noter que, par patriotisme, il avait systématiquement rejeté une chaire que lui avait proposée le Président Félix Houphouët Boigny à l’Université d’Abidjan, à sa sortie de l’Université de Dijon. Ce brillant intellectuel et excellent professeur de philosophie, sorti major de sa promotion à l’Université de Dijon (France), a été négligé par les autorités de la Première République de Guinée (1958-1984) et abandonné à lui-même, est décédé en 1995 à Conakry dans un dénuement total et navrant. Il a donc végété dans la misère dans les rues de Conakry. Ce cas illustre très bien la susceptibilité des tenants du pouvoir et des chefs précisément des Présidents en Guinée et en Afrique. Ils se méfient des

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grands intellectuels dont le charisme et la popularité peuvent leur porter ombrage. Ainsi le respect de ce bréviaire qui précède vous épargnera sûrement des problèmes, des ennuis, la ségrégation, la répression, l’arrestation, les faux procès ou arbitraires, les faux complots, la prison ou la mort, car nos Chefs d’État ont souvent peu d’égards pour les Droits de l’Homme. Cependant, le bon chef ou le meilleur chef est celui qui fait preuve de cécité et de surdité volontaires, de clémence en étant, autant que possible, moins irascible, moins mesquin envers ses sujets, ses subordonnés, même dans les cas de flagrants délits ou fautes graves. Cette conception de l’autorité évite l’abus d’autorité, la tyrannie, les règlements de compte aveugles, les procès politiques, les purges parfois inutiles et souvent néfastes qui provoquent la terreur, déstabilisent l’autorité elle-même, ternissent l’image de l’autorité, divisent la société et l’état et traumatise le peuple ou les collaborateurs. Notez qu’en politique, tuer un adversaire ou un opposant à cause de ses opinions, c’est multiplier ses ennemis par cent. En effet, les enfants, les parents, les amis, les alliés, les connaissances et les sympathisants de votre victime ainsi que toutes les personnes auxquelles celle-ci a rendu services deviennent par haine, ou par esprit de vengeance vos ennemis ou en tout cas ne vous portent plus au cœur. AVANTAGES ET RISQUES D’ÊTRE DANS L’INTIMITÉ D’UN CHEF ----------o---------« Mansa man dyuu, fo a da fè siila. » (= Le roi ou le chef est à l’image de son entourage immédiat qui le manipule ou l’influence.) ----------o---------« Mansa da fè siila le ye mansa-lola dyuuyala. » (= C’est l’entourage qui rend le chef susceptible et méchant.) ----------o---------« Mansatyè lalila le mansa-lola kodyuu kèla. » (= Ce sont les conseillers du roi qui le manipulent et l’incitent à être dur, à prendre des mesures draconiennes, ou à sévir.) ----------o---------« Wo ye kèla ile le la. » (= C’est vous seul qui pouvez accepter de telles foutaises.) 972


Ou bien: « Wo nyòòn ma dali kèla yan kòròman. » (= Avant vous, personne n’a osé faire cela ici.) Ou alors: « Min ka kan ka i latòn. » (Ceci mérite d’être sévèrement sanctionné.) ----------o---------Il est reconnu et prouvé dans l’histoire des peuples que le chef (président, roi, directeur…) n’a que des amis conjoncturels, mais rarement des amis et collaborateurs permanents ou inamovibles. Il n’a fait que des collaborateurs ou des serviteurs temporaires, qu’il peut exploiter dans un contexte donné. Être autour du chef, être dans les secrets du chef, être le confident du chef… est certes un privilège qui vous permet d’être influent et d’exercer sur les autres le trafic d’influence ou d’avoir une certaine ascendance manifeste quand vous êtes opportuniste, de régler facilement vos problèmes, d’aider des amis, de profiter matériellement et moralement de cette situation avantageuse, mais aussi, il y a le revers amer de la médaille. En réalité, tant que vous êtes utiles au chef, il vous adopte, il exploite vos talents, vos compétences, votre intelligence et vos services. Il n’est donc pas étonnant de constater que les conseillers, les courtisans, les serviteurs, même les plus fidèles, ou les collaborateurs directs du président ou du roi changent ou quittent souvent brusquement le décor du palais présidentiel ou royal. En effet, on note très souvent que les confidents les plus dociles et les mieux côtés perdent leur poste ou leurs privilèges, sont brusquement et violemment écartés et mis en quarantaine. Parfois même ils sont emprisonnés, voire même éliminés physiquement, au gré des fluctuations des intérêts et de l’humeur du président, du roi ou du chef. Cette disgrâce est très souvent l’aboutissement final ou le résultat d’un règlement de comptes des clans hostiles qui se disputent les faveurs du chef. C’est la victoire du clan le plus habile qui parvient à séduire, à convaincre ou à manipuler le président ou le chef. Dans cette lutte implacable d’influence et d’intérêts, chaque clan cherche, par des combines, à avoir les faveurs du président au détriment des autres. Évidemment, le chef du clan vainqueur qui passe pour être l’homme de confiance ou l’éminence grise du président, du roi ou du chef (mansatyè-gbundo-fò-nyòòn) profite de sa position privilégiée pour faire son propre bonheur et la promotion des siens et de ses partisans. Mais cette lutte sans merci peut s’interrompre et se

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solder par la déchéance et le calvaire du clan vaincu, des responsables et des membres de son clan vaincu. La perte des faveurs liées à cette position privilégiée peut être motivée par des considérations subjectives du chef, par des raisons d’état, ou suite à une « faute », plus ou moins grave, commise par le privilégié en situation de disgrâce. On peut aussi l’accuser d’une faute fictive, imaginaire pour le neutraliser, pour le noyer et le perdre. En Afrique, quand le président ou le chef vous lâche, tout se désintègre autour de vous, c’est le calvaire et l’isolement total. Vous devenez un paria, persona non grata à ne pas fréquenter au risque de subir le même sort. Ainsi vidé de votre substance, de l’intérêt que vous représentiez avant vous devenez inutile comme une peau d’orange ou de banane bonne à jeter dans la poubelle. Vous devenez une ordure nauséabonde à éliminer, à sacrifier. Généralement dans l’entourage du Président de la République, on tombe dans une cascade d’intrigues et de règlements de comptes où les coups bas qu’on se donne mutuellement ne sont pas exclus et sont mêmes fréquents. Chaque clan cherche, exploite et amplifie les erreurs et les fautes des membres des autres clans. Finalement on fait tout pour se nuire mutuellement, sans état d’âme. C’est le règne des calomnies et des intrigues, des complots souvent montés de toutes pièces pour se détruire mutuellement. En raison donc de ces intrigues permanentes dans les palais royaux et présidentiels, toute personne qui occupe une place privilégiée de conseiller émérite ou de confident doit faire preuve de discrétion. Elle doit savoir retenir sa langue dans ses causeries, dans ses fréquentations, car: « Celui qui n’a pas pu garder une confidence ou son propre secret doit s’attendre à l’indiscrétion de celui à qui il le confie. » En effet, une personne qui se trouve dans la bonne grâce du président, du roi ou du chef occupe une position délicate et inconfortable. Elle peut être suspectée, à tort ou à raison, de machination. La moindre fuite de nouvelles ou de décisions confidentielles peut lui être attribuée à tort ou à raison. Elle est très souvent l’objet de surveillance discrète et régulière très austère dans ses relations, causeries et fréquentations par les services secrets de renseignements et par les éléments des autres clans adverses qui peuvent se coaliser contre elle et par ricochet contre les siens. Ce front commun ne lésine pas sur les moyens pour détecter ses moindres erreurs et défaillances. Elle n’est donc pas une personne libre. Elle est constamment filée par ceux qui cherchent à l’écarter et à l’abattre. Donc le confident trop influent du président est une personne en sursis. Parfois aussi dès qu’il cesse de faire le jeu du président ou dès qu’il devient le confident inutile, gênant, ombrageux, ou dès que celui-ci sait qu’il en sait de trop, il est brutalement et cyniquement lâché par celui-là même qu’il a soutenu et loyalement servi. Parfois, pour un rien, suite à une erreur même banale, il est remercié, mis en disgrâce ou limogé, et dans le pire des cas, on l’accuse de haute trahison, de complot contre la sûreté et la sécurité intérieures et extérieures de 974


l’état, d’être de connivence avec l’ennemi extérieur. On peut aussi le faire passer pour le cerveau d’un pseudo coup d’état dont le corollaire est inévitablement la perte de sa liberté ou sa mise à mort. De telles aventures, humiliantes, tragiques et malheureuses ne finissent pas dans nos palais royaux et présidentiels d’Afrique. Les luttes internes des clans hostiles aboutissement très souvent à une révolution de palais, entraînant souvent de notables changements dans l’entourage du président, du roi ou du chef qui tombe dans le camp qui parvient à le manipuler à sa guise, à l’envoûter. Aussi le président ou le roi peut luimême être la victime directe des machinations ourdies par les différents clans qui l’entourent. Le clan vainqueur parvient à déglinguer les autres. Pour rester longtemps le fidèle conseiller, le confident et l’éminence grise du président: « Mansa kana a lòn ko i ko i ka a lòn. » = « Mansa ye silanna a lònbale nyè. » (= Évitez que le chef sache ou qu’il apprenne que vous prétendez le connaître profondément.) (= Le chef a peur de la personne qui le connaît.) (= Le chef a peur de la personne qui est dans ses secrets et qui peut faire de l’indiscrétion à son sujet.) ----------o---------« Mansa kana a lòn ko i ka a gbundo fara. » (= Évitez qu’on rapporte au chef que vos causeries ont trait à ses intimités, à ses confidences, à vos entretiens privés et discrets avec lui.) ----------o---------« Mansa kana a lòn ko i ka a la fèè lon. » (= Évitez que le chef sache que vous prétendez connaître ses faiblesses ou ses points faibles.) Ou bien « Mansa kana a lòn ko i ka a gbundo lòn. » (= Évitez qu’il sache que vous connaissez bien les fondements ou les secrets de son mythe, de son pouvoir ou de sa puissance.) ----------o---------« Mansa kana a lòn ko i di se ka a lakari. » (= Évitez que le chef sache que vous pouvez le démystifier.) ----------o---------975


« I kana i waso i burudyu la mansa nyakòrò. » (= Évitez de vous flatter de la célébrité ou de la supériorité de votre ascendance paternelle ou maternelle par rapport aux siennes, au point de l’inquiéter, de le minimiser, de le déconsidérer.) ----------o---------« I kana i yèrè lafisaya mansatyè ma. » (= Ne faites jamais savoir que vous êtes supérieur au chef.) ----------o---------« I la ko lòn, i la lònni, i la saramaya ani i lolo kana tanbi mansatyè ta la. Ni wo kèla, a di i la to a lò, a di i la tunun dinyè. » (= Évitez que vos connaissances, votre popularité, votre ambition et votre excès d’orgueil lui portent ombrage.) ----------o---------« Mansatyè kana a lòn ko i ye a siiyòrò le kò; ko i nya lònni a siiyòrò le rò. » (= Évitez que, par votre grande ambition affichée pour le pouvoir, pour le commandement, par votre esprit d’indépendance, par vos comportements peu modestes ou hautains, par votre excès de zèle dans l’exécution d’un ordre pouvant le rendre impopulaire, le chef constate que vous voulez ou souhaitez occuper sa place, ou que vos initiatives impopulaires ternissent son pouvoir ou vous rendent trop célèbre au point d’assombrir son étoile.) ----------o---------« Mansatyè kana a lòn ko i tè silanna a nyè. » (= Évitez que le président sache que vous l’osez de trop, que vous n’avez pas peur de lui, que vous êtes trop audacieux.) ----------o---------« Mansatyè ye silanna tyèfali nyè. = Mansatyè ye tyèfali latununna le. » (= Évitez que le président sache que vous êtes un chevalier sans peur sans reproche. Dans ce cas il peut se sert de vous un moment donné pour conquérir, conserver et consolider son pouvoir; puis il vous fait accomplir 976


des missions difficiles et souvent affreuses à son profit, et après, il se débarrasse cyniquement de vous, parfois progressivement ou brutalement. Il réduit d’abord vos prérogatives, réduit aussi la fréquence de vos rencontres. Il vous éloigne de lui, vous isole, vous fait arrêter, vous met en prison ou vous supprime purement et simplement en vous accusant de complot et de tous les maux. Le chef, le roi, le président est souvent ingrat. Il oublie très souvent le meilleur et le fidèle serviteur qui l’a aidé à devenir ce qu’il est. Il peut donc sacrifier sans état d’âme un artisan de sa gloire, un fidèle serviteur de son pouvoir qui prétend le connaître et qui se vante de sa contribution au renforcement de son autorité... Le chef se méfie donc des collaborateurs téméraires, et bavards qu’il considère comme des éléments dangereux qu’il faut éliminer. C’est ainsi qu’on a vu disparaître progressivement ou brutalement des fidèles serviteurs du chef ou du président qu’on croyait être des intouchables dont certains connaissent un triste destin, la disgrâce et parfois une fin pathétique. La témérité et la popularité d’un sujet ou d’un citoyen peuvent lui causer des ennuis d’existence et même lui être fatale...) ----------o---------Tout chef est allergique à tous ces faits et à tous ces comportements et situations de ses subalternes, de ses administrés ou de ses sujets. C’est pourquoi, il se méfie de son subalterne, de son serviteur ou de son collaborateur trop influent, trop ombrageux, de surcroît audacieux, téméraire, loquace, indiscret et vantard. En Afrique, vous avez des ennuis dès que le président a une mauvaise impression de vous, ou quand on lui fait croire que vous lui portez ombrage ou que ses adversaires pourraient éventuellement exploiter votre position privilégiée de conseiller émérite, de serviteur fidèle, de collaborateur talentueux incontournable, pour l’atteindre, le déstabiliser et le liquider. En tout certains collaborateurs ont bien joué ce genre de rôle funeste dans l’histoire de l’Afrique et de l’humanité. La situation du confident du président ou du chef n’est donc pas toujours aisée, elle comporte même des risques. En plus des avantages matériels et moraux que lui procure cette position, il est exposé à bien de risques. En effet, à tort ou à raison, l’opinion publique le rend très souvent responsable ou complice des décisions, des sévices et injustices du président. Pour cette raison, on le mange à la même sauce que le président. On l’accuse à tort ou à raison d’être le manipulateur de ce dernier. C’est pour cette raison qu’on voit, lors des coups d’état, surtout sanglants, des confidents arrêtés et traduits en justice avec le président, ou purement ou simplement embastillés ou tués. Ils subissent donc le même sort que celui dont ils ont été les fidèles et loyaux collaborateurs et 977


serviteurs. Très peu de confidents échappent à la justice des nouveaux maîtres du pays. Parfois la population, dans un mouvement impulsif, s’en prend violemment à leur personne et saccage leurs biens matériels. Personne n’est épargnée par cette justice sévère, injuste, implacable, parfois aveugle et vindicative des vainqueurs qui sont très souvent inspirés par la haine et par la passion du vainqueur surexcité. C’est ainsi que, lors des changements de régime par violence, on organise des procès expéditifs qui font des victimes, dont certaines sont sûrement ou souvent des innocents qui subissent des règlements de comptes et des peines disproportionnées, qui sont très souvent nettement audelà de ce qu’on leur reproche comme faute ou délit. Si ceux qui étaient aux commandes hier ont sévi, ils subissent malheureusement à leur tour les rigueurs de la justice arbitraire et implacable de ceux qui les ont balayés ou remplacés. Au regard de ces vicissitudes liées à l’exercice du pouvoir, et quelle que soit l’ampleur ou la solidité de son affinité avec le chef, le confident de celui-ci doit être intègre, modéré, modeste précautionneux dans son langage, dans son comportement et dans ses actes. Il doit faire preuve de discrétion notoire et éviter de contrarier ou d’indisposer le chef qu’il sert. Que celui-ci ne sache pas que son confident le connaît profondément, dans les moindres repères de sa vie privée et publique, et que ce dernier s’en vante et prétend qu’il n’a pas peur de lui. Une telle attitude qui peut être aggravée par l’indiscrétion du confident provoque toujours la réaction foudroyante du chef dont les conséquences, à un moment donné de dérapage et de manque de réalisme, sont très souvent fâcheuses et regrettables. Pour des raisons personnelles ou d’état, à tort ou à raison, le président peut, sans état d’âme, sacrifier son meilleur ami, son meilleur conseiller ou son inconditionnel serviteur, en vue de consolider son pouvoir, sauvegarder son trône ou son fauteuil, et redorer son blason. Le serviteur inconditionnel devient ainsi le bouc émissaire responsable de l’échec de tous les maux qui gangrènent la société. Facilement on le rend responsable de tous les problèmes du pays. En tant que saboteur des projets visant le bonheur du peuple qui doit le vomir, et présenté comme un ennemi du peuple, on justifie ainsi toutes les sanctions prises à son encontre. C’est bien pour ces raisons ou considérations qu’on dit que le chef n’a pas d’amis inamovibles, mais n’a que des serviteurs conjoncturels. ► Vous êtes son ami pour le temps qu’il a besoin de vous, ou tant qu’il peut exploiter vos talents intellectuels et votre compétence. ► Quand il trouve quelqu’un qui fait mieux son affaire, il vous abandonne au profit de ce dernier, parfois avec fracas et mépris. Le chef est imprévisible, ingrat et in constant dans ses relations. ► Le chef se méfie beaucoup de son subalterne audacieux, égocentrique, qui n’a pas sa langue dans sa poche, qui le désavoue publiquement, qui dit la vérité sans tenir compte de sa présence et de son point de vue… 978


► Ne commettez jamais la maladresse de dire publiquement que vous connaissez très votre chef et qu’il vous doit. ► Le chef a un cœur de fer qui n’a pas pitié , qui sévit sans état d’âme contre tous ceux qui lui portent ombrage ou qui gênent ses intérêts… C’est ça le chef en général! Méfions-nous donc des chefs, car ils sont dangereux, ingrats, impulsifs, imprévisibles et impitoyables quand il s’agit de défendre leurs prérogatives et leur fauteuil. Les chefs n’ont pas d’amis inamovibles mais des serviteurs conjoncturels qu’il peut changer au gré de ses changements d’humeurs et du gré des fluctuations des circonstances. L’EXEMPLE DE MALADRESSE OU D’EXCES DE LANGAGE D’UNE ÉPOUSE DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ ----------o---------PERSONNE N’EST À L’ABRI DES CONSÉQUENCES DU CHANGEMENT D’HUMEURS DU CHEF QUAND CELUI-CI EST EN LÉGITIME DÉFENSE OU QUAND IL SE SENT OFFENSÉ, HUMILIÉ OU MENACÉ ----------o---------N’ABUSEZ JAMAIS DE VOTRE BONNE INTIMITÉ AVEC LE CHEF Pour mieux appréhender les risques d’être dans l’intimité ou dans les secrets du roi, de l’empereur, du président ou d’un chef, les conséquences d’un excès de langage audacieux ou d’errements de comportement de son confident, à son endroit, rapportons le cas d’une épouse imprudente de l’Empereur Samory Touré qui a fait les frais d’une audace malveillante, d’une offense imprudente de l’autorité de son époux empereur. Un jour, l’Almamy Samory Touré était au lit, en parfaite intimité, avec une de ses nombreuses épouses. Celle-ci eut la maladresse de lui poser froidement et audacieusement la question incongrue suivante: L’épouse: « Hoo! Sanankoro Faama, n y’a fè ka i manyinika ko dò ma? (= Oh! Empereur de Sanankoro, je voudrais vous poser une question qui me tracasse.) Samory: « Muso, wo ye mun di? » (= Qu’est-ce que c’est? Que veux-tu donc savoir, ma chère épouse?) 979


L’épouse: « Munde kòsòn bèè ye silanna i nyè? ◘ N de nya a tè i fan silan mòò di silan mè nyè. ◘ I fan sisi ma bò mòòtòlu ta ma: ◘ I kun kelen, ◘ I sen fila, ◘ I bolo fila, ◘ I da kelen, ◘ I nun kelen, ◘ I tolo fila… » Ce qui signifie: ● Je ne sais pas pourquoi les gens ont si peur de vous. ● Et pourtant je ne vois rien en vous ou sur vous qui puisse justifier une telle frayeur générale. Physiquement, vous n’êtes pas différents des autres personnes. Vous êtes donc tout aussi ordinaire que le commun des mortels…, comme toute personne créée par Dieu: ● Vous n’avez qu’une seule tête, ● Vous n’avez que deux pieds, ● Vous n’avez que deux mains, ● Vous n’avez qu’une seule bouche, ● Vous n’avez qu’un seul nez, ● Vous n’avez que deux oreilles, ● Je ne vois donc pas de différence notoire entre vous et les autres. ● Donc vous n’êtes pas singulier ou fabriqué autrement ● Vraiment, je ne sais pas pourquoi les gens ont tous si peur de vous?... » Décontenancé, abasourdi par l’outrecuidance, l’outrage, l’outrance et les motivations réelles de l’audace de cette imprudente épouse, qui restent à déterminer, de cette question, abasourdi par la pertinence et l’incongruité de ces propos subtiles, l’Almamy Samory Touré resta évasif, pensif un moment donné, ne sachant pas s’il fallait répondre en tant que époux ou en tant empereur. Mais il prit le manteau de l’Empereur mis dans une situation inconfortable. Perplexe, il se résolu finalement à répondre en ces termes: « PAKI! N’muso, i dyo le faasi. Ni i ka ile ye wo fòla, ile ka n makolon ne ye. Mòòtò bèè ye n yena ani ne tyèya-fèn ani ne tyèya-muran. Wa i ta a nyòòn fò butun i si kònò. Ile di se ka n di n dyuu ma. Ne tè son ka to muso dyanfa lò. Sumaoro Kante toni muso dyanfa le rò, Gbankuno Diomani Saadji muso Kagbè le ka a tyè lato a lò... » Ce qui se traduit par: « Paki! (= Ah! Oui!), ma très chère épouse, toi tu as bien raison de dire cela. Toi tu as eu la chance de me voir complètement nu, en pleine intimité avec toi. Par contre, les autres personnes, qui n’ont pas ce privilège, ne me voient que dans mes accoutrements d’homme, avec tous mes attributs et arguments d’Empereur (Faama). Puisque je suis convaincu qu’à partir de ton constat de maintenant, tu peux me démythifier, me vulgariser auprès de ceux qui me craignent tant, et me livrer tranquillement, 980


inconsciemment ou volontairement, à mes ennemis qui me cherchent et qui ne m’osent pas. Mais je ne te donnerai pas l’occasion de rassurer ceux-ci, de me vulgariser. Je suis convaincu que tu pourras être un jour le tremplin sûr pour mes ennemis pour me prendre. Oui!, parfois l’histoire se répète. N’est-ce pas Kolonkalan Keita, la femme de Soumaoro Kanté, célèbre roi Sosso, qui a livré son mari à Soundjata Keita, son grand frère, à qui elle a dévoilé les secrets et les faiblesses de son puissant époux qui fut détruit par un simple ergot de coq alors qu’il était invulnérable aux balles et aux armes blanches? N’est-ce pas Kagbè Traoré qui m’a livré de façon spectaculaire et lâche Gbankouno Saadji Camara, son époux, qui fut mon plus grand et redoutable ennemi et dont elle fut pourtant l’épouse favorite avec toutes les faveurs sentimentales et matérielles? Quant à moi, je n’accepterai jamais d’être victime d’une conspiration féminine, encore moins de toi mon épouse. Par conséquent toi tu n’auras donc jamais l’occasion de me livrer à mes ennemis ou de les rassurer en leur donnant éventuellement les points faibles ou les défauts de la cuirasse que je constitue. En tout cas ce n’est pas une femme qui va me démythifier ou démythifier en me poignardant lâchement ou involontairement dans mon dos. Les sages leçons que je dois tirer de ton audace sont bien claires. Dorénavant je dois beaucoup me méfier de toi et de toutes les femmes. Tu n’auras plus l’occasion de répéter de tels propos et rassurer mes ennemis qui me craignent. En tout cas un homme averti en vaut deux, dit un adage... » Le matin, L’Almamy Samory Touré raconta à ses proches cet entretien et, sans autre forme de procès, ordonna l’exécution pure et simple de son épouse audacieuse et imprudente en ces termes: « Alu ye wa a di Konkè Mori diya la », formule fatidique qu’il aimait prononcer pour ordonner une condamnation sans appel, une exécution inévitable. Rappelons que Konkè Mory était son unique et meilleur ami d’enfance prématurément arraché à son affection et à la vie. On sait que la tradition mandingue autorise qu’on chahute et qu’on s’amuse sans retenue avec son ami d’enfance (kanyanyòòn, sèrèden, dunyòòn…) qu’on ne craint pas et qu’on peut traiter de tout, qu’on peut accuser de tous les maux, qu’on peut rendre coupable de toutes sortes d’actes vils, ceci dans un esprit pur et simple de plaisanterie sans conséquence. On s’amuse avec lui sans restriction. Aussi on ne lui refuse rien qui soit possible. On se ménage réciproquement dans le cadre de cette relation particulière d’affinité, d’amitié sans faille, de fraternité vraie qui constitue un véritable ciment social. Personne n’échappe à cette règle sacrée au Mandingue, quels que soient le rang social et les moyens matériels du partenaire. Ainsi donc cette imprudente épouse fit les frais de son audace, de sa trop grande liberté, de ses errements de langage, de sa maladresse à l’endroit de son mari qui était de surcroît l’empereur. Celui-ci se défit, pour des raisons évidentes de sécurité et d’état, de son manteau d’époux au profit de celui de l’empereur. 981


Ainsi, elle fut exécutée sur ordre de son mari qui n’éprouva aucun état d’âme, pour des raisons évidentes de sécurité et d’état. Heureusement que cette grave décision qui servit de leçon ne continua pas comme dans les « Mille et Une Nuits ». Personne, ou en tout cas très peu de personnes, n’est au-dessus de la réaction violente du chef menacé de perdre son autorité, humilié ou outragé publiquement. « Tant il est vrai qu’une belle femme est parfois plus efficace qu’une armée bien entraînée et apprivoisée » a dit Amadou Hampâté Bâ à la page 370 de son célèbre roman autobiographique « L’Étrange Destin de Wangrin », à propos de la femme. En tout cas l’histoire du Mandingue ne manque pas d’exemples ou de situations où des épouses de rois, d’empereurs et de personnalités nanties et célèbres ont trahi et livré froidement leur époux à des ennemis internes ou externes. D’ailleurs nos contes et légendes en foisonnent. Découvrons en nous mettant à l’écoute des sages du village après le repas du soir. En effet, si Kolonkalan, l’épouse de Soumaoro Kanté, n’avait pas connu et livré le secret de la puissance de son mari à Soundjata Keita, son frère aîné et prince Mandingue, ce dernier n’aurait certainement pas pu vaincre le redoutable roi Sosso. Ainsi donc l’indiscrétion de son épouse lui fut fatale. Par ailleurs, l’Almamy Samory Touré ne fut-il pas obligé de passer par Kagbè Traoré, l’épouse favorite de Gbankouno Saadji Camara pour abattre le roi Diomandé du Konya, après huit mois de siège vain et meurtrier? Pour cela elle fit parvenir aux marabouts de Samory la première poignée de riz que son époux s’apprêtait à mettre dans sa bouche, lors d’un repas. L’histoire du Konya retient aussi que c’est bien elle qui a donné le coup de grâce à l’armée de son mari en mouillant la poudrière de celui-ci la veille de l’assaut final donné par le Conquérant Mandingue contre la citadelle jusque-là inexpugnable de Gbankouno. Cette étape de Gbankouno ou cette éclatante victoire ouvrit la route à Samory vers la consécration suprême. En effet, sachons que: ● Par suite d’un coup de cœur, ● Par excès de jalousie, ● Par esprit de vengeance, ● Par déception en amour, ● Par ambition démesurée pour le prestige, la gloire et la puissance, ● Par cupidité démesurée, ● Par naïveté, ● Par corruption… une femme peut facilement et naïvement céder à la tentation de tuer son mari ou de livrer son époux ou son amant à ses ennemis, quitte à regretter peu après son acte ignoble. Pour une question évidente de sécurité, pour des raisons d’état, par instinct de conservation, l’Empereur Almamy Samory Touré n’avait-il pas eu

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raison de prendre le devant en se mettant à l’abri d’une éventuelle trahison ou forfaiture en éliminant cette audacieuse et imprudente épouse? À la lumière de ces faits historiques récurrents, devons-nous nous méfier de nos épouses et amantes en prenant la précaution de les mettre hors de certains de nos secrets ou affaires afin d’éviter d’être un jour victime de leur indiscrétion, de leur jalousie et de leur esprit de vengeance? En tout cas la femme n’a nullement peur de l’homme qu’elle a vu et connu nu, et surtout avec lequel elle a eu des relations sexuelles. Pour cette femme, le partenaire sexuel masculin qu’elle connaît bien est effectivement vulgaire et vulnérable. Et c’est justement en ces instants d’intimité, pendant lesquels un homme est en situation de faiblesse, qu’une femme astucieuse peut lui arracher une information capitale, ou obtenir une décision ou une faveur de premier ordre. Aussi, ne faut-il pas savoir que: « Celui qui ne peut garder son propre secret, ne doit pas s’en prendre à celui à qui il le confie si ce dernier fait preuve d’indiscrétion » dit-on dans « Les Milles et Une Nuits ». Méfions-nous donc des chefs. Ils sont dangereux, quand surtout vous êtes dans leur intimité, dans leurs confidences. Leurs réactions, parfois impulsives et imprévisibles peuvent vous être fatales. Ceux qui prétendent les connaître parfaitement bien et qui se croient intouchables font les frais de leur naïveté, de leurs indiscrétions, de leur audace. On ne connaît jamais assez un chef. Que l’on ne se trompe pas. Qu’on sache donc que le chef n’a pas d’amis, mais il a des serviteurs, des collaborateurs conjoncturels qu’il exploite, limoge ou élimine physiquement au gré de son humeur et de ses intérêts. Ne profitez jamais naïvement et exagérément de vos facilités de contact ou de vos privilèges pour tenter de le démythifier. Ainsi donc, sachez: ■ Que votre époux chef est bien votre chef. ■ Que votre fils chef est votre chef. ■ Que votre ami chef est votre chef. ■ Que votre frère chef est votre chef. ■ Que votre cousin chef est votre chef. ■ Que votre gendre chef est votre chef. ■ Que votre beau-frère chef est votre chef. ■ Que votre collègue ou collaborateur chef est bien votre chef à ne pas minimiser. Le chef est et reste le chef qui aime et exige qu’on le respecte, qu’on le flatte, qu’on l’adule. Il faut donc en avoir peur. Par conséquent: ◘ Aucun privilège ne doit vous rassurer et vous pousser à l’affronter dans l’exercice de ses prérogatives, de ses attributs de chef. ◘ Évitez de l’outrager. ◘ Évitez de le vulgariser. ◘ Évitez de ne pas exécuter ou de mal exécuter ses ordres. 983


◘ Évitez de le minimiser en public ou de le déconsidérer. ◘ Evitez que le chef sache que vous avez des velléités pour sa place, ◘ Evitez de contredire le chef en public, ◘ Pour rétablir ou affirmer son autorité, ◘ Pour se faire respecter, ◘ Il est prêt à fouler les relations dont vous vous croyez fort, ◘ Il est prêt à ignorer tous vos droits personnels et autres droits de l’homme pour vous prouver que c’est bien lui, le chef, qui commande, ◘ Il est prêt à ignorer tous les services que vous lui avez rendus. ◘ Ayons donc peur du chef, quelle que soit sa dimension. ◘ Méfions-nous de lui pour ne pas avoir des ennuis et pour mieux vivre, pour vivre en liberté et pour vivre longtemps. ◘ Quelle que soit votre familiarité ou votre affinité avec le chef, respectez-le en public ou dès que vous n’êtes pas seul avec lui. ◘ Exécutez ses ordres. ◘ Évitez surtout de le critiquer ou de le minimiser en public. ◘ Pour sauver son honneur, pour affirmer son autorité et son prestige, il peut vous anéantir et vous faire perdre tous vos privilèges, votre liberté et même votre vie. Il utilisera tous les moyens pour prouver que c’est bien lui le chef, car c’est lui qui commande et qui a le dernier mot. ◘ Le chef est dangereux, imprévisible et impulsif quand il est en posture ou en position de faiblesse, surtout quand il est menacé. ◘ Ne l’indisposez pas, ne l’offensez pas, ne le bravez pas publiquement. ◘ Il peut vous sacrifier à tort ou à raison, sans état d’âme, quand surtout il s’agit d’affirmer son autorité bafouée ou de défendre ses prérogatives et attributs. ◘ Gardez donc toujours le profil bas devant lui --◘ Méfiez-vous des chefs, car ils sont impulsifs et insaisissables --◘ Ils sont très souvent aveuglés par leur place, par leur autorité, et par leurs privilèges qu’ils acceptent rarement de partager même partiellement, mais jamais totalement. Si jamais vous avez la chance de vous voir confier une parcelle de son pouvoir, usez-en avec prudence. Faites tout à son nom, mais l’excès de zèle dans l’exercice de votre fonction ou de votre mission peut être mal perçu par lui et vous causer de pires ennuis. Il peut voir souvent dans un tel comportement démagogique une manière subtile de le rendre impopulaire ou de le salir. Les chefs sont très jaloux de leurs privilèges. Les chefs sont très jaloux de leurs privilèges. À bon entendeur salut! 984


DOCUMENTS DE LECTURE « L’HOROSCOPE CHEZ LE MALINKÉ » « Dans toutes les traditions africaines, il existe, tout comme dans le monde antique européen (Grèce, Rome), des jours fastes et des jours néfastes. Pour accomplir les moindres actes de la vie courante, on se préoccupe de savoir si le jour est placé sous de bons auspices. À cet effet, on consulte les oracles, voyants, marabouts, charlatans, magiciens, chresmologues... Rien ne se fait ou ne s’entreprend au hasard. Ainsi, voici l’horoscope des jours de la semaine chez les Malinké de Guinée. Lundi: C’est le jour du « feu ». Une case édifiée ce jour deviendra sûrement un jour la proie des flammes; un champ ensemencé ce jour-là sera également détruit pas l’incendie, il en sera de même des tapades qui entourent les concessions ou groupe de cases d’habitation. Par contre le lundi est un jour favorable pour aller en voyage, pour se livrer aux plaisirs de la chasse et de la pêche, pour partir en guerre, pour confectionner des amulettes protectrices des enfants, pour faire des sacrifices, pour se raser la tête, laver le linge, étrenner un habit ou une paire de chaussures. Le Prophète Mohamet étant né un lundi, un enfant venu au monde ce jourlà sera une célébrité, un meneur d’hommes et notamment un érudit. L’envoyé d’Allah ayant été rappelé à lui également un lundi, tout musulman qui meurt ce jour ira le rejoindre au Paradis. Mardi: Le mardi est un jour néfaste. On ne doit pas rendre ce jour-là les objets prêtés, autrement, l’inimitié surviendra entre les obligés. On ne doit pas non plus ce jour-là ni fonder un village, ni commencer la construction d’une case et si par la force des choses, une case est terminée un mardi, il ne faut pas y coucher la première nuit. On se gardera de tresser ce jour sur la natte sur laquelle on dormira, de faire ses adieux à quelqu’un (on risque de ne jamais revoir cette personne), de commencer un travail, d’aller à la chasse le mardi. Mercredi: Le mercredi est également un jour néfaste et bien de choses sont prohibées en cette journée: entreprendre un voyage, construire une case, fonder un village, rechercher des racines ou des feuilles pour remèdes, faire des sacrifices, laver le linge. Si on rase la tête d’un enfant ce jour-là, il aura constamment des migraines, cependant c’est le jour consacré pour la coiffure des femmes. Lorsqu’un géomancien, un voyant, un charlatan, donne des directives un mercredi, il faut attendre le lendemain pour les mettre à exécution. Les cordonniers doivent découper le cuir ce jour-là pour faire des chaussures. Si on termine la couture d’un vêtement le mercredi, avant de le porter, il faut auparavant le fouler aux pieds, autrement, il vous arrivera malheur.

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Si on veut avoir longue vie, il ne faut pas se laver le mercredi et surtout le dernier mercredi du mois. Un travail commencé le mercredi traînera en longueur. Jeudi: Le jeudi est un jour faste. Jour heureux et prospère pour entreprendre les démarches en vue de se marier, pour accepter les colas du mariage, coudre un bonnet, tresser des nattes de couchage, commencer une guerre, opérer des razzias... Un homme né le jeudi aura une femme modèle, tandis qu’une femme née ce jour trouvera un mari exemplaire. Celui dont le premier enfant est une fille, la mariera bien vite, si cette fille est née un jeudi. Toutefois le jeudi est le jour des sorciers ou subaa qui, accusés de manger les âmes, sortent précisément la nuit de jeudi en quête de victimes. On évitera donc d’être dehors la nuit pour ne pas tomber dans leurs filets. Par contre, le malade pour qui on confectionne un gris-gris le jeudi, guérira. Si on trouve l’eau un jeudi au fond d’un puits que l’on creuse, ce puits ne tarira jamais. Si on étrenne un boubou, un pantalon le jeudi, on aura beaucoup de bonheur. Si on rase ce jour-là la tête d’un esclave, on en aura bien vite un autre. On évitera de présenter des condoléances le jeudi. Vendredi: Le vendredi est un jour faste aussi bien pour les musulmans que pour les fétichistes. Jour heureux pour commencer la construction d’une case, la fondation d’un village, la célébration d’un mariage, l’inscription d’un enfant à l’école coranique. C’est aussi un bon jour pour faire des sacrifices, porter des effets neufs, préparer des médicaments. Tous ceux qui mourront un vendredi iront au Paradis, mais l’enterrement doit se faire le même jour. Le vendredi on ne se rendra pas aux champs. Le vendredi est un jour très favorable pour les sacrifices faits par un chef. Samedi: C’est le jour heureux pour la confection des gris-gris, se marier avec une veuve, entreprendre un voyage. Celui qui pose la toiture de sa case un samedi, ne mourra pas dedans. Un garçon né ce jour-là, trouvera facilement à se marier. Si on commence à récolter des céréales un samedi, on est assuré de les manger. Une vache qui vêle le samedi aura beaucoup de lait. Mais, attention, tout ce qui arrive un samedi risque de se répéter trois fois. Si on a donc un bonheur ce jour-là, il faut s’attendre à deux autres événements heureux; par contre si c’est un malheur, deux autres suivront. C’est ainsi qu’on annonce jamais une mauvaise nouvelle, un décès par exemple, le samedi, qu’on ne présente pas de condoléances ce jour-là.

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Chez les Malinké fétichistes, le samedi est le jour de repos réglementaire et si on travaille ce jour-là, on risque d’être anéanti par la foudre. Dimanche: L’enfant né un dimanche n’aura rien à craindre ni des sorciers, ni des génies, ni des esprits. Il ne deviendra pas aveugle. Il ne mourra pas à la guerre. Il n’aura pas peur la nuit. Ni les serpents, ni les fauves, ni les maladies nerveuses n’auront de prises sur lui. Tous ses rêves se réaliseront. Le poussin éclos ce jour-là ne sera pas la proie de l’épervier. Il est recommandé de ne pas se raser (homme) ou se natter (femme) les cheveux le dimanche, sinon on aura de violentes céphalées ». Par Mamadou TRAORÉ RAY-AUTRA (« Bingo » N° 350 de mars 1982) LE SACRIFICE (SARAKA) (7) ----------o---------« Saraka-bòla le bè baraka; a den tè tola kò. » (= Celui qui fait des sacrifices et son fils sont toujours voués à la réussite matérielle et morale.) (8) Dicton mandingue ----------o---------« Saraka le bè mòò tankana tana ma. » (= Le sacrifice vous met à l’abri des malheurs.) (8) Dicton mandingue ----------o---------« Il ne s’agit pas de nous complaire dans l’exaltation du passé, mais il s’agit de connaître ce passé pour savoir exactement quelle est la voie que nous sommes en train de suivre. Est-ce que nous devons changer ou non. » Elikia M’BOKOLO (9) ----------o---------« Connaître la science comme les Européens sans rien connaître de nos traditions c’est mauvais pour l’Afrique... »

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Soundioulou CISSOKO (10) ----------o---------La société traditionnelle africaine a subi de profondes mutations depuis son contact avec la civilisation occidentale. Aussi, l’impact du Christianisme et de l’Islam a sérieusement accentué ce bouleversement. Le doyen Amadou Hampâté Bâ dégage, de ce contact, un bilan en grande partie négatif et qui a unilatéralement appauvri la civilisation africaine. Celle-ci s’en trouve soit altérée soit abandonnée par complexe d’infériorité. Il dit en substance: « Au contact des races, il y a toujours des pertes et des gains. Il faut savoir choisir. Il y a des vertus qu’on perd et des défauts qu’on contracte. Les vertus occidentales peuvent ne pas être celles de chez nous, car le processus intellectuel n’est pas le même. En occident, pour honorer, on se décoiffe, en Afrique on se déchausse, mais dans les deux cas, l’objectif c’est le respect. On ne peut pas avoir absolument la même mentalité, la même compréhension des choses, ce que je souhaiterais, c’est de voir ceux d’entre eux qui ont eu l’avantage de connaître nos traditions et les Européens servir de trait d’union. Il ne faudrait pas pour cela tronquer notre personnalité. Parce qu’on « ne sème pas dans la jachère, on arrache d’abord ce qu’on a trouvé pour semer ce que l’on a apporté ». Jamais une colonisation n’a été une œuvre philanthropique. Le but de la colonisation c’est d’exploiter et de préparer des gens à sa dévotion et des gens à son image. » (11) Certaines conséquences de ce contact ont été évidemment notre acculturation, la disparition de certaines de nos us et coutumes; même les plus vertueux ont été altérés. Cependant, il est réconfortant de constater que certains aspects-certes peu nombreux-de notre culture, tels que la pratique des sacrifices et celle du sanankunya, résistent encore à l’assaut du modernisme et de la mystique. La pratique du sacrifice est une vieille tradition encore bien vivante dans nos sociétés. Toutes les couches sociales y recourent. Le sacrifice est un recours moral qui permet à celui qui le pratique d’entrevoir une solution d’espoir et à tel ou tel problème auquel il est confronté. « Elle - parlant de la pratique du sacrifice - est très répandue et fait partie des actes essentiels de la vie quotidienne des individus comme des collectivités... » allègue Ray-Autra. (12)

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A - EN CAS DE MALHEURS ----------o---------« Saraka le bè mòòlu tankana tana ma. » (= Le sacrifice nous préserve des malheurs.) Dicton mandingue ----------o---------On fait des sacrifices pour juguler les malheurs. On y fait donc recours chaque fois qu’il y a: ● Des difficultés matérielles et morales, ● Des décès brusques, ● Une maladie grave et persistante, ● Une épidémie, ● Une sécheresse prolongée et dévastatrice, ● Une bagarre sanglante entre frères consanguins ou dans la collectivité villageoise, ● Une stérilité notoire d’un couple. ● Pour le repos de l’âme des morts: « Ka sulu sò » = « ka sulu hadiya » (= Donner à manger et à boire aux morts ou faire des offrandes aux morts car ils ne sont pas morts, ils nous côtoient quotidiennement, nous voient, nous entendent. Nous devons donc tout partager avec eux.) B - EN CAS DE RECHERCHE OU DE PRÉSERVATION DU BONHEUR ----------o---------« Sarakale bè hèrè madònna mòò la » (= Le sacrifice accélère la réalisation du bonheur et contribue à son maintien) ----------o---------On fait aussi des sacrifices: ► Quand on commence la construction d’une maison, ► Quand on inaugure une nouvelle maison, ► Quand on crée un village afin d’avoir la protection des génies du lieu et la bénédiction des morts, ► Quand on défriche ou quand on ensemence un champ,

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► Quand on entreprend un voyage surtout long ou quand on va vers un grand chef, ► Quand on va à la guerre, ► Quand on fait des cérémonies rituelles (circoncision, excision...), ► Quand on fait un mariage ou quand un mariage est lent à se nouer en raison de certaines difficultés nées de l’intransigeance ou de l’incompréhension des parents de deux familles ou de deux clans ► Quand on veut honorer la mémoire des morts et recevoir leurs bénédictions ou quand on veut leur demander pardon après avoir transgressé un interdit (ka sulu sò), ► Quand on veut gagner un procès, on envoûte alors les juges et on traque l’esprit de l’ennemi qu’on tente de neutraliser etc... On croit donc fermement que le sacrifice est la clef du bonheur et le moyen le plus efficace pour juguler le malheur et toutes sortes d’ennuis. Le sacrifice s’adresse soit à Dieu, soit aux parents et ancêtres morts, soit aux génies protecteurs (dadjina) de l’individu, du clan, du village ou de la région. On sollicite le concours, la magnanimité, la mansuétude de ces esprits pour obtenir une faveur ou surmonter une épreuve difficile. Les offrandes qu’on leur faits peuvent et doivent se faire dans tout lieu sensé être leur résidence mystérieuse. Très souvent, les forêts, les montagnes, les cours d’eau, les grands arbres, les termitières insolites... sont les lieux de prédilection fréquentés par les esprits bienveillants ou malveillants qui nous côtoient tous les jours et dont la présence ne peut être sentie que seulement par des personnes initiées qui comprennent et interprètent leurs messages et avec lesquelles ils peuvent communiquer. L’interprétation des rêves donne toujours lieu à des sacrifices appropriés. Qu’il s’agisse des rêves faits par soi-même ou de ceux faits par d’autres personnes et qui concernent vos parents, amis - vivants ou morts - ou vousmême. D’ailleurs les parents et amis morts ou absents communiquent avec les vivants par le moyen des rêves. Et obligation vous est faite de leur faire des offrandes ou d’exécuter leur volonté (ka sulu hadiya). On peut aussi faire spontanément des sacrifices (hadiya) à la mémoire des morts auxquels on demande pardon après une bagarre sanglante ou après avoir transgressé un interdit. On leur fait de temps en temps des offrandes les vendredis ou a l’occasion des fêtes religieuses pour le repos paisible de leur âme (su sò). Les funérailles sont aussi des occasions de sacrifices. L’aumône (ka a sara Ala la, ka a di Ala ma) et la dîme (dyaa) sont des formes de sacrifices très importantes que recommandent vivement l’Islam et le Christianisme. Elles ont un caractère obligatoire pour les nantis. Dans tous les cas si les sacrifices ne sont plus déposés sur la tombe des ancêtres ou dans les lieux rituels tutélaires appropriés, comme par le passé, ils sont de nos jours essentiellement offerts à des indigents. 990


Actuellement, la plupart des sacrifices sont consécutifs à des consultations de devins, de charlatans, de marabouts et d’autres géomanciens. Ceux-ci sont aussi des spécialistes dans l’interprétation des rêves. Des sacrifices sont toujours recommandés que le rêve soit faste ou néfaste. Tous ces géomanciens lient l’amélioration des conditions de vie du consultant ou la conjuration de ses malheurs présents et à venir à tel ou tel sacrifice. Mais les sacrifices se font selon des rites particuliers qu’il faut connaître pour que ceux-ci soient exaucés. Généralement ont fait appel à des personnes âgées, aux doyens des clans et aux marabouts pour officier les cérémonies de sacrifices, quand il s’agit surtout des sacrifices de bêtes quadrupèdes (bœufs, moutons, …). Quant aux sacrifices mystiques, ils sont officiés par les féticheurs, les chasseurs, les charlatans ou par les initiés ou pour tous les médiums vivants ou spirituels… C - OBJETS DE SACRIFICES L’offrande porte sur les objets les plus divers. On peut offrir comme sacrifice, selon les recommandations du devin ou selon les cas: I - DE BOISSONS a) - De l’eau fraîche (dyi suma): L’eau est très importante dans les cérémonies rituelles. Le génie protecteur (dadjina = dameleka) de beaucoup de personnes, de certains villages et clans réside dans les cours d’eau. On adore ce génie en versant de l’eau fraîche par terre et en récitant des formules incantatoires appropriées tout en y adjoignant des vœux (ka dyi bon). On se sert d’une calebasse blanche uniquement destinée à cette pratique et qui est toujours conservée pieusement chez le sacrificateur patenté du clan ou du village dans le cas des sacrifices rituels. Pour les sacrifices ordinaires et individuels on peut se servir à cet effet d’une calebasse à queue ou du gobelet servant de verre à boire pour toute la famille. On y ajoute toujours une noix de cola blanche ou rouge selon les cas ou les recommandations faites. Pour annuler les malédictions proférées par un père ou une mère contre un de leurs enfants, par un oncle ou une tante contre un neveu ou une nièce, par un frère aîné ou une sœur contre un de leurs cadets ou par une sœur mariée (senkò) contre ses frères et sœurs... il faut absolument verser de l’eau fraîche (ka dyi suma bon). Ce qui nécessite un repenti total et publique de celui qui est maudit ou qui a provoqué la colère. Il doit présenter ses excuses et supporter, dans la mesure du possible les frais de cérémonies. b) - Sacrifice de lait frais ou caillé: Généralement on offre du lait frais (nònòkèndè) aux enfants de moins de cinq ans avec quelques pièces d’argent. c) - Autres liquides: Le miel et l’huile sont rarement utilisés comme sacrifice.

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II - SACRIFICES D’ALIMENTS a) - Aliments crus: Ce sont souvent des céréales qu’on offre à des nécessiteux. Parfois aussi c’est un mélange (nyaami) d’une petite quantité de différentes céréales (riz, fonio, mil, maïs...) qu’on dépose à un carrefour. b) - Aliments cuisinés: Ils sont préparés avec de la viande de mouton, de bœuf, de poulet ou de pintade. Généralement on mange les mets par groupes distincts et en seul lieu: Le groupe d’homme (tyè dyama), Le groupe de femmes (muso dyama), Et le groupe d’enfants (denmisèn dyama = dennin dyama). Après le repas, chacun fait des bénédictions pour le bonheur et la santé de la personne qui a fait le sacrifice et implicitement pour toute sa famille. c) - Les œufs: On les dépose généralement à un carrefour. III - SACRIFICES INSOLITES Nous ne saurions donner la liste exhaustive de tous les objets utilisés comme sacrifices. Nous ne saurions non plus dire que telle ou telle chose est appropriée pour tel ou tel sacrifice. Cela relève de la compétence des spécialistes. À ce propos on peut se référer à « L’interprétation des rêves dans la tradition africaine » de Ray-Autra. (12) Nous savons par ailleurs que par crainte de perdre le pouvoir ou pour y accéder ou pour obtenir une promotion... nos responsables politiques et administratifs font des sacrifices les plus insolites et les plus variés. Parfois les sacrifices humains, de serpents, de cauris... ne sont pas exclus. IV - SACRIFICES D’HABITS Ce genre de sacrifice est très courant. Pour conjurer un malheur (maladies surtout, misère, sorcellerie, conspiration...) les devins recommandent toujours à tous ceux qui viennent les consulter d’offrir à des nécessiteux des habits qu’ils ont déjà portés et comprenant: une coiffure, une chemise, un pantalon et une paire de chaussures pour les hommes et pour les femmes un foulard, un complet (camisole et pagne), une robe plus une paire de chaussures: « I ye i bò i fòrò. » (= « Se métamorphoser; abandonner sa peau initiale »… c’est-à-dire « les habits de la tête aux pieds » qu’on a l’habitude de porter très souvent…) Il s’agit donc d’offrir généralement des habits déjà portés. Parfois on vous convie de donner le complet le plus cher de votre garde-robes, ou le complet que vous aimez le plus et que vous portez lors des fêtes et des cérémonies exceptionnelles. 992


V - LE SACRIFICE DE LA COLA (SARAKA WORO) OU LES VERTUS DE LA COLA En plus de sa valeur commerciale, de sa qualité de produit de grande consommation, la cola joue un rôle de première importance dans les relations sociales. C’est un médium incontournable entre les vivants et les morts. En effet, en raison de son pouvoir magico-religieux, il est fait recours au cola dans les cérémonies familiales (mariage, sacrifices divers, prestations de serment d’allégeance), dans les rites sociales (adoration des divinités, des génies). C’est le sòliworo. C’est à ce titre de médium efficace et incontournable qu’on l’utilise pour s’adresser aux divinités et aux morts. ◙ Pour témoigner son amitié à quelqu’un, on lui offre dix noix de cola (dyilòworo). ◙ Pour témoigner le respect qu’on voue à un étranger, on lui donne dix noix de cola dès son arrivée (dyilòworo) plus une calebasse d’eau fraîche. C’est l’équivalent du bouquet de fleurs que les européens ou les occidentaux offrent à leurs hôtes de marque. Pourquoi ne réhabiliterons-nous pas la cola dans cette fonction honorifique spécifique équivalente? ◙ Pour concrétiser le intentions de mariage on présente aux beauxparents (ou biran) un colis de dix noix de cola (furu woro tan). On fait parvenir alternativement trois paquets de colas contenant chacun dix noix. Si la cola permet de nouer un mariage, la rupture irréversible de ce lien sacré est consommé par le retour de l’épouse répudiée dans sa paternelle accompagnée d’un colis de neuf colas plus une somme symbolique de 200 F CFA, ou l’équivalent ou plus, puisque le lien du mariage est rompu ou est en voie de l’être, on ne présente plus les dix noix de cola (voir plus haut mariage traditionnel mandingue). On dit en mandingue que ce sont dix noix d colas qui lient ou asservissent une femme (Woro tan ne muso kèla dyòn di) parlant du mariage. ◙ Pour prouver son innocence un accusé jure sur la noix de cola transpercée d’une aiguille. Il doit la croquer en jurant son innocence. Mais en cas de culpabilité, il meurt inévitablement après d’abondantes hémorragies buccales et nasales. Cette pratique est très courante dans les cas d’adultère, de vol... (sèèliworo). La cola est donc un poison très puissant dans ce contexte précis. Tout le monde n’est rassuré de l’innocence de l’accusé que si seulement celui-ci accepte de jurer sur la cola. Dans ce cas il doit accepter de croquer une noix de cola rouge ou blanche transpercée par une aiguille. ◙ Aussi, pour prêter un serment d’allégeance, ou ◙ Pour prouver son innocence suite à une accusation gratuite… on jure sur la cola. Chaque partie doit croquer un cotylédon de la noix de cola (sèèliworo) transpercé par une aiguille. En cas de violation du serment, l’assermenté parjure fait une abondante hémorragie buccale ou nasale et meurt inéluctablement si l’autre partie n’accepte pas de le délier de ce serment pendant 993


une autre séance publique de consommation de la noix de cola et du dèè (pâte de farine de riz). Il doit le pardonner en versant de l’eau à terre à la mémoire des ancêtres offensés ainsi qu’à celui du génie tutélaire de la tribu, du clan ou de la famille. Aussi, c’est la cola et l’eau fraîche (dyi suma; dyi bon) qui permettent de délier et de sauver de la mort tous ceux qui, par imprudence ou ignorance, jurent en ces termes: « Ni n ka wo kè. = Ni n sònna wo ma, fo n di n la n na fè. » (= « Si j’accepte ceci ou cela » ou « Si je fais cela que je couche avec ma mère » pour les hommes.) Ou bien « N bara n fa la kurusi siri i la. » (= « Je te fais porter le pantalon de mon père » = « Je te donne le pantalon de mon père » pour les femmes.) Il est donc interdit maintenant en pays mandingue de tenir ce genre de propos (dakan) en impliquant ces personnes sacrées que sont le père et la mère. ◙ Pour présenter les excuses à une personne qu’on a offensée, on lui présente dix noix de cola, qu’on appelle soronali woro, soit directement ou soit par le truchement d’un sage allié de celle-ci. Dans le cadre d’un mariage, cette démarche pour se répentir d’une faute ou d’une erreur se fait sous le couvert de l’intermédiaire (furu soma = furu nyèlò) ou alors on s’adresse à un sage allié de belle-famille ou de la personne offensée. Dans les baptêmes, la cola, la pâte de riz et le mouton sont les éléments constitutifs du premier sacrifice de l’enfant. Pour la première fois, son nom de baptême est prononcé publiquement par le marabout ou par le griot qui officie la cérémonie. Celui-ci casse une noix de cola de grosseur phénoménale à l’ultime moment où on doit prononcer publiquement, pour la première fois, le nom de l’enfant. Parfois pour agrémenter la cérémonie le griot ou le marabout qui dirige la cérémonie fait durer le suspense sous prétexte qu’il a oublié le fameux nom. Toute l’assistance lui donne de l’argent pour enjamber cet obstacle sciemment crée. Et finalement le nom de l’enfant tombe suivi d’une explosion de joie du public. La famille et les amis de la personne dont le nom est donné au nouveauné rivalisent dans la distribution d’argent tant à l’officier de l’état civil qu’aux griots flagorneurs qui font l’hérault. Le bébé et sa maman reçoivent leurs cadeaux divers plus tard puisque le nom de l’enfant est tenu très secret jusqu’au sermon. Même la personne honorée n’en est pas informée préalablement. La surprise est donc totale. C’est après que l’heureux homonyme vient déposer, avec ses parents, ses amis et le griot de sa famille ou du clan, les cadeaux d’usage destinés à l’enfant et à sa maman. Il est tenu d’entretenir moralement et matériellement son homonyme pendant toute la vie de celui-ci ou pendant la sienne. Ses héritiers, qui l’appellent affectueusement N Fa Tòòma ou N Na Tòòma, sont aussi tenus de poursuivre ce service ou entretien obligatoire, aussi longtemps que possible. Parfois c’est l’homonyme A qui marie l’homonyme B soit en lui donnant une de ses filles soit alors assurer ou contribuer dans la 994


mesure du possible au paiement de la dot de sa future épouse de B. Le jeune homonyme est toujours cajolé par la famille de son homonyme. Au Mandingue, le plus grand honneur ou la plus grande et prestigieuse marque de sympathie, la plus grande marque de reconnaissance d’amitié sincère et de respect qu’on puisse manifester à un ami, à un parent ou à quelqu’un, consiste à lui donner son nom à votre nouveau-né. Car c’est planter un arbre qui va durer dans le temps et prospérer dans l’espace en donnant de l’ombre, qui pourra mettre tout le monde à l’abri de la chaleur et des rayons solaires, et des fruits qu’on pourra manger ou planter ailleurs. Ce geste consiste à perpétuer le nom, car les enfants, les petitsenfants et les arrière-petits-enfants… du nouveau-né, à leur tour, donneront un jour le même nom à A. Ainsi le nom de A va se perpétuer à l’infini. « Tòò kènin fènba le di Manden kònò. = Tòò kènin bunya fènba le di Manden kònò. » signifie « Qu’au Mandingue, donner le nom de quelqu’un à son enfant est la plus grande marque de sympathie, de respect et d’amour qu’on puisse lui témoigner » « Mòò di tunun wa a tòò tè tunun. » = « Mòò di ban wa a tòò tè ban. » (= Une personne peut disparaître physiquement, mais son nom peut survivre dans le temps et dans l’espace à travers ses œuvres et ses homonymes.) Revenons aux vertus de la cola. ◙ Pour inviter toute une collectivité, des gens ou des associations juvéniles ou féminines ou mixtes à une circoncision, à une excision ou à toute autre cérémonie, on leur envoie dix noix de cola. ◙ Aussi, pour solliciter l’aide bénévole de la collectivité dans les travaux champêtres, ou dans tout autre travail personnel qui nécessite du monde, on adresse dix noix de cola (woro-tan-nasiri) au chef du village, ou au chef du clan ou directement aux responsables de l’association des jeunes et des femmes ou parfois à leur parrain ou marraine qui se charge de répercuter les doléances aux éléments du sèrè ou du groupe dont il a la responsabilité de parrainer. ◙ Par ailleurs, pour implorer le pardon des génies et des ancêtres offensés ou pour leur demander des faveurs, on leur offre de la cola (ka sulu sò) ou on verse de l’eau à terre (ka dyi bon). On intercède auprès du génie protecteur (dadjina) d’une personne, du clan, du village ou du pays en lui offrant de la cola (ka dadjina sò). Dans ces derniers cas d’utilisation de la cola, on récite des formules incantatoires appropriées (sòlikan) que seuls les maîtres de cérémonies connaissent. Celui-ci ou le solliciteur tient entre ses mains une noix de cola blanche (worogbè) ou rouge (worowulen), selon les recommandations du devin ou selon la nature du problème auquel est confronté l’intéressé, en exprimant des vœux de bonheur ou en implorant le pardon du génie protecteur. Puis on casse la noix de cola et on jette nonchalamment les deux cotylédons verticalement. On a les résultats suivants:

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1) - Si les deux cotylédons retombent à terre en présentant les deux faces intérieures, le sacrifice est agréé par les esprits, les génies et par les ancêtres morts offensés. 2) - Si par contre les deux cotylédons présentent leur face bombée, le sacrifice n’est pas agréé. Il faut donc reprendre la procédure en implorant le pardon des esprits et des morts qui sont offensés. La personne en situation ou concernée a menti, elle doit faire une confession complète et sincère. On la met donc en demeure de dire la vérité, et toute la vérité, car ici, rien ne doit être caché. Seule la vérité peut arranger et sauver la personne en situation. 3) - Si par ailleurs l’un des deux cotylédons présente sa face intérieure et l’autre sa face bombée, le sacrifice est rejeté en partie. Cela veut tout simplement dire que la personne en situation cache encore quelque chose d’intime et d’important à savoir quelle refuse de révéler. Le maître de la cérémonie prend le cotylédon dont la face intérieure est visible et l’autre cotylédon qui a présenté sa face bombée qui exprime l’hypocrisie et le mensonge revient à la personne en situation. Au nom du génie protecteur et des ancêtres morts, on la met en demeure de faire une confession sincère et entière. Parfois, dans les deux premiers cas, on se retire pour aller faire d’autres sacrifices appropriés, à déterminer par le maître de la cérémonie, afin que le solliciteur puisse bénéficier de la mansuétude des morts et des génies. Dans le Mandingue traditionnel, rien de sérieux, rien de faste et de rituel ne se fait, tant en bien qu’en mal, rien ne s’entreprend sans faire appel aux vertus de la cola. (= Woro tè ko kòrò Manden kònò, wo ko tè bèn, wo ko tè diyala.) Il est l’élément catalyseur, vivificateur, dynamique et doué d’un pouvoir mystique que personne ne met en doute dans la société. C’est ainsi qu’on fait toujours recours à ce ciment social, à ce liant efficace, à ce médium sacré et efficace: ● Pour baptiser un enfant, ● Pour nouer ou dénouer un serment, ● Pour délier un parjure, ● Pour honorer un ami, un chef, un étranger... Tout cela se résume au Mandingue par: « Manden kònò, woro tè ko kòrò, wo ko tè bèn. » Ce qui signifie « Tout ce qu’on fait, dit ou entreprend sans faire appel aux vertus de la cola est voué à l’échec. » « Woro tè ko kòrò, wo ko tè sabatila. » Ce qui signifie « Rien ne peut réussir ou prospérer sans les vertus de la cola » = Toute affaire arrangée sans la cola, sans se référer à la cola, n’est pas une affaire sérieuse et est vouée d’office à l’échec. Donc pour la société traditionnelle mandingue: ► Rien de sérieux ne peut marcher sans la cola, ► Rien de sérieux ne peut ou ne doit s’arranger durablement sans la cola, ► Rien de sérieux ne se fait sans recourir aux vertus de la cola. 996


C’est bien pour cette raison qu’au Mandingue traditionnel, on se soumet aux vertus de la cola, qu’on fait des sacrifices de cola pour résoudre des problèmes, pour sortir d’une impasse…. ● C’est par la présentation de dix noix de cola à une personne victime d’offenses, de frustrations, de blessures corporelles, ou de dommages matériels que celle-ci, à travers sa famille, ses alliés et la communauté villageoise ou celle du quartier que celle-ci peut pardonner le préjudice moral ou matériel qu’elle a subi, ● C’est par les dix noix de cola qu’on honore un chef ou ses représentants, ● C’est par les dix noix de cola qu’on peut pardonner un chef offensé, ● C’est par les dix noix de cola qu’on apaise aussi la colère des génies, ● C’est par les dix noix de cola qu’on demande pardon aux morts offensés, ● C’est par les dix noix de cola qu’on peut conjurer un malheur, ● C’est par les dix noix de cola qu’on peut aussi obtenir les faveurs ou le pardon des génies et des morts, ● C’est par les dix noix de cola que les génies peuvent nous aider à percer ou à expliquer un mystère, ● C’est par les noix de cola qu’une femme stérile infidèle peut se confesser intégralement en demandant pardon à son mari cocu et aux génies trompés de sa famille, du clan ou du village paternel et maternel et de ceux de son mari. C’est la seule manière qu’il faut exploiter pour fin à son infécondité ou pour soigner son bébé malade qui refuse de téter. Parfois elle se voit obligée de dresser la liste complète de ses partenaires sexuels extra-conjugaux. ● C’est par les dix noix de cola que les génies protecteurs peuvent nous aider à soigner une maladie mentale, ou toute autre maladie compliquée... La cola est donc un medium efficace et incontournable. Les vertus de la cola sont donc nombreuses et réelles. Voilà donc pourquoi on a recours à elle dans les différentes cérémonies rituelles. C’est un médium efficace entre d’une part les vivants et les morts et entre le monde des esprits et les vivants, d’autre part. VI - L’IMPORTANCE DE LA TAILLE, DE LA FORME ET DE LA COULEUR DE LA COLA La fonction de la cola est très variée. Les différents cas que nous avons retenus sont limitatifs. Bien d’autres fonctions de la cola existent. Ray-Autra nous donne un aperçu assez saisissant et fait de l’importance de la forme et de la couleur de la cola dans nos cérémonies rituelles. « Tant pour les cadeaux, les offrandes et surtout pour les sacrifices, le choix des colas se fait: a) - Selon la couleur: 997


On distingue ainsi: Le worogbè (cola blanche) Le worowulèn (cola rouge) Le marasa woro (cola rose) Le nònòkènè woro (la cola blanche comme le lait n’est qu’une image. Ici s’agit d’une cola blanche, sans la moindre la tache) b) - Selon le nombre de cotylédons: La cola a en général deux cotylédons. Certaines noix n’en ont qu’un seul ce que l’on appelle booboo woro (cola muette) et d’autres trois: « Woro si saba = Woro tènèn saba » Ce qui veut dire: (Cola à trois patronymes, ou trois cotylédons) Lorsque l’on rencontre une telle noix, il faut la partager avec deux autres personnes ayant des patronymes différents du sien, sinon, il faut s’attendre à un gros malheur. c) - Selon la grosseur: En général, si on offre que des colas de grosseur moyenne, quand il s’agit de personnes que l’on respecte, on les choisit grosses (worokunba). Pour certains sacrifices, on recommande des colas d’une grosseur phénoménale (dakabana-woro). d) - Selon l’aspect physique, d’où on a: Le sokunworo (cola à tête de cheval) qui ressemble à la forme de la tête de cheval. Le yèlènworo (cola qui rit), dont les cotylédons sont écartés au bout comme des lèvres qui esquissent le rire. Le muru-da-nò-woro (cola qui porte des traces de couteau). Les noix de cola se trouvent dans une gousse verte et pour les en extraire on se sert d’un couteau qui érafle parfois certaines noix... » (6) Il faut noter que le sacrifice de fruits crus (mangue, orange...) est rare. VII - SACRIFICES D’ANIMAUX OU LE SACRIFICE DU SANG (14) Le sacrifice du sang est très important dans la tradition mandingue. Cette pratique de verser le sang d’un animal se retrouve dans presque toutes les sociétés africaines. Toutefois il faut noter que tous les animaux ne sont pas objets de sacrifice. Les plus usités sont:

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A - LES VOLAILLES 1) - Le coq est la victime la plus fréquente puisque son acquisition est à la portée de tout le monde. Il est à immoler selon des rites précis puis le préparer et le manger en groupe. Parfois on l’offre vivant, généralement à une vieille personne aux cheveux blancs. Dans certains cas le devin précise que le bénéficiaire du sacrifice doit être une personne incapable de rapports sexuels du fait de sa vieillesse (mòòba kòrò = mòò kòròba). Les genres de coq recherchés sont: Koron sisè: Coq ou poule tacheté de blanc et de noir. Dyuru sisè: Coq au plumage ébouriffé (dressé) naturellement. Mana dondon: Coq rouge généralement à plusieurs crêtes (mana dondon turu kèmè). Sisègbè: Coq blanc. Sisèfin: Poulet noir souvent enterré vivant pour être riche. Dans les sacrifices rituels, on égorge le coq après avoir récité des formules incantatoires appropriées pour l’adoration. Celui-ci, en rendant l’âme, doit se coucher sur le dos, les pattes en l’air. Seule cette position indique que le sacrifice est bien agréé par les morts, le génie protecteur (dadjina) de l’individu en situation ou de son clan ou de sa famille. 2) - Pintade: Rarement recommandé par des devins comme sacrifice. 3) - Canard: Jamais le canard ne sert de sacrifice, du moins à notre connaissance. B - AUTRES ANIMAUX 1) - Chat noir (nyarifin = dyakumaninfin): Sacrifice dangereux tendant à neutraliser un ennemi ou à le tuer. Cette intention ou cette liquidation est plus rapide quand le chat est enterré vivant. Dans d’autres cas on le dépèce, sa peau est conçue en sac et sert de fétiche (nyari gbolofin). 2) - Le mouton: Le mouton est très usité comme sacrifice. Le sacrifice de mouton entraîne toujours un regroupement de plusieurs personnes. Ce sont des privilégiés qui peuvent se permettre de faire des sacrifices de moutons. Quand c’est le cas, beaucoup de gens y viennent spontanément dans l’espoir de recevoir un morceau de viande crue. On verra plus bas comment se fait le partage de la viande des quadrupèdes abattus comme sacrifice. Les moutons recherchés sont: Le waligbè saa: Le mouton entièrement blanc, Le saadyii kanfin: Le bélier au coup noir dont le reste du pelage est blanc.

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Les brebis et les béliers castrés sont rarement sacrifiés. Toutefois, certains féticheurs et marabouts travaillent avec les parties intimes du bélier et celles d’une brebis en grossesse. Dans ce cas précis ils utilisent beaucoup plus le cœur et le sexe de l’agneau qu’ils récupèrent dans le ventre de la brebis. Ce genre de sacrifice tend à nuire ou à détruire voire tuer les ennemis de celui qui fait ce sacrifice insolite. Le sacrifice du sang (ka dyeli bon) est très important et recommandé dans la société traditionnelle mandingue et même dans l’Islam (cf. sacrifice du mouton pendant la fête de Tabaski). (14) 3) - Sacrifice de bœuf: Comme le sacrifice du mouton, celui du bœuf est fait par des gens riches en raison de la valeur marchande de ces animaux. Certaines variétés liées à la couleur du pelage sont plus appropriées. Notamment il y a: Le torawulen saraka: Le sacrifice de taureau rouge. Le torafin saraka: Le sacrifice de taureau noir. Le sankaba-nisi saraka: Le sacrifice de taureau tacheté de blanc et de noir est très insolite. Cette race ou espèce est très rare dans les troupeaux en Afrique noire. À cause donc de sa rareté, seuls les grands chefs, les présidents, les rois et autres nantis se réservent ce sacrifice insolite qui garantit le pouvoir et la fortune. Dans certains pays dès la naissance d’un tel bœuf dans un parc, le chef ou le président de ce pays le récupère ou le retient auprès du propriétaire. Il se le réserve exclusivement et surveille son évolution. D’ailleurs la race du sankabanisi est une espèce de bœuf si rare qu’elle est objet de convoitise de tout le monde, notamment les chefs. Cette espèce pure ou cet oiseau rare est difficile à trouver dans les troupeaux en pays mandingue et s’achète très cher. C - LE PARTAGE DE LA VIANDE D’UN QUADRUPÈDE SACRIFIÉ Généralement le sacrifice est offert aux déshérités ou à des personnes dont le profil physique a été préalablement précisé par le devin. Les personnes âgées et de teint clair sont mieux indiquées et plus aptes à recevoir le sacrifice. On dit que le blanc est la couleur préférée de Dieu. Parfois aussi on table sur la blancheur des cheveux, signe de la sagesse. Les sacrifices faits pour conjurer les mauvais esprits et les mauvais sorts ou pour vaincre la stérilité sont donnés très souvent aux enfants mineurs des deux sexes de moins de cinq ans qui sont innocents et inoffensifs. En plus des sacrifices d’objets divers, ceux portant sur les bêtes sont très courants et plus efficaces. Dans le cas précis d’un animal quadrupède immolé, on procède soit à la préparation de la viande soit au partage de la viande fraîche. Dans le premier cas, on réunit plusieurs convives qui se mettent soit par groupe d’âge soit par sexe: Tyè dyama = Tyè dyè ou groupe d’hommes Muso dyama = Muso dyè ou groupe de femmes 1000


Denmisèn dyama = Dennin dyè ou groupe d’enfants Ces groupes sont constitués selon les recommandations du devin ou du marabout. Dans ce cas chaque convive mange à satiété dans son groupe, puis on adresse, qui mieux mieux, des bénédictions à la personne qui a fait le sacrifice ainsi qu’à sa famille. Couramment, pour les sacrifices de mouton et de bœuf immolé, on partage la viande fraîche entre les invités. Ce partage se fait suivant des règles ou clefs bien précises. Comme on l’a vu la société traditionnelle mandingue est bien organisée et régie par des relations particulières entre les différentes franges qui la constituent. Les participants au sacrifice reçoivent individuellement ou en groupe une partie de l’animal. Chaque famille ou chaque clan a droit à une partie donnée: « Bèè ni a ta ni le bè sarakabòyòrò. » = « Bèè ye a lò yòrò le ko sarakabòyòrò. » (= Chacun cherche et attend sa part qui lui revient de droit pendant le partage d’un sacrifice de quadrupèdes.) En effet chaque partie de l’animal tué est destinée à telle personne ou à tel groupe de personnes. Quand la personne concernée par telle ou telle partie de l’animal est absente on ne peut la frustrer pour cette raison. On prend soin de lui réserver sa part ou alors on la fait parvenir à sa famille qui peut se réserver le droit de la manger ou de la conserver jusqu’à son retour. Au cas où consciemment ou par mégarde on oublie une personne ou un clan pendant le partage, la personne offusquée proteste séance tenante ou à son retour de voyage. Elle exige une réparation immédiate, compensation de qui lui est dû qu’elle obtient après qu’on lui eût présenté toutes les excuses du clan qui a organisé et officié les sacrifices. En effet la personne qui bénéficie des effets du sacrifice n’est jamais mise en cause, car elle n’intervient jamais directement dans le partage de la viande. Cette charge revient à ses aînés ou au doyen de son clan. La compensation est symbolique. On peut donner soit un poulet, soit un vêtement soit un peu d’argent. En général l’acceptation des excuses est liée au paiement de cette amende. On exige cela afin d’éviter dans l’avenir ce genre d’oubli ou d’omission volontaire ou involontaire. Ce n’est nullement une question de viande, mais une question d’honneur et de droit ou de principe. Même les personnes aisées qu’on oublie pendant le partage protestent vivement, réclament leur droit et se font toujours dédommager séance tenante ou un peu plus tard. Parfois les excuses publiques arrangent tout ou dans d’autres cas dix noix de cola ou un poulet sont exigés pour la réparation de l’acte de déconsidération ou du préjudice moral causé volontairement ou par inadvertance. Ainsi la tradition veut que chaque partie de l’animal immolé revienne de droit à une personne donnée, à un clan ou à un groupe de personnes, conformément à la clef de partage conventionnel. Ce principe est strict et rigoureux et on ne doit pas y enfreindre pour aucune raison.

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D - CLEF DE PARTAGE DE LA VIANDE D’UN QUADRUPÈDE SACRIFIÉ 1) - Sòn (le cœur): Il revient au premier fils du sacrificateur ou à son neveu le plus âgé de la famille, du clan ou de la lignée. Le fils est le cœur de la famille qu’il doit pérenniser. 2) - Kan (le cou): Le cou revient aux neveux et nièces nés des sœurs maternelles et paternelles ou des cousines. À défaut il est réclamé et obtenu par les enfants des cousins et cousines du clan. Ils ont les mêmes droits (barini kan). Dans certains cas, on frustre les neveux directs de la personne qui fait le sacrifice au profit de ceux nés des cousines du clan. Ils sont cajolés par tous ces neveux (barin) nés des sœurs et des cousines. 3) - Kèya fènnu (les testicules): Ils reviennent au jeune frère immédiat du sacrificateur. En effet en cas de décès de celui-ci, c’est son jeune frère qui est habilité à épouser en secondes noces ses femmes veuves. 4) - Soro ou gboon (le bassin): Cette partie revient aux sœurs paternelles, maternelles aux cousines qui ont les mêmes droits (fènmusolu la gboon = senkolu la gboon). Quand celles-ci ont des difficultés dans leur ménage elles sont recueillies par leurs frères et cousins. On les adopte avec leurs enfants jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée à leur calvaire. Elles ont droit à leur part ainsi que leurs enfants auxquels revient le cou (barini-kan). On dit que leurs bénédictions (fènmuso duwawu) et leurs malédictions (fenmuso danka) sont toujours exaucées pour ou contre leurs frères et cousins. On évite de les offusquer. 5) - Kò (dos): La colonne vertébrale revient toujours à la famille maternelle de la personne qui a fait le sacrifice (bakò). On n’a jamais été renié par sa famille maternelle. Celle-ci a toujours œuvré pour la réussite matérielle et morale de tous les neveux et cousins nés de leurs sœurs ou de leurs tantes mariées ailleurs. On doit respecter scrupuleusement ses parents maternels. « Bakò duwawu ye sanna le. » ou bien « Ni i ka i bakò bunyè, i bè baraka. » = « Les bénédictions des parents maternels s’achètent ou se méritent », « Tout enfant qui se soumet à ses parents maternels, qui les respecte, n’échoue jamais dans la vie. » 6) - Kaba (pattes ou membres antérieurs): Un des membres antérieurs revient aux beaux-parents du sacrificateur. C’est un signe de respect (biran kaba). Le second peut être offert aux enfants des sœurs et cousins souvent nombreux. 7) - Woro = wodo (gigot): L’un des gigots revient obligatoirement au chef du village ou du pays. C’est la part de toute autorité. Le gigot est très honorifique. Le second est offert au doyen du clan (kabila kuntii) ou au père (fa woro) de la personne qui fait le sacrifice. 8) - Disi = sisi (poitrine): À cela s’ajoute les reins (koro kuru).

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9) - Binyè (foie) est la part d’honneur du chef du clan ou patriarche, en tenant compte du fait celui-ci n’a plus sa dentition complète et solide pour broyer la viande dure. Il mérite donc le foie qui est plus tendre et qui se mange plus facilement. Cette partie fort appréciée peut être offerte à toute personne du troisième âge qui est sage et qui peut appartenir à un autre clan afin d’obtenir les sages bénédictions de ce dernier. 10) - Furu = fudu (tripes): Toutes ces parties reviennent au père du sacrificateur ou à un de ses oncles paternels ou au doyen de son clan (kabila kuntii). 11) - Kan naka (trachée artère): À la trachée artère on ajoute d’autres morceaux de viande pour le marabout ou la personne qui a égorgé l’animal. 12) - Nòò (intestins): Cette partie revient à ceux qui ont dépecé l’animal plus d’autres morceaux (bosoli sòòbò). 13) - Fòòfòò = dyofòò (poumons): Restent à la maison de la personne qui a fait le sacrifice. 14) - Sennu ou gbèlèn: Les pattes plus parfois les intestins constituent la part des captifs. Cette classe ayant disparu, on les offre à des nécessiteux ou bien on les réserve à la famille de celui qui a fait le sacrifice. 15) - Kun = tête: qui revient de plein droit à celui qui a fait le sacrifice. 16) - Bònna sòòbò: Les parties qui constituent la part de la personne qui a fait le sacrifice sont: Fòòfòò ou dyofòò (poumons). Woro kelen: un des gigots. Kaba kelen ou une des pattes antérieures. Kun (tête) ainsi que: Furu ani nòò: l’estomac et les intestins restent dans la maison de celui qui a fait le sacrifice. Sen: les pattes portant les sabots restent également dans la maison. Sòn: le cœur revient au fils aîné ou à l’aîné des neveux. En raison du rôle important qu’il doit jouer dans la gestion de la grande famille, dans le maintien de l’unité de celle-ci. Le fils aîné est respecté car c’est lui qui est appelé à regrouper tout le monde sous son autorité quand le père et les oncles ne seront plus. Comme le cœur est le moteur du corps. Il est donc le cœur de la famille. Kan naka: la trachée artère revient de droit au doyen de la famille ou du clan, car c’est lui qui est le porte flambeau de la famille. C’est bien lui qui parle au nom de toute la famille. Parfois on peut ajouter un gigot à sa part. Cette dernière partie peut être donnée également au marabout qui a présidé la cérémonie et qui a égorgé l’animal. Ainsi chaque partie revient de droit à une personnalité précise, à un clan, à une catégorie sociale précise. Mais de nos jours, le partage de la viande d’un animal sacrifié ne semble plus obéir à cette tradition. Actuellement beaucoup de personnes découpent la viande en menus morceaux qui sont distribués 1003


indifféremment dans des sachets à toute l’assistance. Dans le premier cas, les indigents et les personnes de castes n’ont rien ou parfois seulement que la peau. Cette clef de répartition de la viande d’un quadrupède sacrifié est sensiblement identique dans tout le Mandingue traditionnelle.

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LE SENS DE LA VIE ET LA GESTION DE LA MORT CHEZ LE MANDINGUE « SAYA MINANYA MANDEN KÒNÒ » ----------o---------Le Mandingue considère la mort (saya) comme un simple changement de résidence. Cette perception simpliste de la mort est consignée dans la phrase suivante qu’on prononce chaque fois au Mandingue pour annoncer un décès: « Fakalisa bara so mayèlèma kè. » Ce qui signifie « Telle personne (qu’on nomme à la place de Fakalisa) a changé de domicile. » Cette expression veut tout simplement dire que la personne nommée est effectivement morte. Pour le Mandingue, on disparaît physiquement ici-bas pour ressusciter intégralement dans le monde de l’au-delà où on mène assurément une vie éternelle. Aussi, il a la conviction que les morts, en reprenant vie dans cet autre nouveau monde, ont la faculté de voir, de côtoyer et d’entendre les vivants de notre monde terrestre. Mais¸ malheureusement, ils sont séparés de ceux-ci par « un mystérieux rideau d’obscurité invincible, imaginaire » dont l’opacité ne permet pas aux humains vivants ici-bas de les voir, ni à fortiori de leur parler. La communication avec eux se fait à sens unique et seulement à travers les rêves. Mais seuls les morts peuvent exploiter cette voie expansive. En effet le Mandingue affirme que les morts communiquent leurs préoccupations aux vivants quand ceux-ci sont en plein sommeil. Au Mandingue, on dit, avec certitude, que ce que nous, les vivants, disons et faisons est entendu et perçu intégralement par les morts. À la page 16 de son livre, « L’interprétation des rêves dans la tradition africaine », l’instituteur, le sociologue, l’ethnologue et journaliste guinéen feu Mamadou Traoré dit Ray-Autra écrit: « Dans le cas de communication avec les morts, le défunt nous apparaît en rêve. Il est alors toujours porteur d’un message. Ce peut être de bonnes nouvelles: une naissance, un mariage, le retour d’un être cher, la guérison d’un malade, la fortune, le succès d’une entreprise, etc.; ce peut être aussi de mauvaises nouvelles, telles un décès, une calamité naturelle, un revers de fortune. Le défunt peut également nous révéler s’il est au Paradis ou en Enfer. Dans ce dernier cas il réclame des sacrifices. De fait, dans les traditions de la plupart des peuples africains, la vie continue dans l’autre monde; quand une personne meurt, elle va, d’abord faire 1005


à ceux qui se trouvent dans l’au-delà, le compte rendu de ce qui s’est passé dans la famille en leur absence. On admet qu’en suite, la troisième nuit, grâce au rêve, le mort communique aux vivants des informations sur les défunts. Il le fait par le truchement du chef de famille, du patriarche. Outre les informations sur les morts de la famille, le patriarche reçoit des conseils, des directives, des avertissements; il est instruit sur la façon de trancher tel différend, de réparer telle injustice commise, de mener à bien telle entreprise. Aussi, rapporte-t-on qu’un notable, possesseur d’un grand troupeau de bœufs, en déposséda, contre les règles impératives des sociétés matriarcales, son neveu, au profit de son fils. Peu de temps après, un membre de sa famille mourut. La troisième nuit, le défunt apparut en songe au notable et lui dit: « Misérable, les ancêtres sont indignés par ton comportement. Pourquoi as-tu dépossédé ton neveu au profit de ton fils? Dépêche-toi de réparer ta faute, de rentrer dans les bonnes grâces de ton neveu, sinon, poursuivi par la malédiction des aïeux, tu auras une fin malheureuse et iras en enfer. » Le notable se réveilla, effrayé. Il convoqua aussitôt toute sa famille, demanda pardon au fils de sa sœur et lui rendit le troupeau. Il arrive aussi que l’on voie en rêve un mort en train de chercher quelque chose ou de mendier auprès d’autres défunts. D’après la tradition; chaque mort a un coin de sa demeure éternelle réservé aux sacrifices que les vivants lui font sous forme de nourriture, de boisson ou autres. Lorsque le mort vient à manquer de provision, il informe les vivants par le rêve. Ainsi s’explique que l’on dépose périodiquement, sur les tombes, des plats qu’aimait le défunt, du vin de palme, des noix de cola, du tabac; ou qu’on prépare de copieux repas auxquels sont conviés les pauvres de la communauté avec la certitude que cette nourriture constituera des provisions pour le défunt. On peut aussi, en guise de sacrifice, offrir aux pauvres des vêtements et des objets d’usage courant: cure-dents, éventail, balai, chasse-mouches, selon que le mort est apparu en rêve en train de se nettoyer les dents, de s’éventer, de balayer ou de chasser les mouches... » En pays mandingue, on est donc convaincu que les morts nous voient et nous entendent. C’est pourquoi on les implore lors des cérémonies rituelles (circoncision, excision, mariage, baptême, sacrifices…) auxquelles on les associe pleinement. On les interpelle pour conjurer une souffrance, un malheur, la sècheresse ou pour éviter la récidive d’un incendie qui a ravagé le village ou les récoltes ou celle d’une calamité naturelle, d’une épidémie... En ces circonstances heureuses ou malheureuses, on leur fait des offrandes (ka sulu sò) en leur parlant ouvertement et nommément et en déposant leur part de nourriture et d’habits sur les tombes. Parfois on immole à leur mémoire des volailles ou des animaux quadrupèdes dans la forêt, sous l’arbre à palabres ou tutélaires du village, dans la montagne, au marigot… où sont sensés vivre leurs esprits. On est convaincu que les morts peuvent protéger les vivants et sont capables de leur apporter en plus le bonheur.

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Toutefois, la mort, pour le Mandingue, est et reste un mystère inexploré et inexpliqué. Elle est une épreuve incontournable qui est l’aboutissement final et fatal de toute vie: « Lòfèn lòfèn bèè di la. » = « Lòfèn lòfèn bèè di la lon do. » = « Lòfèn lòfèn bèè di la lon kelen. » Ces trois expressions sont synonymes et signifient exactement la même chose c’est-à-dire: « Que tout ce qui se tient debout et tout ce qui se meut a inévitablement une fin, ou finit toujours par se coucher. » Par conséquent la trouille et l’angoisse abusive devant la mort sont stupides, car: « I silanna saya nyè, i di sa. » (= Avoir peur de la mort n’empêche pas la mort.) « I ma silan saya nyè, i di sa. » (= Ne pas avoir peur de la mort n’empêche pas non plus la mort.) « Fèntiiya ani nafolotiiya a tè saya sala. » (= Être nanti n’empêche pas la mort.) « Fantanya te saya sala. » (= Le fait d’être pauvre ou misérable n’empêche pas la mort.) « Mansaya tè saya sala. » (= Être roi, président, chef… ne vous empêche pas de mourir.) « Kabiya tè saya sala. » (= La ruse ne vous fait pas éviter la mort.) « Hakilimaya tè saya sala. » (= Votre intélligence ne vous met pas à l’abri de la mort.) « Karan ani lonni tè i lakisila saya ma. » (= L’instruction et le savoir de tout ne peuvent vous éviter la mort.) « Karan tè mòò latankana saya ma. » (= La maîtrise parfaite de tout ne vous met pas pour autant à l’abri de la mort.) « Kèmòòya tè saya sala. » (= La vieillesse n’empêche pas la mort.) « Denmisènya tè saya sala. » (= Être jeune ne nous évite pas la mort.) « Saya man dyuu fo nyòòntobaliya. » (= La mort la plus triste est celle d’une personne décédée sans laisser de postérité. Dans ce cas on dit que la personne défunte a disparu à jamais. Elle définitivement finie (Fakalisa bara tunun. = Fakalisa bara ban. mettez le nom de la personne décédée à la place du mot Fakalisa.)

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La mort est donc omniprésente. Elle peut frapper n’importe où, n’importe quand, n’importe comment. L’immortalité physique est donc une absurdité totale. Tout corps finit par se désintégrer et disparaître de son état initial. Seuls l’âme et l’esprit survivent après la mort. La mort est un postulat divin. En effet, seul Dieu, LeTout Puissant Créateur et propriétaire de la vie qu’il donne et la reprend: ► Quand Il veut, ► Où Il veut, ► De la manière qu’Il veut, sans aucun préavis ou consentement préalable de celui qu’Il rappelle. C’est bien pour cette raison que: ► Personne ne peut prédire exactement, longtemps à l’avance, les circonstances de la mort de quelqu’un et de la sienne. Par conséquent: ► Personne ne peut prédire exactement le lieu de la mort de quelqu’un. ► Personne ne peut prédire exactement la manière de mourir de quelqu’un. ► Personne ne peut d’avance raconter sa propre mort ou les circonstances de celle-ci. ► Personne ne peut donc programmer exactement, dans les moindres détails, longtemps à l’avance, les circonstances de sa propre mort ou de celle d’autrui en indiquant: ◘ Le moment, ◘ La manière, ◘ Le lieu, ◘ L’année, ◘ Le mois, ◘ Le jour ◘ Et l’heure exacte… de celle-ci. Ces facteurs ou ces circonstances sont l’apanage exclusif de Dieu, l’Omniscient, l’Omniprésent et l’Omnipotent Créateur (Dani Mansa) du monde, de toute vie, de l’univers et de son contenu. Dieu est donc le Maître absolu de notre vie et de tout ce qui existe. Il en dispose quand il veut et de la manière qu’il veut. « Ala bara a la karifa mina a la. » (= Dieu a récupéré ce qu’Il lui avait confié. = Dieu lui a retiré l’âme ou la vie qu’Il lui avait confiée provisoirement ici-bas.) Il faut noter que dans la cosmogonie mandingue, Dieu est doublé, secondé ou suppléé parfois par des esprits supérieurs invisibles qui servent de médium ou de tremplin entre Lui et les vivants. Ces substituts sont adorés parce qu’ils

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règlementent la vie et le monde au nom de Dieu. Ces esprits supérieurs sont incarnés dans: - Le Daméléka (Double de l’âme) - Le Maléka (Ange) - Les Djinns (Diables) - Le Komo, Koma, Dyo,… (Fétiches protecteurs). Certains de ces substituts de Dieu côtoient quotidiennement les humains et résident dans les montagnes, dans les cours d’eau, dans les forêts, dans des arbres phénoménaux et tutélaires tels que les baobabs (nsidadyuba), les fromagers (banandyuba)... ou dans d’autres lieux insolites. Ils ont la faculté et le pouvoir d’influencer profondément la vie des humains qui, pour cette raison majeure, les adorent et les implorent pour résoudre les différents problèmes auxquels ils sont confrontés dans la vie. On croit qu’ils sont des recours infaillibles. Puisque l’homme est irrémédiablement impuissant contre la mort, il doit s’y attendre à tout moment, en tout lieu. Par conséquent, il doit l’aborder avec une certaine mélancolie, voire avec résignation et sérénité mais pas avec une angoisse excessive puisqu’elle est incontournable et inévitable. Mais en prévision d’une deuxième vie meilleure après la mort, il doit, dès ici-bas, avoir à cœur de préparer son bonheur dans le monde de l’au-delà. Pour atteindre cet objectif, il doit, par conséquent, combattre le mal et être en quête perpétuelle du Bien, du Beau, du Juste, du Noble et refouler tout ce qui est immoral. Le jour fatidique de notre mort qui n’est jamais précisé, longtemps d’avance, qui ne s’annonce pas avec exactitude. La mort est permanemment suspendue au-dessus de nôtre tête comme l’épée d’Damoclès, et doit nous trouver dans une parfaite quiétude morale, afin que notre âme puisse être sauvée et reçue dans le Paradis. La mort est l’apanage et a discrétion de Dieu C’est pour cette raison que notre bref passage sur terre doit être bien rempli par de bonnes et de nobles actions bienfaitrices. Donc servir Dieu et les autres est le meilleur sens que nous puissions donner à notre vie terrestre.

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LES CAUSES DU SUICIDE ET DE L’HOMICIDE VOLONTAIRE CHEZ LE MANDINGUE: LE SENS DE LA DIGNITÉ ET DE L’HONNEUR AU MANDINGUE ----------o---------« Yèrè faa kun Manden kònò » (= Les causes du suicide au Mandingue) ----------o---------« Mòò faa kun Manden kònò » (= Les causes de l’homicide volontaire au Mandingue) ----------o---------« Manden hòrònya » (= Les fondements de la liberté et de la dignité au Mandingue) ----------o---------« Manden yèrèworoya » (= Les principes intangibles de la dignité au Mandingue) ----------o---------« Mandenka ma sòn maloya ma. » (= Le Mandingue n’accepte pas la honte.) ----------o---------LES CAUSES DU SUICIDE ET DE L’HOMICIDE VOLONTAIRE AU MANDINGUE YÈRÈ FAA KUN (=DADYULU) MANDEN KÒNÒ ANI MÒÒ FAA KUN MANDEN KÒNÒ La vie terrestre est si éphémère que l’homme n’a pas raison de mettre gratuitement fin à sa propre vie ou à celle d’autrui. Cependant, il y a des circonstances contraignantes et atténuantes qui obligent le Mandingue à se suicider ou à commettre un homicide volontaire tolérable. Selon la première alternative:

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Le Mandingue noble est reconnu très orgueilleux et très susceptible. Il est très sensible à l’honneur (bunyè). Il aime les éloges (mankutu-nyuma, tandulikan) surtout à l’endroit de ses ascendants paternels et maternels qu’il veut célèbres ou qu’on doit traiter comme tels (mòòba, mòòbaya). À l’évocation de leurs noms et de leur glorieux passé, il est capable de faire preuve de prodigalité, parfois ruineuse, et d’actions d’éclat, sublimes mais souvent destructrices. Il n’admet pas la honte (maloya): « Saya ka fisa maloya di, » (= Plutôt mourir que de vivre dans la honte,) dit-on au Mandingue. Le Mandingue est très allergique à l’outrage (mònè, dòòyali, dòòyama, dyomaya). L’idée de vengeance et de suicide l’envahit dès qu’il se trouve en situation de désespoir aigu et d’outrage extrême. Il supporte très mal le déshonneur, si moindre soit-il, la souillure, surtout à l’endroit de ses parents. C’est pourquoi on le voit réagir violemment et spontanément aux propos blasphématoires (mònèmakan, dòòyama, dòòyamakan) proférés à l’endroit de ses parents, de son clan, de son lignage, de son ethnie et de sa patrie. C’est aussi pour les mêmes raisons que l’obligation est faite à tout Mandingue digne et sensible de relever instantanément et instinctivement tout défi auquel il est confronté. Ce comportement ou une telle réaction ne se fait pas attendre. « Manden dyomaya kèlè tè banna. » (= Au Mandingue, tout conflit crée par un acte irrévérencieux s’éternise dans le temps et dans l’espace = Le Mandingue n’attend pas pour punir un outrage, pour relever spontanément un défi majeur (mònè).) « Mandenka tè sònna ka mònè mina. » (= Le Mandingue n’encaisse nullement pas les propos et actes qui portent gravement, flagramment et délibérément atteinte à son honneur, à sa dignité personnelle ou à celle de sa famille (fabara, fabadenya, hòrònya), de son clan (kabila), de son ethnie (siya) et de sa patrie (faso).) Entre autres affronts qui révoltent le Mandingue, retenons: le traiter de bâtard (nyamòòden): « Mandenka tè sònna nyamòòdenya dyèbèli ma mòò si ye. » (= Le Mandingue n’accepte jamais qu’il soit traité de bâtard ou qu’on entache sa naissance et sa noblesse.) Sa réaction à ce genre d’injures le pousse au pire, y compris le don de sa vie pour punir une telle offense (A ka a yèrè ni di). Le traiter de personne sans vergogne (mòò malobali, malobaliya).

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Le Mandingue ne tolère pas qu’on insulte ou qu’on offense ses parents paternels et maternels, à fortiori les frapper: « Fa dyèbèli ani na dyèbèli dyulu tè donna Manden kònò; wo ye sara le. » (= Les injures de parents se remboursent instantanément, quel que soit le rang social de leurs auteurs. La bagarre n’est pas exclue et peut s’élargir à toute la famille, à tout le lignage, à tout le clan et à tout le village de la personne offensée.) Le Mandingue n’accepte jamais qu’on manque de respect à ses parents d’un Mandingue, même quand il n’est pas présent au moment des faits. Un tel blasphème crée en lui un sentiment d’indignation, de révolte et un esprit de vengeance immédiate dès qu’il en est saisi par ses parents ou en être tout simplement informé par tiers (Mandenka tè sònna fa dyèbèli ani na dyèbèli ma). Seules les excuses publiques peuvent parfois le calmer, atténuer sa colère, sa volonté de vengeance et sa hargne de punition. Personne n’est épargnée par une telle réaction digne, tolérée et même obligatoire, noble et légitime, quel que soit le rang social de l’auteur du blasphème ou de l’injure et qui doit payer pour sa forfaiture, pour son audace, pour sa maladresse et pour son impolitesse. ► Le Mandingue est très jaloux. Il ne tolère pas qu’on flirte avec sa femme, sa sœur ou sa fille. Il réprime avec violence l’infidélité de son épouse qui, pour ce fait, peut être répudiée après avoir reçu une sévère correction corporelle. Sa rage peut le pousser à commettre un crime passionnel, surtout quand celle-ci porte une grossesse indigne. Soutenu par solidarité, dans sa réaction par des parents paternels, maternels, amis et alliés, il peut agresser l’amant de sa femme dès qu’il aperçoit celui-ci. Parfois des rixes (musokokèlè) opposent la famille du cocu à celle de l’amant, si le conflit est mal géré par la collectivité. Certaines guerres tribales dans le passé ont eu pour cause une affaire banale de femme mariée ou fiancée détournée ou engrossée par son amant (Manden musokokèlè tè banna). D’une manière générale, l’amant (kanibaa, nyamòòtyè) et sa famille doivent obligatoirement prendre le profil bas en présentant dix noix de cola à la collectivité qui doit transmettre leurs excuses publiques à la victime, à travers ses parents et sous l’égide des sages. Dans ce cas on répare le préjudice moral causé en payant parfois, en guise d’amende, un bœuf au profit du cocu et des siens (musoko lada nisi). ► Siinyòònya dyomaya: La violation du domicile du voisin ou le mépris de l’esprit de bon voisinage. Le Mandingue n’admet jamais que son voisin, même sous l’effet de la colère, viole délibérément son domicile pour y corriger sa femme, son enfant ou son jeune frère. Le fugitif est considéré par lui, dès que celui-ci franchit le seuil de sa cour ou de sa maison, comme étant un envoyé par Dieu pour le protéger (Ala la karifa; Ala la karifa ma). Il doit par 1012


conséquent le recevoir et le protéger contre la colère du père, du mari ou du grand frère. D’ailleurs la violation de son domicile est considérée comme un affront à condamner et à punir: « Dyomaya kèlè » (la frustration, la provocation délibérée…) ou « Dòòyali » (le manque notoire de respect…) ou encore « Dyomaya kèlè tè banna Manden kònò. » (Au Mandingue, porter insolemment atteinte à la dignité de quelqu’un ou à celle de sa famille, de son clan, de sa patrie, provoque toujours la réaction violente de celui qui en est victime… Quelle que soit le rang social, la puissance, la fortune de l’offenseur, la réaction de la victime est instantanée violente et sans limite, pouvant aller parfois jusqu’au sacrifice de sa vie…) Une telle maladresse a toujours empoisonné et détérioré les relations de bon voisinage. Très souvent, la gravité de cet acte de déconsidération de la part du voisin, qui est d’ailleurs fermement condamné par la Charte de Kurukan Fuwa, est telle qu’elle peut atténuer ou annihiler partiellement, totalement, momentanément ou définitivement la faute commise par l’enfant, le jeune frère ou l’épouse en situation. Donc la violation du domicile du voisin, même sous l’effet de la colère, prend toujours des proportions graves et relègue au second plan la faute commise par le fils, le jeune et l’épouse délinquants. Seules les excuses publiques de l’agresseur, à travers les sages et les dix noix de cola dans les mains, peuvent clore un tel incident qu’il faut éviter de récidiver dans l’avenir. Dans les cas d’outrage avéré, le Mandingue réagit avec une extrême violence ► pour défendre sa dignité (fabadenya, lanbè makaran, mònè donna, yèrèworoya, dòòyali). ► pour défendre son prestige (mankutu). ► pour défendre son honneur (hòrònya, tòò, yèrèworoya). Il se bat, même au prix de sa vie. ► pour avoir subi des actes de considération verbale ou physique le Mandingue peut sacrifier sa vie: « Nyòòntònyèko kèlè tè banna Manden kònò. » (= Il est prêt à sacrifier sa vie faire une bagarre afin de sauver son honneur et sa dignité pour relever un défi, pour venger le déshonneur qu’il a subi. La bagarre ou la guerre pour cette cause au Mandingue est inévitable...) « Nyòòntònyèko » (= Il doit ou peut sacrifier sa vie pour sauvegarder sa dignité bafouée.) « Mandenka tè sònna dyomaya ma. » (= Le Mandingue n’accepte jamais les actes de déconsidérations, les outrages.) « Mònèbònòòko kèlè »

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(= Le Mandingue est prêt à se battre pour relever son honneur et sa dignité.) « Nyòòntònyèko kèlè » (= Le Mandingue ne regrette pas de sacrifier sa vie pour une question d’honneur, de dignité et de prestige.) Face à la mort, au suicide et à leur justification, face à la motivation de l’homicide volontaire, le Mandingue est écartelé entre deux comportements contradictoires: A) - Selon la première alternative « Ni a ma nya saya ko, mònè bò dèn di a ta fè. » ou bien « Mònè bò dèn di a ta kè. » (= Face à la mort naturelle ou voulue ou devant celle imposée, le Mandingue doit rester serein, digne et surtout quand son honneur (kunnayèlèn) et sa dignité (yèrèworoya) sont attaquées ou souillées. Aussi, quand il s’agit pour lui de relever un défi, un outrage (mònè), de punir un affront fait à sa dignité ou à celle de sa famille (denbaya), à son clan (kabila) de sa patrie (faso) il ne recule devant aucune mesure pour rester digne de sa famille...) Donc « plutôt mourir que de vivre dans la honte et dans l’indignité ». Dans ces différents cas de sensibilité extrême, il doit tenir un langage ferme, avoir une attitude responsable, digne, sans équivoque, sans compromis et si possible accomplir une action ses alliés (kamisanlu) et si besoin est, au prix de sa vie. La dignité (hòrònya, yèrèworoya, fabadenya) du Mandingue ne se marchande pas. C’est pour cette raison qu’au Mandingue on ne s’émeut pas, outre mesure, devant la mort et la mémoire de quelqu’un qui a donné sa vie pour défendre sa Dignité et celle de sa famille. On ne le blâme jamais pour cela. Au contraire on loue sa bravoure chevaleresque en ces termes: « A ka tyèya le kè. = A ka mònè bò a yèrè lò. = Saya ka fisa maloya di. » Ce qui signifie respectivement: « Sa réaction ou sa mort est une sublime abnégation digne des preux antiques qui n’ont jamais manqué l’occasion de relever le défi, qui n’ont jamais monnayé leur dignité et leur honneur. » Pour cet acte de bravoure on l’inscrit au panthéon des héros et des preux qui sont des modèles à suivre à bien d’égards. Pour les adeptes de cette conception, on ne meurt qu’une seule fois. Celui qui meurt pour une cause juste donne un sens noble et digne à sa vie et à sa mort. Il faut laver l’affront avant de mourir, car on meurt une seule fois (Mòò tè sala ko fila kè.; Ka mònè bò i yèrè lò, i kana to sala.).

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B) - Le second concept soutient que: « Ni i mònè la, ni mònè ma kun i lò, i kana i yèrè faa, suu tè mònè bòla. » (Quelle que soit l’acuité de ta colère, de ta douleur, de ta souffrance morale ou physique, de ta déception, même suite à un outrage… ne te suicide pas, car un mort ne peut jamais expliquer ou justifier le bien-fondé de son suicide, ni relever un défi, si choquant soit-il ou se venger, même quand il a raison…) Dans cette dernière attitude, il y a assurément de la trouille, de la résignation et de la démission devant la mort. Pour les adeptes de ce concept qui dit: « Il vaut mieux souffrir et subir la honte plutôt que de mourir. » Cette maxime s’oppose donc au précédent concept qui dit: « Saya ka fisa maloya di. » (= Plutôt mourir que de vivre dans la honte.) En effet, puisque les morts n’ont pas droit à la parole, puisqu’ils ne peuvent ni s’expliquer, ni se justifier et ni se défendre, ils ont tort. On peut tout mettre sur leur dos, sur leur compte, sachant qu’outre-tombe ils ne peuvent ni démentir, ni se défendre ou se justifier. Les morts ont tort, dit-on. Par conséquent, il vaut se maintenir en vie pour participer à tous les débats, soutient le second concept de la vie. L’ANNONCE DE LA MORT D’UNE PERSONNE AU MANDINGUE « SAYA LABÒ », « SAYA LATII » OU « SA NA TII » ----------o---------A) - COMMENT ON PROCLAME LA MORT D’UNE PERSONNE AU MANDINGUE La gestion de la mort est collégiale au Mandingue. Elle n’est donc jamais l’affaire exclusive des seuls éprouvés. La mort, quels que soient le rang social du défunt, ses circonstances, son lieu, sa manière et ses causes, est un évènement solennel de compassion et de solidarité collective. On n’annonce pas un décès avec désinvolture. Cette démarche se fait avec solennité. Aussi, on n’annonce pas un décès n’importe où, n’importe quand et n’importe comment. Cette mission protocolaire et délicate n’est pas dévolue à n’importe qui. En effet, l’annonciateur de la triste nouvelle doit être un homme mur, un sage expérimenté, un homme de caste assez âgé, ou parfois un religieux, un érudit (Imam). Les hommes éloquents, expérimentés, persuasifs et dissuasifs accomplissent avec habileté cette difficile et délicate mission d’information, 1015


surtout quand il s’agit de la mort d’une personne très chère aux siens, et qui est le support et l’espoir de la famille. L’annonciateur doit savoir sensibiliser et rappeler les cas de décès similaires antérieurs, plus douloureux ou plus pathétiques que le présent décès, afin que les éprouvés puissent consommer ou accepter avec humilité cette perte comme étant une volonté de Dieu, le Tout Puissant Créateur. Après tant de sages conseils, il finit par prononcer l’une des formules fatidiques suivantes: « Ala bara Fakalisa… » (dire le nom de la personne décédée à la place du mot FAKALISA) Par exemple: « Ala bara Fabu la karifa mina a la. » (= Dieu a récupéré ce qu’Il avait confié (l’âme) à Fabou.) « Ala bara Fakalisa mina an na. » (= Dieu nous retiré telle personne.) « Ala bara an mafènèn Fakalisa la. » (= Dieu a testé notre foi en nous retirant telle personne.) « Ala bara Fakalisa sònòmè. » (= Dieu a récupéré l’âme de telle personne.) « Fakalisa bara so mayèlèma kè. » (= Telle personne a quitté notre monde, ou bien telle personne a changé de résidence.) Cette démarche est valable surtout quand il s’agit d’un décès survenu hors du cadre de la résidence habituelle du défunt. On attend toujours la nuit, après la prière de 20 heures et le repas du soir, pour annoncer la triste nouvelle, afin de permettre aux éplorés de manger auparavant pour mieux supporter la triste, l’affligeante et bouleversante nouvelle. Dans certains cas, celle-ci peut bien faire discrètement le tour du village ou du quartier, sans tomber dans les oreilles de la famille concernée. On recommande la plus grande discrétion de tous ceux qui l’apprennent. Chacun doit tenir sa langue pour éviter l’indiscrétion ou la fuite. Mais très souvent, le chef de la famille ou du clan concerné du défunt (kabila kuntii) reçoit toujours, avant tous les siens, la primeur de la nouvelle. Mais il doit contenir son émotion et cacher sa douleur jusqu’à la nuit et s’adjoindre les sages du village pour balancer officiellement la triste nouvelle. La famille s’inquiète toujours et se pose des interrogations dès qu’elle aperçoit dans la cour, la nuit, ce messager insolite de mauvaises nouvelles qui, dans certains villages est la même personne qu’on reconnaît toujours et facilement par son bâton de pèlerin et son accoutrement souvent singulier. Sa venue nocturne dans une famille est toujours synonyme de mauvais présages. Qui est mort encore, se demande-t-on? Quand les jeunes gens l’aperçoivent à son entrée dans la cour, ils courent pour signaler la présence du porte malheur à leurs mamans qui commencent dès lors à faire des supputations sur le nom de la personne dont on vient annoncer le décès. On se pose moins d’interrogations quand, auparavant, on sait la maladie d’un membre de la famille qui réside 1016


ailleurs. Aussi, on s’attend à la mort d’un parent malade parti ailleurs pour des soins. Dès que la bombe éclate, hommes, femmes, enfants, surtout les nouveaux orphelins et les veuves éclatent en sanglots pour traduire leur émotion et leur profond et indéfectible attachement au défunt. On pleure sans retenue, parfois on se roule à terre. On entend toutes sortes de propos, de lamentations, de désolation et de regrets amers. On rappelle les menus services rendus par le défunt. Désormais, qui sera en mesure d’en faire autant pour la famille, de combler le vide qu’il laisse (nyòònnuma; mòònyuma lafo). Dès lors, la maison ou la concession mortuaire est immédiatement prise d’assaut par les voisins dont certains avaient déjà appris la nouvelle, par indiscrétion, avant même les éprouvés. Tout le village ou tout le quartier y accourt. On accompagne les éplorés dans leurs lamentations tout en les consolant. La maison mortuaire ne cesse de désemplir toute la nuit et parfois pendant les jours qui suivent le décès ou l’annonce de celui-ci. Il faut noter qu’un décès survenu dans la maison ou dans la concession familiale ne peut être caché pendant longtemps. L’attitude, la réaction ou la sensibilité de ceux ou de celles qui étaient au chevet du malade révèlent l’évènement. Les personnes sensibles, surtout les femmes, ne pouvant cacher l’évolution critique et désespérée de la maladie (dyankalo bara gbèlèya; dyankalo bara dyuuya; dyankalo bara kunanya) sortent de la case en pleurant, dès qu’elles constatent l’arrêt du cœur ou dès que le compte à rebours commence. Dès que la mort est constatée, les vieilles femmes qui entourent la défunte éclatent en sanglots, contrairement aux hommes qui parviennent à mieux se maîtriser devant l’épreuve. La mort d’un chef ou celle d’une grande personnalité s’annonce avec beaucoup plus de protocoles et de tacts, car c’est le baobab protecteur (nsidadyuba bara bin) ou le fromager (banandyuba bara bin) qui s’est couché sous l’effet violent d’une tornade. Dans ce cas de figure, généralement, c’est le symbole du règne ou de la puissance du prestigieux défunt qu’on affiche ou expose pour annoncer la triste nouvelle. Pour la circonstance, on joue le tambour royal sur des notes spécifiques qu’on entend qu’à l’occasion de malheurs. Les circonstances douloureuses ou malheureuses ont leurs notes particulières, tout comme celles qui ont trait au bonheur. Les signes annonciateurs du décès d’un chef, d’une personnalité sociale dont la carrure est exceptionnelle sont variés et différents, selon les provinces: ● Soit on joue le tambour royal (tabala, dyagba). ● Soit on tire un ou plusieurs coups de fusil (morifa), surtout avec celui qui appartient au défunt. ● Soit on plante son sabre (muruba), ou sa lance (tama) au milieu de la cour ou à l’entrée de sa case ou de son vestibule. ● Soit on attache son écharpe (kanmakè) préférée au poteau de son cheval (so siri kòlòman) ou à l’entrée de sa case ou de son vestibule (bolonda). 1017


On peut aussi attacher son chasse-mouches (kosi) à l’entrée de sa maison. À l’annonce verbale d’un tel évènement, ou à la perception d’un de ces symboles, on prend acte du décès de cette personnalité. Dès cet instant, sa concession ne désemplit pas pendant des jours, de nuit comme de jour. Dans chaque cas de décès, la famille éplorée est massivement soutenue par toute la communauté sur le double plan matériel et moral. Chacun tient à se manifester, verbalement, par sa présence physique effective, pour donner le témoignage de sa compassion. Tout le monde porte et partage le deuil. Mêmes les familles et clans hostiles compatissent pleinement à la douleur. Au Mandingue, la mort est un facteur et une opportunité de rapprochement et de solidarité effective à l’occasion de laquelle on enterre toutes les rancœurs, on discute à cœur ouvert de tous les conflits et litiges. La mort est donc mise à profit pour réconcilier les voisins, les frères et les familles ennemis. C’est un facteur d’union et d’équilibre de la société. C’est donc cette gestion collégiale de la mort qu’il faut retenir en raison de son caractère positif. En tout cas, chaque personne, sans distinction de rang social est assistée moralement et matériellement, par toute la collectivité. C’est donc le côté largement positif de la mort chez le Mandingue. B) - L’ENTERREMENT (SUDON = SUTARALI = BAALÈÈ) La préparation de la tombe revient à toute la collectivité masculine du village ou du quartier. Menus de pioches, de daba (houes), de pelles, de haches et de coupecoupes, les jeunes gens, encadrés par des adultes, se regroupent au lieu retenu pour creuser et préparer la tombe. Très souvent, les patriarches, les chefs de clans et les fondateurs de concession sont enterrés dans la clôture de leur case personnelle ou dans la cour, et parfois tout juste à proximité de celle-ci. C’est maintenant que certains villages ont créé un cimetière, sinon, avant, les corps étaient enterrés, pêle-mêle, autour du village. Certains défunts confectionnent, à l’avance, leur linceul (kasange) et désignent leur lieu d’inhumation et parfois même la personne qui doit faire leur sépulture (toilettes funéraires). Aussi, à la mort d’un beau-père (birantyè) et d’une belle-mère (biranmuso), les beaux-fils (birantyè) et leurs familles paternelles et maternelles (kabila, birannakalu) et alliés (kamisanlu) apportent obligatoirement leur linceul (kasange) ou la contrevaleur pour enterrer ceux-ci. Souvent, le linceul et ses accessoires sont offerts par les parents intimes et les alliés. Les villages voisins sont immédiatement informés du décès et conviés à la cérémonies d’inhumation qui doit avoir lieu le même jour ou au plus tard, le lendemain. Mais on est obligé de précipiter l’enterrement en raison des difficultés de conservation du corps. Le corps est donc patiemment lavé avec de l’eau chaude puis soigneusement préparé dans la clôture par des spécialistes masculins ou 1018


féminins en la matière, selon le sexe, soit que le défunt est un homme ou une femme. L’immixtion du sexe opposé à ce niveau précis du processus est exclue. Cette étape est donc rigoureusement gérée de façon autarcique. Il faut noter aussi que les femmes et les enfants mineurs ne participent pas à l’inhumation. Le corps, ainsi préparé par des habitués, est emballé dans un linceul blanc. Le tout enroulé dans une natte. On l’expose soit au milieu de la cour, soit à l’Est de celle-ci, ou encore dans la mosquée qu’a fréquentée le défunt de son vivant pour y recevoir les dernières prières ou bénédictions, disons les « À Dieux! ». En ce moment pathétique, empreint de tristesse et de recueillement, il revient au doyen du clan (kabila kuntii), au patriarche du village (sotii kèmòò) de prononcer l’oraison funèbre. Leurs propos, sont essentiellement des louanges (tandulikan) renchéris par le généalogiste attitré (belentii) du clan ou du village. En effet, chacun d’eux fait l’éloge de l’illustre disparu qu’on glorifie (tanduli, tandulikan, tandulilòn). C’est l’occasion de rappeler, de magnifier et de broder l’itinéraire prestigieux et éloquent du défunt qui, par des actions d’éclat, par son comportement digne et exemplaire n’a fait que s’identifier aux illustres ancêtres qui ont jadis honoré le clan, le lignage, le village et la tribu. En effet, ce jour-là, tout défunt est loué. Chaque orateur le fait passer pour un modèle (mòònyuma, mòòba...) à suivre en raison de ses qualités humaines (nyumaya, mankutu nyumaya). Ses amis d’enfance (kanyanyòòn, terilu, dunyòònlu), ses alliés (kamisanlu), ses collaborateurs (baaranyòònlu), ses beaux-fils et leurs familles (birantyèlu, birannakalu), les sanankun, les voisins (siinyòònlu) prennent la parole, tour à tour, pour magnifier le défunt. Quand celui-ci est un chef ou une personnalité importante, les différentes oraisons funèbres sont entrecoupées par des chants patriotiques, par des louanges des griots tant à l’endroit du disparu qu’à celui de ses héritiers et de ses ascendants paternels et maternels. Les détonations des fusils s’y mêlent et apportent une note particulière et agréable pour rehausser la solennité de l’évènement. Cette séquence peut durer plusieurs heures, parfois même toute une journée. Personne ne se morfond. Tout le monde attend dans une parfaite communion d’idées et de recueillement. Les héritiers et tous les éprouvés sont consolés par ces louanges et ces marques de sympathie et de témoignage de satisfaction qui leur permettent d’atténuer l’acuité de l’épreuve. C’est après ces différentes interventions qui sont attentivement et religieusement écoutées, que l’Imam prie sur le corps, après s’être assuré que le défunt ou la défunte était un musulman pratiquant (silamè), d’une part, et que ses héritiers et sa famille s’engagent fermement à payer toutes les dettes qu’il ou elle a contractées de son vivant, d’autre part. Généralement c’est le doyen du clan ou un frère et parfois un cousin du défunt ou de la défunte qui prend cet engagement ferme et se tient au nom de la famille à la disposition de tous les créanciers pour régulariser la situation. Par contre on laisse ses débiteurs anonymes avec leur conscience pour venir librement 1019


s’acquitter de ce qu’ils doivent, sachant bien que chaque vivant est aussi appelé à disparaître de ce monde comme l’est aujourd’hui cette personne couchée, inerte, incapable de quoi que ce soit. La levée du corps est déchirante, un moment très pathétique et douloureux. En effet, on est toujours désolé et contraint de voir partir, pour un voyage sans retour, un être cher. C’est un saut dans l’inconnu qu’entame le disparu. La tombe, dans les cas, est toujours préparée par la collectivité sans la moindre intervention des éprouvés. C) - LES OBSTACLES À FRANCHIR PAR LE CORPS AVANT L’INHUMATION Il faut noter que certaines morts ne sont pas perçues comme un malheur, mais bien au contraire comme une opportunité de joie, surtout quand le défunt ou la défunte est octogénaire ou centenaire ou quand il s’agit de la disparition d’un chef. Une telle circonstance est saisie par ses petits-enfants (surtout), ses sanankun et ses camarades e même âge pour lui rendre un dernier hommage non dans la douleur, mais dans la joie. Il faut mettre l’accent sur la séquence agréable jouée par les petits-enfants (mamarènlu), les arrière-petits-enfants (tolominalu) et les sanankun (partenaires dans la plaisanterie) dans la gestion de la mort, au moment où les larmes coulent encore abondamment, au moment où le chagrin est à son comble. En effet ces trois catégories de personnes sont autorisées à tirer les oreilles du grand-parent de tous les âges et de tous les sexes, à tripoter celles-ci, à les caresser à volonté et blaguer avec les grands-parents sans retenue de langage. En effet, avant l’enterrement, la coutume Mandingue permet aux petitsenfants et aux arrière-petits-enfants et aux sanankun de venir barrer la route devant le corps du grands-parents ou du partenaire défunt, sous prétexte que celui-ci ou celle-ci leur doit et ne saurait par conséquent rejoindre sa dernière demeure sans d’abord payer cette « dette qui est fictive ». Les filles l’accusent le défunt d’avoir abusé d’elles et refusé de payer leur dot ou son reliquat, alors qu’il les a mariées légalement. Par contre, les garçons peuvent empêcher la levée du corps de leur grand-mère en bloquant le corps et les porteurs à la sortie du cour, sous prétexte qu’elle doit faire leur dernière cuisine avant de s’en aller pour toujours, car elle a bien voulu prendre, par devoir et sans contrainte « conjugale », la dépense du jour, de la semaine ou du mois (tibili dyulu). Ils peuvent aussi accuser la défunte de payer, avant de partir, leur dernière nuit d’intimité qu’elle leur doit. Certains se travestissent habilement en portant les habits usés ou ceux préférés de la personne décédée, ou ceux que celle-ci portaient fréquemment (su-diyannan-fani), tout en imitant fidèlement, avec brio, sa voix et ses moindres gestes. Ce déguisement est souvent si bien réussi et le rôle si bien joué 1020


que l’assistance se départit momentanément de sa douleur et de sa tristesse. En effet, ces simagrées décrispent l’atmosphère lourde du deuil et provoquent des rires. Et c’est bien pour cette raison qu’on tolère cette séance de divertissement qui est très attractive et attendue lors du décès des personnes âgées, surtout de celles qui ont une nombreuse progéniture. Les petits-enfants (mamarèn) et les arrière-petits-enfants (tolomina) ont la latitude de blaguer sans réserve avec leurs aïeuls paternels et maternels tant de leur vivant qu’après la mort de ceuxci. Ils sont protégés par la charte de Kurukan Fuwa. D’ailleurs on passe toujours par eux pour faire plier les chefs de familles les plus craints, les plus autoritaires ou pour leur dire les vérités les plus cruelles que nulle autre personne dans la famille n’ose leur dire, et cela sans conséquence pour eux. Ils savent banaliser la mort des grands-parents. Les héritiers, les éprouvés et leurs alliés, notamment les beaux-fils doivent intervenir obligatoirement pour libérer la route devant le corps en désintéressant ces pseudo-créanciers. Pour lever le barrage et permettre au corps de franchir ce cordon douanier constitué par les petits-enfants, les arrièrepetits-enfants et les sanankun, il suffit tout simplement de payer, en guise de compensation morale, une modique somme ou de donner tout juste un cadeau symbolique qui peut être tout simplement un vieil habit du défunt. Ainsi, on peut enjamber cet obstacle conventionnel et clore cet incident récréatif qui est une plaisanterie autorisée et attendue dans toutes les maisons mortuaires en pays mandingue. Si le défunt est une vieille personne (mòòba kòrò), un chef de clan (patriarche) ou un chef de village (sotii kèmòò) ou de province (dyamanatii), cette séquence est agrémentée par des chants, des danses et de la musique. On chante en chœur et on danse l’air préféré du défunt et les anciens airs (fasa) du Mandingue médiéval dont entre autres: Dyandyon, Duga (Duwa), Soundjata, Boloba, Taara… Ces « trouble-fêtes » se manifestent lors de toutes les cérémonies funéraires (sukoya) au Mandingue. Ils n’attendent même pas les 3èmes, 7èmes et 40èmes jours, indiqués ou appropriés pour occuper la scène. Pendant les trois premiers jours (tilesaba si), le septième jour (tilewòrònfila si) et même parfois jusqu’au quarantième jour (tilebinaani si) après le décès, suivant l’importance du rang social et de l’âge du défunt, et aussi en fonction de celle de son héritage ou des moyens matériels de ses héritiers, les voisins, les parents et les alliés témoignent leur compassion et leur solidarité en apportant à manger aux éprouvés qui, sous le choc de l’épreuve, ne doivent pas faire bouillir leurs marmites. Leurs foyers s’éteignent pendant les premiers jours. Cette attitude de solidarité collective se manifeste sans exclusive. Mêmes les familles nanties bénéficient de ce geste. Parfois, pour éviter le gaspillage de nourritures offertes en abondance, on recense les généreux donateurs afin que le service ou cette assistance se fasse à tour de rôle. On les organise en groupes dont le nombre est fonction de l’importance du défunt, de celui des généreux donateurs et aussi du nombre de bouches à nourrir dans la maison mortuaire. 1021


Les contributions peuvent se faire aussi en argent, ou en nature (denrées crues, animaux…). Les éprouvés peuvent, dans ce cas, programmer à volonté la préparation de cette dernière catégorie de dons, suivant leurs nécessités ou besoins de nourriture quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, ou pendant toute la durée du deuil. Cette assistance morale et matérielle est une grande consolation pour la famille éprouvée. Il faut noter que la durée de ces dons et leur importance varient, avons-nous dit, suivant l’importance sociale du défunt et sont aussi fonction de la nature des relations de sa famille avec les différentes composantes de la collectivité villageoise. Par ailleurs, l’afflux des cadeaux et la persistance de la solidarité peuvent être aussi le retour de l’ascenseur en direction du défunt qui, de son vivant, n’a jamais lésiné sur ses moyens pour témoigner sa compassion et sa solidarité chaque fois qu’une famille perdait quelqu’un. Pratiquement, l’abondance, la fréquence, l’importance et la durée de ces contributions donnent la mesure des gestes du défunt et des éprouvés en pareils cas. C’est souvent et tout juste le remboursement qui donne la mesure de la qualité, de l’importance et de la fréquence des services rendus dans ce sens par le défunt et ses parents. La mort frappe à toutes les portes. C’est un fusil chargé qui guette chaque famille et qui est prêt à retentir et à se faire entendre dans chaque famille. À chacun son tour chez le coiffeur, dit-on. D) - LES OBSÉQUES AU MANDINGUE (SUKOYA = DYAMAKO = DYAMA LADYÈ) En raison du manque de conditions optimales pour une longue conservation du corps, on est obligé de procéder à l’inhumation immédiate pour éviter la décomposition. Dans les meilleurs cas, on peut attendre 24 heures après la mort. On a parfois l’impression qu’on veut se débarrasse du corps qui gêne. Des initiatives sont immédiatement prises dans ce sens dès que l’agonie commence. Parfois on n’attend même pas le dernier soupir du patient pour aller creuser immédiatement sa tombe. On met de grosses marmites sur le feu pour chauffer de l’eau pour la dernière toilette du défunt. Dès qu’on a l’impression de l’arrêt cardiaque, ou dès qu’on constate l’arrêt cardiaque, on s’organise pour aller creuser la tombe. N’est-il pas arrivé de précipiter dans l’abîme le corps d’un malade non mort cliniquement? C’est ainsi que certaines personnes déclarées mortes se sont réveillées pendant qu’on leur faisait leur dernière toilette ou tout juste pendant qu’on les descendait en terre. C’est souvent le prix ou les conséquences de la précipitation en la matière. Après l’enterrement, on organise immédiatement les premiers sacrifices. Les hommes, après l’inhumation, reviennent quasiment tous à la maison mortuaire où on les accueille avec des bassins d’eau afin qu’ils puissent faire une toilette légère pour se débarrasser de la terre fraîche de la tombe. Puis le patriarche du clan (kabila kuntii) ou le chef du village (sotii kèmòò) remercie tout le monde de s’être mobilisé pour accompagner le défunt à sa dernière 1022


demeure. Pendant ce temps, les femmes, notamment les tantes, les belles-sœurs du défunt ou de la défunte se regroupent pour laver les habits et les draps de lit sales du défunt. Il faut noter que les habits que portait le défunt au moment où il rendait l’âme ainsi que les draps sur lesquels il était couché en ce moment précis reviennent de plein droit aux personnes qui font sa sépulture (sukolalu) ainsi que le drap dans lequel on l’enveloppe pour la mise en bière. Ensuite on distribue ici et là de la pâte de farine fraîche de riz (dèè kuna). Il n’oublie pas de remercier les premiers donateurs qui se sont déjà manifestés en apportant à manger ou en soutenant matériellement la famille éplorée. Par anticipation il remercie également ceux qui ont l’intention de le faire les heures et les jours suivants. Il n’oublie pas aussi ceux qui en ont l’intention mais qui n’ont pas les moyens suffisants pour réaliser cette noble intention. Avant de libérer les gens, le patriarche (sotii kèmòò), soit directement, soit par le biais du griot généalogiste (belentii) ou parfois par la voix de l’imam, communique à la collectivité les décisions prises par les sages du clan du défunt relatives aux dispositions prises pour la suite des évènements. Parfois aussi, pour une raison ou une autre, soit que le principal décideur est absent et qu’il faut absolument l’attendre, on demande à chacun de rester à l’écoute pour la décision finale qui sera prise ultérieurement et qui précisera le contour du programme qui sera retenu. Les obsèques sont des cérémonies honorifiques auxquelles tous les morts n’ont pas droit en raison du coût. Pour cette raison, son organisation peut attendre des mois, même des années après la mort, afin de réunir toutes les conditions matérielles optimales. En effet c’est le dernier hommage grandiose que l’on fait à la mémoire du défunt. Les condoléances sont donc reçues à tout moment par un piquet constitué de sages du clan et du village qui restent permanemment à la maison mortuaire pour combler le vide laissé par le défunt. Les amis, les alliés, les voisins - du défunt et ceux de sa famille - se joignent toujours pour renforcer ce piquet désigné pour recevoir les salutations de condoléances pendant au moins trois ou sept jours. Les bonnes volontés pour l’encadrement ne sont jamais refoulées. D’ailleurs, toute la communauté se mobilise massivement pour assister les éplorés. Si dans d’autres civilisations on se contente des coups de téléphone, des cartes postales de vœux, des bouquets de fleurs… ici, au Mandingue, c’est la présence physique à toutes les étapes, à toutes les cérémonies qui importe et traduit mieux la solidarité envers les éprouvés. La gestion de la mort en pays mandingue est collégiale. Elle est l’affaire de tout le monde et non celle des éprouvés seulement. Le jour indiqué pour les grands sacrifices (sukoya lon, dyama lon), toute la communauté se mobilise autour de la pâte de riz blanche (dèè = dègè), des noix de cola et un repas copieux offert par les ayants droit dont les moyens sont limités. Pour les familles nanties, on immole à ces différentes occasions des volailles, des moutons et des bœufs à la mémoire du défunt et par ricochet à celle de tous les morts de la famille, du clan et du lignage. Cela donne l’occasion 1023


à des ripailles et réjouissances. On se régale gracieusement à volonté de toutes sortes de mets du terroir. Les griots généalogistes en profitent toujours pour rappeler la généalogie, parfois rendue célèbre pour la circonstance, des ascendants paternels et maternels du défunt, et ne tarissent pas d’éloges pour le défunt, pour ses ayants droit et pour le mérite de toute sa famille qui est en train d’honorer le lignage. On formule des prières, des bénédictions et des vœux pieux pour le repos de l’âme du défunt et de celle de tous ses devanciers du clan et du lignage dans l’au-delà. C’est aussi l’occasion pour formuler des prières et bénédictions pour la prospérité de sa postérité. Les morts du clan et du lignage ne sont donc pas oubliés dans ces prières et bons vœux. À chaque occasion, on rappelle leurs souvenirs, leurs hauts faits qui enorgueillissent le clan et ses ayants droit. Les familles rivalisent dans l’organisation des grandes funérailles (sukoya, suko, dyama, dyamako, dyamaladyè) pour honorer la mémoire de leurs parents morts. Ces cérémonies qui nécessitent une minutieuse et longue préparation, ne suivent pas immédiatement l’inhumation en raison de leur coût élevé. Parfois, il faut des mois et même souvent des années pour réunir les conditions optimales pour les organiser. Elles sont très onéreuses et peuvent durer parfois un jour, deux jours ou trois jours ou parfois plus, selon l’importance du rang social du défunt et les moyens matériels de ses héritiers organisateurs qui sont tenus d’honorer avec éclat la mémoire du défunt. Dans tous les cas, elles rassemblent tous les enfants du défunt, élargis aux cousins, cousines, neveux, nièces, beaux-fils… du défunt et du clan, voire du lignage qui doivent contribuer financièrement et matériellement à l’organisation et à la réussite des cérémonies. Leur honneur ou leur dignité est en jeu. Le lignage en amont et en aval du défunt et toute la communauté villageoise s’impliquent massivement dans l’organisation de ces cérémonies honorifiques. C’est pour les belles-familles, surtout celles qui ont marié les filles du défunt (birantyè, birannakalu), ainsi que pour ses sympathisants, l’occasion d’une mobilisation générale pour témoigner leur attachement au défunt et à sa famille. À cette occasion, les beaux-fils (birantyèlu, kamisanlu, furunyòònlu) sont tenus de donner la mesure de leur amour pour leur(s) épouse(s) en donnant au moins un bœuf pour les cérémonies. Les alliés (sanankun), les différentes belles-familles, les voisins (siinyòòn), les amis (kanyanyòònlu, terilu), les collaborateurs (baaranyòònlu) y contribuent également. Précisons que les beaux-fils portent l’essentiel du fardeau financier et matériel, moins par conviction ou par amour que par orgueil. C’est un point d’honneur contraignant que chacun d’eux doit défendre, vaille que vaille. C’est ainsi que, dans un ultime sursaut d’orgueil, certains gendres démunis peuvent aller jusqu’à s’endetter pour payer leur quotepart, dans l’unique but d’honorer leur épouse et sauver l’honneur de leur propre famille. Par ailleurs, c’est aussi l’occasion pour les héritiers éplorés de donner la mesure de leur capacité financière et matérielle et de leur degré d’attachement à

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la mémoire du défunt qui ne doit en aucun cas être ternie. Il y va de leur honneur (kunnayèlèn, tòò makaranni) et de leur crédibilité (mankutu nyuma). Les funérailles (sukoya) se préparent donc minutieusement pour assurer leur réussite, redorer le blason de la famille éplorée et honorer la mémoire du défunt. Mais son ampleur et sa durée sont fonction des moyens matériels des héritiers et de l’importance sociale du défunt et aussi de celle de son héritage dans lequel on peut puiser à volonté. Pour rehausser l’éclat de l’évènement, certains nantis, au crépuscule de leur vie, soit sous le poids de l’âge, ou soit à l’évidence d’une déchéance physique due à une longue maladie dont l’issue est inévitablement la mort, préparent ou donnent de leur vivant des instructions précises pour célébrer avec faste leurs funérailles (sukoya). Dans cette perspective et avant l’échéance fatidique de la vie, ils font des stocks suffisants renouvelables de denrées et de céréales chaque année, après chaque récolte et indexent parfois les bœufs et les moutons de leurs troupeaux à immoler après leur mort. Certaines personnalités exigent qu’on donne a cet événement posthume un caractère faste. Le respect de cette dernière volonté du futur défunt est une obligation pour les héritiers, même si de son vivant il n’avait pas envisagé ou pris de dispositions dans ce sens. C’est un devoir et même une obligation pour les héritiers et de ses alliés. On pense, dans le milieu Mandingue, que ces cérémonies rituelles (sukoya) expient l’âme du défunt et lui ouvrent les portes du Paradis. Elles sont donc une étape vivement souhaitée et permettent le paisible repos éternel de l’âme du défunt qui, ainsi purifiée, peut rentrer au Paradis. La date retenue est préalablement diffusée et confirmée par dix noix de cola (bunyèli woro; lasemali woro) que le doyen (kabila kuntii) de la famille ou du clan du défunt envoie avec honneur et forte délégation de sa famille au patriarche du village (sotii kèmòò). La même démarche (bunyè) est engagée envers les clans amis, les villages voisins et le chef de la province (dyamanatii). Les invités d’une certaine qualité font l’objet d’une attention particulière en recevant leurs colas d’information ou d’invitation. Le jour J retenu, tout le monde se met en habits de fête, car ce n’est pas un jour de lamentations ou de pleurs. En effet, les larmes ont séché depuis. Dès la première heure de la matinée on réveille tout le village par des sons des tamtams. Cette mise en train peut se faire parfois au début de l’après-midi. Organisateurs, alliés, voisins, invités et toute la communauté villageoise ou du quartier convergent vers la cour du défunt ou vers celle du chef du clan (kabila kuntii) où sont organisées les cérémonies. Le chef du clan endeuillé (kabila kuntii), le patriarche du village (sotii kèmòò), le chef du village (duutii), ou le chef de la province (dyamanatii)… à la tête d’un cortège de courtisans et de sages, s’y rendent quand la foule bigarrée est au complet. Vu son caractère de fête, les musiciens de tout acabit, les griots et les danseurs rivalisent en chants épiques et en pas de danses jadis exécutés par les héros antiques, aux sons des divers instruments de musique. Les Dyandyon, les Duga (Duwa), les Taara, 1025


les Boloba… sont rejoués et dansés à l’honneur du défunt et des siens morts ou vivants. Quand tout ce beau monde est installé, on égorge (ka dyeli bon) les bœufs dont le nombre varie selon l’importance sociale du défunt et les moyens matériels des organisateurs. Le comportement de l’animal principal égorgé dans son agonie, sa manière de rendre le dernier soupir, la position de ses pattes... sont attentivement scrutés et interprétés par les sages et le maître de cérémonies pour savoir si le sacrifice et le sang versé (ka dyeli bon) ont été agréés par l’esprit des ancêtres et par les mânes du clan, du village ou de la province. Tout cela vise à repêcher l’âme du défunt. Mais dès qu’une anomalie est constatée dans la procédure, celle-ci est aussitôt interrompue et reprise sous d’autres formes tant que les choses ne rentrent pas dans l’ordre. Ce malheur est mis au compte du défunt dont le mauvais comportement a dû indisposer les ancêtres et les esprits sacrés et tutélaires du clan, du lignage et du village ou de la province. C’est un test obligatoire pour tout mort en l’honneur de qui on organise les funérailles grandioses. Dans ce cas précis, il faut implorer le pardon des ancêtres et des mânes à l’endroit du défunt. Tout cela vise à purifier et à repêcher l’âme du défunt. C’est après ces instants préalables que le griot généalogiste (belentii) ou le patriarche, porte-parole du clan, majestueusement habillé, avec tous ses attributs de chef et d’homme sur le corps, prend la parole pour prononcer encore une oraison funèbre élogieuse sur la vie et l’œuvre du défunt. Il fait encore et toujours allusion aux gloires passées des ascendants maternels et paternels auxquels le défunt s’est identifié durant son bref séjour sur terre. Ce discours est un véritable cours d’histoire (taliku) qui peut durer des heures. Après ce discours introductif, se succèdent, sans aucune restriction du temps d’intervention, tous les amis (teri), tous les alliés (sanankun, kamisan), collaborateurs (baaranyòònlu), tous les invités d’honneur (mòòbalu), voisins (siinyòònlu) qui veulent parler ont tous droit à un temps suffisant de parole, aussi long soit-il. Pour traduire leur témoignage de reconnaissance à l’endroit du défunt et rassurer les héritiers de leur disponibilité pour pérenniser leurs relations avec la famille éplorée. Chacun en profite pour mettre en exergue l’œuvre et les bienfaits du défunt. C’est donc une occasion propice pour traduire publiquement, en des termes très élogieux, les bienfaits qu’il a rendus de son vivant. C’est aussi le lieu et le moment les plus opportuns pour rappeler les exploits et les gloires des ancêtres du défunt. Cela s’accompagne très souvent de dons divers (dyansali, dyansalifèn) divers, dans les deux sens. En effet, les héritiers reçoivent publiquement des cadeaux (dyansali, dyansalifèn) de la part de ces intervenants. En contrepartie, ceux-ci peuvent ou doivent recevoir des organisateurs des cadeaux divers (argent, habits, …) ou tout autre objet symbolique, en guise de reconnaissance des éloges publiques à l’endroit de leur cher disparu dont ils sont si fiers. On accorde donc à chaque intervenant tout le temps qui lui est nécessaire pour exposer les motivations de sa présence ou la nature de ses relations avec le 1026


défunt ou avec sa famille. Tous les discours sont écoutés avec une attention soutenue. Ce cérémonial peut donc durer pendant des heures, parfois toute une journée, et si besoin est, l’audience est suspendue pour être reprise le lendemain et peut se poursuivre les jours suivants, jusqu’à ce que tout le monde ait finit de parler. Chez nous, on ne s’ennuie pas d’écouter. En tout cas la parole est donnée à tous ceux qui la demandent. Parfois les orateurs se répètent ou disent les mêmes choses en des termes proches ou absolument identiques. Dans la mi-journée, ou au milieu de l’après-midi du premier jour de la cérémonie, le Patriarche, maître de la cérémonie, donne l’ordre de dépecer les bœufs égorgés qui, exposés au soleil depuis le matin, s’enflent. Mais si c’est un seul bœuf qui a pu être sacrifié, le partage de la viande se fait suivant une clef et des règles précises que nous avons traitées dans le chapitre consacré aux sacrifices d’animaux quadrupèdes. Quand il y a plus d’un bœuf abattu, on regroupe les bénéficiaires qui ne sont pas des individus, mais des catégories sociales, professionnelles ou des clans. On peut, par exemple, attribuer un bœuf entier au chef de la province (dyamanatii), un bœuf à certains clans (kabila), un bœuf complet aux alliés (kamisanlu), un bœuf aux belles-familles (birannakalu), un bœuf aux partenaires en plaisanteries (sanankun), un bœuf aux griots (dyeli, nyamakala), un bœuf aux artisans (numu, siyaki). Si le nombre de bœufs immolés ne suffit pas pour une large distribution, on peut regrouper les clans et les catégories sociales selon le nombre de bœufs disponibles. Rappelons que si c’est un seul bœuf, l’un des gigots revient de plein droit au chef de la province, et à défaut au chef du village (sotii kèmòò) ou au patriarche du clan (kabila kuntii). Même si les organisateurs sont matériellement limités, ils sont obligés, pour une question d’honneur, de trouver au moins un bœuf à abattre très tôt le matin pour la préparation des repas à offrir aux participants. Parfois aussi, certaines familles préfèrent partager la viande crue. Dans le cas où on trouve deux bœufs, l’un est préparé et l’autre abattu et partagé pendant la cérémonie. L’importance des dépenses est donc fonction des moyens des organisateurs. On tient compte du niveau de celles-ci dans le bilan et l’appréciation de la réussite des festivités. Aux heures de manger, les repas sont déposés dans les différentes familles (lonanyabon) qui logent les étrangers (lonan). Parfois on se regroupe dans la case du défunt ou devant celle-ci. Dans certains cas c’est dans la concession du chef du clan éprouvé qu’on regroupe toutes les convives y compris les hôtes. Les séances sont suspendues pour aller manger et prier. Puis on se retrouve au milieu de l’après-midi jusqu’à la nuit tombante. L’audience reprend le lendemain matin et continue afin que tous ceux qui veulent intervenir puissent le faire. Puisqu’il s’agit d’une fête, les discours sont entre coupés par des chants, des danses et des coups de fusils des chasseurs qui reçoivent gracieusement des organisateurs d’importantes quantités de poudre, surtout après une brillante et élogieuse élocution à l’endroit du défunt, de ses ascendants paternels et maternels. C’est parfois une frénésie qui envoûte tout l’auditoire. On 1027


n’est donc très loin des tristes souvenirs, des pleurs et des rancœurs de l’enterrement et des premiers instants qui ont suivi la mort. Cette commémoration est un test dont l’ampleur et la réussite donnent la mesure de l’importance sociale du défunt et de ses héritiers. En effet, elle permet de jauger la capacité d’organisation de ses héritiers. C’est aussi une occasion ultime exaltante et unique pour chacun des héritiers, des alliés, des invités… de donner le témoignage de son indéfectible attachement au disparu. Par ce cérémonial, l’aura du défunt doit continuer à briller dans le firmament de son terroir, car les participants ne cesseront pas d’en parler pendant longtemps. Et la mémoire collective s’en viendra pour longtemps. Quelle que soit la durée de la cérémonie, tous les participants, invités locaux (duurèn) et étrangers (lonan) sont pris en charge par la commission d’organisation qui loge tous les étrangers et donne à manger à satiété à tout le monde. Pour la circonstance, les maisons se vident au profit des étrangers. Les jeunes gens du village organisateur cèdent leurs maisons, dorment à la belle étoile, se regroupent souvent dans quelques cases ou alors vont dormir dans les villages voisins, après les veillées et les danses populaires nocturnes. Il faut noter que cette fête peut être interrompue à tout moment par les petits-enfants (mamarèn), arrière-petits-enfants (tolomina) et par les partenaires en plaisanteries (sanankun) du défunt ou de la défunte. Ils ont tous, avons-nous dit, la prédilection pour les déguisements dans les accoutrements (habits et objets personnels préférés, chapelet, canne, turban, pagnes, camisoles, tabatières...) du défunt ou de la défunte qu’ils récupèrent à cet effet, et réussissent avec brio dans l’imitation de la voix et des gestes de celui-ci ou de celle-ci. Ils l’accusent d’être coupables des tous les vices de la vie. Ils ne manquent pas aussi de réclamer aux héritiers les dettes que le défunt « a contractées » auprès d’eux avant sa mort. Ceux-ci et leurs alliés dans un élan de solidarité collective doivent chaque fois payer une modique somme ou leur faire des cadeaux d’habits, de céréales et de denrées pour dédouaner le défunt. Cette scène de « discrédits » peut se répéter plusieurs fois, tout au long des cérémonies. Il en est de même pour les sanankun qui balivernent sur le défunt, dont l’âme, selon eux, ne peut se reposer en paix tant que ses héritiers ne payent pas le prix qu’il faut pour franchir la frontière de l’au-delà (ka su kun makaran). Tout cela se passe dans une ambiance festive et dans une parfaite communion d’idées et de tolérance. Pour clôturer les festivités, on se rassemble massivement pour aller donner À Dieu au défunt, se recueillir sur sa tombe et y immoler encore un mouton ou un coq dont la manière anormale de rendre le dernier soupir atteste que l’âme du défunt a pu brillamment franchir tous les obstacles pour être accueillie au Paradis. Mais la démarche peut échouer. Un tel constat prouve donc que celle-ci a été rejetée par l’esprit des ancêtres. Si le coq en mourant se couche sur le dos et présente ses deux pattes en l’air, le sacrifice est agréé. Aussi on fait recours à la cola pour consulter les oracles et les esprits. Dans le 1028


meilleurs des cas, si les deux cotylédons de la noix de cola cassée et jetée en l’air présentent au sol leur face intérieure, présage que tous les sacrifices faits et les prières formulées sont agréés. Ainsi rassuré que l’âme du défunt est sauvée, on peut à présent se retirer en déposant sur la tombe de la nourriture, des habits, des noix de cola pour les besoins du défunt. Cette dernière étape se fait avant le crépuscule. C’est la fin de la cérémonie. Le lendemain matin, on offre un dernier repas copieux à tous les invités avant leur départ respectif qui intervient immédiatement après le repas. Cette cérémonie grandiose (sukoya) est organisée une seule fois pour un même défunt. Par contre chaque famille, chaque clan ou chaque lignage… peut regrouper, en une seule, les cérémonies rituelles du sukoya de deux¸ de trois ou de plusieurs défunts importants de la même sphère familiale à honorer. Certains morts expriment leurs souhaits et rappellent souvent par les rêves, a leurs héritiers l’obligation d’organiser ces cérémonies rituelles qui les honorent et permettent à leur âme de connaître un repos éternel. Donc toute défaillance ou négligence dans ce sens est une grave souillure pour eux, les morts, et par ricochet pour les vivants, notamment pour les héritiers indignes. (13) On se quitte en congratulant mutuellement, notamment les organisateurs pour les efforts déployés pour la réussite de la fête. On se retire avec l’espoir que l’âme du défunt est suffisamment purifiée pour rentrer au Paradis et l’esprit des ancêtres l’a enfin agréé. En attendant un autre sukoya, dans des mois ou dans des années après, les villageois et la contrée ne cessent de commenter le succès ou l’échec de l’évènement et amènent les futurs postulants à faire mieux que les précédents organisateurs. Compétition, performance, prestige et honneur obligent chaque famille à faire mieux que les autres pour mieux honorer leurs morts. Pour ne pas échouer et déshonorer les morts, le clan ou le lignage, on prend toutes les précautions et se donne tout le temps qu’il faut pour préparer minutieusement le sukoya. L’échec n’est pas permis. Donc l’échec ou le retard dans l’organisation d’un sukoya est une grave souillure pour la famille, pour le lignage et pour tout le clan. Donc l’honneur de la famille du défunt et celui de la famille organisatrice sont en jeux. Et c’est pourquoi on ne l’organise pas dans la précipitation. Parfois même, pour limiter les dépenses, on regroupe en une seule, l’organisation du sukoya de deux ou de plusieurs sukoya de parents défunts. Face à la mort, le Mandingue témoigne à toutes les personnes et familles éprouvées une solidarité effective, sans aucune exclusion, sans restriction.

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LA PÉRIODE DE VEUVAGE (FIRINYA TA = DYALA TA = LANA TA = LANA LASI) ----------o---------« Saya man dyuu, fo nyòòntobaliya. » (= La mort la plus triste et la plus regrettable est celle d’une personne décédée sans laisser de postérité.) Dicton malinké ----------o---------L’assistance aux éprouvés (veuves et orphelins surtout) se manifeste pendant longtemps après la mort, notamment lors de toutes les cérémonies rituelles liées à la mort. Les orphelins (faritani, faritanulu) et les veuves (firinya musolu) sont pris en charge par les frères et les cousins (fadòòni) du défunt. Parfois, ils sont répartis entre ceux-ci jusqu’à leur maturité, voire pendant tout le reste de leur vie. On fait en sorte que le vide laissé par le défunt soit permanemment comblé. Toutefois, il y a de rares cas où cette adoption des veuves et des orphelins devient dramatique pour ceux-ci. Ces nouveaux tuteurs font preuve parfois de méchanceté et d’animosité en les persécutant et sont victimes de frustrations de leur part. Ce genre d’adoption sévère et pathétique se rencontre et se raconte beaucoup dans nos contes et légendes. En élevant les orphelins dans le même creuset d’éducation familiale avec leurs frères, sœurs, cousins et cousines paternels, on atténue le traumatisme que subissent généralement les orphelins de père et de mère. L’affection qu’on leur témoigne à tous les niveaux de la famille élargie, du même clan et même du même lignage est si vivace et si permanente que les orphelins et leurs mères sentent moins le vide laissé par le défunt ou la défunte. L’éducation des orphelins est très délicate et revient donc et en principe aux oncles paternels au cas où leurs frères aînés consanguins sont des mineurs. Mais si les fils aînés du défunt sont majeurs, ceux-ci gèrent l’héritage légué par le père défunt jusqu’à l’âge de la maturité des mineurs afin de procéder, dans les meilleurs cas, à un partage rationnel du patrimoine légué. Les orphelins et les veuves font parties intégrante de l’héritage. La période de veuvage (lana, lana lasi = firinya ta = firya waati) dure quatre mois et dix jours, comme dans l’Islam. Le décompte commence généralement à partir du jour de l’enterrement, et non le jour du décès. Mais généralement l’inhumation se fait le jour même du décès ou au plus tard le

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lendemain, car par manque d’infrastructure appropriée, la longue conservation du corps n’est pas possible. La prise du deuil (firinya ta) par une veuve est un rituel qui se fait bien après le crépuscule, seulement dans la nuit du jeudi à vendredi ou dans celle du dimanche à lundi. La veuve doit abandonner ses vêtements habituels au profit d’une tenue qui est d’abord blanche pendant les premiers jours, puis teintée du bleu, quelques jours après. Parfois, elle est directement habillée en bleu, car le bleu est plus facile à entretenir que le blanc. Cela se fait après une toilette purificatrice sous la haute supervision d’une vieille femme expérimentée en la matière, accompagnée ou assistée par les sœurs et cousines du défunt. Nous ignorons les détails de ce rituel qui reste à la discrétion des femmes d’un âge avancé. Les jeunes filles ou jeunes femmes nouvellement marées n’assistent pas à cette cérémonie. Par contre, celles qui ont déjà été veuves sont autorisées à y participer. Les femmes l’entourent d’un mystère encore inconnu ou inondé par les hommes. C’est une séance pathétique qui confirme la mort et provoque les larmes de sympathie de l’assistance qui prend en pitié cette veuve dorénavant confrontée à une triste et nouvelle vie, à une douloureuse épreuve. Son compagnon de vie est parti pour un voyage sans retour. Mélancolie difficile à supporter. Le veuvage est une longue période d’abstinence, d’interdits, d’internement, de privation qui dure quatre mois et dix jours. Il s’agit de consigner et de confiner la veuve dans un lot de contraintes, d’obligations et d’abstinence sexuelle totale. ■ Elle ne doit pas porter de tenue indécente. ■ Elle doit éviter surtout les comportements dépravés qui portent atteinte à la pudeur publique, et souille l’honneur de sa famille paternelle et maternelle et de celui de son défunt mari. ■ Elle doit éviter de porter des bijoux scintillants. ■ Elle ne doit ne pas faire de maquillage. ■ Elle doit éviter tout ce qui peut séduire et exciter un homme. ■ Elle ne doit surtout pas avoir de contact physique direct avec un homme. Donc pas d’intimité sentimentale ou amoureuse ostensible avec un homme, quel qu’il soit. Par conséquent, toute intention de relations sexuelles doit rester étouffée dans l’œuf. Cependant, les contacts d’un prétendant avec sa cible parmi les veuves sont toujours indirects et se font obligatoirement et discrètement par l’entremise de l’une des veilles femmes chargées d’encadrer les éplorées pendant les quatre mois et dix jours, durée légale du veuvage. Et même cette éventualité se fait dans la plus grande discrétion. Les petits cadeaux du prétendant sont certes permis mais ne doivent arriver que par ce biais, tout comme les réponses et remerciements de la veuve. Cette discrétion permet d’éviter des suspicions et afin que les mauvaises langues n’accusent pas le prétendant. En effet cette discrétion du prétendant dans les contacts ne permet

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pas d’insinuer que celui-ci était effectivement l’amant de la veuve du vivant du défunt. La veuve est donc sous surveillance stricte des gardiennes. Cette période d’isolement permet aussi de constater ou de laisser évoluer normalement une grossesse dont le défunt est l’auteur. Elle doit dormir sur une natte ou sur un matelas, soit au salon, soit dans la case du défunt, sévèrement et permanemment encadrée par les vieilles femmes du clan, notamment les marâtres, les sœurs et cousines du défunt qui assistent les veuves dans les menus services ou dans les besoins à satisfaire. La veuve se déplace peu pendant cette période, car les parents, les amis, les alliés de son défunt mari peuvent passer à tout moment à la maison mortuaire pour la saluer et renouveler leur compassion. Tout ce monde féminin les entoure pour combler le vide laissé par le défunt et atténuer l’isolement. Ainsi, les visiteurs sont reçus à ces niveaux de l’antichambre seulement où ils peuvent présenter leurs condoléances et dire des bénédictions pour le défunt et sa progéniture. S’il s’agit d’une famille polygame, les épouses sont regroupées au même niveau, mangent ensemble et dorment ensemble. Pratiquement tout est commun. Elles bénéficient indifféremment des mêmes services des mêmes encadreuses. On les reconnaît par leur tenue vulgaire bleue, plus facile à entretenir que le blanc. Elles doivent sortir ensemble pour faire certaines courses, notamment aller présenter leurs condoléances à chaque nouveau décès. Elles reçoivent ensemble tous ceux qui viennent s’incliner devant la mémoire de leur mari défunt. Les cadeaux que chacune reçoit officiellement sont mis ensemble et gérés par un administrateur désigné par consensus à cet effet par la famille du défunt, et qui est généralement un frangin ou un cousin du disparu. Pendant la longue période du veuvage ou pendant les quarante premiers jours après le décès, la chambre à coucher du défunt est rigoureusement fermée ou disons mises sous scelles afin d’empêcher la soustraction frauduleuses de certains de ses biens, ou alors on confie la surveillance de sa chambre à un de ses neveux ou à un de ses frères à qui on remet la clef après l’inventaire sommaire des effets qui s’y trouvent. Celui-ci peut donc y dormir et doit obligatoirement rendre compte de sa gestion après les quatre mois et dix jours de deuil. C’est seulement après cette période qu’on doit procéder au partage des biens laissés comme héritage par le défunt. Cette charge de garder la clef de la chambre du défunt est, dans beaucoup régions du Mandingue, confiée au fils d’une sœur, d’une cousine ou d’une tante paternelle (barinin), car on pense que celui-ci est plus discret et n’est pas concerné par l’héritage et par conséquent de surcroît celui-ci est peu enclin à diffuser les secrets du défunt, son oncle, qu’il compare à sa mère contrairement aux sociétés matriarcales qui frustrent les enfants légitimes au profit de ceux des sœurs, tantes et cousines paternelles. La présence autour d’elles de plusieurs vieilles femmes déjà veuves permet de les consoler, de les distraire par des histoires et des anecdotes et 1032


également par des expériences de la vie que celles-ci leur racontent pour meubler le temps et les soustraire des soucis de l’épreuve et de la mélancolie. Les belles-sœurs, les sœurs et les cousines du défunt doivent fournir aux veuves des nattes, des matelas, selon la nécessité et les moyens, ainsi que des nattes de prière, des articles de toilettes... Dans tous les cas, les veuves et les orphelins sont entièrement pris en charge par la famille du défunt, notamment les frères, sœurs, cousins et cousines pendant cette longue période de veuvage (lana, lana lasi). C’est une question d’honneur et de respect de la mémoire du défunt. Les contributions des voisins et des alliés ne cessent de se manifester pendant cette longue période de veuvage. Dans certains cas, celles-ci, bien que venant en appoint à l’effort de la famille éplorée, ne suffisent pas pour entretenir les veuves et les orphelins. Dans ce rare cas de défaillance ou d’insuffisance de soutien matériel de la famille éplorée, les veuves s’impliquent directement pour assurer la subsistance des orphelins. Une telle situation malheureuse ternit évidemment l’image de la famille éprouvée, celle du clan ou du lignage. Devant donc l’insuffisance ou le manque de solidarité matérielle effective, certaines veuves sont parfois obligées de travailler pour se nourrir ainsi que les orphelins dont elles deviennent dans ce cas l’unique soutien moral et matériel. Parfois la veuve fait recours à sa propre famille paternelle et maternelle pour assurer sa survie. Mais en général, l’adoption de la veuve et des orphelins ne fait jamais défaut, les premiers mois ou les premières années après le décès. Mais reconnaissons que rarement une telle défaillance est constatée dans la société traditionnelle mandingue qui se caractérise par une solidarité collective permanente qui n’exclue personne, quelle que soit la condition sociale, physique ou mentale de l’individu. LA FIN DU VEUVAGE (LANA BILA = FIRINYAFANI BILA = FANI BILA) La fin du veuvage intervient quatre mois plus dix jours après la date du décès ou de l’enterrement. Elle donne également lieu à un rituel qui respecte la même procédure qu’à la prise du deuil, la même discrétion, le même mystère vis-à-vis des hommes, des jeunes filles et des jeunes femmes qui n’ont pas encore connu ou vécu le veuvage. La famille du défunt doit acheter et fournir à la veuve au moins un ou deux complets neufs ou plus ainsi que des chaussures et bien d’autres cadeaux. Parallèlement, elle reçoit également de ses parents, de ses amies (teri), de ses collaborateurs (baaranyòònlu), de ses camarades d’âge (sèrèden) des cadeaux divers, notamment des habits et des chaussures qu’on lui remet avec solennité et avec beaucoup de bénédictions, de témoignages de satisfaction et d’éloges tant à son endroit qu’à celui du défunt. La veuve est donc débarrassée des tristes habits et de tous les objets courants de mauvais souvenirs qu’elle a usités pendant la période de veuvage, et 1033


qui sont partagés entre les vieilles femmes et encadreuses qui les ont surveillées ou qui ont partagé ce temps avec elle. Il faut noter que ce protocole est essentiellement organisé et supervisé par les femmes. Les hommes ne participent au rituel. C’est l’affaire exclusivement des femmes. Après l’avoir débarrassée de ses tristes habits de veuvage et bénéficiée d’une bonne toilette purificatrice qui se fait soit vers le crépuscule, après 17 heures ou la nuit de la veille du dernier jour de la fin de la période du veuvage, elle est coquettement habillée de neuf et présentée à la famille paternelle et maternelle, à celle de son mari défunt ainsi qu’à ses alliés, ses amis, ses sympathisants qui ont fait le déplacement pour la circonstance. C’est alors que le patriarche du clan (kabila kuntii) de son mari défunt profite de la circonstance pour féliciter et remercier la veuve pour sa totale disponibilité, pour tous les menus services qu’elle a rendus depuis qu’elle est sous leur toit et remercie également ses parents pour la bonne éducation qu’ils ont donnée à leur fille. Puis chaque donateur offre son cadeau (dyansalifèn) après un bref discours de remerciement et de bénédictions pour le défunt, sans oublier sa veuve et sa progéniture. Cette séance, qui est difficile à supporter par les cœurs sensibles et meurtris, n’est nullement une occasion de réjouissances, car on ne peut pas ne pas avoir de la pitié, de la compassion solidaire, pour la veuve qui, à partir de maintenant se trouve confrontée à une nouvelle et dure vie. Elle doit donc se refaire une nouvelle vie sans son premier compagnon de la vie. En dépit des remerciements, des éloges, des félicitations, de nombreux cadeaux, et d’aimables mots de réconfort, la veuve ne peut retenir ses larmes, et les cœurs sensibles l’accompagnent. Des prières, des bénédictions et des congratulations à l’endroit de tous qui ont compati à cette douleur sur le plan matériel et moral sont formulées par le doyen du clan (kabila kuntii). Et la cérémonie se termine à la satisfaction de tous, notamment les parents paternels et maternels de la veuve, qui se trouvent honorés par le digne comportement de celle-ci, et le mérite que les beaux-parents lui reconnaissent. Tout se termine par un repas copieux qui est servi par la famille du défunt à tous les participants. Il faut noter que cette cérémonie peut être sobre avec peu de monde. Seuls les intimes y participent, car ce jour-là, les larmes des âmes sensibles coulent encore, car si on regrette la mort de son mari, mais on s’inquiète pour la nouvelle vie qui l’attend et qui est une incertitude. Les jours ou les semaines suivantes, une délégation des parents du défunt ramène la veuve à ses parents, accompagnée de dix noix de cola, sans qu’elle ne quitte effectivement son premier foyer. Parfois, la délégation s’y rend sans la veuve. Lors de cette restitution symbolique, les parents du défunt déclarent à la belle-famille: « Nous vous rendons votre fille. Mais en raison de sa bonne éducation, de sa totale disponibilité, de sa bonté, de son humanisme, des menus et différents services qu’elle nous a rendus… nous l’aimons encore et tenons à 1034


la conserver dans notre famille. Nous viendrons la récupérer pour un des nôtres afin qu’elle ne quitte jamais notre maison qu’elle aime tant. Nous reviendrons encore… » À cette occasion la veuve reçoit affectueusement des félicitations, des remerciements et beaucoup de cadeaux divers (habits, argents…) de la part de la famille de son mari défunt, des amis, des sympathisants et de ses propres parents pour avoir supporté vaillamment la longue et pénible période de veuvage. Si on la retourne dans sa famille paternelle avec seulement un paquet de dix noix de cola, cela signifie en clair qu’elle est définitivement rendue à celleci, donc libérée des contraintes et des prétentions de la famille de son défunt mari et que personne ne veut d’elle en secondes noces dans cette famille. Mais si par contre on prend joint d’adjoindre à ces dix premières noix de cola de restitution un second colis de dix autres noix de cola (woro-tan-nasiri filanan), cela annonce à la belle-famille que les parents de leur défunt beau-fils reviendront demander la main de leur fille au profit d’un jeune frère ou d’un jeune cousin du défunt. Parfois cette, dans cette perspective, la veuve regagne dans un bref délai son premier foyer conjugal afin d’éviter une longue absence. Et le processus de ce second mariage est aussitôt engagé en vue de son retour immédiat. Dans certains cas, certes rares, la veuve accepte de rester dans la famille de son défunt mari pour mieux suivre ou participer à l’éducation de ses enfants orphelins sans être liée à aucun beau-frère de son mari. Mais on fait attention à ses fréquentations sentimentales ou amoureuses. Il arrive que, chemin faisant, un candidat extérieur lui manifeste des intentions de mariage. Dans ce cas la femme est obligée de rejoindre celui-ci. D’ailleurs on accepte pas qu’elle reçoive celui-ci sous la toit de son premier mari défunt. Dans ce cas elle est obligée de quitter pour aller habiter chez celuici ou alors rejoindre sa famille paternelle. Ainsi libérée de toutes les contraintes par rapport à son précédent mariage, tout candidat potentiel de la famille de son défunt mari est tenu de se manifester au doyen du clan pour exprimer ses nobles intentions. Très souvent il négocie d’abord avec la veuve avant de saisir le doyen ou le facilitateur de sa famille qui doit répercuter ses intentions aux autres membres de sa famille. Parfois aussi on impose la veuve à un de ses jeunes frères ou à un jeune cousin du défunt. Même si la veuve n’est plus en mesure de procréer, on la convie toujours à un de ses beaux-frères, car la société mandingue ne tolère pas que la veuve, même vieille, reste ainsi sans être sous l’autorité d’un homme. La confirmation des bonnes intentions de la famille de son défunt mari et le souhait de garder la veuve dans la famille de celui-ci, auprès de ses enfants ou par reconnaissance du bon comportement de celle-ci, engagent unanimement toute la famille du défunt et honorent les parents et les amis de la veuve. Oui! Dès lors, la voie est libre à tous ceux qui en veulent dans la famille restreinte ou élargie du défunt. Dès qu’un autre frère ou cousin de la famille de 1035


celui-ci se manifeste librement pour reprendre la veuve désormais libre de tous les engagements conjugaux, la famille du défunt mari revient encore humblement avec dix noix de cola pour renouer un nouveau contrat de mariage au profit de ce postulant. Généralement on fait en sorte que ce soit un jeune frère ou un jeune cousin du défunt qui reprenne la veuve en secondes noces pour mieux veiller sur l’éducation des orphelins qui doivent rester dans le même creuset familial pour être moulés avec les mêmes principes moraux que les autres enfants du clan et du lignage. C’est dans ce souci que l’un des jeunes frères ou cousins du défunt se propose ou est imposé par consensus par toute la famille du défunt. C’est donc dans cette frange de la famille qu’est choisi le candidat ou le futur second mari. Parfois les candidats sont nombreux. Dans ce cas, la concurrence est ouverte et devient plus rude. Si les veuves sont nombreuses, cette confrontation est atténuée dans la mesure où chaque prétendant peut cibler l’une ou l’autre veuve. Généralement c’est celui qui a su établir des contacts, certes réguliers mais indirects avec la veuve ou qui a fait preuve de patience et d’anticipation intelligente gagne. C’est bien lui qui a su manifester discrètement, affectueusement, prématurément et régulièrement son intention en envoyant des cadeaux (samali, sanbali, sanbalifèn) à sa dulcinée. Ce genre de gestes et de contacts rassure toujours la veuve sur la qualité et la constance des sentiments de celui-ci. Dans d’autres cas, on ne laisse ni à la veuve, ni au futur deuxième mari la latitude de se choisir et de s’accepter mutuellement. Les deux familles alliées, par consensus, s’entendent pour imposer ces secondes noces. Si la veuve reste dans la famille de son mari défunt, la procédure de régularisation est très simplifiée, et souvent réduite à une simple présentation de dix noix de cola et au sermon de l’Imam ou aux prières et bénédictions du patriarche du clan ou du lignage (kabila kuntii). La belle-famille donne acte à cette noble intention des parents du beau-fils défunt qui veulent raffermir et pérenniser leurs relations bilatérales, disons leur alliance. Parfois on peut exiger du postulant quelques habits neufs avant de célébrer sans faste le second mariage et afin que la femme puisse renouveler sa garde-robe. Les deux familles insistent sur le cas des orphelins qui doivent être bien traités par le nouveau partenaire de leur mère, puisque celui-ci devient ipso facto le substitut de leur défunt père. Il doit se déployer à créer une harmonie qui fait oublier le défunt père et mari. De ce fait, l’entretien moral, matériel et l’éducation des orphelins et de la veuve lui incombe entièrement. Il doit par conséquent être très affectueux à leur endroit. En retour, ceuxci lui doivent considération, respect et obéissance. Ici, il s’agit bien d’un cas de mariage de raison. Ainsi sont gérés au Mandingue la mort, les problèmes qu’elle crée ainsi que leurs conséquences. La mort concerne tout le monde, elle est l’affaire de tout le monde. Par conséquent, elle est gérée de façon collégiale sur une base de solidarité effective 1036


et d’équité dont bénéficient indifféremment tous les individus, toutes les familles, tous les clans... quelles que soient leurs conditions sociales ou matérielles. Il n’y n’a pas de discrimination dans la gestion de la mort. Chaque cas de mort est ressenti et géré solidairement et équitablement par toute la collectivité. NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - Damaro Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage, voir son avant-propos. (2) - Amadou Hampâté Bâ, « Jeune Afrique » N° 1095 du 30 décembre 1981. Pour corroborer cette forte idée d’infériorisation de la femme par l’homme, rappelons une anecdote. Un homme était en histoire avec sa femme. Les deux conjoints devaient comparaître pour une explication devant le conseil des sages du village. Signalons qu’en milieu traditionnel mandingue, ce genre de confrontation est rare car, la femme n’a jamais raison sur son mari. L’homme, plus malin, mis au point un stratagème pour gagner ce procès publique sur sa femme qui fit preuve d’une grande naïveté pour se laisser prendre au piège. En effet il déclara à celle-ci pendant la dispute: « Tout le monde dit que tu es la femme la plus sage, la plus sérieuse et la plus intelligente du village. Certains affirment avec stupéfaction que tu as la langue si déliée que tu as le don de la parole comme un griot et que tu connais même les formules d’ouverture des séances publiques. Tu es capable de présider efficacement une assemblée publique. Mais aujourd’hui j’aurai raison malgré ta brillante côte auprès des juges. » Par ailleurs il avait pris soin de monter certains juges en leur disant que sa femme ne le respecte pas. Elle se considère comme un homme et se comporte comme tel même en public. Le conseil réuni, sur insistance du mari, on donna la parole en premier lieu à la femme plaignante. Celle-ci, inconsciente et soucieuse de paraître tel que son mari l’avait décrite et pour renforcer sa côte auprès de l’assistance, prit la parole en ces termes « Allah wooma sali Mohamadi wa allali Mohamadi... N bara dyama bèè dòò Kela mantòn nya lò... » Or cette formule ne s’entend que de la bouche des hommes. Et son mari de s’écrier avec toute assistance: « Ah! Ce n’est pas une femme de ménage. C’est la première fois qu’une femme récite publiquement cette formule. Donc elle se considère égale ou supérieure à son mari qu’elle ne respecte pas. Le mari a donc raison. Personne ne souhaite avoir une telle femme comme épouse... » et la femme perdit le procès par la ruse de son mari qui avait certainement tort. (3) - Le gbènzèn, morceau de fer d’une vingtaine de centimètres torsadé au milieu et aplati à une extrémité tandis que l’autre extrémité a la forme d’une pioche pointue, servait de monnaie d’échange et avait cours dans la savane et dans la région forestière avant la colonisation. Il y avait cours jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, notamment entre la région forestière guinéenne et le Simandou (Damaro). Ce fer était extrait de blocs de pierre ferreux ramassés à ciel ouvert, sur le flanc de la montagne, et fondus dans des hauts fourneaux installes tout au long de la chaîne dans les villages de Farabalo, Banankoro, Gbontodou¸ et dont les débris sont encore visibles en maints endroits. (4) - La solidarité et la vie communautaire constituent le fondement essentiel de la société traditionnelle mandingue. L’argent et l’accumulation matérielle sont relégués au second plan dans les rapports sociaux. L’homme n’est pas apprécié en fonction de sa fortune 1037


ou de sa pauvreté. En cas de décès ou de tout autre malheur, toute la collectivité est concernée et y compatit pleinement. Même quand vous êtes suffisamment ou manifestement nanti on procède à une collecte symbolique d’argent pour vous assister. Sans distinction de rang social, toute personne éprouvée est assistée moralement et matériellement. Dans les familles déshéritées, l’aide est plus prononcée et plus prolongée. En plus des contributions en argent et de l’offre de repas qu’on fait, chacun est tenu de faire le déplacement, de rendre visite aux éprouvés. La régularité de ces visites est exigée et enregistrée. On dit que dans les relations humaines les pieds jouent le rôle le plus important. Par les visites réciproques on crée et consolide les liens. En cas de défaillance des pieds dans les deux sens, la pérennité des liens est compromise. Et si cela arrive, les éprouvés et toute la collectivité rendent impitoyablement la monnaie à toute personne carentielle ou qui s’en rend coupable de façon notoire. Elle est donc isolée même quand la mort ou tout autre malheur frappe à sa porte. Unanimement on boude ses manifestations de réjouissances (baptême, mariage, cérémonies de circoncision ou d’excision...) y compris ses cérémonies mortuaires. Dans la société on est tenu de présenter les condoléances même à une personne ou à une famille avec qui on a des démêlées, quelle que soit la nature ou l’ampleur de celles-ci, car après tout, les décès sont des occasions de réconciliation. Nul n’a donc le droit d’être indifférent à la mort dans une autre famille, à moins que ce soit un cas de vengeance sur cette famille qui a eu une telle attitude à votre endroit en pareille circonstance. L’expérience amère, vécue par El Hadj Mamadou Kébé, un riche commerçant et de surcroît industriel à Treichville (Abidjan), mérite d’être signalée. Industriel et propriétaire en 1985 de Kébé-Plast, une usine de fabrique d’ustensiles de cuisine en plastique, de tapis, Mamadou Kébé avait la manie de ne jamais assister aux funérailles, aux baptêmes, aux mariages... des autres familles. Esprit de suffisance ou de mépris oblige. Il se contentait seulement à chacune de ces occasions de cérémonies, d’envoyer de l’argent sous plis fermé, aux familles comme sa contribution à leur peine ou à leur joie. Cette attitude que l’on qualifiait de mépris pour les indigents fut constatée par tout le monde. Depuis, ses voisins immédiats en passant par ses proches parents ainsi que toute la collectivité Dioula de Treichville, quartier où il réside et de tout Abidjan, remarquèrent unanimement cet esprit de suffisance ou de mépris pour les autres. On l’attendait au tournant. On attendait une occasion pour lui présenter le revers de la médaille ou les conséquences d’un tel comportement en Afrique, en lui prouvant que l’argent n’arrange pas tout et que les relations humaines constituent la plus grande richesse, richesse inépuisable et inestimable. En effet, un jour Mamadou Kébé perdit un de ses enfants. Il envoya des messages dans tous les quartiers d’Abidjan pour informer les gens de la peine qui venait de le frapper. Mais chacun d’eux retourna avec de l’argent. En effet, comme si c’était un mot d’ordre général ordonné par un souverain vénéré à ses fidèles sujets, chaque personne contactée ou informée regretta vivement la mort de l’enfant mais se contenta de donner de l’argent, sous enveloppe, au messager en guise de contribution (lòyòrò subon da la = sankafolifèn = fanga dama suko rò) à la douleur qui frappe la famille de Kébé Mamadou. Personne ne bougea de chez elle. El Hadj Mamadou Kébé se retrouva le soir avec beaucoup d’argent dont il n’avait pratiquement pas besoin, mais surtout avec le corps de son enfant. Situation vraiment incommode. Il comprit que c’était le juste retour de l’ascenseur, donc de son comportement en pareille circonstance envers les autres. C’était le prix conséquent de ce qu’il avait fait aux autres. Il dut faire appel à l’intervention de l’imam de la mosquée et du conseil des sages pour demander pardon à la collectivité Dioula afin de l’aider à enterrer son enfant. On lui fit comprendre que son argent pouvait très bien faire cette inhumation. Certes oui! Mais sans honneur, sans recueillement collectif. On lui rappela les dictons dioulas suivants: « Quand par méchanceté, par vanité ou par esprit de suffisance, tu refoules les autres de chez toi en fermant ta porte, sache que celle des autres ne te sera pas ouverte en cas de besoin en pareille circonstance… » 1038


Ou encore: « Quand tu lèves ton bras droit en criant par vantardise ou par esprit suffisance que tu t’en fiches des autres, soulève immédiatement ton bras gauche en disant que les autres te disent merde par la même occasion. » On finit par accepter les excuses de Mamadou Kébé et tout rentra dans l’ordre. Ainsi humilié, Kébé Mamadou¸ qu’on traitait de milliardaire en tout cas très fortuné, jura de se repentir, d’intégrer totalement dorénavant la collectivité. Son enfant fut enfin enterré avec honneur et recueillement par toute la collectivité de Treichville. Depuis, il assistait personnellement aux enterrements, aux funérailles, aux sacrifices des 3ème, 7ème et 40ème jours, aux baptêmes, aux mariages... chaque fois qu’il en était informé. Il ne faut jamais se mettre en marge de sa société car « l’homme n’est rien sans les hommes, il vient dans leurs mains et s’en va dans leurs mains », autrement dit: « Il est né entre les mains des hommes et va mourir et inhumé dans leurs mains » a écrit l’écrivain Seydou Badian Kouyaté du Mali. Personne n’est donc exclue de la société traditionnelle mandingue quelle que soit sa condition physique, morale ou matérielle et personne n’a le droit de s’en exclure. (5) - Il y a là une grande ambiguïté. Nous n’avons malheureusement pas pu expliciter cet article du code pénal édifié sous Farin Kaman Camara. (6) - Camara Laye dans « L’Enfant Noir ». (7) - Une étude de Daouda Damaro Camara. (8) - Proverbes mandingues. (9) - Elikia M’Bokolo, professeur d’Histoire et coproducteur, avec feu le Professeur Ibrahima Baba Kaké de « Mémoire d’un continent » de Radio France Internationale. Voir « Bingo » N° 369 d’octobre 1983. (10) - Soundioulou Sissoko, griot sénégalais, virtuose de la cora, vivait en 1985 à Dakar. (11) - Amadou Hampâté Bâ, « Bingo » N° 344 de septembre 1981. (12) - Traoré Mamadou Ray-Autra, « L’interprétation des rêves dans la tradition africaine » Éditions Africa Média International. (13) - Études de deux cas vécus de communication des morts avec les vivants par le rêve. Pour le Mandingue, comme pour beaucoup d’autres peuples noirs d’Afrique, les parents et amis morts peuvent nous apparaître en rêve. Le défunt qui nous apparaît est toujours porteur d’un message bon ou mauvais. Il peut nous révéler dans la situation dans laquelle il se trouve ou nous rappeler un devoir que le vivant a oublié de remplir. Il peut, par le truchement du rêve, exprimer une volonté ou informer les vivants des dispositions à prendre pour éviter un malheur imminent. On interprète leur apparition suivie de sacrifices pour les apaiser. Ces exemples de communication des morts avec les vivants à travers les rêves sont très nombreux. Plusieurs personnes en ont vécus. Pour meubler cette réalité évidente que le Mandingue pratique avec le plus grand sérieux, je vais citer une expérience vécue par mon oncle, feu le Colonel Sékou Doumbia, ex-intendant militaire de l’armée malienne à Bamako, en 1985. Son père Mouba Mory Doumbia, de son vrai nom Mouba Mory Camara, avait été chargé par son frère aîné Fata Kéoulèn Camara, roi du Simandou (Beyla, Guinée), d’aller rechercher Makèmè, une de ses jeunes femmes, qui s’était évadée pour rejoindre ses parents 1039


au Soudan (actuel Mali). « Elle était une esclave de guerre prise pendant une des nombreuses razzias que l’armée samoryenne opérait au Soudan. » Fata Kéoulèn était un des grands capitaines de l’armée de conquête et de résistance samoryenne. N’ayant pas retrouvé sa bellesœur qui s’était volatilisée dans la nature, Mouba Mory ne consomma pas son échec. Pour lui, il se serait montré indigne de la confiance de son frère et ne pouvait supporter le regard accusateur de celui-ci. Pour échapper à toutes recherches que son grand frère aurait sans aucun doute organisées pour le retrouver et le ramener au bercail, il tronqua son nom Camara contre celui de Doumbia. En effet, Fata Kéoulèn, prit par un profond remord, regretta vivement d’avoir sacrifié son frère cadet en l’envoyant faire une mission à l’issue incertaine. Bossogbè Zoumana Camara, un de ses autres frères qui était plus intelligent ou plus apte et qui de surcroît avait un physique plus athlétique et plus endurant, fut chargé à son tour par le grand frère Fata Kéoulèn d’aller chercher et ramener au bercail le missionnaire égaré, même sans la fugitive. Cette autre mission échoua lamentablement car Mouba Mory, ne voulant pas retourner sans sa belle-sœur, ne pouvait être recherché que sous le nom de Mouba Mory Camara. Ainsi donc, il réussit à brouiller les pistes en adoptant le nom Doumbia. Ainsi donc, il réussit à brouiller les pistes en adoptant le nom Doumbia. Mais, contrairement à lui, Bossogbè Zoumana Camara fut plus raisonnable en retournant à Damaro sans les deux, après avoir vainement parcouru plusieurs provinces du Mandingue. Mais curieusement les filles de Mouba Mory Doumbia/Camara ont porté le nom Camara tandis que son unique fils, Saren Sékou, aujourd’hui colonel dans l’armée malienne, a conservé le nom Doumbia. Mouba Mory Camara alias Mouba Mory Doumbia s’engagea dans l’armée française où il obtint le grade d’Adjudant-Chef. Il mourut en 1954 à Kati (Bamako, République du Mali). N’étant jamais revenu à Damaro, son village natal ou en Guinée, son pays, il ne voulut pas couper définitivement avec les siens. Il prit soin, avant sa mort, de révéler avec insistance à son à fils Saren Sékou les origines réelles de son nom réel (Camara), de son village (Damaro), de sa région (le Simandou), de son cercle (Beyla), de son territoire (la Guinée Française). Il lui précisa le nom de son père (Kèmo Gnaman Camara), ceux de son frère aîné (Fata Kéoulèn Camara), de ses neveux (Kèmè Brahima Camara et Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage) qui régnèrent après Fata Kéoulèn sur le vaste canton de Simandou (Beyla, Guinée). Comme dernière volonté, il ne cessait de demander à son fils Saren Sékou Doumbia de renouer un jour avec ses origines. Sékou Doumbia fit l’école des Enfants des Troupes puis la guerre d’Indochine où il fut blessé. Celui-ci négligea cette mission de retour au bercail, peut-être se disait-il que c’était sans importance puisque son père n’avait pas voulu s’acquitter lui-même de ce devoir bien qu’il en eut la possibilité ou alors sous l’effet de la jeunesse il n’avait pas accordé le crédit qu’il fallait à cette dernière volonté de son père. Mais en 1982, le défunt lui apparut en rêve pour lui rappeler d’aller accomplir la mission qu’il lui avait confiée avec insistance avant sa mort. Le temps agissant sur la mémoire, son fils avait oublié de quoi pouvait-il être question. Il n’en dormit pas. La parution du défunt devenait de plus en plus fréquente. Heureusement son épouse, la vieille Massaren qui vivait à Kati en 1985 et qui avait élevé Colonel Sékou Doumbia, creusa dans ses souvenirs et dénoua l’énigme. Pour elle le seul regret qu’avait son mari était de n’être pas reparti dans son village et ne cessait de dire à elle qu’il fallait qu’un jour son fils renouât avec ses origines. Pour elle il ne pouvait être question que de ce retour au pays d’origine. Bénéficiaire d’une permission spéciale, avec un Ordre de Mission dûment signé par le Président Moussa Traoré en personne, le Colonel Sékou Doumbia (Sékou Camara de son vrai nom) fit en 1982 le pèlerinage à Damaro (Guinée), son village d’origine. Il y fut reçu avec beaucoup d’honneurs. On lui fit des sacrifices de bœufs et des bénédictions. Depuis son retour à Bamako, son père défunt a cessé de lui apparaître en songe pour lui rappeler cette exaltante mission qu’il lui avait confiée et dont la non-exécution le hantait outre-tombe. Depuis le rétablissement de ces liens familiaux les visites entre les Camara de Damaro et leurs 1040


frères Camara de Bamako devenus dans les circonstances que vous connaissez sont devenues de plus en plus fréquentes. Nous espérons que Awa Mory, Awa Kalilou, Awa Mâdou (ses fils et ses filles M’Mah dite Katy, Aminata dite Mimie, Moussokoro dite Michoue, Fatou, Alima, tous enfants de feu, le Colonel Sékou Doumbia réanimeront ce flambeau qui ne doit plus s’éteindre. Il faut noter que ses filles Mah Katy, Mimie, Michoue, Fatou, Alima et son épouse, Madame Doumbia née Awa Sarr, ont effectivement renoué avec leur village d’origine en assistant en avril 2010 à l’inauguration de la majestueuse mosquée de Damaro. Elles assistent toutes ou souvent à travers une délégation étoffée, chaque année à la réunion annuelle de l’Union Fakassia de Damaro qui est une réunion qui rassemble les résidents et les ressortissants de Damaro pour engager et financer des projets de développement socioéconomiques. Toute la communauté villageoise de Damaro souhaite que leurs trois frères emboîtent leurs pas. Depuis ce retour hautement apprécié de ces cousines, leurs relations avec les Damarois du village et avec ceux de Conakry, d’Abidjan et d’ailleurs se sont considérablement enrichies et consolidées. Ce séjour fut pour elles un véritable pèlerinage. Colonel Sékou Doumbia fit deux fois le pèlerinage à Damaro avant sa mort à Bamako en 2005. Pour matérialiser et éterniser la reprise effective des contacts avec Damaro, leur village d’origine, par respect pour la mémoire de leur père, les enfants de feu Colonel Sékou Doumbia, notamment ses filles, ont entrepris en 2016, la construction d’une maison sur la parcelle attribuée à leur défunt père par les sages de Damaro. Ce qui pourra immortaliser leur père et les lier d’avantage au village. Par ailleurs, le Cheik Gaoussou Ouattara, Directeur des sociétés (SIGES, CAPA-FROID, Hôtel California), Député-Maire de l’historique ville sainte de Kong et frère aîné de Alassane Dramane Ouattara dit ADO, ancien Premier Ministre célèbre d’Houphouët Boigny (premier Président de la République de Côte d’Ivoire) puis Président de la République de Côte d’Ivoire de 2010 à 2015, m’a fait une révélation, le 23 février 1985 à son domicile de Marcory (Abidjan), encore plus frappante qui mérite d’être rapportée fidèlement. Il recevait régulièrement en rêve la visite de sa mère Hadja Ténin Coulibaly, sœur de feu Ouézin Coulibaly. Gaoussou avait certes respecté la quasi-totalité des vœux de sa mère morte en 1983 et enterrée dignement au cimetière municipal de Williamsville (Abidjan). Mais il avait oublié d’inhumer la vieille dans le caveau familial que celle-ci lui avait vivement recommandé. Elle disait en rêve à son fils: « Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour mes funérailles. Mais seulement je ne repose pas où je t’avais indiqué. Je n’en dors pas... » Avec l’autorisation du maire d’Abidjan à l’époque (1980-1985), Emmanuel Dioulo, et six mois après la mort de sa mère, Cheikh Gaoussou Ouattara, avec l’aide de quelques amis et d’un imam, exhuma celle-ci dont curieusement le corps était encore intact dans son linceul blanc et cercueil bien que non formolé, pour la réinhumer à la place indiquée par la défunte. Satisfaite, la vieille ne lui apparut plus en rêve pour lui rappeler l’accomplissement de sa dernière volonté. Mais depuis, sa tombe fait l’objet d’une grande vénération de la part de son fils Gaoussou et de ses amis qui avaient connu Hadja Ténin Coulibaly qui était une musulmane pieuse et généreuse. Elle avait annoncé la date exacte de sa mort, trois mois auparavant, jour pour jour. Nous nous limitons à ces deux exemples vécus par tiers et que les sceptiques et incrédules peuvent vérifier respectivement à Bamako et à Abidjan. En tout cas nous avons le devoir d’accomplir toutes les recommandations que nous font les parents et les amis avant leur mort. Le respect absolu de la dernière volonté des morts est une obligation morale qui incombe à leurs héritiers et à leurs alliés.

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(14) - Le sacrifice sanglant: Selon Paul Mercier « Le sacrifice est un moment essentiel de la plupart des rites, c’est le point culminant. Il ponctue le déroulement de toutes les cérémonies religieuses complexes. En immolant la victime, on libère la force vitale contenue dans son sang, en vue d’une utilisation précieuse. En général, le sang est répandu sur un autel, qu’il renforce, par son intermédiaire, il nourrit la divinité qui s’y est fixé. Celle qui a aussi été répandu sur le sacrificateur, sur le demandeur ou sur le groupe des participants, va faire bénéficier ceux-ci d’une part de sa force divine. Le sacrifice est donc, entre les hommes et les dieux, échange de bons procédés: les uns ont besoin des autres, et réciproquement. Hommes et Dieux communient d’ailleurs dans le corps de la victime, dont les seconds ont une part - outre le sang, souvent le cœur et le foie -, tandis que les premiers, selon leur âge, leur place dans le système de parenté ou dans toute autre hiérarchie, en reçoivent des fragments précisément définis. Qu’un homme soit affaibli par la maladie, par la rupture d’un interdit, par une offense aux ancêtres ou à Dieu, qu’un groupe doive entreprendre une action difficile-ce peut être l’ouverture d’une nouvelle année de travaux ou l’installation dans un nouveau lieu-ou soit menacé d’un danger, que l’on veuille consacrer dans un nouvel autel ou conduire par l’initiation à un nouveau statut, des sacrifices sont accomplis, et minutieusement réglementés-quant à la nature de la victime, à son sexe, à sa couleur, aux conditions de son immolation, à la manière dont son sang est répandu, à l’utilisation de ses restes. Et le sacrifice a de multiples aspects secondaires: entre autres, il est souvent acte divinatoire-la victime doit mourir lentement, et ses derniers mouvements sont soigneusement interprétés. Les victimes sont la plupart du temps des animaux domestiques, poulets, moutons, bœufs selon l’importance de la cérémonie, l’ampleur de la redistribution de force vitale qu’il faut effectuer. Les chasseurs sacrifient quelquefois des animaux sauvages. Mais dans nombre de sociétés africaines, des circonstances exceptionnelles, ou certains cultes, exigeaient les victimes humaines. En cas de grave danger affectant tout le pays, les Bambara du Mali sacrifient un albinos - que ses caractères physiques selon le mythe, liaient aux puissances des eaux -, disposant des différentes parties de son corps des règles précises, consommant parfois certaines. Chez les anciens Mandingues comme chez les anciens Dahoméens, des sacrifices humains accompagnaient la fondation d’une ville, d’un palais, la construction d’un rempart (a), assurant leur pérennité. Mais ce sont surtout les cultes royaux qui en faisaient systématiquement usage. Dans la région du Zambèze, chez les Choma, et les autres peuples qui constituèrent au Moyen Âge l’empire du Monomotapa, on sacrifiait des hommes sur les tombes des ancêtres du roi. Dans les royaumes de la région du Bénin, non seulement des épouses et des serviteurs accompagnaient le roi dans la mort, mais le culte des ancêtres royaux demandait l’immolation d’un grand nombre de victimes, en général prisonniers de guerres ou condamnés, qui portaient aux grands morts les messages du souverain régnant. Il faut mettre à part l’immolation du roi lui-même, chez des peuples qui ne concevaient pas qu’il pût perdre ses forces par la maladie ou la vieillesse sans remettre en cause l’équilibre et la fécondité du monde et de la société: sa mort ritualisée, autant que son remplacement par un homme plus vigoureux, les rétablissait » (a) Au Mali, la tradition orale soutient que les rois du Kénédougou ont placé dans les remparts de la forteresse de Sikasso plusieurs personnes vivantes pendant la construction du célèbre tata du roi Tiéba Traoré. (Paul Mercier, Directeur d’Études à l’École Pratique des Hautes Études, « Dictionnaire des civilisations africaines, » Éditeur Fernand Hazan, p. 366367). (15) - Cette étude de Ray-Autra complète la nôtre sur le sacrifice. Si l’on y croit on peut donc tenir compte des jours fastes pour faire des sacrifices.

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(16) - Dotsé Norinyo Etsé, togolais, auteur d’un mémoire sur le pouvoir traditionnel chez les Danyi. Voir « Bingo » N° 381 d’octobre 1984. (17) - Mamby Sidibé, auteur de « Histoire du Mali, » « Essor » de 1963 et Mody Sékènè Cissoko, « Histoire de l’Afrique Occidentale, » Édition Présence Africaine, p. 37. (18) - Cheikh Anta Diop, « Histoire de l’Afrique Occidentale » par Mody Sèkènè Cissoko, Édition Présence Africaine, p. 37. (19) - « RETOUR AUX SOURCES AVEC LE SÒSÒLIKÈLA OU LE CONTESTATAIRE » par Mamadou Traoré Ray-Autra, instituteur, pionnier de l’enseignement en Guinée et également pionnier très actif de la lutte syndicale et politique menée contre le colonialisme tant en Guinée qu’au Dahomey (actuel Bénin). Ray-Autra a été Directeur de l’Institut National de Recherches et de Documentations de Guinée. Rescapé du sinistre camp Boiro des détenus politiques de Sékou Touré où il fit quatre ans de bagne, il prit le chemin de l’exil en 1970. Établi à Dakar, il bénéficia, grâce à l’appui du Président Léopold Sédar Senghor, d’un contrat illimité à l’Institut Fondamental d’Afrique Noir (IFAN) où il travailla comme chercheur en ethnosociologie. Dans le cadre de ses activités de recherches au Département d’Anthropologie Culturelle à l’IFAN, il a écrit plusieurs articles dont certains ont été publiés dans les colonnes du mensuel africain « Bingo » auquel il collaborait. En 1983 il préparait une thèse de doctorat d’État sur les députés africains au Palais Bourbon. Malheureusement il mourut à Abidjan le 14 février 1990. Son épouse Hadja Séré Damaro Camara et ses héritiers ont transféré ses archives, ses manuscrits encore inédits et sa bibliothèque à Conakry. Madame Ray-Autra, née Hadja Moîma Séré Damaro Camara, fille de l’auteur du présent ouvrage est décédée en mars 2016 au quartier ENTA FASSA dans la commune de Matoto (Conakry). Paix à son âme. AMEN! (20) - Massa Makan Diabaté, sociologue et historien malien, auteur de plusieurs ouvrages.

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CHAPITRE X LES FOULAH DE BEYLA (GUINÉE) OU LES BASSANNO-FOULAH ARRIVÉE DES FOULAH PAR ÉTAPES ET PAR FRACTIONS AU XVIIIème SIÈCLE PAYS D’ORIGINE Le Fouta Djallon, le Ouassoulou et le Biriko, dans les temps reculés, furent le berceau des Foulah actuels du cercle de Beyla. (1) On ne peut fixer à priori le nom des villages précis d’où ils partirent pour le Konya. Toutefois, la tradition rapporte que les aïeux des Foulah des cercles de Beyla, de Kankan et de Kouroussa vinrent du Fouta Djallon, du Ouassoulou et du Biriko à une date qui se perd dans la nuit des temps. Une étude plus exhaustive par des spécialistes dans cette direction, pourrait mieux éclairer ces pans d’ombre. CAUSE DES GUERRES FRATRICIDES INTESTINES Les mésententes entre les villages voisins décidèrent certaines tribus à venir vers les rives du Tinkisso par étapes, sans aucun esprit de conquête. Depuis lors, ils évoluèrent progressivement vers les régions baignées par le Milo. Puis ils se localisèrent d’abord sur les deux rives du Milo avant de s’éparpiller vers le Sabadou Baranama et le Ouassoulou pour gagner, plutard avec leurs troupeaux, toutes les provinces du Konya (ancien cercle de Beyla). FIXATIONS DIVERSES Paté Sidibé, Massadioumé Dimissi, Misa Sidibé, Misabou Sangaré... suivis de leurs proches s’établirent initialement sur les rives du Tinkisso, dans le canton de Oulada (cercle de Kouroussa). Ils se propagèrent dans les pays environnants. Les uns s’installèrent à Koba, dans le canton de Batè (cercle de Kankan) et les autres à Bôdou dans le canton de Gondo (cercle de Kankan). Une grande fraction se dirigea vers le Ouassoulou, notamment dans les villages de Kokono, Nianko... D’autres partirent vers le Toron (cercle de Kankan) d’où ils furent chassés pour les régions situées vers la source du Milo et du Dion. Depuis, ils prirent le surnom de « Bassanno-Foulah ». Les autres Foulah restèrent à Gondo (Kankan) d’où ils furent chassés à la suite des guerres partisanes et intestines livrées par Saran Souaré Mory Bérété. Les Foulah allèrent chercher asile dans d’autres pays plus calmes. Ils partirent d’ailleurs par petites fractions. Ce furent:

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L’ancêtre ou le pionnier le plus connu de ce mouvement migratoire peul fut Moussa Sidibé, qui eut sept fils à Diamona (Toron, dans Kankan). Ceux-ci se répandirent plus tard dans le cercle de Beyla. 1°) - Souleymane Sidibé dont les descendants se retrouvent à Diaraguéréla, Faboudou et Sagnola (villages du canton de Simandou, Beyla). 2°) - Kodio Sidibé dont les descendants sont à Niakorodou, Faboudou (Simandou), Siraférédou (Guirila), Dougoubadou-Foulah (Béla-Faranah), Missiboro-Foulah (Gouana ou Gbana) qui sont des villages et des cantons du cercle de Beyla, en Guinée. 3°) - Kaly Sidibé dont les descendants sont très peu nombreux et se rencontrent à Faboudou (Simandou, Beyla). 4°) - Birama Sidibé dont les descendants sont à Faboudou (Simandou). 5°) - Diènè Sidibé, le cadet, fut sans postérité. 6°) - Kaman Dramani Sidibé dont les descendants sont à Orofilakoro (Béla-Faranah, Beyla). 7°) - Kaman Soulémana Sidibé dont les descendants sont à Orofilakoro (Béla-Faranah, cercle de Beyla). 8°) - Quant aux descendants de Massabori Sangaré, ils sont ainsi divisés: o Une partie dans le Béla-Faranah (village de Orofilakoro). o D’autres à Morikindou dans le canton de Guirila. Quelques temps plus tard, d’autres Sangaré vinrent s’établir, eux-aussi, dans le cercle de Beyla, à côté de leurs devanciers. Les descendants de Massabori Sangaré se rencontrent de nos jours à: o Sagnola (canton de Simandou). o Balanfè (canton de Guirila). o Orofilakoro (canton de Béla-Faranah). o Kesséridou-Foulah (canton de Gouana ou Gbana). o Sagnola-Binkoro (canton de Kérouané). o Fila Moussa et Toumani Diallo dont les descendants, venant du Ouassoulou, s’établirent un peu partout, notamment à Faboudou (Simandou) et à Orofilakoro (Béla-Faranah). Chaque tribu, chaque clan, chaque fraction... se confia à un homme du pays hôte en vue et assez puissant pour pouvoir les protéger ainsi que leurs biens. C’est ainsi que les Foulah habitant actuellement Niakorodou, Narinkabadou, Moridou, Sassadou, Diaraguéréla, N’Banidou, Djéridou… se confièrent, à la fin du XVIIème siècle ou au début du XVIIIème siècle, à Diarakoro Kéoulèn Camara de Damaro, dans le canton de Simandou (Beyla). Ceux de Diaraguéréla se mirent plus tard (XVIIIème siècle) sous la protection de Fata Kéoulèn Camara de Damaro, roi du Simandou. Quant aux émigrants foulahs en direction de l’Est, ils furent accueillis par Dougbè Kaba Koné, roi de la Province de Béla-Faranah (Beyla). Dans tous les cas ces émigrants prirent soin de s’unir aux maîtres du pays par des serments d’allégeance réciproque inviolable qui se sont mués en relation 1045


de sanankunya. Ceci est valable entre les Camara du Konya et tous les Foulah de cette région. C’est à Kignègbènina (Simandou) qu’eut lieu la dispersion générale des Foulah dans le cercle de Beyla, sous le règne de Diarakoro Kéoulèn Camara de Damaro. À l’époque, leur chef était Nadiouloudian Sidibé. Le village Camara de Kissidou (canton de Simandou, cercle de Beyla) fut le point de départ de certains Foulah pour créer Niakorodou. Voici la semence des Sidibé: NOMS DESCENDANTS VILLAGES Niadouloudian Malato Kaba et Faboudou et Sidibé ses frères Niakorodou Binè Mory Sidibé Alpha Faboudou Moriba Sidibé Misa Niakorodou Bérété Mory Sidibé Ténémaro

CANTONS Simandou

Fila Sidibé

Simandou

Kèmoko

Diaraguéréla

Simandou Simandou Simandou

Depuis leur arrivée, ils purent établir des relations de plaisanteries (sanankunya) avec les Camara, maîtres de la plupart des régions du Konya, notamment avec ceux du Simandou (Damaro). Pour une question évidente de sécurité de leur propre personne et de leurs biens, ils ne voulurent pas créer leurs villages loin de ceux des Camara, leurs protecteurs. En tout cas ceux-ci avaient l’obligation de les protéger avec leur troupeaux. C’est ainsi que ceux désignés par le terme FILA SI NAANI, c’est à dire les Foulah issus des grands clans que sont les Sidibé, les Diallo, les Sangaré et les Diakité, autrement appelés Foulah Si Naani, décidèrent de ne s’installer qu’en des endroits d’où ils peuvent apercevoir les cases de Damaro, afin d’être à l’abri des agressions et des pillages des aventuriers. Ce pacte de bon voisinage et de protection mutuelle fut conclu par les précurseurs foulahs et Diarokoro Kéoulèn Camara, roi du Simandou au XVIIIème siècle. Ils occupent donc la zone sud du bassin du mont Simandou, jusqu’au-delà du fleuve Dion qui baigne la région. Actuellement, par les nombreux liens de mariages mixtes établis entre les deux communautés, une synergie d’intérêts réciproques et par une parfaite harmonie des mœurs, ils ont pu créer un esprit de bonne cohabitation, de tolérance à telle enseigne que la méfiance et les clivages d’antan n’existent plus entre les deux communautés. Aussi, la parfaite assimilation de la culture et de la langue mandingues a permis de réaliser un brassage tel que les Foulah sont assimilés à leurs protecteurs du terroir et ont perdu pratiquement tout de leur culture ou de leur FOULAHYA. Il faut signaler en conclusion et avec insistance que, suite à cette hospitalité africaine, il s’est établi de solides relations de sanankunya (parente à plaisanteries sans limite) entre ces Foulah et les Camara du Simandou et du Konya, détenteurs du pouvoir dans cette région depuis le XIVème siècle, après l’intronisation de l’ancêtre Farin Kaman Camara à Moussadou. Par ailleurs, 1046


les relations matrimoniales bilatérales sont venues consolider fondamentalement l’esprit de bon voisinage qui règne entre les deux communautés. Cette relation de tolérance et de protection mutuelle s’élargit aux Diallo, aux Sangaré, aux Diakité et a tous les Foulah du Bassanno, ou disons du Konya. Dans la pratique quotidienne de leur sanankunya avec les Camara, les Peul du Konya et ceux du Ouassoulou se moquent amèrement des Camara en leur rappelant que du fait que pour être sauvé de la persécution de ses ennemis, leur ancêtre sauva celui-ci d’une mort certaine en le cachant sous les bottes de fonio (appelées « FONI KAMA » ou « FONI BUU ») et que par conséquent le patriarche des Camara ne peut s’appeler que par le nom FONI-KAMA = FONIKAMA = FONIKAMAN qu’ils substituent à « FARIN KAMAN », le vrai nom du fugitif, l’ancêtre mythique des CAMARA de DAMARO en particulier et de ceux de cette contrée en général. Il faut noter que l’histoire ou la légende ne précise pas le lieu et la période où a eu lieu cette aventure ou ce sauvetage inespéré du patriarche des Camara. Elle ne retient que les faits, leurs circonstances et leurs conséquences. Il faut donc noter et rappeler que pour la compréhension de l’histoire du Konya, les Foulah sont aujourd’hui les principaux sanankun des Camara qui furent également leurs premiers hôtes dans le Konya et qui eurent la bienveillance de les accueillir avec leurs troupeaux et de les protéger contre les prédateurs et contre les ennemis barbares. Le pacte librement convenu et issu de cette rencontre fortuite du fugitif avec son sauveur est de nos jours rigoureusement respecté dans tout le Konya. NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - C’est-à-dire les Foulah du haut fleuve. Leur domaine territorial part de Bassanno (canton du même nom, cercle de Kankan) sur les rives du Milo aux cantons du cercle de Beyla où les Foulah sont très nombreux. Ils y pratiquent aussi bien l’élevage que l’agriculture. Ils ont la prédilection de créer de petits villages ou hameaux de quelques quatre à cinq concessions. Question de pâturage, car il s’agit de l’élevage extensif nécessitant de l’espace. Ils ont assimilé la culture mandingue et parlent cette langue avec une intonation particulière d’ailleurs difficile à imiter. Dans ce milieu foulah, le mariage endogamique est plus courant. L’accumulation de bêtes constitue le signe le plus évident de richesse et confère à toute personne propriétaire de nombreux bétails une prestance remarquable ou une suprématie incontestable dans son environnement social. Mais en dépit du grand nombre de bœufs, de moutons, de chèvres... qu’il puisse posséder, le Foulah est très avare et ne se dessaisit de ses animaux qu’à l’occasion de son mariage ou de celui de ses fils ou de ses frères et parfois de ses neveux orphelins. Les parents d’une jeune fille foulah belle demandaient facilement quinze à vingt bœufs comme dot au prétendant de celle-ci. Ceux qui ont beaucoup de filles sont plus prospères, du moins apparemment, car le Foulah, même nanti, mange mal (consomme rarement la viande), dort souvent sur une simple peau de bœuf parfois mal tannée et il est aussi mal vêtu.

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De nos jours, ils embrassent toutes les autres activités professionnelles (maçonnerie, menuiserie, chauffeur, mécanique, couture, commerce...). L’élevage n’est donc plus leur seul apanage, car les autochtones du Konya en ont fait, eux aussi, une prédilection. A présent le brassage des deux communautés par les liens réciproques de mariage est si harmonieux que ces Foulah sont pleinement intégrés et imbus de la culture mandingue qu’ils ont si bien assimilée à telle enseigne qu’ils ne parlent plus leur langue originelle, le Peul du Fouta ou du Macina. Cependant ils se reconnaissent facilement par leur accent particulier en parlant le Mandingue qu’ils ont adopté et qui est donc la langue commune du terroir. Le destin des deux communautés est commun et indissociable.

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CHAPITRE XI LES KAMÈ OU KOUROUMA OU DOUMBIA OU FAKOLISI DE LA GUINÉE FORESTIÈRE (BEYLA, KÉROUANÉ, MACENTA, LIBÉRIA…) L’aïeul le plus illustre des Kamè ou Kourouma ou Doumbia est bien Fakoli Kourouma surnommé Fakoli Daba (Fakoli à la grande bouche, grand et beau parleur...) ou encore Dyamidian Koly… Il eut la réputation d’être un vaillant guerrier dont l’intrépidité reste légendaire à travers les siècles. Il fut aussi un très puissant féticheur et sorcier qui semait la terreur autour de lui. Il fut également un très grand médecin ou guérisseur qui connaissait parfaitement les vertus curatives ou les secrets des plantes. En la matière il reste une référence. Ses descendants conservent encore cette réputation de grands féticheurs et de sorciers célèbres et font l’objet de raillerie de la part de leurs alliés (sanankun) en plaisanteries dont, entre autres, les Camara ou Diomandé et les Fofana. Leurs sanankun varient suivant les régions. En effet leurs sanankun ici ne sont pas forcément les mêmes là. Ceci est d’ailleurs valable pour toutes les familles mandingues. Fakoli Kourouma était donc très craint dans son environnement social. Pour avoir été spolié de sa femme par son oncle, le redoutable Soumangourou Kanté ou Soumaoro Kanté, roi sorcier et féticheur du royaume de Sosso, il accepta de pactiser avec Soundjata Keita (futur empereur du Mali) pour abattre Soumaoro Kanté le tyran. En prévision de cette guerre de libération du Mali de la tutelle du sanguinaire Soumaoro Kanté, Fakoli Doumbia déserta l’armée de Sosso pour constituer une armée d’élites dont l’ardeur combattive et le patriotisme débarrassèrent le pays du plus cruel roi, lors de la fameuse bataille de Kirina en 1235. L’issue heureuse de cette bataille vit l’éclosion du génie militaire de Soundjata Keita dont l’étoile ne devait plus cesser de scintiller dans le firmament du Soudan Occidental. Ainsi naquit le grand et vaste Empire du Mali avec la soumission de plusieurs royaumes et les diverses alliances que Soundjata sut nouer. Du Manden, Fakoli Kourouma vint à Tina pour ce pays où pousse l’arbre manaa qui lui aurait été donné par le grand Soundjata Keita. Le manaa sert de cure dents très usité par les Mandingues. Comme le manaa pour les dents, Fakoli Kourouma avait nettoyé le Mandingue de tout ce qui portait ombrage au rayonnement du Mandingue, comme Soumaoro Kanté. Avec le manaa, donc le cure dents, il avait reçu la mission de continuer à assainir les régions troublées et d’instaurer la paix en étalant le pouvoir de Soundjata Keita partout où pousse le manaa. L’influence de Fakoli devait donc englober toutes les régions de savane propices au manaa, jusqu’à la lisière de la forêt.

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ARBRE GÉNÉALOGIQUE DES DESCENDANTS DE FAKOLI KOUROUMA DANS LE KONYA (BEYLA, MACENTA, KÉROUANÉ, N’ZÉRÉKORÉ...) FEMMES FILS DE DE FAKOLI FAKOLI Banakin Namin

Massé Dian

Fémébou Faboï Famoro

Monzomba et Balla Fa Touman

PETITSVILLAGES FILS CRÉÉS DE FAKOLI

Badou et Konza Faboï Férégbè

CANTONS CERCLES

Sanfila Fouala Niantoumandou et Féréouala (détruit)

Guirila Guirila Guirila Guirila

Beyla Beyla Beyla Beyla

Farabana Férégbèdou

Guirila Guirila Guirila Guirila

Beyla Beyla Beyla Beyla

Toumani Kamè dont les descendants se retrouvent de nos jours dans les cercles de Beyla, Macenta (Macenta ville et villages environnants), de Kérouané (Gbabadou, Timindou...) et de N’Zérékoré (Gbaya, Zoota...)... voir suite de l’histoire. La légende courante ou l’histoire fait partir les Kourouma du Konya et de la région forestière de Norassoba d’abord, puis de Barama, à une date qui reste à déterminer. À partir de ce moment, les Kourouma (Kamè, Doumbia) vinrent plus à l’Ouest et s’établirent à Nérékoro, près de Moussadou, dans l’ancien cercle de Beyla. Certains des enfants et petits-enfants de Fakoli restèrent à Tina (canton de Worodou, cercle de Beyla) y prospérèrent et se propagèrent dans les villages voisins. D’autres créèrent des agglomérations importantes. Voici une première semence de cette grande famille Kamè ou Kourouma ou Doumbia dans la Guinée Forestière. Le tableau ci-dessous est centré sur Toumani Kamè et Fémébou Kourouma ou Fémébou Kourouma, tous fils de Fakoli Kourouma, qui vont s’éparpiller dans le Konya (Beyla, Macenta, Kérouané...) et dans toute la région forestière (N’Zérékoré, Libéria, Sierra Leone).

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PÈRES

FILS

PETITS- VILLAGES FILS

CANTONS

CERCLES

Monzomba

Séco

Diakolidou

Konya

Beyla

Manakoro N’Zoota Gbaya Diagbalé

Konya N’Zoota Gbaya Diagbalé

Beyla N’Zérékoré N’Zérékoré N’Zérékoré

Kérouané Kérouané

Beyla Beyla

Massamo

Toumani Kamè Faboï Moriba

Féré

Koly

Blagnima Fémébou Kamè Kéoulèn Diarakoro ? ?

Diogbo

Sériarama

Kèmo Vémi Missia

?

Misakoma Gbabadou Timindou Manifadou Diodou et Macenta en provenance de Gbabadou Kouloubadou GbabadouTolomasso Diakolidou Gbakédou Gbakédou Gbakédou Gbakédou Gbakédou Diaradou Gbabadou

Macenta

Kérouané Konya

Macenta Beyla

Konya Gbana Gbana Gbana Gbana Gbana Karagba Kérouané

Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla Beyla

MOUVEMENTS MIGRATOIRES DES FAKOLISI (KOUROUMA, KAMÈ, DOUMBIA) EN GUINÉE FORESTIÈRE À PARTIR DE MOUSSADOU Les Kourouma ou Kamè ou Doumbia sont les fondateurs dans le Konya du prestigieux village historique de Moussadou (Beyla, Guinée) qui devint leur sanctuaire ainsi que celui de leurs neveux, les Camara, à travers le lignage de Farin Kaman Camara. Il faut rappeler que Kéré Dama, la mère de Farin Kaman Camara, était Kourouma. C’était à titre de neveu que les Kourouma de Moussadou avaient reçu et protégé à Moussadou Farin Kaman Camara, après sa fuite de Diémou et du Mahou où ses frères voulaient lui ôter la vie pour avoir gardé par dévers lui l’héritage ancestral (une corne fétiche protectrice) contrairement à la tradition qui voulait que sa garde ne devait être assurée que par les premiers fils du clan. Les Kourouma, protecteurs des Camara, restèrent à Moussadou par respect pour la mémoire de leurs ancêtres Zoo Moussa Kamè et Toumani Kamè. Mais plus tard, certains, poussés par l’esprit d’aventure, quittèrent Moussadou par groupe, suivant leurs affinités familiales ou 1051


professionnelles. Ce furent d’abord les fils de Toumani Kamè. Il faut rappeler que le conflit qui avait opposé à Moussadou les Musulmans et les fétiches avait abouti à l’expulsion de ces derniers dont les plus éminents étaient les Kourouma. Même de nos jours, les Kourouma sont très réputés en fétichisme et en sorcellerie, à l’image de leurs ancêtres, le preux et l’indomptable Fakoli Kourouma dit Fakoli Daba, Dyamidian Koly. Suivons l’expansion des fils de Toumani Kamè:

1) - Le premier fils de Toumani Kamè vint à dix kilomètres de Moussadou avec quelques-uns de ses oncles et alliés, créa le village de Diakolidou devenu plus tard la ville de Beyla. Une partie de son escorte poussa plus tard vers l’Ouest pour atteindre la lisière de la forêt et créa le village de Manakoro (cercle de Beyla). 2) - Le second fils suivit son oncle maternel Zoo Moussa Kamè à N’zoota et créa le village de Gbaya (cercle de N’Zérékoré, canton de Ziabalé). Leurs descendants sont aujourd’hui Guèrzé et conservent encore le patronyme 1052


Kourouma dont la famille de Koly Kourouma, ex-chef de canton de Gbaya et père du chorégraphe et artiste Souleymane Koly de la troupe théâtrale Kotéba d’Abidjan, Aboubacar Koly Kourouma. 3) - Le troisième, Faboï Kamè, a ses descendants à Fouala dans le canton de Guirila (Beyla). 4) - Le quatrième et 5) - Le cinquième suivirent leur oncle Cé Brama Camara dans la région de Kérouané. Leurs descendants se fixèrent initialement à Timindou, Kouloubadou, Gbabadou, Gbangbandou, Tolomasso, Manifadou (canton de Kérouané, cercle de Beyla). Plus tard certains de leurs descendants en ligne directe émigrèrent dans la région forestière et formèrent, à partir de Gbabadou, le groupement Kourouma ou Doumbia de la ville de Macenta créée par Soni Ténin Bakary Kourouma avec l’autorisation, les bénédictions et la protection bienveillante des Toma et des Camara de Bonkomadou. Mais progressivement ils se rendirent maîtres absolus de cette contrée, en créant l’actuelle ville de Macenta. 6) - Le sixième resta à Moussadou et ses descendants y demeurent encore de nos jours. Moussadou est donc désormais peuplé surtout de Kourouma (Kamè, Doumbia) et de Doré, qui vont s’y maintenir, y prospérer et continuer à respecter les lois consensuelles conçues et appliquées par Farin Kaman Camara. À côté d’eux se trouvent les Kané, les Cissé, les Chérif, les Diakité, les Soumahoro ou Koésia ou Doré... Les Kourouma seraient venus de Norassoba (Kankan) pour Baranama (Sabadou, dans Kankan) d’où ils partir plus tard pour atteindre Moussadou dans le Konya en traversant le Toron. Des chercheurs pourraient un jour exploiter cette piste migratoire pour remonter jusqu’à l’ancêtre mythique Fakoli Kourouma le téméraire qui a largement contribué, dans les rangs de Soundjata Keita, à la défaite de Soumaoro Kanté à la bataille de Kirina en 1235.

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L’HISTOIRE DES KOUROUMA DE MACENTA: L’ITINÉRAIRE ET LA GÉNÉALOGIE DES KOUROUMA À PARTIR DE MOUSSADOU ET DE GBABADOU (KÉROUANÉ, GUINÉE) (1) ----------o---------L’HISTOIRE TUMULTUEUSE DE SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA, SELON FATA BAKARY DIAN DIT KABILA ----------o---------Cette étude est essentiellement axée sur la personnalité et la lignée ascendante et descendante de Soni Ténin Bakary Kourouma, le fondateur de la ville de Macenta vers 1870. (2) Elle campe aussi de façon sommaire, celle de son cousin Alaphai Kourouma dont l’immigration de Gbabadou (Kérouané, Guinée) dans la région Forestière est plus récente (fin XIXème siècle). Les deux lignages sont Balla-Kamèsi ou descendants de Balla Kamè du village de Gbabadou (Kérouané, Guinée). Ils sont de nos jours unifiés voire confondus en un seul kabila (clan) sous l’autorité d’un seul et unique patriarche. Le plus âgé du moment devient doyen - sotii kèmòò, patriarche incontesté - peu importe son clan d’origine. Donc cette fonction est alternative. C’est le droit d’ainesse qui prévaut pour y accéder. À partir du manuscrit de Damaro Djiguiba Camara, on peut remonter jusqu’au village de Moussadou, berceau des grandes familles Malinké du Konya (Beyla, Guinée) qui fut créé par Zoo Moussa Kamè. Il faut rappeler que les Kamè (Kourouma ou Doumbia) s’étaient volontairement dessaisis du commandement au XVIème siècle en faveur de leur neveu Farin Kaman Camara, expulsé du Maou (Côte d’Ivoire) et de Diémou (dans le Worodougou, Beyla) par ses frères Diomandé, pour avoir osé garder par dévers lui l’héritage ancestral (une prestigieuse corne qui portait bonheur), contrairement à la tradition qui, depuis des générations, laissait la garde de cette corne qu’aux seuls fils aînés. Après l’islamisation de Moussadou, les marabouts incitèrent le Mansa Farin Kaman Camara d’expulser de la cité tous les fétichistes et païens. C’est ainsi que beaucoup de descendants de Fakoli Kourouma furent contraints d’abandonner leur sanctuaire au XVIIème siècle (selon Yves Person). • Un premier groupe partit au Sud pour Diakolidou et Manakoro dont une fraction poussa jusqu’à N’Zérékoré pour créer au cœur de la forêt les villages de Gbaya, Zoota... qui sont aujourd’hui totalement assimilés aux Guèrzé, dont la famille du chef de canton de Gbaya, feu Koly Kourouma. • Un deuxième groupe se dirigea à l’Est pour se stabiliser dans les cantons de Gbana, Karagba, Guirila... (Région de Beyla). • La troisième semence dans un mouvement migratoire qui nous 1054


intéresse dans la présente étude partit de Diakolidou, remonta à l’Ouest, traversa le col de Kanikokè (Nionsomoridou, Beyla) et alla fonder les villages de Timindou, Gbabadou, Tolomasso... (Kérouané, Guinée). Les clans constituant cette vague débordèrent ces villages pour s’éparpiller ensuite dans la région préforestière et forestière de la Guinée et atteignirent ensuite le Libéria et la Sierra Leone. Ceux qui ont accepté de se convertir à l’Islam sont restés à Moussadou et leurs descendants s’y trouvent encore de nos jours. Selon une version de la tradition orale de Macenta, qui reste à vérifier, les Kourouma seraient venus de Norassoba (Siguiri, Guinée) pour Moussadou. Une étude locale pourrait certainement nous situer sur leurs itinéraires de Norassoba à Moussadou en passant très certainement par le Sabadou - région à forte concentration Kourouma - et en dégager une généalogie qui pourrait remonter jusqu’à Fakoli Kourouma voire plus haut, car Norassoba est en plein cœur du Mandingue. Par contre, selon la version recueillie en 1989 de Fata Bakary Dian Kourouma, chargé de mission de la grande famille Kourouma de Macenta (Kamèla kabila), notre premier maillon connu avec certitude à partir de Gbabadou est Moriba Kamè. Il faut noter ici que la tradition locale retient que les Kourouma sont venus de Timindou pour créer Gbabadou. Ce sont donc deux villages situés à moins d’une journée de marche à pieds, l’un de l’autre dans l’ex-canton de Kérouané. Timindou a acquis une très grande réputation dans le fétichisme et dans la sorcellerie. Cet ancêtre des Kamè (Kourouma ou Doumbia) était un colporteur. Il faut noter que dans toute la région forestière, les Kourouma et les Doumbia peuvent s’appeler indifféremment Kamè, et cela depuis leur séjour à Moussadou, village fondé par leur aïeul Toumani Moussa Kamè. Comme il en avait l’habitude, cet ancêtre partit de Gbabadou pour vendre des bœufs dans les marchés de la région forestière dont les plus actifs étaient: o Lofèlo ou Sibiribaro (Konyanko, Kérouané) o Binikala (Duama, à la porte du Kolibirama, Macenta) o Kondébadou (Guéckédou) Comme tant d’autres, il y troquait les produits de la savane (tissus, animaux, gbènzèn...) contre ceux de la forêt (huile de palme, cola...). Lors d’une de ses randonnées, il séjourna longtemps à Binikala (fin XVIIIème siècle) dans l’espoir de vendre le seul bœuf qui lui restait dans les bras pour certainement une question de prix. Las d’amener chaque jour au pâturage ce seul bœuf qui ne se vendait pas, il renoua avec son ancien métier de tisserand qu’il maîtrisait tant et si bien. Pour pratiquer cette activité, il demanda à ses hôtes de l’aider à trouver du coton à filer. Ce fut Masona Keita, une fille pubère de la famille Keita de Binikala, qui lui offrit gracieusement cette matière première avec bien entendu l’autorisation de ses parents. Celle-ci était vivement passionnée par le métier à tisser, de la production du coton à la confection des habits en passant 1055


par le tissage. Elle suivit avec intérêt le travail de cet étranger. Au cours de ses nombreuses visites quotidiennes, les deux sympathisèrent et finirent par s’aimer mutuellement. Renseignements pris sur la situation matrimoniale de Masona Keita qui était célibataire non fiancée et après avoir jaugé ses chances de réussite, Moriba Kamè manifesta le désir de l’épouser. Grâce à l’intervention des notables de Binikala qui avaient adopté ce courtier, la procédure de mariage fut engagée avec succès. Moriba Kamè donna alors l’unique bœuf, dont la mévente l’avait longtemps retenu à Binikala, comme acompte de la dot exigée par les beaux-parents. Le paiement du reliquat fut différé à sa demande. Le mariage fut alors célébré. Masona fut très chanceuse en tombant en grossesse peu après le mariage. Sans attendre le terme de cette grossesse qui évolua normalement, Moriba Kamè prit congé de sa femme et de ses beaux-parents pour se rendre à Gbabadou, son village natal, pour des raisons qui nous restent encore inconnues. On retient simplement qu’il ne retourna plus jamais à Binikala. En effet bien qu’informé de l’accouchement de sa femme d’un garçon qui fut nommé Sona Karamo (Sona Kaman pour d’autres), Moriba Kamè fut définitivement retenu à Gbabadou et ne connut jamais son fils. En secondes noces, Masona Keita se remaria à un Camara. Sona Karamo Kamè grandit donc dans sa famille maternelle à Binikala. Devenu majeur, il prit femme qui donna naissance à un garçon qu’il nomma Moriba Kamè, en souvenir du nom de son père Moriba Kamè qu’il ne connut jamais et dont il voulait perpétuer le nom. Moriba Kamè, fils de Sona Karamo, quitta Binikala plus tard pour aller dans le Koodou, en pays Toma, où il créa le village de Missagbèdou que les Toma appelaient Moribata (village crée par Moriba, chez Moriba). Missagbèdou fut abandonné en 1907 et ses ruines se trouvent à la hauteur de Fadou, sur la route de Guéckédougou, à quelques 18 km de l’actuelle ville de Macenta qui l’a relayé en tant que agglomération à prédominance Kamè (Kourouma ou Doumbia). À Fadou, village des Camara, était mariée Soni Ténin Camara, originaire de Bonkomadou, village situé à 7 km de la ville de Macenta, et fondé bien avant 1870 (3) par Moriba-Gboto Camara, fils de Diataman Camara et frère de Magna Soni Camara qui était le père de Soni Ténin Camara. Le mari de Soni Ténin Camara était un Kané de Morioulèndou. Celui-ci traîna longtemps une maladie qui finit par l’emporter prématurément. Se sentant condamné à mourir et abandonné par tous les siens, le malade conseilla vivement à sa femme de rejoindre immédiatement les siens à Bonkomadou avec son fils, dès après ses obsèques. Il était convaincu que personne dans sa famille ne prendrait en charge ni sa femme, ni son enfant. En effet cette dernière volonté du défunt fut respectée sans la moindre opposition des parents de celui-ci. Curieusement, aucun membre de sa famille ne fit preuve de solidarité et de compassion en recueillant la veuve et l’orphelin. Nous ignorons les raisons de cette défaillance collective ou de cette attitude répréhensible qui était rare et paradoxale en Afrique, notamment en pays mandingue. 1056


Après la période de veuvage (4 mois et 10 jours chez les musulmans) à Bonkomandou, Soni Ténin pratiqua le commerce sur les marchés voisins. C’est ainsi qu’elle se rendait régulièrement au marché de Noungbèdou en passant par Missagbèdou (village créé par Moriba Kamè) et Fadou (village des Camara comme Bonkomandou). Pour une question de sécurité, elle était obligée de passer la nuit, à l’aller comme au retour, à Fadou. La tradition orale la décrit comme étant un canon de beauté exceptionnelle. Cette description de sa beauté est si brodée qu’on se croirait dans le monde des fées. Elle était de teint clair (trait recherché). Elle était svelte et potelée (physique fort apprécié) et savait balancer sa grande taille comme pour provoquer les regards mâles sensibles et envieux. Elle avait le cou barré de plis (trait peu courant) qui soutenait une tête à la chevelure abondante caractérisée par un nez droit qui raffinait cette structure physique qu’aucun homme ne pouvait s’empêcher d’aimer et de vouloir posséder. Tous ces traits physiques tant appréciés laissaient présager en elle l’éventualité de procréation de beaux et prestigieux enfants. Moriba Kamè ne fut pas une exception pour résister à la beauté et au charme de ce canon de beauté. Tout aussi séduit, il voulut épouser cette déesse qu’il ne cessait d’admirer chaque fois qu’elle passait par Missagbèdou en compagnie d’autres jeunes filles et jeunes femmes. À l’époque, les jeunes filles laissaient leur torse nu, exposant ainsi leur charme et leur féminité. Seul le sexe considéré comme la partie la plus intime était soigneusement protégé. Soni Ténin Camara était très populaire dans son environnement social. Beaucoup de jeunes filles et femmes en avaient fait une amie. Elle n’était jamais seule, surtout quand elle allait au marché. Troublé par son charme et sa beauté, Moriba Kamè manifesta à son oncle Kèmo Bronseï Camara de Fadou sa volonté d’épouser cette déesse. Puisque cet oiseau rare était en veuvage, donc libre, il redoubla d’ardeur dans sa démarche. Son oncle lui apprit que Soni Ténin était originaire de Bonkomandou et fille de Moriba Gboto Camara, le fondateur de cette collectivité villageoise des Camara. Bénéficiant du soutien de ses oncles de Fadou, Moriba Kourouma (Kamè) demanda et obtint la main de Soni Ténin Camara pour le mariage sacré, non sans difficulté. En effet les choses ne s’arrangèrent pas aussi facilement, car certains oncles de Soni Ténin se montrèrent réticents voire hostiles et avaient exigé la caution morale des Camara de Fadou, leurs cousins, pour garantir la réussite de ce mariage parce qu’ils considéraient le prétendant comme un inconnu, un aventurier, certes à l’image de son grand-père Bakary Kamè. Celui-ci n’avait-il pas abandonné sa femme Masona Keita, en état de grossesse et le rejeton qui en sortit? Aussi, ils craignaient une récidive de la conduite négative des Kané de Morioulèndou lors du premier mariage malheureux de Soni Ténin, surtout que tous les gens de Fadou où résidait le couple étaient restés insensibles à la détresse de Soni Ténin Camara et avaient refusé d’assister son mari malade. Ils voulaient donc s’assurer de toutes les garanties possibles. Mais pour leur ôter toutes inquiétudes dans ce sens, les Camara de Fadou unanimement rappelèrent le serment de Moussadou entre 1057


Farin Kaman Camara, l’ancêtre des Camara de la Guinée Forestière et du Libéria, et son oncle Toumani Kamè, celui des Kourouma dont il est question. Aussi, firent ils état des nombreux mariages antécédents entre les « CamaraDiomandé » et les « Kamè = Kourouma = Doumbia » dont le plus célèbre fut l’union entre Fing Koyfing Diomandé (Fing Koyfing Camara) à Diémou (Beyla) et à Sianoh (Maou, Côte d’Ivoire) et Kéré Dama Kamè ou Kéré Dama Kourouma. Ces deux conjoints sont les ascendants de Farin Kaman. Or les Camara de Bonkomadou descendent de Fandyara Camara, premier fils de Farin Kaman Camara. Aussi, pour convaincre les Camara, ils rappelèrent que les Kamè n’avaient-ils pas abdiqué volontairement en faveur de leur neveu Farin Kaman qui accéda par ce fait au commandement à Moussadou? Ainsi, les Camara de Fadou réussirent à fléchir les oncles hostiles, et le mariage fut conclu avec la bénédiction de tous. Pour certains, les deux collectivités Camara de Fadou et de Bonkomadou et celle des Kourouma de Missagbèdou eurent une attention toute particulière pour la belle Soni Ténin Camara. Par voie de conséquence, son mari Moriba Kourouma (Kamè) ne manqua pas de la choyer pour la conserver et pour ne pas offusquer les oncles qui étaient hostiles et les Camara de Fadou qui avaient parrainé le mariage. Il faut noter qu’en pays malinké d’antan, les jeunes filles et les femmes n’étaient jamais associées au choix de leur conjoint. Une telle décision relevait de l’autorité exclusive du père, des oncles et des tantes paternels. Même si le prétendant n’était pas l’élu de leur cœur, elles étaient contraintes de s’incliner devant la volonté de leurs parents. Soni Ténin Camara n’eut donc pas le privilège de choisir elle-même son futur conjoint. Toutes ces discussions et procédures se firent en dehors d’elle. De ce mariage naquirent trois garçons: o Soni Ténin Bakary Kourouma, notre trame, o Soni Ténin Kaman Kourouma, o Soni Ténin Bignè Kourouma et o Soni Ténin Saa, une fille. À l’image de sa mère Soni Ténin Camara, la tradition orale nous décrit Soni Ténin Bakary Kourouma comme étant un bel homme, de teint clair, très grand et de surcroît très robuste. Un véritable athlète olympique accompli. Et de nos jours la grande taille et la calvitie générale et prématurée sont les traits physiques dominants de sa nombreuse progéniture masculine qui peuple la Guinée Forestière, le Libéria, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire sous le patronyme Kamè ou Kourouma ou Doumbia.

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LA VIE DE SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA Soni Ténin Bakary Kourouma eut une enfance heureuse entre Missagbèdou (son village natal) et Fadou (village protecteur) et Bonkomadou (son village maternel). Devenu majeur, il se maria à une première épouse, puis à une seconde, et à une troisième... sans qu’aucune naissance ne vienne animer le cercle familial. Cette malchance de procréation se mua en légende de stérilité qui fut largement accréditée sur son compte. Il était très souvent exposé à la risée des méchantes langues qui le vexaient à travers des chants paraboliques. On disait, à propos de sa stérilité ou de son infécondité: « Ni i ka den ye Soni Ténin Bakari kò, a ta tè, mòòlu den ne bè a bèè di... » Ce qui se traduit par: « Si tu vois Soni Ténin Bakary en compagnie d’enfants, n’hésite pas d’affirmer que ce sont les enfants d’autrui, car il n’en a pas, pas un seul et n’en aura pas... » Préjugés! En effet, pour meubler sa vie et combler cette lacune, Soni Ténin Bakary recherchait et aimait la compagnie des enfants qu’il affectionnait tant, sans distinction d’âges et d’origine. Certains parents, sensibles à son infortune et à son affection pour les enfants, eurent à lui confier certains de leurs enfants pour le distraire, pour faire ses menus services et surtout pour lui faire oublier sa tragédie. Certes, par cette manifestation de compassion et de solidarité des âmes généreuses il ne s’ennuyait pas, mais il demeurait un éternel frustré, car chez nous l’enfant constitue la plus grande richesse, la meilleure consolation qui n’a pas de remplaçant. Ne pas en avoir ôte tout sens à la vie: « Ni den tè i bolo, i kèla bo fuu sa fuu di. » (= Une personne qui n’a pas d’enfant a vécu inutilement.) Pour multiplier ses chances de procréation et le consoler de ce drame, les gens de Foya dans le Mandou (Kérouané, Guinée) lui offrirent gracieusement le même jour neuf jeunes filles pubères (Alamandi = Don de Dieu, ou ce qu’on donne à cause de Dieu) avec l’espoir qu’au moins l’une d’elle pourrait procréer avec lui. Ce fut une compassion sans prix. Mais il n’en fut rien et le désespoir s’accentua encore de plus belle. Cependant sa virilité masculine était irréprochable dans toute son intégrité. Mais le temps semblait jouer contre lui, car il prenait de l’âge. Il prêchait toujours en vain dans le désert. Il fut même offusqué de recevoir un jour, comme part de viande dans un bœuf sacrifié, celle qu’on remet aux hommes stériles. Cette scène d’humiliation dont il souffrait tant se répéta à trois reprises, puisqu’il ne réagissait pas avec violence. Par contre, certains sages et oracles voyaient malgré tout en lui un homme de guerre: « Ka muu sisi ye a nya lò. » (= Un futur homme de guerre.) Ainsi les devins avaient décelé très tôt en lui un homme prestigieux dont le destin lumineux sera intimement lié à celui des monarchies traditionnelles Camara de la contrée fera cependant preuve de sagesse. Ces prédicateurs, certes 1059


peu nombreux, le ménageaient et jouaient à la prudence avec ce feu en veilleuse qui risquera d’embraser un jour la région: « Kolònnalu bèè ka muu sisi ye a nya lò. » (= Tous les devins ont unanimement vu la poudre dans ses yeux.) En un mot, il sera un homme de guerre. Les plus prudents lui confièrent l’éducation de certains de leurs enfants afin de se mettre ainsi à l’abri des éventuelles représailles de cet homme au destin singulier. Ce fut le cas du vieux Morigbè du village de Wêmadou, dans le Konokoro (Macenta), qui lui confia le père de Lansana, célèbre traditionaliste né en 1899, de la région de Macenta. Dieu n’exauçait toujours pas ses prières et ses sacrifices de tous genres. Une fois, il en eut ras-le-bol lors d’un sacrifice d’un bœuf au cours duquel on lui remit pour la troisième fois la part de viande destinée aux hommes stériles. Cette fois, il explosa de colère et voulut user de ses armes pour châtier les médisants et détracteurs. Mais avant d’agir, il prit la précaution d’aller se confier à sa jeune sœur Soni Ténin Saa qui travaillait au champ de son mari. Heureusement que celle-ci, avec le concours de sa coépouse, l’en dissuada en ces termes: « N kòrò (grand frère), accepte et supporte sans scandale tout ce qu’on dit ou pense de toi. Ceux qui se moquent de toi ne t’ont pas créé et ne sont pas des prophètes. Ce ne sont pas eux qui déterminent ton destin. Tu n’as pas acheté ou sollicité la stérilité qu’ils te reprochent. Si tu nous écoutes, Dieu, le Tout Puissant Créateur, dans sa miséricorde est capable de te faire oublier un jour ton infortune en exauçant tous les vœux de tes sœurs que nous sommes. Et puis tuer tes détracteurs ou te suicider n’est pas la solution de ton mal. Chaque chose a son temps. Il faut savoir attendre ta chance et ton heure. Je remplace notre mère défunte comme tu es le substitut de notre père. » Et elle conclut: « Ni i ma ko kè i yèrè la, ni i ma ko kè mòò la, ni i ka i dusu suma, Ala di i sòn den na, i di buu... » Ce qui signifie: « Si tu nous écoutes, tu auras des enfants par la volonté suprême du Tout Puissant ALLAH. Si tu suis mes conseils, si tu renonces à la violence et au suicide, Allah est capable de te donner beaucoup d’enfants, tu seras très fécond. » Elle poursuivit: « Ala di i la i buu ka kè iyo fonin, ni i tola a ko. » (= Dieu est capable de te multiplier comme un grain de fonio. En effet un seul grain de fonio peut donner un, deux, trois... épis de quelques centaines de grains.) Et enfin, elle conclut en ces termes: « Ni i ka i la ko di Ala ma, i di buu lon dò fo i bònsònlu di fili ayi nyòòn ma, ayi bèè tè na la ayi nyòòn lòn na. » Ce qui se traduit par: « Si tu te résignes et te remets à Dieu seul, ton infortune prend fin un jour et tes descendants seront si nombreux qu’ils ne pourront pas se reconnaître tous. » Convaincu et ému par cette logique et cette sagesse réaliste, Soni Ténin Bakary Kourouma déchargea son fusil et suivit sa sœur au village de 1060


Missagbèdou. En pays mandingue, on dit que les bénédictions et les malédictions d’une sœur (« fènmuso » ou encore « mamuso ») ou d’une cousine sont toujours exaucées. C’est pourquoi celles-ci sont toujours choyées et respectées par leurs frères, neveux et cousins paternels. On ne leur refuse rien. En effet, le Tout Puissant, dans Sa miséricorde et dans Ses manifestations exauça les prières et bénédictions de sa sœur Soni Ténin Saa. Quelques temps après on constata avec stupéfaction que certaines de ses épouses étaient en grossesse. Quel miracle! Mais les mauvaises langues lui ôtèrent la paternité de ces grossesses et, ipso facto, de ces futures rejetons, du moins jusqu’à leur naissance. Pour trancher sur ce point, Dieu lui fit ressembler ses premiers enfants comme deux gouttes d’eau. Et depuis, il ne cessa de procréer de beaux et vigoureux enfants. LA CRÉATION DE LA VILLE DE MACENTA VERS 1870 PAR SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA: UNE PROBLÈMATIQUE QUI DIVISE LES MANYA ET LES TOMA DE MACENTA (1) À présent, l’énigme ou la paternité de la fondation de la ville de Macenta divise les deux principaux groupes communautaires qui peuplement Macenta. Qui a effectivement fondé l’actuelle ville de Macenta? À qui donner la paternité de la fondation de Macenta entre: • Massa Koïvogui, le premier occupant du site du campement et • Soni Ténin Bakary Kourouma, le fondateur de la première agglomération, sur le même site du campement qui deviendra l’actuelle ville de Macenta? Soni Ténin Bakary Kourouma devint un homme comblé par Dieu. Il était heureux et prospère parmi tant de monde dont le nombre ne cessait de s’accroître. Il veillait sur la sécurité de tous et affectionnait beaucoup ses nombreux enfants adoptifs qui se confondaient intimement avec les siens. Partout, dans la contrée, on parlait de lui et on l’enviait. Sa générosité et son esprit d’équité attirèrent toujours beaucoup de personnes, surtout éprises de justice et de paix, tant chez les Malinké ou Manya que chez les Toma. Cette étoile montante éveilla l’attention des monarques Camara qui régnaient sur toute la région forestière. Certains s’en inquiétèrent. Mais par esprit d’indépendance, Soni Ténin Bakary manifesta le désir d’affirmer mieux sa personnalité en créant sa propre agglomération où il devait regrouper tout ce monde qui grouillait autour de lui, tel un essaim d’abeilles. 1061


À l’époque, on n’entreprenait rien au hasard sans au préalable consulter les géomanciens. On interrogeait à chaque évènement le destin en se référant aux devins qui savent prédire l’avenir avec une certaine exactitude. Ainsi, Soni Ténin Bakary Kourouma s’adressa à des marabouts afin de déterminer le lieu d’implantation du futur village qu’il se proposait de créer ainsi que les sacrifices appropriés à faire pour assurer son rayonnement et l’expansion rapide de son futur village en gestation dans son esprit. Ce furent: 1) - Les chérifs de Féréboridou appelés Missagbèdouka, ancêtres de Amadou Vanfing Chérif qui vivait en 1989 à Macenta. 2) - Les Soumahoro dits Siakidouka, ancêtres des Kamè et Soumahoro qui sont originaires de Nionsomoridou (Beyla, Guinée). 3) - Pour faire aboutir rapidement leur travail de divination, ces deux groupes de marabouts sollicitèrent le concours exceptionnel de Valiba Fofana, le plus réputé des marabouts de l’époque, et ancêtre des Fofana actuels de la ville de Macenta où ils jouent le rôle d’imam et de muezzin qui leur est encore dévolu. Ils détiennent toujours le tambour (tabala ou taboulé) de la grande mosquée de Macenta. Ce trio de devins se mit au travail. Après des jours de méditation ils prédirent: 1) - La création effective d’un village au départ très modeste par Soni Ténin Bakary Kourouma. (Soni Ténin Bakari bè so labò.) 2) - Ce village ne grandirait et prendrait l’allure d’une ville que sous le règne et par la volonté de ses fils. (So bunyètò a denlu le bolo.) 3) - Mais il n’aura les dimensions d’une grande ville attrayante et prospère qu’au temps de ses petits-fils qui auront à accueillir beaucoup d’étrangers, donc ville cosmopolite. (So kètò waati a mamarènlu tile le rò, alu ani lonanlu bolo. A yòrò sabati to a mamarènlu tile le rò.) Mais en plus, ils recommandèrent avec insistance à Soni Ténin Bakary de créer son village au croisement de quatre routes pour assurer l’expansion prodigieuse et régulière de son village. Après une prospection de la contrée, Soni Ténin Bakary découvrit et retint, en 1889, l’emplacement du marché actuel de Macenta-Ville. Ce site est encastré entre les montagnes et se trouve être effectivement l’aboutissement des quatre routes suivantes: 1) - La route de N’Zérékoré par Bonkomadou 2) - La route de Guéckédou 3) - La route de Kankan par Zoyalo 4) - Celle de Fonyalo (Libéria) par l’actuelle route de l’aviation ou de la plantation de thé Cette zone était à l’époque le campement d’un chasseur toma du nom de Massa Koïvogui qui résidait dans le village de Nyandyaro d’où il venait chasser dans les forêts environnantes qui entourent le site de Macenta. Celui-ci autorisa l’installation de Soni Ténin Bakary en cet endroit. Ce nouveau village bénéficia 1062


de la bénédiction et de la protection des Camara de Bonkomadou et des autres monarchies Camara de la contrée. Kouloubanyan, le vieux roi toma de la zone fut un grand protecteur de Soni Ténin Bakary Kourouma, son ami. Ainsi, le village évolua rapidement sous les yeux vigilants des Camara du Konokoro et surtout de Bonkomadou, le village maternel du fondateur de Macenta. Mais très curieusement, le village en voie de création fut appelé Massata, contraction de deux noms: • Massa (nom propre de personne) et • Ta (place, village, chez...). • Donc Massata ou Macenta signifie village de Massa ou chez Massa. Soni Ténin Bakary ne jugea pas nécessaire de donner son propre nom à ce faubourg qui aurait dû s’appeler normalement BAKARYDOU, comme le font tous les fondateurs de village. Peut-être qu’il a voulu traduire ou préserver la qualité de ses bonnes relations avec Massa Koïvogui avec qui il n’eut pas de problème. Mais Soni Ténin Bakary Kourouma exploita subtilement et astucieusement, en fin diplomate, ses bonnes relations avec le vénéré chef toma, Kouloubanyan, afin que les Koïvogui du lieu l’accueillent et l’autorisent à s’y installer, dans un esprit de bon voisinage et de concorde. Il faut noter que plus tard, certaines traditions orales mandingues notamment celles soutenues en 1989 par notre informateur Fata Bakary Dian Kourouma, petit-fils de Soni Ténin Bakary - donnent une autre version, un autre sens du nom de la ville de Macenta qui serait la déformation de Massata qui se décompose en mansa (roi) et ta (ville, chez). Donc Massata ou Massataa ou encore Macenta signifie ville royale ou chez le roi. En effet selon cette version, les Toma ahuris par l’expansion fulgurante et prodigieuse du village (taa) qui se mua en ville et par le rayonnement et l’envergure de son chef (roi, mansa) s’exclamèrent: « Héyaga Massata » « Héyaga! » (= Regardez! = Voyez-vous! (En indexant) = C’est devenu Mansa - ou Massata) Donc: « Héyaga Massata! » C’est-à-dire que: « C’est devenu une ville royale! » Massa = mansa = chef, roi Ta ou taa = village, ville, chez tel Ainsi donc: « Héyaga Massata » Signifie: « Regardez, c’est devenu une ville royale. » Héyaga disparut dans le temps pour laisser Massata devenu Macenta (ville royale). Cette interprétation du sens du nom de Macenta ou cette démarche semble être une réaction des Malinké ou Toma-Manya à la prétention de paternité ou de propriété que les Toma font valoir actuellement sur la ville de Macenta. Mais pour les Toma, MACENTA (MASSATA ou MASSATAA) 1063


signifie tout simplement la cité ou la ville de Massa. En tout cas chaque groupe ethnique s’arroge le droit inaliénable de propriété légitime du site de MacentaVille. Le choix du site de Macenta pour y bâtir l’actuelle ville s’explique aussi par le souci de Soni Ténin Bakary Kourouma de demeurer à proximité de ses oncles maternels, les Camara du village de Bonkomadou, qui se trouve à 7 km de l’actuelle ville de Macenta. En effet il était certain de bénéficier à tout moment de la solidarité et de la protection de ceux-ci qui ne manqueraient pas de l’aider à parer à toutes les éventualités d’agression extérieure. Leurs ancêtres ne sont-ils pas liés par un serment inviolable de solidarité, de respect et de protection mutuelle? Et d’ailleurs toute la grande confédération des CamaraDiomandé était concernée par ce pacte noué depuis des siècles a Moussadou (Beyla) par le patriarche FARIN KAMAN CAMARA avec ses oncles maternels, les Kourouma. Macenta fut ainsi crée avec la bénédiction consensuelle des Toma et de tous les Manya sous l’autorité suprême de Kono Manfing Camara, le doyen et roi de Oularo (Konokoro) et secondé par Kaman Kékoura Camara, roi de Boussé (Kouankan). Aussi, espéraient-ils tirer profit de sa présence aux portes de leurs États. Il ne manquerait pas sans doute de se déployer chaque fois que son concours serait sollicité par l’un ou l’autre monarque Camara-Diomandé. Ainsi, ce neveu des Camara sut vivre au départ en bonne intelligence avec toutes les communautés environnantes. Et son village naissant était un oasis de paix qui avait réussi à se mettre hors de la lutte pour l’hégémonie entre Manya et Toma, du moins pour un certain temps. La stabilité et la prospérité relative de Macenta attirèrent petit à petit du monde. À propos des origines de MACENTA, notons que l’administration coloniale française reconnaît que le fondateur de la cité est bel et bien Soni Ténin Bakary Kourouma, tout comme le Professeur Yves Person, auteur en 1968 d’une monumentale thèse de doctorat sur l’Empereur Almamy Samory Touré. Celui-ci l’atteste et le témoigne dans le Tome I de sa thèse, quand il écrit à la page 560: Origines de Macenta: Korubanyãn avait adopté un jeune Dyula, Bakari Kourouma, issu d’une lignée établie depuis longtemps dans le Dulama. (14) Pour le remercier de son aide militaire, il l’aida à s’installer dans le Sud, sur les confins du Varamisamay et du Köödu. Bakary y créa vers 1870 le centre dyula de Massata (Macenta) et il y était déjà un chef important quand Korubanyãn mourut vers 1877. (15) (...) Bakari s’était réfugié à Ularo, chez Mãnfin Camara, mais celui-ci n’était pas en mesure de l’aider et se contenta de le mettre en sûreté, à Furumudu (20). Après une visite inutile à Sanankoro, le fondateur de Macenta dut se résigner à attendre que la chance tourne. » À la page 579, du même Tome I, Yves Person poursuit dans la remarque (15): « Massata (Macenta) n’était à l’origine qu’un hameau de culture 1064


appartenant à Massa Koïvogui, chef du vieux village de Nãdyrö (8°34’N 9°28’W). Bakari s’installa à l’emplacement occupé actuellement par le marché de Macenta. L’intervention de Korubanyãn avait décidé les Koïvogui à accueillir ces étrangers et Bakari allait maintenir de bonnes relations avec eux, ainsi qu’avec ceux de Lögbo. En revanche, les Koïvogui de Béuma, appuyés par ceux de Kasanga Méãnzèysi du Ziama, lui montreront aussitôt une hostilité résolue. Le choix de Macenta s’explique certainement par la proximité du village Camara de Bökomadu où vivaient les parents maternels de Bakari. Les Fasubasi, qui formaient une lignée Camara en voix d’assimilation aux Toma, et occupaient Bu, un peu plus au Sud, étaient issus de la même souche que les chefs du Buzyé (Kouankan). Leur voisinage facilitait l’établissement d’une alliance entre Macenta et les grands chefs du Dyani [54, 62, 63...]. » Ainsi donc, Yves Person, en sa qualité de chercheur neutre, nous aide à trancher définitivement cette polémique stérile, car pour écrire sa volumineuse thèse, il a interviewé dans le cercle de Macenta: a) - 9 interlocuteurs malinké (du N° 48 au N° 56) et b) - 12 interlocuteurs toma (du N° 57 au N° 68, voir détails dans le Tome III, p. 2196). À aucun moment, et nulle part, un de ces interlocuteurs du terroir ne lui fit comprendre que la ville de Macenta n’était pas fondée par Soni Ténin Bakary Kourouma. Donc la paternité de la fondation de Macenta ne saurait être contestée à Soni Ténin Bakary Kourouma, peut-être par mauvaise foi. D’ailleurs, pour éviter toute équivoque, si lors de création de l’actuelle ville de Macenta, certes bâtie sur le site du hameau de chasse et de culture de Massa Koïvogui, Soni Ténin Bakary en tant que fondateur incontesté de la cité avait appelé cette agglomération « Soni Ténin Bakarydou » ou tout simplement « Bakarydou » par contraction, pour mieux perpétuer son nom, et affirmer que c’est bien lui le fondateur de l’agglomération des commerçants, il n’y aurait pas eu aujourd’hui de polémique sur le nom du fondateur de la ville de Macenta. Dans ce cas les deux communautés qui n’arrivent pas à s’entendre sur la paternité de la fondation de la ville actuelle de Macenta, n’auraient pas à polémiquer inutilement, ou se disputer ce privilège. En pays mandingue, les villages, dans leur majorité, portent toujours le nom de leurs fondateurs. Dans ce cas de figure tout serait aujourd’hui clair dans l’esprit des gens et cela nous aurait évité une quelconque contestation ou un conflit, même virtuel et il n’y aurait une de faux débats. Dans ce cas de figure, l’administration coloniale aurait par conséquent et par conformisme pris en compte le nom Bakarydou lors de son installation et en faire le chef-lieu du cercle ou de la contrée. Ce fut son erreur. Au lieu de passer le temps à se disputer inutilement, les deux communautés auraient eu, bien au contraire, pour préoccupation le 1065


développement économique, social et culturel de la cité comune, et y créer un climat de tolérance et de cohabitation fructueuse et indispensable pour elles. En conclusion: • Il faut accepter et retenir que le campement réduit du chasseur Massa Koïvogui s’appelait effectivement MASSATA ou Macenta (« chez Massa »), qui n’avait pas dépassé, au temps de Massa Koïvogui, les dimensions d’un campement réduit, sans peuplement significatif ou important. • Mais par contre, qu’on veuille bien admettre que le même site a été effectivement retenu par Soni Ténin Bakary Kourouma pour créer une agglomération qui est devenu progressivement un important centre urbain et commercial resplendissant dans la contrée, comme l’avait prédit les prédicateurs, tout en gardant, comme nom du lieu, « MASSATA » ou MACENTA l’ancienne appellation du lieu. Dans l’intérêt de l’indispensable paix sociale, Pour l’instauration d’un esprit permanent de tolérance réciproque, Pour le renforcement de l’esprit d’acceptation réciproque de l’autre, Pour permettre un développement économique équilibré, profitable à tous, il faut que: ► Les « MALINKÉ » ou « MANYA », ou précisément les Kourouma, les Kamè, les Doumbia, les Fakolisi se contentent de l’honneur indéniable lié à la création de la ville de Macenta par leur ancêtre SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA et le rôle du SOTII-KÈMÒÒ a toujours été exercé par les KOUROUMA, depuis l’implantation de l’administration coloniale française, d’une part, et que: ► Les « TOMA » se contentent du fait que la cité porte toujours le nom de leur ancêtre MASSA KOÏVOIGUI, d’autre part. Ainsi donc on fera l’économie d’une polémique stérile et d’un conflit social inutile, car en fait Macenta n’appartient à aucune entité, à aucune communauté, mais à tous. Nous pensons que c’est la seule et bonne manière de mettre fin à ce faux débat stérile. Il faut rappeler que SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA est mort à Macenta en 1906 des suites de maladie à son retour de Beyla où il s’était rendu pour une consultation des chefs de canton de la forêt. À la demande de l’administration coloniale, son fils aîné et successeur Ténin Mory Kourouma déplaça le nid du faubourg des Kourouma derrière la marigot Zanzazia pour permettre aux nouveaux maîtres du pays d’édifier sur ce plateau les infrastructures administratives (bureau des PTT, blocs administratifs...) et communautaires (école, marché, hôtel, caravansérail, gare voitures...).

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Le nouveau site habité par les différentes familles Kourouma a été baptisé plus tard Quartier Mohamed V, du nom du Roi Mohamed V du Maroc. De nos jours, l’autorité morale (Sotii Kèmòò) est toujours assurée, par droit d’aînesse, ses descendants et cousins collatéraux. Pourquoi ne pas rebaptiser ce quartier « BAKARYDOU » où résident concentrés les descendants de SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA, afin de mieux perpétuer la mémoire et le nom de cet ancêtre des Kourouma du lieu et de la région? ORIGINE DE LA PUISSANCE DE SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA L’ASCENSION À l’issue de leurs longues méditations, ces marabouts et devins qui sont définitivement retenues à Macenta où vivent de nos jours leurs descendants, recommandèrent vivement à Soni Ténin Bakary Kourouma de faire un sacrifice de taureau rouge (tora wulen saraka). Par ailleurs, il devait absolument retenir tout étranger qui viendrait à passer par Macenta peu avant ou pendant les cérémonies de sacrifice. Celui-ci devrait recevoir une bonne part de la viande du taureau sacrifié plus d’autres cadeaux divers. Emu par cet honneur exceptionnel et par cette générosité, l’étranger ferait sans doute des bénédictions que Dieu exaucerait et qui contribueraient à rehausser l’éclat de Macenta, le rayonnement de son fondateur et de celui de sa progéniture qui, par voie de conséquence, connaîtrait de brillants sujets. Et il fit exactement comme recommandé par ces prédicateurs. En effet cet étranger insolite annoncé fut Kèmo Gnalin Kaba Séko Kourouma, un cousin lointain, venu lui aussi de Gbabadou (Kérouané, Guinée) avec ses marchandises. En quête de clients pour ses produits, ce commerçant arriva à Macenta juste au moment où Soni Ténin Bakary Kourouma avait fixé la date très proche de son fameux sacrifice. Kèmo Gnalin Kaba Séko Kourouma fut donc retenu pour officier cette cérémonie. Aussi, il accepta cet honneur avec déférence. Mais après le sacrifice, son hôte ne voulut pas le laisser continuer sa route bien qu’il en eut manifesté le désir. Chaque fois qu’il demandait à partir, celui-ci s’opposait et finit par le retenir définitivement à ses côtés. Ainsi le séjour commençait à durer, à s’éterniser. Embarrassé par les honneurs qu’on lui faisait chaque jour, Kèmo Gnalin Kaba Séko demeura à Macenta. Finalement, Soni Ténin Bakary proposa à ce cousin de renoncer au commerce pour créer avec lui une armée pour défendre son village contre les éventuels assaillants et en faire le noyau d’une véritable armée de conquête qui devrait avoir à dire un jour son mot dans la région. Cette proposition fut rejetée par Kèmo Gnalin Kaba Séko dont la vocation était plutôt le commerce, activité lucrative et pacifique, parce que ses deux frères aînés, qui étaient enrôlés dans l’armée samoryenne à Bissandougou, 1067


l’avaient orienté vers le négoce. Ils voulurent éviter d’être tous les trois des martyrs de guerre ou victimes d’une même cause. Ainsi les butins de guerre faits par les deux autres et le bénéfice réalisé par lui pourraient se compléter et constituer la fortune de la famille. Kèmo Gnalin Kaba Séko voulut absolument se référer à ses frères aînés avant de répondre à l’affirmative. Il revint donc à Bissandougou, capitale impériale de Samory Touré, pour recueillir leur avis sur cette proposition. Ceux-ci acquiescèrent dans la mesure où il s’agissait d’une autre puissance qui n’avait pas la même vocation que la leur. Après ce consensus, il retourna à Macenta pour conclure un pacte de fidélité, de respect et solidarité avec Soni Ténin Bakary Kourouma, avant toute prise de service. Depuis ce sacrifice et ce pacte sacré de Macenta, tous les sacrifices faits par les descendants de Soni Ténin Bakary Kourouma se font sous la présidence effective de ceux de Kèmo Gnalin Kaba Séko Kourouma. Les deux cousins constituèrent ainsi une armée qui fut d’abord dissuasive et qui, par la suite, prit une part active dans la lutte pour l’hégémonie qui opposa longtemps les Manya (Malinké) aux Toma. Plus tard, l’Almamy Samory Touré s’appuya sur cette armée pour protéger ses lignes de ravitaillement en armes et munitions provenant du Libéria et de la Sierra Leone. Les deux acolytes guerroyèrent ensemble pour constituer une monarchie dirigée évidemment par Soni Ténin Bakary Kourouma, le fondateur de Macenta. Leur état, certes minuscule par rapport aux voisins, mais homogène s’imposa. Ainsi Soni Ténin Bakary fut associé à toutes les décisions importantes prises dans la région. Il constituait incontestablement un contrepoids incontournable. Pendant ce temps, Macenta s’agrandissait progressivement. Son fondateur se comporta en vrai justicier incorruptible dans son petit état qui connut une stabilité et une prospérité relatives, motifs suffisants de la venue massive des gens épris de paix et de justice. LES COMPLOTS Soni Ténin Bakary Kourouma prit une envergure telle qu’il inquiéta ses voisins, notamment ses oncles maternels de la confédération Camara-Diomandé dont le plus puissant monarque était Kaman Kékoura Camara de Boussé (Kouankan). Sa modeste armée était bien structurée et surtout disciplinée. Cette force naissante qui gênait était donc à étouffer par tous les moyens. Cette menace fut réelle, car il eut à déjouer plusieurs complots ourdis par ses oncles, les monarques Camara-Diomandé de la forêt auxquels il portait ombrage. LE COMPLOT DE KOUANKAN « Quand on veut se débarrasser de son chien, on l’accuse de rage, » dit un adage. Pour avoir sa peau, on attribua à Soni Ténin Bakary Kourouma toutes sortes de propos malveillants à l’endroit du Mansa de Kouankan, Kaman 1068


Kékoura Camara. Celui-ci, irrité, convoqua l’accusé à Kouankan, la capitale de Boussé pour des explications et éventuellement pour le châtier si la véracité des blasphèmes se confirmait. Selon les recommandations de ses marabouts de Macenta (les Chérifs, les Fofana et les Soumahoro ou Kané), qui avaient mesuré l’importance et la gravité de l’accusation, le maître de Macenta ne devait pas répondre qu’à la troisième convocation. Cette attitude qu’on pouvait considérer comme une désobéissance, devait confirmer les propos de ses détracteurs. Ce qui, évidemment, n’était pas fait pour apaiser la colère de Kaman Kékoura Camara. Celui-ci avait déjà envisagé, à juste titre, une expédition punitive à son encontre. Mais après des sacrifices appropriés, Soni Ténin Bakary quitta son fief pour Kouankan. Selon la règle qui prévalait, toute personne entrant à Kouankan était tenue de faire l’éloge de sn roi, et si c’était un roi, les musiciens de celui-ci devaient jouer obligatoirement l’air préféré de Kaman Kékoura. Mais Soni Ténin Bakary Kourouma fit exception à la règle. Ce non-conformisme donna raison à ses détracteurs et irrita davantage le Mansa de Kouankan. En effet, son griot, Kèmo Dyé Koly et son escorte le flattèrent d’abord, en traversant le village, avant d’entonner l’air du Mansa de Kouankan, juste à proximité du palais royal. Mais à son entrée au palais où le Mansa était entouré de son état-major, de son conseil des sages, sous la surveillance sévère des sofas, Soni Ténin Bakary vint se prosterner humblement devant le roi en déclarant: « N barin, n ka ila kèla bèè sòrò. Wa ni muso ye wala à tyè fè, fo a ye a lòbèn. N tun bè n lòbèn ne la, wole ka n mèn sila la. N na sunbala fèlè, anu tè se ka tama dila alu la, an benba (Tumani Kamè) ka a la tama di ayi benba Farin Kaman Kamara ma Musadu. Mòò tè se ka bunyè i na ani a dòònilu ma... » Ce qui peut se traduire par: « Oncle, j’ai effectivement reçu toutes tes commissions et convocations. Mais quand une femme doit rejoindre son mari, après une longue séparation ou pour la première fois, elle doit se préparer, se parer pour lui faire plaisir. C’est cette préparation qui m’a pris assez de temps. Voici la louche avec laquelle je préparais et que je dois utiliser pour cuisiner tes repas. On ne présente jamais des armes à ses oncles, car on ne peut être supérieur à sa mère. Et puis nous (les Kamè, Kourouma ou Doumbia) n’avons plus d’armes à vous présenter, car notre ancêtre Toumani Kamè a donné toutes ses armes à votre ancêtre Farin Kaman Camara à Moussadou. Et puis on ne peut être supérieur à son oncle maternel, donc à sa mère... » Cette déclaration empreinte de respect et de soumission décontenança Kaman Kékoura Camara et surprit les détracteurs de Soni Ténin Bakary Kourouma qui avaient tout mis en œuvre pour sa perte. Ainsi la mauvaise humeur et la colère de Kaman Kékoura Camara se muèrent subitement en courtoisie, en hospitalité pour ce neveu des Camara. À l’issue de ce premier contact à chaud, le Mansa déclara:

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« J’ai compris et prends acte de la déclaration du Kamè. Avant tout, je lui offre un bœuf qu’on est prêt à égorger dès qu’il en donnera l’ordre. » Et Soni Ténin Bakary répliqua: « Ne le tuez pas pour le moment. J’ai l’intention de garder ce cadeau royal exceptionnel en guise de souvenir que je me propose de présenter aux miens à mon retour à Macenta où les mauvaises langues avaient prévu ou prédit ma mort dès mon arrivée ici, à Kouankan. » Kaman Kéroura n’y trouva aucun inconvénient. Il ordonna à son protocole de loger immédiatement l’hôte de marque à qui il précisa de ne pas se plaindre dans ce cas de la sauce de gombo (sauce des pauvres) qu’on aura à lui offrir durant son séjour à Kouankan. La nuit, Kaman Kékoura demanda à son hôte de marque de se déguiser en femme en se rendant dans la chambre royale où il l’attendait. En effet, le Mansa du Boussé voulait livrer les conspirateurs à Soni Ténin Bakary. Celui-ci fit comme prévu. Le roi le fit coucher dans son lit, et ses déguisements ne pouvaient permettre à personne d’avoir le moindre soupçon sur l’identité réelle de la personne couchée qui ne pouvait être considérée autrement que comme une épouse du Mansa. Il fit venir tour à tour trois des principaux détracteurs de l’étranger pour s’entretenir avec eux avant le grand rassemblement (barabò) du lendemain. Non seulement chacun d’eux maintint ses différentes déclarations et accusations antérieures, mais tous étaient prêts pour la confrontation publique, et au prix de leur tête, avec Soni Ténin Bakary. Celui-ci eut donc la chance d’entendre directement avant l’audience ce qu’on lui reprochait et put apprécier à sa juste valeur l’ampleur de la conspiration. Comme tout était d’un tissu de mensonges, aucun des accusateurs ne répondit présent à l’appel, lors du rassemblement, car ils risquaient tous la décapitation pour avoir menti au roi. Ils se volatilisèrent dans la nature. Après ce constat édifiant fait par le peuple, Soni Ténin Bakary fut porté en triomphe par tout le Boussé. « Ni i dòòla dyanfa ma, a la dan nalen i nya na. » Ce qui se traduit par: « Il ne faut jamais minimiser la profondeur et l’ampleur d’un complot, car tout est prévu et fait pour la perte de l’accusé ou de la victime. Si vous minimisez l’ampleur et les conséquences d’un complot, c’est que vous avez participé à sa conception et connaissez parfaitement tous ses tenants et aboutissants. » Ainsi donc Soni Ténin Bakary Kourouma échappa à ce vaste complot. Il profita de ce séjour triomphal qui était considéré par les siens comme périlleux pour consolider ses bonnes relations avec le Mansa du Boussé. Il retourna à Macenta comblé de divers présents - dont le bœuf - et nanti de la confiance totale de Kaman Kékoura Camara.

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L’ALLIANCE ARMÉE DE SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA AVEC KOULOUBANYAN Soni Ténin Bakary Kourouma est un descendant de Fakoli Kourouma, général de l’armée de Soundjata Keita, qui fut le principal artisan de la chute du redoutable Soumaoro Kanté, roi sorcier du Sosso, qui avait tyrannisé tant de peuples. De nos jours, les descendants de Fakoli Kourouma se vantent de sa témérité et de ses hauts faits d’armes à travers Dyandyon, leur célèbre hymne familial dédié à tous les hommes vaillants capables ou auteurs d’actes, de faits et gestes héroïques. Disséminés à travers tous les pays malinké, on les retrouve: • En Guinée où ils portent indifféremment le patronyme Kamè, Kourouma ou Doumbia. • Au Mali où ils sont Kourouma ou Doumbia, Sissoko. • Au Sénégal où ils sont soit Kourouma soit Doumbia, soit N’Diaye. • En Côte d’Ivoire où ils sont essentiellement Doumbia. • Au Libéria ils portent le nom Kourouma (Kromah). • En Sierra Leone où on les appelle Kourouma (Kromah) ou Doumbia. Comme dit la tradition: « Kèlèmansa-bon kòrò tè lakoronyala. » (= Le flambeau du pouvoir héréditaire, de la puissance, de la bravoure... ne s’éteint jamais définitivement dans une famille royale célèbre qui a régné.) Rappelons encore qu’à Moussadou (Beyla, Guinée), Toumani Kamè (Kourouma) s’était volontairement dessaisi du pouvoir, au XVIème siècle, en faveur de son neveu Farin Kaman Camara dont la mère était Kamè (Kourouma ou Doumbia). Un jour, Farin Kaman Camara, encore jeune adolescent, s’introduisit furtivement dans la douche de son oncle Toumani Kamè, pendant que celui-ci prenait son bain. Surpris, pendant qu’il était intégralement nu, Toumani Kamè blâma Farin Kaman Camara pour son audace. Il aurait dû s’annoncer avant d’entrer. On ne sait pas ce que le jeune Camara recherchait. S’il n’était pas son petit-fils (le fils de la petite sœur, du petit frère, des cousins est considéré comme un petit-fils), il méritait la sanction suprême. Mais découvert dans toute son intimité masculine, le vieux Toumani Kamè n’avait plus rien à cacher à ce visiteur inopiné. Il s’exclama: « Ha! Mòò mamarèn tè i ye na fèn di, ni wo tè, i tun tè nin nyòòn kè butun. » Ce qui signifie: « Ah! Un petit-fils n’a aucun égard pour son grandparent dont il n’a pas peur. N’eut été ce lien affectif indestructible, tu n’aurais plus jamais refais cette audace. » Après sa toilette, il transmit à Farin Kaman Camara tous ses attributs et pouvoirs (mystiques), ses armes (l’armoirie des Kamè) et le commandement. Mais ce neveu qui était un homme prédestiné, s’engagea à ne jamais utiliser ces attributs qu’il venait de recevoir contre les Kamè (Kourouma, Doumbia). 1071


Un pacte d’alliance, de solidarité effective, de respect et de protection mutuelle qui se mua dans certaines régions en relations sacrées de sanankunya (parenté à plaisanteries illimitées) fut conclu entre Toumani Kamè et Farin Kaman Camara. Dans ces régions, les descendants des deux patriarches (Camara-Diomandé d’une part et Kamè-Kourouma-Doumbia d’autre part) entretiennent cette affinité particulière. Mais du fait que la mère de Farin Kaman Camara était Doumbia, un des termes du pacte interdisait à un Doumbia de se prosterner devant un Camara et encore moins de lui faire du mal, sauf que si celui foule délibérément aux pieds toutes les clauses de ce serment. En zone forestière guinéenne, Soni Ténin Bakary Kourouma releva la tête, brandit l’étendard de l’ancêtre Fakoli Kourouma et réanima ainsi cette flamme qui avait pâli. Ailleurs, dans le Sabadou, en Haute Guinée (Baranama), Nanténin Famoudou Kourouma, un autre descendant de Fakoli Kourouma, avait créé un puissant état guerrier. Sa défaite en 1874 permit à Samory de créer un empire et de s’installer à Bissandougou qui devint sa deuxième capitale. Cette volonté d’affirmation, cette velléité combative des Kourouma se cristallisa en Guinée Forestière autour de la personne de Soni Ténin Bakary. Celui-ci regroupa, comme on l’a vu, ses nombreux fils adoptifs, ses enfants et sympathisants. Il fit preuve de diplomatie pour émerger avec prudence dans un milieu où la lutte pour l’hégémonie fut féroce entre les Malinké (Manya) et les Toma. Il réussit à entretenir de très bonnes relations tant à Missagbèdou (son village natal) qu’à Macenta (qu’il créa) aussi bien avec les monarchies CamaraDiomandé qu’avec les Toma. Certes, il bénéficia du respect et de l’application rigoureuse du pacte d’alliance, d’entraide, de protection mutuelle Moussadou conclu aussi bien par les « Kamè-Kourouma-Doumbia » et les CamaraDiomandé. Soni Ténin, la mère de Bakary Kourouma était une Camara de Bonkomandou et descendait de Farin Kaman Camara. Soni Ténin Bakary fréquentait régulièrement et pieusement le vieux Kouloubanyan, tel un fils à son père. Ce vieux roi toma de Looma avait une nette emprise sur les Toma de Kòòdou et du Kolibirima-Toma. Ce patriarche eut à perdre son fils aîné alors qu’il n’en avait que deux seulement. Le second qui était mineur ne pouvait lui être d’aucun concours appréciable. Profondément éprouvé par cette perte irréparable, Kouloubanyan était désespéré de la vie, car sa succession et la pérennité de son pouvoir étaient compromises. En effet, son âge très avancé ne lui permettait plus de procréer. Il y avait donc un vide à combler. Par compassion, Soni Ténin Bakary Kourouma venait régulièrement consoler le vieux à qui il offrit ses services en lieu et place du défunt Prince en ces termes: « N fa, i kana kasi, i makun. I sabari, i kana silan, ka faran bi la, i den tun bè fènfèn kè i nyè, n bè a bèè kè i nyè... » Ce qui signifie: « Papa, ne pleure pas outre mesure, résigne toi, n’aies peur de rien. À partir d’aujourd’hui, je prends le ferme engagement de me 1072


substituer à ton fils défunt. Je ferai pour toi tout ce qu’il aurait pu faire pour toi, s’il vivait... » Ainsi Kouloubanyan adopta Soni Ténin Bakary Kourouma comme son fils tout en lui confiant son jeune et unique fils mineur. Il veilla aussi sur Soni Ténin Bakary Kourouma jusqu’à sa mort en 1877. Rappelons que c’est lui qui avait fait pression sur les Toma pour accueillir Soni Ténin Bakary et lui permettre de créer le village de Macenta. Par respect pour leur vieux roi, tous les Toma de la région de Kòòdou, du Koadou, Kolibirama-Toma... eurent des égards pour ce Dyula. Mieux, Kouloubanyan fournit des éléments à son fils adoptif afin que celui-ci puisse créer une modeste armée de dissuasion. D’autres versions de la tradition orale soutiennent que l’affection du roi toma pour Soni Ténin Bakary était telle qu’il le proclama héritier de son trône. En tout cas un pacte de non-agression et de solidarité les liait. Selon une des clauses de cet accord, Soni Ténin Bakary Kourouma pouvait disposer, à tout moment, de l’armée toma de Kouloubanyan pour ses besoins internes ou en cas d’agression extérieure. Ainsi, du vivant de Kouloubanyan, Soni Ténin Bakary Kourouma devint un chef important avec qui il fallait compter ou composer désormais. Mais il lui fut très difficile de conserver la neutralité absolue dans le conflit qui opposait les Malinké ou Manya du Koadou (Bonkomadou) et les Toma de Koadou et du Kòòdou. DIPLOMATIE Soni Ténin Bakary Kourouma fut très prudent dans une atmosphère de tension. Son petit état constituait une zone tampon entre d’une part les forces Toma du Kòòdou, du Koadou et du Kolibirama-Toma et celles des Manya (Malinké) du Koadou, du Konokoro et du Kolibirama-Malinké d’autres part. Il devait respecter ses engagements envers les Toma auxquels il était lié par un pacte de non-agression et de solidarité. Il ménageait beaucoup ses oncles, les Camara de Bonkomadou et d’ailleurs, qui étaient liés à lui par le serment d’entraide et de solidarité mutuelle conclu par les ancêtres Farin Kaman Camara et Toumani Kamè à Moussadou, depuis le XVIème siècle et plus récemment par les différents liens matrimoniaux noués entre les deux clans, car sa mère Soni Ténin était Camara. Donc tout acte d’hostilité à Soni Ténin Bakary Kourouma était exclu de la part de ces deux forces ennemies qui se guettaient. En fin diplomate, il exploita aussi ses vieilles relations amicales avec l’Almamy Samory Touré qu’il avait connu pendant les nombreux voyages d’affaires de celui-ci dans la région forestière. Ils s’étaient rencontrés et avaient sympathisé. Il fut l’une des rares personnes que Samory appelait affectueusement « n kòrò » (grand frère). Ce colporteur cupide et intransigeant se mua par la force du destin en puissant chef de guerre qui s’imposa progressivement en éliminant tour à tour les rois qui entravaient son ascension irréversible vers la consécration suprême de Mansa et d’Empereur (Faama). L’Almamy Samory avait donc beaucoup 1073


d’égards pour Soni Ténin Bakary Kourouma dont il avait gardé un souvenir amical et fraternel particulier. En tant que grand frère privilégié, Soni Ténin Bakary était, par contre, toujours bien et vite reçu dans la Cour Impériale de Sanankoro et de Bissandougou, contrairement aux délégations de la confédération Camara-Diomandé du Toukoro (Forêt), ses oncles maternels, qui traînaient toujours hors de la ville avant d’être autorisées à y entrer. Aussi, on avait constaté que toutes les audiences qu’elles sollicitaient avec l’Empereur nécessitaient une très longue attente. Pour éviter dans l’avenir de tels désagréments qui frisaient parfois l’humiliation, les monarques Diomandé de la forêt crurent opportun d’exploiter le privilège exceptionnel dont jouissait leur neveu Soni Ténin Bakary Kourouma auprès de l’Almamy Samory Touré, qui, rappelons-le, était aussi un neveu, car sa mère Sona était Camara. Ils décidèrent unanimement de nommer Soni Ténin Bakary en qualité d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de toute la Confédération Camara-Diomandé de la région forestière auprès de l’Empereur à Sanankoro et à Bissandougou. Ainsi, ils pourraient communiquer régulièrement et rapidement avec le Faama. Dans les deux sens, tous les messages devaient passer obligatoirement par lui. Mais par mesure de prudence Soni Ténin Bakary exigea de prêter avec eux un serment de fidélité et de respect rigoureux de tous les messages qu’il aura l’honneur de leur transmettre de la part du Faama de Bissandougou. En effet, il était conscient que tout manquement dans ce sens pourrait ternir son image et compromettre ses relations privilégiées avec l’Almamy Samory Touré avec qui il fallait éviter le moindre conflit ou la moindre indisposition. Il doutait certainement de la bonne foi de ses oncles maternels auxquels il ne pouvait rien refuser. Son souci était de bien remplir et de façon régulière son rôle de courroie de transmission en donnant pleine satisfaction aux deux parties. Lors d’un rassemblement extraordinaire (gbara, dyama, ladyè) des rois Camara-Diomandé, Soni Ténin Bakary leur déclara pour la circonstance: « An ye an sè, ka a sòrò baara min di ni n ma alu bolo. Ni n ka do bò Faama kumakan na, ni n ka fèn fò ayi nyè min tè Faama kumakan di, selikan na ye n mina. » Ce qui signifie: « Jurons ensemble pour la réussite de la mission que vous aurez à me confier. Si je déforme le message du Faama ou si je vous dis quelque chose qui n’est pas de lui, que le serment m’anéantisse. » Mais pour sa sécurité, il ajouta: « Ni n ka fèn fò ayi nyè Faama tolo, ni ayi ka ayi ban ka wo kè, selikan n ye alu mina... » C’est-à-dire: « Mais par contre si vous refusez de respecter tout message que j’aurai à vous transmettre de la part du Faama, que le serment vous anéantisse aussi. » Ainsi, toutes les deux parties s’engagèrent à respecter fidèlement les engagements et les différents messages. Ce serment fut conclu sous l’autorité suprême de: 1074


• Kono Manfing Camara, doyen-patriarche et roi du Konokoro (Oularo), • Kaman Kékoura Camara, roi de Boussé (Kouankan), • Le roi de Diaradou, • Kèmo Bronséï, roi de Fadou, • Gboso Camara, roi de Koadou (Bonkomadou et oncle maternel de Soni Ténin Bakary Kourouma) et • Soni Ténin Bakary Camara lui-même. Pour faciliter les contacts, Soni Ténin Bakary nomma son premier fils, Ténin Mory Kourouma, en qualité d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire auprès de l’Empereur Almamy Samory Touré à Sanankoro et à Bissandougou. L’Almamy Samory approuva cette démarche. L’Ambassadeur fut agréé. DEUXIÈME PHASE DU COMPLOT Ce pacte avait renforcé l’autorité et l’influence de Soni Ténin Bakary Kourouma tant dans la savane que dans la forêt. Les griots le flattaient. On disait qu’il était devenu les yeux, les oreilles, la bouche et les pieds de Samory dans la forêt: « Soni Ténin Bakary bara kè Samori nya, a tolo, a da ani a sen di Tukoro dyamana rò. » Devenu ainsi ombrageux pour ses oncles, ceux-ci complotèrent contre lui afin qu’il ne devienne pas, en plus un jour, « les mains » de l’Almamy Samory Touré: « A kana kè Almamy bolo di Tukoro dyamana rò. » C’est ainsi qu’on décida de l’éliminer physiquement afin que l’Empereur ne l’arme ou ne se serve de lui un jour pour leur faire la guerre. Pour parvenir à ce but, les Monarques Camara décidèrent d’organiser un sacrifice de taureau rouge à son retour de mission à Sanankoro. Kan Diarra Kourouma, dont la mère était originaire de Fadou, était chargé de créer un incident qui devait nécessairement déboucher sur une bagarre avec Soni Ténin Bakary Kourouma. En effet, ce dernier, en tant que doyen des Kamè et des commerçants (dyula kanbelen kuntii) avait la haute responsabilité de partager la viande entre les autres clans non Diomandé. Et cette bagarre aurait servi de prétexte pour mettre la main sur Soni Ténin Bakary. En effet, à son retour de Sanankoro, il fut invité, en tant que neveu et chef des Dyula, à participer au sacrifice des Diomandé. Après avoir abattu et dépecé le taureau, on divisa la viande en deux tas. Un tas était destiné aux Diomandé (les Camara) et l’autre qui revint aux autres clans fut remis à Soni Ténin Bakary, leur chef afin que chacun reçoive sa part. Ceux-ci le rejoignirent devant sa case. Il commença par donner à son cousin Kan Diarra un gros morceau de viande, avant tout le monde. Quelques instants après, celui-ci revint pour choisir 1075


lui-même un autre morceau, ce qui prouvait qu’il n’était pas satisfait. Évidemment, Soni Ténin Bakary s’indigna de cette façon de faire qui indisposait tout le monde. Pour créer le scandale qu’on attendait, Kan Diarra voulut se servir par la force. Le grand Bakary l’en empêcha naturellement pour ne pas être taxé de complaisant avec son cousin par les autres. Mais malgré cette attitude de l’aîné, le cadet ne lâcha pas prise. Ils en vinrent aux mains. Kan Diarra bénéficia de l’effet de surprise et réussit à terrasser Soni Ténin Bakary qui était assis. Il s’attendait à tout sauf à une bagarre. Et cette échauffourée attira l’attention des Diomandé qui surveillaient leurs moindres gestes. Ils vinrent se plaindre de cette attitude déplorable voire indigne des Kamè en ces termes: « Ha! Ayi bara an na saraka tinyè, kèlè tè kèla saraka kun na. Fo ka ayi mòò fila bila kurun na. » C’est-à-dire: « Ha! Vous avez gâté notre sacrifice, on ne se bat pas autour d’un sacrifice. On doit vous mettre vous deux aux fers. » Cette proposition du parrain de la cérémonie fut agréée par tous les participants, surtout les conspirateurs. Ainsi les deux neveux des Camara furent condamnés au supplice du fer sans même leur demander la moindre explication pour situer les responsabilités. Comme convenu, Kan Diarra Kourouma se laissa facilement clouer, puisqu’il devait être relaxé après qu’ils eurent maîtrisé Soni Ténin Bakary, le colosse. Mais c’était méconnaître le tempérament du colosse Soni Ténin Bakary qui, contrairement à ce qu’on croyait, s’indigna de ce qui était arrivé et jura que personne ne pourrait jamais le mettre aux fers dans des circonstances pareilles, sauf son cadavre. Dans un élan de colère démesuré il s’adressa à son cousin: « Ile Kan Diarra, i tè tyè gbèlè bin nin ko i si kònò. » (= Toi, Kan Diarra, c’est ta dernière fois de terrasser aussi lâchement un homme.) Devant cette farouche résistance imprévue de Soni Ténin Bakary, les conspirateurs se firent discrètement signes pour aller se concerter dans la forêt sacrée de Fadou afin d’envisager d’autres mesures plus efficaces et certainement moins directes, car cette tentative directe d’assassinat serait décriée par ses sympathisants surtout que la décision de son élimination physique n’était décidée qu’à un niveau restreint. Après ce scandale qui compromettait l’efficacité de la réussite de leur sacrifice, il fallait convaincre tout le monde et faire admettre l’impérieuse nécessité de la mesure ou de la sanction suprême. Il fallait absolument tuer Soni Ténin Bakary. Après des débats houleux, la majorité des Camara-Diomandé opta pour cette tendance. Mais on décida d’attendre le crépuscule ou la nuit pour agir. Heureusement, l’un d’entre eux se détacha discrètement, donnant l’impression d’aller faire ses besoins, et retourna au village par un chemin détourné. Il se glissa subtilement dans l’enclos de Soni Ténin Bakary Kourouma qui était dans sa case avec une de ses femmes. En tapant sur l’un des piliers de la case, celui-ci parla en ces termes:

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« Pauvre bois, c’est à toi que je parle et non à une personne. Si tu restes ici jusqu’à cette nuit, la tornade qui soufflera cette nuit t’emportera à jamais... » Puis il repartit rapidement rejoindre la forêt sacrée aussi discrètement qu’il en était parti. Évidemment, son geste que les autres pouvaient considérer comme un acte de haute trahison était un désaveu cinglant de l’acharnement injustifié des Diomandé contre leur neveu. Il faut rappeler aussi que Soni Ténin Bakary Kourouma avait auparavant rendu à cet informateur un grand service qui l’avait marqué. C’était donc une reconnaissance pour son bienfaiteur: « Bònò tè ko nyuman lò. » (= Un bienfait n’est jamais perdu, tout le monde n’est pas ingrat.) Cette déclaration tomba heureusement dans l’oreille de Soni Ténin Bakary à qui elle était réellement destinée. Il se prépara aussitôt pour partir, dit au revoir à sa femme qu’il invita à ne jamais indiquer son itinéraire et surtout de faire le silence sur l’information qui lui a mis la puce à l’oreille. Il partit par le même trou de son enclos que son informateur. Ainsi il s’évada, car un homme averti en vaut deux, dit l’adage. Mais avant de partir, il prit le fétiche « kèlèsiri » sur lequel il versa trois bouchées d’eau. Ce geste était inévitablement suivi de chute de pluie, même en saison sèche. Et vers le milieu de l’après-midi, il se mit à pleuvoir. Ce mauvais temps retarda l’exécution de la tentative d’agression ou de l’attaque surprise qui était décidée par les conjurés. Ce qui permit au fugitif de gagner du terrain. En effet, ils furent contraints d’attendre la fin de la pluie pour venir attaquer Soni Ténin Bakary dans sa case. Mais malheureusement pour eux, cette pluie inaccoutumée, qui tombe à contretemps, persista jusqu’à la nuit. Et le fugitif en profita pour s’éloigner davantage. À leur retour la nuit, ils vinrent encercler la case où ils espéraient prendre Soni Ténin Bakary par surprise. Ne l’y ayant pas trouvé, ils demandèrent des explications à sa femme qui s’étonna que son mari ne soit pas avec eux puisque dès après la bagarre du matin celui-ci avait quitté la maison sous prétexte que les hommes allaient dans la forêt sacrée pour régler leurs différends. Et depuis il n’était pas revenu à la maison. Ils furent obligés de se retirer, très perplexes. Ne sachant plus que faire pour retrouver le fugitif. Ils n’étaient pas en mesure de soupçonner quelqu’un d’indiscrétion ou de trahison. Le fugitif se dirigea à Bonkomadou pour porter l’incident à la connaissance de ses oncles maternels directs. Malheureusement, ceux-ci ne s’en émurent pas et ne firent preuve d’aucune compassion. Et d’ailleurs le roi reprocha au fugitif: « Alu Se-Biramasilu! Ko tè bòla ayi kò. » (= Vous les descendants de Sé-Birama, vous avez toujours des problèmes, et des faux problèmes.) Déçu par cette réponse de son oncle, Soni Ténin Bakary fut situé sur la participation effective de ses oncles maternels de Bonkomadou au complot et sur l’ampleur de celui-ci. Il continua sa route en marchant dans la brousse pour échapper aux éventuels traqueurs. C’est ainsi qu’il parvint à Oularo, première 1077


capitale de Kono Manfing Camara du Konokoro (Macenta), et doyen des monarques Diomandé de la forêt. Plus tard, Kono Manfing abandonna Oularo en transférant sa capitale à Singbèdou (Macenta). Ce vieux roi fut très inquiet par l’état d’épuisement de Soni Ténin Bakary Kourouma, le neveu de tous les Camara. Faisant preuve de compassion et de solidarité, il parvint à retenir le fugitif qui tenait absolument à continuer sa route sur Sanankoro ou Bissandougou pour informer son ami, son jeune frère et maître, l’Almamy Samory Touré. Kono Manfing interpella une de ses femmes à qui il ordonna: « Na dyi suma di Kamè ma. » (= Viens donner à boire à l’honorable Kamè.) Après ce premier geste d’hospitalité, il lui offrit dix noix de cola (dyilòworo) comme pour lui souhaiter la bienvenue. Puis il s’adressa de nouveau à sa femme: « Taa daa sii ta ka ye tibili kè n’mamarèn nyè, konkoba le ye a la. » C’est-à-dire: « Va préparer à manger immédiatement pour mon petit neveu qui doit avoir très faim. » Mais le fugitif rejeta respectueusement cette dernière offre qui était certes un grand honneur et une marque d’affection pour lui, sous prétexte qu’il lui fallait absolument continuer sa route. « Ko barika bunyèla, wa n b’a fè ka tanbi, n wato Sanankòrò ani Bisandu. N barinlu bara n dyiitèè. Ayi ka dyanfa don n ma. Ayi tun b’a fè ka n faa. A to n ye tambi. I barika bunyèla... » Ce qui se traduit par: « Merci! Pour cet accueil si affectueux, mais il me faut atteindre absolument et immédiatement Sanankoro et Bissandougou, car mes oncles m’ont déçu et abandonné. Ils ont conspiré contre moi et voulaient me tuer. Laissez-moi continuer ma route. Merci pour ton hospitalité... » Cette réticence du fugitif sous entendait qu’il voulait aller informer l’Almamy Samory Touré à qui il resservait la primeur de sa mésaventure de Fadou. Mais sur insistance du vieux Kono Manfing Camara, il raconta néanmoins les faits en concluant que ses oncles avaient délibérément foulé aux pieds avec mépris tous les principes élémentaires qui régissent au Mandingue les relations d’une personne avec ses parents maternels et qui sont caractérisées par l’amour, la protection mutuelle, le respect, la solidarité absolue. De surcroît ils avaient bafoué la mémoire et la volonté des ancêtres Farin Kaman Camara (le leur) et de Toumani Kamè de Moussadou (le sien) et pour cette raison il ne pouvait compter désormais que sur son ami, l’Almamy Samory Touré, qui l’avait désigné comme son Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire auprès de la Confédération Camara-Diomandé de la forêt (Guinée-Libéria). Parfois les faits et les évènements historiques se répètent ou se ressemblent curieusement. Rappelons qu’en juillet 1830, la France avait justifié la conquête de l’Algérie par le prétexte fantaisiste de punir l’offense faite au Roi Charles X, à travers son Ambassadeur. La figure de ce dernier aurait été frôlée 1078


par inadvertance par l’éventail qu’actionnait le Sultan d’Alger, Abdel Kader, pendant une audience. Ce geste involontaire du Sultan à la figure de l’Ambassadeur fut, en dépit des excuses du Sultan, considéré comme une gifle faite à la France. D’où le motif fantaisiste de la conquête de l’Algérie par une longue guerre qui dura de 1832 à 1870. C’est au terme d’une guerre de libération, de dix ans, déclenchée le 1er Novembre 1954 par le FLN (Front de Libération Nationale) dirigé par AHMED BEN BELLA que l’Algérie recouvra son indépendance en 1963. Or quand un ambassadeur est outragé dans l’exercice de ses fonctions, il se doit de rendre compte à ses mandants auxquels il appartient de tirer de l’acte de déconsidération les leçons qui s’imposent, car à travers la personne de l’ambassadeur, ce sont eux qui sont offensés et humiliés: « Ni i ka tyéla-laséden dòòya, mòò min ka a tyé, i ka wole dòòya. » Ils peuvent soit prendre des mesures de réciprocité, soit envisager une répression appropriée, à la mesure de l’affront. Généralement l’affront ne reste pas impuni pour une question d’honneur personnel ou national. Dans les meilleurs des cas, on fait preuve de pacifisme en engageant le dialogue direct ou en passant par tierce personne pour se plaindre de l’affront. On se limite dans ce cas à de simples protestations verbales. Mais, la réaction extrême peut entraîner des actes de violence qui n’excluent pas la bagarre voire la guerre. Entre temps, les Sofas de Soni Ténin Bakary Kourouma ayant appris que leur mansa (roi) avait échappé à un assassinat et qu’il se trouvait à Oularo, chez son oncle Kono Manfing Camara, roi du Konokoro, le rejoignirent individuellement ou par groupes. Ainsi, il reconstitua son armée. Mais il ne put ni contre attaquer ses oncles conspirateurs ni continuer sa route eu égard à la grande et affectueuse marque de respect que lui avait témoignée le vieux Kono Manfing Camara (Mòò ye silanna i bunyè bò ale ye). En effet, Kono Manfing, le patriarche de tous les Camara de la forêt, avait su mesurer à sa juste valeur, l’ampleur de la répression que l’Almamy Samory Touré allait inéluctablement déclencher pour châtier les conspirateurs, car le Faama n’a jamais toléré l’outrage fait à sa personne ou à ses représentants. La région forestière serait donc embrasée. Il sut apaiser et dissuader le fugitif qui resta à Oularo. Mais en plus il convoqua une grande assemblée extraordinaire de tous les monarques Camara-Diomandé, surtout ceux impliqués dans cette tentative d’assassinat. Ils devaient tous ensemble se repentir de la faute commise. Tous y répondirent en personne, car cette chance unique de réconciliation était une opportunité à saisir afin d’éviter la catastrophe. Devant cette auguste assemblé (gbara, dyama, ladyè), le patriarche Kono Manfing Camara, doyen des Camara de la confédération déclara: « Vous mes frères de Bonkomadou, avez-vous oublié que c’est vous qui avez donné votre fille Soni Ténin Camara à Moriba Kamè et que l’enfant issu de ce mariage est votre neveu que vous devez aimer, choyer et protéger comme

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le veut la règle? Vous avez failli à votre devoir et offensé l’esprit des ancêtres. À vous de vous repentir. Quand à vous mes frères Camara de Fadou, avez-vous oublié que c’est à l’issue de vos démarches que Moriba Kamè a pu épouser Soni Ténin Camara? Avez-vous déjà oublié vos engagements? Vous avez déçu la confiance que Moriba Kamè avait placée en vous. C’est honteux et malheureux de votre part. Vous auriez dû nous saisir de ce que vous reprochez à notre neveu. Qu’a-t-il fait de mauvais pour que vous vous en preniez à lui avec tant de hargne au point de vouloir l’éliminer physiquement? On peut tout arranger entre nous pour que règnent ici la paix, la tolérance et l’esprit de bon voisinage. En tout cas je suis indigné par votre comportement à l’endroit de notre neveu... » conclut-il. Bref! Les Camara n’eurent rien à reprocher à Soni Ténin Bakary Kourouma. Ils furent confondus et regrettèrent leurs desseins criminels qui obéissaient à une haine injustifiée. Ils présentèrent donc publiquement leurs excuses à leur neveu, et pour matérialiser cette réconciliation, les Camara de Bonkomadou donnèrent en mariage une seconde fille de nom de Ma Gnalin Camara qui donna le jour à Gnalin Moriba Kourouma dit El Hadj Gnalin Moriba. Celui-ci fut le père de beaucoup d’enfants dont les aînés Fatouma Bakary Doumbia dit « Bakary Sorani » était commerçant à Abidjan en 1989 et Ansoumane Doumbia, employé, en 1989, de la Société Ivoirienne de Banque (SIB). À leur tour, les Camara de Fadou offrirent en mariage Mòò Magnan Camara pour consoler Soni Ténin Bakary Kourouma. Celle-ci eut pour enfant Sidiki Kourouma dont la progéniture se rencontre à Macenta, au Libéria et en Sierra Leone (Koïndou). On versa de l’eau pour apaiser la mémoire offusquée des anciens et pour éviter la récidive de tels événements répréhensibles entre les Camara et les Kourouma. Et tout rentra dans l’ordre. Ainsi on put réconcilier les Kamè (Kourouma ou Doumbia) et les Camara (Diomandé). Et depuis la vie reprit entre les deux clans dans l’harmonie et la paix. Mais il faut noter que l’Empereur Almamy Samory Touré s’inquiéta du long silence réservé à son message qu’il avait transmis aux Camara par le biais de l’Ambassadeur commun aux deux camps, Soni Ténin Bakary, l’une des rares personnes qu’il appelait affectueusement « n kòrò » (grand frère). L’empereur qui fut d’abord colporteur sur les différents marchés a certainement connu, sympathisé et fraternisé avec Soni Ténin Bakary dans les circonstances que nous ignorons. « Alu ye wa n kòrò Bakari kibaro manyininka, a bara mèn n na tyéla tè dyabila, alu ye wa a ma fènfèn min kènin... » Ce qui veut dire: « Mon grand frère Bakary a trop duré pour revenir ou sans donner signe de vie, aussi, aucune suite n’a été donnée à mon message. Allez-vous enquérir de ses nouvelles... » déclara-t-il devant le Conseil d’État.

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Afin de parer à toutes les éventualités, il expédia, pour cette mission d’urgence, neuf détachements (kèlèbolo kònònto) en direction de la forêt sur les traces de Soni Ténin Bakary Kourouma. Cette importante colonne, placée sous le haut commandement du Général Kounadi Kèlèbaa, passa par le Konyanko (Koninko), Mandou et fit la jonction avec Soni Ténin Bakary à Oularo, chez Kono Manfing Camara, le doyen des Camara dont la sage et lucide intervention l’a empêché de continuer sa route. Heureusement l’incident entre l’ambassadeur et ses oncles était déjà réglé à l’amiable avant l’arrivée de la colonne samoryenne. Rassuré par Soni Ténin Bakary, le Général Kounadi Kèlèbaa et son armée rentrèrent à Bissandougou sans la moindre escarmouche. Le séjour de ce corps expéditionnaire de neuf détachements (kèlèbolo kònònto) dans la région forestière a été matérialisé par des tas de cailloux qu’on reconnaît de nos jours à Kobiséla, non loin de Maloogbanon. En effet, à l’époque, à chaque campement en rase campagne, chaque sofa apportait un caillou, et on en faisait un tas qu’on dénombrait. Ceci permettait aux commandants (sofakun) des différentes divisions et unités de faire le point exact sur l’effectif déployé. Ainsi on pouvait savoir à tout moment de combien de sofas l’effectif était diminué entre deux étapes ou après une opération. En déduisant les morts, on pouvait par cette méthode pratique de contrôle savoir le nombre de déserteurs, de morts ou de disparus. L’ÉPISODE DOULEUREUX DE SÉLINKA OU LA GUERRE DE SÉLINKA EN 1886 Gnanenco était un roi toma qui résidait dans une forteresse inexpugnable à Sélinka, non loin de la frontière libérienne (Fonyaro). Il était très arrogant et narguait tout le monde, notamment les Malinké ou Manya. Il prit la tête du mouvement de contestation de l’autorité des Malinké en pays toma. C’est ainsi qu’il brandit l’étendard de la libération des Toma asservis par les monarques malinké. Dans cette foulée de prétention, il réussit à provoquer une révolte quasi-totale des Toma. Il déclarait à qui voulait l’entendre qu’il n’appréciait que deux choses chez les Manya: 1 - Les gros et beaux chiens bien dressés que les Manya aiment tant et qui les suivent fidèlement partout (Manya wuluba). 2 - Les jolies calebasses blanches que les femmes manya entretiennent avec tant de soins (fè kaban gbè pepe). Mais ce qui le perdit, fut en fait, son audace d’offenser le Tout-Puissant Almamy Samory Touré en traitant ce conquérant de vulgaire roitelet et de subalterne: « Almami ye tile bòlen, ne ye tile binnen. Ni tile bòla a di la Almami tèè lò, a di tile ban a ye taamana fo wula fè. A sèètuma, a di a la ne tèè rò, n di a bila kòòdyi lò. »

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Ce qui peut se traduire par: « Quand le soleil apparaît à l’Est, l’Almamy Samory s’en saisit dès l’aurore et passe toute la journée à le tirer d’Est en Ouest. Exténué en fin d’après-midi, vers le soir ou vers le crépuscule, il me le passe et l’honneur me revient de le faire tomber sans peine dans la mer, sa demeure nocturne. » En effet, l’empire de l’Almamy Samory Touré était à l’Est du royaume de Gnanenco qui se trouve non loin de la mer (Atlantique, côté libérien). Et Samory considéra cette image comme blasphématoire, comme un défi à relever. Alors il ordonna une grande expédition punitive contre Gnanenco qui déconsidérait en plus tous les Malinké de la forêt. La colonne samoryenne fut placée sous le haut commandement du Général Sifani Amara, secondée par Ténin Souo Kaba, Gbodou Lancéi et Farafing Konaté. Cette colonne fut aussi renforcée par les armées alliées de la forêt dont: o Celles de Soni Ténin Bakary de Macenta et celles de la grande confédération Camara-Diomandé qui se réclament de Farin Kaman Camara. Entre autres, on peut citer: o Fata Kéoulèn Camara vint de Damaro (Simandou) pour prêter main forte. o Kono Manfing Camara était à la tête de l’armée de Konokoro. o Nialin Koly Camara représentait le Kolibirama-Malinké. o Moriba Gboto Camara et son armée étaient venus de Gboni (Libéria). o Massaren Lancéi Camara de Mandou n’avait pas boudé l’expédition. o Kissi Fodé Camara représentait le Dulama (Duama, Sansamodou). o Bonko Morigbè Camara représentait le Koadou. o Kaman Kékoura Camara de Kouankan (Boussé, Macenta) se joignit à cette expédition pour châtier Gnanenco qui n’avait d’égard pour personne. o La division Samoryenne basée dans le Kissi et le Sankaran placée sous les ordres du Commandant Sanan Oulèn et combinée avec celle de Kissi Kaba Keita, le roi de Kissi, vint aussi en renfort. Ce fut donc un grand déploiement des forces coalisées. La mission donnée par Samory était bien précise: « Écraser l’armée toma, anéantir Sélinka et lui livrer vivant son chef Gnanenco, vaille que vaille. » Il fallait éviter toute bavure qui pouvait compromettre le succès de cette difficile mission. La préparation et la coordination diplomatique de l’opération Sélinka furent confiées à Soni Ténin Bakary Kourouma, ambassadeur de Samory auprès de la Confédération Camara-Diomandé de la région forestière. Rendezvous fut pris devant Sélinka où toutes ces armées convergèrent. Comme d’habitude, on mit le siège pour obtenir la soumission inconditionnelle de Gnanenco. Mais c’était méconnaître l’orgueil de celui-ci. Prendre vivant Gnanenco semblait impossible du fait que tous les assauts furent 1082


systématiquement repoussés par les vaillants combattants de Sélinka. On se lassa après neuf mois de siège. Alors, Sifani Amara, le chef de l’expédition proposa le guet-apens pour prendre Gnanenco à défaut d’une victoire militaire, car se retirer sans avoir accompli cette difficile mission aurait terni le prestige de l’Empereur dont la colère pour cet échec serait lourde de conséquences pour tout le monde, notamment les chefs sofas. Fata Kéoulèn Camara de Damaro (Simandou) et Soni Ténin Bakary Kourouma rejetèrent cette méthode répréhensible et lâche. Mais Sifani Amara réussit par la suite à convaincre Soni Ténin Bakary. Pour le commandant en chef, il n’y avait pas d’autres alternatives dans leur difficile situation pour vaincre Gnanenco qui avait réussi à contenir toute leur hargne combative et déjouer toutes les stratégies qu’ils avaient conçues. Finalement l’idée du guet-apens l’emporta. Gnanenco fut ainsi contacté par une mission de bonne volonté qui lui proposa la paix des braves, celle qui honore tous les combattants des deux camps. Il fallait pour cela consommer le dègè (dèè) pour garantir le serment qui devait être prêté à cette occasion. Les clauses de ce serment interdisaient aux Toma de poursuivre les assaillants qui acceptaient de se retirer, et ceux-ci de revenir attaquer par surprise Sélinka. Gnanenco était très craint et adulé de surcroît par son peuple. Quand il dormait toute personne qui osait le réveiller perdait sa tête. Il portait des clochettes sur sa robe royale. À son réveil, il portait cette robe insolite et s’étirait de tous côtés, et les bruits que faisaient les clochettes signalaient le réveil du souverain. La mission fut reçue par Gnanenco qui se laissa convaincre par ce compromis. Malheureusement pour lui il n’écouta pas sa femme Soni qui ne croyait nullement à la sincérité des Manya. Il ne prit aucune précaution et ne prit aucun garde-fou en cas de trahison, comme l’avait laissé augurer sa femme. Gnanenco sortit de son tata avec un grand nombre de ses combattants pour le lieu du rendez-vous situé non loin de Sélinka. On prit soin d’éviter un contact direct entre les deux armées qu’on plaça l’une face à l’autre à une distance quelque peu éloignée. Les responsables des deux armées se rencontrèrent au su et vu de tous pour la cérémonie de prestation du serment ou signature du pacte de non-agression. Les commandants de l’expédition firent le tour d’honneur de la place indiquée, aux sons de leurs instruments de musique et s’agenouillèrent tour à tour devant le plat dègè ou dèè (pâte de farine de riz) et pour recevoir la bénédiction du Général Sifani Amara. Les Toma, alignés derrières Gnanenco, devaient faire autant. Pendant que Gnanenco était prosterné pour recevoir sa part de « bénédiction », le tireur désigné pour l’abattre lâchement hésitait devant la monstruosité de l’assassinat. Rappelé à l’ordre, il s’exécuta, mais son fusil ne répondit pas. Mais le déclic fait par le fusil éveilla l’attention de Gnanenco et des siens qui n’eurent pas le temps de réagir. Soni Ténin Bakary, très prompt, tira sur Gnanenco qui s’écroula à la grande stupéfaction des siens. Évidemment il s’en suivit un corps à corps épique et meurtrier de part et d’autre et qui vit la victoire des assaillants, l’effet 1083


de surprise aidant. Sélinka fut donc pris et réduit. Une grande partie des vaillants défenseurs rescapés se réfugia au Libéria. Soni, l’épouse de Gnanenco, s’écria dans un élan d’indignation que les Manya n’avaient pu prendre que le fourreau et non la lame du couteau. Ce qui signifiait que Gnanenco était issu d’un peuple qui demeure et qui saura trouver son remplaçant. La tête de Gnanenco fut tranchée et expédiée à l’Almamy Samory Touré qui l’aurait faite cuir avec du sel afin de tuer tout germe de chefferie dans la lignée de Gnanenco. Mais informé sur les circonstances réelles de la mort de Gnanenco, l’Almamy Samory Touré s’indigna du forfait de son armée qui avait terni son image et semé la haine dans le cœur des Toma. Néanmoins, il rendit la liberté à Soni, l’épouse de Gnanenco, en lui offrant de nombreux présents pour organiser immédiatement après cette forfaiture les funérailles dignes du rang de son mari. Le Général Sifani Amara fut immédiatement limogé après cette bavure, mais pas pour longtemps, l’Empereur le réhabilita pour les besoins du front est (Sikasso) qu’il venait d’ouvrir et qui exigeait l’intervention de la crème de son armée. Pour avoir désobéi à ses consignes qui étaient bien précises et qui consistaient à lui livrer Gnanenco vivant, l’Empereur se retourna contre son Ambassadeur, son ami et grand frère Soni Ténin Bakary Kourouma, l’assassin de Gnanenco. Pour devancer la mort qui pesait sur lui, ses cousins Kourouma de Timindou s’habillèrent tous dans un uniforme confectionné pour la circonstance, et se présentèrent en file indienne, du plus vieux au plus jeune adolescent, à l’Almamy Samory Touré. Ils vinrent s’offrir en holocauste en lieu et place de Soni Ténin Bakary Kourouma tout en demandant qu’ils soient tous exécutés avant celui-ci. Devant cet élan émouvant de solidarité, et compte tenu de leur amitié qui avait fait ses preuves en plusieurs occasions, l’Empereur renonça heureusement à cette mesure extrême contre un de ses meilleurs serviteurs et lieutenants. Ce risque de mort encouru et cette attitude de solidarité des Kourouma de Timindou en faveur de Soni Ténin Bakary, un descendant de Balla Kamè de Gbabadou, sont une référence que la tradition orale rappelle constamment pour consolider les liens fraternels entre les deux lignages. Donc les Kourouma de Gbabadou, notamment ceux descendant de Soni Ténin Bakary Kourouma, restent moralement tributaire de leurs cousins Kourouma de Timindou. Cette triste guerre de Sélinka a traumatisé les Toma. Et depuis, ils se méfient beaucoup des engagements des Malinké. Évidemment, la condamnation vigoureuse de cette lâcheté par l’Almamy Samory Touré les a quelque peu consolés. Mais il ne faudrait pas pour autant que cet acte ignoble de quelques individus zélés puisse compromettre l’indispensable esprit de tolérance et de bonne cohabitation dont doivent faire preuve les deux communautés manya et toma en s’acceptant mutuellement et en vivant dans une parfaite harmonie que leur destin commun que Dieu et la nature leur imposent. Ne sontelles pas obligées de gérer au mieux le même terroir qu’elles habitent, leur passé commun? Leur destin commun les interpelle. Heureusement que les liens de mariages réciproques existants et à venir doivent être renforcés pour que la paix 1084


et la solidarité puisse régner définitivement entre elles. Les enfants nés de ce métissage sont mieux indiqués pour œuvrer constamment dans le sens du rapprochement, de l’intégration sociale intégrale et harmonieuse des deux ethnies afin de réaliser cette indispensable symbiose ethnique qui profite à tous mieux que la méfiance et l’ethnocentrisme destructeur. Cultivons donc autour de nous l’amour, la tolérance, l’acceptation de l’autre avec ce qu’il incarne de différent. Donnons-nous la main pour combler le large fossé qui nous divise, au lieu de diverger, ou de nous haïr. Les nombreux mariages qui unissent les enfants des deux communautés doivent se multiplier et être encouragés, car ils constituent un levain efficace pour consolider l’indispensable brassage, de nos deux cultures, des deux communautés. En tout cas ce fut mon combat en tant que progéniture d’un père manya et d’une mère toma. Le métis que je suis, issu des deux ethnies, fruit du brassage des deux cultures comme tant d’autres Toma, Toma-Maninya et Manya, a l’obligation morale d’œuvrer constamment pour l’instauration d’un esprit de tolérance et d’acceptation réciproque, car moi je ne saurais vraiment choisir entre mon père et ma mère. C’est pourquoi je réponds fièrement au nom TomaManya, c’est-à-dire homme ayant dans ses veines du sang manya (malinké) et nourri au lait d’une femme toma et de surcroît imbu ou synthèse de ces deux cultures complémentaires que je connais parfaitement bien. Tels sont mes soucis pour la cohésion de nos deux communautés, Tel est mon rêve de réaliser l’harmonie de nos deux communautés, Tel est mon ambition pour l’équilibre de nos deux communautés, Tel est mon souhait pour l’unité profonde de nos deux communautés, Tel est mon message ou dernière volonté pour la progéniture des deux communautés qui doivent se donner les mains pour marcher ensemble dans la même direction pour défendre ensemble les intérêts de des deux communautés qui sont condamnés à vivre ensemble sur cette terre commune de Macenta que Dieu leur a donnée et qui n’appartient à personne. Fait à Abidjan, le 19 août 1989 par Fata Bakary Dian Kourouma dit Kabila (Causerie pilotée et enregistrée et traduite par Daouda Damaro Camara à la demande d’El Hadj Abou Doumbia, PDG de la SIB (Société Ivoirienne de Banque à Abidjan) NOTES ET BIBLIOGRAPHIE (par Daouda Damaro Camara) (1) - Nous avons mis à profit le séjour à Abidjan, en août 1989, de Fata Bakary Dian Kourouma pour recueillir la substance de cette brève étude tirée de quatre audiocassettes enregistrées de 60 minutes chacune. Il était le fils de feu Koulouba Mòò Kourouma, un des nombreux fils de Soni Ténin Bakary Kourouma, le fondateur de Macenta-Ville vers 1870 1085


selon Yves Person. Notre informateur était très lettré en Arabe et par l’exercice de la récitation du Coran, il avait une mémoire phénoménale, féroce et fidèle. Il pouvait reprendre le même récit autant de fois souhaitées, avec la même éloquence, la même vivacité sans qu’il n’y manque un iota. Né en 1914, sept ans après la mort de son grand-père Soni Ténin Bakary Kourouma, il était désigné en 1989 comme coordinateur et chargé de mission de la grande famille Kourouma de Macenta-Ville (Kouroumala kabila ou Kamèla kabila), qui regroupe dans un même creuset d’unité et de solidarité les clans Soni Ténin Bakarydou, Alaphaidou, Fasan Kamèsi, Gbèni Kamèsi, Timindouka et Gnalin Kaba Sokodou. Cette grande famille avait pour patriarche El Hadj Férébory Kourouma (Alaphaidou) qui avait 102 ans en 1989. Celui-ci, dont l’autorité était reconnue par tous les Kourouma ou Kamè ou Doumbia de la Guinée Forestière, du Libéria et de la Sierra Leone avait succédé à Kèmòò N’Va Sosi Kourouma (Soni Ténin Bakarydouka) mort à plus de 100 ans en 1981 à Gbandawaradou (Macenta).

Fata Bakary Dian Kourouma dit Kabila Chargé de mission de la grande famille Kourouma de Macenta de 1970 à 1998 dont il devint le doyen (kabila kuntii ou sotii kèmòò) de 1994 à 1998, après la mort de son prédécesseur, El Hadj Férébory Kourouma, Amen! Ce fut lors de sa venue à Abidjan pour présenter les condoléances de la grande famille Kourouma de Macenta à leur frère et cousin Abou Doumbia, ex-PDG de la SIB (Société Ivoirienne de Banque), qui venait de perdre son épouse Anastasie, qu’il a fait ce brillant exposé sur SONI TÉNIN BAKARY KOUROUMA, à la demande d’Abou Doumbia. Né en 1910 il est décédé le 18 janvier 1998 à Macenta. Père de dix-sept enfants dont l’aîné, Mamadi Kourouma Kabila, vivait à ENTA, Conakry, en 2017.

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L’âge du Dyala, arbre tutélaire de Macenta, planté par Soni Ténin Bakary lors de la création de la ville de Macenta qui a eu plus de 100 ans et qu’une violente tornade a malheureusement fait tomber en 1989. On pourrait donc, sur la base de cette foi situer la création de Macenta à 1839. Cet arbre tutélaire faisait l’objet d’une adoration régulière de la part des Kourouma, du moins jusqu’à une période très récente. Selon Fata Bakary Dian Kourouma, notre informateur à qui nous devons la généalogie des Kourouma à partir de Gbabadou, il est question de remplacer cet arbre tutélaire qui faisait leur fierté. Malheureusement cette initiative, jusqu’en 2020, est restée intention ou lettre morte. Aussi, à la page 580 de « SAMORI, UNE RÉVOLUTION DYULA », Yves Person écrit: « La fondation de Bonkomadu par Moriba Gbotoo (fils de Diataman) ne peut guère être antérieure à 1870. Les Français donneront 45 ans, vers 1910, à son fils Boso, le futur chef de canton. Or Boso était né à Nyandinyaro, avant la rupture des liens avec les Koïvogui. » Mais si Macenta a été créé vers 1870 avec la bénédiction des Camara de Bonkomadou, comme le dit Person, la création de Bonkomadou est donc logiquement antérieure à 1870, contrairement aux allégations d’Yves Person. En effet la tradition est absolument catégorique sur la large antériorité de la fondation de Bonkomadou à celle de Macenta. En effet, elle retient fermement que cette agglomération des Camara, village où est effectivement née Soni Ténin Camara, la mère de Bakary Kourouma, fait partie des anciens et premiers villages manyas (mandingues) dans cette contrée. Donc Bonkomadou n’a pas été créé ni après 1870, ni peu en 1870, mais bien avant 1870. (2) - Selon Yves Person, la ville de Macenta a été fondée vers 1870 par Soni Ténin Bakary Kourouma. Cette date est contestée par les vieux pour lesquels ce fait est bien antérieur à 1870. On estime, en 1989, à 150 ans l’âge de cet arbre tutélaire des Kourouma. Jusqu’à une date récente, cet arbre était adoré. C’était le lieu privilégié des cérémonies rituelles. On s’y recueillait pieusement devant l’esprit de l’ancêtre fondateur (Soni Ténin Bakary) qui y résiderait. Il se tenait fièrement en face des bureaux des PTT, non loin de PalmHôtel et de la gare routière de la ligne Macenta-N’Zérékoré. Déraciné par une violente tornade en 1989, certains descendants sont favorables au remplacement de cet arbre tutélaire. Malheureusement cette tendance ou intention n’est pas, en 2012, concrétisée. À quand donc cet acte de réhabilitation de ce patrimoine ancestral? Cependant, sans être superstitieux, le déracinement ou la chute de cet arbre tutélaire avait provoqué beaucoup de dégâts matériels dans la ville. De mémoire des sages, jamais une telle tornade ne s’était abattue sur la contrée. Le bilan fut désastreux: beaucoup d’arbres déracinés comme le Dyala tutélaire, de nombreuses maisons décoiffées dans tous les quartiers de la ville de Macenta. Certains disent que ces dégâts sont les conséquences de la colère des génies du lieu contre les descendants de Soni Ténin Bakary Kourouma qui ont cessé de vénérer cet arbre tutélaire qui protégeait la cité contre les catastrophes. Pour eux il faut se décider de remplacer cet arbre. Par contre pour d’autres moins crédules, la tornade est un phénomène naturel cyclique qui ne s’aurait être le fait des génies ou du courroux de la mémoire de Soni Ténin Bakary Kourouma, le fondateur de leur cité commune. À la lumière de cette version de Fata Bakary Dian Kabila, la création de cette agglomération remonterait à 1839, contrairement à 1870, comme l’insinue Yves Person.

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ÉPILOGUE ----------o---------Je suis donc persuadé que je n’échapperai pas, moi aussi, ainsi que mon ouvrage, à ce jugement inévitable et sévère de mes contemporains et des générations futures. J’admets donc avec Voltaire qu’aucune œuvre humaine n’est parfaite. La perfection n’appartient qu’au seul TOUT PUISSANT CRÉATEUR DE L’UNIVERS ET DE SON CONTENU. ► Octogénaire, ayant eu une enfance et une adolescence très mouvementées par des guerres tribales et des guerres de résistance de l’armée samoryenne à la pénétration française en Afrique Noire, auxquelles mes parents, notamment mon père Fata Kéoulèn Camara de Damaro, avaient pris une part active, ► Témoin oculaire des derniers sursauts de résistance de nos pères pour certains et ancêtres pour d’autres à la pénétration française dans cette partie de l’Afrique, ► Agent, tantôt contestataire indélicat au début de ma carrière dans l’administration coloniale française qui, pour cette raison, m’avait parfois considéré comme un dangereux rebelle et un nostalgique d’un passé féodal révolu, car mes ascendants ont toujours été des monarques dans cette partie du Mandingue, depuis le XIIème siècle, ► Tantôt fidèle collaborateur, presque toute ma vie, de l’implantation et de la consolidation de l’administration coloniale française en Guinée, ► Je viens de bénéficier d’une faveur divine exceptionnelle en assistant au processus irréversible de décolonisation et en vivant les premières années de la nouvelle ère d’Indépendance, de Liberté et de Dignité de l’Afrique Noire dans sa partie guinéenne. Donc: ● J’ai connu la période précoloniale, ● J’ai vécu la période coloniale et ● J’ai débuté la nouvelle ère de l’indépendance de mon pays, ● Car, à 79 ans, je suis au crépuscule certain de ma vie qui peut prendre fin maintenant ou sous peu. Donc j’ai peu de chance ou peu de temps pour vivre et apprécier cette dernière période de la vie de notre pays qui vient de débuter une phase pleine d’embuches. Je ne peux que souhaiter pleine réussite à notre vaillant peuple qui doit se battre pour créer le bonheur en s’ouvrant au modernisme tout en préservant les éléments dynamiques de son glorieux passé dans lequel tout n’est pas à rejeter. ► Mais j’ai préféré limiter essentiellement cet ouvrage d’histoire et de sociologie mandingue à la période antérieure à la colonisation, période qui demeure encore un point d’interrogation à bien d’égards.

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► J’ai aussi évoqué les faits d’armes ayant entravé ou permis la colonisation. ► J’ai volontairement laissé le soin aux jeunes historiens de dégager le fait colonial. Il leur revient donc de faire le bilan de cette nouvelle ère qu’ils connaissent plus ou moins bien grâce à certains documents écrits et à quelques témoignages oraux des témoins oculaires de cette épopée qui sont encore en vie . Quant à de celle de l’indépendance de notre chère patrie qu’ils sont en train de vivre, la situation est moins dramatique ou moins stérile puisqu’elle est d’actualité. Mais ayons l’honnêteté et le courage de reconnaître que la colonisation a eu des aspects aussi bien positifs que négatifs. Ils doivent également recenser les problèmes soulevés par l’indépendance qui sont d’actualité et sur lesquels il y a suffisamment des archives et sur lesquels j’ai peu à dire. ► Octogénaire, dis-je, au crépuscule de ma vie, je ne puis qu’accueillir avec fierté cette indépendance arrachée au prix de maints sacrifices et de haute et persistante et noble politique et syndicale lutte. Mais certainement le temps et la Providence Divine ne me permettront pas de vivre encore plus longtemps pour juger cette nouvelle ère de liberté et de dignité par rapport à l’époque de nos pères et ancêtres et par comparaison à la période coloniale qui vient de finir. Malheureusement, je ne pourrai pas faire ce bilan. Mais j’espère que ce livre sera un outil efficace ou un modèle d’inspiration et d’informations qui permettra aux jeunes historiens, sociologues, ethnologues… de faire ce travail de comparaison, de synthèse afin d’en tirer les leçons utiles qui s’imposent à la postérité que vous êtes. J’espère donc que ce livre soit un bréviaire pour la Renaissance de la Civilisation Mandingue qui, malheureusement, a beaucoup perdu de son identité culturelle. Jeunes de Guinée! Jeunes d’Afrique! Vous qui êtes en quête perpétuelle d’inédits, d’informations et d’enseignements, sachez que j’ai pris tout le temps nécessaire pour demander attentivement, écouter pieusement, recueillir patiemment la substance de ce qui est entre vos mains et pense avoir transcrit fidèlement et objectivement pour vous tout ce que vous venez de lire avec intérêt, je l’espère, sur le passé quelque peu ténébreux de l’Afrique dans sa partie mandingue. J’ai donc voulu vous guider dans les ténèbres de ce passé africain si mal connu, mais si coloré de hauts faits, de patriotisme, de vertus, de magnanimité, d’abnégation, d’altruisme, d’humanisme, d’amitié sincère, d’amour, de fraternité, de solidarité réelle réciproque, d’hospitalité, en un mot de vertus hautement humaines qui doivent vous inspirer à tout moment afin de vous comprendre mutuellement, de vous aimer et de proposer au « Rendez-vous universel du donner et du recevoir des civilisations » nos spécificités culturelles et morales pour réaliser une société universelle plus humaine et plus harmonieuse qui sécurise l’individu.

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Certes, « L’homme… n’est pas entièrement coupable car il n’a pas commencé l’histoire, ni tout à fait innocent puisqu’il la continue, » allègue Albert Camus. Donc évitons les erreurs du passé, les violences passées pour cultiver et pérenniser les valeurs humaines d’antan dont nous devons être fiers. Sachons donc tirer les leçons utiles de l’histoire. Sachons aussi que l’histoire est incorruptible et implacable, donc attention aux falsifications pernicieuses et aux omissions volontaires coupables, car la vérité historique peut être rétablie grâce à l’œil, grandement ouvert dans les ténèbres, des observateurs anonymes qui épient et jaugent tout. En effet comme le dit Balzac: « Il y a deux histoires: une histoire officielle, menteuse qu’on enseigne et une histoire secrète où il y a les véritables causes des évènements » qu’on cache ou falsifie ou qu’on occulte délibérément pour servir une cause parfois inavouée. Eu égard à cette conception, j’affirme avoir été rigoureux avec moimême d’abord, ensuite avec mes informateurs, dans l’unique but de rétablir objectivement la vérité historique qui est certes relative pour certains et subjective pour d’autres. Je pense avoir fait de l’histoire sans égocentrisme, sans parti pris aveugle, sans haine, sans chauvinisme, sans souci d’auréoler ou de broder les récits au profit de telle ou telle cause. C’est ainsi que j’ai osé parler de la trahison de mon père, Fata Kéoulèn Camara qui, bien que prestigieux et grand commandant de l’armée samoryenne, avait, sous la pression de ses oncles paternels, déserté cette armée de résistance nationale pour rejoindre les troupes de conquête coloniale. Je ne pouvais pas, par honnêteté intellectuelle, taire ce retournement de veste. Ailleurs, j’ai aussi révélé ce que l’histoire officielle aurait délibérément, sans aucun doute, laissé dans l’ombre ou falsifié pour les besoins d’une cause, car cette tendance de l’histoire ne fait que le portrait magnifique et auréolé des classes dirigeantes qui ont polarisé l’attention de la société à laquelle elles imposent leur idéologie, leur volonté et impriment leurs actions, leurs œuvres et leurs institutions qui constituent l’histoire officielle de cette époque. Ma conception de l’histoire est donc de rassembler à priori tous les matériaux susceptibles d’expliquer ou de reconstituer les événements, de dégager leurs causes et conséquences en vue d’une connaissance ou suffisante ou totale du passé. En effet, les générations futures seront avides de connaître tout sur le mode de vie des ancêtres. Elles nous en voudront si nous prenons la responsabilité de laisser délibérément des pans d’ombre ou de falsifier les événements. Pour cette raison, je pense n’avoir rien laissé de côté par complaisance, conscient que les éléments dynamiques de notre culture sont en train de disparaître devant l’indifférence coupable de tous. Il devient de plus en plus difficile d’accéder à la véritable histoire de l’Afrique. Dans cette démarche, je sais que bien des familles régnantes seront choquées par certains passages. Ayons donc le courage et l’honnêteté d’assumer notre passé culturel et historique pour élaguer les scories et revitaliser tous ses aspects positifs. 1090


Je suis parti du principe que la mémoire de l’homme est friable, faillible et capricieuse, et tout ce qui demeure dans la mémoire défaillante des hommes est condamné tôt ou tard à tomber dans l’oubli ou à subir des altérations. J’ai retroussé les manches, sans aucune qualification intellectuelle appropriée, pour me jeter à l’eau car on ne saurait nager sans jeter à l’eau. Cette audace ou conviction m’a donc permis de sauver partiellement de la disparition ce beau et riche passé du Mandingue et de l’Afrique. Vous n’ignorez donc pas que j’ai dû faire preuve de patience, de persévérance dans l’effort pour affronter et vaincre de 1929 à 1962 les nombreuses difficultés et réticences pour tirer des tréfonds de l’oubli la substance de ce livre qui est le fruit de la tradition orale ou traditionarchive qui reste encore l’instrument de travail le plus valable pour la reconstitution de la véritable histoire de l’Afrique, car celle-ci se trouve encore beaucoup plus dans la mémoire défaillante des peuples que dans les livres. Je ne nie pas pour autant le mérite, la grande valeur et l’apport combien appréciable de l’archéologie, des vestiges historiques et des ouvrages parfois très superficiels d’africanistes Européens qui, avouons-le, ne peuvent pas percer tous les secrets de l’Afrique ancestrale qui, à bien des égards, reste mystérieuse pour eux soit à cause des difficultés de communication (langage) soit à cause du refus systématique des dépositaires de nos traditions de livrer des secrets à des étrangers, surtout à des blancs. Que les historiens, sociologues, ethnologues… sachent qu’en Afrique, la vrai information ou la vérité ne s’obtient jamais au premier contact et parfois même jamais. Pour l’obtenir, la mériter ou en être initié, il faut faire preuve d’une fréquentation pieuse et régulière des informateurs. Il faut faire preuve de patience, de discrétion, de respect des anciens. Il faut gagner la confiance du maître initiateur, du patriarche, du belentii ou griot-archiviste. Certains d’entre eux n’aiment pas qu’on écrive pendant qu’ils parlent et se méfient beaucoup du magnétophone qui les déconcerte et les décontenance. Bien que fils du terroir, jouissant en plus des prérogatives de chef de canton influent, on se méfiait souvent de moi. En effet, je me suis très souvent heurté, au cours de mes investigations et collectes des traditions orales, à un mutisme complet chaque fois que je tentais d’obtenir des explications sur certains faits significatifs et révélateurs. Parfois ils me reprochaient mon imprudence ou ma maladresse de vouloir parler de certains secrets indispensables à la compréhension des évènements. À noter aussi qu’en milieu traditionnel mandingue, on aime parler en paraboles, d’où l’impérieuse nécessité pour un chercheur de comprendre la langue de son informateur. Sentant parfois des déviations voulues ou des falsifications graves, j’insistais astucieusement mais vainement parfois sur la nécessaire dissipation du brouillard. Parfois ils me déclaraient simplement: « Ceci est un secret qu’on ne doit pas dévoiler. Tu es trop curieux… » Les plus coopératifs me disaient en répondant à certaines questions taboues: « Je viole ainsi le serment de confidences de nos ancêtres et offense délibérément les mânes qui ne me pardonneront pas cette indiscrétion. Ce qui 1091


pourrait avoir de graves conséquences pour moi et pour ma progéniture. II faut donc éviter de réveiller les querelles anciennes. Il faut faire très attention en parlant du passé, car la parole est à la fois bonne, nocive et dangereuse. » La PAROLE est le vecteur qui transporte dans l’espace et dans le temps les évènements, les faits et geste significatifs de ceux qui nous ont précédé ou de nos contemporains. Cette transmission des éléments dynamiques de notre culture, de notre passé, de génération à génération, doit tenir compte de certaines considérations afin d’éviter les heurts et les frustrations. Il faut noter que la PAROLE est un instrument extrêmement dangereux qu’il faut manipuler avec beaucoup de précaution. Il faut donc savoir la dire. Pour cela il faut obéir aux cinq paramètres ou exigences suivants: 1 - « Kuma bèè tè fòla. » (= On ne doit pas tout dire au risque de gâter, de choquer l’interlocuteur ou l’auditoire. Pour éviter cet effet, il faut choisir les mots, les idées, les faits à raconter. « Il faut remuer sept fois la langue avant de parler » dit l’adage. On doit donc réfléchir longuement, tenir compte des sensibilités de son interlocuteur ou de l’auditoire avant de s’exprimer.) (Paramètre choix judicieux des mots à prononcer, des idées à exprimer.) Au cours de mes enquêtes, j’ai très souvent buté contre ce genre de propos ou de mur infranchissable. Certains m’ont souvent dit: « On ne doit pas parler de telles choses … », ou bien parfois le mutisme complet ou le refus de parler ou de continuer la dialogue devient leur refuge. Il ne faut pas insister ce jour-là, vous n’obtiendrez rien de l’interlocuteur. Dans ce cas il faut suspendre l’enquête pour la reprendre plus tard, quand l’atmosphère sera plus détendue. Il faut donc de la patience. 2 - « Kumalònna le ka kan ka kuma fò. = Kumafònya le kuma tinyèla. » (= La parole doit être dite par celui qui connaît le sens des mots afin qu’elle ne divise pas la société et ne choque pas les cœurs sensibles = La manière de dire la parole peut gâter ou arranger la Parole; importance des Maîtres de la Parole, des connaisseurs de la parole, donc du sens profond des mots pour éviter d’offusquer et surtout pour pouvoir sensibiliser l’interlocuteur et l’auditoire.) (Paramètre sagesse et qualité ou qualification de celui qui parle, surtout en public.) 3 - « Kuma ka kan ka fò a fòwaati. » (= La parole doit être dite au moment opportun sinon on la gâte et elle peut perdre dans ce cas tout son sens ou toute son importance. En effet une parole dite avant ou après le bon moment est vaine, donc sans effet.) (Paramètre temps, circonstance de temps. La parole est efficace si elle est dite au moment qu’il faut, au moment où on peut l’écouter attentivement. Ce moment passé, elle n’a plus d’effet, car vous aurez prêché dans le désert.) 4 - « Kuma ka kan ka fò a fòyòrò. »

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(= Parlez là où on peut vous écouter et vous comprendre si non vous prêchez dans le désert.). (Paramètre lieu, circonstance de lieu. Parlez là où on peut vous entendre et vous comprendre.) 5 - « Kuma ka kan ka fò a fònya ma. » = « Kumafònya le kuma tinyèla. » (= La parole doit être dite de la bonne manière pour ne pas la déformer. La manière de parler peut susciter un intérêt ou créer un sentiment de rejet et de frustration. On vous écoutera si votre langage ne choque pas. Un langage agressif indispose et provoque toujours une violente réaction de la part de l’interlocuteur.) (Paramètre manière. Oui, la manière de communiquer importe beaucoup pour que l’interlocuteur et le public vous comprenne.) C’est pour ces raisons que nous insistons sur le fait que les chercheurs doivent faire preuve de patience et de prudence dans leurs démarches de collecte de nos traditions orales. En effet on n’obtient pas toujours au premier contact les informations souhaitées, avons-nous dit. Les informateurs peuvent volontairement vous dérouter au premier contact. C’est seulement quand vous les mettez en confiance qu’ils peuvent vous dire la vérité. Multipliez certes vos contacts, mais soyez surtout patient, car une seule rencontre ne suffit pas. Dans vos recherches sur le terrain, faites preuve patience et de courtoisie. En raison de la disparition quotidienne, massive et alarmante des derniers dépositaires des éléments dynamiques de notre culture, au moment où l’histoire authentique se trouve beaucoup moins dans les livres que dans la mémoire collective, les Africains doivent vite s’atteler à cette importante et urgente tâche de sauvegarde de ce qui doit subsister de notre passé pour mieux éclairer, mieux informer notre présent qui doit nous permettre de dégager un avenir cohérent et radieux, en parfaite symbiose avec les autres civilisations, sans pour autant renoncer à certaines quintessences de nos spécificités culturelles telles que le sanankunya, la solidarité réaliste, l’humanisme intégral… Que notre progéniture, que vous êtes, daigne bien, sans complexe, se nourrir ou s’inspirer d’une si noble et si fière tradition qui, à bien des égards, a son mot à dire au « Rendez-vous universel du donner et du recevoir des civilisations ». J’ai patiemment puisé à la source, au contact des derniers survivants mandingues de cette belle et authentique civilisation, ce suc nourricier. Je suis conscient que ce que je vous livre l’est dans un style certes peu satisfaisant pour la sagacité des chercheurs. Cependant, je vous invite, au-delà de la syntaxe et du style non-académique et sûrement défaillant, d’accorder du crédit au fond que je crois irréprochable et essentiel. Je crois que j’ai tenté de sauver de la disparition certains aspects positifs de la civilisation mandingue. Mais, ai-je pu le faire correctement, à la satisfaction de la sagacité des spécialistes? Mais, au-delà de mon scepticisme justifié ou pas et de ces jugements de valeurs d’autrui, qu’on daigne bien accepter ces témoignages si mal dits, si mal écrits et desquels il y a 1093


cependant des enseignements à tirer pour continuer ce qui est bon et corriger ou abandonner ce qui est mauvais dans ce passé culturel si mal connu, mais pourtant si édifiant. Que ce modeste livre, loin d’être une œuvre parfaite, soit accepté comme une contribution que je crois positive à l’effort de reconstitution de l’histoire régionale et générale de l’Afrique. Qu’on daigne bien l’accueillir avec sympathie au moins pour le fond, parmi les ouvrages authentiquement africains. Je crois avoir planté, certes difficilement « Un arbre de la culture » qui a heureusement bien poussé grâce au concours de toutes les bonnes volontés, et très sûrement avec l’acharnement de mes héritiers. Malheureusement, le Tout Puissant Créateur de l’Univers n’a pas voulu nous laisser goûter aux fruits de cet arbre. Mais le faire pousser, il nous a fallu avoir une détermination farouche et faire preuve d’une persévérance inaltérable. En dépit de cette déception, nous avons la foi et croyons ferment que c’est bien grâce à la protection, à la bénédiction et à la Baraka du Tout Puissant Allah que nous avons pu réussir cette difficile entreprise. Mais nous avons aussi la satisfaction que chacun de nous ou chacun de vous peut jouir pleinement de son ombre et de ses fruits. Je souhaite donc que notre démarche ou notre exemple inspire plus d’un Guinéen ou plus d’un Africain afin que beaucoup d’arbres de la riche culture africaine poussent un peu partout pour que les jeunes aient des repères, des références vertueuses pour que l’Afrique cesse à présent de se dénaturer au contact de la civilisation occidentale envahissante et perverse. Sauvons donc les spécificités et les vertus de notre culture de l’érosion du temps et de l’influence nocive de toutes les autres cultures importées. Ne soyez donc plus ces intellectuels africains complexés qui sont malheureusement fascinés par les aspects négatifs, futiles et pervers de la civilisation occidentale. Je vous propose dans ce bréviaire qui est une coupe pleine de vertus mandingues et africaines que je vous invite à boire afin d’être comme ces Asiatiques qui ont adopté la science et la technologie sans pour autant se dénaturer en renonçant aux aspects positifs, aux vertus de leur culture. Ces quelques pages que vous venez de lire constituent donc ma modeste contribution à l’impérieuse et urgente tâche de sauvetage des aspects dynamiques de notre culture menacée de disparition. J’espère que cet héritage que je vous laisse vous profitera. Faites en un bon usage. Mais je vous demande aussi votre indulgence pour ses insuffisances certaines, car son auteur que je suis n’a eu qu’une formation rudimentaire d’interprète colonial. Par conséquent, mon ouvrage sera forcément critiqué par certains et accueilli favorablement par d’autres. Mais je crois qu’il faut bien, dans le cas de l’histoire africaine qui se trouve encore beaucoup plus dans la mémoire collective que dans les livres, qu’on tienne compte du fait: ► Que les sources authentiques des aspects dynamiques de notre culture sont en train de tarir et de disparaître, 1094


► Que les derniers détenteurs des spécificités de cette culturel sont aujourd’hui peu nombreux, ► Que notre civilisation a fortement subi une profonde agression et même une profonde mutation nocive de la part de l’Occident, ► Que cette profonde mutation nous a, en fait, altérés et aliénés. Pour ces différentes raisons, il faut accueillir ou tolérer tous les témoignages, tous les ouvrages et mener une campagne systématique de collecte de nos traditions, par tous les moyens possibles. Cette politique s’impose pour sauver rapidement ce qui peut encore l’être avant qu’il ne soit trop tard. Et c’est bien pour cette raison que j’espère que mon ouvrage sera certainement accueilli favorablement par certains mais aussi sera inévitablement critiqué par d’autres lecteurs moins indulgents. En tout cas, comme toute œuvre humaine, la mienne n’est pas parfaite. Mais qu’on sache qu’avec tous les moyens du monde et toutes les bonnes volontés, on ne saurait réhabiliter ce qui a disparu et qui reste inconnu, si louable soit-il. Dans ma démarche, et dans un souci d’objectivité, j’ai osé écrire sans rien omettre, ni rien falsifier. C’est ainsi que les informations collectées ne plairont pas à tous. Je vous demande donc de ne retenir dans mon ouvrage que sa substance pour vous désaltérer, combler vos lacunes et contribuer à la Renaissance de l’Identité de l’exaltante Culture Mandingue qui se confond intimement, à bien d’égards, avec celle du monde noir en général, car pour l’émergence d’une civilisation universelle harmonieuse, l’Afrique peut y apporter une contribution hautement positive à travers les vertus profondément humaines qu’elle possède et dont l’Humanité a fort si besoin pour s’humaniser et s’harmoniser et qui n’existent plus ailleurs, dans d’autres civilisations. En conclusion: Jeunes Africains, s’il vous plaît: ► Cessez de singer naïvement, abusivement et indéfiniment les mœurs perverses de l’Occident, car, à la longue, vous risquerez de vous acculturer, de vous dénaturer alors que vous ne serez jamais des occidentaux à part entière. ► Empruntez donc ce qui est bon et utile dans l’apport de l’Occident et non ce qui vous aliène et vous dépersonnalise. ► Utilisez certes la pénicilline, la science, la technologie… tout en préservant les aspects dynamiques de notre culture comme l’ont si bien fait et si bien réussi les Asiatiques. OUI! Eux, ils ont adopté le modernisme tout préservant l’essentiel de leur culture spécifique! Pourquoi ne pas faire comme eux? Mais de grâce, n’adoptez pas de leur culture tout ce qui est pervers… dont, entre autres, le striptease, l’homosexualité, la nudité vestimentaire, la 1095


consommation de l’alcool et de la drogue… qui sont des travers sociaux que l’Afrique n’a pas connu. Cependant, En fréquentant les sages, En vous accrochant à langue des cheveux blancs, En prêtant attentivement vos oreilles à ce qu’ils vous conseillent En frottant votre cervelle molle contre celle de vos aînés, En respectant la gérontocratie, Vous acquérez sûrement des expériences de la vie car « ils sont à la fois expériences et connaissances ». Cette cosmographie africaine qu’ils vous enseignent vous permettra de faire objectivement la part des choses, de choisir chez les autres ce qui est bon, utile et enrichissant et non ce qui vous acculture, vous avilisse, vous aliène et vous dépersonnalise. Il s’agit donc de rester digne de votre culture tout en vous ouvrant au modernisme utile et rejeter les aspects pervers de cette culture qui vous dépersonnalisent. On ne saurait donc, par chauvinisme exacerbé, renoncer aux biens faits de la science, de la technique, de la technologie, de la médecine moderne… Le réalisme nous impose les échanges culturels, le brassage des cultures et les emprunts réciproques dans l’espoir de réaliser une culture universelle. En effet tout n’est pas rejeter ni à emprunter de part et d’autre. Il faut donc trier et ne choisir que des leçons. Ce qui nous intéresse c’est ce qui est bon, utile et enrichissant. Rejetez donc ce qui est mauvais et ternit votre image et vous dépersonnalise. Par ambition personnelle, Mu par une volonté inébranlable, inaccessible au découragement, Ayant foi au bien-fondé de mon projet d’écrire et de sauvegarder quelques pans obscurs de notre histoire et de notre culture en voie de disparition, Croyant sûrement en moi, en dépit des multiples écueils rencontrés sur mon chemin, Sans avoir la capacité intellectuelle et la formation appropriées pour faire un travail de recherches sur un passé ténébreux Voulant absolument traverser un fleuve en crue, Sans être muni au préalable d’un gilet flotteur, Sans barque, Sans savoir nager au paravent, Et sans être sous la surveillance d’un maître-nageur, je me suis hardiment jeté à l’eau et ai pu heureusement traverser. De l’autre côté de la rive, j’ai pu semer et récolter. Comme moisson, je laisse à la jeunesse africaine le présent recueil sur nos traditions orales, culturelles et historiques qui, je l’espère bien, l’aidera et la guidera sûrement 1096


dans les ténèbres de ce passé si méconnu et pourtant si passionnant à découvrir. Ce recueil étanchera, je l’espère, sa soif ardente de découvrir ce qu’elle ignorait sur la culture et l’histoire de son Mandingue. ‘ En tout cas j'espère avoir comblé des lacunes en vous indiquant les repères authentiques, en vous rappelant le passé glorieux de certains de nos Héros qui doivent être des modèles à suivre à bien d’égards. Suivez donc mon regard ou la direction e mon indexe. J'ai certes fait des choix qui sont ou peuvent être considérés comme subjectifs ou arbitraires. Mais même le plus grand historien ne saurait échapper à ce jugement ou a cette procédure car il ne peut tout montrer, tout décrire comme le romancier, comme le cameraman. Je ne vous ai laissé que mon témoignage ou ma façon de voir les choses. Je sais que cette subjectivité provoquera inévitablement, de la part de certains, des critiques très acerbes que j’accepte volontiers. Mais en tout cas je suis convaincu que dans ma démarche, j’ai réussi à sauvegarder partiellement ce qui est en train de disparaître. Oui! J’ai donc essayé, tant bien que mal et sans complaisance: ● De sauver certains aspects dynamiques de notre culture dans laquelle tout n’est pas à rejeter et, ● De retracer sans complaisance la vie et l’œuvre de l’Empereur Almamy Samory Touré, symbole et pionnier de la lutte contre la colonisation française dans notre contré du Mandingue. Ai-je pu le faire correctement, objectivement? À vous d’en juger à travers ce livre que je vous laisse comme mon témoignage ou comme ma contribution à la connaissance et à la redécouverte de ces pans inconnus ou méconnus de notre culture et de notre histoire qui se trouvent, en leur état actuel, beaucoup plus dans la mémoire collective de nos peuples que dans les livres. Je m’ouvre donc à vos critiques, si sévères soient-elles, également vos suggestions constructives que j’attends, même outre-tombe, car je ne suis qu’un humble être humain dont l’œuvre ne peut être parfaite, surtout que ce travail, loin de satisfaire la sagacité des chercheurs spécialistes, est l’œuvre d’un historien chercheur profane; d’un autodidacte, d’un homme à la formation intellectuelle primaire voire rudimentaire. Il en est de même pour ma nombreuse progéniture et surtout pour mes héritiers spirituels qui ont eu la lourde mission de parachever ce travail de longue haleine avec certainement des erreurs et des faiblesses… qu’on voudra bien nous excuser. Car, comme le dit Voltaire: « Quiconque écrit l’histoire de son temps - ou celle de son pays - doit s’attendre qu’on lui reprochera tout ce qu’il a dit et tout ce qu’il n’a pas dit. » Mais tout en considérant que mon ouvrage, qui est certes imparfait , n’est qu’une modeste contribution à l’effort de sauvetage de notre identité culturelle et une incursion partielle dans notre passé historique si mal connu 1097


et tant minimisé et bafoué par certains intellectuels de mauvaise foi, d’ailleurs très mal informés, je ne suis donc pas à l’abri, surtout mon ouvrage, des critiques, si sévères soient-elles, que j’accepte outre- tombe et demande à mes héritiers spirituels de faire autant, en tenant en compte les critiques constructives et les suggestions positives et en prenant aussi en compte vos préoccupations, pour corriger mes erreurs, combler mes lacunes et améliorer tant sa forme que son contenu aux prochaines éditions, CAR « UNE ŒUVRE HUMAINE N’EST JAMAIS PARFAITE », dit un adage. Fait à Damaro, le 9 juillet 1962 Damaro Diontan Djiguiba Camara (Ancien élève de l’école des otages de Kayes (ex-Soudan Français ou République du Mali) (Ancien Interprète de l’administration coloniale de 1900 à 1908) (Ancien Chef de Canton de Simandou (Beyla, Guinéé) de 1929 à 1957) (Ancien Conseiller Territorial de Beyla (Guinée) en 1952) (Ancien Membre du Grand Conseil de l’Afrique Occidentale Française) (Chevalier d’Anjouan) (Chef Supérieur) (Chevalier de la Légion d’Honneur) (Officier de l’Étoile du Bénin) (Commandeur de la Ligue Universelle du Bien Public) (Officier de la Légion d’Honneur)

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ANNEXE I LES MANIFESTATIONS DU SOUVENIR OU LES FUNÉRAILLES NATIONALES ORGANISÉES LORS DU RAPATRIEMENT DES RESTES DES HÉROS DE LA RÉSISTANCE À LA COLONISATION DE L’AFRIQUE PAR L’OCCIDENT OU « LES MARTYRS DU COLONIALISME » ► L’EMPEREUR ALMAMY SAMIORY TOURÉ, ► LE ROI ALPHA YAYA DIALLO DE LABÈ ET DE ► MORIFINDIAN DIABATÉ (fidèle conseiller et ami d’enfance de SAMORY TOURÉ) ----------o---------« L’homme… n’est pas entièrement coupable, il n’a pas commencé l’histoire, ni tout à fait innocent, puisqu’il la continue. » Albert CAMUS (« l’Homme révolté, » p. 366) ----------o---------Animé du souci de parfaire et d’enrichir sans cesse le manuscrit légué par mon père, je (Daouda) me fais un devoir de vous relater les cérémonies grandioses organisées à l’occasion du retour en terre natale de Guinée des cendres des illustres héros Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo et Morifindian Diabaté. Après tout, l’histoire n’est-elle pas l’enregistrement continu des évènements qui polarisent l’attention des hommes? Donc l’histoire ne s’arrête pas. Le présent puise sa vitalité et ses ressources dans le passé pour nourrir le futur. L’intérêt de cet événement justifie son insertion. Il s’agit d’un événement insolite, symbolique et surtout significatif pour un peuple engagé à reconstituer son histoire et se faisant un devoir de rendre un hommage mérité à ceux qui incarnent son idéal noble et sacré de LIBERTÉ et de BIEN-ẾTRE. Ils méritent donc une totale réhabilitation. Ils sont de ceux qui se distinguent des autres hommes par leur personnalité hors-série, l’éclat de leurs actions mémorables, leur génie, leur intelligence, … mis au service de leur pays et donc de l’humanité. Ce sont les 1099


« GRANDS HOMMES » qui font l’histoire au sein de leur peuple et dont l’histoire parle. Chaque pays, chaque nation a donc le droit et le devoir de glorifier ses « GRANDS HOMMES » et ses « HÉROS » qui impulsent son histoire ou influencent sa vie quotidienne par le souvenir de leurs hauts faits. Ces « GRANDS HOMMES » ou « GRANDES FIGURES » , bien que physiquement absents, ne cessent de faire parler d’eux. ● Si la France glorifie encore Vercingétorix pour avoir donné sa vie à Jules César et sauvé son peuple, ● Si la France magnifie Napoléon Bonaparte pour avoir assuré sa grandeur en Europe et dans le monde entier, ● Si la France est reconnaissante envers Charles de Gaulle qui a organisé la résistance farouche et patriotique pour bouter hors du territoire français l’occupant allemand, ● Si le Vietnam vénère Ho Chi Minh pour l’avoir libéré du joug colonial français, ● Si la Chine adore et immortalise Mao Tsé-Toung pour l’avoir libérée du joug de la monarchie, empêché la domination japonaise, et créer une société chinoise plus équitable, ● Si Mahatma Gandhi, apôtre de la non-violence, est l’idole des Hindous pour avoir lutté pacifiquement contre l’exclusion des masses déshéritées et méprisées (les Parias) et lutté pour l’indépendance de l’Inde... Pour nous autres Africains de Guinée, l’Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo, Kissi Kaba Keita, Dinah Salif, Zébéla Togba, Bokar Biro.... parmi tant d’autres, incarnent les mêmes vertus que tous ces génies qui , à peu de variantes près, sont tous des conducteurs et des serviteurs fidèles de leur peuple respectif dont ils ont incarné les nobles vertus. Ils ont marqué leurs contemporains par la qualité de leurs combats et de leurs nobles idéaux patriotiques et qui ont transmis aux générations futures leur mémoire afin que celles-ci s’identifient ou s’inspirent de ce qu’ils ont eu de vertueux. Par conséquent, nous avons le droit et le devoir de chanter et d’immortaliser nos héros. En effet, ils ont été dépersonnalisés et bafoués par certains de leurs adversaires. L’Afrique se doit donc de les réhabiliter dans leurs valeurs spécifiquement africaines et universelles, car nous ne pouvons pas tolérer l’offense faite à notre ferveur patriotique, à notre dignité par Baratier qui écrit à propos de l’Almamy Samory Touré: « Ce conquérant que les Noirs, s’ils eussent connu l’histoire, auraient comparé à Napoléon. » Ne faut-il pas relever un tel défit abject et offensant? Mais convenons que chaque peuple naturellement ses Héros et ses Grands Hommes qu’il doit immortaliser et en faire des modèles à suivre. C’est pourquoi le Gouvernement et le peuple de Guinée se sont fait le devoir de réhabiliter tous les héros africains, de perpétuer leur mémoire, de chanter leurs gloires et de restituer à la terre natale les cendres de ces héros. Cette initiative salutaire doit servir d’exemple à tous les pays africains dont les 1100


héros sont encore dans l’anonymat ou dorment loin de la Patrie qu’ils ont aimée et défendue au prix de leur sang. Ceci dit, passons à présent au film des cérémonies auxquelles nous avons eu le privilège d’assister et que nous nous efforçons de vous faire revivre fidèlement. Tout a commencé de façon inattendue le 21 septembre 1968 à 20 heures par cette déclaration radiodiffusée du Président Ahmed Sékou Touré: « UNE VICTOIRE DU PEUPLE Dans l’existence de chaque peuple, il est des moments, des lieux et des hommes que la mémoire humaine et la conscience populaire inscrivent de façon indélébile dans le registre de l’histoire. Dans l’appréciation des données du temps, de l’espace et de l’existence sociale, elles considèrent continuellement comme point de repère, critères de valeurs et de forces d’appuis des aspirations du peuple, de sa volonté du progrès et de son action créatrice. Dans la formation de la conscience historique et dans l’accumulation des expériences sociales d’un peuple, les idées et les actes des hommes transcendants occupent une place déterminante. Aussi, l’histoire de tous les pays, la formation et le développement de toutes les collectivités sociales, de caractère ethnique, religieux ou national comportent-ils nécessairement les empreintes de certains hommes qui, du fait d’avoir incarné et affirmé leurs légitimes aspirations, avec une exceptionnelle fidélité politique, et une intransigeante probité morale, ont fini par devenir des symboles, des exemples historiques, des forces rayonnantes dont le peuple se sert pour affirmer sa ligne de développement et pour mobiliser ses membres dans les œuvres devant consacrer sa grandeur et renforcer constamment les bases et les moyens de son progrès. Chaque peuple a ses meilleurs fils, ses meilleurs serviteurs, ses héros. C’est une vérité de tous les temps que ce ne sont pas les héros qui font l’histoire, mais plutôt c’est l’histoire qui ses héros; c’est le peuple qui les consacre et les perpétue. Ainsi, dans son existence, chaque peuple utilise judicieusement les valeurs humaines et les moyens matériels du passé dont l’accroissement progressiste requiert sa permanente mobilisation dans l’œuvre de construction nationale et dans le développement constant de son économie et de sa culture. Ceux qui arrivent ainsi à se tailler une place d’honneur dans l’accomplissement scrupuleux et efficace de leur haute mission sont ceux qui vivent car leur existence se confond désormais avec les légitimes aspirations guidant le combat conséquent de leur société, laquelle en retour, les aura considérés comme la partie supérieure de leur raison d’espérer à des transformations qualitatives et des victoires incessantes.

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Mais aussi, il est des morts qui continuent à vivre et qui vivront éternellement dans la pensée, dans les options de leur nation tout comme il est des vivants qui doivent être considérés comme des morts parce que déjà condamnés dans la pensée et dans l’attitude de leur société dont ils auront honteusement trahi les vertus, les qualités, les intérêts et les droits. L’impérialisme et le colonialisme avaient pour méthodes cyniques de domination, la dépersonnalisation, la pratique ignominieuse de l’exploitation physique et culturelle, mais aussi et surtout la pratique combien inhumaine de la soustraction à leur milieu par déportation de représentants authentiques du peuple dont l’influence sur les leurs, la combativité, le courage, l’attitude de liberté, de dignité et le sens de l’honneur sont de nature à compromettre fondamentalement la présence d’usurpateurs sur le sol africain. Partout en Afrique la résistance à la conquête a été systématiquement organisée, et méthodiquement menée. C’est ainsi que des fils immortels de l’Afrique furent victimes de la cruauté du colonialisme. Citons entre autres: LE GRAND BEHANZIN DU DAHOMEY LE GRAND ABDEL KADER D’ALGERIE, LA REINE RANAVALO DE MADAGASCAR, LE GRAND CHEICK AMALA DU MALI, LE GRAND MOHAMED V DU MAROC, LE PRÉSIDENT HABIB BOURGUIBA DE LA TUNISIE. C’est ainsi également qu’en Guinée, des héros aux noms prestigieux de: ALMAMY SAMORY TOURÉ, ALAPHA YAYA DIALLO qui ont vaillamment résisté à la tête du combat de notre peuple contre la domination étrangère furent victimes de la cruauté, du même colonialisme. Ils ont été, l’un et l’autre, déportés, bafoués, humiliés, dépeints comme des sanguinaires, éloignés de leur Patrie natale pour s’être opposés avec vigueur et détermination à la tête de leur peuple, aux guerres de brigandages, d’occupation et de domination menées par les puissances impérialistes. L’ALMAMY SAMORY TOURÉ, arrêté au moment où il faisait sa prière du matin, le 29 septembre 1898, fut déporté au GABON et ALPHA YAYA DIALLO fut également arrêté et déporté successivement le 23 Novembre 1905 au DAHOMEY et le 9 Février 1911 en MAURITANIE. L’indépendance reconquise, le PDG et son gouvernement soucieux de rétablir l’Afrique dans sa dignité, de réhabiliter tous nos héros a entrepris des démarches auprès des gouvernements et peuples des pays frères où ceux-ci reposaient. Le Peuple Révolutionnaire de Guinée, son Parti et son Gouvernement viennent de remporter une victoire inestimable qui sera inscrite en lettres d’or dans les glorieuses pages de l’histoire de la Révolution Africaine. Les restes de L’ALMAMY SAMORY et d’ALPHA YAYA DIALLO sont rentrés en Guinée. 1102


Désormais, ils sont dans le pays qu’ils ont aimé et défendu. Cet acte de réhabilitation de l’Afrique combattante entre naturellement dans le processus de la Révolution Culturelle Socialiste que nous avons engagée et qui, à son tour, nous engage devant l’histoire africaine et universelle. Le Bureau Politique National du Parti Démocratique de Guinée saisit cet important événement pour remercier les peuples et gouvernements frères de MAURITANIE et du GABON qui, grâce à leur sens de l’unité militante des Peuples d’Afrique, ont bien voulu favoriser le transfert des restes de nos illustres pionniers. En ce jour de victoire, notre peuple se fait le devoir de saluer la mémoire de tous les hommes illustres, de tous les combattants qui, au service de leur peuple et de l’humanité, ont consenti le sacrifice inégalable de leur vie pour que triomphe un jour la cause juste et permanente du bonheur social et humain. Il salue tous les martyrs connus et anonymes de l’impérialisme et du colonialisme. Il affirme solennellement sa ferme volonté de demeurer une force consciente, résolument engagée aux côtés des masses opprimées de tous les pays, sans distinction de couleur et de religion, contre les ennemis de la paix, de la liberté et du progrès social. Par sa lucidité politique, sa perspicacité et son action transformatrice et génératrice de bien-être démocratique, la grande Révolution Guinéenne a fait remporter et fera toujours fonder ses valeurs historiques, sociales et matérielles en parfaite harmonie avec ses options de Liberté, de Prospérité et de Dignité. Pour une Afrique Africaine Pour une Nation Guinéenne Unie et Prospère VIVE LA RÉVOLUTION! » AHMED SÉKOU TOURÉ (Président de la République de Guinée) La nouvelle souleva une vive émotion et un grand intérêt parmi les populations et dans les milieux patriotiques tant elle était inattendue et de portée exceptionnelle. C’était de bouche à oreilles qu’on se la communiquait. C’était une décision d’une immense signification, un grand événement. Dès le dimanche, 22 septembre 1968, commença un voyage éclair à l’intérieur du pays pour présenter aux citoyens les cendres de ceux qui, par leur courage et leur abnégation, sont considérés comme les symboles vivants de la résistance africaine à la pénétration française en Guinée. Des cérémonies religieuses furent organisées en leur honneur tant à Kissidougou, N’Zérékoré, Beyla, Kérouané, Bissandougou (capitale de Samory), Kankan, Labé qu’à Gaoual et Foulamory, capitale d’Alpha Yaya. Des griots et quelques rares survivants de leur époque et de leur épopée prirent la parole pour glorifier leurs faits d’armes et chanter leurs souvenirs. 1103


UNE PHOTO PRISE À L’ARRIVÉE DES CENDRES À CONAKRY

L’arrivée des cercueils à l’aéroport de Conakry. On reconnaît de gauche à droite: les ministres Alpha Ibrahima Diallo, en boubou blanc derrière qui on remarque le Général Noumandian Keita, Chef d’État, Major Général des Armées. On reconnaît aussi au premier plan, en complet gris, manches logues, le Général Lansana Diané, Ministre de la Défense Nationale, portant le cercueil du milieu. À l’extrême droite N’Famara Keita, le Ministre de l’Energie, en complet noir, porte le troisième cercueil.

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Quelques photos prises à Conakry et à l’intérieur du pays

Exposition des trois cercueils.

Accueil des cercueils des héros à l’intérieur du pays.

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Prière sur les restes des Héros de la résistance à l’intérieur du pays. On reconnaît, derrière l’Imam, à l’extrême gauche, les Ministre N‘Vamara Keita, en complet noir, au premier plan, le Ministre Alpha Abdoulaye Diallo, en troisième position, portant un boubou blanc, ayant les bras croisés. À gauche de l’Imam, on reconnaît le journaliste Ansoumane Bangoura, en chemise noir, pantalon gris, portant en bandoulière son appareil de reportage (la NAGRA).

Réception grandiose des cercueils des Héros de la résistance.

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Exhibition des trois cercueils.

L’APOTHÉOSE DES CÉRÉMONIES À CONAKRY. Le cortège funèbre évoluant vers le stade du 28 septembre traverse la cour de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry. Il faut noter ici l’impressionnante disposition des militaires. La double haie des militaires en armes présente les honneurs aux cercueils des trois martyrs du colonialisme.

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Le cortège funèbre fait son entrée au Stade du 28 Septembre archicomble. Cette foule de 30.000 personnes est habillée de blanc.

Un aperçu du Stade du 28 Septembre. Les trois cercueils sont exposés devant la tribune officielle.

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Mais il revenait à Conakry, la capitale Guinéenne, de recevoir et d’accompagner les Héros à leur dernière demeure. Toutes les dispositions utiles furent prises pour faire de ces cérémonies une véritable apothéose. La ville pavoisée aux couleurs nationales avait revêtu une impressionnante toilette d’apparat pour recevoir les cendres de nos illustres Héros et célébrer le dixième anniversaire du vote historique du 28 septembre 1958 « Date relais où le destin changea de chevaux pour la Guinée et par ricochet pour tout l’Afrique, » dit le Député feu Mamba Sano. Dès 6 heures du matin, le 28 septembre 1968, le magnifique Stade du 28 Septembre de 30.000 places assises était pris d’assaut par les populations surtout curieuses vêtues de blanc et dans une discipline remarquable. Vers 9 heures, les retardataires se hâtaient vainement de se trouver une place dans cette marée humaine. En cette matinée d’intersaison, le soleil était très ardent. Aux abords du stade, le service d’ordre réglait une circulation très intense. Des grappes humaines silencieuses étaient canalisées par le service d’ordre. Enfants, femmes, hommes tous sont à ce rendez-vous, attendant impatiemment le début des cérémonies. Le temps passe, mais on attend toujours. Il fait chaud. Certains se servent de journaux comme chapeaux et d’autres des pans de leurs vêtements. On est tout trempé de sueur. Il est 10 h15. De loin un coup de sirène retentit. La foule commence à bouger. La monotonie du silence est rompue. Les haut-parleurs du stade annoncent l’arrivée du cortège funèbre de l’aéroport international de Gbéssia– Conakry d’où le Président Sékou Touré l’a conduit au stade archicomble. Les personnalités marquantes s’installent à la tribune où déjà ont pris place les invités d’honneur des pays africains et étrangers. Tout à coup retentit un coup de canon, puis un deuxième, un troisième… interminables sont ces détonations de canons qui se succèdent à cinq secondes d’intervalle. On attend l’apparition du cortège funèbre. Il est 10 h 30. L’hymne National, « LIBERTÉ », arrangé sur l’air d’Alpha Yaya Diallo, est exécuté par la fanfare de la Garde Républicaine. Ce prélude rompre le charme du recueillement, mais le silence revient et persiste. Le soleil continue de brûler les têtes et les épaules. On voit apparaître par l’entrée sud du stade une jeep militaire, une deuxième et enfin une troisième. Le cantique funèbre accompagne le cortège qui s’engage sur la piste ovale du stade, à l’allure d’un piéton, donc à une très lente vitesse. La première jeep aux roues lisérées de blanc est conduite par un officier en tenue de parade ayant à son côté un officier supérieur ganté de blanc et impeccablement habillé. Derrière eux, sont assises, face à face, deux rangées de militaires habillés de rouge, fusils entre les jambes, se recueillent humblement dans la jeep découverte à laquelle est accrochée une charrette, ou plus exactement un tire-canon, sur lequel est allongé un cercueil enveloppé dans un 1109


drapeau tricolore - Rouge, Jaune, Vert - ou couleurs de l’emblème guinéen. L’affût est entouré d’une ceinture de drapeaux guinéens. Cette jeep qui conduit le cortège transporte le cercueil de L’Almamy Samory. La deuxième jeep, à l’image de la première, tire un affût sur lequel repose paisiblement le cercueil de Alpha Yaya, roi de Labé (République de Guinée), lui aussi mort en exil à PortEtienne en Mauritanie. Derrière ces deux jeeps roule une troisième jeep découverte dans laquelle se trouve le cercueil moins impressionnant de Morifindian Diabaté, griot, fidèle compagnon et conseiller écouté de Samory. Il a suivi son maître dans la genèse, la formation, l’éclosion, l’épanouissement, le déclin et l’extinction du génie militaire et organisationnel de l’Almamy Samory. Il l’a suivi sur le chemin de l’exil et le suit encore fièrement sur le chemin du retour triomphal au pays natal, après soixante-dix années d’absence. C’est l’ami des beaux jours et des jours sombres. N’est-il pas le symbole de l’amitié et de la fidélité? Aujourd’hui, les 30.000 à 40.000 personnes du stade, debout comme une seule personne et dans une parfaite communion d’idées et de sentiments rendent un vibrant hommage à ces Héros de la résistance à la domination étrangère. On est ému. Aucun cœur sensible ne peut résister à l’émotion de ces cérémonies. Le cortège, au terme du tour d’honneur de la pelouse verte du stade bordée de militaires accroupis derrière des canons disposés à vingt mètres d’intervalles les uns des autres, s’immobilise devant la tribune d’honneur où se trouvent les officiels. Les charrettes sont détachées des jeeps qui disparaissent promptement. La garde d’honneur constituée par les militaires vêtus de robes rouges laissant entrevoir par devant une tenue de Sofas samoryens forment la haie autour des cercueils. Tout cela se passe dans un ordre remarquable. On entend toujours le cantique funèbre et Boloba, l’air de l’Almamy Samory, magnifiquement exécutés par la fanfare de la Garde Républicaine. Cette phase du cérémonial se termine par l’exécution de l’hymne national dans un recueillement quasireligieux. Puis le Président Sékou Touré prend la parole devant ce spectacle grandiose, et d’une voix vibrante d’émotion et de légitime fierté déclare: « CAMARADES DE COMBAT, Face aux restes de deux héros dont l’histoire africaine fait et fera toujours une place de choix, conscients des légitimes sentiments d’émotion et de fierté politique étreignent, dans une puissante et patriotique communion d’idées, tout le Peuple Révolutionnaire de la Guinée Nouvelle, le Bureau Politique et le Gouvernement de la République, par ma voix , expriment leur profonde et sincère joie d’avoir pu, par le retour désormais accompli des restes de l’Empereur Samory Touré et du roi Alpha Yaya Diallo, contribuer au renforcement des bases politiques et morales de l’action d’édification d’une 1110


nation Guinéenne solidement unie, rendue effectivement responsable et constamment capable et digne tant dans son action intérieure que dans ses relations extérieures. UN GRAND MOMENT DE L’HISTOIRE GUINÉENNE Ce jour du 28 Septembre 1968 est incontestablement un grand moment de l’histoire guinéenne, un facteur de réconfort et d’assistance dans le dur combat engagé par notre peuple régulièrement amplifié et perfectionné par son parti révolutionnaire, le PDG, depuis sa création le 14 mai 1947. Ce jour du 28 septembre 1968 est aussi un jour de projection qui fait se succéder sur l’écran de notre histoire les phases les plus émouvantes, les plus décisives et les plus mobilisatrices des énergies intellectuelles, morales et physiques de notre peuple dont les actes de courage, de ténacité et de fermeté remplissent de fierté politique et de dignité nationale chaque Africain épris de liberté et de responsabilité dans la conduite des affaires du pays. Nous rappelons en ces heures de ferveur patriotique, en ce moment de souvenir et de l’expérience dans un devenir de grandeur pour le Peuple: 1°) - L’Afrique a vécu des millénaires sans aucune intervention étrangère, 2°) - L’Afrique, à l’instar des autres continents, a édifié sur des bases authentiques, propres à son génie créateur et son originalité, sa civilisation et sa culture, 3°) - L’Afrique n’a jamais sollicité ni accepté la domination coloniale, la tutelle économique et l’irresponsabilité culturelle, 4°) - L’Afrique s’est toujours révélée sous l’angle de l’honneur et de la dignité, du courage dans la lutte et de la haine pour l’injustice, 5°) - La Guinée, pour avoir abrité le siège de nombres empires africains, a joué un rôle efficace dans l’histoire du continent africain et assumé de lourdes responsabilités dans les luttes contre l’impérialisme et le colonialisme, 6°) - Pour avoir brisé le carcan du néocolonialisme le 28 septembre 1958 et avoir élevé, courageusement, la nature de son combat pour le progrès au stade de la Révolution, où celui-ci se confond désormais avec les expressions les plus qualitatives de l’humanité, le Peuple Guinéen apporte depuis cette date gravée dans la conscience des progressistes du monde entier une sérieuse contribution à l’avènement d’une Afrique Africaine c’est-à-dire une Afrique libérée, unifiée et rendue totalement responsable de son destin. UN GRAND JOUR DE GLORIFICATION En raison de ces considérations qui soulignent éloquemment le caractère de continuité et la nature trans-croissante de l’œuvre courageuse d’édification de la Liberté, de la Prospérité et de la Dignité accomplie par les Peuples

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Africains, nous devons dépasser la haine pour demeurer des peuples forts et constructeurs d’un monde plus libre, plus fraternel et plus solidaire. En ce grand jour, glorification d’une victoire éminemment populaire, nous devons de la mémoire, refouler jusqu’aux noms et à l’origine les hommesinstruments qui, du 29 septembre 1898, au 29 septembre 1958, ont tué, déporté, humilié, exploité et opprimé les enfants de notre pays. Exclusivement guidé par la raison historique, la passion de la liberté, le sens de l’honneur national, le combat qu’ont engagé nos grands-pères, nos pères, nos frères et que nous poursuivons avec une résolution chaque jour plus ferme doit déboucher, non sur le chauvinisme, l’égoïsme et la haine qui ruinent l’âme humaine et ravalent au rang de la bête l’homme dont ils occupent l’esprit et le cœur, mais sur la vérité, la justice et l’utilité sociales qui constituent le patrimoine commun de tous les peuples, par-delà la couleur, la religion et la nationalité. Pendant très longtemps, et parce que le développement économique de la plupart des pays a précédé leur évolution idéologique et morale, il s’en est suivi que l’homme et les valeurs socio-humaines ont été tragiquement ravalés au rang d’instruments, de marchandises et ce, à la faveur d’une philosophie qui postule l’inégalité congénitale des hommes et des peuples. Il en est également résulté que la primauté est reconnue à la puissance matérielle des hommes sur la moralité des causes qu’ils incarnent ou poursuivent. Pendant très longtemps, l’amour de l’argent, l’esprit de rapacité technique de destruction, l’égoïsme et la volonté de domination, élevèrent en système de vie le comportement de groupes d’hommes constitués en classes antagonistes au peuple, en fauteurs de guerre et de misère agissant contre le bien–être matériel et le progrès socio- culturel des classes et des couches laborieuses. Ainsi, sur des ruines accumulées, par les guerres fomentées, des deuils provoqués, des mystifications de toutes sortes organisées pour perpétuer le règne de l’exploitation capitaliste et de la domination impérialo-colonialiste, les puissances du mal, usant du seul argument de la force, ont accaparé des fortunes, construit, avec la chair et le sang d’innocentes victimes du système d’aliénation qu’elles ont imposé aux peuples, des usines, des fabriques, des buildings, des routes, des bateaux, des trains etc. dont elles se vantent pour encore faire admettre leur dictature sur le monde . Aucun pays ne peut comptabiliser, avec exactitude, les méfaits, voire les crimes commis à son détriment par les puissances impérialistes, les forces colonialistes et les classes capitalistes et féodales. Aujourd’hui, nous n’établirons donc pas un quelconque bilan de la domination étrangère en Guinée. Nous fêterons dans l’unité renforcée, la foi commune et l’identité d’intérêts et d’objectifs la grande victoire que notre peuple a indélébilement inscrit au registre de l’histoire africaine les 28 septembre et 2 octobre 1958. 1112


Nous nous réjouirons du retour triomphale de nos héros nationaux dont l’exemple décourage, l’exemple de fidélité au peuple, l’exemple de dévouement inconditionnel à la patrie et à son devenir constituent pour le militant du PDG la ligne à suivre scrupuleusement jusqu’au sacrifice ultime, s’il le faut. PARACHEVER L’ŒUVRE DE LIBÉRATION DE L’AFRIQUE Nous devons affirmer la puissance de la Révolution Guinéenne dont les grandes capacités d’analyse et d’action ont déjà atteint un haut niveau de perfectionnement tel qu’elles assurent et garantissent désormais la marche irréversible et constamment victorieuse de notre peuple vers ses nobles objectifs de grandeur, de dignité et d’efficacité historique. Aussi, devons-nous, avec force et solennité réaffirmer à l’égard de tous les peuples combattants anti-impérialistes, notre volonté et ferme détermination d’appuyer résolument et sans discontinuité, leurs luttes jusqu’à la victoire finale, celle qui doit les satisfaire à toutes les atteintes des forces réactionnaires. En saluant pieusement la mémoire de tous les martyrs de l’impérialisme et du colonialisme, nous déclarons publiquement et sans équivoque aucune, que nous ne reculerons jamais devant nos responsabilités de pays africain libre et révolutionnaire, car la révolution qui est exigence nous oblige à demeurer totalement et en permanence solidaires de toutes les entreprises engagées où que ce soit contre les forces réactionnaires, pour parachever l’œuvre de libération de la patrie africaine. CAMARADES, nous sommes un parti révolutionnaire, un état populaire et démocratique, une puissance de combat consciemment et irréversiblement mobilisés au service de l’Afrique; tout comme aux côtés des forces progressistes mondiales; nous continuerons d’œuvrer activement et efficacement à l’événement rapide d’un monde nouveau où prévaudra l’homme, à travers la totale émancipation politique, économique et culturelle des nations sœurs, égales, prospères et solidaires. C’est dans cette voie, celle de la coopération dans l’amitié et la confiance réciproques que nous poursuivons avec une efficacité constamment accrue la politique de patriotisme incarnée dans le souvenir inaltérable que nos héros ALPHA YAYA, M’BALIA et L’ALMAMY ont imprimé à la conscience de notre peuple. Nous continuerons également à l’endroit de tous les États frères d’Afrique et de tous les pays du monde désireux de coopérer loyalement avec la République de Guinée, la pratique du dialogue qui construit et renforce la compréhension mutuelle et l’alliance positive autour d’objectifs communs de développement et de progrès démocratique et social. En rendant aujourd’hui les hommages dus à ses héros, notre peuple prête serment, par ma voix, de tout mettre en œuvre pour assurer à l’homme et à la femme, vivant sur le sol guinéen, sécurité, paix et dignité, en plus de la responsabilité militante dans la production et la gestion du patrimoine national. 1113


Par la même occasion, le Gouvernement de la République de Guinée déclare qu’il entreprendra au près du Gouvernement de la République Française des démarches appropriées en vue d’obtenir des bibliothèques et des musées français, les documents historiques relatifs au royaume de Labé d’ALPHA YAYA et de l’Empire d’ALMAMY SAMORY ainsi que la récupération de certains biens appartenant personnellement à L’ALMAMY tels que son coran, son sabre, son boubou etc.… (***) CAMARADES, pour terminer, nous adressons aux nombreuses délégations représentant des pays frères d’Afrique et les États amis d’Asie, d’Europe et d’Amérique. Nos sincères remerciements pour la solidarité qu’elles ont concrètement témoignée au Peuple Guinéen et à sa Révolution Nationale par leur présence à nos côtés en ce jour de gloire et de victoire. Honneur aux hommes fidèles à leur Peuple! Gloire aux Peuples qui luttent! Victoire à la Révolution! En Guinée! En Afrique! Et dans le monde! » Ahmed Sékou Touré (Président de la République de Guinée) Cet important discours, pieusement écouté, est immédiatement suivi de l’exécution de l’hymne national. À l’entrée nord du stade, la fanfare militaire fait son entrée brusque, ouvrant ainsi un défilé monstre des différentes unités des garnisons militaires et paramilitaires de Conakry. C’est d’abord les sections de la Police qui ouvrent le défilé après le passage du Drapeau National, ensuite suivent celles de la Douane, de la Gendarmerie Nationale qui renferme une section féminine, et enfin de l’Armée. Celle-ci présente un échantillon de ses différents corps à savoir: l’Infanterie, la Marine, l’Aviation et les parachutistes qui ont été vivement applaudis. Le passage au-dessus du stade des avions de chasse, surtout les Mig, a apporté une note agréable à ce défilé tout comme la section de fantassins en tenues de sofas samoryens. Le défile a été très ordonné, très coloré et très varié en séquences. Maintenant il revient à l’Imam l’insigne honneur de diriger une émouvante prière. Il faut signaler le festival de photos qui n’a pas manqué de régaler les photographes professionnels et amateurs sans oublier les cinéastes qui ont filmé la minute de tous les événements significatifs de cette émouvante cérémonie pleine de grandeur, de gloire et de solennité. Après la prière, les jeeps réapparaissent pour s’accoupler avec les tirecanons ou portes-chars transportant le cercueil de l’Almamy Samory en tête 1114


suivi de ceux de Alpha Yaya et de Morifindian Diabaté. Le cortège, roulant dans une haie de gardes d’honneur à pieds, fusils aux poings, suivi du président Sékou Touré, des officiers supérieurs de l’armée, des officiels, des membres du Gouvernement et du bureau politique national du PDG (Parti Démocratique de Guinée), des délégués des pays amis et de cette marée humaine vêtue de blanc, s’engage dans l’allée conduisant à la porte de la rentrée municipale, du Stade du 28 Septembre. Un dispositif d’ordre impeccablement assuré par les militaires disposés sur les 3 km, à 10 mètres d’intervalle environ, les uns les autres, présentant l’arme, parvient à canaliser cette cohue innombrable de personnes obéissant à toutes les consignes. Du Stade du 28 Septembre, ce fleuve humain déferle lentement sur la large route de Donka en passant par l’Institut Polytechnique, les Lycées Classique et Technique, la Garde Républicaine, l’hôpital de Donka dont certains malades s’étaient massés aux balcons des quatre étages du bloc hospitalier pour contempler le cortège et communier avec cette foule, le Secrétariat d’État à la jeunesse pour arriver enfin à l’entrée du jardin de Camayenne où est construit le mausolée. Cette longue distance est entièrement parcourue à pieds par tous dans une discipline remarquable, sous un soleil de plomb. Les instruments de musique de la fanfare embouchés depuis le Stade du 28 Septembre ne cessent de jouer les cantiques funèbres entre coupés par moment de chants populaires et patriotiques tirés du répertoire de la belle épopée samoryenne. Voilà maintenant le cortège dans le jardin de Camayenne. Une allée remplie de graviers granitiques concassés canalise cette foule compacte qui débouche après trois virages sur une surface d’un hectare délimitée par un mur d’environ 1 mètre de hauteur, inachevé à l’époque. Tout au long du mur peint en blanc se trouve aménagé un joli parterre de 1,50 m de large. Toute la cour ombragée est recouverte de sable blanc très fin. Après ce bain de soleil, la fraîcheur agréable de ce nid de verdure repose les esprits et les corps. Les jeeps s’immobilisent à la rentrée du mausolée où on peut lire sur une pancarte « Honneur à nos Héros! ». Les Officiers Supérieurs s’emparent humblement des trois cercueils pour franchir la porte d’entrée du mausolée et s’engagent dans une allée carrelée. A dix mètres, se dressent fièrement, à gauche, la statue de l’Almamy Samory Touré, et à droite celle d’Alpha Yaya Diallo. Tournant le dos au couchant comme si elles se détournaient du triste passé qui a connu l’agonie de l’indépendance africaine. Ces statues semblent exprimer un renouveau d’espoir, de foi, de prospérité, de liberté et de souveraineté pérenne pour la postérité guinéenne et africaine nourrie d’une si noble et si fière tradition. Au niveau de ces statues, le Président Ahmed Sékou Touré saisit le cercueil de l’Almamy Samory Touré, son grand-père. Il est imité ou aidé par certaines personnalités tandis que d’autres accourent vers ceux d’Alpha Yaya et de Morifindian Diabaté. A deux ou trois mètres du portail, à l’intérieur, est construit une case ronde recouverte de tôles et dont le mur, d’une demi-circonférence, s’élève à 4 mètres sans cependant toucher le toit et qui occupe toute la partie Est de la circonférence d’environ 3 mètres de rayon. Le 1115


cercueil de Samory, tenu par le Président Ahmed Sékou Touré, assisté de son demi-frère, le Ministre Ismael Touré, franchit les quatre marches de l’escalier qui permet de dominer le niveau de la terre. L’intérieur de la case est carrelé aux trois quart de sa surface. Le cercueil de Samory est posé dans le sens nord-sud et sur la même ligne que celui d’Alpha Yaya. A un mètre, en retrait, est posé celui de Morifindian. Ces trois cercueils sont ceints de nos trois couleurs nationales: Rouge-Jaune-Vert. Des bouquets de fleurs agrémentent la sévère majesté du lieu, charment la vue et embaument l’air de leurs senteurs balsamiques. La partie non carrelée de la case est couverte de sable blanc fin et laiteux sur lequel on peut pieusement se recueillir, face aux cercueils et dire des prières en faveur de nos héros. Après la disposition et la dépose des cercueils, le Président Ahmed Sékou Touré et sa suite se retirent de la case pour venir prendre place à l’ombre des manguiers et autres arbres, sur des fauteuils installés à cet effet. La garde d’honneur entoure la case. Et la débordante masse reste aux alentours pour écouter les oraisons funèbres. L’exécution de l’hymne national est aussitôt suivie des allocutions des délégations Africaines et étrangères invitées aux cérémonies du souvenir. Nous reproduisons ci-dessous quelques-unes de ces déclarations. *** Remarque de Daouda Damaro Camara: À la page 224 de son livre « AU SOUDAN », Gouraud, le vainqueur de l’Almamy Samory Touré, nous donne la liste complète des biens personnels saisis sur celui-ci: « Avec le trésor partent les souvenirs destinés d’une part au Musée de l’Armée, la selle, le sabre, le bonnet de guerre de l’Almamy, un de ses fusils Kropacheck petit modèle avec des garnitures d’argent fabriquées par les forgerons, des dialas ou longues chaînes à petits cabochons en argent qu’on enroule autour de la coiffure, les colliers de Sarenkin Mory et d’Hamadou Touré, des bagues bizarres, un porte-allumettes et surtout le boubou de guerre de Sarenkin Mory, riche pièce, la hache de guerre, le chasse-mouches formé d’une queue d’éléphant engrainée d’argent et le sabre que m’avait remis Sarenkin Mory au moment de sa reddition. »

I - ALLOCUTION DE LA DÉLÉGATION MAURITANIENNE « Camarades Responsable Suprême de la Révolution, Président de la République de Guinée, Camarades membres du BPN et du Gouvernement, Monsieur les délégués des pays amis, Camarade militants et militantes, Il est grave, très grave, presque impossible de prendre la parole devant les cercueils de l’Almamy Samory Touré et d’Alpha Yaya Diallo, en cette journée qui commémore l’indépendance pour laquelle ils ont donné leur vie. Mais autant cet instant est grave et solennel autant il suggère la témérité. En cette journée solennelle où se célèbreront à la fois des victoires éclatantes et un deuil éprouvant que le peuple de Guinée entende le salut fraternel de la République de la Mauritanie. Qu’il reçoive le message de

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sincère solidarité et d’amour profond du Peuple Mauritanien, de son Parti et de son Gouvernement. À une époque où le monde est raccourci par les moyens conjugués de communication et par la compassion humaine où chaque homme à laquelle distance qu’il se trouve, nous sommes plus que jamais conscients de notre fraternité et de liens de toutes sortes tissés par l’histoire, la géographie et une communauté de destin. Que ce soit au sein de l’OERS, au sein de l’OUA ou même à l’échelle du monde, nous nous sentons concernés par vos problèmes et nous vivons intensément vos joies et vos peines. Cette cérémonie, en particulier, est importante pour nous. L’on sait en effet que la douce terre Mauritanienne à embrasser Alpha Yaya et d’une étreinte affectueuse pendant plus d’un demi-siècle. Pendant plus de cinq ans, Alpha Yaya n’a jamais été oublié par les Mauritaniens. Son tombeau a été l’objet d’une constante vénération. Parti pour la terre guinéenne, nous considérons qu’il ne nous a pas quittés. Du reste, Samory et lui ont été de grands Africains, non pas seulement des Guinéens, tout comme le PDG et ses responsables, dignes héritiers de ces héros qui ont eu une action qui a largement dépassé les frontières de ce pays. Le PDG et ses responsables ont défié toutes les adversités pour mobiliser un peuple et prodiguer l’exemple autour d’eux. Ils ont exorcisé tous les sorts et dompté tous les démons. Ils ont enfoncé la porte de la forteresse coloniale, hermétiquement fermée et puissamment gardée. L’on disait en 1958 que ce pays ne survivrait que pendant quelques mois. Puis ce délai fut porté à deux ans. C’était faire bon marché de l’action des héros passés et présents, de l’action militante et engagée du peuple tout entier. Et maintenant, dix ans après, la Guinée s’est affirmée indépendante, forte, organisée, tutélaire. Elle franchit ave la même aisance les étapes différentes d’une croissance prodigieuse, parce que le peuple y a été préparé et qu’il s’y est prêté. Le souvenir d’hommes comme l’Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo, Abdourahamane Diallo, est de nature à inspirer la persévérance et la confiance. Ils ont fait ce qu’on pouvait attendre d’un homme. Et comme toute chose qui achève son ascension, ils se sont éteints. Plutôt ils se reposent après une vie entièrement consacrée au labeur, léguant à la génération actuelle un héritage pesant. Mais les hommes célèbres ont ceci de particulier, qu’ils resurgissent dès que leur corps disparaît dans le tombeau. Ils s’incarnent dans chacun de leurs souvenirs, s’intègrent à la conscience de chacun. Ainsi chacun d’entre nous se sent le devoir de devenir un Samory, un Alpha Yaya. C’est ainsi que les héros disparus renaissent en des millions d’exemplaires et c’est ainsi que Dieu nous console de nous les savoir arrachés. Que Dieu les accueille avec toute la sollicitude promise aux Saints et qu’il nous aide à poursuivre leur œuvre pour que nous hissons L’Afrique à son rang historique et pour que vive la Révolution. » 1117


II - ALLOCUTION DE LA DÉLÉGATION MALIENNE « Camarade Secrétaire Général du PDG, Responsable Suprême de la Révolution, camarades-membres du Bureau Politique National, du Gouvernement et de l’Assemblée Nationale, Excellence, Camarade militants et militantes du PDG, Chers camarades, Au nom de l’US-RDA et de son guide éclairé le camarade Modibo Keita, la délégation du Mali, par ma voix, remercie le PDG et son guide incontesté, le camarade Ahmed Sékou Touré de nous avoir permis en ce jour solennel de prendre la parole pour rendre un dernier hommage à deux grandes figures Africaines, l’Almamy Samory Touré et Alpha Yaya Diallo, tombés sur le champ de la dignité et de la personnalité africaine. Le Mali ne pouvait rester en dehors de l’événement de haute portée humaine qui constitue le retour des restes de l’Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo et Morifindian Diabaté qui sont morts pour ce bien suprême qu’est la LIBERTÉ. Le Mali ne pouvait rester en dehors de l’événement, dis-je, car depuis les temps les plus reculés il existe entre nos deux États, nos deux peuples une fraternité de pensée qui se traduit par la langue et révèle l’interpénétration de nos ethnies dans le MANDING, le OUASSOULOU par exemple. Ainsi les noms Touré, Diallo, Diabaté et biens d’autres encore sont à la fois maliens et guinéens. Il est significatif que le Mali et la Guinée se soient retrouvés au sein du RDA, de l’OUA et de l’OERS, toujours prêts à combattre sous la même bannière, contre le colonialisme, l’impérialisme et le néo-colonialisme. Le Mali ne pouvait rester en dehors de l’événement, car l’action de l’Almamy Samory Touré et de Alpha Yaya Diallo a débordé largement le cadre guinéen, le cadre malien. Elle a embrassé l’Afrique entière et le monde progressiste. Peut-être savaient-ils avant Jaurès, qu’un peu d’internationalisme éloigné de la patrie et que beaucoup y ramène? À présent, qu’il me soit permis de m’attarder tant soit peu sur chacun de ces héros qui sont morts pour la liberté. 1°) - ALPHA YAYA DIALLO totalise toutes les vertus que nous aimons au Mali, le don de soi jusqu’au sacrifice suprême pour une cause juste. Parce qu’il marchait pur, loin des sentiers obliques, vêtu de candide, et sa stature guerrière dressée contre l’occupation étrangère et l’oppression constituait un danger pour la pénétration française, on l’a arrêté par traîtrise, lui qui ne savait pas trahir. Et on l’a exilé car à son seul nom le peuple se regroupait prêt à lutter. 2°) - MORIFINDIAN DIABATÉ pacson exil volontaire nous enseigne la valeur du serment, de la parole donnée lorsqu’il y va de la dignité pour les autres et pour soi-même par rapport à une cause juste.

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3°) - L’ALMAMY SAMORY TOURÉ. C’est d’abord le bon fils qui offre sa liberté, son bien le plus précieux, contre celle de sa mère aussi facilement qu’il la donnera à son peuple. Est-ce besoin de le réhabiliter lorsque ses pires ennemis Péroz, Delafosse etc… lui reconnaissent les qualités dont la Guinée et le Mali sont en droit de s’enorgueillir? « C’était un véritable meneur d’hommes » disent-ils. En effet nous sommes en droit de dire qu’au XIXème siècle, l’ALMAMY SAMORY du OUASSOULOU a reproduit l’épopée de Soundjata. L’ALMAMY SAMORY était aussi un politique. Il a su revenir sur des erreurs dont le colonialisme tirait sa force. Les luttes intestines entre nos chefs de guerre et l’entente qu’il avait recherchée et créée entre SÉKOU AMADOU, BA BEMBA et lui-même aurait sans nulle doute vaincu si le colonialisme effrayé, ne s’était empressé d’abattre SÉKOU, de détruire SIKASSO, pour traquer l’ALMAMY avec des moyens militaires hors de l’ordre commun fut pris les armes à la main parce que pour lui le armes c’était le fusil, c’était le Coran aussi. Mais le fait le plus important de l’action de SAMORY c’est que meneur d’hommes, homme politique il a été le dénominateur commun à des peuples éloignés les uns des autres dans l’espace. C’est là un gain certain pour la Guinée et le Mali. Le Mali considère donc le retour des restes de l’Almamy Samory Touré, de Alpha Yaya et de Morifindian Diabaté comme un événement de haute portée politique. Et par ma voix, il adresse ses sincères remerciements à la République sœur de Guinée. Il s’agit aujourd’hui de revaloriser notre patrimoine culturel, et rendre au monde noir ses belles traditions de bonté, de fraternité, tant de génie bafoué et méconnu. L’objectif est clairement défini par la Révolution Culturelle Socialiste, changer la mentalité de colonisé et persévérer à rencontrer toute culture étrangère avec un esprit que rien ne trouble. Et pour tout dire: leur apprendre à demander à toute idée: « Qui serstu? » L’Afrique ou ses ennemis? La tâche est bien difficile, camarades. Mais si les ennemis de notre culture, c’est-à-dire de notre dignité ont le crime, nous avons nous, le second souffle. En effet après l’indépendance politique si durement acquise, nous nous sommes attachés à la réalisation de la seule indépendance réelle, je veux nommer l’indépendance économique. Dans le cadre de l’OUA et de l’OERS le vaillant peuple de Guinée, ses militants et militantes trouvent à leurs côtés le grand peuple malien; antiimpérialiste à l’instar de nos héros l’Almamy Samory Touré et Alpha Yaya Diallo.

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Dans le cadre de l’OUA et de l’OERS, le peuple révolutionnaire de Guinée trouvera toujours à ses côtés celui du Mali chaque fois qu’il s’agira de donner à l’Afrique sa valeur intrinsèque, cela pour la réalisation d’un africain moderne et totalement décolonisé à éclaircir de son nom la révolution africaine. Il nous plait aussi de saluer les États frères de Mauritanie et du Gabon qui ont bien voulu accepter de faire transférer les restes de ces Grands Africains dans leur patrie natale. Au nom du peuple et du gouvernement du Mali, je m’incline devant les restes de ces grands fils de l’Afrique parmi les meilleurs. » III - ALLOCUTION DE LA DÉLÉGATION SÉNÉGALAISE « La délégation sénégalaise s’incline pieusement devant les restes de Samory Touré et Alpha Yaya Diallo. Ce faisant, elle a conscience de traduire la profonde émotion et la grande joie des militants et militantes de l’Union Progressiste Sénégalaise, du Peuple Sénégalais tout entier en apprenant le retour en terre guinéenne des cercueils de ces prestigieux héros. Ceux-ci ont en effet contribué puissamment par l’exemple, en allant jusqu’à l’ultime sacrifice de leur vie, à l’éclosion du grand sentiment d’indépendance qui, durant toute la période du colonialisme, a créé dans l’esprit de l’occupant étranger, un perpétuel sentiment d’insécurité. La Délégation Sénégalaise félicite très chaleureusement les militants et militantes du PDG, singulièrement le Responsable Suprême de la Révolution Guinéenne, le camarade Ahmed Sékou Touré, de cette initiative combien heureuse qui nous honore tous. Car, l’Almamy Samory Touré et Alpha Yaya Diallo, loin de la terre guinéenne, ne pouvaient trouver le sommeil car ils avaient ignoré le repos jusqu’à ce jour. Aussi, peuvent-ils dormir du sommeil du juste aujourd’hui sur cette terre qu’ils avaient si religieusement aimée. Ainsi donc aujourd’hui pourront-ils accrocher le lourd fusil de guerre, le sabre étincelant du sofa, et s’étendre enfin, longuement, longtemps. Car de la savane couleur miel jusqu’aux confins de la verte forêt, la Guinée campe solidement sur son indépendance retrouvée. Que de fois Touré, Que de fois Diallo, Vous avez dû rêver de ces chants, de ces danses d’un peuple debout, vibrant de liberté? Ne vous fallait-il pas ce jour, cette cérémonie, pour que vous puissiez enfin trouver le repos éternel? Allongez-vous donc sur la natte contre le flanc de la mère et dormez en paix car le rêve, votre rêve s’est réalisé. 1120


L’émotion est grande en ce jour de grâce qui voit les restes des héros: l’Almamy Samory Touré et Alpha Yaya Diallo, revenir sur cette terre qui est leur alors que la République de Guinée célèbre dans l’enthousiasme le dixième anniversaire de la proclamation de son indépendance. L’émotion est grande en ce jour de grâce devant le spectacle solennel de ces milliers de personnes, leurs enfants, accueillant avec ferveur les restes de ceux qui, alors que la nuit du colonialisme s’abattait sur eux, leur avaient dit: Courage: demain, ce sera encore l’aurore! « Ecoute le souffle des ancêtres morts » « Qui ne sont pas morts, « Qui ne sont jamais partis ». Disait Birago Diop, poète sénégalais. N’est-ce pas donc par leur souffle qui a permis à tout un peuple désarmé d’avoir la force de puiser dans les ressources les plus secrètes de son âme la volonté de résister, de lutter de dire nom: Car le colon souffla la tempête Les feuilles jaunes s’envolèrent, éparses Les branches craquèrent et se brisèrent. Mais l’arbre durement secoué, tient bon, Puissamment enraciné Dans le sable rouge de sang Des ancêtres morts Qui ne sont pas morts Qui ne sont pas partis. Touré, ton nom est puissance! Diallo, tu t’appelles patience! Disais-tu Djali Ils sont donc partis, très loin non sans avoir insufflé à leurs enfants: Puissance et Patience. Patients, vos enfants l’ont été dans la souffrance! Puissants, ils l’ont été dans la lutte! Vous êtes revenus! Et l’aurore aussi est revenue Et le soleil s’est levé plus brillant que jamais sur une terre d’espérance. Et le chant qui monte de nos lèvres n’est point mélopée d’esclave, mais hymne d’homme libre réconcilié avec l’homme. Parce que le barrissement de SYLI a balayé comme château de sable les velléités d’empires bannis. En ce jour de résurrection et de résurgence, croyez-bien que le pouls du Sénégal de Lat-Dior, N’Gami-Latyr et Ahmadou Bamba ne peut que battre, tout entier, au rythme de la Guinée de SAMORY et de ALPHA YAYA DIALLO. »

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À 14 heures, les cérémonies au cimetière national des martyrs du colonialisme de Camayenne prirent fin dans le plus grand recueillement patriotique et à la satisfaction de tous. Nous pensons que le compte rendu que nous pensons fidèle de cet événement exceptionnel méritait d’être fait. Il est sans doute le couronnement d’une longue lutte patriotique. Maintenant, les jeunes guinéens, africains et les touristes peuvent se recueillir à tout moment sur la tombe de ces HÉROS qui méritent d’être adorés et magnifiés en raison des vertus qu’ils incarnent. La Guinée a pleinement rempli sa mission de réhabilitation de ces HÉROS. (Compte rendu et reportage de Daouda Damaro CAMARA (Héritier de l’auteur du présent ouvrage qu’il a eu le privilège de parachever) L’ARRIVÉE DES CERCUEILS AU MAUSOLÉE DE CAMAYENNE

Le Président Ahmed Sékou Touré (à droite) aidé par son demi-frère, le Ministre Ismael Touré, se charge lui-même de faire rentrer au Mausolée National le cercueil des restes de l’Almamy Samory Touré, son arrière-grand-père maternel.

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ASPECT DU MAUSOLÉE NATIONAL DE CAMAYENNE (CONAKRY) OÙ LE PANTHÉON NATIONAL (AVANT LA FIN DU CHANTIER) ICI RÉPOSENT LES HÉROS DE LA RÉSISTANCE À LA PÉNÉTRATION FRANÇAISE EN GUINÉE ET BIEN D’AUTRES CÉLÉBRITÉS GUINÉENNES

L’entrée du mausolée en chantier.

La statue de l’Empereur Almamy Samory Touré à l’entrée du mausolée de Camayenne pendant les travaux. 1123


Celle de Alpha Yaya Diallo.

La tombe de l’Almamy Samory Touré. L’antichambre du mausolée. Espace circulaire carrelé. Sur le mur de la case rond qui abrite les tombe est accrochée l’armoirie de la République.

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Les tombes des trois Héros de la Résistance à la pénétration coloniale française: Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo et celle de N’Balia Camara, une brave militante du PDGRDA assassinée par le Chef de Canton de Tondon lors d’une émeute contre le chef de canton de la localité.

TABLEAU GRAPHIQUE REPRÉSENTANT LA COUR DE L’EMPEREUR

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Un tableau graphique présentant un aspect de la cour de Samory qu’on remarque assis majestueusement dans un hamac, entouré des dignitaires de l’Empire . .

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Un aspect de la cour impériale, certainement une audience de l’Empereur. Une fresque montrant une sortie de l’Empereur du palais impérial avec sa cavalerie. L’Empereur Almamy Samory Touré à la tête de sa cavalerie .

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ANNEXE II EN MARGE ET AU CŒUR DU SYMPOSIUM SUR LES SOUVENIRS MARQUANTLE PREMIER CENTENAIRE DE L’ARRESTATION ET DE LA MORT DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ (1898-1998), ORGANISẾ À CONAKRY DU 29 SEPTEMBRE 1998 AU 1ER OCTOBRE 1998

L’EMPEREUR ALMAMY SAMORY TOURÉ (1830-1900) HÉROS EMBLÉMATIQUE MANDINGUE LE PLUS GRAND CONQUÉRANT ET RÉSISTANT NOIR DU XIXème SIÈCLE À LA CONQUÊTE FRANÇAISE DE L’AFRIQUE OCCIDENTALE (DIX-SEPT ANS DE FAROUCHE RÉSISTANCE ARMÉE) MORT EN CAPTIVITÉ LE 2 JUIN 1900 AU GABON

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Cérémonie de la remise du tambour de l’Almamy Samory Touré au Gouvernement Guinéen par le Professeur Jean Haab. On reconnaît de droite à gauche le Professeur Djibril Tamsir Niane, le Professeur Jean Haab et le Premier Ministre Sidia Touré (en boubou et bonnet blancs faisant dos).

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(Voir photo page 1130) Le tambour impérial de l’Almamy Samory Touré, offert par le Professeur Jean Haab, de nationalité française. Il faut noter notre grande déception, ou notre surprise désagréable et indignation, quand les gestionnaires du Musée National de Sanderwalia en 2014 nous firent entendre qu’ils ignorent où se trouve ce tambour. Ils affirment que ce souvenir de l’Almamy Samory Touré n’a fait que transiter brièvement dans les vitrine du Musée National. En effet, 24 heures après sa réception parmi les vestiges historiques de la Guinée, un important détachement de Commandos de « Béret Rouge » de la garde présidentielle est venu, sans ordre de mission écrit, récupérer *cet Patrimoine historique précieux* sur instruction de l’autorité. À présent on n’ignore l’autorité qui a ordonné cette mission. En tout cas depuis 1998, aucune nouvelle de ce patrimoine national! Qu’en dirait le généreux donateur si ce n’est pas lui qui l’a récupéré? Qui a donc osé nous priver de ce qui nous a été restitué officiellement et publiquement au Palais du Peuple? Que faire pour récupérer cette mémoire de la Guinée? Voici encore un mystère inondé de la Guinée.

Monsieur Jean Haab, de nationalité française, s’entretient avec le Professeur Galéma Guilavogui. Monsieur Jean Haab a gracieusement offert ce tambour impérial de Samory qu’il a hérité de Chanoine, officier français qui avait participé à l’arrestation de l’Empereur Almamy Samory Touré, héros emblématique mandingue, le plus grand Héros de la résistance à la pénétration française en Afrique.

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Daouda Damaro Camaro, lors d’une intervention au symposium.

Daouda Damaro Camara exposant sur le thème: « LES CONTRE-POUVOIRS DANS LA SOCIETE TRADITIONNELLE MANDINGUE » OU « LES CENSEURS DE CONSCIENCE ET DES AUTORITÉS AU MAMNDENGUE »

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Daouda Damaro Camara suivit avec attention les communications au symposium.

Un groupe de travail au symposium.

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Entretien de Daouda Damaro Camara avec le ProfesseurModi Sèkènè Cissoko sur le manuscrit en chantier de Damaro Diontan Djiguiba Camara.

Photo souvenir de Daouda Damaro Camara avec les Professeurs Sékou Mouké Yanssané dit « El Caïdo », à gauche, et Modi Sèkènè Cissoko du Mali au centre.

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Photo souvenir de Daouda Damaro Camara avec le Professeur Lanciné Kaba, lors du symposium (?). Le Prof. Lanciné Kaba fait partie des sommités de l’histoire africaine. Il a enseigné cette histoire dans plusieurs universités du monde, notamment aux USA. Il est aussi animateur de plusieurs revues scientifiques et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’Afrique.

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ANNEXE III AU CŒUR DES VESTIGES HISTORIQUES DU TATA DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ À SANANKORO (KÉROUANÉ) Au cœur des vestiges du Tata de l’Almamy Samory Touré à Sanakoro (Kérouané) où l’Almamy Samory avait construit une forteresse inexpugnable à l’époque pour sa défense. Vous allez voir ce que la République de Guinée, faute d’entretien ou de travaux de restauration générale appropriée, a pu sauvegarder de ces prestiges historiques. Cependant nous pensons que pour des raisons idéologiques, touristiques et de conservation de notre mémoire historique, la Première République était mieux indiquée pour réaliser cette restauration. En effet Sékou Touré, premier Président de la République de Guinée, était un des arrière-petit-fils de l’Empereur Mandingue. À ce titre, il aurait pris une telle initiative salutaire. Mais malheureusement, au lieu de cela, les autorités d’alors ont tout démoli pour y construire la résidence du Gouverneur de la cité ainsi que le bloc administratif et d’autres édifices administratifs. (Photos réalisées par Daouda Damaro Camara en 2014.)

Place des Martyrs du Colonialisme de Kérouané bâtie dans le domaine du tata de Samory. Sanankoro ou Kérouané, siège de la première capitale de l’Empereur. On y reconnaît à l’extrême droite le case vestibule ou salle des audiences (Bolon) et la tribune officielle pour la supervision des meeting, des défilés. À gauche, le portail d’accès à la cour du tata ou de l’actuelle Préfecture. 1135


Voici ce qui restait en 1970 du tata de Samory à Kérouané¸ la première capitale impériale. Tombé faute d’entretien ou de travaux de restauration; le mur a été démoli par les autorités locales, sous le régime de Sékou Touré, arrière-petit-fils de l’illustre résistant mandingue. Ce pan de mur qui¸ fort heureusement¸ a été épargne sert aujourd’hui de monument aux morts ou de Place des Martyrs du Colonialisme (photo de Sidi Yaya Touré).

L’ouvrage a été réalisé avec de la terre argileuse bien malaxée avec des blocs de cailloux « béton cyclopéen », diraient les ingénieurs de génie civil d’aujourd’hui).

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Un aperçu de la maisonnette abritant le pan de mur du tata qui a pu être sauvé de la destruction et par les hommes et par les intempéries. À l’extrême droite on reconnaît le portail de l’entrée de la Résidence du Préfet et du bloc administratif. Le reste du Tata, un pan de mur, sert aujourd’hui de monument aux martyrs du colonialisme .Malheureusement , ce monument jadis célèbre et imposant s’est écroulé petit à petit par manque d’entrettien et sous l’effet des intemperies. S’il était entretenu ou restauré, il serait aujourd’hui un lieu de tourisme.

La statue de l’Almamy Samory Touré se tient avec fierté au centre de la Place des Martyrs. Tourné vers l’est, et face au mont Simandou, l’Empereur avait une vue très lointaine de tout le plateau et semble surveiller de cette position tous les mouvements des ennemis. En tout cas, de cette position privilégiée il ne se laissait jamais surprendre par des ennemis que les sentinelles pouvaient voir arriver. Derrière le tata, à quelques 300 mètres, à l’ouest, coule tranquillement le Milo, important affluent du Niger (Dioliba).

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Reste en 1970 du Bolon (vestibule, salle d’audiences) du tata de l'Almamy Samory Touré à Kérouané en République de Guinée. Malheureusement cette case géante qui faisait 4 mètres de rayon pour une hauteur de 5 mètres et une épaisseur de 1,50 mètre, n'a pu être entretenue ou restaurée. Pire, le tata dont elle était l'accès principal a été démolie par ignorance de l'importance des vestiges historiques dans la découverte du passé pour construire en lieu et place les bureaux et la résidence du Gouverneur de la localité. Seul un pan du mur du tata a été épargné et sert actuellement de monument aux morts (martyrs du colonialisme). Qu’en diront les générations futures qui en auraient sûrement fait un lieu de recueillement ou un lieu touristique? Hommage à feu El Hadj Sidi Yaya Touré, petit-fils de Samory qui a fait cette photo, à notre demande en 1966, avant la démolition de l’édifice par les autorités administratives et politiques de Kérouané. Et pourtant c'est bien le régime du Président Sékou Touré, arrière-petit-fils de Samory, qui était le mieux indique pour préserver et même restaurer ce vestige historique. Ce fut ainsi et aussi par ignorance de l’importance des vestiges historiques, ou par démagogie que le Monsieur Mamadi Sagno, instituteur devenu, à l’accession de la Guinée à la souveraineté nationale en 1958, gouverneur de la région administrative de Siguiri, prit la lourde responsabilité devant l'histoire de démolir le premier fort construit a Siguiri, en janvier 1888, par les troupes de conquêtes coloniales françaises¸ qui, disait-il, rappelait les tristes souvenirs du colonialisme. Pour lui, il fallait absolument effacer les traces du colonialisme. On nous fit donc perdre ces vestiges témoins du passé.

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L’état en 2014 de cette majestueuse case ronde qui fut témoin de tant d’évènements et d’audiences de l’Almamy Samory Touré à Kérouané.

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Vue intérieure de la case. Ces personnes de taille normale font à peine le tiers de la hauteur du mur de la case. On voit et apprécie la grandeur phénoménale de l’ouvrage par rapport aux personnes de taille normale.

Par manque de centimètre, je me suis dressé contre le mur qui est si haut, qu’avec ma taille de 1,85 m., plus mes longs bras, je n’ai pu atteindre le linteau de la porte d’entrée. Il s’agit donc d’un ouvrage géant. 1140


Ici, Daouda Damaro Camara apprécie l’épaisseur du mur du vestibule ou salle de réception, salle des audiences. En dépit de mes longs bras de ma taille de 1,85 mètre, j’arrive à peine à embrasser l’épaisseur du mur. L’ouvrage était gigantesque. Les dimensions de cette case géante sont: ● Epaisseur du mur: 0,80 m ● Largeur de la porte: 1,40 m ● Diamètre de la case: 5,90 m ● Hauteur du linteau: 2,90 m ● Hauteur du mur sous toiture: 3,70 m

Un autre aperçu de la Place des Martyrs du Colonialisme de Kérouané. ● le Bolon (salle des audiences). ● la statue ou le buste de l’Empereur Almamy Samory Touré. 1141


À SON TOUR CONAKRY REND HOMMAGE À L’ALMAMY SAMORY TOURÉ HÉROS EMBLÉMATIQUE MANDINGUE ET FAROUCHE RÉSISTANT NOIR AU XIXÈME SIÈCLE À LA COLONISATION FRANÇAISE DE L’AFRIQUE OCCIDENTALE

Le socle de la statue de l’Almamy Samory Touré au carrefour de Moussodougou (Commune de Mototo, Conakry).

L’ALMAMY SAMORY TOURÉ EST IMMORTALISÉ ET DEMEURE INSCRIT AU PANTHÉON DE NOS CÉLÉBRITÉS AFRICAINES

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Une imposante statue de l’Empereur Almamy Samory Touré se dresse fièrement au carrefour de Moussodougou, dans la Commune de Matam à Conakry. Adossé aux immeubles modernes et à la l’Océan Atlantique, au magnifique et verdoyant « Jardin du 2 Octobre » construit pour les distractions des enfants et pour le repos des citoyens de la capitale guinéenne, le visage tourné vers l’intérieur de la République, le Héros emblématique mandingue est considéré à juste raison par ses ennemis et par tous les patriotes comme étant le plus Grand Résistant Noir du XIXème siècle à la conquête coloniale de l’Afrique par les troupes françaises. Cette lutte patriotique exigea dix-sept ans de guerres sans pitié. C’est bien pour cette raison que la République de Guinée et toute l’Afrique magnifient les gloires de notre NAPOLÉON NOIR. Convenons avec Le Général Baratier qui l’a farouchement combattu que: « Ce conquérant que les Noirs, s’ils eussent connu l’histoire, auraient comparé à Napoléon, a trouvé sa Sainte Hélène dans l’île de l’Ogooué sur laquelle il avait été relégué. » Oui! Mon Général! Nous vous remercions pour cette honnêteté intellectuelle. Oui! Mon Général, reconnaître courageusement le mérite et les qualités de son adversaire n’est nullement une faiblesse. Oui! Mon Général, rassurez-vous, nous connaissons l’Histoire, du moins parfaitement notre Histoire. Nous avons un passé, une culture et une histoire à enseigner à nos générations présentes et futures. La mémoire collective de notre peuple est fidèle. Nos griots qui sont des archives parlantes, nos sages vieillards, contemporains ou héritiers de cette brillante épopée de l’Empereur ALMAMY SAMORY TOURÉ nous ont effectivement conté ce qui s’est passé. Le vide auquel vous faites allusion est effectivement comblé. Vous avez bien raison: L’ALMAMY SAMORY TOURÉ n’est comparable qu’à NAPOLÉON BONAPARTE. Il s’agit effectivement de deux empereurs au destin curieusement semblable qui sont apparus en deux contrées différentes et en deux époques différentes. Oui, mon Général, nous avons Samory et bien d’autres Héros dans nos cœurs. Considéré comme un Patriote et un Nationaliste son exemple de témérité, de piété filiale et de patriotisme est aujourd’hui enseigné. C’est bien pour cette raison que nous magnifions, nous aussi, les gloires de nos Héros d’antan et de nos célébrités. Gloire et Honneur à ceux qui, suivant un idéal de grandeur et une éthique sociale patriotique, ont lutté et luttent pour leur DIGNITÉ et pour leur PATRIE. 1143


ANNEXE IV QUELQUES TÉMOIGNAGES ÉCRITS DE CERTAINS ÉRUDITS DE L’HISTOIRE AFRICAINE SUR LE PRÉSENT OUVRAGE

Lettre de Monsieur HOUIS, Directeur de l’IFAN de Guinée en 1950.

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Lettre de Monsieur HOUIS, Directeur de l’IFAN de Guinée en 1950 (suite).

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Lettre de Maurice Montrat, Conseiller de l’Union Française et ancien élève de Damaro Djiguiba Camara à Faranah, à son maître en 1958. Ce métis franco-guinéen de Faranah fut scolarisé en 1904 par Djiguiba. Celui-ci, en qualité d’interprète, fut parallèlement moniteur bénévole, de 1904 à 1908, et co-fondateur de la première école primaire de Faranah avec Monsieur Courcelle. Pour obtenir le nom MAURICE MONTRAT, Djiguiba Camara combina les noms MORY et MONTERAT, respectivement nom du père de la mère et de celui du père du petit métis.

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Lettre en 1958 du Professeur Théodore Monod de l’IFAN de Dakar.

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Lettre en 1958 du Professeur Théodore Monod de l’IFAN de Dakar (suite).

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Lettre en 1967 du Professeur Mody Sèkènè Cissoko du Mali.

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Lettre en 1967 du Professeur Mody Sèkènè Cissoko du Mali (suite).

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Lettre du Professeur Jean Suret-Canale, agrégé d’histoire et de géographie, qui vint spontanément au service de la jeune République d’où la France retira tous ses cadres en guise de sanction contre cette « République Rebelle » qui osa défier la France de Charles de Gaulle. Le conflit ou l’incompréhension entre Charles de Gaulle et Ahmed Sékou Touré, deux patriotes orgueilleux, eut pour conséquences des sanctions financières, des tentatives de déstabilisation de la Guinée. Par respect pour le libre choix de son destin du peuple de Guinée, qui opta pour sa Souveraineté Nationale, en votant NON! au référendum du 28 septembre 1958, contrairement aux autres colonies françaises de l’Afrique, Suret-Canale fut contraint de rentrer au bercail, au risque d’être déchu de sa nationalité française. Nommé Proviseur du Lycée Classique et Moderne de Donka (Conakry), il écrivit dans sa spécialité, en collaboration avec Djibril Tamsir Niane, des manuels scolaires dont la Guinée avait tant besoin, car la France avait bloqué toutes les commandes de livres à destination de la Guinée.

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Observations du Professeur Joseph-Noël après lecture de la deuxième partie du manuscrit. Elle enseignait au Lycée Classique et Moderne de Donka, Conakry et à l’Université de Conakry.

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Observations du Professeur Joseph-Noël après lecture de la deuxième partie du manuscrit (suite).

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LES TÉMOIGNAGES OU LES AVEUX INVOLONTAIRES ET TARDIFS, EN 1968 ET EN 1972, DU PROFESSEUR YVES PERSON (coupable d’imposture) AUTEUR DE PLUS DE 3.000 PAGES CONSACRÉES À L’HISTOIRE DE L’ALMAMY SAMORY TOURÉ (LE DERNIER EMPEREUR MANDINGUE)

La première lettre du Professeur Yves Person en 1968. 1154


La première lettre du Professeur Yves Person en 1968 (suite).

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La deuxième lettre du Professeur Yves Person en 1972.

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La deuxième lettre du Professeur Yves Person en 1972 (suite).

Ces deux lettres démontrent suffisamment que Djiguiba Camara fut la principale source d’informations d’Yves Person. Mais malheureusement cet éminent érudit a délibérément oublié, dans ses œuvres, cet apport substantiel de Djiguiba Camara et a systématiquement foulé aux pieds la règle ou la déontologie élémentaire qui oblige tout écrivain de mettre entre guillemet (« … ») les extraits de son ouvrage dont il n’est pas l’auteur, de préciser les sources de ses emprunts puisés dans les ouvrages d’autrui.

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Ici, Yves Person joue la comédie en écrivant, en bas de la première page de sa seconde lettre dont photocopie ci-dessus: « … Je pense qu’il serait intéressant et important de publier son manuscrit… » Une telle appréciation, de la part d’un tel érudit, donne toute la mesure de la valeur de l’ouvrage de mon père. Mais pourquoi lui, Yves Person, ne l’a-t-il pas fait alors que c’était bien lui, Yves Person, que l’auteur avait choisi par confiance, avant toute autre source, avant toute autre personne, ou avant toute autre maison d’édition, pour engager cette procédure de finalisation de son ouvrage? Mais pourquoi a-t-il attendu jusqu’en 1968 et 1972 pour reconnaître la qualité et le mérite du manuscrit de son subalterne au point de recommander vivement son édition que lui n’a pas voulu faire, en dépit de son engagement dans ce sens et de ses promesses fermes faites à l’auteur par lui en 1958? Pourquoi s’est-il alors dérobé à cette mission, à cet engagement solennel? Quelle est cette comédie? Halte donc à la démagogie!

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Deuxième lettre du professeur malien Mody Sèkènè Cissoko en 1967.

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Deuxième lettre du professeur malien Mody Sèkènè Cissoko en 1967 (suite).

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Lettre de Monsieur Antoine Konan Kanga, Maire d’Abidjan en 1973.

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Lettre en 1978 de feu El Hadj Abou Doumbia, ancien PDG de la Société Ivoirienne de Banque (SIB).

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Lettre en 1987 de feu Ibrahima Baba Kaké, professeur d’Histoire à la Sorbonne. Je lui dois le titre du livre: « ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE »

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ANNEXE V VERS L’ÉDITION DU MANUSCRIT LES TÉMOIGNAGES EN 2016 DE DR. MARIE RODET (PROFESSEUR D’HISTOIRE AFRICAINE À LONDRE) ET DE DR. ÉLARA BERTHO (AGREÉE DE LITTÉRATURE ET DOCTEUR EN LITTÉRATURE, CHARGÉE DE RECHERCHES AU CNRS À LA SORBONNE ET À L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX) Nous avons été agréablement surpris et fiers d’apprendre en 2016 que deux européennes, Doctoresses Marie Rodet et Élara Bertho, respectivement professeurs d’histoire africaine à Londres et de littérature à la Sorbonne, ont découvert par hasard dans les archives du Professeur Yves Person, une copie du manuscrit de Djiguiba Camara qui date de 1955. En effet, Yves Person en sa qualité d’administrateur colonial du cercle de Beyla s’était lié amitié avec mon père. Il faut préciser que Yves Person fut le dernier Commandant colonial de Beyla en 1958. Bien que très méfiant des intellectuels (blancs et noirs) qui pourraient le duper en surprenant sa vigilance, mon père tomba dans les filets de son chef hiérarchique en cédant à celui-ci une copie de son manuscrit. J’avoue ignorer les conditions dans lesquelles cette cession fut conclue. Mais nous avons le droit de penser qu’il ne pouvait être question d’éditer le manuscrit en France par le truchement cet africaniste. Mais, pour nous, l’unique but de ce contrat était la publication du manuscrit au compte de l’auteur. Mais malheureusement, il y eu dérobade et défaillance ou non-respect des termes de la convention. Malheureusement, ce qu’il a toujours craint lui est arrivé. Le constat est amer et révoltant. En effet le manuscrit n’a été ni restitué à l’auteur, ni publié comme convenu sur l’initiative première de Yves Person. Mais celui-ci a plutôt plagié et exploité à ses fins personnelles en faisant l’ossature de sa monumentale thèse de doctorat de troisième cycle (cf. plus haut, le cas de l’imposteur Yves Person). Cependant, il faut noter que la copie originale de ce manuscrit inédit a été profondément revue et enrichie par son auteur, de 1955 à 1963, en reprenant certains thèmes effleurés ou insuffisamment traités et en écrivant de nouveaux thèmes. Nous, héritiers qui avons eu la lourde responsabilité de continuer ce travail harassant de longue haleine, et l’avons également enrichi en y adjoignant des photos inédites, des cartes et parfois de textes de tiers pour faciliter sa compréhension. Damaro Djiguiba Camara, mon père, nous a donc laissé la fondation d’une maison que nous avons eue l’honneur de continuer et d’achever dans les meilleures conditions, pensons-nous, grâce aux concours de bonnes 1164


volontés et avec de nouveaux matériaux modernes non prévus par l’auteur. Nous pensons que ceci est de notre devoir et il n’y a pas de mal en cela. Telle est la mission ou le devoir d’un fils héritier digne. Au regard de ce scandale révoltant, de cette escroquerie intellectuelle et morale répréhensible, nous ne saurions taire notre indignation et notre déception justifiées devant le mutisme d’Yves Person sur l’importance de l’apport de Djiguiba Camara à la collecte et à la confection de sa monumentale thèse de doctorat sur l’Empereur Almamy Samory Touré. Bien qu’il ait reconnu implicitement, bien plus tard, sa forfaiture dans ses lettres qu’il nous a adressées en 1968 et en 1972 (voir photocopies cidessus), dans lesquelles il avoue que mon père fut son meilleur informateur sur plus 900 personnes interviewées, il ne consacre à sa principale source d’inspiration et d’information que quelques banales lignes d’éloges que voici, à la page 2194 du Tome III de sa thèse: « (5) Dygiba Kamara de Dammaro (Simandugu, cercle de Beyla), décédé en 1963 (et non en 1967, selon Yves Person). Ancien Grand Conseiller, né vers 1885 (plutôt 1881). Fils du célèbre chef Kyéulé il incarna la même tendance que (4), avec une hostilité plus marquée envers Samori. Cet homme extrêmement bien renseigné ne cachait d’ailleurs pas ses partis pris. Il a rédigé avec une certaine confusion mais beaucoup de détails un « Essai d’histoire locale » (110 pages) qu’il n’a pas voulu publier et a communiqué difficilement. Ce document qui supporte bien les recoupements, a été complété et contrôlé au cours d’une série d’interviews. Les héritiers (Daouda Damaro Camara), en Côte d’Ivoire, envisagent de le publier. » On s’aperçoit donc qu’Yves Person a failli à son engagement et s’est dérobé au principe élémentaire de respecter et de citer fidèlement les sources d’information qui lui ont permis d’écrire son livre. La lecture comparée de deux ouvrages en certains endroits permet de constater une ressemblance troublante. En effet, la structure, le contenu et la forme de beaucoup de chapitres de l’ouvrage de Djiguiba Camara et de celui d’Yves Person sont absolument identiques. Parfois c’est du mot à mot ici et là. Mais contrairement à la règle en la matière, Yves Person s’est complu à recopier certaines parties des textes de mon père sans prendre soin de mettre entre guillemets (« … ») les parties piquées tout en précisant leur source (références de l’ouvrage, pages, éditeurs et nom de l’auteur) comme il l’a si bien fait concernant l’ouvrage de mon aîné, feu Kalil Fofana de Boola sur Samory. Pourquoi cette injustice ou cette tricherie? En tout cas la ressemblance des deux ouvrages, surtout le Tome I d’Yves Person et le tapuscrit de 110 pages de Djiguiba Camara qui date de 1955, est troublante. Pourquoi Yves Person a sciemment foulé aux pieds ce principe intellectuel auquel il devrait se soumettre comme tout intellectuel ou tout écrivain honnête qui exploite une source écrite de tierce personne? Djiguiba Camara ne fut pas pour lui seulement une source orale, mais bel et bien une 1165


source écrite. La contribution de mon père ne fut donc pas seulement orale, dans lequel cas il est difficile de citer la source avec exactitude et détails, mais celleci est bel et bien un document écrit qu’il a exploité sans citer l’auteur sans personnaliser les textes et les phrases de tiers piquées ici et là? Dans le cas de figure où nous nous trouvons on est en droit de se demander « qui a plagié l’ouvrage de l’autre »? Assurément, l’unique réponse logique est que c’est bien Yves Person qui a fait de l’imposture et du plagiat en 1968 pour son premier Tome et en 1972 pour ses Tomes II et III. Or Djiguiba Camara a débuté ses recherches en 1929 et a fini de mettre dernière la main à la première bouture en 1955 (« ESSAI D’HISTOIRE LOCALE ») dont une copie fut donnée en 1959 à Yves Person pour édition en France. Toujours opiniâtre, la plume à la main, il a poursuivi ce travail fastidieux et exaltant jusqu’à sa mort en 1963. Mais privé de circonstances favorables, Djiguiba Camara qui résidait l’époque dans une Guinée quasiment fermée ou mise en quarantaine, ne put éditer son manuscrit. En raison donc de l’isolement de la Guinée par la France, il n’avait, par conséquent, aucune possibilité d’accéder au manuscrit de Yves Pers qui s’était malheureusement enfermé derrière un rideau de fer et avait rompu tous les contacts avec son ancien subalterne qui lui avait confié son manuscrit à éditer en France. Malheureusement il ne remplit pas ce contrat, croyant échapper à tout procès de cet octogénaire qui aurait passé les 34 dernières années à écrire un livre d’histoire qu’il devait plagier pour écrire sa volumineuse thèse de doctorat de troisième cycle sur le dernier Empereur Mandingue. Heureusement pour Damaro Diontan Djiguiba Camara et ses héritiers Et malheureusement pour le Professeur, l’africaniste, le dernier Commandant Français du cercle de Beyla en 1958, Monsieur Yves Person, Qui a été rattrapé et démasqué par l’histoire par la vérité et par l’implacable et l’incorruptible Justice Divine. Malheureusement, il doit par conséquent porter malheureusement et indéfiniment le manteau ou le chapeau honteux des imposteurs. En effet ce constat malheureux, cet abus de confiance et cette forfaiture ternissent totalement et indéniablement son image et la moralité sa monumentale thèse de doctorat de troisième cycle qu’on peut traiter à présent comme étant le résultat d’un plagiat subtile. En fait il s’est inspiré du manuscrit de son subalterne Damaro Djiguiba Camara ou a exploité fondamentalement le manuscrit de celui-ci pour écrire une grande partie de son livre qui fait de 3.000 pages qui l’a rendu célèbre. N’a-t-il pas librement avoué, dans sa lettre de 1968, que Djiguiba Camara fut en fait son meilleur informateur sur près de 900 personnes interviewées? 1166


Pourquoi a-t-il attendu 1968 pour reconnaître qu’il serait intéressant et important de publier le manuscrit de Djiguiba? Pourquoi s’est-il dérobé à cette mission que lui avait confiée l’auteur? En effet, la parution de ce manuscrit avant le sien aurait sans nul doute dévalué son travail qui, au regard de l’apport déterminant de son subalterne Djiguiba Camara, aurait dû paraître comme « Une co-édition Djiguiba Camara-Yves Person » pour être plus juste et plus fidèles. VERS L’ÉDITION DU PREMIER JET OU DE LA PREMIÈRE BOUTURE DU MANUSCRIT DE 110 PAGES DE 1955 En effet, grâce aux Docteurs Marie Rodet et Élara Bertho, nous savons maintenant que Yves Person avait bel et bien reçu une copie de l’ouvrage de Djiguiba Camara qu’il a eu le temps de plagier pour élaborer sa thèse de doctorat sur Samory, sans prendre la moindre précaution de citer exactement et fidèlement sa principale source d’informations, comme l’exige la déontologie en la matière. Mais ne s’était-il pas lourdement trompé de croire que Djiguiba Camara, sa victime, n’avait laissé aucun héritier intellectuel capable de démasquer sa supercherie? Peut-être que s’il le savait, son comportement aurait certainement été autre. Il suffit de s’en convaincre en lisant ou en comparant les lignes qu’il consacre à Djiguiba Camara, son meilleur informateur sur 900 personnes interviewées, dans ses notes bibliographiques citées plus haut, consacrées à ses sources d’informations dans son Tome III et aux éloges qu’il adresse à Djiguiba Camara dans les lettres qu’il m’a adressées en 1968 et en 1972. Peut-être qu’à l’époque ses livres étaient soit sous presse, soit déjà imprimés. Dans l’un ou l’autre cas, la balle était déjà partie, et il ne pouvait plus la rattraper pour corriger le tir. Le contenu des deux lettres qu’il nous adressées en 1968 et 1972 est bel bien un aveu complet, une repentance de sa forfaiture. Bref! Taisons ce débat qui est d’ailleurs loin d’être stérile ou inutile, par respect pour les morts qui ne peuvent plus ni se défendre et ni justifier quoique ce soit. Le procès étant donc impossible, nous nous contentons de cette simple dénonciation de son abus de confiance, de sa supercherie, de son imposture et de sa forfaiture. C’est donc cinquante-trois ans après la mort de Djiguiba Camara que ces chercheuses de bonne volonté et de bonne foi, dans leurs recherches, ont découvert un exemplaire de la version du tapuscrit du livre de mon père qui date de 1955. C’est bien de bonne foi qu’elles ont bien voulu tendre la main à la 1167


famille de l’auteur de leur découverte, sans la moindre exigence ou contrepartie matérielle et financière, tout juste pour rendre justice à Djiguiba Camara, qui ne doit pas demeurer éternellement dans l’inconnu après un tel travail persévérant et de longue haleine afin qu’ensemble nous puissions finalement publier, et à titre posthume, cet ouvrage qui a demandé à son auteur plus de trente-trois ans de recherches inlassables. Cependant, nous pensons que ce souci était initialement dévolu à Yves Person qui aurait dû l’avoir avant tout le monde et pour avoir exceptionnellement pu, par confiance de l’auteur, obtenir une copie du tapuscrit et au nom de leur amitié. Mon père, que nous avons connu très méfiant, a dû être rassuré par son ami Yves Person que son ouvrage serait publié par ses soins, au nom de leur amitié et par reconnaissance ce des services rendus ou de l’apport spécifique, considérable et déterminant de Djiguiba Camara, son meilleur informateur parmi les 900 personnes qu’il a interviewées, à l’élaboration de sa monumentale thèse de doctorat qui fait 2.377 pages, fruit de dix ans de recherches sur l’Empereur Almamy Samory Touré. Nous attirons l’attention de Marie Rodet et Élara Bertho sur le fait que l’exemplaire auquel elles ont pu accéder est maintenant dépassé, donc caduc, car l’auteur avant sa mort avait traité et ajouté beaucoup d’autres thèmes, tout comme ses héritiers que nous sommes. Nous détenons la version finale revue et enrichie qui doit dorénavant servir de base à tout travail de finition ou point d’appui pour toutes démarches ou éditions. Toutefois nous ne rejetons pas l’édition séparée du premier jet de 110 pages qui date de 1955 et la version enrichie. Merci donc aux Professeurs Marie Rodet et Élara Bertho pour l’intérêt particulier et désintéressé qu’elles ont pour le manuscrit de Djiguiba Camara qui, avons-nous dit, a été profondément enrichi et amélioré par l’auteur et ses héritiers que nous sommes, sur les conseils des vénérables Mamba Sano, Amadou Hampâté Bâ, et surtout le Professeur feu Ibrahima Baba Kaké. Ce travail a consisté à développer les thèmes effleurés ou insuffisamment traités ou alors pas du tout abordés par l’auteur. Et c’est bien pour cette raison majeure que nous nous ouvrons à leur proposition de collaboration avec ma famille pour enfin publier, dans les meilleurs délais et conditions, ce manuscrit authentique sur l’histoire et la civilisation mandingues et par ricochet africaines qui soulève tant d’intérêts. Nous préférons leur canal aux signaux clignotants de certains éditeurs locaux guinéens qui s’intéressent eux-aussi à ce manuscrit. Au nom de la famille, nous accueillons très favorablement leur projet ou intention de publication bilingue (français-anglais) qu’elles envisagent. Ceci faisait effectivement partie de nos préoccupations et souhaits ardents. Nous acceptons volontiers que l’édition de la première variante du tapuscrit qui 110 pages et qui date de 1955 qu’elle propose se fasse sous leur parrainage historique ou scientifique.

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Aussi, nous acceptons tous les projets et toutes les initiatives visant à nous aider à publier cet ouvrage posthume dans son entièreté. En tout cas c’est bien notre mission et nos souhaits les plus ardents. Suite à des échanges d’e-mails entre Marie Rodet et mon cousin Amadou Damaro Camara, l’honorable Député à l’Assemblé Nationale Guinéenne, nous avons été rassurés par la noble intentions de ces deux professeurs. En effet, ces courriers nous ont permis de mieux comprendre le bien-fondé de la démarche de Marie Rodet et de Élara Bertho. Leurs premières démarches avaient échoué en 2015 parce qu’elles étaient mal engagées, ou du moins mal perçues par nous. À présent, nous nous ouvrons à leur collaboration pour enfin achever ce travail qui a trop duré en chantier (1929-2016). C’est ainsi qu’elles ont été chaleureusement accueillies par tout le village de Damaro et par les héritiers de Djiguiba Camara que nous sommes du 14 décembre 2016 au 23 décembre 2016. Voici leurs témoignages ou impressions sur la chaleur de l’accueil qui leur a été réservé par la population de Damaro massivement mobilisée lors de cette visite mémorable, sur les traces de Djiguiba Camara, sur certaines infrastructures socio-économiques réalisées par celui que les Simandouka considèrent aujourd’hui comme un véritable bâtisseur. Au terme de ce séjour à Damaro, certes très bref, mais très riche, très instructif et émouvant, fut conclu entre les héritiers et les visiteuses un contrat de collaboration bilatérale devant déboucher sur l’édition de la première variante de 110 pages du tapuscrit de Damaro Djiguiba Camara, sous le parrainage historique et scientifique des Docteurs Marie Rodet et Élara Bertho. Dans le souci de mettre en évidence ou de publier enfin l’intégralité des travaux de Damaro Diontan Djiguiba Camara, ces deux chercheuses nous ont mis en contact, en 2017, avec Docteur Jan Jansen alias Sidiki Kanté afin de trouver les voies et moyens pour éditer le même ouvrage posthume de Damaro Diontan Djiguiba Camara, précisément la version enrichie sur laquelle nous travaillons depuis 1964 et qui, pour des raisons commerciales et d’audience s’intitule désormais: « ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE » au lieu de « ESSAI D’HISTOIRE LOCALE », titre proposé par l’auteur avant sa mort. Le Docteur Jan Jansen, dans le souci d’améliorer l’ouvrage a programmé et effectué une série de voyages en Guinée afin de pouvoir travailler avec nous sur la deuxième version: - du 18 au 24 janvier 2018 - du 14 au 24 janvier 2019 - du 14 au 18 janvier 2020 - du 14 au 21 janvier 2023

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afin de rencontrer les héritiers de l’auteur, que nous sommes, et travailler d’avantage sur la mise en forme de ce volumineux ouvrage, notamment avec Daouda Damaro Camara, l’héritier spirituel de l’auteur. Ces voyages d’études et de travail ont permis à cet érudit de l’histoire africaine, très bien connu et respecté dans le monde académique, de procéder à la mise en forme du tapuscrit, de faire quelques indispensables corrections pour améliorer l’image de cet ouvrage posthume qui est en chantier depuis 1929. Nous lui en sommes très reconnaissants. En effet, sans son soutien désintéressé et sa contribution appréciable et déterminante à l’effort de parachèvement de ce travail de longue haleine, nous ne serions pas sortis de ce labyrinthe dans lequel nous tournons en rond depuis 1964. Il faut noter aussi qu’il a fait tous ces voyages à ses propres frais, sans la moindre contribution financière et matérielle de la famille de l’auteur. Historien chercheur, anthropologue, ethnologue et sociologue, cet africaniste est un spécialiste des « MANDINGUES DU NORD » qu’il a étudiés pendant plus de trente ans et a fait, dans ce cadre, trois ans de séjour ininterrompu à Kéla (un village malien) et est aussi auteur de plusieurs ouvrages et articles sur ce peuple qui a émigré de cette région (et de Siby pour les Camara) pour les régions du sud et de l’ouest de la Guinée et pour atteindre progressivement le nord de la Côte d’Ivoire et le nord du Sénégal. Jan Jansen est donc un ami du Mandingue qui maîtrise et parle parfaitement la langue mandingue. Profondément attaché à la chose mandingue, il nous paraît être la personne la mieux indiquée pour parrainer les travaux de parachèvement de l’ouvrage de notre père sur les « LES MANDINGUES DU SUD ». Sa disponibilité constante et son engagement bénévole, sa maîtrise du sujet traité par mon père… nous ont convaincu et rassuré pour accepter sa collaboration déterminante afin de réaliser enfin le vieux rêve de notre père, qui est l’édition du manuscrit. C’est bien pour ces raisons que les héritiers ont signé avec lui un protocole d’accord qui lui a permis de prendre toutes les initiatives appropriées pouvant déboucher sur l’édition du manuscrit et de bénéficier aussi des facilités de ses nombreux voyages en Guinée. C’est donc grâce à lui que nous réalisons enfin, avec bonheur, le vieux rêve de Damaro Djiguiba Camara qui était la publication de son manuscrit pour la postérité africaine qui est en train de perdre son identité culturelle, En tout cas ce fut sa dernière volonté qu’il m’a confiée avec insistance le 2 octobre 1962, quand je le quittais pour la dernière fois à Damaro. Je souhaite donc qu’outre-tombe il en sera très ravi, fier et connaîtra enfin un repos paisible et un sommeil profond qu’il mérite après tant de labeur louable pour la postérité mandingue et africaine.

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L’HISTOIRE D’UNE COLLABORATION D’ABORD TUMULTUEUSE PUIS FRUCTUEUSE VOICI LA LETTRE QUI DÉCLENCHA LE PROCESSUS

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INVITATION DES HÉRITIERS DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA POUR LA VENUE À DAMARO (RÉPUBLIQUE DE GUINEÉ) LES PROFESSEURS DR. MARIE RODET ET DR. ÉLARA BERTHO, AGRÉGÉE DE LITTÉRATURE Suite aux nombreux e-mails entre vous et nous afin de pouvoir terminer et éditer le manuscrit de notre père Damaro Diontan Djiguiba Camara, ancien chef de canton de Simandou (Beyla, République de Guinée), tous ses héritiers vivants et toute le collectivité du village de Damaro souhaitent vivement la venue à Damaro de Dr. Marie Rodet et de Dr. Élara Bertho pour discuter de vive voix des clauses d’un contrat de partenariat devant aboutir, sous leur supervision scientifique et historique, à l’édition dudit manuscrit (version de 110 pages qui date de 1955) qui est en chantier depuis 1929 et qui a attiré depuis l’attention de plusieurs spécialistes de l’histoire africaine, notamment celle du Mandingue, dont entre autres, Yves Person, Théodore Monod, Amadou Hampâté Bâ, Ibrahima Baba Kaké… Ce manuscrit enrichi fait actuellement plus de 2.500 pages et se décompose en deux tomes: LE TOME I est une riche moisson savoureuse d’informations et d’enseignements inédits sur tous les aspects de la civilisation mandingue qui couvre une grande partie de l’Afrique de l’Ouest. Aussi les mouvements migratoires des grandes familles mandingues, depuis la désintégration de l’empire du Mali (XVIIème siècle) sont traités ainsi que les us et coutumes et les structures traditionnelles de la société mandingue... LE TOME II campe l’histoire évolutive de l’Almamy Samory Touré, héros emblématique mandingue qui fut le plus grand résistant noir à la conquête coloniale française de l’Afrique au XIXème siècle. Des premiers pas du héros emblématique à sa lente et difficile émergence, ses premières conquêtes ayant permis la création du noyau de son armée de conquêtes, la constitution de son vaste empire et ses heurts avec l’envahisseurs français, disons de l’éclosion de son génie militaire à l’extinction de celui-ci en passant par son ascension, sa grandeur, ses déficiences et sa décadence... sont traités dans un style nouveau qui n’a rien à avoir avec la littérature courante tant rabâchée à son sujet. Bref, on découvre un Samory différemment traité, avec une certaine objectivité rigoureuse qui prend en compte tant ses qualités que ses défauts et erreurs, car il est avant et après tout un homme qui avait des qualités et des défauts. Cependant son statut de HÉROS n’est nullement sacrifié. Mais il y est dépeint tel qu’il fut. Nous sommes convaincus que ce livre inédit viendra combler beaucoup de lacunes en servant de repères pour les jeunes chercheurs africains et européens et sera favorablement accueilli dans les milieux académiques. Il faut noter que sa publication a retardé pour des raisons politiques et de sécurité des héritiers de l’auteur. En effet, volontairement nous avons suspendu 1172


la procédure de l’édition, qui en d’autres temps, nous aurait causé de sérieux ennuis. Mais à présent le contexte ou la conjoncture est favorable pour le faire. Dans l’espoir de vous recevoir en Guinée et à Damaro à partir du 14 Décembre 2016, Veuillez accepter, Mes Dames, nos meilleures salutations. Bonne arrivée et bon séjour en Guinée. Par El Hadj Daouda Damaro Camara, porte-parole des héritiers de Damaro Diontan Djiguiba Camara

Avant leur arrivée en Guinée, voici certains e-mails qu’elles ont pu échanger avec la famille: E-MAIL I « Sent by A Damaro Camara Député président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle. Tel 224-657-99-0053/ 224-666-68-6958 001404-740-7174 USA From: Marie Rodet <mr28@soas.ac.uk>² Date: March 31, 2016 at 10:34:09 GMT To:damarocamara@gmail.com Cc: Mohamed Toure <mosamah9@gmail.com> Subject: Djiguiba Camara « Monsieur, Je me permets de vous contacter sur les recommandations de Mohamed Touré, Secrétaire général du RDA-Guinée, qui m’a indiqué que vous étiez de la famille de Djiguiba Camara, ancien chef d’un canton du cercle de Beyla du temps de la colonisation. Je suis Maître de conférences en Histoire africaine à l’Université de Londres et je travaille actuellement avec Élara Bertho sur un manuscrit rédigé par Djiguiba Camara et retrouvé par Élara Bertho à Paris dans les archives désormais publiques du chercheur Yves Person dont Djiguiba fut la source principale pour son travail monumental sur Samori. Ce manuscrit est intitulé « Histoire locale » et date de 1955. Nous avons tenté de contacter l’un des fils de Djiguiba, N’Faly Camara, pour voir avec lui dans quelle mesure nous pourrions envisager une coopération sur ce projet qui doit aboutir à la publication du manuscrit de Djiguiba Camara 1173


dans le respect des droits dévolus à la famille dans ce domaine. Nous avons malheureusement reçu une fin de non-recevoir de la part de N’Faly Camara. Malgré cette réponse négative, nous avons souhaité le relancer sur ce projet en octobre dernier en l’assurant de toute la transparence de la procédure et en lui redonnant toutes les garanties de protection des droits auxquels la famille Camara peut prétendre sur ce manuscrit. Nous n’avons malheureusement pas eu de réponse à ce dernier courrier. Nous souhaitons poursuivre ce projet dans le respect et l’éthique vis-à-vis de la famille Camara et c’est pourquoi nous sollicitons votre appui pour une résolution heureuse de cette affaire. Comme nous l’écrivions à N’Faly Camara en octobre dernier, le manuscrit de Djiguiba Camara a déjà un certain renom parmi les spécialistes d’histoire africaine. Cette analyse a été intégrée dans plusieurs études historiques depuis les années 1970. Selon nous, l’intégration de cette œuvre dans les études historiques dédiées à la Guinée a toujours été faite jusqu’ici de manière plutôt superficielle, incomplète et insuffisante. Raison pour laquelle les directeurs de la collection African Sources for African History (« Sources Africaines pour l’Histoire d’Afrique ») des Éditions Brill (Leiden, les PaysBas), ont accepté avec beaucoup d’enthousiasme notre projet de publier l’œuvre de M. Djiguiba Camara dans leur collection dédiée aux sources historiques d’origine africaine. Je suis certaine que cette édition bilingue (français-anglais) de l’œuvre originale de Djiguiba Camara sera grandement appréciée par tous les Guinéens et le monde académique dans son ensemble. Cette édition donnera aux lecteurs la possibilité d’accéder à une œuvre riche de détails et d’informations peu connues sur l’histoire de Moussadougou, des Camara et de Samori, ainsi que sur l’œuvre et la vie de Djiguiba Camara. Cette édition ne pourra qu’inspirer de nouvelles générations de chercheurs à redécouvrir l’histoire de cette région cruciale dans l’histoire de la Guinée et de l’Afrique de l’Ouest au tournant du vingtième siècle. En espérant que vous pourrez soutenir cette initiative et en vous remerciant d’avance pour toute la sollicitude que vous voudrez bien lui accorder, je vous prie d’agréer, Monsieur, mes sentiments distingués » « Dr Marie Rodet Senior Lecturer in the History of Africa School of Oriental & African Studies (SOAS) Thornhaugh Street London WC1H 0XG Phone: +44 207 898 4606 Email: mr28@soas.ac.uk http://westafrica-archives.org/ http://www.soas.ac.uk/staff/staff69183.php »

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E-MAIL II On 31 Mar 2016 19:47, "AMADOU DAMARO CAMARA" <damarocamara@gmail.com> wrote: C'est avec un réel plaisir que j'appréhende l'intérêt que vous marquez pour l'œuvre de mon grand-père. Je suis plus qu'interressé par la publication de cette œuvre. Donnez-moi le temps d'en parler avec mon oncle qui a approfondi cet écrit et la complété à certains endroits. Je vais au USA la semaine prochaine et serais en Europe mi avril. Mon contact au USA 4047407174 Thanks

E-MAIL III Sent by A Damaro Camara Deputé président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle. Tel 224-657-99-0053/ 224-666-68-6958 001404-740-7174 USA

Begin forwarded message:

, Très contente de votre réaction immédiate à mon email. Je suis moi-même aux Etats-Unis en ce moment comme Professeur invitée à Yale University et ne manquerai pas d'essayer de vous appeler la semaine prochaine. Mon numéro aux USA: 2038099826 Bien cordialement, Marie Rodet

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MEMBRES DE LA PREMIÈRE MISSION SCIENTIFIQUE À CONAKRY ET À DAMARO DU 10 AU 24 DÉCEMBRE 2016 ► DR. MARIE RODET: Professeur d’Histoire Africaine à Londres, Chef de Mission ► DR. ÉLARA BERTHO: Dr. Agrégée de Littérature à la Sorbonne, ChefAdjointe de la Mission ► EL HADJ DAOUDA DAMARO CAMARA: Héritier spirituel de l’auteur qui a eu la lourde mission de parachever cet ouvrage, interlocuteur principal de la famille Camara de Damaro ► BINTOU MAMADI CAMARA: Dr. Vétérinaire à la retraite, l’aîné des petits fils de l’auteur ► Mme MADOUSSOU TRAORÉ: Alliée de la famille et cuisinière de la mission ► JACQUES KOLIÉ: Caméraman de la mission L’ÉTAPE OU L’ESCALE DE BISSANDOUGOU, JADIS MAJESTUEUSE CAPITALE DE L’EMPIRE MANDINGUE DE SAMORY

Aperçu du fromager tutélaire de Bissandougou sous lequel Samory organisait les réjouissances tous les vendredis pour distraire son peuple.

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Entretien avec l’Imam de Bissandougou, 2016

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Mobilisation spontanée de la population de Bissandougou sous le fromager tutélaire, témoin de tant d’évènements sous le règne de l’Almamy Samory Touré.

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Après la longue et fastidieuse étape de Kankan-Kérouané, in repas copieux nous fut servi par les nièces Fatoumata Sidibé et Matirankè Touré vers 16 h. à Kérouané après la visite des vestiges historiques.

L’ÉTAPE DE DAMARO OU L’APOTHÉOSE: ACCUEIL POPULAIRE ET CHALEUREUX PAR TOUTE LA COMMUNAUTÉ DE DAMARO

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L’accueil populaire et chaleureux des hôtes de marque.

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L’entrée de la salle des fêtes de Damaro.

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Après le bain de foule, les hôtes de marque font leur entrée dans la salle des fêtes de Damaro archicomble.

De quoi parlent discrètement les deux étrangères qui ont été surprises par la chaleur et l’ampleur de l’accueil qui leur a été réservé par la population de Damaro massivement mobilisée.

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La traditionnelle bienvenue, à travers les dix noix de colas présentées dans une calebasse couverte de tissu blanc, à l’entrée de la salle de réception, par Hadja MANIGBÈ ASSATA CAMARA, la Présidente des Femmes (muso kuntii) de DAMARO, avec une calebasse d’eau fraîche; c’est l’équivalent du bouquet de fleurs de l’occident.

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Manigbè Assata Camara, la Présidente des Femmes de Damaro, s’apprête à remettre humblement la calebasse et son contenu sur la table officielle réservée aux hôtes de marque, sous le regard attentif de toute la collectivité village de Damaro.

Dr. Marie Rodet reçoit la calebasse d’honneur - notre bouquet de fleurs - des mains de Hadja Manigbè Assata Camara, la Présidente des Femmes de Damaro, au de toute la collectivité.

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Dr. Marie Rodet et Dr. Élara Bertho reçoivent, chacune, la clef symbolique faisant d’elles des citoyennes d’honneur de Damaro.

LES ÉCHANGES DE « BIENVENUE » DANS LA SALLE DES FÊTES

Kani Kéoulèn Koné de Gbeïfè, le porte-parole du Sotii Kèmo de Damaro, s’apprête à offrir aux hôtes de marque le paquet de dix noix colas honorifiques et traditionnelles (dyilòworo) auxquelles seules les hôtes de marque les plus distinguées ont droit au Mandingue.

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Discours de bienvenue par Ansoumane Camara dit « Zico ».

Un aperçu de la salle de réception archicomble. Sur la première ligne on reconnaît El Hadj Konè Brahima Camara, le Sotii Kèmo (deuxième de la droite à la gauche) en boubou noir avec une écharpe blanche, tout juste à côté du poteau.

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Le griot généalogiste des Camara de Damaro rappelle brièvement la vie et l’œuvre de Damaro Diontan Djiguiba Camara, ancien chef de canton du Simandou et auteur du présent ouvrage.

Les membres de la mission suivent avec attention les discours de bienvenue.

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El Hadj Daouda Damaro Camara, héritier spirituel de l’auteur présente à la population les membres de la mission de bonne volonté et d’études.

Réponse de Dr. Marie Rodet, chef de mission, aux différentes allocutions de bienvenue de la population.

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Dr. Marie Rodet présente l’objet de la mission tout en louant le travail remarquable de transcription de la tradition orale des Mandingues du Sud que Damaro Diontan Djiguiba Camara a légué à la postérité africaine. Justice doit lui être rendue en publiant son ouvrage sous leur direction académique. La publication sera bilingue: français-anglais et ventilée dans toutes les bibliothèques et universités du monde.

Visite de courtoisie chez El Hadj Konè Brahima Camara (le sotii kèmòò) en grand boubou chocolat avec bonnet blanc.

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SÉANCE DE TRAVAIL AU DOMICILE DE L’AUTEUR DANS UNE AMBIANCE FESTIVE

Entrée de la concession de Damaro Diontan Djiguiba Camara, le chef de canton de Simandou et auteur du présent ouvrage.

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Un aperçu de la maison principale et des cases de la cour de l’auteur.

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La maison principale de l’auteur.

La cour intérieure de la maison principale de l’auteur.

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La tombe de Damaro Diontan Djiguiba Camara dans la clôture de sa résidence. Suite à l’hostilité des notables et par respect des principes de l’Islam, sa tombe n’a pu faire l’objet de matérialisation ou d’aménagements spéciaux, à l’image de l’illustre défunt. Mamadi Touré Sidibé, un des petits-fils de l’auteur se recueille sur la tombe de son grand-père Damaro Diontan Djiguiba Camara, dans l’arrière-cour de sa résidence.

Quatre des huit cases des épouses du chef de canton Damaro Diontan Djiguiba Camara. Nous envisageons de reconstruire ces cases en dur et en tôle. Nous comptons aussi sur la contribution des alliés, sympathisants et de tous les mécènes, pour relever ce défi.

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MOBILISATION DES FEMMES DU VILLAGE POUR L’ENREGISTREMENT DES TÉMOGNAGES ET DES CHANTS LAUDATIFS SUR DAMARO DIONTAN DJIGUIBA

Groupe de femmes réunies pour reprendre les cantiques en l’honneur de Damaro Diontan Djiguiba Camara, ancien et dernier chef de canton de Simandou de 1929 à 1957.

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Hadja Mawa Koné, la dernière épouse vivante en 2020, de Damaro Diontan Djiguiba Camara, ancien chef de canton de Simandou et auteur du présent ouvrage. Elle a aussi témoigné sur la vie de son mari et se souvient encore du séjour d’Yves Person à Damaro ainsi que de celui des vieilles personnes sensées connaître et détenir une part de notre passé culturel et historique. « Le séjour de ces informateurs pouvait durer des jours à Damaro. Nous, les jeunes épouses, étaient commises à leurs services afin de rendre agréable leur séjour. À leur retour dans leur village respectif, ils étaient comblés de cadeaux divers. À l’époque, nous ne comprenions pas l’importance du travail que notre cher époux faisait avec acharnement. Parfois les séances de travail ou d’entretien commençaient dès le lever du soleil, après le petit déjeuner, jusqu’au crépuscule. Le rythme était infernal. Aujourd’hui, je suis fière de ce travail de mon mari dont j’ignorais l’importance et auquel je souhaite bonne chance. J’espère qu’outre-tombe, il en sera très fier et honoré car il l’a fit avec patience et acharnement. Merci donc à tous ceux qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à son parachèvement. »

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INTERVIEWS DES DERNIERS SURVIVANTS OU DES TÉMOINS DU RÈGNE DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA, SUIVIS DE L’ENREGISTREMENTS DES LOUANGES POPULAIRES LIÉS À SON RÈGNE Participation active des hôtes de marque aux séances de restitution des chants évocateurs des souvenirs de Damaro Diontan Djiguiba Camara, chef de canton de Simandou de 1929 à 1957 par les femmes de Damaro. Tous les chants ont été enregistrés par l’équipe technique de la mission.

Les Professeurs Marie Rodet et Élara Bertho sont envoutées par le rappel émouvant des cantiques conçues jadis en l’honneur de Damaro Diontan Djiguiba Camara, ancien chef de canton de Simandou. Elles ont participé activement à l’enregistrement des chants et à l’exécution de quelques pas de danses appropriés.

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Photo souvenir après les interviews sur la vie et l’œuvre de Damaro Diontan Djiguiba Camara. Ces contemporains, rares survivants de son épopée, sont assis de gauche à droite: ► N’Fa Adama Camara de Lanceïdou, célèbre parolier et généalogiste du Simandou. ► Mékon Mory Camara de Hèrèmakono, fils de Saa Brahima qui était un des conseillers permanants de Damaro Diontan Djiguiba Camara. ► Maténin Kaba Koné, porteur du siège royal de Damaro Diontan Djiguiba Camara. Ils ont tous mis l’accent sur les œuvres de ce bâtisseur dont entre autres: ● La construction à la main avec du matériel de terrassement rudimentaire de la route de trente kilomètres pour désenclaver le Simandou. ● La création en 1942 de la première école primaire de Damaro pour le Simandou. ● Construction à Damaro en 1952 du premier centre de santé du Simandou. Ils mirent tous un accent particulier sur le souci constant de Djiguiba Camara de rechercher absolument la vérité afin d’éviter des frustrations ou de faire du tort à un innocent. Il écoutait attentivement toutes les parties, parfois pendant des jours. Son principe était que le juge doit rechercher des failles, des contradictions ou des mensonges dans les propres déclarations des parties en conflit afin de les confondre et de trancher dans le sens de la vérité. « Dyamanatii Djiguiba baara la Simandu kònò » (= Le chef de canton Djiguiba fut un bâtisseur au Simandou); « Tunyatigile tèrè » = « Tunyafòlale tèrè » (= Il a toujours dit et défendu la vérité), ont-ils unanimement reconnu et retenu comme image de Damaro Diontan Djiguiba Camara. Il ne faisait jamais de parts pris aveugle ou arbitraire. Ses protégés et les siens n’étaient jamais favorisés dans la gestion d’un conflit. « Seule la vérité était recherchée et dite au terme des audiences qu’il présidait. Il avait le souci de rechercher et de dire la vérité et rien que la vérité. Il était véridique. Il se méfiait du premier plaignant qui n’avait pas toujours raison. Les siens en conflit ne bénéficiaient jamais de son appui au détriment de la vérité. » Ont-ils unanimement reconnu et affirmé.

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SIGNATURE DU PROTOCOLE D’ACCORD ENTRE LES HÉRITIERS DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA ET LA MISSION SCIENTIFIQUE (MARIE RODET - ÉLARA BERTHO) PROTOCOLE D’ACCORD ENTRE LES HÉRITIERS DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA ET LA MISSION SCIENTIFIQUE MARIE RODET - ÉLARA BERTHO

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Voici leurs impressions au terme de leur premier séjour en Guinée, notamment à Damaro (du 10 au 24 décembre 1916)

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(Voici la copie de la lettre ci-dessus détériorée de Élara Bertho et de Marie Rodet) CONAKRY, LE 21 DECEMBRE 2016 Cher Daouda, Nous avons, après de bien nombreuses péripéties, réussi à organiser un séjour à Conakry et nous avons été reçues bien au-delà de nos espérances. Nous sommes infiniment redevables à la famille Camara, dans son ensemble, pour son accueil chaleureux, plein de générosités, de gentillesses, et de témoignages d’amitié. Nos remerciements s’adressent également à l’Honorable (AMADOU DAMARO CAMARA) qui a su mettre à notre disposition tous les moyens matériels nécessaires à notre voyage à Damaro et qui a tout fait pour que notre séjour se passe dans les meilleures conditions. Mais notre gratitude s’adresse tout particulièrement à vous, cher Daouda, qui avez fait don de votre temps, de vos souvenirs, de vos contes, de vos récits qui ont peuplé notre voyage et qui ont rendu nos matinées et nos après-midis bien trop courtes pour tout ce que vous avez à partager avec nous. L’intérêt mutuel pour le texte de Djiguiba Camara qui nous liait au départ a été incontestablement enrichi lors de ce voyage. La découverte de sa concession, des cases de ses femmes et de sa tombe nous ont permis de mieux comprendre le contexte de création de son œuvre. Nous espérons vivement que le projet de publication pourra rendre justice au texte de cet historien africain qui mérite une reconnaissance réelle dans le milieu académique. De nombreux temps forts ont ponctué ce séjour: dès l’entrée du village, les Damarois nous ont ouvert les portes du village pour nous souhaiter la bienvenue dans une cérémonie exceptionnelle, agrémentée des louanges de Djiguiba, un match de foot de gala a été organisé également par les jeunes de Damaro. Les femmes du village, enfin, ont montré toute la richesse du patrimoine oral en chantant les hymnes à la gloire de Djiguiba et des Camara. Très émouvants pour nous, y compris pour vous, l’évocation de tous ces moments ne suffit pas à traduire la joie qui nous a portées tout au long de ce voyage. Les voyages rapprochent les esprits et les cœurs. Nous en sommes convaincues et nous l’avons éprouvé depuis le premier jour à vos côtés, et en nous fréquentant quotidiennement tout au long de ce voyage: vos récits dans la voiture, les entretiens menés avec les anciennes femmes de Djiguiba, avec votre frère aîné, avec l’homonyme de Djiguiba, avec l’Honorable ont tous été des moments et des images fortes dont nous espérons que le documentaire rendra la force. Nous souhaitons que la publication et le film soient à la hauteur du travail initié par votre père et que vous avez continué votre vie durant. Signé illisible (voir manuscrit ci-dessus): Dr. Élara Bertho

Signé illisible (voir manuscrit ci-dessus): et

Dr. Marie Rodet

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VISITE DE CHUTES THERMALES ET TOURISTIQUES DE WOROWOROKO

Visite de détente du site des grandes chûtes mystiques et thermales de Woroworoko après un rude travail, d’enquêtes, d’interviews et d’enregistrements.

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PHOTOS SOUVENIRS AVANT LE DÉPART DE MARIE RODET ET ÉLARA BERTHO DE CONAKRY, LE 24 DECEMBRE 2016

Daouda Damaro Camara au milieu de Dr. Marie Rodet et de Dr. Élara Bertho.

Assis de gauche à droite: Mamadi Camara dit Congo Laye et Daouda Damaro Camara. Sont debout de gauche à droite: Élara Bertho, Marie Rodet et Isiaka Camara, un des fils de l’auteur.

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Photo souvenir des deux Professeurs avec Daouda Damaro Camara et Capitaine Sidiki Camara, le doyen des enfants de l’auteur du livre vivants en 2016.

On reconnaît de gauche à droite: Dr. Bintou Mamadi Camara, petit-fils de l’auteur; Daouda Damaro Camara, héritier spirituel de l’auteur; Dr. Élara Bertho; Commandant N’Faly Camara, dernier fils de l’auteur; Dr. Marie Rodet; Moussa Camara, beau-fils de Daouda et Safiatou Madingbè Camara, petite-fille de l’auteur et fille du fils de Daouda Damaro Camara.

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Photo souvenir au terme de la mission scientifique: Commandant N’Faly Camara, le benjamin des enfants de l’auteur, au milieu des Professeurs Marie Rodet et Élara Bertho, tout juste avant leur départ de Conakry.

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ANNEXE VI

VERS L’ÉDITION DE LA VERSION ENRICHIE DU MANUSCRIT À TRAVERS SES TOME I ET TOME II PAR DAOUDA DAMARO CAMARA (FILS HÉRITIER SPIRITUEL DE L’AUTEUR) ET DR. JAN JANSEN (ENSEIGNANT CHERCHEUR DE L’UNIVERSITÉ DE LEIDEN, LES PAYS-BAS)

LISTE DES MEMBRES DE LA DEUXIÈME MISSION SCIENTIFIQUE CONDUITE À DAMARO PAR DAOUDA DAMARO CAMARA DU 18 AU 24 JANVIER 2018 MISSION COMPOSÉE DE: ► Daouda Damaro Camara: Fils-héritier spirituel de l’auteur, chef de mission qui a eu le privilège d’enrichir et d’achever le présent ouvrage, pendant 54 ans (1964-2018). ► Bintou Mamadi Camara: Dr. Vétérinaire à la retraite, l’aîné des petits-fils de l’auteur. ► Jan Jansen: Professeur enseignant-chercheur sur les Mandingues du Nord (République du Mali) depuis trente ans à l’Université de Leiden, les PaysBas. ► Élara Bertho: Dr. Agrégée de littérature à la Sorbonne et à l’Université de Bordeaux. ► Jacques Kolié: Caméraman ► Madoussou Traoré: Cuisinière de la mission

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Une séance de travail à Damaro des héritiers avec le Dr. Jan Jansen, à la véranda de l’auteur, le 21 janvier 2018, en présence de Zakaria Camara, le maire de la commune rurale de Damaro.

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Séance de présentation d’un exemplaire des Tomes I et II de « ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE » par les héritiers de l’auteur au Dr. Jan Jansen.

Séance de travail à Damaro, le 21 Janvier 2018, de DAOUDA DAMARO CAMARA, l’héritier spirituel de l’auteur, avec Dr. JAN JANSEN, représentant de l’éditeur de Leiden. L’entretien a porté sur la genèse et le contenu de l’ouvrage. En une journée, Dr. Jan Jansen, en faisant preuve de professionnalisme notoire, a pu parcourir en diagonale les 2.300 pages des deux tomes de l’ouvrage. Cette méthode, dont il a le secret, lui a curieusement permis de se faire, en ce laps de temps, une idée approximative du contenu de l’ouvrage et même de discuter sur le contenu avec l’héritier spirituel qui a travaillé cinquante-quatre ans pour enrichir et parachever le manuscrit. Cette maîtrise m’a vivement séduit et convaincu que j’avais à faire à un spécialiste de l’édition et encouragé à lui confier l’édition du manuscrit enrichi de mon père sur les « ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE ». 1213


PROTOCOLE D’ACCORD EN 2018 ENTRE LES HÉRITIERS DE DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA (L’AUTEUR) ET LE PROFESSEUR JAN JANSEN AGISSANT POUR LE COMPTE DE L’UNIVERSITE DE LEIDEN (LES PAYS-BAS)

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Séance de signature du protocole d’accord, le 24 janvier 2018 à Conakry, par les deux parties autorisant Dr. Jan Jansen, professeur enseignant-chercheur depuis trente ans à l’Université de Leiden aux Pays-Bas et ladite Université qu’il représente, d’engager la procédure d’édition de « ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE », l’ouvrage de Damaro Diontan Djiguiba Camara. Ont signé pour la famille de Damaro Diontan Djiguiba Camara: ● Daouda Damaro Camara: Fils-héritier spirituel de l’auteur, chercheur qui a eu le privilège, l’honneur et la lourde mission d’enrichir et de parachever l’ouvrage pendant cinquante-quatre ans (1964-2018). ● N’Faly Camara: Commandant de la Douane à l’aéroport de Conakry, le benjamin des enfants de l’auteur. ● Bintou Mamadi Camara: Dr. Vétérinaire à la retraite, l’aîné des petits-enfants de l’auteur. A signé pour le compte de l’Université de Leiden aux Pays-Bas: ● Dr. Jan Jansen: Professeur enseignant-chercheur à l’Université de Leiden aux Pays-Bas.

JAN JANSEN, Lecturer Institute of Cultural Anthropology and Development Sociology Universiteit Leiden, The Netherlands ORCID http://orcid. org/0000-0003-2277-0586 Series Editor African Sources for African History (published by Brill, Leiden)

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Séance de remise des documents à l’aéroport de Conakry, le 24 janvier 2018, à Dr. Jan Jansen: ● d’une copie originale du Protocole d’Accord, ● d’un exemplaire des Tomes I et II de « ASPECTS DE LA CIVILISATION MANDINGUE » ● et de leur support numérique (clef USB) par les héritiers de Damaro Diontan Djiguiba Camara, l’auteur de l’ouvrage. De gauche à droit: ► Dr. Bintou Mamadi Camara (l’aîné des petits-fils de l’auteur) ► El Hadj Daouda Damaro Camara (fils-héritier spirituel de l’auteur qui a eu la lourde responsabilité d’enrichir et de terminer ce travail de 1964 à 2023) ► Dr. Jan Jansen (enseignant chercheur à l’Université de Leiden, les Pays-Bas) ► N’Faly Camara (Colonel de la Douane de l’Aéroport de Conakry, dernier fils de l’auteur)

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LES IMPRESSIONS DU VOYAGE D’ÉTUDES À DAMARO DE LA DEUXIÈME MISSION SCIENTIFIQUE DU DR. JAN JANSEN DE L’UNIVERSITE DE LEIDEN (LES PAYSBAS) ET DE ÉLARA BERTHO, DR. EN LITTÉRATURE ET AGRÉGÉE DE LITTÉRATURE À LA SORBONNE ET À L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX, CHARGÉE DE RECHERCHES AU CNRS/LAM, DU 18 AU 24 JANVIER 2018

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ANNEXE VII

RAPPEL NÉCESSAIRE DU DEUXIÈME CAS D’IMPOSTURE ET D’ABUS DE CONFIANCE À PROPOS DU DÉTOURNEMENT D’UNE COPIE DU TAPUSCRIT DU PRÉSENT OUVRAGE PAR L’IMPOSTEUR KÈFING DONZO DE NIONSOMORIDOU (BEYLA): ● ANCIEN DÉPUTÉ ● ANCIEN QUESTEUR DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE GUINÉENNE ● ANCIEN SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA SECTION PDG-RDA DE BEYLA OU L’ABUS DE CONFIANCE DE L’IMPOSTEUR KÈFING DONZO Un deuxième événement fâcheux identique, qui se rattache à l’existence de ce manuscrit, mérite d’être signalé aussi à l’attention des lecteurs. À la suite des démarches effectuées par les autorités politique et administrative de la région de Beyla (République de Guinée) et des notables de Damaro dont il était le chef et le doyen, mon père, Damaro Diontan Djiguiba Camara, céda, par patriotisme, en 1959 un exemplaire de son manuscrit qui répondait, dans son fond, aux espérances et à l’optique du Bureau Politique National du Parti Démocratique de Guinée (PDG), section du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) et du gouvernement guinéen lesquels avaient déclenché, dès le lendemain de l’indépendance guinéenne en 1958, une vaste campagne - malheureusement non poursuivie - de sauvetage de nos traditions orales menacées de disparition. Mais, malheureusement, Kèfing Donzo, à l’époque Secrétaire Général de la section PDG-RDA de Beyla, ne communiqua jamais cette moisson de traditions orales au gouvernement guinéen en vue de sa publication, conformément à l’engagement fait solennellement à mon père qui se heurta jusqu’à sa mort en 1963 tantôt à un mutisme complet, tantôt à des promesses fallacieuses dans ses différentes tentatives de s’informer sur le sort réservé à son manuscrit. Profitant du vide opportun créé par la promotion politique et administrative des cadres de Beyla et surtout de la mutation de la quasi-totalité de ceux-ci ailleurs par la nouvelle et jeune république qui en manquait cruellement pour gérer les affaires, et en sa qualité de président de la commission de lecture mise en place à cet effet, Kèfing Donzo garda effrontément, discrètement par devers lui, le manuscrit de mon père dans un but

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inavoué, en attendant un jour propice à la réalisation de son dessein machiavélique caché, c’est-à-dire: L’IMPOSTURE ET LE PLAGIAT Pendant ce temps, l’imposteur, Kèfing Donzo, se croyant à l’abri de tout soupçon et de toute réaction dénonciatrice ou contradictoire, convaincu que personne parmi les héritiers de sa victime ne pouvait démasquer sa supercherie par des preuves irréfutables, se mit à table pour recopier fidèlement, patiemment et soigneusement, mais très maladroitement, tout le contenu du manuscrit de mon père dans deux gros cahiers de 400 pages chacun en attendant le moment propice - la mort de sa victime - pour publier le manuscrit qui porte d’aventure sa signature. Peut-être qu’il avait vivement souhaité rapide mort pour accomplir sa sale besogne. Si Djiguiba Camara a mis 26 ans (1929-1955) pour terminer la première bouture ou le premier jet de son livre de 110 pages et 34 ans (1929-1963) pour collecter et transcrire la substance des thèmes du grand volume de son ouvrage… Il faut bien, par ailleurs, qu’on se demande combien de temps Monsieur Kèfing Donzo, « le Champion historien chercheur improvisé » du Konya, brusquement sorti de l’ombre, a-t-il mit pour faire le sien? Il a certainement réalisé sa forfaiture pendant l’une des périodes suivantes: Nous pensons que Kèfing Donzo a commencé ou fait son travail de plagiat et d’imposture de 1959 à 1964. Probablement l’idée d’écrire l’histoire du Konya ne lui est venue que quand il s’est trouvé en possession du manuscrit de Damaro Diontan Djiguiba Camara. C’est donc par snobisme qu’il fut fasciné par cette autre idée d’imposture malsaine pour confisquer, garder par devers lui et finalement pour détourner effrontément à son profit le manuscrit de celui-ci, car il se croyait à l’abri de tout soupçon, de toute dénonciation et tout de tout Procès, surtout après la mort de l’auteur réel du manuscrit qu’il croyait sans postérité digne et vigilante. En effet, sachant le moment opportun tant attendu enfin venu à la mort de mon père, le 25 juillet 1963, 25 juillet 1963, pour perpétrer son coup bas parce que se croyant assurément à l’abri de tout soupçon, de toute possibilité de contestation et de procès. C’est ainsi que Kèfing Donzo s’adonna, à cœur joie, à son imposture et à sa forfaiture. Il fit donc discrètement et aisément un travail de transposition moins fastidieux que la recherche contraignante et rigoureuse qui demande du temps, des efforts soutenus et de l’abnégation. Mais l’imposteur tapis dans l’ombre s’empara hardiment et simplement des 1223


résultats disponibles des autres. Ce serait donc très facile de conquérir la gloire ou de se faire une place dans le cercle des impénitents chercheurs. La recherche ne consiste pas à recopier ce qui est déjà disponible. Mais pour Kèfing Donzo c’était une aubaine dont il pouvait aisément profiter, sans aucun risque et sans aucun effort… Pour lui c’était un fruit mur tombé à terre d’un arbre sauvage qu’il pouvait tout simplement ramasser et déguster à volonté, car cette trouvaille ou ce trésor insolite n’appartenait à personne. Mais où est donc le mérite de l’effort personnel et persévérant qu’il faut déployer pour faire un travail intellectuel de recherches de cette envergure? Dans les cas d’hypothèses suivantes, le travail de Kèfing Donzo est-il louable? Il a certainement joué dans une des périodes suivantes: ● Soit de 1959 à 1963: C’est-à-dire de l’acquisition du manuscrit à la mort de l’auteur, le 25 juillet 1963, soit plus de cinq ans. ● Soit de 1959 à 1964: Plus de six ans, de l’acquisition du manuscrit à la parution de la préface de son travail écrite par Mamba Sano. ● Soit du 25 juillet 1963 (date du décès de Djiguiba) au 20 mars 1964 date au base de ses notes introductives de son ouvrage, période qui couvre environ plus de huit mois. ● Soit du 25 juillet 1963, date de la mort de Djiguiba, au 25 juin 1964, date de la parution de la préface de son livre dans le N° 449 du journal « HOROYA » du 25 Juin 1964 (plus de onze mois). En tout cas, à notre connaissance, un tel exploit exceptionnel n’a jamais été réalisé en si peu de temps dans le domaine de la recherche historique ou scientifique. Ce serait une performance inégalée. C’est donc du jamais vu! Même un célèbre romancier ou un collectif d’écrivains spécialistes réunis aurait mis plus de temps pour écrire une histoire romancée, couvrant des siècles, ou le manuscrit d’un roman de huit cents pages. Mais notre champion, le prodige historien Kèfing Donzo n’a mis qu’un si bref délai pour enquêter, collecter et transcrire tant d’informations. Dans l’hypothèse de du 25 juillet 1963 (date du décès de Djiguiba Camara) au 20 mars 1964, date de sa signature à la page 6 de l’introduction de son manuscrit (sept mois plus vingt-six jours ) est-il réellement, temporellement, intellectuellement et matériellement possible de collecter tant d’informations puisées à différentes sources et d’écrire un livre d’histoire cohérent, condensé dans deux gros cahiers de 400 pages de cahier chacun? Bravo! Donc à Kèfing Donzo. D’avoir réalisé une telle performance, si vraiment il était l’auteur réel d’un tel ouvrage d’envergure et de longue haleine digne d’éloges qui a demandé à Damaro Djiguiba Camara , le vrai auteur, trente-quatre années de fouilles, de recherches, inlassables, de collectes et de transcription patiente.

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Mais que c’est donc très facile, dans son cas de figure, d’être auteur ou écrivain, d’être un historien chercheur, d’être un chercheur dans tel ou tel domaine de la recherche intellectuelle, car il s’agit tout simplement de s’accaparer, par tous les moyens, des résultats des recherches d’autrui. Oui, pour faire un travail personnel digne d’éloges, Monsieur Kèfing Donzo, vous auriez dû vous inspirer de l’exemple et de l’expérience de Damaro Diontan Djiguiba Camara. Il s’agit t tout simplement de chercher, de trouver, de voler ou de subtiliser astucieusement le manuscrit d’un autre écrivain ou d’un autre historien chercheur… Pourquoi donc s’emparer et exploiter indûment les résultats des recherches des autres? Pourquoi s’emparer des résultats des recherches d’autrui pour en faire siens? Que c’est donc très facile dans ce cas de figure ou de cette manière devenir auteur écrivain chercheur... Mais alors, dans ce cas d’imposture, où est le mérite de l’effort personnel persévérant nécessaire, la patience et le sacrifice indispensable qu’il faut déployer pour réaliser un tel travail intellectuel d’envergure et de longue haleine? Face à la gravité ● De la tentative, ● De la faute commise, ● De la forfaiture, ● De l’audace, ● Du caractère affamant et indigne de l’outrage… Nous ne cesserons jamais de fustiger et de dénoncer, à cri de cœur et d’indignation, cette forfaiture et cet abus de confiance dont l’imposteur Kèfing Donzo s’est rendu coupable à l’endroit de Damaro Diontan Djiguiba Camara qu’il a voulu spolier du bénéfice d’un travail de longue haleine qui lui a demandé trente-quatre années de pénibles recherches, et qui correspondent aux trente-quatre dernières années de sa vie… DAOUDA DAMARO CAMARA (Fils héritier-spirituel de Damaro Diontan Djiguiba Camara, l’auteur du présent ouvrage) Mais avons qu’un tel record remarquable n’a été réalisé en recherche historique que par le champion Kèfing Donzo qui, en si peu de temps a fait un travail aussi gigantesque, aussi fastidieux, aussi absorbant que complexe . Même un célèbre romancier hyper doué, à la plume alerte et prolifique, aurait certainement mis beaucoup plus de temps pour écrire un roman de huit cents pages, alors que le prodige historien Kèfing Donzo n’a mis que très peu de temps pour collecter et écrire un livre d’histoire, ou disons « SON LIVRE 1225


D’HISTOIRE ». Or un tel ouvrage doit être le fruit d’un travail personnel de recherches de longue haleine et non une usurpation, une simple transposition ou une juxtaposition de textes d’autrui plagiés… Qu’a-t-il fait du temps suffisamment long et indispensable des enquêtes, des recherches, des collectes, de la transcription …? N’aurait-il pas eu besoin d’assistance pour faire un travail collégial et réaliser un tel record? Kèfing Donzo n’est-il pas le premier historien chercheur (uinéen ou africain) à réaliser une telle performance en produisant, en si peu de temps, un ouvrage aussi dense que riche qui capte l’histoire de plusieurs siècles d’un peuple? Bravo! à Kèfing Donzo, si vraiment il était l’auteur réel d’un tel ouvrage de longue haleine et digne d’éloges. Mais que c’est bien facile, de cette manière, d’être auteur ou écrivain, d’être un historien chercheur, pourquoi pas un savant et un scientifique discret dans un laboratoire? Oui, pour cela, il s’agit tout simplement: ► De chercher, ► De trouver, ► De subtiliser, ► De détourner ou ► De plagier ● Le manuscrit d’un autre écrivain anonyme vivant ou mort, ● L’ouvrage inédit d’un autre historien chercheur, ● D’un chercheur scientifique, ● Ou celui d’un romancier anonyme POUR EN FAIRE SIEN… Mais alors, dans ce cas de figure et de facilité, où est le mérite de l’effort personnel persévérant et indispensable pour faire un tel travail intellectuel? « Oui! Monsieur Kèfing Donzo a préféré la solution la plus facile qui n’est autre que le plagiat et l’imposture pour intégrer le cercle des célèbres historiens chercheurs guinéens et africains. Heureusement l’imposteur ignorait la mauvaise surprise et l’humiliation qui l’attendaient au bout du chemin de la traitrise et de la facilité qu’il avait résolument emprunté. Heureusement, comme Dieu sait bien faire les choses, DAMARO DIONTAN DJIGUIBA CAMARA, votre victime, a laissé des héritiers intellectuels, responsables, dignes et capables de découvrir, en temps opportun, votre supercherie, si subtile soit-elle, votre imposture si arrogante soit-elle et qui ont pu relever le défi et venger l’outrage subi par votre victime qui a passé les trente-quatre dernières années de sa vie à collecter, à transcrire ce que vous avez voulu chiper indûment. … et ce fut ainsi que la fête prévue n’eut plus lieu. 1226


C’est ainsi qu’avec la BARAKA ET LES BÉNÉDICTIONS de mon père, nous eûmes la chance de mettre fin à son aventure intellectuelle qui l’aurait conduit à une gloire certaine qu’il ne méritait nullement. C’est ainsi que « Le trouble-fête » que nous sommes mis heureusement fin et à temps à la plus grande escroquerie morale et intellectuelle de cette époque et au rêve de l’imposteur en ce coin d’Afrique où la trahison, le vol, le déshonneur, le parjure sont inacceptables, intolérables, indignes et mortels… Au Mandingue, on dit: « Saya ka fisa maloya di. » Ce qui signifie: « Il vaut mieux mourir que de vivre dans la honte. » ou bien « Plutôt mourir que de vivre dans la honte. » Mais « le bien mal acquis ne profite jamais, » dit un adage. En effet, profitant donc de la mort de Djiguiba Camara en 1963, Monsieur Kèfing Donzo, qui avait gardé par devers lui le manuscrit remis aux autorités de Beyla, le transposa malhonnêtement - j’insiste sur cet aspect flagrant et facile de la fraude - dans deux gros cahiers de 400 pages chacun en prenant bien sûr soin de l’adapter à la conception de l’histoire du parti et du gouvernement guinéens, et en biffant purement et simplement le nom de Djiguiba Camara, l’auteur légal, partout où on pouvait lire celui-ci. Ce manuscrit, dont il s’était malhonnêtement approprié la paternité et qu’il avait présenté au gouvernement guinéen comme étant le fruit de ses recherches personnelles, fut accueilli avec un enthousiasme tel que « HOROYA », le quotidien du PDG-RDA dans son numéro 449 du 25 juin 1964, le présenta, sous la plume de Mamba Sano, à ses lecteurs en des termes très élogieux. Ce vénérable ancien et premier Député de la Guinée à l’Assemblée Nationale Française, de 1946 à 1956, se rendit heureusement compte, plus tard, de l’ampleur de la supercherie morale dont mon père et lui-même étaient victimes. Il accepta alors d’adapter le même texte à l’ouvrage de Djiguiba Camara qui était aussi son ami. C’est alors qu’il se souvint que Maurice Montrat, auteur du roman autobiographique N’Nah (Ma mère) et ancien élève de mon père de 1904 à 1908 à la première école primaire de Faranah, avait vivement conseillé à mon père de bien vouloir le solliciter pour trouver un éditeur du présent ouvrage en France où il résidait après sa retraite politique. Pour perpétuer cette amitié il se mit à notre totale disposition pour toutes fins utiles après avoir repris la lecture de notre manuscrit. Et adapté la Préface au manuscrit de mon père tout en présentant ses excuses à la mémoire de son ami que fut Djiguiba Camara et à ses héritiers que nous sommes pour avoir été, lui aussi, abusé par Kèfing Donzo. Suite à notre démarche, il nous informa que mon père lui avait effectivement écrit, quand il dirigeait à Paris le journal « AFRIQUE EN MARCHE », pour lui trouver un éditeur de son manuscrit. Mais la rupture brutale des relations de la Guinée avec la France avait bloqué toutes les initiatives dans ce sens.

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Convaincu que ce manuscrit préfacé, dans sa structure, n’était autre que celui de mon père dupé, j’usai alors de mes droits d’héritier légitime pour porter plainte contre Kèfing Donzo, l’imposteur. Ce fut d’abord à la Présidence de la République où je fus reçu en l’absence du Président Sékou Touré, par le Secrétaire Général de la Présidence, El Hadj Sinkoun Kaba, qui n’accorda aucun crédit à ma requête. Pour lui ce n’était même pas la peine d’enregistrer ma plainte qui n’avait aucun fondement. Il tenta même de me dissuader en me faisant croire qu’il était fermement persuadé que Kèfing Donzo était incontestablement l’auteur du manuscrit que celui-ci avait présenté au Président et dont je revendiquais curieusement et avec insistance la paternité au nom de mon père. Il alla même jusqu’à dire que Kèfing Donzo était, comme mon père, intellectuel et originaire du Konya, Patrie du Héros National, et que par conséquent mon père ne pouvait se targuer d’avoir seul la paternité exclusive et le monopole absolu des récits authentiques sur l’Empereur Mandingue. J’ignore encore la motivation et le fondement de la position apparemment complice de ce vénérable septuagénaire que tout le monde respectait tant en Guinée, et qui ne voulut faire aucune vérification de mes allégations, en dépit de mon insistance. D’ailleurs, il me renvoya en prétendant qu’il ne pouvait rien faire pour moi dans la mesure où Kèfing Donzo s’était retiré à Beyla pour mettre la dernière main à son manuscrit en vue de sa publication imminente. Mais cette fin de nonrecevoir ne fit que me déterminer à aller jusqu’au bout de ma démarche dont j’étais évidement convaincu du bien-fondé. Plus tard, j’appris que Sinkoun Kaba était un ami intime de Kèfing Donzo qu’il devait certainement défendre et ne pas laisser humilier. Mais, fallait-il fouler le droit et la justice pour défendre une grave escroquerie morale, un abus de confiance et une injustice commis par un ami intime? Mais très opiniâtre, je me fis recevoir par le Président Ahmed Sékou Touré, lui-même, qui m’écouta attentivement et me fit comprendre qu’effectivement le Député et Camarade Kèfing Donzo lui avait présenté un manuscrit sur l’histoire de l’Almamy Samory Touré condensée dans deux gros cahiers. Après l’avoir félicité pour ce travail de sauvetage il l’avait orienté sur le sage et ancien Député Mamba Sano pour en écrire la Préface à publier immédiatement dans le journal « HOROYA », afin cet bel exemple de sauvetage face des émules. Ce qui fut fait. Puis il recommanda Kèfing Donzo aux autorités administratives et politiques de Beyla pour procéder à la dactylographie du manuscrit. C’est ainsi qu’il me recommanda aussi aux mêmes autorités de Beyla pour une confrontation avec Kèfing Donzo et pour la manifestation de la vérité, comme il aimait le dire dans ses propos, chaque fois qu’il y avait un conflit. Sans pour autant me décourager, je fus donc obligé de me rendre à Damaro (mon village natal) pour prendre la troisième copie du manuscrit qui se trouvait dans les archives de mon père afin d’aller rencontrer Kèfing Donzo à Beyla, chef-lieu de notre région. Là, je fus heureusement écouté par Monsieur le Gouverneur de la Région (Sékou Chérif) et par Monsieur le Secrétaire Général 1228


de la section locale du PDG-RDA (Koïta Almamy, originaire de Boffa) qui furent plus sensibles à ma démarche. Fort donc d’une recommandation spéciale personnelle du Président Sékou Touré auprès des autorités de Beyla, Kèfing Donzo bénéficia d’une attention particulière de celles-ci, d’une aide financière et de beaucoup d’autres facilités pour accélérer l’achèvement de son travail. Ainsi, il avait à sa disposition des secrétaires pour dactylographier son manuscrit que les uns et les autres considéraient comme un apport précieux à l’effort de sauvegarde de notre patrimoine culturel en voie de disparition. Pour eux c’était une histoire militante, concordant parfaitement avec les options du parti et du gouvernement guinéens. Kèfing Donzo faisait donc l’objet d’une attention toute particulière dans les milieux politique et administratif de Beyla et de la Guinée. Le Secrétaire Général de la Région Administrative de Beyla - à l’époque Monsieur Thierno Seck Oumar, un jeune cadre intègre de l’administration avait reçu de ses supérieurs, en mission à Conakry, des instructions précises pour entendre le plaignant et l’accusé afin de faire toute la lumière sur cette affaire. Animé d’une farouche volonté de justice, Monsieur Thierno Seck Oumar, sensible à ma situation de frustré ou de victime abusée, comprit ma réaction légitime et convoqua Kèfing Donzo, l’imposteur, qui ne répondit pas à la première convocation régulière, parce qu’il se sentait fort de son manteau de Secrétaire Général de la section locale du PDG-RDA de Beyla et de celui de Député à l’Assemblée Nationale. En plus il était une personnalité respectée, écoutée et intouchable de la cité et de tout le Konya. C’est ainsi que par son comportement extravagant et par son excès d’orgueil, il brava l’autorité administrative locale en refusant de répondre aux convocations de celle-ci. Par réaction légale, celle-ci décida de s’affirmer devant les nombreux citoyens venus suivre le dénouement de cet évènement. C’est ainsi qu’il fut finalement contraint de se rendre, manu militari, à cette séance de confrontation. Il y vint les mains vides, sans le manuscrit concerné. L’autorité l’obligea à retourner chez lui pour le ramener. Il s’exécuta. Monsieur Thierno Seck Oumar lui tendit alors ma plainte qu’il ne prit pas. Mais le fils de celui qu’il avait vilipendé et traîné dans la boue en 1957 et dont il avait subtilement et effrontément détourné et plagié le manuscrit pour son propre compte était déterminé à faire tomber le masque de l’imposteur et à relever le défi. Après tout le fils héritier spirituel de Djiguiba Camara que je suis - n’étais-je pas - dans droits? Par piété filiale, ma réaction n’est-elle pas légitime? L’entretien fut houleux entre lui et Monsieur Thierno Seck Oumar qui lui fit comprendre que personne n’est au-dessus de la loi. Dans une nervosité aiguë qui frisait le délire, l’imposteur démasqué frappa violemment du point le bureau en se levant et en vociférant: « Ton père n’est pas le seul intellectuel à avoir le monopole de l’histoire du Konya et de l’Almamy Samory Touré. »

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Ne pouvant sortir du bureau de Monsieur le Secrét aire Général, en raison de la présence des Agents de la Garde Républicaine qui bloquaient la porte, il fit beaucoup d’errements et continua son débit ou ses excès de langage à l’endroit de mon père et me traita de réactionnaire et de fils d’un féodal nostalgique d’un, passé à jamais révolu, car mon père fut effectivement chef du canton de Simandou pendant vingt-neuf ans (1928-1957). Mais mon éducation ne me permit pas répondre à ses inepties et surtout que je savais que le masque de l’imposteur allait tomber définitivement avec fracas et séance tenante. Après tout sa réaction violente se comprenait, il entrevoyait déjà la grande honte qui l’attendait dans ce milieu malinké où on préfère mourir plutôt que de vivre dans la honte (Saya ka fisa maloya di), du moins pour les personnes dignes et sensibles. De vive et intelligible voix, comme son ami Sinkoun Kaba, Kèfing Donzo me fit comprendre en criant que mon père n’avait pas le monopole de l’histoire de Samory. Se disant homme de terrain, vieux, compatriote de Samory et intellectuel comme mon père, il avait personnellement recueilli et transcrit les traditions orales, notamment l’histoire de Samory dans les différentes régions malinkés de Guinée où il servit comme fonctionnaire. Il exigea de donner à l’assistance les preuves de sa culpabilité et de mon assertion. Et alors fut grande sa surprise de me voir présenter une copie du manuscrit de mon père que j’avais soigneusement dissimulée sous mon manteau. Tout étonné, il se tut subitement. Ce fut l’effet d’une pierre qui tombe dans une mare aux grenouilles et dont les coassements s’estompèrent immédiatement. Après une dizaine de cas de comparaison faite au hasard sur l’histoire de Samory, deuxième partie du manuscrit, qui avait plus intéressé Kèfing Donzo pour qui la première partie consacrée à l’étude de la société malinké était négligeable, l’identité des deux manuscrits était quasi-totale. Ils avaient la même structure. Les titres et les sous-titres étaient les mêmes ainsi que la quasi-totalité des phrases, presque du mot à mot. C’était la photocopie du manuscrit de Djiguiba Camara. Il faut noter que les autochtones, le Député Moustapha Cissé et le commerçant Kaba Condé dit Kaba Chavanel, ne s’étaient bien intéressés au sort du manuscrit. Ce qui était une démission flagrante. En tout cas leur responsabilité collective était bien engagée par rapport aux promesses rassurantes d’édition du manuscrit faites publiquement à mon père lors de la remise officielle de ce document. Confondu par ce flagrant délit d’escroquerie indéniable, Kèfing Donzo fut obligé d’avouer son forfait. Il n’avait d’ailleurs pas d’autres alternatives pour échapper à ce jugement ou justifier son acte, car les choses étaient si claires pour l’assistance. Le constat était écœurant tant le flagrant délit était indéniable. Oui! La ressemblance ou la concordance des deux documents était indiscutable dans leurs structures, dans leur style, dans leurs phrases. C’était donc du mot à mot. C’était du « copier-coller » 1230


OU « LA PHOTOCOPIE » pure et simple du manuscrit de Damaro Djiguiba Camara. En effet, le voleur était pris, la main dans le sac. Il ne pouvait ni se dérober, ni contester et ni justifier sa forfaiture. Selon ses propres explications, il avait profité de sa qualité de président de la commission de lecture mise en place, de l’affectation et de la promotion de l’Ex-Gouverneur de Beyla (feu Emile Condé) et des autres responsables politiques du Comité Directeur du PDG-RDA dont, entre autres, Naïny Touré, Kamano Saa Péllicot, Mamadou Sidibé, Biro Kanté, Moustapha Cissé..., pour garder par devers lui le manuscrit jusqu’à la mort de mon père en 1963, tout en faisant croire à celui-ci que son manuscrit avait été effectivement transmis au gouvernement guinéen à Conakry avec avis très favorable du comité de lecture et que sa publication ne saurait tarder, surtout que le Président Sékou Touré était vivement intéressé par le manuscrit, car il s’agissait de l’histoire de son ascendant maternel le plus prestigieux. C’est dans cet optimisme béat que mon père passa les quatre dernières années de sa vie (1959-1963) tout en continuant, heureusement, de travailler sur la copie qui lui était restée et qui avait été dactylographiée par Monsieur Sékou Camara dit Saran Sékou communément appelé Sékou Greffier de Guéckédou, fonctionnaire de la Justice à Beyla. Mais parallèlement, l’usurpateur travaillait hardiment à l’adaptation de la copie qu’il détenait à la conception ou à la vision historique du parti (PDG-RDA) tout en souhaitant certainement la mort rapide de mon père pour qu’il puisse sortir de l’ombre. Et c’est bien ce qu’il fit quelques mois seulement après la mort de celui-ci. Mais notre surprenante, opportune et efficace intervention fit voler en éclats l’ambition malhonnête de Kèfing Donzo. Et la fête n’eut pas lieu, car le bien mal acquis ne profite jamais. Et suite à ce coup de pierre inopiné dans la marre, les crapauds cessèrent définitivement leurs coassements. Heureusement! C’est avec plaisir que je redécouvris Thierno Seck Oumar 2015, 51 ans après, lors du mariage de sa nièce Aîcha Danfagha avec Alhassane Kourouma, dans sa résidence d’ENTA USINE, dans la commune urbaine de Conakry, où il menait tranquillement une retraite paisible, après tant d’années de services rendus au pays. Ce fut l’occasion pour nous de nous rappeler cet évènement et certains souvenirs de Beyla. Je mis encore à profit cette rencontre fortuite pour lui témoigner encore publiquement toute ma reconnaissance pour la lucidité et l’esprit de justice dont il fit preuve dans la gestion de ce dossier. Il m’exprima encore son souhait de lire ce livre qui a trop duré en chantier et me rappela certains bons souvenirs qu’il avait encore de Beyla dont il a apprécié le climat et l’esprit d’hospitalité des populations. Ainsi, Kèfing Donzo fut reconnu, par les autorités locales de Beyla, coupable d’escroquerie morale, d’abus de confiance et de détournement. Son nouveau manuscrit (deux gros cahiers de 400 pages chacun) et celui de mon 1231


père qu’il fut contraint de ramener, furent confisqués et transmis à Conakry, avec le procès-verbal de la confrontation, à l’Institut National de Recherche et de Documentation ( INRDG, l’ancien IFAN), organisme concerné et plus compétent. Heureusement, justice me fut rendue en novembre 1964, sur intervention personnelle du Président Sékou Touré qui s’indigna devant cet abus de confiance de la part d’un responsable politique du PDG-RDA lorsqu’il me reçut en son palais. Très allergique à l’injustice et à la malhonnêteté, il ordonna au doyen Cheickou Baldé, à l’époque Directeur de l’INRDG, que me soient immédiatement restitués les deux cahiers manuscrits de Kèfing Donzo et la copie de mon père, conformément à mes vœux, après s’être assuré que le plaignant que j’étais était effectivement un des héritiers légitimes de l’auteur afin d’éviter un éventuel conflit familial. Je ne crus pas nécessaire d’engager des poursuites judiciaires contre Kèfing Donzo comme j’en avais la possibilité et le plein droit et que m’avaient vivement conseillé certaines personnes. Mais je fus encore plus indigné en constatant que Kèfing Donzo avait pris soin de biffer purement et simplement en rouge le nom de mon père au profit du sien dans le manuscrit qu’il avait confisqué. Mais, en raison de mon éducation, j’ai volontairement limité l’humiliation de l’imposteur dans ce milieu Konyanké de Beyla où il était un personnage prestigieux pour avoir été à la pointe du combat politique et de la lutte émancipatrice et libératrice du peuple de Guinée. Il fut aussi le premier vice-président, puis questeur de la première Assemblée Nationale de la jeune République de Guinée. Avec cinquante ans de recul dans le temps (1964-2015), je me reproche aujourd’hui de n’avoir pas engagé contre ce faussaire une véritable action judiciaire pour abus de confiance, détournement. On se souvient qu’en 1957, cet imposteur qui avait conduit la délégation du PDG-RDA venue à Damaro pour annoncer la suppression de la chefferie traditionnelle en Guinée, avait bavé sur mon père qu’il avait traité valet du colonialisme. Parmi tous les anciens chefs de canton révoqués Djiguiba Camara a été présenté comme le plus mauvais, le diable qu’il faut humilier. Avec son micro et porte-voix monté sur une voiture, il fit une entrée fracassante à Damaro dont la population fut invitée à venir entendre la bonne nouvelle, c’est-à-dire « la destitution du monstre » qu’ils appelaient aussi « diable rouge » car c’est ainsi qu’ils appelaient mon père. Cependant, plus de cinquante ans après sa mort, les Simandouka retiennent de leur ancien chef de canton l’image d’un bâtisseur qui a à son actif: ● La construction en 1933, à la main, d’une route carrossable de 30 km et en 90 jours. La traversée à Dianfòlòdou, sur le flanc Est, du col le plus bas du mont Simandou a nécessité un terrassement dans la roche ferrugineuse sur une longueur d’environ 450 m et une profondeur moyenne de 20 m. Cette route réalisée par le travail forcé a permis le désenclavement du canton de Simandou

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et le drainage vers les centres urbains des produits agricoles que la contrée produit en quantité et en qualité. ● L’introduction de la charrue attelée dans les travaux de labour, ce qui a permis d’améliorer considérablement la production des denrées alimentaires que le Simandou produit en quantité et en qualité. ● La construction en 1941 de la première école primaire de Damaro pour scolariser les enfants du Simandou. ● La construction en 1952 du premier centre de santé de Simandou. Aussi, ce fut ce même Kèfing Donzo qui, en qualité de Secrétaire Général de la section PDG-RDA et de Député de Beyla vint prêter la baignoire personnelle de l’Empereur Almamy Samory Touré, que détenait mon père à Damaro, pour l’exposer au musée régional de Beyla lors de la première visite d’État du Président Houphouët Boigny en 1963 en Guinée. Cette baignoire était en bronze avec 1,50 m de hauteur et un diamètre de 80 à 90 centimètre de rayon. Ce patrimoine n’est plus jamais revenu à Damaro où il était exposé dans le vestibule de mon père. Il parait que le Président Sékou Touré l’avait récupérée après pour l’exposer dans son Palais de Conakry où il le présentant avec fierté à ses hôtes de marques comme étant la baignoire personnelle de son ascendant maternel. Ce patrimoine de ma famille doit nous être restitué pour le ramener à Damaro ou alors lui aménager en tant que Patrimoine National une place de choix dans les rayons du Musée National de Sanderwalia (Conakry). Aux dernières nouvelles, le Commandant Barou Diallo de Labé l’aurait prise lors du coup d’état intervenu après le décès du Président Sékou Touré en 1984. Il faut donc la rechercher du côté de Labé pour l’accueillir au Musée National de Guinée si elle ne peut plus retourner à Damaro, dans le vestibule de Damaro Djiguiba Camara, son propriétaire légal. En tout cas, nous ses héritiers l’aurions offert gracieusement et fièrement à notre communauté et autoriser son exposition dans les rayons du musée de Damaro en cours de réalisation en 2018, sur l’initiative et par les bons soins exclusifs de l’Honorable Amadou Damaro Camara, Président de l’Assemblée Nationale Guinéenne en 2021. Ce futur musée de Damaro est réalisé sur les ruines de l’ancienne case personnelle de Fata Kéoulin Camara, le père de l’auteur du présent ouvrage et qui fut aussi Grand Capitaine (sofakun) dans l’armée de Samory, et Roi de la Province Camara de Simandou.

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ANNEXE VIII PLAINTE DE DAOUDA DAMARO CAMARA EN 1964 CONTRE KÈFING DONZO POUR ABUS DE CONFIANCE ET IMPOSTURE

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C’est ainsi que j’ai pu récupérer la copie originale du manuscrit détourné avec les deux cahiers de 400 pages de l’imposteur dans lesquels il avait fidèlement transféré les textes originaux en les adaptant parfois maladroitement à son optique et à celle du PDG-RDA. La fête n’eut donc pas lieu par le trouble que je suis. Mon coup de caillou dans la mare mit heureusement fin soudainement et définitivement aux coassements du crapaud. En effet l’impudent imposteur, démasqué heureusement à temps, ne put plus écrire et publier. À Dieu! La gloire tant espérée pour lui.

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ANNEXE IX NOTES INTRODUCTIVES DE KÈFING DONZO DE SON « PRÉTENDU MANUSCRIT » qui n’est autre que le manuscrit de Damaro Diontan Djiguiba détourné et maladroitement plagié dans son intégralité C’est avec indignation que nous lisons aux pages 3 et 4 de cette introduction quelques vagues mots que l’imposteur écrit à l’endroit de sa victime: « Selon nos éminents interlocuteurs dont le chef de canton Djiguiba Camara de Simandou, ami d’enfance du prince favori Sarenké Mory Touré, la situation est la suivante: - Samory Touré, - Lanfia Touré, père de 1, - Samorigbè Touré, père de 2, - Karifa Touré, père de 3, sont tous nés à Mignamballadou, canton de Simandou, région de Beyla (voir la généalogie dans le texte). » Voilà ce que Kèfing Donzo a pu écrire sur Djiguiba Camara qu’il prétend être un de ses meilleurs informateurs. Mais moi je certifie que ce « prétendu historien » du Konya, cet opportuniste, cet usurpateur, cet imposteur n’a jamais eu une seule séance d’interview avec Djiguiba Camara à qui il était politiquement hostile. D’ailleurs il haïssait férocement mon père. On se souvient encore avec quelle arrogance et avec quelle haine Kèfing Donzo avait dirigé la délégation du PDG-RDA venue à Damaro pour annoncer la suppression de la chefferie traditionnelle en Guinée en 1957. Connaissant bien le caractère orgueilleux et impulsif, la susceptibilité de mon père, j’affirme qu’il n’aurait jamais accordé un tel privilège à celui qui est venu l’humilier et l’insulter devant ses anciens sujets en 1957. Bien au contraire, Kèfing Donzo. « Kèfing Donzo, je m’inscris en faux contre tes propos selon lesquels mon père, Damaro Djiguiba Camara, fait partie de tes informateurs. Cela est archi-faux! Tu n’as jamais eu un quelconque entretien avec mon père dans le cadre de tes recherches sur l’histoire et la culture du Konya. Politiquement, vous étiez foncièrement opposés. Bien au contraire, tu as effrontément et malhonnêtement détourné à ton seul et exclusif profit la copie de son manuscrit, sur l’histoire du Mandingue 1241


et sur l’Almamy Samory Touré, qu’il avait cédée à la Section PDG-RDA de Beyla dont tu étais le Secrétaire Général et en plus Président de la commission de lecture mise en place pour examiner le manuscrit de mon père avant sa transmission à Conakry pour édition avec avis favorable. Tu as profité de l’affectation de tous les membres de la commission de lecture du manuscrit de mon pour accomplir ton coup de trahison. Tu as voulu malhonnêtement récupérer et confisquer les honneurs qui découleraient de l’édition d’un tel ouvrage qui est, j’en suis sûr, une contribution de qualité à l’effort de de recherche, de sauvetage et de réhabilitation des aspects dynamiques de notre culture agressée. Par piété filiale pour mon père à qui je rends un hommage mérité pour avoir fait ce travail gigantesque, de longue haleine, de collecte de nos traditions pour la progéniture africaine, je dénonce avec virulence ta forfaiture. Je constate ta trahison et ta forfaiture avec indignation et informe l’opinion publique que si toi tu as mis six ans (1959-1964) ou un an (19631964) pour recopier fidèlement dans deux cahiers de 400 pages, chacun, l’intégralité du manuscrit de Damaro Diontan Djiguiba Camara, celui-ci a effectivement et patiemment mis trente-quatre ans (1929-1963) pour collecter nos traditions orales en voie de disparition. Aujourd’hui, je regrette amèrement de n’avoir pas engagé en 1964 une véritable action judiciaire contre toi pour t’humilier comme tu l’as fait à mon père en 1957, lors de la suppression de la chefferie traditionnelle en Guinée. Mais limité à l’époque par mon inexpérience de la vie, je me suis contenté tout simplement de dénoncer avec insistance et indignation ta forfaiture, ton abus de confiance, ton escroquerie, ta malhonnêteté et ton imposture… Tu as trompé deux fois mon père. Tu as abusé de sa patience. Tu lui as menti en exploitant sa naïveté en miroitant devant lui la fausse l’imminence de l’édition de son livre par les bons soins du Gouvernement Guinéen. Devant la monstruosité de sa forfaiture, ma réaction normale, si violente soit-elle, est bien en deçà de la monstruosité de ta forfaiture. Que Dieu fasse que tu puisses entendre, outre-tombe, mon cri de cœur et d’indignation qui ne s’arrêtera qu’à mon dernier soupir, ici-bas… »

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NB: Pour découvrir la supercherie, notez bien la date du 20 mars 1964, comme étant la fin des travaux du manuscrit « prétendu ouvrage » de l’imposteur, alors que l’auteur véritable dudit manuscrit est décédé le 25 juillet 1963. Le décompte nous donne 240 jours, entre les deux dates. Mais on est en droit de se demander si ce délai est suffisant pour enquêter, collecter et transcrire tant d’informations puisées à différentes sources et en différentes contrées? Objectivement nous disons NON! Cela est impossible. Mais peut-être suffisant pour recopier un ouvrage d’autrui… Ainsi donc, l’imposteur déniché à temps, dans sa supercherie subtile, fut cloué au pilori et n’eut plus l’opportunité d’assouvir son ambition malhonnête ou son entreprise d’imposture par notre vigilance et par la justice divine. Et le trouble-fête que nous sommes mirent donc fin à une gloire spoliée dont aurait bénéficiée cet imposteur impénitent et effronté… « Mais le bien mal acquis ne profite jamais définitivement à l’escroc et au voleur » dit un adage .

► Si oui nous devons impérativement prendre conscience du

l’urgence du travail de sauvetage de notre patrimoine culturel et historique menacé de disparition en collectant et en exploitant judicieusement et positivement nos traditions orales pour reconstituer notre identité culturelle qui doit s’ouvrir à l’utile et qui, à bien d’égards, a son mot à dire. « AU RENDEZ-UNIVERSEL DU DONNER ET DU RECEVOIR DES PEUPLES ET DES CIVILISTIONS » en raison de ses nombreuses vertus, ne devons-nous pas à présent donner la priorité à l’exploitation des sources africaines de nos traditions orales que nos chercheurs africains doivent collecter pour écrire notre histoire? ► Si oui, par patriotisme, notre noble et logique réaction, ou notre

légitime combat par rapport aux nombreux dénigrements et mépris que nous avons subis de la part de l’occident qui nous élimine arbitrairement de l’histoire universelle par mépris, le présent ouvrage de Damaro Diontan Djiguiba camara n’a-t-il pas le mérite de répondre pleinement à cette préoccupation en tentant de sauver, fort heureusement à temps, certains aspects dynamiques et positifs de notre civilisation, de l’effet destructeur du temps et des conséquences brutales et néfastes de la rencontre de l’Afrique avec l’Occident? Il nous fait prendre conscience de l’importance de notre passé et répondant aussi à notre souci urgent de réhabilitation, de sauvetage et d’affirmation de notre identité culturelle et historique bafouée et menacée de disparition et de falsification fantaisiste 1249 dangereuse… DAOUDA DAMARO CAMARA (fils et héritier spirituel de l’auteur du présent ouvrage)


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