Semestriel, Une Saison en Guyane N°8

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Sommaire

08 - février 2012

▼ Lancé par Ariane V, l'ATV 3 s'élancera de Kourou en mars 2012. Sur la droite de cette image réalisée le 24 mai 2011, c'est l’ATV 2 Johann Kepler qui est “docké” à la station orbitale ISS, alors que la navette Endeavour remplissait son ultime mission. (Photo ESA)

d o s s i e r haïti

4 LES MACRO-BRUITS DE LA FORÊT 6 LES BRUITS DE L’OCÉAN 8 LANGUES DE GUYANE, CONTE D'HAÏTI TI F I K AY BEL ME, la pe t i te f il le, la bel le mère & l’oranger 12 LE JOURNAL DES GUYANES 14 AUTOUR DE LA QUESTION... de l'e xploi tat ion de l'or 2 2 VOYAGE

Aquin, sur les traces des premiers haïtiens de Guyane

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CONSERVATION Parc nat ional de la V isi te : l es der nières forê ts d'Haï t i HISTOIRE Révolut ion en Haï t i : les e xilés de l'An X CULTURE Gédé, la fièvre vaudou SOCIÉTÉ

Églises évangéliques en Guyane : la porte haïtienne

56 SPATIAL Le véhicule de transfert automatique et la station spatiale internationale 6 6 FAUNE Jaguar, un roi en sursis

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dossier

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DOSSIER ENTOMOLOGIE La planète des insectes Fourmis, l'autre univers Plantes et insectes herbivores, une course évolutive à l'armement Cténides, les diamants de la nuit guyanaise BIODIVERSITÉ Comment savanes ? comme ci, comme ça... É C O L O G I E Paysages aérologiques de Guyane É C OTO U R I S M E Expédition sur le Talwaken, sur les traces de Francis Mazières ENTRETIEN avec Augustin Joseph LIVRES B D + L E X I Q U E : définition des mots suivis d’un astérisque* BON DE COMMANDE

insectes

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LANGUES DE GUYANE

CONTE D’HAÏTI TI FI KAY BEL ME

La petite fille, la belle mère & l’oranger I

S

e te yon tifi ki te rete kay bèlmè li. Bèlmè a tap fè tifi a pase ampil mizè. Li te maltrete-l, li bat li tout jounen, tout nuit.

Yon jou, bèlmè a te mete twa zoranj sou yon tab. Tifi a te grangou, li te manje youn nan zoranj yo. Lè bèlmè a te vini, li wè manke yon zoranj. Li di tifi a : « Ki lès ki te manje youn nan zoranj yo ? ». Tifi a di li : « Se mwen menm wi bèlmè-m. Mwen te grangou, mwen manje youn nan zoranj yo.» Bèlmè a di li : « Ou pa-t ka dezantere manman-w ?»

l était une fois une petite fille qui habitait chez sa belle mère. Elle lui faisait beaucoup de misère. Elle la maltraitait , elle la battait jour et nuit. Un jour la belle mère mit trois oranges sur la table. La petite fille avait faim, elle mangea une de ces oranges . Quand la belle mère revint, elle vit qu’il en manquait une. Elle dit à la petite fille : « Qui a mangé une orange ? » La petite fille répondit : « C’est moi, j’avais faim, j’en ai mangé une. »

Tifi a tonbe kryé. Li kriye, li kriye, li kriye epi li pran gren zoranj lan. L’ale kote manman-l te antere-a. Li tonbe kriye sou kavo-a. Li kriye, li kriye, li kriye, li fouye yon ti twou, li mete gren zoranj lan. Li di : « Manman mwen bèlmè-m ap touyè’m pou yon ti zoranj». Epi tifi a koumanse chante : « Ti pye zoranj pouse, pouse ! Ti pye zoranj pouse, pouse ! Bèlmè pa manman-w tande ? Bèlmè pa papa-w tande ? Ti pye zoranj pouse, pouse ! » O, O, ti pye zoranj leve. Tifi a sezi. Li kontinye chante : « Ti pye zoranj grandi, grandi ! Ti pye zoranj grandi, grandi ! Bèlmè pa manman-w tande ? Bèlmè pa papa-w tande ? Ti pye zoranj grandi, grandi ! » O, O ti pye zoranj grandi. Tifi a sezi. Li kontinye chante : « Ti pye zoranj monte, monte ! Ti pye zoranj monte, monte ! Bèlmè pa manman-w tande ? Bèlmè pa papa-w tande ? Ti pye zoranj monte, monte ! » O, O, tifi a wè ti pye zoranj monte. Tifi a sezi. Li kontinye chante : « Ti pye zoranj fléri, fléri ! Ti pye zoranj fléri, fléri ! Bèlmè pa manman-w tande ? Bèl-mè pa papa-w tande ? Ti pye zoranj fléri, fléri ! » O, O, ti fi a wè ti pye zoranj fléri. Ti fi a sezi. Li kontinye chante « Ti pye zoranj kalé, kalé ! Ti pye zoranj kalé, kalé !

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La belle mère lui dit alors : « Tu ne pouvais pas déterrer ta mère ? » La petite fille se mit à pleurer. Elle pleurait, pleurait, pleurait. Puis elle prit un pépin d’orange et elle alla où sa mère avait été enterrée. Elle tomba en pleurs sur la tombe de sa mère. Elle pleurait, pleurait, pleurait. Elle creusa un petit trou. Elle y mit le pépin d’orange. Elle s’adressa à sa mère : «Maman, ma bellemère m’a presque tué pour une orange ! » La petite fille commença à chanter : Petit pied d’orange pousse, pousse ! Petit pied d’orange pousse, pousse ! Belle mère n’est pas ta maman, entends-tu ?


Bèlmè pa manman-w tande ? Bèlmè pa papa-w tande ? Ti pye zoranj kalé, kalé ! » O, O, tifi a wè ti pye zoranj kalé. Tifi a sezi. Li kontinye chanté : « Ti pye zoranj grosi, grosi ! Ti pye zoranj grosi, grosi ! Bèlmè pa manman-w tande ? Bèlmè pa papa-w tande ? Ti pye zoranj grosi, grosi ! » O, O tifi a wè ti pye zoranj grosi. Tifi sezi. Li kontinye chante : « Ti pye zoranj minon, minon ! Ti pye zoranj minon, minon ! Bèlmè pa manman-w tande ? Bèlmè pa papa-w tande ? Ti pye zoranj minon, minon.» O, O tifi a wè ti pye zoranj mi. Tifi sezi. Li kontinye chante : « Ti pye zoranj sicré, sicré ! Ti pye zoranj sicré, sicré ! Bèlmè pa manman-w tande ? Bèlmè pa papa’-w tande ? Ti pye zoranj sicré, sicré ! » Alo la, tifi a monte pye zoranj lan. Li pran yon zoranj, li goute si zoranj lan dous. Li wè zoranj lan dous ampil. Li manje zoranj, li manje zoranj jiskaske vant li plin. Li pran dis zoranj, li mete nan yon djakout, li pote kay bèlmè a, li depoze zoranj yo sou tab la. Bèlmè a di li : « Kote ou te ye depi tan sa ?». Tifi a di : « E byen, ou tap touye-m pou yon zoranj mwen te manje pou. Mwen pote dis zoranj po-w oyie de yon». Bèlmè a goute yon nan zoranj yo. Li wè li dous ampil. Li di : « Koman- w tap fè pou-m mal pran zoranj nan pye zoranj ti fi a ? E byen m-ap ba-l ti bourik la m-ap voye-l nan mache byen lwin pandan tan sa, m-ap monte zoranj la». Li di tifi a : « Pran ti bourik la, ale nan mache, al fè pwovzyon pou mwen ». Tifi a pran ti bourik li, l-ale. Men, li konnen bèl mè a pral monte zoranj lan. Li kouri bourik la vit, li bat bourik la, l’achte tout bagay yo vit, epi li retounen vit. Bèlmè a monte zoranj la. Lè tifi a rive nan kay li, li pa jwen bèl mè a. Li kouri ale kote pye zoranj lan ye. Lè li rive li wè bèlmè a sou pye zoranj lan, li chita, li ouvri zèl li, l’ap manje zoranj la kon si pye zoranj lan se pou li. Tifi a di li : « Sa w-ap fè sou pye zoranj lan ? Jan wap f-m pase mizè epi ou sou pye zoranj mwen a, w-ap manje zoranj mwen a». Tifi a tonbe chante : « Ti pye zoranj monte, monte !

Belle mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit pied d’orange pousse, pousse ! » Oh ! Oh ! Le petit pied d’orange s’éleva. La petite fille fut saisie. Elle continua à chanter : « Petit pied d’orange grandis, grandis ! Petit pied d’orange grandis, grandis ! Belle mère n’est pas ta maman, entends-tu ? Belle mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit pied d’orange grandis, grandis ! » Oh ! Oh ! Le petit pied d’orange grandit . La petite fille fut saisie. Elle continua à chanter : « Petit pied d’orange monte, monte ! Petit pied d’orange monte, monte ! Belle mère n’est pas ta maman, entends-tu ? Belle mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit pied d’orange monte, monte ! » Oh, Oh ! La petite fille vit le petit pied d’orange monter. Elle fut saisie. Elle continua à chanter : « Petit pied d’orange fleuris, fleuris ! Petit pied d’orange fleuris, fleuris ! Belle mère n’est pas ta maman, entends-tu ? Belle mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit pied d’orange fleuris, fleuris ! » Oh ! Oh ! la petite fille vit le pied d’orange fleurir. Elle fut saisie. Elle

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continua à chanter : « Petit pied d’orange fructifie, fructifie ! Petit pied d’orange fructifie, fructifie Belle mère n’est pas ta maman, entends-tu ? Belle mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit pied d’orange fructifie, fructifie ! » Oh ! Oh ! La petite fille vit l’oranger porter des fruits. Elle fut saisie. Elle continua à chanter : « Petit pied d’orange grossis, grossis ! Petit pied d’orange grossis, grossis ! Belle mère n’est pas ta maman, entendstu ? Belle mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit pied d’orange grossis, grossis ! » Oh !Oh ! La petite fille vit l’oranger grossir. Elle fut saisie. Elle continua à chanter : « Petit pied d’orange mûris, mûris ! Petit pied d’orange mûris, mûris ! Belle mère n’est pas ta maman, entends-tu ? Belle mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit pied d’orange mûris, mûris ! » Oh !Oh ! La petite fille vit l’oranger mûrir. Elle fut saisie.Elle continua à chanter : « Petit pied d’orange sois sucré, sois sucré ! Petit pied d’orange sois sucré, sois sucré ! Belle mère n’est pas ta maman, entends-tu ? Belle mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit pied d’orange sois sucré, sois sucré ! » Alors la petite fille monta sur l’oranger. Elle prit une orange pour voir si c’était sucré. Elle vit que c’était bien sucré ; elle en mangea plusieurs jusqu’à ce que son ventre soit bien rempli. Elle prit 10 oranges, elle les mit dans son sac et elle les

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rapporta chez sa belle mère et les mit sur la table. Belle mère lui dit : « Où étais-tu passée pendant tout ce temps ? » La petite fille répondit : « Eh bien tu allais me tuer pour une orange que j’avais mangée ! Au lieu d’une seule j’en apporte 10 ! » Belle mère goûta une orange et elle vit que c’était bien sucré. Elle se dit : « Comment faire pour prendre quelques oranges ? Je vais lui donner l’âne pour aller au marché. Pendant ce temps je monterai sur l’oranger… » Elle dit à la petite : « Prends l’âne, va au marché, achète des provisions pour moi. » La petite prit l’âne et partit. Mais elle savait que sa belle mère allait monter sur l’oranger. Elle battit l’âne pour le faire galoper et elle acheta vite les provisions pour retourner encore plus vite. La belle mère monta sur l’oranger. Lorsque la petite fille arriva dans la maison, elle ne trouva pas la belle-mère. Elle courut là où se trouvait l’oranger. Quand elle arriva, elle vit la bellemère dans l’arbre : elle était assise, elle ouvrait ses bras, elle mangeait les oranges comme si elles étaient toutes pour elle. La petite fille lui dit : « Qu’est-ce que tu fais sur le pied d’orange ? Tu m’as fait beaucoup de misère et maintenant tu es sur mon pied d’orange et tu manges mes oranges ! » Elle commença à chanter : Petit oranger, grandis, grandis ! Petit oranger, grandis, grandis ! Belle-mère n’est pas ta maman, entends-tu ? Belle-mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit oranger, grandis, grandis ! Oh, oh, le petit oranger se mit à grandir, il grandit, il grandit, il grandit. Quand la petite fille vit que le petit oranger allait toucher le ciel, elle dit : Petit oranger, brise-toi, brise-toi ! Petit oranger, brise-toi, brisetoi ! Belle-mère n’est pas ta maman, entends-tu ? Belle-mère n’est pas ton papa, entends-tu ? Petit oranger, brise-toi, brisetoi ! Le petit oranger se cassa KOOOOO. Belle mère tomba au milieu de la mer. Elle ne savait pas nager ; elle mourut au milieu de la mer. La petite fille s’était vengée de sa belle-mère pour toutes les misères qu’elle lui avait fait endurer. Alors que je passais par là, la petite fille me donna une gifle et je suis tombé ici pour vous conter cette petite histoire là.


Ti pye zoranj monte, monte ! Bèlmè pa manman-w tande ? Bèlmè pa papa-w tande ? Ti pye zoranj monte, monte ! » O, O, ti pye zoranj monte, li monte, li monte, li monte. Lè tifi a wè ti pye zoranj lan vle touche syel la, li di : Ti pye zoranj kase, kase ! Ti pye zoranj kase, kase! Bèlmè pa manman-w tande? Bèlmè pa papa-w tande? Ti pye zoranj kase, kase! Ti pye zoranj kase KOOOOO. Bèlmè a tonbe nan mitan lan mè. Li pa konn naje, li twoumouri nan lan mè a. Tifi a vanje bèl mè a pou tout mizè li tap fè pase yo epi sepase mwen tap pase ti fi a ba mwen yon ti kalot, mwen vin tonbe la pou’m rakonte nou ti istwa sa a. Conte recueilli à l’école en Guyane par Nicole Launey Illustrations de Alex Mercier

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AUTOUR DE LA QUESTION

de l’exploitation de l’or CAROL OSTORERO - CONSEILLÈRE RÉGIONALE LAURENT KELLE - RESPONSABLE BUREAU WWF - GUYANE CHRISTIANE TAUBIRA - DÉPUTÉE DE GUYANE PATRICK MONIER - PRÉSIDENT DE MAIOURI NATURE GUYANE Le 1er janvier 2012, le Schéma Départemental d’Orientation Minière (SDOM) est entré en vigueur malgré un rejet par les collectivités locales (la Région Guyane a par ailleurs demandé une habilitation et des compétences sur la filière mines). La fin 2011 a été marquée par la remise à plat des relations avec notre voisin brésilien au sujet de l’orpaillage clandestin. Une saison en Guyane a interrogé Carol Ostorero (conseillère régionale déléguée aux ressources naturelles, forêt, pêche, économie sociale et solidaire, secrétaire de la Grappe OrKiDé1 & gérante de la société MACHDEAL, Christiane Taubira (députée de Guyane, conseillère régionale, rapporteur de l’accord bilatéral franco-brésilien relatif à la lutte contre l’exploitation aurifère illégale), Laurent Kelle (responsable bureau WWF- Guyane), et Patrick Monier (président de l'assiociation Maiouri Nature Guyane). Propos recueillis par Marion Briswalter - Photos de Pierre-Olivier Jay. L’intégralité des questions et des réponses est à lire sur notre site internet : www.une-saison-en-guyane.com REDEVANCE Comment expliquez-vous les difficultés pour mettre en place une revalorisation de la redevance aurifère ? Si les députés ont voté l’augmentation de la redevance aurifère au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2012 en octobre 2011, reste que cette revalorisation est minime. Carol Ostorero : A l’initiative de la Profession depuis les années 2000, la Profession avait fait une proposition d’indexer la redevance au cours de l’or par palier, ça semblait plus logique puisque le cours était en hausse. Vous me demandez pourquoi cette volonté commune traîne ? Je suis heureuse qu’enfin il y ait eu un rehaussement de la redevance mais je déplore qu’elle ne tienne pas effet de la hausse du prix de l’or. Il existe la taxe sur la biodiversité qui est en vigueur depuis 2011, qui est payée uniquement par les professionnels [cette taxe, due par les petites et moyennes entreprises est affectée pour moitié à la Région Guyane et pour moitié à l’organisme chargé de l’inventaire de la valorisation et de la conservation de la biodiversité en Guyane]. La redevance minière, quant à elle, est dédiée au département et aux communes. Christiane Taubira : La fiscalité aurifère est un dispositif normal dans une économie normale. 1

Le gouvernement n’arrive pas à penser les Outremers comme des lieux normaux. Il est plus à l’aise avec les transferts financiers et sociaux qui lui permettent de garder son discours sur l’assistanat. Ce gouvernement a créé en cinq ans plus de 35 nouvelles taxes ! Dont les boissons sucrées, les clés USB, les mutuelles, etc. Et il se crispe dès qu’on lui parle de taxe sur l’or et le pétrole en Guyane. C’est irrationnel. Depuis, coincé et sans argument, il a fini par créer la redevance pétrolière, mais il en confisque 50% ! Alors que lui revient l’impôt sur les sociétés. Là aussi, c’est une exception pour l’Outremer, et même pour la Guyane car la redevance créée pour Saint-Pierre et Miquelon est totalement affectée à la collectivité. La région Guyane qui perdra ainsi la moitié d’une recette fiscale pourrait introduire une question préalable de constitutionnalité, dans l’intérêt de la Guyane. Mais cela suppose du courage politique et de la liberté vis-à-vis de l’Etat. La redevance aurifère est forfaitaire. Le cours de l’or peut exploser, les communes reçoivent la même aumône microscopique pour se débrouiller à en réparer les dégâts. Le gouvernement reste sourd à une taxe proportionnelle.

variait peu. Plus globalement, ça appelle au besoin de remise en ordre de toute la question via notamment le schéma aurifère avec une meilleure répartition des vocations des zones. La question de la taxation est évidemment pour nous un levier du point de vue environnemental ou du développement de la Guyane. Aujourd’hui on parle de l’or comme d’une réponse économique mais on n’a pas de vrais modèles qui permettent de dire si les retombées concerneraient le territoire guyanais. C’est souvent le cas avec les industries extractives. Les bénéfices sont pour les grosses multinationales. Certes le volet fiscal est important mais ce qui nous intéresse c’est de savoir dans quel schéma économique ce volet s’inclut en termes également de formations. Il est nécessaire de mieux estimer les ressources et de les exploiter le moins rapidement possible car le cours de l’or augmente et aussi parce que les technologies évoluent. Les états d’esprit changent, la Guyane continuera à contribuer à des méthodes moins impactantes avec de vrais chantiers à améliorer comme la réhabilitation, la revégétalisation des sites exploités. Une vision à long terme inciterait à une amélioration de la taxation qui se base sur la quantité d’or extraite.

Laurent Kelle : Ça montre bien que tous les dispositifs d’encadrement restent archaïques, ils remontent à des époques où le taux de l’or

Patrick Monier : Il y a peu, nous avions calculé que la redevance correspondait à 0,3% de la valeur du produit extrait. C’est

OrKiDé : organisme de la CCIG dedié au développement de la filière aurifère

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▼Motopompe sur un site d’orpaillage alluvionnaire légal aux environs des Abattis Cotticas au bord du Maroni ( novembre 2007 )

insignifiant par rapport aux dégâts collatéraux engendrés sur un bien commun irremplaçable. D’après le biologiste Francis Hallé, il faudrait 7 siècles pour reconstituer une forêt primaire. Notre association réclame depuis longtemps un audit indépendant sur le rapport coûts / bénéfices engendré par cette activité pour l’ensemble de la population. SDOM USG : Quelle est votre sentiment sur l’outil de planification qu’est le schéma minier ? C.O. : Sa conception ne satisfait personne, ni les professionnels, ni les collectivités qui ont rendu un avis défavorable dans le cadre de la consultation publique. C’est un premier point, majeur à mon sens. Créer un outil et ne pas arriver après une année de concertation à l’unanimité, c’est un échec. Autant d'argent, et de personnes mobilisées pendant autant de temps … En préambule du Sdom [Schéma Départemental d’Orientation Minière] et à maintes reprises dans le Sdom, il est écrit qu'il n’aura de valeur d’efficacité qu’à la condition qu’on éradique l’orpaillage clandestin. On ne peut pas atteindre cette première condition, quant au reste... On gèle des espaces sans savoir pourquoi ; De plus, les procédures qui suivent les décrets aux règles de la biodiversité ne sont

pas conformes aux règles internationales qui permettent de classer les sites. En ce qui concerne la partie minière, ce devait être un instrument à l’attention et pour le développement de la ressource minière et ce n’est pas le travail de fond qui a été fait, bien au contraire. C.T : Les vraies questions sont : L’Etat est-il capable d’éradiquer l’orpaillage clandestin ? Une politique professionnelle et régionale d’accompagnement peut-elle être mise en place pour des installations légales compatibles avec un zonage réaliste ? Quelles sont les filières proposées en diversification et en reconversion ? Nous sommes face à deux contraintes. D’abord la nécessité d’occuper le territoire compte tenu de l’expansion de l’orpaillage clandestin et de la création de villages sédentaires. Les garimpeiros ridiculisent l’Etat en pillant l’or au cœur même du Parc amazonien. Pourtant il faut reconnaître que l’Etat fait des efforts avec Harpie et surtout qu’il y a des hommes sur le terrain, parfois au risque de leur vie. Ensuite, il faut assurer un développement par des activités qui permettent aux populations de l’intérieur d’avoir un revenu et une vie sociale. Je pense que la biodiversité est un grand gisement de métiers (connaissance, protection, artisanats, pharmacopée, agropastoralisme,

etc). On ne peut pas se contenter d’opposer des incantations à une activité aussi offensive et rentable. Or, le SDOM est une conception administrative qui ne satisfait personne, ni les opérateurs miniers, ni les habitants exposés aux méfaits de l’orpaillage clandestin, ni les militants politiques qui, depuis longtemps se préoccupent de la préservation de notre environnement. P.M : Un zonage a été décidé après une large consultation. Même imparfait, car nous trouvons qu’il fait un cadeau somptueux à une petite poignée d’orpailleurs, il a le mérite d’exister et de supprimer le flou qui régnait jusqu’à présent. Nous espérons qu’il évoluera dans l’esprit du système de conservation des forêts REDD2. MERCURE USG : L’imprégnation du mercure sur le milieu soulève de nombreuses interrogations et craintes, les connaissances scientifiques à ce sujet ont-elles été étoffées par de nouvelles études ? L.K. : Sur la Guyane les études à notre connaissance ont toujours donné une interprétation en fonction des scientifiques. L’imprégnation sur les fleuves, surtout sur le

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REDD :http://www.fao.org/climatechange/unredd/fr

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DOSSIER HAÏTI

AQUIN

SUR LES TRACES DES PREMIERS HAÏTIENS DE GUYANE

C’est la communauté étrangère la plus importante du département. Pourtant, l’histoire de la migration entre Haïti et la Guyane française n’a pas plus de 50 ans. Les premiers à avoir tenté leur chance, en 1963, étaient pour la plupart originaires de la région d’Aquin. Dès lors, le sort de cette petite commune de pêcheurs calme et prospère deviendra à jamais lié à celui des dizaines de milliers d’Haïtiens et Haïtiennes Une saison en

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VOYAGES

▼L’île de Grosse Caye, en face d’Aquin, (novembre 2011).

qui ont suivi le mouvement en goûtant à la grande aventure guyanaise. Des plages de rêve qui n’ont rien à envier à celles des îles voisines les plus touristiques, des sourires plein de dents à tous les coins de rue, et de l’espoir, beaucoup d’espoir. Doux parfum de Caraïbes, azur, lambis et crustacés… Reportage à Aquin, la ville qui voit partir ses enfants en attendant qu’un jour, les touristes affluent enfin. Une saison en

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►Près de 200 personnes

C

’est une de ces vieilles maisons créoles, un peu penchée et fraîchement repeinte, qui font le charme de la région. Une terrasse ombragée déserte, un mur jaune vif et des volets en bois satinés. C’est ici que vit Madame Sonia. On est au cœur de la ville, à deux pas de l’église St Thomas d’Aquin, rue David St Preux, et accessoirement, à une demi-journée de “taptap” de la capitale, Port-au-Prince. « Madame Sonia, c’est l’une des mémoires de la commune d’Aquin », nous a-t-on prévenus. Ça mérite bien une petite visite à l’improviste. Les portes sont closes, mais une voix venue de nulle part nous invite à patienter. On est accueilli par un air légèrement étonné suivi d’un grand sourire de politesse. Elle est « désolée », peut-être un peu gênée aussi, de recevoir « dans ces conditions » - sans doute une allusion à sa coiffure effectivement plus très fraîche et, c’est elle qui le dit, à sa « robe de maison (à fleurs) pas très présentable ». Pour la photo, il faudra donc repasser. « Demain dimanche, propose-t-elle. À la sortie de l’église, histoire d’être un peu mieux apprêtée ». C’est que mademoiselle (qui affirme avec autant de charme que d’humour « ne pas avoir encore 18 ans ») est du genre coquette, avec ses petites perles accrochées aux oreilles et ses fines pommettes constellées de tâches de rousseur. LE BEAU LUCIEN GANOT

Sonia a le regard pétillant de ceux et celles qui ont tout vu, tout vécu, et sont fiers de pouvoir en témoigner. « Ce que je sais, démarre-t-elle posément, c’est que les premiers Haïtiens partis vers la Guyane venaient d’Aquin et de Fond-des-Nègres. Quelques années plus tard, d’autres ont suivi ». On est au début des “sixties”. La nostalgie de l’époque se lit dans ses yeux perçants : « Il y avait cet homme, Lili… Lucien Ganot, un jeune Français qui avait une usine de vétiver à Pémerle, où on fabriquait des huiles essentielles. C’est avec lui que les premiers sont partis. Les affaires commençaient à s’essouffler à l’usine, alors il a décidé de tenter sa chance ailleurs ». Une première vague d’une douzaine d’hommes aurait pris part à l’aventure, avant de rentrer un an plus tard. Lucien Ganot aurait alors remis ça en 1965, emmenant cette foisci près de 60 exploitants agricoles, direction Cayenne (cf. portrait en p.119). Ce fameux Lili a « fait beaucoup pour la commune », à en croire Sonia. « J’avais à peine 18 ans quand il est parti. C’était un beau blanc, grand et gentil ». On sent que le charme du monsieur, aujourd’hui décédé, a fait son effet à l’époque. Une époque où « la vie était plus facile que de nos jours », analyse celle qui fut toute sa vie institutrice. « Avec quelques gourdes (la monnaie locale), on s’en sortait. Il y avait des fruits de mer bon marché. Maintenant, constate Sonia, tout le monde n’a pas les moyens de consommer du lambi ou du homard ». La pêche demeure, avec l’agriculture, l’une des seules activités sur lesquelles repose la très faible économie aquinoise, alors qu’il y a à peine trente ans, le port d’Aquin

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vivent sur l’île de Grosse Caye

était l’un des plus dynamiques du pays. C’était le temps où les richesses de la région (cacao, café, bois, coton et canne à sucre…) s’exportaient vers Port-au-Prince. Aujourd’hui, à part un peu de charbon, de légumes et de poissons, la commune n’a plus grand-chose à revendre. DÉCOR DE CARTE POSTALE

Comme tous les marchés en Haïti, celui d’Aquin ressemble à un joyeux bordel noyé dans un festival de couleurs où les vendeurs ont toujours l’air dix fois plus nombreux que les acheteurs. Et où, petite particularité locale, on peut également croiser des mulets et autres bourricots dont les facultés de porteurs sont mises à rude épreuve. Un peu plus bas se trouve le village de pêcheurs, son chemin poussiéreux, ses vieilles maisons en brique abandonnées et ses hordes de gamins qui s’occupent comme ils peuvent en courant pieds nus dans la rue. Quelques carcasses de pirogues d’un autre âge, mais toujours opérationnelles, sont garées le long de la berge. Ces embarcations en disent long sur les conditions de travail de ces irréductibles pêcheurs, bien obligés d’opérer avec les moyens du bord. Autrement dit, avec pas grand-chose. Et évidemment, sans moteur. Les travailleurs de la mer se contentent donc de sillonner la grande baie d’Aquin et les alentours de l’île de Grosse Caye, située à quelques milles de la côte. Ici, pas de pêche au grand large. Pour espérer ramener homards et lambis, c’est sur le vent qu’il faut compter. Et sur ces improbables canots à voiles rafistolées de toutes parts. Mais, comme le résume un jeune pêcheur affairé à la préparation de ses filets pour le lendemain : « on n’a pas le choix quand il faut nourrir sa famille ». Car ici comme à Port-au-Prince, le chômage est une plaie profonde difficile à panser. On est pourtant loin, très loin, du tumulte infernal de la capitale. De son atmosphère suffocante et des stigmates indélébiles du tristement célèbre 12 janvier 2010. Surtout, la commune d’Aquin, qui a été épargnée par la fureur de ce qu’on appelle ici le “goudou-goudou”, possède un réel atout de charme avec son décor idyllique de carte postale. PRIVÉS D’ELECTRICITÉ DEPUIS 6 MOIS

Certes, tout n’est pas rose non plus dans cette cité de 100 000 habitants accrochée à la façade sud de la Perle des Antilles. Le maire, par exemple, affiche sur son CV de très curieuses caractéristiques (comme l’illettrisme) pour un homme qui a déjà été élu à deux reprises. Aussi, comme s’accorde souvent à le penser à haute voix la grande majorité des Aquinois, « la corruption est partout ». Enfin, la commune est peut-être plongée dans une coupure d’électricité depuis plus de six mois (la faute à une génératrice défaillante qui attend d’être remplacée)… mais il n’empêche : ce petit coin de paradis véhicule une inimitable douceur de vivre. Un vrai parfum de Caraïbes. Du bleu azur en veux-tu en voilà, des cocotiers à perte


►Dès les premières lueurs de l’aube, les pêcheurs sillonnent la baie d’Aquin sur leur bwa fouyié

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Parc national de la Visite Les dernières forêts d’Haïti

▲Autour

du Parc, le pinus occidentalis se fait rare....

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Il est de notoriété publique que la forêt naturelle d’Haïti est en voie d’extinction. A l’arrivée des premiers occidentaux sur l’île d’Hispagnola* en 1492, on pense que 85% de l’île était recouverte de forêt. Au moment de l’indépendance d’Haïti, en 1804, il en restait encore 60%. Au début du règne des Duvallier en 1954, ce chiffre était déjà passé à 18%, après une occupation américaine entre 1915 et 1934, de fort développement mais probablement destructrice en terme de forêt. Aujourd’hui, la forêt naturelle ne représente plus que 1,5% de la surface d’Haïti. Le pays, peuplé de près de 10 millions d’habitants, dont de nombreux ruraux qui vivent de l’exploitation de leurs carreaux* de terre, est un exemple de déforestation chronique et de Une saison en

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CONSERVATION

DOSSIER HAÏTI

«

Les arbres ne votent pas ! » explique Winthrop en regardant d’un air pensif le jeune conservateur du Parc, appellé “agronome Ménard ” par ses concitoyens. Habitant au village de Seguin depuis près de 30 ans, Winthrop Attié a vu la forêt de pins s’évanouir année après année. Désormais, la pinède commence à quelques centaines de mètres au-dessus de sa maison de pierre, un magnifique gîte situé sur le plateau du massif de la Selle, à 1900 mètres d’altitude, entre Port-au-Prince et Jacmel. Un lieu qui possède un grand potentiel touristique, parsemé de chutes d’eau, de sentiers forestiers, de points de vue majestueux sur la montagne. Winthrop, bien décidé à se battre pour protéger ce patrimoine exceptionnel, a fondé il y a quelques années avec des amis une association : la fondation Seguin. Il était temps, la forêt est en péril.


Gédé, la fièvre vaudou Une saison en

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CULTURE DOSSIER HAÏTI

D

’aucuns disent qu’il a permis à Haïti d’acquérir son indépendance. Une chose est sûre : le vaudou fait partie intégrante de la culture haïtienne. Critiqué par certains, mais respecté par tous, il génère aussi les fantasmes les plus fous. « Soit on le pratique, soit on en a peur. Mais tout le monde en Haïti croit au vaudou », résume ainsi Enock Néré, journaliste au quotidien Le Nouvelliste. “Marcher sur le feu”, “avaler des tessons de bouteilles”, ou “se mettre du piment dans le vagin”… voilà le genre de choses dont sont capables celles et ceux qui se font “chevaucher” par le “gédé” (l’esprit vaudou). En tout cas, pour les vaudouisants, il y a une date à ne pas rater : les 1er et 2 novembre. A cette période sont traditionnellement fêtés les morts et, donc, les “gédé”. Les cérémonies ont lieu dans les cimetières, comme ici à Port-au-Prince, puis à Léogâne. Tous sont venus se recueillir devant le Baron La Croix ou Grande Brigitte, pour communiquer avec les esprits. Car c’est l’un des concepts fondateurs du vaudou : tout n’est pas fini après la mort. Autre personnage que l’on peut croiser au cimetière : Papa Gédé. C’est lui qui, sous son chapeau, délivre quelques conseils de diseuse de bonne aventure à ceux qui veulent consulter. Guerrier, 29 ans, ressortira satisfait de son entrevue. « Il m’a dit que j’avais des problèmes à travers moi-même… Avec ma famille, mes enfants. Tout est vrai. Il m’a aussi dit que je n’avais pas d’argent. C’est la vérité ». Enfin, Papa Gédé joue aussi les pronostiqueurs de “borlette”, le célèbre loto national : « Il m’a conseillé de miser sur le 12 et le 07… C’est ce que je vais faire ». Une saison en

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Automated Transfer Vehicule 3.0 & INTERNATIONAL

S P A C E S T A T I O N

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surface d’un terrain de foot. Elle se déplace à 7,7 km/s, et pèse 400 tonnes. Au centre et au premier plan, l’ATV est connecté à l’arrière pour six mois de service.

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SPATIAL

▼La station spatiale internationale, désormais dans sa forme définitve, occupe la


Interview de Jean-François Clervoy Astronaute de l’Agence Spatiale Européenne

Combien de temps avez-vous passé dans l’espace ? J’ai volé trois fois dans la navette spatiale américaine, à chaque fois une dizaine de jours. C’est seulement lors du deuxième vol que je me suis accosté à une station spatiale, qui était la station russe MIR, et nous sommes restés en mode accosté pendant 5 jours. Nous avons transvasé environ 4 tonnes de matériel pendant cette période. Comment dort-on en apesanteur ? C’est du camping ! le sac de couchage est un peu particulier, il possède une fermeture Eclair centrale qui monte jusqu’au cou, avec des ouvertures sur le coté pour les bras, et des tendeurs pour s’accrocher où l’on veut. Au début, nous utilisions des sacs de couchage classiques, et il arrivait que les astronautes se réveillent au milieu de la station, car ils se déplacaient hors de leur sac en flottant pendant leur sommeil sans s’en apercevoir. On choisit la position foetale, car en apesanteur, si on dort droit, le dos se cambre et on peut avoir des douleurs lombaires rapidement... On peut utiliser un oreiller tenu par un bandeau sur le front, qui ne sert qu’à imiter la sensation habituelle qu’on a sur Terre, car sans oreiller, la tête en apesanteur flotterait exactement de la même façon.. Comment avez-vous vécu le décollage en fusée, est ce que ce sont des moments angoissants, ou des sensations fantastiques (ou les deux) ? Non, l’angoisse c’est plutôt pour vous si vous vous retrouvez au sommet de la fusée, car vous n’êtes pas du tout préparé ! Mais pour un astronaute, c’est l’objectif ultime de plusieurs mois de travail, il y a donc plutôt une forte pression professionnelle, pour réaliser toutes les tâches nécessaires pendant le décollage, et pour ne pas faire d’erreur. Mais la sensation fantastique est d’avoir conscience de franchir les portes d’un autre monde, d’être comme une graine représentante de l’humanité, qui va essaimer dans l’espace extra-atmosphérique. Mais le décollage faire subir au corps une pression physique énorme ? Non, c’est pas plus qu’un grand huit, soit 1,5 G environ. Le G est une unité d’accélération utilisée pour mesurer la poussée des moteurs divisée par la masse. Elle est très progressive pendant un lancement. Mais on consomme quand même plus de 10 tonnes de poudre /sec et 1 tonne d’oxygène et hydrogène liquides /sec, au bout d’une minute on atteint la vitesse du son, au bout de 2 minutes 5 fois la vitesse du son, enfin au bout de 8mn, on croise à 25 fois la vitesse du son... C’est le noir de l’espace qui étonne le plus, en plein journée ! Avez-vous déjà eu une grosse frayeur durant un voyage spatial, si oui pouvez-vous nous la conter ? Moi, non, mais il y a eu finalement peu de situations dans l’histoire de l’astronautique qui ont mal tourné. Lors de la réparation du téléscope Hubble, j’ai eu l’inquiétude que mes collègues atteignent la limite d’autonomie de leur scaphandre, après plus de huit heures de travail dans le vide extèrieur, n’arrivent pas à refermer à temps les grandes portes du télescope, déformées par les températures extrêmes. On peut aussi noter quelques soucis qui aurait pu mal tourner : en 1997, un incendie sur la station MIR, puis, la même année, une collision entre un vaisseau ravitailleur et les panneaux solaires de MIR, qui avait provoqué une fuite d’oxygène et de pression dans le confinement,

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mais l’équipage s’en était sorti. Une autre fois, l’astronaute Krikalev a eu un problème avec un sas qui ne voulait plus se fermer après une sortie dans l’espace, mais heureusement le deuxième sas a bien fonctionné.. Y a-t-il des différences notables dans l’attitude des cosmonautes en orbite en fonction de leur nationalité et de leur culture ? Non, pas de différence, on est tous frères dans l’espace. Quelques différences culturelles parfois, comme une astronaute russe qui se mettait complétement nue pour se changer devant tout le monde, alors que l’américaine se cachait pudiquement derrière un rideau ! Quelles différences fondamentales existaient entre une mission de navette et une mission Soyouz et l’ISS, en terme d’expérience humaines ? C’est la différence entre une experience de longue durée et une autre de courte durée. En navette, on travaille pendant 10 jours, mais au rythme de 14 à 16 heures de travail par jour, alors que dans une mission en station spatiale, qui peut durer plusieurs mois, on peut avoir ses week-end. ! La différence aussi, c’est que sur une navette, on ne maîtrise pas tout manuellement, on n’a pas accès à grand chose mécaniquement. Alors que dans une station orbitale, on peut intervenir de manière pratique, faire de la plomberie etc... Pourriez vous nous conter une expérience scientifique étonnante que vous avez mené en orbite ? Elles sont nombreuses, nous avons travaillé en apesanteur avec des cafards, des frelons, du sperme d’oursin, des pousses végétales, des araignées pour voir leurs toiles, les abeilles qui arrivent à voler aussi au bout d’un certain temps. Une expérience sur les tétards qui venaient d’éclore juste avant le décollage et développaient leurs oreilles internes pendant le vol, les montraient en train de nager en looping ! Depuis un poste d’observation aussi fantastique, avez-vous vu naître en vous la conviction d’une nécessité d’engagement politique pour la protection de l’environnement ? Une alternance de 45 minutes de jour & 45 minutes de nuit, on survole l’hiver et l’été, avec des variétés de couleurs, des villes illuminées la nuit, des orages, c’est vraiment à pleurer de beauté. Je ne peux pas


m’empécher de voir la terre comme un gros vaisseau spatial, au milieu du néant (car on ne voit pas les étoiles depuis la station, seulement du noir). Mais c’est un vaisseau avec des ressources finies, avec un océan qui fournit l’oxygène et absorbe le CO2, il est comparable au “système de supportvie” d’une station orbitale. Sans lui, la vie n’est plus possible. C’est pourquoi je suis parrain d’une association polynésienne de protection de l’Océan Te Mana O Te Moana. Comment interprétez vous le fait que la conquête spatiale a eu son heure de gloire dans les années 60, et que depuis 30 ans, on n’ai plus quitté l’orbite basse ? Dans les années 60, le président Kennedy avait lançé un programme gigantesque dans un esprit de compétition ou “tous les moyens” étaient permis au point d’atteindre un budget de 4% du PIB americain. Aujourd’hui, l’objectif est d’apprendre à travailler en collaboration internationale grâce à la station ISS. La suite serait donc de reprendre l’exploration spatiale habitée, soit vers la lune, soit vers la planète Mars, soit vers un asteroïde. Mais il faudra attendre au moins 2025, pour repartir au delà de l’orbite basse. Y a-t-il un risque que l’homme soit remplacé par le robot dans la conquête spatiale à court terme ? Non, on envoie les robots en éclaireur, en accompagnateur de l’homme, mais il ne le remplacera pas. Comme dit Hubert Reeves, vous ne verrez jamais un robot s’exclamer : «Oh regarde !». Quelle technologie pourrait selon vous redonner un nouvel élan à la conquête spatiale ? Il faudra faire un bond dans les technologies de propulsion. Aujourd’hui, c’est la propulsion électrique ou ionique, qui se profile pour les voyages dans le vide de l’espace. Au lieu de cracher de la matière chimique, comme dans une fusée, vous éjectez des particules ionisées accèlèrées par un champ magnétique ou électrique très puissant, à des vitesses 10 à 20 fois plus rapides que des gaz à combustion chimique. C’est un mode de propulsion beaucoup plus efficace. Pouvez vous nous parler du programme Aurora de l’ESA ?

Globalement Aurora est un programme d’exploration qui a pour but ultime d’envoyer des astronautes sur Mars, sans calendrier précis, peut être en 2030 / 2040. L’ESA a défini une feuille de route, avec des sondes automatiques, comme Mars Express ou Exomars, des Rovers, des essais à basse altitude. Les russes, les américains, les japonais ont des feuilles de route similaires, qui j’espère bien, finiront par toutes converger.. Pensez vous que l’ISS pourra durer jusqu’en 2025, et qu’elle puisse servir de station d’assemblage en orbite basse pour un prochain vol vers la lune ? Les russes proposent 2023, si il n’y a pas de gros pépins, elle peut durer encore, car on change les pièces au fur et à mesure ! Non, elle n’est pas faite pour servir de station d’assemblage. Elle nous apprend des choses sur la vie hors de l’atmosphère, pour mieux se préparer au futur voyage. On pourrait assembler en orbite un vaisseau interplanétaire, mais il faudra le faire avec une autre station, et surtout il faudrait commencer par décider d’un programme concret si on veut qu’il soit effectif en 2025 ! Alors que les navettes sont à la retraite, et désormais avec l’ATV peut être aussi avec Soyouz, la Guyane n’a jamais été si proche théoriquement de lancer des vols habités, ? A quand les vols habités en Guyane ? L’ESA a déjà fait volé une capsule à vide sur la 3ème ariane V, qui s’appelait ARD (Atmospheric reentry demonstrator), et qui a parfaitement réussi. Les briques élémentaires sont donc toutes là, plusieurs lanceurs, un savoir-faire acquis sur l’ATV, un avant projet d’ARV (Advanced Reentered Vehicule). Le pas de tir de Soyouz est aussi potentiellement convertible pour les vols habités, mais ce n’est pas prévu. Nous les astronautes européens, on rêve un jour de

décoller dans une capsule européènne, sur une fusée européènne, depuis le port spatial européen en Guyane ! Pensez vous que l’ESA soit frileuse à l’idée du vol habité ? Est-ce le coût financier pour l’Europe ? Ce n’est pas l’ESA qui freine, ce sont les gouvernements, les Etats membres. Aujourd’hui, il n’y a pas la volonté politique en Europe, ni les budgets pour développer notre propre capsule habitée. Contrairement à l’idée généralisée que « l’espace est cher », on dépense en Europe dans les vols habités moins de 1 euro par an et par habitant. Par comparaison, les français dépensent en moyenne 400 euros par an et par personne dans les jeux de hasard, et la sécurité sociale représente 5000 € par an par habitant. Ce budget très raisonnable de 1 € par an par habitant, est principalement constitué de salaires pour des ingénieurs, techniciens et scientifiques de haut niveau. Les retombées de cet investissement dans la connaissance et le savoir faire sont énormes pour notre économie et notre compétitivité. Si pour le vol habité on passait de 1 euro par an et par habitant en Europe à 2 €, , nous aurions dans 7 ans notre propre capsule habitée européenne qui décollerait de Kourou... Il y aurait de nombreuses retombées importantes pour l’Europe en terme de technologies bien sûr, mais aussi en termes d’identité européenne et d’inspiration pour les jeunes générations.. C’est ce qui lie les américains à la NASA depuis que Armstrong a mis le pied sur la lune et c’est ce que les chinois sont en train de faire, à grande vitesse. Je pense que dans la vie et la nature, tout évolue par cycles, nous sommes plutôt en bas du cycle en terme d’exploration spatiale habitée, mais ce nouveau reboost est à venir avec l’ESA et les autres, j’en suis convaincu. Propos recueillis par P-O Jay

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JAGUAR

un Roi

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en sursis

Photos de Thierry Montford Texte de Guillaume Feuillet Illustrations Olivier Nuguet

AU SOMMET DES ALIMENTAIRES

CHAÎNES

Fort des ses 100 kg et de son mètrecinquante (sans la queue), le jaguar règne en maître au sommet des chaînes alimentaires des forêts qu’il parcourt. Si son pelage jaune fauve orné d’ocelles noires est de prime abord ostentatoire, il est pourtant exemplaire en termes de camouflage ! En effet, il lui permet de se soustraire à la vue de ses proies, dans les milieux forestiers denses où les quelques rayons de soleil parvenant au sol offrent une lumière très contrastée. Bien qu’ayant une préférence pour les animaux de grande taille, tels que les pécaris, les biches et le tapir, le jaguar a

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FAUNE

I

l est des animaux dont le nom renvoie une image forte, raconte une histoire et stimule l’imaginaire, des animaux précédés par leur réputation, des animaux dont la renommée dépasse largement les frontières de leur aire de répartition. Les supersprédateurs comme le jaguar en font bien sûr partie. Le plus gros félin des Amériques appartient à la sous famille des Panthérinés, qui inclut aussi le tigre, le lion, la panthère nébuleuse, la panthère de Diard, l’once et le léopard. Les panthères se distinguent des autres félins par leur faculté à rugir. C’est une particularité anatomique due à une très faible calcification de leur os hyoïde. Seule panthère du Nouveau monde, le jaguar a une aire de répartition qui s’étendait du Sud-ouest des Etats-Unis au Nord de l’Argentine en passant par les bassins de l’Amazone et du Rio Negro. Soit plus de 8,5 millions de km2 ! Mais, on estime aujourd’hui que l’espèce n’occupe plus que 46% de cette surface, l’animal ayant disparu de nombreuses zones arides. Le jaguar peut être observé dans les forêts tropicales humides, dans les savanes inondées et marécages, les pampas et dans les forêts constituées de broussailles épineuses. Mais de manière générale, la présence d’eau est un paramètre important dans les habitats fréquentés par l’espèce. Malgré quelques observations ponctuelles, la présence du jaguar dans les forêts de montagnes et les hauts plateaux reste rarissime.


D O S

La planète par Gilles Boeuf, professeur à l’Université Pierre & Marie Curie, président du Muséum national d’Histoire naturelle

M

aintenant que les principales collections mondiales dans les Grands Musées d’Histoire naturelle (les trois principaux sont à Washington, Londres et Paris) sont assez bien organisées, répertoriées, classées, numérisées pour certaines d’entre elles et que de nouvelles méthodologies sont développées en systématique et en taxinomie, grâce aux approches moléculaires, toute l’extraordinaire diversité de ce groupe d’arthropodes se dégage et interroge bien sûr. Nous avons aujourd’hui, archivées dans ces Musées, environ 1,9 million d’espèces, tous groupes confondus, des premières cyanobactéries aux métazoaires les plus élaborés et les insectes en représentent plus de la moitié ! Les collections du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris comprennent la plus grande collection d’insectes au monde, avec plus de 41 millions de spécimens. Ces chiffres laissent rêveurs alors que nous savons bien, en outre, que nous n’en connaissons qu’une petite partie ! Les estimations du nombre d’insectes vivants aujourd’hui sur la planète oscillent entre 3 et 8 millions d’espèces, la fourchette est bien large ! Chaque inventaire quelque peu fouillé dans un "recoin" de la planète, s’il n’est pas trop “polaire”, donne toujours énormément d’espèces nouvelles. Pour la seule année 2008 (dernière liste exhaustive publiée), 9 000 espèces d’insectes nouvellement connues ont été publiées, soit sur une année

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presqu’autant que tous les oiseaux connus de la Terre (10 000). Alors, la Terre, une planète “insectes” ? A eux-seuls, les coléoptères représentent aujourd’hui 400 000 espèces soit 40 % du nombre d’espèces d’insectes. Un être vivant sur quatre connus aujourd’hui est un … coléoptère, ce qui avait provoqué la célèbre réplique d’Haldane, « … si Dieu existe, il aime les coléoptères… ! ». Les grands ordres ensuite en nombre d’espèces sont les lépidoptères (175 000), les diptères (153 000), les hyménoptères (115 000 dont 12 000 fourmis !) et les hémiptères (90 000). Les orthoptères viennent loin derrière avec 25 000, puis les trichoptères avec 13 000 espèces. Si nous estimons à environ 300 000 le nombre d’espèces fossiles connues, 2140 nouvelles espèces (327 nouveaux insectes) ont été décrites en 2008. Les insectes sont particulièrement nombreux dans la ceinture intertropicale, la très grande majorité d’entre eux vivant entre 17°N et 17 °S, ce qui bien entendu positionne la Guyane en très bonne place. 5251 taxons sont actuellement répertoriés en Guyane, dont 2 315 insectes dans l’Inventaire National du Patrimoine Naturel, ce qui démontre le travail d’inventaire à encore réaliser sur place et l’énorme tâche des entomologistes dans cette Région. Par exemple, la seule réserve naturelle de la forêt de la Massane, dans les Pyrénées Orientales en France, probablement le “point


DOSSIER INSECTES

S I E R

des insectes chaud” le mieux connu en Europe, abrite 6 400 espèces décrites dont 3 300 insectes sur seulement 336 ha ! Et si nous connaissons 240 espèces de coléoptères cérambycides en France, ils pourraient être plus de 1 800 en Guyane ! Une telle diversité chez les insectes est effectivement exceptionnelle et la question de la différenciation d’autant d’espèces une réelle interrogation scientifique. Revient souvent la question de la“valeur” d’espèce chez ces groupes ! Et surtout cela ramène à la remarque permanente, ne surtout pas considérer la biodiversité comme un unique catalogue d’espèces ! C’est beaucoup plus que cela ! Où y a-t-il plus de biodiversité, dans 300 000 plantes connues ou dans 400 000 coléoptères ? La biodiversité, c’est toute l’information génétique contenue dans un individu, une espèce, une population, un écosystème et c’est surtout l’ensemble des relations établies entre les êtres vivants entre eux et avec leur environnement. C’est en fait la fraction vivante de la Nature. Les insectes, aussi populeux tant en nombre d’espèces qu’en abondances (par exemple la biomasse de fourmis sur la Terre est à peu près équivalente à celle des humains !), sont extrêmement divers. Le Traité de Zoologie de PP Grassé reconnaît 23 ordres d’insectes dont 185

familles pour les seuls coléoptères. Ils sont tous pourvus de six pattes (longtemps appelés hexapodes, alors regroupés avec les protoures et les collemboles) et segmentés en tête, thorax et abdomen. Beaucoup volent et possèdent deux paires d’ailes. Ils grandissent par mues successives ou subissent de profondes métamorphoses. Ils ont peuplé tous les milieux continentaux, des eaux douces aux sommets des montagnes. Ils sont apparus au Dévonien, il y a près de 400 millions d’années, et ont “explosé” en espèces une première fois dans les grandes forêts du Carbonifère vers 340 millions d’années, puis plus tard au Crétacé vers 110 millions d’années, où démarrera l’une de leur plus belle aventure, la coévolution avec les plantes à fleurs et la pollinisation. Sur les 1,9 million d’espèces connues aujourd’hui, 250 000 sont des pollinisateurs chez lesquels la proportion d’insectes est écrasante. S’il y a aujourd’hui autant de différences entre les diversités marine et terrestre, en dehors des aspects physiques liés aux considérations de diversité et d’abondances des niches, de continuité des milieux, de dispersion des gamètes et des larves et d’endémisme, c’est aussi en grande partie à cause des insectes. Photos G. Quenette, G. Rouhaus, S.Brulé

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PLANTES ET INSECTES

HERBIVORES Une course évolutive

à l’armement

Photos de Gwenäel Quenette, Texte de Greg Lamarre

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consommer une feuille.

A

l’approche de Régina, au pied des montagnes de Quartzique, l’équipe d’écologie intégrative du laboratoire de Kourou arrive pour sa mission scientifique. Il faut 4 heures de marche éreintante pour atteindre la parcelle d’étude. « En quoi consiste ton expérience sur les arbres de la forêt si tu es un entomologiste ?» lance l'un des marcheurs à l'attention de Greg, en thèse à l'UMR Ecofog de Kourou. «Regarde ce jeune arbre de la famille des Fabaceae, ses feuilles ont été attaquées par une chenille de papillon, je vais donc prendre des mesures pour connaître la surface qui a été prélevée par cet insecte. Comme tu le vois, mes recherches portent sur l’interaction entre les arbres des forêts tropicales d’Amazonie et les insectes herbivores qui les consomment ».

LES PLANTES ET LES INSECTES HERBIVORES : UNE HISTOIRE VIEILLE COMME LE MONDE

▼(en bas de gauche à droite) - Casside (Coleoptera : Chrysomelidae : Cassidinae : Eugenysa venosa) - Membracide se nourrisant de la sève de cet arbre (Hemiptera : Membracidae : Membracis foliata ) - Larve de coléoptère (lampyridae) - Cette chenille velue appartient à la famille des Erebiidae (Ctenuchinae). Il s’agit d’un papillon de nuit.

L’évolution de certains arthropodes* terrestres vers un régime herbivore ou phytophage* (consommation de tissu végétal : feuilles, nectar, fruits, tiges, bois) a conduit les plantes à se défendre contre la pression de leurs attaques. Des scientifiques ont étudié les périodes durant lesquelles les communautés d’insectes ont évolué vers ce mode alimentaire. Des fossiles trouvés dans certains déserts ont montré que des feuilles, vieilles de plusieurs millions d’années, portaient déjà des marques d'insectes. La sélection naturelle, en favorisant cette relation trophique entre insectes herbivores et plantes, a ainsi contribué à la diversité actuelle de chacun de ces organismes. Cette interaction est donc particulièrement cruciale dans la structure et la composition des forêts tropicales. SPÉCIALISATION DES INSECTES À LEUR PLANTES HÔTES

Les plantes que consomment les insectes herbivores sont dites hôtes ou nourricières. La coévolution entre les herbivores et les plantes a conduit certains insectes à se nourrir d'une seule espèce et d’autres d'une grande variété de plantes. Pour garantir la reproduction et son succès, l’insecte doit ingérer une grande quantité de plantes à forte valeur nutritive, c’est pour cette raison que la capacité d’un

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DOSSIER INSECTES

◄Chenille d’Hesperiidae en train de


CTÉNIDES

LES DIAMANTS DE L A N U I T G U YA N A I S E COMME BIO-INDICATEURS ? Une saison en

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uiconque s’est déplacé de nuit en forêt guyanaise, a pu remarquer des nombreux yeux scintillants à la lumière de sa lampe frontale. Ces yeux appartiennent en fait à des araignées de la famille des Ctenidae ou cténides. Ce sont des araignées qui chassent de nuit au sol ou dans la végétation basse, et qui ne tissent pas de toile. Elles sont extrêmement bien représentées dans toutes les régions tropicales du globe et en particulier en Guyane. Elles ont été tout d’abord étudiées en Afrique où il a été démontré le lien direct entre leur diversité, leur comportement, leur taille et leur densité avec leur habitat et la qualité de celuici. Ainsi, l'observation des araignées présentes est riche d'informations concernant le type d'habitat, sa richesse ou son éventuelle dégradation. La connaissance de la diversité des araignées pourrait permettre d'identifier et de protéger le patrimoine naturel de la Guyane. Cette famille est en fait “l’arbre qui cache la forêt”. Malgré la fascination (et souvent la peur irraisonnée) qu’elles suscitent, les araignées sont complètement méconnues. Ce sont des arachnides qui se différencient des insectes du fait que leur corps est divisé seulement en deux parties (cephalothorax et abdomen) au lieu de trois et possèdent, en outre, six paires d’appendices : une paire de chélicères servant à la nutrition (crochets venimeux), une paire de pédipalpes servant à “ saisir ” une proie ou d’organes sexuels chez les mâles et quatre paires de pattes ambulatoires (seulement six chez les insectes). En revanche, elles ne possèdent ni ailes ni antennes. Elles se distinguent des autres arachnides (scorpions, faucheux acariens, etc…) par la présence de crochets venimeux près de la bouche et de glandes à soie dans la partie postérieure de leur abdomen.

▲Les cténides sont définies par la position particulière de leurs huit yeux en trois rangs. Deux de leurs yeux possèdent une membrane appelée tapetum, qui réfléchit la lumière et qui en font deux points brillants dans la nuit. Ici une Cupiennius, camouflée dans un tapis de feuilles mortes.

Les araignées sont présentes dans tous les biotopes de la planète (exceptés les deux pôles), que ce soit en zone désertique, dans les maisons, en altitude (jusqu’à 6200 m) et même sous l’eau. Paradoxalement, c’est dans les milieux où elles sont les plus nombreuses et les plus diversifiées, comme les forêts tropicales

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PAYSAGES AÉROLOGIQUES

Photos de Tanguy Deville, Texte de Xavier Deville

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bécasseaux sanderlings (Calidris alba), posés sur les rochers du littoral, s’envolent à l’arrivée des vagues.

Une saison en

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ÉCOLOGIE

▼Des


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