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CCH ET AFFAIRES JURIDIQUES
from URBA - Mars 2021
by UMQ
CHRONIQUE CARREFOUR DU CAPITAL HUMAIN ET DES AFFAIRES JURIDIQUES
Les mesures disciplinaires en contexte municipal
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Les municipalités détiennent de vastes pouvoirs et responsabilités dans divers domaines et sphères d’activités. Elles sont des gouvernements de proximité et exercent ainsi les pouvoirs qui leur sont accordés. Les municipalités sont également des employeurs et doivent, en cette qualité, veiller au respect des diverses obligations qui leur incombent. À titre d’employeur, une municipalité va devoir, de temps à autre, imposer des mesures disciplinaires à l’égard d’un employé. Le présent article présente les particularités relativement aux mesures disciplinaires dans le contexte municipal.
Me LÉA-MAUDE COULOMBE
Conseillère juridique en droit du travail et de l’emploi à l’UMQ lcoulombe@umq.qc.ca
Me STEFANIE WLODARCZYK
Conseillère juridique en droit municipal à l’UMQ swlodarczyk@umq.qc.ca
QU’EST-CE QU’UNE MESURE DISCIPLINAIRE ?
Tout d’abord, il convient de définir ce qu’est une mesure disciplinaire. Une mesure disciplinaire est un acte de gestion imposé par l’employeur qui vise à sanctionner un comportement fautif de la part du salarié. Son objectif est d’amener le salarié à corriger sa conduite. Une mesure disciplinaire peut être de différente nature, selon la gravité de la faute reprochée au salarié. Les différentes mesures disciplinaires sont : l’avertissement verbal, l’avertissement écrit, la suspension sans solde, qui peut être de courte ou de longue durée, la rétrogradation 1 et finalement le congédiement ou la destitution2 .
LA GRADATION DES SANCTIONS
L’un des principes fondamentaux qui doit être suivi dans l’imposition d’une mesure disciplinaire est le celui de la gradation ou progression des sanctions. En principe, une première offense entraînera la mesure disciplinaire la moins sévère et la sévérité de la sanction augmentera en cas de récidive. Il est possible de faire des entorses à la règle de la gradation des sanctions lorsque l’employeur est face à une offense plus grave. Un seul comportement peut d’ailleurs amener un congédiement immédiat si le lien de confiance de l’employeur envers l’employé est brisé irrémédiablement.
Pour déterminer la mesure disciplinaire appropriée, il faut donc non seulement suivre la règle de la progression des sanctions, mais également analyser les différents facteurs aggravants et atténuants. Parmi les facteurs aggravants à prendre en considération dans le choix de la sévérité de la mesure disciplinaire à imposer, notons : 1. Des manquements similaires dans le dossier disciplinaire de l’employé ; 2. L’ancienneté de l’employé ; 3. La tolérance zéro de l’employeur pour des comportements similaires ; 4. Les fonctions de l’employé, par exemple si l’employé a des fonctions de chef d’équipe ; 5. Le caractère volontaire et prémédité du geste. Dans les facteurs atténuants militant en faveur de l’imposition d’une mesure disciplinaire plus clémente, notons : 1. La tolérance de l’employeur pour des comportements similaires ; 2. Le dossier disciplinaire vierge du salarié ; 3. L’expression de remords ; 4. Certaines conditions personnelles telles que la maladie ou les dépendances à l’alcool ou aux drogues.
QUEL EST LE NIVEAU D’APPROBATION REQUIS?
Dans les organisations privées, c’est généralement le supérieur de la personne fautive qui impose une mesure disciplinaire, souvent accompagné d’une personne des ressources humaines et/ou du directeur. Toutefois, dans le milieu municipal, l’imposition de mesures disciplinaires plus sévères que l’avertissement écrit ou verbal requiert un niveau d’approbation supérieur.
De façon générale, toute suspension ou tout congédiement doit être imposé par résolution du conseil municipal. L’obligation de procéder ainsi découle du principe juridique interdisant la sous-délégation d’un pouvoir délégué. Les pouvoirs du conseil municipal sont enchâssés dans une loi provinciale. Ils lui sont délégués par le palier provincial et toute sous-délégation est interdite à moins d’une autorisation expresse. Un exemple d’une telle autorisation se trouve aux articles 73.2 de la Loi sur les cités et villes (LCV) et 165.1 du Code municipal du Québec (C.M.) qui permettent de déléguer le pouvoir d’engager des salariés. La délégation doit être exercée dans les limites prévues par le législateur, ainsi la délégation du pouvoir d’engager des salariés n’inclut pas le pouvoir de les suspendre ou de les congédier.
Certaines municipalités sont régies par des chartes qui leur confèrent des pouvoirs plus vastes que les lois municipales générales, y compris pour la gestion de ressources humaines. Certaines chartes permettent notamment de déléguer à un fonctionnaire le pouvoir d’imposer des mesures disciplinaires. Toutefois, il s’agit de l’exception à la règle.
Bien que la décision d’imposer une suspension à l’égard d’un employé relève ultimement du conseil municipal, il n’est pas toujours possible d’attendre une séance du conseil pour agir. Certaines situations nécessitent une action immédiate. La LCV et le C.M. prévoient des pouvoirs d’urgence permettant au directeur général et au maire de suspendre un employé ou un fonctionnaire jusqu’à la prochaine séance du conseil municipal et sans son autorisation préalable3 . La LCV 4 prévoit que le directeur général peut imposer une suspension avec solde 5 à l’égard d’un fonctionnaire ou un employé. Rappelons qu’une suspension avec solde est une mesure administrative qui est imposée, par exemple, lorsqu’il y a besoin de faire enquête sur un événement avant d’imposer une mesure disciplinaire. Le directeur général doit immédiatement faire rapport au conseil, de qui relève ultimement la décision quant au sort de l’employé. Ce pouvoir n’est pas automatique pour les municipalités régies par le C.M. La municipalité doit avoir adopté un règlement pour élargir les pouvoirs du directeur général6 .
La LCV 7 prévoit aussi le pouvoir du maire d’imposer une suspension sans solde à l’endroit d’un fonctionnaire ou d’un employé. La suspension est valide jusqu’à la prochaine séance du conseil, à laquelle le maire doit faire rapport. Le conseil décide du sort de l’employé à cette séance. Ce pouvoir existe depuis 2017 dans le C.M., mais n’est pas automatique. La municipalité doit avoir adopté un règlement accordant ce pouvoir au maire8 .
Le congédiement d’un employé ou d’un fonctionnaire doit toujours faire l’objet d’une résolution du conseil municipal, sauf si la charte de la municipalité prévoit spécifiquement d’autres modalités.
1- La rétrogradation est généralement une mesure administrative, visant à retirer à une personne n’ayant pas les qualifications, un poste décisionnel.
Elle peut cependant être une forme de mesure disciplinaire lorsqu’elle vise à sanctionner un comportement fautif de la part d’une personne dans une position décisionnelle. 2- On réfère à la destitution dans les lois municipales, mais les termes destitution et congédiement renvoient à la même réalité, Laberge c. Ville de Prévost,
D.T.E. 2001T-642 (Commissaire du travail), p. 5. 3- Sherbrooke (Ville de) c. Bergeron 2011 QCCS 1095 4- Art. 113 LCV 5- Sherbrooke (Ville de) c. Bergeron, précité 6- Art. 212.1 C.M. 7- Art. 52 LCV 8- Art. 142.1 C.M. 9- Cité de Montréal c. Davis (1897) 6 B.R. 177
LA RÉDACTION DE LA RÉSOLUTION – BONNES PRATIQUES
Quant à la rédaction de la résolution, la jurisprudence a confirmé qu’une municipalité n’engage pas sa responsabilité en donnant de bonne foi les motifs justifiant l’imposition d’une suspension ou d’un congédiement 9 . Toutefois, l’avènement de l’âge numérique et la disponibilité des procès-verbaux des séances du conseil sur Internet ont eu pour effet de changer les pratiques dans les municipalités quant à la rédaction des résolutions imposant des mesures disciplinaires. La référence au numéro de l’employé visé au lieu de son nom est une pratique fréquente. Également, il est courant de voir un renvoi à un rapport dans les résolutions municipales au lieu de lire le récit des évènements en cause. Ces deux bonnes pratiques protègent la confidentialité de l’individu en cause.
La résolution doit également préciser la date de l’imposition de la mesure. Si celle-ci a été imposée antérieurement à la prise de décision par le conseil, ce dernier peut ratifier toute mesure prise à l’égard de l’employé et lui imposer d’autres mesures, selon les circonstances.
CONCLUSION
Les municipalités doivent veiller à ce qu’elles s’acquittent des diverses obligations qui leur sont imposées à titre d’employeur. Elles doivent notamment promouvoir un climat de travail sain et agir en temps opportun pour corriger un comportement fautif de la part d’un employé. Ainsi, il est essentiel que les employés cadres soient bien formés quant à leurs pouvoirs et devoirs dans l’imposition de mesures disciplinaires. Lorsqu’une situation problématique survient, il est important que ces employés soient bien outillés et bien accompagnés tout au long de la démarche. Laisser perdurer des comportements fautifs peut avoir une influence négative sur l’ensemble des employés et miner le climat de travail. L’équipe du Carrefour du Capital Humain peut vous accompagner dans la gestion des dossiers disciplinaires de vos employés. N’hésitez pas à communiquer avec nous pour discuter avec l’un de nos conseillers.