Créer et expérimenter en sciences et technologie

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I N° 533 I Décembre 2016 I 71e année I 10 e

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Changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société

Dossier

Créer et expérimenter en sciences et technologie

ACTUALITÉSÉDUCATIVES Refondation : 5e Assises de la pédagogie Entretien : Marie-Rose Moro IFE : L’oppression par le genre

perspectives Et chez toi… : Le crâne d’Hamlet Faits et idées : Jouer avec sérieux Le livre du mois : Ce que le numérique peut en éducation


lesommaire n° 533, décembre 2016 actualités éducatives 2 Une refondation à poursuivre ! 4 On n’attire pas les futurs professeurs avec du vinaigre

dossier

5 6

« Ma crainte, c’est que l’école se referme » Objectif 2030

7 8 9

L’actualité de la recherche La chronique de Nipédu Billet du mois

Coordonné par Évelyne Chevigny et Roseline Ndiaye

Créer et expérimenter en sciences et technologie 12 Rêver-créer

Les sciences regardent le monde d’une façon singulière, appliquant à celui-ci des outils de la pensée qu’elles ont elles-mêmes créés. Initier les élèves aux sciences, c’est, entre autres, faire percevoir ce caractère créatif aux élèves et les impliquer eux-mêmes dans des processus de création.

24 Expérimenter

Éprouver ses hypothèses passe souvent par la pratique. Activité vécue par les élèves comme ludique, voire construite pour être ludique, quels

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rôles joue exactement l’expérience ? Dans quel cadre pédagogique doit-elle être insérée pour participer à la déconstruction de représentation et à la reconstruction d’un savoir ?

37 Partager

À travers l’expérimentation, l’élève se confronte aussi aux difficultés du langage, ce qui lui offre une nouvelle occasion de travailler à sa maitrise. Partager, participer, collaborer, coopérer en sciences et technologie sont autant d’actions qui ouvrent aussi sur un réel exercice de la citoyenneté à l’école.

perspectives 61 Les déesses et les Hard Rockeurs

n Et chez toi, ça va? 58 Des Rencontres enthousiasmantes 58 Mes enfants, c’est toujours les derniers ! 59 Anandi 60 Révolution ! 61 Le crâne d’Hamlet

n Faits et idées 62 Les sciences dans la littérature jeunesse 64 « Plus de maitres que de classes » : pour quoi faire ? 66 Jouer avec sérieux

n Depuis le temps… 68 Des grenouilles en soucoupe volante ? La science n’est plus ce qu’elle était n Le livre du mois 70 Ce que le numérique peut en éducation (revue Diversité)

Nos prochains dossiers

Hors-série numérique

Pourquoi enseigner les langues ? n° 534, janvier 2017

L’éducation artistique et culturelle n° 535, février 2017

Rencontrer le fait religieux à l’école (à paraitre)

Apprendre une langue étrangère, c’est à la fois une évidence pour tous et une difficulté pour chacun. Et les études internationales ne font que confirmer que les Français seraient mauvais en langues. Quelles sont les pratiques qui permettent à l’apprentissage des langues vivantes d’être bénéfique pour nos élèves ?

Pour donner aux jeunes un égal accès à l’art et à la culture, les derniers textes officiels concernant l’Éducation artistique et culturelle mettent l’accent sur la notion de « parcours », qui doit permettre à l’élève de se constituer une culture personnelle, développer son habileté artistique et rencontrer des artistes, des œuvres, des lieux.

Qu’est-ce que rencontrer le fait religieux à l’école ? Comment amener les élèves à réfléchir à une question aussi sensible, et pour cela à dépasser leurs expériences subjectives ? Un HSN qui mêlera articles tirés des archives des Cahiers pédagogiques et d’autres entièrement nouveaux.

Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques 3 782829 107708

05330

10, rue Chevreul, 75011 Paris. Tél. : 01 43 48 22 30 - Fax : 01 43 48 53 21

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Pierric Bergeron

lesommaire

L’Édito

actualités éducatives

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Une refondation à poursuivre ! Cécile Blanchard, avec Catherine Rossignol et Sandrine Sirvent

4 On n’attire pas les futurs professeurs avec du vinaigre 5 « Ma crainte, c’est que l’école se referme » entretien Marie-Rose Moro 6 Objectif 2030 L’actualité de la recherche 7 L’oppression par le genre : une entrave à l’égalité Marie Gaussel La chronique de Nipédu 8 Pédagogie et numérique : envoyez le matos ! Régis Forgione, Fabien Hobart Billet du mois 9 Instruction obligatoire à 18 ans : oui, non, peut-être Philippe Meirieu

DOSSIER

Créer et expérimenter en sciences et technologie Évelyne Chevigny et Roseline Ndiaye

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perspectives n Et chez toi, ça va? 58 Des Rencontres enthousiasmantes

58 59 60 61 61

Hélène Hirrien

Mes enfants, c’est toujours les derniers ! Rachel Harent

Anandi Patricia Bleydorn-Spielewoy Révolution ! Jean-Charles Léon Le crâne d’Hamlet Chantal Dulibine Les déesses et les Hard Rockeurs Aliénor Buget

n Faits et idées 62 Les sciences dans la littérature jeunesse

Clémentine Vallée

64 « Plus de maitres que de classes » : pour quoi faire ? Rachel Harent 66 Jouer avec sérieux Émilie Le Cornec,

Lionel Acquart, Arnaud Lionet, Timothée Vaillant, Francis Fortier

n Depuis le temps… 68 Un homme dans l’espace : la science n’est plus ce qu’elle était !

Yannick Mével

n Le livre du mois 70 Ce que le numérique peut en éducation

Revue Diversité

Conserver oui, mais Freinet À l’heure où l’on célèbre les 50 ans de la mort de Célestin Freinet qui transforma l’école et nourrit toujours le projet de l’éducation nouvelle, les candidats à la primaire de la droite française donnent à voir et entendre des programmes en matière de politique éducative d’un conservatisme consternant. Ils remettent en scène de vieilles recettes dont on sait qu’elles ne fonctionnent plus pour l’enseignement massifié, incapables d’assurer la réussite de tous et ne sachant que reproduire les élites. Outre-Atlantique, Donald Trump a la possibilité de mettre en œuvre son programme pour l’éducation, qui comprend un système local remettant en cause le C ­ ommon Core dont l’ambition était d’harmoniser les enseignements à l’échelle du pays, abandonnant ainsi toute idée de socle commun éducatif Un danger pour les élèves âgés de moins majeur pour de 12 ans. Il engagera le l’avenir des ­School Choice qui entraine la jeunes fin d’un service public d’éduscolarisés » cation en le soumettant à la seule loi du marché. Trump soutient la compétition entre les élèves au sein de l’école en affirmant que cela les rend « plus forts ». Ces mesures s’accompagnent de coupes budgétaires qui se traduiront par la disparition de 300 000 postes d’enseignants. En France, les propositions du Front National et de certains candidats de la droite la plus conservatrice conduiraient aussi à une incroyable saignée pour les écoles publiques. Dans les deux pays, c’est la porte ouverte au libre financement par l’État des écoles religieuses privées et des écoles à but lucratif. Côté enseignants, Trump, comme Marine Le Pen, a mis la rémunération au mérite en tête de ses priorités. Ils soutiennent ce choix largement controversé qui base une partie du salaire d’un enseignant sur les résultats de ses élèves. Des deux côtés de l’Atlantique, ces visions limitées et nocives représentent clairement un danger majeur pour l’avenir des jeunes scolarisés, et des plus vulnérables d’entre eux en particulier. Espérons alors que nos futurs dirigeants n’iront pas puiser leurs projets dans ces marmites ultralibérales et démagogiques bien loin de l’école émancipatrice, des classes coopératives et de l’école du peuple, chers à Freinet. n

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES leblog dumois Maths et puzzles Un blog né en appui d’une exposition conçue par l’IREM et l’Apmep Poitou-Charentes, qui permet d’imaginer toutes les mathématiques qui se cachent derrière les puzzles géométriques. Organisée autour de sept pôles, cette exposition permettra à tout participant, de la maternelle à l’université, de manipuler, chercher, raisonner, ou pour le plaisir : se casser la tête tout en s’instruisant. Une façon ludique de faire des maths. http://blogs86.ac-poitiers.fr/mathspuzzles/

le chiffre

la citation

Le désir d’engagement dans la vie publique progresse chez les jeunes en 2015. 35 % des 18 à 30 ans ont donné bénévolement du temps dans l’année, selon une note de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Les jeunes Français sont plutôt plus engagés que ceux des autres pays européens, assez peu cependant dans les formes conventionnelles de participation politique et sociale, et les jeunes en retrait de la vie économique et sociale s’engagent beaucoup moins que les autres.

« Notre orthographe est telle que les erreurs sont toujours latentes, notamment parce que les marques du pluriel (-s, -nt) ou du féminin (-e) ne s’entendent pas. Dès que notre attention est divertie, on commet des erreurs. »

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https://miniurl.be/r-192a

Michel Fayol, interview dans Libération du 13 novembre 2016 : https://miniurl.be/r-192c

Une refondation à poursuivre ! Mise en œuvre. Deux tables rondes et cinq ateliers sur une journée, pour faire un bilan de la refondation de l’école engagée en 2012 et tracer des perspectives, ou peut-être des lignes jaunes au-delà desquelles le retour en arrière serait dangereux ou catastrophique.

L

«

’heure est au bilan du quinquennat », lance d’emblée Éric Charbonnier, expert international en éducation à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), lors de la première table ronde des Assises de la pédagogie du CRAP-Cahiers pédagogiques, sur le thème « Où en est la refondation, quelles perspectives ? ». Dans l’ensemble, les intervenants de cette table ronde ont salué la philosophie et les objectifs de la refondation de l’école menée durant le quinquennat de François Hollande, mais critiqué des manquements dans l’application. Pas assez de discussions sur les méthodes pédagogiques pour accompagner les enseignants dans la réforme des rythmes en primaire, toujours selon Éric Charbonnier ; une mise en place des nouveaux programmes « sans aide des équipes, sans retour d’expérimentations en amont » pour Patrick Rayou, chercheur en sciences de l’éducation et pilote du groupe d’élaboration des programmes de cycle 4. Qui ajoute : « C’est pourtant utile d’associer les enseignants ! » Caroline Rousseau, professeure de français en collège dans les Yvelines, a pour sa part complété le tableau depuis le terrain. Elle a dit sa satisfaction de constater « l’implication de tous les enseignants et pas seulement de quelques “pédago” fous. Il y a une sorte de réhabilitation de la pédagogie ». Autre bonne surprise, le travail en équipe : « La

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réforme nous a obligés à travailler en équipe, une première dans mon collège, où il y avait des collègues fantômes qui maintenant travaillent avec nous, ont envie d’échanger. » Concernant l’évaluation du DNB (diplôme national du brevet), elle observe qu' « on arrive à quatre niveaux de maitrise qui sont un peu plus pertinents que ce qui existait ». Au rayon des regrets, elle pointe l’ajout de matières et le fait que le DNB reste « un diplôme sanction : de quoi ? pourquoi ? ». Sans remettre en cause les contenus ou la logique des nouveaux

programmes, elle souligne enfin la lourdeur de la tâche lorsqu’il faut les retravailler tous en même temps. Sur cette même question, Patrick Rayou défend la philosophie générale de programmes, définis par cycles et qui ne sont plus une simple addition de disciplines. « Des objectifs sont définis, ainsi que des aides pour étayer les élèves. » Ce qui tranche selon lui avec une certaine « élitisation du système éducatif », dont un symbole est les devoirs à la maison, « basés, pour les plus en difficultés, sur une suite de malentendus ». Concertation et constat partagé

Autres difficultés pointées par Caroline Rousseau : des réunions « épiques » sur

En complément De nouveaux principes d’orientation pour le CRAP-Cahiers pédagogiques Au commencement était un atelier organisé lors de l’assemblée générale du CRAP-Cahiers pédagogiques d’octobre 2015. Les participants à cet atelier ont jugé nécessaire de rédiger un nouveau texte présentant les principes d’orientation de l’association, le précédent datant de 1984. Pas de remise en cause en profondeur, mais une adaptation, ou plutôt une mise au gout du jour. Conseil d’administration et comité de rédaction des Cahiers pédagogiques ont donc travaillé ensemble sur une nouvelle version du texte, qui a ensuite été soumise aux adhérents pour commentaire et amendement. Une version consolidée à partir de leurs remarques a été adoptée par le conseil d’administration de septembre 2016, puis présentée lors de l’assemblée générale d’octobre 2016. Le premier de ces principes est ainsi rédigé : « Les choix pédagogiques renvoient à des choix de société ; ceux du CRAP-Cahiers pédagogiques sont la justice et l’équité sociales et une démocratisation réelle du savoir dans une école inclusive. L’école et la société font des enfants et des adultes des acteurs dans la construction de leurs savoirs et de leurs choix. » Le texte complet : http://www.cahiers-pedagogiques.com/IMG/pdf/principes.pdf

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES

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Àliresurnotresitewww.cahiers-pedagogiques.com ■■ Portrait

Dans l’enseignement agricole, il a exercé plusieurs métiers : formateur pour adultes, enseignant en éducation socioculturelle, directeur de centre de formation. Aujourd’hui, chargé de mission à la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture, de la forêt en Bourgogne-Franche-Comté, Emmanuel Monnier nous fait visiter un système éducatif qui a tout d’un service public pour le monde rural, sous la plume de Monique Royer. https://miniurl.be/r-192d

■■ Antidote n° 5

L’orthographe fait partie des passions françaises contemporaines, l’évoquer suscite des réactions excessives : face au sacré, la raison se tait ! On en fait souvent même l’alpha et l’oméga de toute culture. Mais tout au contraire, elle obéit à des logiques rationnelles et son enseignement doit gagner en efficacité pour permettre de consacrer du temps à d’autres apprentissages tout aussi essentiels.. https://miniurl.be/r-192e

les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). « Il faut mettre en place la réforme, oui, mais comment ? Une réunionite aigüe s’installe peu à peu dans les établissements. Nous avons eu onze réunions en un mois et demi, sans compter celles faites de manière informelle. » Trop de concertation, au risque de tuer la motivation ? La concertation apparait pourtant comme le maitre mot d’une réforme réussie. Éric Charbonnier confirme que « c’est difficile partout dans le monde de mettre en place une réforme. Ce qui ressort, c’est que quand ça marche, c’est qu’il y a eu concertation ». Il rappelle l’absence de « choc PISA » en France : « Après publication des résultats de la première enquête, il n’y a pas eu ici de prise de conscience comme en Allemagne, mais une tentative de justifier les résultats médiocres qui s’est révélée être une perte de temps. En Allemagne, malgré l’organisation en Länder qui complexifie les choses, il y a eu un an de concertation. La mise en place de la réforme a eu lieu sans contestation par la suite. » Avant la concertation, il faut donc un constat partagé. Jean-Paul Delahaye considère qu’« à l’époque où Vincent Peillon est arrivé au ministère, le bilan était partagé par l’ensemble des Français ». Il renvoie à l’article premier de la loi de refondation de 2013 qui reprend les raisons qui ont motivé son adoption : l’échec de 30 % des élèves français, les écarts qui se creusent. Il s’agissait de « redonner la priorité à ceux qui sont en très grande difficulté ».

■■ Justice

L’école est traversée par tous les débats qui agitent ou parfois déchirent la société. Ceux concernant la question de la justice y sont particulièrement vifs et doivent être envisagés dans différentes dimensions. Quelles réponses peuvent apporter les pédagogues au sentiment d’injustice ressenti par nombre d’élèves et aux conditions objectives des injustices vécues à l’école ? Entretien avec les coordinatrices du dossier. https://miniurl.be/r-192f

Pour Éric Charbonnier, l’un des enjeux est d’« accepter que tout n’est pas parfait et d’améliorer ce qui est à améliorer. C’est ce qu’ont réalisé les pays qui ont réformé leur système éducatif ». Dans la salle, lors de cette table ronde comme lors des ateliers organisés l’après-midi et de la restitution de ceuxci par des grands témoins, se sont fait jour des inquiétudes concernant l’aprèséchéances électorales du printemps 2017. C’est à nouveau Jean-Paul Delahaye qui répond : «  On n’est pas à l’abri de solutions paresseuses, qui suivent la logique “puisque c’est impossible de faire réussir tout le monde, on ne le fait plus”. Il faut

■■ Numérique

Dans les nouveaux programmes de l’école primaire et le nouveau socle commun, le numérique prend une importance grandissante. Pas seulement comme un outil, mais intégré à une conduite quotidienne de classe. Sébastien Bernard utilise un environnement numérique de travail et un site de microblogging, pour travailler à la fois les « usages responsables » d’internet d’une part, et la production écrite numérique. https://miniurl.be/r-192g

faire entendre que la réforme ne nuira pas à ceux qui réussissent, au contraire ! Car faute de consensus, la refondation ne sera qu’une suite de décisions techniques. » Et qui dit techniques, dit faciles à supprimer. Cette fois encore, la formation, initiale comme continue, est apparue comme un rempart. Avec son cortège de questions : est-ce que cela peut se faire sans toucher au verrou du temps de service des enseignants ? Quelles obligations ? Avec quels moyens ? n Cécile Blanchard, avec Catherine Rossignol et Sandrine Sirvent

L’école de Vidberg

Intérêt général

Mais il alerte sur le fait que « la France a encore trop de difficultés à construire une politique scolaire d’intérêt général. L’Éducation nationale ne devrait pas être le seul ministère concerné. »

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES mouvements pÉDAGOGIQUES ■■ Innovation

Le Cniré (Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative) a enfin une page web dédiée sur le site de l’Éducation nationale. On y trouve notamment les deux rapports déjà remis à la ministre de l’Éducation nationale, en 2014 et 2016. Le troisième et dernier rapport sera présenté le 29 mars 2017 lors de la prochaine Journée de l’innovation. Présidé depuis fin septembre par Philippe Watrelot, ancien président du CRAP-Cahiers pédagogiques, le conseil a été en partie renouvelé et élargi. Le site présente aussi les principaux axes de travail du conseil. https://miniurl.be/r-192h

■■ Récits de travail

La coopérative Dire le travail publie Mines de faire #1 et #2, recueils de petits textes variés racontant le travail, de l’ambulancier au brocanteur, du médecin qui affronte Ebola, à l’exingénieur devenu animateur dans l’éducation populaire. Des textes qui débordent de sincérité et d’humanité, on a envie de rencontrer tous ces gens. Et il y a même quelques enseignants ! À acheter (8 € le volume) et à lire. http://www.direletravail.coop/

■■ Solidarité internationale

Dans le cadre de sa Rentrée solidaire, Solidarité Laïque a coproduit, en partenariat avec les éditions Milan, un dessin animé de deux minutes, conçu pour les enfants de 8 à 14 ans qu’il interroge sur « c’est quoi la solidarité internationale ? ». Solidarité Laïque estime que « ce format très court est un support idéal pour entamer un débat et un échange avec les enfants autour de cette valeur et notion, et aussi pour évoquer les pistes concrètes pour être solidaire, même, et surtout, quand on est enfant ». Le dessin animé en ligne : https://miniurl.be/r-192i

■■ Réfugiés

Le 25 octobre 2016, vingt-cinq personnes de nationalités afghane et soudanaise sont arrivées au centre d’accueil et d’orientation de Saint-Beauzire (Haute-Loire), géré par la fédération Léo Lagrange. De novembre 2015 à fin avril 2016, ce centre d’hébergement avait déjà accueilli une soixantaine de personnes de nationalités afghane, irakienne, iranienne, tchadienne et soudanaise. https://miniurl.be/r-192j

■■ Engagement

Le site Questions de classe (s) publie un billet suite à l’élection de Donald Trump aux ÉtatsUnis : « Contre la haine, tisser les solidarités du quotidien ». On y lit : « C’est si facile de s’indigner, de “dénoncer”, de redire que c’est un xénophobe, un raciste, etc., etc. […] Ce qui compte pour nous, enseignants engagés, c’est ce que nous pouvons faire. » https://miniurl.be/r-195q

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On n’attire pas les futurs professeurs avec du vinaigre Métier. Peut-on compter sur la vocation pour recruter les futurs enseignants exerçant en France ? Il semblerait que oui, selon le rapport du Cnesco (Conseil national de l’évaluation du système scolaire) rendu public le 7 novembre dernier. Peut-être vaudrait-il mieux compter aussi sur une solide formation, initiale puis continue.

C

’est plutôt une bonne nouvelle : « En 2016, le métier d’enseignant attire toujours les jeunes, non pas en raison de la sécurité de l’emploi, des vacances ou par défaut en temps de crise économique, mais parce qu’il fait sens et suscite un désir d’engagement auprès des enfants et des adolescents », assure ­Nathalie Mons, présidente du Cnesco. Il est même pour certains « vécu comme une vocation », car « envisagé dès l’enfance par une partie des étudiants qui se destineraient à ce métier ». Pour autant, le métier « n’est pas idéalisé, les niveaux de salaires et les heures de travail sont évalués assez justement par les étudiants ». Tout le paradoxe est dans cette attractivité maintenue (ou retrouvée) d’un métier pourtant perçu comme dévalorisé ou, en tout cas, peu prestigieux. Ces observations s’appuient sur le rapport rendu public par le Conseil le 7 novembre dernier, intitulé Attractivité du métier d’enseignant, état des lieux et perspectives, et auquel ont contribué Pierre Périer, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Rennes 2, et Marc Gurgand, directeur de recherche au CNRS, chercheur à l’École d’économie de Paris, membre du Cnesco.

qué envisager passer l’un des concours de l’enseignement. Le rapport souligne aussi que les concours sont de plus en plus ouverts à de nouveaux publics, et observe en particulier « un fort développement des secondes carrières vers l’enseignement », avec, en 2015, 25 % des admis au concours de professeur des écoles qui étaient salariés du public et du privé ou demandeurs d’emploi. Cependant, ces constats « ne doivent pas occulter des difficultés réelles sur le front de l’emploi enseignant », alerte le Cnesco. Certaines académies présentent des difficultés jugées « sévères  » en matière d’attractivité. Notamment celles de Versailles et Créteil, qui sont aussi celles qui ont le plus besoin de recruter. Et dans le secondaire, des disciplines comme les mathématiques, les lettres ou l’anglais demeurent déficitaires. La proportion de postes non pourvus aux Capes externes de 2016 était ainsi de 21 % en mathématiques, de 18 % en lettres modernes et de 13 % en anglais. Pour le Cnesco, « une baisse durable suivie d’une augmentation soudaine des recrutements contribue à alimenter, mécaniquement, l’effet de crise du recrutement ». À bon entendeur… n Cécile Blanchard

de nouveaux publics

D’après l’enquête exploratoire du Cnesco, plus de quatre étudiants sur dix en mathématiques (46 %), en anglais (41 %) et en histoire (40 %), et 36 % en sciences de la vie et de la Terre, ont indi-

Pour en savoir plus Retrouvez l'ensemble du dossier de ressources

sur ce thème sur le site du Cnesco : https://miniurl.be/r-195s

Huit leviers pour rendre le métier enseignant plus attractif 1. Valoriser l’image de l’enseignant, auprès des élèves et du grand public. 2. Inscrire les politiques de recrutement dans la durée. 3. Attirer des profi ls plus diversifiés. 4. Sécuriser l’entrée dans le métier. 5. Développer des incitations financières et matérielles pour les néotitulaires. 6. Assurer une formation continue obligatoire et de qualité. 7. Proposer des dispositifs de mobilité plus flexibles. 8. Reconnaitre la diversification des missions et soutenir les secondes carrières.

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES

« Ma crainte, c’est que l’école se referme » Ouvertures. Connue comme chef de service de la Maison de Solenn, psychiatre d’enfants et d’adolescents, psychanalyste, Marie-Rose Moro est le chef de file actuel de l’ethnopsychanalyse et de la psychiatrie transculturelle en France. Une interlocutrice autorisée, donc, pour aborder le rapport à l’école des enfants issus de l’immigration.

des langues devient une richesse pour tous et permet la rencontre et l’enrichissement mutuel. La langue arabe devient alors une chance et pas un indice de repli et de séparation.

Vos souvenirs d’école sont-ils de bons souvenirs ?

À l’approche des prochaines élections, qui vont raviver des polémiques sur l’école et l’éducation, quelle est votre crainte quant au devenir de l’école ? Quel est votre espoir ?

Mes souvenirs sont excellents, à la fois tendres et nostalgiques, sauf un : à la maternelle, j’ai reçu une gifle car je ne comprenais pas ce que disait la maitresse en français. C’était mon premier jour d’école en France et ma langue maternelle est l’espagnol. Ce jour-là je me suis dit : «  Ça ne m’arrivera jamais plus ! » Et c’est comme cela que ça s’est passé ! Beaucoup d’élèves souffrent à l’école aujourd’hui : ils n’y trouvent pas leur place, n’y développent pas le gout d’apprendre. Comment comprenez-vous ces souffrances ?

Souffrir à l’école est une tragédie et c’est vrai que c’est fréquent aujourd’hui. Trop fréquent. Cette situation est la résultante de plusieurs facteurs : méthodes pédagogiques pas adaptées à certains enfants, ambiance scolaire pas rassurante, familles très angoissées par rapport à leurs enfants ou à leur réussite, jeunes qui peuvent avoir des fragilités comme un doute très important sur eux-mêmes et une estime d’eux-mêmes très basse. Il faut prendre ces situations très au sérieux et les évaluer pour aider ces jeunes à retrouver le chemin de l’école. Mais c’est tout à fait possible de les aider avec des soins et des aménagements du projet scolaire. La sensibilisation de l’école à ces sujets est très importante pour recréer les conditions d’un bienêtre et d’un bonheur à l’école. Ce qui est un gage de réconfort et de réussite pour longtemps. Vous titrez un de vos récents billets de blog « Les enfants de migrants, une chance pour l’école ». Comment en convaincre ceux qui les perçoivent comme une menace ?

C’est un billet de mon blog et le titre d’un de mes livres paru chez Bayard en 2015. Il démontre que reconnaitre cette diversité des enfants avec leur langue, leur histoire, leur famille non seulement

leur fait du bien et leur permet d’apprendre avec bonheur et efficacité, mais en plus, cela fait du bien à tous les élèves qui apprennent ainsi la mixité, la fraternité et la possibilité d’être des élèves adaptés à un monde contemporain qui bouge et qui est pluriel. Parler plusieurs langues est une chance pour tous, connaitre l’histoire du monde aussi. Or, les enfants de migrants portent ces langues et ces histoires. Elles ne sont pas bonnes seulement pour eux, mais aussi pour tous les enfants de la République qui ont tout à gagner à se sentir capables de parler plusieurs langues et à connaitre l’histoire du monde ou les conflits géopolitiques qui, par exemple, ont poussé les parents migrants à quitter l’Algérie hier ou la Syrie aujourd’hui. Vous seriez favorable à une place plus grande donnée par l’école aux langues maternelles ?

Je suis très favorable à ce que l’école donne une plus grande place aux langues maternelles de tous les enfants et que ces langues soient accessibles à tous. Si on permet l’enseignement ou la sensibilisation des enfants à l’arabe dialectal du Maroc dans une école, par exemple, il est important que tous les enfants de cette école puissent bénéficier de cette langue et pas seulement les enfants dont c’est la langue maternelle. C’est comme cela que la diversité

Ma crainte, c’est que l’école se referme et s’éloigne des familles et de la société. Mon espoir, qu’elle accepte de voir les jeunes tels qu’ils sont, les familles aussi, et ainsi qu’elle aide les enfants et adolescents à être des gens compétents et heureux. L’école le peut et la société a tout à y gagner. Mon espoir, c’est aussi le désir des enseignants de se former, de connaitre ce qui, dans d’autres disciplines, peut les aider à mieux faire avec les enfants. J’y vois un grand espoir de changement pour une école qui doit s’ouvrir de plus en plus sur le monde. Est-ce à dire qu’il faudrait modifier la formation actuelle des enseignants ?

Dans notre société complexe, la formation des enseignants comme de tous ceux qui s’occupent d’enfants et d’adolescents doit se modifier, avec plus d’apports en psychologie des enfants et des adolescents (discipline qui a fait d’énormes progrès ces dernières années), mais aussi une sensibilisation à la psychologie transculturelle et une éducation à la diversité, comme le prévoient les textes européens. Cela signifie en pratique sans doute moins de formation disciplinaire, plus de stages et une formation continue obligatoire, comme le préconise le récent rapport du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) qui se demande à quelles conditions l’école peut réduire les inégalités, ce qui est une tâche ô combien noble et nécessaire. n

Décembre 2016

Marie-Rose Moro Propos recueillis par Nicole Priou

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES EN BREF Éthique

Appel. 2D2E (Droit déontologie

éthique en éducation) organise sa première université d’été à Marseille les 8 et 9 juillet 2017, sur le thème « Violences des élèves, éthiques des adultes ». L’association lance un appel à contributions, pour des communications de type universitaire, des réflexions sur l’évolution récente, en France, des attitudes des adultes, du droit scolaire, de l’éthique de l’institution, des témoignages, de l’école maternelle aux classes préparatoires, sur des faits vécus et des études de cas réels. Les propositions (cinq à dix lignes dactylographiées sur une fiche) sont à faire parvenir à 2D2E avant fin mars 2017 à : bureau@2d2e.fr.

14-18

Documents. À l’occasion des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, le ministère de l’Éducation nationale et L’Illustration donnent un accès gratuit à l’ensemble des professeurs des collèges et lycées de France aux articles et numéros de L’Illustration relatifs à l’histoire de ce conflit. Les enseignants pourront consulter librement sur la plateforme dédiée l’ensemble des numéros (plus de 5 000) parus entre 1912 et 1920. Cette consultation sera gratuite pendant toute la durée des commémorations du centenaire, jusqu’au 31 décembre 2018. www.lillustration.com

Salon du livre jeunesse

Ouverture. Le Salon du livre et de la presse jeunesse accueillera 450 exposants et 700 rencontres du 30 novembre au 5 décembre à Montreuil (Seine-Saint-Denis). La thématique de cette édition est « Sens dessus dessous ». Programme sur le site www.slpj.fr

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Concours. L’association Théâtre de la nuit propose un concours de photos « Le Grand Paris vu de nos fenêtres », à destination de ceux qui habitent ou travaillent en région parisienne et qui sont invités à prendre jusqu’à huit photos depuis leur fenêtre et à les déposer sur le site dédié. Des expositions sont prévues dans différents endroits de la région. www.vudenosfenetres.com

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Objectif 2030 Développement. Les représentants des pays d’Europe et d’Amérique du Nord se sont réunis fin octobre au siège de l’Unesco, à Paris, pour faire le point un an après l’adoption de l’Objectif de développement durable pour l’éducation des Nations unies.

L

’Agenda mondial pour l’éducation, ou Éducation 2030, est le quatrième des dix-sept objectifs de développement durable des Nations unies qui composent le programme de développement durable pour 2030. Il est libellé ainsi : « Assurer une éducation inclusive et équitable de qualité et promouvoir des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie pour tous ». Les problématiques d’éducation sont également incluses dans plusieurs des seize autres objectifs définis par l’ONU : la santé, la croissance et l’emploi, la consommation et la production durables et le changement climatique. Les 24 et 25 octobre derniers, s’est tenue une Consultation régionale Europe et Amérique du Nord sur cet objec-

tif n° 4, dans le cadre d’une série de réunions régionales qu’organise l’Unesco, « afin d’examiner les progrès accomplis et les défis que rencontrent les systèmes éducatifs nationaux vis-à-vis des engagements pour 2030 ». Éducation inclusive

L’organisation précise que l’éducation des réfugiés, l’éducation des citoyens au changement climatique et les futures compétences requises pour prévenir l’extrémisme violent ont fait partie des thèmes discutés, ainsi que l’éducation inclusive, sous des angles propres aux différents pays : celui des enfants des « premières nations » (les peuples autochtones canadiens) pour le Canada, avec la question de promotion de la culture et des langues autochtones ; celui des enfants roms et de leur éducation préscolaire pour la Slovaquie ; celui des enfants des populations immigrées confrontées à l’obstacle significatif de

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la langue pour la France, et même celui des migrants adultes pour la Suède. Pour sa part, Stanislav Štech, viceministre de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports de la République tchèque, considère que toute extension des services éducatifs impliquera un changement des mentalités, car « une société qui refuse ou n’est pas totalement ouverte à une éducation inclusive réduit la qualité de l’éducation ». Par rapport aux précédents agendas internationaux, le programme Éducation 2030 entend aller au-delà de l’éducation de base, et traite notamment de l’enseignement supérieur et des secteurs non formel et informel. À propos de l’enseignement supérieur, la Russie, par la voix de son vice-ministre de l’Éducation et de la Science, a ainsi annoncé vouloir « surmonter les obstacles au développement de l’innovation par une coopération internationale plus intensive et par le renforcement des liens entre l’industrie et les universités ». La conférence a également abordé la question de l’aide des pays d’Europe et d’Amérique du Nord aux pays à revenu faible et à revenu intermédiaire. n La rédaction

Pour en savoir plus La page du site de l’Unesco consacrée à Éducation 2030 : https://miniurl.be/r-196q


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ACTUALITÉSÉDUCATIVES

l’actualité de la recherche

ife. ens-lyon.fr/vst

L’oppression par le genre : une entrave à l’égalité Marie Gaussel, chargée d’études et de recherche, service Veille et analyses de l’IFÉ (ENS de Lyon)

L

es questions d’égalité entre filles et garçons, femmes et hommes sont plus que jamais au cœur de nombreux débats. Michèle Obama, dans un discours récent, rappelle que le degré d’émancipation des femmes, la façon dont elles sont considérées, reflète le niveau de civilisation d’une société. L’égalité de droit en éducation est soutenue par de nombreux textes de lois qui restent néanmoins sans effets réels au sein des établissements scolaires. Un paradoxe flagrant est la coexistence de ces discours d’égalité entre femmes et hommes et une forte catégorisation des femmes, qui restent dominées dans la majorité des sphères de la société. Que se passe-t-il entretemps ? Quels sont les freins à une véritable égalité entre les sexes ? De nombreuses recherches se sont penchées sur le développement de l’identité sexuée liée à un genre. Sans doute est-il nécessaire de rappeler ici qu’il n’existe pas de théorie du genre, mais des recherches en sciences sociales sur le genre qui ont mis en évidence un concept renvoyant à de multiples objets comme la sexualité, la famille, le travail, la culture et le droit. Ces travaux ont étudié la construction du genre féminin et du genre masculin à partir des représentations des rôles sexués qui leur sont attribués, variables d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre. Deux sens sont généralement donnés au concept de genre. Une première définition associe le genre à un ensemble d’attributs psychologiques et comportementaux censés différencier les femmes des hommes (ce qui est propre aux femmes ou aux hommes). Cette acception prend une coloration naturaliste dans le sens commun, et permet de catégoriser les individus selon leur sexe, en choisissant la différence anatomique comme représentante d’un ordre naturel.

Mais la biologie elle-même ne semble pas formelle sur la distinction de ce qui constitue le féminin et le masculin. Avant la naissance, il n’y a pas de différence entre les cerveaux, sauf pour certaines propriétés qui régulent le type et la quantité d’hormones liées aux fonctions reproductives. Ce sont ces hormones qui vont induire le développement des éléments sexuels et physiques du corps comme la pilosité, les seins, les masses graisseuses et musculaires. Ces différences anatomiques sont variables d’un individu à l’autre, selon un vaste continuum de traits dits féminins et masculins. Ainsi, la sexualisation du cerveau s’effectue au stade embryonnaire, mais uniquement de façon physiologique et pas de façon cognitive. Aucune étude n’a pu prouver que la constitution des réseaux neuronaux lors des apprentissages différait d’un sexe à l’autre. Il n’y a pas de variations au départ (90 % des connexions entre neurones s’effectuent après la naissance) entre les cerveaux mâles et les cerveaux femelles en termes de capacité ou de comportement intellectuel. IntÉriorisation des normes

Un deuxième sens, plus sociopolitique et issu des recherches féministes, est attribué au concept de genre qui exprime alors un système de normes hiérarchisées construit et intériorisé dès le plus jeune âge. Ces normes affectent aux unes et aux autres des conduites qui non seulement les distinguent, mais les hiérarchisent au sein de la sphère privée, sociale, politique et économique, légitiment les inégalités qui en découlent et justifient la dominance du principe masculin sur le principe féminin. Un premier frein à la reconnaissance de l’égalité entre filles et garçons est lié à cette construction sociale de l’identité qui se développe selon des rôles sexués attachés aux filles et aux garçons. Construits dès le plus jeune âge lors des primes socialisations dans la famille puis dans les structures d’accueil, ces rôles sexués donnent naissance à des

stéréotypes sur l’éducation des enfants, qui se perpétuent au niveau de l’orientation puis dans le milieu professionnel, car largement partagés par les parents, les professionnels de la petite enfance et par la société en général. Ces représentations stéréotypées freinent aussi une véritable égalité par le fait que les filles développent des sentiments d’incompétence et un manque d’estime de soi qui impactent leur réussite scolaire et leurs choix d’orientation. Certaines filières apparaissent aux filles comme peu compatibles avec l’idée qu’elles ont (et qu’on leur a transmise) de la place et du rôle des femmes dans la société et notamment celui de mère. Les attitudes sexistes (attitudes discriminatoires adoptées à l’encontre des personnes de sexe féminin) conduisent également femmes et filles à adapter leurs comportements aux attentes stéréotypiques, sur le plan physique, social et au niveau de leurs compétences professionnelles ou scolaires. Dans ce cercle vicieux, l’intériorisation de ces croyances, validées par le comportement qui en découle, renforce les rôles genrés en les faisant apparaitre comme naturels. La prise en compte de ce processus par les enseignants est donc primordiale, ainsi qu’une prise de conscience des représentations sexuées qu’ils affichent en classe, consciemment ou non. n Marie Gaussel Pour en savoir plus Marie Gaussel, « L’éducation des filles et des garçons : paradoxes et inégalités », Dossier de veille de l’IFÉ n° 112, 2016. En ligne : https://miniurl.be/r-16wa Brigitte Gresy et Philippe Georges, Rapport sur l’égalité entre les filles et les garçons dans les modes d’accueil de la petite enfance, Inspection générale des affaires sociales, 2012. Catherine Vidal, « Le cerveau, le sexe et l’idéologie dans les neurosciences », L’orientation scolaire et professionnelle, vol. 31, n° 4, p. 495-505, 2002. Françoise Vouillot, « L’orientation aux prises avec le genre », Travail, genre et sociétés, vol. 18, n° 2, p. 87-108, 2008.

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ACTUALITÉSÉDUCATIVES appelà contribution Cheminement d’élève et parcours avenir Coordonné par Peggy Colcanap et Richard Étienne ■■ L’individualisation du parcours a souvent laissé les élèves à distance et les professionnels démunis. Le parcours avenir est une nouvelle étape. Le changement de nom met toujours en avant la notion de parcours en la liant à celle d’accompagnement personnalisé. Nous vous proposons de l’explorer ainsi que les nombreuses questions qui restent en suspens.

L’enseignement professionnel Coordonné par Sabine Coste et Nicole Priou ■■ Depuis la sortie du n° 484 des Cahiers pédagogiques, « Au lycée professionnel » en novembre 2010, de nombreux changements sont intervenus qui justifient une nouvelle publication faisant un nouveau point sur l’enseignement professionnel aujourd’hui.

Pouvoir d’agir et autonomie Dossier coordonné par Michèle Amiel et Gwenaël le Guével ■■ Prendre des initiatives, engager un processus de décision, animer une équipe, faire la médiation d’un conflit entre personnels, mettre en place une innovation, organiser des pratiques d’échanges professionnelles, évaluer l’efficacité d’un dispositif complexe… Au bout du compte, l’augmentation du pouvoir dans un établissement autonome, c’est celle du chef ou celle des personnels ?

Les tâches complexes Coordonné par Christophe Blanc et Florence Castincaud ■■ Depuis la loi instituant le socle commun, les enseignants sont incités à recourir aux « tâches complexes » dans leurs classes. Les Cahiers pédagogiques ont publié un dossier sur ce sujet en 2014. Pourquoi reprendre cette question trois ans après ? Pour poursuivre la réflexion et l’affiner face au foisonnement de propositions présentes dans de nombreuses publications et sur Internet, et nous aider à faire des choix pédagogiques et didactiques plus pertinents à partir de nos tentatives, échecs, réussites.

Les appels à contribution complets sont à lire sur notre site : www.cahiers-pedagogiques.com/-Appels-acontributionPour tout contact : prenom.nom@cahiers-pedagogiques.com.

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NIPÉDU

nipcast.com/category/nipedu

Nipédu est un podcast qui parle école, éducation et numérique.

Pédagogie et numérique : envoyez le matos !

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arlez de pratiques pédagogiques utilisant le numérique et on vous parlera matériel. Normal, nous direz-vous ? Parce que faire du numérique sans équipement, c’est tout de suite beaucoup plus compliqué. D’ailleurs, le message présidentiel sur le numérique éducatif ne va-t-il pas dans ce sens ? De nombreuses académies ou collectivités territoriales n’ontelles pas déjà été à l’initiative d’actions pilotes pour équiper les classes ? Qu’entend-on exactement par appareillage numérique ? Loin de nous l’idée de dresser un inventaire exhaustif, mais reconnaissons-le : le tableau blanc interactif est un outil pratique, les tablettes semblent indispensables, et que dire d’un réseau sans fil puissant et paramétré pour garantir la sérénité de tous les utilisateurs de l’école ! Quelle qu’en soit l’impulsion, une fois le projet d’équipement sur les rails, dans l’idéal vient alors le temps de la concertation : financeurs, cadres, équipes enseignantes se retrouvent pour déterminer le type de matériel, aborder les questions fondamentales liées à la maintenance, aux nécessaires dimensions techniques et identifier quelques applications ou programmes à installer. Et, pour compléter, on propose aux enseignants des formations qui leur permettront de prendre en main ces nouveaux instruments. Au-delà des aspects de prise en main du nouvel équipement, ces temps de formation s’appuient généralement sur des pratiques engageantes conçues et déployées en classe par des collègues que l’on dit souvent « innovants ». Ces pratiques ont d’ailleurs été mises en valeur par l’institution dans ses espaces de ressources ou lors des manifestations dédiées au numérique éducatif, par les médias spécialisés, les industriels ou, plus anecdotiquement, par les éditeurs scolaires.

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Le plus étonnant dans ces dispositifs de classe, c’est que leurs concepteurs ne semblent pas avoir attendu l’équipement pour les mettre en pratique. Apporter son matériel

Passons sur le fait que la plupart des enseignants n’ont pas attendu que le BYOD (Bring Your Own Device, soit « apportez votre propre matériel ») devienne un mot à la mode pour rapporter de chez eux du matériel, des ressources ou des fournitures personnels. Les pratiques inspirantes présentées en formation ont souvent vu le jour sur le smartphone ou la tablette de l’enseignant connectés au réseau cellulaire. L’équipement est alors venu par la suite, du fait d’une dynamique vertueuse. Comme un écho à l’émergence des pédagogies actives à l’aube du XXe siècle, elles trouvent bien souvent leur source dans des contextes d’enseignement spécifiques ou répondent à des besoins particuliers. Il peut plus spécifiquement s’agir d’initiatives d’aficionados de nouvelles technologies. Ces professionnels surtout curieux et soucieux de faire résonner développement personnel, vitalité intellectuelle et efficience professionnelle, sont partis de peu en termes d’équipement, mais avec une évaluation solide des profils de leurs élèves, du contexte d’enseignement, des objectifs prioritaires d’apprentissage et des leviers didactiques pour y parvenir. Parmi de nombreuses hypothèses de travail pour répondre à ces objectifs, ils ont bâti des scénarios pédagogiques qui intégraient des solutions numériques. C’est pour nous ce qui fonde la pertinence, l’efficacité, la cohérence de leurs pratiques numériques, qui ne sont avant tout que de solides pratiques pédagogiques. n Régis Forgione, Fabien Hobart


BILLET

Philippe Meirieu

DUMOIS

Instruction obligatoire à 18 ans : oui, non, peut-être Disons-le tout net : oui, il faut prolonger l’instruction obligatoire à 18 ans[1]. Parce que la complexité du monde exige de chacune et de chacun un haut niveau de formation. Parce que l’accès à l’abstraction est devenu indispensable pour faire face aux enjeux personnels et professionnels de la modernité. Parce que la pratique de la pensée n’est nullement incompatible avec une activité manuelle, bien au contraire : le travail exigeant de fabrication constitue une véritable « écologie de l’attention », nécessaire aujourd’hui à toutes et tous. Parce qu’une démocratie authentique, enfin, ne peut pas structurer son système éducatif sur le principe de la distillation fractionnée et laisser ses enfants se répartir naturellement en concepteurs, exécutants, chômeurs et gêneurs. Mais non, il n’est pas possible, pour autant, de faire du lycée d’enseignement général le modèle explicite ou implicite de l’excellence. Il n’est pas acceptable de laisser se pérenniser l’orientation par défaut qui contredit dans les faits « l’égale dignité des voies de formation » sans cesse proclamée, jamais mise en œuvre. Il n’est pas possible, non plus, d’ignorer que des adolescents et des jeunes adultes peuvent avoir des manières différentes d’apprendre, des temporalités hétérogènes, des sensibilités particulières qui les rendent disponibles à certaines situations et réfractaires à d’autres. 1  Nous parlons bien, dans l’état actuel du code de l’éducation (article L131-1), d’instruction obligatoire et non de scolarité obligatoire. Même si on peut le regretter (c’est un autre débat), en France, c’est l’instruction qui est obligatoire et non la scolarité.

Alors, oui, il faut un lycée pour tous et un lycée pour chacun. Oui, il faut, au sein des lycées, des unités pédagogiques à taille humaine sur le modèle des Microlycées. Il faut un enseignement par unités de valeur (certaines communes, Toute ambition d’autres spécifiques) institutionnelle pour permettre l’orgadoit être nisation de cursus différenciés. Oui, il accompagnée d’une ambition faut transformer radipédagogique. » calement le baccalauréat pour qu’il soit le moyen, pour chacune et chacun, de faire la preuve de ses capacités à concevoir et à réaliser un chef-d’œuvre où s’éprouvera l’exigence de précision, de justesse et de vérité nécessaire dans toute vie professionnelle et citoyenne. Mais peut-être ces mutations nécessaires ne seront-elles pas suffisantes ? Car aucune réforme ne résoudra jamais la contradiction constitutive de toute scolarisation : l’instruction est obligatoire, mais l’apprentissage ne se décrète pas. Autant dire que toute ambition institutionnelle doit être accompagnée d’une ambition pédagogique : celle de permettre aux enseignants d’inventer sans cesse des situations et des médiations nouvelles. Avec une obstination sans faille. Mais avec la conscience, aussi, que nulle recette miracle, qu’elle vienne des neurosciences, du management ou d’ailleurs, ne viendra jamais clôturer l’interrogation pédagogique. Alors oui à l’instruction obligatoire à 18 ans, non à l’hégémonie du lycée d’enseignement général et, en pédagogie, restons dans l’obstination du « peut-être ». Car la pédagogie est toujours une entreprise risquée. Ce n’est pas sa limite, c’est sa grandeur. n Philippe Meirieu est chercheur en pédagogie et professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Lumière-Lyon.

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dossier

Créer et expérimenter en sciences et technologie

Vive les sciences expérimentales ! « Ah ! ce n’est pas dans la science qu’est le bonheur mais dans l’acquisition de la science ! Savoir pour toujours c’est l’éternelle béatitude ; mais tout savoir ce serait une damnation de démon. » Edgar Allan Poe, Puissance de la parole, 1845.

les mettant en situation de mettre à l’épreuve ce qu’ils aimeraient affirmer, sans en être sûrs ? Dur Professeure de sciences physiques et chimiques en collège dur de reconnaitre que l’on n’est pas sûr de ce qu’on et formatrice à l’ESPÉ de Grenoble affirme ! Et pourtant, là est probablement le nœud d’une attitude scientifique. Éprouver ses hypothèses passe souvent par la pratique. Vécue par les élèves Roseline Ndiaye comme ludique, voire construite pour être ludique, Professeure de sciences de la vie et de la Terre en collège quels rôles joue exactement l’expérience ? Dans quel cadre pédagogique doit-elle être insérée pour partiLes scientifiques s’émerveillent de trouver ciper à la déconstruction de représentation et à la à la nature des raisons et des régularités, ou, au reconstruction d’un savoir, sans occuper la place contraire, de la façon dont elle échappe au déter- simpliste de preuve par les faits ? Ces questions minisme, ils s’enchantent des lois qu’ils lui attri- constituent le second axe de notre dossier. buent, transformant ainsi leur vision du monde et Les sciences, c’est l’affaire de tous ! Les contribula nôtre. Nul n’est physicien si, face tions reçues pour ce dossier illustrent au mouvement d’un corps, il ne voit comment la réflexion scientifique interen filigrane des billes qui roulent sur Est-ce le savoir ro g e n os c roya n c es, a i d a n t à un plan incliné, heurtant et faisant qui compte ou déconstruire le dogme ; comment elle tinter des clochettes. Nul n’est chimiste est-ce le savoir s’invite à l’occasion d’un petit évènes’il n’imagine derrière toute transfor- penser ? ment incongru qui sera l’occasion d’une exploration collective par le mation des atomes qui se lient et se délient. Nul n’est technologue s’il groupe classe, mobilisant alors des n’analyse tout dispositif de manière systémique. Nul facultés de collaboration, d’argumentation ; comment n’est biologiste s’il n’intègre la complexité des sys- elle confronte l’élève aux difficultés du langage, tèmes biologiques. offrant là une occasion de travailler à sa maitrise ; Les sciences regardent le monde d’une façon sin- comment elle met les élèves en situation de s’exercer gulière, appliquant à celui-ci des outils de la pensée à la citoyenneté. Et si, au bout du compte, plus on qu’elles ont elles-mêmes créés. Initier les élèves aux en sait, plus on sait qu’on ne sait presque rien, estsciences, c’est, entre autres, leur faire percevoir ce ce le savoir qui compte ou est-ce le savoir penser ? caractère créatif des sciences et les impliquer eux- Notre troisième partie, qui s’intitule « Partager », mêmes dans des processus de création. C’est pour- explore ces différentes dimensions. quoi nous entamons notre dossier par une partie « Le monde apparait tellement différent quand on intitulée « Rêver, créer » qui rassemble des contri- sait ! » dit Richard Feynman[1]. Nous espérons entraibutions mettant le processus de création au cœur ner le lecteur à travers cette réflexion sur le rôle et de leur propos. la nature de l’enseignement des sciences expérimenLes sciences expérimentales tirent leur légitimité tales à l’école. Pour que tout le monde entende de la relation qu’elles entretiennent avec le réel. La sonner de petites cloches lorsque tombe un objet, confrontation au réel est un élément essentiel de mais surtout pour que tous les élèves construisent leur démarche. Qu’est-ce que faire des sciences en à travers cet enseignement des outils de la laboratoire, si ce n’est rechercher des éléments pensée ! n venant conforter ou infirmer un savoir dont on n’est pas sûr ? Dans un laboratoire d’école, passons-nous notre temps à tenter de convaincre nos élèves des preuves du savoir qu’on leur enseigne, ou bien le 1  Richard Feynman, « Qu’est-ce que la science ? » dans La nature de la passons-nous à les aider à construire un savoir, en physique, éditions du seuil, 1980, p. 229. Évelyne Chevigny


Coordonné par Évelyne Chevigny et Roseline Ndiaye

somMaire n Rêver-créer 12 Définir la démarche d’investigation

Philippe Briaud

15 Madame, on a envie d’abandonner

Agnès Candiotti

16 Un projet de reines Anne Benaitreau, Virginie Chablat, Sandra Besnault

17 Chercheurs en herbe Maëliss Rousseau 18 Les sciences expérimentales en voie technologique Claudine Schuster 20 Dans la chambre obscure Nathalie Vuillod 22 Savoir énoncer pour apprendre

Marie-Camille Coudert, Olivier Sauret

n Expérimenter 24 Pourquoi faire des activités pratiques en sciences ? Patricia Marzin-Janvier 26 Du lait au yaourt Alice Vandermoere 27 Approche curriculaire en technologie

Francis Blanquart

29 Explorer ensemble l’interdisciplinarité

Hélène Hervé, Sonia Madani

31 33 34

Les deux bouteilles Anne Goube Une démarche bien menée Valérie Georgeault Des apprentis chercheurs en STL-biotechnologies

Géraldine Carayol, Anne Combes, Caroline Bonnefoy

n Partager 37 Les sciences participatives à l’école

Pierre Thibault

39 À la rencontre de l’araignée Jeanne-Claude Mori 40 Un kruk pour enseigner Fatima Rahmoun 42 Quand Superman s’invite en classe Sylvie Baud-Stef

44 Des pratiques gagnantes en sciences et technologie Liliane Dionne 45 La posture du formateur Vivien Braccini 47 Une expérience de travail collaboratif en sciences Sylvie Riondet, Claude Deladoeuille

Illustration de couverture : Mélie Jouassin Illustrations intérieures : Jacques Risso

49 Pratiques discursives en sciences Éliane Pautal, Martine Champagne-Vergez, Patricia Schneeberger

51 Raisonner, une affaire de langue ?

Guillaume Cornu

53 Premier pas vers les sciences Catherine Bruguière 55 Comment enseigne-t-on les sciences expérimentales ? Michel Develay

à lire sur notre site : Un projet bien mené Charlotte Barrois La main à la pâte en éducation prioritaire, dans la durée Nicolas Demarthe En technologie, l’investigation est-elle suffisante ? Joël Lebeaume

EPI « passerelle » Valérie Oget, Stéphane Dupré, Gwenaëlle Cuny, Olivier Loiodice

Un cadre précurseur pour enseigner les sciences en maternelle Jean-Marie Boilevin, Alice Delserieys, Corinne Jegou, Konstantinos Ravanis, Alain Jameau

Monsieur, peut-on utiliser Minecraft ? Julien Péaud


dossier

Créer et expérimenter en sciences et technologie

1. Rêver-créer

Définir la démarche d’investigation Depuis l’introduction des démarches d’investigation dans les enseignements scientifiques, des manuels scolaires de sciences physiques et chimiques proposent des exercices d’application du cours labellisés « démarche d’investigation » ou « situation problème ». L’auteur nous montre comment les auteurs de ces ouvrages utilisent ces labels et nous invite à une réflexion sur leurs définitions. Philippe Briaud, enseignant-chercheur en didactique de la physique, CREN, ESPÉ de l’académie de Nantes, université de Nantes

L

a démarche d’investigation pour l’enseignement scientifique a été mise en œuvre d’abord à l’école primaire, dans le cadre de La main à la pâte promue par Georges Charpak, puis au collège et au lycée. Son introduction s’inscrit dans un contexte plus large de l’Inquiry-Based Science Education (IBSE) des pays anglo-saxons. Cette méthode d’enseignement apprentissage en sciences associe le cadre socioconstructiviste de l’apprentissage à des démarches scientifiques telles que supposées être pratiquées dans les laboratoires de recherche, dans le but que les élèves construisent des savoirs scientifiques dans des interactions sociales entre pairs. Le concept de situation problème a été introduit en pédagogie par ­Philippe Meirieu. Il s’agit d’un dispositif didactique qui met en tension un objectif à atteindre, un obstacle à franchir et une tâche à réussir dans une pédagogie socioconstructiviste. L’objectif principal de formation se trouve dans l’obstacle à franchir et non pas dans la tâche à réaliser. En 12

sciences, les obstacles concernés sont le plus souvent de nature épistémologique. Selon Gaston Bachelard, la connaissance scientifique ne s’établit qu’en rupture avec « l’expérience première » et « la pensée commune ». En effet, l’élève n’arrive pas en classe la tête vide. Il dispose d’idées plus ou moins structurées qui constituent

La connaissance scientifique ne s’établit qu’en rupture avec « l’expérience première ». pour lui un système explicatif bien adapté au traitement des situations sur lesquelles il s’est construit, qui résiste aux informations nouvelles proposées par l’enseignant, et qu’il tente d’ajuster à la situation étudiée. Engager les élèves dans un processus dynamique d’apprentissage scientifique tel que la démarche d’investigation peut permettre de leur faire vivre des situations didactiques articulées autour d’objectifs obstacles. Ils proposent individuellement une hypothèse de solution au problème

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posé, qu’ils discutent en groupe pour se mettre d’accord sur une proposition commune. Puis, en groupe ou en classe entière, ils testent leurs propositions et confrontent les résultats de leurs investigations afin d’établir ensemble un savoir, avant que celui-ci soit institutionnalisé avec l’enseignant. Il s’agit bien pour les élèves d’acquérir un nouveau savoir en le construisant dans un processus de démarche d’investigation. Que faire avec les programmes ?

Une des difficultés pour les enseignants est d’associer les savoirs des programmes à faire acquérir aux élèves par des démarches d’investigation avec des situations problèmes adéquates. Par conséquent, celles proposées dans les manuels scolaires sont utiles et bienvenues, à la condition toutefois qu’elles aient une vraie lisibilité et n’ajoutent pas plus de complexité à la liste déjà relativement longue des différentes rubriques (activités, je m’évalue, j’applique, j’apprends à rédiger un exercice, je m’entraine, expérience à la maison, exercices, etc.). C’est pourquoi nous avons cherché à caractériser les démarches d’investigation proposées dans des manuels scolaires du collège pour l’enseignement en sciences physiques et chimiques[1]. Nous les avons étudiées sans prendre en compte la manière dont les enseignants les utilisent (en classe ou à la maison, 1  5e (2010) ; 4e (2011) ; 3e (2012). Physique-chimie, manuel élève, éditions Belin, collection Parisi.


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dossier

1. Rêver-créer

en individuel ou en groupe), bien que celle-ci ait une influence sur l’activité des élèves et donc sur leurs apprentissages. Comparer et analyser les exercices

Nous avons recensé trente-sept exercices labellisés « Démarche d’investigation » dans les trois ouvrages que nous avons étudiés : douze pour chacun des niveaux de classes de 5e et de 4e et treize pour celui de 3e. Ces démarches d’investigation portent sur une expérience qu’il s’agit d’analyser ou de proposer. Leur énoncé est constitué le plus souvent d’un texte narratif, d’une représentation d’une expérience avec du matériel scolaire ou d’une illustration (deux personnages, du matériel, etc.), qui n’apportent pas toujours d’informations utiles, et de plusieurs questions destinées à guider le lecteur dans sa recherche de solution au problème posé. Le lien entre le thème scientifique abordé dans l’exercice et le chapitre du livre n’est pas toujours explicite. Seulement quatre énoncés d’exercices (deux en 5e et en 4e) proposent au lecteur de suivre une démarche d’investigation selon un canevas proche de celui défini dans les programmes. Dans le manuel de 3e, le lecteur est généralement invité à tester une hypothèse à partir d’un énoncé mettant en scène un personnage qui veut expliquer un phénomène scientifique. Lorsque l’énoncé demande d’identifier l’hypothèse proposée par le personnage, le texte précise quasiment toujours que celui-ci « pense que… ». C’est plus via sa capacité à décoder l’énoncé et la logique des questions posées que par un raisonnement scientifique que le lecteur est amené à formuler une réponse. Cette démarche de résolution induite par ces exercices est très éloignée du processus d’apprentissage par démarche d’investigation. Quelles démarches d’investigation ?

Peu de ces exercices labellisés « Démarche d’investigation » dans les trois manuels analysés permettent de construire un nouveau savoir. Ils visent plutôt à permettre à l’élève de s’entrainer, en réinvestissant des savoirs appris ou vus en classe, sur certaines étapes du canevas de la démarche d’investigation. Aucun

énoncé ne propose au lecteur de travailler en groupe ou de confronter ses résultats avec des pairs. Prenons à titre d’exemple une démarche d’investigation proposée dans le livre de 4e dans le chapitre sur la composition de l’air. Deux élèves dessinés, un garçon et une fille, confrontent leurs idées sur l’effet du gonflage d’un ballon en cuir. Pour l’un, le ballon gonflé sera plus lourd, car l’air a une masse. Pour l’autre, le ballon gonflé rebondira mieux et sera donc plus léger et, par conséquent, l’air n’a pas de masse. L’énoncé demande au lecteur de dire qui a raison et de proposer une expérience pour le prouver. Le savoir visé ici est le concept de masse de l’air, qui est à construire ou à réinvestir par l’élève, puisqu’il est aussi au programme de l’école élémentaire. Cet exercice est du type

Une recherche qui nécessite des détours et l’exploration des possibles. « situation problème », car de nombreux élèves de 4e pensent que l’air est léger et qu’il n’a pas de masse. Cependant, le lecteur peut donner raison aux deux personnages. En effet, il peut peser le ballon avant et après gonflage et constater que sa masse augmente, mais il sait ou peut vérifier que le ballon rebondit mieux après le gonflage. Seul un guidage fort du professeur peut amener les élèves à conclure en faveur d’une masse non nulle pour l’air. la nécessaire conceptualisation

Dans un autre exemple issu du chapitre sur le changement d’état de la matière en classe de 5e, un exercice labellisé « Démarche d’investigation » présente une situation de la vie courante à travers la photo d’une cour d’école enneigée et d’élèves. L’énoncé précise qu’à leur arrivée un matin d’hiver, ceux-ci apprennent que leur classe est inondée suite au gel d’une canalisation. Trois questions demandent au lecteur de dire ce qu’observent les élèves dans leur classe, de formuler une hypothèse de ce qui a pu arriver et de décrire une expérience réalisée en classe et liée à cette hypothèse. Il s’agit là pour nous d’une pseudodémarche d’investigation, car le lecteur n’est pas amené à construire Décembre 2016

un nouveau savoir pour résoudre ce problème, mais il est invité à identifier un problème ainsi que le savoir appris qui en est solution. Il peut répondre simplement en se souvenant par exemple qu’une bouteille en verre remplie d’eau s’est cassée dans le congélateur, sans passer explicitement par la conceptualisation de l’augmentation du volume de l’eau lors de la solidification. Ces deux exemples montrent que les démarches induites par les énoncés que nous avons analysés sont plutôt des résolutions d’exercices et de problèmes de type académique, dans lesquels les données de l’énoncé guident le lecteur vers la solution, sans qu’il ait besoin de réfléchir aux raisons qui font que c’est la solution. Ces démarches sont éloignées d’un enseignement apprentissage par démarche d’investigation où le sujet, via des interactions avec ses pairs, doit franchir un obstacle pour construire des savoirs scientifiques et identifier les raisons pour lesquelles ils sont solution du problème posé. Problématiser

Le CREN[2] propose un cadre théorique de la problématisation qui articule les apprentissages à la construction de problèmes, en référence au pragmatisme de John Dewey et au rationalisme de Gaston Bachelard. L’élaboration de savoirs par un sujet s’appuie sur des processus d’interprétation au cours d’une enquête telle que la définit Dewey. Cette recherche nécessite des détours et l’exploration des possibles. Les conditions, qui sont de l’ordre des principes (épistémiques, épistémologiques, cognitifs, pragmatiques, etc.), et les données du problème sont à construire par le sujet à partir des éléments du problème, qui eux-mêmes évoluent en fonction de celles-ci. Reprenons la résolution de l’exercice avec le ballon dans le cadre de la problématisation. Les deux expériences ne permettent pas de trancher. Pour ce faire, il est nécessaire d’élaborer un modèle de la situation et de construire le problème en mettant en tension les registres empirique et théorique. Il faut rendre explicite ce que sait l’élève, à savoir que le gonflage ajoute de l’air, mais aussi qu’il change les caractéristiques du n n n 2  Centre de recherche en éducation de Nantes. http://www.cren.univ-nantes.fr/

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1. Rêver-créer

n n n ballon que sont sa dureté et sa capacité de rebond. Il faut en outre caractériser la masse comme une mesure de la quantité de matière. Dans ce cadre explicatif, prouver que lorsqu’on gonfle le ballon sa masse augmente montre que l’air a une masse. Pour expliquer, sans question de guidage et dans le cadre de la problématisation, ce qui a pu se passer au cours de la nuit dans la situation proposée dans l’exercice de 5e, le lecteur doit sélectionner, à partir de ses connaissances empiriques et théoriques, des données de la situation comme données du problème pour faire le lien entre le gel et l’eau répandue dans la classe. Après avoir évacué la possibilité qu’un robinet puisse être resté ouvert, il doit identifier que l’eau et la variation de température sont seules responsables de cet incident et construire la nécessité que la rupture de la canalisation est liée à la solidification de l’eau et l’inondation à sa fusion. C’est ensuite qu’il pourra se documenter ou expérimenter pour vérifier que son hypothèse est valide.

Ombre et lumière

Examinons un dernier exemple dans le cadre que nous posons. Un autre exercice classé « Démarche d’investigation » pour la classe de 4e dans le chapitre sur la vitesse de la lumière met en scène la discussion entre deux élèves sur l’apparition instantanée ou non sur un écran de l’ombre portée d’un objet opaque placé devant une source lumineuse. Un dessin de Lucky Luke tirant plus vite que son ombre accompagne le texte, mais il n’apporte pas d’information pour résoudre le problème. L’énoncé guide le lecteur en lui demandant de donner la vitesse de

propagation de la lumière dans le vide, de calculer la durée de parcours de la lumière pour effectuer la distance Soleil-Terre puis de dire, dans le cas où le Soleil s’éteindrait tout d’un coup, pendant combien de temps nous recevrions sa lumière sur Terre. Ensuite, le lecteur doit indiquer au bout de combien de temps nous serions dans l’ombre si un écran terrestre était placé juste devant le Soleil pour l’opacifier complètement. Enfin, il est amené à dire qui des deux élèves a raison. Le questionnement proposé par l’énoncé s’appuie sur une modélisation implicite du phénomène à étudier, d’où découle l’enchainement logique de questions précises qui conduit à la résolution du problème. Le lecteur peut répondre correctement sans percevoir le lien qu’il y a entre l’extinction d’une source de

Un outil pour aider les enseignants à faire problématiser les élèves sans le faire à leur place. lumière et l’observation d’une ombre. Ce qui est visé ici est le réinvestissement de la valeur de la vitesse de propagation de la lumière. Cependant, la compréhension de la résolution de ce problème nécessite que le lecteur maitrise aussi le concept d’ombre. Or, celui-ci est un obstacle pour de nombreux élèves de 4e pour qui l’ombre n’est pas l’absence de lumière, mais une propriété de l’objet. Dans le cadre de la problématisation que nous proposons, le lecteur, lors de la mise en relation de ses registres empirique et théorique, va expliciter que l’ombre est une absence de lumière et que la lumière

se propage avec une vitesse finie. Ces concepts clés de la physique sont donc mis en travail. L’exercice voisin de celui dont il vient d’être question s’intitule « Voir les dinosaures » et comporte une seule ligne de texte : « Observe le dessin ci-dessous et explique la réponse de Vivien ». Sur ce dessin, deux élèves discutent. Une fille dit : « Les dinosaures ont disparu il y a 65 millions d’années ! » Un garçon lui répond : « Si on était à plus de 65 millions d’années de lumière de la Terre, on pourrait les voir ! » Pourquoi cet exercice n’est-il pas labellisé « Démarche d’investigation » alors que sa résolution nécessite le franchissement d’un obstacle pour de nombreux élèves, qui considèrent que la propagation de la lumière est instantanée, et qu’il permet donc la construction d’un nouveau savoir scientifique ? Ces exemples montrent que répondre à une question ouverte par une démarche d’investigation dans le cadre d’une problématisation permet à un sujet d’apprendre des savoirs scientifiques apodictiques. Le cadre proposé pour une problématisation par la mise en tension des registres empirique et théorique constitue un outil pour aider les enseignants à faire problématiser les élèves sans le faire à leur place. En effet, il donne des repères pour et sur le processus d’apprentissage des savoirs visés. À l’opposé, les énoncés des exercices labellisés « Démarche d’investigation » dans les ouvrages scolaires du collège que nous avons analysés visent plutôt à faire apprendre des étapes d’une démarche (vue comme une méthode) d’investigation, en réinvestissant des savoirs appris ou vus en classe. n

Ressources Les instructions officielles de 2008 pour le collège Elles proposent un canevas de la démarche d’investigation qui est décliné suivant sept moments essentiels : le choix d’une situation problème par le professeur ; l’appropriation du problème par les élèves ; la formulation de conjectures, d’hypothèses explicatives, de protocoles possibles ; l’investigation ou la résolution du problème par les élèves ; l’échange argumenté autour des propositions élaborées ; l’acquisition et la structuration des connaissances ; l’opérationnalisation des connaissances. Ce canevas a disparu dans les nouveaux programmes de 2015.

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Références Michel Fabre, Le sens du problème,

Problématiser à l’école, De Boeck éditeur, 2016. Christian Orange, Enseigner les sciences, Problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe, De Boeck éditeur, 2012.


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1. Rêver-créer

Madame, on a envie d’abandonner Lors des travaux personnels encadrés, les élèves rencontrent une première occasion de mener une démarche d’investigation au long cours. Le temps ainsi que le caractère interdisciplinaire du projet offrent un espace d’explorations nouvelles. Agnès Candiotti, professeure de SVT dans l’académie de Rennes

A

«

lors madame, nous, pour nos TPE, on a choisi de travailler sur le miel et les abeilles, mais on ne trouve pas de problématique. » « Madame, pour connaitre la concentration du sucre dans le miel, il faut faire des maths ? Et pour doser le sucre dans le miel, il faut aussi faire de la chimie ? » « Mais madame, notre expérience a raté, on a envie d’abandonner. » « Finalement madame, on n’arrive pas à trouver une réponse simple. » Rendons-nous à l’évidence, les TPE, qui constituent la première épreuve anticipée du baccalauréat scientifique, désarçonnent bien des élèves. Dans les années 2000, en tant que lycéenne j’avais eu la chance de pratiquer des TPE en 1re S, histoire de faire toutes les erreurs possibles une première fois en travaillant sur la fabrication du chocolat, puis j’avais choisi l’option TPE pour le bac, mêlant mathématiques et physique pour monter une maquette fonctionnelle du site de Stonehenge. En terminale, mes camarades et moi savions à quoi nous attendre, l’efficacité était donc au rendez-vous. Maintenant, les élèves ont cinq mois pour se lancer dans une vraie investigation scientifique au long cours et elle est directement évaluée à l’examen ! Ces heures de travail en groupe en pluridisciplinarité me semblent, à plusieurs titres, tout à fait cruciales pour la formation aux sciences expérimentales. L’apport des TPE

Premièrement, durant tout le reste de leur scolarité, les élèves approchent les sciences dans des disciplines qui sont cloisonnées, vraisemblablement pour faciliter les apprentissages. Mais

la réalité est autrement plus complexe. Quel dommage de ne découvrir qu’en 1re S qu’il n’y a pas de frontière entre la biologie, la chimie et les mathématiques ! Deuxièmement, les activités expérimentales menées en classe sont le plus souvent conçues pour fonctionner à coup sûr. On les teste même quelques jours avant pour vérifier. Pourtant, dans un laboratoire de

Dans un laboratoire de recherche, neuf expériences sur dix ratent, et on apprend toujours quelque chose d’un résultat négatif. recherche, neuf expériences sur dix ratent, et on apprend toujours quelque chose d’un résultat négatif. Certaines grandes découvertes scientifiques viennent tout simplement d’un oubli de la part de l’expérimentateur, qui a su chercher une explication au résultat bizarre, au lieu de tout mettre à la poubelle ! Il me semble important que, lors des TPE, les élèves apprennent à accepter l’échec d’une expérience, ils peuvent ainsi exercer leur esprit critique pour chercher à recommencer, par exemple en changeant un paramètre. Quel soulagement général de dédramatiser l’erreur ! À ce sujet, un très bon exemple serait celui des EXAO[1], qui, de par leur fâcheuse tendance à ne fonctionner qu’aléatoirement, font la terreur de certains enseignants. J’y vois pourtant une belle occasion de montrer aux élèves que réfléchir à partir d’une situation d’échec expérimental permet d’améliorer le montage, en tâtonnant jusqu’à trouver 1  Expérimentations assistées par ordinateur. Décembre 2016

l’origine du dysfonctionnement. Et il faut parfois s’acharner, quitte à ce que les élèves habitués à ce que tout fonctionne s’impatientent, jusqu’à la victoire de l’enregistrement qui apparait sur l’écran. Troisièmement, reconnaissons que la démarche d’investigation menée en classe est le plus souvent très directive, nous montons la séquence de sorte que nous sachions à l’avance ce que l’élève doit trouver. Toute tentative de partir dans une autre direction est même parfois rapidement recadrée. Lors des TPE, les élèves doivent faire preuve d’imagination, et c’est une des plus grandes qualités des chercheurs. Enfin, l’exploration d’un domaine scientifique autour d’une problématique permet de se confronter à la complexité du réel, d’accepter qu’il n’y ait jamais de réponse simple. C’est d’ailleurs pour cela que, dans le monde de la recherche, une question en appelle une autre, et que plus on en sait et plus on sait qu’on ne sait presque rien[2]. Accompagner les élèves

Aussi, après avoir travaillé dans le monde de la recherche scientifique pendant plusieurs années, je peux affirmer que les séances de TPE sont incontestablement celles où je préfère enseigner. Je peux alors véritablement endosser le rôle d’accompagnatrice de la réflexion des élèves. Lorsqu’ils explorent un sujet que je ne connais pas bien, j’apprécie tout particulièrement de me retrouver d’égal à égal avec eux, la réflexion n’en est que plus stimulante. Alors, mettons à profit les enseignements d’exploration en seconde générale, et de manière générale la pédagogie de projet, pour confronter nos élèves à la réalité des sciences expérimentales. n

2  Former nos élèves à une démarche de chercheur n’a pas pour ambition de tous les pousser à faire carrière dans la recherche scientifique, mais bien de leur (ré)apprendre à appréhender le monde, dans l’esprit proposé par François Taddéi au Centre de recherches interdisciplinaires avec les « Savanturiers ».

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Un projet de reines En prévision de l’enseignement commun de sciences en cycle 3 qui doit être organisé pour les trois disciplines autour de thématiques communes, un collège s’organise pour expérimenter l’année précédente. Anne Benaitreau, Virginie Chablat, professeures de technologie, collège de Treillières (Loire-Atlantique) Sandra Besnault, professeure de SVT, collège de Treillières

N

otre collège est depuis deux ans retenu par le conseil général de LoireAtlantique comme « collège engagé pour l’environnement », ce qui nous permet de travailler avec des associations dans de bonnes conditions matérielles et financières. Pour se préparer à l’enseignement des sciences et techniques en cycle 3 à la rentrée 2016, nous avons décidé de travailler conjointement physiquesciences de la vie et de la Terre-technologie avec toutes les classes de 6e. Un groupe de vingt élèves, volontaires à l’inscription en 6e, est plus investi, avec une heure en option E3D[1] à leur emploi du temps et assurée par le professeur de physique. Des logos et des ruches

Les trois disciplines pratiquent des activités diverses mais coordonnées dont le fil conducteur est l’éducation à une démarche de développement durable, en lien avec les programmes actuels et à venir. On peut en dresser une liste non exhaustive : accueil, installation, entretien et suivi de deux ruches avec un apiculteur ; réflexion, création, installation d’affichettes « écogestes » adaptées aux différents lieux du collège ; campagne pour faire cesser le gaspillage à la demi-pension ; expériences autour des énergies renouvelables ; conception et réalisation de logos « Stop pub » pour les boites aux lettres ; comparaison de produits lors du petit déjeuner au collège, jeu sur les emballages, les pictogrammes, logos, labels, etc. En amont, le groupe de 6e option E3D a travaillé sur l’impact environnemental de la consommation excessive de papier, encre, etc. pour les 1  Établissement en démarche de développement durable. 16

publicités reçues dans nos boites aux lettres, avec l’enseignant de physique, dans le cadre des activités sur les écogestes. En technologie, quatre grands temps ont réuni tous les élèves de 6e : • assurer un minimum de prérequis sur les deux machines dont les élèves vont avoir besoin pour réaliser l’objet technique (cisaille et fraiseuse numérique) : les élèves observent notre façon d’utiliser en toute sécu-

Être autonome et s’entraider, tels sont les objectifs dans les activités menées pendant plusieurs séances. rité les machines. Ils complètent une fiche technique d’activité dans l’atelier en position d’observateur pour la fraiseuse (nécessité de maitriser un logiciel pour piloter la machine) et de manipulateur sur la cisaille ; • se frotter à une situation problème : quelles formes donner à notre « Stop pub » avec des contraintes dimensionnelles, techniques sur les machines du collège et avec des matériaux de récupération et des libertés esthétiques, graphiques, etc.  Certains font des croquis, des schémas et d’autres font un vrai dessin avec des dimensions. Ils comparent ensemble les méthodes, et finissent par réaliser un projet personnel construit sur papier ; • apprendre à manier le logiciel de conception et de fabrication utilisé pour travailler sur la fraiseuse numérique. Chaque élève travaille seul sur le logiciel pour faire ses fichiers de conception et d’usinage de son « Stop pub ». Se retrouver seul face aux problèmes générés par un outil (l’ordinateur) qu’ils aiment bien est une expérience qu’ils disent apprécier en général ;

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• présenter leur démarche : conce-

voir à deux, sur logiciel de bureautique, une fiche de synthèse qui reprend les fichiers réalisés pour la fabrication (captures d’écrans) avec légendes et titre adaptés. Être autonome et s’entraider, tels sont les objectifs dans les activités menées pendant plusieurs séances. Des exemples : l’autocorrection des fiches machines est faite avec les documents ressources à disposition dans la classe ; deux élèves usinent des « Stop pub » quand les fichiers sont validés (ils se contrôlent mutuellement) ; un élève montre à un camarade comment il a utilisé la fraiseuse ; une aide est demandée par un élève qui n’arrive pas à finaliser les fichiers de conception et d’usinage ; un élève rapide et passionné envisage un modèle plus élaboré ; pour préparer la synthèse, les plus en avance peuvent commencer la structuration de leurs connaissances (sur les modes de représentation, les procédés de fabrication, etc. avec une fiche de questions). Suit un travail en classe entière avec reprise de ce qui a été abordé (savoir, savoir-faire, savoir être) durant les activités d’atelier et la structuration des connaissances (fiches de connaissances avec les notions à connaitre). Dans nos trois disciplines, l’évaluation se fait par compétences et sans note. Le miel du collège

Durant l’année scolaire 2015-2016, en option E3D et en arts plastiques, les élèves ont travaillé sur les étiquettes des futurs pots de miel, sur la décoration des deux ruches, et ont préparé des affichettes expliquant l’organisation de la ruche et la vie des abeilles. En SVT, le projet a été présenté par l’apiculteur aux élèves de 6e de l’option. Il a été prévu de mettre en place deux ruches dans le collège au printemps, d’aller à la découverte de la ruche, de son entretien, avec l’apiculteur et en tenue adéquate, et de faire une dégustation du miel à la rentrée 2016 ! Lors de sa première intervention, l’apiculteur a présenté aux élèves de deux classes de 6e les individus de


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la ruche (différentes espèces d’abeilles de la future ruche) et les individus proches de l’abeille (guêpes, frelons, bourdons, etc.). Après la présentation d’une ruche ouverte, l’apiculteur a abordé le rôle de l’abeille dans l’environnement comme insecte pollinisateur. Une discussion a permis ensuite une sensibilisation aux abeilles en danger : quelles conséquences si elles disparaissent ? Quelles actions pour les aider, les protéger ? Lors de sa deuxième intervention, l’apiculteur a détaillé avec ces mêmes élèves le rôle de chaque individu de la ruche. La reine, les ouvrières et leurs métiers : nettoyeuse, nourrice, cirière, magasinière, ventileuse, sentinelle, butineuse, etc., ainsi que la vie dans la ruche au cours des saisons. Ce fut aussi l’occasion de mieux connaitre le métier d’apiculteur, sa tenue, son matériel, l’entretien de la ruche, les précautions à prendre, etc. L’arrivée des deux ruches et leur installation avec des petits groupes d’élèves ont été un évènement marquant, en présence du correspondant du journal Ouest France. Durant l’année, les élèves de l’option E3D ont préparé en petits groupes des exposés à l’aide de l’outil informatique sur les sujets abordés avec l’apiculteur. À la rentrée 2016, il est prévu une intervention plus ciblée sur les produits de la ruche et l’extraction du miel. En guise de conclusion, nous avons eu grand plaisir à voir des élèves réfléchir, réagir, s’investir, faire des propositions, être créatifs, curieux, faire des liens entre les disciplines. Nous avons apprécié de construire ensemble un projet interdisciplinaire sur un sujet qui nous tenait à cœur. Cette expérience nous a permis aussi de nous préparer à la façon de travailler que demande la mise en place des sciences en 6e pour la rentrée 2016. Nous avons été, nous semble-t-il, efficaces pour construire notre parcours de 6e qui sera au cœur des programmes de l’an prochain, notamment pour formaliser des problématiques et activités communes sciences et technologie. n

À la maternelle

Chercheurs en herbe L’auteure nous présente un projet d’herbier mené avec ses élèves de maternelle, prémisses d’une démarche scientifique alliant savoirs et créativité. C’est un herbier coloré et surprenant, fruit d’une observation attentive du végétal et de l’émerveillement qu’il a suscité. Ici, le dessin est au cœur de l’apprentissage. Après avoir semé et soigné le potager de l’école, récolté les légumes d’automne, observé les pousses du début du printemps, chacun a choisi la plante (fleur, légume ou fruit) qu’il allait représenter dans l’herbier. La première esquisse, sans modèle à proximité, est réalisée très rapidement et témoigne de l’image un peu stéréotypée de la plante : toutes les fleurs se ressemblent, tomate et pomme de terre sont de simples cercles, les feuilles, lorsqu’elles sont représentées, n’ont pas de nervures.

restreint et je peux aider à comparer les plantes, distinguer et nommer les parties, inviter à passer le doigt sur les formes. Les résultats de ce travail sont étonnants : les dessins n’ont plus rien à voir avec les premières esquisses. Ils nous permettent de distinguer les fleurs à bulbes des autres, de catégoriser les légumes en fonction de la partie consommée : racine, tige, feuille, fruit ou graine. Le travail en arts plastiques a été réalisé en classe entière avec l’aide d’Arianna Tamburini, qui est illustratrice jeunesse. Dans des morceaux de papier kraft, les enfants ont dessiné les parties de la plante, les ont découpées et les ont assemblées avec notre aide. Les travaux, dûment classés, seront exposés à la médiathèque de notre quartier. n Maëliss Rousseau Professeure des écoles (Hauts-de-Seine)

dessiner et comprendre

L’étape est nécessaire pour mettre au jour les questions : comment distingue-t-on une fleur d’une autre ? Quelle partie consomme-t-on dans les plantes potagères ? À quoi ressemblent les autres parties de la plante ? C’est encore le travail de dessin qui nous a permis de construire les réponses. Avec pour modèle des planches de livres documentaires, j’ai demandé de reproduire la plante avec le maximum de détails. Cette fois, le nombre d’enfants travaillant en même temps est

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Les sciences expérimentales en voie technologique Les projets technologiques accompagnés en lycée technologique associent démarche technologique et démarche de projet. Élèves comme professeurs s’y retrouvent !

démarche est expérimentale et l’enseignant apporte les savoirs au moment où ils sont nécessaires, quand les besoins s’expriment et que ces questions font sens pour l’élève.

Claudine Schuster, inspectrice biotechnologies génie biologique, académie de Créteil

n Instaurer une confiance mutuelle par l’expérimentation au laboratoire

L

es lycéens des séries STL (sciences et technologies de laboratoire) spécialité biotechnologies sont très souvent heureux et fiers de leur travail et s’épanouissent dans nos formations. La première raison de ce succès est en lien avec la démarche technologique particulière à nos séries, qui, au cœur des enseignements de spécialité, met en œuvre des allersretours permanents entre expérimentation et conceptualisation. Cette démarche permet une pédagogie différenciée et adaptée à nos élèves. La seconde raison est liée à une modalité pédagogique particulière qui a été introduite avec la rénovation du baccalauréat : le projet technologique accompagné (PTA) dont la finalité est de vérifier que chaque élève s’est approprié l’ensemble des étapes de la démarche de projet au laboratoire de biotechnologies. Son but est de répondre à une problématique, qui est plus modestement un questionnement mais que les élèves, par groupe de trois ou quatre, choisissent et définissent. Les objectifs sont de construire et de réaliser ensemble une expérimentation, afin de répondre à ce questionnement. Les enseignements de biotechnologies comme les PTA[1] se réalisent dans des espaces dédiés : les laboratoires, ateliers sécurisés qui sont des lieux d’apprentissage à effectif réduit où doivent s’instaurer le respect, la confiance, d’où une qualité de l’accompagnement des élèves et un travail en équipe qui en sont renforcés. n Faire pour comprendre

La pratique expérimentale n’a pas pour objectif d’entrainer à une ges1  https://miniurl.be/r-195y 18

tuelle technique (les baccalauréats technologiques ne sont plus professionnalisants), mais c’est un moyen d’acquisition des savoirs. « J’entends et j’oublie, je vois et je me souviens, je fais et je comprends. » L’élève qui comprend acquiert un savoir par la pratique. Il renforce alors son savoirfaire et développe des compétences. n Se questionner sur les sujets avec une finalité qui fait sens

La démarche est toujours contextualisée pour donner du sens aux apprentissages. Les questions trai-

L’élève qui comprend acquiert un savoir par la pratique. Il renforce alors son savoir-faire et développe des compétences. tées sont choisies dans les domaines variés et contemporains des biotechnologies (santé, bio-industries, environnement, assurance qualité, sécurité biologique, OGM, etc.). Elles concernent l’élève et lui permettent de mieux comprendre le monde en prenant une posture de chercheur : À quoi cela sert-il ? Comment cela fonctionne-t-il ? Un exemple en terminale STL : comment fait-on pour produire un lait sans lactose au laboratoire ? Il faut d’abord analyser des laits dits « sans lactose », puis chercher comment éliminer spécifiquement ce lactose, émettre des hypothèses, explorer et mettre en œuvre des techniques, analyser ses résultats, argumenter ses interprétations, etc. Des concepts seront inévitablement abordés : la digestion des biomolécules glucidiques, les enzymes et leurs propriétés, la production d’enzymes bactériennes, etc., mais la

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Au cœur de la formation de l’élève, la pratique au laboratoire développe des compétences et renforce l’estime de soi : l’élève doit choisir (du matériel adéquat), établir (un mode opératoire), mettre en œuvre (une analyse des risques biologiques ou chimiques), réagir (devant un appareil), imaginer des procédures de contrôle pour valider la technique employée, analyser des résultats (les mettre en forme, résoudre des calculs), produire (un support de présentation, une argumentation). Réaliser un protocole développe l’exigence et l’autonomie, et permet de comprendre des concepts scientifiques et technologiques. n Valoriser les compétences

Des compétences plutôt inhabituelles dans un parcours scolaire classique sont particulièrement développées lors des activités technologiques et au travers du PTA, comme être curieux, soigné, se préoccuper de la sécurité d’autrui, respecter l’environnement en gérant les déchets du laboratoire. Ces compétences contribuent à la formation de l’élève citoyen. n S’appuyer sur une démarche de projet

La démarche de projet accompagne la démarche technologique au travers du projet technologique accompagné (PTA), réalisé en classe de terminale et évalué à l’examen (coefficient 6 sur un total de 40). Ce PTA permet d’exprimer une créativité et de développer d’autres compétences telles que travailler en équipe ou restituer son travail. Il rend les élèves fiers de leur production, car une grande autonomie dans le choix du sujet est laissée à chacun


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des groupes projets (constitués de trois ou quatre élèves). Le questionnement choisi doit répondre à un besoin, par exemple : Les insectes sont-ils un bon substitut à la viande ? Un gel hydroalcoolique est-il aussi efficace qu’un savon ? Peut-on évaluer les propriétés antimicrobiennes du henné ? Ce travail commence par une phase de choix et de formalisation des projets élèves d’environ douze heures qui leur permet de s’associer entre pairs partageant un intérêt commun pour un objet d’étude, de définir la problématique et de produire un cahier des charges. Les élèves y ont parfois déjà réfléchi en classe de 1re. Leur professeur veille alors à leur faire comprendre l’enjeu de cette phase, qui ne doit pas privilégier les groupes d’affinité aux dépens des exigences d’un travail coopératif. Chacun doit trouver sa place et donc être motivé par le questionnement choisi. Vient ensuite, vers le mois de janvier, une phase de réalisation d’environ six heures pour chaque groupe projet au cours de laquelle, à tour de rôle, un groupe présente son projet au reste de la classe et lui demande de contribuer aux expérimentations proposées. C’est le moment des prises d’initiative et c’est un test fort de préparation et de maitrise du sujet, car les pairs interrogent ! Les élèves sont donc fortement engagés dans l’organisation et l’explicitation de leurs attentes auprès de leurs camarades, ils ont dû envisager la faisabilité des manipulations mises en œuvre, les aspects matériels et techniques, en sollicitant préalablement les agents de laboratoire du lycée. Rien n’est laissé au hasard et le professeur les accompagne, il guide leur cheminement en les amenant à se poser les bonnes questions. Certaines manipulations nécessitent que les élèves recommencent ou reviennent observer les résultats en dehors des heures de cours. Il arrive que les expériences échouent, mais ce n’est pas une faute ; un résultat même négatif est toujours exploitable et les élèves ne sont pas sanctionnés sur les résultats obtenus, seules la démarche et leur analyse critique sont importantes et valorisées. Au cours de ces deux phases, chaque élève est évalué par le professeur accompagnateur, qui doit poser une note de conduite de projet en renseignant des indicateurs

connus des élèves tels que la gestion du temps, la pertinence de la recherche et du traitement d’informations, celle des activités mises en œuvre, la prise d’initiatives et de responsabilité, la participation au travail d’équipe. La dernière phase est celle de l’exploitation des résultats et de la préparation des supports de présentation (durée huit heures), en vue d’une restitution en partie collégiale (un dossier écrit de quinze pages suivi d’un exposé devant un jury extérieur) puis individuelle, au travers d’un entretien de dix minutes avec le jury. Sont alors exprimées

Les insectes sont-ils un bon substitut à la viande ? Un gel hydroalcoolique est-il aussi efficace qu’un savon ? des compétences d’argumentation, d’analyse et de communication et le jury peut apprécier l’investissement de chacun au sein du groupe. Le projet est également le support d’évaluation d’un autre enseignement qui a vu le jour, l’ETLV (enseignement technologique en langue vivante). Des valeurs essentielles

Ce PTA met en jeu des valeurs essentielles que les élèves mobilisent lors de cette expérience : respect, confiance et exigence. Ce sont des valeurs que portent les enseignants de manière générale dans l’espace laboratoire, où l’exigence et le respect sont indispensables, car il faut faire confiance à l’élève avant de l’amener à gérer la sécurité individuelle et collective. Lors des PTA, l’enseignant va plus loin dans la confiance et l’exigence, car il accompagne plus qu’il ne pilote, tout en restant le garant de la bonne conduite des séances. Les élèves éprouvent ces mêmes valeurs vis-àvis de leurs pairs, ils apprennent les contraintes d’une responsabilité partagée et la richesse de l’intelligence collective. C’est l’autonomie qui se construit et qui développe des compétences psychosociales. Ces compétences, essentielles et transculturelles, sont étroitement liées à l’estime de soi et aux compétences relationnelles, qui sont les deux faces d’une même pièce : relation à soi et relation aux autres. L’OMS (OrganiDécembre 2016

sation mondiale de la santé) en identifie dix principales renforçant l’estime de soi et qui vont par deux : savoir résoudre les problèmes et savoir prendre des décisions, avoir une pensée critique et avoir une pensée créatrice, savoir communiquer efficacement et être habile dans les relations interpersonnelles, avoir conscience de soi et avoir de l’empathie pour les autres, savoir gérer son stress et savoir gérer ses émotions. Aucune étude ne permet encore de faire le lien avec le climat scolaire, mais tous les enseignants vous diront que leurs élèves ont grandi au cours de ce PTA et qu’eux aussi, ils ont beaucoup appris en passant de la posture du face-à-face à celle de côte à côte. Ils ont fait un pas vers le lâcher prise, souvent difficile pour un enseignant. Certains avouent même que des élèves les ont épatés. Une étude de 2014 menée auprès de 15 000 lycéens dans 100 lycées par Kamel Hamchaoui [2] donne des résultats qui montrent qu’en voie technologique, toutes séries confondues, les élèves ont un ressenti plus positif du climat scolaire, particulièrement sur les axes de la relation avec l’enseignant et celui du sentiment de justice. Nous faisons le pari que le PTA renforcera ces éléments positifs dans la série STL biotechnologies et qu’il contribuera à la réussite des élèves, tous capables. n

2  Doctorant qui travaillait avec Éric Debarbieux.

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1. Rêver-créer

Dans la chambre obscure Quand la lumière de la camera obscura fait surgir la lumière de la compréhension d’un concept abstrait. Nathalie Vuillod, professeure des écoles à SaintPancrasse et formatrice en sciences-physiques et technologie à l’ESPÉ de Grenoble

P

our Philippe Meirieu, « rien ne s’enseigne que l’élève ne désire apprendre, rien ne s’apprend qui ne requiert son engagement ». À l’âge où ils sont à l’école primaire, les enfants sont curieux de tout ce qui les entoure. Ils sont intarissables en questions et avides de manipuler, d’expérimenter. Le rôle de l’enseignant est de mettre en place des conditions qui entretiennent cette curiosité, qui favorisent chez les élèves le désir et le plaisir d’apprendre, en proposant au quotidien des questions, situations et expériences inédites qui mettront « l’esprit en alerte et l’intelligence en appétit ». Je suis enseignante dans une classe de cycle 3 à triple niveau dans une petite école en Chartreuse (Isère). Si, dans une telle classe, une partie des apprentissages se fait nécessairement par niveau, les projets interdisciplinaires sont des moments propices aux retrouvailles, qui permettent de créer une cohésion du groupe, de favoriser les interactions sociales, de développer la coopération et l’intelligence collective. Je fais le maximum pour intégrer les séquences de sciences dans des projets interdisciplinaires. Je propose ici de présenter un tel projet, dans lequel les sciences et la démarche d’investigation ont eu toute leur place. La « Camera Obscura »

L’année 2015 a été marquée par deux évènements qui ont suscité l’émergence de ce projet. 2015 a été proclamée par l’assemblée générale des Nations unies comme étant l’Année internationale de la lumière, en commémoration du millénaire des sciences arabes et en hommage au scientifique Al Hassan Ibn Al-Haytham[1]. Pour une présentation à l’occasion de la fête de la 1  Un des premiers physiciens à étudier la lumière, et qui est notamment connu comme le premier à décrire avec précision la camera obscura. 20

science au mois d’octobre 2015, j’ai réalisé une camera obscura géante. 2015 était également l’année de commémoration des 500 ans de la bataille de Marignan. En habitant non loin de Pontcharra, berceau du chevalier Bayard, nous avons été sensibles en début d’année aux diverses manifestations de commémoration dans la région. L’année scolaire 2015-2016 a donc commencé en histoire par l’étude de la période de la Renaissance, en uti-

observent le spectacle. La lumière pénètre dans la camera obscura par l’intermédiaire d’un seul trou de trois centimètres de diamètre. Rapidement, les enfants s’habituent à l’obscurité et commencent à percevoir sur les murs de la cabane, des couleurs, des formes floues, mais qu’ils associent assez vite au paysage qui leur est familier : la dent de Crolles, un sommet de Chartreuse qui est situé juste derrière l’école. Cela les surprend beaucoup. Premier réflexe, les enfants s’approchent du trou et regardent à travers, vérifient que le paysage qu’ils observent dans la cabane correspond bien au paysage extérieur. Pourtant une chose les étonne, le paysage projeté sur les murs intérieurs est à l’envers : le ciel apparait en bas, alors que le sol est projeté sur le plafond de la cabane. De l’objet technique à l’expérimentation

lisant comme élément déclencheur la commémoration de la bataille de Marignan, l’implication du chevalier Bayard aux côtés de François 1er. Notre travail sur la Renaissance s’est poursuivi par un travail en histoire de l’art, sur Léonard de Vinci, la notion de perspective, etc. C’est dans ce cadre que la découverte de la camera obscura, un objet technique décrit par Léonard de Vinci et particulièrement utilisé au moment de la Renaissance, a été proposée. La camera obscura géante est installée dans la salle polyvalente de l’école, contre une grande baie vitrée. Il s’agit d’une structure cubique de deux mètres de côté, réalisée à l’aide de tuyaux de PVC, et recouverte d’un tissu blanc complètement étanche à la lumière. Un objet insolite, une « cabane bizarre », comme la nomment les enfants qui sont invités à pénétrer à l’intérieur par petits groupes. Ils s’assoient dans la cabane et

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Je leur propose d’utiliser un objet pour faire des expériences : il s’agit d’un diaphragme optique, un trou dont on peut régler la taille et qui peut se fixer par des Velcro sur l’ouverture de la camera obscura. Mais avant d’expérimenter, je leur demande d’émettre des hypothèses : « D’après vous, que va-t-il se passer si nous réduisons la taille du trou ? » Voilà leurs réponses : « L’image va être de plus en plus petite ; l’image va être de plus en plus grande ; l’image va être plus lumineuse (car le trou va concentrer la lumière) ; l’image va être plus sombre ; l’image va se retourner et être à l’endroit ; l’image va être plus nette. » L’expérience valide seulement deux hypothèses : l’image est plus nette et l’image est plus sombre, ce qu’un élève interprète en disant : « C’est normal, c’est comme lorsqu’on ferme doucement les volets d’une fenêtre, il y a moins de lumière qui rentre dans la pièce. » L’expérience leur permet en outre de constater que la taille du trou n’a aucune influence ni sur la dimension de l’image ni sur son orientation. Mais les enfants, dont la curiosité est excitée, ne comptent pas s’arrêter là : «  Pourquoi l’image est-elle à l’envers ?  » Je propose alors d’essayer de trouver d’où provient la lumière qui


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1. Rêver-créer

est projetée en chaque point de l’écran. Les enfants se positionnent près de l’écran, regardent chacun par l’ouverture et racontent ce qu’ils voient à leurs camarades. Selon leur position, les enfants ne voient pas la même chose. Cette expérience permet de comprendre que la lumière se propage en ligne droite ainsi que l’inversion de l’image sur l’écran. Elle sera complétée par des expériences en classe au cours desquelles les enfants observent des objets ou des camarades, puis observent leur disparition en interposant entre l’objet et les yeux un cache et dessinent sur leur cahier de sciences les différentes expériences, en essayant de représenter le trajet de la lumière. Un enfant fera remarquer : « La lumière c’est flemmard, elle va tout droit et elle s’arrête quand il y a un obstacle, elle ne contourne pas les obstacles, alors que le son, lui, contourne les obstacles puisqu’on continue d’entendre les enfants, même si on ne peut plus les voir. » Pour terminer la découverte scientifique de la camera obscura, je propose d’utiliser une lentille à la place du diaphragme. Les enfants testent plusieurs lentilles et apprécient l’amélioration de la qualité de l’image. Avec un simple trou, la netteté de l’image s’obtient au détriment de la luminosité. La lentille permet d’avoir une image à la fois nette (à condition de placer l’écran au bon endroit) et lumineuse. En utilisant un châssis avec une toile, les élèves recherchent pour chaque lentille la position optimale pour la netteté (le plan focal). De retour en classe, une recherche documentaire est réalisée sur le principe de la camera obscura. Plusieurs schémas représentant le trajet des rayons lumineux et expliquant l’inversion de l’image sont étudiés et utilisés pour compléter les traces écrites dans le cahier de sciences. Un objet technique pour dessiner

La séquence interdisciplinaire se poursuit par un travail en arts visuels et histoire des arts. La camera obscura est exploitée pour dessiner la dent de Crolles à la manière des peintres d’autrefois. Les élèves décalquent la dent de Crolles. Pour cela, de grandes feuilles blanches sont scotchées sur le plan vertical où la netteté est maximale et les enfants reproduisent très facilement le paysage de la dent de Crolles en suivant les contours de l’image.

Les dessins ainsi réalisés sont ensuite retournés puis coloriés à l’aquarelle à l’extérieur, en essayant de reproduire au mieux les couleurs du paysage qu’ils ont devant eux. Mais les enfants constatent alors que leur dessin de la dent de Crolles est à l’envers (gauche-droite). Ils cherchent alors à en comprendre la raison. Je leur propose de comparer la technique qu’ils ont employée avec celle utilisée autrefois par les peintres et représentée sur une ancienne gravure.

L’expérimentation avec cet objet scientifique semble avoir participé à faire évoluer favorablement les conceptions des élèves. Rapidement, ils constatent que la position du peintre n’est pas la même : les peintres se plaçaient derrière leur toile, alors que les élèves se sont placés entre l’ouverture de la camera obscura et le papier. Plus tard, les œuvres ainsi réalisées seront exposées en classe. Aborder l’abstraction

Le concept de lumière est habituellement abordé en école primaire à travers des expériences et des observations impliquant la formation d’ombres, comme le préconisent les programmes de 2012. La notion de source primaire de lumière ne pose généralement pas de problème aux enfants, ils imaginent aisément qu’une lampe ou le soleil émet de la lumière, d’ailleurs ils dessinent toujours le soleil avec ses rayons de lumière. On trouve également parfois une représentation de la lumière émanant de lampes sous forme de rayons. L’utilisation de la camera obscura permet d’appréhender un concept plus abstrait : celui de source secondaire de lumière ; ce n’est pas direcDécembre 2016

tement la lumière du soleil qui pénètre dans la cabane par l’ouverture, mais la lumière renvoyée par tous les éléments constituant le paysage. En entrant à l’intérieur de la camera obscura, les enfants sont très surpris, ne comprenant pas comment l’image du paysage extérieur peut être vue à l’envers sur un écran. Ils ont tout de suite besoin de regarder par l’ouverture, pour vérifier que c’est bien le paysage et aussi qu’il n’y a pas de dispositif de projection. Ils réalisent également que la lumière pénètre dans la cabane par le petit trou et ceci, indépendamment de leur présence. S’ils sortent de la cabane, l’image est toujours là. Cela aide probablement certains élèves à faire évoluer leur conception concernant la direction de propagation de la lumière dans le sens objet observateur. Si Al Hassan Ibn Al-Haytham, à qui on attribue l’invention de la camera obscura, considéré comme le père de l’optique moderne, a mis fin, au XIe siècle, à la controverse datant de plus de quinze siècles concernant le sens de la vue, il est intéressant de remarquer que l’expérimentation avec cet objet scientifique semble avoir participé à faire évoluer favorablement les conceptions des élèves. n

Références Philippe Meirieu, Le plaisir d’apprendre,

éditions Autrement, 2014.

Cécile de Hosson, Wanda Kaminski, « Un

support d’enseignement du mécanisme de la vision inspiré de l’histoire des sciences », Didaskalia n° 28, 2006. « Progressions pour l’école élémentaire (jusqu’en juin 2016). Une aide à la mise en place des programmes », BO n° 1 du 5 janvier 2012.

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1. Rêver-créer

Savoir énoncer pour apprendre À l’adresse des enseignants de sciences physiques quand on aborde leur discipline, on dit souvent : « Ah, moi je n’ai jamais rien compris en physique. » Comment acceptent-ils que cette matière qui leur tient tant à cœur soit restée à ce point abstraite, alors qu’elle est censée décrire le monde qui nous entoure ? Marie-Camille Coudert, professeure de sciences physiques, Paris Olivier Sauret, professeur de sciences physiques, Paris

E

n 5e, un TP (travaux pratiques) classique aura pour question « à quelle température l’eau se vaporiset-elle ? ». Au-delà du fait que ce n’est pas intéressant car tous les élèves connaissent la réponse, toute la partie complexe est implicite. Demandons plutôt aux élèves : « L’œuf à la coque doit cuire trois minutes dans l’eau bouillante. Peut-on accélérer le temps de cuisson ? » Les élèves connaissent tous une réponse : « Il faut forcer le chauffage. » Toute la difficulté sera donc de les amener à se poser la question scientifique : « La température de l’eau changet-elle lors de la vaporisation ? » changement de langage

Autre exemple au lycée : le TP classique partant de la question « quelle est la concentration molaire de cette solution ? » contourne la phase d’appropriation. Partons plutôt de la question en langage courant : « À quoi sert cette solution de permanganate de potassium ? », accompagnée de documents expliquant que la propriété antiseptique de cette matière peut être utilisée dans différents cas (aquarium, plaies, etc.) en fonction de la concentration molaire. Un premier travail consistera à faire formuler par les élèves la question du TP classique, ce qui nécessite une appropriation de la situation imposant de passer d’une situation concrète qualitative à une question quantitative. L’appropriation d’un problème réel passe par un nécessaire changement de langage. En partant du 22

vocabulaire courant, on cherche à introduire les langages scientifiques (des grandeurs physiques : température, concentration), ce qui va permettre de poursuivre la démarche scientifique (observation attendue, protocole, observation, etc.). Par ailleurs, apprendre c’est aussi modifier ses conceptions. C’est la résonance des deux questions formulées en langage courant et en langage scientifique qui va amener les élèves à changer de conception : ce n’est pas la même chose de savoir que l’eau bout à 100 °C et que l’eau pure bouillante ne peut être qu’à 100 °C.

Passer d’une situation concrète qualitative à une question quantitative. Apprendre des processus de traduction participe au changement de conception. Nombreux sont les adultes qui continuent à forcer le feu sous la casserole de la soupe, alors qu’ils savent que l’eau bout à 100 °C. Mais la connaissance acquise en langage scientifique et sans travail de traduction reste abstraite, déconnectée du réel. L’appropriation par les élèves

Pour que les élèves apprennent à s’approprier, il est important de leur laisser le temps et l’opportunité de le faire. Une fois la situation didactique concrète présentée aux élèves en langage courant, laissons-les rentrer dans le problème, en les accompagnant. Nous commençons la chimie en 5e

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par la situation suivante : un glaçon est mis dans un bécher d’eau, un autre dans un bécher d’huile et un troisième dans un bécher rempli d’eau et d’huile. Le glaçon flotte ou pas, selon le bécher. On demande ensuite aux élèves de proposer une hypothèse pour expliquer cela ainsi qu’une expérience pour éprouver leur hypothèse. Sur un tel problème ouvert comme cela, les hypothèses et les stratégies de résolution des élèves sont extrêmement variées. Certains élèves partent de leurs conceptions, erronées ou non. Ils écrivent donc, en langage courant, des hypothèses du type « il y a de l’air dans l’eau et pas dans l’huile » ou « l’huile est plus légère que l’eau ». Dans une démarche d’accompagnement, le professeur va aider les élèves à les formaliser en langage scientifique : «  Il y a du dioxygène dissout dans l’eau » et « la masse de l’huile est plus faible que la masse de l’eau. » C’est à ce moment qu’un élève de l’équipe va remplir une fiche d’apprentissage. Il s’agit d’une fiche recensant les mots de vocabulaire nouveaux appris (« masse », « volume », « dissout dans ») ainsi que les savoir-faire abordés (mesurer une masse, chauffer de l’eau pour éliminer les gaz dissous). De l’information au savoir

D’autres élèves ont une démarche assez différente, ils vont tout simplement aller sur internet et inscrire dans leur moteur de recherche « pourquoi un glaçon flotte-t-il dans l’eau ?  » et écriront une hypothèse en langage scientifique : « Le glaçon flotte, car sa densité est plus faible que celle de l’eau. » À nous de les interroger sur le sens du mot densité. C’est en leur apprenant à ne pas inscrire un mot sans connaitre la définition exacte qu’ils acquerront cette fameuse rigueur scientifique si difficile à enseigner. Si la phase d’appropriation nous semble si importante, c’est que cela permet d’ancrer l’apprentissage des concepts dans le réel et ainsi de les


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1. Rêver-créer

rendre applicables à d’autres situations. Classiquement, le transfert est demandé de façon implicite à partir de l’apprentissage du cours. Or, un cours est une présentation des notions via la logique d’un expert souvent peu accessible à un apprenant découvrant les concepts. L’apprentissage d’un cours classique par l’élève se limite souvent à la mémorisation globale, sans qu’il soit conscient des détails qui permettent l’application, à savoir la formalisation d’un concept dans les différents langages d’un physicien. Pour aider l’élève dans ce travail de traduction, un mot (par exemple « densité ») apparu dans une ressource internet va être inscrit par l’élève dans une fiche de vocabulaire contenant un schéma (pourquoi pas celui du TP du jour) afin de visualiser le mot, une relation mathématique ou le formalisme chimique appliqué à la situation décrite par le schéma, et une définition en français. Cette fiche servira de base à l’apprentissage, en remplacement d’un cours classique. Il sera travaillé en équipe et validé par le professeur. Ce travail nous interroge également sur le rôle de l’information contenue dans un document. La fiche de vocabulaire permet de traiter une information provenant d’une ressource pas forcément contrôlée

par l’enseignant (typiquement une définition sur internet), grâce à la traduction sur différents langages obligeant l’application à une situation concrète, à savoir schéma, maths ou symbolique chimique. On passe de l’information au savoir. Un enseignement à l’apprentissage

Un enseignement organisé en cours-exercice type, conduit à un apprentissage qui consiste à savoir répéter des situations déjà vues. Il

Outil La fiche d’apprentissage

ne permet pas d’aborder une situation nouvelle, abordée de façon complexe en évaluation. L’évolution des évaluations certificatives comme le bac est frappante. Si on regarde le sujet du bac physique des centres étrangers 2015, on sort clairement de l’évaluation classique autour de savoir-faire simple, du minimum attendu. Les sujets intègrent volontiers des questions complexes et des documents sur des concepts non travaillés au cours de l’année. Le travail d’appropriation développé pour l’apprentissage va alors être transférable à la résolution d’exercices, y compris en évaluations. n

Cette fiche est remplie au fur et à mesure du TP par les élèves. Une partie peut être remplie en amont par le professeur, notamment en début d’année. Outil indispensable de métacognition, elle permet de faire prendre conscience aux élèves des nouveaux concepts appris.

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2. Expérimenter

Pourquoi faire des activités pratiques en sciences ? Pas toujours facile d’accompagner à la démarche d’investigation un élève désorganisé. Un accompagnement efficace ne passeraitil pas par un travail sur l’organisation de la pensée ? Patricia Marzin-Janvier, maitre de conférences HDR, ESPÉ de Grenoble, équipe MeTAH-Laboratoire d’informatique de GrenobleUGA

L

a démarche d’investigation est réputée d’autant plus efficace pour les élèves qu’ils conçoivent leurs propres expériences et qu’ils en tirent personnellement les conclusions. Dans ce cas, les élèves sont engagés dans des situations proches de celles que les scientifiques vivent, ils sont davantage motivés et impliqués dans les situations d’apprentissage, ils s’engagent dans des discussions portant sur les concepts scientifiques en jeu, les données expérimentales et la critique de leurs expériences. Les élèves construisent alors des liens entre connaissances et expériences par le biais du questionnement et des hypothèses qu’ils formulent à partir de leurs connaissances et de leurs conceptions. Les travaux de recherche montrent que les élèves apprennent à la fois des connaissances des domaines concernés et des aptitudes à mener une démarche d’investigation (formuler une hypo24

thèse, concevoir une expérience, interpréter des données, etc). Ils construisent en outre des compétences liées au travail collaboratif et ils se font une meilleure idée du travail scientifique.

Suffit-il de faire pour apprendre ou est-ce qu’apprendre c’est faire ? Les activités pratiques ont donc un rôle important dans l’apprentissage, mais suffit-il de faire pour apprendre ou est-ce qu’apprendre c’est faire ? Les auteurs qui ont étudié cette question se réfèrent à Piaget pour expliquer pourquoi les activités pratiques sont essentielles à la compréhension du monde. Piaget propose que le terme actif soit compris comme « accepter ou se donner un but, plus ou moins précis d’ailleurs, et organiser soi-même son activité afin de l’atteindre ». Pour Maryline Coquidé, « il est classique de consi-

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dérer que l’action est source de connaissances. Ainsi dans la théorie piagétienne, l’enfant construit son intelligence depuis la naissance, par interactions entre ce qu’il est à un moment donné et la réalité qui l’entoure, c’est-à-dire par son activité, et par l’adaptation continuelle des schèmes d’assimilation ». Robin Millar souligne que si la construction des représentations est dans un premier temps individuelle, elles ont besoin pour être ancrées solidement d’avoir été partagées et validées par la communauté des élèves ou par l’enseignant. L’action est utile, mais pas suffisante et, surtout, elle doit intervenir dans un contexte particulier et à un moment déterminé du développement de l’enfant. mener des activités pratiques

Un débat a émergé dans la communauté des chercheurs sur l’efficacité de la démarche d’investigation. Certains chercheurs considèrent qu’elle est inefficace et source de confusion pour les apprenants, qui mèneraient des raisonnements faux alors que d’autres argumentent en faveur de son intérêt pour l’apprentissage. Ceux, majoritaires, qui adoptent ce deuxième point de vue pensent que la démarche d’investigation expérimentale possède une


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2. Expérimenter

réelle valeur ajoutée pour les élèves et pour les enseignants, mais qu’elle est complexe à mener. En effet, pour mener cette démarche de façon autonome, les élèves doivent s’approprier un problème, formuler des hypothèses, définir des mesures et des variables, interpréter des résultats et élaborer une conclusion. C’est donc une tâche qui mobilise de nombreux objectifs de difficultés hétérogènes. Certains objectifs sont maitrisés spontanément par les élèves, alors que d’autres nécessitent un apprentissage, qui s’effectuera sur du long terme. Les travaux menés montrent que les élèves aiment réaliser des activités expérimentales, mais qu’ils n’en tirent pas forcément un bénéfice en termes d’apprentissage des notions. Pour Millar, les idées et les explications n’émergent pas spontanément des données expérimentales, et il est nécessaire que les enseignants guident les élèves pour que ces derniers établissent des liens. Les travaux portant sur l’analyse des difficultés des élèves montrent qu’ils sont globalement capables de proposer une démarche à partir de problèmes qu’ils déterminent euxmêmes, mais qu’ils perdent souvent de vue le but des expériences qu’ils sont en train de réaliser et la cohérence de la démarche. D’autres travaux montrent que les élèves les plus performants sont ceux qui sont capables de comprendre le but et de s’y référer tout au long de la mise en œuvre de la démarche. L’activité d’analyse des données est également

mal maitrisée par les élèves, car elle est souvent prise en charge par l’enseignant. En résumé, les élèves ont des difficultés à mettre en œuvre une démarche systématique et exhaustive. Ceci serait dû à des difficultés cognitives qui se retrouvent aussi chez les adultes, car « enfants et adultes ont tendance à arrêter leurs recherches dès qu’ils estiment avoir trouvé un facteur qui compte[1] ». Finalement, le rôle et le statut des expériences ne sont pas évidents

Les élèves aiment réaliser des activités expérimentales, mais n’en tirent pas forcément un bénéfice en termes d’apprentissage des notions. pour les élèves, chez qui il semble y avoir une véritable « résistance au réel[2] ». Une autre problématique concerne l’identification des stratégies utilisées par les élèves, qui sont qualifiées d’« exploratoires », de « sécuritaires adaptatives », de « pilotées par la manipulation », ou de 1  Patricia Marzin-Janvier, Comment donner du sens aux activités expérimentales ?, (référence en encadré page suivante). 2  L’idée exprimée ici est que le recours au réel pour chercher, pour observer, pour valider des hypothèses n’est pas la solution utilisée spontanément par les élèves, qui préfèrent utiliser des documents ou bien questionner des experts. En effet, la construction de modèles scientifiques s’appuie sur des investigations scientifiques où le réel ne se laisse pas facilement maitriser.

Contexte L’élève chercheur Depuis 2007, la démarche d’investigation (DI) est préconisée en Europe pour apprendre les sciences, à la suite des recommandations d’une commission européenne pilotée par Michel Rocard[1]. Cette démarche pédagogique est présentée comme très prometteuse. À la suite de ce rapport, la démarche d’investigation a été introduite dans les programmes de tous les pays européens. En France, la démarche d’investigation 1  Michel Rocard, Peter Csermely, Doris Jorde, Dieter Lenzen, Harriet Walberg-Henriksson & Valérie Hemmo, Science Education Now : a renewed pedagogy for the future of Europe, European Commission, 2007.

était déjà présente dans les programmes avant 2007, mais elle est présentée de façon beaucoup plus détaillée dans les programmes de collège publiés en 2008, où il est proposé aux élèves d’analyser le problème, de formuler des hypothèses, de concevoir des protocoles d’expériences, de contrôler et d’isoler des paramètres et leur variation, d’expliciter des méthodes, d’exploiter, de synthétiser et de structurer des résultats. Cette démarche place l’élève dans une posture qui s’apparente à celle d’un chercheur. P. M. J.

« défaitistes[3] ». Les travaux qui étudient la façon dont les élèves apprennent montrent que la construction du sens passe par l’inter­action et la verbalisation orale et écrite. L’étude des savoirs mobilisés et produits par les élèves à partir de l’analyse des pratiques argumentatives ou des productions écrites est un champ de recherches prometteur pour comprendre comment le sens se construit lors des activités et pour proposer des aides. Comment aider les élèves ?

Si l’on souhaite mettre l’accent sur la réalisation d’expérimentations bien contrôlées, il faut laisser aux élèves un temps assez long (plusieurs semaines). D’autre part, certains objectifs nécessitent un travail interdisciplinaire. Par exemple, pour le traitement graphique des données et la modélisation, un travail en lien avec les mathématiques s’impose. Il est également nécessaire d’impliquer les élèves dans des activités cognitives telles que planifier, anticiper, questionner, justifier, contrôler. Ces activités métacognitives sont étayées par des activités de production et de représentation personnelles (schématique, langagière, textuelle, kinésthésiques, etc.), afin d’en améliorer la prise de conscience. En effet, l’explicitation de sa pensée ou de sa façon de voir le problème permet à l’élève de progresser dans sa résolution. Les productions graphiques permettent également aux élèves de prendre de la distance par rapport aux activités manipulatoires. Les travaux actuels étudient des solutions numériques pour étayer la démarche d’investigation expérimentale. Ce peut être par exemple par le biais de cahiers de laboratoire numériques qui structurent le compte rendu de l’élève en étapes bien identifiées. Ces supports permettent également aux élèves d’acquérir une vision synthétique des différents éléments de leur rapport, ils structurent l’écriture des protocoles, ils proposent des ressources adaptées à la tâche et des consignes spécifiques relatives à chaque activité[4]. Des dispositifs tactiles de réalité augmentée sont aussi n n n 3  Patricia Schneeberger & Raymond Rodriguez, 1999 (voir réf. encadré). 4 Voir par exemple la plateforme LabBook : labbook.imag.fr

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2. Expérimenter

proposés aux élèves, afin de les aider à organiser le matériel de laboratoire. Enfin, l’utilisation de logiciels de simulation permet de leur donner à voir des objets et des phénomènes inaccessibles en contexte scolaire. Les animations et les ressources à leur disposition jouent alors le rôle de référent empirique virtuel, qui n’ajoute pas de confusion ou de difficulté d’utilisation particulière. nnn

De nombreux travaux existent qui ont bien identifié les difficultés des élèves et des enseignants soit du côté cognitif ou métacognitif, soit du côté méthodologique. À l’avenir, des outils numériques qui intègreront les résultats de la recherche seront mis à disposition des élèves et des enseignants pour guider et étayer la démarche d’investigation. n

Du lait au yaourt Laisser les élèves se tromper puis s’apercevoir de leurs erreurs pour consolider la méthodologie, tel est le parti pris de cette enseignante avec sa classe de 6e. Cela suppose un cadre rassurant. Alice Vandermoere, professeure de SVT, formatrice collège Louis-Blériot de Sangatte

L

’entrée dans la démarche expérimentale peut être très linéaire si l’on est dans le modèle Oheric (Observation, hypothèses, expériences, résultats, interprétation, conclusion). L’élève suit alors un schéma élaboré et réfléchi par le professeur. L’expérimentation est ici un moyen de rendre l’élève actif en classe, mais il est loin d’être acteur. Au contraire, nous devons permettre à nos élèves de réfléchir, penser, élaborer, tâtonner, mettre en œuvre, se tromper, réajuster, recommencer. C’est ainsi que fonctionnent les scientifiques. J’aime rappeler à mes élèves que ce sont parfois par des erreurs que naissent les plus grandes découvertes.

C’est en privilégiant le réel que l’on motive les élèves.

Références Maryline Coquidé, Patricia BourgeoisVictor, Béatrice Desbeaux-Salviat,

« Résistances du réel dans les pratiques expérimentales », Aster n° 28, p. 57-77, 1999. Patricia Marzin-Janvier, « Comment donner du sens aux activités expérimentales ? », Note de synthèse pour l’habilitation à diriger des recherches, université Joseph Fourier-Grenoble 1, soutenue le 7 juin 2013. Robin Millar, « Investigations des élèves en sciences : une approche fondée sur la connaissance », Didaskalia n° 9, p. 9-30, 1996. Patricia Schneeberger, Raymond Rodriguez, « Des lycéens face à une

investigation à caractère expérimental : un exemple en 1re S », Aster n° 28, p. 79-105, 1999.

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J’exposerai ici un exemple abordé avec les élèves de 6e. Ils cherchent les facteurs responsables de la transformation du lait en yaourt. C’est en privilégiant le réel que l’on motive les élèves, ils se trouvent face à quelque chose qui les interpelle et ont envie de savoir. Naissent alors des idées, ils se rendent vite compte qu’elles sont peu efficaces pour la résolution du problème, qu’ils n’en savent rien ! C’est à moi de les mener à construire leurs hypothèses, les élèves ne pourront, seuls, penser aux ferments lactiques et à une température de 42 °C. Une fois les idées posées, je leur demande comment poursuivre notre démarche ? Ils proposent tous de faire la même chose : un yaourt. J’aime les laisser partir dans ce qu’ils croient être de l’expérimentation. Ils trouvent alors à leur disposition tous les éléments pour réaliser la recette d’un yaourt qu’ils appliquent à la lettre, soucieux de bien faire, se donnant comme unique objectif de réussir leur

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yaourt. Quelques jours plus tard, nous voilà avec une série de yaourts dont ils pourraient se contenter. Je demande aux élèves s’ils pensent avoir prouvé que les deux facteurs étaient indispensables à cette transformation ; émergent alors les premiers doutes. Les élèves se rendent comptent qu’ils se sont contentés de croire en des idées. Ils comprennent alors que ces idées ne doivent pas être considérées comme des affirmations, mais comme des suppositions qu’ils doivent vérifier grâce aux expériences. On ne fait pas des expériences pour se contenter de manipuler, d’être actif en classe. L’expérimentation s’inscrit dans un processus, c’est un moment clé de la démarche qui sert à éprouver les hypothèses. Avant d’expérimenter, ils doivent élaborer une stratégie. Comment prouver que ces deux facteurs sont indispensables ? Cette étape est réalisée d’abord en binôme, puis ceuxci confrontent leur stratégie avec celle des autres. Le but est ici de développer l’esprit critique : accepter de remettre en cause ses propres idées. C’est durant cette phase que les élèves font appel aussi à leur créativité en imaginant des dispositifs de test. Je discute avec eux de la faisabilité et de la pertinence de ces derniers. Les élèves sont également amenés à faire des prévisions : qu’attendent-ils comme résultats ? Lâcher prise pour exploiter les résultats

Vient alors la phase de mise en œuvre de la stratégie, celle où les élèves manipulent. Ils pourront être amenés à trouver d’eux-mêmes les outils, le matériel qui leur sera nécessaire. Ici, le matériel était connu des élèves, mais ils ne suivent plus une recette préétablie. À nous de les rassurer, de leur faire comprendre que l’on sait qu’ils peuvent bien faire. Ils oseront alors se trom-


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2. Expérimenter

per, recommencer et modifier leur cheminement. Nous devons aussi leur montrer que nous avons confiance en eux, il faut accepter de lâcher prise et de leur laisser de la liberté, ce qui valorisera leurs travaux et les responsabilisera : ce qu’ils entreprennent vient bien d’eux et non du professeur. L’élève est ainsi à la fois actif et acteur, il est partie prenante dans ses apprentissages. Pour rendre compte des résultats, les élèves ont déjà travaillé différents moyens de communication (dessin,

phrases, tableaux, cartes mentales, schéma, photos, etc.), nous pouvons les laisser de nouveau libres dans leur choix ou le leur imposer selon les objectifs visés. Dans cet exemple, nous avons travaillé avec les élèves sur la manière de schématiser des expériences. Enfin, les élèves apprendront à exploiter leurs résultats. Ils peuvent alors se trouver déstabilisés quand ils se trouvent face à des résultats qui contredisent leurs conceptions initiales. À nous de leur permettre

de garder confiance en leur montrant que les sciences se construisent et tendent à se rapprocher de la vérité sans la saisir tout à fait. Les sciences peuvent émettre des énoncés, mais elles restent provisoires, car sans cesse remises en question par de nouvelles découvertes ou question. Développer la curiosité, la confiance en soi, le questionnement et l’envie de chercher chez nos élèves est là notre challenge. n

Approche curriculaire en technologie L’organisation du collège en cycles pose de nouvelles questions par rapport à l’évaluation des compétences. Comment donc évaluer autrement dans le cadre d’une réforme qui insuffle des changements, dont l’écriture curriculaire des programmes ? Francis Blanquart, professeur de technologie

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ans le cadre de la réforme des collèges, l’évaluation a besoin d’être repensée. Comment analyser les prestations et les productions de nos élèves pour qu’ils apprennent mieux ? Dans les nouveaux bulletins, présentés par la ministre en septembre 2015, on découvre quatre niveaux de validation des domaines de compétences du socle : insuffisant, fragile, satisfaisant ou maitrisé. Chacun de ces curseurs correspond à un nombre de points non compensable entre composantes de ces domaines. Cette précision est importante, car la non-compensation est l’un des principes fondateurs de l’approche par compétence. La question se pose donc, en technologie comme dans les autres disciplines, de pouvoir attester du niveau de compétence de chacun des élèves ? Comment, à partir de leurs performances, les juger collé-

gialement et sur quels indicateurs vais-je pouvoir m’appuyer ? On pourrait par exemple utiliser un outil, qui articule famille d’indicateurs et curseurs d’évaluation. Prenons un exemple dans le référentiel de technologie, le repère de progressivité « Participer à l’organisa-

Comment, à partir de leurs performances, les juger collégialement ? tion et au déroulement de projets » peut se traduire de la manière suivante (voir tableaux page suivante) : Les tableaux définissent une échelle descriptive pour les trois années face à chaque attendu de fin de cycle et aident à construire une véritable progressivité. Le découpage en cycles nous laisse du temps pour construire les savoirs et cela nous permet de revenir pluDécembre 2016

sieurs fois sur des notions ou des concepts incontournables. Les familles d’indicateurs doivent nous aider à donner une valeur à la production ou prestation de chaque élève. Des outils comme les cartes m e n t a l es, l es n a r ra t i o ns d e recherche, les entretiens d’explicitations ou les journaux des apprentissages peuvent permettre d’évaluer les processus d’apprentissage des élèves. Tout cela donne du sens à leurs efforts et lie plus finement l’apprentissage et l’évaluation. Prenons un exemple en technologie, avec un objet d’enseignement attendu en fin de cycle : « Simuler numériquement la structure ou le comportement d’un objet ». Cette compétence ne traduit en rien le niveau exigé, indique encore moins comment l’atteindre. Dans cet exemple, c’est la complexité du support d’étude qui va servir de curseur d’évaluation. Concrètement, une forme simple en 5e comme un volume élémentaire, un élément de système plus complexe en 3e. Ces attendus terminaux de fin de cycle peuvent être considérés comme un référentiel d’évaluation et donnent toute la légitimité au curriculum, en permettant de réfléchir à une progressivité sur un cycle de trois ans. nnn I N° 533 I Les Cahiers pédagogiques I 27


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Participer à l’organisation et au déroulement du projet 1

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L’élève participe à l’organisation de projets, il connait le rôle des différents participants.

L’élève participe à l’organisation de projets, il connait le rôle de tous. Il connait la planification du projet en anticipant les tâches à réaliser.

L’élève participe à l’organisation de projets, il connait le rôle des participants. Il connait la planification du projet en anticipant les tâches. Il sait se projeter et anticiper les tâches à réaliser.

L’élève participe à l’organisation de projets, il connait le rôle des participants. Il connait la planification du projet en anticipant les tâches. Il sait se projeter et anticiper les tâches. Il sait préparer sa prestation pour une revue de projet, il présente des résultats.

Réaliser, de manière collaborative, le prototype d’un objet communicant 1 Assembler des pièces données, avec l’aide de l’enseignant, pour réaliser en équipe tout ou partie d’un objet communicant

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Assembler des pièces données, en suivant une procédure fournie, pour réaliser en équipe tout ou partie d’un objet communicant

Réaliser en équipe, à partir de quelques pièces fournies, tout ou partie d’un objet communicant, en suivant une procédure formalisée

Réaliser en équipe tout ou partie d’un objet communicant en suivant une procédure formalisée

Le second tableau s’inspire en partie de l’outil d’aide à la réflexion existant pour le cycle 3.

C’est en accompagnement personnalisé que l’on pourra travailler sur les erreurs des élèves et les aider à déplier leur pensée. Par exemple, j’utilise, dans ces séances, l’analyse des erreurs. Les élèves viennent de réaliser des pièces, puis ils en analysent les défauts de fabrication, en réfléchissant à leurs erreurs. Pour pouvoir expliciter les éventuels problèmes rencontrés lors du processus de fabrication, l’élève doit entrer progressivement dans le concept « formeprocédé-matériau ». Ce travail d’évaluation formative permet d’accorder un temps à chacun pour modéliser, intégrer et ancrer les savoirs. nnn

Des exemples

Toujours dans l’objectif de développer la métacognition indispensable à la prise de recul des élèves sur leurs apprentissages, je propose aux élèves de 6e d’utiliser un mur numérique consacré à l’analyse des erreurs de réalisation d’éléments de maquette. Exemple : Repères de progressivité : participer à l’organisation et au déroulement de projets Dans une classe de 5e, lors d’un moment d’échanges avec un groupe de quatre élèves : Enseignant : «  Dis-moi Louis, quel est ton rôle dans l’équipe ? Louis : — Je ne sais pas monsieur, ce sont les autres qui ont choisi pour moi, moi je ne voulais pas. E : — Il n’y a pas un moyen de le savoir ? 28

L : — Si, demandez aux autres du groupe ! E : — Et toi, tu ne peux pas trouver l’information, tu ne sais pas ce que tu dois faire ? L : — Si. Sur la fiche du groupe, je crois. E : — Et que dois-tu faire comme travail, alors ? L : — Je crois bien que je dois dessiner la pièce en forme de L, la n° 2. E : — Comment le sais-tu ? L : — Eh bien, j’ai regardé le dessin en 3D, et il est marqué avec mon nom, alors ça doit être ça. E : — La prochaine fois, regarde

tout de suite pour éviter d’attendre, essaye d’anticiper le travail à faire. » En 4e Repères de progressivité : réaliser, de manière collaborative, le prototype d’un objet communicant. Pauline est une élève de 4e qui me demande au bout de dix minutes : P : «  Monsieur, pourquoi mettre la pièce du socle avant la pièce support dans l’assemblage ? E : — Pauline, regarde la procédure et dis-moi si tu peux faire le contraire. P : — Non monsieur, je crois que c’est impossible ça ne pourrait pas

Point de vue Tâches et situations complexes L’introduction des tâches complexes et la posture réflexive qui en découle nécessitent en effet de modifier notre posture d’évaluateur, de développer notre expertise de l’observation. Il ne faut pas tomber dans le piège qui consisterait à n’évaluer que des connaissances et des capacités, activité de contrôle plus simple que la mise en place d’une véritable évaluation par compétence. Nous sommes peut-être dans la posture d’un enquêteur qui n’est

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pas seulement à la recherche d’indices, mais qui doit aussi pouvoir les croiser pour prendre des décisions sur la valeur d’une production, d’une prestation ou de la stratégie utilisée pour résoudre une tâche complexe. L’approche par compétences nous demande d’évaluer une « mobilisation des acquis », il faut donc que l’on enseigne à nos élèves à interpréter la situation complexe proposée, à traduire la consigne ouverte en ressources à mobiliser,

à sélectionner à bon escient ces ressources et, surtout, à les combiner. Les ressources à mobiliser doivent figurer dans un document de structuration accompagné par des critères de réussite. Les situations complexes, les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) et les projets sont des supports d’apprentissage et d’évaluation incontournables pour développer l’autonomie intellectuelle des élèves. F. B.


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2. Expérimenter

s’assembler, la rainure est plus petite de deux millimètres. E : — Il faut absolument commencer par analyser ensemble la procédure d’assemblage. » Ces deux exemples confirment qu’il est important de ne pas donner la réponse, tout au plus des pistes, en se mordant la langue, même si on pense gagner du temps. Prendre l’élève là où il en est, ne jamais penser qu’il ne sait rien, bien au

contraire, il faut toujours le guider pour essayer de le faire entrer dans une posture réflexive. En nous appuyant sur les niveaux d’exigence attendus, il nous est plus facile de conduire le questionnement des élèves, et de le rajuster au fur et à mesure des informations collectées. En accompagnement, il importe de prendre le temps de faire les analyses, les entretiens, de différencier

en tenant compte des résultats et des niveaux d’exigence définis. Il faut du temps pour apprendre, l’accompagnement personnalisé est un dispositif qui peut en faire gagner, il permettra d’aider les élèves pour qu’ils puissent plus facilement franchir un nouvel obstacle d’apprentissage. Le travail sur la construction d’échelles descriptives peut aussi être mis au service de l’évaluation formative. n

Explorer ensemble l’interdisciplinarité L’interdisciplinarité et la pédagogie de projet qui se développent au lycée dans le cadre des enseignements d’exploration en 2de offrent un champ de liberté, de créativité pour élèves et professeurs. Hélène Hervé, professeure de SVT dans les Yvelines Sonia Madani, professeure de sciences physiques dans les Yvelines

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otre expérience débute en septembre 2009. Les enseignements d’exploration interdisciplinaires arrivent en 2de, après un passage au collège sous différentes formes. Nous y voyons une occasion unique de travailler ensemble : choix des thématiques, choix des méthodes, coprésence dans la classe. Une heure trente par semaine, ensemble, c’est l’occasion de réfléchir à l’enrichissement mutuel que nos pratiques et disciplines peuvent nous apporter. Nous disposons à présent d’un espace de créativité et de liberté. Les premiers pas

Quelques jours avant la rentrée, nous discutons de nos envies, de nos centres d’intérêt et de comment les rattacher à cet enseignement interdisciplinaire : les arts, le jeu de rôle, la philosophie, la science spectacle, etc. N os v i s i o ns p é d a g o g i q u es devraient amener les élèves à être

actifs, autonomes, créatifs. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il nous faudra leur offrir des espaces de liberté, d’expression, de choix. S’appuyer sur ce que nous connaissons

les élèves ? Ce sera notre premier thème. Nous avons déjà en tête notre deuxième thème depuis un certain temps : l’envie de créer un jeu de rôle autour de la police scientifique. Les élèves seront pendant quelques semaines des experts, des enquêteurs méticuleux, des journalistes, etc., les professeurs des suspects et des juges : les personnels chargés de labo, chargés de l’entretien, le proviseur, les conseillers principaux d’éducation, les surveillants seront nos témoins. À notre grande joie, le lycée entier participera de bonne grâce à cette enquête de trois mois. n Les choix pédagogiques

n Les thématiques

La liberté offerte par ces options, c’est d’abord leurs thématiques

L’occasion de réfléchir à l’enrichissement mutuel que nos pratiques et disciplines peuvent nous apporter. ouvertes : arts et science, chimie et beauté, investigation policière, aliments, etc. Sonia revient de ­Figueras, nous discutons de Dali, cet artiste dont elle admire profondément l’œuvre. Nous en venons au gout de l’artiste pour les sciences. Pourquoi ne pas partager cela avec Décembre 2016

Exit le cours dialogué, le premier thème suivra le modèle des travaux pratiques encadrés, projets qui permettent l’investigation, le travail de groupe, la prise de responsabilités, l’expérimentation et la créativité : les élèves pourront se tromper, se confronter à leurs limites et les dépasser par la coopération au sein du groupe et avec les adultes. Les professeurs seront présents ensemble dans la classe tout comme les professionnels contactés dans le cadre du projet. Mais nous voulons aller plus loin : le travail des jeunes (productions scientifiques et artistiques à la manière de Dali) sera valorisé n n n I N° 533 I Les Cahiers pédagogiques I 29


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par une exposition au CDI et non pas réservé à la seule classe ou à un jury restreint. Pour le deuxième thème, nous choisissons un travail d’investigation, par équipe, dont nous déterminons le sujet pour les groupes. L’enquête est la même pour tous et nous limitons notre charge de travail et d’organisation en faisant découvrir chaque semaine une méthode ou technique d’analyse scientifique et en discutant des résultats pour faire avancer l’enquête (mise en relation des résultats d’analyse, des hypothèses et des témoignages). Autre différence par rapport au premier thème : les élèves ont des rôles (expert de laboratoire, journaliste, chef d’équipe, enquêteur, etc.). Ils échangent ces rôles au sein du groupe au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête. Un carnet d’enquête centralise les résultats et un plateau de jeu permet de visualiser la progression de chaque groupe. Les journalistes créent des pages de différents genres, permettant l’expression d’une créativité, d’un esprit de synthèse et de déduction : affichées dans les couloirs de sciences, elles informent le reste de l’établissement de l’avancée de l’enquête et valorisent le travail des élèves. nnn

Ce que nous retenons n Le retour des jeunes

Nous avons demandé leur ressenti à nos élèves, anciens et actuels. Sans surprise nous retrouvons le plaisir de travailler « différemment par rapport à un cours classique », avec davantage de « liberté » et la « complémentarité ». Un témoignage de Manon, une ancienne élève, nous parait particulièrement pertinent : « Je dirais que c’était très bien et même essentiel que vous soyez deux professeurs pour cette option. C’était expérimental et avoir des points de vue différents (personnalité et matière enseignée) était important pour nous aider dans nos travaux. De plus, vous vous entendez très bien, mais vous n’avez pas du tout le même contact, la même approche avec les élèves. En tant qu’élèves, ça nous apprend à travailler avec des professeurs différents sur une même matière. Moi, j’ai apprécié d’avoir cette alternance entre deux professeurs. Après, ce n’était pas un cours classique parce qu’on 30

tâtonnait, on ne savait pas exactement où il fallait aller parfois, et puis il y avait un côté moins scolaire. Le fait qu’il y ait deux professeurs a permis aussi ça : qu’il n’y ait pas un seul professeur au centre de tout, mais un partage, ce qui permettait aussi une ambiance conviviale. Depuis le lycée, j’ai vécu de nombreuses fois cette particularité : suivre des cours menés par plusieurs intervenants ou formateurs. Comme je le disais plus haut, les cours à plusieurs voix permettent une répartition de la parole, des points de vue différents, une complémentarité, etc., et du coup, l’étudiant est plus facilement intégré au discours, l’échange est plus facile, il y a moins ce côté dominant du professeur qui détient le savoir. » Sophie ajoute que cette option leur démontrait pour la première fois que

Un sentiment de bien utiliser leur temps et l’envie de réaliser des travaux de qualité. « différentes matières permettent de se pencher sur un même problème et se complémentent ». n Le ressenti des professeurs

Le regard bienveillant, l’absence de jugement et de critique non constructive, l’enrichissement mutuel lors de la préparation des séances, les analyses communes des séances apportent confiance et bienêtre. Les échecs, mieux vécus, étaient suivis de vifs débats, intégrant souvent les autres collègues. Nos différences relativement marquées (caractères, disciplines, expériences d’enseignement, gestion des élèves) entrainaient parfois des discussions vives, mais le sentiment de se sentir soutenue et comprise a toujours primé. Les échanges riches avec les élèves renouvelaient notre motivation.

heureux par ailleurs de recevoir l’approbation de leurs camarades, en plus de la nôtre, lorsqu’ils soumettaient une idée acceptée. Comme pour les professeurs, les pratiques d’échanges et de partage de compétences leur ont apporté un sentiment de bien utiliser leur temps et l’envie de réaliser des travaux de qualité. Les réalisations finales restent la clé de voute qui motive l’ensemble de cette dynamique. Il est important de noter que si cette étape finale n’a pas lieu, par manque de temps par exemple, le reste s’effondre et perd son sens, d’où l’importance de bien soigner la restitution finale. n D’autres projets

Depuis ces premières expériences, nous avons cherché et pu tester de nombreux autres projets, que ce soit dans le cadre d’options, de clubs scientifiques ou de thématiques interdisciplinaires : arts plastiques, histoire-géographie, lettres, technologie au collège. Nous avons également pu partager avec les collègues du primaire. À chaque fois nous avons retrouvé l’impression de faire sens, le plaisir d’échanger et de partager, ainsi que le constat d’implication et de motivation des élèves. Certes, l’interdisciplinarité prend du temps et de l’énergie, mais ce qui en ressort est source de richesse et de joie, au point que nous pensons qu’il est essentiel de développer ces formes de travail épanouissantes et complémentaires ainsi que d’autres pédagogies que nous maitrisons mieux maintenant et que nous ne renions pas. Pour alléger la charge de travail, nécessairement importante, notre solution : le partage du travail. n

n Le ressenti des élèves

Plus autonomes, ils se sont approprié leur travail, se sont partagé les tâches et ils ont recherché nos conseils. Les groupes les moins motivés au départ ne dépassaient pas trois élèves, afin qu’aucun n’élève n’ait la possibilité de se désengager (du moins pas totalement) du projet collectif. Notre changement de position a favorisé l’expression de ces élèves,

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Pour en savoir plus

Si nos travaux vous intéressent, contacteznous à partir du blog que nous avons créé : http://blog.ac-versailles.fr/2nousavous/


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Les deux bouteilles L’auteure, après avoir été formatrice en ESPÉ pendant vingt ans, est maintenant formatrice bénévole internationale pour La main à la pâte. Elle présente ici une activité de formation où les adultes sont confrontés à un problème scientifique qu’ils doivent essayer de résoudre seuls, puis par petits groupes. Anne Goube, formatrice IUFM retraitée, formatrice bénévole internationale La main à la pâte

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a façon de procéder est identique à celle utilisée en classe avec des élèves : mise en questionnement pour résoudre un problème. Le problème doit être adapté au public : ni trop facile car ce ne serait plus un problème, ni trop difficile car cela découragerait. Il est préférable que le problème posé ait plusieurs solutions. Vu que cette démarche prend du temps, il est judicieux de la mener prioritairement dans les domaines où les conceptions[1] (des adultes ou des enfants) sont connues pour être présentes et résistantes. Une de ces conceptions résistantes est que l’air, invisible, n’existe pas vraiment : une bouteille vide n’est pas pleine d’air. Le problème posé est le suivant : « Comment faire pour mettre tout l’air de la petite bouteille dans la grande bouteille, et pour être sûr que tout l’air de la petite se trouve dans la grande ? » Les participants sont avertis qu’ils pourront disposer de tout le matériel qu’ils souhaitent. Le matériel est caché pour laisser libre cours à l’imagination et place à la mobilisation des conceptions. Une trame de compte rendu est distribuée et doit être complétée à chaque étape de la démarche. La première partie de la séance concerne la résolution du problème, la seconde partie concerne l’analyse de la démarche. n Première partie : résolution du problème

Chacun réfléchit d’abord seul, par écrit et en silence, pendant cinq 1  L’esprit (des élèves, des adultes) n’est jamais vierge. Chacun s’est construit un système explicatif qui s’avère efficace dans les situations habituellement rencontrées. Ce système explicatif (appelé aussi « conceptions ») s’avère particulièrement résistant aux changements, et en particulier aux efforts d’enseignement.

minutes. Si un participant n’a pas la moindre idée au départ, cela n’a pas d’importance, il peut laisser vide la case correspondante. Je garantis qu’à la fin, tous auront compris. Ensuite, les participants essayent de se mettre d’accord par groupes sur une résolution du problème. Si ceci n’est pas possible, et avant d’en venir aux mains, deux solutions peuvent être retenues. Chaque groupe prépare un poster puis le

« Comment faire pour mettre tout l’air de la petite bouteille dans la grande bouteille ? » présente. Les autres participants peuvent questionner ce qui est présenté. Le formateur écarte les propositions dangereuses, mais ne dit pas ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas. Il accueille les propositions, souvent très différentes, avec une égale bienveillance et un égal enthousiasme. Les participants sont étonnés par la diversité des propositions. Certains sont déroutés par des propositions qu’ils n’avaient pas envisagées, d’autres étayent leur raisonnement, d’autres se posent de nouvelles questions : tous réfléchissent aux solutions proposées,

en se demandant quels seront les résultats expérimentaux. Chaque groupe peut ensuite tester expérimentalement ce que son groupe a proposé ainsi que les propositions des autres groupes. Chaque groupe présente ses résultats. Si nécessaire, certaines expériences peuvent être refaites. Enfin, chacun écrit toutes les solutions possibles, puis le nouveau savoir qui a été construit. Une dernière partie concerne « ce que j’ai appris » et « les nouvelles questions que je me pose ». n Seconde partie : analyse

Les adultes décrivent combien le problème à résoudre les a déconcertés. Certains évoquent leur embarras de ne rien pouvoir écrire, ou bien d’écrire des choses dont ils n’étaient pas surs, des choses « trop simples » pour être « scientifiques », comme couper en deux la grande bouteille (en plastique) et mettre la petite dedans. Les cinq minutes seul, sans parler, leur ont semblé bien longues. Mais ils reconnaissent l’importance de ce temps de réflexion. Temps qu’ils n’accordent pas souvent à leurs élèves : le maitre pose une question, les élèves lèvent le doigt, le maitre interroge. Beaucoup d’élèves ne se sont pas encore posé la question que déjà une réponse est donnée. Ils ont été surpris par l’engagement de chacun des membres du groupe au moment de la mise en commun de leur proposition et de l’accord à trouver. Le ton est parfois monté, la discussion a été animée. Il est impressionnant de voir comment les adultes s’engagent dans l’inte- n n n

Zoom Paroles de participants « Je ne pensais jamais y arriver. Tout seul, je n’avais aucune idée, puis en écoutant les autres du groupe, j’ai trouvé ma place. À la fin, j’avais tout compris ! » « Je trouvais mon idée trop simple pour être scientifique (couper la grande

bouteille), je n’ai pas osé la dire. Le déroulement de la séance m’a donné confiance dans mes possibilités ! » « C’est génial de pouvoir tester les idées du groupe, même si ça ne marche pas. »

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« J’ai toujours détesté les sciences parce que je me trouvais nulle, je ne comprenais rien. Cette fois, j’ai eu le temps de cheminer et de tout comprendre. » A.G.

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raction avec les autres et que plus rien d’autre n’existe que le problème à résoudre ! Les groupes qui proposent des solutions qui ne fonctionnent pas essayent de nombreuses fois en pensant que le matériel est défaillant. Ils soulignent le rôle positif des encouragements du formateur à poursuivre et l’importance que le formateur ne donne jamais la réponse. Au moment de la présentation des résultats expérimentaux, les participants, collectivement, trouvent les justifications et la cause des erreurs : la grande bouteille vide est déjà pleine d’air. Cet air doit partir pour être remplacé par celui de la petite ; pour prouver que c’est bien l’air de la petite, la grande doit être pleine d’eau au départ ; pour permettre la circulation de l’air dans un sens et de l’eau dans l’autre, l’orifice doit être assez gros, ou bien il faut mettre deux tuyaux. Le fait qu’il y ait plusieurs solutions donne une place à toutes les idées. Il n’y en a pas de bonnes et de mauvaises. Il y a celles qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas. Les temps de travail annoncés pour chaque étape sont un peu serrés pour permettre une meilleure dynamique et rester productifs. Les enseignants soulignent l’importance de la trace écrite pour euxmêmes, tout au long de la démarche. Ils relèvent aussi le travail sur des compétences transversales : maitrise de l’oral, argumentation, écoute des autres, autonomie. Ce problème à plusieurs solutions permet d’engager la discussion sur nnn

les autres types de problèmes et sur les étapes incontournables de la démarche. La rubrique « Les nouvelles questions que je me pose » permet de discuter sur les problèmes qui pour-

Bien montrer que ce qui est central est le cheminement intellectuel individuel.

Pour moi, la démarche d’investigation présentée ici permet de bien montrer que ce qui est central est le cheminement intellectuel individuel, qui s’appuie sur le questionnement, les conceptions, l’argumentation entre pairs, puis la validation expérimentale. Elle permet de redonner confiance aux adultes sur leurs possibilités de faire des sciences pour eux-mêmes et, ensuite, en classe. n

raient donner lieu à une nouvelle démarche d’investigation. Ceci permet aussi de discuter de qui pose les problèmes (élèves ? enseignant ?), lesquels sont pertinents à résoudre en classe, qui choisit, etc.

http://librairie.cahiers-pedagogiques.com

S’embarquer dans les apprentissages Revue n° 531 Comment embarquer les élèves dans les apprentissages, pour qu’ils aient l’envie et le plaisir d’apprendre ? Comment développer leur implication et leur engagement dans leurs apprentissages ? Certains dispositifs pédagogiques favorisentils la motivation et la mobilisation des élèves ? Pour quelle efficacité et quelles exigences ?

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Une démarche bien menée Des élèves de 2de se placent en tant que chercheurs pour expliquer l’envahissement de la baie de SaintBrieuc par des algues malodorantes et organisent le travail pour une efficience optimale. Ils envisagent leur participation en fonction des compétences qu’ils souhaitent mettre en avant en 1re ou en terminale.

d’orientation. Cette proposition a suscité l’intérêt des élèves, qui ont tout de suite adhéré au projet. Se partager le travail

Valérie Georgeault, professeure de SVT, Côtes-d’Armor

«

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es algues vertes ça ne sent pas bon et ça n’attire pas les touristes !  » Une photo de la plage de Bréhec, en Côtes-­ d’Armor, au printemps, à l’appui, les élèves réagissent : « Ah, beurk !  » La problématique est alors soulevée par un élève, « mais madame, pourquoi on a ces algues sur les plages de Bretagne, parce que sur la côte d’Azur, on n’en voit pas ? », donc nous allons chercher à comprendre comment expliquer le développement excessif des algues vertes en baie de Saint-Brieuc. Revenir sur les acquis

Les élèves de 2de savent pour la plupart que les algues sont des végétaux chlorophylliens. Comme tous les végétaux verts, elles fabriquent leur propre matière organique (acquis de 6e). Si les algues se développent, c’est donc qu’elles fabriquent de la matière organique. Une série de problèmes émergent de ce constat pour lesquels les élèves formulent des hypothèses explicatives, des conjectures. Le premier type de problème soulevé par ces élèves de 2de a été « comment les algues produisentelles plus de matière organique ? ». Ils ont émis les hypothèses suivantes : il leur faut plus de lumière, plus de matière minérale (dioxyde de carbone, oxygène, eau, sels minéraux). Comment pourrait-on faire pour tester nos hypothèses ? Tout naturellement, ils ont eu l’idée de réaliser des expériences, de chercher des réponses sur internet ou au CDI. Et si on faisait des groupes. Un premier groupe teste l’effet du dioxygène et du dioxyde de carbone sur le développement des végétaux, tandis qu’un second groupe teste l’effet des sels minéraux. Autre problème : « Où est fabriquée la matière organique ? » Les hypo-

thèses proposent soit les feuilles soit à l’intérieur des feuilles, les chloroplastes (organites de la cellule végétale, acquis de 2de, thème 1 : La terre dans l’univers, la vie et l’évolution du vivant). Le troisième groupe choisit de tester ces deux hypothèses. Reste un dernier problème soulevé : « Pourquoi les algues vertes se développent-elles plus particulièrement

« Pourquoi on a ces algues sur les plages de Bretagne, parce que sur la côte d’Azur, on n’en voit pas ? » dans la baie de Saint-Brieuc ? Du fait de bonnes conditions d’éclairement ? ou encore des sels minéraux abondants ?  » Le quatrième groupe choisit de tester ces dernières hypothèses. Afin de différencier les activités, les élèves se sont répartis en fonction de leur volonté d’orientation pour mener l’investigation. En effet, à cette période de l’année, ils avaient déjà, pour la plupart, des désirs

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Pour les élèves souhaitant rejoindre la filière scientifique, les premier et troisième groupes étaient plus appropriés, car ils consistaient à suivre un protocole, analyser les résultats d’expérience afin de répondre au problème. Pour les élèves du premier groupe, il s’agissait de réaliser une expérience EXAO[1] et de mesurer l’évolution des teneurs en oxygène et en dioxyde de carbone dans une enceinte hermétique contenant des élodées[2], dans différentes conditions de luminosité, puis d’interpréter les résultats pour répondre au premier problème. Les élèves du troisième groupe, devaient, eux, identifier la matière produite par les végétaux lors de la photosynthèse et localiser cette production dans la cellule végétale grâce à un plant de géranium. Celui-ci avait été placé à l’obscurité pendant trentesix heures, et certaines feuilles avaient été recouvertes d’une bande de papier aluminium, puis exposées à la lumière pendant une journée. Il s’agissait de déterminer le lieu de synthèse de l’amidon grâce à l’eau iodée. Puis de réaliser une expérience similaire avec des feuilles d’élodées placées à n n n 1  Expérimentation assistée par ordinateur. 2  Plantes aquatiques.

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2. Expérimenter

la lumière ou à l’obscurité pendant vingt-quatre heures et observer les feuilles au microscope après coloration. Cette fois-ci, les protocoles sont fournis, la phase de recherche d’un protocole sera étudiée ultérieurement dans l’année. Pour les élèves qui souhaitaient faire la filière ES (économique et social) ou STMG (sciences et technologies du management et de la gestion), le deuxième groupe était plus approprié, car il s’agissait d’analyser des documents, dont un tableau, et de les mettre en relation pour répondre au problème suivant : «  comprendre le rôle de sels minéraux dans la photosynthèse ». Pour les élèves souhaitant aller en filière L (littéraire), le dernier groupe était proposé. Il s’agissait d’aller faire des recherches documentaires au CDI sur des articles scientifiques ou de vulgarisation, et grâce à internet, nnn

faire une recherche sur les marées vertes en baie de Saint-Brieuc. Puis de réaliser une synthèse des données sous forme de diaporama illustré. Des aides sont proposées selon les groupes telle une fiche méthode pour analyser un graphique, des sites internet référencés, une bibliographie, ainsi que des apports notionnels. Ce travail de mise en place et d’investigation a pris une heure trente en demi-groupe et l’ensemble de la classe a trouvé que la séance passait vite. Les élèves se sont montrés assez autonomes, ce qui a permis à chacun de finir son activité. Certains groupes ayant terminé en avance ont pu anticiper leur préparation orale. Pour les autres groupes, il fallait préparer une présentation orale des résultats et de leur analyse avant de les partager. À la séance suivante, suite aux retours oraux, il a été demandé à chaque groupe d’expliquer le rôle

du CO2 dans la photosynthèse à partir des expériences historiques, pour enfin établir l’équation bilan de la photosynthèse et de l’intégrer dans un schéma bilan. L’équation devait répondre à des critères bien précis. Les différents niveaux d’organisation (organisme, organe, cellule, organite) devaient y apparaitre. Les élèves devaient ensuite répondre précisément à la problématique. La lourde préparation demandée par ce travail a fait que les élèves se sont retrouvés acteurs de leurs apprentissages et ont réalisé un travail collaboratif pour comprendre un phénomène local. Enfin, les schémas obtenus, à la fois beaux et scientifiquement corrects, ont été présentés aux portes ouvertes de l’établissement. n

Des apprentis chercheurs en STL-biotechnologies Le cadre offert par la série technologique STL ainsi que des partenariats permettent l’immersion des élèves et de leurs professeurs dans une activité de recherche stimulant les apprentissages. Géraldine Carayol, Anne Combes, professeures de biotechnologies-biochimie, lycée Marie-Curie, Versailles

E

1  Centre de recherches interdisciplinaires de Paris, son antenne Les Savanturiers et une association d’étudiants du CRI, l’OSS (Open Science School). 34

Une pédagogie ludique

niveau scientifique, l’objectif était de faire découvrir aux élèves la biologie synthétique, domaine qui n’est pas enseigné académiquement avant la licence 3. Sur le plan technologique, les manipulations proposées aux élèves ont été développées par le MIT[2] de Boston. D’un point de vue pédagogique, la démarche suivie et les nombreuses interactions avec

La biologie synthétique est un domaine émergent combinant biologie et principe d’ingénierie, dans le but de concevoir et construire, par modification génétique, des organismes possédant de nouvelles fonctions. Une compétition de biologie synthétique, le concours IGEM[3] (International Genetically Engineered Machine), est organisée chaque année au MIT : des étudiants du monde entier y participent, notamment ceux du CRI. La fondation Biobuilder du MIT transforme des travaux présentés

2  Massachusetts Institute of Technology.

3  http://www.embo.asso.u-psud.fr/?cat=78

Caroline Bonnefoy, IA-IPR de biotechnologies-biochimie, académie de Versailles n 2015, sous l’impulsion de l’inspection de biotechnologies-biochimie, plusieurs classes de STL (sciences et technologies de laboratoire) biotechnologies de l’académie de Versailles ont participé à une collaboration avec le CRI [1]. Au

les étudiants du CRI ont éveillé la curiosité scientifique des élèves, les projetant vers des poursuites d’études ambitieuses : classe préparatoire aux grandes écoles de biologie, master de recherche.

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2. Expérimenter

au concours IGEM en activités réalisables au lycée et organise des sessions de formation pour les enseignants. Grâce au soutien financier du CRI, deux enseignants de biotechnologies de l’académie de Versailles y ont participé, afin de former ultérieurement leurs collègues à la transposition des manipulations de biologie synthétique en lycée. Le séjour aux États-Unis leur a permis de mieux appréhender la biologie synthétique et de découvrir une pédagogie ludique utilisant le numérique pour interagir avec les participants. De façon surprenante, la démarche d’évaluation des risques était négligée. En France en revanche, la mise en œuvre d’expériences de biologie synthétique est conditionnée par l’analyse des risques liés à la fabrication d’un OGM et par la déclaration, auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, des modalités de manipulation, de la nature de l’équipement et de l’aménagement des laboratoires, ainsi que de la gestion des déchets. Nous avons ainsi pu mesurer l’une des plus-values de l’enseignement technologique : les élèves sont habilités à effectuer des expériences scientifiques ambitieuses en raison de la qualité de la formation technique reçue, du savoir-faire développé et de la démarche de prévention des risques biologiques mise en œuvre. Quatre établissements de l’académie de Versailles se sont approprié le projet de biologie synthétique, l’adaptant pour des élèves de 2de, 1re STL et première année de BTS-biotechnologies. Au lycée Marie-Curie, des élèves de 1re STL biotechnologies ont travaillé sur ce projet durant quatre semaines en enseignement de biotechnologies (six heures par semaine au laboratoire) et en ETLV (enseignement technologique en langue vivante), visant la pratique orale et l’appropriation de l’anglais scientifique (une heure par semaine). Le projet n Réflexion sur la dimension bioéthique de la biologie synthétique dans le cadre d’un jeu de rôle en anglais sur l’utilisation d’OGM

Cette approche ludique et engageante a été particulièrement mobilisatrice pour les élèves. Amorcer la biologie synthétique par les questions de bioéthique qui en sont indissociables permet d’ouvrir aux ques-

tions de société soulevées par ce domaine émergent de la biologie, d’en saisir partiellement la complexité et de ne pas se cantonner à sa dimension scientifique. n Introduction des concepts scientifiques fondamentaux par pédagogie inversée à l’aide d’un MOOC[4], conçu par les étudiants d’OSS

Après visualisation des vidéos du MOOC, les élèves devaient, par

Une pratique pédagogique active qui autorise les élèves à prendre le temps de s’approprier les concepts et qui favorise les échanges entre pairs. groupe, aboutir à un document consensuel sur différents concepts de biologie synthétique. En mettant en place une pratique pédagogique active qui autorise les élèves à prendre le temps de s’approprier les concepts et qui favorise les échanges entre pairs, l’enseignant ne se contente plus de transmettre un savoir, mais accompagne les élèves vers la découverte de notions nouvelles et génère le débat nécessaire à leur appropriation. n Analyse du protocole expérimental et démarche d’évaluation des risques, en anglais

La place de l’anglais, langue scientifique internationale, est prépondé4  Massive Open Online Courses. Décembre 2016

rante dans ce projet, car non seulement les supports des outils technologiques exploités étaient fournis en anglais, mais, de plus, les étudiants du CRI sont de nationalités variées. Même s’ils parlaient français avec les élèves, ces derniers ont rapidement pris conscience de l’importance de l’anglais scientifique et de la richesse de la mobilité internationale pour leur poursuite d’études. n Mise en œuvre expérimentale individuelle, avec exploitation critique des résultats et discussion avec les étudiants chercheurs

Les qualités structurelles de la STL, du fait des deux séances de trois heures d’activités technologiques par semaine, permettent de réaliser des manipulations semblables à celles qui se font en recherche. Le groupe classe avait choisi de tester différentes conditions expérimentales ; des hypothèses conduisaient à prévoir des résultats, mais ceux-ci n’étaient connus à l’avance ni des élèves ni de l’enseignante. Cette prise de risque, stimulante pour l’enseignant qui n’a pas de solution clé en main et réfléchit avec les élèves, est très valorisante pour ces derniers. De nombreux échanges ont eu lieu entre eux et avec l’enseignante pour comprendre les éventuelles discordances entre les résultats attendus et ceux qui ont été obtenus. Le bilan de ces réflexions fut partagé avec les étudiants du CRI venus au lycée pour approfondir ce travail, mettre au point des stratégies pour confirmer ou infirmer les hypothèses et n n n

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2. Expérimenter

guider les élèves vers des notions théoriques plus complexes. n Présentation publique au congrès des jeunes chercheurs des Savanturiers

Comme dans le cadre de la communication de travaux de recherche, les élèves ont participé à un minicongrès public organisé par Les Savanturiers à Futur en Seine[5]. L’important travail de formalisation qu’ils ont effectué leur a permis de prendre conscience des nombreux concepts scientifiques et technologiques mobilisés lors de l’expérimentation. Ouverte au public, et notamment aux parents d’élèves, cette présentation revêtait des enjeux importants et les élèves, accompagnés par les étudiants du CRI et par plusieurs professeurs, se sont considérablement investis en dehors du temps scolaire pour fournir une présentation de qualité et manier des concepts scientifiques ardus. On était comme un chercheur dans son labo !

« C’était superbien et superintéressant, mais très stressant et on appréhendait le résultat » : tels sont les mots de Juliette qui témoigne de son 5 http://www.futur-en-seine.paris

engagement dans le projet. Cyril, lui, aurait voulu faire cela à « toutes les séances ». Hamed a apprécié qu’on l’ait mis « dans la position d’un chercheur en labo » et « qu’on n’ait pas forcément des résultats positifs ». Notre participation à ce projet nous a montré combien, lorsqu’ils se sentent capables de réussir, les élèves peuvent devenir leadeurs de projets scientifiques de qualité. Améliorant l’estime de soi, ce projet a eu des

OSS : en équipe avec des élèves de série S ou des BTS, ils ont conçu et réalisé des expériences de biologie synthétique dans les laboratoires de recherche de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Ils ont su réinvestir les compétences acquises en classe : faire preuve d’initiative, mobiliser leur esprit critique et manipuler de façon autonome en biotechnologies.

La représentation des séries technologiques est encore aujourd’hui trop souvent négative et insuffisamment valorisée. effets positifs sur l’attitude de plusieurs élèves et sur leurs résultats scolaires, toutes disciplines confondues. La collaboration avec des étudiants au statut de chercheur leur a ouvert des perspectives de poursuite d’études qu’ils n’avaient pas envisagées à priori, et desquelles ils se sentaient parfois exclus, la représentation des séries technologiques étant encore aujourd’hui trop souvent négative et insuffisamment valorisée. Portée par la dynamique du projet scolaire, la moitié des élèves a participé, pendant les vacances, à des stages organisés par l’association

Un enthousiasme partagé

Cette aventure partagée avec les élèves nous a permis de nous approprier véritablement la démarche de projet et nous a ouverts sur le monde de la recherche. Comme les élèves, les nombreuses collaborations avec le CRI, Les Savanturiers, OSS et Biobuilder, mais aussi les collaborations interétablissements, interdisciplinaires ou intercatégorielles nous ont profondément enrichies. L’enthousiasme avec lequel les élèves sont entrés dans ce projet scientifique mais aussi l’énergie qu’ils ont investie pour le mettre en œuvre nous ont portées. En offrant l’opportunité de réaliser de tels projets, la série STL biotechnologies trouve toute sa place dans l’ensemble des formations scientifiques françaises. n

http://librairie.cahiers-pedagogiques.com

Sciences et compétence. Pratiques au collège et au lycée Dominique Courtillot et Évelyne Chevigny L’approche par compétences, qui s’est développée au cours de la dernière décennie dans de nombreux systèmes éducatifs, est venue profondément interroger les enseignements. Parallèlement émergeait la nécessité d’élaborer avec les élèves une culture scientifique, ensemble articulé de savoirs et de démarches dépassant le strict cadre disciplinaire. Cet ouvrage constitue un point d’étape sur la façon dont les enseignants de sciences s’approprient les différentes questions soulevées par ces évolutions profondes. Combinant analyses et situations concrètes, il aborde l’impact des changements sur les pratiques, décrit des scénarios pédagogiques visant la construction de la compétence, donne des exemples de travail interdisciplinaire et propose des pistes pour évaluer les acquisitions. Les professeurs y trouveront donc de quoi nourrir leur propre réflexion sur la mise en oeuvre dans leurs classes d’un enseignement des sciences attractif et ambitieux. Collection Repères pour agir, CRDP de l’académie de MontpellierCRAP-Cahiers pédagogiques.

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Les sciences participatives à l’école L’empowerment de l’élève passerait-il par ces sciences participatives qui sont l’occasion de confronter ses idées à la réalité et amènent à agir et à transformer son environnement ? Pierre Thibault, professeur de physique, laboratoire interdisciplinaire LiPhy, université Grenoble-Alpes

D

ans un souci de faire évoluer l’école avec la société dans laquelle elle s’inscrit, les pratiques pédagogiques tendent à en suivre (et parfois à en anticiper) les tendances. Nous nous intéressons aux initiatives inspirées des sciences participatives qui recouvrent plusieurs pratiques, afin d’apporter un éclairage sur ce qui les motive. On peut en restreindre la définition à la participation citoyenne dans la construction de connaissances scientifiques, par exemple à travers l’alimentation de bases de données (recensement de flore ou de faune, etc.), chacun restant dans son rôle soit de citoyen soit de scientifique. Une autre définition plus large consiste à reconnaitre au citoyen une expertise empirique en acceptant qu’il soit acteur de la construction scientifique. Le glissement sémantique vers le terme de « sciences citoyennes » est important, puisqu’il propose à la fois de faire des sciences avec la société, dans une démarche

de coconstruction des savoirs, mais aussi orientées vers la société. Ces termes peuvent trouver résonance chez l’enseignant, puisque la coconstruction est une possibilité de mettre l’élève au centre des savoirs et d’en revisiter la dimension socialement construite, axes qui ont été au cœur des préoccupations du philosophe et psychologue John

Reconnaitre au citoyen une expertise empirique en acceptant qu’il soit acteur de la construction scientifique. Dewey (1859-1952), puis des démarches de type Hands on développées par Léon Lederman (1922-) et reprises sous la forme de La main à la pâte, sous l’impulsion de Georges Charpak (1924-2010), tous deux récipiendaires d’un prix Nobel de physique. Mais si les démarches participatives partagent plusieurs points avec l’approche Hands on, c’est dans la Décembre 2016

réflexion du psychologue Kurt Lewin (1890-1947) qu’elles trouvent leur fondement théorique. En effet, Lewin défend l’idée que « rien n’est aussi pratique qu’une bonne théorie » et refuse la frontière considérée comme artificielle entre sciences dites fondamentales et sciences dites appliquées, ce dont s’inspirera la recherche-action participative. Quels groupes performants ?

Les travaux de Lewin relatifs à l’apprentissage de groupes d’enfants le conduisent à établir une théorie du leadeurship qui postule que la production des élèves va fortement dépendre de la nature de celui-ci. En particulier, la qualité de la production, le degré d’implication et la motivation des élèves vont varier en fonction du caractère directif ou autoritaire, participatif ou démocratique ou laisser-faire mis en place pour animer le groupe. Ainsi, si les deux premières catégories donnent lieu à des performances globalement semblables en termes de production et supérieures à celles du groupe laisser-faire, la satisfaction et la motivation sont nettement supérieures dans le deuxième groupe. Par ailleurs, Lewin note qu’en l’absence de leadeur, la performance du premier groupe s’écroule. nnn I N° 533 I Les Cahiers pédagogiques I 37


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Au-delà du constat, Lewin met aussi en œuvre des expérimentations sur des groupes d’individus où, dans un contexte de guerre, il entreprend de comparer auprès de ménagères l’efficacité de conférences portant sur la nécessité de consommer des abats d’animaux et l’organisation de discussions de groupes sur le même thème. Le résultat quantitatif est un facteur 10 (de 3 % à un tiers) sur les changements de comportements observés. Ainsi, pour qu’un apprentissage se traduise par un changement de pratiques, il convient de se pencher sur les conditions dans lesquelles le groupe d’apprenants est placé. Appliqués au champ scolaire, ces travaux suggèrent que les démarches participatives sont plus qu’un outil pédagogique répondant à une mode : elles proposent une manière d’apprendre fondée sur l’engagement de l’élève dans un processus négocié de construction des savoirs, où il s’agit d’accorder autant d’importance au processus menant au savoir (la technè) qu’aux connaissances elles-mêmes (l’épistémè). nnn

Les démarches des sciences participatives sources d’apprentissage ?

La démarche proposée par les sciences participatives repose sur deux exigences. D’une part, il s’agit de reconnaitre à chacun une capacité à contribuer à la construction des savoirs. D’autre part, il s’agit (autour d’un objectif d’apprentissage ou d’action donné) de le faire vivre et donc d’accepter qu’il ne soit pas figé, afin que les élèves puissent s’en emparer. Cela crée une zone d’incertitude autour de l’objectif, susceptible d’évoluer. Cette double exigence conduit l’enseignant à jouer un rôle de médiateur chargé de faire ressortir les apports de chaque membre du groupe. De plus, il lui est demandé d’être facilitateur afin de faire progresser le travail, en s’engageant sans imposer un point de vue, en faisant ressortir les freins éventuels, en s’assurant que les objectifs soient collectifs. Pour illustrer la forme que peut prendre la mise en œuvre de sciences participatives, prenons un exemple sur un thème lié à l’éducation à la sécurité routière, en cycle 3 (classe de CM2). L’action s’inscrit dans le contexte du Parlement des enfants, où des classes ont l’opportunité de 38

travailler sur des idées de propositions de lois qui peuvent éventuellement être discutées à l’Assemblée nationale et, pour certaines, devenir des lois. Les propos qui suivent sont ceux rapportés par un des élèves. « La maitresse venait de recevoir un courrier qui présentait le Parlement des enfants. La semaine

Il existe une zone d’ombre où les sciences participatives, sous prétexte de s’opposer au positivisme, perdent en rigueur scientifique. d’après, nous avons décidé de nous inscrire en envoyant une lettre. Plus tard, nous avons su que nous allions peut-être être retenus pour défendre une proposition de loi au 16e Parlement des enfants. Au cours d’un débat commun, nous avons parlé de la sécurité des piétons qui circulent sur le bord des routes, le soir, à la tombée de la nuit. Nous avons imaginé qu’ils soient équipés de gilets jaunes, et nous avons travaillé autour de cette idée. » Dans les travaux rassemblés sur une feuille A3, on peut par exemple lire « comment marche un gilet réfléchissant ? Le gilet réfléchissant, comme un miroir, reflète la lumière » ainsi qu’un slogan : « Réfléchis, mets tes bandes. » Suit un petit quiz sur les gilets jaunes. Un texte semblable à une proposition de loi est rédigé. Des gilets sont fournis aux élèves par la

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municipalité. Un élève est désigné pour faire le voyage à Paris. Certes, l’expérience n’a pas débouché sur une loi. Mais elle illustre comment mettre en cohérence une mise en œuvre pédagogique avec l’objectif citoyen poursuivi grâce à un leadeurship démocratique lors du travail en classe, comment produire de l’écrit, comment comprendre les structures institutionnelles. Les limites des sciences collaboratives à l’école

Afin de brosser un tableau objectif des sciences participatives, il faut en rappeler certaines limites. Ainsi, la démocratie ne garantit pas la validité d’un résultat scientifique. Or, si certaines théories sont facilement corroborées, ce n’est pas toujours le cas, comme l’illustrent certaines controverses dans le domaine de la santé. Il existe donc une zone d’ombre où les sciences participatives auraient tendance, sous prétexte de s’opposer au positivisme, à perdre en rigueur scientifique. C’est là que se situe la limite entre un savoir empirique, qui peut avoir une réelle efficacité opératoire, et la construction de connaissances, qui répond à une autre forme de rigueur. On peut se référer au sempiternel exemple du modèle de la course du Soleil dans le ciel, mais aussi à de nombreuses situations où les conceptions communes se heurtent à la vérification expérimentale.


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Par ailleurs, les sciences participatives, en favorisant la participation de chacun, s’exposent à l’envie de certains de peser sur des résultats scientifiques pour les rendre conformes à leurs attentes. Mais les sciences participatives peuvent aussi jouer le rôle exactement opposé pour rétablir une vérité scientifique, par exemple quand certains lobbys tendent à produire des résultats biaisés, donnant lieu aux fameuses controverses scientifiques, qui peuvent utilement être enseignées à l’école. Ainsi, en remettant le citoyen au cœur de la construction des connaissances, les sciences participatives doivent aussi garantir une rigueur scientifique, ce qui ne va pas de soi car si, comme le propose George Kelly, « l’homme se comporte en scientifique » dans sa vie quotidienne, dans la mesure où il construit des modèles qu’il confronte à la réalité, ce n’est pas avec une rigueur de scientifique qu’il opère en général. l’« empowerment » de l’élève

On peut finalement s’interroger sur la capacité des sciences participatives à contribuer à une éducation scientifique orientée vers l’accumulation de connaissances et la formation de chercheurs en devenir. Mais on aura compris que cette question en appelle une autre, à savoir si l’école cherche aussi à former des citoyens éclairés et capables d’agir avec intelligence, sans opposer les deux objectifs. Ainsi, on n’attend pas de chaque élève qu’il soit chercheur, mais qu’il soit capable d’agir et de transformer son environnement. Cela passe par sa confrontation à des tâches complexes et par des décisions prises collectivement comme individuellement. En accordant de l’importance à la motivation de l’élève, aux processus de décision, les sciences citoyennes contribuent à lui donner confiance et à renforcer son empowerment citoyen. n

Bibliographie Philippe Perrenoud, « Rien n’est aussi pratique qu’une bonne théorie ! Retour sur une évidence trop aveuglante », dans Rita Hofstetter et al., Savoirs en (trans) formation, éditions De Boeck Supérieur, p. 265-288, 2009. Michelle Bourassa, Louise Bélair et Jacques

Chevalier, « Les outils de la recherche participative », Éducation et francophonie 35.2 (2007).

Témoignage

À la rencontre de l’araignée Une araignée dans la classe de maternelle, et voici les enfants en apprentissage tous azimuts ! Sciences, langage, motricité, arts plastiques s’articulent autour de l’araignée. Un beau matin, mon Atsem trouve une araignée dans la classe. Nous la capturons et la mettons dans un vivarium pour l’observer avec des grosses loupes. Les questions fusent de la part des enfants : que peut-elle bien manger, comment se déplacet-elle ? Nous décidons de la garder afin de poursuivre nos observations et recherchons des informations dans les livres : le documentaire indique qu’elle se reproduit en pondant ses œufs, qu’elle mange des petits insectes qu’elle capture à l’aide de sa toile, etc. Nous y trouvons aussi un schéma représentant les différentes parties du corps de l’araignée : thorax, abdomen, œil, pattes, etc., nous effectuons alors des exercices de reconnaissance de lecture de ces mots ainsi que l’identification des lettres et la reconstitution des mots « une araignée » à l’aide de lettres à manipuler.

Ceci permet aux parents d’être informés de nos activités, mais est aussi un support pour faire parler les enfants à leurs parents de ce qu’ils vivent en classe. Un projet interdisciplinarisé

Ce projet d’observation scientifique a permis de donner du sens aux apprentissages : son objet, ici l’araignée, trouvée dans la classe, fait partie de l’environnement immédiat de l’enfant ; il a été une source de motivation pour l’enfant pour apprendre ; il a permis l’épanouissement de chacun, la réussite dans des apprentissages liés à du concret et à du nécessaire ; il a généré de l’estime de soi : j’observe, j’apprends et je suis en mesure d’exposer. C’est en effet un réinvestissement utile et immédiat. n Jeanne-Claude Mori Professeure des écoles en Alsace

Commencer par observer

Au troisième jour, surprise ! Notre araignée a tissé sa toile. Nous l’observons, la dessinons au feutre, mais aussi à l’aide d’encre de Chine soufflée dans une paille : le résultat est très esthétique. Maintenant, nous comptons les pattes de l’araignée et la représentons à l’aide de pâte à modeler. En salle de motricité, nous nous déplaçons comme des araignées et effectuons ainsi des parcours : passer par-dessus, entre, etc. Nous réalisons une toile d’araignée à l’aide de cordes. Nous apprenons également des chants comme « Sur le plancher, une araignée » ou « L’araignée Gipsy ». Toutes ces activités sont ponctuées de séances de langage lors de bilans collectifs de l’avancement sur la connaissance de la vie de l’araignée. Nos observations et notre vécu en classe sont consignés dans un compte rendu destiné au cahier de vie des élèves avec photos à l’appui. Décembre 2016

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Un kruk pour enseigner Pour raccrocher les disciplines au réel, quoi de mieux que de faire partir les élèves de ce réel, et plus encore, du réel qui les interroge, puisqu’ils ont eux-mêmes choisi ce qu’ils en présentent ? Un espace de liberté qui n’est pas sans effets. Fatima Rahmoun, professeure de physique-chimie à Paris, membre de la fondation La main à la pâte

A

vant ma rencontre avec l’EIST[1], un manque de temps chronique m’empêchait d’apprécier à sa hauteur ma liberté pédagogique. L’EIST fut pour moi comme une révolution copernicienne. Avant, je vivais une affectation en collège comme une punition. Pas à cause des collégiens (parce que j’aime beaucoup les cycles 3 et 4), mais à cause de notre heure et demie hebdomadaire. Comment pouvoir vraiment faire progresser les élèves en les voyant si peu ? Comment les connaitre ? Depuis que j’enseigne en EIST, j’ai du temps, qu’il a fallu apprivoiser. Quelle est la durée optimale d’une séance de sciences ? Avec mes collègues, nous avons testé de nombreuses hypothèses : cinquante-cinq minutes (comme tout le monde), une heure vingt-cinq, une heure cinquante (parce que ce n’est pas deux heures dans les faits), deux heures vingt, deux heures quarante-cinq, trois heures dix. Nous sommes arrivées avec ma collègue de SVT (sciences de la vie et de la Terre) à la conclusion que la durée une heure cinquante était la plus adaptée pour nous. En une heure cinquante, nous avons le temps de nous installer, d’introduire le sujet sur lequel nous allons nous interroger, d’émettre nos hypothèses, de monter nos protocoles, de les tester, de les mettre en commun, de nous critiquer, et lorsque le rythme de notre séance est superbement orchestré par notre maitre du temps (responsabilité déléguée à un élève du groupe), nous arrivons même jusqu’à une trace écrite qui peut prendre la forme d’un bilan rédigé ensemble, d’un compte rendu manuscrit ou informatique, d’un diaporama ou d’une vidéo 1  Enseignement intégré de science et technologie. 40

(mais pour aller jusque-là, il faut une séance de plus). Une révolution copernicienne dans la classe

J’ai choisi de ne pas avoir réellement de bureau dans ma salle. Tout le monde est assis ensemble au début de la séance. Se retrouver à côté de ses élèves plutôt que face à eux est assez perturbant pour le professeur. Changer complètement de référentiel demande beaucoup. D’où ma référence à Copernic. Pendant la séance d’une heure cinquante, nous utilisons plusieurs modalités de travail : échanges en

Laisser les élèves prendre leur propre chemin demande d’avoir imaginé un maximum de chemins possibles. groupe classe et travail en équipes de trois à quatre élèves. Faire réellement travailler les élèves ensemble est loin de ressembler à une partie de plaisir. Dans tout groupe d’individus, il y a des conflits, des meneurs, des empêcheurs, des passifs, des leadeurs, etc. Il faut donc accompagner les élèves et leur apprendre à travailler ensemble. Les apports de la pédagogie institutionnelle et mon intégration dans un groupe d’analyse de pratiques ont été d’un grand secours. Rapidement, vu mes choix, la réflexion sur l’organisation de l’espace s’est imposée. Dans un collège, les salles qui permettent de répondre le plus facilement aux contraintes de fonctionnement d’un enseignement des sciences fondé sur l’investigation sont sans doute les salles de technologie, avec leur espace de mise en commun, qui côtoient une zone avec plusieurs ordinateurs et des établis pour travailler en équipe et expéri-

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menter. La création d’un nouvel établissement m’a permis de m’installer dans une très belle salle, une vraie débauche d’espace ! Mais que c’est dur de sortir d’un schéma ordinaire ! Faire comme tout le monde et comme toujours, c’est plus rassurant. Avant de pouvoir assoir de la même manière des routines d’investigation, il faut accepter les semaines, voire les mois compliqués de début d’année scolaire. Les élèves ont besoin de temps pour accepter ce que vous proposez et vous pour assoir vos pratiques nouvelles. Cet inconnu est un peu angoissant : les élèves scolaires s’y perdent, les élèves passifs doivent se mettre en action, les élèves en décrochage silencieux se retrouvent face au travail au sein de leur équipe, perdant l’anonymat du groupe classe, etc. Pour éviter les échanges entre une poignée d’élèves très rapides et moi (échanges qui excluent malheureusement tout le reste de la classe), je leur demande de prendre quelques minutes pour répondre par écrit. Même si je ne demande pas systématiquement à tous les élèves de se prononcer ensuite, c’est très intéressant d’observer quels élèves souhaitent s’exprimer après un temps de réflexion. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes. Autre vertu de ce système, mes questions sont forcément moins nombreuses et moins fermées. à l’aide

Laisser les élèves prendre leur propre chemin demande d’avoir imaginé un maximum de chemins possibles. C’est là que j’ai découvert la fondation La main à la pâte, ses ressources et ses projets thématiques, qui ont complété ma bibliothèque. J’ai assisté à de nombreuses formations et aux séminaires nationaux EIST. J’y ai beaucoup appris. Quand j’ai entendu pour la première fois en formation qu’il fallait en moyenne quatre-vingts heures de pratique de l’enseignement fondé sur l’investigation pour commencer à se sentir à l’aise, je me suis détendue. C’est normal, alors, que ce ne soit pas si facile. Le lien avec les chercheurs, encouragé par La main à la pâte, a été une mine d’or pédagogique et scienti-


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fique pour moi. De ce lien avec la recherche, je souhaite citer au moins une activité née de la rencontre avec Roland Lehoucq, astrophysicien au CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives). Elle me parait être une sorte de synthèse de ce que m’a apporté l’EIST et le chemin qu’il m’a fait prendre, très éloigné de celui que j’aurais pu emprunter en tant que professeure certifiée de physique-chimie. Le Kruk

Nous l’avons d’abord appelée la « photo de science ». Mon astrophysicien préféré m’avait proposé de faire prendre des photographies à mes élèves. Ils pourraient les présenter scientifiquement à leurs camarades. Un échange suivrait sur leurs perceptions, leurs critiques. Leur téléphone portable (ce superbe objet technique qu’on sous-exploite tant !) les aiderait à prendre la photographie et à se rendre compte que la science est partout autour de nous. Consigne : «  Prendre une photographie de ce qu’on veut et écrire un petit commentaire scientifique de cinq lignes (sans oublier de citer ses sources). » Nous avons fait un planning, tout le monde devait passer, mais on pouvait choisir quand. Pas de contrainte de temps au début, nous n’y avions pas pensé. Les premiers élèves à présenter leur photo de science étaient les plus motivés. Ils ont tout de même mis un peu de temps à se faire à l’exercice. Et puis, c’est compliqué le téléphone portable. Ils n’en avaient pas tous et le réseau informatique du collège rejetait régulièrement la connexion. On a donc décidé qu’un envoi par courriel ou un transfert via une clé USB seraient plus simples. Après un temps d’adaptation, la photo de science nous a vraiment mis au travail et est devenue un vrai rituel de début de séance, nous permettant de nous concentrer. Par exemple, une élève a photographié « son frère en train de jouer de la guitare » pour nous expliquer le son, ou une autre photo nous explique toute la vie des grenouilles ou encore la présentation de l’ascenseur de la tour Eiffel. Les élèves y ont mis de plus en plus d’eux-mêmes et la photo de science est devenue un enjeu véritable. Nous avons fait de toutes ces photographies un mur d’exposition lors de la présentation de nos travaux sur le

projet de classe de l’année qui s’appelait « Mars », il y a quatre ans maintenant. un projet évolutif

Bien évidemment, les années se suivent et ne se ressemblent pas. La photo de science n’a pas aussi bien pris avec d’autres groupes. Le peu d’élèves motivés me demandait des aménagements. Ils souhaitaient pouvoir prendre une image venant d’internet. Et certains apportaient des objets pour compléter leur exposé. J’ai fini par faire évoluer la photo de science vers le « kruk », à savoir une liberté totale dans la chose apportée. Maintenant, on peut apporter ce que l’on veut et le temps est fixé aussi pour éviter les kruks qui n’en finissent plus. Pourtant, nos qua-

On peut apporter ce que l’on veut et le temps est fixé aussi pour éviter les kruks qui n’en finissent plus. rante-cinq minutes sur la photo des toilettes d’un élève (sur une séance de deux heures quarante-cinq), avec un historique de la chasse d’eau et une explication de son fonctionnement technique nous ont emmenés jusqu’au traitement des eaux usées (au programme de la classe de 5e à l’époque). Maintenant, l’exposé et les questions ne doivent pas prendre plus de cinq minutes. Et c’est assez beau quand on arrive à s’y tenir et qu’on sent une belle frustration de ne pas pouvoir aller plus loin, et l’envie de poursuivre à la maison. Il y a deux ans, j’ai ajouté un temps de réaction libre de trois minutes avant la présentation. Et pour les rassurer et me rassurer moimême, je dis aux élèves, au cours des premières semaines, que nous ne devons pas avoir peur du silence : nous devons le respecter, car il ne s’y passe pas rien. Si le kruk n’inspire personne, trois minutes de profond silence, c’est terriblement effrayant. Les élèves le respectent tout de même et au fil des kruks, les échanges entre eux deviennent de plus en plus riches. L’élève qui apporte le kruk doit prendre en note les réactions et les questions de ses camarades pour y revenir pendant sa présentation. Sacré exercice quand on a 10 ans. La parole est distribuée par l’animateur de la séance. Que me reste-il à faire ? Juste à les écouDécembre 2016

ter et à prendre quelques notes pour revenir sur certains points si besoin. L’année dernière, j’ai décidé d’apporter le kruk jusqu’aux vacances de la Toussaint pour introduire l’exercice. Le fait que je l’apporte pendant deux mois a donné le temps aux élèves de se l’approprier. Les kruks apportés sont de très bonne qualité, le discours est en voie d’amélioration et la qualité de l’écoute est impressionnante. Ma collègue de SVT a choisi de l’appeler « la chose de science ». Elle réussit à retranscrire ce qui est dit pendant le kruk pour qu’il y en ait une trace écrite. Sur proposition des élèves, elle a mis en place une notation de la chose par les pairs et, s’ils ne sont pas toujours très tendres, ils sont toujours très exigeants. Investigation ?

Belle cerise sur le gâteau, le kruk permet cette année de démarrer de belles investigations, du fait de la foisonnante richesse du questionnement. Mais toujours les kruks nous permettent de traiter des parties de programmes officiels avec originalité, sans jamais oublier la rigueur. Cette transition entre le dehors et le dedans qu’est devenu le kruk, ce sas qui nous permet de nous mettre au travail sans en avoir l’impression, voilà une institution importante pour nous. Finalement, l’EIST a permis d’expérimenter autant à mes élèves qu’à moi. J’essaie de travailler mon enseignement comme une chercheuse et de faire vivre les sciences à mes élèves. Et malgré toutes les difficultés quotidiennes, je reste persuadée à chaque kruk[2] que j’ai emprunté le bon chemin pour moi, il y a maintenant six ans. n

2  https://miniurl.be/r-196s

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Quand Superman s’invite en classe Ces élèves de CM1 font des sciences avec des expériences, ils font des hypothèses et cherchent à les vérifier scientifiquement, puis repartent sur de nouvelles interrogations. Sylvie Baud-Stef, professeure des écoles

E

n CM1, quand nous étudions le mouvement, une série de questions s’impose : «  Que se passerait-il si nous n’avions pas de muscle ? Où trouve-t-on des muscles ? Existe-il plusieurs sortes de muscles ? Pourquoi ? Combien de muscles a-t-on ? » En premier lieu, cette étape permet aux élèves de prendre conscience qu’ils savent plein de choses, mais qu’il faut les organiser. Elle permet également de mettre en évidence qu’en science on part de ce qu’on connait, et qu’une étape de recensement des connaissances est indispensable : «  Ce que je sais… » La question centrale de notre apprentissage est posée : « Que se passe-t-il quand on plie le bras ? » La discus-

sion qui suit permet d’aborder la notion d’hypothèse : « Je pense que… » Une hypothèse est ensuite dégagée : «  Lorsqu’on plie le bras, le muscle du dessus gonfle. » Les élèves doivent alors rechercher une méthode pour prouver ce qu’ils disent.

La question centrale de notre apprentissage est posée : « Que se passe-t-il quand on plie le bras ? » « Ben, ça se voit maitresse ! — Non, je ne vois rien. — Mais regarde, touche ! Il est tout dur mon muscle, tu vois bien ! — Je veux bien te croire, mais ça

ne prouve rien. Je veux une preuve indiscutable. » Poser une question de recherche

Et, en général, les élèves font preuve d’une grande imagination technologique ! Une condition de faisabilité à l’intérieur de la classe est donc rajoutée. Leur enthousiasme légèrement freiné, les suggestions sont moins nombreuses, mais la réflexion est intense. Et il arrive toujours un moment où l’un d’eux dit : « On peut peut-être mesurer !  » Au fil des propositions ressort celle d’un mètre ruban, mais il n’y en a pas dans la classe ! L’utilisation de rubans de papier est validée. Mais il faut alors mettre au point une méthode de mesure telle qu’elle soit faisable par tous de la même façon. Ainsi, peu à peu, les élèves sont amenés à concevoir, rédiger et mettre en œuvre un protocole expérimental. Ils pratiquent les mesures en binôme, puis les données sont recensées dans un tableau. Une première lecture de ces résultats permet de voir s’il y a des invraisemblances. Certaines sautent aux yeux : « Maitresse, ce n’est pas possible, il gonfle de quinze centimètres, ce n’est pas Superman ! » Les élèves comprennent alors ce que sont des données aberrantes. Une lecture plus fine permet de constater que les écarts entre les mesures au repos et bras plié se situent entre un et trois centimètres. Lors de cette analyse, ils sont également amenés à comprendre la notion de répétition et son importance. En fin de séquence, le retour à la question de départ permet de voir si l’hypothèse est vérifiée. La notion de muscle antagoniste peut alors être précisée. La synthèse est rédigée et aboutit à une nouvelle question : « Comment les muscles peuvent-ils se contracter et se détendre ? » valider des hypothèses

La séquence suivante commence donc par cette interrogation, suivie d’un nouveau recensement des 42

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connaissances, d’où ressort l’importance des os. Les élèves sont alors amenés à observer et réfléchir : « Existe-t-il différents types d’os ? Pourquoi ? Les os sont-ils des organes vivants ?  » Lors de ces séances, les élèves manipulent des os d’animaux (poulet, porc, veau), des clichés de radios et d’IRM qui leur permettent de répondre aux hypothèses qu’ils ont émises puis, lors de la rédaction de la synthèse, d’aboutir à une nouvelle interrogation : « Comment les muscles et les os fonctionnent-ils ensemble ?  » Pour y répondre, les élèves manipulent alors de véritables articulations. Suivant les années, ce sont des épaules d’agneau ou des bassins et cuisses de grenouille. Ils doivent dans un premier temps observer et essayer de retrouver ce qu’ils connaissent, puis dessiner en légendant leur dessin. Cela implique de porter des hypothèses sur la fonction des éléments qu’ils voient. Lors de la synthèse globale, la comparaison et l’interprétation des différents dessins permettent l’élaboration

collective d’un schéma explicatif. Enfin, pour terminer cette série de séquences, les élèves reprennent les trois problèmes définis précédemment et vérifient qu’une hypothèse a été validée pour tous. apprendre la rigueur scientifique

L’ensemble des séances pour le chapitre sur le mouvement s’étale de fait sur une période assez longue. Mais c’est dans ma classe un préalable nécessaire, qui permet de défi-

Ils prennent conscience que la réponse à une question appelle une autre question.

par observations, manipulations, expérimentations ou recherche documentaire, conclusion et synthèse. Ce systématisme permet aux enfants de réaliser que les sciences se font de manière rigoureuse, selon une démarche précise. Ils prennent également conscience que la réponse à une question appelle une autre question et que, notamment en biologie humaine, tout est lié. Ils font des sciences avec des expériences, ils aiment les faire et ont envie de le partager en le disant autour d’eux ! n

nir des notions indispensables à la mise en œuvre d’une démarche scientifique. La démarche est récurrente et la mise en œuvre pour les chapitres suivants est identique tout au long de l’année : questionnement, recensement des connaissances, émission d’hypothèse(s), vérification

Exemple Je t’avais bien dit que la Terre devait passer devant la Lune ! Cette année, pour mon double niveau CE1-CM2, j’ai dû revoir mes séances de sciences afin de proposer un travail qui soit à la fois dans les programmes de cycle 2 et de cycle 3 et qui puisse être fait en commun. Je me suis donc lancée dans l’astronomie, encouragée par la dernière éclipse de Lune. Nous avons étudié le système solaire, puis réalisé des expériences sur l’ombre et la lumière. Pour les élèves de CE1, former une ombre n’a pas été simple. Ils ont beaucoup réfléchi et manipulé avant de réaliser qu’il fallait que l’objet soit entre la source lumineuse et l’écran. Pour les élèves de CM2, cela a été acquis très vite, nous avons donc travaillé davantage sur l’obtention d’une ombre plus grande, plus petite, déformée, et sur la rédaction de compte rendu. J’ai demandé ensuite aux élèves de CM2 de préparer une simulation et un poster

sur l’éclipse de Lune ou de Soleil, par groupes de trois ou quatre. J’ai laissé les groupes se former comme ils le souhaitaient. Les deux groupes responsables de l’éclipse de Lune étaient un groupe de trois élèves plutôt brillants et un autre de quatre moins brillants. Deux autres groupes travaillaient sur l’éclipse de Soleil, qui ont présenté des simulations et des posters de qualité. Puis est venu le groupe de trois bons élèves sur l’éclipse de Lune, qui nous a présenté une éclipse de Soleil ! Réaction de la classe : « Mais, c’est pas ça du tout ! » Intervention d’un autre : « Mais non ! Il faut que la Terre passe entre la Lune et le Soleil ! » Et là, intervention de l’une des quatre petites élèves chargées du même sujet, qui s’adresse à sa camarade : « Ah ! Tu vois ! J’avais raison ! Je te l’avais bien dit que la Terre devait passer devant la Lune ! » En moi-même, je souriais ! J’étais

fière de ces élèves, qui d’habitude ne brillent pas par leur travail. Grâce aux expériences, elles avaient réfléchi et compris un principe que j’ai moi-même mis des années à comprendre quand j’étais au collège !

Un trimestre de travail Je me suis dit que je n’avais vraiment pas perdu mon temps, même s’il nous a fallu un trimestre de travail pour en arriver là ! Cette situation s’est renouvelée récemment. Mes très bons élèves ne se montrent pas toujours capables de se remettre en question. Cette semaine, je leur ai demandé quelle expérience on pourrait faire pour savoir à quelle température l’eau se transforme en glace. L’expérience qu’ils ont proposée était de mettre l’eau au congélateur, à - 1 °C, et de constater que l’eau avait gelé. J’ai tenté de leur montrer que leur proposition

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n’était pas conforme à ma consigne : « Pourquoi - 1 °C et pas 10 °C ou - 10 °C ? — Bah ! L’eau gèle à 0 °C, donc il faut mettre à - 1 °C. — Mais ma question n’était pas "montre que l’eau gèle à 0 °C" mais "détermine à quelle température l’eau gèle". Et comment vas-tu mesurer la température, puisque tu n’as pas prévu de thermomètre et que tu ne peux pas t’installer dans le congélateur ? » Ces élèves savent déjà beaucoup de choses de manière livresque, mais ils n’arrivent pas à remettre en cause leur savoir, à le mettre à l’épreuve de l’expérience. Quand ils feront l’expérience mise au point par les autres élèves la semaine prochaine, ils constateront que l’eau du robinet gèle à 2 °C ! Il faudra essayer de comprendre pourquoi. Patricia Gérot Professeure des écoles en cycle 3 (Yvelines)

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Des pratiques gagnantes en sciences et technologie Pour gagner la confiance de la classe et l’engager dans une activité complexe, rien de tel que de s’inspirer de pratiques gagnantes, qui font le lien entre le quotidien et les concepts scientifiques. Liliane Dionne, PhD, professeure agrégée, faculté d’éducation, université d’Ottawa, Canada

L

es citoyens devront faire face dans le futur à la demande croissante de la société pour résoudre des problèmes environnementaux et sociaux complexes. Les compétences d’investigation scientifique sont parmi les plus demandées[1]. Pour former la future génération de scientifiques et de citoyens éclairés, les élèves des classes élémentaires devront développer les compétences d’investigation suivantes : formuler des questions, faire des prédictions, interpréter des données, synthétiser des informations et tirer des conclusions. Selon les critères des pratiques gagnantes, proposer un enseignement des sciences fondé sur l’investigation (ESFI) serait la façon la plus sure de développer ces compétences chez les élèves. Au Canada, les enseignants à l’élémentaire enseignent les sciences et technologies [2] Notre équipe de recherche travaille actuellement avec huit enseignants experts de l’élémentaire, des niveaux 4e à 6e année de la province de l’Ontario. Ce travail vise globalement à identifier et à caractériser leurs meilleures pratiques en enseignement des sciences et technologies et à diffuser ces pratiques grâce à un site web. Le présent article vise à mettre en évidence et à analyser une séquence d’enseignement proposée par une des enseignantes de 6e année, qui porte sur une activité d’investigation.

Une pratique gagnante[3] est définie comme celle qui accompagne, motive et influence positivement les élèves dans leurs apprentissages[4]. Notre recherche a permis d’identifier une pratique gagnante à partir de six principaux critères : 1. les contenus sont reliés à la vie quotidienne ; 2. la pratique rejoint la communauté des chercheurs ou la communauté en général ; 3. la pratique a recours à des démarches d’investigation ; 4. l’acti-

L’enseignante présente l’activité en prétextant que des promoteurs immobiliers veulent raser la forêt aux abords de l’école. vité vise à développer des concepts scientifiques ; 5. les évaluations sont ancrées dans la tâche ; 6. une variété de formes de représentations (incluant les technologies) est utilisée[5]. On constate que les démarches d’investigation sont au cœur des pratiques gagnantes, mais qu’elles peuvent prendre des formes multiples : observation, exploration, expérimentation, modélisation ou conception technologique[6]. Les démarches d’investigation se distinguent des autres stratégies d’enseignement par le questionnement et la confrontation des idées et des preuves, qu’elles placent au cœur de l’activité pédagogique. 3  On parle aussi de « meilleure pratique », traduction de « best practice ».

1  Conseil national de recherche, (États-Unis), 2012, https ://miniurl. be/r-18vh 2  En Ontario, cet enseignement est guidé par Le curriculum de l’Ontario, de la 1re à la 8e année sciences et technologies, récupéré sur le site du ministère : https ://miniurl.be/r-18vi 44

4  Traduction libre de « effective teaching assists students to learn » (défini par Fitzgerald, Dawson et Hackling en 2009). 5 Fitzgerald et al., 2009, dans Couture et al., 2015 (cf. bibliographie). 6  Boilevin, 2013 (cf. bibliographie).

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Martine, enseignante de notre groupe, enseigne les sciences et technologies et le français à trois classes de 6e année. Une pratique gagnante : la forêt, milieu de vie

La séquence « La forêt, milieu de vie » se situe dans le domaine « Les systèmes vivants-Biodiversité ». Ce projet se déroule en trois périodes. Il consiste en une sortie en forêt aux abords de l’école. Selon Martine, il s’agirait d’une pratique gagnante, parce qu’elle permet un travail collaboratif entre les élèves, une exploration du milieu naturel, de même que l’acquisition de notions de classification. Lors d’une première période, l’enseignante présente l’activité en prétextant que des promoteurs immobiliers veulent raser la forêt aux abords de l’école. Toutefois, un groupe de citoyens s’y oppose. Ce groupe a décidé de faire appel aux élèves de l’école pour les aider à décrire le milieu de la forêt, sa biodiversité, en faisant l’inventaire des êtres vivants qui s’y trouvent. Les élèves, motivés par cette mission, forment des équipes et établissent un plan d’inventaire. Ils sont équipés d’une tablette par équipe pour prendre des photos et des notes. Sur le terrain, les élèves doivent utiliser leurs connaissances antérieures pour trouver et identifier les êtres vivants. Au cours de la troisième période, les élèves impriment leurs photos, puis le travail de classification s’amorce, ce qui suscite de vives discussions propices aux débats argumentés. Martine demande aux élèves d’esquisser un premier tableau de classification pour les animaux et les végétaux, sans chercher dans la documentation. Ils séparent les organismes selon leurs caractéristiques communes à l’aide de la collection de photos de vivant prises dans la forêt. Puis vient la phase de confrontation à la documentation. L’utilisation des TIC (technologies de l’information et de la communication), tels la tablette et l’internet, rend cette activité plus enrichissante. Les élèves élaborent


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de nouveaux tableaux de classification. Ces tableaux, exposés au mur de la classe, sont présentés par chacune des équipes. Une plénière, permettant de faire les dernières corrections de classification, clôture le déroulement de la séquence. Par la suite, la rédaction d’un poème sur la forêt rend possible l’intégration du français. Des photos des tableaux de classification seront expédiées au groupe citoyen. L’enseignante propose une autoévaluation et une évaluation par les pairs. Une auto-investigation

Dans cette séquence proposée par l’enseignante comme exemple de pratique gagnante, on reconnait les critères d’une telle pratique. Elle touche le quotidien, et se réalise au sein d’une communauté, ce qui favorise l’intérêt et l’engagement des élèves (critères 1 et 2). La démarche d’investigation consiste en une exploration (critère 3). L’utilisation de la tablette et de l’internet implique

le recours à des représentations multimodales (critère 6). Les élèves font une tentative de classification, puis corrigent leurs conceptions initiales concernant les organismes vivants répertoriés. Ils construisent des concepts scientifiques relatifs à l’identification et la classification du vivant (critère 4). Enfin, l’enseignante met en place une méthode d’évaluation axée sur l’apprentissage, ce qui permet à l’élève de mieux apprécier sa progression personnelle (critère 5). Au chapitre de l’investigation, Martine a convié les élèves à s’engager dans une exploration sur le terrain puis en classe, permettant ainsi aux élèves de confronter leurs preuves. Selon Christian Orange, la confrontation des preuves et le débat sont souvent indicateurs d’une véritable démarche d’investigation. ­M artine a en outre accordé aux élèves suffisamment de temps pour qu’ils puissent réfléchir, organiser leurs idées et s’autocorriger.

Nous espérons vivement que de tels exemples de pratiques gagnantes[7] permettront de rehausser les compétences scientifiques des élèves, en particulier leurs compétences d’investigation. n 7  Ceux que proposent les enseignants de notre communauté d’apprentissage seront diffusés à l’ensemble des enseignants franco-ontariens, mais aussi aux enseignants francophones d’autres provinces et hors du Canada. Bibliographie Jean-Marie Boilevin, « La place des démarches d’investigation dans l’enseignement des sciences », dans Michel Grangeat (dir.), Les enseignants de sciences face aux démarches d’investigation, 2013. Des formations et des pratiques en classe (p. 27-53), Presses universitaires de Grenoble, 2013. Christine Couture, Liliane Dionne, Lorraine Savoie-Zajc et Emmanuelle Aurousseau,

« Développer des pratiques d’enseignement des sciences et des technologies : selon quels critères et dans quelle perspective ? », Recherches en didactiques des sciences et technologies (RDST), 11, p. 109-132. Christian Orange, Enseigner les sciences. Problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe, De Boeck éditeur, 2012.

La posture du formateur Renouveler le rapport aux apprenants, c’est, entre autres, renouveler le rapport à l’expérience et à sa place dans la construction de la preuve : on ne construit pas une preuve qu’on ne cherche pas. Vivien Braccini, ATER, faculté des sciences de l’éducation de l’université de Strasbourg

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our jouer leur rôle de citoyen dans la complexité de nos sociétés techno­ scientifiques globalisées du XXIe siècle, les individus doivent maitriser les démarches rationnelles d’investigation telles que la démarche expérimentale (DE). C’est pourquoi le projet de l’association des Petits Débrouillards renoue avec le principe des lumières, mais en visant davantage le développement de comportements et de compétences. Sur le plan pédagogique, leur démarche croise les apprentissages par le groupe, par l’action et par la conduite de projet.

L’erreur et le débat y constituent la base, et l’expérience sert à générer des faits dont l’interprétation sera à débattre. Selon les situations, l’expérience sera utilisée de façon inductive afin de construire un questionnement et des hypothèses, ou de façon déductive pour mettre à l’épreuve des hypothèses produites préalablement. L’éducateur y est avant tout un facilitateur chargé de stimuler la réflexivité du groupe, tant sur le plan logique (l’interprétation des faits), méthodologique (la validité d’une observation), qu’épistémologique (le choix de critères de scientificité). Les champs Décembre 2016

d’investigation sont orientés par les préoccupations des participants, leur quotidien, l’actualité, leur projet, etc. Difficultés et Obstacles

Durant dix années d’encadrement de formations dans ce réseau, nous avons constaté que les difficultés observées lors des stages de formation continuent à se manifester sur le terrain. Il s’agit de l’usage de l’expérimentation comme simple support de démonstration et du monopole par l’éducateur de la conduite de la DE. Une grande part de l’origine de ces difficultés se trouve dans une conception naïve de la vérité scientifique et un rapport traditionnel à l’apprentissage. Décrivons de façon caricaturale la séance type d’un éducateur débutant dans l’éducation à la DE. Celui-ci propose une expérience contrintuitive suscitant la curiosité, puis interroge le groupe sur le pourquoi du phénomène observé. On peut alors n n n I N° 533 I Les Cahiers pédagogiques I 45


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voir apparaitre chez l’éducateur une insécurité générée par l’imprévisibilité des questions, la méconnaissance des réponses sollicitées et la non-appropriation de la démarche de recherche. Cette insécurité s’exprime par la non-prise en compte des contradictions expérimentales et par le rejet des explications du groupe non conformes aux savoirs académiques. Et ce, même si le raisonnement logique émis par les enfants est pertinent au regard des connaissances disponibles. nnn

Expérimenter, oui mais comment ?

Illustrons le propos à partir du cas d’un animateur souhaitant explorer le concept de pression en vue d’un projet de construction d’un poste de pilotage de montgolfière, dans le cadre de l’année Jules Verne. Il prévoit un cycle d’expériences impliquant la pression. La première consiste à placer une cannette vide, fermée par un ballon dégonflé, dans l’eau chaude. Sous l’effet de la chaleur, le ballon se redresse (dilatation de l’air). Les enfants, amusés, se questionnent. L’animateur distribue du matériel pour que tous les enfants reproduisent l’expérience, après quoi il leur demande « pourquoi ? ». Il obtient peu de propositions. L’une d’elles est : « L’air chaud est plus léger que l’air froid, alors l’air monte dans le ballon. » L’animateur répond : « Bonne idée, mais ce n’est pas ça. » Face à l’attente, il donne son explication. Il ne propose pas de décrire (« que vois-tu ?  »), ni de contrexpérience (« que se passe-t-il si je retourne la cannette ? »), il n’anime pas le débat (« et toi es-tu d’accord ? pourquoi penses-tu cela ? »), etc. Il ne propose pas de se documenter sur les montgolfières afin de confronter les informations avec les observations de leurs expériences, etc. L’éducateur invalide la totalité de la démarche, sans profiter de l’opportunité que constituent les erreurs. L’explication vient sans délai corriger la production du groupe, privant ses participants des moyens de s’approprier la démarche expérimentale. Ces comportements contribuent à générer du dogmatisme scientifique, puisque l’impossibilité de remise en cause argumentée des savoirs académiques leur confère un caractère sacré. L’éducateur oublie souvent les spécificités de l’activité expérimentale qui implique, entre autres, des ques46

tions de significativité des résultats ou de validité des approximations réalisées (est-ce que la loi des gaz parfaits s’applique dans un volume de 50 cl ?). L’éducateur présente une démonstration illustrée par l’expérience et, parce que l’auditoire a manipulé, a été interrogé et a écouté la bonne réponse, il pense avoir éduqué à la démarche expérimentale. Au cours de nos formations, nous faisons analyser ce type de situation lors de simulations ou de mises en situations réelles, à partir d’une grille d’analyse de la répartition des tâches entre l’éducateur et le groupe (manipulation, description, questionnement, construction d’hypothèses, interprétation, etc.). Grâce à ces analyses collectives et croisées, les

L’impossibilité de remise en cause argumentée des savoirs académiques leur confère un caractère sacré. stagiaires prennent conscience de l’écart entre ce qu’ils pensaient réaliser et ce qu’ils font. Ils constatent que l’éducateur est le principal acteur de leurs séances qui, au-delà des apparences, conservent les caractéristiques d’un cours magistrocentré. Malgré des débats sur l’épistémologie et sur l’histoire des sciences, articulés à des séquences d’expérimentation, la grande majorité des éducateurs en formation ne dépasse pas ces difficultés. Le modèle de l’enseignement scolaire magistrocentré reste dominant dans leur activité, ce qui va à l’encontre des objectifs éducatifs de l’association. L’isomorphisme postural

Déjà, en son temps, Bertrand Schwartz, pionnier de la formation des adultes, écrivait : « Les formateurs ont tendance à reproduire les méthodes pédagogiques qui ont été utilisées pour les former[1]. » Nous ferions donc face à un problème de transfert lors de la construction des compétences professionnelles. Nicole Poteaux, professeure en sciences de l’éducation à Strasbourg, spécialisée en pédagogie et didactique des langues, s’est penchée sur ce problème, elle écrivait : « Nous observons une relation d’isomorphisme 1 Daniel Poisson, Momen Sughayyer, « Retour réflexif sur l’émergence du concept d’action-formation-recherche », dans Recherche qualitative en formation des adultes, Lille, https ://miniurl.be/r-18vl.

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entre les méthodologies de formation des enseignants et le transfert de cette méthodologie dans leur enseignement. » L’isomorphisme ne concerne pas que la méthode : « Le mode de travail utilisé dans les moments de formation influençait les postures que les enseignants développaient avec leurs élèves[2]. ». Le maintien de pratiques et postures transmissives en éducation s’explique probablement par ce phénomène, car les pratiques pédagogiques actives sont souvent présentées et non vécues, faute de temps, de moyens, de conditions matérielles. Même lorsque des personnes se montrent intéressées par ces approches, elles n’ont pas déconstruit leurs représentations sur l’éducation et l’apprentissage, surtout si le corpus à enseigner est considéré comme prioritaire par l’institution employeuse. La recherche-action

Formé aux méthodes actives dans le cadre d’un modèle magistral, l’apprenant doit « transformer sa posture, seul, en accomplissant un travail sur soi en dehors de la situation de formation ». Dans le cas de la démarche expérimentale, les personnes interprètent les principes et les postures des sciences expérimentales à travers le filtre de leurs représentations scolarisées de l’apprentissage et de la science. Le modèle transmissif se maintient malgré la volonté déclarée des individus d’en changer, car l’acquisition intellectuelle et rationnelle de ces démarches n’est pas un stimulus suffisant pour déséquilibrer en profondeur la structure mentale, siège des comportements et de la motivation. Nous ne pouvons pas réaliser d’apprentissages transformateurs relatifs à l’apprentissage de la démarche expérimentale sans réflexivité sur les rapports à l’apprentissage, aux savoirs et à la science. La recherche-action autorise une telle réflexivité, car les participants apprennent à décrire des faits, à définir des notions, à construire et tester des hypothèses, etc. Les représentations individuelles et collectives se confrontent aux produits de la recherche en éducation. Le questionnement est stimulé et les convictions sont mises à l’épreuve. L’acquisition par la pratique réflexive des méthodologies de recherche expérimentale et 2 Nicole Poteaux, Mémoire d’habilitation à la direction de recherches, non édité, université de Strasbourg, 2007, p. 13.


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des connaissances y attenant engendre l’appropriation de nouveaux principes éducatifs et la mobilisation de nouvelles pratiques pédagogiques fondées sur un rapport aux apprenants renouvelé. L’isomorphisme postural apparait alors comme une solution aux freins de l’apprentissage de la démarche expérimentale et nous rapproche des principes directeurs de l’action-formation-recherche de Daniel Poisson, qui cite Bertrand Schwartz à ce propos : « La première idée est qu’il faut, dans la formation des formateurs, être congruent avec les méthodes et les démarches que ceux-ci seront amenés à exploiter avec leurs propres apprenants. Cette cohérence pédagogique conduit à éviter de faire un cours magistral sur l’autoformation ou une formation à la pédagogie par objectifs qui ne définirait pas ses propres objectifs. » La prise en compte du phénomène d’isomorphisme postural dans l’éducation aux sciences expérimentales

nous a conduits à poser l’hypothèse suivante : si les institutions qui ont pour objectif d’éduquer aux sciences expérimentales formaient leurs éducateurs au moyen d’une rechercheaction portant sur ce type d’éducation, alors l’écart entre les discours et les pratiques des éducateurs se réduirait grâce aux effets de l’isomorphisme postural. Cette hypothèse suggère la création d’un dispositif de formation-action-recherche au sein des institutions. C’est ce principe qui nous a guidés dans l’animation d’une recherche-action sur la conception de dispositifs de formation et d’accompagnement des acteurs associatifs du réseau des Petits Débrouillards. Cette recherche action n’a pas abouti à la mise en œuvre de ce type de dispositif, nous privant de données nécessaires à l’évaluation de notre hypothèse directrice. Mais l’analyse du déroulé de la recherche a montré

que l’appropriation de la démarche de recherche[3] par les acteurs constituait un obstacle majeur. Cela confirme notre analyse qui souligne la difficulté pour les éducateurs à faire acquérir une posture qu’euxmêmes n’ont pas acquise, malgré l’intérêt pour la culture scientifique des individus de ce mouvement. Cela questionne alors la place de la culture de la recherche dans l’éducation à la DE, et dans la culture scientifique plus globale. Nous constatons que la pratique de la recherche-action ne garantit pas à court terme l’acquisition d’une posture de recherche. Comment en optimiser son acquisition ? Faut-il alors formaliser des activités d’apprentissage propres à la démarche de recherche, même si les acteurs ne s’interrogent pas naturellement à son propos ? n

3  Vivien Braccini, www.theses.fr/2014STRAG040

Une expérience de travail collaboratif en sciences La résolution interdisciplinaire d’un problème est facilitée par une démarche collaborative qui permet à la fois de faire le lien entre les deux matières et l’usage d’une matière dans une autre. Sylvie Riondet, professeure de sciences physiques et chimiques au lycée international Europole de Grenoble Claude Deladoeuille, professeur de mathématiques au lycée international Europole de Grenoble

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près trois années d’expérimentation des nouveaux programmes de physique-chimie en classe de terminale S, nous avons ressenti le besoin de proposer un cadre d’apprentissage différent aux élèves, pour les aider à surmonter certains écueils du programme de mécanique. Notre objectif était de rendre les apprentissages plus cohérents, par un travail collaboratif et interdisciplinaire.

Aborder le programme de mécanique en classe de terminale S suppose pour les élèves d’utiliser le vecteur comme outil de représentation de différentes grandeurs physiques, de savoir réaliser des projections de vecteurs sur des axes, de savoir faire des recherches de primitives, etc., autant de notions mal maitrisées par nos élèves, pour des raisons de manque de cohérence entre les programmes de mathématiques et de sciences physiques. Devant ce Décembre 2016

constat, nous avons sciemment fait le choix de mettre en difficulté les élèves, afin d’apporter ces outils comme des réponses au moment où ils en ressentent le besoin. Le programme de mécanique a été abordé sous un aspect historique avec les trois lois de Newton. Aucune notion de cinématique n’a été donnée aux élèves avant l’apprentissage par problème que nous leur avons ensuite proposé (voir l’encadré). La recherche de la solution s’est faite par équipes de six à sept élèves pendant trente minutes, avec pour objectif soit de proposer une solution par écrit, soit de rédiger un certain nombre de questions. Faire réfléchir les élèves dans de grands groupes a permis un échange très riche. Pour avoir déjà fait une activité similaire en début d’année scolaire, les élèves savaient qu’ils ne pouvaient pas compter sur le professeur pour répondre à leurs questions ; n n n I N° 533 I Les Cahiers pédagogiques I 47


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ils savaient que cette situation ne durerait pas, par contre ils ne savaient pas qu’on reviendrait vers eux à deux professeurs ! Les réponses proposées par les trois groupes représentatifs de cette classe de vingt élèves est très riche d’enseignements. On peut noter la difficulté à prendre un bon démarrage, à puiser de façon efficace dans ses connaissances et compétences, à faire le lien entre un constat (« ne dépend pas de la masse » vu en classe de 2de) et une équation (« = »), ou bien, tout au contraire, le « génie » de comprendre la nécessité de retrouver « la fonction qu’on a dérivée ». Lors de la séance suivante, le professeur de physique a projeté et rapidement commenté les réponses des trois groupes. Le professeur de mathématiques a ensuite pris la main pour un cours sur la primitive d’une fonction. Les élèves ont rapidement compris la nécessité de travailler de concert pour les deux disciplines. Les trente minutes restantes ont permis de rédiger leur réponse au défi posé. Chaque binôme s’est précipité dans ce travail de rédaction, désireux d’arriver au terme de la résolution du problème. Cette fois, les deux professeurs présents pouvaient intervenir. À l’issue de cette séance, les réponses rédigées ont été annotées par le professeur de physique d’une couleur, puis par le professeur de mathématiques d’une autre couleur. nnn

évaluer l’activité

Au début de la troisième séance, le professeur de physique a rédigé au tableau la solution du problème et a rendu les réponses annotées. Chaque binôme a évalué l’écart entre ce qui était attendu et le point où il est arrivé. Cette autoévaluation formative permet aux élèves de mesurer leur degré de maitrise à un moment de leur parcours d’apprentissage ainsi que les évolutions attendues. Nous avons pu constater avec les élèves qu’à ce stade, ils ont pratiquement tous mal défini le référentiel et le repère d’étude, étape nécessaire à la bonne résolution du problème. Ils ont compris que le choix des repères d’espace et de temps devait être fait de façon réfléchie pour une résolution efficace. La généralisation à des situations rencontrées dans des espaces à deux ou trois dimensions n’ajoute que la difficulté de la projection des vecteurs sur des axes. Ce parcours d’apprentissage a donc per48

mis de ne pas rencontrer toutes les difficultés en même temps, tout en permettant aux élèves de construire des bases solides et de constater les différences des attendus de rédaction d’un raisonnement en physique ou en mathématiques. Il a suscité des discussions intéressantes entre élèves et professeurs, ainsi qu’entre les professeurs sur l’emploi d’une même notion au travers des exigences propres aux deux disciplines. Les avis des élèves sur cette séquence sont sans équivoque : « Expérience extrêmement intéressante ; à refaire ; contrastes et points communs maths et physique mis en valeur ; j’aimerais bien avoir cette expérience plus souvent ; l’intervention du professeur de maths a été utile pour pouvoir avancer et c’est original, ça rend l’heure vivante ; le fait que le professeur de

Ce parcours d’apprentissage a permis de ne pas rencontrer toutes les difficultés en même temps. maths intervienne est plus efficace que si la professeure de physique le fait ; c’était intéressant de faire le lien entre les deux matières et aussi de voir comment les différentes notions sont exploitées ; etc. » La même expérience d’enseignement a été proposée dans une autre classe de terminale S de trentequatre élèves, où le professeur de mathématiques de cette classe n’est pas intervenu. Le professeur de physique a fait le même cours de mathématiques. Il va de soi que la dynamique est meilleure quand les deux professeurs s’investissent dans cette collaboration. Néanmoins, l’échange réalisé avec la première classe a permis au professeur de physique de mieux « parler les mathématiques »,

en s’appuyant sur une rédaction propre à cette matière d’enseignement et en ayant conscience des exigences de celle-ci. De son côté, le professeur de mathématiques impliqué dans la première classe a pu s’aventurer dans le domaine de la physique et voir comment les mathématiques étaient utilisées. Ainsi sensibilisé, il pourra utiliser des exemples issus de la physique dans son cours, varier l’utilisation des variables, dans les études de fonction par exemple. L’interdisciplinarité pour plus d’efficacité

Cette expérience a été riche d’échanges entre tous les acteurs, élèves comme professeurs. Par ce travail collaboratif, nous avons beaucoup gagné en efficacité, même s’il représente un effort pour amener de la cohérence dans les deux programmes de sciences qui ne sont pas toujours en adéquation. Le travail interdisciplinaire, encouragé par l’institution, se développe à travers les enseignements d’exploration en classe de 2de, les travaux pratiques encadrés en 1re et l’aide personnalisée sur l’ensemble des trois niveaux du lycée, mais le besoin de travailler en interdisciplinarité peut aussi être ressenti de façon plus ponctuelle en dehors de ces cadres. Se pose alors le problème des moyens alloués à ce type d’activité. La contrepartie positive est que les élèves vouent une grande confiance à leurs professeurs, ce qui facilite le travail pour toute la suite de l’année scolaire. Il y a eu une légitimation des deux disciplines l’une envers l’autre. n

Exemple La mesure d’une hauteur Trouver la hauteur h à laquelle se trouve le bas de la fenêtre du premier étage de la maison de Rodolphe qui possède un chronomètre pour ses entrainements sportifs ! Pour restaurer sa maison il doit connaitre la hauteur à laquelle se trouve le bas

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de sa fenêtre du premier étage, mais il n’a pas encore d’outil adapté pour mesurer de grandes longueurs. Il lâche alors un caillou et mesure le temps qu’il met pour atteindre le sol. Il trouve t 1 = 0,750 s. Il recommence avec un autre caillou beaucoup plus

lourd et retrouve le même résultat : t 2 = 0,750 s. Il se dit que cette deuxième expérience était bien inutile ; il vient de se souvenir de ses cours de physique et les frottements sont négligeables ! S.R. et C. D.


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Pratiques discursives en sciences Un exemple de production d’écrits successifs été examiné à partir du travail d’une classe de cycle 3 sur la circulation sanguine. Les études dont cet article fait écho cernent des conditions de reprise des écrits propices à des réajustements sur le plan langagier et à des transformations sur le plan cognitif. Eliane Pautal, Didactique des SVT, ESPÉ de l’académie de Limoges, Laboratoire EFTS, université de Toulouse 2J Martine Champagne-Vergez, Didactique du Français, ESPÉ de l’académie de Bordeaux, Lab-E3D Patricia Schneeberger, Didactique des SVT, université de Bordeaux, Lab-E3D

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a secondarisation des énoncés de savoir peut être définie comme une transformation des usages langagiers initiaux des élèves, qui vise le passage de connaissances dépendantes des situations dans lesquelles elles s’exercent à des connaissances objectives décontextualisées. Ainsi les objets de savoir se construisent progressivement au cours du processus de secondarisation entretenu par les situations d’enseignement proposées en classe. La notion de communauté discursive scientifique désigne les pratiques discursives liées à la construction des savoirs élaborés dans la sphère scientifique en incluant les pratiques langagières spécifiques de cette communauté, en particulier l’argumentation. La mise en œuvre, dans la classe, de ces pratiques discursives développe des modes d’agir-parler-penser spécifiques. Une étude de cas au cycle 3

Notre étude de cas concerne l’organisation du recueil des mesures du rythme cardiaque et du rythme respiratoire effectuées au cours d’une séance de sport et leur utilisation, par la classe, au cours d’une séquence consacrée à l’étude de la circulation sanguine. n L’organisation du travail

Trois séances permettront l’objectivation d’un lien entre cœur, respiration et activité physique. Puis une

séance centrera le travail sur la nature de ce lien. Enfin, les trois dernières séances permettront de construire les explications, en passant par la construction d’hypothèse, puis de valider le travail par une production finale. n Organiser le recueil des données

Intéressons-nous à la collecte d’un ensemble de mesures (rythme cardiaque, rythme respiratoire) effec-

La mise en œuvre, dans la classe, de pratiques discursives développe des modes d’agir-parler-penser spécifiques. tuées dans différentes conditions (au repos et après l’effort), et au tableau qui en résulte. Ce travail est réalisé après avoir cherché à établir un lien entre respiration et activité cardiaque via l’expérience des élèves (la course). En première séance, la classe se met d’accord sur la nécessité de faire des mesures pour prouver que « quand je cours, mon cœur se met à battre plus vite et je respire plus vite ». Au cours de la deuxième séance, un tableau est élaboré en vue de recueillir des données. En troisième séance, des mesures sont effectuées au cours d’une séance d’EPS et les valeurs recueillies sont relevées dans le tableau. Nous avons Décembre 2016

suivi les différentes étapes de l’élaboration de ces tableaux, qui nous informent sur le rôle que le professeur et les élèves font jouer à cet écrit dans la situation d’enseignement apprentissage. Dès la première séance, sous l’exigence du professeur, les élèves passent de l’expression d’une sensation (« quand on court, on est essoufflé ») à la description d’un phénomène (« on respire plus vite »), qui est mis en relation avec une situation (la course). À partir de ce constat, la classe s’interroge sur le lien entre la course et l’augmentation du rythme respiratoire et se pose la question du lien avec d’autres phénomènes (« le cœur bat plus vite »). La première inscription au tableau matérialise cette étape de mise à distance et de mise en relation, indispensable pour amorcer la construction de l’objet de savoir. « Plus on court, plus le cœur bat vite et plus la vitesse de la respiration augmente. » À partir de la description du phénomène, un processus de secondarisation des énoncés est amorcé. À terme, il devrait participer à la construction du problème en jeu sous-tendant cette étude : « Comment le sang apporte-t-il l’oxygène aux muscles ? » Pour rendre nécessaire l’identification de la nature des liens entre les fonctions de respiration et de circulation sanguine, l’enseignant demande aux élèves d’établir des preuves en prenant appui sur l’exploitation de faits empiriques : « Je voudrais bien avoir des preuves ou savoir comment nous pourrions mettre ce phénomène-là en évidence. J’essaye juste de réfléchir avec vous à une manière de mettre ça en évidence. Qu’est-ce qu’on va essayer de démontrer ? On va voir si on arrive à démontrer. Alors qu’est-ce que ça va peut-être nous permettre de mettre en évidence, ça ? » Après avoir précisé les techniques de mesure qui seront utilisées par la classe, le professeur fait réfléchir les élèves sur la construction d’un n n n I N° 533 I Les Cahiers pédagogiques I 49


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outil opérationnel pour relever les mesures du rythme cardiaque et du rythme respiratoire avant et après une course à pied : « Vous allez essayer de construire un outil qui va nous permettre de garder en mémoire les mesures qu’on a faites, et, ensuite, de pouvoir l’utiliser, parce que si on fait des mesures, c’est bien pour pouvoir les utiliser. Vous allez réfléchir à ça. Vous vous mettez d’accord par groupe sur un outil à proposer et ensuite nous en discuterons. » L’idée de construire le tableau avant de faire les mesures conduit la classe à s’interroger sur les données pertinentes à relever. En outre, la confrontation des productions des élèves conduit à formaliser les conditions d’une exploitation rigoureuse des données. Ce travail collaboratif utilise la comparaison des données comme un moyen de construire des arguments scientifiques en vue d’expliquer un phénomène. En conséquence, les élèves accèdent à un mode d’agir-parler-penser et d’écrire spécifique d’une communauté discursive scientifique scolaire. nnn

n Organiser l’exploitation des données recueillies

Après le recueil des données, le professeur engage la classe dans un travail collectif visant à construire des raisons pour expliquer les variations observées : « Je vais observer, ensuite je vais comparer, écrire effectivement, ça va me servir, m’aider à chercher à comprendre pourquoi ça augmente à tel moment, pourquoi ça diminue à tel autre, pourquoi l’activité cardiaque varie de telle manière, pourquoi l’activité respiratoire varie de telle manière. On va peut-être chercher à comprendre pourquoi, non ? Vous allez chercher le pourquoi du comment exactement. » À cette occasion, le professeur introduit un tableau de référence comportant des moyennes, en vue de présenter des valeurs fiables. L’exploitation de l’ensemble des données disponibles répond à plusieurs objectifs. Il s’agit de comprendre : ce que signifie une moyenne et comment on la construit ; l’intérêt de faire de nombreuses mesures ; l’intérêt de travailler sur les mêmes valeurs ; la comparaison de ses propres mesures avec celles d’un tableau de référence pour se rendre compte de la validité des résultats obtenus en classe. De cette façon, les élèves sont familiarisés avec un ensemble de pra50

tiques, spécifiques aux sciences, indispensables pour appréhender la nécessité de mettre en cohérence la démarche de recherche et l’objet de la recherche. Finalement, le professeur met en place les conditions d’acculturation scientifique : le recours des données expérimentales ne s’inscrit dans un travail scientifique que si la méthodologie de recueil des données est construite avec les élèves dans le but d’établir la récurrence des faits. n Réécrire pour prendre en compte des déplacements énonciatifs

Au départ, l’écrit élaboré est le suivant : «  Plus on court, plus le cœur bat vite et plus la vitesse de la respiration augmente. » Le statut incertain de cet énoncé, qui peut correspondre à une observation (de la vie courante) ou à l’amorce d’une expli-

Le protocole élaboré par la classe sert à amorcer la construction d’un problème scientifique. cation, est levé à l’issue du travail effectué à partir des mesures (recueil et exploitation). En effet, la production d’un tableau nécessite d’anticiper le recueil des données, d’identifier les paramètres à envisager et de négocier une première organisation des données. Ici, le choix a été fait de recueillir les données concernant la respiration et les battements du cœur au repos, suite à une course modérée et suite à une course rythmée. L’exploitation de toutes les données s’accompagne de la réécriture du texte du savoir pour obtenir l’énoncé suivant : « Selon l’effort que je fais, mon rythme cardiaque et mon rythme respiratoire varient-ils ? Nous sommes allés faire du sport pour trouver nos mesures cardiaque et respiratoire. Nous avons comparé et analysé nos résultats. Puis nous avons reporté nos mesures sur un diagramme. Plus l’effort est important, plus la respiration et le rythme cardiaque augmentent. » Comparé à sa version initiale, cet écrit, du fait de la prise en compte de la signification des données, acquiert un statut de savoir scientifique en cours de construction. Cet écrit intermédiaire témoigne de l’évolution du processus de secondarisation amorcé grâce aux différentes interactions langagières et contribue, par la dis-

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tinction avec le sens commun, à la construction de l’objet de savoir. n Construire une démarche scientifique collectivement

Dans les pratiques d’enseignement les plus courantes, les études expérimentales sont généralement utilisées dans le cadre de la résolution d’un problème. Dans le cas étudié, le protocole élaboré par la classe sert à amorcer la construction d’un problème scientifique en partant de la question de la relation entre respiration et activité cardiaque. Ainsi la construction du problème est dévolue aux élèves. La stratégie adoptée par le professeur consiste à mettre à distance l’expérience en vue de retenir des critères objectivables. Ainsi la classe pourra raisonner, le tableau contribuant à élaborer un contexte partagé grâce auquel les élèves pourront accéder à des pratiques scientifiques. Le long détour par les mesures (rythme respiratoire, rythme cardiaque, au repos et après un effort) permet de préparer ces élèves à sortir de l’évidence pour les engager dans la construction d’explications scientifiques. Le recours aux écrits intermédiaires (textes et tableaux) favorise la production d’objets secondarisés (en rupture avec la vie quotidienne) sur lesquels les élèves pourront s’appuyer pour commencer à construire le problème scientifique travaillé à la séance suivante. L’utilisation des productions des élèves a ainsi permis, en accordant une attention particulière à la construction d’une communauté discursive scientifique scolaire, de favoriser le processus de secondarisation nécessaire aux apprentissages. n


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Raisonner, une affaire de langue ? À travers la démarche d’investigation, l’auteur nous montre la difficulté des élèves pour mener à bien une activité de raisonnement, alors qu’ils ont du mal avec le vocabulaire de la cause et de la conséquence, mais aussi que la maitrise du vocabulaire du raisonnement est aussi importante que le raisonnement lui-même. Guillaume Cornu, professeur de physique-chimie et de français langue étrangère, collège Charles-Münch, Grenoble

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a démarche d’investigation comporte des phases de raisonnement et de communication et les compétences correspondantes sont légitimement évaluées en classe de sciences. Or, il est difficile d’évaluer la validité d’un raisonnement sans que cela n’interfère avec les compétences de communication des élèves. En effet, les enseignants n’évaluent souvent la compétence « raisonner » qu’au travers de la capacité de l’élève à communiquer son raisonnement. Souvent même, les enseignants amplifient la part de l’aptitude de l’élève à s’exprimer, en refusant les résultats bruts et en exigeant des explications formulées du raisonnement. Or, donner un résultat est une chose, expliquer comment ce résultat a été obtenu en est une autre, qui demande parfois des compétences de communication relativement élevées. Lorsque nous effectuons un test de logique, par exemple le prolongement d’une suite de symboles, il ne nous est pas demandé d’expliquer pourquoi nous avons choisi tel ou tel symbole ; en classe, si. Or, il existe des élèves capables de produire un bon raisonnement mais qui ne maitrisent pas bien le langage, et des élèves qui, malgré un bon niveau de langue, ont des difficultés à mener un raisonnement logique. Il n’est pas toujours facile d’évaluer, lorsque la réponse d’un élève n’est pas cohérente, s’il s’agit d’une erreur de raisonnement ou s’il n’a pas réussi à le formuler clairement. Si raisonnement et communication sont deux compétences différentes, elles peuvent néanmoins se travailler et se construire ensemble. Raisonner,

c’est « lier logiquement entre elles des propositions pour aboutir à une proposition nouvelle[1] ». C’est donc construire en interne une forme de communication qui, pour être formulée à autrui, demande à être structurée de façon cohérente et semblable à la structure syntaxique d’une phrase. En ce sens, on peut supposer qu’un travail rigoureux sur la construction de

Raisonnement et communication sont deux compétences différentes qui peuvent se travailler et se construire ensemble. phrases qui expliquent les raisonnements aura un impact sur la construction du raisonnement. Nous montrerons que les disciplines expérimentales offrent des opportunités pour travailler conjointement le raisonnement et l’expression de celui-ci. l’importance de la maitrise du langage

Le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), publié par le conseil de l’Europe, permet d’harmoniser entre les différents pays des niveaux de référence en langue. Il décline les compétences langagières en niveaux progressifs : A1, A2, B1, B2, C1 et C2. Les élèves allophones arrivants (EAA) suivent des cours de français langue étrangère (FLE) qui s’apparentent pour eux à des cours de langue vivante. Les enseignants peuvent s’appuyer sur des descripteurs proposés par le

Centre international d’études pédagogiques pour positionner ces élèves en langue française sur l’un des niveaux du CECRL. En nous appuyant sur ces descripteurs, nous pouvons comparer les formulations d’élèves de différents niveaux en langue sur une problématique scientifique donnée. Par exemple, si on demande à un élève d’expliquer comment il s’y prendrait pour déterminer si un gaz est du dioxyde de carbone, l’élève francophone pourrait répondre : « Je vais faire passer le gaz dans de l’eau de chaux. Si l’eau de chaux se trouble, cela voudra dire que le gaz est du dioxyde de carbone. » Une telle réponse n’est pas envisageable de la part d’un élève de niveau A1. À ce niveau, l’élève produit des phrases simples, le plus souvent descriptives, au présent. Les structures syntaxiques sont limitées. Au niveau A1, nous pourrions obtenir d’un élève qu’il propose [2] : « Je prends de l’eau de c h a u x . L’ e a u d e c h a u x e s t blanche. » D’une telle formulation chez un élève allophone et de ce que nous connaissons de lui, nous pouvons parfois induire que le raisonnement est maitrisé et compris, même si rien dans ces phrases ne montre qu’il s’agit d’un raisonnement. Une même réponse provenant d’un élève francophone ne serait pas validée comme un raisonnement. Au niveau A2, la phrase resterait factuelle, elle ne comporterait probablement pas encore de structure hypothétique et peu de connecteurs logiques. C’est seulement à partir du niveau B1, voire B2, que la structure qui correspond à un raisonnement apparaitrait. Au niveau B1, la construction d’une phrase reste fortement influencée par la langue maternelle ; c’est pourquoi nous rencontrons souvent, de la part d’italophones, l’emploi du terme « pourquoi » à la place de « parce que ». Traduit en français, cela ressemble à une erreur de raisonnement. n n n 2 Sans tenir compte de probables oublis ou erreurs d’articles.

1  Larousse en ligne : https://miniurl.be/r-196t Décembre 2016

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Ce n’est que pour le niveau B2 que les descripteurs précisent : « Peut écrire des descriptions élaborées d’évènements et d’expériences réels ou imaginaires, en indiquant la relation entre les idées dans un texte articulé et en respectant les règles du genre en question. » C’est alors que l’imaginaire, et donc l’hypothèse, peut s’exprimer. Un élève peut donc raisonner sans maitriser la langue française, mais il est plus difficile pour lui de l’exprimer et l’enseignant a du mal à mesurer sa capacité à raisonner. Une bonne maitrise de la langue permet de relater avec fidélité ce que l’on pense. Pour pouvoir traduire à l’oral ou à l’écrit les connexions que fait notre cerveau, il faut pouvoir trouver les termes qui les traduisent le mieux. nnn

Les connecteurs logiques

Regardons plus particulièrement l’utilisation de connecteurs logiques « donc » et « parce que », car ce sont les plus fréquemment utilisés dès le début du cycle 3. Prenons l’exemple suivant : les élèves sont face à un montage électrique simple composé d’une lampe, d’un interrupteur et d’une pile et ils constatent que la lampe ne brille pas. Nous leur demandons de dire si le circuit est ouvert ou fermé. Nous obtenons presque systématiquement les types de réponses suivants : « La lampe est éteinte parce que le circuit est ouvert », « le circuit est ouvert donc la lampe est éteinte. » Dans les deux cas, il y a une inversion de la cause et de la conséquence par rapport à ce qui est observé et ce qui est demandé. L’enseignant peut penser, à juste titre, que l’élève a compris la question et valider la réponse, en passant outre l’erreur d’utilisation du connecteur logique. Mais si l’enseignant choisit de ne pas accepter ces formulations et qu’il n’explicite pas le fait que l’erreur porte sur le choix du connecteur logique, l’élève risque de croire que son erreur concerne le terme « ouvert » et que le circuit est en fait fermé. En effet, comme ce terme est l’objet de la question, l’élève focalise sa réponse sur celui-ci et n’imagine pas que l’erreur puisse se situer ailleurs. Une évaluation explicite est indispensable pour permettre à l’élève de progresser. En guise de remédiation, il faut donner l’occasion aux élèves de travailler précisément ce qu’est un raisonnement et la façon de l’expliquer. Une piste possible serait de relire avec les élèves leurs différentes proposi52

tions, en demandant d’identifier les causes et les conséquences. On pourrait ensuite, par exemple, demander de trouver une situation qui corresponde à « la lampe est éteinte parce que le circuit est ouvert » et une autre qui corresponde à « le circuit est ouvert donc la lampe est éteinte ». Il s’agit dans le premier cas de la réponse à la question « pourquoi la lampe est-elle éteinte ? », dans le ­deuxième cas d’un schéma sur lequel l’interrupteur est ouvert, associé à la question « la lampe est-elle allumée ? ». Nous pouvons aussi nous appuyer sur l’aspect visuel de cette situation, pour montrer aux élèves que le fait d’inverser ce qui est observé et ce qui est à déduire a un impact sur la formulation de la phrase. En effet, si l’état de l’interrupteur est caché, et donc à déduire après observation de la lampe, la formulation ne

Faire vivre la richesse de la langue française à travers la diversité des enseignements. sera pas la même que si c’est la lampe qui est cachée et que nous devons nous appuyer sur l’observation de l’état de l’interrupteur pour en déduire l’état de la lampe. Communiquer et reformuler

Dans un autre domaine, nous pouvons proposer aux élèves de comparer ces deux situations : « Un élève voit par la fenêtre que la neige fond parce que des gouttes d’eau tombent du toit » et « le thermomètre indique que la température extérieure est de 8 °C » et d’y associer les affirmations suivantes : « La température est positive donc la neige fond » et « la neige fond donc la température est positive ». Ce type d’exercice permet de travailler à la fois le raisonnement et la façon de le communiquer. Il est également possible d’agir sur l’acquisition de concepts scientifiques en apprenant aux élèves à changer de niveaux de formulation, à vulgariser. Leur demander de n’utiliser que le lexique courant pour formuler ce qu’ils ont retenu d’une séquence permet d’évaluer leur niveau d’acquisition. L’enseignant s’assure ainsi que l’élève est allé au-delà de la mémorisation sans transfert (l’apprentissage par cœur). Par exemple, après avoir travaillé les tests d’identification des ions, un élève capable d’expliquer

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qu’« il existe des liquides qui permettent de reconnaitre quels sont les ions présents dans un mélange » indique qu’il a acquis la notion de test chimique. Il peut ensuite décliner cette affirmation générique sur des cas particuliers et les appliquer dans des situations pratiques : « La soude ou le nitrate d’argent permet d’identifier… » À l’enseignant ensuite de demander à l’élève d’agir à nouveau sur le niveau de langue en exigeant aussi les termes spécifiques (« solution » à la place de « mélange », etc.). Les transferts de niveau de langue sont importants dans les deux sens. Les difficultés liées à la pratique de la langue française doivent être prises en compte dans les enseignements de sciences, non seulement pour permettre aux élèves d’acquérir au mieux les compétences langagières, mais aussi parce que travailler la langue permet d’accéder aux concepts disciplinaires et de formuler les raisonnements propres à notre discipline. Les compétences de langue sont des compétences transversales. Elles doivent être vécues comme telles par les élèves et donc être travaillées dans toutes les disciplines. Les spécificités de chaque discipline (l’expérimentation pour les sciences, la créativité pour d’autres) permettent de pratiquer un grand nombre d’activités et d’expressions langagières et donc de faire vivre la richesse de la langue française à travers la diversité des enseignements. n


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Premier pas vers les sciences Faire des sciences commence tout petit dans le cadre familial ou scolaire, autour d’un bon album de fiction scientifique. Voilà une bonne occasion d’initier le raisonnement scientifique et d’éviter les fausses représentations. Catherine Bruguière, maitre de conférences en didactique de la biologie, ESPÉ de Lyon

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ans le cadre de notre groupe de recherche[1], nous travaillons sur les opportunités d’apprentissages en classe de sciences qu’offre la lecture de certains albums de fiction que nous avons qualifiés de « fiction réaliste ». Il s’agit d’albums dont la particularité est de faire entrer le réel dans la fiction, à l’insu des personnages et du lecteur. Certes, le monde qu’ils construisent est fictionnel (les personnages sont des animaux qui pensent, parlent, ont des états d’âme), mais, dans le même temps, leur marge d’action tout comme l’intrigue du récit apparaissent soumises aux lois de la nature. Ainsi, le personnage de la chenille, dans l’album La chenille qui faisait des trous d’Éric Carle, subit des transformations qui répondent aux lois biologiques du développement d’un papillon, même si ce personnage se nourrit quotidiennement de mets fantaisistes. Plus encore, ces albums de fiction réaliste utilisent la référence au réel comme support structurant de l’intrigue du récit, la compréhension de celui-ci passant inévitablement par leur compréhension. Par conséquent, lire de tels albums nécessite que le lecteur infère les phénomènes scientifiques évoqués en arrière-plan. L’hypothèse de nos travaux repose sur l’idée que si l’intrigue est structurante pour le récit, elle l’est aussi pour générer des questions scientifiques chez les élèves. Il s’agit alors de proposer aux élèves des situations interactives de lecture et écriture qui s’enracinent dans le récit de ces 1  Ce groupe de recherche est reconnu depuis 2012 comme un lieu d’éducation associé (LéA) par l’IFÉ. Le LéA Paul-Émile-Victor réunit des enseignants du premier degré et des enseignants chercheurs en didactiques des sciences et des mathématiques autour de « questionner les sciences avec des albums de fiction ».

albums de fiction. Celles que nous proposons sont construites à partir de deux exemples d’album de fiction réaliste : Un poisson est un poisson[2] et Mais où est donc Ornicar[3] ? Un poisson est un poisson

« En bordure de la forêt, un têtard et un vairon nagent au milieu des herbes d’un étang. Ce sont deux amis inséparables ». Mais voici qu’un matin le têtard s’aperçoit que deux petites pattes lui ont poussé, et d’annoncer fièrement qu’il est une grenouille, ce que lui conteste son ami

Une relation d’amitié qui se voit contrariée par un évènement brutal, l’apparition de pattes postérieures chez le têtard. le vairon. Une fois devenu adulte, la grenouille part explorer le monde aérien. De retour dans l’étang, elle raconte toutes les « choses extraordinaires » qu’elle a vues. Le poisson s’imagine les oiseaux, les vaches, les hommes à son image. Se retrouvant à nouveau seul, il décide d’aller à la rencontre de l’autre monde. Là, sur la rive, il manque de peu de s’étouffer. Heureusement la grenouille lui porte secours en le repoussant dans l’eau. Il prend alors conscience qu’« un poisson est un poisson ». L’histoire raconte une relation d’amitié qui se voit contrariée par un événement brutal, l’apparition de pattes postérieures chez le têtard. Dès cet instant, le réel s’invite dans la fiction. Cependant, c’est moins cet évènement en lui-même qui pose problème, que son interprétation 2  Léo Lionni, Un poisson est un poisson, éditions L’École des loisirs, 1981. 3  Willy Glasauer et Gérard Stehr, Mais où est donc Ornicar ?, éditions L’École des loisirs, 2000. Décembre 2016

par les personnages : si le têtard revendique « qu’il est une grenouille », le poisson, quant à lui, le tient encore pour un poisson. Du point de vue du récit, c’est ce différend qui constitue le nœud de l’intrigue. Le paradoxe est qu’au départ vairon et têtard présentent de fortes ressemblances qui leur donnent un « air de famille ». Ainsi, pour le vairon, ils sont l’un et l’autre des «  petits poissons », affirmation contestée par le têtard dès lors qu’il observe les premières transformations de son développement. Derrière l’intrigue se pose donc la question de l’identité biologique de chaque personnage : le têtard et le vairon sont-ils tous les deux des poissons ? Et si non, qu’est-ce qui les distingue ? Les deux situations de lecture proposées autour de cet album visent l’appropriation de démarches scientifiques et l’élaboration de connaissances relatives à la caractérisation du vivant (cycle 2), aux notions de permanence d’espèce et de biodiversité (cycle 3). La première situation propose aux élèves de se placer dans la position du poisson et de réaliser l’expérience de pensée consistant à imaginer les vaches rencontrées par la grenouille dans le monde aérien à partir de la description qu’elle en fait au poisson : « Des vaches », dit la grenouille. « C’est drôle, les vaches ! Elles ont quatre pattes, des cornes, elles mangent de l’herbe et elles portent des sacs roses pleins de lait. » (p. 16) En contraignant les élèves à se mettre à la place du poisson, l’enseignant leur donne la possibilité de réaliser des dessins très variés par rapport aux caractères de la vache qu’ils connaissent a priori. La description réduite offre en effet une marge d’interprétation que les élèves pourront exploiter. Les dessins sont ensuite affichés au tableau, comparés et discutés, afin d’établir ce qui est nécessaire pour représenter une vache et pourquoi : quels attributs sont privilégiés ? En quoi sont-ils caractéristiques ou non de l’espèce vache ? La seconde situation de classe prend la forme de discussions autour de l’énoncé problématique n n n I N° 533 I Les Cahiers pédagogiques I 53


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3. Partager

classification des animaux : dans quelle mesure le choix des critères a des conséquences sur l’inclusion ou l’exclusion de l’ornithorynque dans la classe des animaux ? Comment classer un animal inconnu, différent de ceux que l’on connait, et qui présente des caractères à priori incompatibles ? Quels critères choisir, et pour quelle visée de classement ? Les critères en termes de fonctions, d’attributs anatomiques ou de capacités visent quel type de classement ? Comment transformer un type de critère en un autre ?

n n n « Un poisson est un poisson » qui apparait à différents endroits dans l’album et prend une signification différente en fonction du contexte d’énonciation. Il s’agit d’interroger à travers la signification que prend cet énoncé la façon dont les personnages perçoivent leur appartenance à une espèce au cours de leur développement.

classer avec Ornicar

Le jour de la rentrée des classes, la maitresse souhaite mettre de l’ordre pour que chacun des animaux (les élèves de la classe) trouve sa place, d’autant qu’un nouvel élève, Ornicar l’ornithorynque, est arrivé dans la classe. La maitresse envisage différents critères (ceux qui boivent du lait, ceux qui ont des plumes et un bec) pour organiser des groupes, mais, toujours, Ornicar semble inclassable et mis à l’écart. Il possède une fourrure, il boit du lait, mais il a aussi un bec et il pond ; une grosse larme coule sur sa joue et il s’enfuit de l’école. Rattrapé par la maitresse et ses camarades de classe, l’enseignante arrivera à intégrer l’ornithorynque en proposant des classements fondés sur des capacités artistiques ou sportives (dessiner, chanter, jouer au football). Le problème scientifique de classement de l’ornithorynque n’est pas résolu à l’issue du récit. Même si le dénouement de l’histoire aboutit à l’inclusion d’Ornicar parmi les animaux de la classe, la maitresse ne parvient pas à proposer des critères pertinents sur le plan scientifique pour créer un groupe incluant l’ornithorynque. Il s’agit donc d’une histoire autour de laquelle s’articule un questionnement scientifique sur les critères de

Amener les élèves du primaire à interroger des phénomènes scientifiques et s’engager dans une construction critique de problèmes scientifiques.

Contexte Exemple de récit Canard : « Est-ce que tu bois du lait ? Ornicar : — Oui, je bois du lait, mais je ne sais pas où est le groupe qui boit du lait. Canard : — C’est à gauche. Ornicar : — Non, c’est là-bas, à droite ! Canard : — Je sais mieux que toi, je ne bois pas de lait. Et ceux qui ne boivent pas de lait se mettent à droite. Ornicar : — Bon, d’accord si tu le dis. Mais si la maitresse nous reprend, ce sera de ta faute. »

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Après un début d’album qui semble largement orienté par ces questions d’ordre scientifique, la fugue d’Ornicar fait entrer le récit dans la problématique sociale de l’exclusion. Ainsi, au-delà de la simple visée éducative, l’album possède en toile de fond une leçon de tolérance, de respect et d’acceptation de la différence d’autrui. Les deux situations d’écriture visent à travailler la démarche de classification scientifique en amenant les élèves à un exercice d’interprétation des ressemblances et des différences en termes de parenté (cycle 3). Elles prennent leur source dans la complication de l’intrigue à laquelle sont confrontés les personnages de l’histoire, notamment la maitresse : à quel groupe d’animaux peut appartenir l’animal bizarre, Ornicar l’ornithorynque ? L’une et l’autre des situations d’écriture reposent sur une lecture fine de la troisième double page de l’album. À ce moment de l’histoire, la maitresse propose aux élèves de faire des groupes en disant : « Que ceux qui boivent du lait se mettent ensemble !  » Ornicar, se mettant dans le groupe des buveurs de lait, est alors repris par la maitresse : « Ornicar, viens ici, je crois que tu te trompes. J’ai dit : ceux qui boivent du lait, qui ont tété la mamelle de leur mère, c’est-à-dire les petits mammifères. Toi, tu es né dans un œuf. » Alors qu’Ornicar lui répond qu’il lape le lait de sa maman sur son ventre, la maitresse semble décon-

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tenancée et le met au milieu des groupes en attendant. Le récit de projection

Après avoir lu à toute la classe les deux premières doubles pages, l’enseignante constitue des groupes mixtes de deux à quatre élèves, auxquels elle fournit la troisième double page, avec comme seul texte la phrase du personnage de la maitresse : « Pour la cantine, que ceux qui boivent du lait se mettent ensemble ! » Il s’agit pour chaque groupe d’imaginer sous la forme d’un texte ce que le canard et l’ornithorynque disent entre eux et éventuellement aux autres animaux. Ce travail d’imagination revêt un caractère d’anticipation, car les élèves sont amenés à prévoir les raisons pour lesquelles les animaux, en réponse à l’injonction de la maitresse, se regroupent de la façon montrée par l’image. Dans certaines conditions d’enseignement, la lecture d’albums de fiction réaliste peut amener les élèves du primaire à interroger des phénomènes scientifiques de façon ouverte et imaginative, mais également à s’engager dans une construction critique de problèmes scientifiques (qu’est-ce qui est possible et qu’est-ce qui ne l’est pas ?). Ces récits de fiction seraient un levier pour rechercher des raisons scientifiques universelles dans une lecture interprétative qui ne s’en tiendrait pas uniquement à la singularité de l’intrigue. n

Références Catherine Bruguière et Éric Triquet,

Sciences et albums, cycles 2 et 3, biologie, mathématiques, physique, Canopé éditions, 2014. Catherine Bruguière, Frédéric Charles, Marianne Moulin, Laurence Cabodi et Ségolène Monin, « Une lecture scientifique

de l’album Mais où est donc Ornicar ? Comment classer l’ornithorynque, un animal à priori inclassable ? », Grand N n° 97, 59-72, 2016. Les situations d’écriture et les exemples de productions d’élèves s’appuient sur des travaux conduits au sein du LéA Paul-Émile-Victor, mais également sur des travaux de stagiaires réalisés dans le cadre de leur mémoire de master MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) premier degré à l’ESPÉ de Lyon (2015-2016).


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dossier

Relecture

Comment enseigne-t-on les sciences expérimentales ? Une relecture du dossier qui vise à établir les invariants reliant les articles : développer une attitude soucieuse de problématisation, accorder toute son importance à la confrontation des idées, interroger ce qui est découvert, s’enrichir de l’interdisciplinaire, référer ce qui est investigué et découvert en classe. Michel Develay, professeur émérite en sciences de l'éducation, Lyon 2

L

e titre de ce numéro des Cahiers est largement couvert par la diversité des articles présents. À la question « comment enseigne-t-on les sciences expérimentales ? », les réactions rapportées offrent mille réponses aux questions posées par les coordinatrices. De la maternelle à l’université, les articles à propos des finalités, de la nature, de l’usage, des dimensions épistémologiques, didactiques, pédagogiques, formatives, éthiques, sociales des sciences expérimentales empruntent des voies rectilignes (comme dans la classe de Sylvie Baud-Stef qui a systématisé sa démarche au CM1 ou de Alice Vandermoere à propos de la transformation du lait en yaourt) et des chemins buissonniers (comme ceux qu’emprunte Catherine Bruguière travaillant sur les opportunités d’apprentissages en classe de sciences, à partir de la lecture de certains albums de fiction qualifiés de « fiction faisant entrer le réel dans la fiction », à l’insu des personnages et du lecteur). Au-delà des différences, l’intention des articles est toujours la même : se mobiliser sur le vrai grâce au statut de la preuve et ainsi prendre de la distance d’avec les croyances et les opinions. Chemin faisant, enseigner les sciences avec un souci méthodologique certes, mais une responsabilité sociétale tout autant. Résumer cette diversité en ambitionnant une unité me conduit à

suggérer cinq attributs à l’ensemble des articles de ce numéro. Scientifique ?

• Est scientifique une activité d’en-

seignement apprentissage qui aspire à développer une attitude soucieuse de problématisation (à minima, de questionnement circonscrit), d’investigation raisonnée (selon les voies

Enseigner les sciences avec un souci méthodologique certes, mais une responsabilité sociétale tout autant. de l’expérience, de l’observation, de la mesure), de modélisation (dont la forme élémentaire est une causalité rapportée à deux éléments). Ce faisant, la preuve de ce que l’on avance sera convoquée en permanence, la variété des langages largement sollicitée, les échanges disciplinaires invités, l’imagination engagée. La science est fille de la raison advenant d’une imagination contrôlée par la vigilance à séparer croyance, opinion et souci d’aller vers une pensée à vocation universelle. Les sciences expérimentales ? Une manière de contrôler les possibles divagations de la pensée d’un être par le souci d’un grand Autre qui représenterait tous les autres. Une façon de conduire les élèves, dans leurs diversités d’approche du Décembre 2016

monde, à regarder dans la même direction ce qui pourrait les rassembler qui a pour nom la raison. • Est scientifique une activité d’enseignement apprentissage qui aspire à accorder toute son importance à la confrontation des idées, y compris aux controverses. Seul, chacun est souvent entrelacé dans ses certitudes, ses opinions, ses croyances, que seule la confrontation avec autrui (un autrui matériel ou humain, présent physiquement ou à distance dans la littérature) conduit à interpeler. Une séquence d’enseignement apprentissage à dimension scientifique est, indirectement, car ce n’est pas son objectif premier, une activité émaillée de controverses. Celles-ci ne constituent pas des artéfacts, mais en composent le cœur même. Dès lors, on peut sans exagérer rapprocher activité scientifique et apprentissage de la démocratie. La science est une porte ouverte au vivre ensemble par le chercher ensemble, ce qui est commun dans l’explication du monde, des choses, du fonctionnement biologique de chacun. Apprendre à proposer sa réponse à une question posée comme une hypothèse conduit à une humilité non feinte. Engager un débat argumenté pour suggérer comment des hypothèses (dont la sienne) peuvent être validées, c’est se poser en s’opposant. Accepter, au vu de résultats indubitables, une conclusion défavorable à sa pensée de départ confine à la modestie du sage. Et plus encore découvrir qu’une expérience peut échouer, comme l’évoque A. Candiotti, c’est, au-delà de l’humilité, accepter un contrepoison à son orgueil. • Est scientifique une activité d’enseignement apprentissage qui aspire à avoir présent en permanence à l’esprit que chaque découverte n n n

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dossier

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Relecture

doit être interrogée non seulement par le statut de la preuve, mais par le souci de l’autre. La science et l’éthique doivent cheminer de concert. L’article d’Anne Combes, Géraldine Carayol et ­Caroline Bonnefoy en constitue une belle illustration. « Dans la mesure où l’éthique nait du désir de dire quelque chose de la signification ultime de la vie, du bien abslu, de ce qui a une valeur absolue, l’éthique ne peut pas être une science », écrit Ludwig Wittgenstein, illustrant ainsi la difficulté à rapprocher le vrai et le bien, tant chacun a sa logique propre. Une éthique de responsabilité doit alors se substituer à une éthique de conviction, pour reprendre Max Weber. • Est scientifique une activité d’enseignement apprentissage qui aspire à accepter que le disciplinaire s’enrichisse de l’interdisciplinaire. Valérie Oget, professeur d’arts plastiques, Stéphane Dupré, professeur de technologie, Gwenaëlle Cuny et Olivier Loiodice, professeurs de physiquechimie, l’illustrent avec un EPI (enseignement pratique interdisciplinaire) passerelle. L’école souffre du cloisonnement entre des disciplines donnant le sentiment d’un monde de connaissances préconstruit, immuable, aux logiques étanches. Les activités scientifiques sont l’occasion de rappeler Blaise Pascal, il y a trois siècles, justifiant les disciplines tout en ayant un point de vue métadisciplinaire : « Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par nnn

un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaitre les parties sans connaitre le tout, non plus que de connaitre le tout sans connaitre particulièrement les parties. » • Est scientifique une activité d’enseignement apprentissage qui aspire à référer ce qui est investigué et découvert en classe (une histoire minuscule) à ce qui a existé au cours de l’Histoire par des hommes et des femmes affrontant leurs questionne-

Les sciences expérimentales constituent en définitive un archétype de ce que pourrait être tout enseignement de quelque discipline scolaire que ce soit. ments. Toute découverte en classe n’est qu’une redécouverte, et à comparer l’histoire d’un hic et nunc avec l’histoire de ce questionnement hier et ailleurs, on relativise certes l’activité scolaire, mais, simultanément, on rend les élèves heureux de l’aventure de leur cheminement. La science ne se comprend totalement que référée à l’Histoire. Jean Jaurès écrivait, dans un discours à la jeunesse en 1903 : « L’Histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. L’histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention, et la perpétuelle évolution est une perpétuelle création. » Le plagiant,

on pourrait substituer dans cette citation l’expression « histoire des sciences » au mot « histoire » seul. En fait d’ailleurs, une sociohistoire (rencontre de l’Histoire et de la sociologie d’une époque). Science et projet de société

Sur un autre registre, parmi les articles proposés, on retrouve des contributeurs extérieurs à l’institution scolaire, des organisations d’éducation populaire comme Traces ou Les Petits Débrouillards. Il faut y voir le signe que s’intéresser aux sciences expérimentales, plus qu’un projet interne à l’institution scolaire, est un projet de société. Les sciences expérimentales constituent en définitive un archétype de ce que pourrait être tout enseignement de quelque discipline scolaire que ce soit : une alchimie entre la raison, l’action et l’émotion : la raison, car la science visera toujours à échapper à l’aveuglement de l’opinion ; l’action, car les sciences expérimentales sont par nature filles d’une expérimentation, d’un agir normé par l’hypothèse que l’on cherche à confirmer ; l’émotion, car les sciences expérimentales, par l’échange d’idées qu’elles instruisent, par l’imagination qu’elles convoquent pour engendrer hypothèse et expérience, en sont la cause et la conséquence. n

http://librairie.cahiers-pedagogiques.com

Des maths pour tous Revue n° 529 Plus que jamais, la question des « mathématiques pour tous » se pose. Elle implique qu’on cesse d’appliquer partout et à tous le même « traitement » mathématique, et qu’on prenne en compte le rapport spécifique aux maths que chaque élève a construit en fonction de son histoire scolaire, familiale, et personnelle.

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À LIRE sur notre site Un projet bien mené Charlotte Barrois Les travaux de l’association Traces portent, entre autres, sur les processus cognitifs mis en œuvre dans l’acte d’apprendre, sur la théorisation de la médiation scientifique au sens large, sur les mécanismes de la découverte et de la production scientifique, sur l’analyse des théories de la propagation des idées et sur les relations sciences-société.

La main à la pâte en éducation prioritaire, dans la durée Nicolas Demarthe Créer du possible, voici le travail proposé ici. Chaque école, avec les animateurs de La main à la pâte, peut trouver et organiser un projet de sciences, et pourquoi pas, y travailler en réseau entre écoles.

En technologie, l’investigation est-elle suffisante ?

Un cadre précurseur pour enseigner les sciences en maternelle

Joël Lebeaume

Jean-Marie Boilevin, Alice Delserieys, Corinne Jegou, Konstantinos Ravanis, Alain Jameau

Les ajustements prescriptifs du cadre de l’investigation sont-ils suffisamment clairs pour permettre aux enseignants de définir et de réguler les enjeux d’apprentissage en technologie ? Quelles sont désormais les inflexions nécessaires et fécondes pour la découverte du milieu technique et des techniques dans la scolarité obligatoire ?

EPI « passerelle » Valérie Oget, Stéphane Dupré, Gwënaelle Cuny, Olivier Loiodice Un projet d’enseignement interdisciplinaire permettant de sensibiliser les élèves à l’architecture du collège.

Les Archives

Comment passer d’un modèle précurseur à un autre amène-t-il l’enfant à revoir sa culture scientifique pour construire une représentation cohérente du monde.

Monsieur, peut-on utiliser Minecraft ? Julien Péaud Et si l’on utilisait les compétences développées par les élèves lors des jeux vidéos pour faire de la modélisation en sciences ? Dans cette classe, c’est un jeu très en vogue chez les collégiens qui a servi de support à la modélisation des volcans.

DES CAHIERS PÉDAGOGIQUES

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perspectives

Etcheztoiçava?

Hélène Hirrien. Professeure d’histoire-géograohie en collège-lycée à Lesneven

Des Rencontres enthousiasmantes

J

’ai vécu pour la première fois les Rencontres du CRAP cet été à Ploemeur. Un vrai bonheur ! Lectrice occasionnelle des Cahiers pédagogiques, je me suis inscrite pour partager sur la pédagogie avec des collègues motivés. Et je n’ai pas été déçue ! J’ai d’abord été marquée par la qualité de l’accueil, la simplicité, l’humilité, la réelle bienveillance des participants. Pas de hiérarchie entre les habitués et les nouveaux. J’ai rarement connu un tel climat relationnel : la fraternité et le vivre ensemble non pas en discours, mais en actes. La parole de chacun est accueillie. Chacun est respecté. Il y a quelque temps, l’on m’avait gentiment dit : « Hélène, il faudra que tu apprennes à tempérer ton enthousiasme. » En effet, j’ai tendance à cultiver une certaine liberté de ton, à apprécier que les choses se disent en vérité et à me passionner pour des projets éducatifs, culturels, citoyens. Eh bien, je suis très heureuse de vous avoir rencontrés, car j’ai l’impression qu’au CRAP, je n’ai pas besoin de tempérer mon enthousiasme. En effet, je n’ai croisé que des personnes très enthousiastes. Je peux donc laisser s’exprimer librement ma passion pour mon métier. Et quelle joie de pouvoir échanger, construire des projets, découvrir de nouvelles démarches pédagogiques ! J’ai participé à l’atelier « Faire vivre l’interdisciplinarité ». Lors de cet atelier, j’ai pu notamment approfondir avec d’autres collègues un projet d’EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) que je vais mener cette année. À la prérentrée, j’ai pu partager tout cela avec mes collègues de l’établissement. Ce partage fut d’autant plus riche qu’une des collègues avait aussi, de son côté, avancé sur le projet. Au-delà de ce projet, ce sont les nombreux échanges sur les

ingrédients nécessaires, mais aussi les blocages et ressources pour réussir un projet interdisciplinaire qui m’ont marquée. Et, surtout, nous avons expérimenté l’interdisciplinarité. Ainsi, un exercice de description d’un lieu (en proposant consigne, écrit attendu par les élèves et critères d’évaluation) a permis de réfléchir à la manière J’ai aussi découvert dont, à partir d’une variéune méthode très té de disciplines, les élèves peuvent construire intéressante pour faire une culture personnelle. émerger des idées : le J’ai aussi découvert une holdup ! méthode très intéressante pour faire émerger des idées : le holdup ! Chacun note sur un Post-it sa meilleure idée et sur un autre la pire. Puis il déchire sa meilleure idée et passe la pire à son voisin de droite, qui l’améliore sur un nouveau Post-it. Ce dernier Post-it est transmis à son tour au voisin de droite, qui l’améliore aussi sur un nouveau Post-it. Cette démarche se poursuit jusqu’à ce que les voisins de droite n’aient plus d’amélioration à proposer. Au final, ces pires idées sont devenues de très bonnes idées ! Ces temps d’ateliers ont été très riches en découvertes, échanges. Merci aux animatrices et aux participants. J’ai aussi beaucoup apprécié les sorties « Entre terre et mer » dans le pays de Lorient. Nous avons eu la chance de bénéficier de visites guidées de grande qualité. Le choix des visites par les animateurs s’est révélé très pertinent ! Bref, une session vraiment dynamisante, du footing du matin aux initiatives et veillées festives ! n

Rachel Harent. Professeure des écoles dans le Finistère

Mes enfants, c’est toujours les derniers !

V

endredi, l’Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) de ma collègue a reçu les confidences d’une maman dépitée. Son petit dernier, d’une fratrie de cinq enfants, vient d’entrer en moyenne section, l’ainé est en cours moyen. « Tous les ans, c’est pareil, mes enfants, c’est toujours les derniers de la classe ! », lui confie la maman. L’Atsem essaie de la rassurer en lui disant qu’en maternelle, on ne classe pas les élèves. « Bah si, répond la mère,

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ils sont toujours les derniers, c’est écrit sur la liste ! » Cette mère, peu lettrée, n’avait pas compris que les listes de classe, affichées sur les portes, listaient les élèves par ordre alphabétique (son nom de famille commence par Z) et était persuadée que les enseignants négligeaient ses enfants. Nous le lui avons expliqué et cette anecdote nous a fait prendre conscience que les malentendus avec l’école ne se cachent pas toujours là où l’on croit. n


Etcheztoiçava? Patricia Bleydorn-Spielewoy. Professeure des écoles chargée de l’enseignement du français en école en Allemagne

Anandi

A

u Sri Lanka, Anandi, tel est le nom d’emprunt que je vais lui donner, n’aimait pas l’école. Mais une fois arrivée en France, elle a été très frustrée de voir ses cousins aller à l’école alors qu’elle restait à la maison à attendre qu’une porte s’ouvre pour lui permettre à elle aussi d’apprendre. Cette petite fille orpheline est arrivée en France clandestinement, avec sa tante. Cette dernière, elle-même mère de deux petits garçons, est allée chercher sa nièce, parce qu’elle la savait dans une situation de misère telle qu’il ne lui a tout simplement pas paru possible de faire autrement. Elle est arrivée au collège français pour entrer en classe de 6e, après avoir attendu de longs mois avant de pouvoir être scolarisée en raison de soucis administratifs. J’ai eu la chance de l’accueillir dans l’unité pédagogique pour élèves allophones arrivants dont j’avais la charge, jusqu’à l’été 2016. En avril 2015, pour son entrée en 6e, Anandi m’a paru une jeune fille assez réservée, extrêmement studieuse, mais à l’air tellement triste. Une fille qui ne voulait pas se lier d’amitié avec d’autres, qui l’invitaient pourtant à se joindre à eux. En classe, Anandi levait toujours le doigt soit pour poser des questions à l’adulte, soit pour répondre aux questions posées à la classe. Elle voulait réussir à apprendre le français pour suivre de plus en plus de cours avec sa classe de référence. Elle avait tellement envie d’apprendre qu’elle a réussi à valider le DELF (diplôme européen de langue française) de niveau B1 en mai 2016, soit à peine un an après son arrivée au collège. Elle est bien sûr aussi passée de 6e en 5e, puis en 4e facilement et, de surcroit, en tête de classe dans toutes les matières. Mais, pendant longtemps, elle refusait l’amitié des autres et avait l’air de plus en plus triste. Puis, à partir de septembre, avec la nouvelle année scolaire, avec une meilleure maitrise de la langue française, elle a pu rentrer plus facilement dans les projets, les sorties. Nous avons fait du théâtre, nous avons chanté et Anandi y prenait du plaisir, il lui arrivait même de plus en plus souvent de discuter avec d’autres élèves. Et un jour, nous avons commencé à préparer la rencontre avec un auteur : Abdulmalik Faizi, qui a relaté dans son livre Je peux écrire mon histoire ce long parcours entre l’Afghanistan et l’inconnu, qui fut finalement la France. Ce jeune homme avait un point commun avec Anandi, un point commun très douloureux : ses parents, un petit frère et deux petites sœurs ont été tués par les talibans et lui a dû fuir son pays à l’âge de 15 ans, seul, pour sauver sa peau. Anandi n’a pas fui son pays, mais elle a perdu ses parents alors qu’elle était encore bien jeune, elle en a beaucoup souffert, tellement qu’elle croyait, m’a-t-elle avoué

Anandi m’a paru une jeune fille assez réservée, extrêmement studieuse, mais à l’air tellement triste.

plus tard, être la petite fille la plus malheureuse du monde. Dans la préparation de la rencontre avec l’auteur, nous avons lu de longs extraits de son livre, puis nous avons préparé des questions à lui poser. Anandi a préparé le même genre de questions que tous les élèves, mais elle en avait une qui était très différente. Elle m’a demandé si elle pouvait la poser, je lui ai dit que c’était une question qui allait certainement être trop douloureuse pour l’auteur, car elle concernait la famille qu’il avait perdue. Quand elle lui a posé la question qui lui tenait vraiment à cœur, j’ai vu des larmes dans les yeux d’Abdulmalik, j’ai vu des larmes dans les yeux d’Anandi. Et, si j’en suis désolée pour ce jeune auteur, je voudrais aussi le remercier, car après cette rencontre, Anandi ne fut plus la même. Elle a pu écrire dans son cahier PEAC (projets éducatifs artistiques et culturels) que ce qu’elle retient de cette rencontre c’est que dans la vie, même s’il y a des épreuves très difficiles, des moments de grande souffrance, il ne faut pas en rester là, on peut, il faut rebondir ! Désormais, Anandi, qui aime toujours autant apprendre, est une adolescente souriante et joyeuse qui adore danser et rire. Elle a des amis et prend même des responsabilités au sein du collège. La motivation à apprendre a porté cette élève de telle façon que ni les diphtongues de notre langue, ni les marques du pluriel, y compris celles du participe passé, ni le programme d’histoire, pourtant très différent de ce qu’elle avait appris jusque-là, ne lui ont semblé insurmontables. Mais c’est une rencontre sur laquelle nous avons pu mettre des mots, ensemble, qui lui ont permis de laisser revenir sa joie de vivre et de l’exprimer. n

À vos plumes ! Pour parler du métier tel que vous le vivez, évoquer ses moments de crise ou de plaisir, saisir sur le vif le quotidien ou l’extraordinaire, prenez contact avec nous en envoyant vos écrits à agnes.berthe@cahiers-pedagogiques.com

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perspectives I Etcheztoiçava? Jean-Charles Léon. Professeur de musique dans un collège de Seine-et-Marne

Révolution !

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évolution dans ma classe de 6e : «  Monsieur, d’habitude, on vote, et là, vous avez décidé tout seul ! Ce n’est pas normal ! » L’affaire est d’importance, je vais devoir m’expliquer, supporter les regards lourds de reproches, fourbir mes arguments. L’objet du litige est simple : j’ai demandé aux délégués de la classe et à leurs suppléants de m’accompagner dans l’école primaire toute proche pour répondre aux questions angoissées des CM2, les futurs 6es ! J’ai pris cette décision seul, il y a huit mois, fin septembre, en décrivant la fonction des délégués qu’ils allaient élire. Mais depuis, un conseil coopératif a été mis en place, il a fonctionné, ils ont voté, pris des initiatives, discuté, contesté, etc., une vie démocratique, une vie de classe épanouie. Il faut dire que la sortie est belle : 400 mètres à pied L’affaire est dans une zone pavillonnaire, d’importance, je vais mais en compagnie du prodevoir m’expliquer, fesseur, juste à côté de lui, supporter les lui montrer sa maison, lui regards lourds de parler si proche. Et puis la reproches, fourbir fierté de se retrouver devant mes arguments. des petits de primaire, à pouvoir parler de ce qu’on a vécu toute l’année, de revoir encore leur ancienne maitresse, celle à qui ils font la bise. Mais, surtout, c’est un moment qu’ils sont plusieurs à avoir vécu ; il y a un an, ils étaient assis derrière les tables, et c’étaient eux qui avaient peur, qui me voyaient pour la première fois. Le conseil débuta ; j’avais refusé toute la semaine, depuis que l’affaire avait émergé, de me justifier entre deux portes, car on ne règle pas les problèmes n’importe comment. Il y a un lieu pour cela, le conseil. Louise était la présidente du jour. Elle jouait son rôle à la perfection, distribuait les métiers de plus en plus nombreux en cette fin d’année. Certains piaffaient d’impatience, on me regardait avec des yeux noirs. Arrive le moment du frigo. Le frigo, c’est un cahier dans lequel les élèves peuvent marquer leurs critiques : « Je critique Jérôme parce qu’il m’a traitée de naine ! Je critique Leslie parce qu’elle m’a dit… » Bon, cela, c’est trop grossier, je ne l’écris pas. C’est une manière de gérer les conflits dits de basse intensité ! Quand une situation est chaude, il faut la laisser refroidir, d’où le frigo. Souvent, quand j’ouvre le cahier et que je lis les critiques, je reçois pour réponse : « Non monsieur, ça, c’est réglé. » Ce jour-là, cela ne l’était pas : « Je critique monsieur Léon parce qu’il a choisi tout seul qui irait voir les CM2 », avait écrit Charlotte. La première partie de ma réponse ne plut pas du tout : « Je suis le professeur, j’ai quand même le droit de prendre des décisions ! » La seconde fut plus dure à admettre : « Souvenez-vous, je l’avais annoncé dès l’élection des délégués ! » La troisième fut décisive : « Imaginons que nous fassions

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une élection ; qui se porte candidat ? » Vingt-sept mains se levèrent, presque tous les élèves ! Convenons-en, cela va être difficile de voter, et cela fera de toute manière des jaloux. Oui, mais ! Cette classe a toujours des « oui mais ! ». C’est casse-pied, mais c’est souvent drôle : « On n’a qu’à tous y aller ! On pourrait se répartir en ateliers, voir les deux classes de CM2. » Il fallait se résigner, ce n’était pas possible, c’était trop tard, pour le jour même. Mais mon échange CM2-6e de l’an prochain est organisé, par les élèves. Mes vifs remerciements pour leur réflexion et leurs propositions intéressantes rencontrèrent un assentiment un peu réservé : « Est-ce qu’il n’est pas en train de se moquer un peu de nous, le professeur ? » Le jour de la sortie, il pleuvait. Presque toute la classe accompagna en procession les quatre délégués fiers comme tout jusqu’au portail. On a ouvert les parapluies, on ne savait pas que ça annonçait de graves inondations, le moment était beau. La séance se déroula comme prévu. Les élèves étaient joyeux, les CM2 surpris de la connivence entre leurs ainés et leur professeur principal. Les questions fusaient, les réponses n’étaient pas toujours compréhensibles, un peu embrouillées parfois. Ce n’était pas grave, on donnait en spectacle un groupe d’élèves heureux, drôles, qui n’hésitaient pas à faire taire leur professeur trop bavard : « On pensait que c’était nous qui devions parler, monsieur Léon ! » Le temps passa vite, on allait partir, les CM2 mettaient leurs manteaux quand soudain, au fond de la classe, essoufflées, des têtes hilares apparurent : ils étaient venus, cinq ou six, les plus déterminés, ceux qui habitaient autour de l’école, à la fin des cours, ils étaient venus quand même, juste prendre un tout petit peu de ce qu’ils avaient tant désiré. n


Etcheztoiçava? Chantal Dulibine. Professeure de lettres au lycée Claude-Monet à Paris

Le crâne d’Hamlet

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n 1998, je travaille sur Hamlet, avec mes élèves de Créteil. Ils ont lu à la maison la scène des fossoyeurs, qui ne leur a fait ni chaud ni froid ! Après mon premier dépit, je m’avise qu’il faut qu’ils ressentent le lieu concret où elle se passe, pour « être » au-dessus et dans la terre du cimetière. Pour cela, on doit aménager en classe un espace à deux niveaux et créer l’illusion de la profondeur en surélevant les joueurs disposés sur le gros bureau professoral prolongé par des tables couvertes de couvertures brunes. Dans cet espace, je fais d’abord jouer par plusieurs duos en parallèle, en muet, les rituels professionnels de ces personnages de fossoyeurs, actions traversées au fil des consignes par divers états et émotions : avoir froid, creuser un trou, la terre résiste, est lourde, collante, l’explorer vite, lentement, avec mal au dos croissant, souffler, siffloter, faire une pause bière-cigarette, regarder la cendre tomber, s’envoler au vent, recreuser en riant grassement, puis en riant jaune, avec peur d’y trouver un démon, stupeur de reconnaitre les vestiges (métonymiques) d’un amuseur célèbre, d’une très belle jeune fille, envie de trouver de l’argent, un trésor, etc. Comme appuis de jeu, j’ai distribué des objets comme des pelles à sable d’enfants, le matériel des femmes de ménage, mégots, mouchoirs déchiquetés, chiffons, bouteilles, une bible, des similivers de terre, des petits cailloux, une poignée de terre, quelques fleurs en plastique, etc. Ainsi se constitue une sorte de « musée de la scène ». Ensuite, dans ces actions rituelles pré-programmées (sorte de partition de jeu), ces gueux profèrent

Ils ont lu à la maison la scène des fossoyeurs, qui ne leur a fait ni chaud ni froid !

quelques répliques de leur cru métaphysico-joyeux, sous le regard de Hamlet, ignorant alors qu’il voit creuser la tombe d’Ophélie. Ah la double énonciation ! Dans la suite de la scène, on reconnait dans la fosse le crâne du bouffon Yorrick. Je me demande où trouver ce crâne, pour intégrer un fort effet de réel, offrir un séduisant appui de jeu pour l’oraison funèbre du fol, et bien sûr une riche matière à penser, dans la perspective idéologique ouverte par cet accessoire baroque qui aggrave les natures mortes en vanités. Je m’en vais gaillardement quérir la chose au labo de SVT du lycée, et là, ô stupeur, mes collègues amusés me posent une colle, qui m’ouvre des horizons pédagogiques inédits : « Quel crâne veux-tu, un pithécanthrope, un australopithèque ? » J’opte, of course, pour l’Homo sapiens, et je promène ma tête toute la journée, dans un panier lesté d’une gravité facétieuse, qui, exhibée furtivement au détour des couloirs, va effarer ou enjouer quelques membres de la communauté éducative ! Au cours suivant, les élèves jouent à proférer en anglais la célèbre tirade « To be or… » par fragments dits en relai, en cherchant diverses façons de manipuler puis de déposer dans la fosse ce crâne, prototype tout shakespearien d’humanité radicale, leur alter ego du jour. n

Aliénor Buget. Professeure de latin dans un collège de Seine-Saint-Denis

Les déesses et les Hard Rockeurs

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e matin, je leur demande de se mettre par trois. Ils ont 13 ans ou presque, donc : « Madame, on ne peut pas se mettre à quatre ? — Non. » Ça bouge, la difficile négociation a lieu pendant que la professeure fait l’appel. Deuxième étape : se trouver un nom d’équipe. « Madame, on s’appelle LVZ. — Pardon ? Ça veut dire quoi ? — Ben, LVZ ! » Les deux coéquipiers me regardent sans comprendre, puis l’un d’eux s’esclaffe : ce sont les consonnes de son nom de famille ! C’est vrai que ça sonne bien, mais je dis que ce serait mieux si c’était le nom de toute l’équipe et pas d’un seul. Il va bien falloir dix minutes

avant que Mike lâche le morceau et accepte un autre nom que le sien (les « Hard Rockeurs »). Je ne dis rien : c’est un excellent exercice pour lui, qui a tant de mal avec le travail de groupe, et ses coéquipiers s’en débrouillent bien. Côté filles, on n’a pas beaucoup d’inspiration et on se copie les unes les autres : « Les licornes » et « Les licottes », ou on cherche des identifications valorisantes : « Les déesses », « les Bangtan Girls » (d’après un groupe de musique coréen, je m’instruis). Ça y est ! On va pouvoir faire du latin ! Mais s’organiser, c’est déjà du travail. n

À vos plumes ! Pour parler du métier tel que vous le vivez, évoquer ses moments de crise ou de plaisir, saisir sur le vif le quotidien ou l’extraordinaire, prenez contact avec nous en envoyant vos écrits à agnes.berthe@cahiers-pedagogiques.com

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perspectives I Faits&idées La rubrique « Faits et idées » présente des sujets remarqués à la rédaction les semaines précédentes, témoignages, portraits, faits d’actualité, prises de position, etc. Dans ce numéro, nous vous proposons une chronique sur la littérature jeunesse consacrée aux sciences, une étude sur le dispositif « Plus de maitres que de classes » et un exemple d’EPI (histoiregéographie, arts plastiques et technologie) à partir du jeu vidéo Minecraft.

Les sciences dans la littérature jeunesse Clémentine Vallée. Dans l’enseignement, les domaines littéraires et scientifiques sont régulièrement opposés, comme si une frontière imperméable séparait ces différentes disciplines (à fortiori au lycée où le choix des filières L, ES et S concrétise cette opposition). Heureusement, conscients des passerelles qui existent entre sciences et littérature, pédagogues, éditeurs, auteurs publient des ouvrages où propos scientifiques côtoient une forme littéraire de qualité. Voici une sélection de textes jeunesse où se mêlent sciences et littérature, pour le plus grand plaisir des lecteurs !

Sciences et vie de la terre

Frédéric Clément, Métamorphoses, éditions du Seuil

Métamorphoses fait partie de ces albums rares où le texte et l’image s’associent dans une harmonie parfaite, s’affranchissant du cadre habituel de la pagination pour illustrer les transformations d’insectes, de végétaux et d’animaux. Le texte allie poésie et rigueur scientifique, permettant une découverte progressive de chaque métamorphose dans ce qu’elle a de magique. Un livre pour s’émerveiller devant la beauté de la nature, face à son incroyable richesse et diversité. Un coup de cœur ! (cycles 2 et 3)

Jacqueline Kelly, Calpurnia, éditions L’École des loisirs

Calpurnia, une adolescente américaine de 11 ans, vit dans une plantation de coton avec son grand-père, ses parents et ses six frères. Seule fille de la maison, sa famille espère qu’elle entrera un jour dans le monde pour y faire un beau mariage. Nous sommes en 1899 et l’éducation des filles se résume à la musique, la cuisine, la couture et aux bonnes manières. Aussi, nul ne s’attend à voir cette jeune fille de bonne famille se passionner pour les insectes, reptiles et animaux en tous genres. Pourtant, son grand-père, naturaliste, l’encourage à réfléchir de manière scientifique et à observer le monde animal et végétal qui l’entoure avec attention. Comment vivre pleinement sa passion pour la science sans être rejetée à une époque où les femmes n’ont pas le droit de vote et dans un monde dirigé par les hommes ? Le chemin sera parsemé d’embuches. Un superbe roman ! (cycles 3 et 4)

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Plus vite, plus haut, plus fort, collectif, éditions Gallimard

Voici un ouvrage encyclopédique qui recense tous les records possibles sur Terre (végétaux, animaux, humains) et dans l’espace. Chaque performance est comparée à ce que nous connaissons, afin qu’à échelle humaine nous puissions envisager ces phénomènes extraordinaires. On est tout simplement étourdi par tant d’exploits : de la grotte la plus grande du monde aux cratères d’astéroïdes, en passant par les plus grandes catastrophes naturelles, le lecteur ne peut que réaliser l’incroyable richesse du monde qui l’entoure et sa démesure. Un ouvrage qui impressionne et fait rêver tout à la fois ! (cycle 4 et lycée)

Christophe Galfard, Le Prince des nuages, 1, éditions Pocket

Tristam est un jeune garçon vivant dans un village sur les nuages. Toute sa vie se cantonne aux quelques habitants du Blueberry, des partisans du Roi des nuages du Nord. Ceux-ci, après que le Tyran les a vaincus, se cachent et protègent la princesse Myrtille, dans l’espoir qu’un jour elle récupère le trône de son père. Tristam n’a rien d’un héros, c’est un véritable cancre, inconscient (malgré les enseignements de ses professeurs) des phénomènes physiques qui se jouent autour de lui. Quand l’armée du Tyran retrouve leurs traces et cherche à faire prisonnière la princesse, le garçon comprend, horrifié, que leur adversaire utilise le climat comme une arme, afin de détruire les populations opposées à son régime. Le thème de ce roman est formidable : comment l’exploitation des ressources naturelles peut-elle devenir une arme pour les riches et les puissants ? Un récit palpitant, complété régulièrement par des informations sur les phénomènes climatiques et écologiques abordés dans l’ouvrage. (cycles 3 et 4)


Faits&idées Sciences physiques

Philippe Nessman, Cinquante inventions qui ont fait le monde, éditions Flammarion

Qu’il est difficile pour les générations actuelles d’imaginer un monde sans eau courante, sans électricité ou sans internet ! Ce documentaire se penche sur les grandes inventions qui ont changé notre façon de vivre et permis à l’être humain d’aller toujours plus loin dans sa connaissance du monde. Chaque page correspond à une invention, ensuite contextualisée et expliquée. Les illustrations révélant, par exemple, la première ampoule électrique d’Edison, soulignent quant à elles tout le chemin parcouru par les sciences ces derniers siècles. (cycles 3 et 4)

Natacha Scheidhauer et Séverine Assous, Génération robots. Le rêve devient réalité, éditions Actes Sud Junior

Voici un documentaire qui retrace l’évolution des robots de l’Antiquité à demain, des automates aux robots humanoïdes sur lesquels travaillent actuellement les chercheurs. L’ouvrage séduit par sa pédagogie, qui donne à voir l’évolution de ces machines, leurs fonctions et leur impact sur notre vie quotidienne. Les auteurs invitent les jeunes lecteurs à une véritable réflexion philosophique sur l’intelligence artificielle et ce qui nous distingue de la machine, tout en proposant des activités ludiques comme la fabrication d’un robot-balai. Un ouvrage que j’intègrerais volontiers dans un projet technologie-français intitulé « robotisation et science-fiction », car plein de références et de bonnes idées ! (cycles 3 et 4)

Nane et Jean-Luc Vézinet, La famille Curie. Quatre savants, trois prix Nobel, Oskar éditeur

Adepte de fictions, j’ai toujours quelques appréhensions lorsque je me risque à lire des biographies de personnages réels, craignant (à tort) un texte trop didactique. C’est bien tout le contraire qui s’est produit à la lecture de cet ouvrage passionnant ! On y découvre d’abord la famille de Marie Curie et la lutte incessante de la jeune femme pour s’instruire, enseigner, jusqu’à devenir la première femme Nobel de physique dans un monde exclusivement dirigé par les hommes. Les auteurs racontent son histoire d’amour (car c’en est une) avec Pierre Curie, les victoires et les tragédies de son existence, avant de suivre sa fille, Irène, qui épousera Frédéric Joliot et reprendra les recherches de ses parents. L’ouvrage est rythmé, plein d’huma-

nité ; de plus, le contexte historique extrêmement riche permet de voir évoluer les couples durant deux guerres mondiales ainsi que la guerre froide. Ils lutteront contre le fascisme, défendront la paix, les droits des femmes et assisteront, impuissants, à l’utilisation de leurs recherches pour fabriquer la bombe H. Un texte qui fait réfléchir à la construction d’un monde meilleur. Un énorme coup de cœur sélectionné pour le prix Jeunesse 2017 du Centre mondial de la paix, des libertés et des droits de l’homme de Verdun. (cycle 4 et lycée)

Médecine, corps humain

Delphine Godart, Nathalie Weil, Roland Garrigue, Aïe ! Prout ! Atchoum ! éditions Nathan

Voici un ouvrage documentaire très ludique et pourtant d’une pertinence scientifique à toute épreuve ! Comment évoquer et expliquer aux enfants des phénomènes physiques tels que les crampes, la transpiration, les caries, les bleus, les gaz, bref, toutes ces choses embarrassantes que la politesse et la bienséance passent sous silence ? Ce livre merveilleusement illustré aborde sans tabou ni complexe ces problèmes, justifiant par la même occasion des gestes d’hygiène quotidiens comme se laver les dents, les mains, ou encore la nécessité de manger équilibré. (cycles 2 et 3)

Katy Couprie, Dictionnaire fou du corps, Thierry Magnier

Lire un à un les articles d’un dictionnaire pourrait étonner ; cependant, dans le cas du Dictionnaire fou du corps, l’exercice s’avère extrêmement dynamique et plaisant ! À travers des vocables choisis, le lecteur parcourt son corps de façon poétique, humoristique et scientifique. Sans aucun tabou, les définitions jouent sur le second degré, faisant des références littéraires vraies ou fausses, et conviant le lecteur à plus d’autonomie et de distance critique dans sa réception de l’ouvrage. Les illustrations, au même titre que le texte, rythment ce dictionnaire de façon originale tout en égayant un propos qui reste malgré tout sérieux. Un ouvrage étonnant, fantaisiste, qui a d’ailleurs reçu la Pépite du livre Ovni du salon de Montreuil 2012. (cycle 4 et lycée) Clémentine Vallée

À lire

Retrouvez d’autres chroniques de Clémentine Vallée sur la littérature jeunesse : http://www.deslivresetvous.eu

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perspectives I Faits&idées

« Plus de maitres que de classes » : pour quoi faire ? Dispositif. « Faut vraiment travailler avec elle ? Dans ma classe ? Mais qu’est-ce que je vais faire, moi, du maitre supplémentaire ? » Cette interrogation d’un professeur des écoles, à propos du dispositif « Plus de maitres que de classes », reflète celle de bien d’autres enseignants, entre crainte et envie. Qu’en ont-ils fait ?

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n 2013, je prenais un poste de coordonnatrice d’un réseau d’éducation prioritaire. C’était aussi l’entrée en vigueur du dispositif « Plus de maitres que de classes » (PDMQC) sur ce réseau, après vingt ans de dispositifs successifs avec des enseignants surnuméraires. Ceux-ci s’étaient spécialisés dans la remédiation, en externalisant des petits groupes d’élèves en difficulté. Le nouveau dispositif (circulaire 2012-2013) demandait aux enseignants de modifier leur pratique, notamment en privilégiant la co-intervention, voire le coenseignement. Le nouveau dispositif inquiétait, questionnait, n’était pas toujours bien accueilli, mais suscitait aussi de l’envie et de la motivation chez certains enseignants. Dans les salles des maitres, les tensions étaient en partie verbalisées autour de la diminution des moyens (désormais deux postes pour cinq écoles) et s’énonçaient, plus implicitement, autour de la présence du second enseignant au sein de la classe. La même année, je commençais un master 2 en sciences de l’éducation. Comme je souhaitais mieux comprendre ces tensions et documenter la mise en œuvre de co-interventions, j’ai centré mon mémoire de recherche sur ce dispositif. Les titulaires sont les enseignants en charge d’une classe à l’année. Les surnuméraires sont les enseignants en surnombre dans les écoles qui interviennent dans le cadre du dispositif PDMQC. La co-intervention comprend sept configurations d’enseignement (voir schéma 1 ci-dessous). Selon leur histoire personnelle, leur expérience, leur personnalité, leurs convictions et leur poste, les enseignants interrogés (dix titulaires et trois surnuméraires) ont des points de vue variés et des postures différentes. Conditions et freins

À la suite des entretiens, j’ai listé les conditions et les freins à la co-intervention d’enseignants. Sont des élé-

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ments propices : l’accueil du surnuméraire par un titulaire prêt à ouvrir sa porte, l’identification explicite du surnuméraire comme enseignant auprès des élèves, des parents et des collègues de l’école et sa présence à tous les temps de concertation et de réunion, la co-intervention intégrée à la classe et non décrochée et ponctuelle, la coexistence de temps d’échange formels (concertation planifiée) et informels (l’entre deux portes), notamment sur l’organisation, sur le rôle et les attendus de chaLe nouveau dispositif cun, sur les règles de vie inquiétait, de classe, mais aussi sur questionnait, n’était la pédagogie, le partage pas toujours bien d’informations, de supaccueilli, mais suscitait ports et d’expériences. aussi de l’envie et de la D’autres aspects sont motivation. cruciaux comme des relations apaisées et courtoises, l’explicitation des non-dits, le fait de penser la co-intervention comme une plus-value pour les élèves et de se sentir le droit et le temps d’expérimenter, de faire évoluer le dispositif sans pression ni injonction, mais aussi un certain cadrage institutionnel et un accompagnement pédagogique. Les freins qui limitent la co-intervention se déclinent en six points : la réticence à entrer dans l’innovation de l’un ou des deux co-intervenants, une collaboration faible voire inexistante, une vision des élèves en négatif et le doute en leur capacité à réussir, l’injonction de co-enseigner, la déficience et la difficulté de communiquer entre enseignants, un besoin de formation et d’accompagnement non satisfait. Un dispositif extérieur

Dans un second temps, j’ai identifié une « position d’extériorité du dispositif » qui transparait dans les discours des enseignants titulaires et surnuméraires. Le schéma page suivante reprend ces données. Ainsi, le dispositif ne comprend que le surnuméraire (ES) et le titulaire (ET), il n’apparait pas à l’échelle de l’école. On pourrait aussi dire qu’il y a un dispositif par titulaire ou classe. ES incarne même à lui seul le dispositif. D’ailleurs, « dispositif PDMQC » et « surnuméraire » sont régulièrement utilisés comme synonymes. ET ouvre la porte de sa classe au dispositif un temps donné, puis la referme. Les interventions sont


Faits&idées

Schéma illustrant les indices convergeant vers une position d’extériorité du dispositif « Plus de maitres que de classes »

pensées comme des temps ponctuels, parfois décrochés du reste des enseignements. L’intervention du surnuméraire-dispositif s’articule, se pense autour de certains élèves, généralement ceux en difficulté. Le PDMQC n’est pas pensé pour tous les élèves, seuls certains bénéficient du dispositif. Enfin, ET garde la main et ES se met à sa disposition, en position de subordination. ET décide des objectifs, des élèves qui vont en être. En outre, seuls les temps de travail de ES sont discutés : les échanges portent sur ce qu’il va faire mais, de son côté, ET n’explicite pas son travail. De fait, ES est peu présent sur les temps communs de l’école (conseils de cycle, des maitres, d’école, rencontre parents-enseignants, kermesse), notamment parce qu’il travaille sur plusieurs écoles. Les directeurs oublient parfois de l’inviter. Évidences implicites Et questions

Les enseignants avec lesquels je discute de ces résultats me disent : « Ce que tu écris là, c’est évident. On le sait déjà ! » Probablement oui. Penser que mettre deux enseignants dans une même classe va nécessairement faire progresser les élèves, qu’organiser les conditions matérielles de la co-intervention en oubliant d’expliciter sa conception du métier va suffire à taire les angoisses et les tensions, que le temps apaisera les difficultés, que l’on travaille mieux avec ses collègues copains qu’avec des collègues lambda est un leurre. Implicite et non-dit sont le terreau des conflits. J’engage chacun à se questionner, à discuter, à argumenter ses choix avec son collègue co-intervenant. Suis-je prêt à ouvrir la porte de ma classe ? Quelles émotions apparaissent quand je travaille sous le regard d’un collègue ? Et lui, est-il angoissé à l’idée que je puisse juger sa pratique ? Suis-je à même d’expliquer ce que je fais dans ma classe et pourquoi j’opte pour tel support, telle règle de vie, telle organisation ? Comment l’enseignant surnuméraire est-il identifié par les élèves, par les parents ? Quelle place a-t-il dans

la classe ? Peut-il sanctionner, décider de certaines règles ? À quels moments formalisés se rencontre-t-on ? Le surnuméraire est-il présent aux rencontres parents-enseignants ? Est-ce au surnuméraire ou à l’enseignant titulaire (qui connait bien les élèves) de prendre en charge les élèves en difficulté ? C’est quoi aider un élève ? Participe-t-il à tous les conseils ? Qui prépare la classe ? Qui évalue les élèves et comment ? Qui décide des objectifs à travailler, de la progression, de la programmation ? Quels niveau de tolérance, exigences, attentes a-t-on visà-vis des élèves ? Sur quel cahier ou classeur écrivent-ils ? Y a-t-il un cahier spécifique au surnuméraire (si oui, pourquoi) ? Quelle pédagogie ? Comment utilise-t-on les supports choisis ? Quand fait-on des bilans de notre co-intervention où on parle de notre fonctionnement ? À quel autre moment fait-on un bilan des élèves (regard croisé) ? Qu’est-ce que j’attends de l’autre (aide à gérer la classe, prise en charge de l’enseignement, aide aux élèves, apport d’idées, anticipation de certains apprentissages avec un groupe d’élèves, travail en atelier, décharge de certaines tâches, gestion de l’autorité, prise en charge des perturbateurs, etc.) ? Comment s’interpelle-t-on devant les élèves ? Comment se fait-on appeler par les élèves (monsieur, maitre ou par son prénom) ? Tutoiement ou vouvoiement ? Le surnuméraire peut-il prendre la classe en main ? À quel moment peut-il prendre la parole ? Quelles prises de parole peut-il avoir (reformulation, complémentation) ? Peut-il parler à voix haute ou seulement chuchoter ? Qui prend la main, s’adresse au groupe classe, aux petits groupes ? Qui introduit la séance, conclut, institutionnalise ? Où se positionne le surnuméraire dans l’espace classe ? A-t-il un endroit pour poser ses affaires ? Si on travaille en enseignement parallèle, qui sort de la classe avec un groupe d’élèves, le titulaire ou le surnuméraire ? Pour travailler dans quel espace et dans quelles conditions matérielles ? Pour les élèves, quel lien est-il fait entre les temps avec le titulaire et ceux avec le surnuméraire ? Quels supports utilise le surnuméraire ? Qu’est-ce qui, dans mon travail, va faire progresser les élèves ? Que savent les collègues des autres classes de notre co-intervention ? Si une séance ne marche pas (agitation, désintérêt, support inadapté, conditions météo), qui décide d’arrêter, de modifier ? Si un désaccord apparait en classe, comment réagit-on ? À quel moment se le dit-on, et comment ? En cas de conflit, qui est médiateur ? Prépare-t-on l’inspection ensemble, le cas échéant ? Liste non exhaustive ! À chacun des co-intervenants de répondre et argumenter. Après seulement, on se met d’accord sur la notion à travailler ensemble. n Rachel Harent Professeure des écoles (Finistère)

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perspectives I Faits&idées

Jouer avec sérieux Minecraft. « Il faut jouer pour devenir sérieux », écrivait Aristote. Comment intégrer une activité ludique au collège tout en visant des apprentissages officiellement attendus ?

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«

ouer pour apprendre, est-ce bien sérieux ? », se demandait Vincent Berry[1]. Son article traite des serious games et s’interroge sur cette association qui peut paraitre paradoxale entre le jeu et les apprentissages. L’école, et le collège notamment, introduit une rupture entre deux domaines qui lui paraissent antinomiques : les activités ludiques et les activités scolaires ; soit on joue, soit on travaille. Le projet présenté dans cet article est un moyen de transmettre avec et par le jeu des compétences à des élèves dans un cadre scolaire. Il a débuté avec une discussion entre professeurs relatant des expérimentations numériques autour des serious games. Le professeur d’histoire a proposé de travailler autour du logiciel Minecraft, dont il connaissait le fonctionnement avant de l’utiliser pour cette expérimentation ; il en a découvert les potentialités éducatives dans les ouvrages de Colin Gallagher et de Seann Dikkers. L’idée s’est concrétisée en juin 2015 à l’occasion d’un appel à projets sur le bassin de Lille ouest par notre inspecteur référent, Francis Fortier, IA-IPR (inspecteur académique-inspecteur pédagogique régional) de physique-chimie. Retenu pour une classe de 5e, soutenu par le Sepia (cellule innovation de l’académie) et la DANE (délégation académique au numérique éducatif), le projet a pris en 2015-2016 la forme d’une expérimentation d’EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) au collège Jeanne-de-Constantinople de Nieppe, collège périurbain calme, proche de la frontière belge. un jeu en version éducative

Minecraft est bien connu et maitrisé par la plupart de nos élèves : il permet de construire et d’inventer des mondes, à partir d’un élément unique, le cube. Celui-ci peut revêtir toutes sortes de textures et permet d’imaginer des architectures. Le joueur se déplace dans le jeu par l’intermédiaire d’un avatar visible du groupe. L’intérêt de ce jeu réside également dans l’absence totale de gravité, permettant par exemple de ne pas forcément commencer par la base d’une construction. L’avatar fait office de maçon et l’élève lui fait construire ou déconstruire son édifice. Un objet de travail commun aux trois disciplines engagées (histoire, technologie et arts plastiques) a été recherché. En croisant les programmes, il a été choisi de redonner vie à l’abbaye médiévale de Marquette-lez-Lille en réalisant une visite virtuelle. L’abbaye n’existe plus et il ne reste que des plans et des vestiges archéologiques sur une friche industrielle de la métropole lilloise. 1  Docteur en sciences de l’éducation et maitre de conférences à l’université Paris-13. Vincent Berry, « Jouer pour apprendre : Est-ce bien sérieux ? Analyse des relations entre jeu (vidéo) et apprentissage », La revue canadienne de l’apprentissage et de la technologie, n° 37 (2), 2011.

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Cette expérimentation devait permettre d’envisager différemment le métier d’enseignant, avec en contrepoint l’idée de susciter l’intérêt des élèves sur un terrain qui leur est bien plus familier qu’aux professeurs. Le collège a financé l’achat du jeu dans sa version éducative : MinecraftEdu, qui permet de contrôler l’autonomie des élèves-joueurs et les ressources mises à disposition, comme du bois, de la pierre ou des outils. Un semestre pour une capsule

Les activités ont été planifiées sur un semestre. En premier lieu, les élèves ont travaillé à partir de plans d’archéologues sur les aspects techniques de la construction (mesures, échelle) lors de séances de technologie. Puis, en cours d’arts plastiques, ils ont avancé sur les textures des bâtiments (aspect Construire et inventer visuel des matériaux, des mondes, à partir végétation environned’un élément unique, mentale, mobilier). Cerle cube. taines séances ont été coanimées avec l’enseignant d’histoire, en tant que référent TICE (technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement). Enfin, en cours d’histoire, la classe a travaillé en complément des deux premières disciplines à la construction de l’abbaye. L’étude d’une abbaye comme contexte d’apprentissage est un incontournable dans la thématique de l’Occident féodal en histoire, les élèves devant être capables de décrire le fonctionnement d’une abbaye et d’expliquer son organisation. Des groupes de travail ont été mis en place en technologie et en histoire. Pour cette discipline, l’enseignant a souhaité être au cœur de l’action, c’est-à-dire dans l’univers virtuel, afin de suivre la construction (et d’y participer aussi un peu). Trois heures de cours d’histoire ont été consacrées à cet EPI « Minecraft ». En arts plastiques, quatre séances étaient prévues, mais huit furent effectuées afin d’atteindre les objectifs. Les activités se sont déroulées en salle pupitre, une salle informatique de trente postes en réseau, par petits groupes de quatre ou cinq élèves. Un élève chef de projet anime le groupe, planifie les tâches, rend compte de l’avancement des différentes parties de l’édifice à partir des fondations réalisées par d’autres groupes en cours de technologie. La production attendue (et évaluée) était une capsule vidéo d’un parcours virtuel de l’abbaye : les élèves-joueurs guident le visiteur par des commentaires sur la vie des moniales et mobilisent ainsi des connaissances et compétences acquises, disciplinaires et transversales. Pour leur production finale, les élèves disposaient d’un plan de l’abbaye fourni par un archéologue, avec le nom de tous les bâtiments. Ils ont dû en rechercher


Faits&idées la signification et l’utilisation par les moniales. À partir de là, deux consignes s’offraient au choix des élèves durant le cours d’histoire : « Être une moniale du XIIIe siècle qui fait visiter son abbaye à un pèlerin ; être l’archéologue qui a fouillé cette abbaye et qui présente les lieux à des visiteurs fictifs. » Grâce à un logiciel de capture d’image et de son, les élèves ont réalisé leur capsule vidéo, de façon individuelle, pendant deux séances d’une heure avec leur professeur d’histoire. Ils ont fait plusieurs enregistrements, revenant sur leur texte rédigé afin d’apporter des améliorations. « Les élèves ont très peu eu besoin de moi, aussi bien dans le travail de recherche des informations que dans la réalisation des capsules. C’est la production des élèves et leur capacité à décrire l’abbaye avec le vocabulaire approprié qui a été évaluée », rapporte l’enseignant. Du côté de la technologie, l’enseignant a « plus naturellement évalué la démarche des élèves, la mobilisation des connaissances de façon différenciée que l’aboutissement d’une tâche ». Le double d’élèves

Les élèves se sont montrés très motivés pour mener à bien ce projet. L’utilisation d’un jeu vidéo a été le vecteur d’un enthousiasme débordant lors de la construction. En effet, jouer virtuellement est pour certains une pratique extrascolaire quotidienne. Dès les premières séances, le niveau sonore lié à cette motivation a augmenté. Certains élèves ont testé les limites du vivre ensemble virtuel : se promener partout, déconstruire et détruire le travail d’un camarade, utiliser le logiciel de discussion à tort et à travers, etc. En arts plastiques, l’enseignant a « eu aussi à gérer quelques conflits liés à la double présence des élèves, réelle en classe et virtuelle dans le jeu : il y a le double d’élèves à surveiller ! Mais rapidement chacun s’est pris au jeu et a joué le jeu afin d’atteindre l’objectif. » L’option de laisser les élèves s’autodiscipliner a été retenue tout en nommant un modérateur virtuel parmi eux, nommé « le douanier ». Les dérives se sont rapidement estompées. Le rapport à la connaissance s’inverse entre les élèves et les professeurs, qui se retrouvent dans le même univers et doivent collaborer pour construire des bâtiments et avancer dans le projet. Le professeur sachant devient professeur aidant et chaque élève devient un expert potentiel susceptible de délivrer un contenu informatif, car ce sont eux qui détiennent les compétences d’utilisation du jeu. Pour les enseignants, l’utilisation de Minecraft a été « comme enseigner en terre inconnue » ou « une sorte de saut dans le vide dans lequel on sait délibérément qu’on ne maitrisera pas tout, ce qui signifie qu’il faut énormément faire confiance aux élèves ». Le professeur de technologie, qui a dû annoncer à ses élèves son ignorance de ce jeu, ajoute : « Je me suis rendu compte que 80 % des élèves savaient y jouer. Alors pourquoi m’inquiéter sur cette difficulté ?  » Avec leur concours, cette construction de maquette numérique était possible. En arts plastiques, les séances en salle pupitre se sont même déroulées sans nécessité pour l’enseignant de manipuler un clavier d’ordinateur : « J’ai pu m’appuyer sur quelques élèves habitués à ce jeu qui ont

servi d’éléments moteurs, en guidant les moins expérimentés. Adoptant cette nouvelle posture de lâcher prise, mon positionnement dans la classe a été de guider la réflexion, d’inciter au dialogue et à la prise de parole, de proposer des choix, faciliter le débat et la prise de décision. » Épilogue

Élèves et enseignants furent entièrement conquis par ce projet, malgré l’aspect chronophage des concertations pour les professeurs. Par la construction, les réflexions induites par les problèmes à surmonter, la réalisation de la visite virtuelle, les élèves ont totalement été acteurs de leur projet. D’une étude passive du fonctionnement d’une abbaye médiévale, les élèves l’ont construite et lui ont donné vie par leur visite virtuelle. L’abbaye étudiée dans cette séquence a véritablement été manipulée, façonnée, au sens propre, par les élèves. L’EPI est élargi cette année à l’ensemble des Chaque élève devient six classes de 5e, dans le un expert potentiel cadre de la thématique susceptible de « Sciences, technologie et débloquer un contenu société ». Les professeurs informatif. de mathématiques rejoignent le projet. Une seigneurie virtuelle sera réalisée. Il y a quelques jours, une classe a fait des mesures dans une abbaye du Nord, dont l’office de tourisme a souhaité que le collège réalise la visite virtuelle. Un Traam (travail académique mutualisé) sur le thème de la création numérique est en cours avec l’équipe porteuse du projet. La notion d’évaluation sera notamment approfondie. Minecraft rend l’erreur visible et donc évidente, ce qui permet aux élèves de s’autocorriger. Selon la formule de Valérie Lavergne Boudier et Yves Damach[2], le jeu devient ainsi « un ingrédient pédagogique » fondamental dans le processus cognitif de nos élèves. n Émilie Le Cornec Principale adjointe du collège Jeanne-de-Constantinople de Nieppe, académie de Lille

Lionel Acquart Professeur d’arts plastiques

Arnaud Lionet Professeur de technologie

Timothée Vaillant Professeur d’histoire-géographie-EMC

Francis Fortier IA-IPR de physique-chimie

Pour en savoir plus La production des élèves est accessible

en ligne : https://miniurl.be/r-18xn

2  Serious Game, révolution pédagogique, éditions Lavoisier, 2010.

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perspectives I Depuisletemps…

Un homme dans l’espace : la science n’est plus ce qu’elle était ! Les compositions de sciences naturelles dans les classes terminales

Avril 1961. Le lieutenant Youri Gagarine, à bord de la capsule Vostok 1, effectue le premier vol orbital autour de la Terre. À son retour, il est fêté en héros de l’Union soviétique et de la science mondiale. Jeannette Vermeersch, cadre du parti communiste français, célèbre l’évènement en affirmant : « Aujourd'hui, c'est la fête de l'Ascension. Ce n'est pas l'ascension d'un être supposé, inventé, miraculeusement envolé. Non, c'est un robuste et beau jeune homme communiste qui est monté plus haut que le ciel ! » Certains rapportent que Gagarine aurait déclaré depuis la capsule ou lors d’une conférence de presse, à son retour : « Dieu n’existe pas, je ne l’ai pas rencontré. » Cependant, aucune source ne confirme l’existence de cette déclaration, il semble que ce soit une invention de Khrouchtchev. La frontière entre la science et la propagande était dépassée depuis longtemps, mais le succès de cette formule disait tout simplement : nous entrons dans un monde où la science donnera le sens de l’avenir. Plus prosaïques, les Cahiers pédagogiques ouvrent un dossier centré sur l’enseignement des sciences naturelles ! On y lit de nombreux textes qui défendent un enseignement actif centré sur la démarche scientifique, voire la « démarche expérimentale ». L’un des plus savoureux est celui d’André Gribenski, professeur au lycée Henri IV, dont la lecture nous renvoie à un contexte scolaire assurément bien lointain, où la manipulation de

L

es professeurs de l’enseignement du second degré sont des maitres à penser ; aussi notre rôle de professeur de sciences naturelles n’est-il pas de faire apprendre des sciences naturelles, il est d’enseigner les méthodes de pensée qui permettent d’acquérir quelques connaissances dans le domaine des sciences naturelles. Les sujets habituellement proposés, pour les compositions trimestrielles ou au baccalauréat, ne répondent pas exactement au but de notre enseignement ; ils permettent surtout (à supposer que toute fraude soit exclue) d’apprécier et de juger la mémoire de l’élève et, au mieux, si le sujet a été conçu pour cela, son aptitude à composer, c’est-à-dire à grouper intelligemment des connaissances se rapportant à des chapitres différents du cours. Qualités importantes, mais que toutes les disciplines cherchent à développer ; contrôler ces qualités seulement, ce n’est pas vérifier que l’élève a tiré profit de l’étude des sciences naturelles. Le mieux serait sans doute de réaliser une expérience dont les élèves devraient faire un compte rendu et interpréter les résultats. Mais il peut n’être pas possible (par exemple, aux examens) de réaliser devant les élèves l’expérience sur laquelle porte la composition ; dans ce cas il faut la décrire, et le sujet prend la forme d’un énoncé de problème, énoncé forcément assez long. En voici un exemple, avec les résultats qu’ils m’ont donnés (classe de mathématiques élémentaires). C’est ici une composition du deuxième trimestre, faite après l’étude des organes des fonctions de relation, notamment du système nerveux.

grenouilles devant les élèves en classe ne faisait pas question. Mais les préoccupations de l’auteur quant aux finalités de l’enseignement des sciences naturelles ne sont pas du tout étrangères à celles qui motivent le dossier du présent numéro !

Yannick Mével

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n Sujet de la composition

« Une grenouille spinale est suspendue, par la mâchoire inférieure, à un crochet. A. On trempe l’extrémité des doigts de la patte postérieure gauche dans de l’eau légèrement acidulée ; la grenouille fléchit le pied de cette patte, mais les autres parties de la patte ne bougent pas. On lave à l’eau ordinaire les doigts qui avaient été trempés dans l’acide.

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B. On augmente un peu la concentration de l’acide et on recommence l’expérience ; la grenouille fléchit alors entièrement la patte (la cuisse fléchit sur le corps, la jambe sur la cuisse, le pied sur la jambe). On lave à nouveau les doigts qui ont été trempés dans l’acide. C. On augmente encore un peu la concentration de l’acide, et on trempe à nouveau les doigts de la patte postérieure gauche dans l’eau acidulée ; la patte postérieure gauche fléchit comme dans l’expérience B, et la patte postérieure droite fléchit en même temps qu’elle, et de la même façon. On lave les doigts de la patte postérieure gauche, puis, lorsque tout mouvement a pris fin, on trempe dans la même eau acidulée les doigts de la patte postérieure droite ; les deux pattes fléchissent alors, comme précédemment. On lave les doigts de la patte postérieure droite. D. On sectionne le nerf sciatique gauche dans la cuisse, puis on recommence les expériences du paragraphe C ; en trempant dans l’eau acidulée les doigts de la patte postérieure gauche, il n’y a aucune réaction ; en trempant dans l’eau acidulée les doigts de la patte postérieure droite, on observe que cette patte fléchit entièrement, comme dans l’expérience C ; en même temps, la patte postérieure gauche fléchit en partie : la cuisse fléchit sur le corps, la jambe sur la cuisse, mais le pied reste pendant. On lave les doigts de la patte postérieure droite E. On détruit la moelle épinière, puis on recommence les mêmes expériences qu’aux paragraphes C et D ; il n’y a plus aucune réaction à la suite de l’excitation des doigts de la patte postérieure gauche, ni après excitation des doigts de la patte postérieure droite. Les mêmes expériences ont été répétées sur plusieurs grenouilles, et ont permis les mêmes observations. En utilisant les renseignements fournis par les diverses expériences, représenter, par des schémas annotés (et, s’il y a lieu, brièvement commentés), le trajet de l’influx nerveux (ou arc réflexe) dans les réflexes des expériences A et B. »


Depuisletemps… n Résultats

Un tiers des élèves de la classe environ ont su faire ressortir, par des schémas simples et clairs, la différence entre l’arc réflexe correspondant au réflexe de flexion du pied, et l’arc réflexe correspondant au réflexe de flexion de la jambe de la cuisse : dans le premier, le nerf sciatique est à la fois la voix sensitive et la voix motrice ; dans le second, le nerf sciatique est seulement la voix sensitive, la voix motrice est un autre nerf. Quelques élèves ont donné le schéma d’arc réflexe qui figure habituellement dans les livres, accompagnés ou non de considérations générales et théoriques : de toute façon, cela ne répondait pas à la question posée. Les autres élèves se sont efforcés, avec des fortunes diverses, de raisonner à partir des résultats expérimentaux, pour en dégager la différence des trajets nerveux entre les deux réflexes (flexion du pied et flexion de toute la patte).

contenir ni impossibilité ni inexactitude ; il s’agit de réfléchir et de raisonner sur du concret et du réel, non sur des constructions de l’esprit. La description d’une expérience doit être précise et minutieuse, de façon à n’omettre aucun détail qui soit nécessaire pour en interpréter les résultats, et de façon à ne contenir aucune ambigüité qui ne se trouve dans les résultats observés eux-mêmes. Ces considérations étant remplies, une telle composition permet d’apprécier non seulement les connaissances que possèdent les élèves, mais la façon dont ils savent les utiliser pour qu’une expérience ou une observation leur apprenne quelque chose de nouveau ; et je reviens ainsi à mon point de départ, car apprendre à apprendre est le but que nous nous proposons en enseignant les sciences naturelles aux élèves du second degré. n André Gribenski

n Quelques remarques importantes

Professeur au lycée Henri-IV, Cahiers pédagogiques n° 27, avril 1961

L’expérience décrite était une expérience réelle : je l’avais faite, afin que les descriptions ne puissent

L’œuvre du mois | Liasmine Fodil

Liasmine Fodil, Aswel, photographie, octobre 2013. Aswel est situé à plus de 1 700 mètres d’altitude en haut du Djurdjura, en Kabylie. On y trouve un stade qui servait aux entrainements du club de la Jeunesse sportive de Kabylie et de l’équipe nationale de football. « Durant la “décennie noire”, les terroristes qui avaient pris possession des maquis alentour n’y permettaient plus l’accès. Mais les beaux jours sont revenus et c’est devenu un endroit prisé des piqueniqueurs. Ces dix années de terreur ont laissé des traces indélébiles dans les paysages et dans nos esprits. Peut-être que si le pays n’avait pas traversé ce désastre, ce jour-là, il y aurait eu des joueurs de foot dans le paysage ! » https ://500px.com/liasmine

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perspectives I Lelivredumois Àliresur notresite www.cahiers-pedagogiques.com

Apprendre les maths, à quoi ça sert ? Mathématiques et enseignement au fil de l’histoire

Caroline Ehrhardt et Renaud d’Enfert, Le square éditeur, 2016 Le pari, réussi, de l’ouvrage est d’éclairer à l’aide de l’histoire des questions plus ou moins fréquemment posées sur l’enseignement des mathématiques : ses finalités, la sélection, les évolutions des contenus enseignés et des façons d’apprendre les maths. Ce livre clair, argumenté et nuancé devrait aider les enseignants à mieux comprendre d’où viennent les maths qu’ils enseignent.

Les blagues à PISA, le discours sur l’école d’une institution internationale Daniel Bart et Bertrand Daunay, éditions du Croquant, 2016 Une analyse critique du discours de l’OCDE, bien plus sérieuse que son titre pourrait le laisser penser, et qui devrait inciter les responsables éducatifs et les chercheurs en éducation à laisser de côté ce discours pour (re)donner à PISA sa juste place parmi les outils mis à disposition des débats et des recherches sur l’école : il ne faudrait surtout pas jeter ce qu’une analyse sérieuse des données de PISA peut apporter avec l’eau des mauvaises blagues de l’OCDE.

Réveiller le désir d’apprendre

Agnès Baumier-Klarsfeld, éditions Albin Michel, 2016 Un ouvrage qui a le mérite de faire connaitre au grand public recherches et expériences allant dans le sens de ce si nécessaire éveil ou réveil du désir d’apprendre. Un voyage optimiste, utile contrepoint au déclinisme et au chant des sirènes passéistes.

Comment écrire sa thèse Umberto Eco, éditions Flammarion, 2016 (1978 pour la première édition italienne) Le titre risque d’abuser un lecteur pressé de connaitre enfin la recette miracle pour écrire sa thèse. Autre élément de séduction, le nom de l’auteur est une invitation à comprendre les enjeux d’une écriture particulière en évitant le ton pédant de bien des universitaires. Et là, le plaisir est au rendez-vous. D’autres recensions sur notre site

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Ce que le numérique peut en éducation Coordonné par Régis Guyon. Revue Diversité, troisième trimestre 2016, n° 185

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ubliée par Canopé et sa délégation Éducation et société, la revue Diversité nous propose pour son numéro 185 un dossier où l’on peut lire de nombreuses contributions qui interrogent les relations souvent complexes entre le numérique et l’éducation, avec une ouverture hors des sentiers de l’école qui est la bienvenue, dans la partie « Le numérique pour la réussite et l’insertion des jeunes », peut-être la plus originale du dossier. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette affirmation d’Emmanuel ­Davidenkoff  : «  Ce n’est pas la question du numérique qui se pose, mais celle du pédagogique. » Elle pourrait servir de sous-titre au dossier, car c’est un leitmotiv de plusieurs contributeurs : les questions techniques, de matériel, de logiciels sont finalement secondaires, et à l’heure où 83 % de la population française est connectée (contre 36 % en 2004), on ne peut plus raisonnablement parler de « fracture numérique » comme il y a dix ans, nous rappelle Pascal Plantard. Le creusement des inégalités se situe au niveau des usages, de la maitrise ou pas d’une culture de l’information et de la recherche. Surtout si les enseignants « considèrent comme acquis chez les élèves des savoirs et des compétences qu’en réalité ils n’ont pas » ou confondent accès à l’information et réelle appropriation de savoirs (Anne Cordier). On ne trouvera pas dans ce numéro un hymne à la gloire du numérique qui de lui-même changerait les rapports entre enseignants et enseignés, permettrait la démocratisation des savoirs et serait un outil majeur de lutte contre les inégalités. Pas non plus cette stigmatisation simpliste d’une informatique diabolique qui participerait du grand complot contre les savoirs et du déclin d’une école de « l’instruction ». Un des derniers avatars de cette position déconnectée de la réalité, est par exemple l’ouvrage fort médiocre et confus, Le désastre de l’école numérique, de ­Philippe Bihouix et Karine Mauvilly. Dans ce dernier livre, les auteurs accusent l’usage des ordinateurs de tous

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les maux, entre contribution au réchauffement climatique, dégâts psychiques et délégitimation de la parole du professeur et revendiquent une école forteresse qui ravit tous les nostalgiques du passé, ceux qui hier condamnaient le stylo à bille ou le livre de poche. Les propos des contributeurs de Diversité, eux, plutôt nuancés et échappent à tout manichéisme, ce qui est d’ailleurs le cas de la plupart des promoteurs d’un usage raisonné et réfléchi dans le cadre scolaire, loin de la caricature brossée par les pamphlétaires. C’est ainsi qu’Eunice Mangado, directrice déléguée de l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville) affirme : « Maitriser la culture numérique, c’est savoir utiliser internet, mais aussi savoir s’en protéger, voire s’en passer. » On pourra regretter un côté répétitif d’un article à l’autre de pages où ces idées-forces sont énoncées. C’est surtout vrai dans la première partie. La seconde, « S’informer, comprendre et décrypter », est riche et variée : interrogation sur les moyens d’aider les jeunes à évaluer les sources et la fiabilité des informations et de leur faire prendre conscience de l’importance de la protection des données, évocation des dangers du cyber­ harcèlement, etc. Défi et chance pour notre société, comme le souligne Hélène Grimbelle, de la Ligue de l’enseignement, le numérique peut, à certaines conditions, renforcer le « pouvoir d’agir ». Il n’est pas sûr d’ailleurs que ses contempteurs sont tellement désireux de le voir se développer chez les jeunes ! n Jean-Michel Zakhartchouk


Lelivredumois

questionsà RÉGIS GUYON Coordonnateur du dossier, Régis Guyon est directeur de la délégation éducation et société du Réseau Canopé et rédacteur en chef de la revue Diversité. Peux-tu nous présenter la revue Diversité, comment elle est faite, ses objectifs, son mode d’élaboration ?

La revue Diversité, qui est éditée par le réseau Canopé, a été créée officiellement par une circulaire publiée au Bulletin Officiel le 1er novembre 1973. Elle s’appelait alors Migrants Formation et avait comme objectif d’accompagner les professionnels travaillant avec les adultes migrants et leur famille. C’était l’époque de la mise en place de la formation pour adultes (loi de 1971), dont un des publics prioritaires était les migrants. La question de la scolarisation de ce qu’on appellera bientôt les élèves migrants, ou allophones aujourd’hui, allait devenir en effet un enjeu éducatif important. Ensuite, et jusqu’à aujourd’hui, la revue a élargi son domaine en s’intéressant plus largement aux inégalités sociales et scolaires et en proposant des analyses et des retours d’expérience à l’ensemble des acteurs éducatifs, dans et hors l’école. Notre postulat est en effet que la réduction des inégalités est une question globale, qui doit mobiliser l’ensemble des acteurs de la communauté éducative, travaillant de concert. On peut considérer Diversité comme une revue d’interface, proposant aux lecteurs, à parité, une vulgarisation rigoureuse des travaux de chercheurs et des témoignages d’acteurs de terrain. On tente par-là d’assurer le lien entre la recherche et la pratique, l’un devant et pouvant ainsi se nourrir de l’autre. Pour chaque numéro, je sollicite le comité d’orientation de la revue, composé d’une vingtaine d’universitaires et d’acteurs éducatifs, mais aussi le réseau et les partenaires (dont le CRAP-Cahiers pédagogiques) avec

lesquels nous avons l’habitude de travailler à la délégation éducation et société. Quelle est l’idée majeure qui ressort du dossier sur le numérique ?

L’enjeu crucial aujourd’hui est sans doute de permettre aux jeunes de

actions sont notables, sans qu’ils soient nécessairement spécialistes de l’école ou de l’éducation. Mais leur parole permet de poser les enjeux qui vont traverser le dossier. Les historiens Philippe Portier, pour le numéro sur l’école et les valeurs, et Marc Ferro, pour celui sur l’engagement, se sont imposés par exemple assez naturellement. De même que je me suis tourné vers Philippe ­Meirieu pour parler continuité et discontinuités en éducation. Ensuite, chaque dossier repose sur trois piliers : d’abord proposer la pluralité (une diversité !) des points de vue, en se gardant bien d’alimenter des polémiques inutiles ; ensuite, comme je l’ai dit avant, proposer l’éclairage des recherches les plus récentes et des savoirs d’expérience des professionnels de terrain ; et, enfin, avoir une attention particulière aux territoires de la géographie prioritaire et aux publics les plus vulnérables.

La réduction des inégalités est une question globale, qui doit mobiliser l’ensemble des acteurs de la communauté éducative, travaillant de concert. comprendre ce qui constitue le numérique, de définir ce qui serait un « apprendre à apprendre » à travers les écrans, où il faut en permanence, en l’absence de prescripteurs, évaluer, hiérarchiser et catégoriser les informations. On voit, à travers la problématique des rumeurs et du complotisme, combien cette question est centrale aujourd’hui.

Les prochains dossiers ? Peut-on faire des propositions de contributions ?

Les numéros à venir porteront sur l’éducation prioritaire (à l’occasion des 35 ans de la circulaire créant les zones d’éducation prioritaire), les mobilités (dans ses dimensions spatiales, sociales et en termes là encore d’apprentissage et de formation), puis sur l’éducation au droit et à la justice. Je ne fais habituellement pas d’appel à contributions, mais toutes les personnes intéressées par l’un de ces sujets peuvent évidemment entrer en contact avec moi. n Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Peux-tu nous dire quelques mots sur deux dossiers très actuels : celui sur les valeurs républicaines publiées après janvier 2015 et celui sur l’engagement des jeunes en mai 2015 ? Qu’en as-tu surtout retenu ?

Chaque numéro, et c’est un peu sa marque de fabrique, s’ouvre avec un ou des entretiens avec des personnalités dont les travaux et les

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cahierspédagogiques 10 rue Chevreul, 75011 Paris. Tél. : 01 43 48 22 30 - Fax : 01 43 48 53 21

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Une revue indépendante, pour une école plus juste et plus efficace Croiser sans dogmatisme les réflexions, pratiques et expériences de chacun, enseignants et personnels du secondaire et du primaire, chercheurs, formateurs, éducateurs, parents Discuter sans réserves de tout ce qui pose problème dans le champ professionnel, des réformes en cours, du fonctionnement de l’école dans toutes ses dimensions Dépasser les simplismes, parce que les raccourcis sur le niveau qui monte ou qui baisse ou sur l’école d’antan n’ont jamais fait avancer d’un iota les apprentissages et l’éducation de la jeunesse d’aujourd’hui Ces principes qui animent l’équipe des Cahiers pédagogiques sont également ceux du Cercle de recherche et d’action pédagogiques (CRAP), l’association qui les publie. Adhérer au CRAP-Cahiers pédagogiques, c’est donc soutenir la revue, c’est aussi participer, par des rencontres, des échanges par une liste de diffusion électronique, à la vie d’une association d’acteurs du monde éducatif soucieux de faire évoluer leurs pratiques, de réfléchir sur les problèmes de l’école pour mieux la faire progresser.

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Le Crap-Cahiers pédagogiques est soutenu pour son fonctionnement par le ministère de l’Éducation nationale Conception graphique : Rampazzo & associés n PAO : Marc Pantanella n Correction : Virginie Ducay n Photogravure et impression : Imprimerie de Champagne, Langres n N° d’inscription à la CPPAP : 0717G81944 n ISSN 2268-7874 n Tirage : 5000 exemplaires.


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