Trois Couleurs #53 – Juin 2007

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Quelle est donc cette histoire universelle que Parlez-nous de votre rencontre avec Catherine raconte Persépolis ? Deneuve, Chiara Mastroianni, Danielle Darrieux et Simon Abkarian… M_Il arrive que des personnes subissent, sans les vouloir, de grands changements politiques. Elles finissent par être les M_Il me les fallait, parce que ce sont les meilleurs ! victimes de leur propre pays. Et je ne parle pas seulement de Je savais que Deneuve aimait mon travail, car elle m'avait mon pays. Dans ce film, qui se passe essentiellement en Iran, demandé de participer à un numéro spécial de Vogue dont elle à partir du moment où le spectateur se met dans la peau du était rédactrice en chef. Les autres ne me connaissaient pas, personnage, c'est le voyage que l'héroïne fait en Autriche qui j'ai simplement envoyé le scénario et ils ont tout de suite dit devient exotique à ses yeux ! oui. Ils ont été magnifiques. Chiara a le rôle le plus dur, elle doit suivre la petite Marjane de l'enfance à l'âge adulte. Elle est très perfectionniste, très professionnelle Dans vos interviews, vous déclarez que dans son travail. J’ai été très honorée de s'il n'y avait pas eu Vincent, vous auriez fait du collaborer avec eux. Nous avons décidé Bergman en plus lent. Vous évoquez aussi de les enregistrer un par un, avant même l'expressionnisme allemand et le néode dessiner leurs personnages. Les réalisme italien, influences que l'on mouvements de bouche ont ainsi été retrouve dans Persépolis. Vous sentezplus cohérents, les acteurs n'étant vous prêts à passer à la réalisation plus tenus par l'image. D’une certaine d’un film traditionnel? manière, les dessins ont été adaptés V_Oui, absolument. C'est notre au jeu des comédiens. prochain projet. En co-réalisation et coécriture. S'il ne devait rester qu'un message du M_Nous formons un binôme qui film, lequel serait-ce ? fonctionne très bien. On se complète parfaitement, jusque dans nos narcissismes ! Nous avons beaucoup de projets M_Par le biais des médias, certaines populations ensemble. Nous voulions faire un vrai film, mais nous ne sont transformées en notions abstraites, désincarnées. Le pouvions le faire qu'en animation. Si nous avions tourné en journal télévisé annonce 150 ou 200 morts dans tel attentat. images réelles, nous aurions perdu la portée universelle du Notre rôle, en tant qu’artistes, c’est de susciter de l’empathie propos. Ce choix s'est imposé. Cependant, nous voulions chez le spectateur, qu’il puisse se dire : «ça aurait pu être moi». pousser au maximum le côté cinématographique du dessin, ce Je voulais montrer la vie quotidienne d'une famille en Iran pour qui était d'ailleurs assez difficile à expliquer aux animateurs. incarner tous ces gens dont parlent les médias. Un peuple, c’est Nous n'avons aucun dédain pour le dessin animé, mais notre une notion abstraite. En parlant d’une personne en particulier, référence de base est le cinéma. J’ai d’abord abordé ce projet on a finalement plus de chances de tendre à l’universel. J'ai comme un film, de la même manière que j’avais d’abord reçu des lettres de Chine ou du Chili de gens qui ont été touchés envisagé mes BD comme des livres. Pour vous donner un par cette histoire qui leur ressemble. Comment essayer, malgré exemple, il est très rare d'utiliser les fondus dans les dessins tout, de s’inscrire dans une forme de normalité ? Comment animés, pour des raisons techniques. Ce qui ne nous a pas continuer à vivre, tout simplement ? Vivre, c’est un peu plus empêchés de le faire. qu’être seulement vivant.

NOTRE RÉFÉRENCE DE BASE EST LE CINÉMA. M. SATRAPI

_Propos recueillis par Sofia GUELLATY

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