TROISCOULEURS #195 - février-mars 2023

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Journal cinéphile, défricheur et engagé, par > no 195 / février-mars 2023 / GRATUIT

Un tour de magie, une envoûtante légende venue d’Espagne. Le Monde

El Agua

TILDA SWINTON

« Je suis extrêmement à l’aise avec les fantômes » p. 4

LÉONOR SERRAILLE

Unpetitfrère, sublime récit d’apprentissage à trois voix p. 26

AURORE CLÉMENT

« Chantal Akerman et moi avons vécu le déracinement » p. 30

MK2 INSTITUT

En finir avec les idées reçues sur l’immigration avec le sociologue François Héran p. 88

LE 1er MARS AU CINEMA
©JEFF MAUNOURY METANOÏA
UN FILM DE ELENA LOPEZ RIERA
zelda
alexis MANENTI
un film de EMMANUELLE NICOT HÉLICOTRONC et TRIPODE PRODUCTIONS présentent 22 MARS
SAMSON
fanta GUIRASSY

EN BREF

P. 4 L’ENTRETIEN DU MOIS – TILDA SWINTON

P. 12 SCÈNE CULTE – THE HOST DE BONG JOON-HO

P. 14 LES NOUVEAUX – MARTIN JAUVAT ET GALA HERNÁNDEZ PEREZ

CINÉMA

P. 18 EN COUVERTURE – TOUTELABEAUTÉETLESANGVERSÉ DE LAURA POITRAS

P. 26 ENTRETIEN – LÉONOR SERRAILLE POUR UNPETITFRÈRE

P. 30 L’ENTRETIEN FACE CAMÉRA – AURORE CLÉMENT

P. 34 PORTFOLIO – CLÉMENT COGITORE SUR LE TOURNAGE DE GOUTTE D’OR

P. 42 CINEMASCOPE : LES SORTIES DU 1ER FÉVRIER AU 22 MARS

CULTURE

TROISCOULEURS

éditeur MK2 + — 55, rue Traversière, Paris XII e — tél. 01 44 67 30 00 — gratuit directeur de la publication : elisha.karmitz@mk2.com | rédactrice en chef : juliette.reitzer@mk2.com | rédactrice en chef adjointe : time.zoppe@mk2.com | rédacteurs : quentin.grosset@mk2.com, josephine.leroy@mk2.com | directrice artistique : Anna Parraguette | graphiste : Ines Ferhat | secrétaire de rédaction : Vincent Tarrière | renfort correction : Claire Breton | stagiaire : Clémence Dubrana Rolin | ont collaboré à ce numéro : Léa André-Sarreau, Margaux Baralon, Julien Bécourt, Lily Bloom, Thomas Choury, Marilou Duponchel, Julien Dupuy, David Ezan, Claude Garcia, Corentin Lê, Damien Leblanc, Olivier Marlas, Belinda Mathieu, Stéphane Méjanès, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Raphaëlle Pireyre, Perrine Quennesson, Bernard Quiriny, Cécile Rosevaigue, Félix Tardieu & Célestin et Anaïs, Jeanne et Miléna | photographes : Ines Ferhat, Julien Liénard | illustratrice : Sun Bai | publicité | directrice commerciale : stephanie. laroque@mk2.com | che e de publicité cinéma et marques : manon.lefeuvre@mk2.com | responsable culture, médias et partenariats : alison.pouzergues@mk2.com | che e de projet culture et médias : claire.defrance@mk2.com

Illustration de couverture : Anna Parraguette pour TROISCOULEURS

Imprimé en France par SIB imprimerie — 47, bd de la Liane — 62200 Boulogne-sur-Mer

TROISCOULEURS est distribué dans le réseau ProPress Conseil ac@propress.fr

ÉDITO

« I DO KNOW DRUGS ! » Cette phrase, je l’ai entendue de la bouche de Nan Goldin au festival de Lisbonne & Estoril, en novembre 2014. J’assistais à la projection d’un film des frères Safdie, Mad Love in New York, plongée froide dans le quotidien d’une jeune SDF accro à l’héroïne. À la fin de la séance, les lumières se sont rallumées sur les deux réalisateurs souriants sur l’estrade, attendant les questions du public. Quelques rangs devant moi, une petite dame à la tignasse rouge lève le bras. Au moment où je reconnais la grande photographe (qui était membre du jury), la voilà qui se lance dans une violente diatribe contre le film, sous l’œil sidéré de l’audience et des deux réalisateurs défaits,

P. 78 PORTRAIT – LA PERFORMEUSE MARLÈNE SALDANA

P. 81 SPECTACLE – TIPHAINE RAFFIER

diatribe débutant par ce cri étranglé : « Je connais la drogue ! » Cette scène, je l’avais alors trouvée incongrue, amusante à raconter – je ne m’en étais pas privée dès mon retour à Paris. Huit ans après, elle m’est réapparue dans toute sa rage, sa lucidité et sa douleur devant le documentaire Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras.

Ce film retrace le combat de Nan Goldin contre la famille Sackler, propriétaire du laboratoire pharmaceutique qui commercialise l’OxyContin, antidouleur extrêmement addictif responsable de la crise des opioïdes qui ronge l’Amérique. Avec leur fortune tristement bâtie, les Sackler ont largement financé les plus grands musées du monde, blanchissant ainsi leur nom. Nan Goldin est elle-même une rescapée de l’OxyContin – au moment du festival de Lisbonne, elle se battait contre cette dépendance. « J’ai survécu à la crise des opioïdes », écrivait-elle trois ans plus tard, en 2018, dans un texte percutant

publié par le magazine Artforum, qui annonçait le début d’un impressionnant parcours activiste : avec le collectif PAIN qu’elle a créé, elle a depuis mené de nombreuses actions et pressions pour que la vérité sur les Sackler soit criée au grand jour. C’est ce trajet militant et intime que retrace avec une puissance et une beauté folles le film de Laura Poitras, rappelant aussi la fulgurance de l’œuvre photographique de Nan Goldin, qui s’est toujours acharnée à révéler au monde des réalités souvent silenciées – la dépendance à la drogue et à l’alcool, les violences sexistes, les ravages du sida. Dans l’entretien passionnant qu’elle nous a accordé, Laura Poitras revient ainsi sur l’importance, à travers ses films, de porter la voix de celles et ceux qui osent se lever et parler.

février-mars 2023 – no 195 03 © 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006 Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par mk2 + est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur — Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique. Sommaire
+ UN CAHIER MK2 INSTITUT DE 12 PAGES EN FIN DE MAGAZINE P. 83 PAGE JEUX JULIETTE REITZER

Elle campe à elle seule les deux rôles principaux de The Eternal Daughter, film délicieusement gothique et pictural de Joanna Hogg, en salles le 22 mars. Soit une sexagénaire et sa mère en villégiature dans un manoir victorien désert, mais hanté de souvenirs. Très occupée, l’immense artiste britannique, qui se qualifie moins d’actrice que de performeuse et qui nomme ses rôles des « portraits », nous a répondu par mail, dans un style riche dont la traduction ne saurait rendre parfaitement l’esprit et l’élégance.

Tilda

Vous connaissez Joanna Hogg depuis vos 10 ans. Comment collaborez-vous avec cette amie de longue date, quelqu’un qui vous connaît si bien et avec qui vous avez grandi ?

C’est sans doute l’expérience la plus holistique que je puisse imaginer : la vie et le travail réunis dans un seul geste. Notre connaissance mutuelle, notre complicité, notre amour et notre foi en l’autre sont si profonds – si durables et si entiers – que l’on se sent complètement en sécurité l’une avec l’autre. On peut partager nos peines comme nos joies, se risquer ensemble sur de nouveaux terrains, expérimenter sans savoir où l’on va, ce qui est sans doute le plus grand luxe d’entre tous.

Dans The Souvenir. Part I & II, le diptyque de Joanna Hogg sorti en 2022 et qui se déroulait dans les années 1980, vous interprétiez la mère de l’héroïne, jouée par votre véritable fille, Honor Swinton Byrne. Est-ce ce même couple mère-fille – que vous incarnez cette fois toutes les deux –que l’on retrouve, quarante ans après, dans The Eternal Daughter ? Oui. Au fil du processus de création de The Souvenir, Joanna et moi nous étions d’abord concentrées sur l’histoire de Julie, l’héroïne. Mais si sa mère, Rosalind, n’apparaissait que sporadiquement, nous avions fini par beaucoup explorer ce portrait. Elle exerce toute sorte de fascination sur nous. Elle n’évoque pas tout à fait nos mères,

mais plutôt quelqu’un que nos mères auraient pu connaître. Au moment de préparer The Eternal Daughter, nous étions ravies de pouvoir creuser davantage ce personnage. J’ai l’impression de la connaître profondément. Tout ce que j’ai à faire c’est de la télécharger, c’est comme me caler sur un morceau de musique que je connais par cœur.

Comment ces films interagissent-ils avec votre propre arbre généalogique, votre relation avec votre mère, avec votre fille ? C’est toujours un émerveillement pour moi, ce fleurissement d’un arbre généalogique qui a poussé dans l’art, tout contre le nôtre dans la vie. Et c’est un arbre cinématographique qui porte Joanna dans ses branches : un assemblage de nos deux histoires. Cela nous semble maintenant inconcevable, à Joanna comme à moi, que nous ayons pu imaginer quelqu’un d’autre que Honor pour interpréter Julie dans les films The Souvenir, non parce que c’est ma fille, mais parce qu’elle correspond parfaitement au rôle. Cette nouvelle itération dans The Eternal Daughter, le fait que je joue une version de ma mère et une version de ma fille en discussion l’une avec l’autre, me renverse, encore aujourd’hui. Cela crée un sentiment d’achèvement qui résonne profondément en moi.

Dans Only Lovers Left Alive (2014) de Jim Jarmusch, vous jouiez un vampire immor-

tel, et dans Orlando (1993) de Sally Potter, quelqu’un qui ne vieillit pas. Quel est votre rapport au temps qui passe ?

J’ai grandi dans une maison dans laquelle ma famille vit depuis des générations. Je pense que mes frères et moi avons toujours été conscients d’une forme d’intemporalité : marcher dans les mêmes allées et sous les mêmes arbres que des gens qui partagent vos traits sur de vieux tableaux est une expérience troublante, comme si une seule personne vivait dans un long continuum immuable. Ce qui implique qu’à un moment il est nécessaire de faire des choix pour s’extraire de cette lignée et se forger sa propre destinée. Peut-être grâce au contexte assez inhabituel de ma jeunesse, je suis à l’aise avec cette idée d’intemporalité – même si je suis également très intéressée par les limites de la vie mortelle, et par la façon dont on change en permanence tout en conservant au fond de nous certains éléments de base, qui restent les mêmes du début à la fin.

Vous vivez à Nairn, une petite ville écossaise, dans une maison de plus de 120 ans d’âge. Avez-vous déjà eu la sensation qu’elle était hantée, comme le manoir dans The Eternal Daughter ? Je suis extrêmement à l’aise avec les fantômes. Nous vivons tous parmi eux et je me suis toujours débrouillée pour embrasser l’idée de leur existence et leurs manifestations, où que j’aille. Il n’y a sans doute aucun

no 195 – février-mars 2023 04 Cinéma > L’entretien du mois
© 2023 Condor Distribution. Tous droits réservés.

Swinton

bout de terrain sur la planète qui ne soit pas visité en permanence par des esprits. C’est une pensée qui, je le confesse, m’apporte beaucoup de réconfort.

Vous avez commencé votre carrière au cinéma avec Derek Jarman, une figure incontournable du cinéma queer et d’avant-garde, en jouant dans son film Caravaggio (1987). Qu’avez-vous appris à ses côtés ?

Il m’est impossible d’imaginer que j’aurais pu travailler dans le cinéma sans cette rencontre. Le monde qu’il m’a ouvert et la façon de travailler que j’ai pu développer avec lui, d’une manière rare voire unique, ont façonné la vie que j’ai menée ces trente dernières années. Ensemble, nous avons fait quelque chose comme sept longs métrages, et, au cours des neuf ans durant lesquels nous nous sommes côtoyés, j’ai appris le pouvoir et le frisson du travail collectif, mais aussi à travailler au service d’un cinéma basé sur une énergie qui n’a rien à voir avec l’interprétation ou le beau geste, qui est davantage relié à la peinture et à la poésie qu’au théâtre ou à la littérature. Quand

Certaines de vos performances sont basées sur une transformation physique et des looks excentriques. Quelle forme de joie cela vous procure ?

Chaque portrait commence par une forme d’interrogation : que montrer à la caméra, quel look, quel son, quelle forme, quelle façon de bouger ? Pour former le langage visuel d’un film, chacun de ses portraits doit chanter, comme une mélodie devant s’accorder à un ensemble. Le langage visuel de Wes Anderson, par exemple, bien qu’il varie d’un film à l’autre, se reconnaît en ce que chaque élément se caractérise par une certaine intensité. Même remarque à propos des deux films que j’ai faits avec Bong Joon-ho, Snowpiercer. Le Transperceneige [2013, ndlr] et Okja [2017, ndlr], dans lesquels nous investissions un environnement terrestre plus ou moins connu – respectivement un long train et une série de lieux dans une Corée et un New York contemporains – selon un tour particulier – d’aucuns diraient « de science-fiction ». Les personnages que j’y incarne sont toutes pittoresques, ils ont à voir avec la texture graphique de ces films. Le truc, dans les

plus fait. Cela correspond à peu près à mes débuts dans la performance, quand j’étais étudiante. Je ne sais pas exactement comment fonctionne ce changement d’énergie, mais je suis heureuse de pouvoir dire que j’ai recommencé à écrire depuis plusieurs années, notamment des essais. Et j’ai fini par voir mon travail de performeuse comme une forme d’écriture souterraine – et, parfois, comme de la poésie.

Vous avez produit certains des meilleurs films dans lesquels vous avez joués : Amore de Luca Guadagnino (2010), We Need to Talk about Kevin de Lynne Ramsay (2011) et Memoria d’Apichatpong Weerasethakul (2021). N’avez-vous jamais eu envie de réaliser vous-même ?

Je me suis toujours dit que, aussi longtemps que les cinéastes vivants les plus inspirés voudraient travailler avec moi et m’inviteraient à leur table pour me donner envie de continuer à jouer, je serai heureuse de ne pas réaliser.

Vous semblez avoir de plus en plus de projets chaque année. Quels sont les prochains ?

J’ai tendance à considérer mon activité artistique comme celle d’un jardinier, ou même d’un fermier, semant des choses qui poussent vite et d’autres qui prennent leur temps. Il y a donc actuellement plusieurs plantes dans la terre, à di érentes étapes de développement. Ce qui arrive incessamment, c’est le fruit de mon travail avec Joshua Oppenheimer sur The End, une comédie musicale sur la fin du monde, que nous allons filmer en Europe cette année. Et, je peux vous le dire, la terre est pleine de graines en train de joyeusement germer et qui verront le jour quand elles seront prêtes.

j’ai rencontré Derek, j’avais pris mes distances avec ce qui m’apparaissait comme suranné et désincarné dans le théâtre. Étant une jeune personne éprise d’un cinéma plus aventureux que la frange populaire de ce qui se faisait à l’époque, j’étais aimantée par l’esthétique qu’il inventait : communicative, lyrique, radicale, érudite, désordonnée, romantique, exubérante, irrévérencieuse, picturale, droite, pleine d’esprit. C’était un cinéma dans lequel je pouvais, grâce à sa générosité et à son élégance, m’abriter, inventer une façon de jouer di érente de ce qui se faisait à l’époque – le rythme et l’énergie forcés du théâtre, le naturalisme planplan de la télévision.

cas que je cite, c’est de trouver comment entrer en harmonie avec le décor, sans détoner ni s’y dissoudre. Au-delà du plaisir évident de se déguiser et de faire rire les gens avec un dentier, je ne peux pas dire que j’aime travailler avec ces « masques » plus qu’avec autre chose, mais j’aime cet e ort d’harmonisation, qui est toujours le même, quel que soit le ténor du film.

Dans votre jeunesse, vous écriviez de la poésie et vous vouliez devenir écrivaine. Qu’avez-vous conservé de ces passions dans votre carrière au cinéma ?

J’écris depuis que je suis enfant, mais il y a eu une longue période où je ne l’ai

« rétrospective Joanna Hogg », du 16 au 20 mars au Centre Pompidou, le 29 mars en salles

• Joanna Hogg. Regard intime sur l’imaginaire, sous la direction de Franck Garbarz (Condor | Carlotta, 208 p., 29,90 €)

février-mars 2023 – no 195 05 L’entretien du mois < Cinéma
« Il n’y a sans doute aucun bout de terrain sur la planète qui ne soit pas visité par des esprits. »
PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ
The Eternal Daughter de Joanna Hogg, Condor (1 h 36), sortie le 22 mars

EN BREF

D’HISTOIRE(S)

DE L’AUTRE ET MOI, ET MOI, ÉMOI ?!!!#

Si les « films souvenirs de jeunesse » apparaissent souvent dans la deuxième partie de carrière des cinéastes, Marjane Satrapi, elle, a décidé de commencer par là pour son premier long métrage, sorti en 2007. Avec Persepolis, elle adapte sa propre bande dessinée, parue entre 2000 et 2003, dans laquelle elle raconte avec humour sa vie, de son enfance en Iran au moment de la révolution jusqu’à son départ en France. Plus largement, Persepolis est autant un film sur une émancipation qu’un portrait historique et intime de l’Iran.

D’UN REGRET

Infos graphiques

« C’est son projet le plus personnel. » Cette formule un peu éculée concorde pourtant parfaitement avec ce que représente The Fabelmans pour Steven Spielberg, en salles le 22 février. Le grand cinéaste du merveilleux n’a jamais autant ouvert la porte de l’intime qu’ici, en s’inspirant de sa jeunesse pour raconter le déclin d’un mariage et le septième art comme catharsis. Car film semi-autobiographique ne veut pas forcément dire film égocentrique. Loin de là. Alors, de quoi parle-t-on lorsque l’on parle de soi ?

S’il n’est pas le premier à le faire, Alfonso Cuarón a sûrement lancé la dernière salve de ce cinéma semi-autobiographique auquel Kenneth Branagh, Paolo Sorrentino ou Joanna Hogg se sont depuis frottés avec talent. En 2018, le cinéaste mexicain sort Roma, dans lequel il revient, avec un noir et blanc somptueux, dans le Mexico de sa jeunesse. Et, si c’est de ses souvenirs qu’il s’inspire, ce n’est pas tant son histoire qu’il raconte que celle de Cleo, la domestique. Un grand film sur la révolution, sur les inégalités, mais aussi sur la maternité.

D’INSP I RATION

Louis Malle aura mis de nombreuses années avant de s’attaquer à ce douloureux souvenir. Celui de voir trois élèves juifs de sa classe, ainsi que le professeur qui les avait cachés, partir sous ses yeux pour les camps de la mort après avoir été dénoncés. Avec Au revoir les enfants (1987), le cinéaste raconte la France occupée du point de vue de l’enfance, et l’incompréhension face à l’arbitraire de la guerre. Et répare, à travers le personnage du petit Julien, ce qu’il n’a pas pu ou su faire : donner son amitié à celui qui était amené à disparaître.

Au début des années 1970, Federico Fellini opère une introspection en trois films dont le plus marquant est peut-être bien le dernier, Amarcord (1974), qui pourrait se traduire par « je me souviens ». Le cinéaste italien, aussi hyperbolique que mélancolique, y revient sur son enfance dans une Italie en plein fascisme triomphant des années 1920-1930. Outre un propos politique fort, Fellini donne la place à la galerie d’excentriques, de la religieuse naine au colporteur mythomane, qui ont influencé, de manière significative, l’ensemble de sa filmographie.

DE SA MÈRE

Quand Spike Lee réalise Crooklyn (1995), sorte d’autobiographie fictive où on le reconnaît parmi les protagonistes à travers le personnage d’un jeune garçon aux lunettes immenses et fan des Knicks, il ne le fait pas seul. Il s’entoure au scénario de sa sœur, Joie Susannah Lee, et de son plus jeune frère, Cinqué Lee. Au final, le cinéaste ne propose pas une série de souvenirs, mais trois, pour raconter la vie, parfois di cile, dans le Brooklyn des années 1970. Et, au passage, déclarer un amour sans faille à sa mère.

no 195 – février-mars 2023 En bref 06
PERRINE QUENNESSON
The Fabelmans de Steven Spielberg, Universal Pictures (2 h 31), sortie le 22 février

Ça tourne

TAYLOR SWIFT

La pop star, qui pulvérise tous les records dans l’industrie musicale, va tourner son premier long, dont on ne sait rien à ce stade – seulement qu’il sera produit par Searchlight Pictures. Mais, si on se fie aux clips qu’elle a réalisés (dont celui de « Bejeweled », avec notre chère Laura Dern), attendez-vous à une mise en scène chic et à un ouragan de sentiments.

ANG LEE

Le prochain film du Taïwanais racontera la vie de son légendaire homonyme Bruce Lee. Ce dernier sera incarné par le fils du réalisateur, Mason Lee. Dans les colonnes du site américain Deadline, Ang Lee (qui avait réalisé en 2000 l’incroyable film d’arts martiaux Tigre et dragon) a joliment esquissé les contours de ce projet : « Considéré ni comme entièrement américain ni comme entièrement chinois, Bruce Lee a créé un pont entre l’Est et l’Ouest […] Je me sens obligé de raconter l’histoire de cet être humain brillant et unique qui recherchait à tout prix une forme d’appartenance. »

YOLANDE ZAUBERMAN

Trois. C’est le nombre de films (La Belle de Gaza, L’Amant palestinien et La Main bleue) sur lesquels travaille la réalisatrice française, qui explore sujets tabous et lieux interdits. Priorité a été donnée à La Belle de Gaza, troisième volet d’une trilogie incluant les puissants docus Would You Have Sex With an Arab? (2012) et M (2019). On a hâte.

MANELE LABIDI

Après le thérapeutique Un divan à Tunis (2020), la cinéaste franco-tunisienne s’apprête à tourner dès le mois de mai Reine mère, avec Camélia Jordana et Sofiane Zermani, sur une famille tunisienne installée en France au début des années 1990. D’après Arte, qui coproduit le film, le récit « utilise la comédie pour parler des questionnements autour de la quête d’identité, des conflits générationnels et du racisme latent en France ». On s’allongera volontiers sur le doux divan de Manele Labidi.

ALAIN GUIRAUDIE

En 2021, le cinéaste français avait publié chez P.O.L son très exaltant roman Rabalaïre – un beau bébé de plus de mille pages qui suivait Jacques, chômeur féru de vélo pris dans des aventures louches, entre Clermont-Ferrand et l’Aveyron. L’année suivante, il signait Viens je t’emmène, grand film sur notre époque paranoïaque qui tissait des liens avec son roman. Avec Miséricorde, dont le tournage débutera en septembre, il s’inspire clairement d’un des épisodes relatés dans son livre. Le synopsis : « Jérémie, un trentenaire, retourne à Saint-Martial […] pour assister aux funérailles d’un vieil ami. Dans ce village plein de non-dits, il va se confronter à la rumeur et aux soupçons, jusqu’à commettre l’irréparable. »

JOSÉPHINE

LEROY

LA COMÉDIE QUI VA VOUS ENCHANTER "

LES INROCKS

DENIS PODALYDÈS de la Comédie-Française

BONNARD

PAOLO MATTEI MICHA LESCOT LAURENT STOCKER PHILIPPE DUCLOS MUSIQUE FEU! CHATTERTON de la Comédie-Française

SCÉNARIO NOÉMIE LVOVSKY FLORENCE SEYVOS MAUD AMELINE AVEC LA PARTICIPATION DE PAOLO MATTEI

LIBREMENT ADAPTÉ DE LA PIÈCE DE THÉÂTRE “LA GRANDE MAGIA” D’EDUARDO DE FILIPPO

ARMELLE DOMINIQUE VALADIÉ CHRISTINE MURILLO CATHERINE HIEGEL LAURENT POITRENAUX ANNE ROTGER ALEXANDRE STEIGER ARTHUR TEBOUL

LE 8 FÉVRIER AU CINÉMA

En bref février-mars 2023 – no 195 07
SERGI LÓPEZ NOÉMIE LVOVSKY JUDITH CHEMLA FRANÇOIS MOREL DAMIEN
REBECCA MARDER UN FILM DE NOÉMIE LVOVSKY
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TITANIC

Lorsqu’on évoque Titanic de James Cameron, qui ressort en salles le 8 février, une réplique surgit : « Je suis le roi du monde ! », hurlée par Leonardo DiCaprio sur la proue du navire. Mais elle fait oublier le cœur battant du film, contenu dans une autre réplique.

« Jack, je veux que tu me dessines comme l’une de tes Françaises. » Cette réplique brûlante est prononcée par Kate Winslet et c’est elle, symboliquement, qui précipitera le « paquebot de rêve » dans les abysses. Car Titanic n’est pas le récit d’un naufrage, mais celui d’une émancipation fiévreuse, le souvenir intime d’une femme, Rose, qui s’est sauvée toute seule alors qu’elle n’était qu’une

jeune femme bien élevée qui « hurlait intérieurement » Titanic est un récit merveilleux, conté par une vieille dame qui se souvient du moment le plus érotique de sa vie comme du point de départ d’une nouvelle existence, créatrice et aventureuse. Dramaturgiquement, le Titanic heurte l’iceberg à la suite de la scène d’amour entre Rose et Jack, comme si les deux événements étaient liés. À peine les jeunes amants rhabillés, le paquebot se met à trembler à son tour. Lui qui symbolisait l’hubris débridée des hommes est sur le point de sombrer, fragilisé symboliquement par la jouissance d’une jeune femme. « Jack, je veux que tu me dessines comme l’une de tes Françaises. » Lorsque Rose prononce cette phrase, c’est une transgression totale pour elle. Elle détache sa chevelure de feu, laisse glisser son peignoir, dévoilant sa nudité à Jack, mais c’est elle qui reste la metteuse en scène de son émancipation tout au long de la scène. « En tant que cliente, je m’attends à obtenir ce que je veux », dit-elle. L’émoi de Leonardo DiCaprio ne sera pas feint, d’autant

que c’était la première scène qu’ils tournaient ensemble. Il en perdit même son texte, médusé par la beauté incandescente de Kate Winslet. S’ensuit l’une des séquences les plus érotiques de l’histoire du cinéma. Pour Rose, le naufrage sera sa chance : lorsqu’elle posera un pied en Amérique, ce sera en femme libre, la trace exhumée de sa main sur la vitre d’une voiture apparaissant comme seul vestige de leur nuit d’amour et de son secret. Cette empreinte de main (en réalité celle de James Cameron) s’est imprimée dans notre mémoire collective, et le réalisateur lui-même s’en est amusé dans un tweet, car il a gardé la voiture, et l’empreinte n’a pas disparu, vingt ans après. Elle forme une sorte de tableau primitif, semblable à ceux des premiers hommes, trace d’une jouissance secrète qui est entrée dans l’histoire du cinéma.

Le cinéaste français Paul Vecchiali, décédé le 17 janvier, dans l’entretien qu’il nous avait accordé en mai dernier pour la sortie de son autobiographie, Le Cinéma français émois et moi (Libre & Solidaire).

À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs).

en blond platine

avec qui vous partez

toujoursen voyage

Un pas un peu lourd dans le couloir, et c’en est fini de votre liberté : vous la sentez rappliquer derrière sa porte et vous observer en silence, avec des bigoudis roses dans les cheveux. Pour lui signifier que vous voyez clair dans son jeu, invitez-la à l’expo « Top Secret. Cinéma et espionnage », qui explore la portée politique des films (La Lettre du Kremlin de John Huston, 1970) et des séries (Le Bureau des légendes) d’espionnage, mais souligne aussi leur puissance romanesque.

« Top secret. Cinéma et espionnage », jusqu’au 21 mai à la Cinémathèque française

Le film de Billy Wilder l’a chamboulé. Après l’avoir vu, il s’est rué sur le roman Blonde de Joyce Carol Oates. Depuis, il fait une fixette sur Marilyn (juste avant, c’était sur Josiane Balasko). O rez-lui le livre Des blondes pour Hollywood du journaliste et écrivain Adrien Gombeaud qui, à travers dix portraits, rend hommage à des actrices (Jayne Mansfield, Mamie Van Doren…) détruites par un système hollywoodien voulant à tout prix créer une nouvelle Marilyn. Fascinant et flippant.

Comme crash test d’une amitié, il n’y a pas mieux qu’un voyage. Avec elle, pas la moindre embrouille à l’horizon – c’est un peu votre âme sœur de vacances. Forcément, on vous conseille le sidérant Gerry de Gus Van Sant, soit la traversée existentielle de deux amis prénommés Gerry (Matt Damon et Casey A eck) dans la vallée de la Mort – un road movie à la beauté stupéfiante. À voir si ça vous inspire pour une prochaine virée…

En bref no 195 – février-mars 2023
À offrir
JOSÉPHINE LEROY La phrase
LILY BLOOM
La sextape
« Faire un film, […] c’est assumer soi-même jusqu’au bout les périples risqués de ses créatures. »
08 P O U R VOTRE
COPAIN,quis’estteint
d e réfl e x i o n
aprèsavoirvu Sept ans
POURCETTEPOTE,
Des blondes pour Hollywood. Marilyn et ses doubles d’Adrien Gombeaud (Capricci, 160 p., 17 €)
P O UR VOTRE VOISINE,quisurveille
Gerry de Gus Van Sant, en Blu-ray (Carlotta, 20 €)
àtraverssonjudas d e po r t e
tous vos faits et gestes
© The Walt Disney Company France

Petit écran SÉRIE

DJANGO

Haletant et bouleversant.

En ressuscitant le personnage éponyme d’ex-militaire vagabond du film de Sergio Corbucci, sorti en 1966, cette coproduction franco-italo-britannique propose une version très contemporaine du western, orchestrant une redistribution des rapports de pouvoir et de genre.

Plus d’une fois, on l’a cru mort. Toujours, il a su se réinventer. Désormais, c’est aussi en séries que le western renoue avec le succès. Récemment, Yellowstone, son prequel 1883 ou encore Outer Range l’ont confirmé. Dernière en date, Django affiche l’ambition de donner un bon coup de polish à ce genre traditionnel. Du film du même nom de Sergio Corbucci, la série garde l’ambiance boueuse et le personnage principal, ancien soldat devenu vagabond (Matthias Schoenaerts, qui porte toute la misère du monde sous son chapeau). Ce Django-là a perdu toute sa famille huit ans plus tôt, mais reste persuadé que sa fille, Sarah, a survécu. Il retrouve sa trace à New Babylon, une ville fondée par John Ellis, esclave a ranchi. Derrière ses murs, on accepte tous les marginaux. Et on se prépare à un a rontement sans merci contre Elizabeth (Noomi Rapace), riche propriétaire terrienne le jour et vengeresse masquée la nuit… Django est une franche réussite dans l’appropriation et la distorsion des codes du western. On retrouve les fusillades, les batailles de saloon et, surtout, cette nécessité viscérale de se battre pour son espace, aussi bien géographique que psychique. Mais, ici, le héros solitaire se révèle lâche, et on apprend qu’accueillir les rebuts de la société dans sa ville ne fait pas de vous un bon samaritain. Comme un pied de nez à un genre éminemment patriarcal, la série pousse les cow-boys à s’interroger sur leur sexualité, tandis qu’Elizabeth est la garante de l’ordre moral réactionnaire. Di cile, d’ailleurs, pour une série coécrite et en grande partie réalisée par des femmes italiennes, de ne pas voir le lien avec l’élection de l’extrême-droitière Giorgia Meloni chez nos voisins transalpins. Preuve que le western a encore des histoires très contemporaines à raconter.

En bref février-mars 2023 – no 195
KARIM LEKLOU SHAÏN BOUMEDINE
UN FILM DE RACHID HAMI
Sélection Offi cielle
8 FÉVRIER AU CINÉMA 09 MARGAUX BARALON à partir du 13 février sur Canal+
L’OBS
LE

Flash-back

UNJOURSANSFIN

La comédie de Harold Ramis fête ses 30 ans et représente, grâce à un concept temporel fort qui épousait les vues de son acteur Bill Murray, une œuvre à la portée philosophique plus savoureuse que jamais.

Sorti aux États-Unis le 12 février 1993, deux jours avant la Saint-Valentin, Un jour sans fin relève de la comédie romantique mais aussi du genre fantastique. On suit l’histoire de Phil Connors (Bill Murray), présentateur météo venu faire son reportage annuel à Punxsutawney, où l’on fête le Jour de la marmotte. Quand Phil se réveille le lendemain, il comprend que tout se produit rigoureusement comme la veille et qu’il est condamné à revivre éternellement la même journée. « Ce film est en soi un conte philosophique, car l’idée de la répétition d’une même séquence temporelle se trouve aussi bien dans la pensée bouddhiste que dans les théories autour de la réincarnation », a rme Yal Sadat, auteur du livre Bill Murray. Commencez sans moi (Capricci, 2020). Si cette situation de répétition permet à Phil d’ap-

Règle de trois 3 personnages de fiction qui vous ressemblent ?

JUDITH CHEMLA

prendre chaque jour à mieux connaître Rita (Andie MacDowell) pour construire une relation amoureuse avec elle, Bill Murray fut moins intéressé par l’aspect sentimental du film que par son soustexte sur la liberté individuelle. « Murray est un lecteur de philosophie française qui, dans les années 1980, a fait une pause dans sa carrière d’acteur pour venir étudier à la Sorbonne. Il s’est intéressé à Jean-Paul Sartre et à Albert Camus, et il voulait qu’Un jour sans fin porte la trace de cet existentialisme. » Le comédien eut ainsi le pouvoir d’orienter le film vers sa propre vision du monde. « Murray se plaint dans la vie d’une a iction qui serait de ne pas réussir à exister pleinement. Ce sentiment d’être prisonnier se ressent totalement dans ce récit où il est littéralement enfermé par une mise en scène qui reproduit sans cesse les mêmes moments, avec la même valeur de cadre. » Réflexion sur la possibilité ou non de s’a ranchir de la lassitude existentielle, Un jour sans fin incarne aujourd’hui une mise en abyme tellement réussie que le film peut se regarder à l’infini.

DAMIEN LEBLANC

La comédienne et soprano, habituée du cinéma indé français (Mikhaël Hers, Mia Hansen-Løve, Stéphane Batut, Michel Leclerc), irradie dans La Grande Magie de Noémie Lvovsky (en salles le 8 février). En décembre, aux Arcs Film Festival, où était présenté le film, elle a répondu à notre questionnaire cinéphile.

Mabel Longhetti dans Une femme sous influence de John Cassavetes [sorti en 1976, ndlr]. La liberté de l’héroïne la renvoie malheureusement à son enfermement et à sa sou rance. Mais sa fantaisie et sa joie de vivre, cette enfance qu’elle cultive et qui déborde – souvent de façon borderline –, m’inspirent beaucoup. C’est fantastique de voir une actrice, en l’occurrence Gena Rowlands, être aussi libre et inventive, dans un endroit de création où elle débranche quelque chose de l’asservissement du quotidien pour le brancher ailleurs. Amélie dans La Grande Magie, une adaptation de la pièce d’Eduardo De Filippo mise en scène par Dan Jemmett à la Comédie-Française. J’avais joué ce rôle – que tient merveilleusement Rebecca Marder dans le film de Noémie Lvovsky –, et c’est l’un des plus beaux que j’ai faits à la Comédie-Française. C’était une petite partition, mais elle m’avait donné la plus grande exaltation dans le partage avec le public ; c’est vraiment tout ce que j’aime, la poésie italienne, baroque, l’esprit de troupe. Thelma et Louise [dans le film du même nom de Ridley Scott, sorti en 1991, ndlr], pour leur irrévérence, cette liberté qui doit transgresser les lois patriarcales et nécrosées pour s’a ranchir de leur joug, c’est quelque chose pour lequel j’espère ne pas avoir à mourir – j’ai plutôt envie de vivre.

3 films dont les airs vous ont transportée ?

Amadeus de Miloš Forman [sorti en 1984, ndlr], un film que j’ai vu très petite et qui me fascinait dans le rapport à la musique qu’il déploie. On entend Mozart composer, on l’écoute entendre la musique qui lui arrive… Cette musique merveilleuse, ces hymnes à la vie, et puis cette tragédie, surgie des entrailles terribles du monde, qui transperce son destin, et qu’il sait transposer en musique. C’est fondateur pour moi. Le Temps des Gitans d’Emir Kusturica [sorti en 1989, ndlr], que j’ai aussi découvert très jeune et que j’ai regardé en boucle. Il convoque tout un univers de beauté, même dans la pauvreté extrême, d’invention et de célébration de la vie, de foisonnement. Et puis Hellzapoppin de H. C. Potter [sorti en 1941, ndlr], une comédie musicale géniale avec des danses endiablées, des chorégraphies folles que j’ai, là encore, vue enfant.

En bref 10 no 195 – février-mars 2023
Illustration : Sun Bai pour TROISCOULEURS © Atelier de production –Les Films du Poisson-Niko Film-Magie Rouge Productions –Arte France Cinéma-Bayerischer Rundfunk-2022

3 films dans lesquels

?

The Tree of Life de Terrence Malick [sorti en 2011, ndlr], pour son rapport sensoriel au monde – il traduit les sentiments que l’on éprouve face à la nature, notre symbiose avec l’univers. On existe autrement face à la montagne par exemple, face aux paysages nus où l’humain n’a rien construit. C’est un cinéaste qui nous transmet un respect du monde, un amour de la vie qui est très important. J’adore Et vogue le navire… de Federico Fellini [sorti en 1984, ndlr], qui conte certes l’histoire d’un navire qui va sombrer, mais où tout est mis en fête, où toute la fantaisie du cinéaste s’exprime. C’est d’ailleurs un film proche du music-hall. Et puis il y a une grande partie de mon cœur et de mon âme dans La Grande Magie de Noémie Lvovsky. C’était très juste dans ma vie à ce moment-là de jouer Marta, de traverser ce qu’elle traverse. Les films sont parfois comme des oracles, et, avec Noémie, c’est souvent le cas : son écriture précède les événements. C’est presque magique parfois, la façon dont la fiction, ce que l’on invente, crée des ponts avec le réel.

Marcelin, pain et vin de Ladislao Vajda [sorti en 1955, ndlr], un film magnifique où un miracle fait irruption dans la vie du tout jeune héros qui a 6 ans et qui a été abandonné bébé.

3 réalisatrices qui vous accompagnent ?

Noémie Lvovsky. Je me sens très proche d’elle, de sa façon de réfléchir, de ce qu’elle propose, des ponts qu’elle fait entre l’imaginaire et le réel. Son univers me parle totalement. Alice Rohrwacher, dont le cinéma est une véritable grâce. Jane Campion, qui raconte si profondément, à travers ses héroïnes, l’immense défi d’inventer son destin de femme.

La Grande Magie de Noémie Lvovsky, Ad Vitam (1 h 43), sortie le 8 février

PROPOS RECUEILLIS

PAR LAURA PERTUY

En bref 11 février-mars 2023 – no 195 ZALFA SEURAT SARAH ADLER SHLOMI ELKABETZ SOFIA ESSAIDI AVISHAI COHEN UN FILM DE MICHALE BOGANIM MOBY DICK FILMS ET LES FILMS DE LA CROISADE PRÉSENTENT AVEC YOUNES BOUAB MAYAANE BOGANIM SERENA MINASSIAN AMIT SHUSHANI TALIA MAIDENBERG NOAM BOUKOBZA SCÉNARIO, ADAPTATION, DIALOGUES MICHALE BOGANIM IMAGE AXEL SCHNEPPAT MONTAGE ANNE WEIL KOTLARSKI DÉCORS MARIOS NEOCLEOUS SON CHRISTOS KYRIACOULLIS BENOIT GARGONNE ADRIAN BAUMEISTER ER ASSISTANT RÉALISATION BENOIT RIVIERE COSTUMES LISA TSOULOUPA MUSIQUE ORIGINALE AVISHAI COHEN PRODUCTEURS EMMANUEL GIRAUD FREDERIC NIEDERMAYER THANASSIS KARATHANOS MARTIN HAMPEL MARIOS PIPERIDES JANINE TEERLING ET MARIE SONNE JENSEN UNE COPRODUCTION MOBY DICK FILMS LES FILMS DE LA CROISADE TWENTY TWENTY VISION ET TB TEL AVIV BEIRUT AVC LTD AVEC LE SOUTIEN DU CENTRE NATIONAL DU CINEMA ET DE L’IMAGE ANIMEE DE L’ANGOA DU MEDIENBOARD BERLIN-BRANDENBURG DU FILMFÖRDERUNGSANSTALT ET DE LA CYPRUS INVESTMENT PROMOTION AGENCY EN ASSOCIATION AVEC CINEMAGE 15 ET CINEVENTURE 6 VENTES INTERNATIONALES WT FILMS DISTRIBUTION FRANCE DULAC DISTRIBUTION ACTUELLEMENT AU CINÉMA
PORTEUSES D’ESPOIR" L’OBS
"
DANS LES RUINES DE LA GUERRE, LES FEMMES
SONT LES SEULES
vous aimeriez vivre
Le film que vous aimez regarder à 3 heures du matin, une nuit d’insomnie ?

Scène culte

THE HOST

DE BONG JOON-HO (2006)

Le film débute comme un thriller environnemental, avec son laboratoire secret et ses produits chimiques ; puis il dévie vers la chronique sociale, avec le suicide d’un PDG ; puis il se change en comédie autour de la truculente famille Park ; et puis le monstre fait son entrée… Si le mélange des genres est l’apanage du cinéma coréen des années 2000, The Host, qui ressort en salles le 8 mars, en est le manifeste le plus survolté.

LA SCÈNE

Employé du snack familial situé au bord de la rivière Han, à Séoul, Park Gang-du (Song Kang-ho) apporte un calamar grillé à un client. Un attroupement se forme: les badauds ont aperçu une forme étrange suspendue sous un pont. « Il y a une bête là-bas », dit l’un. « C’est un élément de construction », dit l’autre. Quelques secondes plus tard, la créature – un mutant aquatique géant –commence à massacrer tout ce qui bouge. Pour les Park, plus rien ne sera comme avant.

En bref 12 no 195 – février-mars 2023

L’ANALYSE DE SCÈNE

Douze minutes. C’est le temps que tient Bong Joon-ho avant de dévoiler sa créature. Pour un film de trouille, c’est peu, connaissant la chute de tension qui survient quand on identifie l’objet de notre peur. Mais, dans le cas de The Host, qui change de registre trois fois par scène, c’est beaucoup. On a déjà eu le temps de s’attacher à la famille Park, en particulier à Park Gang-du, un trentenaire à la masse qui élève seul sa fille. La scène a lieu en pleine journée : un champ-contrechamp alterne entre les badauds interloqués et la bête, que l’on distingue de mieux en mieux. Quand celle-ci plonge dans la rivière, Park Gang-du prend la décision idiote de jeter une canette dans sa direction. Un tentacule émerge pour s’en saisir. Ravis, les clients l’imitent et balancent leur pique-nique – un plan fixe qui s’étire en longueur. Puis le visage de Park Gang-du se fige : sur la rive, le monstre approche à toute vitesse. Propulsée en arrière avec la foule, la caméra se met au rythme du chaos, jusqu’au moment où Hyun-seo, la fille de Gang-du, est emportée au fond de l’eau. Il y aura donc aussi des larmes dans ce film, aussi mutant que la créature qui lui sert de totem.

The Host de Bong Joon-ho, The Jokers / Les Bookmakers (2 h), ressortie le 8 mars

LE 15 FÉVRIER AU CINÉMA

En bref 13 février-mars 2023 – no 195
MICHAËL PATIN
© 2023 MARVEL

LES NOUVEAUX

Avec le road movie francilien Grand Paris, en salles fin mars, l’acteur et cinéaste de 26 ans signe un premier long tendre et frais, qui prend le contre-pied des films de banlieue agressifs ou misérabilistes et dézingue les clichés avec un air de ne pas y toucher. Portrait.

Avec sa polaire rose et son grand sourire, il arrive en retard, se confond en excuses. Il vient de Chelles, dans le 77, où il a grandi – on est dans le XIIe arrondissement parisien, pas la porte à côté. Une ville de banlieue pavillonnaire, « sorte d’entre-deux bizarre », pas du tout cossue mais « sans violence ni barres d’immeubles », que le réalisateur né en 1995 a voulu montrer dans Grand Paris. Un buddy movie drôle, faussement foutraque, dans lequel il incarne Renard, un type peroxydé à l’imagination débordante. Plus raccroché au réel (mais tout aussi marrant), Martin Jauvat s’est mis en tête, après le lycée, de faire une

prépa littéraire à Paris, sans bouger de la maison familiale – les galères de transport de ses héros, il connaît. Une période crevante, où il fumait « v’la les splifs » et venait de se faire larguer. Il s’est sorti de la déprime en écrivant des histoires inspirées de sa vie en banlieue, loin des stéréotypes. Il s’est redirigé vers des facs de ciné et de lettres. D’un mix entre débrouille et bonnes rencontres est née une première réalisation autoproduite, « une cata » qui lui a tout de même permis d’être repéré par la boîte de production Ecce Films et de financer des courts (Mozeb, 2020 ; Le Sang de la veine, 2021). Puis de réaliser ce long métrage, sélectionné à l’ACID en 2022. Cette année, il va tourner Baise en ville, une rom com sur un banlieusard (évidemment) qui, pour aller bosser à Paris, se fait loger chez des filles rencontrées sur des applis. On a hâte, mais on sera comme sur un quai de métro : très patients.

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Dans La Mécanique des fluides (multiprimé au FIFIB et sélectionné au festival du court métrage de Clermont-Ferrand début février), à la poésie post-Internet obsédante, l’artiste radiographie le conformisme des applis de rencontres à travers une lettre bouleversante adressée à un masculiniste suicidaire.

« La solitude, c’est de ne pouvoir la dire. » Ces mots d’Alejandra Pizarnik, sa poétesse préférée, hantent le film de Gala Hernández Perez, qui s’est débattue avec ce sentiment. « J’enchaînais les dates Tinder, c’était une frénésie. » L’artiste et chercheuse, qui vit entre Paris et Berlin, s’enquiert donc d’un interlocuteur masculin pour échanger sur cette solitude connectée.

« En tant que femme hétéro féministe, j’avais l’impression d’avoir perdu toute capacité de dialogue avec les hommes. » Elle tombe alors sur la lettre de suicide d’un incel, un membre d’une communauté d’hommes

En bref 14 no 195 – février-mars 2023
Grand Paris de Martin Jauvat (JHR Films, 1 h 20), sortie le 29 mars JOSÉPHINE LEROY Photographie Julien Liénard pour TROISCOULEURS

GALA HERNÁNDEZ PEREZ

hétéros célibataires qui attribuent le rejet qu’ils subissent aux femmes et se fédèrent sur Internet. « Quand j’ai lu sa lettre, j’ai pleuré. Et ça m’a gênée, parce que j’étais hyper vénère contre les mecs. Mais j’étais comme lui, je désirais être en couple et je n’y arrivais pas. Sauf que, au lieu de désigner le féminisme comme coupable, comme le font les incels, j’en ai trouvé un autre, le capitalisme. » Avec La Mécanique des fluides, son film de thèse (sa recherche porte sur la capture d’écran), la cinéaste part alors dans les limbes d’Internet en quête de ce spectre à qui elle s’adresse. Et elle déconstruit autant les idéologies masculinistes (ce qu’elle poursuivra dans son prochain film, HODL) qu’elle propose une abyssale généalogie de notre société sous algorithmes. Entre navigation erratique dans les tréfonds du YouTube incel et rêves d’inondations en 3D (« Dans le sud de l’Espagne où j’ai passé mon enfance, il ne pleut jamais, mais quand c’est le cas c’est un déluge. »), elle invente une poésie de l’indiscernable aussi puissante que déroutante. Aujourd’hui, elle a e acé toutes les applis de rencontres de son téléphone.

KUPPENHEIM “ UN PORTRAIT DE FEMME DÉLICAT ET PROFOND ” TÉLÉRAMA UN FILM DE MANUELA MARTELLI CINESTACIÓN ET DULAC DISTRIBUTION PRÉSENTENT Création Kévin Rau TROÏKA CHILI 1976 LE 22 MARS AU CINÉMA
ALINE
QUENTIN GROSSET © Mona Grid Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

Tout doux liste

MAURICE LE CHAT FABULEUX [FILM]

Le scénariste de Shrek, Terry Rossio, s’inspire d’un conte des frères Grimm pour imaginer les aventures d’un chat badass aux quenottes bien aiguisées. Avec ses héros qui sortent parfois de leur rôle pour commenter l’action, le film fait sou er un vent de fraîcheur en invitant les enfants à réfléchir aux codes du conte. • CLÉMENCE

DUBRANA ROLIN

Maurice le chat fabuleux de Toby Genkel (KMBO, 1 h 33), sortie le 1er février, dès 6 ans

L’interview

Titina, le dessin animé de Kajsa Næss, raconte l’épopée d’une équipe d’explorateurs accompagnée d’une chienne, Titina, partie en dirigeable découvrir le pôle Nord dans les années 1920. Le comédien Raphaël Personnaz a prêté sa voix au personnage d’Umberto Nobile, un ingénieur italien. Trois élèves en CM1 l’ont rencontré.

Jeanne : Est-ce la première fois que tu doubles un dessin animé ? Non, j’avais déjà interprété le personnage de Weedon Scott pour la version française de Croc-Blanc.

je suis allé en studio enregistrer ma voix. Dans Titina, je prête ma voix à un humain. Si j’avais joué le rôle d’un animal, je me serais entraîné à prendre une voix bizarre.

en Sibérie, il faisait – 46 °C. En sortant de l’avion, j’ai eu la sensation que le froid brûlait mes poumons.

ASTÉRIX ET OBÉLIX. L’EMPIRE DU MILIEU [FILM]

Les célèbres Gaulois partent à la rescousse de l’impératrice de Chine menacée par les Romains… L’Astérix rebooté par Guillaume Canet n’est pas celui qui surpassera le culte Mission Cléopâtre, mais il tire son épingle du jeu grâce à un casting plutôt rusé (Philippe Katerine en Assurancetourix).

Anaïs : Quelles di érences y a-t-il entre jouer un personnage et lui prêter sa voix ? Lorsque tu donnes ta voix à un personnage de dessin animé, le personnage existe déjà physiquement, on voit sa manière de bouger, son débit de parole. C’est donc à moi de m’adapter et de faire en sorte que ma voix colle avec les intentions du dessin et du réalisateur. Quand tu joues un personnage, même s’il y a un scénario, des dialogues écrits, c’est toi qui composes le personnage, tu peux proposer plus de choses au réalisateur.

A. : Comment te prépares-tu au doublage ? Je regarde le dessin animé sans le son, pour ne pas être influencé par les autres interprétations. Pour Titina, j’ai reçu la version norvégienne, une langue que je ne maîtrise pas, mais les intonations auraient pu m’orienter.

J. : Mais il y avait des sous-titres ? Non, j’avais juste un document à part, sur lequel les dialogues étaient écrits. Ensuite,

Miléna : Les autres acteurs étaient avec toi en studio ? Non, mais les autres comédiens francophones avaient enregistré avant moi, donc j’entendais leur voix dans mon casque, ce qui m’a bien facilité les choses.

M. : Quelle scène t’a le plus marqué ? L’atterrissage au pôle Nord est un moment spectaculaire et très émouvant, mais j’aime aussi le tout début du film, quand Umberto Nobile est très vieux et qu’il se remémore cette aventure aux côtés de sa chienne. Je trouve que l’invitation à découvrir son histoire est très délicate.

M. : Tu connaissais l’histoire de Titina ? Pas du tout, c’est une histoire vraie, et je n’en avais jamais entendu parler.

J. : Tu aurais aimé la vivre et partir en dirigeable au pôle Nord avec ton chien ? J’aurais adoré ! Pas toi ?

J. : Si ! En plus j’adore les chiens ! On aurait fait attention au froid, on se serait bien couverts ! J’ai tourné un film

SACRÉES MOMIES [FILM]

Sous les pyramides d’Égypte, les momies mènent une vie tranquille. Quand un archéologue vole une bague leur appartenant, deux d’entre elles se lancent à sa poursuite dans le Londres moderne… Bien ficelé, ce choc des cultures o re de nombreuses situations aussi absurdes que comiques. C. D. R. Sacrées momies de Juan Jesús García Galocha (Warner Bros., 1 h 28), sortie le 8 février, dès 6 ans

Et toujours chez mk2

SÉANCES BOUT’CHOU ET JUNIOR [CINÉMA]

Des séances d’une durée adaptée, avec un volume sonore faible et sans pub, pour les enfants de 2 à 4 ans (Bout’Chou) et à partir de 5 ans (Junior).

samedis et dimanches matin dans les salles mk2, toute la programmation sur mk2.com

La critique de Célestin, 9 ans

DOUNIA ET LA PRINCESSE D’ALEP

SORTIE LE 1ER FÉVRIER

A. : À 9 ans, tu voulais déjà être comédien ? Non, mon truc c’était la musique, je voulais être trompettiste de jazz. En ce moment je me perfectionne au piano, parce que je vais interpréter le rôle du compositeur Maurice Ravel. Je prends deux heures de cours de piano par semaine, et je joue deux heures quotidiennement chez moi.

A. : Comment es-tu devenu comédien ? J’ai commencé les cours de théâtre pour suivre une fille qui me plaisait beaucoup. La prof m’a dit de revenir avec un texte, j’ai choisi Cyrano, et ça a démarré comme ça.

J. : As-tu envie de refaire du doublage ? Oui, et, si un jour, vous faites un dessin animé toutes les trois, j’aimerais beaucoup participer !

Titina de Kajsa Næss, Les Films du Losange (1 h 30), sortie le 8 février

PROPOS RECUEILLIS PAR ANAÏS, JEANNE ET MILÉNA (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE)

« Dounia est une petite fille. Sa mère est morte et son père est emprisonné parce qu’il a dit : “Personne ne devrait être en cage.” Ça se passe en Syrie, un pays avec une culture très vieille : ils ont des objets qui ont 5 200 ans ! La guerre commence, et un missile arrive sur la maison de Dounia. Elle doit partir avec ses grands-parents, à l’aveugle, passer des frontières sans avoir le droit. C’est pas normal ! Si on interdit aux gens de venir, notre pays sera tout seul : les gens qui viennent nous apportent leur culture, par exemple la confiture de rose. Heureusement, Dounia a des graines magiques qui vont l’aider. C’est un film sur la réa-

lité : les enfants seront tristes et voudront les aider. Par exemple, je pourrais accueillir des enfants dans ma chambre pour leur apprendre le français, et on pourrait jouer ensemble. J’ai envie de gueuler sur le président : “Donnez une maison à ces pauvres personnes. Au minimum, donnez des choses pour qu’ils se fassent une maison, du bois par exemple !” »

Dounia et la princesse d’Alep de Marya Zarif et André Kadi, Haut et Court (1 h 12), sortie le 1er février

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

16 no 195 – février-mars 2023 En bref > La page des enfants
Photographie : Ines Ferhat pour TROISCOULEURS
ANAÏS MILÉNA
JEANNE
UN FILM DE FRANCES O’CONNOR
Adapta tion "SOMPTUEUX ET
LE FIGARO
EMMA MACKEY
FLAMBOYANT"
AU CINÉMA LE 15 MARS

Les portraits documentaires de Laura Poitras nous passionnent parce qu’ils allient l’intime à la confrontation directe au pouvoir. Dans l’édifiant Citizenfour, Oscar du meilleur documentaire en 2015, elle filmait le lanceur d’alerte Edward Snowden sur le point de dévoiler le scandale de la surveillance de masse aux États-Unis. Aujourd’hui, avec le tranchant

(Lion d’or au Festival de Venise), elle retrace la vie de la photographe et figure de la contre-culture Nan Goldin et la suit dans son combat pour mettre en lumière les puissants responsables de la crise des opioïdes. Rencontre avec une cinéaste qui, comme celles et ceux qu’elle filme, s’affirme en briseuse de silence.

Dans vos films, vous montrez l’exemple de citoyens qui se réapproprient le pouvoir contre la toute-puissance de grandes institutions, de gouvernements ou d’entreprises dans un idéal de justice et de liberté. Vos films ont-ils vocation à encourager l’activisme ?

Ce n’est pas tant que j’essaie d’appeler d’autres personnes à devenir militants, mais je m’intéresse vraiment aux personnes qui affrontent le pouvoir et qui remportent des victoires. Je veux comprendre qui elles sont, je suis obsédée par leurs histoires. Mais vous avez raison, je pense que leur itinéraire nous éclaire sur la façon dont le changement social peut avoir lieu. Bien sûr, je pense que nous vivons dans un monde rempli d’injustices, de crimes et d’atrocités et que nous devrions les combattre. Donc, si mes films inspirent des gens, c’est très bien, mais ce n’est pas pour ça que je les fais.

Qu’est-ce qui vous fascine dans ces figures d’opposition à l’ordre établi ? Je suis intéressée par les portraits d’individus qui me permettent de produire une critique plus large de la société. À travers celui d’Edward Snowden [dans Citizenfour, sorti en 2015, ndlr], la critique portait sur l’impérialisme américain, sur l’impact des violations extrêmes que se permettent les États-Unis au nom de la lutte contre le terrorisme. Je parle ici de la surveillance de masse [en 2013, Edward Snowden a révélé les abus du système de surveillance orchestré par la National Security Agency (NSA), ndlr], mais aussi des guerres et de l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan. Avec mon portrait de Nan Goldin dans Toute la beauté et le sang versé, il s’agit plutôt d’étudier les défaillances des États-Unis et de leur gouvernement, la faillite de notre système judiciaire, l’incapacité de notre société à protéger ses citoyens. [Avec son collectif PAIN, pour Prescription Addiction Intervention Now, Nan Goldin milite contre les responsables de la crise des opioïdes qui a causé une véritable épidémie de morts par overdose depuis les années 2010. Goldin elle-même a été accro à l’OxyContin, un antidouleur commercialisé depuis 1996 par le laboratoire Purdue Pharma, qui appartient à la famille Sackler. Dans le film, on voit la photographe utiliser sa notoriété pour que le nom de cette famille de grands mécènes de l’art disparaisse des grands musées tels que le Guggenheim à New York ou le Louvre à Paris, ndlr.]

Une question traverse Toute la beauté et le sang versé: comment mettre des images, des mots sur des silences imposés ? Ce sont par exemple les parents de Nan Goldin qui réduisent sa sœur Barbara au silence parce qu’elle est lesbienne et révoltée. C’est aussi la censure du texte très politique de l’artiste David Wojnarowicz qui préface l’exposition montée par Goldin, « Témoins : contre notre disparition », en 1989, un inventaire en photos de ses amis artistes morts ou malades du sida. Défaire ces silences, c’est aussi ce qui vous meut en tant que cinéaste ?

Oui, particulièrement avec ce film-là. Il s’agit de renverser la table, comme le fait Nan avec son art. Elle y met en avant des gens que la société a choisi de réduire au silence. Le film parle beaucoup d’art et de survie, pour Nan en tant qu’artiste, mais aussi pour les personnes qu’elle expose. J’accompagne cette recherche : comment trouver, imposer sa voix ? David Wojnarowicz [artiste gay protéiforme et militant emblématique du New York des années 1980, mort du sida en 1992, ndlr] est pour moi une grande source d’inspiration. Il pose cette question dans le film : n’est-ce pas étonnant qu’un seul texte [«Postcards from America: X-rays from hell», ndlr] puisse générer autant de controverse ? N’est-ce pas la preuve qu’il y a une faille dans le système ? En tant que cinéaste, je veux comprendre quelles sont ces fissures, et comment on peut s’y glisser pour changer la société.

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET Illustration : Anna Parraguette pour TROISCOULEURS

Chacune à leur manière, la documentariste Laura Poitras et la photographe Nan Goldin œuvrent pour révéler au monde les dessous les plus controversés des États-Unis. Pas étonnant qu’elles rassemblent aujourd’hui leurs forces pour Tout la beauté et le sang versé.

LAURA POITRAS

MY COUNTRY, MY COUNTRY (2006)

Laura Poitras s’est rendue pendant huit mois en Irak pour documenter la vie d’habitants sous l’occupation et dénoncer les excès de la guerre antiterroriste. Ce film lui a valu d’être placée sur la liste de surveillance du département de la Sécurité intérieure et d’être arrêtée plus de quarante fois à la frontière des États-Unis.

THE OATH (2010)

Dans ce documentaire tourné au Yémen et à Guantanamo, elle raconte le destin de deux hommes autrefois liés à Al-Qaida : Abou Jandal, ancien garde du corps d’Oussama Ben Laden, et Salim Hamdan, prisonnier à Guantanamo et premier homme confronté aux commissions militaires controversées créées par George W. Bush.

CITIZENFOUR (2015)

Début 2013, le désormais célèbre Edward Snowden avait contacté Poitras via des courriels cryptés, lui annonçant qu’il détenait des informations confidentielles sur la NSA et son système de surveillance généralisée. Avec le journaliste Glenn Greenwald, la cinéaste l’a filmé dans sa chambre d’hôtel à Hong Kong, pendant huit mois. Un film au retentissement mondial, qui avait reçu l’Oscar du meilleur documentaire.

NAN GOLDIN

1964: Nan Goldin a 11 ans lorsque sa sœur, Barbara, se suicide. Lesbienne, trop révoltée, Barbara est envoyée par leurs parents de pensionnat en clinique psychiatrique, ces derniers faisant passer sa mort pour un accident. Quatre ans après, Nan commence la photo, engagée dans une quête de vérité.

1979-1995: À New York, la photographe élabore son œuvre la plus emblématique, The Ballad of Sexual Dependency, un diaporama autobiographique qui documente l’intimité de l’underground, dont certains membres se consument dans la drogue et se voient décimés par le sida, et dans lequel elle brise le tabou de la violence domestique en exposant ses blessures après qu’elle a été battue par son compagnon de l’époque.

2014: Touchée par une tendinite, Nan Goldin se voit prescrire de l’OxyContin, un antidouleur qui crée chez elle une addiction. Par la suite, elle crée le collectif PAIN et dénonce la responsabilité de la famille Sackler dans la crise des opioïdes.

J. L. et Q. G.

PORTE-VOIX
8 Nan Goldin, Nan in the Bathroom with Roommate, Boston Courtesy of Nan Goldin 1 Courtesy Max Mueller 9 Nan Goldin, Nan and Barbara Holding Hands Courtesy of Nan Goldin 2 Nan Goldin, Nan and Brian in Bed New York City, 1983 Courtesy of Nan Goldin 3 Nan Goldin, Buzz and Nan at the Afterhours, New York City, 1980 Courtesy of Nan Goldin 4 5 6 7 8 Photogrammes de Toute la beauté et le sang versé
WILD SIDE Création Benjamin Seznec / TROÏKA
MIRKO GIANINNI
UN FILM DE DAVID DEPESSEVILLE TAMARA FILMS ET MICRO CLIMAT PRÉSENTENT AU CINÉMA LE
9
JEHNNY BETH BASTIEN BOUILLON
8 FÉVRIER

FAMILLE RECOMPOSÉE

LÉONOR SERRAILLE

Avec Un petit frère, Léonor

Serraille signe un sublime récit d’apprentissage, d’enracinement et de sacrifices à trois voix. L’histoire, sur trente ans, d’une jeune femme, Rose, et de ses deux garçons, arrivés d’Afrique subsaharienne en France à la fin des années 1980. Leurs prénoms – Rose, Jean, Ernest – forment les trois chapitres d’un film dont l’ampleur romanesque et tragique nous a submergés.

Quelle est la première image qui vous est venue pour ce film ?

Un avion qui traverse le ciel. C’est une image de scénario, c’est-à-dire que ce n’est pas forcément une image qui est restée. Mais c’est l’idée d’un voyage, de traverser le temps, de changer d’espace. Et c’est aussi le son d’un souvenir d’enfant. Un bruit d’avion qui décolle et qui atterrit, quand on est tout petit et qu’on arrive dans un pays qui n’est pas le nôtre, qu’est-ce que cela représente ?

Rose et Paula, l’héroïne de votre premier long métrage, Jeune femme, sont toutes les deux face à une page blanche, à un moment de leur vie où tout est à recommencer. En quoi est-ce intéressant, scénaristiquement ?

C’est riche en rebondissements, ça permet la complexité. Beaucoup de choses sont possibles, le personnage peut chuter, monter, réussir. Peut-être que le point commun de Rose avec Paula, c’est aussi qu’elle est complexe, qu’elle n’est pas monochrome. Mais elle peut avoir une certaine opacité, elle verbalise moins les choses que Paula. C’est quelqu’un qui agit. Ce n’est pas un personnage de mère courage à idolâtrer. Je la vois comme une héroïne insoumise.

Rose se découvre en même temps que nous la découvrons, et elle prend sa liberté à bras-le-corps.

La liberté de Rose, c’est sa façon à elle d’embrasser la France. Quand elle arrive elle est mère, elle a été mère très tôt, donc elle est dans un retard d’apprentissage. Le film est presque un roman d’apprentissage de chacun des personnages. Rose a envie de vivre et de ressentir très fort les choses. La liberté, elle en a une envie très forte pour ses enfants et pour elle, et je pense que c’est une valeur tellement importante qu’elle est prête à beaucoup de sou rance pour ça.

Rose arrive en France avec deux de ses enfants, qui ont 5 et 10 ans au début du film. Qu’aviez-vous envie de dire sur la maternité ?

Ce qui m’intéresse, c’est le regard de chacun : de l’enfant puis de l’adolescent sur la mère, et de la mère sur l’enfant, y compris quand Rose ne regarde plus ses fils et pense à ce qui est important pour elle. Quand on est petit, on fusionne avec son parent, on aime tout ce qu’il fait. Après, on change, et il y a des choses qui se révèlent, qui ne sont pas forcément simples. Rose, elle charge

ses enfants d’un devoir de réussite. Elle les emmène en France, elle compte beaucoup sur l’école, et elle attend beaucoup d’eux. Peut-être qu’elle en demande trop. De ça, en tant que parent, on ne se rend pas forcément compte. En écrivant le personnage, j’étais sans cesse en train de me poser des questions sur moi comme maman, avec mes deux enfants que j’ai eus de manière assez rapprochée, comment j’allais à la fois vouloir les pousser dans la vie et en même temps ne pas les emmener dans des endroits où ils ne veulent pas aller. Des questions vraiment banales de parents, mais qui prennent beaucoup d’ampleur quand on les vit.

On ne connaît presque rien du passé de cette famille. Pourquoi ?

Je crois que j’avais besoin que cette famille soit singulière, ancrée dans un itinéraire concret : venir d’un pays, s’installer en France, devenir française. Mais ce qui comptait, c’était que n’importe quelle famille puisse s’y retrouver aussi. Il y avait plus d’informations sur eux dans le scénario, mais au montage c’est parti, car je voulais que ça ne nous parasite pas. Je voulais qu’on puisse se projeter, qu’on soit une mère avant d’être une migrante, par

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« La liberté de Rose, c’est sa façon à elle d’embrasser la France. »

exemple. Il se trouve que c’est cette trajectoire-là, parce que c’est cette famille-là que je connais – la Côte d’Ivoire, c’est le pays où est né mon compagnon, qui m’a donné totale carte blanche pour raconter cette histoire. Mais je n’ai pas de message ou de discours sur les personnes venant d’Afrique subsaharienne. Ça m’intéresse, parce que ça raconte un enracinement à la France, ça me raconte mon pays, et j’ai l’impression qu’on ne me raconte jamais cette histoire-là.

C’est en e et un parcours familial banal, mais pas au cinéma. Vous êtes-vous appuyée sur des œuvres existantes pour construire le récit ?

Pas vraiment. Stéphane Bak [qui joue Jean à 19 ans, ndlr] était très en demande de voir des films. J’ai répondu à toutes ses demandes, je lui ai donné des livres à lire et des films à voir, mais qui ne parlaient pas de ce sujet-là – des films de John Cassavetes, des romans d’adolescence. À ma chef-opératrice, j’ai parlé d’un seul film, qui est comme le mien en trois parties : Un ange à ma table de Jane Campion. L’image est magnifique, et j’avais envie de ça, d’o rir à ces personnages un écrin romanesque. Puisque cette histoire n’avait pas été racontée, autant y aller avec beauté, avec du sou e, de la couleur, de la douceur, de la luminosité. Je n’aurais pas pu filmer ces personnages comme Jeune femme, en caméra épaule tout le temps. Il fallait trouver un rythme, des mouvements, des travellings, des cadres plus posés aussi, j’ai eu beaucoup de plaisir à expérimenter tout ça. Comme si on voulait mettre un petit roman en plus dans la bibliothèque, avec la sensation que c’étaient des grands personnages. D’ailleurs, je me suis rendu compte après coup que les comédiens que j’avais choisis étaient tous très grands. Peut-être qu’inconsciemment il fallait des grandes figures, des modèles, des repères. Il y a une phrase de mon compagnon que je n’ai pas oubliée : « Je n’ai jamais lu de roman quand j’étais ado dans lequel je pouvais reconnaître ce que moi je vivais. » Je trouvais ça important, qu’on puisse être un adolescent de 14 ans, né en Afrique subsaharienne, être français et voir un film qui nous donne le droit d’être représenté. Bien sûr c’est une interprétation, la mienne, c’est un regard.

Le film débute à la fin des années 1980. Comment avez-vous abordé la reconstitution historique ?

Avec un peu d’inquiétude au début. Avec la costumière Isabelle Pannetier et la chefdécoratrice Marion Burger, on voulait que cette reconstitution de l’époque soit comme une interprétation d’Ernest, le petit frère, ses souvenirs. C’est très réaliste, mais il fallait que ce soit un peu comme un album photo. Ce qui me faisait peur avec le film d’époque, c’est le manque de liberté, on ne pouvait pas faire de plan volé dans la rue comme je l’avais fait pour Jeune femme – d’un coup, on suivait le personnage dans le métro et tout était possible. Mais l’équipe était formidable et m’a proposé beaucoup de choses.

Rose est un personnage très ouvert à la rencontre, au hasard. Vous êtes comme ça, vous aussi ?

Ah oui. Je pense que c’est la seule raison pour laquelle je fais un film plutôt que d’écrire un roman. J’adore écrire l’histoire

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27 février-mars 2023 – no 195

pendant un, deux ans. Être seule, dans ma bulle. Mais j’aime le moment où chacun s’empare du scénario. C’est une écriture en groupe, et je trouve ça merveilleux. Je suis vraiment à la recherche de lâcher-prise, donc de suspense. On peut tout changer jusqu’à la dernière minute. Il y a des scènes que je n’aurais jamais imaginé faire comme ça, vraiment. Je trouve ça bouleversant. C’est riche parce qu’on ne s’ennuie jamais.

Par exemple ?

Dans la mise en scène, on a fait des choses di érentes parce qu’on tournait avec des enfants. J’avais très peur qu’ils récitent un texte, donc je ne leur donnais pas de texte, mais du coup je les mettais en situation documentaire, on les filmait parfois pendant des prises de vingt minutes. J’ai trouvé ça merveilleux. C’est quelque chose que je n’ai pas eu le temps de faire sur Jeune femme. Il faut du temps pour enchaîner trois prises de vingt minutes.

Question budget, c’était un tournage très di érent de Jeune femme ?

Bien sûr, ce n’était pas du tout la même façon de travailler. On a eu 3,8 millions d’euros je crois, alors que, pour Jeune femme, c’était 700 000 euros. Ça a permis d’avoir

ce confort de temps, de préparation, on a pu faire un casting long, avoir des personnes extrêmement chevronnées à leur poste. Ça veut dire aussi qu’en matière de filmage on peut tester des choses. J’ai l’impression que j’ai pu apprendre à faire un film avec celui-là.

Dans le chapitre consacré à Jean, le fils aîné, on le retrouve âgé de 19 ans. La mise en scène fait la part belle à ses instants d’errance, de flottement. C’est un jeune homme qui est dans un état proche de la dépression ?

Oui, je pense que c’est le mot. C’est à la fois un état de spleen propre à l’adolescence, que n’importe quel adolescent peut vivre. Mais lui a aussi été ballotté à deux endroits : il est arrivé d’Afrique subsaharienne pour s’installer en banlieue parisienne, il s’enracine un peu, puis il déménage encore pour s’installer dans le centre-ville de Rouen, dans un lycée bourgeois réputé, le lycée Pierre-Corneille. Il est en prépa, il faut qu’il réussisse. Mais je crois qu’il n’a pas les codes. Je veux dire qu’on peut être brillant mais rater le concours de l’ENA parce qu’on n’a pas les codes. En même temps, il y a chez lui une mélancolie qui court peut-être de génération en génération dans cette fa-

mille. Est-ce qu’il a eu le temps d’imaginer sa vie ? Est-ce qu’il n’est pas trop chargé par sa mère ?

À un moment, Jean demande à sa copine : « Mais tu attends quoi de la vie ? » On sent qu’elle ne s’est jamais posé la question, mais surtout que lui n’a pas cette légèreté. Absolument. C’est peut-être la phrase la plus importante du film pour moi. C’est une question que mon compagnon m’a souvent posée, et je disais : mais pourquoi tu te la poses autant, cette question ? Ben parce que

retraite, mais il a travaillé toute sa vie dans un centre d’accueil et d’hébergement pour femmes isolées. Et il est poète. J’ai fait des études littéraires et je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Je me suis aperçue que je ne voulais pas être prof de lettres, mais que j’aimais les histoires, les personnages. J’ai entendu parler de La Fémis quand j’étais à la Sorbonne et je me suis dit que le métier de scénariste pourrait m’intéresser. J’ai raté le concours une première fois, je l’ai repassé et je l’ai eu. Ensuite, à La Fémis, je me suis rendu compte que je n’avais pas

ça ne va pas de soi. C’est une question que Jean se pose énormément. C’est aussi que sa mère, elle fend la glace, elle avance. Et je trouve que, des fois, il y a des choses qui ne se transmettent pas de parent à enfant ; c’est étonnant. On n’hérite pas forcément de ce qu’on voudrait. Jean a une sensibilité forte, mais il n’a pas les mêmes armes que sa mère. C’est ça qui me touchait, il se pose des questions, il veut y arriver, mais il est comme un bateau un peu lourd, il perd pied. On lui demande de réussir, de tout réussir. Moi, cette question de devoir réussir parce qu’il le faut, je ne suis pas chargée de ça. Mes parents m’ont juste dit de faire mes études, d’essayer de faire un truc de ma vie. Pour Jean, ce n’est pas pareil, il faut être irréprochable, il faut réussir, il ne faut pas décevoir, et tu as de la chance d’être ici. Est-ce que c’est un cadeau ou est-ce que c’est un boulet ? Je ne sais pas. Je me pose la question, mais je pense que ce n’est pas si simple, parce que ça veut dire porter des questionnements qui ne sont pas les nôtres, alors que porter ses propres questionnements c’est déjà énorme.

Comment avez-vous trouvé le titre de votre film, Un petit frère ? Quand j’ai écrit le troisième et dernier chapitre, celui consacré à Ernest [le plus jeune frère, devenu adulte dans le troisième chapitre et interprété par Ahmed Sylla, ndlr]. Le film montre une famille, mais on pourrait dire aussi que le film raconte comment il devient cette personne, qu’est-ce qui fait qu’il arrive là, qu’il est qui il est. C’était un peu comme mon premier film : ça veut dire quoi, être une jeune femme ? Ça veut dire quoi, être un petit frère ? Et aussi un homme de 30 ans, qui a sa place, dans son pays, qui travaille, mais qui a aussi quelque chose qui est derrière lui et qui l’habite comme un fantôme ?

Comment est né votre intérêt pour le cinéma ? Vous avez grandi dans quel genre de famille ?

Ma maman est comédienne de théâtre, lyonnaise, et mon papa est éducateur. Il est à la

seulement envie d’écrire, j’avais besoin d’aller jusqu’au bout de l’aventure.

Vos films s’intéressent à des personnages modestes, sous-représentés. D’où vient votre engagement ?

Je ne sais pas si je me sens engagée. Je me sens avec une responsabilité de raconter des choses qui ne sont pas racontées, et c’est tout. Parce qu’en vrai je trouve que j’ai une vie où je manque totalement d’engagement, surtout depuis que je suis maman. J’ai l’impression d’avoir passé beaucoup de temps à faire mes études, mes projets, mais de ne pas avoir su trouver l’axe pour me positionner politiquement ou m’engager. Peut-être qu’en faisant ce film il y avait un rattrapage, une envie de faire honneur à une mère, à une travailleuse de première ligne [le personnage de Rose travaille comme femme de chambre dans un hôtel, ndlr], à des personnes qui sont une force de notre pays, mais qui sont en permanence dénigrées. Le montage du film s’est fait pendant la campagne présidentielle de 2022, et c’était très perturbant parce que j’avais l’impression d’entendre en permanence aux infos l’inverse de ce que j’essayais de montrer. Donc, forcément, ça donne un peu de colère, parce que c’est terriblement déprimant, cette façon de toujours rejeter les dysfonctionnements d’un pays sur la figure du bouc émissaire, de l’autre, de l’étranger, des musulmans… J’avais l’impression qu’on ne parlait pas du pays dans lequel je vis.

Un petit frère de Léonor Serraille, Diaphana (1 h 56), sortie le 1er février

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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« Je me sens avec une responsabilité de raconter des choses qui ne sont pas racontées, et c’est tout. »
1 2 3 2 3 Annabelle Lengronne dans Un petit frère © Blue Monday Productions – France 3 Cinéma Photogramme d’Un petit frère © Blue Monday Productions – France 3 Cinéma Léonor Serraille © Julien Liénard pour TROISCOULEURS

POUR UNE EXTRAORDINAIRE AVENTURE POLAIRE !

Avec la voix deRAPHAËL PERSONNAZ

UN FILM DE KAJSA NÆSS EMBARQUEZ
AU CINÉMA LE 8 FÉVRIER MIKROFILM ET VIVI FILM PRÉSENTENT Les Films du Losange / www.filmsdulosange.com

L’AURORE DÉVOILÉE

AURORE CLÉMENT

Complice de Chantal Akerman à la vie comme à l’écran, dirigée par Claude Chabrol ou Wim Wenders qui lui confièrent des rôles évanescents, la comédienne de 77 ans est aussi une amoureuse des mots.

À l’occasion de la parution du livre Une femme sans fin s’enfuit, conçu avec Mathieu

Terence et Peter Wyss à partir d’une séance photo réalisée en 1972, cette grande actrice se confie.

« Je serais tellement contente que cet article ne soit pas “un portrait d’Aurore” ! Parlez de mes copains, ils sont toujours mis à l’arrière. » Aurore Clément déteste les confessions narcissiques, les regards en arrière sur sa carrière. Elle en a assez d’évoquer ses souvenirs de tournage avec Louis Malle, qui l’a révélée en 1974 dans Lacombe Lucien. Ou encore son amitié avec Francis Ford Coppola, rencontré sur le tournage chaotique d’Apocalypse Now aux Philippines, et qui lui a présenté le chef-décorateur Dean Tavoularis, devenu son mari. Au Royal Monceau, palace parisien où on la retrouve, elle est venue avec ses carnets de notes, et l’exemplaire original d’Une femme sans fin s’enfuit, bien décidée à nous parler de ce livre d’art paru chez The(M) Éditions. On y découvre des clichés en noir et blanc pris par le photographe suisse allemand Peter Wyss en 1972, où se devine la silhouette à contre-jour d’Aurore Clément, à l’époque mannequin. Cadrages serrés sur les détails d’un corps dénudé, regard embué de larmes : ces clichés esquissent la naissance d’une actrice pétrie de doutes, mais pleine

de détermination. Un poème en prose de l’écrivain Mathieu Terence vient éclairer les mystères de ces photographies longtemps restées invisibles. La comédienne, discrète et pudique, a accepté de nous parler de cet « objet de compagnie » qui en dit long sur sa généreuse vision de l’amitié.

connus à Paris, bien avant qu’il devienne un prestigieux photographe pour Nikon. À l’époque, je débutais comme cover-girl [à la vingtaine, Aurore Clément quitte sa ville natale, Soissons, pour tenter sa chance dans le mannequinat, ndlr]. Trois modèles ne me quittaient pas : Marlene Dietrich,

Les photographies d’Une femme sans fin s’enfuit sont signées Peter Wyss. Que représente-t-il pour vous ?

Si je n’avais pas rencontré Peter Wyss, je ne sais pas ce que je serais devenue. Il est comme un frère poète pour moi. On s’est

Greta Garbo et Ingrid Bergman. Je m’inventais des visages à travers leur posture, leurs habits. Avec les clichés que Peter a faits de moi, j’ai réalisé un book qui ne ressemblait à aucun autre. Je suis allée frapper dans les agences de mannequinat. On m’a dit :

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« Sans le savoir, j’étais déjà apprentie comédienne avec ces photos. »
© Peter Wyss

« Personne ne vous prendra. » Mais tout le monde m’a prise. Grâce à Peter, à la beauté si singulière du regard qu’il avait posé sur moi. Il avait saisi quelque chose d’invisible. Après, j’ai posé pour Vogue, mais Peter est resté mon préféré.

Que s’est-il noué entre vous durant cette fameuse séance photo ?

Une grande profondeur. Quelque chose qui ne passe pas par le langage, ne cherche pas à résoudre par les mots un secret qui, de toute façon, ne doit pas être percé. Il ne faut pas se laisser berner par la nature de ces photos : on ne s’amusait pas, on travaillait. Lui, il cherchait à peaufiner son art. Moi, je cherchais peut-être à savoir qui j’étais. La séance a duré quinze minutes, entre 8 heures et 8 h 15. C’était fulgurant. Il faisait froid. Je sortais de la douche, j’avais mis une serviette sur ma tête. Peter a dit :

« Ne bouge pas. » J’étais en train de pleurer. Il a capté cette petite larme, sans la relever. Récemment, il m’a dit : « Aurore, je n’ai jamais compris pourquoi tu pleurais. » J’ai répondu : « Même si je le savais, je ne le dirais pas. »

Alors, cette jeune femme de 27 ans, à quoi pense-t-elle à ce moment-là ?

(Elle tourne les pages du livre.) Il y a une douleur. Mais je n’ose pas trop en parler. Elle est liée à la perte d’êtres chers [elle a perdu son père à l’âge de 17 ans, et, quelques années après, sa sœur puis sa mère, ndlr]. Je venais d’arriver à Paris après avoir travaillé à l’usine, je n’en parlais à personne. C’était une époque de grande liberté où tout le monde s’amusait. Moi, j’étais là sans être là : une femme sans fin s’enfuit, comme le beau titre du livre… Peter a saisi cette rage. Je vois un a ront dans ce regard, la colère de la mort. J’y vois aussi les germes d’une vocation. Je me souviens m’être dit, à cet instant crucial : « Je ne vais pas pouvoir continuer à être mannequin toute ma vie. » Il n’était pas question que je ne survive pas. Quand on a perdu sa famille, en général, on veut vivre. Sans le savoir, j’étais déjà apprentie comédienne avec ces photos. Quand Louis Malle m’a confié mon premier rôle dans Lacombe Lucien, deux ans plus tard [ce film, dans lequel elle joue une jeune femme juive, dans la France occupée de 1944, est sorti en 1974, ndlr], je me suis dit : « Plus aucune photo de moi ne sortira. Mais elles auront servi à me conduire au cinéma. »

Vous parlez de vous à la troisième personne en regardant ces images, comme s’il s’agissait d’une autre. Pourquoi ? C’est un personnage, une héroïne de roman. Entre elle et moi, il y a le trouble de l’écriture de Mathieu Terence. Sinon, on serait dans la platitude autobiographique. Mathieu Terence l’écrit magnifiquement dans le livre : « Le malentendu vient parfois parce que l’on est compris en ce que l’on ignore de soi. » Moi, Aurore, je suis aussi une autre qui invite à partager l’écriture éblouissante de Mathieu Terrence et la tendresse des photos de Peter Wyss. Cela a peut-être à voir, aussi, avec un narcissisme auquel je veux échapper. C’est compliqué de parler de soi. Ce n’est pas parce que je suis comédienne que je dois me complaire dans cet exercice réflexif. Que les gens vous regardent, c’est déjà pas mal.

Le Retour des Hirondelles

©CARACTÈRESCREDITS NON CONTRACTUELS Un film de Li Ruijun AU CINEMA LE 8 FEVRIER L’entretien face caméra < Cinéma
31 février-mars 2023 – no 195

Cette pudeur vous a-t-elle permis de conserver une liberté dans votre travail d’actrice ?

Oui, il y a une liberté. En même temps, la liberté, c’est toujours plus difficile que ce que l’on pense. Je songe à Jean-Paul Sartre dans L’Être et le Néant [paru en 1943, ndlr] :

« L’homme, étant condamné à être libre, porte le poids du monde sur ses épaules. » Le libre arbitre fait peur, car il nous rend responsables de nos choix. En même temps, ça me plaît, d’avoir peur, quand on me demande de tourner dans un film par exemple.

était pour moi un petit plan-séquence de film muet. L’écrivain est comme un monteur au cinéma. Ce livre, c’est le cinéma en gestation, l’histoire d’une personne qui se meut au contact d’un regard extérieur.

Le livre raconte aussi l’histoire d’une disparition, et, en creux, d’une femme qui veut se soustraire au regard des autres. Ce livre m’a réconciliée. Je le dis sans prétention : il m’a donné le droit d’être, même si je ne l’ai pas fait pour ça. Mais c’est vrai que, chez Peter Wyss, il y a aussi un travail

éclat. Mathieu Terence par exemple. Il va en avant, il ne se retourne pas dans son écriture. Le contraire du maniériste. Je le vois comme une voiture qui fonce sur la route. Si vous passez à côté, tant pis. Puis il y a ma passion de toujours : Paul Éluard. C’est vif, fragmenté, sublime, ça parle d’amour tout le temps ! Il faudrait que je vous amène chez moi, qu’on déterre les livres derrière mes meubles. J’adore aussi Henri Michaux ; et Roland Barthes bien sûr, Fragments d’un discours amoureux. Parfois, je vais voir M. Freud (rires) ; ou M me Lou Andreas-Salomé [une des premières femmes psychanalystes, proche de Nietzsche et de Rainer Maria Rilke, ndlr]. Je tape à leur porte : « Vous ne voudriez pas me prendre en séance ? »

Vous avez tourné six fois avec Chantal Akerman, des Rendez-vous d’Anna (1978) à Demain on déménage (2004). Qu’est-ce qui vous lie à elle ?

Quelle est l’aventure collective derrière ce livre ?

Mathieu Terence dit que c’est un peu l’histoire de Jules et Jim [film de François Truffaut sorti en 1962, variation autour d’un triangle amoureux, ndlr]. Lui et Peter Wyss sont inséparables, même s’ils ne se connaissent pas. Ils sont liés par cet objet. Marie Sepchat, mon éditrice, est le troisième personnage. Ce livre est une histoire de coups de foudre. Lorsque Peter m’a confié les photographies reliées de cette séance dans un petit livre noir, il y a plus de trente ans, j’en ai fait mon objet de compagnie.

J’ai voyagé avec ce secret, personne ne l’a vu. Un jour, j’ai rencontré Mathieu pour un autre projet. Sa bienveillance m’a poussée à lui confier l’objet. Il a donné forme à ce qui

dramaturgique autour du voile, de la distance. Cette femme est nue ; en même temps elle met sa tête entre ses mains pour ne pas être vue. Peter a conservé sa pudeur grâce à des contre-jours. Regardez les poses, les angles de prise de vue, la façon dont le corps est logé dans l’ombre, le regard porté vers le hors-champ. Il y a un e et d’étrangeté très cinématographique. Je ne me vois pas, je vois une âme qui se promène. En tant qu’actrice, on peut souvent désirer se soustraire à la lumière alors qu’on est en plein dedans.

Vous êtes une grande lectrice. Quels écrivains vous accompagnent ?

Le Clézio, Pascal Quignard, Stendhal. J’aime ceux qui vont vers la brièveté, qui disent beaucoup en peu de mots, comme un

C’est drôle que vous parliez de Chantal Akerman. Quand je regarde ce livre, je vois presque Jeanne Dielman [personnage de son film de 1976 Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, joué par Delphine Seyrig, ndlr]. Cette fixité, ce quotidien sans fioritures. Je vois aussi la Roxanne d’ Apocalypse Now [dans le film de Coppola sorti en 1979, l’actrice interprète la veuve d’un soldat, et fume avec Martin Sheen de l’opium dans une scène irréelle, ndlr]. C’est un fantôme, elle est morte intérieurement. Décidément, que de réminiscences dans ces photos… Mais revenons à Akerman. (Elle sort de son portefeuille un texte imprimé sur un bout de papier, qu’elle lit.) « Chacun a sa vie. Surtout quand on est loin. Et même quand on est près […] On dit aussi à bientôt à ceux qui sont loin au téléphone, mais on sait qu’on

ne se verra pas bientôt. » C’est un extrait de son livre Une famille à Bruxelles [publié en 1998, ndlr]. Chantal et moi avons vécu le déracinement. Physique bien sûr, mais pas seulement. J’ai quitté la France pour vivre par intermittence à Los Angeles, ville de la solitude, du bout du monde. Il y a le Pacifique, et après plus rien [à cette période d’allers-retours entre les États-Unis et la France, elle tourne notamment dans Les Bonnes Nouvelles d’Elio Petri, Le Livre de Marie d’Anne-Marie Miéville , Paris, Texas de Wim Wenders, ndlr]. Mais je parle d’un autre déracinement, d’un exil intérieur. C’est pour ça que c’était si évident entre Chantal et moi. Par contre, quand la caméra démarrait, l’amitié, c’était fini. On travaillait. Que du sérieux. Avant de retourner boire un coup, de manger, de rigoler. Parce que qu’est-ce qu’elle rigolait ! Chantal me disait tout le temps : « Pas de psychologie, Aurore, pas de psychologie. » D’où le faux premier degré de son cinéma. J’ai revu une copie restaurée de Toute une nuit [sorti en 1982, ndlr] à la Cinémathèque. C’est un chefd’œuvre. Ces gens qui traversent la nuit, se séparent, se retrouvent…

Une femme sans fin s’enfuit. Aurore Clément de Mathieu Terence (texte) et Peter Wyss (photos), (the(M) Éditions, 84 p., 130 €)

Cinéma > L’entretien face caméra
« Chantal Akerman et moi avons vécu l’exil intérieur, le déracinement. »
PROPOS RECUEILLIS PAR LÉA ANDRE-SARREAU
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© Peter Wyss © Peter Wyss © Peter Wyss

LUMINEUX

UNE FABLE ADMIRABLE

TOUT QUITTER POUR ENFIN VIVRE LA MONTAGNE

THOMAS SALVADOR LOUISE BOURGOIN

UN FILM DE THOMAS SALVADOR

ACTUELLEMENT AU CINÉMA

LE MONDE
LIBÉRATION
CHRISTMAS IN JULY PRÉSENTE PRIX SACD

CLÉMENT COGITORE

Dans l’obsédant Goutte d’or (lire p. 56), Clément Cogitore (Ni le ciel ni la terre, Les Indes galantes ) se faufile dans les artères des quartiers populaires du XVIIIe arrondissement parisien pour capter leur côté multidimensionnel : bouillonnants, vivants, parfois violents. Et en faire le terreau fertile d’une histoire aussi captivante qu’elliptique. Celle de Ramsès (incroyable Karim Leklou), un voyant rusé qui met au point des techniques très modernes pour faire croire à ses clients qu’il communique avec l’au-delà, et qui va, à la suite de sa rencontre avec des jeunes venus de Tanger, se faire prendre à son propre jeu de divination. Fascinés par

l’atmosphère unique qui se dégage de ce film qui tire vers le clair-obscur, dans lequel rôdent fantômes imaginaires et vrais disparus, on a demandé à Clément Cogitore de nous envoyer des documents de préparation et des images de tournage – des visuels de décors qui témoignent aussi d’inévitables mutations. Visite guidée.

34 no 195 – février-mars 2023 Cinéma > Portfolio
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JOSÉPHINE LEROY

Le décor du chantier Photographie de tournage (© Laurent Le Crabe) et photographie de repérage (© Chloé Cambournac)

« Il s’agit de l’équipe au travail, et un chantier sur lequel Ramsès va retrouver un corps, sans pouvoir l’expliquer. Ça va être une espèce de trou noir au milieu du film. C’est un décor qui est arrivé très vite dans le scénario, scénario que j’ai mis du temps à écrire – j’ai commencé en 2016. Je ne suis pas parisien [il est né à Colmar et vit désormais à Berlin, ndlr], mais j’ai très longtemps vécu dans le XVIIIe. C’est par cette porte que je suis entré dans Paris, sans jamais vraiment m’en éloigner. Pour tourner ces scènes, j’avais envisagé la porte de Clignancourt, mais les chantiers du Grand Paris avaient commencé. On a fini par tourner à porte de la Chapelle. On est quasiment sous le périphérique, et il y a cette sensation de Paris qui serait comme un château fort. Comme si on était aux pieds des murailles. Tous ces espaces de la ceinture parisienne changent radicalement. Les lieux qu’on a filmés – les jardins ouvriers, les vieux immeubles, les arrière-cours – sont en train de disparaître, d’être rasés, pour construire des grands ensembles, des piscines pour les Jeux olympiques… Il y a quelque chose

de très brutal là-dedans. J’avais en tête les premiers films de Pier Paolo Pasolini comme Accattone ou Mamma Roma, qui montrent la transformation de la métropole. J’ai voulu saisir cette énergie-là. »

Le décor de la salle de consultation Photographie de tournage (© Laurent Le Crabe) et croquis (© Chloé Cambournac)

« C’est une image de tournage, et un dessin de préparation conçu par la talentueuse décoratrice du film, Chloé Cambournac. C’est le seul décor qui n’est pas parisien. On l’a trouvé à Bordeaux, dans un immeuble assez délabré. Une des idées de ce décor de salle de consultation, c’était d’avoir quelque chose de très dénudé, presque austère, qui ne soit pas du tout dans le folklore, où n’importe qui pouvait entrer, sans être impressionné par des grigris ou des signes religieux, culturels. Ramsès, c’est un médium qui court-circuite toute cette dimension religieuse que peut porter un référent – un voyant, un prêtre, un imam… C’est un intermédiaire entre les vivants et les morts. On voulait aussi que l’endroit ne soit illuminé que par des bougies. Avoir quelque chose de plus propice à la méditation qu’à la prière dans une église. »

DU 17 AU 21

FÉVRIER 2023

DEUXIÈME ÉDITION

FESTIVAL EVERYBODY

SPECTACLES, COURS & ATELIERS, DÉBATS, ART CONTEMPORAIN…

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FESTIVAL SUR LE CORPS CONTEMPORAIN

WWW.LECARREAUDUTEMPLE.EU

35 février-mars 2023 – no 195
Conception
KIBLIND •
©
Lova Lova
graphique
Photo
Collectif
Portfolio < Cinéma
© Bridgeman Images
© Shawn McBride
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Les acteurs interprétant les jeunes venus de Tanger

Photographie de tournage (© Laurent Le Crabe)

« J’ai découvert l’histoire de ceux qu’on appelle les “mineurs isolés” [des jeunes de moins de 18 ans qui n’ont pas la nationalité française et qui sont séparés de leurs représentants légaux sur le sol français, ndlr] dans la presse. Je crois que c’était pendant l’été 2016. Ils sont entrés dans le scénario comme par effraction. Un peu comme dans le film, quand ils débarquent dans l’appartement de Ramsès en montant sur un échafaudage et en cassant les vitres de fenêtres. Mais ceux qui ont fait d’eux le portrait le plus juste, le plus humain, ce sont les éducateurs. Personne n’avait réussi auparavant à aider ces gamins, qui n’avaient pas causé de blessé grave ou de mort, mais dont les agressions étaient inhabituelles parce qu’elles dépassaient le cadre des violences engendrées par des bandes rivales ou des trafics. Ils pouvaient s’en prendre à des personnes pour des montres, des colliers, et juste après ramasser une dame tombée de vélo ou faire des blagues. Comme eux, Ramsès est très peu entouré dans sa vie, et il se retrouve face à ces jeunes qui sont totalement déliés, qui n’ont aucun lien avec personne. J’ai senti qu’ils apparaissaient face à Ramsès comme une forme d’antagonisme : les inconsolables face au grand consolateur. »

Barbès Photographie de tournage (© Laurent Le Crabe)

« On est au cœur du réacteur. Tourner à Barbès, c’était un sacré défi. J’ai tourné mes précédents films dans des grands espaces : Ni le ciel ni la terre, c’était au fin fond de l’Atlas marocain ; Braguino, en Sibérie. Et dans des circonstances un peu compliquées, à cause des conditions naturelles ou géopolitiques. En fait, Barbès n’échappe pas vraiment à la règle, dans le sens où c’est un quartier qui demande beaucoup. Très vite, dès les premiers essais, il y a eu des gars qui nous arrêtaient pour s’imposer devant la caméra… Un flic a même mis Karim [Leklou, ndlr] sur le côté et l’a fouillé. On a passé les deux ou trois mois suivants à parler et à travailler avec les bandes du quartier, les associations, le commissariat, les commerçants, les vendeurs à la sauvette… On s’est tous un peu apprivoisés. Et c’est quelque chose que j’aime vraiment, cette manière, proche du documentaire, sans grosse machinerie, de composer pas à pas avec la personnalité du quartier. »

Goutte d’or de Clément Cogitore, Diaphana (1 h 38), sortie le 1er mars

Cinéma > Portfolio
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LES PREMIÈRES AMOURS NE S’OUBLIENT JAMAIS

GUILLAUME DE TONQUÉDEC

UN FILM DE OLIVIER PEYON

D'APRÈS LE ROMAN DE PHILIPPE BESSON

D’APRÈS LE ROMAN DE PHILIPPE BESSON AU CINÉMA LE 22 FÉVRIER

VICTOR BELMONDO
GUILAINE LONDEZ JERÉMY GILLET JULIEN DE SAINT JEAN SCÉNARIO OLIVIER PEYON AVEC VINCENT POYMIRO ARTHUR CAHN CÉCILIA ROUAUD
PUBLIÉ AUX ÉDITIONS JULLIARD TS Productions présente PRODUIT PAR ANTHONY DONCQUE MILÉNA POYLO & GILLES SACUTO MUSIQUE THYLACINE & BRAVINSAN IMAGE MARTIN RIT MONTAGE DAMIEN MAESTRAGGI CASTING BRIGITTE MOIDON - ARDA BEATRIZ COUTROT SON OLIVIER DANDRÉ JOCELYN ROBERT NATHALIE VIDAL DÉCORS CLÉMENCE NEY COSTUMES ORIOL NOGUES 1ER ASSISTANT RÉALISATEUR VICTOR BAUSSONNIE - ARA SCRIPTE ALICE MAUREL DIRECTION DE PRODUCTION JULIEN AUER RÉGIE GÉNÉRALE JÉRÔME PINOT DIRECTION DE POST-PRODUCTION DELPHINE PASSANT UNE PRODUCTION TS PRODUCTIONS AVEC LA PARTICIPATION DE CANAL+ CINÉ+ ET TV5MONDE AVEC LE SOUTIEN DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE DE LA RÉGION NOUVELLE-AQUITAINE ET DU DÉPARTEMENT DE LA CHARENTE DANS LE CADRE DU PÔLE IMAGE MAGELIS EN PARTENARIAT AVEC LE CNC ET ACCOMPAGNÉ PAR VENTES INTERNATIONALES BE FOR FILMS PHOTOS MICHAEL CROTTO

JEANNE MOREAU

En quelques années, celle qui a joué chez Louis Malle, Jacques Demy ou François Truffaut a incarné le mythe de la femme fatale, insaisissable, au cinéma. La ressortie des films qu’elle a réalisés dans les années 1970 et 1980 (Lumière, L’Adolescente et Lillian Gish) montre un autre visage de l’actrice, chanteuse et donc réalisatrice, qui s’est éteinte en 2017. « Lumière » sur l’autre Jeanne Moreau.

Dans le confort voluptueux de draps blancs, une femme et un homme s’embrassent. Ce dernier disparaît dans un hors-champ, tandis que la caméra se focalise sur le visage de la brune au cou habillé d’un collier de perles, puis se déplace et se resserre sur sa main, prise dans un très bref mais intense moment de tension puis de relâchement – sa jouissance. Cette représentation à peine voilée d’un cunnilingus dans Les Amants de Louis Malle a été décrite par François Truffaut comme « la première scène d’amour du cinéma français ». À sa sortie en 1958, le film fait scandale, aussi bien dans l’Hexagone que lors de sa distribution aux États-Unis – la Cour suprême ira même jusqu’à définir ce qu’est la pornographie à partir de cet exemple. Cette séquence dit tout de l’audace de Jeanne Moreau qui, approchant les

30 ans, n’était alors qu’une actrice débutante. Plus de soixante ans plus tard, on trouve sur Internet une série d’articles sur la vie sentimentale de celle qui a joué au trouple dans Jules et Jim de Tru aut (1962) ou a incarné une joueuse de casino invétérée laissant miroiter une grande romance à un jeune amant fragile dans La Baie des Anges de Jacques Demy (1963). Pierre Cardin, William Friedkin, Louis Malle, Jean-Louis Trintignant, Georges Moustaki… La longue liste de ses aventures sentimentales alimente sa réputation de grande séductrice. Ce qui revient aussi dans les recherches, c’est son refus de se ranger sous l’étiquette « féministe » (elle avait pourtant défendu le droit à l’avortement ou pris, vers la fin de sa vie, la défense des Pussy Riot, ce groupe de punk féministe russe dont des membres avaient été emprisonnées). Les trois films qu’elle a réalisés, et qui ressortent en salles, viennent contrer cette image de femme peu engagée, toujours plantée du côté des hommes.

PARTIE DE CAMPAGNE

« Tout le monde a envie de se tirer au soleil », lance l’une des héroïnes de Lumière. Dans ce premier long métrage sorti en 1976, Jeanne Moreau raconte l’amitié de quatre comédiennes (jouées par Lucia Bosè, Francine Racette, Caroline Cartier et la réalisatrice elle-même). Au début du film, elles sont réunies dans une belle maison de campagne ensoleillée, autour d’une piscine, d’un bon déjeuner ou – formidable scène – au fil d’un lent travelling nocturne qui parcourt horizontalement, et de l’extérieur, la maison. À travers les vitres, on les aperçoit se balader librement d’une pièce à une autre. De jour comme de nuit, elles papotent, se remémorent leurs premières expériences amoureuses, avant qu’un flash-back ne nous ramène en ville où tout se complique dans leur vie. C’est encore par un déplacement de la ville à la campagne que Jeanne Moreau se plaît à libérer la parole et l’expérience féminine dans L’Adolescente (1979). Elle se place du point de vue d’une jeune Parisienne qui, à l’été 1939, juste avant que n’éclate la

Seconde Guerre mondiale, rend visite à sa grand-mère (Simone Signoret) avec ses parents, en Auvergne. C’est un été crucial, celui du passage de la paix à la guerre, mais aussi de l’enfance à l’adolescence. Un âge de bascule qui brasse découverte de l’amour, de la mort ; et de la puberté aussi, montrée ouvertement, notamment dans cette scène où, honteuse d’avoir ses règles alors que l’homme sur lequel elle fantasme est face à elle, la jeune héroïne frondeuse balance son vélo sur le bas-côté, lui demande de partir et essuie le sang coulant dans son entrejambe avec des feuilles. La campagne, c’est ce territoire où tout lâche, où l’on ne contrôle plus rien. Un monde sauvage que Jeanne Moreau a ectionnait. Au début des années 1960, elle a acheté une maison à La Garde-Freinet, dans le massif des Maures – son repère. À l’été 1970, le cinéaste Guy Gilles, son ami (et pendant un temps amant), qui la fera jouer en 1974 dans son très beau Le Jardin qui bascule, l’avait filmée dans ce cadre luxuriant, pour réaliser le reportage Jeanne raconte Jeanne. « J’ai beaucoup vécu à la campagne. La nature est une présence constante et chaleureuse », lui confie-t-elle, enchaînant les clopes à un rythme d’usine. Elle tenait sûrement cet amour de la nature de son père, Anatole-Désiré Moreau, qui avait quitté son Allier natal dans les années 1920 pour s’installer à Paris, où il tenait le bistrot La Cloche d’Or. Il y a rencontré Kathleen Buckley, la mère de Jeanne Moreau,

38 no 195 – février-mars 2023 Cinéma > Histoires du cinéma
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GRAND PARTENAIRE

une danseuse anglaise qui faisait partie de la troupe des Tiller Girls. Dans un portrait que lui avait consacré Libération en 1994, l’actrice disait : « En 1975, à la mort de mon père, c’est comme si l’autorité m’était revenue. J’avais sans doute une image du père très forte alors qu’il était plutôt angoissé et vulnérable. À partir de ce jour-là, j’ai assumé la part virile de moi-même. » Paradoxalement, on a l’impression que cette période de deuil – qui coïncide donc avec sa lancée dans la réalisation – révèle une douceur qu’on ne lui connaissait pas.

BEAUX MIROIRS

À l’écran, le regard de Jeanne Moreau surprend souvent par son côté impassible, sévère. Ses trois films, au contraire, dégagent une empathie qu’on n’avait jusqu’ici pas soupçonnée. Dans son troisième et dernier film comme réalisatrice, Lillian Gish (1984), tourné à New York, elle tire un portrait plein d’admiration de « l’enfant délicate du cinéma muet ». Les deux femmes reviennent sur l’incroyable carrière de Gish, qui a commencé à tourner enfant, avant d’être engagée par le grand démiurge D. W. Gri th (Naissance d’une nation en 1915 – le premier blockbuster de l’histoire, mais aussi un film révisionniste et ouvertement raciste, glorifiant la ségrégation, ce dont elles parlent brièvement –, ou Les Deux Orphelines en 1921). C’est aussi, en creux, un portrait de Jeanne Moreau elle-même : lorsqu’elle demande à Gish quel est le don qu’elle transmettrait à un enfant, cette dernière lui répond du tac au tac : « La curiosité ! » On pourrait dire que c’est aussi le maître mot de la carrière de Moreau qui, on ne le sait peut-être pas assez, a toujours été tournée vers la jeunesse – elle a notamment fondé en 2005 les Ateliers d’Angers, un rendez-vous du festival Premiers plans pour promouvoir les premiers films de jeunes cinéastes européens ; a légué son héritage à une association pour l’enfance et la culture…

L’idée d’un passage de flambeau traverse les trois films qu’elle a réalisés, autant que sa vie. On aurait bien aimé voir davantage Jeanne Moreau cinéaste – entre autres projets, elle avait pensé à l’adaptation d’un livre de Joyce Carol Oates, Solstice, mais ne se sentait pas de taille. On est sûrs qu’elle aurait fait des merveilles.

17 > 24 MARS 2023

FESTIVAL INTERNATIONAL LILLE | HAUTS-DE-FRANCE GRATUIT

retour en Lituanie, quand, près de vingt-cinq ans après les avoir quittés, il retrouve sa mère et sa famille. C’est un film qui fait éprouver la fuite du temps. Mekas capture ces retrouvailles dans des scènes de vie très simples, sa mère

AVANT-PREMIÈRES MASTERCLASSES SÉRIES CULTES CONFÉRENCES

SOIRÉES & DJ SETS EXPOSITIONS ATELIERS

pense à une interview qu’on avait faite avec lui en 2012 ; il nous confiait : « Aujourd’hui, je suis ailleurs. Penser en termes d’“immigrant” ou d’“émigrant”

39 février-mars 2023 – no 195 Histoires du cinéma < Cinéma
JOSÉPHINE LEROY Lillian Gish, 1983 © Fonds Jeanne Moreau pour le théâtre, le cinéma et l’enfance. Tous droits réservés Jeanne Moreau dans Lumière, 1976 © Fonds Jeanne Moreau pour le théâtre, le cinéma et l’enfance. Tous droits réservés Lumière, 1976 © Fonds Jeanne Moreau pour le théâtre, le cinéma et l’enfance. Tous droits réservés 1 3 2 Lumière, L’Adolescente et Lillian Gish de Jeanne Moreau (Carlotta, 1 h 42 ; 1 h 34 ; 59 min)

LES BRAS DÉLIÉS

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur.

Ce mois-ci : des bras libérés d’eux-mêmes dans Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino.

Soudain de nouveaux bras lui poussent, à la place des siens. Des bras pour rien, pour les regarder, pour le plaisir d’avoir des bras : des bras qui flottent, ondoient, font la toupie, s’étirent et puis reviennent comme un yoyo. Et qu’il regarde avec stupéfaction comme si c’était ceux d’un autre. Voilà ce qu’il advient de Cli Booth quand monte en son grand corps stoïque l’e et du LSD : d’autres bras

que d’habitude. Car d’habitude ces bras sont sages, sages exactement comme Brandy, la chienne de Cli qui regarde son maître se griser de ses gestes neufs et en paraît ellemême bien étonnée. La cigarette mouillée d’acide, achetée à une jeune hippie, libère les bras de Cli de leur discipline qui est celle d’un autre âge. Dans Once Upon a Time… in Hollywood, Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) n’est pas le seul, en e et, à porter le deuil d’une époque révolue. Cli (Brad Pitt), qui lui est fidèle en toutes choses, l’accompagne aussi en cela : voilà deux corps anachroniques. Mais le deuil pointe, pour chacun, vers une époque di érente. La carrière que Rick n’a pas su avoir est celle d’un acteur hollywoodien des années 1950 : l’âge des corps bavards, shakespeariens, électriques, trempés d’émotions et de gestes en trop – celui de l’Actors Studio. Le charisme de Cli puise à une source plus ancienne, et plus tranquille, qui vit des cascadeurs comme lui promis à prendre le devant de la scène : Gary Cooper par exemple, l’empereur de ce « strong, silent type » pleuré par Tony Soprano dans une série elle-même en deuil. Charisme des gestes économes, forts et silencieux. Autorité sereine des bras, qui n’existent nulle part entre la fonctionnalité pure (faire le coup de poing, étreindre une femme, éventuellement réparer une antenne) et le repos, tant il leur

est inutile de jouer. C’est la clé de ce flegme érotique qui fut le blason d’un âge d’or (pour Hollywood, pour une idée révolue de la masculinité), et dont Brad Pitt retrouve malicieusement l’essence en en faisant le moins possible et en ralentissant le moindre geste : si le corps est spectaculaire en toutes occasions (réparer une antenne), c’est qu’il n’est jamais suspect de vouloir faire spectacle – la nonchalance est son luxe, gagné dans la pleine assurance de sa maîtrise. Face à Bruce Lee qui gesticule,

lui une belle occasion de se déprendre de soi. Pour Rick, l’acteur qui se regarde trop, l’épiphanie (superbe et largement commentée) a lieu à la toute fin du film. Un passage s’ouvre vers l’Olympe là où il n’y avait depuis le début qu’un cul-de-sac : timide comme un enfant, l’acteur has been grimpe modestement le reste de colline qui mène chez « le réalisateur de Rosemary’s Baby ». Pour Cli , le cascadeur qui ne se regarde pas, un gag sorti d’une goutte de LSD (imagine-t-on John Wayne

La cigarette mouillée d’acide libère les bras de Cli de leur discipline.

face aux hippies fébriles, Cli oppose son flegme comme un gag sensuel. Et avec Rick, bien sûr, il est à ce titre la moitié d’un duo rigoureusement burlesque – retenue contre dépense, maîtrise contre inquiétude, modestie suave contre orgueil moite. Or, de même que Rick n’est pas le seul à être frappé d’anachronisme, le film réserve à Cli autant qu’à

défoncé à l’acide ?), et quelques secondes de liberté conquises sur une vie de maîtrise virile, en regardant ses bras faire spectacle, pour une fois, et rien que pour lui.

40 no 195 – février-mars 2023 Cinéma > Microscope
JÉRÔME MOMCILOVIC
© D. R. © D. R. © D. R. © D. R.

SYNDICALISTE LA

GRÉGORY GADEBOIS

FRANÇOIS-XAVIER DEMAISON

ET

PIERRE DELADONCHAMPS

MARINA FOÏS AVEC LA PARTICIPATION DE

SCÉNARIO

YVAN ATTAL

JEAN-PAUL SALOMÉ & FADETTE DROUARD

ADAPTÉ DE L’OUVRAGE « LA SYNDICALISTE » DE PHOTO GUY FERRANDIS

AU CINÉMA LE 1ER MARS

GILLES COHEN

ISABELLE HUPPERT
UN FILM DE JEAN-PAUL SALOMÉ
ALEXANDRA MARIA LARA LE BUREAU PRÉSENTE
CAROLINE MICHEL-AGUIRRE - ÉDITIONS STOCK, 2019

LE GUIDE DES SORTIES CINÉMA PAR

Steven Spielberg, qui fêtera ses 77 ans cette année, ose enfin s’engager dans un film qui le hante depuis la fin des années 1990 : un film sur sa découverte du cinéma, mais aussi sur les joies et les drames d’une enfance qui a nourri son œuvre monumentale.

THE FABELMANS

Il serait tentant de réduire The Fabelmans à un projet égocentrique. Et pour cause : cette fable relève, pour Spielberg, d’un désir de sublimer sa propre naissance artistique, d’« imprimer la légende » comme le dit Ransom Stoddard dans L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford, film dont l’a che est mise en avant dans un final réjouissant qu’il serait criminel de révéler ici. Seulement voilà : The Fabelmans peint un portrait trop nuancé du jeune Spielberg et des siens, réserve trop de parts d’ombre et de questions laissées en suspens pour que cet expédient critique ne soit pleinement satisfaisant. La raison d’être première de The Fabelmans est tout entière contenue dans son récit : filmer des histoires de transmission pour mieux partager son

amour du cinéma. En racontant ses parents, Steven Spielberg explore les deux moteurs de son œuvre : l’instinct émotionnel d’une sensibilité exacerbée de sa mère et le pragmatisme cartésien de son père. Deux énergies a priori aux antipodes et instigatrices de conflits (The Fabelmans est aussi le récit du divorce de ses parents) que le jeune homme tente de comprendre et de (ré)concilier dans sa passion pour le cinéma. Comme E. T. recollant des jouets cassés pour rejoindre les siens ou Indiana Jones rassemblant des artefacts antédiluviens pour réveiller les mythes endormis, Spielberg réunit ses souvenirs épars pour rappeler d’où il vient et nous faire comprendre qui il est. The Fabelmans est tru é de références à sa foisonnante œuvre

passée, faisant de ce film à la fois un legs et une clé. Quand bien même on souhaite au cinéaste de poursuivre son œuvre le plus longtemps possible, et avec la vigueur dont il a fait preuve dans ses dernières réalisations, force est de constater qu’il y a quelque chose de l’œuvre testament dans ce film tour à tour poignant et exaltant.

42 no 195 – février-mars 2023 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars
SORTIE LE 22 FÉVRIER
JULIEN DUPUY
The Fabelmans de Steven Spielberg, Universal Pictures (2 h 31), sortie le 22 février

PAR

Sous ce titre mystérieux se cache le premier film très prometteur de David Depesseville. Il y ausculte le parcours d’un orphelin placé, dans une France rurale qui évoque les maîtres naturalistes, et pose un regard primitif sur l’enfance.

À une époque indéterminée, un visage d’enfant traîne sa rancœur entre granges et bestiaux. C’est celui de Samuel, jeune orphelin placé chez une nourrice (Jehnny Beth), son mari (Bastien Bouillon) et leurs deux enfants. Le magnétique Mirko Giannini prête ses traits marqués, d’une troublante maturité, à ce héros qui semble sur la crête entre deux âges, au point que la futilité de l’enfance lui est souvent refusée, court-circuitée par un monde adulte en proie aux violences de tout ordre. Si l’on pense au Maurice Pialat de L’Enfance nue (1969) ou de La Maison des bois (1971), c’est

ASTRAKAN

peut-être moins pour les thématiques communes – la jeunesse chahutée, les familles d’accueil – que pour une certaine vision du cinéma. Soit un moyen de renouer avec une forme primitive, de revenir au langage brut qu’est celui de l’enfance. D’où l’aspect sensoriel d’Astrakan, et ce jusqu’à son beau titre, qui se soustrait aux attendus du « film social » pour explorer le monde à travers les yeux du farouche Samuel. C’est qu’il s’agit bien d’une exploration, d’une aventure buissonnière rythmée par les saisons.

La gravité du sujet est comme tempérée par l’échappée enfantine, dans laquelle les sens sont en éveil : on batifole dans l’herbe et les étangs, on touche, on goûte, on se fait mal. Et puis on voit des choses, de celles qui ne sont pas pour les enfants.

Fidèle à son point de vue, le film n’explique rien ; il montre. Astrakan saisit quelque chose de cette cruelle beauté de l’enfance : Samuel y ouvre des tiroirs, y pousse des portes qui donnent sur un inconnu tantôt fascinant, tantôt monstrueux. Image corroborée par un remarquable travail sonore, puisque certaines conversations s’écoutent parfois par bribes. Si Samuel est un enfant, il voit et il entend tout ; y compris la mé-

fiance dont il fait l’objet, mais aussi l’argent qu’il rapporte et qui vient corrompre les liens avec sa famille nécessiteuse. La lucidité précoce du héros, chez lui source de mutisme et de noirceur, ancre subtilement le film dans une réalité qui n’absente jamais la rudesse de la condition paysanne. Attentif au réel, le cinéaste s’attarde délicatement sur les rituels de la vie à la ferme et les rassemblements à l’église, sublimés à la façon des peintres naturalistes. Il en va ainsi de la rigueur de ses cadres, du grain de sa pellicule ou encore des apparitions spectrales de Lisa Heredia, qui fut la muse de Jean-Claude Brisseau, et Paul Blain, fils de l’acteur et réalisateur Gérard Blain. Belle manière d’annoncer sous quels auspices David Depesseville est né en cinéma.

Astrakan de David Depesseville, New Story (1 h 44), sortie le 8 février

Trois questions

Les premiers films sont souvent personnels. À quel endroit celui-ci l’est-il pour vous ?

Le film n’est pas autobiographique, mais il a été tourné dans mon Morvan natal. J’ai été imprégné par la culture de cette région, où il y a beaucoup d’enfants placés. Au-delà de mes souvenirs, j’ai voulu retranscrire de pures sensations liées à l’enfance. J’en ai ainsi tiré des éléments de microfiction, en opposition à une dramatisation plus classique des choses.

Quel rôle vos influences ontelles joué dans la conception d’Astrakan ?

L’Enfance nue de Maurice Pialat, Mes petites amoureuses de Jean Eustache, les films de Robert Bresson et de Gérard Blain m’ont influencé. J’y retrouve cette économie de moyens et cette rigueur

À DAVID DEPESSEVILLE

dans le découpage, mais je considère moins les influences comme une fin que comme un dialogue avec l’histoire du cinéma. Lorsque je cite une scène de Mes petites amoureuses, je la poursuis là où Eustache s’était arrêté.

Comment avez-vous abordé la direction de si jeunes acteurs ? Ils n’avaient jamais tourné, mais je n’ai pas eu de méthode si ce n’est l’intuition. Je suis parti de ce qu’ils sont : de leur physique, de leur posture, de leur énergie. C’est ce que j’ai trouvé chez Mirko, qui joue Samuel : une compréhension physique du jeu. Je l’ai filmé en amont dans son quotidien, et notre complicité l’a même amené à faire d’intelligentes propositions sur le tournage.

44 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
SORTIE LE 8 FÉVRIER
Crédits non contractuels Création Benjamin Seznec TROÏKA
FILM DE KIRILL SEREBRENNIKOV
UN
PAR LE RÉALISATEUR DE LETO ET LA FIÈVRE DE PETROV
ALENA MIKHAILOVA ODIN LUND BIRON
CINÉMA LE 15 FÉVRIER
POSITIF
PORTRAIT VIBRANT ” LE POINT
” TÉLÉRAMA
PARIS MATCH
PAR LE RÉALISATEUR DE LETO ET LA FIÈVRE DE PETROV
AU
“MAGISTRAL”
“UN
“MAGNIFIQUE
“UNE MISE EN SCÈNE VIRTUOSE”

LA FEMME DE TCHAÏKOVSKI

En éclairant le destin d’Antonina Miliukova, jeune femme qui épousa le compositeur Piotr Tchaïkovski avant de connaître de longues années de souffrance, Kirill Serebrennikov dresse un cinglant portrait de la Russie du XIX siècle sur fond de sacrifice féminin.

Remarqué ces dernières années avec les tourbillonnants Leto et La Fièvre de Petrov, Kirill Serebrennikov se frotte pour la première fois au prestigieux XIXe siècle russe, dont il choisit d’éclairer un fragment que l’histoire o cielle a laissé dans l’obscurité. Narrant le

AFTERSUN

Narrant une relation père-fille à rebours, exhumée vingt ans plus tard grâce aux images d’un caméscope de vacances, le premier long métrage de la trentenaire écossaise Charlotte Wells fait montre d’une ampleur esthétique et émotionnelle renversante.

Sous ses airs d’objet arty taillé pour choyer l’authenticité de certains artifices (personnages parfois absents ou à moitié sortis du champ, tremblements en vue subjective quand la gamine tient la caméra), Aftersun déborde de grâce et d’une maîtrise insolente. Le scénario rétréci au lavage, la brièveté des flash-forward et l’absence de réponse claire sur le devenir du père, la façon qu’a Charlotte Wells de filmer de manière plus classique une grande partie des séquences, comme si le caméscope du début n’était qu’une projection de l’esprit… Mal-

gré l’inertie des événements, soit quelques jours d’indolence aux abords d’un hôtel ensoleillé en Turquie à la fin des années 1990, la mise en scène et le récit cultivent un dynamisme indéniable. Une réussite qui tient bien sûr à la vitalité des échanges entre Sophie (Frankie Corio), 11 ans, et son jeune père, Calum, aux airs d’adulescent (Paul Mescal, repéré dans Normal People), tantôt lumineux, tantôt brisé de l’intérieur. Mais l’éclat de ce coming-of-age movie, sa beauté intranquille, doit aussi beaucoup à son caractère inéluctable. Plus qu’un parfum de fin de vacances, Aftersun saisit l’e ondrement d’un monde lié à l’enfance. C’est la matière même du souvenir qui nous fuit et nous brûle les yeux.

Aftersun de Charlotte Wells, Condor (1 h 42), sortie le 1er février

destin tragique d’Antonina Miliukova, apprentie pianiste qui épousa en 1877 le compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovski et éprouva pour lui un amour non réciproque, le cinéaste dépeint une existence pleine de frustrations et de sacrifices. Si l’illustre musicien, qui accepta ce mariage pour cacher son homosexualité, se voit ici observé de loin, Antonina (jouée par Alyona Mikhailova) habite tous les plans et comble sa solitude en tentant de faire bonne figure au milieu d’une société froide et hypocrite. Le cinéaste privilégie ainsi des plans-séquences asphyxiants – mais d’une ine able beauté plastique – dans lesquels le supplice de l’héroïne laisse parfois place à des pulsions de désir forcément contrariées. Cette étude d’une Russie qui écrase ses femmes pour mieux valoriser des mythes artistiques masculins constitue un tétanisant thriller psychologique autour du conditionnement universel et des violences invisibles.

46 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
SORTIE LE 15 FÉVRIER SORTIE LE 1ER FÉVRIER
Plus qu’un parfum de fin de vacances, Aftersun saisit l’effondrement d’un monde lié à l’enfance.
OLIVIER MARLAS La Femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov, Bac Films (2 h 23), sortie le 15 février
e
DAMIEN LEBLANC

« UN PORTRAIT MAGNÉTIQUE »

KINOELEKTRON ET DULAC DISTRIBUTION PRÉSENTENT
LE MONDE MARS

LE RETOUR DES HIRONDELLES

Dans le sillage du cinéma ample et subversif de Jia Zhang-ke, le film du réalisateur chinois

Li Ruijun – présenté en Compétition à Berlin en 2022 – cache, au cœur d’une fresque pastorale mélodramatique, un subtil renversement des images de propagande.

Le récit du Retour des hirondelles tient en une phrase, mais s’étire, à l’écran, sur plus de deux heures : la vie quotidienne d’un couple de paysans chinois taiseux, mariés contre leur gré par leur famille, dont les jours scandés par les travaux des champs consistent à s’adopter progressivement l’un et l’autre. Cette dilatation permet à Li Ruijin d’assumer à la fois un ton mélodramatique et une esthétique a ectée ou artificielle qui semble recréer toute une imagerie issue du

réalisme socialiste d’antan. Se succèdent donc plusieurs tableaux de la vie rurale : le labourage, les moissons, les récoltes, dans un style volontairement allégorique et passéiste – les animaux de trait et les charrues n’ont pas encore été remplacés par des machines. Le film est pourtant plus subtil dans ses détails. Il est encadré par deux courtes séquences qui suggèrent le pas de recul e ectué par la mise en scène. La première figure la cérémonie du mariage arrangé : on y voit les deux personnages côte à côte, sur un fond rouge écarlate, peinant à se conformer aux consignes d’un photographe hors champ qui essaye tant bien que mal d’immortaliser une image joyeuse de leur union. La seconde, plus tard, montre le couple en train de découvrir un appartement moderne dans lequel il pourrait être relogé, grâce à l’amabilité d’un riche industriel de la région. Chose étonnante : une équipe de tournage est présente pour enregistrer la visite et s’en servir – on le suppose – dans un but communicationnel. Il est donc moins question, dans Le Retour des hirondelles, du couple que de « l’image du couple » qui traverse l’histoire

chinoise récente, construite de toutes pièces et instrumentalisée aussi bien par la culture traditionnelle que par les diverses propagandes communistes et néolibérales qui se sont succédé. L’aspect quelque peu naïf du scénario semble donc être un leurre pour permettre à Li Ruijun de contourner la censure et de mettre à nu les images o cielles qui simulent la joie pour cacher « sous la poussière » – comme le titre original du film l’indique – les violences des di érents pouvoirs qui les produisent.

Le Retour des hirondelles de Li Ruijun, ARP Sélection (2 h 13), sortie le 8 février

48 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
THOMAS CHOURY SORTIE LE 8 FÉVRIER
Li Ruijun met à nu les images de joie simulée qui cachent les violences des différents pouvoirs.
LE BLEU DU CAFTAN UN FILM DE MARYAM TOUZANI LUBNA AZABAL SALEH BAKRI AYOUB MISSIOUI 22
ANGOULÊME FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE MEILLEUR ACTEUR MEILLEURE MISE EN SCÈNE 2022 TORONTO FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM PRÉSENTATION SPÉCIALE 2022 MARRAKECH FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM PRIX DU JURY 2022 LONDRES FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM SÉLECTION OFFICIELLE 2022 PRIX FIPRESCI
MARS

SUR L’ADAMANT

Le réalisateur d’Être et avoir inaugure un triptyque documentaire sur la folie avec ce doux portrait de groupe, en Compétition à la Berlinale cette année. Il a embarqué sa caméra sur l’Adamant, une péniche amarrée quai de la Rapée, à Paris, qui accueille un centre de jour psychiatrique hors du commun.

Chaque matin, les volets de sa partie en silo se relèvent doucement pour laisser entrer la lumière. L’Adamant, bateau unique en son genre, est prêt à accueillir soignants, référents et surtout patients autour d’un café, d’une

cigarette ou d’une activité thérapeutique

souvent artistique. Ce qui frappe d’abord, c’est la chaleur du lieu : boiseries, éclairage naturel dû aux nombreuses fenêtres, coursive qui donne sur la Seine. À dix mille lieues de l’ambiance d’hôpital, avec sa froideur et ses néons angoissants, l’Adamant fait figure de havre de paix, lors des réunions qui voient patients et référents discuter des activités, chacun accoudé à sa table. Le centre de jour accueille depuis 2010 des patients adultes des quatre premiers arrondissements de Paris. Nicolas Philibert en croque une poignée, aussi lucide qu’attachante. Le Nancéien s’inscrit ainsi dans le sillage des grands documentaristes ayant filmé la folie : Frederick Wiseman dans Titicut Follies (1967), Raymond Depardon et Sophie Ristelhueber dans San Clemente (1982), Wang Bing dans À la folie (2015). On prend déjà nos tickets d’embarquement pour les deux prochains volets.

AMORE MIO

Road trip d’une jeune mère en deuil qui part noyer son chagrin avec son enfant et sa sœur sur des routes ensoleillées, le premier long métrage de Guillaume Gouix exalte des sentiments déchirants à l’aide d’un puissant duo d’actrices formé par Alysson Paradis et Élodie Bouchez.

Comédien depuis maintenant vingt ans, mais aussi réalisateur de courts métrages, Guillaume Gouix (vu dans Gaspard va au mariage ou la série Les Revenants) a choisi pour son premier long métrage de marier des sensations contraires en racontant un douloureux deuil qui se passe en plein soleil. Lola (Alysson Paradis) vient de perdre son compagnon – et père de son fils –, mais refuse soudain d’assister à l’enterrement et part sur les routes en compagnie de

sa sœur, Margaux (Élodie Bouchez), et dudit fils… Centré sur une jeune femme qui ne sait pas comment gérer sa tristesse, ce court film privilégie un style simple et dépouillé qui s’inspire de modèles comme Jacques Doillon ou John Cassavetes. Plus intéressé par les visages des personnages que par les paysages de ce périple qui mène vers l’Italie, Gouix brosse avec délicatesse la relation exaltée entre deux sœurs aux tempéraments opposés qui vont tenter durant ce voyage de déconstruire les rapports hérités de leur enfance pour trouver un élan libérateur. Grâce notamment à la lumière du chef opérateur Noé Bach (Les Amours d’Anaïs), Amore Mio réussit le pari de créer à l’écran une « mélancolie joyeuse » que les deux actrices rendent très palpable.

Guillaume Gouix marie des sensations contraires en racontant un douloureux deuil en plein soleil.

50 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
SORTIE LE 1ER FÉVRIER SORTIE
LE 22 MARS
DAMIEN LEBLANC Amore mio de Guillaume Gouix, Urban (1 h 20), sortie le 1er février Sur l’Adamant de Nicolas Philibert, Les Films du Losange (1 h 49), sortie le 22 mars TIMÉ ZOPPÉ

KNOCK AT THE CABIN

L’imperturbable M. Night

Shyamalan poursuit une carrière aussi passionnante qu’obsessionnelle, travaillée par la question de la croyance. Et enferme ici ses personnages dans une cabane pour régler son compte à l’Apocalypse, signant son film le plus ouvertement politique.

« Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas… » Knock at the Cabin pourrait débuter sur cet air espiègle, tandis qu’une fillette joue devant la cabane qu’ont louée ses deux pères adoptifs pour l’été. Nous ne sommes pas dans Le Village (2004), mais un intrus rôde pourtant bien derrière les branchages ; un mastodonte, Leonard, campé par l’acteur catcheur Dave

Bautista. M. Night Shyamalan agence une pure scène de conte, soit la rencontre entre un géant et une gamine un peu trop téméraire. Or, Leonard est accompagné de trois acolytes armés, bien décidés à entrer dans la cabane. Simple fantasmagorie ?

Lorsque la fillette raconte sa déconvenue, ses parents, Andrew et Eric, ont du mal à y croire… jusqu’à ce qu’on frappe à la porte. Shyamalan invoque un bestiaire qui n’appartient qu’à lui, entre figures super-héroïques – Dave Bautista fut révélé par Les Gardiens de la galaxie (2014) – et féerie enfantine, dont l’émouvante naïveté tranche avec le désenchantement habituel d’un œil adulte. C’est qu’il est précisément question de réenchanter les regards, de « croire » à nouveau, chez Shyamalan, qui envoie quatre anges prêcher la fin du monde au chevet d’Andrew et Eric. Mais des anges a priori menaçants, qui n’hésitent pas à forcer la porte ni à ligoter le couple. Superbe effet de contrebande que de pasticher le home invasion à la Funny Games (1998), avant d’en rebattre les cartes. En lieu et place de la torture at-

tendue, on assiste à une réunion (presque) pacifique pour décider du sort de la planète. Reste un impératif : convaincre cette famille qu’elle est la seule à pouvoir stopper le désastre… à condition de sacrifier l’un des siens. Shyamalan convoque toute une mythologie biblique de la rédemption, dans laquelle le salut de l’humanité dépend de son abnégation, puis l’Apocalypse et moult autres prophéties catastrophistes qui parsèment les textes sacrés. Mais le génie conceptuel du film tient à leur subversion, dans un présent où l’idée même de croyance est suspecte : ainsi les « élus » sont un couple gay que le statut minoritaire a rendu excessivement méfiant, aux yeux duquel les quatre messagers passent moins pour des lanceurs d’alerte avisés que pour une bande d’extrémistes allumés. D’autant que leurs seules preuves sont des images télévisées de cataclysmes et de pandémies. Images choc mais immatérielles, propices à propager des fake news et face auxquelles il su t de détourner le regard. Plus que de pointer notre égoïsme aveugle face à la crise climatique, le cinéaste, qui filmait déjà une nature vengeresse dans le mésestimé Phénomènes (2008), fait ici de ce déni une source de violence ; en l’occurrence la seule qui fasse basculer ses personnages dans l’horreur. Nul doute que, chez un rêveur comme Shyamalan, un monde où l’on ne croit plus est un monde en décrépitude.

Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan, Universal Pictures (1 h 40), sortie le 1er février

51 Sorties du 1er février au 22 mars <----- Cinéma février-mars 2023 – no 195 chaillot danse Aurélie Charon Amélie Bonnin Radio live La Relève
→ 8 avril theatre-chaillot.fr
7
SORTIE LE 1ER FÉVRIER DAVID EZAN

Christophe Cognet poursuit son exploration documentaire des vestiges de la Shoah, enquêtant ici sur des photographies prises de manière clandestine dans les camps nazis.

Que faire des images qui nous manquent ?

Le cinéma n’a cessé de tourner autour de la question. La fiction s’est souvent retrouvée impuissante, incapable de nous restituer quelque chose du réel, de son poids tragique, sans que la tentative de reconstitution ne se révèle obscène. C’est en empruntant les chemins de traverse qu’o re justement le réel que le cinéma documentaire, lui, a pu regarder l’Holocauste, filmer ses stigmates, ses victimes, ses lieux d’extermination, ces « paysages tranquilles » transformés en lieu de l’horreur. « Puisque ces hommes et ces femmes se sont acharnés à nous transmettre ces images, il nous faut les regarder. » C’est ce pacte que nous propose À pas aveugles.

À PAS AVEUGLES

Pour son nouveau documentaire, après Parce que j’étais peintre, qui s’intéressait aux peintures réalisées clandestinement dans les camps nazis, Christophe Cognet a récolté les photographies prises par six prisonniers et prisonnières des camps de concentration et d’extermination. Plutôt que de nous mettre face à l’évidence insupportable de ces documents, le cinéaste choisit de conduire son film sur les voies d’une enquête, de joindre à la fixité de ces images le mouvement d’une recherche, et avec elle celui d’un dispositif de cinéma. Se glissant dans la peau d’un investigateur, Cognet, accompagné par des chercheuses et chercheurs, épie ces images volées à la recherche du moindre indice, avant de se rendre sur les lieux où elles ont été prises. Retrouver l’emplacement exact, la posture du corps au moment de la photographie, l’angle de vue adopté devient alors l’obsession du film, l’énigme à résoudre. Pour ce faire, Cognet superpose les clichés, tirés pour l’occasion sur des plaques transparentes, aux lieux tels qu’ils sont devenus, c’est-à-dire des lieux de mémoire arpentés par des visiteurs. C’est comme si le film, par

le corps de ses interprètes vivants, de ces passeurs animés, redonnait vie aux disparus, présence, humanité. La mise en scène de soi devient alors la mise en scène de l’autre et la simple expérience d’un corps qui se déplace dans un champ d’herbes fanées, une expérience partageable par toutes et tous dans la matérialité concrète d’un geste éternellement identique. Les fantômes sont partout dans À pas aveugles, ils cohabitent, et, plus encore que leur présence, c’est leurs regards que le film parvient à ressusciter.

À pas aveugles de Christophe Cognet, Survivance (1 h 49), sortie le 8 mars

Christophe Cognet épie ces images volées à la recherche du moindre indice.

52 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
MARILOU DUPONCHEL
SORTIE LE 8
MARS

TANT QUE LE SOLEIL FRAPPE

SORTIE LE 8 FÉVRIER

Dans son premier film de fiction, Philippe Petit imagine un paysagiste pris tout entier par un projet de jardin ouvert où circuler sans entrave.

Paysagiste militant, Max se bat pour qu’émerge une « agora végétale » sur un terrain vague de Marseille, en collaboration avec les habitants du quartier. Finaliste d’un concours d’architecture, son idée n’est finalement pas retenue. Max se lance sur

d’autres pistes, mais son obstination menace son intégrité professionnelle et sa vie personnelle… Décidément, Philippe Petit – aussi comédien chez Quentin Dupieux ou Thierry de Peretti – aime regarder les hommes errer. Déjà, dans le docu-fiction Danger Dave (2014), il suivait un skateur professionnel en bout de course avec lequel il tissait une relation inattendue. Swann Arlaud incarne ici un jeune quadragénaire passionné qui a pourtant perdu son rapport organique à la nature en travaillant sur des chantiers moins engagés, pour vivre. La caméra voyage dans ses états d’âme en se calant sur son épaule, au plus près des idées qui fusent, ou s’éloigne pour regarder cet homme comme un paysage en mutation. Partout la lumière semble évoquer l’horizontalité, le désir d’être ensemble sous le soleil. Avec, dans le récit fictionnel comme dans la réalisation, l’envie furieuse d’abattre les cloisons.

LA MONTAGNE

Après Vincent n’a pas d’écailles, merveilleux premier long métrage qui voyait son héros (déjà joué par le cinéaste) touché par la grâce d’un super-pouvoir aquatique, Thomas Salvador reconduit son obsession pour la métamorphose, cette fois-ci nichée dans les hauteurs des Alpes.

Si Pierre décide de se retirer dans la montagne, prétextant une maladie imaginaire pour échapper à sa vie d’ingénieur parisien, à sa vie tout court, ce n’est pas, tel un adepte des retraites détox, pour communier avec la nature ou rechercher le bonheur. Le bonheur n’est ici pas un horizon, et il ne se donne pas comme ça. On pourrait même voir dans l’histoire de cet homme possédé par l’appel des cimes quelque chose d’un malaise, ou peut-être d’un malheur de soi et de notre temps avec lequel il faudrait savoir cohabiter, négocier. Une tristesse

qui empêche sans doute de choisir, de laisser vivre les désirs. La Montagne, sous l’œil malicieux de Thomas Salvador, qui sait mêler à la crise existentielle un burlesque délicat, est peut-être cette partie enfouie de nous. En s’écoutant, Pierre se perd dans les hautes altitudes pour mieux se trouver (lui et l’amour aussi). À mesure du périple de son héros, le film se transforme comme lui, change de peau, mute pour s’approcher de l’abstraction, dans une sécheresse généreuse, organique, dans une économie qui sait extraire les beautés picturales des puissances supérieures de la nature. Après Vincent n’a pas d’écailles, Thomas Salvador cherche à nouveau dans la marge des paysages et des vies une voie à suivre, et trouve sa place.

54 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
Tandis que son héros repense inlassablement la ville, le cinéaste se questionne sur la forme à donner à ce portrait de l’engagement citoyen.
En s’écoutant, Pierre se perd dans les hautes altitudes pour mieux se trouver.
SORTIE LE 1ER FÉVRIER MARILOU DUPONCHEL La Montagne de Thomas Salvador, Le Pacte (1 h 55), sortie le 1er février Tant que le soleil frappe de Philippe Petit, Pyramide (1 h 25), sortie le 8 février LAURA PERTUY

Inlassable explorateur des mythes et des croyances, le Français Clément Cogitore (Ni le ciel ni la terre, Braguino) revenait à la Semaine de la critique cannoise l’an dernier avec ce drame haletant, porté par un grand Karim Leklou et doté d’un pitch imparable : un jour, un voyant charlatan a une vraie vision.

Il en faut, du bagout et de l’aplomb, pour escroquer chaque jour les dizaines de clients qui se pressent dans son cabinet de voyance du quartier parisien de la Goutted’Or. Ramsès, aidé de plusieurs complices, a mis au point une combine e cace pour faire croire à ses dons mystiques. Alors qu’il est enfermé dans sa morne vie privée, sa mine s’illumine dès lors qu’il se met à jouer le jeu de la divination, que ce soit face à une seule personne éplorée venue avec

la photo de son proche à contacter dans l’au-delà, ou face à une assemblée massée dans une salle communale devant laquelle il prêche comme un gourou. Dans ces scènes, l’excellent Karim Leklou parvient à littéralement transfigurer son visage patibulaire, comme si le fait de capter les messages des morts ramenait son triste personnage à la vie. Jusqu’à ce qu’un grain de sable vienne gripper la mécanique bien huilée de Ramsès : une troupe d’enfants agités débarqués de Tanger vient le forcer à retrouver, grâce à son don, l’un des leurs qui a fui avec un paquet d’argent volé. Contre toute attente, à commencer par la sienne, Ramsès est alors touché par la grâce, il voit réellement quelque chose dont il ignorait l’existence. Après les sublimes et mystiques Ni le ciel ni la terre, situé dans un camp militaire, et Braguino, dans une communauté en Sibérie, c’est à nouveau ce terrain du doute, de la foi pas forcément religieuse et du destin que vient arpenter avec grâce Clément Cogitore. Pour retrouver sa route dans sa vie secouée, Ramsès doit traverser les rues et les toits du XVIIIe arrondissement, souvent de nuit, dessinant la géographie d’un quartier populaire

de Paris que l’on voit peu au cinéma (lire p. 34). En célébrant sans condescendance l’énergie d’une jeunesse marginalisée et enragée (on se souvient que Cogitore avait superbement mis en scène l’opéra Les Indes galantes en y intégrant de la danse hip-hop) et en sublimant ses personnages, l’architecture et les habitants de la Goutte-d’Or par des lumières caressantes et scintillantes, le cinéaste réalise un tour de magie : faire du cinéma social français qui prend les atours d’un conte fantastique incandescent.

La

Goutte d’or de Clément Cogitore, Diaphana (1 h 38), sortie le 1er mars

TIMÉ ZOPPÉ

56 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
SORTIE LE 1ER MARS
GOUTTE D’OR
mine de Ramsès s’illumine dès lors qu’il se met à jouer
le jeu de la divination.

LE MARCHAND DE SABLE

SORTIE LE 15 FÉVRIER

Entre drame familial, chronique

polar glacial, le premier long métrage de Steve Achiepo, qui suit les pas d’un père de famille devenant marchand de sommeil, s’impose comme une œuvre à l’ampleur tragique et politique inespérée.

Père divorcé, avec une petite fille à charge, et livreur de profession, Djo (Moussa Mansaly) vit en banlieue parisienne chez sa mère dans un cadre familial dont il peine à s’extirper. Lorsqu’une de ses tantes (Aïssa Maïga), qui fuit la crise ivoirienne (le récit est situé au début des années 2010), arrive en France avec

ses trois enfants et cherche un logement, cet homme influençable va progressivement entrer dans l’illégalité pour devenir marchand de sommeil… Centré sur ce personnage intégrant un réseau de combines immobilières qui profitent de la crise du logement et de la précarité des réfugiés, le premier film de Steve Achiepo évoque certains polars américains des années 1970 et articule de manière captivante la description d’un engrenage mafieux et le portrait de vies intimes qui subissent de plein fouet la brutalité de la jungle économique. Très réaliste et poignant, jusque dans la façon dont les dilemmes moraux de Djo finissent par créer du chaos faute d’avoir été résolus, ce saisissant film noir s’appuie sur un casting éclectique (où figurent aussi Ophélie Bau et Benoît Magimel) et dresse le cruel état des lieux d’une France marquée par l’impuissance de l’État à répondre à la misère sociale.

POUR LA FRANCE

SORTIE LE 8 FÉVRIER

Révélé par Abdellatif Kechiche dans L’Esquive (2004), Rachid Hami signe un deuxième film en tant que cinéaste. Écrit avec les tripes, Pour la France raconte l’exil de sa famille algérienne et surtout le destin tragique de son propre frère, mort en 2012 à l’école militaire de Saint-Cyr.

Il aurait pu mourir pour la France. Mais il est mort pour rien, ou si peu ; pour un cruel bizutage entre camarades de la prestigieuse école spéciale militaire de Saint-Cyr, où il se rêvait en lieutenant. C’est ainsi que débute le film : dans la douleur d’une famille, recueillie face à la dépouille du jeune Aïssa (Shaïn Boumedine, autre perle kechichienne). Patiemment, Rachid Hami déroule alors le fil d’une histoire dans laquelle se télescopent déchirures nationale et familiale ; l’exil vers la France, l’abandon du père,

la fratrie distendue. Qu’on ne s’y méprenne pas : sous ses grands airs de fresque patriotique, Pour la France cache un trésor autrement plus précieux. Celui d’une rivalité sourde entre Aïssa, l’enfant chéri qu’on pleure, et son frère Ismaël (Karim Leklou), le mal-aimé à qui rien n’a réussi. Le cinéaste s’y penche à l’occasion d’allers-retours à Taïwan, lors d’une visite d’Ismaël à son frère, trouvant une belle échappée romanesque. Sur ces terres lointaines, Aïssa apparaît déjà comme un fantôme, une étoile filante, et les querelles d’ego avec Ismaël n’en sont que plus émouvantes car dérisoires. C’est ce que capte Rachid Hami : la tragédie de la mort qui survient en vol, qui fauche les rêves. Restent alors les souvenirs, et peutêtre le cinéma.

58 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
sociale et
Sur ces terres lointaines, Aïssa apparaît déjà comme un fantôme.
DAVID EZAN Pour la France de Rachid Hami, Memento (1 h 53), sortie le 8 février Le Marchand de sable de Steve Achiepo, The Jokers / Les Bookmakers (1 h 46), sortie le 15 février DAMIEN LEBLANC

SARAH ADLER GRÉGOIRE OESTERMANN PASCAL RÉNÉRIC DJIBRIL CISSÉ

envie de tempête productions présente
©2023Pyramide Louise Matas AU CINÉMA
VRIER
LE 8 FÉ
‘‘Un premier film libre, vivant, combatif’’ causette

LA SYNDICALISTE

SORTIE LE 1ER MARS

Trois ans après la comédie policière La Daronne, Jean-Paul Salomé retrouve Isabelle Huppert pour un thriller plus dramatique tiré de faits réels – et d’un livre de la journaliste Caroline Michel-Aguirre. Soit l’histoire de Maureen Kearney, influente déléguée syndicale chez Areva, qui dénonça en 2012

des secrets d’État dans le but de défendre des milliers d’emplois… avant d’être brutalement agressée chez elle en guise de représailles. La réussite du film tient à son immersion dans les coulisses d’une industrie (le nucléaire français) rongée par d’intenses luttes politiques (Marina Foïs joue Anne Lauvergeon, ancienne directrice d’Areva, proche de la gauche, tandis qu’Yvan Attal incarne Luc Oursel, son successeur, proche de la droite). Son héroïne, Maureen Kearney, syndicaliste intrépide qui tient tête aux hommes de pouvoir puis doit prouver à des gendarmes dubitatifs la réalité de l’agression sexuelle qu’elle a subie, rappelle celle de L’Ivresse du pouvoir de Claude Chabrol, dans lequel la déjà excellente Isabelle Huppert s’inspirait de la juge Eva Joly. Entre description de la perte de l’indépendance énergétique française et réflexion sur la violence économique, La Syndicaliste fait mouche.

CHEVALIER NOIR

SORTIE LE 22 FEVRIER

Film noir et nocturne qui dessine les trajectoires de deux frères dans Téhéran, Chevalier noir fait le portrait d’une capitale iranienne quasi déserte (notamment de présences féminines) où le destin ressemble à un conte sous substances.

Iman et Payar ont beau être de jeunes adultes, ils sont comme deux petits poucets livrés à eux-mêmes depuis la mort de leur mère tandis que l’opium cloue leur père dans l’inaction… Des objets talismans font de ce premier long métrage sous forme de chronique naturaliste un conte urbain moderne : le tapis précieux laissé par leur mère, qui pourrait permettre un retour à la fortune ; l’épée et le bouclier d’enfants, qui font basculer le destin ; la moto, destrier maudit qui transporte les frères de leur taudis aux

quartiers riches. Payar, qui suit consciencieusement le droit chemin, s’y rend pour y commencer une histoire d’amour pudique avec Hanna, vieille connaissance revenue de France après un divorce. Iman, lui, y va pour dealer. La cocaïne qu’il vend et qu’il prend fait de lui une silhouette nerveuse que la caméra colle compulsivement. Tourné en plein confinement, Chevalier noir fait le portrait d’une capitale déserte, dont les femmes sont quasi absentes et où, pour ne pas se laisser voler le peu qu’il leur reste, les hommes se débattent avec sérieux. Dans ce pays désenchanté, la seule raison d’éclater de rire, c’est – comme dans le plan final – d’être sous psychotropes.

Chevalier noir d’Emad Aleebrahim-Dehkordi, Jour2fête (1 h 41), sortie le 22 février

RAPHAËLLE PIREYRE

60 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
Dressant, sur fond de luttes de pouvoir, le portrait d’une syndicaliste d’Areva qui se retrouve esseulée après avoir subi une agression sexuelle, Jean-Paul Salomé réussit un thriller politique original, emmené par une Isabelle Huppert des grands jours.
Chevalier noir fait le portrait d’une capitale déserte où les hommes se débattent avec sérieux.
La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé, Le Pacte (2 h 02), sortie le 1er mars DAMIEN LEBLANC

ATLANTIC BAR

SORTIE LE 22 MARS

Dans son fabuleux premier documentaire, la photographe Fanny Molins nous immerge dans le quotidien d’un troquet menacé de fermeture. Elle en tire des portraits d’êtres disloqués par la vie, mais qui n’ont rien renié de leur furieuse joie.

C’est bien connu : les bars sont une excellente école de vie. On y croise des égarés, des habitués, tout un microcosme qui renferme, dans l’espace d’un huis clos, l’esprit et l’instantané d’une époque. Celui choisi par Fanny Molins se résume à un comptoir en zinc, une salle en enfilade, des tables désertées sur le trottoir de la ville d’Arles, dans les Bouches-duRhône. Derrière la caisse, une héroïne

que la fiction n’aurait pas su inventer : Nathalie, grande gueule, clopeuse compulsive, alcoolique chronique, et championne hilarante du bon mot. Avec son mari, Jean-Jacques, elle sert des pastis et arbitre les parties de cartes, tout en repoussant l’inévitable : l’Atlantic Bar va bientôt fermer, privant de refuge les quelques marginaux qui viennent s’y oublier au fond de la bouteille. Fanny Molins était venue ici dans l’optique de réaliser un reportage photo sur l’alcoolisme : les rencontres l’ont forcée à élargir les œillères de son approche sociologique. Les clients, avec leurs gueules abîmées, traînent des histoires pas faciles que l’on devine au détour d’une parole ravalée, d’un regard fatigué, d’une main calleuse saisie en gros plan. Ils se sont tous frottés, d’une manière ou d’une autre, au gou re de l’addiction. Celle des casinos, de l’apéro, du tabac ou de la dépense : chacun se confie, au point que le film en devient presque un traité philosophique terriblement lucide sur cette maladie. La

séquence où Nathalie confesse ne pas boire par plaisir éclaire avec finesse ce que Gilles Deleuze explique dans son Abécédaire : en buvant trop, l’alcoolique ne cherche pas l’ivresse, mais bien sa propre limite, celle qui lui permettra de ne pas s’e ondrer et de continuer à boire le lendemain. Si la réalisatrice évite l’écueil de la tranche de vie naturaliste qui tourne au misérabilisme, l’accumulation stérile de moments de vie désespérés, c’est parce qu’elle tire ses protagonistes de leur situation précaire par un sens du montage drolatique, et des épiphanies irréelles. L’Atlantic Bar est un lieu de théâtre qui ne s’avoue pas comme tel, mais où l’on rejoue informellement sa vie pour en conjurer les drames. On pense à une séquence de braquage rocambolesque reconstituée à l’oral par un ancien voyou, et à une parenthèse chantée-dansée sur « La Tendresse » de Bourvil – de quoi nous persuader que ce bar est un décor interchangeable pour les souvenirs et les rêves perdus. En filmant ce monde qui s’apprête à mourir dans l’indifférence, Fanny Molins met au premier plan les piliers de comptoir, les solitaires éméchés, ceux que l’on réduit à peau de chagrin dans les films, sans doute parce que leurs conversations imbibées portent une vérité sociale que l’on ne veut pas entendre. Ici, ces éternels seconds rôles n’ont jamais eu aussi fière allure.

Atlantic Bar de Fanny Molins, Les Alchimistes (1 h 17), sortie 22 mars

ANOUCH NOUVEL ALBUM

“ GLOBETROTTER ET PASSEUR DE JAZZ, LE PIANISTE EST DE RETOUR AVEC UN MAGNIFIQUE CONTE MUSICAL, INTIME ET VOYAGEUR”

- TSF JAZZ

61 Sorties du 1er février au 22 mars <----- Cinéma février-mars 2023 – no 195
LÉA ANDRÉ-SARREAU

Avec cette comédie fantaisiste située dans le Paris des années 1930, François Ozon signe un truculent tableau de la condition féminine d’hier et d’aujourd’hui et tire le meilleur d’un scintillant casting, dans la veine de son succès de 2002, 8 femmes.

Après Peter von Kant, qui rendait hommage à la figure du cinéaste Rainer W. Fassbinder, François Ozon poursuit les citations cinéphiles en allant voir du côté des comédies d’Ernst Lubitsch des années 1930 comme Haute pègre ou Sérénade à trois. Adaptant une pièce de théâtre de 1934 signée Georges Berr et Louis Verneuil, Ozon choisit ici d’aborder avec fantaisie des questions féministes atemporelles. L’histoire de Madeleine (Nadia Tereszkiewicz), jeune actrice sans le sou accusée du meurtre d’un célèbre producteur de cinéma, o re ainsi matière à une satire qui explore la condition

MON CRIME

des femmes françaises des années 1930 tout en faisant écho à la révolution en cours depuis 2017 dans le sillage de #MeToo. Grâce à son amie Pauline (Rebecca Marder), brillante avocate au chômage, Madeleine se voit acquittée pour légitime défense et accède alors à une forte popularité qui améliore grandement sa vie matérielle… jusqu’à ce que de nouvelles révélations autour de ce crime entraînent de multiples tractations sociales au sein d’une foisonnante galerie de personnages. Jouant parfois avec les limites de la bienséance, le film donne le beau rôle à des héroïnes qui s’entraident et luttent avec toutes les armes à leur disposition pour faire avancer la cause des femmes sur fond de reconstitution ultra stylisée du Paris des années 1930. Dans un esprit qui rappelle 8 femmes, décors, costumes et lumières o rent un écrin idéal à un truculent casting de seconds rôles (Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Dany Boon, Évelyne Buyle, André Dussollier ou Régis Laspalès) qui manient à merveille l’art de la théâtralité. Parallèlement à cette maîtrise des faux-semblants, la mise en scène d’Ozon déploie une vitalité organique qui accentue la part moderne

des protagonistes et transforme ce qui aurait pu n’être qu’une comédie nostalgique en tableau sensuel qui reconfigure le présent avec bonheur et insolence.

Mon crime de François Ozon, Gaumont (1 h 42), sortie le 8 mars

Décors,

et

62 no 195 – février-mars 2023 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars
DAMIEN LEBLANC
SORTIE LE 8 MARS
costumes
lumières offrent un écrin idéal à un truculent casting de seconds rôles.

TOUTE LA BEAUTÉ ET LE SANG

VERSÉ

UN FILM DE LAURA POITRAS

AU CINÉMA LE 15 MARS

APRÈS CITIZENFOUR
HOLLYWOOD REPORTER
ET INCENDIAIRE” VARIETY “FÉROCE ET PUISSANT” FINANCIAL TIMES
“SUBLIME”
“PROFOND

JET LAG

Après The Cloud in Her Room (2021), la cinéaste chinoise Zheng Lu Xinyuan livre un documentaire à l’image d’un univers en lambeaux, entre pandémies, coups d’État et voyages familiaux hantés par le fantôme d’un aïeul disparu. Un film-journal qui observe la fin du monde pour mieux tenter de la conjurer.

Chronique d’une réalité morcelée, Jet Lag prend la forme d’un documentaire en noir et blanc partagé entre trois lignes narratives : un voyage que Zheng Lu Xinyuan a e ectué avec sa famille à Mandalay, l’épidémie de

HOURIA

SORTIE LE 15 MARS

En s’intéressant aux blessures héritées de la « décennie noire » (1991-2002) et au désir d’affranchissement de la population algérienne, Mounia Meddour confirme, après l’excellent Papicha (2020), sa croyance dans la réparation par l’art, toujours autour d’une héroïne frondeuse et d’un chœur de femmes en mouvement.

Installée à Alger avec sa mère chorégraphe, Houria se destine à une carrière de danseuse. Mais, pour l’heure, elle travaille le jour comme femme de chambre aux côtés de sa pétulante meilleure amie et mise la nuit sur des combats de béliers, afin d’acheter une voiture à sa mère. Un soir où les paris tournent mal, Houria subit une violente agression qui la laisse gravement blessée, muette, et condamne ses rêves de ballerine. Accrochée au sou e de son héroïne dès la

première image – où celle-ci évolue seule sur un toit, en un enchaînement de pas assurés –, Mounia Meddour travaille tout du long de ce deuxième film une chorégraphie dans laquelle se répondent chocs et grandes respirations. La frénésie des événements qui s’enchaînent s’interrompt au gré de moments de sidération, où la vie est à repenser, la cadence à réinventer. Et, à mesure qu’elle reprend place dans un corps abîmé, Houria (que campe Lyna Khoudri, aussi pénétrée par son rôle que pour Papicha ) dit aussi les douleurs d’un pays hanté par ses disparus et ankylosé par la question du pardon. Autour du besoin de réparation, la cinéaste franco-algérienne invente un espace où les femmes meurtries dialoguent par la danse, sans nécessité de parole, et assoit un cinéma libre qui ne se refuse aucun mouvement.

Houria de Mounia Meddour, Le Pacte (1 h 38), sortie le 15 mars

Covid en 2020, puis le coup d’État mené par une junte militaire en Birmanie l’année suivante, achevant cette peinture du contemporain sur laquelle plane la menace d’une disparition (celle de nos libertés, mais aussi celle d’un arrière-grand-père, à propos de laquelle la cinéaste cherche quelques réponses). Cette narration non linéaire s’associe à des images tout aussi hétérogènes pour mieux retranscrire la fragmentation d’un monde déboussolé dans lequel familles et individus apparaissent en quête de nouveaux repères. Vieilles photographies, images prises sur le vif en caméra DV, interfaces numériques, textos et appels en visio : entre passé, présent et futur, Zheng Lu prend le large à chaque raccord. Éclatant la bulle intimiste dans laquelle elle se retrouve avec sa compagne une fois confinées, la cinéaste esquisse alors une issue de secours : revivifier par le montage notre présent aveugle et pétrifié.

64 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
SORTIE LE 22 FÉVRIER
Mounia Meddour assoit un cinéma libre qui ne se refuse aucun mouvement.
Jet Lag de Zheng Lu Xinyuan, Norte (1 h 51) sortie le 22 février CORENTIN LÊ
Crédits non contractuels • Création Benjamin Seznec TROÏKA EN COLLABORATION AVEC FRANÇOIS ROY UN FILM DE JULIE LERAT-GERSANT MENTION SPÉCIALE PRIX DE LA JEUNESSE ESCAZAL FILMS PRÉSENTE
AU CINÉMA LE 22 FÉVRIER
PILI GROYNE VICTOIRE DU BOIS ROMANE BOHRINGER

LUCIE PERD SON CHEVAL

Pris dans les tourments des fermetures décidées au plus fort de la pandémie, la pièce de théâtre Un royaume de Claude Schmitz s’est métamorphosée en une rêverie de cinéma douceamère, un film inclassable qui semble s’inventer à mesure, dans un élan d’humour désemparé et absurde.

D’où provient la drôlerie contagieuse des films de Claude Schmitz ? Déjà, son film précédent, Braquer Poitiers, se démarquait par son humeur titubante qui flânait ici et là en laissant s’infuser toute la tendresse qu’elle

LA ROMANCIÈRE, LE FILM ET LE HEUREUX HASARD

15 FÉVRIER

Dans son nouveau film, Ours d’argent au Festival de Berlin en 2022, le Sud-Coréen Hong Sang-soo rejoue avec un bonheur simple son habituel théorème : une artiste en mal d’inspiration, des rencontres fortuites, beaucoup de spiritueux et encore plus de parole.

Il arrive parfois que les films ne se comprennent qu’à la fin. C’est le cas de ce nouvel opus de Hong Sang-soo. La genèse de La Romancière, le Film et le Heureux Hasard tient à ses derniers plans. Des images impromptues que le cinéaste a prises lors d’une balade dans un parc avec sa compagne, Kim Min-hee, qui est aussi l’actrice de ses neuf derniers films. Pour que la simplicité documentaire de ces quelques plans s’insère dans un film de fiction, le réalisateur a imaginé qu’elles devraient émaner d’un amateur. Il a donc inventé le personnage

de Junhee, une romancière à succès en mal d’inspiration, jouée par Lee Hye-young, qu’il dirigeait déjà dans Juste sous vos yeux, sorti l’an dernier. Au gré de hasards, elle va faire dans Séoul des rencontres avec quatre connaissances, nouvelles ou anciennes, qui vont lui donner l’envie de se mettre au cinéma en totale dilettante. La projection finale dévoilant les fameuses images qui existaient donc avant même le tournage. Les acteurs sont si proches de la caméra que l’on pense souvent à la présence de Hong Sang-soo. Au point que l’on est à peine étonné, dans les derniers plans, d’entendre sa voix briser le quatrième mur pour chuchoter « Je t’aime ». On comprend alors en frissonnant pour quelle impérieuse déclaration ce film s’avérait impératif.

La Romancière, le Film et le Heureux Hasard de Hong Sang-soo, Arizona (1 h 33), sortie le 15 février

contenait. On retrouve le même vague à l’âme dans Lucie perd son cheval, qui est à la fois une fugue et une pause : une jeune comédienne redoute de laisser sa fille le temps d’aller jouer l’une des trois sœurs du Roi Lear de Shakespeare au théâtre. On la rencontre en vacances, dans le sud de la France, chez sa grand-mère. Entre les baignades et les jeux d’enfants, elle s’entraîne à manier l’épée. Puis le film mute en épopée chevaleresque cliquetante, dans des paysages cévenols où les trois actrices de la pièce partent à la recherche de leurs chevaux, avant de s’endormir contre un rocher et de se réveiller dans les coulisses d’un théâtre fermé sur lequel veillent un régisseur gaillard et son assistant bou on. La laborieuse et hilarante remise en route du lieu donne l’impression que la scène figée dans le temps reprend vie, renvoyant discrètement au vertige qui fût le nôtre quand tout s’est brusquement arrêté.

66 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
LE
SORTIE
8 FÉVRIER
Les acteurs sont si proches que l’on pense souvent à la présence de Hong Sang-soo.
RAPHAËLLE PIREYRE Lucie perd son cheval de Claude Schmitz, Shellac (1 h 22), sortie le 8 février THOMAS CHOURY

Dans un beau premier long métrage hanté, la cinéaste espagnole Elena López Riera confronte le surnaturel de légendes espagnoles à l’ébullition des ados d’aujourd’hui à travers son portrait d’Ana, jeune fille qui reprend possession de son histoire.

À Orihuela, un village du sud-est de l’Espagne, court un bruit : certaines femmes de la famille d’Ana auraient « l’eau en elles ». Lorsqu’une tempête éclate, celles-ci seraient vouées à être englouties, comme appelées par la rivière qui déborde. On fait bien sentir à Ana (Luna Pamies) qu’elle pourrait être la prochaine de cette obscure lignée de disparitions, elle est alors entourée d’un climat de suspicion… Mais bon, en attendant, c’est l’été ; elle est attirée par un garçon et elle profite de ses amis. Grâce à une friction constante entre le surnaturel

EL AGUA

et le quotidien, Elena López Riera arrive à rendre compte du caractère mouvant et insaisissable de la rumeur, que l’on sent sourdre dangereusement dans chaque plan ensoleillé. La cinéaste qui, comme dans ses précédents courts métrages Pueblo et Las Visceras, filme dans le village dont elle-même est originaire et dont elle s’approprie les mythes, capte à travers Ana le sentiment d’une jeunesse qui doit continuer à vivre avec un héritage trop lourd à porter. Pour les anciennes du village qui se racontent face caméra, il s’agit d’un maléfice touchant une famille ; et bientôt, Ana. Si on est plus terre à terre, ce serait plutôt la crise climatique léguée à toute une génération – dans les deux cas, c’est terrifiant. Ce qu’il y a de très beau dans le film, c’est la fascination de la réalisatrice, malgré cette menace aquatique, pour les moments d’insouciance, qu’elle saisit en suspens, comme des fuites. Un groupe d’ados qui zonent, un regard amoureux à l’écart de la bande, une cigarette partagée entre Ana et le copain de sa mère (le critique et coscénariste du film Philippe Azoury), qui lui conseille de bien s’en foutre, de cette histoire de malédiction aux

relents sexistes… El agua est un envoûtant film de vacances, au sens où Ana prend congé de ce dont on les accable, elle et les femmes de sa famille – et ce même si la tempête finit quand même par arriver. Dans de sublimes scènes de nuit frappées par l’intensité du gabber, dans lesquelles des jeux de lumière blanche lui donnent l’allure d’un fantôme, Ana disparaît parfois dans un clignotement. Cette échappée, Elena López Riera ne la réserve pas qu’à la jeunesse. Le film est aussi marquant parce que la mère d’Ana et cet homme avec qui elle sort ont finalement un trajet semblable à celui de sa fille. Lors d’une séquence de bar, eux aussi semblent tout oublier par la force de leur attraction, le temps et les vieilles légendes en premier.

El agua

d’Elena López Riera, Les Films du Losange (1 h 44), sortie le 1er mars

QUENTIN GROSSET

Trois questions

Comment est venue cette idée de suivre plusieurs générations de femmes dans leur rapport à la croyance ? Au-delà de la croyance, ce qui m’intéresse, c’est la transmission. D’une génération à l’autre, on peut brasser des peurs, de la culpabilité. Qu’est-ce qu’on reçoit ? Je voulais voir chacune de ces femmes dans ses ombres et ses lumières pour montrer que ce n’est pas si facile d’élever ses enfants, de ne pas leur transmettre ce qui a pu nous faire sou rir.

Cette incertitude, cette tension entre le surnaturel et le quotidien, c’était important ? Oui. Quand ma grand-mère me racontait une histoire surréaliste, elle préparait la salade. Pour ces femmes d’anciennes

À ELENA LÓPEZ RIERA

générations, ces récits étaient un épanouissement par rapport à leur quotidien, qui était de s’occuper de la maison. Avec leurs histoires, elles font appel à quelque chose de plus grand.

Dans cet héritage trop lourd qu’Ana doit porter, avez-vous pensé aussi à celui de la crise climatique qui pèse sur les plus jeunes générations ?

Oui, car cette idée de la rivière qui déborde, ça a beau arriver depuis toujours, ça n’a jamais été aussi fréquent. À un moment donné, il faut se poser des questions, arrêter de tout expliquer par des fantômes, des mythologies. On est donc allés du côté du genre, mais on voulait vraiment dans le même temps explorer cette idée de la responsabilité.

67 Sorties du 1er février au 22 mars <----- Cinéma février-mars 2023 – no 195
SORTIE LE 1ER MARS

LE BLEU DU CAFTAN

SORTIE LE 22 MARS

tout élément susceptible d’appesantir cette fresque intime sur la reconfiguration du désir.

Bakri, magnifiques.

Mina et Halim tiennent une boutique de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Di cile, cependant, d’identifier la ville en question tant le deuxième long métrage de Maryam Touzani travaille à se délester de

Halim (Saleh Bakri) est maître tailleur de caftans. Son titre de maalem implique patience et transmission, à rebours d’un monde n’aspirant qu’au changement et à l’immédiateté. De son côté, Mina (Lubna Azabal) tient la boutique d’une main de fer. Bien calée sur ce tempo, la réalisatrice d’Adam (2020) dépose délicatement sa mise en scène sur le rythme imposé par la confection du précieux caftan ; courant le long des tissus, sa caméra épouse les moindres gestes du maalem et sonde la couture des êtres. Bouleversés par l’arrivée d’un jeune apprenti, Halim ne pourra plus taire son homosexualité, pas plus que Mina ne saura masquer la résurgence de son cancer… Avec pudeur, Maryam Touzani regarde ces deux corps soudés par un amour indéfectible appelés à rapprivoiser leur désir et mus par le courage de laisser l’autre partir.

THE WHALE

SORTIE LE 8 MARS

« La baleine. » Sous ce titre ironique et majestueux, Darren Aronofsky filme un chemin de croix pas comme les autres : celui d’un homme de 270 kilos au seuil de la mort. Mais aussi celui de Brendan Fraser, son interprète, star déchue de La Momie (1999) à qui le cinéaste offre sa résurrection.

Film miroir de The Wrestler, Lion d’or à Venise en 2008 et à qui il emprunte sa logique rédemptrice sur fond de blessure familiale, The Whale n’en di ère qu’à un niveau : celui du corps. À la musculature d’un Mickey Rourke vieillissant, Aronofsky oppose ainsi la condition de Charlie, un homme englouti par son propre poids qui tente de renouer avec sa fille. Et le film de détourner ces fameuses « performances » dont Hollywood s’est fait la spécialité, en récompensant ses acteurs en proportion de

leurs séances de fitness ou bien des lasagnes qu’ils auront englouties. « Vous voulez du spectacle ? », demande Aronofsky avec une pointe de sadisme. En voilà un gros ; si gros qu’il dévore le film, qu’il le contraint à un format carré et un huis clos dans un salon où s’enchaînent les visites de convalescence. Si gros qu’il empêche chaque mouvement, chaque expression ; dès que Charlie tente un rire, il manque de s’étou er. La mise en scène de l’obésité, dans un pays qui compte tant de malades et si peu d’accès aux soins, n’en devient que plus bouleversante. Belle idée que d’avoir ainsi o ert ce « rôle à Oscars » à Brendan Fraser, un acteur (exceptionnel) lui-même rendu malade par Hollywood, comme un astucieux retournement de stigmate : ironie, quand tu nous tiens.

68 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
Dans un alliage de sensualité et de dextérité, Maryam Touzani tisse le portrait d’un couple dont le désir est mis à l’épreuve par l’arrivée d’un nouvel apprenti dans leur boutique de caftans… Le film, candidat du Maroc aux Oscars, est notamment porté par Lubna Azabal et Saleh
« Vous voulez du spectacle ? », demande Aronofsky
DAVID EZAN The Whale de Darren Aronofsky, ARP Sélection (1 h 57), sortie le 8 mars Le Bleu du caftan de Maryam Touzani, Ad Vitam (2 h 04), sortie le 22 mars FÉLIX TARDIEU
AU CINÉMA LE 8 MARS

SAULES AVEUGLES, FEMME ENDORMIE

SORTIE LE 22 MARS

Puisant sa matière dans trois recueils de nouvelles de Haruki Murakami, cette fable mystérieuse et sensuelle – centrée sur plusieurs personnages au bord du gouffre affectif – met en image la part de tragique et d’absurde si chère à l’écrivain japonais.

Drame existentiel ou jeu de piste ludique, Saules aveugles, femme endormie ne choisit pas son camp, préférant nous laisser errer en 2011 dans son Tokyo de fiction, après le tremblement de terre et le tsunami qui ont endeuillé le Japon. Penché sur les conséquences

DALVA

SORTIE LE 22 MARS

Porté par la toute jeune et prometteuse Zelda Samson, le premier long métrage d’Emmanuelle Nicot ose aborder les difficiles sujets de l’inceste et de l’emprise et préfère, à la noirceur de son point de départ, la lumière d’une possible reconstruction en apprenant à tisser des relations bienveillantes.

Si l’on devait résumer Dalva, ce serait un regard. Un regard jeune et frondeur, soutenu par d’épais sourcils plissés par la colère ou la méfiance. Celui de Zelda Samson, qui est de tous les plans ou presque du premier long métrage d’Emmanuelle Nicot, et qui incarne avec un talent fou et une présence magnétique la Dalva du titre. À 12 ans, la jeune fille s’habille, se comporte et se pense comme une femme adulte. Parce que son père, qui abuse d’elle, le lui a demandé. Au début du film, la jeune ado est arrachée à lui lors d’une

descente de police chez eux, avant d’être envoyée dans un foyer pour l’écarter de l’emprise de celui qu’elle pense aimer comme un amant, à un âge où c’est le premier baiser dans la cour de récré qui devrait être l’enjeu… Emmanuelle Nicot ne cherche pas à explorer l’horreur de l’inceste, mais plutôt le chemin qui mène vers la lumière, alors que Dalva découvre au foyer les joies du soutien sans contrepartie et de l’amitié indéfectible. La cinéaste croit fort en la résilience de l’être humain et préfère, au voyeurisme et à la tourmente, la reconstruction et une possible libération. Et c’est sûrement ce qu’il y a de plus beau dans cette première œuvre parfois un peu trop mécanique pour bouleverser totalement : cette croyance en la capacité d’un regard à tout surmonter.

Dalva d’Emmanuelle Nicot, Diaphana (1 h 20), sortie le 22 mars

Zelda Samson incarne Dalva avec un talent fou et une présence magnétique.

psychiques d’un tel cataclysme, Pierre Földes, peintre, compositeur et auteur de courts passés sous les radars, met en scène quatre protagonistes comme une collection de destins aux reflets spleenétiques. Selon une technique d’animation particulière (tournage en prise de vue réelle, servant d’inspiration en même temps que les visages 3D sculptés pour chaque personnage), cette œuvre aux plans dépouillés envisage le décor tel un lieu d’e acement où les figurants traînent leur silhouette spectrale. Mais, dans cet entrelacs de solitudes urbaines, le verbe et le hasard des rencontres su sent pour creuser l’horizon. Comme lors d’une charmante scène de dialogue entre un mari abandonné, à la recherche de son chat, et une ado pleine de vie, échouée sur un transat au soleil. Avec patience, Földes gratte ainsi ses images à la façon dont Murakami dévoile la complexité merveilleuse des gens ordinaires.

70 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars no 195 – février-mars 2023
PERRINE QUENNESSON Saules aveugles, femme endormie de Pierre Földes, Gebeka Films (1 h 49), sortie le 22 mars OLIVIER MARLAS

CALENDRIER DES SORTIES

Ghost Therapy de Clay Tatum

FÉVRIER 01

Aftersun de Charlotte Wells

Condor (1 h 42)

Sophie se remémore des vacances d’été avec son père vingt ans auparavant. Elle tente de chercher parmi ces souvenirs des réponses à la question qui l’obsède : qui était réellement cet homme ?

Amore mio de Guillaume Gouix

Urban (1 h 20)

Lola refuse d’assister à l’enterrement de l’homme qu’elle aime. Elle convainc Margaux, sa sœur, de les emmener, elle et son fils, loin de la cérémonie.

Astérix et Obélix. L’empire du Milieu de Guillaume Canet

Pathé (1 h 51)

lire p. 16

L’impératrice de Chine est emprisonnée à la suite d’un coup d’État. Sa fille s’enfuit en Gaule pour demander de l’aide à Astérix et Obélix. Les voici en route pour une grande aventure.

Dounia et la princesse d’Alep de Marya Zarif et André Kadi

Haut et Court (1 h 12)

Dounia a 6 ans, elle quitte Alep avec quelques graines de nigelle au creux de la main. Avec l’aide de la princesse d’Alep, elle fait le voyage vers un nouveau monde…

Droit dans les yeux de Marie-Francine Le Jalu

Des Films Nuit et Jour (1 h 16)

Ils sont étudiants en droit à l’université Paris-VIII Vincennes – Saint-Denis et bénévoles à La Clinique juridique. Là, ils orientent des justiciables des environs.

Damned (1 h 44)

Un photographe au chômage mène une vie mondaine à L.A. Sa femme lui conseille de ne pas « se contenter de rester allongé et de boire de la bière ». Ce qu’il va découvrir va changer sa vie.

Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan Universal Pictures (1 h 40)

Alors qu’ils passent leurs vacances dans un chalet isolé, une jeune fille et ses parents sont pris en otage par quatre étrangers armés qui exigent d’eux un choix impossible.

La Montagne de Thomas Salvador

Le Pacte (1 h 55)

Pierre, ingénieur parisien, se rend dans les Alpes pour son travail. Il décide de ne plus redescendre. Il fait la rencontre de Léa et découvre de mystérieuses lueurs.

Maîtres de Swen de Pauw Nour Films (1 h 37)

À Strasbourg, un cabinet d’avocates s’est spécialisé en droit des étrangers. Christine Mengus et Nohra Boukara s’y battent chaque jour pour aider leurs clients.

Maurice le chat fabuleux de Toby Genkel KMBO (1 h 33)

Avec ses compères les rats, Maurice a un seul but : arnaquer tout le monde et ronronner sur un confortable tas de pièces d’or. Mais des événements mystérieux troublent leur plan.

Un petit frère de Léonor Serraille Diaphana (1 h 56)

Rose arrive en France et emménage en banlieue parisienne avec ses deux fils, Jean et Ernest. Construction et déconstruction d’une famille, de la fin des années 1980 à nos jours.

Astrakan de David Depesseville New Story (1 h 44)

Samuel, un orphelin de 12 ans à l’allure sauvage, est placé chez une nourrice, Marie. Samuel va devoir faire la connaissance de cette nouvelle famille et de leurs secrets.

Emmett Till de Chinonye Chukwu

Universal Pictures (2 h 12)

En 1955, Emmett, un garçon noir de 14 ans, est assassiné parce qu’il aurait si é une femme blanche. Sa mère se bat pour que l’opinion publique comprenne l’horreur qu’il a subie.

La Grande Magie de Noémie Lvovsky

Ad Vitam (1 h 43)

France, années 1920. Un spectacle de magie distrait les clients d’un hôtel. Marta, malheureuse avec son mari, participe à un numéro de disparition et en profite pour disparaître pour de bon.

Lucie perd son cheval de Claude Schmitz Shellac (1 h 22)

lire p. 66

Chez sa grand-mère, en compagnie de sa fille, Lucie rêve de son métier d’actrice.

Pour la France de Rachid Hami

Memento (1 h 53)

Lors d’un rituel d’intégration dans l’école militaire de Saint-Cyr, Aïssa, 23 ans, perd la vie. Ismaël, son grand frère, se lance dans une bataille pour la vérité.

72 no 195 – février-mars 2023 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars
lire p. 26 lire p. 54 lire p. 10
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FÉVRIER 08 lire p. 50 lire p. 16
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p. 44
p. 46
p. 16

Le Retour des hirondelles de Li Ruijun

ARP Sélection (2 h 13)

lire p. 48

En Chine, l’histoire d’un mariage arrangé entre deux êtres méprisés par leurs familles. Entre eux, la timidité fait place à l’a ection. Autour d’eux, la vie rurale se désagrège…

Sacrées momies de Juan Jesús García Galocha

Warner Bros. (1 h 28)

lire p. 16

Lorsqu’un archéologue pille un de leurs trésors, les momies Thut et la princesse Nefer sont contraintes de se rendre dans le monde des vivants.

Tant que le soleil frappe de Philippe Petit Pyramide (1 h 25)

Ant-Man et la Guêpe. Quantumania de Peyton Reed

Walt Disney (2 h 05)

Les super-héros vont explorer la dimension subatomique, interagir avec d’étranges nouvelles créatures et se lancer dans une odyssée au-delà des limites de ce qu’ils pensaient possible.

L’Astronaute de Nicolas Giraud

Diaphana / Orange Studio (1 h 50)

Ingénieur en aéronautique, Jim se consacre depuis des années à un projet secret : construire sa propre fusée et accomplir le premier vol spatial habité en amateur.

Domingo et la brume

d’Ariel Escalante Meza

lire p. 54

Paysagiste tenace, engagé mais acculé, Max se bat pour créer un jardin sauvage, sans clôture, en plein centre-ville d’une métropole : une zone végétale ouverte à tous.

Titina de Kajsa Næss

Les Films du Losange (1 h 30)

lire p. 16

Umberto Nobile vit à Rome avec son chien, Titina. Un explorateur lui demande de concevoir un dirigeable pour conquérir le pôle Nord. L’histoire vraie d’une expédition historique.

La Tour de Guillaume Nicloux

Wild Bunch (1 h 29)

Les habitants d’une cité se réveillent un matin et découvrent que leur tour est enveloppée d’une matière noire qui dévore tout. Ils succombent à leurs instincts les plus primitifs.

FÉVRIER 15

Animals de Nabil Ben Yadir

JHR Films (1 h 32)

Brahim est la joie de vivre de sa mère. Un jour il trouvera l’amour de sa vie. Il deviendra père de famille et les rendra tous fiers. Un jour, il sera mûr et comblé. Un jour…

Épicentre Films (1 h 32)

Dans les montagnes du Costa Rica, Domingo, qui a perdu sa femme, possède une terre convoitée par des entrepreneurs. Mais Domingo résiste car cette terre renferme un secret mystique.

La Femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov

Bac Films (2 h 23)

lire p. 46

Russie, XIXe siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et apprentie pianiste, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte n’est pas réciproque.

Juste ciel ! de Laurent Tirard

Le Pacte (1 h 26)

Pour sauver l’EHPAD local qui tombe en ruines, cinq religieuses un peu fofolles sont prêtes à tout. Y compris à participer à une course cycliste, afin d’en remporter le prix.

Le Marchand de sable de Steve Achiepo

The Jokers / Les Bookmakers (1 h 46)

Un jour, une tante qui fuit le conflit ivoirien débarque chez Djo avec ses enfants. Djo leur trouve un local. Face à la demande croissante, il bascule et devient marchand de sommeil.

Marlowe de Neil Jordan

Metropolitan FilmExport (1 h 50)

En 1939, en Californie, alors que la carrière du détective privé Philip Marlowe bat de l’aile, Clare Cavendish vient lui demander son aide pour retrouver son ancien amant.

73 Sorties du 1er février au 22 mars <----- Cinéma
lire p. 58
février-mars 2023 – no 195

Alors qu’ils sont transférés depuis les Philippines vers la Corée du Sud par un navire cargo, de dangereux criminels provoquent une émeute jusqu’à ce qu’un monstre sorte de son sommeil.

La Romancière, le Film et le Heureux Hasard

de Hong Sang-soo

Arizona (1 h 33)

Banlieue de Séoul. Une romancière rend visite à une amie perdue de vue. Elle croise la route d’un réalisateur et de son épouse, puis fait la connaissance de Kilsoo, une jeune actrice.

FÉVRIER 22

Apaches de Romain Quirot

Tandem (1 h 35)

Paris est aux mains de bandes ultra violentes qui font régner la terreur : les Apaches. Prête à tout pour venger la mort de son frère, une jeune femme intègre un gang.

Arrête avec tes mensonges d’Olivier Peyon

KMBO (1 h 45)

Un romancier accepte de parrainer une célèbre marque de cognac. L’occasion de revenir dans la ville où il a grandi. Sur place, il rencontre Lucas, le fils de son premier amour, Thomas.

Chevalier noir

d’Emad Aleebrahim-Dehkordi

Jour2fête (1 h 41)

Iman et Payar vivent dans un quartier du nord de Téhéran. Après la mort de leur mère, Iman profite de ses relations privilégiées avec la jeunesse dorée pour se lancer dans un petit trafic juteux.

L’Homme le plus heureux du monde de Teona Strugar Mitevska

Pyramide (1 h 35)

Sarajevo. Asja, 40 ans, célibataire, s’est inscrite à une journée de speed dating. On lui présente Zoran. Mais Zoran ne cherche pas l’amour, il cherche le pardon.

Jet Lag de Zheng Lu Xinyuan Norte (1 h 51)

Début 2020, l’épidémie de Covid-19 immobilise la réalisatrice et sa petite amie dans une chambre d’hôtel en Autriche. Xinyuan se remémore un voyage à Mandalay avec sa grand-mère.

Last Dance de Coline Abert Condor (1 h 45)

À La Nouvelle-Orléans, Vince décide de dire adieu à Lady Vinsantos, la drag-queen légendaire qu’il a créée. Mais non sans avoir réalisé son plus grand rêve : un dernier show à Paris.

Petites de Julie Lerat-Gersant Haut et Court (1 h 30)

Enceinte à 16 ans, Camille est placée dans un centre maternel. Elle y rencontre une jeune mère immature et une éducatrice passionnée mais désillusionnée.

MARS 01

El agua

d’Elena López Riera

Les Films du Losange (1 h 44)

Dans un village espagnol, une croyance assure que certaines femmes sont prédestinées à disparaître quand la rivière déborde. Ana et José vivent une histoire d’amour, quand la tempête éclate…

Le Barrage

d’Ali Cherri Dulac (1 h 24)

Soudan, barrage de Merowe. Chaque soir, Maher s’aventure dans le désert pour bâtir une mystérieuse construction en boue, qui semble prendre vie alors que les Soudanais se soulèvent.

Idole de la boxe et vivant entouré de sa famille, Adonis Creed n’a plus rien à prouver. Jusqu’au jour où son ami d’enfance, Damian, prodige de la boxe lui aussi, refait surface.

Empire of Light

de Sam Mendes

Walt Disney (1 h 59)

Hilary, responsable d’un cinéma, et Stephen, un nouvel employé, vont apprendre à soigner leurs blessures grâce à la musique, au cinéma et au sentiment d’appartenance à un groupe…

Ramsès, 35 ans, tient un cabinet de voyance à la Goutte-d’Or à Paris. Il a mis sur pied un solide commerce de la consolation. Jusqu’au jour où Ramsès va avoir une réelle vision.

Si tu es un homme de Simon Panay

JHR Films (N. C.)

Mine d’or de Perkoa, Burkina Faso. Opio, 13 ans, travaille en surface, gagnant un sac de cailloux par mois. Il veut descendre dans les galeries souterraines où les hommes peuvent devenir riches…

La Syndicaliste

de Jean-Paul Salomé

Le Pacte (2 h 02)

L’histoire vraie de Maureen Kearney, déléguée CFDT chez Areva, qui, en 2012, est devenue lanceuse d’alerte pour dénoncer un secret d’État qui a secoué l’industrie du nucléaire en France.

MARS 08

À pas aveugles de Christophe Cognet Survivance (1 h 49)

Christophe Cognet travaille sur les images réalisées par les déportés, en secret et au risque de leur vie, dans les camps nazis.

74 no 195 – février-mars 2023 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars
Le jeune Sammy Fabelman rêve de devenir réalisateur. The Fabelmans de Steven Spielberg Universal Pictures (2 h 31) lire p. 64 lire p. 66
lire
lire p. 60
p. 6 et 42
lire p. 60
lire p. 52
lire p. 34 et 56 lire p. 67 Goutte d’or de Clément Cogitore Diaphana (1 h 38) Creed III de Michael B. Jordan Warner Bros. (N. C.) Projet Wolf Hunting de Kim Hong-seon ESC (2 h 01)

Nayola de José Miguel Ribeiro Urban (1 h 23)

Angola. Trois générations de femmes dans une guerre civile qui dure depuis vingt-cinq ans : Lelena, Nayola et Yara. Le passé et le présent s’entrecroisent.

Mon crime de François Ozon Gaumont (1 h 42)

lire p. 62

Dans les années 1930 à Paris, une jeune actrice sans le sou est accusée du meurtre d’un célèbre producteur. Elle est acquittée pour légitime défense. Mais la vérité éclate au grand jour…

Scream VI de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett

Paramount Pictures (N. C.)

Après les derniers meurtres de Ghostface, quatre survivants quittent Woodsboro pour un nouveau chapitre.

Tengo sueños eléctricos de Valentina Maurel

Geko Films (1 h 42)

Eva ne supporte pas que sa mère veuille se défaire du chat qui, depuis le divorce, pisse partout. Elle veut aller vivre avec son père, qui vit une deuxième adolescence.

Toi non plus tu n’as rien vu de Béatrice Pollet

Jour2fête (1 h 33)

Claire et Sophie sont avocates. Claire est accusée de tentative d’homicide sur enfant de moins de 15 ans. Sophie assure sa défense.

The Whale de Darren Aronofsky

ARP Sélection (1 h 57)

lire p. 68

Charlie, professeur d’anglais reclus chez lui, tente de renouer avec sa fille adolescente pour une ultime chance de rédemption.

Women Talking de Sarah Polley

Universal Pictures (1 h 45)

Des femmes membres d’une communauté religieuse isolée luttent en 2010 pour réconcilier leur foi et leur réalité quotidienne.

75 Sorties du 1er février au 22 mars <----- Cinéma AU CINÉMA LE 29 MARS CRÉATION BENJAMIN SEZNEC / TROÏKA AP 194,5x275 Voyages En Italie 23_01.indd 1 24/01/2023 10:53
février-mars 2023 – no 195

MARS 22 MARS 15

Emily de Frances O’Connor

Wild Bunch (2 h 20)

Le film imagine le parcours initiatique d’Emily Brontë, jeune femme rebelle et marginale, qui la mènera à écrire son chef-d’œuvre Les Hauts de Hurlevent.

Houria de Mounia Meddour

Le Pacte (1 h 38)

Alger. Houria est une jeune et talentueuse danseuse. Femme de ménage le jour, elle participe à des paris clandestins la nuit. Un soir où elle a gagné gros, elle est violemment agressée.

Le Lion et les Trois Brigands de Rasmus A. Sivertsen

KMBO (1 h 20)

Bienvenue à Cardamome, la ville la plus paisible au monde ! Mais trois drôles de crapules se sont mis en tête de s’aventurer en ville… et, attention, ils ont un lion !

Sage-Homme de Jennifer Devoldere Warner Bros. (1 h 40)

Après avoir raté le concours d’entrée en médecine, Léopold intègre l’école de sage-femme. Sa rencontre avec Nathalie, sage-femme d’expérience, secoue ses certitudes.

Toute la beauté et le sang versé

Pyramide (1 h 57)

Immense artiste, Nan Goldin est aussi une activiste infatigable, qui se bat contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États-Unis et dans le monde.

Un varón de Fabián Hernández

Destiny Films (1 h 22)

Carlos vit dans un foyer du centre de Bogota, un refuge à l’abri duquel la vie se fait un peu moins violente qu’à l’extérieur. Pour Noël, Carlos aimerait partager un moment avec sa famille.

Atlantic Bar de Fanny Molins Les Alchimistes (1 h 17)

Après la mise en vente de l’Atlantic Bar, Nathalie, la patronne, et les habitués se confrontent à la fin de leur monde et d’un lieu à la fois destructeur et vital.

Le Bleu du caftan de Maryam Touzani Ad Vitam (2 h 04)

Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret de Halim, son homosexualité.

C’est mon homme de Guillaume Bureau

Bac Films (1 h 27)

Quand la presse publie le portrait d’un homme amnésique, Julie est certaine de reconnaître son mari, disparu sur un champ de bataille de la Grande Guerre. Mais une autre femme aussi.

Chili 1976 de Manuela Martelli

Dulac (1 h 35)

Trois ans après le coup d’État d’Augusto Pinochet, Carmen part superviser la rénovation de la maison familiale en bord de mer. Le prêtre lui demande de s’occuper d’un jeune…

Dalva d’Emmanuelle Nicot Diaphana (1 h 20)

Dalva a 12 ans mais s’habille, se maquille et se vit comme une femme. Un soir, elle est retirée du domicile paternel. Une nouvelle vie s’o re à elle, celle d’une jeune fille de son âge.

De grandes espérances de Sylvain Desclous

The Jokers / Les Bookmakers (1 h 45)

Diplômée de Sciences Po, Madeleine part préparer les oraux de l’ENA en Corse avec son amoureux. Le couple se retrouve impliqué dans une altercation qui tourne au drame.

L’Éden d’Andrés Ramírez Pulido Pyramide (1 h 25)

Eliú, un garçon de la campagne, est incarcéré dans un centre expérimental pour mineurs au cœur de la forêt tropicale colombienne, pour un crime qu’il a commis avec son ami El Mono.

The Eternal Daughter de Joanna Hogg

Condor (1 h 36)

Une artiste et sa mère âgée font face à la résurgence de secrets enfouis lorsqu’elles se rendent dans une ancienne demeure familiale transformée en hôtel, hanté par un mystérieux passé.

Saules aveugles, femme endormie de Pierre Földes

Gebeka Films (1 h 49)

Un chat perdu, une grenouille géante et un tsunami aident un attaché commercial, sa femme et un comptable à sauver Tokyo d’un tremblement de terre.

Sur l’Adamant de Nicolas Philibert

Les Films du Losange (1 h 49)

L’Adamant est un centre de jour unique en son genre : un bâtiment flottant édifié sur la Seine, en plein cœur de Paris, qui accueille des adultes sou rant de troubles psychiques.

Sur les chemins noirs de Denis Imbert

Apollo Films (1 h 35)

Pierre, écrivain explorateur, escalade la façade d’un hôtel, ivre, et fait une chute de plusieurs étages. Le choc le plonge dans le coma. À son réveil, il décide de parcourir la France à pied.

Un hiver en été de Laetitia Masson Jour2fête (1 h 50)

Dix personnages surpris par un froid glacial en plein été. Des rencontres, de la solitude, de l’espoir, de la peur, de l’amour, une chanson, la lutte des classes, et des rêves.

76 no 195 – février-mars 2023 Cinéma > Sorties du 1er février au 22 mars
de Laura Poitras
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p. 70
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Synopsis officiels

DOMINIQUE GONZALEZ FOERSTER & ANGE LECCIA

Etalonnage
Productrice
Réalisé
AU CINÉMA LE 8 MARS ANNA LENA FILMS et HAUT ET COURT DOC PRÉSENTENT
A vec C HRISTOPHE Image ANGE LECCIA d'après une idée originale de DOMINIQUE GONZALEZ-FOERSTER Montage CAROLE LEPAGE
Supervision
musicale et mixage CHRISTOPHE "TOFF" VAN HUFFEL Directrice de production NATHALIE DUCRIN Mixage MATTHIEU DENIAU ELIE AKOKA Génériques MATHIEU DECARLI Co-produit par NAËLLE SAMRI & ELISA NUYTEN
exécutive FLORENCE COHEN Produit par EMMA LEPERS & ANNA LENA VANEY
par DOMINIQUE GONZALEZ-FOERSTER & ANGE LECCIA

CULTURE

MARLÈNE SALDANA

Spectacle

Très remarquée dans les pièces de Christophe Honoré (Les Idoles, Le Ciel de Nantes…), la comédienne, danseuse et performeuse Marlène Saldana creuse depuis deux décennies un théâtre génialement foutraque et déviant. Avec son complice Jonathan Drillet, elle revisite sur scène le clinquant Showgirls, film culte de Paul Verhoeven, et en tire un spectacle vertigineux.

Comme nous, Marlène Saldana fait partie des gens qui vouent un culte tordu au film Parking de Jacques Demy. Flamboyant ratage renié par l’auteur de l’immense Les Parapluies de Cherbourg, cette adaptation rock ringue du mythe d’Orphée donne son lot de moments gracieusement cheap, louches, hilarants, bizarres, dégénérés. Dans l’appartement du Quartier latin où elle habite depuis qu’elle est arrivée de Lyon à Paris au début de la vingtaine, et dans lequel elle a longtemps été en coloc, avant d’y vivre solo, l’actrice dégage ses chats, Mon Colonel et Don Diègue, de la table du salon et s’extasie sur le film, un penchant qui dit tout son goût pour le vrillé et le déconcertant : « Quand même, Jacques Demy voulait David Bowie pour le rôle d’Orphée, et il a eu Francis Huster ! C’est mon film préféré de lui, c’est un désastre. » C’est justement en incarnant, toute de fourrure vêtue, un Jacques Demy explosant tous ses placards dans la pièce Les Idoles (2018) de Christophe Honoré – qui fantasmait la réunion sur scène de six créateurs gays dont l’œuvre a été bouleversée par le sida – que la comédienne, née en 1978, a reçu un coup de projecteur, elle qui évolue depuis deux décennies dans le théâtre underground. « Ça a été une drôle d’expérience, les gens debout, cette adhésion presque totale. J’ai reçu le prix du Syndicat français de la critique, ça m’a fait tellement rire ! Je me suis retrouvée avec mon diplôme, et je me demandais : comment je suis arrivée là en ayant fait autant de conneries ? »

Avec son complice Jonathan Drillet, avec qui elle forme le collectif The United Patriotic Squadrons of Blessed Diana et conçoit des spectacles depuis 2008, elle réinterprète sur scène un autre film maudit, le génial Showgirls de Paul Verhoeven. « Les gens qui viennent voir Showgirl en s’attendant à voir ce que je fais pour Christophe Honoré, ils vont faire : “Euuuh…” Et c’est assez régalant, bien entendu », prévient Saldana. Conspué à sa sortie, le film Showgirls raconte l’arrivée à Las Vegas de Nomi Malone, danseuse aux rêves de gloire. Avec son mauvais goût revendiqué, c’est une ode jouissive à la vulgarité dans laquelle s’instille une critique de l’industrie du spectacle. Le film jouit depuis

personne ne voulait faire les analyses pour le V.I.H.-sida qui touchait beaucoup la communauté gay. Dans mes toilettes, il y avait un poster du virus, et sur la table du salon les livres d’Hervé Guibert. »

UNE DANSE DE MAUVAIS GOÛT

Saldana redanse Showgirls, mais interprété en quatrains de décasyllabes sur la musique de Rebeka Warrior, et adresse au film une lettre d’amour joyeusement camp, une litanie aux rimes pauvres aussi furieuse que régressive.

d’une belle aura dans les sphères queer, et le milieu drag en a largement fait son quatreheures. « La culture pédée, c’est mon monde depuis que je suis gamine, même si je ne suis pas homosexuelle. Ma mère était laborantine dans les années 1980, au moment où

« Je danse en string avec un lustre en forme de bite qui descend, je me roule par terre, je lève la jambe en hurlant. J’imagine le spectateur qui se dit “Je vais me cacher, je ne peux pas regarder ça”, ça me rend dingue. » Entre deux pole dances légendaires, l’actrice

78 Culture no 195 – février-mars 2023
« Je fais ce travail pour avoir tout le temps l’impression de faire une grosse bêtise. »
© Narcisse Agency Showgirl

disserte sur RuPaul, Sergueï Eisenstein, le slut-shaming, la scène du pilon de poulet dans Killer Joe de William Friedkin (dont elle est fan), et surtout sur les tombereaux de bile déversés après la sortie de Showgirls sur Elizabeth Berkley, l’interprète de Nomi Malone. « Elle a cru qu’elle deviendrait Sharon Stone, et elle s’est fait traîner dans la boue. Ce qui nous intéressait aussi, c’est ce que ça raconte sur ce que c’est qu’être actrice. »

ROLLER COASTER

On lui demande alors si, quand elle assène « Je suis Nomi Malone, et je suis là pour danser » dans le spectacle, il n’y a pas quelques points d’identifications, si elle aussi a vécu des doutes ou des désillusions. « Plus au cinéma qu’avec la danse ou le théâtre. Les castings, ça me gonfle ! Une fois, à une audition, je devais jouer une nana dans un commissariat qui pique un flingue et le met dans la bouche du flic. Il n’y avait pas de flingue, donc je le mimais. À un moment, je me suis vue mettre mes doigts dans la bouche du réa lisateur, j’ai dû lui faire mal avec mes ongles. Il disait : “Coupez, coupez !” » Si on l’a vue au cinéma chez ses amis Honoré ou Jeanne Balibar, Saldana se sent bien au théâtre, mais pas n’importe lequel. « Ado, le théâtre que j’aimais, c’était celui d’Alain Françon [metteur en scène, ancien directeur du Centre dramatique national de Lyon, puis du théâtre national de La Colline, ndlr]. Mais, avant d’arriver à Paris, j’ai fait un stage avec lui, et je l’ai trouvé tellement sinistre et chiant que je me suis aperçue que ce n’était pas du tout ce que je voulais faire. » Elle se tourne alors vers un théâtre plus outrancier (et aussi plus fulgurant) avec ces créateurs qu’elle élit comme famille, Yves-Noël Genod, la compagnie du Zerep de Sophie Perez et Xavier Boussiron, Boris Charmatz (le premier à lui avoir proposé de danser), Jonathan Drillet, Jonathan Capdevielle… « Je crois que je fais ce travail pour avoir tout le temps l’impression de faire une grosse bêtise. Avec le Zerep, on faisait une pièce qui s’appelait Oncle Gourdin, on y jouait des lutins. Je lançais des animaux empaillés, ça me faisait rire toute seule parce que je cherchais les bons angles pour que la charogne de renard vole tête face au public. » Un attrait pour le grotesque donc, mais aussi un vrai souci de la complexité, un refus du didactisme – qui lui vient peutêtre de ses études d’anthropologie. « Avec Jonathan, on fait des pièces politiques, mais sans faire la leçon. J’aime qu’on ne sache pas comment on en est arrivés là. » En quittant Marlène Saldana, nous voilà donc passés au même roller coaster que Nomi Malone perdue dans les lumières du vertige Vegas.

Showgirl de Marlène Saldana et Jonathan Drillet, du 8 au 11 mars au Théâtre national de la danse de Chaillot

QUENTIN GROSSET

forumdesimages.fr

79 Culture février-mars 2023 – no 195 Design gr a phique : A B M S tudio –V isuel Sa ilor et Lul a , A lice a u p a ys des mer v eilles, Orphée, R elic, Q ui v eut l a pe a u de R oger Ra bbit © Collection Christophel
lapin
! jusqu’au
Mondes parallèles Suivez le
blanc
24 mars 2023
ciném a , b a nde dessinée, jeu  v idéo, nou v elles im a ges...

SÉLECTION CULTURE

THOMAS DEMAND. LE BÉGAIEMENT DE L’HISTOIRE

Gagnez des places en suivant TROISCOULEURS sur Facebook et Instagram

Quand on observe les photos de Thomas Demand, on se demande d’abord ce qui cloche dans ces façades anodines ou ces intérieurs déshumanisés où tout semble trop propre et trop parfait pour être vrai. Et pour cause ! À y regarder de plus près, tout est fake.

Avec une patience d’horloger, cet artiste allemand fabrique et photographie depuis vingt-cinq ans des répliques miniatures et hyperréalistes de lieux vides où se sont déroulées des scènes historiques. Ne reste plus que la trace de l’événement, d’où toute présence humaine a été escamotée. D’Adolf Hitler à Bill Gates en passant par Saddam Hussein, le jeu de piste est ouvert : chambre plongée dans un clair-obscur, tablée de restaurant, salle de contrôle, passerelle aéroportuaire, tunnel routier, grotte ou étang… Tout est reproduit au détail près sous forme de maquettes en trois dimensions, conçues

Livres

APRÈSMOI LEDÉSERT

Un artiste s’installe dans un entrepôt en Cali fornie, qu’il compte transformer en école d’art. Seul dans la chaleur, alors que le Covid débarque, il s’éloigne du monde…

Un roman en forme d’expérience visuelle, dans lequel il est question de la place de l’individu dans l’espace – au sens géométrique du mot. • Bernard Quiriny

> d’Olivier Bodart (Inculte, 336 p., 21 €)

1983-1984.QUATRE SAISONS DE TRAVERS

Je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans… Xavier Charpentier passe au scanner l’année de ses 20 ans, 1983-1984. De L’Heure de vérité à la marche pour l’égalité et contre le racisme et à la victoire de Yannick Noah, c’est une épopée archivistique à travers l’époque, un récit générationnel et un autoportrait par la bande. • B. Q.

> de Xavier Charpentier (Plein Jour, 224 p., 18 €)

avec une méticulosité extrême à l’aide de carton coloré et de papier. Chaque facsimilé est ensuite photographié en studio, sous une lumière et un angle précis, avant d’être détruit. Il n’en subsiste que l’image rémanente, laissant a eurer une impression de déjà-vu. Chez Thomas Demand, tout n’est qu’illusion et faux-semblant, au point de susciter le malaise. En peaufinant le trompe-l’œil, l’artiste attire l’attention sur ces décors faussement anodins que nous gardons en mémoire et qui façonnent notre perception du monde. Le bégaiement de l’histoire, ne serait-ce pas cette réalité falsifiée, laissant présager de funestes projets politiques ? Le leurre fonctionne en tout cas à merveille, incitant à rester sur ses gardes face aux images que nous ingurgitons. Julien Bécourt > « Thomas Demand. Le bégaiement de l’histoire », du 14 février au 28 mai au Jeu de Paume

Expos Son

L’INVENTION DE L’HISTOIRE

Quand on a pour aïeul André Poisson, le type qui s’est laissé vendre la tour Ei el par un arnaqueur en 1925, on a des excuses pour n’être pas un winneur… Lalumière mijote une comédie mélancolique à sa manière, triste et drôle, avec une belle galerie de personnages et un ton pinçant qui fait mouche. • B. Q.

> de Jean-Claude Lalumière (Éditions du Rocher, 216 p., 18 €)

LECIMETIÈRE DE LA MER

La matriarche d’une dynastie industrielle se suicide, laissant un testament explosif. Qui disparaît aussitôt… Le prodige du polar norvégien Aslak Nore mélange saga familiale, intrigue historique et micmac diplomatique dans ce feuilleton qui emprunte ses codes à Netflix. Parfois brouillon, mais prenant. • B. Q.

> d’Aslak Nore (Le Bruit du monde, 480 p., 24 €)

L’IRRÉSOLUE

FELA ANIKULAPO-KUTI. RÉBELLION AFROBEAT

Insaisissable, la figure convoquée par le titre de cette exposition collective n’a pas de contours définis. Est-ce une énigme, une personne, une enquête, une image ou une équation ? Les six artistes invitées laissent libre cours à l’interprétation, à travers cette métaphore de la résistance féminine. • J. B.

> jusqu’au 23 avril au Plateau –Frac Île-de-France

Père de l’afrobeat, courant musical mêlant highlife, funk, jazz et musique traditionnelle du Nigeria, Fela fut aussi un artiste engagé contre la corruption, la dictature et le pouvoir des multinationales dans son pays. L’exposition retrace l’histoire de ce mouvement, dans lequel la musique est indissociable des luttes politiques. • J. B. > jusqu’au 11 juin à la Philharmonie de Paris

SUR LES ROUTES DE SAMARCANDE.

MERVEILLES DE SOIE ET D’OR

Au tournant du XX e siècle se confectionnaient en Ouzbékistan des parures, des bijoux, des accessoires et des tapis brodés d’or d’une splendeur insensée, source d’inspiration pour l’art de toute l’Asie centrale. Une centaine de pièces de ce patrimoine sont ici réunies, précieuses reliques d’un peuple nomade. • J. B.

> jusqu’au 4 juin à l’Institut du monde arabe

ANNA B. SAVAGE THE RODEO

Avec son timbre singulier, entre Anohni et Angel Olsen, murmures ASMR et prouesses baroques, la Londonienne infuse à ses confessions ambivalentes – réclamant la solitude ici, se déclarant a amée d’autrui là – un sens du récit intimiste qui frappe et émeut, sur un brillant alliage electro-acoustique.

• Wilfried Paris

> in|FLUX d’Anna B. Savage (City Slang)

En français dans le texte, mélodies mouvantes et grandeur orchestrale, The Rodeo se pare des habits colorés d’Arlequine, chanteuse multifacette et artiste de soi. Sur cet album de rupture, elle se réinvente femme puissante et vengeresse, mariant France Gall et The Divine Comedy dans un flamboyant dandysme pop. • W. P.

> Arlequine de The Rodeo (Claro Oscuro)

80 Culture no 195 – février-mars 2023
© Thomas Demand, Adagp, Paris, 2023 Kontrollraum Joanna Piotrowska, Animal Enrichment 2019 Fela Anikulapo-Kuti au Shrine en 1977 R. Ch. Choriyev, Mariée, 1968
La Fondation pour le développement de l’art et de la culture de la République d’Ouzbékistan © Laziz Hamani
© Jean-Jacques Mandel
©
© Katie Silvester © Élodie Daguin et Charlotte Giamarchi Courtesy de l’artiste et de la galerie Phillida Reid, Londres

Restos

AMARANTE

LES OMBRES WAKAZE PARIS

Colossal mais discret, Christophe Philippe bricole des assiettes canailles flanquées de verres de vin naturel. Pied de cochon désossé croustillant, ris de veau, rotis entier, purée de pommes de terre, citron comme une crème brûlée, tout fait ventre. Carte : à partir de 48 €. Menu du travailleur : 27 € • Stéphane Méjanès

> 4, rue Biscornet, Paris XIIe

Spectacles

Expert ès castings, Alain Ducasse a placé Alexandre Sempere, ex-Plaza Athénée, au-dessus du musée du quai Branly –Jacques Chirac, sous la tour Ei el qui clignote rien que pour vous. Deux raisons d’y aller : le poulpe de roche en brioche et la betterave fumée aux baies de genévrier. Menus : de 58 à 188 € • S. M.

> 37, quai Jacques-Chirac, Paris VIIe

Après la brasserie de sakés made in Îlede-France (au riz de Camargue), voici le restaurant Wakaze. Au comptoir, on déguste les cuvées maison avec des plats bien enlevés, karaage (poulet frit), kakuni (poitrine de porc confite) ou curry japonais veggie. Carte : environ 35 €. Menus : de 45 à 65 € • S. M.

> 31, rue de la Parcheminerie, Paris Ve

31 janvier – 19 février / Berthier 17e

librement inspiré du film Braguino de Clément Cogitore texte et mise en scène Anne-Cécile Vandalem

2 – 26 février / Odéon 6e

d’Anton Tchekhov mise en scène Galin Stoev

L’autrice et metteuse en scène Tiphaine Ra er explore la tragédie et la dystopie avec audace et fantaisie. Ses trois pièces sont à (re)découvrir cette année.

Artiste prometteuse du théâtre contemporain, Tiphaine Ra er s’est imposée grâce à une narration ciselée qui mêle musique live, vidéo et jeu d’acteur. Une alliance de moyens qui pourrait rappeler les pièces sophistiquées de Julien Gosselin, pour qui elle a joué à de nombreuses reprises, notamment dans l’électrisant Les Particules élémentaires (2013). Mais ce qui séduit chez la trentenaire, c’est sa capacité à déployer des dystopies teintées de fantaisie, dans un habile mélange de registres. Tout commence en 2012 avec La Chanson, spectacle dans lequel elle met à mal l’agglomération dans laquelle elle a grandi, Val d’Europe, cité en carton-pâte montée de toutes pièces à côté de Disneyland Paris. Elle y met en scène sa propre désillusion à travers celle d’un trio de danseuses fans d’Abba qui se rêvent en stars de la

chanson. Elle poursuit ce fil dystopique dans le récent France-fantôme (2017), une pièce de science-fiction musicale, où naît un business de l’immortalité grâce à une technologie qui permet de se réincarner dans le corps d’un donneur. Cette année, elle s’aventure du côté de la tragédie avec Némésis – une adaptation d’un roman de Philip Roth dont le héros est un coach sportif mégalo –, qui promet encore une fois de prendre des allures de comédies musicales. Complexes et audacieuses, les pièces de Tiphaine Ra er n’ont pas fini de nous désillusionner grâce à leur douce extravagance.

> La Chanson [reboot], du 31 mars au 15 avril à la MC93 (Bobigny) et le 18 avril à l’Espace 1789 (Saint-Ouen) (1 h 20)

> France-fantôme, le 9 février au Théâtre Sartrouville Yvelines (2 h 35)

> Némésis, du 23 mars au 21 avril aux Ateliers Berthier – Odéon-Théâtre de l’Europe (2 h 45)

Trois danseurs en académiques colorés se livrent à un moment de folie sur le plateau. À coups de mimiques ahuries et de grands jetés patauds, ils déploient une ode à la simplicité sur un rythme entraînant orchestré avec précision par la chorégraphe argentine Ayelen Parolin. • B. M. > Simple d’Ayelen Parolin, du 22 au 25 mars au Théâtre national de la danse de Chaillot (55 min)

NACH [DANSE ]

Chorégraphe globe-trotteuse, Nach déploie une danse imprégnée de krump pour créer des pièces souvent autobiographiques. Pour Elles disent, elle partage la scène avec quatre artistes aux voix et corporéités variées pour former un ensemble 100 % féminin dans lequel les esthétiques s’entremêlent. • B. M.

> Elles disent de Nach, du 18 au 30 mars à La Villette (50 min)

18 mars – 22 avril / Odéon 6e

de William Shakespeare mise en scène Jean-François Sivadier

23 mars – 21 avril / Berthier 17e

d’après le roman de Philip Roth mise en scène Tiphaine Raffier création

81 Culture
2023 – no 195
février-mars
Kingdom
Oncle
Vania
Othello
Némésis
TIPHAINE RAFFIER [ THÉÂTRE ]
AYELEN PAROLIN [DANSE ]
© Stéphane
© Stéphane Méjanès © Stéphane
© Simon Gosselin © François Declercq © Atouga Attougha
Méjanès
Méjanès

CINÉMAS

JEANNE CHERHAL – CINÉMA

La chanteuse et musicienne française a élaboré, sur une idée suggérée par Thierry Frémaux lors du festival Lumière, un concert entièrement piano-voix, dédié au cinéma. Un envoûtant voyage musical à travers les bandes originales les plus emblématiques.

> les 13 et 14 février, mk2 Bibliothèque, à 20 h

CULTISSIME !

Avant-premières, cycles, jeune public

(Re)découvrez une sélection de films culte sur grand écran ayant marqué l’histoire du cinéma et réédités en numérique. En février et en mars : E. T. L’extra-terrestre, Jurassic Park et la trilogie Les Animaux fantastiques.

> les dimanches, mk2 Gambetta / Odéon (côté St Michel) / Bibliothèque à 20 h

AVANT-PREMIÈRE D’ASTRAKAN

Projection en avant-première du premier film de David Depesseville (en salles le 8 février, lire p. 44) avec Jehnny Beth et Bastien Bouillon, suivie d’un débat avec l’équipe.

> le 7 février, mk2 Beaubourg, à 20 h 30

Retrouvez toute la programmation des cinémas mk2 ici :

Conférences, débats et cinéma clubs

NI HÉTÉRO NI HOMO, TOUTES ET TOUS FLUIDES ?

« L’identité en débat : sortir des normes et inventer d’autres modèles de sexualité. » Une table ronde avec les écrivain e s Clovis Maillet, Mathilde Ramadier et Lila Braunschweig pour penser la fluidité dans le genre.

> le 9 mars, mk2 Bibliothèque, 20 h

RÉSISTER AU NUMÉRIQUE : TECHNO -LUTTES ET FÉMINISME

« Qui sont celles et ceux qui s’opposent à la numérisation du monde ? » Une soirée avec les essayistes Mathilde Saliou, autrice de Technoféminisme (Grasset), Nicolas Celnik et Fabien Benoît, auteurs de Techno-luttes. Enquête sur ceux qui résistent à la technologie (Seuil) pour étudier ces modes multiples de résistances.

> le 16 mars, mk2 Bibliothèque, 20 h

PARLEZ-VOUS LE PARCOURSUP ?

Une rencontre avec le professeur de lettres et essayiste Johan Faerber, à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage, Parlezvous le Parcoursup ? (Seuil), pour échanger autour de ce scandale numérique et sociétal.

> le 14 mars, mk2 Bibliothèque, 19 h 30

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Chaque semaine, une sélection de films en streaming gratuit sur mk2curiosity.com

LA FEMME EST L’AVENIR DE L’HOMME DE HONG SANG -SOO

Saviez-vous que ce long métrage était l’une des œuvres préférées de Martin Scorsese ? Dans ce film de Hong Sang-soo, dans un Séoul enneigé, deux amis partent sur les traces de Sunhwa, une jeune fille dont ils étaient amoureux quelques années auparavant. Débute alors pour eux un périple pour remonter le fil du temps… • P. R. > du 16 au 23 février sur mk2curiosity.com, gratuit

UNE HISTOIRE DE L’EXTRÊME GAUCHE PAR ROMAIN GOUPIL

Quand Romain Goupil rencontre Michel Recanati dans les années 1960, il est adolescent. Très vite, les deux hommes deviennent inséparables, militant jour et nuit dans les luttes de l’extrême gauche. Lorsque Michel se suicide en 1978, Romain cherche alors à comprendre. Avec Mourir à trente ans, l’auteur signe un film où se croisent intime et politique. P. R. > du 9 au 16 février sur mk2curiosity.com, gratuit

CLOSE-UP SUR DAVY CHOU

À l’occasion de la sortie en salles de Retour à Séoul (25 janvier), focus sur notre invité Davy Chou pour explorer les facettes d’un artiste à la fois réalisateur et producteur, qui tient un grand rôle dans le renouveau du cinéma cambodgien. Découvrez vite Cambodia 2099 (Davy Chou, 2014), The Prince of Sihanoukville (Davy Chou, 2019) ou encore Three Wheels (Kavich Neang, 2015) ! • Paul Rothé > jusqu’au 9 février sur mk2curiosity.com, gratuit

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82 no 195 – février-mars 2023 Les actus mk2

PAGE JEUX

les mots croisés ciné les différences

Ce mois-ci, c’est la flamboyante actrice britannique Tilda Swinton, en double tête d’a che de The Eternal Daughter de Joanna Hogg (sortie le 22 mars, lire p. 4) qui a inspiré notre grille de mots croisés.

HORIZONTALEMENT 1. On y joue au tiercé. Vaut trois points. 2. Exècre. Nous livre plusieurs planches. Cri d’e ort. 3. Adaptation libre d’un roman de Virginia Woolf dont le rôle principal est sublimé par le jeu de Tilda Swinton. Drame de Luca Guadagnino dans lequel l’actrice écossaise incarne une femme mondaine. Actinium. 4. Portes de l’Égypte. Chanteuse luso-belge. Un allumé à l’église. 5. Mangeur d’enfants. La Toile. Obstinées. 6. Parties de poker désorganisées. Donne le top départ. Prénom féminin. 7. C’est un paresseux. Il peut partir en éclats. 8. Réalisateur du film The Grand Budapest Hotel, dans lequel Tilda Swinton arbore un look spectaculaire. 9. Met de côté. Produit une émission. 10. Cette chose-là. Combiner. 11. Donner de bons motifs. Astate. Petits morceaux de lard. 12. Sur le sol. Derrière la caméra pour le film We Need to Talk About Kevin. Refusai d’avouer. 13. La dame du premier. Mit fin à son activité. Fruit du vanillier. 14. Tumeur maligne. Finit en massacre. Famille. 15. Déesse Terre. Un saint en France. Sport d’hiver. Éclat de rire. 16. Magnésium. Il fait de l’actrice une femme vampire aussi cultivée que ra née aux côtés de Tom Hiddleston dans Only Lovers Left Alive. 17. Ce n’est pas grave. Il se met facilement en boule. 18. Pour ce film de 2005, Francis Lawrence réunit un très bon casting composé (notamment) de Keanu Reeves et de Tilda Swinton. 19. Ramasse-miettes. 20. Boutique. 21. Peut être très cher. Un être conjugué. 22. Espace vert. Ce n’est pas tard. 23. Cardinal à Strasbourg. Pieu. 24. Fait toute une montagne. Elle peut être dans l’impasse.

VERTICALEMENT A. Points opposés. B. Tilda Swinton a travaillé avec cette réalisatrice pour la première fois dans le film The Souvenir. C. À travers. Un homme fort aux cartes. Elles ont la classe. Petit maquereau. Trompé. D. Réalisateur de Trois mille ans à t’attendre. C’est avec ce film que commence la carrière de l’actrice. L’homme au divan. E. Consommai. Poivrier hawaïen. Elle a le temps ! Giganewton. Réalisé en atelier. F. Bong Joon-ho est aux manettes de cette œuvre au suspense glaçant. Extrait de l’orange pressée. Petite madame. G. Ville de Suède. En fin d’année. Un sacré patron ! Attira de force. Fit passer le temps. H. Fleuve d’Occitanie. Voyelles. Swinton est la tête d’a che de cette production ayant obtenu le Prix du jury du Festival de Cannes 2021. I. Fatiguée. Ligue de basket-ball. J. Larges estuaires. Conséquences. K. Animal têtu. Une expérience mortelle ! Ruminants tibétains. Vous y êtes bien ! L. Banque mondiale. Prises de sang. Qui existe bel et bien. Son huile purge. C’est très précis. M. L’actrice interprète le rôle de l’Ancien dans ce Marvel. Cri pour faire avancer. Il est à terre. N. Rire d’une certaine façon. Amour de Zeus. Célèbre pour son carnaval. Coup de feu. O. Dernier film de Joanna Hogg, dans lequel Tilda Swinton joue double jeu. Il le suit. P. Cela est mieux. Il passe en tête. Département des Hauts-de-France. Q. Fit le papillon. Étain. R. Il est démonstratif. Un homme plein de privations.

• PAR ANAËLLE IMBERT – © LES MOTS, LA MUSE

Culture
Les solutions ici :
À gauche, une image du film Mon crime de François Ozon (au cinéma le 8 mars, lire p. 62). À droite, la même, à sept di érences près.
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 février-mars 2023 – no 195 83 © Gaumont © Gaumont

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Autoportrait du cinéaste en deux images et un objet

février-mars 2023 – no 05 > no 05 / février-mars 2023 / gratuit magazine
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l’on
» Alain, Les Marchands de sommeil, 1919 NE CONFIEZ PAS VOTRE TEMPS DE CERVEAU DISPONIBLE À N’IMPORTE QUI. Retrouvez tous les événements de mk2 Institut en scannant le QR code ci-contre, sur nos réseaux sociaux ou par mail en vous inscrivant à la newsletter. Plus d’infos : www.mk2.com DÉCOUVRIR
Découvrez
Toute idée devient fausse au moment où
s’en contente.
La journaliste défend l’importance du toucher dans nos vies Amos Gitaï
Richard
François Héran En finir avec les idées reçues sur l’immigration Claire

L’ENTRETIEN Claire Richard

Provoquée par les gestes barrières de la période du confinement, la réflexion de la journaliste Claire Richard sur la question du toucher, Des mains heureuses. Une archéologie du toucher, éclaire les vertus des contacts physiques dans toutes les sphères de la vie. Nourrie de témoignages sensibles et incarnés, cette architecture tactile de nos existences salue le toucher comme une expérience sociale et intime.

Est-ce l’expérience collective, durant le confinement, de l’absence de contact physique qui vous a poussée à vous intéresser à la question du toucher ?

J’étais enceinte pendant le premier confinement et je suis allée à la maternité pour une visite de contrôle. Ce lieu d’ordinaire si vivant, si plein de femmes de tous horizons, était désert, et ça m’a profondément

comme on garde en Scandinavie des graines pour les préserver de l’extinction. Ensuite, quand mon fils est né, j’ai basculé dans un monde où le langage était secondaire, et la création du lien passait avant tout par le toucher. Ces touchers n’étaient pas tous tendres, au contraire : c’est l’ambivalence, la complexité contenue dans ces touchers qui m’a aussi fascinée.

Cette question du toucher reste un sujet de recherche assez mineur. Votre projet consistait-il à mettre en lumière la centralité du toucher dans nos vies ?

Avant la double expérience du confinement et de la maternité, je n’avais jamais réfléchi au toucher : j’aurais plutôt trouvé ça mièvre.

En commençant à m’y intéresser, j’ai été fascinée par ce qu’il charrie. Et j’ai commencé à me demander si l’on pouvait raconter une vie sous l’angle des touchers. Quels touchers surnageraient, et pourquoi ? C’est ce que j’ai appelé « l’architecture tactile de nos existences » : les touchers qui nous font, et ceux qui nous défont.

En quoi votre façon de consigner d’autres expériences que la vôtre vous a semblé pertinente ?

Ce qui est fascinant dans le toucher, c’est qu’il est à la fois très intime et très social.

envie d’une forme collective, traversée de beaucoup de voix, où je tisserais mon expérience et celle des autres.

Était-ce une façon de compenser aussi un manque du côté des recherches savantes sur le sujet ?

J’ai été surprise de trouver peu de grandes sommes sur la question, même si des livres, comme Histoire sensible du toucher d’Anne Vincent-Bu ault, existent et sont passionnants. Mais celui-ci, par exemple, adopte la perspective d’un essai historique sur le sens du toucher et son évolution. Je m’intéressais à une autre échelle, beaucoup plus petite et sensible : qu’est-ce qui se passe quand on se touche ? pourquoi les gens se touchent et quelle trace ces touchers laissent-ils en eux ? Mon livre n’est pas une étude scientifique. C’est une exploration littéraire, à la subjectivité assumée.

Vous remarquez que, si l’histoire de la violence est prolifique, l’histoire des frôlements reste à écrire. Croyez-vous en une « puissance de la douceur » ?

paraît le plus intéressant, c’est moins de réinvestir ces catégories que de les dépasser. Qu’on cesse d’opposer force et douceur, par exemple, pour voir les choses comme des continuums, des complémentaires. Comme l’a dit une prof d’autodéfense féministe lors d’un stage : « Apprendre à méditer, à laisser couler les choses, c’est essentiel. Mais, parfois, frapper un bon coup, aussi. »

Vous évoquez des travaux scientifiques sur la nécessité du contact chez les nouveaunés. Nécessaire au développement physique et mental de l’être humain, le toucher est au cœur du soin. Faudrait-il se toucher plus pour vivre mieux ?

déprimée. Pour la première fois, je me suis demandé si mon enfant grandirait dans un monde sans toucher. J’ai commencé un texte où il était question du « conservatoire des mains qui se touchent » – un musée pour les façons de se toucher disparues,

Un toucher peut provoquer des sensations très fortes (désir, rejet, réconfort, peur…) qui émanent autant de notre vécu que de normes incorporées. C’est vraiment le sens qui interroge la limite – entre soi et les autres, soi et le monde. J’avais donc très

Pour des raisons familiales et féministes, j’ai longtemps un peu méprisé la douceur, que j’associais à la mièvrerie. C’était plutôt la force qui m’intéressait. Mais l’expérience de la maternité a complètement déplacé ce paradigme : se trouver responsable d’une toute petite personne, dans un état de fatigue abyssal, fait vite voler en éclat le mythe de la force… J’ai découvert un autre rapport à la douceur. Cependant, je ne défendrais pas dans l’absolu une « puissance de la douceur » — ce qui me semble toujours risqué d’un point de vue féministe. Ce qui

De plus en plus d’études démontrent les bienfaits du toucher. Cependant, je ne suis pas très tactile, sauf avec des gens très proches, et je détesterais l’idée d’une nouvelle norme qui inciterait à se toucher tout le temps. Le toucher met en jeu l’intimité, et on a le droit de vouloir garder des distances. On peut toucher autrement – par l’écriture par exemple. Ce qui compte est peut-être moins le toucher stricto sensu que ce qu’il crée, l’ouverture à l’autre, la disponibilité, la prise de risque que suppose le contact.

Vous écrivez que « le contact humain est en passe de devenir un produit de luxe ». Peut-on considérer la question du toucher comme une question aussi politique et sociale ?

Absolument. La relation dématérialisée, c’est surtout pour les moins favorisés. Les riches paient, eux, au contraire pour des services humains. Prenez les écrans : les plus pauvres

no 05 – février-mars 2023 II mk2 Institut
« On risque de voir advenir une “société tactile à deux vitesses”. »
© Astrid di Crollalanza

n’ont parfois pas d’autre option de babysitting que les dessins animés. Il y a en fait un risque de voir advenir une « société tactile à deux vitesses », avec un contact humain dégradé pour certains. Dans le même temps, sur un versant plus positif, nous vivons un grand moment de lutte autour du toucher : le mouvement #MeToo et les mobilisations contre les violences sexuelles, c’est aussi une refondation des normes du toucher. On cesse de considérer que les hommes ont un droit coutumier à toucher les femmes, et des gestes qui ne choquaient personne (toucher le genou ou les fesses d’une femme sans son accord) sont reconceptualisés comme ce qu’ils sont : des marques de domination, qui ne sont plus acceptables.

La multiplication des écrans dans nos vies – ce qu’on appelle aussi la société du sanscontact – vous semble-t-elle un péril ? Oui, mais pas pour la question du toucher. Le toucher reste si essentiel, naturel, qu’il reviendra toujours. On l’a bien vu d’ailleurs ces dernières années : le toucher banni est revenu dès que possible. Ce qui m’inquiète, c’est plutôt les dynamiques qui sous-tendent la multiplication des écrans : la captation de notre attention par de grosses entre prises qui la monétisent, et volent notre temps et nos informations personnelles. Ou encore le remplacement des professeurs ou médecins par des écrans, qui sont le symptôme d’un manque d’investissement dans les services publics.

Vous citez plusieurs fois le travail de Maggie Nelson, autrice des Argonautes. Pourquoi vous touche-t-il autant ?

J’ai lu ce livre à plusieurs moments de ma vie, et il a chaque fois beaucoup résonné en moi. Il part d’une histoire d’amour queer et de la maternité pour en faire un espace de réflexion – sur le changement, l’altérité, les limites des catégories… Pendant ma grossesse, j’étais très sensible à sa tentative de penser son expérience hors des catégories qui la prédigèrent, y compris des catégories plus militantes. Je suis aussi très sensible à la construction du livre et à l’écriture de Maggie Nelson, son acuité, sa dimension sensible, son art de la composition. Pendant l’écriture de mon livre, je me suis beaucoup intéressée à sa façon de construire ses livres, et plus généralement à cette forme que les Américains appellent le lyrical essay : des essais qui agencent le personnel et le politique, mais surtout la dimension littéraire et l’inventivité formelle.

« Claire Richard : tout-numérique, gestes barrières… une société sans contact ? », rencontre avec Claire Richard, le 14 février au mk2 Bibliothèque à 19 h 30 gratuit sur inscription

• Des mains heureuses. Une archéologie du toucher de Claire Richard (Seuil, 240 p., 19 €)

• PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MARIE DURAND

PAUL AUSTER

Photographies de Spencer Ostrander

PAYS DE SANG

Une histoire de la violence par arme à feu aux États-Unis

Pays de sang présente un examen aussi concis que rigoureux de l’Amérique à la croisée des chemins et pose une question brûlante : dans quelle société les Américains veulent-ils vivre ?

“Exceptionnel par sa précision, saisissant par son sentiment d’urgence.”

Kirkus Reviews

février-mars
2023 – no 05
SUD
ACTES
III mk2 Institut

ENTRETIEN François Héran

Titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, le sociologue et anthropologue français François Héran rappelle, dans un essai précis et documenté, Immigration. Le grand déni, comment, à rebours des idées reçues, la France n’est pas en proie à une immigration massive et incontrôlée. Un travail utile et nécessaire qui nous éclaire sur la réalité des flux migratoires, souvent décriés dans les discours politiques.

vous ce décalage entre ce que les sciences sociales documentent et l’action politique sur les enjeux migratoires ? Les données statistiques produites par l’État français ne sont pas prises en compte sérieusement par une grande part de la classe politique. Mais je dois reconnaître que, lors du débat parlementaire le 6 décembre dernier autour du projet de loi sur l’immigration, un certain nombre de considérations que je tiens depuis des années ont été intégrées par certains orateurs. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a expliqué par exemple à la députée Les Républicains Annie Genevard que l’on ne peut pas additionner des titres de séjour, des demandes d’asile et une estimation des clandestins sur la même année. Car, si l’on fait cette somme-là, on fait du « double compte » : les titres de séjour comprennent déjà en partie les titres attribués aux demandeurs d’asile l’année précédente. Il faut toujours raisonner en proportions et pas en chi res absolus. Ce qu’un étudiant en statistiques de première année com -

Beaucoup de politiques estiment que les titres de séjour augmentent sans cesse. Que leur répondez-vous ?

Depuis 2005, les titres de séjour ont augmenté d’environ 37 %. On entend souvent : « Cela n’a jamais été aussi important, c’est la faute à Macron. » Mais c’est stupide car, lorsqu’on regarde dans le détail, plus de 54 % de l’augmentation du nombre de titres de séjour est due à l’augmentation du nombre d’étudiants. Ce qu’il faut se demander est plutôt : est-ce que cette augmentation est supérieure à ce qui se passe chez les voisins ? Quand j’entends ceux qui accusent le laxisme et la lâcheté du gouvernement, cela m’a ige. Il y a une lame de fond mondiale, une augmentation générale de l’immigration. Or, chez nous, elle est relativement modérée ; vous ne pouvez pas traiter de la question de l’immigration si vous ne remettez pas en perspective la situation de la France dans le contexte de l’Europe de l’Ouest.

Dire la vérité sur l’immigration, est-ce l’ambition que vous fixez à votre statut d’intellectuel public ?

cherche à en donner les vraies proportions, à en livrer la dynamique, à sortir du débat franco-français, comme il l’est très souvent dans le champ politique.

Quelles sont les principales contre-vérités que ne cessent de répéter les politiques ?

La première contre-vérité concerne la demande d’asile : nous serions, entend-on, submergés par les vagues migratoires. C’est complètement faux. Regardons combien de Syriens, d’Irakiens, d’Afghans, d’Ukrainiens ont pu déposer une demande d’asile dans l’Union européenne, et regardons la part que la France a prise à l’échelle européenne. Nous représentons à peu près 17 % de la richesse européenne et 15 % de la population européenne ; or, à proportion de nos richesses et de notre population, nous n’avons enregistré que 4 % du nombre total d’exilés ! La France n’a pas pris sa part. Ne racontons pas que nous sommes submergés et que l’identité de la France est menacée. Cette pratique consistant à attiser les peurs, en trompant l’opinion, est scandaleuse.

Le débat public autour de l’immigration repose selon vous sur une série de dénis et de contre-vérités, entretenus par les gouvernants eux-mêmes. Comment analysez-

prend déjà très bien, mais qu’un ministre expliquait à un·e député·e. Du coup, vous voyez, je n’ai pas toujours l’impression d’avoir prêché dans le désert.

Mon rôle d’intellectuel public, c’est de remettre en perspective les phénomènes que nous vivons, de rétablir les ordres de grandeur. Quand on fait cet e ort, on s’aperçoit que la situation de la France n’a rien d’exceptionnel, que l’on est plutôt assez bas dans le tableau pour la progression de l’immigration. Je ne cherche ni à minimiser ni à grossir la réalité de l’immigration, je

Une deuxième contre-vérité ?

La vision manichéenne consistant à opposer les personnes en situation régulière et celles en situation irrégulière. On entend des députés qui déplorent que des sans-papiers occupant des emplois nécessaires dans des secteurs en tension ne puissent pas être régularisés, tout en dénonçant la présence des personnes ir-

no 05 – février-mars 2023 IV mk2 Institut
© D. R.
« Ne racontons pas que nous sommes submergés et que l’identité de la France est menacée. »

régulières sur le territoire. Le discours du ministre Darmanin est lui-même contradictoire : il nourrit le sentiment manichéen selon lequel il y aurait deux espèces d’étrangers différentes, les réguliers et les irréguliers ; mais admet dans le même temps que l’on fait un sort insupportable aux sans-papiers qui travaillent. Ces positions ne tiennent pas compte de la réalité de l’exil, ce que les associations appellent la « loterie de l’asile », obligeant les exilés, lorsqu’ils butent sur les procédures légales, à vivre dans l’irrégularité. Or, entre la procédure et l’aventure, la frontière est mince.

Une autre contre-vérité ?

La très mauvaise lecture des contraintes juridiques de l’Europe. La thèse souverainiste en vogue consiste à dire que la France n’a plus de souveraineté juridique, que les décisions en matière de droit d’asile sont prises par le gouvernement européen des juges, que nous devons appliquer la Convention européenne des droits de l’homme, dont l’article 8 qui consacre le regroupement familial. Or, cet article 8 ne consacre pas de façon mécanique le regroupement familial ; il dit que c’est une liberté fondamentale de vivre en famille à condition que soit respecté l’ordre public. Toute la jurisprudence européenne met sans cesse en balance les intérêts de l’État et ceux des migrants. La jurisprudence est complexe ; des juristes se plaignent même qu’il n’y ait pas de caractère automatique du regroupement familial garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Quand les politiques exigent donc le retrait de la Convention ou la réécriture de l’article 8, ce sont des raisonnements simplistes, qui témoignent d’un amateurisme consternant face aux questions de droit. Faire comme si le droit européen était notre ennemi et bornait la souveraineté de la France, c’est totalement faux. Il y a une grande désinvolture dans la façon dont une partie de la classe politique analyse les rapports entre le droit national et le droit européen. Il y a une telle intrication entre ces deux droits qu’imaginer qu’on puisse en sortir avec une telle légèreté c’est confondant d’amateurisme.

« Immigration : en finir avec les idées reçues », rencontre avec François Héran, le 23 mars au mk2 Bibliothèque à 20 h tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi : 9 € | − 26 ans : 5,90 € | carte UGC/mk2 illimité à présenter en caisse : 9 €

• Immigration. Le grand déni de François Héran (Seuil, 128 p, 11,80 €), en librairie le 3 mars

Isabelle Lafon

17 janvier – 12 février création

Milo Rau

19 janvier – 19 février en alternance deux spectacles en néerlandais surtitrés en français et en anglais

Amos Gitaï

14 mars – 13 avril création spectacle en anglais, arabe, français, hébreu surtitré en français

Julien Gaillard

21 mars – 15 avril création

Wajdi Mouawad

10 mai – 4 juin spectacle en français et en libanais surtitré en français

février-mars 2023 – no 05
V mk2 Institut
• PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MARIE DURAND

SÉLECTION LIVRES

Tous les mois, mk2 Institut sélectionne des essais faisant l’actualité du monde des idées. Des recommandations de lecture sur des questions essentielles, qui animent nos sociétés et parfois les divisent.

LA COMMUNAUTÉ TERRESTRE

Parler de la Terre, c’est en réalité avoir à l’esprit une chaîne symbiotique : les humains, les espèces animales, végétales et minérales, les microbes, bactéries et virus, ainsi que les dispositifs technologiques qui en font inséparablement partie. Tel est aussi le cas, du moins dans les pensées animistes africaines, de toutes les forces invisibles, des génies, des esprits et des masques. Figure incontournable de la pensée postcoloniale et acteur majeur du paysage intellectuel mondial, Achille Mbembe poursuit dans cet essai ses réflexions approfondies sur notre monde contemporain en remettant au centre les pensées africaines, réservoir de la compréhension du monde.

ICI ET AILLEURS

Depuis huit ans, la grand reporter et écrivaine Florence Aubenas n’a cessé de parcourir le monde. De la révolte des « gilets jaunes » à la vie quotidienne à Kiev sous les bombes, en passant par la mort dans les EHPAD, la montée inexorable du RN dans les régions et la virée en Thaïlande d’un groupe de jeunes de Nanterre et de La Courneuve, ce sont autant de récits vivants que nous livre la journaliste. L’autrice fait preuve encore une fois d’une exigence jamais démentie : rester au plus près des faits et restituer avec exactitude la parole de l’autre. Cet essai réussit ce pari de nous tenir en haleine, dans cette quête des moments de vérité pendant lesquels l’humain apparaît dans sa nudité.

• UNE SÉLECTION DE JOSÉPHINE DUMOULIN ET GUY WALTER

SEXE ET VIOLENCES

Composé à quatre mains par deux neurobiologistes, Danièle Tritsch et Jean Mariani, cet ouvrage met en évidence les multiples phénomènes cérébraux à l’œuvre dans nos relations sexuelles. Quelle est la biologie qui sous-tend une sexualité harmonieuse ? Quelles conséquences les violences sexuelles ont-elles sur le cerveau ? Que dire de la personnalité des agresseurs ? Dans la perspective de mettre fin à la culture du viol, et parce qu’il y a le plaisir à l’horizon, cette œuvre nous donne une présentation engagée de ce que savent les sciences sur le rôle du cerveau et de la sexualité.

LA TYRANNIE DU DIVERTISSEMENT

Notre époque est malade du temps libre. Depuis le début de la civilisation, jamais l’être humain n’a eu autant de moments pour lui. Le drame est que le temps libre prépare le futur de nos inégalités. L’usage que chaque groupe social en fait est l’élément déterminant de leurs di érences. Une fracture apparaît entre ceux qui ont une stratégie équilibrée d’utilisation du temps libre et ceux qui en sont dépourvus. Dans ce livre, l’essayiste Olivier Babeau montre que nous traversons, sans nous en rendre compte, une crise du loisir qui invite à reprendre le contrôle de soi et à arrêter de perdre son temps.

d’Olivier

no 05 – février-mars 2023 VI
d’Achille Mbembe (La Découverte, 250 p., 20 €) de Florence Aubenas (Éditions de l’Olivier, 368 p., 21,50 €) Babeau (Buchet/Chastel, 240 p., 21,50 €)
mk2 Institut
de Danièle Tritsch et Jean Mariani (Seuil, 448 p., 21,50 €)

AUTOPORTRAIT

Amos Gitaï

Artiste et intellectuel engagé, le cinéaste israélien Amos Gitaï façonne, depuis une trentaine d’années, une œuvre traversée par l’exil, la guerre et la responsabilité. Invité de mk2 Institut lors de deux soirées, il s’entretient avec le metteur en scène Wajdi Mouawad du rôle de l’artiste comme citoyen et donne une master class sur l’importance de la mémoire dans ses créations cinématographiques. À cette occasion, il nous parle d’architecture, d’histoire et de la figure tutélaire de son père en deux images et un objet de son choix.

UGC/mk2

illimité à présenter en caisse : 9 €

• PROPOS RECUEILLIS PAR MARGUERITE PATOIR-THERY

MUNIO WEINRAUB GITAÏ, AUTOPORTRAIT, 1934

Munio, mon père, Comme ceux de sa génération, Appliquait à son architecture

La notion de modestie, de retenue, D’obéissance au projet collectif. C’est cela aussi, la tradition du Bauhaus, Et pas seulement les bâtiments orthogonaux, La création d’une théorie

Et son iconographie architecturale. Dans le langage de l’architecture, cela porte le nom

De Ludwig Hilberseimer et de Hannes Meyer.

no 05 – février-mars 2023 VIII mk2 Institut
«
9 €
« Dialogue entre Wajdi Mouawad et Amos Gitaï », le 21 mars au mk2 Gambetta à 20 h •
Master class du cinéaste Amos Gitaï », le 28 mars au mk2 Gambetta à 20 h tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi :
| − 26 ans : 5,90 € | carte
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© Laura Stevens © Amos Gitaï

LE RÉFECTOIRE DU KIBBOUTZ KFAR MASARYK, AU DÉBUT DES ANNÉES 1990

Arrivé à 18 ans à Dessau, En provenance de la ville de Bielsko, Munio est reçu par Hannes Meyer, Qui lui conseille, avant de s’inscrire au Bauhaus, D’apprendre le métier de menuisier dans une école néoclassique,

C’est-à-dire une conception de la forme absolument opposée. Après une année passée à se professionnaliser

En ornementation néoclassique, Munio est finalement admis au Bauhaus

Où, dans le meilleur esprit dialectique, On utilise son savoir-faire technique sur le bois

Et on remet en question cette conception de la forme.

Comment le jeune Munio est-il passé

De Bielsko à l’atelier du légendaire

Dernier directeur du Bauhaus, Ludwig Mies van der Rohe ?

Comment a-t-il travaillé sur la dernière exposition avant Hitler

En mille neuf cent trente et un ?

Comment les Juifs et les socialistes ont-ils été chassés

Du Bauhaus

À l’époque où Mies van der Rohe

Pensait pouvoir apaiser les nazis

En expulsant certains de ses étudiants :

Les radicaux, les Juifs ou les Juifs radicaux ?

Et comment se fait-il qu’il n’y soit pas parvenu

Et que les nazis n’aient pas approuvé son projet

Pour le quartier général du parti à Munich ?

Finalement, ce qui a sauvé Mies, Du point de vue de l’histoire, C’est le goût des nazis pour le kitsch et le monumental.

UNE LETTRE DU DIRECTEUR DU BAUHAUS, LUDWIG

MIES VAN DER ROHE, EN 1932, DÉTAILLE LES COURS SUIVIS

PAR MUNIO WEINRAUB ENTRE OCTOBRE 1931 ET MARS 1932

Pour en revenir à Munio, Il est arrêté, battu, on lui casse les dents Et il est relâché grâce au père de sa petite amie non juive. Des amis l’aident à passer la frontière suisse Jusqu’à Bâle, la ville où Theodor Herzl avait tenu le premier congrès sioniste, En mille huit cent quatre-vingt-dix-sept, Et avait parlé de la création d’un Judenstaat, un État juif Moderne et laïque.

C’est aussi à Bâle qu’il avait rêvé de Haïfa comme d’une grande ville portuaire Sans rabbin ni militaire, Une ville industrielle moderne Semblable à celle que Munio essaiera de dessiner Quarante ans plus tard Après avoir fui l’Europe sur le pont d’un bateau. À peu près au moment où les Suisses commencent à Renvoyer les Juifs allemands En Allemagne.

février-mars 2023 – no 05 mk2 Institut IX 2
3 © Amos Gitaï © Amos Gitaï

CE MOIS- CI CHEZ MK2 INSTITUT

> JEUDI 2 FÉVRIER

GÉRALD BRONNER – LES CROYANCES COLLECTIVES

« Pourquoi devient-on qui l’on est ? »

> mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

> LUNDI 6 FÉVRIER

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN

« Que mon corps dit-il de moi ? »

> mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30

SANDRINE LEFRANC – UN PASSÉ COLONIAL, UNE HISTOIRE SANS LES FEMMES… COMMENT DÉFINIR UNE POLITIQUE MÉMORIELLE ?

Rencontre suivie d’une signature.

> mk2 Bibliothèque, à 19 h 30

> MARDI 7 FÉVRIER

MARYLIN MAESO – LA VIOLENCE EN FACE

« La violence peut-elle être sa propre limite ? »

> mk2 Nation, à 20 h

> JEUDI 9 FÉVRIER

DANNY TROM – ISRAËL, UN ÉTAT SINGULIER ? Rencontre suivie d’une signature.

> mk2 Bibliothèque, à 20 h

> SAMEDI 11 FÉVRIER

DERNIÈRES NOUVELLES DU COSMOS AVEC CHRISTOPHE GALFARD

« Les univers parallèles. »

> mk2 Bibliothèque, à 11 h

> DIMANCHE 12 FÉVRIER

DERNIÈRES NOUVELLES DU COSMOS AVEC CHRISTOPHE GALFARD

« Les univers parallèles. »

> mk2 Odéon (côté St Germain), à 11 h

VOTRE CERVEAU VOUS JOUE DES TOURS AVEC ALBERT MOUKHEIBER

« Apocalypse Now, le lien social face au danger des catastrophes naturelles. »

Avec Guillaume Dezecache.

> mk2 Bibliothèque, à 11 h

> LUNDI 13 FÉVRIER

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN

« Peut-on être un bon parent ? »

> mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30

SCIENCES SOCIALES ET CINÉMA

Une séparation d’Asghar Farhadi, commenté par Chowra Makaremi.

CONSTANTIN SIGOV – L’UKRAINE : LA PHILOSOPHIE À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Rencontre suivie d’une signature.

> mk2 Bibliothèque, à 20 h

> MARDI 14 FÉVRIER

CLAIRE RICHARD – TOUT-NUMÉRIQUE, GESTES BARRIÈRES… UNE SOCIÉTÉ SANS CONTACT ?

Rencontre suivie d’une signature.

> mk2 Bibliothèque, à 19 h 30

—> JEUDI 16 FÉVRIER

GÉRALD BRONNER – LES CROYANCES COLLECTIVES

« Tous en danger de crédulité : comment se défendre ? »

> mk2 Odéon (côté St Michel), à 20 h

—> SAMEDI 18 FÉVRIER

CULTURE POP ET PSYCHIATRIE AVEC LE DR JEAN-VICTOR BLANC

« Les troubles du comportement alimentaire : To the Bone. »

> mk2 Beaubourg, à 11 h

—> LUNDI 6 MARS

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN

« Le pouvoir peut-il ne pas rendre fou ? »

> mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30

ÉDOUARD JOURDAIN – QUE DEVIENT LA CIVILISATION QUAND LES « CIVILISÉS » NE LE SONT PLUS ?

Rencontre suivie d’une signature.

> mk2 Bibliothèque, à 19 h 30

—> MARDI 7 MARS

SERGE PAUGAM – À L’HEURE DU DÉLITEMENT SOCIAL, COMMENT RÉINVENTER LA SOLIDARITÉ ?

Rencontre suivie d’une signature.

> mk2 Bibliothèque, à 20 h

> JEUDI 9 MARS

LES NOUVELLES PUISSANCES DU FÉMINISME

« Ni hétéro, ni homo, toutes et tous fluides ? »

> mk2 Bibliothèque, à 20 h

> LUNDI 13 MARS

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN

« Ce que tu nies te soumet-il ? »

> mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30

LE CINÉMA SOUS LE REGARD DE LA BIOLOGIE

« Projection du film Les Fils de l’Homme d’Alfonso Cuarón : quand les polluants

chimiques a ectent la fertilité. » Avec

Sakina Mhaouty-Kodja.

> mk2 Nation, à 20 h

> MARDI 14 MARS

JOHAN FAERBER – PARLEZ-VOUS LE PARCOURSUP’ ?

Rencontre.

> mk2 Bibliothèque, à 19 h 30

> JEUDI 16 MARS

MATHILDE SALIOU, NICOLAS CELNIK ET FABIEN BENOIT – RÉSISTER AU

NUMÉRIQUE : TECHNO-LUTTES ET TECHNO-FÉMINISME

Rencontre suivie d’une signature.

> mk2 Bibliothèque, à 20 h

> SAMEDI 18 MARS

DERNIÈRES NOUVELLES DU COSMOS

AVEC CHRISTOPHE GALFARD

« Qu’est-ce que la réalité ? »

> mk2 Bibliothèque, à 11 h

> DIMANCHE 19 MARS

VOTRE CERVEAU VOUS JOUE DES TOURS

AVEC ALBERT MOUKHEIBER

« Le cerveau peut-il induire une sensation de maladie ? »

> mk2 Bibliothèque, à 11 h

DERNIÈRES NOUVELLES DU COSMOS

AVEC CHRISTOPHE GALFARD

« Qu’est-ce que la réalité ? »

> mk2 Odéon (côté St Germain), à 11 h

> LUNDI 20 MARS

GUILLAUME FABUREL – LES GRANDES

VILLES : UNE INDÉCENCE URBAINE ?

Rencontre suivie d’une signature.

> mk2 Bibliothèque, à 19 h 30

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN

« Le fair-play peut-il être une philosophie de vie ? »

> mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30

> MARDI 21 MARS

DIALOGUE ENTRE WAJDI MOUAWAD ET AMOS GITAÏ

Comment être critique envers son propre camp ? Quelle action entreprendre ?

Comment inverser la perspective ?

> mk2 Gambetta, à 20 h

> JEUDI 23 MARS

FRANÇOIS HÉRAN – IMMIGRATION : EN FINIR AVEC LES IDÉES REÇUES

Rencontre suivie d’une signature.

> mk2 Bibliothèque, à 20 h

> SAMEDI 25 MARS

CULTURE POP ET PSYCHIATRIE AVEC LE DR JEAN-VICTOR BLANC

« Troubles anxieux et crise écologique : faut-il Don’t Look Up ? »

> mk2 Beaubourg, à 11 h

> LUNDI 27 MARS

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN

« Peut-on être solaire au quotidien ? »

> mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30

OTHELLO : QUAND LES MOTS

PRENNENT CORPS

Les metteurs en scène Stéphane Braunschweig, Jean-François Sivadier et le comédien Nicolas Bouchaud s’entretiennent de ces questions au cœur de l’énigme théâtrale. > mk2 Odéon (côté St Germain), à 20 h

> MARDI 28 MARS

MASTER CLASS DU CINÉASTE AMOS GITAÏ

Invité par mk2 Institut, le cinéaste Amos Gitaï aborde la question de la place de la mémoire dans son œuvre et du rôle de l’artiste comme citoyen. > mk2 Gambetta, à 20 h

MK2 INSTITUT MAGAZINE

éditeur MK2 + — 55, rue Traversière, Paris XIIe — tél. 01 44 67 30 00 — gratuit directeur de la publication : elisha.karmitz@ mk2.com | directeur de mk2 Institut : guy. walter@mk2.com | rédactrice en chef : joséphine.dumoulin@mk2.com | directrice artistique : Anna Parraguette | graphiste : Ines Ferhat | coordination éditoriale : juliette.reitzer@mk2.com, etienne.rouillon@ mk2.com | secrétaire de rédaction : Vincent Tarrière | renfort correction : Claire Breton | stagiaire mk2 Institut : Marguerite PatoirThery | a collaboré à ce numéro : Jean-Marie Durand | publicité | directrice commerciale : stephanie.laroque@mk2.com | cheffe de publicité cinéma et marques : manon. lefeuvre@mk2.com | responsable culture, médias et partenariats : alison.pouzergues@ mk2.com | cheffe de projet culture et médias : claire.defrance@mk2.com

Imprimé en France par SIB imprimerie — 47, bd de la Liane — 62200 Boulogne-sur-Mer

no 05 – février-mars 2023
mk2 Institut
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ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR PIERRE FÖLDES
GEBEKA FILMS PRÉSENTE UNE PRODUCTION CINÉMA DEFACTO ET MIYU PRODUCTIONS LE 22 MARS AU CINÉMA AVEC LE SOUTIEN DE
D’APRÈS DES NOUVELLES DE HARUKI MURAKAMI

EN CE MOMENT SEULEMENT SUR

UNE CRÉATION ORIGINALE ¢
Une série de Xavier Dolan

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