Trois Couleurs #101 – Mai 2012

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cinéma culture techno mai 2012 n°101 by

SPÉCIAL CANNES 2012 Et aussi…

Walter Salles • Michael Fassbender • Moonrise Kingdom • Kervern et Delépine • Woody Allen Mark Wahlberg • Dark Shadows • Michel Gondry The Dandy Warhols • New Girl • Abbas Kiarostami

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SOMMAIRE Éditeur MK2 Media 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice en chef adjointe Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) Secrétaire de rédaction Jérémy Davis (jeremy_davis@hotmail.fr) Iconographe Juliette Reitzer Stagiaires Isaure Pisani-Ferry, Frédéric de Vençay Ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa ChauvelLévy, Philippe Coussin-Grudzinski, Renan Cros, Julien Dupuy, Sylvain Fesson, Yann François, Quentin Grosset, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Ollivier Pourriol, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Yal Sadat, Louis Séguin, Aureliano Tonet, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente Illustrateurs Stéphane Manel, Charlie Poppins Photo de couverture ©Gregory Smith Publicité Directrice commerciale Emmanuelle Fortunato Tél. 01 44 67 32 60 (emmanuelle.fortunato@mk2.com) Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque Tél. 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Directrice de clientèle hors captifs Laura Jais Tél. 01 44 67 30 04 (laura.jais@mk2.com) Stagiaires Estelle Savariaux Isis Hobeniche

© 2011 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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9 … ÉDITO 10 … PREVIEW > Après mai d’Olivier Assayas 12 … SCÈNE CULTE > Alien, le huitième passager de Ridley Scott

15 LES NEWS 15 … Close-up > Tom Sturridge 16 … Be kind, rewind > De rouille et d’os de Jacques Audiard 18 … En tournage > L’Écume des jours de Michel Gondry 20 … courts métrages > Rencontres du moyen métrage de Brive 22 … mots croisés > Gustave Kervern et Benoît Delépine 24 … Séries > New Girl et 2 Broke Girls 26 … œil pour œil > Dark Shadows : la série vs. l’adaptation ciné 28 … pôle emploi > Rick Baker, maquilleur d’effets spéciaux 30 … Étude de cas > W.E. de Madonna 32 … Tout-terrain > Azealia Banks, Hot Chip 34 … Audi Talent Awards > Carmen Chaplin 36 … Sex Tape > 7 Jours à la Havane de Benicio del Toro, Pablo Trapero…

38 dossiers 38 … Sur la route > Entretien avec Walter Salles ; photos de tournage  ; extrait du scénario ; entretien avec Garrett Hedlund ; reportage sur la route de Kerouac ; verbatims 54 … 65e festival de cannes > Lieux-clés de la Croisette ; rendez-vous à ne pas manquer ; nos pitchs préférés… 60 … ABBAS KIAROSTAMI > Entretien avec le producteur Marin Karmitz 62 … Prometheus > Ridley Scott entre technologie et mythologie ; entretiens avec Noomi Rapace et Michael Fassbender 70 … « Les Maîtres du désordre » > Exposition au quai Branly

73 Le store 73 … ouverture > Les super capsules 74 … En vitrine > Coffret 4 films de Nanni Moretti 76 … Rush hour > Crumb, Un goût de rouille et d’os, Métronome 78 … Kids > Les Muppets, le retour de James Bobin 80 … Vintage > Billy Wilder 82 … DVD-thèque > Millénium – Les hommes qui n’aimaient pas les femmes de David Fincher 84 … CD-thèque > The Dandy Warhols vs. The Brian Jonestown Massacre 86 … Bibliothèque > Skinheads de John King 88 … BD-thèque > Gringos Locos de Yann et Schwartz 90 … Ludothèque > Journey, Kid Icarus: Uprising

93 Le guide 94 … Sorties en ville > Beach House, la Triennale, « Circulez – Quand nos mouvements façonnent les villes », Sidi Larbi Cherkaoui, Yves-Noël Genod, Youpi & Voilà 106 … sorties ciné > Saya Zamuraï de Hitoshi Matsumoto, 11 fleurs de Wang Xiaoshuai, The Day He Arrives de Hong Sang-soo, Moonrise Kingdom de Wes Anderson, Contrebande de Baltasar Kormákur, Woody Allen: A Documentary de Robert B. Weide, Les Femmes du bus 678 de Mohamed Diab 124 … Les événements mk2 > Fortify Your Innocence d’Erevan Tusk, La Quarantième Marche de Nicolas Saada 128 … Trait Libre > Turf de Jonathan Ross et Tommy Lee Edwards 130 … Le carnet de charlie poppins

Réservez vos places de cinéma en ligne sur www.mk2.com 7 www.mk2.com


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ÉDITO

Porte-paroles

Ce numéro de Trois Couleurs s’est fait en pleine conquête d’un corps électoral divisé. On a bossé ce magazine dans l’entre-deux, avant de savoir à qui le tour. On avait déjà notre président, Nanni Moretti, pour un festival de Cannes post-élection (dossier spécial page 54) dans lequel il faut chercher l’antidote, la bénédiction, les tendons qui rendent ses articulations à un squelette éparpillé par les monologues. Cinéma, musique ou BD, notre mois de mai préfère aux débats les dialogues. D’abord, le dialogue d’un livre et d’un film : Sur la route de l’écrivain Jack Kerouac puis du réalisateur Walter Salles (Carnets de voyage). Une conversation que nous avons suivie pendant près d’un an pour la fixer en un hors-série dont vous retrouverez quelques pages, au moment où la route empruntée par Garrett Hedlund, Sam Riley et Kristen Stewart croise le tapis rouge. Pas de dialogue sans interlocuteur, même s’il faut aller quérir un extraterrestre au fin fond de l’univers, à bord du Prometheus de Ridley Scott. Le créateur d’Alien vouvoie avec sagacité le cinéma en relief, quand le réalisateur iranien Abbas Kiarostami nous parle japonais avec Like Someone in Love. Il trouve à Tokyo un lieu nouveau d’exploration de son espace de discussion préféré : la voiture. Dans le Canada de Xavier Dolan (Laurence Anyways), Melvil Poupaud chuchote avec la femme qu’il aurait dû être. Le dialogue peut être manqué, par exemple lorsque les auteurs de Lucky Luke, Gaston ou Spirou cherchent à bavarder avec Walt Disney (une aventure pas possible, racontée dans la bande dessinée Gringos Locos). Il peut aussi être rompu, entre les deux groupes The Dandy Warhols et The Brian Jonestown Massacre qui reviennent en musique, pas loin de dix ans après le documentaire Dig!, qui filmait leur brouille culte. Le dialogue peut se passer de voix et se nouer par mots doux, ceux des enfants de Moonrise Kingdom (Wes Anderson), ou enfin par ce regard de Garrett Hedlund (Dean Moriarty dans Sur la route) qui habite notre couverture. On espère que ça vous parle. _Étienne Rouillon

Sur la route – D’après Jack Kerouac, hors-série #8 de Trois Couleurs, Disponible le 9 mai en kiosque et librairie www.mk2.com

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PREVIEW

Une éducation Après mai d’Olivier Assayas Avec : Clément Métayer, Lola Créton… Distribution : MK 2 Dif fusion Sor tie : prochainement

Après le joli mois de mai, la gueule de bois post-1968. Étudiant gauchiste, Gilles zone aux Beaux-Arts, tiraillé entre peinture, politique et cinéma. Ce parcours initiatique riche en nouvelles têtes (Félix Armand, Carole Combes et Lola Créton entourent Clément Métayer) chronique un éveil collectif des consciences, un ravissement amoureux autant que chromatique. Imprégné du cinéma des années 1970 (Philippe Garrel, Robert Altman, Bo Widerberg), Olivier Assayas renoue avec la fièvre de L’Eau froide (1994). Une variation autobiographique exempte de nostalgie, sauf peut-être pour son complice Laurent Perrin, disparu récemment, à qui le film est dédié. Avec une seule exigence, « être du côté du présent ». ♦

© mk2

_Clémentine Gallot

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alien

Plus de trente ans après le premier volet de la saga Alien, Ridley Scott remet ce mois-ci un couvert horrifique sur la nappe de la science-fiction avec Prometheus, qui déploie l’univers de son aîné vers des espaces plus larges et métaphysiques. Dans les cuisines et dépendances du vaisseau spatial originel, le Nostromo, l’horizon se résumait à un huis-clos scientifique soudain bouleversé par un gueuleton qui reste sur l’estomac. À peine remis d’une agression extraterrestre, le second officier Kane (John Hurt) entame le chemin du retour vers la Terre en prenant place à la table de l’équipage. Au menu : ration de base. _Par Juliette Reitzer et Étienne Rouillon

© Rue des Archives/BCA

scène culte

KANE : Dès que j’arrive, je me fais un super repas. PARKER : Tu m’étonnes. J’ai vu pire que cette bouffe, mais j’ai vu mieux aussi. LAMBERT : Tu enfournes comme si c’était ton dernier repas. PARKER : Je mangerais bien autre chose, mais là, c’est la bouffe qui m’intéresse. Tu comprends ce que je veux dire, t’y as goûté. Je veux pas rentrer dans les détails. Je mange. [Kane crache un bout de ce qu’il vient d’avaler.]

PARKER : Qu’est-ce que t’as ? La bouffe est pas si dégueu. [Kane s’étouffe.]

TOUS, affolés : Qu’est-ce qu’il y a ? DALLAS : Quoi, qu’est-ce que tu as ? ASH : C’est sérieux. [Kane se lève et s’affale sur la table, sur le dos, pris de convulsions.]

ASH : Prends la cuiller ! Mets-lui dans la bouche ! PARKER : J’essaie ! KANE : Haaaaaaaaaaaaaaaaaaa ! [Son ventre commence à exploser. Quinze secondes plus tard, l’éventration reprend, une créature jaillit des viscères de Kane.]

LAMBERT : Oh, mon dieu ! ASH : N’y touchez pas ! [Après un grognement, la créature s’enfuit.] Alien, le huitième passager de Ridley Scot t, scénario de Dan O’Bannon (1979) Cof fret DVD « Alien – La Quadrilogie » (20 th Centur y Fox, disponible)

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Close-up

© Gregory Smith

NEWS

TOM STURRIDGE

Chapeau mou sur la tête et carton à dessins sous le bras, Tom Sturridge s’installe au bar et commande une tequila. Le décor est planté : l’interprète de Carlo Marx (double du poète Allen Ginsberg) dans Sur la route de Walter Salles a la timidité habitée du personnage. « J’ai beaucoup aimé dévoiler un homme que peu de gens connaissent : le Ginsberg d’avant la reconnaissance, celui qui se cherche », explique l’acteur anglais. À 26 ans, cet enfant de la balle est un cinéphile averti (il cite « Bresson, les premiers films de Haneke et Andrea Arnold, l’une des seules Anglaises douées ») et un travailleur opiniâtre. « J’avais tout lu de Ginsberg, j’aurais pu dire quelle marque de thé il buvait… J’avais un peu oublié que je n’étais pas prof mais acteur. » Qu’il se rassure, nous ne risquons pas d’oublier. _Laura Tuillier

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NEWS BE KIND, REWIND

À CŒUR OUVERT

Dans le prochain Jacques Audiard, Stéphanie (Marion Cotillard), dresseuse d’orques, perd ses deux jambes dans un accident de travail. Une rencontre de boîte de nuit, Ali (Matthias Schoenaerts), lui redonne le goût de vivre. De rouille et d’os n’est pas le premier film à associer amour et handicap. Anatomie d’un genre.

© Roger Arpajou et Why Not Productions

_Par Isaure Pisani-Ferry

De rouille et d’os de Jacques Audiard Avec : Marion Cotillard, Mat thias Schoenaer ts… Distribution : UGC Durée : 1h55 Sor tie : 17 mai

© Pathé

© Haut et Court

face au handicap

© RDA

Trois couples

LES AMANTS DU PONT-NEUF

SUR MES LÈVRES

OPEN HEARTS

Lui (Denis Lavant) est un clochard cracheur de feu estropié, elle (Juliette Binoche) est un cœur brisé, affligée par une maladie oculaire. Sur le pont Neuf en chantier, où ils vivent en autarcie, Alex et Michèle tombent amoureux, un peu comme des enfants, un peu comme des animaux sauvages. Film pyrotechnique, plein de feux, de musique et de cris, le projet monstre de Leos Carax célèbre autant la pulsion de vie que l’autodestruction, l’amour fou que l’amour vache. L’union de ces deux marginaux fait leur force : ensemble, ils s’inventent une ­existence possible. ♦

Dix ans avant De rouille et d’os, Tonino Benacquista et Jacques Audiard imaginent les amours curi­ euses de Carla (Emmanuelle Devos), employée de bureau malentendante et morne, et de Paul (Vincent Cassel), son stagiaire, de dix ans son cadet et fraîchement sorti de prison. Elle lit sur les lèvres, il a le poing facile. Séparés, ce sont deux ratés ; leurs faiblesses mises ensemble, ils deviennent redoutables. De manipulations en malversations, le film se fait policier, le rythme et la violence vont crescendo… et la secrétaire effacée et honteuse de son handicap s’épanouit en maîtresse femme. ♦

Réalisé caméra à la main, le film suit la dérive de quatre personnages frappés par la tragédie. Cecilie et Joachim s’apprêtaient à se marier lorsque, ­fauché par une voiture, Joachim se retrouve sur un lit d’hôpital, paralysé à vie. Tandis que l’amertume le transforme en personnage exécrable, le désarroi de Cecilie la conduit dans les bras du mari de la responsable de l’accident. Écrit comme un parcours purgatoire, Open Hearts sonde la confusion des sentiments et la nécessaire réinvention de ceux dont la vie s’arrête… puis repart dans une direction imprévue. Une ode à la vie, tant qu’il y en a. ♦

de Leos Carax (1991)

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de Jacques Audiard (2001)

de Susanne Bier (2003)


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© Philippe Quaisse/Pasco

NEWS EN TOURNAGE

AU GRÉ DU VIAN L’Écume des jours de Michel Gondr y Avec : Aïssa Maïga, Romain Duris… Distribution : non communiquée Sor tie prévue : 2013

Alors qu’elle prépare son premier long métrage en tant que réalisatrice, AÏSSA MAÏGA incarne Alise dans L’Écume des jours, l’adaptation du roman de Boris Vian par Michel Gondry, dont le tournage a commencé en avril. Avec nous, elle évoque les affinités entre le cinéaste bricolo et le poète jazzy. _Par Quentin Grosset

«

Michel m’a demandé de ne rien vous dévoiler, mais je peux déjà vous dire que j’ai rencontré Jean-Sol Partre au café de Flore. » Depuis le début du mois d’avril, Aïssa Maïga a rejoint le plateau de L’Écume des jours, à Bruxelles. Si l’actrice reste discrète sur les séquences qu’elle a tournées, elle nous livre ses premières impressions : « Il y a une évidence entre le côté parfois surréaliste de Boris Vian et l’imaginaire de Michel Gondry. Le scénario est très proche du livre et, en même temps, il y a une véritable appropriation. » Le roman, publié en 1947, suivait l’histoire d’amour enflammée mais tragique de Colin

Clap !

_Par C.G.

1 Woody Allen Après une escapade européenne achevée par des vacances romaines (To Rome with Love), Woody Allen regagne bientôt ses pénates new-yorkais, mais posera surtout sa caméra à San Francisco et non pas au Danemark, pays initialement pressenti pour son nouveau film encore secret.

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et Chloé (joués par Romain Duris et Audrey Tautou) dans une atmosphère fantaisiste, rythmée par le jazz de La Nouvelle-Orléans. Aïssa Maïga et Gad Elmaleh incarnent quant à eux Alise et Chick, « des amants qui sont le négatif du premier couple : ils vont vers quelque chose de plus torturé. Avant de commencer, Michel m’a décrit mon personnage comme la punk du film », précise la comédienne. Entre le nénuphar qui pousse dans le poumon de Chloé et la maison de Colin qui rétrécit au fil des chapitres, l’univers de Vian devrait, selon les confidences de Maïga, satisfaire le penchant du réalisateur pour la science des rêves. ♦

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2 Larry Clark L’impudent photographe skateur se rendra prochainement à Marfa, au Texas, bourgade frontalière et terre d’expérimentation de nombreux artistes. Marfa Girl, titre provisoire de son projet, devrait donner du grain à moudre à des acteurs locaux, dont le jeune Adam Mediano.

3 Serge Bozon Le père de La France entre en tournage à partir de mi-mai pour son deuxième long métrage. Coproduction francobelge, Tip Top promet une comédie policière enlevée avec Isabelle Huppert, Sandrine Kiberlain, François Damiens, Saïda Bekkouche et Aymen Saïdi.


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NEWS COURTS MÉTRAGES Courts, toujours _Par Q.G.

© Universitat fur Musik und darstellende Kunst Wien

© Sedna Films

Spécial Brive

Et ils gravirent la montagne de Jean-Sébastien Chauvin Fanny et Simon fuient la zone industrielle où ils travaillent après avoir blessé leur employeur. Dans la forêt où ils trouvent refuge, le jeune homme disparaît. Un conte intrigant qui joue sur sa bandeson pour tirer vers l’abstraction. Papa d’Umut Dag

_Par Quentin Grosset

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aradoxe curieux que cette ambiance familiale lors du festival du moyen métrage à Brive, quand les films présentés cherchaient justement à miner les liens du sang. Distingué du Grand Prix France, Nos fiançailles de Lila Pinell et Chloé Mahieu dresse le portrait d’une jeunesse catho intégriste qui n’aspire qu’à recréer un foyer clos sur lui-même. Chronique d’amourettes adolescentes pendant les congrès nationalistes et les sittings anti-gay pride, le documentaire propose une variation percutante sur le conservatisme ambiant. Lucie Borleteau, avec La Grève des ventres, y oppose un radicalisme rafraîchissant : un collectif de femmes y milite pour le droit de ne pas tomber enceinte.

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L’occasion pour la réalisatrice de redéfinir la sphère parentale. La question de l’héritage est davantage creusée par Vincent Macaigne dans Ce qu’il restera de nous, déjà remarqué au début de l’année à Clermont-Ferrand. Deux frères font face à la mort de leur père, qui lègue tous ses biens à un seul d’entre eux. Nerveux et théâtral, le film livre une vision étouffante de la cellule familiale. Même sentiment claustrophobe dans Papa de l’Autrichien Umut Dag, où un rappeur macho se retrouve abandonné par sa copine et doit s’occuper de leurs enfants en bas âge. Cette année, Brive reprenait à son compte la citation d’André Gide, devenue adage populaire : « Famille, je vous hais. » ♦

La Vie parisienne de Vincent Dietschy Deux profs parisiens se plaignent de leur train de vie monotone. Par chance, ils rencontrent Rémi, l’ex de l’enseignante, qui les invite à une réception à l’Élysée. Cette comédie musicale absurde pourrait avoir été écrite par Philippe Katerine et réalisée par Emmanuel Mouret.

© Ecce Films

Ce qu’il restera des IXes Rencontres du moyen métrage de Brive : une programmation gaillarde qui, cette année, portait des regards contrastés sur les relations familiales. Asphyxiantes chez Vincent Macaigne, elles se réinventent dans La Grève des ventres de Lucie Borleteau.

© Sombrero Films

Affaires de FAMILLE

Vilaine fille, mauvais garçon de Justine Triet Lors d’une soirée, un peintre fauché et célibataire rencontre une jeune fille délurée. Armée de son dictaphone, la réalisatrice a enregistré des bribes de conversations dans une fête pour les retranscrire dans un scénario juste et touchant.


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NEWS MOTS CROISÉS

Le Grand Soir de Gustave Ker vern et Benoî t Delépine Avec : Benoî t Poelvoorde, Alber t Dupontel… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h32 Sor tie : 6 juin

Le dernier punk à chien s’appelle Not (Benoît Poelvoorde, tatoué et crêté). Il squatte le centre commercial où il a grandi et entraîne son frère JP (Albert Dupontel), vendeur de matelas coincé, dans un pétage de plombs en règle. Voilà Le Grand Soir qu’orchestrent Gustave Kervern et Benoît Delépine. Présenté à Cannes pour Un certain regard, le film est truffé de trouvailles visuelles et de répliques cultes. Rencontre et commentaire de texte. _Propos recueillis par Laura Tuillier / _Illustration : Stéphane Manel

Punk épique « Rouler droit devant, vivre au présent. » (Not dans Le Grand Soir)

Benoît Delépine : C’est la philosophie du film. J’adore faire des films parce qu’on devrait toujours vivre comme ça : à la recherche du potentiel de chaque chose. Être toujours aussi attentif aux lieux, aux situations, à la beauté. Sur Avida, les nuages me passionnaient.

« Ici tu as des lieux dans la norme, des gens dans la norme, des objets dans la norme. » (JP dans Le Grand Soir)

B.D. : Jouer avec la norme, c’est aussi esthétique, bien sûr. Dans nos films précédents, on composait des choses dans le cadre. Là, on n’a plus peur d’en sortir. Gustave Kervern : On s’amuse avec les normes du cinéma, par exemple on ne fait aucun champcontrechamp. On préfère tourner les séquences in extenso. Avant, on a essayé de faire des films sans musique, de beaucoup travailler le son. On essaye de tenter des choses qu’on n’a jamais vues ailleurs. Si ça nous fait penser à un autre film, on dit non. 22

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« Est-ce qu’on est punk ? On a beaucoup fait les cons, on aurait pu se faire virer vingt fois. » « - Ça manque d’originalité, de panache ! - C’est pas punk. » (JP et Not dans Le Grand Soir)

B.D. : Est-ce qu’on est punk ? On a beaucoup fait les cons, on aurait pu se faire virer vingt fois. On a un côté autodestructeur, on retombe sur nos pattes je sais pas comment. G.K. : Y a pas les vêtements, mais la philosophie, elle, est là. B.D. : Dans les années 1990, j’habitais à la campagne, je me suis teint les cheveux avec le colorant pour gâteaux de ma mère. G.K. : On est no future avec un compte épargne, quoi. (Gros rire collectif)


La réplique

« Quand les gens travaillaient à l’usine, c’était plus facile de casser l’outil de travail. Aujourd’hui, tu éteins ton ordi ? » « Yeah yeah! » (Extrait de Yeah, Yeah des Wampas, 1996)

G.K. : Chanson des Wampas. On est contents d’avoir de la musique dans Le Grand Soir, plus que dans nos autres films. Et puis quelle chance ! Les Wampas, Brigitte Fontaine, Les Garçons Bouchers… B.D. : Les séquences de concert des Wampas, c’est les moments où le film s’envole, c’est le temps des rêves.

« Demie clocharde / J’erre et musarde / Mi-suie mi-neige / Dans les manèges / De la city / Qui me sourit »

« C’est normal que tu le trouves changé, la dernière fois que tu l’as vu il était pas né. » Mathilde Seigner, fille désabusée dans Maman d’Alexandra Leclère (en salles le 9 mai)

La phrase « Nolan pensait que je serais inquiet que le public ne puisse pas voir mon beau visage. Comme si j’en avais quelque chose à faire. C’est Chris Nolan ! Je mettrais ma tête dans un sac en papier pour ce type s’il le fallait. » Tom Hardy le 15 avril dans une interview à Entertainment Weekly, à propos du masque de Bane qu’il porte dans The Dark Knight Rises.

(Extrait de Demie clocharde de Brigitte Fontaine, 2001)

G.K. : Je ne connaissais pas bien la musique de Brigitte Fontaine avant le film. Ça a été comme avec Kaurismäki, on l’a fait tourner avant de découvrir son travail. Brigitte, c’est une poète, c’est la vraie punk du film. Moi, je chiale sur ses chansons.

« Hé, c’est des images truquées ! » (JP dans Le Grand Soir)

G.K. : La société du contrôle nous intéresse depuis longtemps, on voulait l’évoquer sans être lourds. On a beaucoup joué avec les caméras de surveillance du centre commercial, qui nous ont donné l’occasion d’un formidable travelling. C’est fou, ça rend parfois de belles images.

« Ils sont où les gens ? Ils sont plus dans les usines, plus dans les champs, plus dans les églises. » (Not dans Le Grand Soir)

B.D. : Quand les gens travaillaient à l’usine, c’était plus facile de manifester, de casser l’outil de travail, de la jouer collectif. Aujourd’hui, dans ton petit bureau, si tu veux que les choses changent, tu éteins ton ordi ? Il faut réinventer des façons de lutter. G.K. : C’est un constat amer que fait Not. Les barricades et la révolution, on n’y est pas… B.D. : Amer mais réaliste. Qui va rejoindre un punk à chien qui veut faire la révolution dans l’ancien Leroy Merlin d’un centre commercial ? Mais leur révolte familiale, ce n’est pas rien non plus. G.K. : Au départ, on devait foutre le feu à la zone commerciale à la fin du film, mais on a réalisé qu’on n’aimait pas forcément ce geste destructeur. Et puis on se sentait assez bien dans la zone ! B.D. : Ouais, détruire et so what ? ♦

Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux.

Nora : Laurent Delahousse music. Thomas : Tulle amour. Stéphane : Vote te faire voir. Nassim : Peter Jackson, le gigot de ce midi… La NouvelleZélande est un pays formidable. Intertitres : Nous n’avons pas les mêmes rillettes. Eric : Paranormal Tupactivity. Luc : Instagram pèse des tonnes. Joel : J’ai peur du noir, j’ai peur des potes de mes potes, j’ai peur de pas être à l’heure au bureau, j’ai peur que ma femme avorte, j’ai peur d’être homo, j’ai peur du Maroc, j’ai peur de Harry Roselmack, j’ai peur que Pernaut prenne sa retraite, j’ai peur des mauvais horoscopes, j’ai peur du Fanta et du poulet frit, j’ai peur des scooters TMax 500, j’ai peur du café sans lait, j’ai peur du jambon de dinde, j’ai peur des épices couscous, j’ai peur des poissons exotiques. Je suis les 17,9 %.

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NEWS SÉRIES © Robin Marchant /FilmMagic

le caméo

Jesse Eisenberg dans The Newsroom Le jeune comédien apparaîtra dans le premier épisode de la nouvelle série de HBO The Newsroom, mais seulement vocalement, puisqu’il doublera exceptionnellement un personnage secondaire. Un tout petit clin d’œil adressé par le créateur du show, Aaron Sorkin, à celui qui fut la star de The Social Network, dont il signa le scénario. The Newsroom, la troisième série de Sorkin consacrée aux coulisses des médias après Sports Night et Studio 60 on the Sunset Strip, doit débuter le 24 juin avec Jeff Daniels en présentateur travaillant pour une chaîne d’info. _G.R.

Drôles de dames Cette saison, la télévision américaine semble découvrir tout d’un coup qu’elle peut faire rire en laissant la vedette aux filles. Lesquelles s’empressent d’investir le créneau en multipliant les sitcoms et les shows, et engageant une vraie petite révolution. _Par Guillaume Regourd

New Girl (États-Unis) Diffusion : saison 1 prochainement sur M6 2 Broke Girls (États-Unis) Diffusion : saison 1 prochainement en France

© FOX

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ina Fey mériterait une statue. Et pourquoi pas à la place de celle d’Atlas portant le monde sur ses musculeuses épaules, devant le Rockefeller Center à New York ? Ce petit bout de femme qui, à quelques mètres de là, gère d’une main de maître la série 30 Rock doit être salué pour avoir bousculé le monde très masculin de la comédie américaine. Alors que Kristen Wiig et ses autres petites camarades du Saturday Night Live – dont Fey fut la première femme à diriger la salle d’écriture – ont mis tout le monde d’accord au cinéma l’été dernier avec Mes meilleures amies, les filles ont aussi pris le pouvoir dans les sitcoms. Les deux comédies télé du moment, l’irrésistible New Girl et la balourde 2 Broke Girls, ont respectivement pour vedette Zooey Deschanel et Kat Dennings, deux brunes piquantes. Les humoristes Chelsea Handler et Whitney

Hannah Simone (à gauche) et Zooey Deschanel dans New Girl

Cummings ont elles aussi eu droit à leur show en prime time cette saison. Après des années de règne sans partage du muf le Charlie Sheen sur le petit écran, conjuguer humour et féminité semble donc désormais permis. Même Judd Apatow, plutôt réputé pour ses blagues de garçon, a succombé au

Zapping

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American Horror Story Rangé des scalpels, le créateur Ryan Murphy (Nip/Tuck) imagine les déboires d’une famille désaxée dans un manoir hanté. Diffusé depuis le 5 mai sur Ciné+ Frisson, ce succès américain permet d’égayer ses samedis soirs en bonne compagnie : Jessica Lange, Frances Conroy…

© 2011 FX Networks LLC

DR

Californication Showtime réfléchit à un spin-off de sa série avec David Duchovny, qui serait construit autour d’un personnage féminin pas encore apparu dans la série, mais présenté dès la sixième saison. Il s’agira apparemment d’une groupie catholique prénommée Faith…

© Showtime

_Par G.R. et F.d.V.

Fargo Alors que les frères Coen travaillent de leur côté sur une série, leur célèbre film de 1996 pourrait être adapté pour la télé sur FX. Sans eux ni Frances McDormand, le projet pourrait ne retenir de son modèle que l’intrigue de départ : une flic enceinte dans le Dakota du Nord.

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charme de la coqueluche indé Lena Dunham (Tiny Furniture) et produit son Girls sur HBO depuis la mi-avril. C’est Mary Tyler Moore, actrice-présentatrice pionnière et modèle affiché de Tina Fey, qui doit être fière, elle qui n’avait pu provoquer dans les années 1970 une telle lame de fond. ♦


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© ABC/Getty Images

NEWS ŒIL POUR ŒIL

Dark Shadows de Dan Cur tis DVD disponible chez MPI Home Video (en impor t, zone 1)

Sang famille

Après avoir hanté le poste avec ses mille deux cent vingt-cinq épisodes, Dark Shadows débarque sur grand écran entre les mains de Tim Burton. Les habitants de Collinwood retrouvent enfin un écran à la démesure de leur folie. Ça va saigner ! _Par Renan Cros

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© Warner

Dark Shadows de Tim Bur ton Avec : Johnny Depp, Eva Green… Distribution : Warner Bros. France Durée : 1h53 Sor tie : 9 mai

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a rencontre entre le soap-opéra culte, pour le meilleur mais surtout pour le pire, et le roi du gothique pop semble être une évidence. Créé par Dan Curtis, Dark Shadows a fait les beaux jours de la chaine américaine ABC entre 1966 et 1971, avec les intrigues fantastico-gothico-amoureuses de la famille ­Collins. Célèbre pour son virage fantastique après le soixante-dixième épisode, la série est un monument de kitsch avec ses personnages outrés, ses trames ésotériques incompréhensibles et surtout des conditions de tournage aléatoires qui en font un plaisir coupable hilarant. Le délire scénaristique de Dark Shadows

offre à Tim Burton un écrin parfait pour son sens de l’ironie et du merveilleux. Ayant déjà fait l’objet de deux adaptations cinématographiques mineures, le retour de Barnabas, le vampire torturé, sous les traits de Johnny Depp, a donc de quoi réjouir : Burton y décape le soap et lui donne des couleurs seventies à même de lui rendre hommage. Quand on sait en plus qu’Eva Green incarne la terrible Angelique, sulfureuse sorcière jalouse, et qu’après avoir été sa Catwoman Michelle Pfeiffer retrouve ­Burton pour jouer la matriarche de Collinwood, on ne peut souhaiter meilleure renaissance à cette série… immortelle. ♦

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NEWS PÔLE EMPLOI

Monstre sacré Nom : Rick Baker Profession : maquilleur d’ef fets spéciaux Dernier projet : Men in Black III Sor tie : 23 mai

Bien plus qu’un simple magicien du grand écran, RICK BAKER est emblématique de tout un pan du cinéma de l’imaginaire, qu’il a marqué d’une empreinte indélébile en créant une nuée de monstres parmi les plus beaux du septième art. Avec Men in Black III, ce grand monsieur revient dans l’univers décalé du cinéaste Barry Sonnenfeld et prouve qu’il a encore, même à l’époque du tout-numérique, plus d’un tour dans son sac ! _ Par Julien Dupuy

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i vous aimez un tant soit peu les monstres, son nom ne peut vous être inconnu : Rick Baker est plus qu’une sommité à Hollywood, il est une véritable star. Lorsqu’il apparaît dans les conventions, il est assailli de fans. On trouve des tee-shirts à son effigie, et l’énorme ouvrage retraçant sa carrière, qui devrait sortir en fin d’année, est attendu avec la plus grande des ferveurs. Depuis les années 1970, cet authentique génie a révolutionné l’art du maquillage d’effets spéciaux : en digne héritier de Lon Chaney, de Jack Pierce et de son maître, Dick Smith, Baker a propulsé la création de monstres dans les sphères artistiques. L’Academy of Motion Picture Arts and Sciences ne s’y est d’ailleurs pas trompée en créant un Oscar spécialement dédié à ce corps de métier après l’un des nombreux coups d’éclat de Baker : le cultissime Loup-garou de Londres de John Landis (1981), pour lequel Rick Baker a conçu une transformation en lycanthrope qui reste encore

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« Comme l’action de Men in Black III se déroule en grande partie en 1969, j’ai pu rendre plein d’hommages aux monstres des séries B de cette époque. » aujourd’hui bluffante. Baker est d’ailleurs devenu l’un des artistes les plus récompensés aux Oscars, en remportant la bagatelle de sept statuettes. VELUS D’AILLEURS L’actualité de Rick Baker, c’est donc Men in Black III, dont la production notoirement chaotique n’a pas été sans impact sur son travail : « En pré-production, on m’a fourni un premier scénario qui n’était certes pas parfait, mais qui me semblait fonctionner. Mais sitôt la production lancée, ils ont commencé à tout réécrire, si bien qu’ils ont supprimé des scènes pour lesquelles

CV 8 décembre 1950 Naissance de Rick Baker à Binghamton, dans l’État de New York 1973 Il fabrique le costume du singe de Schlock, qui amorce sa collaboration avec le réalisateur John Landis et contribue à sa réputation de spécialiste des faux singes avec, entre autres, Greystoke, la légende de Tarzan, Gorilles dans la brume et La Planète des singes de Burton. 1994 Afin que sa transformation de Martin Landau en Bela Lugosi soit la plus convaincante possible, il pousse Burton à tourner Ed Wood en noir et blanc. Résultat : Baker et Landau décrochent un Oscar chacun ! 2012 Sortie de Men in Black III, pour lequel il officie à nouveau comme maquilleur d’effets spéciaux, et publication prévue d’un ouvrage retraçant toute sa carrière


DR

Brève de projo

Rick Baker (à gauche) maquillé en alien sur le tournage de Men in Black III

nous avions déjà construit des extra­ terrestres ! » Malgré ces quelques ratés, Baker a pris un plaisir communicatif au fil de la création des cent vingt aliens qui sont sortis de son atelier : « Puisque l’action du film se déroule en grande partie en 1969, je leur ai dit : “Et si nous faisions une reconstitution historique des monstres de cette époque ?” Ils ont accepté, et j’ai pu ainsi rendre plein d’hommages aux séries B des années 1950 et 1960 : les aliens de Paul Blaisdell dans Invasion of the Saucer Men, ceux de Robot Monster ou le mutant de Metaluna dans Les urvivants de l’infini. » Et comme c’était déjà le cas sur le second Men in Black, Rick Baker y va aussi de sa petite apparition à l’écran, dans le rôle d’un alien au cerveau disproportionné : « C’est moi qui me suis incrusté sur le tournage (rires) ! D’ailleurs, j’ai tourné ma scène le jour de mon soixantième anniversaire, c’était un beau cadeau ! J’adore me maquiller, c’est pour ça que je fais ce travail à la base. »

ESPÈCE RARE Star depuis les années 1980, Rick Baker est aujourd’hui en passe de devenir une légende. « Nous avons vécu l’âge d’or des effets spéciaux de maquillage. Cette époque est désormais révolue », se résigne-t-il. Baker, pourtant, n’a rien d’un passéiste : il fut l’un des premiers techniciens d’Hollywood à employer Photoshop, reste très actif sur le forum du logiciel de modélisation ZBrush sous le pseudonyme de « Monstermaker » et, surtout, a su garder sa passion intacte. « Je n’ai jamais fait ce métier pour devenir un businessman, je déteste ça ! J’ai des locaux immenses, mais lorsque j’arrive le matin, après m’être assuré que tout se déroule bien pour mes employés, je me réfugie dans mon petit atelier privé, où je sculpte, peins, moule. » Intègre jusqu’au bout des griffes, amoureux des monstres de tout poil, Rick Baker est plus que jamais une espèce rare à Hollywood : « Créer des monstres, c’est ce que je fais, c’est ce que je suis. » ♦

Résumé des épisodes précédents… Le festival Séries mania, dont la troisième saison s’est déroulée du 16 au 22 avril au Forum des images, est un peu le Cannes des séries télé. On y voit en avant-première et sur grand écran les meilleures séries du monde entier, des États-Unis à la Corée du Sud, de l’Australie à la Norvège. On y rencontre les stars du milieu : Dominic West, le Jimmy McNulty de The Wire, Terence Winter, ex-Soprano et créateur de Boardwalk Empire, ou encore Gideon Raff, l’un des pères de Homeland… Gratuit, ouvert à tous, l’événement a attiré 12 000 spectateurs cette année. Il s’est clos par le Prix du public, décerné ex æquo à la série britannique Top Boy et à l’Américaine Homeland, tandis que le jury de la presse internationale, qui se concentrait sur les productions françaises, a primé Ainsi soient-ils. _I.P.-F.

La technique

© Studio Canal

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Homeland, Prix du public

À l’ancienne À l’heure où une majorité de films se tourne en numérique – une évolution reflétée dans Side by Side, documentaire produit par Keanu Reeves et présenté à Berlin –, le réalisateur Wes Anderson est revenu à des techniques pré-digitales pour Moonrise Kingdom. Le film a en effet été tourné en Super 16 mm : lancé dans les années 1920 comme le parent pauvre de la pellicule 35 mm, le 16 mm fut longtemps utilisé pour les films amateurs, les documentaires ou les productions télé. À l’inverse du 16 mm classique, le Super 16 mm supprime un côté des perforations de la pellicule pour obtenir un négatif plus grand et un format plus large. Son rendu granuleux convient parfaitement au style suranné de Moonrise Kingdom. _J.D. Moonrise Kingdom de Wes Anderson // Sor tie le 16 mai

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NEWS ÉTUDE DE CAS

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mille : c’est le nombre de cheveux obtenus grâce à la multiplication par ordinateur de mille cinq cents mèches de boucles rousses, créées individuellement par les techniciens du studio Pixar pour figurer la tignasse de l’héroïne du film Rebelle.

mille films sont répertoriés sur l’Internet Movie Database (www.imdb.com), encyclopédie en ligne du cinéma. Depuis 2000, selon les calculs du blog TDYLF, le genre documentaire représente plus de 50 % des productions de films.

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ans : c’est l’âge du vétéran de la sélection cannoise cette année, Alain Resnais. Il vient présenter son dix-huitième long métrage, Vous n’avez encore rien vu. En 2009, il avait reçu le Prix exceptionnel du jury à Cannes pour ses cinquante ans de carrière.

Le dernier Madonna, c’est royal ? NON Parce qu’elle sacrifie sa verve féministe, la madone se plante en s’attaquant au genre anglo-saxon du heritage film, ces films d’époque revisitant le passé britannique. Sous couvert de célébration nostalgique, ils permettaient de véhiculer des idées progressistes en proposant des personnages de femmes s’activant contre une société archaïque. Madonna n’en retient que le versant muséal avec cette variation pompeuse sur Wallis Simpson, une proto-Kate Middleton qui trouve le ressort de son émancipation dans les bijoux offerts par son mari, le roi Édouard VIII. Mado semble plus fascinée par le clinquant de ­l’Angleterre des années 1930 que par ses personnages. Tourné vers un matérialisme rance, le film donne l’impression de regarder la pub Chanel réalisée par Luc Besson (pendant deux heures).

© Pretty Pictures

_Quentin Grosset

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Après l’habile Obscénité et vertu (2008), la reine de la pop revient à la réalisation avec une romance britannique et monarchique : W.E. La rédaction hésite entre trône et guillotine. God save Madonna?

W.E. de Madonna Avec : Abbie Cornish, Andrea Riseborough… Ditribution : Pret t y Pictures Durée : 1h59 Sor tie : 9 mai

OUI Le dernier film de Madonna est une réussite. Dans le genre film esthétisant de star, il y avait eu A Single Man, le premier essai, décevant, du couturier Tom Ford. Alors quand W.E. s’ouvre sur un déluge de luxe, de robes, de lumière délicate et de grain sur l’image, on craint une même perfection plastique froide, distante. Mais on se laisse finalement emporter, moins par l’histoire d’amour princière entre Wallis Simpson et Édouard VIII que par la fascination d’une jeune stagiaire de chez Sotheby’s pour ce couple et par la façon dont elle y trouve un moyen de s’émanciper de son existence rangée. Le film séduit d’abord le spectateur par ses décors chatoyants, mais on retient surtout que celle qui chantait Express Yourself tape au plus juste dans cette mise en scène de la réalisation de soi. _Philippe Coussin-Grudzinski


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NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +

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Oxmo Puccino verse sa larmichette et le groupe electro pop Casiokids sèche les siennes : c’est qu’Azealia Banks, le phénomène rap qui fait pleurer d’envie ses concurrentes, a trouvé sa propre voie tant en termes de flow que de gimmicks rétro sur Fuck up the Fun, son dernier single vénère à faire chialer les gosses. _Q.G.

UNDERGROUND

© Universal Music

LA TIMELINE d’AZEALIA BANKS

Braquage de Banks À tout juste vingt ans, AZEALIA BANKS est en train de casser la baraque avec son hip hop dopé aux beats electro. _Par Éric Vernay

19 91 (EP) d’A zealia Banks Label : Polydor Records Sor tie : printemps

Nicki Minaj peut s’inquiéter : la relève du female rap arrive en trombe et se nomme Azealia Banks. Provocante, la jeune tornade de Harlem n’a pas tardé à faire le ménage parmi ses concurrentes, brocardant ici le manque d’originalité de Minaj, dont la carrière se réduirait à un « hommage à Lil’ Kim », dénonçant là une punchline de la rappeuse blanche Iggy Azalea sur l’esclavage ou bien gratifiant la 32

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Californienne Kreayshawn d’une bordée d’injures sur Twitter. Cachant sous un sourire solaire une sévère envie d’en découdre, cette bisexuelle affichée a assez galéré avec son ancien label XL Recordings pour savoir ce qu’elle veut : tout péter grâce à des singles imparables du calibre de 212. Appel au cunnilingus façon club rap, le morceau sorti fin 2011 a déjà été vu dix millions de fois sur YouTube, lui ouvrant les portes d’une major et de grands festivals comme Coachella. En attendant la sortie de son EP 1991, puis d’un premier LP, Broke with Expensive, produit par Paul Epworth (Primal Scream, Adele), Azealia aligne les minitubes où sa gouaille héritée de Missy Elliott, son flow élastique et son sens du refrain pop font un malheur. ♦

Hier Élevée par sa mère à Harlem avec ses deux sœurs aînées, Azealia Banks intègre la prestigieuse LaGuardia High School, où elle se distingue dans la comédie musicale City of Angels. Partagée entre théâtre, danse et musique, elle choisit le rap.

Aujourd’hui Après des débuts malheureux chez XL Recordings sous le nom de Miss Bank$ (où elle collabore avec Diplo et Richard Russell), Azealia explose avec 212 en décembre 2011. Carton sur YouTube, le single finit en tête des classements de magazines musicaux.

Demain Signée chez Universal sur la foi d’un seul morceau, la femcee a déjà collaboré avec les Scissor Sisters et le styliste de Lady Gaga. Repoussé, son premier EP 1991 doit sortir au printemps, avant un LP, Broke with Expensive, prévu pour l’automne.


CALÉ

Au rayon poissonnerie ce mois-ci, Jacques Audiard promet dans De rouille et d’os des orques dressés et des étreintes torrides. Marion Cotillard, cul-de-jatte, bichonne les cétacés et dresse Matthias Schoenaerts. À moins que ce ne soit l’inverse.

DÉCALÉ

Une baleine grise coincée sous la glace, c’est assez pour alarmer Kristen Bell et Drew Barrymore, épaulées par le preux John Krasinski dans Miracle en Alaska de Ken Kwapis. Sauvez Willy à l’heure des réseaux numériques, la friture en moins.

RECALÉ

Des saumons dans le désert (de Lasse Hallström), comme son titre l’indique, voit Ewan McGregor et Emily Blunt chargés d’importer une vie aquatique et des rivières poissonneuses dans les plaines désertiques du Yémen. Pisciculture de l’extrême.

OVERGROUND Puce à l’oreille Toujours au top de l’electro pop intelligente, les geeks de HOT CHIP reviennent nous vriller le cœur et les hanches avec un capiteux cinquième disque, fidèle à leur esthétique douce-amère. _ Par Éric Vernay

In Our Heads de Hot Chip Label : Domino Records Sor tie : 11 juin

© Domino

Hot Chip n’a rien de rock’n’roll. Depuis plus de dix ans, le quintet londonien élabore son univers electro pop sous influence Pet Shop Boys et R&B avec la patience et la régularité d’un métronome. Leurs chansons parlent de relations longues, non de défonce ou de sexe. « Tu peux chanter ça quand tu as 17 ans, avance Owen Clarke, le guitariste du groupe. C’est marrant mais c’est une forme de rébellion devenue totalement conventionnelle. » Aux textes uniformément tristes ou joyeux, Hot Chip préfère la complexité des sentiments doux-amers et les atmosphères radieuses teintées de mélancolie. « J’essaie juste d’écrire les chansons qui me ressemblent, confie le chanteur à lunettes Alexis Taylor. La posture rock’n’roll, ça n’a jamais été le truc de Hot Chip. » Introspectif et dansant, fidèle à une esthétique de la continuité, In Our Heads, leur cinquième album, prolonge le précédent. « Certains groupes changent de style à chaque fois, comme Beck, justifie Taylor. C’est bien, mais développer les choses sur le long terme m’intéresse plus. » Voilà pourquoi leur pop se bonifie avec l’âge. ♦

LA TIMELINE De hot chip Hier Comme les membres de Burial, de Four Tet et de The xx, Joe Goddard et Alexis Taylor ont fait leurs études à la Elliott School de Londres. Après un premier LP remarqué, Hot Chip perce avec The Warning (2006), album nommé au Mercury Prize.

Aujourd’hui Encensé par la critique avec Made in The Dark (2008) et One Life Stand (2010), le prolifique quintet s’éparpille dans différents side projects de qualité (The 2 Bears, New Build, Taylor en solo…) avant de sortir un cinquième opus en 2012 : In Our Heads.

Demain Signé chez Domino, Hot Chip entame une longue tournée estivale 2012 à travers toute l’Europe (en France les 6 et 7 juillet), les États-Unis, le Canada et le Mexique pour éprouver leur nouvelle livraison electro-pop. « Are you ready for the floor? »

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© Jaime Rubiano

NEWS AUDI TALENTS AWARDS

D’humeur vagabonde Petite-fille de Charlot, l’actrice CARMEN CHAPLIN est membre du jury de la prochaine édition des Audi Talents Awards dans la catégorie court métrage. En s’essayant à la réalisation, elle perpétue une tradition familiale initiée par son grand-père : le vagabondage entre les pays et les univers cinématographiques. _Par Claude Garcia

Mince, j’ai l’impression d’être Jean-Claude Van Damme. » Au téléphone en direct de Londres, Carmen Chaplin cherche ses mots d’une voix douce, perdue entre les vocables anglais et français. On pardonne aisément l’actrice, qui a grandi dans un environnement multiculturel et sous

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le patronage d’auteurs aussi éloignés que Wim Wenders (Jusqu’au bout du monde) et André Téchiné (Ma saison préférée). « Me retrouver dans des univers aussi précis était très stimulant », confie-t-elle, tout en humilité. En 2011, elle passe à la réalisation avec Tryst in Paname, l’histoire d’une femme qui, le temps d’une nuit, attend son amant dans un hôtel. Ravie de cette expérience de jurée pour les Audi Talents Awards, elle compte bien y apposer sa couleur nomade : « Je suis attirée par les personnages expatriés. Mon prochain film, Bombay Night, me permettra de retourner en Inde. Là-bas, c’est une atmosphère étouffante et fascinante, où le rapport à la mort n’est pas le même qu’en Occident. À Varanasi, les corps se consument au bord du Gange, sans perturber les vivants. » Si l’esprit de Charlie Chaplin brûle encore par-delà les cultures, Carmen entretient cette flamme partout où elle passe. ♦

whATA's up ? Enfin les résultats : la remise des prix du concours annuel – catégories court métrage et musique – aura lieu le jeudi 17 mai à la villa Inrocks & Audi Talents Awards, pendant le festival de Cannes. Un film de la compétition sera distingué par un jury de professionnels composé d’Emmanuel Montamat, Grégoire Lassalle, Carmen Chaplin et Antoine Charreyron, qui ont tous avoué leur enthousiasme d’accompagner des cinéastes en devenir. La soirée se clôturera avec un concert exceptionnel de Gossip et de Cascadeur. _C.Ga. Plus d’informations sur w w w.myaudi.fr


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NEWS SEX TAPE

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Cuba libre 7 Jours à La Havane de Benicio Del Toro, Pablo Trapero… Avec : Emir Kusturica, Josh Hutcherson… Distribution : Rezo Films Durée : 2h05 Sor tie : 30 mai

Après Paris, je t’aime ou New York, I Love You, la mondialisation (du cinéma) accoste l’île qui lui est a priori la moins favorable : Cuba, ici filmée par sept réalisateurs (de Laurent Cantet à Pablo Trapero). Le résultat, présenté à Cannes en sélection Un certain regard, baigne tout entier dans les vapeurs du rhum – le segment réalisé par Pablo Trapero met en scène un Emir Kusturica complètement beurré, en visite le temps d’un festival de cinéma – et transpire une sensualité bestiale, où les délices du corps forment souvent l’ultime espoir d’évasion. À l’image du segment de Gaspar Noé, qui met en scène le rituel de purification d’une adolescente coupable d’avoir fricoté avec une fille. Caliente.

© Fullhouse Morena Films

_Juliette Reitzer

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© Gregory Smith

sur la route

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Trop long. Trop erratique. Trop écrit. Trop tarabiscoté. Trop de routes. Jugé inadaptable. Et pourtant, le défi est plus que relevé. Sur la route, le livre mythique de Jack Kerouac qui a lancé des générations de sacs à dos sur le macadam, est enfin porté à l’écran, après six décennies de rendez-vous manqués. Pendant un an, la rédaction de Trois Couleurs a compilé dans un hors-série les chapitres de ce défi cinématographique, remonté la généalogie du mouvement beat jusqu’à sa genèse. Morceaux choisis au moment où s’écrit une nouvelle page, avec la sélection du film en compétition officielle du festival de Cannes. Pages extraites de Sur la route – D’après Jack Kerouac, hors-série #8 de Trois Couleurs, Disponible le 9 mai. dossier coordonné par Juliette Reitzer et Étienne Rouillon

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epuis son premier long métrage, A Grande Arte, en 1991, Walter Salles est passé maître en l’art de la dérobade. Larcins, fugues, échappées belles jalonnent ses road movies comme autant d’étapes d’une quête identitaire enlevée, sensible et surprenante. Parrainé par Francis Ford Coppola pour adapter Sur la route de Jack Kerouac, le Brésilien s’est approprié le roman à sa manière, « en le trahissant pour lui être plus fidèle ». Entre urgence et contemplation, entretien de haut vol avec un brigand de grand chemin. _ PROPO S RECUEILLIS PAR AURELIANO TONET

Vous souvenez-vous de votre réaction lorsque vous avez lu pour la première fois Sur la route ?

J’ai lu le livre à un moment difficile de la vie brésilienne, les années de plomb du régime militaire. La presse et l’édition étaient sous censure, et Sur la route n’était pas publié en portugais. Je l’ai lu en anglais. Dans ce récit initiatique, tout était à l’opposé de ce que l’on ressentait dans le pays. Le souffle libertaire de Dean, Sal et les autres personnages du livre, le mouvement constant, l’expérimentation, le sexe, le jazz ou la drogue étaient comme le contrechamp de ce que nous vivions. J’ai donc été profondément marqué et je n’ai pas été le seul. J’avais 18 ans et, à l’université, le livre passait de main en main. Symptomatiquement, la publication de Sur la route au Brésil coïncide avec les mouvements pour la redémocratisation du pays, en 1984. Le livre avait une telle qualité emblématique pour moi que l’idée de l’adapter à l’écran ne m’effleurait même pas. Ce n’est qu’après l’invitation de Zoetrope Studios, à la suite de la projection de Carnets de voyage à Sundance en 2004, que le projet a peu à peu pris corps. Plus largement, quelles sont vos affinités avec la Beat Generation ?

Walter Salles, Kristen Stewart et Sam Riley sur le tournage de Sur la route

J’ai été adolescent à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Pour ceux de ma génération, il n’était pas difficile de comprendre que la plupart des mouvements libertaires qui nous marquaient trouvaient leur origine dans la génération de Ginsberg, Kerouac, Burroughs, di Prima, Baraka. Ils ont tout simplement redéfini la manière dont nous vivions ou désirions www.mk2.com

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sur la route vivre. Le poète Michael McClure, qui faisait par-

tie du mouvement, le dit plus clairement que moi : « Un jeune mec de 21 ans m’a demandé l’autre jour ce qui était arrivé à la Beat Generation. Il s’habillait et se coiffait comme il voulait, était contre la guerre en Irak, s’intéressait à l’écologie et au bouddhisme… Je lui ai posé la même question : “Oui, où est la Beat Generation ?” Elle était en lui… Pas facile, parfois, d’expliquer cela aux gens ; aucun besoin, d’ailleurs. »

Les road movies comme Profession : reporter de Michelangelo Antonioni ou Alice dans les villes de Wim Wenders m’ont amené au cinéma. La quête identitaire au cœur de ces récits, l’improvisation qui les nourrit, le fait que les transformations de ces personnages en mouvement ne sont pas extérieures mais intérieures, l’imprévisibilité des histoires et des tournages, tout cela explique ma fascination pour cette forme de cinéma. Les road movies ne portent pas sur ce qui est dit mais sur ce qui doit être ressenti. Abbas Kiarostami parle du cinéma comme de l’invisible qui complète le visible, c’est parfois ce que je ressens en regardant un road movie. Je viens de le vivre avec Il était une fois en Anatolie, de Nuri Bilge Ceylan, un film d’une ampleur unique.

© Gregory Smith

De Central do Brasil à Carnets de voyage, le road movie est l’un des fils directeurs de votre filmographie. Qu’est-ce qui vous attire tant dans ce genre cinématographique ?

Avant tout, la volonté d’être en harmonie avec le « flux de conscience » qui est à la base du récit de Kerouac. Nous avons beaucoup parlé avec Éric Gautier (le chef opérateur, ndlr) durant les années où le film ne se concrétisait pas. Cela nous a permis de nous comprendre sans avoir recours à la parole, à plusieurs reprises sur le tournage. La Aaton Penelope, une caméra très légère créée par Jean-Pierre Beauviala, a été un instrument vital dans ce désir d’être solidaire des personnages, d’expérimenter avec eux. Puis, le travail de François Gédigier au montage nous a permis de trouver le rythme interne du film, parfois très « cut », parfois plus contemplatif, pour capturer les moments « entre » les scènes. Comment avez-vous réuni le casting ?

À partir de 2004, le casting s’est mis en place au fil des années. Kirsten Dunst a été la première actrice avec qui j’ai parlé, pour jouer Camille. Je la trouve toujours d’une grande justesse… Pour Kristen Stewart, ça s’est passé de manière imprévue. Gustavo Santaolalla et Alejandro Iñárritu venaient de voir un premier montage d’Into the Wild et m’ont dit : « Ne cherche plus pour Marylou, la fille est dans le nouveau film de Sean Penn et elle est géniale. » J’ai rencontré Kristen juste avant que la folie Twilight ne commence, et elle est restée fidèle

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© Gregory Smith

À rebours des road movies étirés des années 1970, tels Macadam à deux voies, vous filmez souvent caméra à l’épaule et optez pour un montage très alerte et « cut ». Qu’est-ce qui a motivé ce contrepied ?

Walter Salles sur le tournage de Sur la route

au film pendant toutes ces années d’incertitude. Quant à Garrett Hedlund, il est venu faire un essai. Il a demandé à lire un texte qu’il avait écrit dans un bus, entre le Minnesota et Los Angeles. À la moitié de la lecture, j’ai eu la certitude que Dean Moriarty, c’était lui. Il a lui aussi attendu des années, d’autres films sont venus, il m’a toujours appelé pour me demander s’il devait les faire ou pas. Une amitié s’est construite dans cette confiance mutuelle, comme avec Gael García Bernal. Concernant Sam Riley, enfin, j’avais vu Control, il était brillant dans le film, et ses essais ont été d’une vive intelligence et d’une grande précision. La Ford Hudson ’44 est l’un des personnagesclés de Sur la route : c’est un lieu de disputes, de désir, de rencontres…

Ah, la Hudson… Elle est en effet un personnage à part entière, comme « La Poderosa» dans Carnets de


Sur le tournage de Sur la route , de gauche à droite : kristen stewart, garrett hedlund, danny morgan, elisabeth moss, amy adams, sam riley, viggo mortensen

Les road movies comme “profession reporter” d’antonioni ou “alice dans les villes” de wenders m’ont amené au cinéma. voyage, la moto Norton de 1947 d’Alberto et Ernesto. L’intérieur est assez grand pour accueillir une petite équipe de tournage. On a couvert 7 000 kilomètres non-stop avec elle en sillonnant les États-Unis, lors du tournage de deuxième équipe. En chemin, des gens reconnaissaient la voiture et venaient nous en parler… Il y a un culte de la Hudson, et ça nous a permis de faire des rencontres assez uniques. Dont plusieurs mécaniciens hauts en couleur, confessons-le… J’ai toujours aimé les films de Steve McQueen pour son jeu en retrait, d’une grande intelligence, mais aussi pour sa dextérité au volant. Garrett a un peu ses qualités, il fait corps avec la voiture, ce qui nous a permis de faire des scènes avec les acteurs a des vitesses… comment dire… pas très réglementaires. Sur la route offre une large place aux grands espaces. Comment avez-vous pensé la photographie du film avec Éric Gautier ?

La géographie physique est au cœur du livre, mais moins que ce qu’on pourrait nommer la géographie interne des personnages. Ann Charters dit, dans un de ses textes sur Sur la route, que le livre peut aussi être compris comme un récit sur la fin de la route. Les États-Unis se sont définis à partir de cette marche vers l’Ouest, et ce n’est pas un hasard si le western

est le genre cinématographique nord-américain par excellence. L’occupation du territoire correspond au début de la fin du rêve américain, et les personnages de Sur la route portent cette dichotomie en eux. Filmer ce désir de dévoiler ce qui leur était inconnu, mais aussi leurs conflits internes, le début de la fin de ce rêve, était ce qui nous intéressait. Éric Gautier, avec son intelligence aiguë, a bien compris cet enjeu depuis le début. Il guette les personnages, leurs oscillations, caméra à la main. Comme Éric le soulignait, tourner Sur la route en noir et blanc aurait été faire ce qui était attendu, comme une citation des Américains de Robert Frank… Je préfère garder le noir et blanc pour un film contemporain – ce que j’avais fait dans Terre Lointaine, un film sur les années 1990 au Brésil, tourné en régime d’urgence. Vos personnages sont pour la plupart situés en marge de la société. Pourquoi cet attrait pour la périphérie ?

Parce que le centre n’est jamais très intéressant. Les road movies ne sont jamais sur ce qui se passe au centre, mais dans la marge. ♦ Retrouvez cet entretien en intégralité dans Sur la route – D’après Jack Kerouac, hors-série #8 de Trois Couleurs, 244 pages en librairie, 19 6 pages en kiosque.

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sur la route

PHOTOS DE TOURNAGE Brésilien d’ascendance ibérique, grandi entre Rio de Janeiro, Paris et la Californie, polyglotte accompli, Walter Salles circule avec aisance entre les continents et les disciplines. Dans sa filmographie, Sur la route prend déjà des allures de film-somme : c’est en mobilisant l’ensemble de ses identités (réalisateur de documentaires, de road movies, de thrillers ou de comédies familiales) que ce mélomane, féru de sport et d’automobile, rompu à l’art de

l’adaptation littéraire, est parvenu à s’emparer du roman de Kerouac. Parmi toutes ces casquettes, celle de photographe lui a permis de documenter la grande aventure du tournage, des premiers essais de Garrett Hedlund en 2007 au voyage de la deuxième équipe (chargée de tourner les plans additionnels), en 2011. Sélection commentée par Walter Salles. _Propos recueillis par Aureliano Tonet. _Photos de Walter Salles. Toutes les photos ont été prises en format 2.35 (scope) avec un appareil Hasselblad Xpan.

« Sur une route texane. Garrett place le paquet de cigarettes selon les indications de Carolyn Cassady : “Sous son tee-shirt.” »

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« Fin du tournage de deuxième équipe, près de 29 Palms, en Californie. »

« Arrêt imprévu à la frontière du Texas et du Nouveau-Mexique : la Hudson surchauffe après 400 kilomètres à fond. »

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© Coll. Privée /Musée des lettres et manuscrits-Paris

sur la route

« SUR LA ROUTE », EXTRAIT DU SCÉNARIO DE JOSÉ RIVERA DATÉ DU 22 AVRIL 2008, ADAPTÉ DU ROMAN DE JACK KEROUAC. ANNOTATIONS MANUSCRITES PAR WALTER SALLES. Exposé au musée des Lettres et Manuscrits de Paris du 16 mai au 19 août

Le roman de Jack Kerouac développe une intrigue complexe, faite d’allers-retours et d’une nuée de personnages secondaires difficiles à contenir en un scénario. Walter Salles raconte : « Avec José Rivera (le scénariste, ndlr), nous avons discuté et travaillé pendant cinq ans sur de multiples versions, en essayant de respecter le plus possible le livre et parfois en bifurquant, en le trahissant pour lui être plus fidèle. Une adaptation, c’est ce qui doit permettre aux spectateurs de revenir au livre, à l’original. Et de construire leurs propres versions de Sur la route. » 44

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Pour incarner Dean Moriarty, l’Américain GARRETT HEDLUND s’est abandonné corps et âme à la langue fiévreuse et aux saccades chamaniques de son personnage. Détenteur du feu sacré de la parole, pilote ardent et impulsif, Moriarty, avatar littéraire de la figure beat Neal Cassady, est celui par qui tout démarre, s’accélère et s’entrechoque. Lors d’un face-à-face généreux à Los Angeles, nous avons pu constater que la verve kerouacienne qui habite Hedlund depuis ­l ’adolescence a encore de belles embardées devant elle. _ P r op o s r e c ue il l i s pa r C l é me n t ine G a l l o t, A ur e l i a no T one t e t L a ur a T uil l ie r

ous souvenez-vous de votre rencontre avec le réalisateur du film Walter Salles ?

Oui, comme si c’était hier. Walter est arrivé en voiture, à toute allure, il était en retard. Moi, je l’attendais dehors, appuyé contre le mur, j’étais très nerveux, j’essayais d’allumer une cigarette pour la centième fois. C’était une rencontre unique. Ensuite, j’ai écrit à Walter tout le temps, je lui parlais de nuits folles, d’aventures, de tours en voiture que j’imaginais, d’histoires qui selon moi avaient du potentiel. Nous sommes vite devenus très proches. Quel âge aviez-vous lorsque vous avez lu Sur la route pour la première fois ?

J’ai lu le livre à 17 ans. Sitôt fini, je suis allé sur Internet voir qui allait faire le film. J’ai vu que c’était Francis Ford Coppola, j’ai pensé : « Je ne serai jamais dans ce film ! » Sept ans plus tard, je rencontre Coppola et je joue dans le film. Époustouflant. Je n’ai jamais été un grand lecteur, mais quand je suis arrivé en première, j’ai découvert que Kerouac était un écrivain honnête, qui ne cherchait pas à inventer des choses pour faire le malin. J’ai lu Kerouac, Salinger, Fitzgerald et j’ai beaucoup écrit. Je passais des nuits blanches à écrire des nouvelles, j’en parlais au lycée. Lorsque j’ai tourné mon premier film au Canada, j’ai écouté des CD de lectures de Kerouac que j’avais achetés, et j’ai commencé à écrire à sa manière. Je voulais vraiment lui ressembler. Quel genre d’enfant étiez-vous ?

J’étais un petit voleur, j’avais toujours des emmerdes. Tout le monde pensait que j’allais mal tourner.

J’ai grandi dans une ferme du Minnesota, je faisais beaucoup appel à mon imaginaire pour passer le temps : courir dans les bois, construire des cabanes, m’amuser dans les champs avec les oiseaux comme ennemis… J’étais très énergique, je me faisais souvent renvoyer de classe. Je crois que j’étais très excité par la vie et ses possibilités, curieux de tout. J’ai toujours été celui qui regarde, qui écoute, celui qui reste dans son coin et observe tout le monde. Mais je ne parlais pas, j’étais trop timide pour ça. Comment vous êtes-vous préparé au rôle de Dean Moriarty ?

Une fois retenu par Walter, j’ai conduit jusqu’à San Francisco pour la première fois de ma vie. Je suis allé au Beat Museum pour me faire une première idée. Je m’asseyais sur des bancs de la ville, j’écrivais sur les « crazy cats » qui m’entouraient, j’interrogeais des clochards, je leur demandais ce qu’il restait de la Beat Generation. Ils me racontaient que ça n’existait plus, que San Francisco était plein de gosses de riches. Le mode de vie a changé. J’ai fait la connaissance de Jerry Cimino, le directeur du Beat Museum, qui m’a montré plein de documents sur Neal Cassady. J’ai lu ses cartes postales, j’ai compris la spécificité de son style. Il était en fait pas mal influencé par Marcel Proust. À mon avis, il avait plus de potentiel que Kerouac et Ginsberg, qui ont beaucoup appris à son contact. Il était comme un lecteur de disques, branché à volume maximum. Il allait très, très vite. J’ai aussi rencontré son fils John avec Walter, on a parlé pendant six heures, il nous a raconté des tonnes d’histoires, j’écrivais sans m’arrêter. Tout ce que j’ai écrit m’a servi pour improviser. On a traîné avec Michael McClure, un auteur www.mk2.com

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Danny Morgan, Kristen Stewart et Garrett Hedlund sur le tournage de Sur la route

Je conduis dans toutes les scènes, il n’y a jamais de cascadeur. de la Beat Generation. J’ai eu du temps pour me préparer parce que le film tardait à être tourné. Ensuite, j’ai dû me détacher de Neal Cassady pour m’approcher de Dean Moriarty. Il fallait inventer une façon de dire des choses déjà dites un million de fois. Le tout était de trouver sa voix, la façon dont il aurait exprimé ses aventures. Il était charmeur, persuasif, il n’arrêtait jamais de vivre. Pour Neal/Dean, tout était dans l’éclate, et je suis pareil, toujours à la recherche d’une occasion de me marrer. Neal avait peur de devenir comme son père, un alcoolo qui l’a abandonné à Denver, selon la version de Sur la route. Neal avait envie de subvenir aux besoins de sa famille, à l’inverse de son père. C’est pour ça qu’il était fier de travailler sur les ­chemins de fer. Comment s’est déroulé le tournage ?

Il a commencé le 2 août 2010, à Montréal, où nous avons tourné pendant deux semaines avant de gagner l’Amérique du Sud, de Buenos Aires à Bariloche, en passant par de vrais no man’s land. Il n’y avait pas de caravane, ce qui est plutôt rare sur un tournage.

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Je conduis dans toutes les scènes, il n’y a jamais de cascadeur. Nous avons passé deux semaines merveilleuses à La Nouvelle-Orléans avec Viggo Mortensen, Amy Adams et Elisabeth Moss. Nous avons rencontré plein de gens, des vrais fans du livre. Puis, Sam Riley et moi sommes restés seuls dans un hôtel délabré au Mexique, à manger de la nourriture douteuse, à nous poser des questions sur la qualité des glaçons dans l’eau… En fait, on était vraiment épuisés. Et seulement à la moitié du programme ! Nous avons formé un groupe très soudé. Sam, Kristen Stewart et Danny Morgan étaient mes meilleurs amis à ce moment-là. Nous avons tous travaillé très dur pour que Walter soit fier de nous. Continuez-vous à écrire ?

Oui, une fois j’ai même été invité à lire mes poèmes au Bowery Poetry Club, à New York. Avec Walter, on se demandait ce que seraient devenus Neal et Jack aujourd’hui : des rappeurs ? Dean apprend à vivre à Sal, en retour celuici lui apprend à écrire…

Dean a lu Dostoïevski et Proust, qui l’ont inspiré, mais il n’arrive pas à écrire, il n’a pas le temps ou la patience de s’asseoir… ou il n’a pas de machine à écrire ! Mais il ne perd jamais son sens de l’émerveillement ni sa curiosité. ♦ Retrouvez cet entretien en intégralité dans Sur la route – D’après Jack Kerouac, hors-série #8 de Trois Couleurs, 244 pages en librairie, 19 6 pages en kiosque.


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SUR L A ROUTE DE K EROUAC

_ Pa r Jul ie t t e R e i t z e r , de p ui s l e s É tat s - Uni s

Parvenus au bout de Sur la route, le livre, il nous a fallu trouver celle du hors-série que nous allions y consacrer. Pour retracer le parcours des archives personnelles de Jack Kerouac, nous avons emprunté la route à l’envers, mais pas à contresens, depuis les collections de la New York Public Library jusqu’à Lowell, Massachusetts, ville natale de l’écrivain.

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ÉPREUVES DU TEMPS Surtout, ne rien abîmer. Installée devant une large table en bois massif, je risque un coup d’œil sur ma droite : ma voisine manipule avec grand soin un manuscrit de Keats. D’autres lecteurs sont religieusement penchés sur d’épais volumes, le chuchotement est de rigueur. Je ne suis pas fan transie de Kerouac, mais quand même, le moment est solennel : une bibliothécaire s’apprête à déposer devant

© John Sampas

’annonce arrive au pr intemps 2011 : notre prochain horssérie sera consacré à l’écrivain américain Jack Kerouac et à son mythique Sur la route. Les grands espaces, la fureur de vivre loin des chemins balisés… Comment rendre compte d’une telle énergie, d’un tel mouvement ? Nous découvrons une piste : une grande majorité des archives personnelles de Kerouac est conservée à la Berg Collection, département de la New York Public Library consacré à la littérature anglaise et américaine. Difficile de savoir quelles merveilles y sont entreposées, si merveilles il y a : l’inventaire disponible en ligne est une liste rébarbative de descriptions sommaires. Isaac Gewirtz, le conservateur de la Berg Collection, nous l’assure : nous sommes les bienvenus pour consulter les documents sur place. Pour en reproduire certains dans le magazine, il faudra simplement demander l’autorisation à un certain John Sampas, l’ayant droit de Kerouac. Ce dernier nous répond : « Nous pourrons en discuter si vous venez chez moi, à Lowell. » Lowell, Massachusetts ? La ville de naissance de Kerouac, la ville où il est enterré. Un détour s’impose.

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moi les premières pièces que j’ai demandé à consulter. Feuilleter des documents écrits soixante ans plus tôt par Kerouac lui-même, ce n’est pas rien. Construite à la fin du XIXe siècle, l’imposante bâtisse de la New York Public Library où je me trouve semble noyée parmi les buildings de la Cinquième avenue. Il m’a fallu traverser plusieurs salles de lecture, gravir des

La tentation est grande de voir dans le moindre écrit d’adolescence de Kerouac des preuves de son génie futur. escaliers monumentaux sous l’œil torve d’austères bustes sculptés pour arriver devant la petite porte en bois vernis de la salle 320, celle de la Berg Collection. Elle abrite, outre celles de Byron, de Woolf ou de Nabokov, les archives de Jack Kerouac. « Kerouac ayant passé beaucoup de temps à New York, il a semblé logique que la New York Public Library acquière ce fonds quand il a été mis en vente, en 2001 », explique Isaac Gewirtz, qui ne souhaite pas communiquer le montant de la transaction (pour information, le scroll, manuscrit original de Sur la route, vendu par Christie’s au propriétaire de l’équipe de foot d’Indianapolis Jim Irsay en 2001, a été adjugé pour 2,43 millions de dollars). Gewirtz


CLASSEMENT PROVISOIRE Entre mes mains, un vieux carnet en cuir brun, orné de frises art nouveau. Kerouac, 13 ans à peine, y décrit la litanie des journées, les parties de bowling, les batailles de boules de neige avec son ami Bill. À la page du 12 mars, jour de son anniversaire, une écriture plus assurée a noté : « Maintenant j’ai 22 ans. Je ne joue plus au bowling. (…) Bill a fait Bataan (bataille de la Seconde Guerre mondiale opposant les forces japonaises et américaines, ndlr). Il n’est pas revenu de cette bataille de boules de neige. » Un grand nombre de documents

Kerouac a organisé sa vie en chapitres, à la manière d’un roman. retrouve. Il a organisé sa vie en chapitres, à la manière d’un roman, et a lui-même agencé un peu moins d’un tiers de ses archives, suivant un système alphanumérique très précis, peu de temps avant sa mort. « La manière dont un auteur organise ses archives est une clef de lecture pour comprendre son œuvre, nous explique Isaac Gewirtz. Très tôt, Kerouac avait l’ambition d’une grande saga. » Il est alors significatif de voir ce qu’il a placé en premier dans son classement. Non pas Avant la route (rédigé en 1950) ni les premières nouvelles, mais tout ce qui se rapporte à Sur la route – carnets préparatoires, dessins, différentes versions. Preuve, peutêtre, que ce roman lui importait plus qu’un autre. Alors que les portraits de l’homme et de l’écrivain se dessinent, se rejoignent, je m’apprête à plonger plus avant dans l’intimité de Jack Kerouac. Demain, je serai dans sa ville natale. RETOUR AU BERCAIL

© John Sampas

Au fond du restaurant bondé, un panneau lumineux surplombe la cuisine : « Jack lived here » (« Jack a vécu ici »). Le large bar me rappelle une série de photos, vue à la New York Public Library, d’un Kerouac vieillissant, accoudé à un comptoir, l’air absent devant un verre vide. Face à moi, une assiette de raviolis au homard (spécialité

locale) et un octogénaire élégant, mince, au regard perçant, qui m’écoute patiemment exposer la raison de ma venue. John Sampas est le beau-frère de Jack Kerouac, et il est également son ayant droit. Cinq heures de bus de New York à Boston, puis deux heures de train, et me voici donc à Lowell, dans le Massachusetts, petite ville

© Juliette Reitzer

porte ce genre d’annotations postérieures. Il s’agit souvent d’une simple indication de date, ou d’une précision sur le contexte. Certaines des cartes postales qu’il a reçues ne portent pas de signature ? Kerouac a griffonné le nom de l’expéditeur, pour que le lecteur futur s’y

L’une des maisons où Kerouac a grandi, à Lowell

américaine typique de la révolution industrielle, construite le long de la rivière Merrimack. Autour des anciennes usines textiles, immenses, coiffées de hautes cheminées en brique rouge, les maisons victoriennes initialement destinées à loger les ouvriers sont toujours là. Jack a vécu dans treize d’entre elles, et John Sampas m’emmènera en voir certaines le lendemain – notamment celle où il est né – en même temps que son école et la bibliothèque municipale où il usait ses fonds de culotte. Pour l’heure, il fait nuit, la température est douce pour un mois de décembre, et Sampas

© Juliette Reitzer

ajoute : « Si je devais estimer le nombre de documents de Kerouac conservés ici, je dirais cent mille. » Sur le petit tapis de feutrine verte étalé devant moi, les documents précieux se succèdent. Lettres d’Allen Ginsberg ou de Carolyn Cassady, journaux intimes, poèmes, manuscrits, carnets de notes… Beaucoup datent de l’époque dont Kerouac a fait un roman, Sur la route, et c’est vertigineux de lire ici les preuves formelles de l’existence des personnages et événements décrits dans le livre. À se balader ainsi à la croisée de la vie et de l’œuvre d’un homme, la tentation est grande de voir dans le moindre écrit ­d’adolescence des preuves du génie futur. « Kerouac était incapable de rédiger une lettre banale. Tous ses écrits témoignent d’un combat incessant avec de grandes interrogations sur son œuvre, son passé, ce vers quoi il se dirige », confirme Isaac Gewirtz.

John Sampas chez lui, à Lowell, en décembre 2011

souhaite me montrer quelques bricoles avant de me déposer à mon hôtel. Accompagnés d’Henri, son vieux chien, nous roulons jusqu’à chez lui. ♦ Retrouvez la suite de ce repor tage dans Sur la route – D’après Jack Kerouac, hors-série #8 de Trois Couleurs, 244 pages en librairie, 19 6 pages en kiosque.

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Éclaireurs _ P r op o s r e c ue il l i s pa r C .G ., J.R . e t A .T.

Contemporains de Jack Kerouac ou acteurs du film de Walter Salles, certaines des figures-clés de Sur la route ont accepté de nous guider dans notre périple au cœur de l’univers beat, du livre jusqu’à son adaptation.

Kristen Stewart

Interprète de Marylou dans Sur la route

« J’avais 15 ans quand j’ai lu Sur la route, j’ai senti quelque chose s’allumer en moi. Je me sentais tellement du voyage ! C’était très différent de tous les autres livres que j’avais lus. C’est devenu mon premier livre préféré. Le premier passage que j’ai surligné, c’est une description de Marylou, assise dans une pièce, déconnectée des garçons, comme dans une peinture surréaliste. Grâce a Walter Salles, nous avons beaucoup appris sur ces personnages, beaucoup plus que ce qui est écrit dans le livre. »

Carolyn Cassady

coproducteur du film Sur la route

« Il y a trente ans, j’avais une protégée qui adorait Sur la route, alors j’en ai acheté les droits. L’adapter au cinéma fut pour moi un vrai casse-tête, du fait de son intrigue insensée, tout en allers-retours. J’y ai renoncé. Garrett Hedlund possède la même folie frénétique que Neal Cassady, et je trouve Sam Riley convaincant. Ces acteurs ont l’air trop jeunes ? Mais les Beats étaient jeunes à l’époque des faits ! Walter Salles a travaillé très dur à cette adaptation, et je souhaite vivement qu’elle réussisse. » 52

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Interprète de SAL PARADISE dans Sur la route

« Nous répétions beaucoup certaines choses et pas du tout d’autres. Walter nous faisait souvent commencer ou finir une scène avec de l’improvisation. Il tenait ainsi à transmettre la liberté des Beats à l’époque, prise sur le vif. C’est pour ça qu’il ne voulait pas que tout soit scripté et que chacun ânonne ses répliques. Il voulait que ce soit aussi libre et spontané que possible. Je ne crois pas que quiconque sur le plateau en sache plus long sur le sujet que lui. Il est entièrement responsable de l’adaptation. »

Deuxième épouse de Neal Cassady, amie et maîtresse de Jack Kerouac, auteure de Sur ma route : Ma vie avec Neal Cassady, Jack Kerouac, Allen Ginsberg et les autres… (Denoël)

« Jack était beau à tomber. » Francis Ford Coppola

Sam Riley

« Ce qui m’a séduite chez Jack, pour commencer, c’est qu’il était beau à tomber, avec ses cheveux noirs, ses grands yeux bleus et son corps parfait. Son savoir en littérature était un plus. Mais Neal et moi avions des discussions bien plus intenses. Neal avait un esprit de génie et une excellente mémoire photographique. Je pense qu’il avait plus d’influence sur Jack que l’inverse, mais ils avaient énormément en commun, et Neal espérait que Jack l’aiderait à écrire “correctement”. Les lettres spontanées de Neal ont servi de catalyseur au style littéraire de Jack et ont amorcé ses succès futurs. Neal disait qu’il espérait que personne ne lirait Sur la route. Il détestait le livre, qui mettait l’accent sur son côté sauvage, pas sur son esprit brillant. »

AL HINKLE

Ami de Neal Cassady, Carolyn Cassady et Jack Kerouac

« Jack avait emménagé à Berkeley en 1957. Un jour, nous sommes allés le voir avec Neal Cassady. Neal a bondi de la voiture et s’est élancé vers la maison, surprenant Jack alors qu’il déballait un carton de huit exemplaires de Sur la route. Il a essayé de nous les cacher, mais Neal en a piqué un et a commencé à en lire des passages, sautant d’excitation. Jack a demandé : “Les gars, vous n’allez pas me haïr pour ce que j’ai écrit ?” Nous lui avons assuré notre amour, et il a dit : “Je suis très heureux de l’entendre, parce que j’ai sept autres exemplaires ici prêts à être embarqués !” »


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Cannes 2012

Pour leur transhumance annuelle vers une apothéose azurée, les cinéphiles en goguette Cette cette année,année les cinéphiles en goguette sont sage Nanni s’inscrit seront couvés du regard par lesous sagel’égide NanniduMoretti -on aMoretti, vu pirequi comme garbien dans l’éloge fait par le président historique du festival, Gilles Jacob, lors de sa présentation dien du feu sacré. Son président historique Gilles Jacob a fait, lors de sa présentation à la à la presse, d’un « cinéma debout, un art adulte ». Sans oublier d’honorer ses disparus – Raoul presse, l’éloge d’un « un cinéma debout, un art adulte », avant d’annoncer un retour du Ruiz et Claude Miller, présents à travers leurs derniers films –, la sélection fait cohabiter cinéma à mi-chemin les studios, mutation sur américain la Croisetteindépendant, Roman Polanski et Zac Efron,entre NicoleSundance Kidman etet Abbas Kiarostami ; ème dontseon ne peut que se réjouir. Pour son 65 anniversaire, le festival célèbre l’année côtoyer un « petit Bertolucci », un film de vampires en 3D signé Dario Argento et des du Brésil, et honore ses disparus, Raoul Ruiz et Claude Miller, présents à travers leurs dervoix aussi singulières que Ken Loach, Quentin Dupieux, Michel Gondry ou Thomas niers films. On Cette a pu lire que les sélectionneurs les de risque. Cette 65ème Vinterberg… 65e édition est assurément leavaient témoinfavorisé d’un cinéma varié, mutant, empli de belles découvertes, parmi lesquelles avons pioché _C.G quelques incontournables. édition apparait surtout dominée par lesnous productions _Dossier coordonné par la rédaction _Illustration par Marion Dorel

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les lieux-clés du festival 1. Village international La vitrine du cinéma mondial. Chaque pays (une quarantaine) occupe un pavillon éphémère au sommet duquel flotte son drapeau.

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2. Marché du film

Acheteurs de tout poil se pressent pour s’arracher les derniers projets en production et conclure des deals juteux. Le cinéma de 2013 se joue là, en somme.

3. Palais des festivals

Le cœur battant du festival abrite le vertigineux Grand Auditorium Lumière (2 400 places), où sont projetés les films de la compétition officielle.

4. red carpet

Ce passage obligé remplit une seule fonction, que starlettes et quidams se prennent les pieds dans un pli du tapis. Risque de chutes, et tenue correcte exigée.

5, 8, 10. Majestic Barrière, Carlton et Martinez Les palaces historiques se répartissent leurs lots d’acteurs à paillettes. Sauf copinage, l’accès y est complexe.


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6. Malmaison

Ce coquet pavillon de 1863 abrite les bureaux de la Quinzaine des réalisateurs. Son jardin accueille les conférences de presse de la sélection parallèle.

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7. JW Mariott

L’hôtel se dresse à l’emplacement du premier Palais des festivals, construit en 1949. Au soussol ont lieu les projections de la Quinzaine.

9. Espace Miramar

Dédié à la photographie le reste de l’année, cet espace culturel devient en mai le QG de la Semaine de la critique, qui y projette sa sélection annuelle.

11, 12. Les plages

Le fêtard cannois décrépi erre d’une plage à l’autre, d’apéros en soirées à bulles, les pieds en éventail dans le sable et le regard porté vers l’azur de la côte.

13. Manèges, chouchous, caramels

Terminus de folles virées nocturnes ou pause crêpe entre deux films, c’est l’heure souvent bienvenue d’un reality check. 55 www.mk2.com


Happy birthday, mister festival

ils en parlent Photo signée Otto L. Bettmann

Pour son soixante-cinquième anniversaire, le festival de Cannes s’offre une bougie glamour, soufflée par Marilyn Monroe ­herself. Cette élégante photo, signée Otto L. Bettmann, est l’occasion de rendre hommage à l’actrice, disparue il y a cinquante ans.

Kervern et Delépine (Le Grand Soir, Un certain regard) “On n’est pas du tout du genre blasé. Nous, à Cannes, on s’amuse toujours bien. En plus, cette année, on descend avec Brigitte Fontaine et quelques punks.”

Thomas Vinterberg (Le Chasseur, en compétition) “C’est un film de Noël sur un village obsédé par une idée.”

Raymond Depardon

(Journal de France, en séance spéciale) “Le film parle de ça : comment vivre ensemble, homme et femme, et comment créer ensemble.”

Et les huit jurés 2012 sont… • Diane Kruger, actrice allemande (à Cannes pour Inglourious Basterds en 2009) ~

• Ewan McGregor, comédien britannique (qui montait les marches en kilt pour Young Adam en 2003) ~

© Nicolas Guerin

• Andrea Arnold, réalisatrice britannique (Red Road et Fish Tank, Prix du jury en 2006 et en 2009) ~

• Hiam Abbass, cinéaste et actrice palestinienne (La Source des femmes, en compétition l’an dernier)

Nanni Moretti, élu président Enfant chéri de Cannes, Nanni Moretti succède à deux présidents américains, Robert De Niro et Tim Burton. Depuis que son deuxième film, Ecce Bombo, tourné en Super 8, a été sélectionné en compétition officielle en 1978 (il a alors 25 ans), le festival n’a cessé de fêter le réalisateur italien. En 1994, il reçoit le Prix de la mise en scène pour l’autobiographique Journal Intime, avant d’être de nouveau sélectionné pour la comédie politique Aprile (1998) et de remporter la Palme d’or en 2001 avec le drame familial La Chambre du fils. L’année dernière, il montait les marches en compagnie de Michel Piccoli, sacré pape malgré lui dans Habemus Papam. Quinze ans après avoir été membre du jury pour la 50 e édition, Moretti poursuit sa romance filée avec le festival en prenant la tête du conclave cannois chargé de décerner la Palme d’or le 27 mai prochain. _L.T.

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• Jean Paul Gaultier, créateur français (collaborateur de Pedro Almodóvar et Peter Greenaway) ~

• Emmanuelle Devos, comédienne française (Rois & Reine) ~

• Alexander Payne, metteur en scène américain (The Descendants) ~

• Raoul Peck, réalisateur haïtien (en compétition en 1993 avec L’Homme sur les quais, puis à la Quinzaine en 2000 avec Lumumba) _C.G.

Sélection officielle, compétition : nos pitchs préférés Reality de Matteo Garrone Un poissonnier obsédé par une émission de téléréalité se met à vivre comme s’il y participait. Par le réalisateur de Gomorra.

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Holy Motors de Leos Carax Grand retour de Carax, treize ans après Pola X. Des belles gosses, des fantômes, des moteurs, La Samaritaine et Denis Lavant.

Like Someone in Love d’Abbas Kiarostami À Tokyo, une étudiante prostituée fait la connaissance d’un vieux monsieur. Contre toute attente, ces deux-là s’entendent.

Au-delà des collines de Cristian Mungiu Une jeune femme élevée dans un couvent est accusée d’être possédée par le démon et soumise à un exorcisme.


films réalisés par des femmes en compétition

pays pour la première fois en sélection officielle (Jordanie, Syrie et Porto Rico)

Le film le plus long (Gangs of Wasseypur d’Anurag Kashyap, à la Quinzaine)

© Les films du losange

3 chanteurs acteurs

© David Wolff /WireImage

Nicole Kidman dans The Paperboy de Lee Daniels (en compétition)

Paires gagnantes Chaque année, le tapis rouge a ses chouchous, qui grimpent les marches à plusieurs reprises. Ainsi, l’an dernier, Jessica Chastain, Sean Penn ou Hafsia Herzi. Ce printemps marquera le retour de Nicole Kidman, absente de Cannes depuis Dogville (2003). Elle sera à l’affiche de The Paperboy de Lee Daniels (compétition) et aux côtés de Clive Owen dans Hemingway & Gellhorn de Philip Kaufman (hors compétition). Dans The Paperboy, Kidman côtoiera Matthew McConaughey, qui interprétera également le rôle principal dans Mud de Jeff Nichols (compétition). Chez les Français, Mathieu Amalric et Isabelle Huppert se tailleront la part du lion, chacun dans deux films de la compétition : Cosmopolis de David Cronenberg et Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais pour le premier, Amour de Michael Haneke et In Another Country de Hong Sang-soo pour la seconde. Immanquables. _L.T.

Dans Le Grand Soir de Kervern et Delépine (Un certain regard), Brigitte Fontaine et Areski sont les parents déjantés de Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel.

©Ad Vitam

© Metropolitan FilmExport

La chanteuse pop australienne Kylie Minogue s’offre un petit rôle dans Holy Motors de Leos Carax (en compétition). Vroum.

Pete Doherty est Octave, libertin amoureux de Charlotte Gainsbourg dans Confession d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde (Un certain regard).

Sélection officielle, Un certain regard : nos pitchs préférés Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin Sur les rives de La NouvelleOrléans, une bambine de 6 ans dérive sur un radeau de fortune. Un réalisme magique récompensé à Sundance.

À perdre la raison de Joachim Lafosse Émilie Dequenne commet le pire dans le nouveau film du réalisateur d’Élève libre : quintuple meurtre au programme.

Mystery de Lou Ye Retour au pays pour le réalisateur chinois après le parisien Love and Bruises, avec un polar glauque sur fond d’adultère.

11.25 – Le jour où Mishima a choisi son destin de Kôji Wakamatsu Les derniers jours de l’écrivain Yukio Mishima, qui prend en otage un général et tente un coup d’État.

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films en compétition officielle

pays représentés en sélection officielle

films vus par les sélectionneurs

Matthias Schoenaerts Le Belge baraqué et mauvaise tête de Bullhead roucoule dans De rouille et d’os de Jacques Audiard.

© Alfama Films & Prospero Pictures

© MK2

© Roger Arpajou Why Not Productions

3 nouvelles têtes

Rin Takanashi L’ancienne mannequin japonaise fait des étincelles en escort girl chez Kiarostami dans Like Someone in Love.

La Quinzaine des réalisateurs fait peau neuve

Nouveau délégué général, Edouard Waintrop (déjà juré de la Caméra d’or en 2009), succède à Frédéric Boyer. Avec six premiers films (dont le documentaire de Rodney Ascher sur Shining, Room 237), cette sélection parallèle réaffirme sa place de laboratoire de découverte de talents. Elle s’ouvrira comme l’année dernière sous le signe de la comédie (après La Fée, ce sera The We and the I de Michel Gondry) et fera la part belle aux films sudaméricains. Dans les rendez-vous de cette 44e édition, le nouveau film de Noémie Lvovsky, Camille redouble, et le dernier film de Raoul Ruiz, La Nuit d’en face. _L.T.

Noirs polars

En 2012, Cannes a les idées noires. Ce nouveau cru accueille ainsi le Coréen Im Sang-soo et son thriller érotique entre un riche héritier vieillissant et son jeune secrétaire privé, L’Ivresse de l’argent. Une enquête policière

Sarah Gadon La jeune Canadienne, aperçue dans A Dangerous Method, est chez Cronenberg père (Cosmopolis) et fils (Antiviral).

dans la Floride des années 1960, The Paperboy de Lee Daniels, jette côte à côte Matthew McConaughey et Zac Efron, avec Almodóvar au scénario. Killing Them Softly de l’Australien Andrew Dominik plonge quant à lui Brad Pitt en plein hold-up. Les autres sélections ne sont pas en reste, puisque Mystery de Lou Ye et Gangs Of Wasseypur d’Anurag Kashyap assombrissent respectivement Un certain regard et la Quinzaine. _C.G.

Semaine de la critique : antirides

Grande sœur de la Quinzaine (elle fête sa 51e édition) dans la bande des sélections parallèles, la Semaine de la critique soigne son look de jeune fille en fleurs. Tandis que Céline Sciamma présidera le tout nouveau jury Révélation, Bertrand Bonello remettra le Grand Prix à l’un des sept premiers longs métrages en compétition. On pressent déjà les bonnes surprises à la vue des castings : Tim Roth dans Broken de Rufus Norris, Louis-Do de Lencquesaing, acteur et réalisateur d’Au galop, Guillaume Gouix

Quinzaine des réalisateurs : nos pitchs préférés Adieu Berthe – L’Enterrement de mémé de Bruno Podalydès C’est le moment de se souvenir de mémé pour Armand, son petit-fils. Dilemme : incinération ou enterrement ?

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Alyah d’Elie Wajeman Un jeune dealer décide de tout plaquer pour aller se refaire à Tel-Aviv. Premier film de femisard, avec Pio Marmaï et Adèle Haenel.

Ernest et Célestine de Benjamin Renner… Le film d’animation s’invite en sélection, avec cette histoire d’amitié entre deux animaux mal dans leur peau : une souris et un ours.

Dangerous Liaisons de Jin-ho Hur Adaptation du roman culte de Choderlos de Laclos, sauce chinoise. Avec la belle Zhang Ziyi (2046, Tigre et dragon).


3 fois Alexandre Desplat

pour les seuls films en compétition, le compositeur se cache derrière Moonrise Kingdom, De rouille et d’os et Reality

2012, en voiture avec 3 fictions automobiles : Sur la route, Holy Motors et Like Someone in Love.

DR

© Melinda Sue Gordon

mai 2012

Dracula 3D

(Jimmy Rivière) dans Hors les murs de David Lambert et, en séance spéciale, le très attendu Augustine d’Alice Winocour avec Soko. Des valeurs sûres pour guider les premiers pas. _L.T.

©HanWay Films

Brad Pitt dans Killing Them Softly, l’un des nombreux polars de la sélection officielle

lo e Te

©Wild Bunch

Journal de France

The Ring

© Shayne Laverdière

Couleurs délavées, kitsch désuet, les fictions de la compétition ont cédé aux sirènes de la rétromania, frénésie fustigée récemment par un essai du critique anglais Simon Reynolds. Les petits fugitifs amoureux du très sixties Moonrise Kingdom multiplient les clins d’œil Moonrise Kingdom à l’americana des toiles de Norman Rockwell. Costumes d’époque de rigueur pour les Beats égarés de Sur la route, l’adaptation du roman de Jack Kerouac par Walter Salles, et même patine fanée dans The Paperboy de Lee Daniels, où Zac Efron se frotte à Nicole Kidman. Les personnages en ­t ransition de Laurence Anyways, à la fière dégaine nineties, portent beau colorations éclatantes et blousons fluo, un combo à la fois vestimentaire, musical et chromatique à faire tourner les têtes. _C.G.

© Wild Bunch

RÉtromaniaques

Laurence Anyways

C’est bien connu, à Cannes on soigne ses cernes. D’abord parce que le Dracula 3D de Dario Argento et le remake du film d’horreur Maniac par Alexandre Aja promettent des séances de minuit d’anthologie. Ensuite, parce qu’on pourra découvrir hors compétition le teen movie de Bernardo Bertolucci (Io e Te) et en séances spéciales le nouveau Raymond Depardon, Journal de France, et Mekong Hotel, moyen métrage d’Apichatpong Weerasethakul. Pour les inépuisables, un inédit d’Hitchcock (The Ring) ainsi qu’un docu sur Jerry Lewis seront présentés à Cannes Classics. Dans la sélection Un certain regard, on piochera Laurence Anyways de Xavier Dolan, avant de filer à la séance de clôture du festival, qui rendra hommage à Claude Miller en projetant son dernier film, Thérèse Desqueyroux. Cannes never sleeps. _L.T.

Semaine de la critique : nos pitchs préférés Hors les murs de David Lambert Boy meets boy : Paulo, pianiste, rencontre Illir, bassiste, et plaque tout pour lui, mais son amant ne tarde pas à disparaître.

Peddlers de Vasan Bala Un portrait de la ville indienne de Mumbaï s’esquisse à travers les itinéraires croisés de trois âmes perdues.

Los Salvajes de Alejandro Fadel Road trip de cinq adolescents évadés d’une maison de redressement. Retour à la vie sauvage, dans la pampa argentine.

J’enrage de son absence de Sandrine Bonnaire Passage à la fiction pour Sandrine Bonnaire, qui met en scène un triangle amoureux avec William Hurt et Alexandra Lamy.

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- TEN ON

KIAROSTAMI © Eurospace/MK2

En compétition officielle à Cannes, Like Someone in Love marque le retour du cinéaste Abbas Kiarostami. Ce brillant poème rapporte l’impossible dialogue, en une nuit et un jour, entre une étudiante qui se prostitue et un vieil intellectuel. Le film est le fruit d’une autre conversation, entamée il y a dix ans entre Abbas Kiarostami et le producteur Marin Karmitz. En traducteur de la grammaire si particulière du réalisateur iranien, ce dernier revient sur ce dialogue. _Propos recueillis par Étienne Rouillon

« C

’est autour de 2004, après Ten, ­qu’Abbas a évoqué l’idée de tourner un film au Japon. Comme il n’y avait pas de scénario, je lui ai proposé de le filmer pendant qu’il me raconterait son histoire, une histoire de chauffeurs de taxi qui se passe en une nuit à Tokyo. J’ai récemment revu ce document, une fois Like Someone in Love terminé. Dans la vidéo, je lui demande de me montrer la maquette qu’il a tournée, que nous regardons à la télévision et qu’il commente. On y retrouve la structure de la scène du taxi qui tourne sur une place, autour d’une grand-mère. Tous les éléments de Like Someone in Love sont déjà là, mais à l’état d’esquisse. Il a mis une dizaine d’années à en faire une œuvre achevée.

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Abbas Kiarostami a toujours fait des maquettes avant de tourner les films que j’ai produits. Pour Copie conforme, il y a eu deux tournages entiers, d’abords des décors, seuls puis avec des figurants, et ensuite le véritable tournage du film avec les acteurs. Ces maquettes sont à l’image du travail d’un peintre qui fait une esquisse préparatoire pour arriver à l’œuvre finale : le tableau. Cela me fait penser à Giacometti et ses sculptures laissées sur l’établi qu’il reprend, abandonne, complète ou détruit, des ébauches qui se concentrent autour de la construction d’un édifice. C’est un travail que je n’ai jamais vu chez aucun autre réalisateur. Je n’ai jamais vu cette proximité du cinéma avec d’autres modes de création. Au cinéma,


on travaille sur des scenarii, on peaufine, certes, mais on tourne assez vite. Ou parfois, on a l’idée d’un sujet qui met du temps à s’élaborer mais on n’a pas cette approche par esquisses successives, du moins pas à ce point. Ce processus rejoint pour moi l’idée que le cinéma est une maison en cours de construction. J’attends d’un metteur en scène qu’il apporte des pierres pour compléter la maison. Non pas pour la terminer, mais pour continuer à la construire et pour que d’autres puissent continuer à la construire. C’est mon ­exigence profonde à l’égard des cinéastes.

« J’ai vu Abbas Kiarostami travailler et prendre son temps pour voir passer un figurant dans un reflet. » Marin Karmitz

À l’époque, je lui avais demandé pourquoi il voulait tourner au Japon. Réponse : “Eh bien, parce que si je tourne au Japon, on ne me dira pas que j’ai fait un film occidental. Tourner au Japon, c’est comme tourner en Iran. Que ce soit du japonais ou du perse, c’est toujours du sous-titrage.” Il introduit ici un élément important de notre relation : c’est la langue. Pas le langage. La langue. Je ne parle pas anglais, il ne parle pas français, je ne parle pas le persan, comment communiquer ? Il se passe quelque chose de miraculeux et de très intéressant. Quelque chose que je retrouve dans Like Someone in Love. Il nous arrive de voyager ensemble, sans traducteur. On arrive à se comprendre. Comment ? Je lui parle français en parlant un peu plus lentement, et lui me parle en anglais. J’arrive à le comprendre en anglais, et lui arrive à me comprendre en français. Particulièrement quand nous sommes en voiture. Je conduis, il est assis à coté de moi, et on se parle. On communique car la relation qui s’est établie entre nous va audelà des mots. Les mots deviennent porteurs de contenu mais aussi d’intentions, quelque chose de l’ordre de la compréhension mutuelle, qui tient du langage universel. Un niveau de lecture très intéressant de Like Someone in Love, c’est le travail des reflets. Le reflet donnant des arrièreplans, des espaces, des jeux de miroirs assez étonnants. Je l’ai vu travailler et prendre son temps pour voir passer un figurant dans un reflet. Travailler avec le figurant prenait plus de temps que travailler avec l’acteur. La remise en question du langage cinématographique classique est très éprouvante pour les techniciens, les débuts de tournage sont parfois chahutés. Cela impose aussi de repenser la production. On peut finir par s’endormir, on peut oublier qu’il faut se remettre en question. Abbas Kiarostami, pour moi, c’est le réveille-matin. Parfois, c’est désagréable, mais il faut que je me réveille. Sans lui, je m’endors ! Un film japonais produit à partir de la France, c’est du jamais vu. Le film ayant été refusé par Arte, je n’avais pas assez d’argent pour le produire, même avec l’apport du producteur japonais. Pourtant, je m’y étais engagé auprès d’Abbas. Alors, j’ai pris une très belle éponge d’Yves Klein, à laquelle je tenais beaucoup, et je l’ai confiée à Sotheby’s, qui l’a vendue aux enchères aux États-Unis. Et avec l’argent de l’éponge, j’ai pu faire le film ­d’Abbas Kiarostami. Je suis très heureux d’avoir échangé une très belle œuvre d’Yves Klein contre une très belle œuvre ­d’Abbas Kiarostami. » ♦ www.mk2.com

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© Twentieth Century Fox 2012

PROMETHEUS

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« Tous les personnages féminins de mes films sont engagés et forts, cela vient de ma mère qui nous bottait le cul, à mon frère Tony et moi. » Ridley Scott, songeur, à la conférence de presse qui suivait la présentation de Prometheus. Pour son grand retour à la sciencefiction, le réalisateur d’Alien s’est effectivement remué la lune avec une énième équipe de scientifiques pourchassés par des sales bêtes. Et pourtant, Prometheus brûle de la lumière du renouveau. De quel bois se chauffe Ridley Scott ? _Par Étienne Rouillon

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© Twentieth Century Fox 2012

PROMETHEUS

Prometheus et ses scanners laser qui se déplacent dans les airs pour sonder les recoins d’une planète inconnue

© Rue des Archives

Ridley Scott est mu par le plaisir initié par Jules Vernes d’inventer des gadgets fantasmés, mais plausibles dans un futur technologique.. Les soldats américains de La Chute du faucon noir

« P

fshiiibrrvvvrp… vrpp. » Le vaisseau Prometheus vrombit dans l’atmosphère d’une planète retrouvée grâce à l’invitation d’une civilisation extraterrestre. Dans les entrailles suintantes de l’astre, une dizaine de scientifiques hésite entre crise de foi mystique face à nos possibles créateurs et crise de nerfs lorsqu’ils deviennent proies de ces… Ho-po-pop, difficile d’en dire plus, car Prometheus, non content d’être un objet inventif et jouissif, répond aussi à (ou rouvre, c’est selon) un paquet de questions soulevées par la ­passionnante saga des Alien.

« L’ADN lié au premier Alien (1979, ndlr) apparaît dans les huit dernières minutes du film », lâche Ridley Scott, l’œil goguenard de voir le parterre de journalistes se tordre le crâne pour lui faire lâcher au moins un secret, même riquiqui, de la genèse du film qui a réinventé la science-fiction en y insufflant la couleur de la pétoche avec ce monstre qu’on voyait peu, et toujours trop tard. Pas grave, depuis sa bandeannonce, Prometheus met à jour l’ADN beaucoup plus bavard d’un réalisateur en pleine mutation. Le cinéma a offert un nouvel outil à Ridley Scott, tel Prométhée offrant le feu aux hommes : la 3D relief 64

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(lire l’encadré ci-contre), qui le fait revenir vers une ascèse éloignée du montage à toute vitesse et multicam vu dans La Chute du faucon noir (2002). Scott, lui, ne se fera pas dévorer le foie, mais est forcément soumis au supplice de la comparaison avec l’autre réalisateur de la science-fiction XL en trois dimensions : James Cameron (aux commandes du deuxième Alien en 1986) et son Avatar. Rotors ou propulseurs articulés d’aéronefs, larges cockpits vitrés, projections holographiques pour les ­briefings de missions, réveils de stase dans des sarcophages, il n’est pas question de savoir qui a copié sur qui. Cameron et Scott sont mus par le plaisir initié par Jules Vernes d’inventer des gadgets fantasmés, mais plausibles dans un futur technologique. Ainsi, le look de leurs vaisseaux tend vers une ligne commune parce qu’ils répondent aux mêmes contraintes aérodynamiques, sans que l’on perde chez Scott une esthétique bien plus organique, héritée de l’appareil du Space Jockey des Alien. Le tout, c’est d’anticiper. Spielberg inventait le tactile avant l’iPhone dans Minority Report (2002) ? Scott découvrait l’application smartphone avant l’heure en en faisant l’accessoire d’investigation du détective Rick Deckard (Harrison Ford dans Blade Runner, 1982). Ici, c’est


© Rue des Archives

L’inspecteur Rick Deckard (Harrison Ford dans Blade Runner) et son analyseur de rétine

© Twentieth Century Fox 2012

© Rue des Archives

Le Space Jockey dans son vaisseau au design organique

Ridley Scott et sa nouvelle caméra

Le mythe de Prométhée n’est pas qu’affaire de grand saut technique. Son feu est olympien, sacré, divin.

l’équipage du Prometheus qui emploie un outil dont on parie qu’il sera réalité avant dix ans : des scanners laser volants qui sondent les parois de grottes obscures. Aussi indispensable qu’une Hoverboard. Mais le mythe de Prométhée n’est pas qu’affaire de grand saut technique. Son feu est olympien, sacré, divin. Scott donne corps à la promesse métaphysique de la rencontre entre la créature et son créateur, qui emprunte à la théorie des « anciens astronautes » (des extraterrestres balèzes qui nous ont laissé les pyramides) et actualise sa vieille fascination pour Descartes et le dualisme entre le corps et l’âme. Le philosophe Ollivier Pourriol, créateur des Studio Philo, résume : « La question que pose Ridley Scott, c’est : comment s’adresser à une civilisation supérieure, extraterrestre ou robotique ? Pour répondre, nous devons trouver ce qu’il y a de commun à tous les idiomes. C’est au fond la question industrielle et esthétique des blockbusters : comment toucher le plus large public, comment être vu audelà de ses frontières géographiques et culturelles ? » Réponse brûlante dans les salles terrestres. ♦ Prometheus de Ridley Scott, avec Michael Fassbender, Noomi Rapace… Distribution : 20 th Century Fox France Durée : 2h03 Sortie : 30 mai

POINTS D’IMPACT

S

i tout est possible dans un film en 3D, tout n’est en revanche pas souhaitable. Il est donc fascinant de découvrir combien les contingences du tournage en relief peuvent modifier le style d’un cinéaste aussi expérimenté que Ridley Scott. Premier constat : Prometheus est nettement moins découpé que les derniers films du réalisateur. Avec la 3D, les cinéastes sont contraints d’adopter un montage plus lent que ceux des films d’action classiques : il faut en effet laisser le temps à l’œil du spectateur de décrypter la profondeur de l’image entre chaque plan, sous peine de causer une déplaisante fatigue oculaire. Second constat : Scott est revenu à des focales courtes et à une plus grande profondeur de champ, là où il avait ces dernières années une préférence pour des focales longues qui réduisaient la zone de netteté des images et surtout écrasaient les perspectives que le relief met magnifiquement en valeur. Deux impacts sur le langage visuel du cinéaste qui rapprochent Prometheus de ses premières œuvres, dont, évidemment, Alien, le huitième passager. ♦ _Julien Dupuy

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PROMETHEUS

Noomi Rapace sur le tournage de Prometheus

PRISE DE POUVOIR Repérée dans Millénium, le film de Niels Arden Oplev (2009), l’actrice suédoise NOOMI RAPACE campe une scientifique dans Prometheus, prenant la relève de l’inoxydable Sigourney Weaver, dont la figure a longtemps dominé la série des Alien. Une difficile succession ? _Propos recueillis par Clémentine Gallot

A

vez-vous grandi en regardant Alien ?

Oui, surtout le premier, que j’ai vu très jeune. J’ai été bluffée, je voyais pour la première fois une femme, forte, s’imposer, mais jamais de façon sexuelle. C’est avant tout une personne. C’était un soulagement de découvrir un tel personnage. Des années plus tard, j’ai vu Thelma et Louise et je me suis demandé quel réalisateur faisait ce genre de films. Elizabeth Shaw, votre personnage dans Prometheus, est-il un prolongement de celui qu’interprétait Sigourney Weaver dans Alien ?

© Twentieth Century Fox 2012

Mon personnage est plus féminin que Ripley, qui faisait partie de l’équipe mais n’avait pas de relations personnelles avec les autres passagers. On ne se rend compte que plus tard qu’elle est l’héroïne du film. Elizabeth, à l’inverse, forme un duo avec le docteur Holloway, ce sont tous deux les cerveaux derrière ce projet. Ce qu’elle découvre 66

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sur Terre est un puzzle qui les invite à partir dans l’espace. Ce voyage est un rêve très personnel. Elizabeth est une scientifique, une archéologue qui croit en même temps en Dieu. Au début du film, elle est pleine d’espoir, puis elle devient une guerrière. Quel entraînement avez-vous suivi pour vous préparer?

Il faut une condition physique exceptionnelle pour aller dans l’espace : je voulais avoir une démarche féline et apprendre des techniques de survie. Je me suis entraînée tous les jours pendant sept semaines, juste après Sherlock Holmes. En revenant d’Islande, où l’on a tourné, j’étais perdue, comme si j’étais allée sur Mars. Comment définiriez-vous le style visuel du film ?

Ce n’est pas Star Wars : Ridley préfère construire les décors, d’ailleurs il nous les dessinait tous les matins. Le résultat ne ressemble à rien d’autre. ♦



PROMETHEUS

Michael Fassbender dans les entrailles d’un mausolée intriguant

PORTRAIT ROBOT Dans Shame, le sex addict qu’il incarnait avait déjà quelque chose de m ­ écanique. Dans Prometheus, MICHAEL FASSBENDER campe David, un androïde blond aux airs de David Bowie. Rencontre avec l’homme et la machine. _Propos recueillis par Quentin Grosset

À

quel point étiez-vous au courant de l’intrigue lorsque vous avez signé pour Prometheus ?

C’est très rare que je m’investisse dans un rôle sans rien en connaître : comme à mon habitude, j’ai lu tout le script avant d’accepter. Le scénario de Damon Lindelof m’a séduit par l’acuité de son écriture, qui profite d’une forte empreinte philosophique. Il travaille l’idée qu’on cherche toujours ses créateurs, pas forcément pour les localiser mais aussi parfois pour les affronter.

De quelle manière avez-vous approché la dimension machinale de votre personnage ? © Twentieth Century Fox 2012

Je me suis juste attaché à ce que la posture soit correcte, avec l’idée fixe de la régularité, de l’économie du mouvement. Il fallait vraiment partir de la robotique parce que David est un modèle d’androïde antérieur et moins évolué que ceux d’Alien. J’ai pensé 68

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à Greg Louganis, le plongeur olympique : sa façon de se déplacer a été le point de départ de ma gestuelle. Je cherchais ce qui pouvait poindre d’humain dans ce robot. Il dispose d’un certain attirail d’émotions sans toutefois pouvoir organiser cette logique de réactions qui nous pousse par exemple à la jalousie ou à l’insécurité de l’ego. Le tournage en fond vert et en images de synthèse a-t-il affecté votre jeu ?

Il y en avait très peu. Le vaisseau, la planète sur laquelle l’équipe arrive, tout a été recréé en studio, et seulement quelques sections du décor nécessitaient des incrustations en fond vert. Venant du monde de l’art, Ridley considère que les textures sont essentielles. C’est sa façon de faire : tirer parti des nouvelles technologies tout en se tournant vers ce qui se faisait de mieux avant. Il a ainsi recréé un univers indépendant de celui d’Alien tout en disséminant quelques connexions avec le film d’origine. ♦



Les Maîtres du désordre

Dans la bouche du diable

Installée dans une grotte minimaliste comme travaillée à la chaux puis abandonnée, l’exposition « Les Maîtres du désordre » s’explore en aventurier toujours sur le fil. Au croisement des arts premiers et de l’art contemporain, on y déchiffre les rites et traditions de civilisations questionnées par l’ambivalence du monde, entre ordre et chaos. _Par Laura Pertuy

P

remiers pas dans la caverne imaginée par les architectes Jakob+MacFarlane, symbolique d’un monde partagé entre différents flux. Sur une immense mappemonde agrémentée de photos (Outgrowth de Thomas Hirschhorn), le désastre s’étale déjà. Car malgré nos règles et dogmes surgissent au quotidien des forces viles : ce sont celles du désordre, que l’homme n’a jamais pu contrôler. Dans sa crainte, il se pare d’effigies censées le protéger, ou demande à un intercesseur, sorcier ou chaman, de négocier auprès des puissances ambivalentes, les maîtres du désordre. Chez de nombreux peuples, les divinités côtoient ainsi les démons et illustrent une dichotomie nécessaire entre ordre et désordre. C’est cette relation fragile et fascinante que détaille l’exposition du quai Branly au fil de trois cents objets ethnologiques et œuvres contemporaines extrêmement variés, à la manière d’un livre de contes du bout du monde dans lequel on piocherait, avides d’évasion.

INCANTATIONS Si les différentes civilisations équilibrent leurs forces contraires en des procédés très distincts, leur dénominateur commun demeure le rite, qui doit permettre une régulation du malaise. L’intercesseur entre en communication avec les esprits, exorcise ou désenchante, parfois avec l’aide de drogues. Il existe d’ailleurs aujourd’hui un mouvement néochamanique qui s’intéresse aux psychotropes, fascination New Age représentée par les artistes Berdaguer et Péjus avec leur Jardin d’addiction, une bousculade de fioles et parfums, comme des connexions cérébrales en accélération. L’art contemporain s’infiltre progressivement mais avec fougue sur les murs de la caverne déglinguée. Il pénètre la trivialité et la grossièreté de nos sociétés modernes, que croquent avec brio Jacques Lizène, chantre de « l’art nul », et Paul McCarthy, maître ès débauche ; les expressionnistes allemands aussi s’intéressaient aux avatars du désordre, tout comme Jackson Pollock ou Pablo Picasso, dont les 70

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très beaux Autoportraits en faune sont exposés ici. L’entrelacement de pièces très anciennes et d’œuvres contemporaines joue des figures subversives qui moquent le chaos et la règle. L’ambiance musicale, très présente, forme un bourdonnement incantatoire qui projette le visiteur hors de l’espace-musée. TRANSGRESSIONS Avec En balance, Annette Messager illustre dans un espace circulaire le réseau sanguin d’un corps fantôme fragmenté (des fils et des cadres se rejoignent pardessous et par-dessus nos têtes) pour mieux mettre au jour ce qui nous effraie. Puis on quitte la caverne, qui s’ouvre sur un espace éclaté où s’exposent les fastes de la fête. De grands personnages, les fols, habillés de couleurs symboliques et coiffés de cornes et de sonnettes, sont munis de marottes, sortes de bâtons surmontés d’une tête de fou. Ils forçaient jadis les passants à se regarder dans un miroir avant de danser jusqu’à plus soif. Parmi ces personnages, les bouffons, qui mettent en avant les choses refoulées et ingèrent volontiers des matières dégoûtantes pour figurer l’indicible. Cette farandole d’excès s’avère essentielle au renouvellement de la nature et de la société. Les bacchanales en sont un autre exemple, qui permettent des renversements dans les différentes strates sociales en usant du burlesque. Turbulente et insatiable, l’exposition s’achève sur la salle des « conjurations profanes », où résonnent les rires de clowns et autres satyres. Ces agitateurs jouent du décalage, de la transgression pour percer les œillères de nos sociétés. On retrouve la grotte le temps d’une projection vidéo puis on quitte, sonné par ces luttes équilibristes, cet espace de communion. Comme une rencontre inattendue avec les dualités qui nous traversent quotidiennement. Et l’artiste Ben de conclure sobrement : « Pas d’art sans désordre ». ♦ « Les Maî tres du désordre », jusqu’au 29 juillet au musée du quai Branly w w w.quaibranly.fr


© Musée du quai Branly, photo Gautier Deblonde

Exposition

© 2011 The Field Museum, Photo by John Weinstein

Vue de l’exposition, avec notamment Le Concert dans l’œuf (1561) de Jérôme Bosch (sur le mur de gauche) et Pas d’art sans désordre (1991) de Ben Vautier (au fond à droite)

Masque d’exorcisme pour protéger les femmes enceintes, Sri Lanka, XIXe siècle

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LE STORE

SUPER CAPSULES

Fabriquées à Brooklyn par une bande de lycéens débrouillards, ces capsules sont recouvertes d’un papier recyclé à l’effigie des superhéros de DC Comics et Marvel. Hulk, Batman, Superman, à vous de faire votre choix dans la collection. Aimantées, elles sont réutilisables à l’envi pour customiser vos bouteilles de soda ou même décorer votre frigo. Les fonds collectés seront investis dans la construction d’un gymnase. Tous en collants ! _L.T. En vente au Store du MK2 Bibliothèque

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© Bac Films

EN VITRINE Bianca

Tempêtes sous soutane

Alors que Nanni Moretti préside le 65e festival de Cannes, un coffret DVD rembobine quatre de ses films majeurs : de Bianca au Caïman, de l’autoportrait acide à la satire politique, voici l’occasion de se replonger dans son œuvre. _Par Laura Tuillier

Nanni Moretti, aussi connu sous le nom de son double à l’écran, Michele Apicella, a pris l’habitude, depuis son premier long métrage (Je suis un autarcique, 1978), d’être à la fois devant et derrière la caméra. Il dévoile alors, film après film, l’évolution d’un homme en crise, colérique ou désespéré, en proie à des désirs conflictuels et en guerre contre une époque qui ne lui va pas. Dans Bianca (1984), Michele est incapable de vivre autrement que par procuration. Il épie ses voisins, entreprend de ficher la vie de ses amis et tombe amoureux avec

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angoisse de sa collègue professeure, la belle Bianca. L’intrigue bascule lorsqu’il s’avère que Michele est, pour ne pas faciliter les choses, un meurtrier en série. Le trouble identitaire du héros morettien s’immisce également dans les eaux agitées de la piscine de Palombella Rossa (1989) : en plein match de water-polo, Michele perd pied, noyé sous les souvenirs. De l’enfance solitaire à la jeunesse communiste, sa crise personnelle est aussi celle d’un pays incapable de penser une gauche post-guerre froide. Le Caïman (2006) poursuit dans cette veine douce-amère, portrait d’un producteur de cinéma sur le retour qui finance malgré lui un film sur Silvio Berlusconi. Dans ce film en abyme, Moretti incarne le chef du gouvernement le temps d’une séquence finale où, devant un Palais de justice en flammes, il s’éloigne sans se retourner, incarnation diabolique de l’Italie perdue. Diable ici, prêtre dans La messe est finie (1985), l’un de ses plus beaux films. Avec la même rage autodérisoire, Moretti enfile la robe d’un jeune ecclésiastique que personne ne comprend, ni ses proches dépressifs, ni ses rares fidèles. Incapable d’accomplir son devoir philanthrope, Don Giulio finit par prendre le large. Ce printemps, Nanni Moretti met le cap sur la Croisette. L’apercevoir à l’horizon est toujours une bonne nouvelle. ♦ Cof fret « Nanni Moret ti, 4 films » Édition : Bac Films Sor tie : disponible


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RUSH HOUR AVANT

PENDANT

APRÈS

l’expo de Robert Crumb au musée d’Art Moderne, regardez le DVD Crumb

LE FESTIVAL DE CANNES, LISEZ UN GOÛT DE ROUILLE ET D’OS

UNE balade DANS PARIS, RÉVISEZ L’HISTOIRE DE FRANCE AVEC MÉTRONOME

Crumb de Terr y Zwigof f (Compagnie Des Phares Et Balises) // Disponible Exposition « Crumb – De l’underground à la genèse » jusqu’au 19 août au musée d’Ar t Moderne de la ville de Paris, w w w.mam.paris.fr

Un goût de rouille et d’os de Craig Davidson (Albin Michel) // Disponible

Métronome de Lorànt Deutsch (France Télévisions) // Disponible

Complètement braque et sans tabou, le documentaire culte de Terry Zwigoff, tourné en 1994, suit le plus célèbre dessinateur de comic books underground américain dans sa vie de misanthrope génial et obsessionnel, en compagnie de ses deux frères encore plus barrés que lui. Le documentaire ressort en DVD collector, accompagné, pour compléter le portrait, de Parlez-moi d’amour, longue interview de Robert Crumb et de sa femme Aline, ainsi que de Crumb et la musique. Crumb, le déshabilleur de femmes, mis à nu… _I.P.-F.

Le livre qui a inspiré De rouille et d’os, le nouveau film de Jacques Audiard, est un recueil de nouvelles qui vous prend aux tripes. Huit portraits d’hommes détruits – boxeur raté, père alcoolique, accidenté… – dont le Canadien Craig Davidson entreprend la vivisection. Avec la précision d’un médecin et l’empathie d’un guérisseur, il explore la chair meurtrie. Son style imagé et abrupt fait vivre au lecteur l’os qui se brise, le sang qui aveugle, la douleur et le désespoir de ses héros. Dur et beau. _I.P.-F.

La série documentaire Métronome, présentée par Lorànt Deutsch, reprend le principe du livre éponyme et évoque l’histoire de France à travers les stations de métro parisiennes. Une manière originale d’explorer la capitale et les vestiges qu’elle conserve des millénaires passés. Malgré des reconstitutions historiques en numérique, avec acteurs chevelus et salis au cirage, Lorànt Deutsch partage avec enthousiasme ses trouvailles et donne envie de parcourir Paris avec un œil neuf. _I.P.-F.

TROP APPS _Par I.P.-F. Le Cinéma français Née le mois dernier mais prétendant déjà au statut d’application de référence, Le Cinéma français combine une mine de savoir à la IMDb et la convivialité d’un AlloCiné. Le logiciel centralise les données d’Unifrance – l’annuaire professionnel du cinéma en France – et celles du Film Français, le magazine des professionnels de l’audiovisuel. Bandes-annonces, photos, génériques, informations sur la distribution dans le monde, filmographies des acteurs, liens vers leurs actualités, agendas des festivals… Tout sur le cinéma français dans un guide plus que complet, facile d’accès et partageable du bout du doigt. Gratuit // iPhone et prochainement iPad

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© Disney

KIDS Grands guignols

Les Muppets, le retour rend un hommage tendre et nostalgique à la célèbre émission seventies présentée par des animauxmarionnettes. Succès public et critique aux États-Unis, le film sort directement en DVD en France, où les Muppets jouissent d’un culte plus underground. _Par Laura Tuillier

Le studio du Muppet Show est en ruine. Alors que jadis les Muppets accueillaient les humains (cinéastes, comédiens, chanteurs…) sur leur plateau télévisé, c’est

LE dvd

_Q.G

LE TABLEAU

de Jean-François Laguionie (France Télévisions) Dans un tableau abandonné par son peintre, trois communautés peinent à vivre ensemble : les Toupins, qui ont été achevés, les Pafinis, à qui il manque certaines couleurs, et les Reufs, qui souffrent de leur condition d’esquisses. Un Toupin rêveur s’échappe de la toile pour forcer le créateur à finaliser son œuvre. Un conte social raffiné, parsemé de clins d’oeil aux grands chefs-d’oeuvre, qui sensibilisera les enfants aux arts plastiques.

maintenant au tour de Gary (Jason Segel de How I Met Your Mother) de filer un coup de main à Kermit la grenouille et sa bande. La troupe doit en effet reprendre du service pour sauver la franchise Muppet Show des griffes d’un cupide homme d’affaires. De leur côté, Gary et sa petite amie (pétillante Amy Adams) tentent de trouver leur place entre une existence de trentenaires modernes et le fantasme rétro. Le film de James Bobin (Flight of the Conchords) joue en effet sur le désuet des Muppets, qui vivent dans un monde où le minitel existe encore et où Jimmy Carter dirige le pays. Qu’importe, les marionnettes remontent sur les planches avec bonheur, s’offrant pour l’occasion Jack Black, invité malgré lui de ce nouveau tour de piste. Et pour ne rien gâcher, le générique compte une flopée de guest stars. Comme au bon vieux temps. ♦ Les Muppets, le retour de James Bobin Avec : Jason Segel, Amy Adams… Édition : Disney Durée : 1h43 Disponible

LE JOUET

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Mini Speaki

(Doma) Il a une bouille de babiole régressive pour adulescent au top du monde moderne, mais le Mini Speaki cache un parfait compagnon de balade sonore pour petits et grands. Robuste et plus que simple d’utilisation, il fait office d’enceinte de qualité, directement raccordé à tout lecteur audio disposant d’une prise casque de type mini-jack. De quoi bousiller la quiétude d’un carré TGV ou mettre une ambiance de feu dans le dortoir d’une colo de vacances. En vente au Store du MK 2 Bibliothèque

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VINTAGE Juliet Mills et Jack Lemmon dans Avanti ! de Billy Wilder

BORN TO BE WILDER

BILLY WILDER n’a pas uniquement fait voler la robe de Marylin Monroe dans Sept ans de réflexion. Il est surtout l’auteur de comédies aussi méchantes qu’attachantes, dont deux des plus méconnues sortent en DVD. _Par Renan Cros

L’œuvre de Billy Wilder, vaste et complexe, regorge de femmes fatales et de losers magnifiques, d’ironie touchante et de mélodrame acerbe. Européen à Hollywood, il fait ses armes en tant que scénariste sous la figure tutélaire d’Ernst Lubitsch, et son cinéma restera marqué par l’élégance et le savoir-faire du maître du sousentendu. Mais il sut aussi se démarquer de cette influence en faisant de chacun de ses films des instantanés d’époque. Revoir le cinéma de Wilder, c’est plonger au cœur de la modernité naissante d’après-guerre par le prisme des laissés-pour-compte (Boulevard du crépuscule, Le Gouffre aux chimères), naviguer

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dans les affres de la société de consommation avec des personnages en quête de désir (Sept ans de réflexion, Certains l’aiment chaud, La Garçonnière), jusqu’à la désillusion du début des années 1960 et 1970, avec notamment les deux films aujourd’hui édités en DVD : Embrasse-moi, idiot ! (1964) et Avanti ! (1972). Des Wilder tardifs, mais essentiels à son œuvre, avec leurs petits personnages coincés dans des aspirations trop grandes pour eux. Embrasse-moi, idiot ! fait se croiser Ray Walston, Kim Novak et Dean Martin dans un vaudeville sulfureux sur le désir et le rêve de gloire. Avanti ! est quant à lui une fantaisie pleine d’amertume sur le bouleversement des idéaux d’un Américain convaincu, découvrant les plaisirs de la dolce vita. C’est surtout le retour à l’écran de l’interprète fétiche de Wilder, Jack Lemmon, ici aussi agaçant qu’attachant. Ce qui sauve le cinéma de Wilder de l’aigreur, c’est sa capacité à raconter de l’intérieur, d’être toujours avec et non au-dessus de ses personnages, jamais loin de l’empathie ni de la tendresse. Billy Wilder est avant tout un moraliste, un brillant portraitiste de son époque. Voilà de quoi nous donner au moins sept ans de réflexion. ♦ Embrasse-moi, idiot ! et Avanti ! de Billy Wilder Édition : Opening Sor tie : disponible


RAYON IMPORT

B initiale

B comme « bad », cinéma au rabais peuplé de monstres dégoulinants, parent pauvre de l’industrie ? Pourtant, en 1937, deux tiers des films produits à Hollywood sont des B movies, films à petit budget, souvent projetés par deux (double bills). Universitaire américain, Blair Davis redonne ses lettres de noblesse à ce sous-produit de la culture populaire et identifie dans cette enquête une époque, les années 1950, comme moment charnière de son déclin et de sa renaissance ; le cinéma bis s’y émancipe des studios hollywoodiens, se réinvente en passage formateur pour de jeunes metteurs en scènes indépendants (Roger Corman) et en grain à moudre pour un nouveau public : une jeunesse remuante, qui squatte le drive-in. _C.G. The Battle for the B’s de Blair Davis, Rutgers Universit y Press (en anglais)

BACK DANS LES BACS

« Moz » art En mars 1988, l’icône rock Stephen Patrick Morrissey est attendu au tournant. Depuis six mois, le groupe qui l’a porté aux nues et qui corsetait divinement sa plume acerbe et son chant nijinskien, The Smiths, n’est plus. Nu, le roi doit prouver qu’il a une vie après le swing cristallin de la guitare de Johnny Marr. De cette blessure, ce grand Narcisse tirera Viva Hate, épaulé aux compositions par Vini Reilly du groupe The Durutti Column et le producteur Stephen Street. Armé des tubes Suedehead et Everyday Is Like Sunday, cet album certifié d’or en 1993 et réédité aujourd’hui en CD et en vinyle sera la planche de sa(l)ut qui verra le « Moz » voler vers une superbe carrière solo. Vive le roi. _S.F. Viva Hate de Morrissey (Liber t y/EMI)


© 2011 Columbia TriStar Marketing Group, Inc. All Rights Reserved.

DVDTHÈQUE Hacker vaillant

Une héroïne hors-norme pour un élégant thriller connecté : le Millénium du styliste David Fincher impressionne toujours autant la deuxième fois. Incisif et écorché. _Par Clémentine Gallot

Mikael Blomkvist (Daniel Craig), journaliste d’investigation pour le canard engagé Millénium, se met au vert, mandaté par une opulente famille d’industriels suédois pour enquêter au long cours sur la disparition d’une jeune fille dans les années 1970. Lorsque la piste de crimes sexuels prend forme, il s’associe à une outcast prodige, Lisbeth Salander (Rooney Mara). Difficile de l’ignorer, The Girl with the Dragon Tattoo en anglais est l’adaptation du polar suédois à gros tirage de Stieg Larsson, déjà porté à l’écran à domicile en 2009 et qui avait à l’époque révélé l’actrice transformiste Noomi Rapace. Cette fois, c’est David Fincher qui mène la danse et s’approprie ce projet de commande tout à fait dans ses cordes, prolongeant ainsi les obsessions qui parcourent depuis presque vingt ans sa filmographie : le puzzle factuel déployé dans Seven, The Game et Zodiac dont il n’a cessé de réarranger les pièces, la silhouette solitaire de Fight Club ou The Social Network qui prend ici les traits

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d’une hackeuse impassible. En cohésion absolue avec son générique organique tout de lave en fusion et portée par la B.O. électrique de Trent Reznor et Atticus Ross, la mise en scène du cinéaste américain atteint ici toute sa précision, aiguisée par une maniaquerie et une virtuosité parfois trop apparentes et pouvant confiner à l’onanisme – pour basculer par instants, avec un peu de facilité, dans le revenge porn. Colosse malmené, Daniel Craig, pour une fois d’une agréable sobriété en journaleux, cède rapidement la place à l’équilibriste Rooney Mara, aperçue en étudiante proprette dans le prologue de The Social Network et grimée ici en punkette placide tout de noir vêtue. Sony, le distributeur américain du film, qui avait déjà déployé une habile campagne de marketing viral, a manifestement pris plaisir à entretenir la confusion du spectateur quant à l’emballage du DVD, celui-ci imitant à la perfection une copie pirate (au point de contraindre Amazon à publier un communiqué sur son site !). Les bonus fournis déclinent les habituelles interviews de l’équipe, décortiquent la genèse des personnages et la transformation des acteurs. L’indispensable costumière gothique, à qui le film doit beaucoup de l’enveloppe punk de son héroïne bad ass, explique : « Je voulais que Lisbeth soit comme une ombre. » « Les gens sont pervers, je l’ai toujours dit, c’est d’ailleurs le fondement de ma carrière », déclare quant à lui David Fincher dans un rictus, creusant encore un peu plus le sillon de cette œuvre au noir. ♦ Millénium – Les hommes qui n’aimaient pas les femmes de David Fincher Avec : Daniel Craig, Rooney Mara… Édition : Sony Pictures France Durée : 2h38 Sor tie : 23 mai


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FILMS La sélection de la rédaction

Les Chants de Mandrin

Les Crimes de Snowtown

de Rabah AmeurZaïmeche (TF1 Vidéo/ MK2 Diffusion)

Take Shelter

de Justin Kurzel (ARP Sélection)

de Jeff Nichols (Ad Vitam)

Après trois films très ancrés dans le contemporain (dont le puissant Dernier Maquis), Ameur-Zaïmeche poursuit une peinture résolument politique de la France en prenant pour point d’ancrage Louis Mandrin, contrebandier du XVIIIe siècle. À sa mort, ses compagnons (menés par Ameur-Zaïmeche en personne, toujours excellent) continuent de propager une parole rebelle et humaniste. Film d’époque minimal et fauché, Les Chants de Mandrin mise sur la modernité de son langage, sur l’esprit de troupe qui règne entre les acteurs et sur la beauté éternelle des paysages des Cévennes pour magnifier son héros.

Sélectionné à la Semaine de la critique en 2011, le premier film de Justin Kurzel revient sur un fait divers qui avait choqué l’Australie dans les années 1990 : John Bunting, leader charismatique et dément, avait entrainé à sa suite une bande de tueurs en série. Sur les lieux du drame, le réalisateur prend le parti de suivre Jamie, 16 ans, ado paumé qui pense trouver en John la figure paternelle qui lui manquait pour devenir adulte. Sur fond de misère sociale, Les Crimes de Snowtown continue de creuser une veine âpre et violente dans le cinéma australien, après Animal Kingdom de David Michôd.

Après des Shotgun Stories prometteuses filmées sur sa terre natale, l’Arkansas, Jeff Nichols retrouve Michael Shannon dans l’Ohio. Père de famille sans histoires, Curtis est victime d’une obsession : la peur panique d’une tempête démentielle qui approcherait, menaçant les siens. Nichols filme avec une gravité subtile les ravages de la paranoïa au ciel comme sur le visage de son acteur fétiche et offre une des fins les plus bouleversantes du début 2012. Mention spéciale à Jessica Chastain, découverte à Cannes l’an passé, qui tend un pont bienvenu entre Take Shelter et l’œuvre de Terrence Malick.

_L.T.

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The Libertines: There Are No Innocent Bystanders

Sport de filles

de Patricia Mazuy (France Télévisions)

Don’t Be Afraid of the Dark

de Roger Sargent (Pulse Films)

de Troy Nixey (TF1 Vidéo)

Les voies parfois inhospitalières empruntées par le cinéma de Patricia Mazuy depuis Basse Normandie et Saint-Cyr l’ont menée pour Sport de filles en région Centre. Gracieuse (Marina Hands), cavalière et dresseuse revêche, espère tirer son épingle du jeu dans un haras où elle vient d’être embauchée par un entraîneur grincheux (Bruno Ganz), quoique fin dompteur de pur sang. Aussi mal aimable que peuplée de figures rétives, cette fable rugueuse dispense une précieuse leçon de lutte des classes féminine et de sadisme en milieu hippique. Chez Mazuy, on dresse bien les chevaux, et les gens.

« Aucun passant n’est innocent », précise le sous-titre de ce docu signé Roger Sargent, photographe proche des Libertines. Personne n’ira le contredire : les frasques du groupe, fulgurante comète rock du début des années 2000, ressuscitèrent un peu de l’esprit punk des Sex Pistols. Le film s’attache à la reformation de la troupe en 2010 et à la rivalité toujours vivace entre ses deux leaders, Pete Doherty (à Cannes dans Confession d’un enfant du siècle) et Carl Barât. Clopes froides, bières renversées, amitié manquée, cette poursuite du temps perdu résonne des accents d’un doux désenchantement.

Direct-to-DVD pour cette nouvelle production Guillermo del Toro, remake d’un téléfilm de 1973 initialement créé pour la chaine ABC. Classique dans sa forme et dans son scénario, co-écrit par del Toro himself, le premier long métrage de Troy Nixey jette un couple (Guy Pearce et Katie Holmes) et sa gamine en pâture à des gnomes numériques. Don’t Be Afraid of the Dark n’est pas ce qu’on verra de plus original dans le genre, mais Nixey mène sa barque horrifique avec un certain savoir-faire, au cœur de manoirs gothiques et de jardins mystérieux chers au réalisateur du Labyrinthe de Pan.

_C.G.

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DR

CDTHÈQUE The Brian Jonestown Massacre

I dig it again

Huit ans après la sortie du rockumentaire Dig!, on refait le match entre The Dandy Warhols et The Brian Jonestown Massacre, frères ennemis et valeurs symboliques de la pop music. _Par Michaël Patin

De 1995 à 2003, Ondi Timmoner a filmé en parallèle les groupes rock The Dandy Warhols (TDW) et The Brian Jonestown Massacre (TBJM), certaine qu’elle tenait là un vrai sujet de cinéma. À travers la lutte fratricide et comique de ses personnages, Dig! interrogeait les angoisses éternelles du rock et celles de son époque : être jouisseur ou complexé (Courtney Taylor-Taylor, chanteur-guitariste de TDW), génie ou junkie (Anton Newcombe, même position chez TBJM), populaire ou confidentiel, sincère ou vendu. Les sorties simultanées du septième album de The Dandy Warhols (This Machine) et du onzième de The Brian Jonestown Massacre (Aufheben) nous donnent l’occasion d’une remise à jour. Le film s’achevait sur un Newcombe esseulé et lessivé, tandis que les Dandys se gargarisaient de leur succès européen. Mais les temps changent, parfois de façon brutale. Entre l’original (TBJM) et le simulacre (TDW), le fossé créatif n’a cessé de s’élargir. Newcombe a continué

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d’enregistrer sans relâche et d’incarner son rôle d’illuminé qu’on adore détester. De l’autre côté, l’industrie du disque en perdition n’a pu garantir le statut de ses protégés (TDW), en dépit de leur conformisme grandissant (qu’ils sont loin, les 400 000 dollars déboursés en 1997 par Capitol Records pour le clip de Not If You Were the Last Junkie on Earth, signé David LaChapelle !). Comme le prédisait malgré lui Peter Holmström, guitariste des Dandys, l’un est devenu une légende (en plus de rester vivant), tandis que sa pâle Némésis a pris l’autoroute vers l’oubli. Entre les deux disques, on ne sait même plus quoi comparer. Passé un single efficace dans la tradition power pop du quartet de Portland (Sad Vacation), This Machine s’empare de tous les plans usés du rock nineties (de Nirvana à Crash Test Dummies en passant par le saxophone de Morphine) avec une absence de pudeur parfaitement anachronique. Auf heben regorge quant à lui d’odes psychédéliques camées et sensibles, d’une grande ambition formelle (on se perd dans la touffeur des arrangements), comme un rappel à l’ordre adressé aux revivals actuels – pop sixties, shoegaze, dream pop, synth pop, krautrock : tout y est. On risque peu d’entendre This Machine ailleurs qu’au fond de quelques pubs anglais, tandis que l’œuvre d’Anton Newcombe s’affirme comme l’une des plus fécondes de la pop contemporaine. Les derniers sont les premiers, le présent terrasse le passé. C’est enfin l’heure du happy end. ♦ This Machine de The Dandy Warhols Label : Naïve Sor tie : disponible Aufheben de The Brian Jonestown Massacre Label : A Records Sor tie : disponible


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ALBUMS La sélection de la rédaction _Par W.P.

L’Amour, l’argent, le vent

de Barbara Carlotti (Atmosphériques)

The Only Place

de Best Coast (Wichita) Après le succès du très brut Crazy for You, Best Coast délaisse les vagues lo-fi et shoegaze, laisse les manettes à Jon Brion (producteur de Fiona Apple ou de Kanye West, compositeur des B.O. d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind ou de Punch-Drunk Love), à charge pour lui d’éclaircir le propos, de clarifier le son touffu du duo californien. Mission accomplie, l’album révèle la qualité et le classicisme des compositions de Bethany Cosentino, auparavant cachées derrière le mur du son et apparaissant ici dans la pureté réverbérée d’un grand studio. Plus grunge que garage, The Only Place se rapproche de nous.

Tantôt fleur bleue, tantôt emplie d’un spleen baudelairien, l’œuvre de Barbara Carlotti semblait jusqu’alors teintée de nostalgie sépia. La voilà qui prend les atours de la modernité, entre transports (l’amour), fluidité (l’argent) et emportements (le vent), ses chansons adoptant désormais un rythme plus alerte, conféré sans doute par l’implication de nouveaux partenaires (dont Benoît de Villeneuve) dans leur confection. Pop sixties ou synth pop enlevée, c’est autant The Left Banke que Taxi Girl que cette belle voix convoque, libre comme on est nu. Comme la Zouzou de Rose Poussière (roman de Jean-Jacques Schuhl), on dit « ouais, ouais, ouais ».

67 Songs

de Captain Kid (Discograph) Hommage au 69 Love Songs des Magnetic Fields ? Le Parisien Captain Kid sort en tout cas un premier album amoureux, dont le titre (67 Songs) ne reflète pas le contenu (elles sont douze) mais l’ambition de s’élever à hauteur des grands compositeurs pop (Phil Spector, Van Dyke Parks) ou folk (Bob Dylan, Townes Van Zandt) américains. Un chant aux modulations extraterrestres raconte en mélodies gracieuses doute et désamour sur des tapis de cordes, vents et bois enlevés (l’arrangeur et compositeur Julien Ribot aux enluminures). Ou comment parler des choses graves avec légèreté, et des choses légères avec gravité.

Feu la figure

A+E

Voix d’eau (Eloïse Decazes) et voix de terre (Sing Sing), Arlt, plus beau duo français depuis Areski et Fontaine, sort un deuxième album de folk primitif, chansons d’amour bagarreuses, à la figure moins humaine qu’animale, convoquant un bestiaire fantastique, totémique (cheval, rhinocéros, baleine, chien, et une « sauterelle dessinée par un fou »). Dans ces entrelacs de chants tremblants (« et tout ce qui tremble est vrai »), ainsi que dans un rêve, une chose en remplace une autre (un sexe peut être un pistolet, puis un périscope), entre langue des oiseaux et chute babélienne, transports et déplacements.

Alors que Damon Albarn sort un album de folk inspiré par la vie de John Dee, scientifique et conseiller d’Elizabeth Ire, le huitième solo du binoclard à guitares Graham Coxon, son âme damnée au sein de Blur, sonne comme l’antithèse braillarde de la lente mais sûre institutionnalisation du chanteur érudit. Adulescent quarantenaire, Coxon se demande encore ce qui fait danser les gens (What’ll It Take) avec ironie (boucles de synthés, boîtes à rythme cheap, guitares sur-saturées) et autodérision (« What’s wrong with me ? », s’interroge-t-il). Sérieuse pochade, super chansons, éternelle jeunesse sonique.

d’Arlt (Almost Music)

de Graham Coxon (Parlophone/EMI)

Milk Famous

de White Rabbits (Mute) Milk Famous est le troisième album des White Rabbits, sextet indie de Brooklyn connu pour ses deux batteurs et le hit YouTube Percussion Gun, où l’on voit ces derniers marteler des toms basse, un peu comme Avey Tare pendant les concerts d’Animal Collective. À cette différence près que les White Rabbits proposent des pop songs tout ce qu’il y a de plus classiques, avec coupletsrefrains, des basses pleines de grain, des guitares acérées, les drums en stéréo, rappelant plus Interpol ou Radiohead que PVT ou Liars. Ça peut le faire en live, sans autotune sur la voix, mais on regrette presque Death From Above 1979.

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BIBLIOTHÈQUE © Jaimie Macdonald

Attachant et brut de décoffrage, Skinheads est un roman politique à sa manière, sans lourdeur ni manichéisme.

Raide Skin

Les skins, des brutes armées de manches de pioche ? Pas du tout, répond John King ! Avec Skinheads, il signe un roman en forme d’hommage à une culture méconnue et à l’Angleterre populaire. _Par Bernard Quiriny

Il n’y a rien à faire, tout le monde ou presque a une image déplorable des skins, vus comme des marginaux extrémistes adeptes de musiques violentes. Et pourtant, la réalité est tout autre : s’il existe bien une frange politisée et nationaliste, la mouvance skin originelle, née dans les années 1960 en Grande-Bretagne, est plutôt apolitique, propre sur elle, populaire et baignée de musique ska, genre fondateur du reggae jamaïcain qu’illustrent des figures mythiques comme Desmond Dekker, Jimmy Cliff ou Laurel Aitken. Rien de dangereux pour

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les mœurs ni pour l’ordre public, donc, même si certains d’entre eux ne rechignent pas à faire le coup de poing contre les bandes rivales à la sortie des stades. Romancier attaché à l’Angleterre ouvrière et à la culture des classes laborieuses (le foot, la bière et les amis), l’excellent John King (Football Factory) s’est mis en tête de dissiper les clichés dans Skinheads, où les trois héros se réclament tous du mouvement. Le plus âgé, Terry, est le patron cinquantenaire et tranquille d’une petite boîte de minicabs (taxis) qui caresse le rêve de racheter un troquet nommé Union Jack Club et d’y passer de la bonne musique ska pour une clientèle d’initiés. Son neveu, Ray, bosse pour lui comme chauffeur. Père de famille rangé, il a connu une jeunesse agitée et reste, avec ses citations d’Orwell et ses saillies pragmatiques contre l’Europe technocratique, le plus politisé. Quant au fils de Terry, Laurel (en hommage à Aitken), 15 ans, il maintient bravement la flamme skin familiale avec ses Dr. Martens aux pieds. L’intrigue ? Il n’y en a pas vraiment, à moins de considérer que l’achat d’un pub ou la chasse aux dealers du quartier méritent le titre de scénario. Skinheads donne plutôt dans la galerie de portraits, voire le récit sociologique, et n’en tient pas moins la route. John King y fait justice des lieux communs sur une mouvance dont il rappelle avec élégance et tendresse l’origine culturelle et l’ancrage populaire. À ce titre, Ray est sans doute la figure la plus complexe et la plus réussie : fier d’être anglais et issu du peuple, il voit défiler dans son taxi toutes les classes sociales. Attachant et brut de décoffrage, Skinheads est ainsi un roman politique à sa manière, sans lourdeur ni manichéisme. Seul regret : les quelques chapitres où King expérimente une écriture façon flux de conscience pour évoquer les souvenirs de Terry, coquetterie inutile qui ralentit la lecture. ♦ Skinheads de John King Traduit de l’anglais par Alain Defossé Édition : Au Diable Vauver t Genre : roman Sor tie : 31 mai


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LIVRES La sélection de la rédaction

Ils ne sont pour rien dans mes larmes

Le Testament américain

À la lisière

d’Olivia Rosenthal (Éditions Verticales)

de François Poirié (Actes Sud)

de Franz Bartelt (Gallimard)

Si la critique autobiographique reste un territoire relativement peu investi par la fiction, l’auteure de Que font les rennes après Noël ? associe ici à chaque film un souvenir. Olivia Rosenthal revendique dans ce court recueil l’absolue subjectivité de points de vue déclinés à la première personne à travers le récit de quatorze personnages fictifs et anonymes. Tous répondent tacitement à la même question : quelle œuvre a bouleversé leur vie ? Ainsi, « Vertigo raconte l’histoire d’une femme qui change de couleur de cheveux. [C’]est un film à montrer en priorité à ceux qui ont raté ce qu’ils avaient entrepris ».

Peut-on philosopher sur des notions comme la gêne, l’indécision, la dette ou la lassitude ? Oui, répond François Poirié dans cet « essai sur dix thèmes délaissés ». Clément Rosset n’a-t-il pas sondé l’idiotie ? Du reste, il ne s’agit pas de traités systématiques et exhaustifs, mais de fragments, de notations au fil de la pensée et des lectures, imprégnées de références littéraires (Ingeborg Bachmann), cinématographiques (Delphine Seyrig) ou philosophiques (Emmanuel Levinas, son maître à penser). Une promenade intellectuelle, en somme, qui n’a pas la prétention de faire le tour du monde mais qui, sans en avoir l’air, peut conduire loin.

Neuville, campagne reculée. Un milliardaire lègue sa fortune aux habitants sous la forme d’un cimetière flambant neuf, avec des tombes grandes comme des maisons. Cette nécropole ultramoderne intéresse la presse et change insidieusement les habitudes des Neuvillois… Il y a du Marcel Aymé dans cette fable rurale, en plus loufoque et salace (ça lutine à tout-va). Avec son style inimitable, Franz Bartelt transforme son histoire cocasse en roman philosophique débonnaire sur la mort des campagnes, l’extravagance comme solution à l’ennui et l’absurdité générale des choses. Charmant.

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Quelques jours au Brésil

Œuvre érotique

Rock et cinéma

d’Adolfo Bioy Casares (Christian Bourgois)

de Pierre Louÿs (Robert Laffont)

de Thomas Sotinel (La Martinière)

« Restez là, dit la chambrière / Que je vous montre mon derrière »… Poésie, conte, roman, théâtre, dialogue, essai, aucun genre n’a échappé à l’érotomane Louÿs qui, sa vie durant, a accumulé dans ses tiroirs des montagnes de textes pornographiques (près de quatre cents kilos de papier), dont beaucoup, dispersés après sa mort, n’ont pas été publiés… Établi par son biographe Jean-Paul Goujon, ce fort volume (illustré par une photo de l’éternelle amante Marie de Régnier) rassemble l’essentiel de l’œuvre érotique connue, du Manuel de civilité… au gigantesque poème Pybrac. Une somme exceptionnelle, pour lecteurs avertis.

À quoi pensent les écrivains en congrès ? Loin du pince-fesses mondain, l’exercice peut se transformer en épreuve quand, comme Bioy, on n’a accepté qu’à contrecœur, que le congrès est au Brésil alors qu’on ne parle pas le portugais et qu’on peine à prendre langue avec les autres (Green, Moravia…). Sauf à y voir une parenthèse, un pas de côté pour regarder le monde… Extrait du journal de Bioy, ce petit livre inédit est truffé de notations sarcastiques et rehaussé d’une astucieuse intrigue intime. En moins de cent pages, il en dit étonnamment long sur le tempérament du grand écrivain argentin.

Né dans les années 1950, le rock avait tout pour rencontrer le septième art : son énergie contestataire, le charisme sauvage de ses stars et la manne financière promise par son succès. Jonglant entre États-Unis et Grande-Bretagne, Thomas Sotinel (journaliste au Monde) raconte cette romance parfois chaotique, de la déchéance cinégénique d’Elvis aux expérimentations des Who. Fort d’une riche iconographie et d’interviews précieuses (Richard Lester, Julien Temple), cet essai redonne des couleurs au rock, « poésie du présent » dont le cinéma, selon le préfacier Olivier Assayas, serait plutôt la prose.

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© Dupuis 2012

BDTHÈQUE Spirou au Far West

La formule est connue : « Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende », conclut John Ford dans L’homme qui tua Liberty Valance. Il en est de même dans Gringos Locos, récit biographique d’un épisode fondateur de l’histoire de la bande dessinée franco-belge. _Par Stéphane Beaujean

Comme dans Liberty Valance, ils étaient trois. Pas des cow-boys, mais des dessinateurs de petits Mickey. L’ancien, c’est Joseph Gillain, dit Jijé, membre essentiel des éditions Dupuis, créateur de Fantasio et bientôt de moult succès populaires dont Jerry Spring et Jean Valhardi. Le grand timide, c’est André Franquin, en passe de devenir le plus célèbre dessinateur de bande dessinée franco-belge (avec Hergé), auteur d’aventures de Spirou d’une luxuriance indépassable, futur créateur de Gaston Lagaffe et d’aussi drôles que dépressives Idées noires. Le bigleux, enfin, c’est Morris, de son vrai nom Maurice de Bevere, dessinateur dont on dit qu’il est le meilleur de sa génération et qui consacrera l’intégralité de son talent aux aventures du cow-boy le plus célèbre d’Europe, le solitaire Lucky Luke.

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Autant dire que lorsque Yann et Schwartz se placent en fils spirituels et s’attaquent au récit du voyage aux États-Unis de ces trois pierres fondatrices du magazine Spirou, c’est un événement. Et que le débat sur l’exactitude des faits fait rage, entre l’enquête de plusieurs années du biographe et les souvenirs contradictoires des enfants, au point de conditionner la parution de l’album à l’adjonction d’un correctif rédigé par ces derniers. Le projet du trio, en ligne de mire d’une traversée des États-Unis d’Est en Ouest : se faire embaucher par les studios Disney. Ils rentreront chez Dupuis bredouilles, mais transformés pour la vie, leur regard artistique à venir bouleversé par cette expérience. Par extension émergera bientôt toute une nouvelle esthétique de la bande dessinée : la fameuse « ligne atome », engagée dans la modernité, de l’école de Marcinelle. Gringos Locos reconstitue donc ce voyagelà, mythique. En un tour de mise en scène, les trois auteurs muent en personnages aussi volubiles que les héros de leurs propres planches. Quant aux péripéties, en apparence anodines, elles laissent présager des répercussions sur les œuvres à venir : quatre mariachis de tailles variables portent en germe les frères Dalton ; une silhouette, et c’est Gaston qui se profile au loin… Historique ou fantasmé ? Aux historiens de trancher. Gringos Locos se lit surtout comme un hommage débordant de tendresse, au dessin rond et nerveux, quoique peut-être trop maniéré. Pas facile d’égaler le parfait ­équilibre des maîtres. ♦ Gringos Locos de Yann et Olivier Schwar tz Édition : Dupuis Sor tie : disponible


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©Sony

ludoTHÈQUE Marchand de sable

Entre jeu d’aventure et trip zen, Journey, par le créateur de Flower, est un voyage hors les frontières ludiques habituelles. _Par Yann François

Derrière le nom de Jenova Chen se cache le génie d’une révolution pacifiée du jeu vidéo. Souvenons-nous de flOw et ses arabesques sous-marines, de Flower et son pétale floral balayé par le vent, que l’on dirigeait pendant des heures pour le seul plaisir de ses ondulations aériennes. Car nous nous souviendrons de Journey, nouveau tour de force poétique de l’esthète Chen. Accessible en téléchargement (sur PlayStation Network uniquement), le soft est de ces chefsd’œuvre poids plume qui parsèment la toile numérique et dont la courte durée de vie vaut pourtant les centaines d’heures de tout blockbuster. Comme son nom l’indique, Journey est une invite au voyage : aux commandes d’un mystérieux vagabond des sables, le joueur erre au milieu d’un désert sur une planète inconnue, avec pour seule boussole une immense montagne lumineuse qui se dresse en ligne d’horizon. La destination a beau être connue, elle ne sera finalement que bagatelle face à la magie du trajet. Des dunes désertiques aux ruines antiques d’une civilisation perdue, le personnage traverse un univers désolé

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et ésotérique, dont la simplicité (apparente) et les couleurs convoquent la sérénité des plus belles estampes. Côté gameplay, même cas de minimalisme. Trois touches seulement : marcher, sauter, communiquer par ondes sonores pour interagir avec les quelques créatures environnantes et mécanismes à actionner. Limité ? Bien au contraire : dans sa révision de l’aventure et de la plateforme, Journey se joue puis se vit comme un baume enchanteur. À l’image de son désert, il fait table rase et se fait catharsis de nos envahissantes envies de sophistication. Chaque décor et événement participe d’un émerveillement diffus et permanent, où la quête d’un ailleurs devient progressivement quête de soi. Parfois, une créature identique croise notre route et se met à nous suivre. On devine alors un autre joueur, dont on ne sait rien, si ce n’est qu’il est branché à cette même hypnose itinérante, parti pour partager un bout de chemin avec nous. Alors, perdus dans les dunes, surfant en duo sur les roulis du sable au milieu de méduses volantes amusées de nos cabrioles, les esprits s’abandonnent à la complétion d’un bonheur numérique. Il ne nous fallait finalement que trois boutons pour atteindre le nirvana d’un odysséen candide. Le jeu vidéo n’a pas besoin d’un gameplay complexe pour transcender son hôte, c’est là la magnifique conclusion de Jenova Chen. Car Journey est tout sauf une babiole décorative : il redessine l’étoffe dont sont faits nos rêves ludiques. ♦ Journey (Sony) Genre : itinérance Développeur : Thatgamecompany Plateforme : PS3 (PSN) Sor tie : disponible


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JEUX La sélection de la rédaction

Fez

(Polytron Corporation, sur XBLA) Fez mérite son statut de superstar des festivals indépendants. Grâce à son concept génial (pouvoir tourner chaque dimension du décor comme un Rubik’s Cube), ce jeu de plateforme fait réfléchir sur notre perception et ses mirages. Un futur classique.

_Par Y.F.

Total War : Shogun 2 La Fin des samouraïs

(Sega/ The Creative Assembly, sur PC) Indépendant de l’immense Shogun 2, ce chapitre propose une incursion passionnante dans le Japon du XIXe siècle, à l’heure troublée de l’ouverture à la modernité occidentale. Retors, beau à pleurer, le fleuron du jeu de stratégie n’est pas près de capituler.

Pandora’s Tower

(Nintendo/ Ganbarion, sur Wii) Un chevalier est chargé de sauver sa dulcinée d’une malédiction la transformant lentement en monstre. Derrière un conte à la noirceur digne des Grimm se cache la beauté incandescente d’un sommet de romantisme vampirique où aimer, c’est manger l’autre.

L’assaut de l’ange

Morceau de bravoure sous forme de jeu de tir et d’action délirant, Kid Icarus: Uprising s’impose comme LE poids lourd de la 3DS.

En langage pompeux, Kid Icarus: Uprising pourrait se définir comme une killer app : un jeu justifiant à lui seul l’achat de sa console mère. En langage plus détendu : c’est une énorme claque, à posséder de toute urgence. Réactivation d’un classique de la plateforme sur NES, Kid Icarus remet la 3DS sur le devant de la scène en sublimant tous ses potentiels. Divisé en deux phases (une aérienne en shoot’em up, puis une partie à pied, plus libre), chaque chapitre propose une remarquable alchimie

©Nintendo

_Par Yann François

entre vitesse et adresse, pour un gameplay terriblement stimulant. Les parties aériennes, ahurissantes, font de chaque niveau un tableau animé, bardé d’effets d’optique, où la profondeur de champ devient vertige sensoriel. Dégagé de toute excentricité, le relief trouve enfin sa dimension ludique. Né de l’imagination débridée du créateur de Super Smash Bros., le soft se pose en modèle d’originalité, soucieux d’offrir à son joueur une expérience totale. Constellé de bonus, d’agréments tactiques (la customisation des

armes à construire comme dans un Tetris, idée de génie parmi tant d’autres) et de modes alternatifs à n’en plus finir (dont un excellent mode en ligne), Kid Icarus: Uprising a assurément la générosité d’un grand. Il aura fallu l’attendre longtemps, mais le sauveur de la 3DS est bien là. Comme par hasard, il a les traits d’un ange gardien. ♦ Kid Icarus: Uprising (Nintendo) Genre : action/tir Développeur : Project Sora Plateforme : 3DS Sor tie : disponible

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LE GUIDE

SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS

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© André Morin

© Hugo Glendinning

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© ADAGP, Paris 2011

© Parisienne de photographie/Léon et Lévy – Fonds Roger-Viollet

dream pop / A R T C O N T E M P O R A I N - arch i tecture / D anse-THEÂTRE / L E C H E F

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SORTIES EN SALLES CINÉMA du mercredi 9 mai au mardi 12 juin

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© Les Acacias

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DR

SORTIES EN VILLE CONCERTS

ROSE DES SABLES Dream pop Beach House, le 29 mai à la Maroquinerie, 19h30, à par tir de 18 € Bloom (Bella Union/Cooperative, disponible)

En six années et quatre albums, le duo de charme BEACH HOUSE s’est imposé dans le registre de la pop éthérée, entre langueur réverbérée et ­mélancolie montante. Qui n’a jamais rêvé d’une m ­ aison sur la plage ? _Par Wilfried Paris

Dream pop, hypnagogic pop, chillwave : les courants musicaux les plus marquants de ces dernières années ont en commun de vouloir nous faire rêver. L’époque et ses chocs sont-ils si violents que l’on doive se consoler dans le réconfort du sommeil et du songe ? Avec son quatrième album, Bloom (« floraison » en français), le beau duo formé par Alex Scally et Victoria Legrand (nièce de notre Michel Legrand national) semble pourtant s’épanouir davantage, ouvrir les yeux, laisser pupilles et iris recevoir la lumière. En six ans, le couple de Baltimore est ainsi passé de la mélancolie lo-fi réverbérée dans le grain du micro à la hautefidélité du studio, des bords de plage en amoureux 94

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aux premières parties épiques de Grizzly Bear. Moins loge noire (l’ambiance Twin Peaks des débuts) qu’aube nouvelle, le duo affine et affirme auprès d’un public grandissant son style unique : litanies lancinantes, guitares doucement shoegaze, orgues d’église, boîtes à rythme antiques. La voix vaporeuse, parfois presque mâle à la Nico, toujours émotionnelle à la Hope Sandoval, rappelle maintenant par occasions Liz Fraser de Cocteau Twins. Avec ses mélodies lentes et pleines, réduisant coûte que coûte la reverb’, Bloom confirme l’ambition du précédent Teen Dream, au point limite de la redite. De fait, il ne séduira pas plus de nouveaux fans qu’il ne convaincra les éternels agacés. Pourtant, ces hymnes doux arrivent pertinemment avec le printemps, leurs progressions romantiques évoquant bien l’épanouissement d’une fleur (bleue ?), les guitares filant doucement vers l’étoile (violette ?), l’ouverture des cymbales rayonnant comme un soleil (de métal). Comme le chante Victoria Legrand sur Irene, « It’s a strange paradise ». Allons à sa rencontre. ♦


© ADAGP, Paris 2011

Villette Sonique, du 25 au 30 mai au parc de la Villette

L’AGENDA _Par W.P. et F.d.V.

Pop In Fifteen Le bar le plus pop de Paris (105, rue Amelot) a 15 ans et invite ses célèbres amis (HushPuppies, Zombie Zombie, Yeti Lane, Autour de Lucie, Fugu, Lisa Li-Lund, Kim, Luz…) à le fêter. Forever young. Le 10 mai à Petit Bain, 18h, 11,80 €

Amon Tobin Depuis quinze ans, le producteur brésilien Amon Tobin, tête de proue du label Ninja Tune, jongle entre drum’n’bass, jazz et hip hop, et a un carré de fidèles qui remplit l’Olympia. À l’ancienne. Le 10 mai à l’Olympia, 20h30, 37,40 €

Sharon Van Etten

Très attendue après son album Tramp (enregistré avec Aaron Dessner de The National), Sharon Van Etten, fée électrique, vient hanter Paris de sa belle voix et de ses retranchements mélancoliques. Le 24 Mai à la Maroquinerie, 20h, 19,80 €

The Bishops + Blackfeet Revolution Ce mois-ci, la French Made Party présente Mike et Pete Bishop, jumeaux rock sous influence sixties. Sans oublier les guests de Blackfeet Revolution (Feel it Burn), ou quand le blues se fait élégie. Le 23 mai à la Flèche d’Or, 19 h30, 12 €

Phoebe Jean & The Air Force Venue de Baltimore, Phoebe Jean balance une electro-pop aux accents groovy sur le récent Heartbreakers, entre M.I.A. et Rye Rye. Chorégraphies stylées et live qui chauffe le dancefloor : be there. Le 24 mai à l’Espace B, 20h30, 8 €

Villette Sonique Ariel Pink, Death Grips, Dirty Three, Flying Lotus, Chris & Cosey, François K, Girls, I:Cube, Ital, Julia Holter, John Talabot, Mudhoney, Egyptology, The Field, The Melvins, Sleep… N’en jetez plus (on oublie) : Villette Sonique est le festival le plus chic du printemps. Du 25 au 30 mai au parc de la Villet te, à par tir de 15 €

Young Man + Thousand Longtemps confiné suiveur d’Animal Collective, Young Man trouve sa voix sur son album Vol. 1, prog pop produite par John McEntire (Tortoise). Le parisien Thousand ouvrira en beauté folk électrique. Le 30 mai à Petit Bain, 20h30, 11,80 €

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© André Morin

SORTIES EN VILLE EXPOS

Annette Messager, Motion/Emotion, 2012, courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery, New York, Paris, ADAGP Paris 2012

RAPPROCHEMENT FAMILIAL A R T CON T EMPOR A IN La Triennale 2012 – « Intense Proximité », jusqu’au 26 août au palais de Tok yo (Paris), w w w.latriennale.org

Pour sa troisième édition, La Force de l’art change de nom et de dimension et devient la Triennale, sous-titrée « Intense Proximité ». Présenté jusqu’au 26 août dans les espaces gigantesques d’un palais de Tokyo rénové, l’événement nous fait (enfin) voir du pays. _Par Anne-Lou Vicente

Adieu Force de l’art. Bonjour Triennale ! On l’attendait de pied ferme, la Triennale 2012, après les vives critiques qu’avaient suscitées les deux éditions de La Force de l’art, événement à l’initiative du ministère de la Culture et de la Communication visant à offrir un panorama de l’art contemporain en France. Le changement d’appellation – plus neutre, moins pédant – mais aussi de territoire – un palais de Tokyo élargi plutôt qu’un Grand Palais pompeux – étaient déjà de bon augure ; la présence aux commandes d’Okwui Enwezor, enseignant, critique d’art, commissaire d’exposition et directeur du musée Haus der Kunst à Munich, laissait quant 96

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à elle présager, de par l’envergure internationale de sa carrière, la nouvelle dimension de l’événement. En s’associant une équipe de quatre jeunes commissaires et plusieurs lieux engagés dans la production et la diffusion de la création contemporaine, dont Instants chavirés, Bétonsalon, les Laboratoires d’Aubervilliers ou encore le Crédac, Enwezor a su ouvrir l’espace de l’art « français » au travers du principe d’« intense proximité », à rebours d’une « identité nationale » claironnée sur tous les fronts ces cinq dernières années. Contre l’exclusion de l’autre, la fermeture des frontières et le repli sur soi, la Triennale, convoquant une « poétique de l’ethnographie », se veut être « un concept d’exposition qui fasse l’effet d’un stimulus civique et nous permette d’explorer les contradictions inhérentes à ce projet d’exposition nationale visant à célébrer ses propres artistes tout en faisant la démonstration de son hospitalité envers les artistes étrangers qui partagent son imaginaire culturel », dixit Okwui Enwezor. Tout un programme qui, en ces temps électoraux, résonne comme un acte de résistance… ♦


© Gerhard Richter

Gerhard Richter, Betty, 1977

L’AGENDA

_Par Léa Chauvel-Lévy et F.d.V.

« Le cabaret organique » Réunis autour du collectif Nyctalopes, quarante artistes de tous horizons explorent le corps féminin sous toutes ses coutures à l’aune de notre monde contemporain. La Chair, la Mort ou le Virtuel sont parmi les axes thématiques de ce Cabaret sans faux-fuyants, complété par trois soirées-performances. Du 15 mai au 6 juin au 16, passage Choiseul, 750 02 Paris, w w w.nyctalopes.net

« Paolo Pellegrin – Dies Iræ » Cet oeil véloce de l’agence Magnum couvre les conflits depuis les années 1990. Sur les murs défilent ses images rapportées du Cambodge, ou plus récemment d’Afghanistan et d’Irak. Pour ce photojournaliste italien multiprimé, la photo est une « langue à apprendre ». Visiblement, lui la parle couramment. Jusqu’au 17 juin à la Maison européenne de la photographie, w w w.mep-fr.org

« Beauté animale » De la galerie très pédagogique que consacre le Grand Palais aux animaux dans l’histoire de l’art, on retiendra la splendeur de la Tête de lionne de Géricault, qui hante longtemps l’esprit de ses teintes chaudes et dorées, ainsi que Poodle, le caniche très laid mais très drôle signé Koons. Jusqu’au 16 juillet au Grand Palais, w w w.rmn.fr

« Christopher Wool » Souvent sur des toiles de lin, parfois à l’encre industrielle, Wool – artiste trop méconnu ici – appose des taches, tamponne, chiffonne, poche, vivant l’acte de peindre comme une inextinguible exploration. De sa manière naît une abstraction stupéfiante pour qui aime rester longtemps, longtemps devant une toile. Jusqu’au 19 août au musée d’Ar t Moderne, w w w.mam.paris.fr

« Gerhard Richter : Panorama » Une centaine de tableaux déploie l’éblouissant travail du peintre allemand, du début des années 1960 jusqu’à ses toiles encore fraîches. Entre abstraction et figuration, Richter trouble le regard : là où l’on jurerait contempler une photographie, on découvre l’épaisseur de la peinture dans sa pleine sensualité. Du 6 juin au 24 septembre au centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr

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© Parisienne de photographie/Léon et Lévy – Fonds Roger-Viollet

SORTIES EN VILLE EXPOS

La gare du Nord, Paris Xe, vers 1900

Liberté de mouvements A rchi tecture « Circulez – Quand nos mouvements façonnent les villes », jusqu’au 26 août à la Cité de l’architecture et du patrimoine, w w w.citechaillot.fr

La Cité de l’architecture et du patrimoine chronique la ­bougeotte du citadin moderne avec une exposition en forme d’état des lieux stimulant : « Circulez – Quand nos mouvements façonnent les villes ». _Par Clémentine Gallot

« Circulez », rien à voir ? Au contraire, semble dire l’exposition qui se tient jusqu’en août à la Cité de l’architecture et du patrimoine, avec pour présupposé que la circulation constitue l’essence même du citadin. Ne serions-nous que la somme de nos déplacements ? Le musée du palais de Chaillot, dont les fenêtres ouvrent sur la belle perspective des jardins du Champ-de-Mars, passe ici en revue la géographie et l’organisation des espaces de vie : des villes vernaculaires du Moyen Âge aux débuts de l’industrie, puis jusqu’à l’éclatement contemporain – des croquis du futur Grand Paris se mêlent ainsi aux cités utopiques déployées par Fritz Lang dans Metropolis. 98

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L’astucieuse mise en espace et en images, riche en cartographie, en photographies anciennes et en maquettes, suit dans un cheminement chronologique nos modes de déplacement dans le tissu urbain : à cheval, en tram ou à vélo, jusqu’à ce que la mécanisation des transports occasionne l’irruption d’une mobilité verticale (métro), vers 1900. Cet éloge théorique de la mobilité « pourra paraître très optimiste au regard de la réalité des transports, notamment en région parisienne », prévient le président de la Cité, François de Mazières, dans un texte à l’entrée de l’exposition. Ni embouteillages, ni usagers excédés, le credo « métro-boulotdodo » n’est plus ici que fluidité et vitesse. Des installations retracent le trajet de Parisiens grâce aux ondes émises par leurs appareils électroniques. Ce nouvel « homo mobilis » connecté, baladeur mp3 vissé aux oreilles, « transporte avec lui les outils de son autonomie », lit-on. Et pour demain ? Selon Jean-Marie Duthilleul, architecte et commissaire de l’expo, nous entrons dans « une nouvelle ère de la dialectique du mobile et de l’immobile ». ♦


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© Hugo Glendinning

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

MAESTRO BOY D A NSE TeZuka de Sidi Larbi Cherkaoui, du 9 au 19 mai à la Grande Halle de la Villet te, w w w.villet te.com

Prodige de la danse contemporaine mondiale et fan enragé de mangas, le Belgo-Marocain Sidi Larbi Cherkaoui explore l’œuvre d’Osamu Tezuka dans sa chorégraphie d’obédience nippone TeZuka.

_Par Ève Beauvallet

Un petit robot aux allures de jeune garçon plongé dans un monde futuriste. C’est ainsi qu’on peut décrire Astro Boy, le personnage de bande dessinée inventé par le mangaka Osamu Tezuka en 1952, mais c’est aussi ce qu’a dû se dire Alain Platel, le père de la contre-culture chorégraphique belge, la première fois qu’il a vu danser le gracile et blondinet Sidi Larbi Cherkaoui, au début des années 1990. Le jeune Belgo-Marocain est alors comme doté de super-pouvoirs : on le voit dans des shows télévisés imiter Prince et Jackson avec une énergie et une grâce troublantes. Quelques années plus tard, il devient l’un des fleurons des Ballets C de la B du même Platel, le temps de rassembler son héritage – souplesse féline du hip-hop, sens de la spiritualité, 100

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théâtralité freaky de Platel, expressionnisme de Pina Bausch… Puis, Cherkaoui passe de sidérant danseur à chorégraphe de réputation mondiale. Vu la vitesse intergalactique de sa danse, vu sa capacité à défier la gravité et à récupérer l’esthétique des mouvements du jeu vidéo ou de la bande dessinée, on ne suait pas d’inquiétude à l’annonce d’un travail fondé sur l’œuvre culte de Tezuka. On avait tort, puisque Cherkaoui cherche dans TeZuka à justifier sa danse (des textes insistants sur le parallèle entre Hiroshima – la toile de fond d’Astro Boy – et Fukushima qui ont la saveur littéraire d’un communiqué de presse), mais on avait raison sur la richesse des inventions chorégraphiques : des corps qui lèchent les surfaces comme des pinceaux, inventent un kung fu d’auteur ou détournent l’art du parchemin et de la calligraphie… Cherkaoui est un piètre justicier et un exégète low cost dans TeZuka, mais les séquences où il s’occupe de chorégraphier nous rappellent à quel point il sait se fondre dans n’importe quelle confession artistique (on l’avait vu créer avec de jeunes moines tibétains) et propulser le ­mouvement dans le futur. ♦


Pop’pea, du 29 mai au 7 juin au théâtre du Châtelet

L’AGENDA _Par È.B. et F.d.V.

27 os On n’imagine pas bien Tânia Carvalho concocter en douce un gros navet après son sublime et délirant Icosahedron – sorte de démonstration kétaminée de biologie moléculaire. C’est avec un « piano jouet » et un titre en forme d’énigme que cette chorégraphe portugaise, encore trop confidentielle, revient en France. Les 19 et 20 mai à l’Espace 1789 (Saint-Ouen), w w w.rencontreschoregraphiques.com

Roméo et Juliette

« Pas d’efforts, pas d’à-coups, tout est très lié, c’est une respiration commune. » Bon résumé du cahier des charges chorégraphique de Sasha Waltz par Aurélie Dupont. La danseuse étoile de l’opéra de Paris est la Juliette du Roméo et Juliette repris par la seconde grande héritière, après Pina Bausch, de l’expressionnisme allemand. Du 7 au 20 mai à l’opéra national de Paris, w w w.operadeparis.fr

À louer Le label « scène belge » est souvent brandi pour définir un théâtre iconoclaste et très pop, où danseurs et comédiens partent, sans texte préalable, dans un freestyle décomplexé. Aux côtés des Ballets C de la B d’Alain Platel ou du génial Jan Lauwers, le collectif bruxellois Peeping Tom sait faire honneur à l’étiquette. Du 29 mai au 2 juin au théâtre de la Ville, w w w.theatredelaville-paris.com

Pop’pea Un groupe de rock et des reustas pour interpréter Monteverdi. C’est un résumé possible pour présenter Pop’pea, un projet opératique qui réunit entre autres Pierrick Sorin (aux commandes vidéo) et Benjamin Biolay (dans le personnage d’Othon), que l’on espère plus inspirant que dans le lip dub du PS. Du 29 mai au 7 juin au théâtre du Châtelet, www.chatelet-theatre.com

Peer Gynt Les 1200 m2 sous verrière du salon d’honneur du Grand Palais accueillent de manière inédite une pièce de la Comédie française. C’est Peer Gynt du dramaturge norvégien Henrik Ibsen qui honore la réouverture de cet espace, avec une mise en scène d’Eric Ruf et des costumes signés Christian Lacroix. Du 12 mai au 14 juin au Grand Palais, w w w.grandpalais.fr

Mademoiselle Julie

Vingt-quatre ans après La Mouette, Juliette Binoche fait son grand retour sur la scène de l’Odéon. Cette pièce d’August Strindberg adaptée par Frédéric Fisbach la met en scène en aristocrate paumée et amoureuse, enfermée dans la cage de ses désirs. Un rôle qui convient parfaitement à son art protéiforme. Du 18 mai au 24 juin au théâtre de l’Odéon, www.theatre-odeon.fr

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© Bruno Perroud

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

ROUE LIBRE T HE ÂT R E Je m’occupe de vous personnellement d’Yves-Noël Genod, du 31 mai au 24 juin au théâtre du Rond-Point, w w w.theatredurondpoint.fr

Héritier de Marguerite Duras ou des Monty Python, comédien extravagant et volatile, YVES-NOËL GENOD invente un théâtre d’une pureté inouïe. Et s’occupe de nous personnellement au théâtre du Rond-Point. _Par Ève Beauvallet

Désolée, vraiment. On ne parlera pas de la pièce, de ses personnages, du texte ni de sa mise en scène puisque nous n’en savons rien, n’en saurons rien, comme lui, jusqu’au soir de la première, et c’est tant mieux. Il vaut mieux suivre Yves-Noël Genod comme on suivrait Don Quichotte, en faisant confiance aux aventures, en croyant à tous les masques et à tous les maquillages, en aimant les déguisements et les mensonges plus vrais que vrai. De toute façon, le but du jeu pour Genod est toujours le même, aussi élémentaire que titanesque : « Faire en sorte que les acteurs se sentent bien sur le plateau pour qu’ils fassent de belles choses. » Parce que « jouer », rappelle-t-il en se souvenant du grand metteur en scène Bob Wilson, « c’est improviser ». 102

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On ne sait rien de la pièce, donc, mais on peut rappeler que Genod fut un comédien lumineux du théâtre de Claude Régy puis de François Tanguy, et qu’il fut très lié à Marguerite Duras – dont il a retenu, sans doute, cette façon d’étirer le temps et de sensualiser l’attente. C’est un amoureux de l’autofiction, un dandy carnavalesque et SDF (il a créé compulsivement trentecinq pièces depuis 2003 sans compagnie instituée) qui a flanqué Jeanne Balibar nue au milieu d’une cour de dindons dans un précédent spectacle, qui navigue entre hommages et iconoclasmes, premier, second et dernier degrés du rire sans peur de la grandiloquence ni des esquisses. Peut-être sa nouvelle pièce ressemblera-t-elle, comme les autres, à une sublime décharge, avec des bribes de textes essentiels enfouies à l’intérieur et des délires trash à choquer John Waters ? Ou peut-être y verra-t-on à nouveau son art du stand-up haute couture ? Car c’est seul en scène que s’annonce Genod au Rond-Point, à moins qu’il ne fasse volte-face de façon impromptue. Peu importe, finalement, tant qu’il nous montre, comme à son habitude, son amour invétéré du jeu et du théâtre en roue libre. ♦


© vivement la photo

LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ

L’essence du rythme Bagarreurs et cabotins, parfois sensibles aux vieilles ficelles du musical et des blagouzes du dimanche, les membres de Fills Monkey ont coutume de communiquer avec autrui par le seul biais des percussions. D’où la tendance à les identifier comme les descendants directs et virtuoses de la famille Stomp. Néanmoins, Fills Monkey se distingue par des uniformes d’écoliers en culotte courte et une enthousiasmante faculté d’adaptation à la crise : on les observe inventer des batteries avec des nunchakus ou des raquettes de tennis, se défier au kazoo ou au beatboxing. On ne compte aujourd’hui que deux types distincts de Fills Monkey (Yann Coste et Sébastien Rambaud) – nombre suffisant pour créer une espèce à part. _È.B. Jusqu’au 23 juin au Sentier des Halles, w w w.lesentierdeshalles.fr

© A. Monot

l’invité surprise

Elli Medeiros aux Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis

C’est sur Toi mon toit, tube interplanétaire d’Elli Medeiros sorti en plein essor du brushing permanenté, que Mickaël Phelippeau crée sa toute première chorégraphie. C’est en 1986, il est en CM1. Depuis, ses « bi-portraits », curieux concept d’échange d’identité (avec un prêtre, un danseur traditionnel breton…), ont fait de lui une figure montante de la chorégraphie et lui ont donné une jolie carte pour contacter la flamboyante Uruguayenne. Phelippeau et Medeiros créent donc Sueños, nouveau bi-portrait qui hybride la star et son ancien fan. Sur scène, les modes de rencontre sont parfois convenus, parfois franchement bien sentis, comme cette version guérilla urbaine de Toi mon toit inspirée de l’enfance de Medeiros à Montevideo. _È.B. Les 15 et 16 mai au Forum (Le Blanc-Mesnil), dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, w w w.rencontreschoregraphiques.com

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© Bruno Verjus

SORTIES EN VILLE RESTOS

ÉQUITABLE DE CUISINE L E CHEF Youpi & Voilà 8, rue Vicq-d’A zir, 75010 Paris Tél. : 01 83 89 12 63, w w w.youpiet voila.fr

Dans le Xe arrondissement, le restaurant Youpi & Voilà illumine la rue Vicq-d’Azir de sa cuisine philanthropique et des accents rocailleux de son chef, PATRICE GELBART. Découverte de mets qui nourrissent le corps autant que l’âme. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

L’éclatante cuisine de Patrice Gelbart puise son sens dans sa terre natale du Tarn. Youpi & Voilà offre le projet d’un rapport artisan au monde. Né à Salles, le futur chef rêve de cuisine : « À 10 ans, je plonge dans les livres, la bouche m’attire. J’imagine tout le repas. Cuisine en vrac. » École hôtelière, puis premier restaurant avec sa maman à 22 ans et gestion d’un bistrot de village à 27 ans. Il milite et ouvre à Salles un restaurant alternatif, Aux Berges du Cérou. Là, il délimite la cuisine comme un espace à vivre, une expérience de partage, ce qui lui vaut d’être élu « Extra Révélation » du Carnet de route Omnivore 2008. 104

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Même esprit chez Youpi & Voilà. Des produits d’artisans chinés dans le Sud-Ouest et aucun intermédiaire entre la terre et la table ; ou des denrées trouvées à Paris, au coin de la rue, comme le sublime pain du boulanger Vincent Haimet. Patrice Gelbart creuse la filiation avec chaque artisan. Derrière un produit, il fait naître un visage et un plat. Et offre un déjeuner équitable entrée, plat, dessert à 25 euros : la cuisine d’un chef pour le prix d’un croque-monsieur, d’une eau minérale et d’un café en brasserie. Patrice Gelbart, militant écoresponsable : « J’ai trouvé mes asperges blanches dans le Lot à 6 € le kilo ! L’agriculteur est heureux car je lui paie un vrai bon prix, et cela nous permet de les travailler pour tout le monde. À Paris, il faudrait les payer plus du double, ce qui les rendrait inaccessibles… Il faut offrir à manger car nous sommes des artisans, pas des artistes, et donner le meilleur au meilleur prix. Voilà le sens de ce restaurant philanthropique. » Dans les assiettes, les ingrédients et associations sonnent juste, en écho aux idées du chef. Assaisonnements vifs et précis, jeux de textures, les mets vibrent, illuminent. Youpi, voilà un véritable restaurant. ♦


Où manger après…

… le film Le Grand Soir Bien caché, le Café Caché. Pour le trouver, il vous faut traverser le Centquatre, espace culturel et de création, puis franchir une vaste cour pavée et enfin débusquer, sur la gauche, un espace indus barré d’une lanière en P.V.C. à la façon d’une crête de punk. La salle s’offre en coquille de bois signée Sebastien Wierinck dans un esprit fifties. Ici, on mange heureux, puisque caché ! Un îlot choyé par Claudio Episcopo du Tokyo Eat, avec du bon son, du mobilier vintage et quelques plats du meilleur goût : burger frites, boeuf thaï et coleslaw de chou rouge, saumon mariné minute et concombre à la crème ; l’on boit des jus de fruits minute ou des bières. La punk attitude pour une clientèle voisine et arty. _B.V. Le Café Caché, 104, rue d’Auber villiers, 75019 Paris. Tél : 01 42 05 38 40, w w w.cafecache.fr Le Grand Soir de Benoî t Delépine et Gustave Ker vern, avec Benoî t Poelvoorde, Alber t Dupontel… // Sor tie le 6 juin Lire également page 22

© StudioCanal 2012

la Recette

Le poulet cuit au four à boue façon Moonrise Kingdom Sam le jeune scout et sa douce Suzy s’embarquent dans une fugue au fond des bois. Pour se réchauffer avec un poulet bien brûlant, rien de tel qu’un four à boue. Creuser un trou de 40 centimètres de profondeur sur 30 centimètres de large, dans lequel on place un trépied métallique (piquets de tente), puis un grill sur le trépied. Placer le poulet sur le grill et le recouvrir d’une bassine ou d’une large gamelle. Former une cheminée à l’aide de deux conserves évidées qui partent de biais du foyer vers la surface. Recouvrir le tout avec de la boue pour isoler. Alimenter le feu par la cheminée avec du bois de bouleau et de frêne. Pour la cuisson : quand ça sent bon, c’est prêt. _É.R. Moonrise Kingdom de Wes Anderson // Sortie le 16 mai Lire également page 116


SORTIES EN SALLES CINÉMA

L’AGENDA

© Sphie Dulac Productions

_Par F.d.V., C.G., Q.G., I.P.-F., J.R. et L.T.

Derniers jours à Jérusalem de Tawfik Abu Wael

09/05 INDIAN PALACE

MAMAN

La crème du cinéma britannique (dont le génial Bill Nighy) est au casting de cette comédie aigre-douce sur le troisième âge : des retraités partent s’installer en Inde, entre exotisme bariolé et découverte de soi. Par le réalisateur de Shakespeare in Love.

Deux sœurs, la quarantaine, désemparées par le retour de leur mère après plusieurs années d’absence, décident de la kidnapper afin d’obtenir d’elle l’amour qu’elle leur a toujours refusé. Plus amer que drôle, un film pertinent et sensible.

CHRONIQUES SEXUELLES D’UNE FAMILLE D’AUJOURD’HUI

SEA, NO SEX AND SUN

de John Madden Avec Judi Dench, Tom Wilkinson… Twentieth Centur y Fox, Grande-Bretagne, 2h04

de Jean-Marc Barr et Pascal Arnold Avec Mathias Melloul, Valérie Maës… Zelig Films, France, 1h17

d’Alexandra Leclère Avec Josiane Balasko, Mathilde Seigner… Wild Bunch, France, 1h28

de Christophe Turpin Avec Fred Testot, Antoine Dulér y… Pathé, France, 1h29

En fait d’exploration de la vie sexuelle des différents membres d’une famille, Barr et Arnold réalisent un film où l’ébat, vu dans toutes les positions et à tous les âges, reste avant tout une mécanique sans variation de sentiments. Du porno bobo.

Juillet à Carnac-Plage, Bretagne. Pierre (Antoine Duléry), 50 ans, Guillaume (Fred Testot), 35 ans et Alex (Arthur Mazet), 20 ans : trois âges, et autant de problématiques bien distinctes liées au désir et à son accomplissement sous le soleil estival.

JE TE PROMETS – THE VOW

MILLE MOTS

Une jeune femme est frappée d’amnésie à la suite d’un accident de voiture, et son amoureux tente de la reconquérir… The Vow (en anglais) unit Rachel McAdams et Channing Tatum dans une romance qui a fait se pâmer cette année toutes les ados américaines.

Dans cette fable moraliste et légère typique d’Hollywood, Eddie Murphy campe un infatigable jacasseur dont la vie se trouve soudain liée à un arbre qui perd une feuille à chaque mot qu’il prononce. Un film énergique, à défaut d’autre chose.

NORMAN FOSTER

ON EST LÀ !

Portant sur l’un des architectes les plus originaux de ces dernières décennies, ce documentaire de facture très classique déploie un récit linéaire et un montage syncopé (parfois trop) pour rendre compte des volumes et des lumières des bâtiments filmés.

Trente-neuf jours de la vie de Clean Multiservices, société de nettoyage ordinaire occupée par ses salariés. Decaster suit le combat de ces Maliens et Mauritaniens sans-papiers, décidés à faire plier leur patron pour regagner le statut d’être humain.

16/05 de Michael Sucsy Avec Rachel McAdams, Channing Tatum… Sony Pictures, États-Unis, 1h44

de Carlos Carcas et Norber to Lopez Amado Documentaire Bodega Films, Angleterre, 1h18

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mai 2012

de Brian Robbins Avec Eddie Murphy, Kerr y Washington… Paramount Pictures, États-Unis, 1h31

de Luc Decaster Documentaire Zeugma Films, France, 1h50


ET SURTOUT… 09/05 Dark Shadows (lire p. 26) W.E. (lire p. 30) Saya Zamuraï (lire p. 110) 11 fleurs (lire p. 112) 16/05 De rouille et d’os (lire p. 16) The Day He Arrives (lire p. 114) Moonrise Kingdom (lire p. 116) Contrebande (lire p. 118) 23/05 Sur la route (lire p. 15 et p. 38) Men in Black III (lire p. 28) 30/05 7 Jours à La Havane (lire p. 36) Prometheus (lire p. 62) Woody Allen: A Documentary (lire p. 120) Les Femmes du bus 678 (lire p. 122) 06/06 Le Grand Soir (lire p. 22)

23/05 DERNIERS JOURS À JÉRUSALEM

de Taw fik Abu Wael Avec Lana Haj Yahia, Ali Badarni… Sophie Dulac, Israël, 1h20

Nour et Iyad, couple de Palestiniens aisés, s’apprêtent à quitter Jérusalem pour Paris, mais un accident retarde leur départ. Ces quelques jours en suspens sont l’occasion d’un portrait sans complaisance de Nour, jeune comédienne séduisante et vénéneuse.

DISPARUE

de Heitor Dhalia Avec Amanda Sey fried, Daniel Sunjata Metropolitan FilmExpor t, États-Unis, 1h34

Jill découvre que sa sœur a été enlevée. Victime d’un kidnapping un an plus tôt, elle alerte la police sans être prise au sérieux. Le seul moyen de retrouver sa sœur est de partir ellemême sur ses traces. Un thriller étouffant, parfois humoristique.

COSMOPOLIS (sor tie le 25 mai)

de David Cronenberg Avec Rober t Pat tinson, Juliet te Binoche… Stone Angels, France, 1h48

Ce conte financier apocalyptique adapté de l’écrivain Don DeLillo, avec Robert Pattinson en golden boy endiablé, nous est servi par David Cronenberg, quelques mois seulement après A Dangerous Method. Présenté en compétition à Cannes.

MASCULIN FÉMININ

de Jean-Luc Godard Avec Jean-Pierre Léaud, Chantal Goya… Tamasa, France, 1h50

« Enfants de Marx et de Coca-Cola », Jean-Pierre Léaud et Chantal Goya se chamaillent sous l’œil de JeanLuc Godard dans une radiographie espiègle de la jeunesse sixties (le film est sorti initialement en 1966), prise entre yéyé et guerre du Viêtnam.

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

L’AGENDA

© Gebeka films

_Par C.G., Q.G., I.P-F., J.R., É.R. et L.T.

Couleur de peau : miel de Jung et Laurent Boileau

30/05 JE FAIS FEU DE TOUT BOIS

PEACE, LOVE ET PLUS SI AFFINITÉS

Après Fast et Cours toujours, Dante Desarthe revient avec ce faux documentaire dans lequel un cinéaste obscur tente de s’imposer comme le troisième frère Coen. Ce savoureux exercice de style fait suite à Je me fais rare, sorti en 2006.

Un couple de citadins stressés échoue dans une communauté hippie qui va mettre leur union en péril. Cette réjouissante comédie du remariage est produite par Judd Apatow et signée David Wain, réalisateur en 2001 du régressif Wet Hot American Summer.

ALMANYA

BLEU PÉTROLE

L’un des plus gros succès du boxoffice allemand en 2011 raconte l’histoire d’une famille turque, de son immigration en Allemagne à son retour aux sources deux générations plus tard. Politiquement très correct, le film est aussi drôle et touchant.

Focus sur une raffinerie de pétrole de l’estuaire de la Loire. Certains triment à la transformation du brut, tandis que d’autres font fuser les idées dans le local syndical. D’autres encore se la coulent douce pendant les rares minutes de pause…

UNE SECONDE FEMME

MADAGASCAR 3 – BONS BAISERS D’EUROPE

En Turquie, Ayse épouse un jeune homme qui vit en Autriche avec sa famille. En réalité, elle est promise au père de celui-ci, déjà marié : une fois à Vienne, Ayse sera sa seconde femme. Ce premier long métrage réussi ménage une violence sourde et étouffante.

Présenté en sélection officielle hors compétition au festival de Cannes, le troisième volet des aventures des échappés du zoo new-yorkais promet un sacré tour de piste, avec escale dans un cirque ambulant. Le casting vocal de stars fera le reste.

GERHARD RICHTER – PAINTING

COULEUR DE PEAU : MIEL

Étrange personnage que Gerhard Richter, artiste que la célébrité a transformé en institution et qui peint désormais en pull en cachemire. Ce beau documentaire le saisit dans son atelier immaculé et captive par sa manière de filmer le processus de création.

Mélange d’animation et de prises de vue réelles, ce documentaire autobiographique sensible revient sur l’enfance de Jung, Coréen adopté en bas âge par une famille belge. À la progression très factuelle du récit répond la délicatesse du dessin.

de Dante Desar the Avec Dante Desar the, Valérie Niddam… MC4, France, 1h38

de Yasemin Samdereli Avec Fahri Ogün Yardim, Vedat Erincin… Eurozoom, Allemagne, 1h41

de David Wain Avec Paul Rudd, Jennifer Aniston… Universal Pictures, États-Unis, 1h38

de Nadège Trébal Documentaire Shellac, France, 1h40

06/06 d’Umut Dag Avec Nihal G. Koldas, Begüm Akkaya… KMBO, Autriche, 1h33

de Corinna Belz Documentaire Pret t y Pictures, Allemagne, 1h37

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mai 2012

d’Eric Darnell, Tom McGrath et Conrad Vernon Animation, avec les voix de Ben Stiller, Chris Rock… Paramount Pictures, États-Unis, 1h30

de Jung et Laurent Boileau Documentaire Gebeka Film, France, 1h15


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SAYA ZAMURAÏ Mort de rire Une relecture burlesque et pop du film de samouraïs par Hitoshi Matsumoto, cinéaste expérimental japonais héritier de Takeshi Kitano et de Buster Keaton. _Par Éric Vernay

Après l’as du sabre aveugle de Takeshi Kitano (Zatôichi) et le samouraï désargenté de Takashi Miike (HaraKiri : Mort d’un samouraï), voici le samouraï sans sabre et à lunettes de Hitoshi Matsumoto, condamné à mort à moins de redonner le sourire au fils d’un seigneur. Clown impassible comme Buster Keaton, Kanjuro Nomi a trente jours pour être drôle, sinon il devra s’adonner au seppuku, le rituel de suicide par éventration. Saya Zamuraï est le premier film de Matsumoto à sortir en France. Humoriste, chanteur et écrivain par ailleurs, ce cinéaste de 48 ans a déjà réalisé Big Man Japan et Shinboru,

deux longs métrages déjantés dans lesquels s’exprimait son goût pour l’expérimentation formelle, l’hybridation docu-fiction et le gag absurde. D’apparence plus classique, Saya Zamuraï investit un genre codifié, le film de samouraïs, pour le détourner vers le terreau de prédilection de Matsumoto : le délire burlesque. Fulgurances cartoonesques (fontaines d’hémoglobine, seconds rôles grimaçants) et couleurs pop s’agrègent ainsi à un irrésistible crescendo comique dont le degré de masochisme et de régression potache rappelle les idioties de « Beat » Takeshi. Avec le raffinement d’un collage surréaliste, ce questionnement théorique sur le spectacle sacrificiel et l’humour comme pied de nez à la mort s’achève sur une bouleversante coda musicale, en apesanteur, à travers le lien tragique entre le samouraï déchu et sa très mature fillette. ♦ De Hitoshi Matsumoto Avec : Takaaki Nomi, Sea Kumada… Distribution : Urban Durée : 1h43 Sor tie : 9 mai

3 questions à

Hitoshi Matsumoto Comment avez vous rencontré l’acteur principal, Takaaki Nomi ? Je l’ai rencontré lors d’une audition pour un projet télévisé que je produisais et présentais. Je me suis alors rendu compte à quel point il est intéressant en tant qu’individu, avec une présence et un caractère tout à fait uniques. Quand je me suis mis à développer Saya Zamuraï, Nomi m’a paru un choix évident pour le rôle. La tonalité de votre film trouve un équilibre entre mélancolie et burlesque qui rappelle parfois Takeshi Kitano… Je suis très flatté qu’on me compare à Takeshi Kitano en tant que réalisateur ; cependant, je pense que nos films sont très différents et je ne pense pas que mon travail soit réellement influencé par le sien. Après avoir réalisé trois films, avez-vous l’impression de construire une œuvre cohérente ? J’ai du mal à dégager des détails récurrents dans mes trois films, mais je pense qu’ils ont tous pour point commun un storytelling original. À chaque fois, j’essaie de faire quelque chose de nouveau.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la performance burlesque de Takaaki Nomi, acteur amateur à qui Matsumoto a longtemps caché qu’il tournait une fiction.

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mai 2012

2… Pour la découverte de Sea Kumada, actrice de 10 ans dont le caractère bien trempé donne un pendant adulte à la faiblesse juvénile de son père.

3… Pour l’épilogue musical et élégiaque, inattendu, qui contraste de manière bouleversante avec le reste du film.


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11 fleurs Col Mao Wang, 11 ans, perd coup sur coup sa nouvelle chemise et son innocence. WANG XIAOSHUAI, réalisateur de Beijing Bicycle et de Shanghai Dreams (Prix du jury à Cannes), revient dans 11 fleurs sur ses souvenirs d’enfance, entre insouciance et surgissement de la violence politique. _Par Laura Tuillier

En 1974, un petit village industriel de la Chine du Sud. Alors que la Révolution culturelle vit ses dernières heures, Wang et son trio de copains font les quatre cents coups, à l’école, sur la place du Peuple et dans la campagne environnante. Ainsi débute 11 fleurs, comédie légère de l’enfance dans laquelle les adultes sont regardés d’en bas, comme de drôles d’animaux

inquiets. Mais lorsque la chemise blanche flambant neuve de Wang est volée par un jeune fugitif accusé du meurtre d’un notable, son quotidien bascule. Le petit garçon porte maintenant avec lui, première borne sur le chemin de la maturité, le poids du secret. Le réalisateur évoque « la dimension ludique de toute chose » au bel âge de 11 ans. En effet, même la quête de l’assassin se transforme en jeu pour Wang et ses compères, qui pensent d’abord avoir affaire à un fantôme avant de prendre conscience du dramatique de la situation. En aménageant ses souvenirs pour faire naître la fiction, Wang Xiaoshuai réussit à associer l’intime d’une enfance heureuse (émouvant portrait d’une famille moderne et unie) à un plus ample travail de mémoire sur la fin du règne de Mao. La politique en culottes courtes. ♦

De Wang Xiaoshuai Avec : Liu Wenqing, Wang Jinchun… Distribution : Haut Et Cour t Sor tie : 9 mai

3 questions à

Wang Xiaoshuai C’est votre voix qui conclut le film. Dans quelle mesure 11 fleurs est-il autobiographique ? C’est mon film le plus autobiographique. Un souvenir en particulier a guidé l’écriture : un homme avait été arrêté dans mon village. Je le regardais alors qu’il se faisait menotter. Un instant, nos regards se sont croisés. C’est un moment fondateur pour moi. Comment avez-vous travaillé avec les quatre enfants, qui forment un groupe très complice ? Je cherchais quatre tempéraments bien différents. Ils ont vécu ensemble pendant toute la préparation du tournage. Je leur avais interdit smartphones et tablettes, je voulais qu’ils jouent ensemble. Je les ai beaucoup observés devenir amis. Diriez-vous que le héros, Wang, a une prise de conscience politique à la fin du film ? Je voulais conserver le point de vue de l’enfant tout du long. Wang est distant du monde des adultes, mais lorsqu’il décide, dans le dernier plan du film, de ne pas aller assister à l’exécution du condamné, il fait l’un de ses premiers choix personnels.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la bande de gamins turbulents qui trouve dans le jeu un palliatif au quotidien d’une Révolution culturelle moribonde.

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2… Pour la multiplicité de tons du film, qui mêle avec bonheur comédie, récit d’apprentissage, chronique sociale et thriller.

3… Pour s’enfoncer dans les terres mystérieuses d’une Chine rurale luxuriante et ouvrière, dernier bastion du maoïsme en déroute.


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THE DAY HE ARRIVES La soif de vivre

Les pichets de saké s’accumulent sur les tables alors que des doigts engourdis rejouent le même air au piano. Une scène dupliquée à l’envi par Hong Sang-soo, cinéaste de la réalité hilare. The Day He Arrives confirme son analyse brillante du quotidien dans sa dimension absurde et sensible. _Par Laura Pertuy

Après Hahaha et Oki’s Movie, Hong Sang-soo retrouve un même propos dans une forme toujours plus épurée, voire parfois artificielle. Sungjoon, réalisateur trentenaire, revient à Séoul pour quelques jours, sans projet, et tombe constamment sur les mêmes personnes. Tout d’abord une jeune actrice, puis des étudiants

en cinéma qu’il accuse de le copier, miroirs de la crainte fugace du maître envers la jeune garde. Quand ce héros paumé expose ses incertitudes, c’est dans un décor à la limite du carton-pâte : si le roman-photo faisait la richesse intemporelle de Hahaha, on pense ici à des dessins au fusain qui tendent presque vers l’abstraction. Hong Sang-soo compte sur notre œil, accoutumé à pénétrer les mêmes lieux, pour ne plus s’attacher au décor ; puis se concentre entièrement sur les échanges entre ses personnages, le bavardage faisant place à une paisible mélancolie et offrant au spectateur une routine naturaliste aussi passionnante que caustique. Intervient la femme, motif viscéral chez le réalisateur sud-coréen, qui égaye sans cesse la conversation de remarques triviales et pourtant essentielles à l’avancée du dialogue, à l’image des shots d’alcool ingurgités à la volée par les convives. Se dessine dans la répétition de moments identiques

une incapacité à affronter la vie en bloc. Sungjoon s’agite, s’apaise, poursuit sur le même chemin, sur une ligne inchangée (la rue qu’il traverse et retraverse) puis fuit à nouveau, par absurde nécessité. N’en reste que le cocktail passion épileptique et beuverie ininterrompue, qui mène à des moments de fantaisie sublimes, souvent alléniens, comme seul sait en créer le quotidien. ♦ De Hong Sang-soo Avec : Jun-Sang Yu, Sang Jung Kim… Distribution : Les Acacias Durée : 1h19 Sor tie : 16 mai

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour ce quartier de Séoul aux allures de village, bientôt recouvert de flocons cotonneux, et pour son dédale de rues similaires les unes aux autres.

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2… Pour les femmes délicieuses et fantasmées que sublime le noir et blanc. On les découvre fragiles mais vaillantes, entières face aux doutes masculins.

3… Pour la philosophie de vie distillée par Sungjoon, convaincu que la hâte est chose inutile et qu’il faut réfléchir chaque action individuellement.


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moonrise kingdom ENFANT ROI

Débrouille, entraide et découverte de soi : WES ANDERSON décline les valeurs du scoutisme sur une gamme sixties et colorée dans Moonrise Kingdom, présenté en ouverture de la compétition cannoise.

_Par Juliette Reitzer

Comme un gosse qui garde au fond de sa poche un tas de trésors, bouts de ficelles et éclats de cailloux, Wes Anderson, 43 ans, a l’âme d’un collectionneur. Badges et fanions, Opinel et morceaux de bois, cabanes et feux de camp : le royaume enfantin qu’il érige dans Moonrise Kingdom en est la preuve. Sur une petite île au large de la Nouvelle-Angleterre, dans le Nord-Est des États-Unis, Sam, un scout orphelin et binoclard, s’éprend de Suzy, une gamine solitaire et tourmentée. Tous deux

décident de se faire la malle, en amoureux. Nous sommes dans les années 1960, ils ont douze ans, des chaussettes hautes sur leurs guibolles maigrelettes et les genoux écorchés ; comme sortis d’une toile de Norman Rockwell. Leur fugue met en émoi la communauté scoute (emmenée par Edward Norton), les parents de Suzy (Bill Murray et Frances McDormand) et le shérif local (Bruce Willis) en même temps qu’elle annonce la fin du malaise existentiel qui colle aux basques de nos deux marmots. Et Anderson de signer un beau conte initiatique et romantique, filmé à hauteur de ses héros. Car ici, l’enfant est roi, jusqu’à pouvoir imprimer ses humeurs sur la météo. D’abord très solaire, avec ses couleurs acidulées, le film est balayé par une tempête dévastatrice quand les petits fugitifs sont ramenés au bercail – Sam est même littéralement frappé d’un coup de foudre, dont il se relève sans dommages, à la manière d’un personnage

de Tex Avery. D’ailleurs, Moonrise Kingdom obéit tout entier aux diktats fantaisistes de l’enfance, avec ses objets du quotidien détournés en engins magiques, ses ­intérieurs soignés comme des maisons de poupées et ses adultes grotesques et empotés. La mise en scène ­de Wes Anderson, implacable et solennelle (travellings au cordeau, précision du cadre), sert d’écrin idéal au règne de ces héros à l’âge tendre. ♦ De Wes Anderson Avec : Jared Gilman, Kara Hay ward… Distribution : StudioCanal Durée : 1h34 Sor tie : 16 mai

3 influences de Moonrise Kingdom 1… La B.O. du film, où se côtoient le crooner country Hank Williams et Françoise Hardy, pourrait succéder à celle de Drive dans le cœur des festivaliers cannois.

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mai 2012

2… On pense aux Quatre cents coups. « Mes réalisateurs français morts favoris : Jean Renoir, François Truffaut, Louis Malle, Jean-Pierre Melville », nous a confié Wes Anderson…

3… avant de poursuivre: « Mes réalisateurs français vivants favoris : Arnaud Desplechin, Olivier Assayas, Jacques Audiard, Benoît Jacquot. » French connection.


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contrebande Family man

Mark Wahlberg retourne à la chronique familiale en même temps qu’au film d’action dans Contrebande, remake réalisé par Baltasar Kormákur, tête d’affiche du film original. _Par Yal Sadat

The Yards, Quatre frères, Fighter : le Wahlberg movie est devenu un genre en soi, dont la formule ménage drame familial tempétueux et cinéma de genre musclé (au choix : polar, film de sport, western urbain). Remake du succès islandais Reykjavík Rotterdam, dans lequel jouait Baltasar Kormákur (ici derrière la caméra), Contrebande ne fait pas exception à la règle. Ses atours de thriller du dimanche soir, a priori typiques du tout-venant hollywoodien, permettent à Wahlberg d’incarner à nouveau la figure du

fils inadapté, luttant pour rester droit face à un clan patriarcal soudé dans l’excès. C’est cette fois en père de famille rangé que le brun trapu se confronte à ses racines de horsla-loi : pour sauver la mise de son jeune beau-frère, endetté auprès de la pègre locale, Chris Farraday retourne à la contrebande entre La NouvelleOrléans et le Panama, seul ou presque contre les corrompus et les scélérats authentiques. Il y a quelque chose de fascinant à voir Wahlberg décliner ce personnage de prolétaire héroïque, mobilisant une virilité vulnérable et un lissage au bord de la fadeur qui font de lui un average Joe parfaitement convaincant – peut-être sa jeunesse délinquante contribue-t-elle à cette crédibilité. Contrebande, comme bon nombre de ses autres films, l’impose comme héros d’action résolument moderne : téméraire mais faillible, vertueux mais enchaîné à son passé, un rien brutal mais soucieux de protéger son modeste foyer

d’une menace extérieure. Car c’est bien sur cette corde sensible que joue ce polar électrique : l’angoisse de voir son nid se désagréger, la fièvre de préserver sa progéniture d’une Amérique hostile. De Take Shelter à Nouveau départ en passant par The Descendants, il semble que la crise ait fait de la problématique familiale l’une des inquiétudes viscérales du cinéma américain. ♦ De Baltasar Kormákur Avec : Mark Wahlberg, Kate Beckinsale… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h49 Sor tie : 16 mai

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le retour de Mark Wahlberg au film d’action pur sucre, après Fighter et le savoureux détour comique de Very Bad Cops.

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2… Pour la chronique de l’Amérique en crise et post-Katrina, tranquillement bluesy, dissimulée entre les gunfights et les morceaux de bravoure.

3… Pour découvrir ce qu’il se passe quand le premier rôle d’un film islandais réalise son remake à Hollywood.


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woody allen: a documentary Woody dans tous ses états ROBERT B. WEIDE retrace pour la première fois la vie et la carrière du plus infatigable des réalisateurs. L’occasion de franches poilades, mais aussi d’un regard plus intime sur son parcours. _Par Isaure Pisani-Ferry

Robert B. Weide s’est fait connaître dès l’âge de 23 ans en réalisant l’hilarant The Marx Brothers in a Nutshell. Il est depuis devenu réalisateur de comédies (les cinq premières saisons de Larry et son nombril) et s’est spécialisé dans les documentaires sur les Scapin américains : W. C. Fields, Mort Sahl, Lenny Bruce et aujourd’hui Allen Stewart Konigsberg, alias Woody Allen. La tâche était vaste :

l’homme s’avéra aussi précoce que prolifique. Lycéen, il se fait repérer en envoyant des blagues aux journaux. À 19 ans, il gagne sa vie comme auteur pour des shows télévisés, puis s’essaie au standup, malgré sa timidité maladive, et s’y fait un nom. À 30 ans, il écrit son premier long (Quoi de neuf, Pussycat?) et, dès lors, se met à la réalisation à un rythme effréné – un film par an en moyenne. En interrogeant sa famille (sa sœur et sa mère) et ses proches (dont son ex-femme Diane Keaton), Weide parvient à dessiner le portrait intime d’un être aussi bavard dans ses films que secret dans la vie. Woody Allen lui-même, avec sa tête de chien mouillé, nous montre les lieux de son enfance et nous introduit dans son bureau, où il détaille son processus d’écriture et déballe volontiers ses outils : une vieille

machine à écrire, une agrafeuse, des ciseaux et un tas d’idées jetées sur papier. Évidemment, on rit beaucoup – autant grâce à Weide et son art de faire se télescoper les sources que grâce au best of des films de Woody qu’il propose, du cocasse Bananas aux comédies de mœurs récentes. On y voit Woody, jeune freluquet déjà binoclard, boxant contre un kangourou ; on se régale de la scène des homards entre lui et Diane Keaton dans Annie Hall ; on s’émerveille de l’extrême sensualité de Scarlett Johansson dans Match Point… En presque deux heures, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Woody Allen. ♦ De Rober t B. Weide Documentaire Distribution : Memento Films Durée : 1h53 Sor tie : 30 mai

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le plaisir de voir ou revoir, regroupées en un film, les meilleures scènes de (presque) tous les films de Woody Allen.

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2… Pour découvrir le Woody Allen des années de télévision et de stand-up, à pleurer de rire et follement impertinent.

3… Parce que les témoignages des proches d’Allen mettent aussi en évidence, après Mme de Staël, que l’humour est la politesse du désespoir.


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LES FEMMES DU BUS 678 Femmes au volant

Sorti en Égypte quelques semaines avant la révolution de 2011, le premier film du scénariste et blogueur influent Mohamed Diab y provoqua un débat à la hauteur de son sujet : le harcèlement sexuel dont sont victimes les Égyptiennes. Terminus : place Tahrir. _Par Louis Séguin

Trois femmes de milieux sociaux différents, unies par leur combat contre le harcèlement sexuel dans l’Égypte contemporaine : le bus 678 emprunte d’emblée la route du film choral. En fan appliqué d’Iñárritu (21 Grammes, Babel), Mohamed Diab croise les récits de ses protagonistes. Fayza est une femme pauvre et scrupuleusement pudique (elle porte le voile). Armée d’un coutelas, elle se fait justicière et s’en prend au membre viril de ses agresseurs. Seba et Nelly sont

deux femmes riches, cheveux à l’air et néanmoins victimes de violences similaires ; la première devient le porte-drapeau des Égyptiennes, la seconde intente le premier procès pour harcèlement sexuel, envers et contre tous. Trois femmes, trois histoires en montage alterné. Mais c’est en sortant de ces balises scénaristiques que le film prend véritablement le large : Mohamed Diab ne force pas la solidarité de ses héroïnes et n’hésite pas à montrer le fossé qui les sépare. Sous les pavés du féminisme est tapi un horizon sociologique, une lutte de classes et de cultures mise en évidence par des voies de traverse narratives (l’enquête policière, les errances idéologiques des concubins…). Et c’est dans cette saturation de points de vue que Les Femmes du bus 678 trouve son rythme et son ampleur : ceux d’une place en rébellion. ♦ De Mohamed Diab Avec : Boshra, Nelly Karim… Distribution : Pyramide Durée : 1h40 Sor tie : 30 mai

3 questions à

Mohamed Diab Comment le film a-t-il été reçu par les Égyptiens et les Égyptiennes ? Beaucoup de femmes m’ont appelé après avoir vu le film, me disant : « Aucun homme ne me touchera plus sans mon consentement, ou bien je lui trancherai la main ! » Et à chaque projection, les hommes présents dans la salle ressentent une sorte de malaise face aux femmes vengeresses du film ! Vous êtes très influent sur Twitter (70 000 abonnés), notamment depuis la révolution. Pensez-vous que l’art doive être engagé ? Je serai toujours très soucieux de ne pas encourager de mauvais comportements. Mais je ne me cantonnerai jamais à un type de films ; je veux faire des comédies, des films d’action… Mon prochain projet, par exemple, n’a rien à voir avec la situation en Égypte : c’est un film de science-fiction sur ce qui arrivera quand les ressources de la planète seront épuisées. Le bus 678 existe-t-il vraiment ? Non, j’ai juste voulu choisir trois chiffres qui se suivent pour provoquer un effet d’accumulation et rendre compte d’un mouvement croissant.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la performance de Boshra, chanteuse à succès à la ville, qui s’est métamorphosée pour incarner Fayza, femme modeste et fragile.

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mai 2012

2… Pour le portrait riche et complexe des rapports entre hommes et femmes en Égypte, nourri d’une longue enquête préparatoire par Diab.

3… Parce que la sortie du film fut liée de près aux événements de février 2011 et occasionna trois procès contre Diab (tous gagnés par lui).


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© Séverin Pignol

LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

album

INTO THE WIDE Ils sont précédés d’une réputation de nouvel espoir de la pop française. L’onde devrait se propager avec la sortie leur premier album, Fortify Your Innocence, en écoute dans les salles MK2 ce mois-ci. Rencontre avec EREVAN TUSK, cinq trentenaires dans le vent qui voient les choses en grand. _ Par Sylvain Fesson

« La défense du petit Caucase » : voilà comment pourrait se traduire le « collage poétique » qui forme le nom de ce groupe. Erevan, capitale de l’Arménie et Tusk, défense d’éléphant en anglais. « Et ce qui est bien, poursuit Pacôme, c’est qu’il est assez abstrait pour avoir plusieurs sens. » Oui, il ouvre en grand, et ça leur va bien tant leur pop, alliant protest songs et hymnes épiques, est à la fois pointue et fédératrice, rappelant en cela The National, Arcade Fire ou Coldplay. Pour Pacôme et Jim, deux étudiants dont la rencontre en 2008 a donné naissance à la formation, ces comparaisons sont « un honneur ». Car si leur « approche pop ligne claire » s’inspire de la candeur des années 19601970 (The Beach Boys, Neil Young…) et du mordant des eighties (REM, The Smiths…), elle essaie aussi d’intégrer « une pertinence moderne et plus massive ». D’où le nom du premier album d’Erevan Tusk, Fortify Your Innocence. 124

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Il s’ouvre sur trois tubes qui figuraient déjà tous sur leur premier EP, Sheen (novembre 2011). « On voulait, comme on conquiert un public sur scène, conquérir les auditeurs avec des titres massifs dès le début. Il y a d’autres titres après, mais peut-être moins “catchy” ou formatés que ces trois-là. » En tout, douze morceaux parmi ceux écrits ces quatre dernières années ont été sélectionnés, ciselés à cinq puis produits par Antoine Gallet (Syd Matter, M83). Impatients de les défendre, notamment « sur les grosses scènes des festivals d’été », Jim (chant, guitare folk), Pacôme (chant, guitare électrique, ukulélé, clavier), Pierre (guitare électrique), Nico (basse) et Alex (batterie) bossent déjà sur une vingtaine d’autres titres. Ils le savent : la meilleure défense c’est l’attaque – prendre le large. ♦ Fortify Your Innocence d’Erevan Tusk, (Underdogs Records/ Rue Stendhal Distribution, disponible)

En écoute dans TOUTES les salles MK2


DR

exposition

« La Nuit du vivant » Dans la veine écologiste du géant Hayao Miyazaki (Princesse Mononoké), voici un manga franco-japonais pour alerter le public sur la préservation de notre patrimoine naturel. « La Nuit du vivant » est présenté au MK2 Bibliothèque pendant le mois de mai, à l’occasion de la fête de la Nature (du 9 au 13 mai). Né d’une collaboration entre Naturparif, agence pour la biodiversité en Île-deFrance, et Apollo Studio, spécialisé dans la création et l’adaptation de mangas, ce travail narre la rencontre nocturne de cinq adolescents avec des visiteurs du futur. Le jeune public ne manquera pas d’être sensible à ces vingt planches pédagogiques et colorées, dessinées par Makoto Nakatsuka. _F.d.V. Du 2 au 30 mai au MK 2 Bibliothèque

écoute en salle

Kitsuné America Avant chaque séance, un album choisi par la rédaction de Trois Couleurs est diffusé dans les salles MK2. En mai, le label Kitsuné s’intéresse à la scène indé américaine après avoir fait le tour des talents hexagonaux (avec les deux volumes de Kitsuné Parisien). Dénichées parmi différents courants musicaux en constante hybridation (pop rock, hip-hop, folk, rave), les forces en présence échauffent déjà les clubs outre-Atlantique de leurs pépites encore brutes. Electro pop naïve de Frances Rose, house moite de Gigamesh, distorsions techno de XXXChange… Autant de noms à retenir : ce sont les stars de demain. Éclectique et furieuse, la sélection concoctée par Gildas de Kitsuné met les sens en ébullition. _F.d.V. Kitsuné América, compilation (Kitsuné, 21 mai) En écoute dans toutes les salles MK 2

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© Les films du bélier

LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

court métrage

MARCHE OU RÊVE Projeté dans les salles MK2 entre les deux tours de la présidentielle, La Quarantième Marche revisite Hitchcock pour mieux nous tendre un miroir de notre époque. Une « utopie politique », selon son réalisateur Nicolas Saada. _Par Frédéric de Vençay

« Ce film m’a permis de tester mes capacités de cinéaste : mes limites, mais aussi mes ressources, que je n’imaginais pas si grandes. » Avant toute prétention politique, La Quarantième Marche est d’abord un pari de mise en scène. Invité à une master class aux Rencontres Henri Langlois de Poitiers, Nicolas Saada se met en tête de tourner un court métrage de fiction dans l’urgence, en intégrant son public au processus de création. Résultat : six minutes de film réalisées en six heures, soit « un rythme de dingue, de telenovela ». Le réalisateur d’Espion(s) confirme son goût pour les récits policiers en s’inspirant ­d’Alfred Hitchcock, plus précisément d’une scène des 39 marches où le héros Richard Hannay (ici remplacé par Grégoire Leprince-Ringuet), accusé d’un crime qu’il n’a pas commis et fuyant la police, se réfugie dans un meeting politique. Bombardé orateur sur scène, il parvient à captiver son auditoire à coups de

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jolies phrases. Une manière de renvoyer dos à dos nos dirigeants (ou ceux qui prétendent à leur siège) et leur rhétorique creuse ? « C’est seulement au montage que je l’ai compris : les spectateurs peuvent se réapproprier le film pendant la période électorale. Qu’est-ce que prendre la parole ? Mon personnage est-il persécuté à cause de ses convictions, est-il porteur d’un idéal que personne ne comprend ? » Car les mots du fugitif, d’abord suspects, finissent pas se teinter de troublants accents de sincérité. Avec son Écosse en noir et blanc et ses Britanniques parlant français, La Quarantième Marche met en scène un monde parallèle où l’on peut encore croire aux beaux discours. Une utopie, au sens étymologique du terme, lieu idéalisé et hors du temps que notre réalité, hélas, vient trop rapidement rattraper. ♦ La Quarantième Marche de Nicolas Saada est désormais visible sur www.tinyurl.com/40emarche


agenda _Par J.R.

Du 16 au 29 mai

Cycle road movies MK2 HAUTEFEUILLE

Les samedis et dimanches en matinée, à l’occasion de la sortie de Sur la route de Walter Salles, projection de Away We Go de S. Mendes, Into the Wild de S. Penn, My Blueberry Nights de Wong K.-W., Little Miss Sunshine de J. Dayton et V. Faris, Carnets de voyage de W. Salles, Sailor et Lula de D. Lynch, Easy Rider de D. Hopper, Macadam à deux voies de M. Hellman… Le 4 juin à 20h30

Rendez-vous des docs MK2 QUAI DE LOIRE

En partenariat avec la Scam, projection de La Vie au loin de Marc Weymuller en présence du réalisateur, de Jean-Pierre Mast de la Scam et d’un membre du jury Brouillon d’un rêve. Documentaire sur le Barroso, région isolée du Portugal. Le 5 juin à 20h

Soirée Premiers pas MK2 HAUTEFEUILLE

En partenariat avec le magazine Bref, diffusion des courts métrages Le Jour du bac et Soyons amis ! de Thomas Bardinet, Tous à table d’Ursula Meier et Ni vue, ni connue de Dorothée Sebbagh. Jusqu’au 12 juin

Cycle Carl Theodor Dreyer MK2 QUAI DE LOIRE

Les samedis et dimanches en matinée, projection de cinq films du maître du cinéma danois : Gertrud, Jour de colère, Le Maître du logis, Ordet et Vampyr. Le 12 juin à 20h

Ciné-BD MK2 QUAI DE LOIRE

Jean Dufaux et Philippe Delaby dédicacent le tome 3 de la Complainte des landes perdues. Projection des Vikings de Richard Fleischer, choisi par les auteurs. Jusqu’au 22 juillet

Festival MK2 Junior MK2 QUAI DE LOIRE

Les samedis et dimanches matin. Toute la programmation sur www.mk2.com.

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© Emmanuel Proust

TRAIT LIBRE

TURF DE JONATHAN ROSS ET TOMMY LEE EDWARDS

(Emmanuel Proust éditions, tome 1 disponible, tome 2 courant mai) Mafieux vs. vampires vs. aliens vs. policiers vs. prostituées vs. journalistes. Voilà les forces en présence dans le ring new yorkais de ce comic book au métronome calqué sur le rythme des sulfateuses, mais aussi du jazz sorti des clubs séchés par la Prohibition. Ça a l’air d’un pitch de nanar absolu, et pourtant Turf trouve une élégance (bien violente) et une cohérence immédiates. C’est grâce à l’idée de réunir tous ces belligérants dans le New York de la fin des années 1920, où Al Capone tutoie des goules roumaines. Formidablement mis en scène par le dessinateur Tommy Lee Edwards (derrière la bible graphique de Batman Begins), Turf pourrait être porté au cinéma par Matthew Vaughn (Kick-Ass). _É.R.


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Le carnet de Charlie Poppins

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