TROISCOULEURS #181 - été 2021

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Journal cinéphile, défricheur et engagé, par

> no 181 / NUMÉRO DOUBLE / ÉTÉ 2021 / GRATUIT

MARION COTILLARD

« J’ai besoin de trouver ce qui raccroche un personnage à la vie » PAUL VERHOEVEN « Mon film n’est pas une attaque envers l’Église catholique »

« UNE ÉPOPÉE

ROMANTIQUE AU CŒUR DU LIBAN »

alba rohrwacher

wajdi mouawad

un film de chloe mazlo AU CINÉMA LE 30 JUIN

JULIA DUCOURNAU La cinéaste s’apprête à carjacker la Croisette avec Titane

ÉDITO

« So… May we start ? » Cette réplique qui ouvre Annette de Leos Carax, film en couverture de ce nouveau numéro, sonne pas mal dans notre bouillonnement actuel. Alors, c’est bon, on peut vraiment recommencer ? Avec la fermeture des salles de cinéma, on n’avait pas imprimé de TROISCOULEURS depuis le mois d’octobre. Placés dans une sorte de purgatoire, les films eux-mêmes semblaient trépigner d’impatience. Ceux qu’on a choisi de mettre en avant sont

FESTIVAL DE CANNES Les 20 films qui feront votre année cinéma

tous traversés par une ferme volonté d’exploser les narrations ronron. Au fond, c’est comme si ces cinéastes s’étaient passé le mot : OK, on recommence, mais ce n’est pas pour vous servir des récits bien confort, bien rassurants, même si on reste limpides et ludiques. Annette est ainsi aussi musicalement entraînant que glaçant, Benedetta de Paul Verhoeven – pourtant tourné en 2018 – surprend comme grandiose et farcesque catharsis de la pandémie, quand Titane de Julia Ducournau apparaît comme ce bel et monstrueux engin roulant sans airbag vers un futur cyborg. Mais ce qui réunit aussi nos films préférés de l’été, c’est qu’ils sont peuplés de fantômes. Annette

d’abord, mais aussi Le Soupir des vagues de Kôji Fukada, Bergman Island de Mia Hansen-Løve, My Zoé de Julie Delpy, Drive My Car de Ryūsuke Hamaguchi… Les spectres de ces films sont comme des rappels furtifs et inquiets à la mémoire. À l’heure où le cinéma est enfin autorisé à recommencer, ils nous disent qu’on ne doit pas oublier ce qu’a subi ces derniers temps le secteur de la culture, et ils se manifestent comme font les films : en nous veillant, en nous hantant, en nous remobilisant. QUENTIN GROSSET




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UNE SÉRIE 

DÈS LE 1er JUILLET SEULEMENT SUR


Sommaire

EN BREF

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L’ENTRETIEN DU MOIS – PAUL VERHOEVEN FLASH-BACK – FARGO A 25 ANS LE NOUVEAU – ÉRIC NANTCHOUANG

CINÉMA PARADISCOPE P. 18 P. 28 P. 53

EN COUVERTURE – MARION COTILLARD DANS ANNETTE CANNES 2021 – THIERRY FRÉMAUX NOUS PARLE D’UNE ÉDITION HISTORIQUE LES SORTIES DU 30 JUIN AU 1er SEPTEMBRE

LE GUIDE DES SORTIES PLATEFORMES

FILM – COMMENT JE SUIS DEVENU SUPER-HÉROS SÉRIE – HAMISHIM LA PROGRAMMATION ESTIVALE DE MK2 CURIOSITY

CULTURE

TROISCOULEURS éditeur MK2 + — 55, rue Traversière, Paris XIIe tél. 01 44 67 30 00 — gratuit

© 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006 Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par mk2 + est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur — Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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U A Z ZO

CROS

Entre lui et TROISCOULEURS, ça dure depuis dix ans. Aussi calé en pop culture qu’en ciné hollywoodien période 1950-1970 (il a fait sa thèse dessus), il enseigne à l’Esec (« un spectacle de stand-up hilarant et passionnant », selon ses élèves), présente l’émission Le Cercle séries sur Canal+ et participe à Popopop sur France Inter, pige pour CinemaTeaser, Têtu et Stylist. Le bel entretien peuplé de fantômes avec Mia HansenLøve, c’est lui.

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Elle est notre pigiste séries depuis plusieurs mois et on n’a toujours pas compris comment elle trouve le temps : rien que l’année dernière, elle a lancé sa pastille Fine bouche sur la bouffe, la série YouTube Badass sur le féminisme à l’écran (elle présente les deux programmes, évidemment), elle a traduit une BD et continue d’écrire sur la culture et la société pour Slate, Libération ou encore Marie Claire. On l’avoue : on commence à penser qu’elle est plusieurs.

ÉPHIN

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TROISCOULEURS est distribué dans le réseau contact@lecrieurparis.com

DÉCRYPTAGE – LES NOUVELLES MANIÈRES DE RÉMUNÉRER LES MUSICIENS EXPOS – « DAVID HAMMONS » CONCERTS – PARA ONE AU FESTIVAL DAYS OFF

ILS ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO

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Photographie de couverture : Bastien Duval Imprimé en France par SIB imprimerie — 47, bd de la Liane — 62200 Boulogne-sur-Mer

P. 90 P. 91 P. 92

NOR

directeur de la publication : elisha.karmitz@mk2.com | rédactrice en chef : juliette.reitzer@mk2.com | rédactrice en chef adjointe : time.zoppe@mk2.com | rédacteurs : quentin.grosset@mk2.com, josephine.leroy@mk2.com | directrice artistique : Anna Parraguette | graphiste : Jérémie Leroy | secrétaire de rédaction : Vincent Tarrière | ont collaboré à ce numéro : Lily Bloom, Charles Bosson, Nora Bouazzouni, Renan Cros, Marilou Duponchel, Julien Dupuy, David Ezan, Marie Fantozzi, Yann François, Adrien Genoudet, Damien Leblanc, Belinda Mathieu, Stéphane Méjanès, Thomas Messias, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Raphaëlle Pireyre, Perrine Quennesson, Bernard Quiriny, Gautier Roos, Cécile Rosevaigue, Jonathan Trullard, Éric Vernay, Sophie Véron, Etaïnn Zwer & Célestin et Adèle | photographes : Julien Liénard, Paloma Pineda, Philippe Quaisse | illustratrices : Émilie Gleason, Anna Wanda Gogusey | publicité | directrice commerciale : stephanie.laroque@mk2.com | cheffe de publicité junior cinéma et marques : manon.lefeuvre@ mk2.com | responsable culture, médias et partenariats : alison.pouzergues@mk2.com | cheffe de projet culture et médias : claire.defrance@mk2.com

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« Un film récent que j’ai aimé ? Hum… Dalida de Lisa Azuelos ! » C’est comme ça qu’elle nous a conquis en entretien de stage, en 2017, après avoir égrené des références pointues (elle sortait d’un double cursus philo-lettres modernes à la Sorbonne). Elle est maintenant rédactrice en chef adjointe du site mais n’est toujours pas snob : elle se rue aussi bien sur l’intégrale de Werner Herzog que sur celle de Buffy, puis se détend avec des podcasts sur des faits divers glauques. Elle signe ce mois-ci son premier papier pour nous dans le print sur le subtil De bas étage. Celle qui a été rédactrice en chef adjointe de Critikat de 2015 à 2018 pige maintenant pour les Cahiers du cinéma et la revue Bref – les formats courts sont parmi ses spécialités. En 2018, elle a cosigné avec Quentin Mével Henri-François Imbert, libre cours, un essai qui témoigne de son amour pour les cinémas qui renouvellent les formes.

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© Guy Ferrandis

Cinéma -----> « Benedetta »

Après son drame bourgeois ultra grinçant Elle (2016), le trublion néerlandais signe, avec Benedetta (en Compétition officielle à Cannes), un biopic jubilatoire et outrancier. Virginie Efira y campe une nonne que des visions mystiques amènent à vivre une passion dévorante avec la novice Bartolomea (Daphné Patakia) et à renverser la hiérarchie d’une abbaye toscane, au xvii siècle, alors que la peste sévit. Par téléphone depuis Los Angeles, le malin cinéaste de 82 ans nous a parlé de l’Église, de sexualité lesbienne et des troublantes résonances entre les époques.

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Comme Jeanne d’Arc, Benedetta a des visions religieuses qui lui permettent d’accéder au pouvoir. C’est aussi le moyen pour la nonne d’accepter sa sexualité. D’après vous, l’expérience mystique a-t-elle été une façon pour les femmes de se libérer à des époques oppressives ? Bien sûr ! C’était une des rares possibilités qu’elles avaient pour obtenir une position d’autorité. Comme Jeanne d’Arc, au xve siècle, Benedetta avait des visions et des stigmates [le film s’inspire de l’histoire vraie de Benedetta Carlini, qui a vécu entre 1591 et 1661 à Pescia, en Italie, ndlr]. Évidemment, on est libre de penser que c’était une imposture, mais il ne faut pas oublier que selon les croyances de l’époque, dans la hiérarchie sociale et l’imaginaire chrétien en particulier, avec notamment l’histoire d’Adam et Ève, les femmes étaient considérées comme coupables et inférieures aux hommes. Seule une poignée de femmes, parmi lesquelles on retrouve aussi Catherine de Médicis par exemple, a pu lutter contre cette idée au fil des siècles en essayant de concurrencer les hommes. Vous avez-vous-même vécu une courte mais intense expérience avec la foi dans une église pentecôtiste au tout début de votre carrière, dans les années 1960 au Pays-Bas. Tout à fait. C’était au moment où j’essayais de devenir réalisateur, ma petite amie est tombée enceinte et je ne savais pas quoi faire. J’ai rencontré, par hasard dans un train, un représentant de l’Église pentecôtiste dont le discours m’a séduit. Il m’a convaincu de rejoindre sa communauté en m’affirmant que Jésus allait m’aider. Ça a

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duré trois ou quatre semaines, jusqu’à ce que je me rende compte que je n’étais pas prêt à avoir un bébé et qu’un ami médecin permette à mon amie d’avorter, ce qui était illégal à l’époque. Ça a fait s’effondrer mon lien avec l’Église pentecôtiste. Avec le recul, j’ai compris ce qui s’était passé : pendant ces quelques semaines en immersion, j’ai senti le pouvoir de la religion, et en particulier de la musique religieuse. Une moitié de mon cerveau me disait « oui, Jésus est parmi nous dans cette église », mais l’autre moitié rétorquait « non, c’est ce que tu crois ressentir mais c’est faux ». C’est cette partie qui avait vu juste, j’ai compris que rien de tout ça n’était vrai. Vous avez repensé à cette expérience au moment de faire Benedetta ? Oui ! C’est pour ça que j’ai essayé – les spectateurs me diront si j’ai réussi – de don­ner au film ce qu’on pourrait appeler un « sentiment de sacré », celui que j’ai cru atteindre dans la communauté pentecôtiste. Avec ma compositrice Anne Dudley, on a tâché d’utiliser l’orgue et la musique religieuse de manière à donner l’idée que tout ce que ressent Benedetta est vrai. Certes, le récit instille le doute dans l’esprit des spectateurs sur la véracité de ses visions, mais la musique a été pensée pour servir cette strate religieuse. Il y a de nombreuses strates dans le récit, comme celle de la politique de l’Église, son pouvoir, la manière dont elle use et abuse des visionnaires, et des femmes en général. La strate lesbienne, évidemment, et aussi une strate plus secrète. J’ai essayé d’agencer l’ensemble de manière à ce que, de temps à autre, vous puissiez ressentir ce que les protagonistes ressentent.

Vous mettez ici plus que jamais le corps au centre, dans le plaisir comme dans la douleur. Les personnages du film ont souvent l’air d’être guidés par leurs sensations physiques. C’est ce qui apparaît dans les scènes où Benedetta a des visions de Jésus, oui. C’est comme si son corps demandait au Christ l’autorisation de vivre une relation avec Bartolomea, ce qui est, bien sûr, interdit par l’Église. Les hommes et l’Église pensaient d’ailleurs que c’était impossible qu’une femme puisse aimer, désirer ou faire l’amour avec une autre femme – ce qui était complètement idiot. Non seulement ils ne reconnaissaient pas l’existence de ce fait, mais, le pire, c’était qu’avoir une relation lesbienne – notez que ce mot n’existait pas à l’époque – était extrêmement dangereux. Au cours du xvie siècle, une loi a proclamé que deux femmes ayant eu une relation sexuelle avec un objet devaient être brûlées vives. Si elles s’étaient seulement embrassées et étreintes sans gode, elles étaient punies, mais elles échappaient au bûcher. Dans le film, justement, les scènes de sexe sont plutôt explicites et très détaillées. En quoi ça vous semblait important ? Ce qui m’a d’abord intéressé dans ce projet, c’était la matière inédite que contenait le livre de Judith C. Brown qu’on a adapté [Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne, publié en 1986 aux États-Unis, ndlr], ces incroyables archives du procès de Benedetta que l’autrice a exhumées par hasard dans les années 1980. Je trouvais ça passionnant de pouvoir observer comment les hommes et les femmes du xviie siècle se regardaient, c’est-à-dire essentiellement à travers le male


« Benedetta » <----- Cinéma

L’ENTRETIEN DU MOIS

LE S ALC HIMIST E S P R ÉSEN T EN T U N E P R O D U CT IO N MAX F ILMS MÉ D IA

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PRIX DU MEILLEUR LONG-MÉTRAGE DE FICTION

PRIX SPÉCIAL DU JURY

gaze – si vous voulez utiliser ce terme – façonné par les opinions de l’Église. Pour eux, ce qui était arrivé entre Benedetta et Bartolomea était absolument impensable, à tel point que le copiste a eu des difficultés à retranscrire les détails sexuels, d’une précision confondante, donnés par Bartolomea pendant le procès – Benedetta, elle, a nié jusqu’au bout. Le compte rendu est bourré de ratures à ces endroits, le copiste était en état de choc. Ça nous permet d’imaginer la manière dont les hommes, et surtout l’Église catholique romaine, interféraient dans

femmes à cette époque, c’est absolument horrible. Bien sûr, mon film est une fiction, mais on peut dire que soixante-dix ou quatre-vingts pour cent est vrai. Il n’y a plus vraiment de déni sur la question, mais on n’en a pas non plus entendu parler à outrance. J’ai du mal à imaginer que des gens, même catholiques, puissent être en colère devant la vérité. Ce que l’Église a fait à l’époque et la pédocriminalité perpétrée en son sein, comme on le sait depuis vingt ou trente ans, font partie des véritables péchés de l’Église catholique.

« Dans l’imaginaire chrétien, les femmes étaient coupables. » la possibilité même qu’il puisse y avoir une sexualité lesbienne. Cette sexualité est encore perçue de nos jours comme une chose horrible dans certaines régions orthodoxes du monde, mais en Europe de l’Ouest il y a quand même eu un sacré bond en avant – même si ça a pris quatre longs siècles. Plusieurs scandales en lien avec l’Église ont éclaté récemment, comme des affaires de prêtres pédocriminels et la subsistance de thérapies de conversion pour « rediriger » les personnes homosexuelles vers l’hétérosexualité. Comment pensez-vous que le film se place par rapport à ça ? À l’époque où se déroule le film, la politique de l’Église était imprégnée de l’Inquisition romaine, avec la torture et le bûcher. Mon film n’est pas une attaque envers l’Église catholique, mais il cherche à rappeler les choses terribles qui ont eu cours à l’époque, dans lesquelles l’Église était impliquée. Combien de femmes périrent brûlées ? Parce qu’elles étaient lesbiennes, parce qu’elles ont utilisé un objet pour faire l’amour, parce qu’elles étaient prises pour des sorcières comme Jeanne d’Arc ! Ce que l’Église a fait aux

Comme Benedetta, votre film La Chair et le Sang (1985), qui date de la période flamande de votre filmographie, se passe dans une ambiance médiévale en Europe de l’Ouest, et il y est aussi question de la peste et d’une forme de confinement. Ça ressemble davantage à un confinement dans Benedetta, non ? Quand le nonce [joué par Lambert Wilson dans la dernière partie du récit, ndlr] se rend à Pescia, que les portes de la cité sont fermées et que les vivres s’échangent par des seaux qu’on hisse le long des murailles. Je trouve ça un peu plus proche des confinements qu’on vit actuellement. D’ailleurs, mon film n’était pas une prophétie, la similitude est arrivée par hasard ! [Le tournage a eu lieu en 2018, donc avant la pandémie, en Italie et dans le sud de la France, ndlr.] Le Covid me semble être une épidémie exceptionnelle, peut-être seulement comparable à celle de la grippe espagnole entre 1918 et 1921. La peste, en revanche, a traversé tout le Moyen Âge et au-delà [il y a eu trois grandes pandémies entre le vie siècle et le début du xxe siècle, ndlr]. Ça serait presque une erreur historique que de ne pas l’évoquer dans une œuvre qui est ancrée dans cette époque !

Vous semblez particulièrement aimer filmer le Moyen Âge. Est-ce parce que c’est une époque historique qui permet de bousculer les représentations ? C’est plutôt que ça m’a toujours intrigué. Depuis que je suis petit, je m’intéresse à l’histoire, à ce qu’il y avait avant moi. J’ai aussi écrit un livre sur Jésus Christ [Jésus de Nazareth, publié en 2015, ndlr], c’est un sujet qui m’a toujours happé alors que je ne suis pas chrétien. L’influence qu’il a eue sur la façon de penser européenne, notamment dans le domaine de l’éthique… comme Alexandre le Grand ou Napoléon. C’est passionnant d’essayer de retrouver la façon de penser de l’époque et ce qui subsiste de ça dans les sociétés contemporaines. Si on me demandait dans quel siècle j’aurais aimé vivre, je pense que je ferais en sorte de pouvoir assister à l’arrestation et à l’exécution du Christ, pour savoir comment ça s’est vraiment passé. Vous continuez de faire résonner les époques avec votre prochain projet, une adaptation en série de Bel-Ami de Guy de Maupassant située de nos jours. Oui, on travaille dessus, mais j’ai le sentiment qu’on n’a pas encore trouvé la solution pour l’adapter en série télévisée. Ce n’est pas si simple… Il y a peut-être eu quatre ou cinq adaptations en films, mais c’est l’histoire d’un personnage masculin qui gravit l’échelle sociale en ayant des relations avec des femmes de classes légèrement supérieures à lui. Pour parler de ces cinq femmes dans un film de deux heures, ça ne laisse que quinze ou vingt minutes pour déployer chaque histoire. C’est pour ça que je trouve qu’en faire une série serait beaucoup mieux. Mais ça représente six ou huit épisodes, c’est du boulot. On s’approche du but, mais on n’y est pas encore totalement. Benedetta de Paul Verhoeven (Pathé, 2 h 06) sortie le 9 juillet

“Une chronique adolescente qui touche au coeur”

EN SALLE LE 7 JUILLET

CONCEPTION AFFICHE : FRANK ESSAM POUR ORIGINAL COSMIC STUDIO

un film de myriam verreault Librement inspiré du roman de naomi fontaine

PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

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Source : bilan 2020 du CNC / CBO Box Office

La u ra Verd i e r Ingénieure en sciences de la terre, elle publiera en septembre Sols pollués. Menace sur les populations et la biodiversité (Dunod)

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Dans Rouge (sortie le 11 août), l’usine dont Nour (Zita Hanrot) est la nouvelle infirmière déverse dans la nature une boue rouge qui détruit tout sur son passage. Sauver l’environnement, ou les emplois – dont celui de son père ? C’est le dilemme de l’héroïne de ce film sous pression qui fait de la pollution industrielle un enjeu politique majeur.

Faut-il nécessairement des lanceurs d’alerte, comme l’héroïne de Rouge, pour attirer l’attention du plus grand nombre sur la pollution industrielle ? Ce qui fait avancer les réglementations, ce sont avant tout les gros accidents. Il n’y a hélas rien de tel qu’une explosion ou des pertes humaines pour faire bouger les lignes, comme l’a prouvé l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. Il faut aussi rappeler que la directive Seveso [qui impose

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L MI S ON C’est le nombre total d’entrées en France en 2020, soit une baisse de près de 70 % par rapport à 2019. Il s’agit de la fréquentation le plus faible depuis… 1917 ! À noter que 28 millions de Français se sont rendus dans les salles obscures, soit 44 % de la population, contre près de 70 % habituellement.

PO

3 h 58 Face au report de la plupart des gros films américains, le cinéma français a pris la tête du marché en captant près de 45 % des entrées. Cette surperformance de la cinématographie locale est un phénomène commun à l’ensemble de l’Europe, comme en Turquie où les films du cru ont raflé 80 % des parts de marché.

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Attendu avec plus de curiosité que d’habitude, le bilan cinéma et audiovisuel du CNC pour l’année 2020 est tombé en juin dernier. Comme on pouvait s’en douter, la pandémie a eu un impact de taille sur le secteur. Même si certains s’en sortent bien mieux que d’autres (n’est-ce pas, la télévision ?), l’heure est aux chiffres, aussi inédits que cette année covidée qui restera dans les annales.

PERRINE QUENNESSON

MILLIONS

st s l de ça e no re is. u t t p is e mbr o n 2 e de jours de ferme 5 m cée s as u 0 e d an rr s n 165 le pa 20, soit un peu plu t dev ’inte issé de jo ys l ep  % s a ur le es s d po couv s et la lus mal loti : el 2 jour lui, b , Belgique avec 17 ur re-f e es a att ein ux, le nombre de séanc dre 4,2 millions.

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EN BREF

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En bref

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Le podium des entrées 2020 en France est 100 % américain puisque Tenet est en tête avec 2,35 millions de tickets vendus, suivi par 1917 et ses 2,23 millions de spectateurs, tandis que Sonic est médaille de bronze avec 2,12 millions de fans du hérisson bleu. Le premier film français est Ducobu 3 avec 1,5 million d’entrées, en 5e position.

d’identifier les sites industriels les plus à risque et d’y maintenir un haut niveau de prévention, ndlr] tire son nom d’une ville italienne où a eu lieu un énorme accident industriel. Les lanceurs et lanceuses d’alerte sont nécessaires, mais on ne leur donne la parole que quand une catastrophe est survenue. La presse française peut être une alliée de poids, elle dispose de journalistes ayant une vraie expertise, mais elle ne traite souvent que les accidents ; pas les cas de pollution moins spectaculaires ni le quotidien des travailleurs et des travailleuses. Le film de Farid Bentoumi fait état de l’inaction du monde politique concernant la pollution causée par les industries… La pollution industrielle touche avant tout les sols, comme dans Rouge. Or ce sont les grands oubliés – l’air et l’eau ont souvent monopolisé les débats. Mais on avance ! À la suite de la remise, en septembre 2020, d’un rapport au Sénat qui a mis en lumière le retard accumulé par la France pour la préservation des sols, les politiques sont enfin en train d’ouvrir les yeux sur ces sujets très techniques, compliqués à appréhender. L’accumulation de scandales a débouché sur une prise de conscience, en France comme en Europe. Les avancées sont lentes

et encore trop peu ambitieuses, mais je suis moins pessimiste qu’il y a un an. Rouge montre qu’il est difficile de concilier rentabilité, protection de l’emploi et remise aux normes d’infrastructures souvent vieillissantes… L’équation est compliquée à résoudre. Ces sujets ne reposent pas sur la volonté des personnes qui dirigent les sites, mais bien sur celle des actionnaires, dont la propension à mettre de l’argent sur la table est variable. C’est pourquoi il est nécessaire de leur mettre à la fois une pression financière – l’impact boursier –, médiatique – l’image de marque est importante – et légale, avec des contrôles et des amendes. Mettre une vieille usine aux normes, c’est faisable, mais c’est compliqué et souvent plus onéreux que d’en reconstruire une nouvelle. Longtemps, les industries ont été délocalisées en raison de nos contraintes environnementales jugées trop fortes. Ça revenait à déplacer la pollution ailleurs… Une relocalisation va s’opérer en Europe dans un avenir proche, et ce sera un virage capital. PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MESSIAS


La phrase

En bref

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Scarlett Johansson évoque l’hypersexualisation de son personnage dans Iron Man 2 (2010) auprès de Collider en juin 2021.

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À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs).

« On lui parle comme si c’était un objet à posséder – comme à un joli petit cul. »

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r Ado rugissant et tempétueux, il est du genre à provoquer des esclandres en tout lieu et en toute circonstance – la vaisselle de chez ses parents en fait régulièrement les frais. Il se retrouvera dans le cinéma brut et chamboulant (on y pleure, on s’y engueule) du grand Maurice Pialat, dont neuf films (L’Enfance nue, 1969 ; À nos amours, 1983…) ont été restaurés et sont projetés en salles en deux cycles le 1er juillet puis le 4 août.

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« Maurice Pialat. Rétrospective » (Capricci)

rée En toute autre occasion, elle est la douceur même. Mais quand elle joue au Scrabble, au Trivial Pursuit ou à Fortnite, elle palpite. Ses yeux exorbités, son front suant et ses gestes un peu trop vifs vous font peur, mais c’est ce qu’elle aime. Offrez-lui le jeu Ciné Challenges de TCM. Ici, pas de quizz, mais 63 cartes et 7 défis perso et collectifs imaginés à partir d’un savant mix entre blockbusters et classiques du cinéma. Ciné Challenges (TCM, 12,90 €)

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La fermeture des clubs a mis un gros coup au moral de ce Dionysos de la nuit parisienne. Alors qu’il reprend du poil de la bête et ressort son maquillage outrancier et ses bodys léopard, faites-lui découvrir le cinéma trash et indocile de John Waters (Pink Flamingos, 1972) et Russ Meyer (Faster, Pussycat! Kill! Kill!, 1965) – comme eux, il n’a jamais eu froid aux yeux – à travers ce passionnant livre qui entrecroise les parcours des deux cinéastes américains. Les Mondes baroques de John Waters et Russ Meyer de Célia Gudin Vauzelle (Rouge profond, 160 p., 20 €)

JOSÉPHINE LEROY

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Scène culte

FARGO

Le polar enneigé des frères Coen fête ses 25 ans. Primé à Cannes et aux Oscars, ce film apparaît aujourd’hui comme la pierre angulaire d’une filmographie exceptionnelle. Quand Fargo débarque à Cannes en 1996, Joel et Ethan Coen sont déjà des figures de la Croisette – Barton Fink a décroché la Palme d’or en 1991. Difficile pourtant de prévoir le sommet de violence glaçante que va offrir cette histoire d’un directeur commercial endetté (William H. Macy) qui engage deux malfrats bas du front (Steve Buscemi et Peter Stormare) pour kidnapper son épouse. « Une des grandes forces de Fargo vient du personnage joué par Frances McDormand [la cheffe de la police locale, qui enquête sur le carnage en question, ndlr]. L’idée de cette policière bienveillante et enceinte dans le grand froid détournait la plupart des codes attendus du polar, un genre souvent plus urbain et masculin », avance Marc Cerisuelo, professeur de cinéma et auteur avec Claire Debru d’Oh Brothers ! Sur la piste des frères Coen (Capricci, 2013). En filmant la criminalité du Minnesota (État dont ils

sont originaires) et du Dakota du Nord, les frères Coen firent mouche. « Ils faisaient découvrir un imaginaire nouveau, qui donne au film son côté mythique et les fit basculer dans la célébrité universelle. La Palme de Barton Fink était une consécration “auteuriste” et européenne, insuffisante pour les faire connaître aux États-Unis ; la preuve étant qu’ils ont réalisé dans la foulée Le Grand Saut, qui coûta très cher mais fut un flop commercial. Avec Fargo, ils touchaient enfin l’âme américaine tout en gardant leur tonalité ironique ». Auréolé d’un Prix de la mise en scène à Cannes, le film connaît un succès public et offre au duo son premier Oscar (meilleur scénario original). « Fargo a lancé la grande période des Coen : The Big Lebowski, O’Brother, The Barber. Ces années sont le cœur de leur inspiration », conclut Marc Cerisuelo, qui sortira en octobre Comédie(s) américaine(s) chez Capricci. Fargo a également engendré une série télévisée du même nom (produite par les frères Coen), phénomène qui confirme l’influence et le statut unique de ce film sanglant.

Un couple qui se déchire, un Berlin décrépit, un monstre lovecraftien, une Isabelle Adjani possédée… et la folie qui se répand comme une peste. Attention, le film monstre de Żuławski ressort en salles. Comment imprimer la folie sur pellicule – pas la folie douce, mais la folie furieuse ? Quelque part entre les charniers psychanalytiques de David Cronenberg, le surréalisme suffoquant de David Lynch et la terreur politique de Pier Paolo Pasolini, il y a Possession d’Andrzej Żuławski. Un film à propos duquel les meilleurs amis se déchirent, qui change la vie des uns, donne aux autres des nausées. Pour y parvenir, l’auteur polonais s’est peu encombré d’éthique : sur le plateau, il encourage l’hystérie collective et pousse ses acteurs à la rupture. Isabelle Adjani ne s’en remettra pas, affirmant des années plus tard qu’aucune récompense – le Prix d’interprétation à Cannes, le César de la meilleure actrice – ne justifiait ce calvaire. En résulte cette œuvre grotesque et malfaisante, dans laquelle la folie dévore tout – la femme qui part (Adjani), le mari jaloux (Sam Neil), l’amant gourou (Heinz Bennent), les rues grises longeant le mur de Berlin, et peutêtre Dieu lui-même, revenu sous la forme

d’une créature innommable, comme échappée d’un tableau de Francis Bacon ou d’un roman de H. P. Lovecraft (mais bricolée à la hâte par Carlo Rambaldi, futur concepteur d’E. T.). Qu’on perde pied ou qu’on ricane nerveusement, il y a une scène, une seule, qui met tout le monde d’accord. Marchant seule dans un tunnel du métro, Adjani est prise d’un rire nerveux qui enfle. Elle se cogne contre les murs, éclate ses provisions, puis se convulse telle une sorcière, exécutant une danse hideuse et indécente qui semble ne pas pouvoir s’arrêter (près de

C’est l’instant où le démiurge à la caméra perd sa toute-puissance devant l’actrice possédée. quatre minutes, une éternité)… et la laisse à genoux, hurlante, liquéfiée. C’est l’instant où le démiurge à la caméra perd sa toute-puissance devant l’actrice possédée. Le moment où Żuławski lui-même semble redouter l’abîme qu’il voulait regarder. Dans son antre, une autre folie vient de surgir. Réelle, trop réelle. Une folie qu’on n’oublie jamais après l’avoir vue.

Décris-toi en 3 personnages de film.

Règle de trois

LUÀNA BAJRAMI

En ce moment, il s’agirait d’un heureux mélange : Beatrix Kiddo dans Kill Bill, pour sa rage de vaincre, Tony Montana, pour son attitude et son ambition, et Beetlejuice, parce qu’il est fou.

© Anne-Françoise Brillot

Flash-back

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POSSESSION

D’ANDRZEJ ŻUŁAWSKI (1981) TITANE DE JULIA DUCOURNAU (SORTIE LE 14 JUILLET) : VICTIME D’UN ACCIDENT DE VOITURE, UNE ENFANT EST SOIGNÉE AVEC DU TITANE. ADULTE, ELLE VA TOUT ENVOYER BRÛLER…

Émopitch

En bref

Le film que tu regardes à 3 heures du matin, une nuit d’insomnie ?

DAMIEN LEBLANC ILLUSTRATION : ANNA WANDA GOGUSEY

no 181 – été 2021

À seulement 20 ans, celle qu’on a vue dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma ou Ibrahim de Samir Guesmi vient de réaliser son premier long métrage, La Colline où rugissent les lionnes, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année et tourné là où elle est née, au Kosovo.

Spirit, un dessin animé indémodable pour moi, avec lequel je suis née, avec lequel j’ai grandi et que j’aime par-dessus tout grâce aux belles valeurs qu’il véhicule.

3 plans qui t’ont marquée à vie ? Stéphanie face à l’orque dans De rouille et d’os. Le magnifique baiser que nous offre Nicolas Winding Refn dans Drive. Mais, aussi, ce long plan séquence dans Hunger de Steve McQueen, avec Michael Fassbender attablé qui fume sa cigarette.


THE GUARDIAN

PAR LA RÉALISATRICE DE L’OMBRE DE STALINE

Possession d’Andrzej Żuławski (Tamasa, 2 h 03), ressortie le 14 juillet

MICHAËL PATIN

En bref

3 teen movies qui t’ont aidée à traverser l’adolescence ? Un court métrage de Tim Burton, Vincent, que j’ai toujours trouvé incroyable ! Les têtes des adultes sont toujours hors cadre et le personnage de Vincent est, disons… bien dans son monde. Le film ne dure que cinq minutes mais il vaut le détour. Easy Girl avec Emma Stone, qui s’affranchit du politiquement correct, j’en avais beaucoup ri. Et enfin Billy Elliot, parce que, Billy, il sait ce qu’il veut.

3 récits d’émancipation qui t’ont inspirée pour ton premier long métrage ? De rouille et d’os de Jacques Audiard, qui fait partie de mes films favoris. La résilience de ses personnages m’a toujours fascinée, j’adore la manière dont elle est narrée. Plus récent, L’Ange de Luis Ortega, qui a marqué un tournant dans l’écriture de mon film, à cause de son style et de son protagoniste. J’ai tué ma mère de Xavier Dolan, classique dans ma filmothèque. Du génie en matière de traitement des personnages.

3 cinéastes, morts ou vivants, avec qui tu aimerais dîner ? Tim Burton (encore), parce que la conversation promet d’être fascinante et que je me suis promis de le rencontrer un jour. Hayao Miyazaki, mais je ne saurais que dire tellement je suis fan. Et enfin Xavier Dolan, une fois passée ma projection à la Quinzaine, histoire qu’on échange sur ce vécu presque commun d’un premier film, si jeune, à Cannes.

L’acteur ou l’actrice qui te faisait fantasmer à 13 ans ? Restons sur nos classiques : Johnny Depp, grâce à Tim Burton.

été 2021 – no 181

La Colline où rugissent les lionnes de Luàna Bajrami (Le Pacte, 1 h 24), prochainement PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

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Le strip

En bref

Chaque mois, zoom sur la relève du cinéma

1 Il est la révélation d’À l’abordage ! (lire p. 56). Éric Nantchouang, 25 ans, fait des étincelles dans le rôle du volubile Félix. Jusqu’ici, il a vécu à vive allure. Il a beaucoup déménagé au Cameroun, avant de débarquer à Paris à 13 ans. Il se rappelle la sensation de liberté incroyable éprouvée à son arrivée, du garçon foufou qu’il était et de l’école, qui lui a permis de s’extraire de son quotidien. Il y fait des rencontres déterminantes, avec sa prof de français de troisième, avec l’option théâtre qu’il suit en seconde. Le temps file sans qu’il éprouve le besoin de se retourner, jusqu’au Conservatoire, après deux ans de philo à la Sorbonne. « Tu te retrouves avec des gens d’un certain milieu qui ont beaucoup de culture, des codes. C’est là où je peux faire un parallèle avec le film. Les

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2 interrogations identitaires de mon personnage, je me les suis posées aussi. » Celui qui se nourrit des écrits de Thomas Mofolo, de Léopold Sédar Senghor ou de Nietzsche a été marqué par une interview de l’autrice Léonora Miano. « Elle disait : “N’ayez pas peur de ne pas avoir de modèles, construisez-les !” Ça donne beaucoup de courage et de force. » Au théâtre, Éric Nantchouang rêve de jouer Cyrano de Bergerac et Timon d’Athènes ; au cinéma, « des personnages en colère ». On le retrouvera cet été à Avignon dans Dom Juan de Molière, monté avec des amis. Pour le reste, l’acteur curieux et érudit compte bien revenir à l’écriture et, qui sait, tourner le film qu’il vient d’écrire. Le récit d’un apprenti écrivain pris dans une histoire d’amour et d’argent…

À l’abordage ! de Guillaume Brac, Jour2fête (1 h 35), sortie le 21 juillet

MARILOU DUPONCHEL Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

no 181 – été 2021

Les jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma se posent en jeunes dynamiteurs du cinéma de genre français avec Teddy, teen movie à la croisée de Stephen King et de Bruno Dumont. Débit ultra rapide, regard vif et accrocheur, pensée tranchée… Quand on les rencontre, on est étonné par la fougue du duo, 29 ans au compteur. Après s’être fait les griffes avec Willy 1er (coréalisé en 2016 avec Hugo P. Thomas et Marielle Gautier), le binôme complémentaire (Zoran parle facilement, Ludovic est plus discret) sort Teddy (lire p. 64), un teen movie drôle et cruel sur un ado tout colère (Anthony Bajon) et sans horizon qui habite une bourgade du SudOuest. Après avoir été attaqué par une bête un soir de pleine lune, il se mue en

loup-garou. Ni le décor ni la frustration ne leur sont inconnus : nés dans le Lot-etGaronne en 1992, les frangins, biberonnés à Stephen King et aux Contes de la crypte, sont montés à Paris des rêves de cinéma plein la tête, Zoran s’inscrivant en scénario à l’école de la Cité fondée par Luc Besson, Ludovic s’égarant un temps en fac d’anglais. Dans leurs films, une constante : ils racontent des êtres ou créatures d’une grande solitude. « C’est peut-être le fait d’avoir été moqués au collège qui fait qu’on s’identifie à ces personnages », analyse Zoran. Alors qu’il débute le tournage d’un mystérieux film de requins, on sent que le duo n’est pas près de desserrer les dents, et continuera à bousculer un cinéma français trop frileux pour lui.


© Xavier Lambours

ÉMILIE GLEASON

En bref

Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma, The Jokers (1 h 28), sortie le 30 juin

JOSÉPHINE LEROY

UN FILM DE

KOJI FUKADA

AU CINÉMA LE 4 AOÛT

été 2021 – no 181

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En bref

LA PETITE COURSE

Il y a pourtant d’autres raisons d’être ému par cet enfant. D’abord, évidemment, la cruauté de son sort : livré par sa mère comme un paquet encombrant, pour deux jours, sur le perron d’un père qui n’avait jamais daigné le voir, et aujourd’hui l’enfant a 8 ans. Il y a tout ce que lui fait subir, en deux jours, ce père désastreux qui l’abandonne dans une chambre d’hôtel à Las Vegas, sans un dîner, tandis que lui est parti oublier la mort dans l’alcool et le cou des filles. Il y a sa tête, bien trop joufflue, ses boucles trop rondes, et dans la

Règle de trois

© Julien Bui

MONSIEUR NOV

Rare représentant d’un R&B chanté en français, Nov pose sa voix magnétique sur des instrus trap et habitées. Il décline toutes les nuances de l’amour moderne sur deux précieux projets autoproduits, sortis à trois mois d’intervalle à l’automne 2020 : Evo 3 Or et Evo 3 Argent. Questionnaire cinéphile.

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Ou parce que tout est tellement pénible ici, pour l’enfant, tellement obscène et violent qu’en accélérant ses gestes il croit peutêtre pouvoir accélérer le temps lui-même, et retrouver plus vite sa mère ? Ce petit galop indu ramasse en lui toute la vulnérabilité de l’enfant – celle de l’acteur aussi

© D. R.

bouche les dents crénelées et absurdement longues qui sont le lot des enfants de son âge. Mais rien n’est émouvant comme ce plan de lui à petits pas vifs, dans la cuisine, de droite à gauche et de gauche à droite, pour accomplir la tâche que le père lui a assignée au réveil : nettoyer dans la grande maison les restes de fêtes, de la veille et des jours d’avant, qui jonchent partout le mobilier, cendriers pleins, verres vides. Ce n’est pas tellement qu’on soit surpris de le voir courir : il n’en finit pas de courir de part et d’autre de ce plan, comme courent tous les enfants chez Cassavetes, pour échapper aux adultes qui courent eux-mêmes d’une impulsion à l’autre, sans voir le mal qu’au passage ils leur font. Poussés par les torrents d’amour ou bien voulant leur échapper, les adultes courent, et ils tombent : ici deux fois Sarah (Gena Rowlands), évanouie au ralenti, théâtralement vidée d’elle-même ; et plusieurs fois Robert (le père, joué par Cassavetes), dont l’une à la renverse, qui lui ouvre le crâne. L’enfant finira avec la même blessure au front, parfaitement mimétique, fronts jumeaux et courses jumelles, pour fuir un père ou fuir un fils. Mais pourquoi court-il, ici, pour débarrasser deux-trois verres sales ? Pourquoi cet empressement à accomplir sa besogne ? Pour faire plaisir au père qui a ordonné ? Pour hâter le moment d’après, qui sera peut-être celui des retrouvailles attendues depuis huit ans ?

Tout est tellement pénible ici, pour l’enfant, qu’il croit peut-être pouvoir accélérer le temps. bien que celle du personnage, commandés d’évidence par la même application et la même terreur. Tout le film dessine l’enfant à travers deux vitesses contraires. Ou bien il ne fait rien, ne dit rien, et alors Cassavetes va chercher en très gros plans toutes les nuances du malaise sur son visage poignant. Ou bien il parle et les répliques sortent trop vite, mécaniques et anxieuses, comme s’il fallait s’en débarrasser vite avant qu’elles ne brûlent la langue. C’est la même émotion qui dicte ses pas trop pressés dans la cuisine, où il est le pantin moins du désir du père/réalisateur, que de sa propre envie malaisée de bien faire.

© D. R.

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : un enfant pressé dans Love Streams de John Cassavetes (1985).

© D. R.

Microscope

JÉRÔME MOMCILOVIC

3 acteurs ou actrices qui te faisaient fantasmer ado ? Jean-Claude Van Damme. J’ai regardé tous ses films étant petit, je me prenais même pour lui. Dans Bloodsport, son maître lui apprend à faire le grand écart en lui attachant les pieds à des cordes. J’ai fait ça à la maison avec mon frère et j’ai réussi. Tony Leung, un acteur hongkongais que j’aimais beaucoup. Ma mère achetait des imports VHS de films et séries fantastiques chinoises mal doublées en vietnamien – je suis d’origine vietnamienne –, c’est comme ça que je l’ai découvert. Et Eva Mendes, dans Training Day par exemple. Je suis tombé sous le charme.

3 leçons de vie apprises au cinéma ? J’en ai une seule : peu importe la situation – amoureuse, professionnelle, amicale –, tout est une histoire de perception, de point de vue, et chacun a sa vérité. C’est quelque chose que j’ai appris en regardant les films de Christopher Nolan ou de M. Night Shyamalan, qui sont construits comme des puzzles narratifs : le réalisateur t’emmène à un endroit pour, à la fin, et tu sens que c’est son grand plaisir, t’obliger à reconsidérer l’ensemble.

S’il ne fallait retenir que 3 B.O. de films ? The Killer, film hongkongais de John Woo. Une B.O. incroyable. D’ailleurs Raekwon avait samplé le thème principal du film [dans deux titres de son album Only Built 4 Cuban Linx, sorti en 1995, ndlr]. La B.O. de l’anime L’Attaque des titans. Pourtant, les génériques de manga un peu métalleux sur les bords, c’est pas mon style, mais celui-là même mon fils de 7 ans le connaît par cœur. Et la BO de Street Dancer, film que je regardais quand j’étais au lycée. Un film complètement nul, qui était formidable pour moi à l’époque. On était en pleine découverte de la culture américaine, avec cette nouvelle génération de chanteurs R&B – parmi les acteurs il y a Marques Houston et Omarion. Et vu qu’au lycée, à l’époque, il y avait toute une partie des Asiats qui breakait, je m’intéressais au truc.

Un film à regarder Décris-toi en 3 personnages de fiction. à 3 heures du mat’, après l’amour ? Forrest Gump pour son parcours atypique. J’ai vu ce film ado, et les premières scènes, quand il est enfant et qu’on se moque de lui, m’ont fait beaucoup de peine. Je m’identifiais à lui parce que j’étais réservé, en surpoids, j’avais pas trop confiance en moi. Un mec comme Forrest, malgré ses différences, il accomplit des choses incroyables. Le héros de The Killer. C’est un tueur à gages, mais tu te rends compte qu’il a beaucoup d’empathie. Une crapule au grand cœur. Et Itachi du manga Naruto, pour son côté légendaire – sans prétention, hein. Il n’apparaît pas beaucoup, ce n’est pas le personnage principal, mais on ne l’oublie pas, même après sa mort.

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Aucun. En général, à 3 heures du mat’ je dors ; après l’amour, encore plus.

Evo 3 Or et Evo 3 Argent de Monsieur Nov (Vibe Labo)

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER



En bref -----> La page des enfants

L’interview Tout doux liste

AINBO. PRINCESSE D’AMAZONIE [CINÉMA] Dans les territoires sauvages de l’Amazonie, la jeune apprentie chasseuse Ainbo, 13 ans, part en lutte contre la déforestation avec ses amis Vaca, un tapir pas franchement dégourdi, et Dillo, un tatou plus futé… Sans sacrifier l’aventure, ce film d’animation porté par un trio désopilant sensibilise les petits militants de demain à la cause de l’environnement. • J. L. Ainbo. Princesse d’Amazonie de Richard Claus et Jose Zelada (Le Pacte, 1 h 25), sortie le 14 juillet, à partir de 6 ans

LES CROODS 2. UNE NOUVELLE ÈRE [CINÉMA] Retour à l’âge de pierre avec les Croods ! Après avoir évité de justesse la fin du monde, la famille préhistorique, toujours en vadrouille, rencontre les Betterman, une famille plus évoluée installée dans un lieu paradisiaque… Aussi secouée que le premier opus, cette suite souligne les bienfaits du partage et de la solidarité entre hommes (avec ou sans peau de bête). • J. L. Les Croods 2. Une nouvelle ère de Joel Crawford (Universal Pictures, 1 h 36), sortie le 7 juillet, à partir de 6 ans

Adèle, 15 ans, a interviewé Marie Papillon, une personnalité ultra créative révélée grâce aux vidéos qu’elle poste sur les réseaux sociaux. Elle propose Marie et les choses (diffusée sur Téva), une série sur la paréidolie, la faculté de voir des formes humaines un peu partout. À la fois absurde et très drôle, la série raconte la vie d’une jeune femme qui parle aux objets en toute décontraction. Est-ce que dans la vie tu t’adresses vraiment aux choses comme dans la série ? Oui, tout le temps. Je te rassure, on n’a pas des discussions, mais j’imagine ce que l’objet pourrait me dire. Pourquoi t’es-tu lancée dans les réseaux ? Je travaillais dans l’événementiel et j’ai découvert les stories sur Instagram. J’ai pensé que ce serait un moyen original de dévoiler le quotidien d’une jeune entrepreneuse. Donc avant tu étais cheffe d’entreprise ? Oui ! J’ai monté plusieurs affaires, un food truck, un studio photo. C’est pendant le confinement que j’ai réalisé que je voulais vraiment écrire, jouer et réaliser. Est-ce que tu as fait des études ? Pour rassurer mon père et surtout partir vivre à Paris, je suis allée à l’Institut catholique, ce qui me correspondait parfaitement (rires). J’ai eu un diplôme de langues mais, très vite, j’ai eu besoin de gagner de l’argent pour être indépendante. C’était très important. À l’époque, je découvrais mon homosexualité et je me disais : « Si mes parents me rejettent du jour au lendemain,

au moins j’aurais un travail et je pourrais payer mon appart. » Tu pensais que tes parents pouvaient te rejeter ? Au fond de moi je savais qu’ils comprendraient, mais j’avais quand même des craintes. Ils ont finalement très bien réagi. Comment as-tu fait le casting des objets de Marie et les choses ? J’avais envie de faire participer mes abonnés pour les remercier alors je leur ai demandé de m’envoyer des photos de leurs objets. J’ai reçu énormément de candidatures. Est-ce que tu as fait jouer tes propres objets ? Oui, par exemple mes deux réveils, le Petit Réveil – que j’adore – et le Papy Réveil. Ils interviennent dans un épisode très émouvant : Papy Réveil ne sonnera pas, parce qu’il vient de mourir. C’est une scène hyper triste où je suis censée pleurer. Première prise, j’y suis arrivée sans problème, mais dès la deuxième j’ai commencé à me déconcentrer. Là, ma coréalisatrice, Julie Gali, a annoncé très sérieusement à l’équipe sur le plateau « C’est une scène de deuil, je vous demande beaucoup de respect et le silence » alors, évidement, j’ai pleuré, mais de rire ! Finalement la concentration est revenue et on a pu tourner la scène. Tu es suivie par beaucoup de comptes féministes sur Instagram. Est-ce que ta

La critique de Célestin, 7 ans

AYA ET LA SORCIÈRE SORTIE LE 14 JUILLET

SPACE JAM. NOUVELLE ÈRE [CINÉMA] Le reboot tant attendu du culte Space Jam (1997), qui mêle personnages animés et vrais pontes du basket, propulse LeBron James dans une dimension parallèle où l’univers Warner Bros. est contrôlé par une intelligence artificielle… Une réflexion intéressante sur le monde moderne, doublée d’une expérience palpitante qui ravira autant les grands nostalgiques que les petits curieux. • J. L. Space Jam. Nouvelle ère de Malcolm D. Lee (Warner Bros.), sortie le 14 juillet, à partir de 6 ans

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série reflète tes engagements ? Le fait d’humaniser les objets, ça permet de dire des choses sans être moralisatrice. À un moment, il y a une discussion entre des prises blanches et des prises noires. Elles disent : « Nous, notre fonction c’est de distribuer du courant, alors la couleur du plastique on s’en moque ! » C’est très enfantin mais ça fonctionne bien ! J’en profite aussi pour parler de thèmes encore tabous comme les règles, la discrimination, la ménopause, l’homosexualité… Dans la série, je n’ai pas « un » mais « une » petite amie, et ce n’est pas un sujet, c’est comme ça. Papillon, c’est ton vrai nom ? Oui ! Quand j’étais petite, mes copains pensaient que c’était mon prénom. Ils criaient dans la cour « Marie-Papilloooooonnnnn », comme si c’était un nom composé. Encore aujourd’hui, mes potes ont tendance à m’appeler comme ça. C’est un nom dont les gens se souviennent. Et même la police, quand elle m’arrête – ce qui n’arrive pas souvent, je ne te le cache pas –, Papillon, ça les rend indulgents. « Allez, passez Papillon ! » Marie et les choses de Marie Papillon sur Téva, à partir de 6 ans PROPOS RECUEILLIS PAR ADÈLE (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

« Sans vouloir gâcher la surprise, je peux dire que c’est l’histoire d’une petite fille qui s’appelle Manigance. C’est une sorcière qui l’a mise au monde, c’est pour ça qu’elle a un prénom bizarre. Du coup, pour être en mode discrétion, c’est bof comme prénom. Sa mère la met dans une sorte d’internat et elle est adoptée par une sorcière et un monsieur qui ressemble à un vampire. Ils maltraitent la petite fille : elle lui fait cueillir des trucs qui piquent, et la fillette arrête pas de travailler. Et ça, c’est vraiment horrible ! Quand elles fabriquent les potions, ça donne pas du tout envie de faire de la sorcellerie.

Par contre, ça donne envie de vomir. ATTENTION ! Sécurité : il faut avoir plus de 6 ans pour voir ce film parce que, avant, les enfants ils vont vouloir se cacher tellement ça fait peur, et c’est pas super facile de se cacher au cinéma. Par contre, à la fin, je préviens : on risque de faire exploser le cinéma de rire tellement c’est drôle ! » Aya et la sorcière de Gorō Miyazaki, Wild Bunch (1 h 22), sortie le 14 juillet à partir de 6 ans PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY


PRINCESSE, COMBATTANTE, AVENTURIÈRE

la ave vo c ix de

AU DR LA EY MY

UN FILM DE

RICHARD CLAUS & JOSÉ ZELADA

14 JUILLET


no 181 – été 2021


« Annette » <----- Cinéma

L L I A T RD O M A I ON C P R S R I T E S S D N A R

LE

S

G

L’impressionnante filmo de l’actrice oscarisée compte quelques objets étranges et décalés. Annette, opéra dédaléen du très rare Leos Carax, présenté en ouverture du Festival de Cannes, en marque l’apothéose – pour nous, c’était le moment idéal pour enfin la rencontrer. Marion Cotillard y incarne Ann, une cantatrice célèbre, en couple avec Henry (Adam Driver), une star du stand-up. Après la naissance de leur fille, Annette, son personnage sera mené dans une traversée aussi sombre que grandiose entre la vie, la scène et les limbes. L’occasion de poser à l’actrice quelques questions sur son besoin d’intensité, et ses propres fantômes.

Police du titre : Leone par Laura Martens

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

été 2021 – no 181

Qu’est-ce qui vous plaît dans le cinéma de Leos Carax, dans sa mise en scène ? J’ai vu tous ses films, j’aime passionnément son tout premier, Boy Meets Girl, et je considère Holy Motors comme un chef-d’œuvre. J’aime être embarquée dans un univers où je ne sais pas ce qui va m’arriver. Dans tous ses films, il y a des moments de grâce ; cette poésie, c’est quelque chose d’assez complexe à expliquer. En tout cas plus complexe qu’une émotion brute, comme juste des rires ou des larmes. Holy Motors, comme je suis actrice, il y a un endroit où ça me touche particulièrement [le film, sorti en 2012, raconte une journée dans l’existence de M. Oscar, qui voyage de vie en vie, ndlr]. Mais il y a une telle richesse que ça va au-delà de ce que ça raconte sur l’acteur, le film exprime des choses sur l’amour filial que je trouve très profondes. Je me souviens très bien du moment où je suis allée voir Les Amants du Pont-Neuf au cinéma. À l’époque, le film était très attendu, parce qu’il était arrivé tellement de choses sur le tournage… [Il avait été plusieurs fois interrompu, parce que Denis Lavant s’était blessé, que le budget avait été largement dépassé, que trois producteurs différents s’étaient relayés… ndlr.] Il y avait de la folie dans cette histoire. Et, bien sûr, j’ai été très marquée par cette scène dans Mauvais sang où l’on voit Denis Lavant danser sur du Bowie dans la rue, je trouve ça absolument grandiose. Comment vous a-t-il présenté le rôle ? On s’est rencontrés il y a six ans. C’était assez tôt dans son processus de création. Il m’a tout de suite dit que c’était une comédie musicale, on n’a pas parlé plus que ça du personnage… Mais je n’étais pas disponible à ce moment-là, ma vie me prenait autre part, j’avais des priorités de famille. Je sais qu’il a vu plusieurs actrices avant de revenir vers moi, deux ans plus tard. Il n’y avait alors plus rien qui m’empêchait de faire le film. Il m’a donné des références pour cerner le caractère d’Ann, précisé de quelle manière il la voyait amoureuse de Henry. Il m’a montré une interview de Romy Schneider avec un acteur dont j’ai oublié le nom. On voyait qu’elle s’exprimait avec force et douceur, mais une autre dimension était plus imperceptible : elle était amoureuse de cet homme. Dans cette interview, qu’on a analysée en détail, il m’a pointé des regards précis, des moments qui étaient forts pour lui. Les tournages de Leos Carax ont la réputation d’être difficiles. Aviez-vous des appréhensions avant celui-ci ? Oui, une énorme appréhension à propos du chant, notamment les parties opératiques.

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Cinéma -----> « Annette »

J’ai accepté le film au mois de mai, et on tournait en septembre, donc je n’avais pas beaucoup de temps devant moi pour devenir chanteuse d’opéra. Je m’étais préparée à chanter dans plusieurs positions, parce que je savais que j’allais devoir être allongée, nager, des situations pas idéales pour poser sa voix. Je m’étais entraînée seule à chanter en nageant le dos crawlé. Mais, sur le plateau, avec le trac, l’envie de donner le meilleur pour ce cinéaste que j’aime tant et qui fait si peu de films, je dois avouer que j’avais une pression plus forte que d’habitude. Il paraît que, quand vous étiez petite, vous vouliez être Debbie Reynolds, l’interprète de Chantons sous la pluie. Vous avez des souvenirs de ça ? C’est vrai que Chantons sous la pluie était un de mes films préférés et que Debbie Reynolds me faisait totalement rêver – j’avais appris la chorégraphie de la sortie du gâteau par cœur. Je la trouvais sublime, drôle, débordante d’énergie, et elle m’a vraiment donné envie de faire du cinéma, de chanter, de danser. Si vous vouliez faire découvrir un film méconnu, quel serait-il ? Le premier qui me vient en tête, c’est À corps perdus (2005) de Sergio Castellitto. Penelope Cruz y donne une des interprétations féminines qui m’a le plus renversée. Ce n’est pas un film très connu de sa filmographie, mais pour moi c’est un de ses plus grands rôles [celui d’une femme de chambre avec qui le héros trompe sa femme, ndlr]. C’est compliqué de mettre des mots sur ce que j’ai ressenti : dans ce film, elle est d’une liberté

bouleversante, magnifique. C’est un vrai rôle de composition, et j’ai été totalement surprise par ce qu’elle faisait de son personnage. À la sortie des Fantômes d’Ismaël en 2017, dans lequel vous jouiez une revenante, le réalisateur Arnaud Desplechin déclarait : « Marion Cotillard ne joue pas le personnage comme un fantôme mais comme une vraie fille. Elle fait tomber le mythe de son piédestal. » Qu’est-ce que ça vous inspire ? Je trouve ça beau déjà. Dans le film d’Arnaud, il y avait par rapport à ce personnage quelque chose de mystérieux et en même temps de réel. Mais qu’est-ce que le réel ? Il est peut-être différent pour chacun… Au-delà du mystère, j’ai besoin de trouver ce qui raccroche un personnage à la vie, son authenticité, un point auquel on peut s’identifier. J’essaye toujours de rester à la même hauteur que les personnages – enfin, autant que possible, car il y en a certains que j’ai pu regarder la tête en l’air, ou au contraire d’un peu en dessous. Néanmoins, ils sont toujours ancrés dans le réel, c’est ce qui les relie au spectateur. Dans une interview au Guardian en 2014, vous racontiez que le personnage d’Édith Piaf, que vous incarniez dans La Môme d’Olivier Dahan, vous avait suivie bien après le tournage, et que vous aviez dû avoir recours à des séances de chamanisme pour qu’il vous quitte. Oui, enfin ça c’était vraiment off the record. Je n’étais vraiment pas très contente que ce soit publié car c’était une conversation après l’interview. Forcément, si on n’a pas toutes les explications, on peut s’imaginer des

choses un peu mystiques…. Effectivement, la réalité après La Môme, ça a été qu’il a fallu se défaire de ce rôle qui m’avait habitée pendant des mois. C’était plus comme une rupture, comme quand on a vécu des choses très fortes avec quelqu’un et que ça s’arrête. En l’occurrence, ça devait s’arrêter car être actrice c’est un travail, je n’ai pas envie de rester avec mes personnages. Vivre à l’intérieur d’un personnage ou faire vivre un personnage en soi – je n’ai jamais bien su, je pense que c’est dans les deux sens –, c’est entrer dans une forme de mimétisme, de proximité, il y a une dimension mystérieuse, quelque part, oui, assez mystique. Le jour où ça prend fin, on se sent seul. Il n’y a pas de tristesse, mais il y a une forme d’errance. Ça peut prendre plus de temps avec certains personnages qu’avec d’autres. Au moment de La Môme, j’étais seule, je n’avais pas d’enfant. Rester six mois isolée sans voir les gens que j’aime, ça ne me posait pas de problème. Du coup, l’immersion était totale. Vous disiez dans ce même entretien que vous aviez réalisé pourquoi vous n’étiez pas arrivée tout de suite à laisser partir le personnage d’Édith Piaf : parce qu’elle avait été abandonnée enfant et que sa plus grande peur était de rester seule. C’est ce que j’ai ressenti quand je me suis questionnée sur mon attachement. Comment le qualifier ? Je ne pouvais pas penser à elle sans trouble. Comme j’étais très troublée de la porter toujours en moi, j’ai eu besoin de me poser des questions. Une des réponses, je l’avais déjà trouvée sans le savoir en préparant le rôle : c’était sa peur de l’abandon. À un moment donné,

je me suis dit que si je n’arrivais pas à me détacher, c’est parce que j’aurais eu l’impression de l’abandonner. Ça peut paraître fou mais c’était une réalité en moi. Alors je me suis rendu compte que cette femme n’était plus là depuis bien longtemps, que j’étais la seule maîtresse à bord, que je pouvais me détacher d’elle sans que ça ne l’affecte. Ça a été une clé de sortie, comme ça avait été une clé d’entrée dans le personnage. Vous avez déjà senti que vous dépassiez certaines peurs à travers vos rôles ? J’ai tendance à me confronter à des choses qui me font… je ne sais pas si c’est de la peur, ce serait peut-être plus du vertige. Ça m’intéresse d’aller dans des endroits inconnus, et j’ai l’impression que ce vertige est un moteur. Ça provoque des choses qui font voir, découvrir de nouvelles facettes. Ça permet d’élargir sa conscience et, du coup, l’amour qu’on peut porter à l’humain. Entre le registre très opératique de Leos Carax et celui très ancré dans une réalité sociale des frères Dardenne – avec qui vous aviez tourné Deux jours, une nuit en 2014 –, dans quel univers vous sentez-vous la plus à l’aise ? Je me sens à l’aise quand je trouve ma place. Quand il y a une harmonie avec la ou le cinéaste. Donc il n’y a pas un endroit où je me sens mieux qu’un autre, à partir du moment où je sens qu’on marche ensemble, que la vision de l’artiste m’embarque, que j’arrive à m’y fondre pour transcender le besoin vital qu’elle ou il a de s’exprimer. Et si, à l’intérieur de ça, je peux moi-même m’exprimer librement, peu importe finalement.

« J’aime être embarquée dans un univers où je ne sais pas ce qui va m’arriver. »

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« Annette » <----- Cinéma

Photo : Sebastião Salgado • Conception graphique : Marina Ilic • Imprimeur : Melun impression • Licences E.S. n°1-1083294, E.S. n°1-1041550, n°2-1041546, n°3-1041547.

MUSÉE DE LA MUSIQUE

Sebastião

SALGADO AMAZÔNIA Création musicale de Jean-Michel Jarre

Dans votre carrière, il y a aussi des projets plus confidentiels et intrigants. Par exemple, en 2019, vous avez participé à Anthem: Homunculus, une comédie musicale sous forme de podcast du cinéaste américain John Cameron Mitchell. Comment l’avez-vous rencontré ? C’est l’une de mes idoles. Dans le cadre de ma collaboration avec la maison Dior [dont elle a été égérie pendant neuf ans, ndlr], j’avais le choix des cinéastes avec lesquels on allait collaborer pour des spots. Je ne le connaissais pas personnellement, mais il a dit oui. La première fois qu’on s’est rencontrés sur le tournage, j’étais très impressionnée, très intimidée. C’est devenu un grand ami depuis. C’est un être entier, un grand poète. Hedwig and the Angry Inch [film sur une chanteuse trans allemande qui sillonne les États-Unis, sorti en 2001, ndlr], c’est un des films que j’ai le plus vus de ma vie, une des bandes originales que j’ai le plus écoutées. J’ai aussi adoré Shortbus, et aussi son film disons un petit peu plus conventionnel Rabbit Hole. L’idée que je joue un jour Hedwig, c’est un rêve qu’on a eu tous les deux, mais c’était après pas mal de projets qui m’avaient demandé un investissement très grand. Je n’avais plus

d’énergie. Ça reste un personnage qui me touche profondément, et dont je continue à chanter les chansons, juste pour moi. Si un fil rouge se dessine dans votre filmographie, selon vous, quel est-il ? Un fil rouge… Je dirais que c’est assez dramatique tout ça, hein, quand même. Même s’il y a quelques comédies. Mais, cette réflexion, je ne l’ai pas forcément pour moi, parce qu’elle ne m’est pas très utile… J’aime les personnages riches et profonds. Mais riches et profonds, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est vague… Et, en même temps, ça raconte quelque chose. Je ne sais pas. J’aime… j’aime l’intensité. Et la fougue, même quand ce sont des personnages qui n’ont a priori pas l’air fougueux. C’est peut-être ça, oui, la fougue, le feu, l’envie de vivre, parfois même à l’intérieur de la folie. Annette de Leos Carax, UGC, sortie le 6 juillet

CARAX : L’AMANT DU SON NEUF « Et maintenant, pour Christophe qui habite le Ve, de la part de Juliette qui habite le Ier, L’Amour moderne de David Bowie. » Depuis cette dédicace à la radio dans son film Mauvais sang (1986), Leos Carax ne conçoit pas le « modern love » sans musique. C’est ce qui impressionne dans Les Amants du Pont-Neuf (1991) : la scène sous les feux d’artifice au son d’un imbroglio de sons entrelacés. C’est ce qui émeut aussi dans Holy Motors (2012), quand Kylie Minogue chante ne plus savoir qui elle était lorsqu’elle aimait. Nouvelle étape franchie avec les Sparks, groupe de rock légendaire qui signe le scénario et la B.O. d’Annette, propulsant le cinéaste dans la comédie « en chantée », où l’amour au son synthé-pop se trouve peu à peu dévoyé vers la pire des violences. • Q. G.

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Jusqu’au 31 octobre 2021 PHILHARMONIEDEPARIS.FR 01 44 84 44 84 PORTE DE PANTIN Commissariat et scénographie : Lélia Wanick Salgado

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

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Quand Todd Haynes parle de ses doudous musicaux, c’est toujours en choisissant des angles intéressants. Un de nos films préférés de lui, c’est d’ailleurs Superstar. The Karen Carpenter Story (1987) dans lequel il évoque le calvaire de la leadeuse des Carpenters, exploitée et souffrant d’anorexie, en représentant tous les personnages par des poupées Barbie. Mais il y a aussi, plus glamrock, Velvet Goldmine (1998), ou encore I’m Not There (2007) dans lequel il tente de saisir le mythe Bob Dylan en le faisant incarner par plein d’actrices et d’acteurs différents. Autant dire que l’on attend avec excitation son docu sur le mythique Velvet Underground, groupe new-yorkais des années 1960 dont il a promis d’explorer la face queer, et de refléter l’esprit avant-gardiste dans la forme même du film. • Q. G.

Ce nouveau projet d’Audiard, qui avait décroché la Palme d’or en 2015 avec Dheepan, nous intrigue pour plusieurs raisons. D’abord, le cinéaste cosigne le scénario avec deux femmes que l’on adore : Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu) et Léa Mysius (Ava). Son cinéma réputé viriliste pourrait se trouver tout tourneboulé par leur regard mâtiné de questionnements féministes et queer. Puis, le film est une adaptation libre de la BD d’Adrian Tomine Les Intrus (2015), dont le trait minimaliste et inquiet nous avait marqués. Enfin, on aime beaucoup le XIIIe arrondissement, et le film se déroule dans le quartier si peu filmé des Olympiades (on se souvient qu’en 2013 il l’avait été admirablement par Axelle Ropert dans Tirez la langue, mademoiselle) dont l’architecture, avec ses grandes tours, fascine autant qu’elle tranche dans le paysage parisien. • Q. G.

Révélée en 1985 dans L’Effrontée de Claude Miller, puis confirmée chez des cinéastes ultra audacieux comme Lars von Trier (Nymphomaniac, 2014) ou dernièrement Gaspar Noé (Lux Æterna, 2020), la pourtant discrète Charlotte Gainsbourg (aussi chanteuse et photographe) passe pour la première fois derrière la caméra. Celle dont l’ambivalence nous fascine depuis des années présente à Cannes Première – toute nouvelle section – Jane par Charlotte, un film qu’elle consacre à sa mère, l’emblématique Jane Birkin. Si le titre vous fait tiquer, c’est parce qu’il rappelle Jane B. par Agnès V. (1988), le vrai-faux docu de la regrettée Agnès Varda, qui met en scène Birkin dans des saynètes drôles car complètement foutraques. Intuitivement, on s’attend à quelque chose de plus classique pour celui-ci, mais Charlotte Gainsbourg sait si bien nous surprendre qu’on n’en mettrait pas notre main à couper. • J. L.

On s’est habitué, ces dernières années, à voir Gaspar Noé sortir de derrière les fagots des films pochettes-surprises, tournés en secret et terminés dans l’urgence, se retrouvant in extremis dans l’une des sélections du festival. C’était le cas pour Climax (2018) et Lux Æterna (2020). Ça l’est encore pour Vortex, qui explore à la manière d’un documentaire les derniers instants d’un couple d’amants séniles. Gaspar Noé revisitant Amour de Michael Haneke, avec au casting le maître du giallo Dario Argento et l’actrice Françoise Lebrun, dont le monologue de La Maman et la Putain demeure l’un des sommets du cinéma français, on peut dire que ça envoie. Même si on est sûrs qu’il saura encore nous prendre de court, on pressent que le cinéaste restera sur le fil horrifique qu’il suit depuis quelques années, rendant hommage à travers ses acteurs à deux pans on ne peut plus éloignés de sa cinéphilie. • Q. G.

date de sortie à venir

sortie le 27 octobre

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Cannes 2021 <----- Cinéma

une co

APOLLO FILMS présente -production RADAR FILMS, LOGICAL PICTURES

et

APOLLO FILMS

INSP IREZ P RO FO N DÉ M E N T

Le documentariste Jean-Gabriel Périot (Nos défaites) livre à la Quinzaine des réalisateurs sa version de l’essai autobiographique Retour à Reims du sociologue Didier Eribon, dans lequel il racontait être revenu après la mort de son père dans son Reims natal, trente ans après l’avoir quitté. Il fournissait alors une analyse politique et personnelle de son parcours de transfuge de classe, réfléchissant sur les rapports de domination sociale, ou sur la construction de son identité gay en milieu ouvrier. Comme le livre est l’un de ceux qu’on a le plus offerts, qu’il est aujourd’hui cité en référence par Annie Ernaux ou Édouard Louis, on a hâte de voir de quelle façon Périot, dont le travail sur les archives filmées est toujours passionnant, le mettra en images. Et aussi de quelle manière Adèle Haenel, qui en sera la voix off, sera traversée par les questionnements d’Eribon. • Q. G.

“UNE NOYADE DANS LA TERREUR” ROCK & FOLK

“UN CONCEPT INÉDIT ET PUISSANT” MAD MOVIES

“SOUS L’EAU, PERSONNE NE VOUS ENTENDRA CRIER” ROLLING STONE

Dans la Compétition cannoise de 2018, on avait été frappé par la liberté de Leto, sur la scène rock de Leningrad dans les années 1980, alors que son réalisateur Kirill Serebrennikov en était justement privé, assigné à résidence à cause d’une affaire de détournement de fonds – accusation dont il s’est toujours défendu et dont beaucoup considèrent qu’il s’agit plutôt pour les autorités russes de faire taire un dissident du régime. Le cinéaste ne devrait malheureusement pas être là cette année encore pour présenter en Compétition cette adaptation d’un roman russe d’Alexeï Salnikov, qui pourrait bien nous rappeler quelques souvenirs du Covid. Dans la famille qu’il suit à Ekaterinbourg, cité industrielle de l’Oural, trois membres contractent la grippe. Bien malade, Petrov sera malgré lui entraîné dans une longue beuverie alcoolisée entre rêve et réalité… Le film pour contrer la gueule de bois de la pandémie ? • Q. G.

JAMES JAGGER

CAMILLE ROWE

THE DEEP HOUSE ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR

ALEXANDRE BUSTILLO

ET

JULIEN MAURY

AU CINÉMA LE 30 JUIN © 2020 - RADAR FILMS - LOGICAL PICTURES - APOLLO FILMS - 5656 FILMS

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Cinéma -----> Cannes 2021

de Nadav Lapid sortie le 15 septembre

On avait quitté le cinéaste israélien avec Synony­ mes (Ours d’or à la Berlinale 2019), film fascinant dans lequel il fusionnait ses souvenirs poétiques de Paris avec – sa marque de fabrique – de percutan­ tes réflexions politiques sur son pays. Le Genou d’Ahed permet à Lapid d’être pour la première fois en Compétition à Cannes. Le film raconte l’histoire d’un réalisateur qui se rend dans un village reculé au bout d’un désert pour la projection d’un de ses films. Il y rencontre une fonctionnaire du ministère de la Culture et s’élance dans deux combats : l’un « contre la mort de la liberté », l’autre « contre la mort de sa mère »… Après ses géniaux Le Policier (2012) et L’Institutrice (2014), on parie que ce film qui ne s’intitule pas Le Réalisateur développera quand même quelques échos troubles avec son auteur, plus attiré par les chemins sinueux que par les autoroutes trop droites. • J. L.

sortie le 27 octobre

Depuis ses débuts dans les années 1970, il a foulé un sacré nombre de fois le tapis rouge cannois (dix de ses longs métrages ont été sélectionnés en Compétition). Malgré sa présence régulière, on est toujours en manque de Nanni Moretti (La Chambre du fils, 2001 ; Habemus papam, 2011) qui nous console tant bien que mal en publiant sur les réseaux des vidéos musicales un peu cryptiques mais que l’on adore (allez voir son Instagram, vous ne le regretterez pas). Le réalisateur italien risque cependant de lâcher un moment son smartphone pour présenter en Compétition ce film choral sur trois familles vivant dans un même immeuble à Rome et dont les vies vont être bouleversées par une série d’événements… Gageons que son ironie mordante et son regard espiègle légendaires infuseront Tre piani, qui déjà nous fait trépigner d’impatience. • J. L.

sortie en février 2022

Son Party Girl, coréalisé avec Claire Burger et Marie Amachoukeli en 2014, nous avait beaucoup touchés. On y suivait, à la lisière du docu et de la fiction, la mère de Samuel Theis incarner son propre rôle, celui d’une sexagénaire fêtarde qui peinait à décrocher de la clope, de l’alcool et des cabarets allemands glauques à la frontière de la Moselle – et on la comprend. Le film avait remporté la Caméra d’or. Pour son deuxième long (sélectionné à la Semaine de la critique), le réalisateur de Forbach vient de nouveau triturer son terreau d’origine : Petite nature porte sur un gamin de 10 ans qui grandit dans une cité HLM en Lorraine et observe la vie sentimentale agitée de sa jeune mère. L’excellent Antoine Reinartz (120 BPM) y campe un prof qui lui ouvre les horizons, et l’étonnante Izïa Higelin, l’épouse de ce dernier. • T. Z.

« Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va. » Vous saisissez quelque chose à ce synopsis ? Nous, pas trop, mais on suivra Mathieu Amalric partout où il ira – et, d’ailleurs, en lisant ce résumé on ne peut plus dépouillé et quelque part assez durassien, on entend vraiment sa voix. Car, en plus d’être l’acteur préféré de Desplechin (ils ont tourné sept films ensemble), Amalric s’est révélé être un réalisateur hyper singulier (Tournée, en Compétition en 2010). Barbara (2017), faux biopic fantomatique et vertigineux porté par une fascinante Jeanne Balibar, nous avait beaucoup plu. En fouillant un peu, on a trouvé quelques infos sur ce mystérieux Serre-moi fort, qui devrait être l’adaptation de la pièce Je reviens de loin de Claudine Galéa (coscénariste du film) sur la séparation d’une famille. Rendez-vous à Cannes Première pour en avoir le cœur net. • J. L.

date de sortie à venir

En 2017, on découvrait les yeux écarquillés le premier long de cette jeune réalisatrice, Mate-me por favor, un étrange teen movie horrifique. Avec un grand sens de l’ellipse et du cadre, Anita Rocha da Silveira auscultait une jeunesse naviguant avec flegme entre réseaux sociaux, préoccupations sexuelles, religieuses et morbides, que même une vague de meurtres peinait à réveiller. Après la figure du zombie, la Brésilienne revisite celle de la Méduse. Medusa, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, raconte l’histoire d’une femme punie par une déesse dans des temps anciens pour avoir perdu sa pureté, et contrainte de vivre de nos jours en faisant tout pour conserver l’apparence d’une femme parfaite, sans succomber à la tentation… C’est encore un film d’horreur, et on trouve ça réjouissant. • T. Z.

On a découvert ce discret réalisateur breton en 2016 avec un moyen métrage qui nous a saisis (et on n’est pas les seuls, puisqu’il a obtenu le prix Jean-Vigo cette année-là) : Le Gouffre, un film de genre en noir et blanc qui voit une jeune gardienne de camping partir à la recherche d’une enfant disparue dans le Finistère. Un ton unique et une manière passionnante de revisiter la figure du monstre, qui nous ont fait porter de grands espoirs en Vincent Le Port. Il se retrouve cette année à la Semaine de la critique avec son premier long, Bruno Reidal, qui explore les origines du mal en fictionnalisant un fait divers réel et sordide : en 1905, un séminariste de 17 ans raconte comment il en est venu à assassiner un enfant de 12 ans… On essaiera juste d’éviter de le voir en solo à une séance tardive. • T. Z.

L’Israélien nous a habitués au cinéma d’animation de grande qualité avec l’intense et inoubliable Valse avec Bachir, en 2008, qui recomposait un épisode de la guerre du Liban, et l’excellent mais plus confidentiel conte futuriste Le Congrès, en 2013, qui mélangeait dessins et prises de vues réelles. Ari Folman revient à Cannes hors Compétition avec de l’animation pure, sur un sujet difficile. Où est Anne Frank ? s’inspire de la dernière partie du célèbre journal de la jeune fille juive décédée dans le camp de Bergen-Belsen en 1945, mais en se plaçant du point de vue de Kitty, l’alter ego que l’adolescente avait imaginée. Sachant que le grand pari de cette adaptation, c’est de pouvoir la montrer à un très jeune public. On fait confiance à Folman pour trouver le juste équilibre. • T. Z.

La téméraire cinéaste britannique n’a pas son pareil pour nous surprendre. Abonnée au Prix du jury (pour Red Road en 2006, Fish Tank en 2009, et American Honey en 2016), elle a posé un regard précis, fougueux et empathique sur les classes populaires anglaises dans ses premiers films, dépoussiéré le tempétueux classique Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë en 2012 et s’est échappée sur les routes de l’Americana avec son dernier long en date. Entre toutes ces réussites, elle s’offre des embardées vers les meilleures séries féministes états-uniennes : elle a réalisé des épisodes de Transparent et d’I Love Dick, et la deuxième saison de Big Little Lies en 2019. On la retrouve en sélection Cannes Première cette année avec Cow, dont on craindrait le pitch chez n’importe qui d’autre – « un portrait du quotidien de deux vaches. » Et oui, on a hâte. • T. Z.

de Samuel Theis

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Cannes 2021 <----- Cinéma

En 2012, la mélancolie bleutée et estivale d’Oslo. 31 août (révélé à Un certain regard), portrait magnifique d’un ex-toxico en dépression, étiré sur un seul jour, nous avait bouleversés (en plus de nous donner envie de faire des balades nocturnes à vélo dans les rues d’Oslo). Après quelques détours du côté du drame familial (Back Home, en Compétition à Cannes en 2015) et du fantastique (Thelma, 2017), le Norvégien Joachim Trier revient en Compétition avec Julie (en 12 chapitres), un film sur les doutes qui assaillent une presque trentenaire erratique s’étant mise en ménage avec un auteur à succès de 45 ans. Sa rencontre avec un homme jeune et séduisant risque de tout chambouler… Tout ça fleure bon le retour aux films plus intimistes de ses débuts (ses plus beaux), alors on fonce sans hésiter. • J. L.

Anaïs Volpé a émergé à l’âge de 28 ans avec son projet Heis (Chroniques), sorti en 2017, se déclinant en un long métrage, une websérie de cinq épisodes de onze minutes, et une installation, tout cela autoproduit en mode débrouille avec 3 000 euros – et remarqué jusqu’au Los Angeles Film Festival en 2016. Et c’est bien sa ténacité et son désir communicatif de cinéma qui émanaient de cette histoire aux accents autobiographiques sur les galères et aspirations d’une artiste revenant vivre chez sa mère, retrouvant alors son frère boxeur confronté à la même précarité. On espère qu’elle renoue avec ce côté volontaire et cette fraîcheur dans Entre les vagues, son deuxième long métrage, montré à la Quinzaine des réalisateurs, dans lequel Deborah Lukumuena (Divines) et Souheila Yacoub (Climax) incarneront deux meilleures amies « inarrêtables, inséparables » jonglant entre leurs rêves et la réalité. • Q. G.

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Cinéma -----> Cannes 2021

de Rachel Lang date de sortie à venir

En 2016, on avait adoré son premier long métrage, Baden Baden, qui concluait un cycle sur une héroïne combative et attachante campée par l’actrice belge Salomé Richard. Dans le court métrage qui débutait la trilogie, Pour toi je ferai bataille, en 2010, ce jeune personnage perdu s’engageait dans l’armée pour trouver une discipline qui l’aide à structurer sa vie. La réalisatrice strasbourgeoise à elle aussi fait l’armée très jeune et est réserviste depuis. Une expérience qui infuse sans nul doute son nouveau long métrage, Mon légionnaire, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, dans lequel Louis Garrel joue un homme engagé dans la Légion étrangère française et Camille Cottin, son épouse aux prises avec l’angoisse de l’attente… Sur le papier en tout cas, on s’engage. • T. Z.

date de sortie à venir

De Sean Baker, on aime tout ce qu’on a pu voir : Tangerine (2015) et The Florida Project (2017). Le premier, tourné à l’iPhone, racontait vingt-quatre heures survoltées de la vie de deux prostituées trans noires dans un quartier de L.A. ; le deuxième, le quotidien d’une fillette et de sa très jeune mère échouées dans un motel près de Disney World. À chaque fois, un sens du rythme inouï et une écriture bienveillante mais jamais niaise. Au début de sa carrière, l’Américain a réalisé quatre films, inédits en France, dont Starlet, en 2012, qui évoquait le milieu du porno. Un élément qu’on retrouve dans Red Rocket, en Compétition : une ex-pornstar revient dans sa ville natale texane, retourne vivre chez son ex-femme et sa belle-mère et reprend ses petites combines pour pouvoir payer son loyer. • T. Z.

date de sortie à venir

Le Thaïlandais revient en Compétition après être passé par la case Un certain regard en 2015 avec le pourtant sublime Cemetery of Splendour (notre film préféré de cette édition avec Carol de Todd Haynes). Lui qui avait décroché la Palme en 2010 avec Oncle Boonmee retrouve la jungle avec Memoria, mais plonge pour la première fois en Amazonie. Le mystérieux pitch évoque une cultivatrice d’orchidées qui se rend à Bogota pour voir sa sœur malade, se lie d’amitié avec une archéologue puis un musicien et entend des bruits inquiétants la nuit dans son sommeil… Weerasethakul a passé des mois à sillonner la région et à se documenter sur les hallucinations liées aux drogues. Quand on apprend en plus que Tilda Swinton campe la cultivatrice et Jeanne Balibar, l’archéologue, on serait capable de sortir du coma pour voir ce film. • T. Z.

de Sean Baker

!   S U N BO

Arnaud et Jean-Marie Larrieu retrouvent Mathieu Amalric et leurs Pyrénées natales dans cette comédie musicale au titre chantant présentée en Séance de minuit. Habitués à débusquer la folie latente partout où ils passent (parfois la plus sombre, comme dans le thriller L’Amour est un crime parfait en 2014), ils devraient livrer un nouveau film bien schizo. Tralala, chanteur dans les rues de Paris, croise une femme qui lui dit : « Ne soyez pas vous-même. » Dès lors, ses proches ne se souviennent plus de lui, quand d’autres croient le reconnaître. Il va alors se réinventer à Lourdes, la ville d’origine des frères Larrieu. Pas celle des miracles, celle des montagnes… Mais, avec ce film, il n’est pas interdit d’en espérer un. • Q. G.

date de sortie à venir Depuis Mandibules de Quentin Dupieux, on n’a aucun doute sur le talent comique d’Adèle Exarchopoulos, qui devrait rayonner dans le rôle d’une hôtesse de l’air fêtarde bossant dans une compagnie low cost… À la réalisation de ce film présenté à la Semaine de la critique, Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, tandem aux commandes du merveilleux court D’un château l’autre. • J. L.

Pour son premier long métrage, présenté dans la section Un certain regard, la Belge Laura Wandel ne choisit pas la facilité. Nora entre en primaire et découvre que son grand frère est victime de harcèlement scolaire. Celui-ci lui demande de garder le silence… Ce film à hauteur d’enfants promet de raviver les souvenirs les plus cruels de cours de récré. • Q. G.

date de sortie à venir Cette actrice et écrivaine haïtienne entre dans le sérail cannois en sélection Un certain regard avec Freda, portrait d’une jeune fille et de sa famille qui survivent en tenant une petite boutique de rue dans un quartier populaire d’Haïti, où chacun tente d’échapper à la violence du quotidien… On pressent un beau récit de résilience familiale et féminine. • T. Z.

Après son court remarqué Pauline Asservie (2018), Charline Bourgeois-Tacquet retrouve Anaïs Demoustier. L’actrice incarne Anaïs, jeune femme qui hésite entre son copain actuel, un autre homme, et la copine de celui-ci… Avec un tel titre, pourra-t-on y voir un portrait en creux de Demoustier, devenue une figure clé de ce cinéma français qui explore les sentiments ? • Q. G.

date de sortie à venir À la Semaine de la critique, Piccolo corpo de l’Italienne Laura Samani s’attaque à un sujet âpre : le deuil périnatal. Situé en Italie en 1900, le récit suit une jeune femme qui, ayant perdu son bébé à la naissance, entreprend un voyage dans les montages où il se dit qu’un nouveau-né peut être ramené à la vie, le temps d’un souffle, pour être baptisé. • T. Z.

* Retrouvez aussi dans ce numéro les films de Cannes en salles cet été, identifiés par cette pastille

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5 premiers films prometteurs

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NICOLAS ANTHOMÉ PRÉSENTE

O N O DA

10 000 NUITS DANS LA JUNGLE UN FILM DE

AFFICHE : FLORENT JARROIR

ARTHUR HARARI CINEMA

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JUIL


Cinéma -----> Cannes 2021

L’INTERVIEW ENGAGÉE

THIERRY FRÉMAUX

© AFP PHOTO MARTIN BUREAU

Quelles luttes politiques, quels engagements la sélection officielle 2021 reflètet-elle ? En 2021, le cinéma directement politique au sens où on le rencontrait dans les années 1960 ou 1970 n’existe plus. Il était alors dominant, il l’est moins ou différemment, comme dans la société. Mais il y a cette idée, très simple, qu’on retrouve beaucoup dans le cinéma contemporain : comment continuer à vivre quand on risque toujours de tout perdre ? C’est une idée politique de fond qui renvoie à un engagement personnel ou à des combats collectifs qui ne le sont pas moins. On en trouve plusieurs échos et pas seulement à travers la crise épidémique. Ce thème de sa propre place

Annulé en 2020 à cause du Covid, le Festival de Cannes revient pour une édition estivale qui s’annonce historique – elle accueille non pas une mais deux années du meilleur de la production cinématographique mondiale. À quel point la manifestation se fera-t-elle l’écho des bouleversements et des espoirs du « monde d’après », dont elle se veut le premier gros événement culturel ? En revisitant son propre parcours et ses engagements, Thierry Frémaux, emblématique délégué général du Festival depuis 2007, nous raconte les luttes portées par le cinéma, et par Cannes, en cette année charnière. 28

ma génération. J’ai été élevé aux Minguettes dans les années 1970, je voulais parler de ça, de cette France des banlieues et des ZUP qui était une grande promesse et qui fut un énorme échec dont on paie toujours la facture. C’était aussi des temps heureux, les raconter, c’est respecter sa propre enfance. C’est pourquoi il y a un chapitre sur Once Upon a time… in Hollywood : c’est un film sur l’enfant qu’était Tarantino dans cette ville qui l’a fait homme et artiste. Mais pour revenir à votre question, le judo vous enseigne l’humilité et l’ambition, le souci de soi et le goût des autres, la compréhension de l’histoire et une certaine appétence pour le changement, des choses qui me guident pour essayer d’assurer ma fonction.

« Mon goût et mes convictions ne doivent pas dominer mes choix. » dans le monde est permanent, universel, il est récurrent dans l’art et au cinéma. Il est très présent cette année, dans des œuvres initiatiques où l’on trouve de la révolte, de la souffrance, de l’apaisement ou de l’acceptation. Sur les questions sociétales contemporaines (la liberté de pensée, les luttes particulières, le féminisme, l’environnement), le terrain est connu, parfois le traitement, mais l’imaginaire et la créativité des cinéastes les visitent d’une autre manière. Vous venez de publier chez Stock un livre autobiographique intitulé Judoka. À quel point les valeurs prônées par ce sport qui a fait votre éducation guident aujourd’hui votre travail ? J’ai écrit ce livre parce que le judo, qui m’a vu élève, compétiteur et professeur mais dont j’avais abandonné la pratique, est revenu vers moi comme s’il m’en voulait de l’oublier et de laisser s’éloigner les vertus de son enseignement. Mon enfance n’aurait pas été la même sans lui. Ça aurait pu être la guitare ou la montagne, ce fut le judo. Je l’oubliais sans m’en apercevoir vraiment, alors il a réapparu dans ma vie, presque à mon insu. Il m’a appris sur un tapis, dans la confrontation avec mes aînés ou dans le dévouement pédagogique, ce que j’ai lu de Nietzsche plus tard : « Deviens ce que tu es. » Il faut produire un gros effort pour faire ce qu’on appelle désormais « le récit de soi ». J’avais du mal avec le « je », surtout que le judo vous enseigne les vertus du collectif. Au fond, il s’agit d’une sorte d’autobiographie de jeunesse qui, à partir du judo, tente de réfléchir sur ce qui a marqué

no 181 – été 2021

Avant d’être embauché à l’Institut Lumière en 1983 (dont vous êtes aujourd’hui directeur général), vous prépariez un DEA sur l’histoire sociale du cinéma. Quelle en était la problématique ? Diriez-vous que les questions sociétales que vous vous posiez alors ont été fondamentales dans votre parcours ensuite ? Oui. Être universitaire-chercheur et entrer dans l’énergie du monde réel est à la fois très différent mais en même temps pas tant que ça. À la fac, je menais des recherches en vue d’une thèse d’histoire qui voulait établir que l’on pouvait décrire le peuple du xxe siècle à travers un phénomène dont il était le dépositaire : il est allé au cinéma. Il y eut un moment à la fin des années 1980 où l’on croyait vraiment le cinéma en danger. La mélancolie régnait partout avec la fin des salles de quartier, l’arrivée de la vidéo et des chaînes du câble, un certain désenchantement aussi, venu de gens aussi différents que Wim Wenders, Serge Daney ou Jean-Luc Godard. Cette mélancolie est aussi constitutive de la cinéphilie, qui est l’art de faire vivre ce qui n’est plus. Et j’aimais, je crois, et j’aime toujours cette solitude à laquelle tout cinéphile est réduit, ou se réduit lui-même, en s’inventant des mondes perdus. J’avais l’ambition de parler de ça, de réfléchir à l’amour du cinéma. Le cinéma était souvent abordé par sa propre histoire, esthétique ou événementielle, je voulais en décrire l’importance intime et collective, et évoquer ceux qui, tout au long du xxe siècle, en ont connu la forme la plus aboutie : une œuvre, un public, une salle de cinéma. Je n’ai hélas jamais terminé cette thèse car l’Institut Lumière et l’engagement cinéphi-

lique réel m’ont emporté ailleurs. Mais il est sûr que, au-delà de la formation intellectuelle que cela m’a apporté, mes convictions se sont forgées là, mon amour des salles, ma passion de programmer, mon rapport au public, à sa construction et même, à chaque époque, à sa reconstruction. Je continue de parler avec des collègues du monde entier de la place du cinéma dans nos vies. J’ai beau diriger Cannes, je ne suis qu’un petit soldat de l’immense armée cinéphile qui fait de la France un pays à part sur la carte du monde. Quels films ont déjà bousculé vos convictions ? Pourquoi ? Tous les films, ou presque, bousculent nos convictions, c’est même pour ça qu’on va au cinéma, pour se faire bousculer. Une œuvre d’art, film, chanson ou roman, change la personne que vous êtes. Mais le plus beau des bouleversements est surtout esthétique : quand on voit pour la première fois Le Cuirassé Potemkine, L’Aurore, Pierrot le Fou ou La Maman et la Putain, on fait un voyage d’où on ne revient plus. Il est difficile de faire des classements, bien que, comme tous les cinéphiles, j’adore faire des listes (qui changent tout le temps). Il y a aussi ces films qui ont marqué tel ou tel moment de votre vie, et qu’il ne faut surtout pas revoir ! Sauf, pour moi, Au fil du temps de Wim Wenders, trois heures en Scope noir et blanc qui racontent l’errance de deux hommes dans un camion le long de la frontière est-­ allemande, ou Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, vu à sa sortie et dont l’importance grandit avec le temps. Ceux-là, je les revois chaque année. Comme La Règle du jeu de Jean Renoir dont vous changez de personnage favori à chaque vision. Et j’attends d’avoir l’âge de Noiret dans La Vie et rien d’autre de Bertrand Tavernier, quand il chemine dans ses chemins de jeunesse avec son cheval. Vous est-il déjà arrivé de sélectionner un film qui allait à l’encontre de vos convictions ? Si oui, lequel et pourquoi ? Même s’ils sont présents dans tous les cas, et souvent à mon insu, mon goût et mes convictions ne doivent pas dominer mes choix. Sélectionner à Cannes ce n’est pas dire : « C’est bien / Ce n’est pas bien » ou « J’aime / Je n’aime pas », mais plutôt : « Doit-on ou non présenter ce film ? Comment s’intègre-t-il dans ce portrait du cinéma contemporain qu’une sélection vient proposer ? Qu’est-ce qu’il dit d’un auteur, d’un genre, d’un style, d’une région du monde ? » Il faut se défaire des dogmes, des clans et des certitudes. Il nous arrive bien sûr de faire des erreurs. Mais je pourrais expliquer la présence de chacun des films sélectionnés. Aucun film ne vient heurter mes convictions. Comme spectateur, j’accepte tout car les artistes sont là pour décrire et changer le monde. Et nous


Cannes 2021 <----- Cinéma dire et nous montrer des choses qui ne nous plairont pas. De surcroît, comme nous sommes à Cannes dans les hautes sphères de la création, il y a cette présence suprême : la mise en scène, l’acte purement cinématographique, et cela compte plus que tout. À votre poste, à quel genre de pressions, politiques ou autres, faites-vous face au jour le jour ? Aucune autre pression que celle de la passion. Donc aucune pression. Il est normal qu’un producteur ou un réalisateur se battent pour un film auquel ils croient. Comme disait Léo Ferré : « Si je ne me lève pas le matin en pensant que je suis plus fort que Mozart, je ne pourrai plus écrire de la musique. » L’immense et fragile orgueil des artistes est essentiel. Et quand nous ne parvenons pas à nous entendre, quand un film ne trouve pas sa place en sélection, leur souffrance est aussi la mienne. Personnellement, comment gérez-vous la contradiction entre le faste du Festival de Cannes et les luttes parfois portées par les films ? Je n’y vois aucune contradiction, plutôt le contraire : parce que Cannes est Cannes – la force médiatique, le glamour, le faste, etc. –, ce qui s’y passe suscite un immense intérêt. Et prend un écho incomparable. On reproche même au Festival d’être trop politique. Mais quand il l’est, c’est que les films le sont d’abord. Lors de sa première édition d’après-guerre, quand le Festival consacra La Bataille du rail de René Clément ou Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini, on a su qu’il ne serait jamais indifférent au chaos et à la beauté du monde. La double naissance de Cannes, en 1939, comme événement antifasciste, et en 1946, comme instrument de libération et d’espérance, donne des responsabilités [voir la frise en bas de page, ndlr]. C’est celle des artistes, aussi celle des organisateurs et des professionnels. Et le décorum cannois n’est rien sans l’ensemble de ce qui le porte : les films les plus publics du tapis rouge sont aussi là

« La vigilance des collectifs féministes est absolument essentielle. » pour attirer la presse et les photographes vers les auteurs des pays les plus lointains. Regardez l’aventure Parasite en 2019 [le film de Bong Joon-ho, Palme d’or en 2019, a ensuite remporté en 2020 à la fois l’Oscar du meilleur film et celui du meilleur film étranger, ndlr]. Que porte la présidence du jury par Spike Lee selon vous ? Spike Lee est le premier cinéaste noir à occuper la présidence du jury d’un grand festival international. Et il en est très heureux, il l’a dit. On doit s’en féliciter autant que le constater : il était temps. Le premier juré africain à Cannes fut Ousmane Sembène, le cinéaste sénégalais, vingt et un ans après la création du Festival. Les festivals, comme le cinéma mondial, veillent à l’universalité de leurs sélections mais il fallait corriger ce symbole très fort qu’est la présidence du jury. Par ailleurs, Spike Lee est un immense cinéaste, c’est aussi et avant tout pour ça qu’il est là. Le collectif 50/50 a fait le compte des réalisatrices présentes en compétition cette année. Sur vingt-quatre films, elles sont quatre (le même chiffre qu’en 2011 et en 2019, un record jamais battu). À quel point la parité est-elle aujourd’hui un critère dans votre travail de sélectionneur ? Votre prise de conscience du manque de représentation des femmes dans les festivals a-t-elle évolué avec le temps ? Comment luttez-vous concrètement pour l’inclusion ? Les sélections ne sauraient reposer sur le sexe, la race ou la religion des cinéastes. En tout cas, pas pour un festival universaliste comme Cannes. Ou alors il faut imposer des quotas dans ses règlements

et le dire. Cannes a le dos suffisamment large pour supporter les polémiques mais il est trop facile de penser que la sous-­ représentation des réalisatrices viendrait du Festival. Il n’en est pas la cause, il arrive au bout de la chaîne, pas à son début. Les écoles de cinéma sont de plus en plus paritaires, le CNC a une politique très volontariste. On en voit déjà les effets sur la sélection française 2021 ou sur le jeune cinéma présenté à Un certain regard. Les choses changent mais il ne faut négliger ni l’explication historique (longtemps, la réalisation fut réservée aux hommes et Agnès Varda était bien seule dans la génération de la Nouvelle Vague composée uniquement d’hommes), culturelle (vous n’imaginez pas le nombre de pays où il n’y a tout simplement pas de réalisatrices), ni non plus penser que le cinéma pourrait résoudre à lui seul une question qui irrigue toute la société. Mais il doit prendre sa part. Nos jurys, nos comités de sélection, bientôt nos instances, sont paritaires, partout où nous le pouvons. Même en sélection, en cas d’hésitation sur deux films, on choisira celui qui est réalisé par une femme. Et nous dialoguons avec les collectifs féministes dont nous partageons les combats et dont la vigilance, et même le devoir d’ingérence sont absolument essentiels. Quel serait le fil rouge de votre engagement pour le Festival de Cannes depuis que vous y travaillez ? Le cinéma, rien que le cinéma. Donc toute la vie.

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET ET JULIETTE REITZER

Cannes : les tournants historiques en 6 dates clés

1939

Imaginé contre l’ingérence de Goebbels sur la Mostra de Venise, le premier Festival est annulé du fait de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, et aura finalement lieu en 1946.

1947

1968

Le principe de commission de sélection est instauré. Le Festival s’institutionnalise : la liste des films sur laquelle la commission travaille est ensuite validée par le ministère de la Cinématographie jusqu’à la fin des années 1970.

Le Festival est interrompu le 19 mai, après que les étudiants en lutte ont envahi le Palais des festivals. François Truffaut et Jean-Luc Godard rejoignent leur mouvement.

1978

Gilles Jacob devient délégué général (jusqu’en 2001), et président (jusqu’en 2014). Il soutient la liberté d’expression des cinéastes contre la volonté de régimes autoritaires voulant imposer des films officiels.

2018

Le Festival, dont Thierry Frémaux est devenu délégué général en 2007, signe la charte pour la parité et la diversité dans les festivals de cinéma. Il s’engage à fournir des statistiques genrées et sur un calendrier de transformation de sa direction.

2020-2021

Le Festival 2020 est annulé à cause de la pandémie de Covid 19. Un label « Cannes 2020 » est créé pour soutenir les films qui auraient dû être en sélection. L’édition 2021 se tient exceptionnellement en juillet au lieu du traditionnel mois de mai.

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THE COMMITTED INTERVIEW

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THIERRY FRÉMAUX

Cancelled in 2020 because of Covid, the Cannes Film Festival returns for a summer edition that promises to be historic – hosting not one but two years of the best of the world’s film productions. To what extent will the event echo the upheavals and hopes of the post-pandemic world, of which it aims to be the first major cultural event? By revisiting his own career and his commitments, Thierry Frémaux, the Festival’s emblematic General Delegate since 2007, tells us about the struggles waged by the cinema, and by Cannes, in this pivotal year.

What political struggles, what commitments does the official 2021 selection reflect? In 2021 directly political cinema in the sense that it existed in the 1960s and 1970s no longer exists. It was dominant then, it is less so or differently so now, as in society. But there’s this idea, a very simple one, which is found a lot in contemporary cinema: how can we go on living when we’re constantly at risk of losing everything? This is a fundamental political idea that relates to a personal commitment and to collective struggles that are no less personal. There are many echoes of this, and not only through the epidemic crisis. This theme of one’s place in the world is permanent, universal, and recurrent in art and film. It’s very present this year, in rites of passage works, where we find revolt, suffering, appeasement and acceptance. On contemporary societal issues (freedom of thought, specific struggles, feminism, the environment), the terrain is known, sometimes the approach too, but the imagination and creativity of filmmakers visit them in a different way. You’ve just published an autobiographical book entitled Judoka. To what extent do the values advocated by the sport that gave you your education guide your work today? I wrote this book because judo, which I experienced as a student, competitor and teacher, but which I’d given up practising, came back to me as if it resented my forgetting it and letting the virtues of its teaching slip away. My childhood wouldn’t have been the same without it. It could have been the guitar or mountaineering, it was judo. I forgot about it, without really noticing, then it reappeared in my life, almost without my realizing it. It taught me on a mat, tackling my elders and in the dedication of teaching, what I later read by Nietzsche: “Become what you are.” You have to make a big effort for what’s now known as “the self-narrative”. I had trouble with the “I”, especially since judo teaches you the virtues of the collective. Basically, it’s a sort of autobiography of my youth which, starting from judo, is an attempt to reflect on what marked my generation. I was brought up in “Les Minguettes” housing project in the southern outskirts of Lyon in the 1970s, and I wanted to talk about that, about that France of the suburbs and public housing projects, which held great promise but were a huge failure, for which we’re still paying. They were also happy times, and to recount them is to pay one’s respects to one’s own childhood. That’s why there’s a chapter on Once Upon a time… in Hollywood: a film about the child Tarantino was in that city that made him a man and an artist. But to get back to your question, judo teaches you humility and ambition, self-care and a taste for others, an understanding of history and a

certain appetite for change, things that guide me in trying to do my job. Before being hired by the Institut Lumière in 1983 (of which you are now the director), you were preparing a post-graduate degree on the social history of cinema. What was the main focus of your work? Would you say that the societal questions you were asking yourself at the time were fundamental to your subsequent career? Yes. Being an academic researcher and entering the energy of the real world is both very different and not so different. In college I was doing research for a history thesis that sought to establish that one could describe the people of the 20th century in terms of a phenomenon of which they were the agents: they went to the movies. There was a moment at the end of the 1980s when we really believed that cinema was in danger. Melancholy reigned everywhere, with the end of neighborhood cinemas, the arrival of video and cable channels, and a certain disenchantment that came from people as different as Wim Wenders, Serge Daney and Jean-Luc Godard. This melancholy is also constitutive of cinephilia, which is the art of bringing to life what is no longer. And I liked, I think, and I still like, this solitude to which all cinephiles are reduced, or reduce themselves, by inventing lost worlds. My ambition was to talk about this, to reflect on the love of cinema. I wanted to describe its intimate and collective importance, and to evoke those who throughout the 20th century have known its most accomplished form: a work, an audience, a movie theater. Alas, I never finished that thesis because the Institut Lumière and my real commitment to cinema took me elsewhere. But it’s certain that, beyond the intellectual training that it gave me, my convictions were forged there, my love of movie theaters, my passion for programming, my relationship with the audience, to its construction and even, in each era, to its reconstruction. I continue to speak with colleagues from all over the world about the place of cinema in our lives. I may direct Cannes, but I’m only a small soldier in the immense cinephile army that makes France a country apart on the map of the world. Which films have shaken up your convictions? All films, or almost all films, shake up our convictions, that’s why we go to the movies, to be shaken up. A work of art – film, song or novel – changes the person you are. But the most beautiful of all upheavals is above all aesthetic: when you see Battleship Potemkin, Sunrise, Pierrot le Fou or The Mother and the Whore for the first time, you go on a journey from which you never return. It’s difficult to make classifications, although, like all cinephiles, I love making lists (which change all the time). There

are also those films that have marked such and such a moment in your life, and that you should never see again! Except, for me, Wim Wenders’ Kings of the Road, three hours in black and white Cinemascope that tell the story of two men drifting in a truck along the East German border; and Francis Ford Coppola’s Apocalypse Now, which I saw when it was released, and which has grown in importance with time. I see these films again every year. Like Jean Renoir’s The Rules of the Game, your favorite character changing with each viewing. And I’m waiting to be the age of Noiret in Bertrand Tavernier’s Life and Nothing But, when he wanders along the paths of his youth with his horse. Have you ever selected a film that went against your convictions? Even though they’re present in any case, and often without my knowledge, my taste and my convictions shouldn’t dominate my choices. Selecting at Cannes isn’t about saying: “That’s good / That’s no good” or “I like / I don’t like”, but rather: ”Should we present this film or not? How does it fit into this portrait of contemporary cinema that a selection offers? What does it say about an author, a genre, a style, a region of the world?” We have to get rid of dogmas, clans and certainties. We do, of course, sometimes make mistakes. But I could explain the presence of each of the films selected. No film offends my convictions. As a viewer, I accept everything because artists are there to describe and change the world. And to tell us and show us things we won’t like. Moreover, as in Cannes we’re in the upper realms of creation, there’s this supreme presence: the mise en scène, the purely cinematographic act, and that counts more than anything else. In your job what kind of pressures, political or otherwise, do you face on a daily basis? No pressure other than the pressure of passion. So no pressure. It’s normal for a producer or a director to fight for a film they believe in. As Léo Ferré said: “If I don’t get up in the morning thinking I’m better than Mozart, I won’t be able to write music.” The immense, fragile pride of artists is essential. And when we don’t agree, when a film doesn’t find its place in the selection, their suffering is also mine. Personally, how do you deal with the contradiction between the glitz of the Cannes Film Festival and the struggles that the films sometimes convey? I don’t see any contradiction, rather the opposite: because Cannes is Cannes – the media power, the glamour, the glitz, etc. – what happens there arouses immense interest. And has an incomparable echo. The Festival is even criticized for being too political. But when it is, it’s because the films are political first. During its first post-war

Cannes: the historical turning points in 6 key dates

1939 Created in reaction to the interference of Goebbels in the Mostra festival in Venice, the first Cannes Film Festival was cancelled due to the declaration of the Second World War, before finally taking place in 1946.

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1947 The principle of a selection committee was established. The Festival became institutionalized: the list of films on which the commission worked was then validated by the Ministry of Cinematography until the late 70’s.

1968 The Festival was suspended on May 19 after students invaded the Palais des festivals. Truffaut and Godard joined their movement.

1978 Gilles Jacob became General Delegate (until 2001), and President (until 2014). He supported the freedom of expression of filmmakers against the will of authoritarian regimes wanting to impose official films.

no 181 – été 2021

2018 The Festival, of which Thierry Frémaux became General Delegate in 2007, signed the charter for parity and diversity in film festivals. It committed to providing gendered statistics, and on a timetable for the transformation of its management.

2020-2021 The 2020 festival was cancelled due to the Covid 19 pandemic. A “Cannes 2020” label was created to support the films that should have been in the selection. The 2021 edition is exceptionally held in July instead of the traditional May.


Cannes 2021 <----- Cinéma

edition, when the Festival gave its blessing to The Battle of the Rails by René Clément and Rome, Open City by Roberto Rossellini, we knew that it had never been indifferent to the chaos and beauty of the world. The double birth of Cannes, in 1939, as an anti-fascist event, and in 1946, as an instrument of liberation and hope, conferred responsibilities [see the timeline at the bottom of the page, ed.]. Those of the artists, also those of the organizers and professionals. And the decorum of Cannes is nothing without the whole of what carries it: the most mainstream films on the red carpet are also there to attract the press and photographers to the authors from the most distant countries. Look at the adventure of Parasite in 2019 [Bong Joon-ho’s film, Palme d’Or in 2019, went on to win both the Best Picture and Best Foreign Film Oscars in 2020, ed.]. What do you think Spike Lee’s presidency of the jury brings? Spike Lee’s the first black filmmaker to hold the presidency of the jury of a major international festival. And he’s very happy to fulfil this role, as he’s said. We should be pleased about this, as much as we should note that it was high time. The first African juror at Cannes was Ousmane Sembène, the Senegalese filmmaker, twenty one years after the creation of the Festival. Festivals, like world cinema, have always been concerned with the universality of their selections, but it was necessary to correct this very strong symbol that’s the presidency of the jury. Besides, Spike Lee is a great filmmaker, and that’s also and above all why he’s here. Collectif 50/50 has counted the number of women directors present in competition this year. Out of twenty-four films, there are four (the same number as in 2011 and in 2019, a record never beaten). To what extent is gender equality a criterion in your work as a selector today? Has your awareness of the lack of representation of women in festivals evolved over time? How do you concretely fight for inclusion? Selections shouldn’t be based on gender, race or religion. At least not for a universalist festival like Cannes. Or else you have to impose quotas in your rules and regulations, and say so. Cannes has broad enough shoulders for polemics, but it’s too easy to think that the under-representation of women directors is due to the Festival. It isn’t the cause, it comes at the end of the chain, not the beginning. Film schools are becoming more and more gender-balanced, the CNC [National Council of Cinematography] has a very proactive policy. We can already see the effects on the 2021 French selection and on the young films presented in Un Certain Regard. Things are changing, but we shouldn’t neglect the historical explanation (for a long time directing was reserved for men, and Varda was alone in the New Wave generation, which was composed entirely of men), or the cultural one (you can’t imagine the number of countries where there are simply no female directors), nor should we think that cinema alone could solve a question that permeates all of society. But it must do its part. Our juries, our selection committees, soon our boards, are equally composed, wherever we can. Even in the selection process, if there’s hesitation between two films, we’ll choose the one directed by a woman. And we engage in dialogue with feminist groups, whose struggles we share, and whose vigilance, and even duty to interfere, are absolutely essential. What would be the common thread of your commitment to the Cannes Festival since you started working there? Cinema, nothing but cinema. So all of life.

AU CINÉMA LE 4 AOÛT

INTERVIEW BY QUENTIN GROSSET AND JULIETTE REITZER Translation: Chloé Baker

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ALERTE INFO

BRUNO DUMONT Dans France, présenté en Compétition à Cannes, Bruno Dumont imagine une anti-héroïne contemporaine : France de Meurs, journaliste star en pleine crise existentielle, jouée par Léa Seydoux. L’occasion pour le réalisateur de L’Humanité et de P’tit Quinquin de croquer notre époque à sa manière tragicomique : en la transfigurant. France montre un milieu médiatique vulgaire, voire obscène, mû par le profit et la starification. Vous méprisez toujours autant la télévision ? Ah non, je n’ai pas de mépris pour la télévision ! Je fais la différence entre les gens et le système. Je n’aime pas le système, mais j’aime plutôt les gens. Les journalistes, je les connais, je les fréquente, c’est plutôt une élite, intellectuellement. J’aime explorer la manière dont les gens peuvent rentrer dans un système. Certains aiment ça, d’autres

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pas. Quand j’héroïse quelqu’un, ce n’est pas pour lui taper dessus. France a plein de défauts, mais je la glorifie, le film y va carrément ! Comment l’être humain peut se faire balader, s’aliéner et se libérer : voilà ce qui m’intéresse. Vos deux précédents films sur Jeanne d’Arc étaient adaptés d’écrits de Charles Péguy. France s’inspire d’un autre de ses textes, Par ce demi-clair matin, mais de manière plus libre… J’avais ce titre de Péguy en tête quand j’ai écrit parce que je sortais de Jeanne, c’était mon terreau. Mais France n’est pas du tout une adaptation. Par ce demi-clair matin était juste un titre de travail. Ça veut dire « il était une fois », c’est très joli, je trouve. Mais, pendant le tournage, j’ai passé mon temps à expliquer aux gens ce que ça signifiait et ça m’a vite énervé, personne ne comprenait. En fait, je voulais faire un film inscrit dans la modernité en m’inspirant d’époques anciennes. Et sur la nouvelle façon de penser en rapport avec le numérique. Le culte de l’instantanéité ? Voilà. Et l’incidence de ces moyens numériques sur notre façon de penser. Les médias se sont approprié la fiction, ce qui rend le cinéma un peu pauvre. C’est pour ça que mon film est une fiction totale. Je n’ai pas passé huit semaines avec une journaliste pour savoir comment ça se passe,

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ce n’est pas le sujet. Il n’y a aucune journaliste française qui fait ce que fait France de Meurs par exemple, elle a un style américain. Le sujet, c’est l’évolution des mœurs dans un nouveau système. Après Juliette Binoche dans Ma Loute, vous filmez Léa Seydoux. Utilisez-vous la même méthode avec une star qu’avec des acteurs non professionnels ? Je travaille de la même manière avec Léa Seydoux qu’avec un quidam. C’est sa nature

L’héroïne est une star du journalisme qui tombe en dépression à la suite d’un banal accident de voiture avec un jeune homme d’origine modeste. France raconte l’éclatement d’une bulle ? L’accident déclenche un truc chez France, comme si elle retournait au réel. Parce qu’elle est dans une bulle, oui, mais elle a quand même une hypersensibilité. Beaucoup continueraient leur chemin. Elle, non. Elle est hyper médiatique, mais son hypersensibilité va la faire regimber : c’est ce qui rend le film

« Son métier a quelque chose d’obscène, mais elle reste humaine. » qui m’intéresse. La méthode est la même : les acteurs ont des oreillettes et je leur parle en permanence. C’est perturbant parce qu’ils n’ont pas l’habitude. La plupart du temps, on leur fout la paix. Au lieu de leur parler entre les prises pour leur dire « On la refait, mais cette fois tu baisses la tête et tu regardes par là », je leur parle pendant qu’on tourne. Benjamin Biolay a eu du mal. Léa a bien aimé. Ça délivre du texte, de la mémoire. Ça fausse, aussi. Mais j’aime le faux.

possible. Elle est à la fois le système et pas le système. Ce qui est intéressant, c’est la complexité de cette femme. Quand France se filme sur un bateau de migrants, c’est obscène et, en même temps, elle lâche quelques larmes honnêtes. Voilà, c’est tout le film : son métier a quelque chose d’obscène, mais elle reste humaine. Elle est le mélange des deux, et c’est insupportable à vivre. L’origine du film vient de


Cannes 2021 <----- Cinéma

mes rencontres avec des journalistes : certains ont des problèmes de conscience. Ils ne sont pas bien dans ce double mouvement contraire : l’obligation industrielle de rendement et le côté glorieux du métier dans sa quête de vérité. J’ai vu des gens connus qui le vivaient très mal. D’où mon estime pour eux, car ils résistent. Et il y a un peu la même chose chez les acteurs, avec le phénomène de starification, donc, pour moi, c’était évident de prendre une actrice. France met aussi en scène, puisqu’elle dit « Action ! » et « Coupez ! » sur ses reportages en zone de guerre. Finalement les reportages télévisés, c’est du cinéma. Sauf que, devant un film, le spectateur le sait que c’est du cinéma, il y a une espèce de pacte ; alors qu’à la télé on nous fait croire que c’est la vérité. Au final, tout est du cinéma. Comme beaucoup de vos personnages, cette héroïne cherche un sens, une grâce introuvable. Oui, c’est toute sa noblesse. C’est pour ça que c’est une fille bien. Elle a un cœur à l’intérieur qui sait que tout autour d’elle n’est qu’un cirque. Tout est ambigu, c’est sûr. Je préfère cette coexistence des choses qu’une vision éthérée du bien. C’est très « Péguy » ça, l’idée qu’on est tous mêlés, donc mieux vaut chercher à s’exalter dans le présent que d’annoncer des lendemains qui chantent. L’un des motifs du film, c’est un zoom sur le visage de Léa Seydoux qui se met à pleurer. Une image en papier glacé qui se liquéfie… L’extérieur du personnage de France est sophistiqué, l’intérieur, non. Elle craque, comme poussée par la caméra. La télé la montre de manière télévisuelle, quand la caméra cinématographique va sans cesse être en train de la piquer. C’est pour ça que le film ressemble à un roman-photo, à un mélo, fidèle au personnage, et en même temps quelque chose de plus

critique lors de son reportage sur les migrants, où l’on s’extasie sur leurs visages – « Qu’est-ce qu’ils sont beaux ! » Pour moi, les journalistes deviennent fous, à trouver ainsi de la réussite dans la misère. Ils ont perdu le contact avec le sol. Vous regardez la télé ? Oui. TF1, par exemple, ça me sidère, car derrière ce spectacle il y a des industriels. Comment des gens aussi intelligents peuvent-ils fabriquer des émissions

est habitué à jouer, avec ses vidéos sur YouTube. Le montrer, c’est ambigu, mais c’est le sujet du film : comment le cinéma et la télé travaillent de concert, font la même chose. Ils font des plans et découpent, nous aussi. On fait de la fiction, eux nous disent que non. Ils mentent. Plus ou moins gravement. Et les politiques font pareil. Ils sont des industriels, certes, mais ils ont un cœur. C’est d’ailleurs ce que dit un homme politique à France dans le film, il la remet à sa place.

« France a plein de défauts, mais je la glorifie. » aussi débiles ? Comment dorment-ils ? Et en même temps, je n’y vois pas des monstres non plus, je ne suis pas une conscience pure, je ne suis pas militant, humaniste… tout ça, je déteste à égalité. Je suis plus proche de Blanche Gardin. Il ne faut pas avoir peur de taper sur tous ceux qui viennent pleurer à la télé pour nous expliquer qu’il faut aider les malheureux alors que derrière… Je n’aime pas ces gens-là. Les tartuffes. C’est pour ses idées que vous avez casté Blanche Gardin ? Oui, et parce qu’il fallait un côté comique. Je me suis dit : « Je vais faire une comédie française. » Un truc académique, avec des acteurs plus ou moins académiques. Un truc à peu près « droit ». Après, j’ai mes travers à moi… C’est moins austère que Jeanne [son film sur Jeanne d’Arc, en 2019, ndlr] quand même, non ? La facture est assez psychologique, le film repose sur les canons assez industriels. Pour mieux les tordre. Emmanuel Macron apparaît dans son propre rôle pour une scène de comédie. Pourquoi ce caméo présidentiel ? Macron était d’accord, ça l’amusait. Il

Depuis votre série P’tit Quinquin, en 2014, votre cinéma s’est converti, en partie du moins, à la comédie. Que vous a apporté cette « conversion » ? Le rire permet de faire le tour de la question. Le tragique a besoin du comique. Sinon, pas d’équilibre. On a besoin de la ligature, comme disait Victor Hugo. Les choses sont liées. Une pure tragédie, c’est abstrait. Une pure comédie, ça manque de gravité. J’ai fait du pur burlesque, maintenant j’arrive à synthétiser : France est à la fois un drame, une comédie, un mélo… Et le spectateur doit faire sa cuisine. Ce que je n’aime pas dans le cinéma français, c’est son naturalisme sociologisant, son rigorisme. C’est toujours très moral. Je ne suis pas un curé, j’aime la transgression.

Les Lalanne à Trianon 19 juin 10 octobre 2021 chateauversailles.fr

France de Bruno Dumont, ARP Sélection, sortie le 25 août PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC VERNAY

Exposition en plein air Tous les jours, sauf le lundi, de 12 heures à 19 heures

(dernière admission 18 heures)

Gratuit pour les - de 26 ans résidents de l’UE

(- de 18 ans pour les résidents hors UE)

↑ Claude Lalanne, Choupatte (2016) ©Claude Lalanne, Courtesy Galerie Mitterrand, Paris ↗ François-Xavier Lalanne, Les nouveaux moutons, Brebis (1994) ; Les nouveaux moutons, Bélier (1994) et Les nouveaux moutons, Agneau (1996) ©François-Xavier Lalanne, Courtesy Galerie Mitterrand, Paris

Photographies : ©Capucine de Chabaneix / Conception graphique : Alban Gervais

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Léa Seydoux

été 2021 – no 181

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Cinéma -----> Cannes 2021

© Carole Bethuel

TERRIBLE ENGIN

JULIA DUCOURNAU Révélée en 2017 avec le gore Grave, à l’écho international, Julia Ducournau était attendue au tournant. Virage négocié avec le débridé Titane, en Compétition à Cannes. Ce bel et monstrueux engin met en scène une danseuse killeuse greffée au titane et articule tuning organique, pompiers homoérotisés, Vincent Lindon bodybuildé, injections de testo et réflexions queer sur la parentalité. Sans trop en dévoiler, Ducournau nous parle de ce que ce film a sous son brillant capot. 34

Le retentissement de Grave vous a-t-il permis encore plus de radicalité avec Titane ? La raison pour laquelle ce film est plus radical, c’est que ça a été très dur pour moi d’écrire après Grave. Je savais que j’étais attendue, ce qui pouvait être paralysant. Mais, surtout, j’avais peur de me décevoir, de faire un film que j’aimerais moins que Grave. Je suis passée par le deuil d’une énergie, celle du premier long métrage, que je n’aurai plus jamais. Tout cela a fait que j’ai eu beaucoup de mal à écrire Titane. Je n’arrêtais pas de le comparer à Grave, c’était insupportable, je me disais que je n’allais pas réussir à créer autre chose. Cette peur-là m’a amenée à penser que la seule issue, c’était d’en avoir rien à foutre [elle nous montre son badge avec la mention « fuck », ndlr]. Quand j’ai pisté ça, j’ai juste fait ce que je voulais. Je suis contente d’avoir ressenti ça, même si ça a été douloureux pendant un an. Et donc, comment s’est déroulée l’écriture après cette angoisse de la page blanche ? J’ai écrit une première version très tôt, alors que j’étais encore dans une période où j’accompagnais Grave en festivals. Elle faisait cent quatre-vingt-dix pages. J’ai lâché sur le papier toutes les idées que j’avais en tête,

no 181 – été 2021

de manière très précise, très visuelle. Après, quand il s’est agi d’écrire la deuxième version, c’est là que j’ai eu mon blocage, je n’ai rien écrit pendant un an. Le premier jet était tellement dense que j’avais du mal à revenir dessus. Une fois délestée de toutes mes peurs, tout m’est apparu très clairement, j’en suis venue plus rapidement au cœur de l’énergie que je voulais insuffler aux spectateurs. J’ai vraiment essayé de faire un film qui décoche une flèche, qui soit avant tout une expérience dont on sorte comme d’une épreuve physique. Titane ne cesse de nous prendre par surprise. Votre plaisir de cinéaste vient-il du changement de registre ? J’adore être baladée par les films comme ça. Forcément, c’est ce que j’essaie de reproduire. J’aime beaucoup l’idée d’un film évolutif, de la même manière que la protagoniste mue. Jusqu’à la fin, le film perd des couches pour aboutir à son essence : comment l’humanité peut naître d’un monde qui est une terre brûlée stérile, où il n’y a pas d’amour ? Dans l’introduction du film, Alexia, reçoit une greffe de titane. C’est donc un cyborg, une figure qui a beaucoup été réinvestie

dans des réflexions queer. C’est dans cette optique que vous avez construit votre personnage ? Je n’ai pas vraiment pensé au terme « cy­borg ». Même si je dois dire que Terminator a joué un rôle, avec sa joue ouverte laissant voir du métal : ça a été une référence que j’ai donnée à mon maquilleur effets spéciaux. S’agissant du personnage, le mot « hybride » m’est beaucoup venu en tête, celui de « créature » aussi. Mais ce truc de « cyborg » me perturbe un petit peu… En fait, pour moi, l’idée, c’était de montrer que les contours de la féminité sont beaucoup plus flous et flexibles que ce qu’on voit dans le premier plan-séquence, dans le salon automobile : Alexia [incarnée par Agathe Rousselle, ndlr] est archi sursexualisée, suriconisée et évidemment surstéréotypée. Je voulais faire sentir que la féminité était elle-même une forme d’hybridité, qu’on pouvait finalement se créer soimême, comme on le souhaite. Tout est affaire de genre : dès qu’une question se pose par rapport à ça, la mise en scène va dans l’autre sens pour brouiller les pistes. Alexia enchaîne les meurtres sans que ceux-ci soient mis en perspective par rapport à un éventuel passé traumatique. Ça


FESTIVAL INTERNATIONAL - LILLE / HAUTS-DE-FRANCE


Cinéma -----> Cannes 2021

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c’est suffisamment wide pour dire qu’il y a là un mouvement, une génération ? Je ne sais pas. Historiquement, pourquoi d’après vous le cinéma de genre a-t-il eu plus d’écho aux États-Unis qu’en France ? John Carpenter, Wes Craven, à l’époque où ils faisaient des films, ont été bien pourris, conspués, ça n’a pas été tout de suite un succès. Pourtant, depuis les

comédie. Alphaville, pareil : si c’est pas le film le plus perché de la planète, je ne sais pas ce que c’est. Le cinéaste Bertrand Bonello fait une apparition dans le film. À quels fils de son cinéma vous rattachez-vous ? Ce que j’admire beaucoup chez lui, c’est à quel point il est intransigeant, implacable avec sa vision, sa musique personnelle – car il compose lui-même la musique de

« Je voulais faire sentir que la féminité est une forme d’hybridité. » années 1970, aux États-Unis, ça s’installe beaucoup plus fort. Tous ces films traitant indirectement de la guerre du Viêt Nam ont vachement permis ça, des films d’anticipation comme Punishment Park de Peter Watkins, ou Délivrance de John Boorman, les survivals. Je pense que ça a joué culturellement comme canalisation de la violence. En France, le genre existait dans les années 1950-1960, mais il y avait une forme d’académisme. Donc ces cinéastes ont fait partie de cette génération que la Nouvelle Vague a voulu envoyer péter. Après la Nouvelle Vague, c’est un tsunami qui dure cinquante ans. Je ne sais pas pourquoi ça a été aussi impitoyable par rapport au cinéma de genre, pourquoi il n’y a pas eu de résurrection plus tôt… Mais ce qui est bizarre, c’est que, moi, j’ai toujours considéré les films de Jean-Luc Godard comme des films de genre, mais ce n’est pas ça qu’on en retient, ce qui est resté. Pierrot le Fou, ça mélange plein de genres, le polar, le film de gangsters, le film d’amour, la

ses films. Il est très radical, je trouve ça fou. C’est quelqu’un qui ne fait pas de concessions. Je crois que je n’en fais pas non plus. Pour la suite, quelles sont vos envies de cinéma ? Je suis déjà en train de préparer mon troisième long métrage et j’ai aussi un projet aux États-Unis. Ce qui m’intéresse en travaillant là-bas, c’est d’exporter ma signature très brute, très organique, dans une industrie qui ne l’est pas du tout. Titane de Julia Ducournau, Diaphana (1 h 48), sortie le 14 juillet PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET Photographie : Philippe Quaisse / Pasco&Co pour TROISCOULEURS

© Carole Bethuel

vous saoule, la psychologisation à outrance au cinéma ? Oui. Moi, j’aime beaucoup manier les symboles, jouer avec, les dévoyer énormément, avec le scénario et surtout avec la mise en scène. Parce que le symbole sollicite quelque chose de profond en nous : la psyché, l’inconscient de l’humanité. Du coup, on peut comprendre, être touché par une situation sans forcément en avoir les tenants et les aboutissants, parce que ce qu’on voit fait appel à des émotions, à des images qui sont celles de tout le monde. Moi, ça m’aide. D’autant plus qu’il n’y a pas beaucoup de dialogues dans le film, je ne suis pas fan de grandes scènes dialoguées, ou alors je ne sais par les écrire. J’ai beaucoup pensé à deux films en voyant le vôtre, notamment pour sa manière de mêler moteurs, érotisme et féminisme. D’abord Crash de David Cronenberg, puis Faster, Pussycat! Kill! Kill! de Russ Meyer. Ont-ils été importants pour vous ? Franchement, Faster, Pussycat! Kill! Kill!, not so much. Car j’ai besoin d’un peu de premier degré quand même – surtout en maniant le symbole, d’ailleurs. Je ne suis pas très satire, même si le film de Russ Meyer me fait marrer. J’aime moi-même intégrer de la comédie, qu’elle intervienne quand le spectateur souffre. Je filme des choses très intenses, et même moi j’ai besoin de soupapes, pour souffler un peu. Par contre, Crash, qui n’est que premier degré, me plaît énormément. Évidemment, j’y ai pensé à plein d’égards. Mais, en même temps, c’est un film extrêmement clinique, très froid, désincarné. Je n’ai pas voulu aller vers ça, dans le sens où dans le film on observe comment un amour inconditionnel peut jaillir de la violence et d’une détresse absolue. Tout le début du film se situe dans le milieu du tuning. Qu’est-ce qui vous plaît dans

cette imagerie ? Avez-vous déjà été liée de près ou de loin à cet univers ? Je n’ai même plus mon permis ! Quand j’ai commencé à réfléchir au film, j’ai pensé « métal », j’ai pensé « peau », à leur rapport complètement aberrant, car l’un est froid et mort, l’autre est chaud, vivant. Très vite, j’ai pensé aux bagnoles, qui ne sont pas ma passion. Mais filmer des bagnoles comme des corps, ça m’intéressait. Pour les premières images du film, avec l’intérieur du moteur, le châssis avec les gouttes, j’ai dit à mon chef op et mon monteur son que je voulais que ce soit organique, qu’on ait l’impression que ce sont des intestins. Le tuning, c’est comme si on rajoutait des organes à des voitures. C’est un univers où tout est boursouflé : les hôtesses du salon auto sont surmaquillées, je voulais que les bagnoles le soient aussi. Tout ça pour dénoncer le parallèle entre les femmes et les bagnoles dans ce hangar, pour montrer que cette objectification est un leurre total. Mais, à la différence des autres hôtesses, on sent qu’Alexia fait corps avec la voiture. Vous, Yann Gonzalez, Coralie Fargeat… En France, les cinéastes qui intègrent des éléments de cinéma de genre dans leur film sont souvent intéressés par des problématiques queer ou féministes. Comment l’expliquer ? C’est vrai que les films de la nouvelle génération américaine ne sont pas très queer. Le genre est tellement installé là-bas qu’on trouve des films maîtrisés, mais qui n’ont pas forcément envie de déranger, de brouiller les pistes, de dérouter. Vu que le genre est moins bien accueilli en France – même s’il y a un renouveau depuis quelques années –, je pense que c’est tellement récent pour nous que ça sort de manière plus radicale pour l’instant, parce qu’on est quand même encore outsiders. C’est normal qu’on ait envie de foutre un pavé dans la mare. Ça s’explique peut-être aussi par nos références. Après, est-ce que

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TÉLÉRAMA ELIZA SCANLEN

M I L L A UN FILM DE SHANNON MURPHY

LE 28 JUILLET


Cinéma -----> « Bergman Island »

L’ÎLE MYSTÉRIEUSE

« Il y a des fantômes dans Bergman Island, mais ils ne sont pas à l’écran, ils sont lovés dans les souvenirs. »

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Vicky Krieps et Tim Roth

MIA HANSEN-LØVE Comment s’écrit un film ? Dans Bergman Island (en Compétition officielle à Cannes), Mia Hansen-Løve (Eden, L’Avenir) décrit le mystérieux processus créatif d’une jeune cinéaste (Vicky Krieps) venue chercher l’inspiration sur l’île de Fårö, décor des films d’Ingmar Bergman. Un film de paysages et d’états d’âme, quelque part entre la vie et la fiction, hanté par le fantôme du maître suédois et de ses films. Discussion inspirée avec une cinéaste médium.

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Pourquoi avez-vous eu envie de faire de l’île de Fårö le personnage presque central du film ? Depuis très jeune, j’ai un rapport presque métaphysique, très sensoriel avec les lieux. Ce qui me plaît, c’est la vie invisible. Il n’y a rien de plus troublant que d’être quelque part et de sentir soudain le passé remonter à la surface. Quand je vais sur l’île de Fårö, je fais un film sur un lieu hanté par un homme, mais aussi par ses films. Au fond, j’essaie de raconter et de filmer combien ce lieu existe à la fois dans le présent, mais combien il est constamment traversé par des images du passé. Quand on arrive sur cette île, on est comme hors du temps. Et ça produit, forcément, quelque chose de très intime, de très inspirant, bouleversant, que je voulais essayer de saisir. À vous écouter, on dirait presque un film de fantômes, de hantise… Pas au sens littéral. Mon cinéma est, je crois, à l’opposé du cinéma de genre. En tant que spectatrice, j’adore me plonger dans des univers très codifiés, très romanesques. Mais je ne sais faire, moi, que des films qui

no 181 – été 2021

parlent de la vie ; c’est-à-dire libérés des codes, du récit, d’un but, en fait. Les règles imposées par le genre, quel qu’il soit d’ailleurs, créent un cadre. Je veux faire des films qui se déplacent tout le temps, hésitent, cherchent, questionnent et ne trouvent peut-être pas forcément de réponse. Il y a des fantômes dans Bergman Island, mais ils ne sont pas à l’écran, ils sont lovés dans les souvenirs et la fiction, dans les histoires qu’on se raconte. C’est une sensation, un état indescriptible que j’essaie de capter par la vie de mes personnages. À travers les films de Bergman, on a une image inquiétante et sombre des paysages de Fårö. Au contraire, votre film est très solaire, lumineux, apaisé. Une façon de vous démarquer de son cinéma ? Je ne veux absolument pas me mettre dans les traces du cinéma de Bergman. J’ai bien trop de respect pour son œuvre ! Bergman faisait un cinéma extrêmement sombre, qui n’avait pas peur de regarder en face les choses les plus terribles de la vie et de l’être humain. Je suis, moi, plus intéressée par la lumière. Tout ce qui nous ramène toujours

dans la vie, nous fait avancer, nous ébranle vers le mieux. La noirceur de Bergman nous renvoie aussi à l’intime, mais c’est un autre chemin. J’aimais l’idée de réinventer ces lieux par la douceur, de les regarder de l’autre côté du miroir. Quand je pars écrire ce film sur cette île, quand je le tourne là-bas, je me confronte à mon incapacité aussi à la noirceur. Je viens chercher sur l’île mon opposé, mon envers, comme pour provoquer quelque chose en moi. Je voulais utiliser Bergman pour aller vers la lumière. L’admiration pour le travail d’autres cinéastes est-elle un moteur ou un frein ? J’aurais du mal à vous répondre de manière tranchée. Bergman est comme un moteur, sa présence partout sur l’île de Fårö rend l’idée du film possible. Au fond, c’est Berg­ man au travail qui m’inspire. Comment écrit-­on de tels films ? Par quel processus ce cinéma naît-il ? Quand j’arrive à Fårö, je pars à la recherche de ces mystères pour éclairer ma propre création. Le film raconte l’histoire d’une libération, celle de mon héroïne. Petit à petit, elle finit par se libérer du poids de ce lieu, de l’aura de son compagnon [joué


« Bergman Island » <----- Cinéma

La critique

LES MÉTAMORPHOSES Avec sa mise en scène gracieuse et son art de l’introspection, Mia Hansen-Løve s’attaque, dans Bergman Island, aux mythes de l’amour et de la création. Telles ses héroïnes secrètement tourmentées sillonnant l’île fantasmatique de Fårö en quête d’elles-mêmes, la cinéaste semble venir exorciser ses peurs et façonne une œuvre à la beauté foudroyante. Mia Hansen-Løve a souvent puisé dans sa palette de souvenirs pour composer ses fictions : la relation avec un homme plus âgé dans Un amour de jeunesse en 2011 (la réalisatrice est en couple avec le cinéaste Olivier Assayas), l’ascension et les déboires d’un jeune DJ de la French Touch dans Eden en 2014 (inspiré de son frère, Sven Løve), la remise en question d’une prof de philosophie dans L’Avenir en 2016 (ses parents étaient profs de philo). Si elle a toujours excellé dans la délicatesse de son trait, elle n’avait encore jamais peint un portrait si riche et puissant que celui qu’elle semble faire d’elle-même dans Bergman Island. On y suit un couple de cinéastes (Tim Roth et Vicky Krieps, désarmants de naturel) séjournant quelques jours pour écrire sur l’île suédoise où Bergman s’était installé et a tourné plusieurs chefs-d’œuvre (Persona, Scènes de la vie conjugale…). Tout est admirable, du lieu de villégiature – magnifique maison en pierre adjointe d’un moulin aménagé – au restaurant « chic et décontracté » du coin en passant par les décors sauvages de l’île. Si le soleil est éclatant, les ombres planent, évidemment : celle de Bergman, étouffante pour la jeune créatrice, mais surtout celle de son amoureux qui, auréolé de reconnaissance, peut tranquillement libérer son imagination pour écrire son prochain film. L’émancipation, l’héroïne la trouvera sur des chemins moins évidents, dans des endroits plus secrets, par des fulgurances moins clinquantes mais qui touchent au plus profond de l’âme. Ainsi des retrouvailles incandescentes entre deux anciens amants (joués par Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie dans un film dans le film que l’on aimerait voir durer) sur la même île, qui jaillissent in fine de son inconscient. Et Mia Hansen-Løve de proposer une résolution des conflits intérieurs : plutôt que l’adhésion ou le rejet d’un état, la subtile composition. TIMÉ ZOPPÉ

été 2021 – no 181

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Cinéma -----> « Bergman Island »

par Tim Roth, ndlr], et par créer. L’île de Bergman fait naître en elle un film. Je voulais que le film obéisse à ce rythme, qu’on ressente l’attente, l’impasse, le doute, et que soudain le film se déploie, se gorge de personnages et d’histoires comme un flot. Peut-être faut-il ce temps à l’héroïne, celui des images des autres, le poids du passé pour que soudain son cinéma, l’his-

« Je voulais utiliser Bergman pour aller vers la lumière. » toire qu’elle porte en elle, advienne. C’est assez mystérieux, les moyens par lesquels quelque chose qui était bloqué, qui nous échappait, ne l’est plus. Je crois que les cinéastes qu’on aime, les films qu’on admire provoquent en nous une telle proximité, une telle familiarité qu’on se sent forcément accueilli par eux. Comme un langage secret. Bergman est comme une ombre bienveillante pour moi. Ça peut paraître bizarre de

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dire ça d’un homme si peu aimable, si peu hospitalier, dont la vie et le cinéma sont pleins d’épines. Comment percevez-vous justement ce rapport entre l’œuvre et la vie, l’homme et l’artiste ? Dans le film, l’héroïne comprend que Bergman ne s’est quasiment jamais occupé de ses neuf enfants. Oui, mais ce n’est pas un point de vue moral. Ce rapport compliqué entre la création et la vie, entre l’artiste et sa famille, ce sont des sujets qui me passionnent. Mais je ne condamne ou ne juge personne. Le génie de Bergman n’excuse ou n’explique rien. C’est un fait, c’est tout. Cet homme a vécu pour ses films, pour sa création. Depuis que j’ai commencé à faire des films, je me demande comment on peut vivre et créer en même temps. Est-ce que c’est possible ? Est-ce que vivre pour faire des films, c’est compatible avec la vie des autres ? Je ne sais pas. Est-ce qu’écrire un film ça part toujours de soi, de sa vie ? Moi, j’ai besoin de ressentir quelque chose de très intime qui m’amène vers des personnages, une histoire, des sentiments. Le cinéma, ce n’est jamais tout à fait soi ni

Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie

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jamais tout à fait un autre. Le film raconte cette confusion nécessaire entre la vie et le cinéma. En basculant entre le réel et la fiction, j’essaie de montrer comment les deux dialoguent et s’inspirent l’un de l’autre. La fiction est comme une ivresse dans laquelle je pourrais me perdre, et peut-être me trouver. Le cinéma répare, libère, inquiète, trouble tout de notre rapport au monde, comme un vertige. Ce vertige, c’est ici celui du film dans le film, avec votre première héroïne, Chris (Vicky Krieps), qui en invente une autre, Amy (Mia Wasikowska). Que racontent de vous ces deux héroïnes et ce choix d’actrices ? Ce sont les deux faces d’un même personnage, mais rien n’est si clair. Il y a de moi dans ces deux histoires, tout comme il y a de moi dans ces deux actrices. C’est une question de désir, de projection inconsciente. Je ne suis pas Vicky, je ne suis pas Mia, mais à travers elle j’ai envie que le spectateur me suive. J’aime l’enfance de Mia, son énergie, sa façon d’être toujours au bord de la jeune fille et du devenir femme. Son histoire raconte ça. Alors que chez Vicky la fébrilité est tout autre, plus cérébrale, plus intérieure, et appelle à d’autres histoires. En passant de

l’une à l’autre dans le récit, quelque chose s’éclaire tout en restant mystérieux. Est-ce que l’aboutissement de ce vertige, ce serait de vous mettre en scène à l’écran ? C’est une idée qui traîne parfois mais je n’ai pas envie d’y céder. J’adore la façon dont Nanni Moretti franchit cette frontière avec humour et délicatesse. Il a trouvé le moyen de faire corps avec son cinéma. Moi, j’en serais incapable. Et puis j’ai l’impression que mon cinéma est tellement intime, tellement impudique dans la façon dont je m’y expose que d’apparaître à l’écran serait presque obscène. La fiction est comme un pacte entre le spectateur et moi, une façon pour moi de lui parler et pour lui de m’écouter. Le cinéma, c’est forcément l’ailleurs. Bergman Island de Mia Hansen-Løve, Les Films du Losange, sortie le 14 juillet PROPOS RECUEILLIS PAR RENAN CROS


AU CINÉMA LE 11 AOÛT


Cinéma -----> Abbas Kiarostami

© Kanoon

ABBAS KIAROSTAMI

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© Kanoon

1 Le Passager (1974)

2 Les Élèves du cours préparatoire (1984) 2

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C’est l’événement cinéphile de ce début d’été. En collaboration avec mk2 et la Fondation Kiarostami, le Centre Pompidou organise jusqu’au 26 juillet une exposition et une rétrospective intégrale, autour de l’œuvre magique et protéiforme du maître iranien. Cet hommage au réalisateur et à son univers fascinant et poétique est accompagné d’une ressortie en salle de chefs-d’œuvre et inédits, grâce à un travail méticuleux de restauration des copies originales conduit depuis plusieurs années par mk2. Nous vous proposons à cette occasion deux articles parus dans notre hors-série consacré à Abbas Kiarostami, toujours disponible sur notre site Internet. Une plongée dans l’univers fascinant et poétique du maître iranien, Palme d’or en 1997 avec Le Goût de la cerise.

« Où est l’ami Kiarostami ? », jusqu’au 26 juillet au Centre Pompidou avec mk2 • Rétrospective Abbas Kiarostami, à partir du 2 juin, 13 films et 7 courts métrages en versions restaurées (Carlotta Films)


BLUE MONDAY PRODUCTIONS présente

S AMI OU TAL B AL I ZBEID A BEL H A J AMOR

UN FILM DE

LE YL A B O U Z I D

AVEC

DIONG-KÉBA TACU AURÉLIA PETIT MAHIA ZROUKI BELLAMINE ABDELMALEK MATHILDE LA MUSSE SAMIR ELHAKIM KHEMISSA ZAROUEL SOFIA LESAFFRE SCÉNARIO LEYLA BOUZID IMAGE SÉBASTIEN GOEPFERT MONTAGE LILIAN CORBEILLE MUSIQUE ORIGINALE LUCAS GAUDIN SON NASSIM EL MOUNABBIH, ANTOINE BAUDOUIN, NIELS BARLETTA DIRECTEUR DE PRODUCTION PIERRE DELAUNAY CASTING STÉPHANIE DONCKER ASSISTANTE MISE EN SCÈNE CAMILLE SERVIGNAT DÉCORS LÉA PHILIPPON SCRIPTE LEÏLA GEISSLER COSTUMES CÉLINE BRELAUD MAQUILLAGE FLORE CHANDÈS

PRODUCTRICE SANDRA DA FONSECA PRODUCTEURS ASSOCIÉS BERTRAND GORE, NATHALIE MESURET UNE PRODUCTION BLUE MONDAY PRODUCTIONS EN COPRODUCTION AVEC ARTE FRANCE CINÉMA AVEC LE SOUTIEN DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE AVEC LA PARTICIPATION DE CANAL+, CINÉ+, ARTE FRANCE EN ASSOCIATION AVEC CINÉMAGE 14 AVEC LA PARTICIPATION DU FONDS IMAGES DE LA DIVERSITÉ – AGENCE NATIONALE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES – CNC AVEC LE SOUTIEN À LA RÉÉCRITURE DE LA RÉGION NORMANDIE EN PARTENARIAT AVEC LE CNC EN ASSOCIATION AVEC NORMANDIE IMAGES DEVELOPPÉ AVEC LE SOUTIEN DE COFINOVA DÉVELOPPEMENT, PROCIREP/ANGOA SCÉNARIO DÉVELOPPÉ AU GROUPE OUEST AVEC LE SOUTIEN DU BREIZH FILM FUND DISTRIBUTION FRANCE PYRAMIDE DISTRIBUTION VENTES INTERNATIONALES PYRAMIDE INTERNATIONAL

©2021 BLUE MONDAY PRODUCTIONS – ARTE FRANCE CINÉMA

© 2021 - Pyramide - Louise Matas - Zbeida Belhajamor

A U CIN ÉM A L E 1 ER S EP T EMB R E


Cinéma -----> Abbas Kiarostami

LIBRE JEU

Dans Close-Up, il nous interroge : la comédie d’un homme peut-elle renfermer sa vérité ?

Abbas Kiarostami n’est pas un maître. Voilà, c’est dit. Ça ne veut pas dire qu’il n’a pas fait école – de Martin Scorsese à Marjane Satrapi, des créateurs du monde entier clament leur amour pour ses films, mais l’assimiler à cette position un peu sévère, ça ne colle pas avec son cinéma à la fois humble et joueur. C’est que son œuvre vise l’égalité entre le créateur et le spectateur ; dans une relation horizontale, pas verticale. Enfin, peut-être un peu zigzagante en fait, car les routes sinueuses qu’on longe dans ses films, ses poèmes, ses photos s’amusent à nous disperser. S’il est particulièrement difficile de retracer la vie intime d’Abbas Kiarostami l’insaisissable, toujours dans la retenue, on peut tenter d’en trouver des traces dans ses jeux de pistes espiègles.

LA BONNE ÉCOLE Kiarostami nous apprend à désapprendre, à déconstruire, à questionner. Dans son œuvre, on ne se soumet pas aveuglément aux figures consacrées ; on les met en doute, on joue avec. Comme quand il désacralise et se réapproprie les œuvres des grands poètes persans classiques ou contemporains (Omar Khayyām, Saadi, Forough Farrokhzad) dans les dialogues de ses films ou dans ses propres recueils (Avec le vent, P.O.L, 2002). Ou bien quand il nous amène à nous méfier du comportement des adultes – dans Cas n° 1, cas n° 2 (1979) ou dans Où est la maison de mon ami ? (1987), nous sommes face à des gamins qui ont raison de désobéir. Cette foi en l’éducation « tête bien faite plutôt que bien pleine » lui vient de son début de carrière. Fils d’un peintre en bâtiment de Téhéran, il a 29 ans quand il devient le réalisateur attitré du Kanoon, l’Institut iranien pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes, créé au milieu des années 1960 (lire p. 46). Jusque-là, il a mené de front un emploi administratif à la police de la route et des études de peinture,

© D. R. mk2

Toujours derrière ses lunettes fumées, le cinéaste iranien Abbas Kiarostami, disparu en 2016 à Paris à l’âge de 76 ans, cachait bien son jeu avec son air d’ascète : d’une profondeur existentielle rare, son œuvre est aussi incroyablement ludique. De ses premiers films pédagogiques (Les Couleurs, Rage de dents) jusqu’à ses photographies animées numériquement (24 Frames), en passant par ses anti-road movies entêtants (Le Goût de la cerise), l’artiste a expérimenté bien des médiums – cinéma, poésie, photographie, vidéo –, maniant l’art de la surprise et de la bifurcation avec la même malice que les enfants têtus qu’il a toujours aimé filmer.

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et il a réalisé quelques pubs, génériques de films, illustrations de livres pour enfants qui lui ont permis de développer son inventivité graphique. Au Kanoon donc, Kiarostami réalise des films pédagogiques qui constituent pour lui des supports ludiques d’expérimentation visuelle, comme dans Les Couleurs (1976), pur amusement formaliste manifestant un attrait chromatique sensuel. Sous l’apparence légère et la fonction didactique de ces films, Kiarostami glisse un humour, une malice, ouvre une discussion. Avec astuce, il aborde sans en avoir l’air les problématiques contemporaines de la société iranienne – comme dans Cas n° 1, cas n° 2, mais aussi, par exemple, dans Hommage aux professeurs en 1977, qui évoque les revendications salariales des enseignants. Et ce même lorsque la censure, mise en place au milieu des années 1980, après la révolution iranienne, vient obliger le cinéma à se conformer aux normes islamiques. Jusqu’au milieu des années 1990, choisissant de rester dans son pays, il détournera cette contrainte à force d’allégories aux contours toujours volontairement flottants.

1 Le Goût de la cerise (1997) 2 Close-Up (1990) 3 La Récréation (1972) 2

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no 181 – été 2021

JEUX DE HASARD Et, en même temps, son œuvre reste simple, directe, comme un jeu d’enfant. Sa caméra s’attarde souvent d’ailleurs sur des gamins qui jouent, parfois courant après des ballons (dans La Récréation en 1972, dans Le Passager en 1974). Ballons auxquels les petits héros donnent une direction, mais qu’ils doivent suivre dans leurs détours capricieux. Ces bifurcations apparaissent à la fois comme un éloge de la surprise, une figure de l’apprentissage, et rejoignent la forme narrative, classique, de la quête, avec ses obstacles, ses détours. Chère à Kiarostami, on la retrouve notamment, sur un ton plus amer, dans Le Goût de la cerise (1997), où les allers-retours en voiture de M. Badii incarnent peut-être le début d’une hésitation par rapport à son objectif premier de trouver quelqu’un qui accepte de l’enterrer après son suicide. Comme ses personnages


Abbas Kiarostami <----- Cinéma

arpentant les routes, Kiarostami lui-même affectionnait les voyages en roue libre, en témoignent ses virées solitaires au hasard des campagnes en périphérie de Téhéran pour faire des photographies de paysages nus ou, plus loin, en Ouganda (ABC Africa, 2001), en Italie (Copie conforme, 2010), au Japon (Like Someone in Love, 2012). Si ces échappées sont parfois contraintes (à la fin de sa vie, le régime des mollahs ne lui donne plus les autorisations pour tourner), elles sont toujours pour lui des manières de se révéler autrement – dans ABC Africa, par exemple, l’utilisation d’une caméra digitale lui offre plus de légèreté. L’artiste reste cependant ancré en Iran : il reviendra ainsi toujours au sous-sol de sa propriété, dans le quartier de Chizar, au nord de Téhéran, où il s’est aménagé un atelier d’artisan pour écrire, lire des poèmes ou travailler le bois (il encadrait lui-même ses photos et fabriquait ses meubles).

JEUX DE RÔLES

QUENTIN GROSSET

PRINCES PRODUCTION PRÉSENTE

UN FILM DE

AVEC DAVID MURGIA - SLIMANE DAZI - KAROLINE ROSE SUN - SUZANNE AUBERT PHOTO : BRUNO CHAROY

Kiarostami aimait les énigmes, parlant peu de ses opinions politiques, de ses croyances, de sa vie privée. On sait tout juste que, marié en 1969 avec l’artiste Parvin Amir-Gholi, avec laquelle il a eu deux fils nommés Ahmad et Bahman, il s’en est séparé en 1982. Parle-t-il à regret de cette rupture à travers le personnage principal de Ten (2002), une femme divorcée qui dénonce la pression de la société iranienne sur celles qui quittent leurs hommes ? Pas sûr que la lecture autobiographique de l’œuvre soit un moyen pertinent pour cerner l’homme. S’identifiait-il plutôt à l’imposteur vivant seulement pour l’art de Close-Up (1990) ? Dans cette méditation sur le bluff, il nous interroge : la comédie d’un homme peut-elle renfermer sa vérité ? Questions qui peuvent laisser penser que Kiarostami est un tricheur assumé. Surtout si l’on sait que, malgré les apparences d’une œuvre tournée vers l’aléatoire, aucun détail n’y est laissé au hasard : c’est lui qui, sur le flanc de la colline d’Où est la maison de mon ami ? (1987), a tracé l’emblématique chemin en forme de Z. C’est aussi lui qui, pour Le vent nous emportera (1999), a décidé de refaire le sol pour qu’une pomme roule dessus dans un sens bien précis. Mais s’il joue et se moque des règles, Kiarostami ne dupe pas pour autant ses spectateurs ; il les laisse juste dans le flou. Ainsi, dans le même film, il caractérise le moins possible son héros qui se dit ingénieur venu, on ne sait trop pourquoi, dans un village perdu du Kurdistan iranien. Kiarostami ne truque pas, il s’efface plutôt pour laisser le spectateur jouer. Précieux sont les cinéastes aussi confiants dans l’intuition de leurs spectateurs, leur laissant toutes les cartes en main.

SCÉNARIO ORIGINAL TONY GATLIF IMAGE PATRICK GHIRINGHELLI SON PHILIPPE WELSH PRODUCTRICE DELPHINE MANTOULET COPRODUCTRICE MAJA HOFFMANN MONTAGE MONIQUE DARTONNE MONTAGE SON ADAM WOLNY MIXAGE DOMINIQUE GABORIEAU 1ER ASSISTANT RÉALISATEUR VALENTIN DAHMANI DÉCORS PHILIPPE KARA-MOHAMED MUSIQUES ORIGINALES KAROLINE ROSE SUN NICOLAS REYES MANERO TONY GATLIF DELPHINE MANTOULET UNE PRODUCTION PRINCES PRODUCTION EN COPRODUCTION AVEC LUMA DÉLÉGUÉ PAR LUMA À LA COPRODUCTION TONY GUERRERO AVEC LA PARTICIPATION DE CANAL+ ET CINÉ+ AVEC LE SOUTIEN DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE , DE LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR , DE LA RÉGION NOUVELLE-AQUITAINE ET DU DÉPARTEMENT DES LANDES EN PARTENARIAT AVEC LE CNC AVEC LA PARTICIPATION DU FONDS IMAGE DE LA DIVERSITÉ - COMMISSARIAT GÉNÉRAL DE L’ÉGALITÉ DES TERRITOIRES - CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE EN ASSOCIATION AVEC CINÉMAGE 14 DISTRIBUTION FRANCE ET VENTES INTERNATIONALES LES FILMS DU LOSANGE BANDE ORIGINALE DISPONIBLE

LE 4 AOÛT AU CINÉMA été 2021 – no 181

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Cinéma -----> Abbas Kiarostami

© Kanoon

Imaginé en 1964 pour diffuser la littérature jeunesse à travers les régions les plus reculées d’Iran, l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes, nommé Kanoon (« institut »), est vite devenu un labo d’expérimentation multidisciplinaire qui a fait émerger Abbas Kiarostami mais aussi des cinéastes comme Amir Naderi ou Bahram Beyzai. Par-delà les chamboulements politiques du pays, ces artistes ont formé les consciences de toute une génération à travers des productions moins innocentes qu’il n’y paraît.

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Du Pain et la Rue (1970) à Et la vie continue (1991) en passant par Le Passager (1974), Abbas Kiarostami a commencé sa carrière de cinéaste et a réalisé une grande partie de ses films sous la bannière du Kanoon : une vingtaine de courts, moyens et longs métrages dont la vocation première était pédagogique, et dont certains n’avaient jamais été montrés avant la rétrospective du Centre Pompidou. Comme lui, les autres artistes du Kanoon, des cinéastes, mais aussi des illustrateurs ou des écrivains, ont eu à cœur de donner aux enfants les moyens d’une émancipation du regard, ce que la spécialiste du cinéma iranien Agnès Devictor, coautrice avec Jean-Michel Frodon d’Abbas Kiarostami. L’œuvre ouverte (Gallimard), nous décrit en interview comme une « éthique de la responsabilité » : aiguiser le sens moral des spectateurs sans tomber dans le moralisme.

BIBLIO-MOBILES Pas évident d’assumer cette ambition culturelle dans un état autoritaire, celui du shah Mohammad Reza Pahlavi, dont le règne s’étend de 1941 à 1979. Mais les débuts du Kanoon, dont le logo représente un oiseau posé sur un livre, correspondent à une période de relative stabilité pour l’Iran qui suit la « révolution blanche » de 1963 – désignant une série de réformes qui visent à moderniser le pays, comme la mise en place d’une « armée du savoir » pour lutter contre l’analphabétisme dans les villages. La création de l’institut part d’un constat de sa fondatrice et directrice Leyli Amir-Arjomand, amie d’enfance de Farah Pahlavi, la troisième épouse du shah : en Iran, où la poésie est sacralisée, il n’y a pas de littérature jeunesse. Dans un esprit de démocratisation de la culture, des vans reconfigurés en bibliothèques itinérantes sillonnent donc le sud pauvre de Téhéran, puis le dispositif évolue et se déploie dans les provinces les plus désolées d’Iran, et enfin dans les plus grandes villes. Y sont diffusées des traductions de nouvelles, de contes, puis des œuvres originales comme Le Petit Poisson noir (1968) de Samad Behrangi. Ces maisons de l’éveil deviennent vite des lieux multidisciplinaires où se tiennent des ateliers de théâtre, de dessin, de peinture, et bientôt de cinéma avec, en 1966, la création du premier festival international du film pour enfants de Téhéran, grand succès public qui permet à l’institut d’obtenir des fonds pour s’investir dans le développement de cet art.

PÉDAGOGIE DES REGARDS 2

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1 Où est la maison de mon ami ? (1987)

3 Les Couleurs (1976)

2 Cas no 1, cas no 2 (1979)

4 Devoirs du soir (1989)

La branche cinéma du Kanoon ouvre en 1969 sous la direction d’Abbas Kiarostami (section documentaire), rejoint par Ebrahim Forouzesh (unité fiction). Elle se distingue

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vite par sa faculté à créer de nouvelles formes, notamment dans l’animation avec par exemple The Mad Mad Mad World (Donya-ye divane divane divane, 1975) de Noureddin Zarrinkelk, qui s’empare de géopolitique en animant une carte du monde, ou Black and White (Siah-o sefid, 1972) de Sohrab Shahid Saless, qui use du stop motion pour s’interroger sur la naissance de la violence. Les créateurs proposent des œuvres didactiques mais pas rigides, le seul impératif étant qu’elles plaisent aux enfants ; une exigence plutôt vague. Les auteurs peuvent donc développer un style, des problématiques personnelles qu’on ne lierait pas a priori à un univers enfantin: Expérience (1973) d’Abbas Kiarostami s’autorise une certaine noirceur en parlant des tensions entre classes. « L’enjeu n’est pas de faire des films mièvres. C’est un laboratoire qui réfléchit à une pédagogie du regard. Ces films disent: “ne regardez pas bêtement, ne faites pas confiance aveuglément à ce qu’on vous montre” », explique Agnès Devictor. Au Kanoon, dont le directeur de publication Firouz Shirvanlou est ouvertement marxiste, le politique s’insère dans les questionnements éthiques. Dans Cas n° 1, cas n° 2 (1979), Kiarostami pose par exemple cette fiction : un professeur décide d’exclure

© Kanoon

L’ÉCOLE DU REGARD 3

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va au contraire être de rester, de travailler encore plus, d’inventer des choses, de ne rien lâcher », décrypte Agnès Devictor. Le Kanoon va prendre un nouvel essor

Les artistes du Kanoon ont eu à cœur de donner aux enfants les moyens d’une émancipation du regard. sept élèves sauf si quelqu’un dénonce celui qui a lancé le chahut. Le cinéaste soumet la saynète à des représentants politiques et spirituels, et leur confrontation de points de vue sur cette tranche de vie innocente anticipe, l’air de rien, toutes les déchirures politiques qui vont suivre – le film a été réalisé pendant la révolution de 1979 qui a entraîné la chute du shah et l’avènement de la république islamique.

UNE AUTRE IMAGE DE L’IRAN Institution créée sous le régime du shah, le Kanoon aurait pu disparaître après la révolution de 1979. Et pourtant il perdure, se dotant d’une charte pour se conformer aux nouvelles normes idéologiques – dans la façon de représenter les relations hommesfemmes notamment, ou les tenues islamiques. « Pendant un temps, c’est difficile. Beaucoup de producteurs et de réalisateurs quittent le pays. Le parti d’Abbas Kiarostami

dans cette période troublée : certains films comme Le Coureur (Davandeh, 1985) d’Amir Naderi et bien sûr Où est la maison de mon ami ? (1987) de Kiarostami s’exportent, donnant au monde un aperçu plus sensible et complexe de l’Iran que celui renvoyé par les médias occidentaux, limité aux seules images d’un régime autoritaire. Kiarostami, lui, prendra l’importance qu’on lui connaît dans le cinéma mondial. S’il poursuit son travail au sein du Kanoon jusqu’à Et la vie continue avant de se lancer dans des coproductions internationales (notamment avec le producteur Marin Karmitz dans la société mk2), il ne perdra jamais son envie de transmettre. Quant au Kanoon, il existe toujours. « Aujourd’hui, l’institut est surtout performant sur l’animation, et ses festivals pour ados et enfants, explique Agnès Devictor. En Iran, on tombe souvent sur son petit logo, même dans les endroits très reculés. C’est devenu une institution dans le sens noble du terme. » QUENTIN GROSSET


VA N E S S A VA N Z U Y L E N E T

JÉRÔME SEYDOUX

P R É S E N T E N T

ROMAIN

EMMA

DURIS

MACKEY

E I F F E L U N F I L M DE

PHOTO COUPLE PATRICK SWIRC. CRÉDITS NON CONTRACTUELS

MARTIN BOURBOULON avec

PIERRE

DELADONCHAMPS

LE 25 AOÛT AU CINÉMA AVEC

ARMANDE BOULANGER BRUNO RAFFAELLI

SOCIÉTAIRE DE LA COMÉDIEFRANÇAISE

ALEXANDRE STEIGER ANDRANIC MANET CAROLINE BONGRAND SCÉNARIO ORIGINAL

ADAPTATION ET DIALOGUES

CAROLINE BONGRAND THOMASBIDEGAIN MARTINBOURBOULON NATALIECARTER MARTIN BROSSOLLET


TÉLÉRAMA

VIRGINIE EFIRA CHARLOTTE RAMPLING DAPHNÉ PATAKIA LAMBERT WILSON OLIVIER RABOURDIN

PAUL VERHOEVEN

UN FILM RÉALISÉ PAR

SCANDALEUSE, IRRÉDUCTIBLE, UNIQUE ”

“ RELIGIEUSE,

PRÉSENTENT

SAÏD BEN SAÏD, MICHEL MERKT ET JÉRÔME SEYDOUX


LE VENDREDI 9 JUILLET AU CINÉMA

SCÉNARIO DE DAVID BIRKE ET PAUL VERHOEVEN D’APRÈS LE LIVRE « IMMODEST ACTS » DE JUDITH C. BROWN INTERDIT AUX -12 ANS

© 2020 SBS PRODUCTIONS - PATHÉ FILMS FRANCE 2 CINÉMA - FRANCE 3 CINÉMA

PHOTO © 2020 GUY FERRANDIS / SBS PRODUCTIONS - CRÉDITS NON CONTRACTUELS


MO

C TS

S É S I O R

« Les rêves, la vie, c’est pareil ! ou alors ça vaut pas la peine de vivre. Et puis qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse la vie, c’est pas la vie que j’aime, c’est vous ! »

© Luc Valigny

Baptiste à Garance, dans Les Enfants du paradis de Marcel Carné

« C’est un film qui a alimenté mon imaginaire très tôt, qui m’a servi comme être humain et comme comédien. Je devais avoir 10-12 ans quand je l’ai découvert avec mes parents. J’étais notamment fasciné par le personnage introverti et discret de Baptiste, joué par Jean-Louis Barrault, au sommet de son art. Ce personnage de mime est tellement en phase avec lui. Son travail sur le corps dans le film retentit dans d’autres films, d’autres pièces de théâtre dans lesquels il a joué. Baptiste fait partie d’un trio qui m’importe dans Les Enfants du paradis, avec Fréderick Lemaître [incarné par Pierre Brasseur, ndlr], le tragédien, le grand séducteur par la parole, qui est un peu son pendant, et la figure de Lacenaire, le poète criminel qui est merveilleusement joué par Marcel Herrand. Tous les trois m’ont influencé, nourri, habité. Moimême, je me suis d’abord adonné à l’expression corporelle, avant de passer à la parole. »

DENIS LAVANT Lieutenant sadique chez Claire Denis, zombie spleenétique chez Dominique Rocher, extravagant M. Merde chez Leos Carax… Le stupéfiant Denis Lavant a publié l’an passé son autobiographie, Échappées belles. L’acteur contorsionniste s’y raconte à travers ses expériences au cinéma et au théâtre, mais aussi des anecdotes intimes. Intrigués depuis longtemps par le charme étrange qu’il dégage, on a voulu le faire réagir à ces quelques citations qui révèlent sa vision poétique du corps et de l’espace.

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« Il doit y avoir quelque part au fond de moi une figure hors-norme, hors-temps, un aspect poético-prophétique. » Échappées belles de Denis Lavant

« Comme je suis sensible aux signes, aux choses qui jalonnent un trajet artistique, je m’interroge sur la continuité de mes rôles. C’est une énigme. Forcément, il y a quelque chose qui se fait instinctivement, des figures vers lesquelles je me tourne parce qu’elles trouvent un écho en moi, mais c’est assez récurrent qu’on me confie des rôles d’entités, si je puis dire. Des rôles d’anges gardiens ou de démons. Des personnages qui ne sont pas des protagonistes de la narration, qui sont au-dessus ou en dessous, interviennent comme des deus ex machina, comme on dit au théâtre. Je me dis : “Qu’est-ce qui suscite ça ?” Je n’en tire aucune conclusion, mais ça me réjouit. »

« Je continue comme j’ai commencé, pour la beauté du geste. » Oscar à son employeur dans Holy Motors de Leos Carax

« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : / Mais l’amour infini me montera dans l’âme, / Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, / Par la Nature, – heureux comme avec une femme. » « Sensation », poème extrait du recueil Poésies d’Arthur Rimbaud

« Je reconnais tout de suite ce poème. Pour moi, ça correspond au début de mon expérience poétique. C’est là que j’ai compris que la poésie, ça n’était pas simplement de belles phrases, c’était du vécu. Dans ma jeunesse, avant même d’avoir l’idée de faire du théâtre ou du cinéma, j’ai développé ce rapport-là au monde. J’étais très perméable. La poésie – celle de Rimbaud, d’Apollinaire ou de Baudelaire –, ça m’a montré ce que je pouvais ressentir. Ça a mis des mots sur des émois que je n’arrivais pas à décrire. C’est une sorte de communion avec les choses, les impressions, les couleurs. »

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« Cette ligne de dialogue entre l’employeur, incarné par Michel Piccoli, et Oscar, mon personnage – un pantin, un histrion –, me parle directement en tant que comédien. Comme je disais, la danse, le geste, c’est mon premier langage. Et, en même temps, « pour la beauté du geste », ça veut dire « pour rien », « de manière désintéressée ». C’est très bien vu. La première fois que je l’ai lu ce passage, j’y ai vu une discussion entre Leos et moi. Parce que, avant de confier le rôle à Piccoli, Leos avait pensé à lui-même jouer l’employeur [Carax apparaît finalement sous les traits du Dormeur au début du film, ndlr]. D’ailleurs, il faudrait ajouter la réplique de Piccoli, qui répond à M. Oscar : « Ne dit-on pas que la beauté est dans l’œil de celui qui la regarde ? » J’y vois là une réponse que Carax m’adresse personnellement. On a une relation très à part lui et moi, qui n’existe vraiment que sur un plateau [ils ont tourné quatre longs métrages ensemble, dont Mauvais sang, sorti en 1986, et Les Amants du Pont-Neuf, sorti en 1991, ndlr]. On n’a pas de proximité familière dans la vraie vie, mais, quand on se retrouve pour tourner, on prend presque comme prétexte le film pour communiquer intensément. »

« Qui, dans l’arc-en-ciel, peut marquer l’endroit où finit le violet et où commence l’orange ? » Billy Budd, marin de Herman Melville

« J’avais lu ce texte pendant la préparation de Beau travail de Claire Denis, parce que le film est librement inspiré de cette nouvelle de Melville qu’elle a transposée à Djibouti, dans la légion étrangère. C’est l’histoire d’un trio formé par le commandant [joué par Michel Subor, ndlr], l’adjudant-chef Galoup, que j’incarne, et le beau légionnaire Sentain [Grégoire Colin, ndlr]. C’est un film que j’ai pris beaucoup de plaisir à faire, ça a été un moment fort. La relation avec Claire n’était pas simple au départ, parce qu’elle était extrêmement soucieuse. À un moment, on s’était fâchés, et j’ai été viré, en quelque sorte. Donc sur le coup, j’ai accepté une proposition de théâtre et Claire a engagé un autre comédien pour jouer mon rôle. Mais, comme elle avait pensé à moi depuis le début pour interpréter Galoup, elle m’a finalement rappelé quand les problèmes de production se sont résolus. Elle est venue me chercher et on est partis ensemble à Djibouti. J’étais à la fois très content et très inquiet, j’ai toujours un peu peur quand je voyage. Sur place, il fallait que je fasse corps avec ce paysage rude, difficile de Djibouti, si je voulais que mon personnage soit crédible. Cette ville était plus qu’un décor, c’était un partenaire. Une fois qu’on s’est retrouvé au travail avec Claire, on s’est entendu à demi-mot. On a beaucoup échangé poétiquement. Pas tellement à travers le texte de Billy Budd, mais à travers les poèmes de Melville, qui sont très concis, très intelligents. J’ai vécu un pur moment de bonheur en tournant la scène de danse dans la boîte de nuit, dont j’avais improvisé la chorégraphie. » Échappées belles de Denis Lavant (Les Impressions nouvelles, 192 p., 17 €) PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY

© Collection Christophel

Cinéma -----> « Échappées belles »


SUBTIL ET PUISSANT

UN

GRAND FILM

DIANE ROUXEL

PSYCHOLOGIES MAGAZINE

FINNEGAN OLDFIELD

JALIL LESPERT

UN FILM DE

NAËL MARANDIN

LE 25 AOÛT AU CINÉMA

OLIVIER GOURMET

Photo : Louis Proteau • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA

TÉLÉRAMA


NE CONFIEZ PAS VOTRE TEMPS DE CERVEAU DISPONIBLE À N’IMPORTE QUI. mk2 Institut est un espace physique et digital où des artistes, auteurs, chercheurs invitent au débat pour penser ensemble le monde d’aujourd’hui et de demain. mk2 Institut rouvrira en septembre 2021.

Programme et réservation sur www.mk2institut.com


Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

E D I U G LE

N I C S E I T

R O S S DE

A P A M É

ONODA

SORTIE LE 21 JUILLET

Après Diamant noir, polar sec et troublant, Arthur Harari étonne et subjugue avec Onoda. L’histoire vraie d’un soldat japonais en poste, en 1945, sur une île des Philippines, qui passa vingt-neuf ans à attendre la fin d’une guerre fantôme. Le récit puissant d’une odyssée immobile, un film de jungle et de fous.

C’est une histoire tellement incroyable qu’elle ne peut être que vraie. Avec, au centre, un personnage furieux et buté, un antihéros fascinant comme on n’en voit qu’au cinéma. Et pourtant, toute l’élégance d’Arthur Harari est de dépouiller ce récit grandiose des afféteries faciles du grand cinéma pompier. Précis et dense, Onoda redonne du sens par l’exigence de sa mise en scène à l’expérience du cinéma en salle. Le grandiose ici n’est jamais pétaradant, jamais surplombant ou artificiel. Il est dans la lente sidération que produit le déploiement de cette histoire hors du commun dont Arthur Harari saisit toutes les nuances et l’universalité avec une rare maîtrise. Dès les premiers instants, le réalisateur tient fer-

été 2021 – no 181

mement le spectateur par la main et dicte son rythme. Un homme élégant arrive sur une île ; un paquet de cigarettes américaines flotte dans le lit d’une rivière ; et puis une silhouette inquiétante et pourtant calme se détache dans le vert de la jungle d’une île des Philippines. Ces effets elliptiques seront bientôt comblés par le flot du récit à venir : comme une vague, l’histoire remonte à la surface, et l’on s’enfonce dans le passé de Hirō Onoda. Soldat de l’armée japonaise, le jeune homme est formé dans une milice secrète pour combattre jusqu’au bout l’envahisseur américain. En poste sur l’île de Lubang, il entraîne en 1945 une petite troupe de soldats au fin fond des terres luxuriantes, ignorant que l’armistice est sur

le point d’être signé. Il n’en reviendra qu’en 1974. Dans la masse touffue de ces dix mille nuits passées dans la jungle, Arthur Harari trace un chemin clair, élaguant le superflu, maintenant le cap d’un récit qui pourrait à tout moment nous perdre. Par cette hypermaîtrise, par l’ampleur de ses cadres, par son attention toute particulière aux symptômes du temps (le vieillissement progressif, les ellipses qui créent pourtant du surplace, la répétition des jours et la brutalité soudaine des événements tragiques – les membres de sa troupe disparaissent les uns après les autres), Harari propose une grande expérience troublante de cinéma. Petit à petit, on se perd dans le temps avec Onoda, cette jungle et cette île deviennent

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Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

un univers en soi, et le tumulte du monde extérieur, l’avancée inexorable de l’histoire ne nous parviennent que comme des échos lointains, quasi fantastiques (sublime scène dans laquelle Onoda et son compagnon d’infortune entendent à la radio la nouvelle des premiers pas sur la Lune, en 1969). L’entêtement absurde de ce personnage, sa loyauté maladive jusqu’à la violence, sa foi dans les ors de l’armée et dans sa fonction, le métamorphosent peu à peu en figure abstraite, quasi philosophique. Une sorte de Sisyphe qui, par la force de ses convictions,

opère dans la dernière partie un lent retour au réel, comme on se réveille difficilement d’un trop long rêve. Onoda n’est plus un soldat, c’est devenu une légende, l’histoire dans l’histoire. Mais le cinéaste refuse le symbole. En passant le relais à un jeune homme décidé à retrouver sa trace et à le ramener au pays, le film retourne à la vie et fait apparaître en quelques plans déchirants le poids tragique de ces vingt-neuf années passées hors du monde. Conte puissant au héros absurde, Onoda devient alors le récit universel d’une obstination, de ses consé-

ne verrait plus le temps passer, transformant son calvaire en épopée absurde. D’abord intrigué puis subjugué par cette histoire et ce personnage au bord de la folie, on se prend au fur et à mesure à épouser cette distance vis-à-vis du monde, à considérer Onoda non plus comme un soldat mais comme un ermite inquiet, un exclu de la grande histoire. Un homme qui préfère rester reclus dans la jungle de son imaginaire (accroché à la certitude que le Japon sortira vainqueur de la guerre) que d’affronter la réalité. Magnifiquement, Arthur Harari

Qu’est-ce qui pousse un jeune cinéaste français à partir adapter cette histoire en langue étrangère dans la jungle ? Quand j’ai lu Les Détectives sauvages de Roberto Bolaño, un certain chapitre évoquait, sans le nommer, un héros au courage absurde. Ça m’a intrigué. J’ai découvert qu’il existait alors une autre version avec seulement un prénom, Hirō. Tout est parti de là, j’ai plongé. Je me suis mis à chercher et j’ai trouvé cette histoire. J’ai su que je voulais en faire un film quand j’ai lu ce moment où, des années après, Onoda se regarde enfin dans un miroir. Je savais que c’était un

© Orm PichPonleu

Trois questions À ARTHUR HARARI

quences violentes et terribles, mais aussi quelque part de la beauté mystérieuse d’une certitude inébranlable. Onoda d’Arthur Harari, Le Pacte, sortie le 21 juillet

RENAN CROS

personnage de cinéma parce que c’est celui d’un rêve : mais un rêve qui a existé. C’est très rare. Comment synthétise-t-on quasiment trente ans de ce temps figé en un peu plus de deux heures ? Étrangement, si on y regarde bien, le film raconte très peu d’années, à coups d’ellipses successives : d’abord les années 1945-1946, puis les années 1949-1950, et enfin de 1969 à 1974. On a tenté de combiner en permanence le temps de l’action et le temps intérieur. On a essayé de faire perdre les repères extérieurs, de faire partager la longue chute immobile

de ces hommes dans un trou qui dure trop longtemps, pour croire vieillir avec eux… jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de « eux », juste un « lui » qui commencerait à ressembler à un « moi ». Quel a été le plus grand défi de ce tournage ? Comme tous les tournages, je pense, de ne pas succomber à la peur, aux doutes, et de croire dur comme fer à ce que l’on raconte. Faire un film, ça ne tient qu’à ça. Surtout un film comme Onoda.

MILLA SORTIE LE 28 JUILLET

Le premier long métrage de Shannon Murphy dresse le portrait lumineux d’une ado malade, asphyxiée par une famille protectrice mais au bord de la crise de nerfs. Cette subtile comédie sur le dérèglement a séduit le jury de la dernière Mostra.

L’une des grandes forces du film, c’est de procéder plus par subtils à-coups comiques que par injonctions lacrymales.

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no 181 – été 2021

Milla, 16 ans, s’entiche de Moses, un toxicomane débraillé qui brûle la vie par les deux bouts et qui n’a absolument aucun plan pour l’avenir. La jeune fille est dans une position similaire, pour une tout autre raison : condamnée par une grave maladie, elle se doit de profiter comme elle peut des instants qui lui restent. Dans ces conditions, ses parents sont bien obligés d’accepter la présence sous leur toit du bohémien consumé de 23 ans (et de sa queue-de-rat, qui fait tache au milieu d’un foyer qui a tout de la famille rangée). On ne sait d’ailleurs pas s’il aime la jeune fille sous traitement ou s’il est d’abord là pour piocher à l’œil dans l’immense trousse à pharmacie familiale (le père de Milla est psy, sa mère, une ex-­pianiste à succès, encline à la surmédication)… L’instabilité fait rage au sein d’une famille en apparence modèle, et chaque personnage entretient ici un rapport plus ou moins prononcé avec une certaine

dépression pavillonnaire, rappelant en cela American Beauty (2000) de Sam Mendes. L’une des grandes forces du film, c’est de ne pas jouer la carte du manifeste, de procéder plus par subtils à-coups comiques que par injonctions lacrymales. Au sein d’un territoire aussi balisé par le cinéma indé – l’adolescence difficile, la maladie, la crise de la cinquantaine –, Milla apporte une réelle fraîcheur au coming-of-age, mettant l’accent sur des ruptures de ton (les silences suivant les moments de bavardage effréné, un regard qui brise le quatrième mur, l’emploi d’une partition dissonante pour accompagner le chaos interne des personnages). La caméra semble elle-même épouser un rythme cyclothymique, s’interdisant le plan totalement fixe : c’est aussi le projet d’un film construit autour de la frustration et de l’addiction. Récompensé à la dernière Mostra (Prix du meilleur espoir pour Toby Wallace), ce premier long en provenance d’Australie rappelle le décalage constant des premiers Jane Campion, notamment Sweetie (1990), dans lesquels le rire débraillé côtoie l’effroi. Et augure de très bonnes choses pour la suite. Milla de Shannon Murphy, Memento (1 h 58), sortie le 28 juillet

GAUTIER ROOS


CG CINÉMA PRÉSENTE

VICKY

KRIEPS TIM

ROTH MIA

WASIKOWSKA ANDERS

DANIELSEN LIE

UN FILM DE

MIA HANSEN-LØVE

LE 14 JUILLET AU CINÉMA


Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

MY ZOÉ SORTIE LE 30 JUIN

Loin de ses comédies romantiques (2 Days in Paris, 2 Days in New York), la cinéaste Julie Delpy revient avec le stupéfiant My Zoé, un drame remuant, à la limite de la science-fiction, sur la garde partagée d’une enfant. Dans My Zoé, Julie Delpy y incarne Isabelle, une généticienne franco-­américaine nouvellement expatriée à Berlin qui vient de divorcer. Entre son ex-mari peu conciliant, avec qui il faut organiser les gardes de leur fille de 8 ans, Zoé, un nouvel amoureux, et un travail très prenant, elle ne sait plus où donner de la tête. Tout à coup, un terrible drame vient bouleverser sa vie… Delpy nous fait perdre tous nos repères grâce à une savante construction du scénario en trois actes. D’abord une amorce qui rappelle ses comédies autofictionnelles mais sur un versant plus sombre, une deuxième partie qui nous heurte, et une troisième flirtant avec le récit d’anticipation scientifique voire l’étrange – on pense par exemple à

cette scène troublante avec des femmes enceintes très âgées. Ces registres se succèdent, comme pour saisir le plus justement possible la complexité d’un divorce entraînant la garde partagée d’un enfant. Delpy va très loin dans les potentialités de cette situation, jusqu’à nous laisser dans le choc et l’hébétude. On ne peut que louer cet aplomb rare à bousculer ses spectateurs par des questionnements qui leur étaient insoupçonnés. My Zoé de Julie Delpy, Bac Films (1 h 42), sortie le 30 juin

QUENTIN GROSSET

Trois questions À JULIE DELPY

Vous vous êtes écrit un personnage de généticienne. Pourquoi cette science vous intéresse-t-elle ? Quand on dit « chair de ma chair », il y a quelque chose de très fort, presque une sensation physique. Je sens en moi les gènes de mon père, de ma mère… À la naissance d’un enfant, on sent de quoi il va être fait. Ça me fascine assez.

Le film pose des questions éthiques insolubles. Comment les avez-vous abordées ? Qu’est-ce qui fait notre unicité ? Qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce que l’âme ? Ce sont des questions qui lorsqu’elles croisent la science m’intéressent, parce qu’elles sont un peu taboues. Après, suis-je d’accord avec le chemin de cette mère que j’incarne ? Je ne sais pas.

Vos films mettent souvent en scène des familles recomposées. De quelle manière cela vous touche-t-il ? Je ne vis pas avec le père de mon fils. C’est toujours un peu compliqué, le partage d’un enfant. C’est l’histoire fascinante du roi Salomon : est-ce qu’on peut garder un enfant vivant si on le coupe en deux ?

À L’ABORDAGE ! SORTIE LE 21 JUILLET

Cette comédie douce-amère, tendre et finement politique de Guillaume Brac conte les aléas sentimentaux d’une poignée de jeunes que tout oppose. Dans un décor bucolique, il révèle des acteurs de talent, tous issus du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris.

Trois questions À GUILLAUME BRAC Les classes sociales se télescopent dans ce camping. Le projet était-il de montrer une réparation des inégalités ? La question de l’effacement des différences sociales est centrale dans mes films, à travers ces rencontres inattendues qui peuvent faire dévier chacun de son rail. Mais ce projet est né de la diversité sociale réelle de la promo avec laquelle j’ai travaillé au Conservatoire.

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L’insouciance semble être l’éternel sujet de votre cinéma. Vous semble-t-elle de plus en plus menacée de nos jours ? Sans vouloir présenter un manifeste, je pense que mon rapport à l’insouciance se retrouve aussi dans ma manière de faire des films, avec une volonté d’échapper à une forme de normalisation, par des scénarios peu verrouillés et une économie restreinte.

Quelle part avez-vous laissée à l’improvisation dans ce film ? Pas mal de choses ont émergé des séances d’improvisation organisées en amont du tournage. Mais sur le plateau, rares étaient les scènes entièrement improvisées, même si la précision de l’écriture était variable, notamment pour les non-comédiens comme la vieille dame ou le garagiste.

no 181 – été 2021

« À l’abordage ! » : le cri prévient une collision. Chez Brac, c’est celle des classes sociales, celle aussi des sentiments. Lettres blanches sur cartons rouges, un son de fête et le film démarre. Félix (Éric Nant­ chouang, lire p. 12) danse avec Alma (Asma Messaoudene) et le choc a lieu. Lui vient de La Courneuve, elle des beaux quartiers. De là partira l’expédition, non pas maritime mais intime, vers un camping de la Drôme. « De toute façon il faut foncer », règle Félix, avide d’amour et de vacances. Accompagné de son ami Chérif (Salif Cissé), il s’embarque dans une excursion surprise en BlaBlaCar avec Édouard (Édouard Sulpice), polo bermuda dans la Renault de sa petite maman. Le nouveau film de l’auteur de Contes de juillet poursuit tout en drôlerie et en finesse

son exploration des amours de saison et des rencontres inopinées. À la manière de L’Île au trésor, la loufoquerie des péripéties de ces jeunes sublime l’insouciance des beaux jours et les miracles des collisions sociales. Mais l’éphémérité de ces instants plane toujours comme une ombre dans le monde de Brac. Subtilement politique, À l’abordage ! est un nouveau film très rohmérien, plein de tendresse et d’humour, qui démarre en trombe pour vingt minutes irrésistibles. Malgré quelques longueurs ensuite, ce nouveau conte d’été reste un pur bonheur, comme trois boules vanille sous le soleil. Pour lui aussi, il faut foncer. À l’abordage ! de Guillaume Brac, Jour2Fête (1 h 35), sortie le 21 juillet

JONATHAN TRULLARD


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Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

L’INDOMPTABLE FEU DU PRINTEMPS SORTIE LE 28 JUILLET

Lemohang Jeremiah Mosese signe une fable fiévreuse et spirituelle, située dans les paysages impérieux du Lesotho, en Afrique du Sud. Inspiré par ses souvenirs d’enfance, il pointe les désastres de décisions politiques destructrices. À 80 ans, Mantoa est la doyenne d’un village niché dans les montagnes du Lesotho, royaume enclavé dans l’Afrique du Sud. La vie n’a fait aucun cadeau à cette veuve qui perd son fils et assiste, impuissante, à une complète désintégration : alors que les tombes des défunts disparaissent mystérieusement, la construction d’un barrage menace d’engloutir la vallée. À l’aube de sa propre mort, Mantoa mobilise ses dernières forces pour soulever un élan de spiritualité dans sa communauté… Après I Am Suffocating. This Is My Last Film About You

(2019), Lemohang Jeremiah Mosese (qui explore dans ses courts et ses installations vidéo la mémoire, l’identité, la mort) réalise un deuxième long puissant et personnel (il est né et a grandi au Lesotho, avant de s’installer à Berlin), imprégné d’art sacré. De tous les plans (très picturaux), le visage de Mantoa – incarnée par l’impressionnante actrice sud-africaine Mary Twala, décédée en 2020 – est semblable à celui d’une madone aux traits tirés. D’abord isolée, cette icône frêle entraîne dans sa marche funèbre des voix et des corps (un conteur, un chœur de femmes pareil à ceux de l’Antiquité) qui reprennent souffle et vie, dans un crescendo dramatique magnifiquement amené. Un feu sacré qui envahit et marque définitivement les esprits. L’Indomptable Feu du printemps de Lemohang Jeremiah Mosese, Arizona (2 h), sortie le 28 juillet

JOSÉPHINE LEROY

LEMOHANG JEREMIAH Trois questions À MOSESE Quelle a été la genèse du film ? Il est né de souvenirs liés à ma grand-mère. L’histoire de la construction du barrage est vraie, mais, ce qui a primé, ce sont surtout des sensations, la vision d’une nature florissante, l’odeur du Lesotho, que j’ai fusionnées et qui m’ont laissé une forme de sentiment spirituel que j’ai gardé depuis mon enfance.

Certains plans évoquent la peinture romantique du xixe siècle. Est-ce une inspiration ? Pas vraiment. J’ai toujours rêvé de peindre, mais ça n’a jamais abouti. Le seul médium qui m’a permis de conjuguer mes idées, c’est le cinéma. Je suis peut-être plus inspiré par des textes, comme ceux de Nietzsche, que j’ai toujours aimés.

Les scènes de marche collective sont captivantes. Comment les avez-vous imaginées ? Je voulais montrer comment ces gens-là, en perdant leur identité, expérimentent la mort. C’est un rite de passage, un processus violent mais nécessaire. J’aime à penser que ce cycle est aussi une métaphore de nous-mêmes en tant que peuple africain, de notre exode perpétuel.

PASSION SIMPLE SORTIE LE 11 AOÛT

Cette adaptation d’un court roman d’Annie Ernaux par Danielle Arbid (Un homme perdu, Peur de rien…) nous immerge dans la passion entre une prof de fac et un homme d’affaires russe, dépeinte toute en fièvre et en suspension.

Trois questions À DANIELLE ARBID Parmi tous les romans d’Annie Ernaux, pourquoi celui-là ? Dans tous les livres que je lisais dans l’idée d’en faire un film charnel, il y a ceux qui parlaient de romance, et ceux qui parlaient de sexe, jamais des deux. Or, je conçois la passion amoureuse comme d’abord sexuelle, et je n’envisage pas le sexe sans amour. Il n’y avait que ce livre-là, inadaptable, qui avait cette approche.

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Que disent ce livre et votre film de la passion amoureuse ? Pour moi, dans la passion, il y a besoin d’être à la hauteur de l’autre, de le dépasser, de l’attendre, de le rêver. Tout cela était dans ce livre. Annie Ernaux est-elle une figure à laquelle vous vous identifiez ? Elle m’inspire pour son courage, sa façon de s’exposer et de se mettre en péril. Certains articles

au moment de la sortie du livre en 1991 avaient un regard très condescendant sur son travail, parce qu’ils considéraient qu’elle n’était pas du sérail. C’est un point d’identification, parce que j’ai lutté longtemps pour appartenir à ce pays, la France. Je pense que ce film m’aide à avoir ce sentiment – le fait qu’il soit en français, à partir d’une œuvre de littérature française aujourd’hui reconnue.

no 181 – été 2021

« Passion simple », on croirait à un oxymore. Pourtant, cette simplicité, c’est bien ce qui frappe d’emblée à la vision du dernier long métrage de la Française d’origine libanaise Danielle Arbid. Hélène (Lætitia Dosch) et Alexandre (le danseur Serguei Polunin) ont beau n’avoir a priori rien en commun (la première enseigne la littérature, quand le second, bad boy qui a une épouse en Russie, fait des affaires et aime les grosses voitures), leurs corps s’attirent, et voilà il ne faut pas aller chercher plus loin. Avec un style direct, franc, que l’on peut voir comme une transcription cinématographique de l’écriture sans effusion d’Annie Ernaux, la cinéaste retrace cette passion amoureuse et sexuelle comme un pic de présent auquel les protagonistes s’abandonnent sans souci du monde extérieur. Les séquences de sexe surtout, qui généralement ont lieu l’après-

midi dans le pavillon de banlieue d’Hélène, ressemblent à des bulles d’intensité à la lumière blanche paradoxale – crue, clinique mais sensuelle – dans laquelle les amants ont l’air un peu plus que vivants. À côté, les scènes plus quotidiennes montrant Hélène donner cours ou s’occuper de son jeune fils comme en pilote automatique, paraissent ouatées, fugaces, peuplées de figures floues – celle d’Alexandre, très nette, ne se décolle ni de sa tête ni de la nôtre. Jouant de ces contrastes tranchants entre moments très vifs et instants d’accalmie, Danielle Arbid saisit avec force tout ce que la passion crée d’attente, de fantasme, de désir qui monte – de fiction. Passion simple de Danielle Arbid, Pyramide (1 h 39), sortie le 11 août

QUENTIN GROSSET


Un grand Kawase

Antoine Guillot France Culture

De l’émotion à l’état pure. HHHHH

HIROMI NAGASAKU ° ARATA IURA ° AJU MAKITA ° MIYOKO ASADA ° REO SATO ° TAKETO TANAKA ° HIROKO NAKAJIMA ° TETSU HIRAHARA ° REN KOMAI ° MASAMI HORIUCHI ° HIROSHI YAMAMOTO ° MASAKI MIURA ° SHOKO IKEZU ° RYUYA WAKABA ° MUNETAKA AOKI ° GO RIJU UNE PRODUCTION “Asa ga Kuru” FILM PARTNERS ° ADAPTÉ DE “Asa ga Kuru” (Bungeishunju Ltd.) ° ÉCRIT PAR MIZUKI TSUJIMURA ° CO-ÉCRIT PAR IZUMI TAKAHASHI ° MUSIQUE AKIRA KOSEMURA AN Tôn Thât ° THÈME PAR C&K ° PRODUCTEUR EXÉCUTIF NAOYA KINOSHITA ° PRODUIT PAR YUMIKO TAKEBE ° PHOTOGRAPHIE YUTA TSUKINAGA NAOKI SAKAKIBARA ° LUMIÈRE YASUHIRO OTA ° SON EIJI MORI ROMAN DYMNY ° DÉCORS SETSUKO SHIOKAWA ° MONTAGE TINA BAZ YOICHI SHIBUYA ° SOUND DESIGN ROMAN DYMNY ° MIXAGE SON OLIVIER GOINARD ° LINE PRODUCER HIROAKI SAITO ° PRODUCTION COMPANY KINO FILMS KUMIE ° PRODUCTEUR ASSOCIÉ KAZUMO ° DISTRIBUTION FRANCE HAUT ET COURT DISTRIBUTION ° ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR NAOMI KAWASE ©2020 «Asa ga Kuru» FILM PARTNERS/KINOSHITA GROUP, KUMIE

AU CINÉMA LE 28 JUILLET


Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

KUESSIPAN SORTIE LE 7 JUILLET

UN TRIOMPHE SORTIE LE 1ER SEPTEMBRE

Sur la côte Nord du Québec, les parcours croisés de deux jeunes femmes reflètent la dispersion progressive de la communauté innue. Un drame original et sensible sur le rapport entre l’amitié et l’éclosion individuelle.

lité qu’un énième ennemi à terrasser. La cinéaste place côte à côte les amitiés d’enfance et les territoires ancestraux : tenter de s’en affranchir, c’est avoir l’impression de trahir. Réflexion sur l’identité et la fidélité, Kuessipan (qui signifie « à toi » dans la langue innue) n’occulte ni la violence des mots ni celle des coups, ce qui n’interdit pas à son propos d’être rempli d’espoir. Car jamais les désillusions n’empêcheront ces héroïnes d’avancer.

Shaniss et Mikuan vivent dans une réserve de la Côte-Nord du Québec, au sein de la communauté innue (un peuple autochtone du Canada). À tout juste 17 ans, la vie semble déjà éloigner ces amies de toujours : tandis que l’une fonde une famille, l’autre tombe amoureuse d’un Blanc et se rêve écrivaine… D’un roman témoignage de Naomi Fontaine, qui cosigne l’adaptation avec elle, Myriam Verreault tire un drame à hauteur de femmes dans lequel le déterminisme social est moins une fata-

La cinéaste place côte à côte les amitiés d’enfance et les territoires ancestraux.

Un comédien en galère triomphe en montant une pièce de Beckett avec des détenus. Emmanuel Courcol (coscénariste d’Au nom de la terre en 2019) signe un feel-good movie sobre et étonnant sur les difficultés à s’adapter à la société.

passent eux aussi leur temps à attendre. S’il emprunte les chemins balisés du feelgood movie, le deuxième long métrage d’Emmanuel Courcol (après Cessez-le-feu en 2017) tire son épingle du jeu grâce à la complicité de sa belle troupe d’acteurs (Sofian Khammes, Lamine Cissokho, Pierre Lottin…) dont l’énergie bien dosée n’atteint jamais la surchauffe. Dans le récit, les liens d’amitié et l’estime de soi se tissent patiemment, aidés par l’appui discret de la directrice de la prison, superbe personnage de l’ombre interprété par la toujours fine Marina Hands. La méthode, pour permettre à ces êtres de s’insérer dans une société qui les rejette, est connue : c’est la solidarité, ici montrée avec une modestie et une simplicité assumées qui redonnent à cette notion parfois galvaudée toute sa force.

Un triomphe conte l’histoire d’un comédien (joué par Kad Merad) largué dans tous les sens du terme : par sa femme il y a plusieurs années, par sa fille qui le délaisse au profit de ses études, par la profession qui ne lui offre plus de rôles. Quand il accepte d’animer un bref atelier théâtral en prison, l’expérience lui donne le déclic : il va essayer de monter, pour une représentation officielle en public, En attendant Godot de Samuel Beckett avec ces prisonniers qui

SOLO SORTIE LE 30 JUIN

Solo sonde brillamment notre rapport à la folie en suivant un pianiste virtuose interné dans un hôpital psychiatrique argentin. C’est le premier long métrage d’Artemio Benki, décédé en 2020 des suites d’une longue maladie. À l’entrée du plus grand hôpital psychiatrique d’Argentine, un ficus étrangleur enserre un palmier. Lorsqu’il visite l’établissement en 2014, Artemio Benki, producteur et distributeur né à Paris, qui s’est installé à Prague dans les années 1980 pour y défendre le cinéma indépendant, décèle une métaphore de la folie dans ces deux arbres. Cette image marquante, ce lieu aux allures de village (avec une église, un terrain de foot et des rues portant des noms de médecins) le poussent à tourner ce film

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no 181 – été 2021

testament d’une sensibilité extrême. Il y suit Martín, talentueux pianiste interné qui passe son temps à jouer et à enchaîner compulsivement les clopes puis quitte ce cocon pour affronter un monde extérieur inquiétant. Il faut « négocier avec le réel », répète ce colosse aux pieds d’argile dont les mains, filmées en gros plan, catalysent autant la force que la fragilité. De cette rencontre entre deux êtres en souffrance jaillit une intense réflexion sur le regard stigmatisant que porte la société sur la maladie.

Kuessipan de Myriam Verreault, Les Alchimistes (1 h 57), sortie le 7 juillet

THOMAS MESSIAS

Un triomphe d’Emmanuel Courcol, Memento Films (1 h 46), sortie le 1er septembre

TIMÉ ZOPPÉ

Solo d’Artemio Benki, Nour Films (1 h 25), sortie le 30 juin

JOSÉPHINE LEROY

Un film testament d’une sensibilité extrême.


ANNONCE_Troiscouleurs.qxp_Mise page 1 15/06/2021 14:29 Page 1 Sorties du 30 juin au en 1er septembre <---Cinéma

MIDNIGHT TRAVELER SORTIE LE 30 JUIN

10 septembre – 9 octobre / Odéon 6e

18 septembre – 17 octobre / Berthier 17e

de Luigi Pirandello mise en scène Stéphane Braunschweig création

texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen

Comme tu me veux

Fraternité, conte fantastique

22 octobre – 13 novembre / Odéon 6e

Les Frères Karamazov

d’après Fédor Dostoïevski mise en scène Sylvain Creuzevault 5 novembre – 4 décembre / Berthier 17e

2 – 19 décembre / Odéon 6e

Le Passé

La Seconde Surprise de l’amour

de Léonid Andréïev mise en scène Julien Gosselin

de Marivaux mise en scène Alain Françon

L’Afghan Hassan Fazili raconte sa fuite clandestine vers l’Europe avec sa femme et leurs deux fillettes après que sa tête a été mise à prix par les talibans. Un documentaire stupéfiant, filmé au smartphone. En 2014, Hassan et Fatima, couple de cinéastes indépendants, ouvrent le Café de l’Art en plein Kaboul. Fréquenté par les artistes, le lieu ne tarde pas à subir la répression policière puis les foudres des fondamentalistes islamistes, et à fermer. Peu après, parce qu’il a réalisé un film sur un taliban repenti, Hassan apprend que sa tête est mise à prix ; déjà réfugié au Tadjikistan, il doit quit-

ter la région en urgence avec sa femme et leurs deux petites filles. C’est le début d’un long périple de trois ans vers l’Europe au cours duquel, sans moyens, la famille exilée documente sa traversée des Balkans. Nuits dans des immeubles en construction ou des forêts humides et froides, passeurs qui menacent d’enlever les fillettes, interminable attente dans des camps de réfugiés bondés et mal équipés… Le dispositif filmique à trois smartphones crée un effet d’immersion. Des images cahotantes surgit une vérité qui n’existe nulle part ailleurs : celle du réel dans sa force brute, échappant à toute stylisation. Des longs trajets en voiture jusqu’au confinement des camps de réfugiés, Hassan et les siens sont comme compressés dans de petits espaces clos. Lorsque l’extérieur s’ouvre enfin à eux, c’est pour franchir les frontières en courant à travers champs ou passer des nuits

inquiètes, cernés par de multiples dangers. Confrontés au rejet dans leur pays d’origine puis dans ceux qu’ils traversent (où les migrants subissent des réactions hostiles voire violentes), ils chroniquent leur vie dépossédée. Malgré le chaos, l’attente et l’enfermement, Midnight Traveler émeut d’autant plus qu’il est traversé par une lumière – celle de moments de joie, d’optimisme salvateurs et de complicité d’une famille qui, dans son malheur, trouve la force de reconquérir sa liberté. Midnight Traveler de Hassan Fazili, Sophie Dulac (1 h 27), sortie le 30 juin

DAVID EZAN

Avremo ancora l’occasione di ballare insieme

[Nous aurons encore l’occasion de danser ensemble] d’après Ginger & Fred de Federico Fellini un projet de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini en italien, surtitré en français 6 – 28 janvier / Théâtre Nanterre-Amandiers

7 janvier – 20 février / Odéon 6e

La réponse des Hommes

La Cerisaie d’Anton Tchekhov mise en scène Tiago Rodrigues

texte et mise en scène Tiphaine Raffier

21 janvier – 20 février / Berthier 17e

5 mars – 1er avril / Berthier 17e

texte et mise en scène Alexander Zeldin création

d’après Dogville de Lars von Trier un spectacle de Christiane Jatahy

8 mars – 3 avril / Odéon 6e

12 – 27 avril / Berthier 17e

un spectacle de Christophe Honoré

d’après La Plâtrière de Thomas Bernhard mise en scène Séverine Chavrier

Entre chien et loup

Une mort dans la famille

Le Ciel de Nantes

Trois questions À HASSAN FAZILI Pourquoi avoir décidé d’ouvrir le Café de l’Art ? À l’origine, pour avoir une source de revenus et pour créer un lieu d’échanges entre artistes, ce qui n’existait pas là-bas. Je savais que l’entreprise était risquée, mais pas que ça ferait autant scandale. En définitive, avec les habitués du café, nous sommes devenus des résistants malgré nous. Comment s’est mis en place ce système de prise de vue avec vos trois téléphones ? Lorsqu’on a dû s’enfuir du Tadjikistan, j’ai appris à ma femme et à ma grande fille, Nargis, à bien filmer avec un téléphone. On s’est filmés les uns

10 – 18 décembre / Berthier 17e

les autres, sans savoir si on resterait vivants. Nous avions deux téléphones au départ, puis un seul en arrivant en Bulgarie, puis trois à partir de la Serbie. Que pensez-vous du traitement médiatique des migrants ? On en parle, c’est déjà ça, mais les migrants sont présentés comme des gens très en demande de tout ou comme des délinquants. C’est une vision très pauvre de la réalité. Mon film entend montrer cette réalité sur un temps donné, sans faire dans le sentimentalisme ou dans la revendication politique.

été 2021 – no 181

Ils nous ont oubliés

10 – 26 mai / Odéon 6e

Kliniken de Lars Norén mise en scène Julie Duclos

13 mai – 3 juin / Berthier 17e

18 – 26 juin / Odéon 6e

de William Shakespeare mise en scène Célie Pauthe

de Virginie Despentes mise en scène Thomas Ostermeier en allemand, surtitré en français

Antoine et Cléopâtre

Vernon Subutex 1

theatre-odeon.eu / 01 44 85 40 40

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Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

FÉVRIER SORTIE LE 30 JUIN

Dans Février, cinquième long métrage du cinéaste bulgare Kamen Kalev (Eastern Plays, Tête baissée), Petar reste fidèle à sa vie humble auprès de son troupeau de brebis. Empathique, sans percer son mystère, le réalisateur filme l’attachement du berger à sa solitude à trois âges différents. Février est construit en trois parties. La première met en scène un vieux berger et son petit-fils vivant au son paisible des cloches suspendues au cou des brebis, dans le cadre pastoral et estival de la Bulgarie rurale. La deuxième dépeint le mariage d’un tout jeune couple, avant que le mari ne parte pour l’armée où il se tient à l’écart

SOUS LE CIEL D’ALICE SORTIE LE 30 JUIN

Le traumatisme de la guerre civile libanaise raconté comme la fin d’une utopie amoureuse et d’un conte de fées : le premier long métrage de Chloé Mazlo, sélectionné à la Semaine de la critique 2020, trouve une manière désespérément mélancolique d’évoquer les souffrances passées et présentes de tout un pays. Inspirée par les souvenirs de ses grands-­ parents, Chloé Mazlo narre l’histoire d’une jeune femme suisse (Alba Rohrwacher) qui part dans les années 1950 travailler au Liban, où elle tombe amoureuse d’un astrophysicien libanais et idéaliste (Wajdi Mouawad). Après une vingtaine d’années idylliques à

CE QUI RESTE SORTIE LE 11 AOÛT

À Hambourg, une étudiante en médecine tombe amoureuse d’un Libanais qui veut devenir dentiste. Il découvre vite qu’elle cache leur relation à sa mère. D’une trame classique à la « Roméo et Juliette », l’Allemande Anne Zohra Berrached tire un récit d’émancipation habile et nuancé, qui prend des détours inattendus. Au départ, rien d’original dans cette romance naissante entre Saeed, jeune Allemande d’origine turque, et Aslid, Libanais arabe. Alors qu’on se laisse distraitement happer par leur charme et l’alchimie qui opère entre eux, un panneau « Première année » nous fait entendre que leur histoire

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no 181 – été 2021

des autres militaires. Le troisième segment, au milieu d’une nature glacée et brumeuse, figure un vieil homme vivant seul… Une mise en scène contemplative fait le lien entre ces actes dont on comprend, grâce à quelques récurrences, qu’ils retracent à chaque fois un nouvel âge (enfance, jeunesse, vieillesse) dans la vie solitaire et austère d’un berger, Petar. Au fil du temps revient la fascination du personnage pour les oiseaux, dont il ira jusqu’à imiter le cri – ce qu’on ne perçoit pas comme un symbole un peu lourd de son besoin de liberté, car dans le film, et c’est sa beauté, rien n’est ostensible. Plus qu’à donner des indices sur le repli d’un homme, Kamen Kalev s’attache à son opacité même, et semble nous demander de simplement ressentir son rythme, sa présence.

Beyrouth, la guerre civile éclate et fissure le bonheur du couple… La cinéaste française (César 2015 du meilleur court métrage d’animation avec Les Petits Cailloux) construit un cocon visuel paradisiaque – dans lequel s’invitent quelques séquences animées – avant de figurer le conflit libanais de manière abstraite, comme pour mieux retranscrire le déni de personnages qui restent longtemps accrochés à leurs fantasmes d’unité familiale et nationale. Portant un regard à la fois tragique et nostalgique sur le passé, le film sublime ainsi la sensation de déchirement que le Liban éprouve toujours vivement aujourd’hui.

Février de Kamen Kalev, UFO (2 h 05), sortie le 30 juin

QUENTIN GROSSET

Sous le ciel d’Alice de Chloé Mazlo, Ad Vitam (1 h 30), sortie le 30 juin

DAMIEN LEBLANC

La guerre civile éclate et fissure le bonheur du couple. va se déployer dans la durée. C’est dans cette temporalité que se loge la force du récit : à une brûlante love story éclair, la cinéaste préfère une relation certes sous tension, mais à combustion lente. Décrivant, sur cinq ans, les instants de communion – le couple rêve un avenir où ils pourraient vivre n’importe où – aussi bien que ceux de friction – Saeed cache Aslid à sa mère, qui hait les Arabes –, Ce qui reste nous emporte lentement, sans emphase, vers des chemins sombres. Accrochés à Saeed, qui s’obstine à ne voir que la lumière dans la relation, on retient notre souffle, jusqu’à un final sidérant.

Ce qui reste d’Anne Zohra Berrached, Haut et Court (1 h 58), sortie le 11 août

TIMÉ ZOPPÉ

Une relation certes sous tension, mais à combustion lente.


Un «feel-good» au succès annoncé. TÉLÉRAMA Emouvant et drôle. LE PARISIEN KAD MERAD

UN

TRIOMPHE UN FILM DE

EM M A N UEL CO URCO L

LE 1ER SEPTEMBRE


Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

La nuit, le garçon se transforme en loup-garou.

TEDDY SORTIE LE 30 JUIN

Après Willy 1er, Ludovic et Zoran Boukherma racontent à nouveau le rêve d’émancipation, d’intégration et de revanche sociale d’un garçon, cette fois-ci dans l’écrin d’une chronique adolescente sensible qui épouse à merveille les codes du film de loup-garou. Teddy est à l’écart parce qu’il est déscolarisé, qu’il écoute du hard-rock et n’a d’autre ambition que de construire une maison avec celle qu’il aime. Proche de décrocher le bac, Rebecca, elle, est prête à quitter leur bled perdu des Pyrénées. La nuit, le garçon se transforme en loup-garou… Avec ses gueules tout droit sorties des films de Bruno Dumont, son goût pour le laid et le beau, son ton (faussement) farceur, Teddy, deuxième opus des frères jumeaux Boukherma (lire p. 12), âgés seulement de 29 ans, pourrait faire redouter une étrangeté et une fantaisie surfaites. S’il cultive comme son aîné, Willy 1er, premier long métrage coréalisé avec Marielle Gautier et Hugo P. Thomas en 2016, une appétence pour le kitsch, le film évite tout opportunisme qui lui ferait renier son sujet et ses personnages atypiques. Comme si les jeunes cinéastes, ultra conscients de l’imagerie et des fantasmes de leur univers gavé de références (Dumont

LA LOI DE TÉHÉRAN SORTIE LE 28 JUILLET

Avec ce sidérant polar ancré dans la brutale réalité du trafic de drogue en Iran, Saeed Roustayi frappe fort par sa brillante mise en scène et son art de la confrontation morale. Une grande tragédie sociale, Grand Prix de la compétition internationale au festival du film indépendant de Bordeaux. Course-poursuite aux abords d’un chantier assourdissant, horde de toxicomanes parqués dans des cylindres en béton, commissariat où s’entassent des miséreux à qui l’on ordonne de se mettre nus : le deuxième film de Saeed Roustayi (après Life and a Day en 2016, inédit en France) sidère dès les premières minutes avec un flot d’images qui laisse une marque indélébile. La Loi de Téhéran dépeint la réalité d’une toxicomanie qui a brutalement changé de visage ces dernières années en Iran, au point d’être devenue de plus en plus visible dans les rues. La dépendance au crack a tellement modifié l’environnement social du pays (qui compterait désormais 6,5 millions de consommateurs de drogue) que le jeune cinéaste a d’abord voulu réaliser un documentaire sur le sujet avant d’opter pour le polar. Le film suit l’enquête de Samad, policier obsessionnel qui retrouve enfin la

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trace du parrain de la drogue qu’il traquait depuis un an. S’engage une confrontation à la fois judiciaire, morale et psychologique dans laquelle est autant décortiqué le fonctionnement des institutions iraniennes que celui des réseaux de narcotrafiquants. Les figures du flic (excellent Payman Maadi, déjà vu dans Une séparation d’Asghar Farhadi) et du criminel (Navid Mohammadzadeh) apparaissent progressivement comme les deux revers d’une même médaille, chacun s’estimant dans son bon droit et considérant ses propres turpitudes comme le fruit d’un système global. L’intense portrait de la corruption individuelle et collective qui ronge la ville de Téhéran rappelle la fougue du cinéma de William Friedkin (French Connection), mais La Loi de Téhéran s’impose surtout comme une œuvre hautement personnelle à la mise en scène étincelante. Au bout de cette poignante tragédie qui explore les conséquences matérielles et physiques du trafic de drogue, le dernier plan – retranscription d’une vision du réalisateur qui a déclenché le projet – conclut magistralement le récit en mêlant réalisme, surnaturel et fatalisme.

donc, mais aussi Gregg Araki et les frères Coen), l’installaient solidement pour mieux faire jaillir, de son vernis outrancier et très branché, un regard aiguisé sur des questions aussi vastes, et ici très incarnées, que celles de la marge, de l’exclusion, de la masculinité toxique, de l’abus de pouvoir et des mécanismes menant à l’extrémisme. Que les deux premiers films des frères Boukherma portent chacun le nom de leur héros n’est pas innocent et dit toute l’attention réservée à ces êtres hors cadre. Dès l’ouverture du film, Teddy (génial Anthony Bajon) est mis à l’écart du groupe. L’image sert de métaphore, elle est le fil rouge d’un film qui ne raconte que ça : l’impossible cohabitation entre des personnes venues (socialement) d’ailleurs. Pourtant, grâce à son plan final, celui d’un regard qui dit clairement que la rencontre a bel et bien eu lieu, le film parvient à éviter l’écueil du cynisme, préférant toujours la comédie à l’ironie, la franchise du regard au surplomb. Les monstres ne sont pas toujours ceux que l’on croit, dit le film qui, dans un dernier souffle, fait enfin entendre les cris de la véritable meute. Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma, The Jokers (1 h 28), sortie le 30 juin

MARILOU DUPONCHEL

Un intense portrait de la corruption qui ronge Téhéran.

La Loi de Téhéran de Saeed Roustayi, Wild Bunch (2 h 10), sortie le 28 juillet

DAMIEN LEBLANC

no 181 – été 2021


CRÉATION : FLORENT JARROIR ∙ PHOTOS : PASCAL PLISSON

SEPT

1ER


LES FILMS PELLÉAS présente

UN FILM DE DANIELLE ARBID

COURAMAIUD © PHOTO : MAGALI BRAGARD

DANIELLE ARBID

ANNIE ERNAUX

D’APRÈS L’OUVRAGE D’ © GALLIMARD, 1992 LOU-TEYMOUR THION CAROLINE DUCEY AVEC LA PARTICIPATION DE GRÉGOIRE COLIN ET SLIMANE DAZI PRODUCTION DAVID THION ET PHILIPPE MARTIN COPRODUCTION JACQUES-HENRI BRONCKART PRODUCTEUR ASSOCIÉ TANGUY DEKEYSER IMAGE PASCALE GRANEL DÉCORS CHARLOTTE DE CADEVILLE COSTUMES ORIOL NOGUES PREMIÈRE ASSISTANTE RÉALISATION CAMILLE FLEURY MONTAGE IMAGE THOMAS MARCHAND DIRECTION DE PRODUCTION DAMIEN SAUSSOL DIANE WEBER CHEF MAQUILLEUSE, COIFFEUSE MARINE TESSON MONTAGE SON MARC BASTIEN INGÉNIEUR DU SON PAUL MAERNOUDT MIXAGE THOMAS GAUDER RÉGIE GÉNÉRALE MAXIME MUND (AFR) JÉRÉMIE BALEMBOIS CHEF ÉLECTRICIEN MARC LAMBERT CHEF MACHINISTE LÉO STRITT SUPERVISION MUSICALE THIBAULT DEBOAISNE DIRECTION DE POST-PRODUCTION JULIETTE MALLON NATHALIE DELENS UNE COPRODUCTION FRANCE-BELGIQUE LES FILMS PELLÉAS VERSUS PRODUCTION EN COPRODUCTION AVEC AUVERGNE-RHÔNE-ALPES CINÉMA PROXIMUS AVEC LA PARTICIPATION DE CINÉ + LA RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES EN PARTENARIAT AVEC LE CNC AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION ÎLE-DE-FRANCE EN PARTENARIAT AVEC LE CNC LE TAX SHELTER DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL BELGE ET D’INVER TAX SHELTER EURIMAGES EN ASSOCIATION AVEC CINÉCAP 2 ET 3 LA BANQUE POSTALE IMAGE 12 ET CINÉMAGE 13 DÉVELOPPEMENT CINÉVENTURE 4 DISTRIBUTION FRANCE PYRAMIDE DISTRIBUTION VENTES INTERNATIONALES PYRAMIDE INTERNATIONAL SCÉNARIO ET DIALOGUES

D’APRÈS L’OUVRAGE D’ANNIE ERNAUX © GALLIMARD, 1992


L’AMOUR FOU : LE FILM L’OBS

MAGNIFIQUE ET SENSUEL VOGUE

UN SUPERBE CORPS À COEUR TÉLÉRAMA

UNE FEMME PRISE DANS LES PULSIONS TROUBLES DU DÉSIR LIRE

AU CINÉMA LE 11 AOÛT www.passion-simple-lefilm.com


Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

BONNE MÈRE SORTIE LE 21 JUILLET

Hafsia Herzi signe un beau film de groupe sur la condition féminine et son assignation au sacrifice, dans la section Un certain regard à Cannes. Elle y suit le quotidien de labeur de Nora, quinquagénaire et mère de famille dévouée. En seulement deux films, Hafsia Herzi, comédienne éclose chez Abdellatif Kechiche et désormais cinéaste, dessine une trajectoire singulière dans le cinéma français. Si Tu mérites un amour, son premier long bricolé avec trois sous, et Bonne mère s’inscrivent tous deux dans l’héritage franco-français d’un naturalisme obsédé par la captation d’un réel authentique, de ces moments de vie qui s’écoulent avec clarté sur l’écran, ils s’affranchissent de ses écueils les plus moroses. Les deux films transmettent la très vive et aussi réjouissante affirmation d’un regard neuf et plein d’allant derrière la caméra. Avec Bonne mère, Herzi brosse le portrait d’une quinquagénaire, Nora, mère de famille multipliant les emplois de femme de ménage et d’aide à une personne âgée. Le début du film se concentre d’ailleurs sur les longs trajets qui la mènent des quartiers nord de Marseille jusqu’à son travail à l’aéroport et saisit là quelque chose du labeur d’une vie de devoir, vouée aux autres. Si Nora ne

peut prendre soin d’elle, c’est parce que tout son être est consacré à son prochain et plus particulièrement à ses trois grands enfants survoltés. Autour de cette stakhanoviste sonne le brouhaha des chamailleries et des rires d’une fratrie qui fait son bonheur mais l’épuise. Le film est très juste (et aussi par endroits extrêmement drôle) quand il égratigne l’image idéalisée d’une maternité heureuse qui se commue ici en chemin de croix, dont Nora s’écarterait volontiers. Bonne mère s’abandonne avec joie aux voix dissonantes de sa petite chorale débrouillarde, passant du drame (un fils aîné en prison) à la franche comédie (une fille jalouse bientôt aspirée dans un drôle de business) avec légèreté et profondeur. Le bel instinct d’Hafsia Herzi est d’accorder à l’enregistrement de ce réel brut, étiré dans de longues séquences de joutes verbales et autres scènes de repas, une pointe de lyrisme, notamment via la chanson, qui fait léviter le film dans une bulle d’infinie douceur et de tendresse – sentiments qui éclairent le visage de Nora, gardienne du phare dans la nuit.

Le film s’abandonne avec joie aux voix dissonantes de sa petite chorale débrouillarde.

Bonne mère d’Hafsia Herzi, SBS (1 h 39), sortie le 21 juillet

LE SOUPIR DES VAGUES

MARILOU DUPONCHEL

SORTIE LE 4 AOÛT

Kōji Fukada n’oublie pas que la jeunesse a aussi envie de légèreté.

Le Japonais Kōji Fukada renoue avec l’un de ses thèmes phares : l’arrivée troublante d’un inconnu dans une communauté, filmée ici comme fascinante allégorie des tsunamis qui frappèrent l’Indonésie en 2004 et le Japon en 2011. Dans Harmonium (2017) ou Hospitalité (2010), Kōji Fukada donnait des versions toutes personnelles du fameux Théorème (1969) de Pier Paolo Pasolini. Ce canevas de l’apparition d’un individu mystérieux s’immisçant dans un groupe, venant bouleverser sa routine, était alors utilisé à l’échelle de la famille japonaise, pour ausculter ses dynamiques. Le Soupir des vagues répète cette structure, mais cette fois dans une dimension plus large, pour donner à voir l’hébétude, le sentiment d’absurde face à une catastrophe naturelle. Fukada situe son film en Indonésie, pays déjà évoqué en creux dans son Au revoir l’été (2014), et qui a connu en 2004 un traumatisme causé par les ravages d’un tsunami, comme le Japon plus tard en 2011… Sachiko, étudiante japonaise, vient déposer les cendres de son père dans la ville de Banda Aceh, sur l’île de Sumatra, où

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il avait fait son dernier voyage. Elle loge chez sa tante Takako, qui s’y était installée pour venir en aide aux survivants. Fukada n’oublie pas que la jeunesse, alourdie par les répercussions de la catastrophe dans laquelle elle a parfois perdu des aînés, a aussi envie de légèreté. Avec délicatesse, il regarde son héroïne développer ses propres intrigues, amoureuses ou amicales, parler de la double identité indonésienne et japonaise avec son cousin Takashi ou du désir de journalisme d’Ilma, l’ancienne petite amie de celui-ci… Le tsunami n’apparaît en fait qu’en arrière-plan, sous les traits de Laut (« mer » en indonésien), jeune homme échoué nu sur la plage au tout début du film, et dont le mutisme intrigue toute l’île. À la lisière du fantastique, Fukada capte l’incertitude autour de cette présence aux étranges pouvoirs, perçue tantôt comme bienveillante, tantôt comme menaçante. La finesse du film repose justement sur le fait que le réalisateur ne tranche pas, faisant de Laut une allégorie ambiguë et discrète, sorte de rappel inquiet à la mémoire. Le Soupir des vagues de Kōji Fukada, Art House (1 h 29), sortie le 4 août

QUENTIN GROSSET



Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

LOULOUTE SORTIE LE 18 AOÛT

BERLIN ALEXANDERPLATZ SORTIE LE 18 AOÛT

Une prof de collège fait son introspection au fil de ses souvenirs d’adolescence. Le réalisateur d’Artémis. Cœur d’artichaut (2013) et des Filles au Moyen Âge (2016) recrée la Normandie des années 1980 dans ce film doux-amer.

nique de la vie rurale normande. Hubert Viel met Louloute adulte, prof de collège angoissée, face à ses souvenirs. Aux spectateurs de créer leurs propres liens entre le présent et ce passé réenvisagé par l’héroïne – où l’on se rend compte qu’entre ses parents ça n’allait pas, que son père agriculteur était soumis à des cadences folles… Dans ce versant introspectif remuant, le film se rapproche alors parfois du très beau Camille redouble (2012) de Noémie Lvovsky.

Si les teen movies français des eighties à la façon du sucré La Boum ont la cote dans le cinéma hexagonal récent (Été 85 de François Ozon), Louloute d’Hubert Viel ne tire pas les mêmes fils nostalgiques. Certes, on y retrouve la même tendresse pour quelques fétiches (les publicités Cajoline, les coupes en brosse) et la même drôlerie des premières amours maladroites, des disputes entre frères et sœurs – des atmosphères dont le grain de la pellicule parvient à restituer la chaleur… Mais il y a aussi de l’âpreté dans cette chro-

Il y a aussi de l’âpreté dans cette chronique de la vie rurale normande.

Le roman d’Alfred Döblin, écrit en 1929, avait déjà été adapté en 1979 par Rainer Werner Fassbinder. Avec une liberté folle, Burhan Qurbani reprend le flambeau en transposant l’intrigue dans le Berlin contemporain, imaginé comme une citadelle industrielle contre laquelle viennent s’écraser les rêves des migrants.

prise d’un trafiquant machiavélique. Trois heures d’apnée jusqu’au fond d’un abîme de noirceur lyrique : voilà le programme de Berlin Alexanderplatz, œuvre monstre qui voit ses personnages dévorés par la ville. Bien qu’il aborde un thème de société, Burhan Qurbani se détache d’emblée de tout réalisme – nous sommes dans un conte, d’ailleurs narré par une voix éthé­ rée. Le cadre est en constante apesanteur, irra­d ié des néons d’un Berlin interlope comme vidé de son souffle, hanté par des meutes de charognards. Aucune psychologisation chez le cinéaste qui fait confiance à la force d’incarnation de personnages qui, en opposition à la réserve inquiète de Francis, ont tous la flamboyance des héros tragiques. Leurs expressions grimaçantes, couplées à la dimension hallucinatoire du film, semblent ainsi faire office de projection mentale – ou comment figurer, littéralement, la descente aux enfers d’un jeune migrant.

À l’ancien détenu du roman, le cinéaste a substitué un Guinéen en exil, Francis, débarqué à Berlin en espérant y trouver une vie décente. Il possède une volonté de fer et, pourtant, il ne rencontrera sur place que damnation, tombant sous l’em-

SÈME LE VENT SORTIE LE 28 JUILLET

Après trois ans d’absence, Nica revient dans les Pouilles et retrouve l’oliveraie familiale, menacée par un parasite. Devant l’inaction de ses parents, qui veulent la vendre, elle entre en lutte. Sème le vent, deuxième long de Danilo Caputo, marque par la sensorialité avec laquelle il dépeint sa résistance. Sème le vent laisse en tête ses beaux travellings nocturnes avec les phares d’une voiture qui éclairent les grands oliviers, leur conférant un halo onirique. Ces plans réunissent d’une part le caractère clandestin de la lutte menée par Nica, étudiante en agronomie qui revient dans les Pouilles après un

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long et mystérieux silence (la jeune fille se bat en cachette pour trouver le remède au parasite qui rend malades les arbres, tandis que sa famille voudrait céder l’exploitation à une entreprise qui les abattrait), d’autre part l’aspect plus spirituel de son émancipation (inspirée par sa grand-mère qui autrefois entretenait une relation fusionnelle avec les oliviers, elle découvre la façon dont ils se manifestent). La mise en scène insiste alors sur le son des arbres, craquements d’écorces, flux de la sève ou mouvements des feuilles, comme une manière d’inscrire la résistance écolo dans le sensible, évitant ainsi l’écueil des élans mystiques new age.

Louloute d’Hubert Viel, Tandem (1 h 28), sortie le 18 août

QUENTIN GROSSET

Berlin Alexanderplatz de Burhan Qurbani, Le Pacte (3 h 03), sortie le 18 août

DAVID EZAN

Sème le vent de Danilo Caputo, Pyramide (1 h 31), sortie le 28 juillet

QUENTIN GROSSET

La mise en scène insiste sur le son des arbres, du flux de la sève.


WHY NOT PRODUCTIONS et ALBA PICTURES présentent

Photo : Shanna Besson • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA

UN FILM DE YASSINE QNIA

AU CINÉMA LE 4 AOÛT

SOUFIANE

GUERRAB

SOUHEILA

YACOUB


Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

Le cinéaste remet en scène l’échec du tournage puis la lente agonie de son père.

LA MORT DU CINÉMA ET DE MON PÈRE AUSSI SORTIE LE 4 AOÛT

Le tournage du premier long métrage de l’Israélien Dani Rosenberg s’est interrompu lorsque son père, qui jouait le rôle principal, est tombé malade. De cette impasse, il a tiré ce film unique entre réel et fiction. Pour le père de Dani, ce devait être le rôle de sa vie : celui d’un patriarche paranoïaque qui, par peur de bombardements sur Tel-Aviv, décide d’entraîner sa famille en pleine nuit jusqu’à Jérusalem. Mais, très vite, sa maladie l’empêche de poursuivre le tournage. Ses jours sont comptés. Tourner la même histoire sans ce père est inenvisageable : il faut inventer, ou plutôt « laisser s’inventer » un film qui prenne en charge ces événements. Dani remet alors en scène, avec des doubles fictifs, l’échec du tournage puis la lente agonie de son père qui, dans cette version fantasmée, s’efforce malgré tout d’incarner le rôle écrit par son fils. Si le résultat a quelque chose de troublant, c’est qu’il s’agit moins d’un film que d’une (sublime) tentative de film, dans la fiction mais aussi dans le réel – le cinéaste y appose en effet d’autres images, documentaires cette fois, des derniers instants de son père comme de multiples archives de jeunesse. Ces documents, fissurant la narra-

DRIVE MY CAR  SORTIE LE 18 AOÛT

Ryūsuke Hamaguchi adapte un extrait du recueil de nouvelles Des hommes sans femmes de Haruki Murakami. Il signe un récit vertigineux, sélectionné en Compétition à Cannes, sur la manière dont la fiction peut hanter ou sauver. Dans Drive My Car, la voiture symbolise l’errance, le fait de circuler en espérant trouver l’apaisement. Elle est le point de rencontre entre Yusuke, acteur et metteur en scène créant Oncle Vania d’Anton Tchekhov dans un festival à Hiroshima, et sa chauffeure, la peu diserte Misaki. Pendant leurs trajets quotidiens, Yusuke et Misaki se lient en échangeant sur leurs deuils respectifs, mais surtout en se racontant les fictions imaginées par les proches qu’ils ont perdus, envers qui tous deux entretenaient un certain ressentiment… Avec son écoute empathique, Hamaguchi fait sentir tout ce qu’il y a entre leurs mots, révèle leur sentiment de culpabilité enfouie. Après Intimacies (2012) ou Senses (2015), le cinéaste prend une nouvelle fois le théâtre comme toile de fond pour sonder ce qui lie comédie et vérité. Car il y avait des mensonges entre Yusuke et la femme qu’il a perdue, une scénariste qui ne s’était jamais remise de la mort de leur fille et qui est décédée subitement. Mais, se demande-t-il, son épouse n’a-t-elle jamais été aussi sincère que lorsqu’elle inventait des histoires

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de lamproies pendant qu’elle lui faisait l’amour ? Alors qu’il distribue les rôles de la pièce qu’il veut multilingue – toujours cette réflexion sur l’énonciation, déjà développée à travers les dialectes dans Asako I & II –, Yusuke se prend lui-même à un jeu de rôle étourdissant et plein d’affects. Il choisit d’abord, pour incarner oncle Vania, un jeune acteur dont il sait qu’il a autrefois entretenu une liaison avec son épouse, avant d’être contraint de le remplacer – ce sera peutêtre la voie cathartique vers la cicatrisation. Même vertige pour Misaki, qui retourne sur les traces de son enfance en se souvenant du jeu trouble de sa mère qui s’était inventé un personnage pour communiquer avec elle, quand elle était d’ordinaire distante et peu aimante. Dans les pas feutrés d’un Jacques Rivette ou d’un Abbas Kiarostami (on pense beaucoup à La Bande des quatre et à Close-Up), Hamaguchi manifeste toute la considération et l’amour qu’il a pour la fiction : elle n’est pas une simple représentation, mais un prolongement direct de la vie, aussi sinueux que les routes prises par les deux protagonistes.

tion de leur mélancolie familiale, sont bouleversants car ils témoignent d’une volonté de remplir le cadre de l’image de ce père ; le remplir d’images du passé, à défaut de lui offrir un rôle dans le présent. S’il peut sembler vertigineux, ce télescopage trouve une cohérence inespérée dans les échos qu’il produit. Échos qui peuvent être purement émotionnels (un même lieu qui, en un raccord, vieillit de trente ans) ou narratifs, comme lorsqu’un film de jeunesse du cinéaste mettait déjà en scène la mort du père. Cela passe également par un personnage, la mère de Dani, témoin de cette mort dans le réel et dans la fiction, dans laquelle elle joue son propre rôle ; habitant le film de sa présence silencieuse, elle est le seul relais entre toutes les images et, à ce titre, elle en est peut-être la véritable héroïne. Celle à qui le cinéaste a finalement offert le rôle d’une vie, concrétisant son propre désir de cinéma : celui de rejouer la mort du père dans la fiction, pour l’immortaliser comme pour la conjurer. La Mort du cinéma et de mon père aussi de Dani Rosenberg, Nour Films (1 h 40), sortie le 4 août

DAVID EZAN

Dans les pas feutrés d’un Rivette ou d’un Kiarostami.

Drive My Car de Ryūsuke Hamaguchi, Diaphana (2 h 59), sortie le 18 août

QUENTIN GROSSET

no 181 – été 2021



Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

THE SPARKS BROTHERS SORTIE LE 28 JUILLET

LES SORCIÈRES DE L’ORIENT SORTIE LE 28 JUILLET

LA FIÈVRE SORTIE LE 30 JUIN

Sur le papier, la rencontre entre les Sparks (vingt-cinq albums entre 1971 et 2020) et Edgar Wright (Scott Pilgrim, Baby Driver) était un coup sûr. Fan des frères Mael, dont il partage l’énergie pop et l’humour débridé, le cinéaste a pris son temps (deux heures

un quart) pour retracer leur carrière et faire le bilan de leurs singularités – « le meilleur groupe anglais venu d’Amérique » (premier paradoxe énoncé par le film), « la rencontre de Marc Bolan et du sosie d’Hitler » (observation attribuée à John Lennon) ou « le groupe préféré de votre groupe préféré » (l’accroche de l’affiche). Si l’objectif est de (re)donner envie d’écouter Kimono My House (1974) ou Lil’ Beethoven (2002), le contrat est rempli : les archives claquent, les bons mots fusent, et le casting brasse large, de Beck à New Order. Ce faisant, le réalisateur met la pédale douce sur son style pour ne pas court-circuiter celui des Sparks, et ainsi édifier clairement leur légende. En dehors de quelques gimmicks (séquences d’animation lo-fi, reconstitution d’une scène de jeunesse à la plage, défini­ tions de termes du lexique sparksien), on oublierait presque qu’il s’agit d’un film d’Edgar Wright. Et ce n’est sans doute pas plus mal ainsi : comme le chantaient les excentriques frangins sur leur premier hit, « this town ain’t big enough for both of us ».

Ce documentaire fiévreux retrace la folle épopée des « Sorcières de l’Orient », l’équipe féminine de volleyball du Japon qui remporta la médaille d’or aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964.

Jeux olympiques de Tokyo en 1964. Les laissant raconter leurs exploits, le cinéaste signe un montage mental, au plus près de ce que lui-même imagine des pensées des joueuses sur le terrain. Les images d’archives, restituant toute leur concentration et leur ténacité, se mêlent alors à celles de mangas animés inspirés de leurs prouesses. À travers cette belle idée affleure la conviction que le sport carbure avant tout à l’imaginaire et au fantasme.

Julien Faraut est de ceux qui fouillent jusqu’à tomber sur ce genre d’histoire unique et insoupçonnée du monde sportif. En charge des archives 16 mm à l’Institut national du sport (Insep), il a trouvé celle de l’ascension de l’équipe de volleyeuses japonaises surnommées par la presse occidentale les « Sorcières de l’Orient ». Des années 1960 aux années 1980, ces ouvrières d’une usine de textile du sud d’Osaka travaillaient et s’entraînaient de front, jusqu’à enchaîner 258 victoires dont la plus folle fut celle des

Une histoire unique et insoupçonnée du monde sportif.

À Manaus, cité industrielle du nord-ouest du Brésil encerclée par la forêt amazonienne, Justino, issu de la communauté amérindienne des Desana, est touché par un mal indistinct… Une premiere fiction entêtante.

de plusieurs documentaires et formée à l’école du Fresnoy, convoque les croyances des Desana et les intègre à un environnement urbain qu’elle plonge presque en état d’hypnose. Avec une quiétude qui évoque le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul, elle parvient à retranscrire le désarroi nauséeux d’un personnage qui cherche sa place dans une ville inhospitalière et qui ressent l’appel viscéral de la forêt comme une possible issue de secours.

Triple actualité pour les Sparks : le scénario et la B.O. d’Annette de Leos Carax (lire p. 18), le cinquantième anniversaire de leur premier album, et ce documentaire louangeur signé Edgar Wright. L’occasion de (re)découvrir la pop zinzin et influente des frères Mael, à défaut de mieux la comprendre.

Chargé de la sécurité sur la zone portuaire de Manaus, Justino a la sensation d’être pris de fièvre et d’être menacé par un animal imperceptible. Sa fille Vanessa, en partance pour Brasília pour suivre des études de médecine, tente de le soigner, sans succès… À travers une forme onirique jouant beaucoup sur les ambiances sonores nocturnes (le bruit des insectes de la forêt, le ronflement des véhicules qui tournent autour des conteneurs sur le port…), la cinéaste, autrice

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no 181 – été 2021

The Sparks Brothers d’Edgar Wright, Alba Films (2 h 15), sortie le 28 juillet

MICHAËL PATIN

Les Sorcières de l’Orient de Julien Faraut, UFO (1 h 44), sortie le 28 juillet

QUENTIN GROSSET

La Fièvre de Maya Da-Rin, Survivance (1 h 38), sortie le 30 juin

QUENTIN GROSSET

Une quiétude qui évoque le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul.


CE QUI RESTE UN FILM DE ANNE ZOHRA BERRACHED

Une production RAZOR FILM en coproduction avec HAUT ET COURT, ZERO ONE FILM et NORDDEUTSCHER RUNDFUNK, ARTE FRANCE CINÉMA avec la participation de ARTE avec CANAN KIR et ROGER AZAR ainsi que ÖZAY FECHT, JANA JULIA ROTH, DARINA AL JOUNDI, NICOLAS CHAOUI, CECI CHUH, ZEYNEP ADA KIENAST Scénario STEFANIE MISRAHI co-scénariste ANNE ZOHRA BERRACHED Image CHRISTOPHER AOUN (BVK) Montage DENYS DARAHAN Musique originale EVGUENI GALPERINE, SACHA GALPERINE Décors JANINA SCHIMMELBAUER Costumes MELINA SCAPPATURA Maquil age NICA FAAS, VANESSA SCHNEIDER Mixage GREGOR BONSE (BVFT) Sound Design NIKLAS KAMMERTÖNS (BVFT), MARC FRAGSTEIN Montage Dialogues SABRINA NAUMANN Son SYLVAIN RÉMY, UVE HAUßIG Casting SUSANNE RITTER Casting Liban ABLA KHOURY Direction de Production PETER HERMANN Direction de Post-production VERONA MEIER, PETRA KADER-GÖBEL Producteurs Associés PIERRE SARRAF, KEVIN CHINOY Producteurs Exécutifs CHRISTIAN GRANDERATH, OLIVIER PÈRE, RÉMI BURAH, ANDREAS SCHREITMÜLLER, MICHAEL WEBER, TORSTEN FREHSE Co-Producteurs CAROLE SCOTTA, CAROLINE BENJO, JULIE BILLY, THOMAS KUFUS, TOBIAS BÜCHNER, MELANIE BERKE Produit par GERHARD MEIXNER, ROMAN PAUL, CHRISTIANE SOMMER un film de ANNE ZOHRA BERRACHED Une distribution HAUT ET COURT DISTRIBUTION © 2021 Razor Film, Haut et Court, zero one film, NDR, ARTE France Cinéma

AU CINÉMA LE 11 AOÛT


Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

HELMUT NEWTON. L’EFFRONTÉ

© Helmut Newton, Helmut Newton Estate Courtesy - Helmut Newton Foundation

SORTIE LE 14 JUILLET

Self portrait, Monte Carlo, 1993

DE BAS ÉTAGE SORTIE LE 4 AOÛT

Le photographe australien (1920-2004) est raconté par les modèles célèbres (Isabella Rossellini, Grace Jones, Charlotte Rampling) qui ont croisé son objectif dans ce documentaire de Gero von Boehm qui met richement en perspective son sens de la provocation. Parfois jusqu’à l’ironie, Helmut Newton a toujours pris de biais le genre très calibré de la photo de mode féminine, tout en poses suggestives. Mêlant archives et interviews où transparaît toute son espièglerie, ce documentaire retrace son parcours en expliquant son style ambigu, narquois. Il le commente parfois lui-même en racontant que, en tant qu’enfant juif ayant grandi dans l’Allemagne

Portrait d’un homme et de ses compromis avec ses rêves de jeunesse sur fond de film noir, le premier long métrage de Yassine Qnia creuse avec plus de noirceur le motif de l’échec social qui traversait déjà ses courts. Mehdi, la trentaine, se sait trop vieux pour continuer à percer des coffres-forts toujours un peu moins remplis dans des zones industrielles de banlieue. Il peine à renoncer au « gros coup » qui pourrait changer son quotidien, mais sait que ses illusions de vie facile sont perdues. Autour de lui, ses amis, sa famille, la mère de son fils ont déjà abandonné leurs rêves et tentent de s’arranger avec une existence éloignée de leur idéal… Opiniâtre et intransigeant, Mehdi n’a pas la mélancolie burlesque

LA TERRE DES HOMMES SORTIE LE 25 AOÛT

Cet haletant thriller rural doublé d’un récit d’émancipation épouse avec brio la lutte d’une jeune agricultrice qui apprend à se défaire d’un système d’oppression masculine pour imposer ses propres projets. Fille d’agriculteur, Constance (Diane Rouxel) souhaite reprendre et moderniser l’exploitation de son père en Bourgogne, mais la jeune femme se heurte à l’opposition des grands exploitants locaux, cramponnés à leur pouvoir. Quand elle obtient enfin le soutien de l’un d’eux (Jalil Lespert), celui-ci profite de la situation pour violer la timide agricultrice… Le deuxième long métrage de Naël Marandin (après La Marcheuse en 2015) entremêle ainsi plusieurs strates narratives, qui deviennent vite indissociables. Ce drame

76

no 181 – été 2021

nazie, son inconscient a été marqué par la grandiloquence des images de propagande de la cinéaste Leni Riefenstahl. D’autres influences (Brassaï, Erich von Stroheim…), ainsi qu’une mise en perspective autour d’une époque où la mode se voulait avant-gardiste et défiant les conventions (Yves Saint Laurent, Karl Lagerfeld, Anna Wintour…) éclairent, photos à l’appui, les rouages de son « art ». Un terme qu’il refusait d’ailleurs, se considérant peut-être simplement au service des marques, dont il détournait souvent les commandes – parfois dans une veine glauque, comme sa pub pour des bijoux où des mains manucurées dépiautent une carcasse de poulet. Mais les passages les plus intéressants du documentaire interviennent lorsque Isabella Rossellini, Grace Jones, Charlotte Rampling ou Claudia Schiffer livrent leur ressenti par rapport à sa manière de travailler. Elles détaillent alors toute la confiance qu’elles mettaient en lui, la force que ses photos ont pu leur donner, tout en interrogeant son male gaze. qui marquait les personnages des courts métrages de Yassine Qnia (F430, Molii et Fais croquer). Mais tout comme son protagoniste hésite entre l’argent facile et une vie rangée, De bas étage balance entre la douceur de la chronique familiale et l’angoisse nocturne du film de casse. Aubervilliers, où ses personnages évoluent depuis leur enfance, est autant leur nid que la prison dont ils ne savent pas s’extraire. De fait, De bas étage, qui fait partie de la sélection de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année, semble faire du surplace et s’achève exactement comme il avait commencé : Mehdi regarde celle qu’il aime de loin, depuis sa voiture. Pourtant, entre ces deux plans presque identiques, c’est un long trajet intérieur qu’a parcouru le protagoniste du film.

rural captive par sa manière subtile de montrer combien la violence sexuelle que subit Constance s’inscrit dans le prolongement d’une domination économique et masculine. La jeune femme mettra du temps à prendre conscience de son statut de victime. Elle trouvera surtout les moyens politiques d’affronter son agresseur, au prix d’un combat émancipateur illustré par une caméra mouvementée, sensible aux déplacements et au crescendo d’émotions de cette héroïne moderne.

Helmut Newton. L’effronté de Gero von Boehm, KMBO (1 h 33), sortie le 14 juillet

QUENTIN GROSSET

De bas étage de Yassine Qnia, Le Pacte, sortie le 4 août

RAPHAËLLE PIREYRE

La Terre des hommes de Naël Marandin, Ad Vitam (1 h 36), sortie le 25 août

DAMIEN LEBLANC

Un combat émancipateur illustré par une caméra mouvementée.


© 2021 SBS PRODUCTIONS – ARTE FRANCE CINEMA • Photo : © 2021 Guy Ferrandis / SBS Productions • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA

SAÏD BEN SAÏD ET MICHEL MERKT PRÉSENTENT

UN FILM DE

HAFSIA HERZI

AU CINÉMA LE 21 JUILLET


JUIN

Cochez les films que vous ne voulez pas manquer

30

The Deep House

Kuessipan

Possession

Apollo Films (N. C.)

Les Alchimistes (1 h 57)

Tamasa (2 h 02)

d’Alexandre Bustillo et Julien Maury

Titane

Universal Pictures (1 h 40)

Walt Disney (2 h 13)

Diaphana (1 h 48)

df

Rezo Films (1 h 39)

Septième Factory (1 h 26)

Fisherman’s Friends

Nour Films (1 h 25)

KMBO (1 h 58)

Alba Films (1 h 52)

d’Agnieszka Holland

d’Hassan Fazili

UFO (2 h 05) lire p. 62

Sous le ciel d’Alice de Chloé Mazlo Ad Vitam (1 h 30) lire p. 62

JUILLET

de Kamen Kalev

i3

Rétrospective Maurice Pialat

Bac Films

Capricci Films

Annette

Survivance (1 h 38)

UGC (2 h 19)

d

15

dm

Le couple de cinéastes Miguel Gomes et Maureen Fazendeiro a imaginé ce journal de confinement languide, entre docu et fiction, tourné dans une ferme portugaise en 2020.

z

Benedetta

de Leos Carax

lire p. 74

Le Pacte (1 h 25)

06 09

La Fièvre

de Maya Da-Rin

de Richard Claus et Jose Zelada

cycle 1, cinq films

z

lire p. 61

Février

d

Roberto Rossellini Une vie de cinémas

no 181 – été 2021

i

Journal de Tûoa

de Miguel Gomes et Maureen Fazendeiro Shellac (1 h 38)

ba Désigné coupable de Kevin Macdonald

Metropolitan FilmExport (2 h 10)

bd Fast & Furious 9

de Paul Verhoeven Pathé (2 h 11) lire p. 18

lire p. 76

Ainbo Princesse d’Amazonie

JUILLET

g4o

de Gero von Boehm

cm

rétrospective, neuf films

Sophie Dulac (1 h 27)

Helmut Newton L’effronté

o

de Chris Foggin

ig

lire p. 38

KMBO (1 h 33)

51

Le Procès de l’herboriste

Midnight Traveler

3r

de Ralf Kukula et Matthias Bruhn

j12

lire p. 60

Les Films du Losange (1 h 52)

5k

Solo

om

de Mia Hansen-Løve

Universal Pictures (1 h 36)

d’Anna Cazenave Cambet

lire p. 34

Bergman Island

de Joel Crawford

Fritzi

lire p. 56

df

Les Croods 2 Une nouvelle ère

De l’or pour les chiens

d’Artemio Benki

78

uf

Dans cet émouvant récit d’apprentissage, Esther, 17 ans, monte à Paris à la recherche d’un amour de vacances. Sans ressources, elle atterrit dans un couvent.

lire p. 10

de Julia Ducournau

de Cate Shortland

cb

lire p. 12 et 64

Bac Films (1 h 42)

dh

lire p. 60

Black Widow

d’Anne Fontaine

The Jokers (1 h 28)

de Julie Delpy

djr

d’Andrzej Żuławski

Présidents

de Ludovic et Zoran Boukherma

My Zoé

de Myriam Verreault

h

Teddy

jf

07 14 JUILLET

CALENDRIER DES SORTIES

JUILLET

Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

de Justin Lin

Universal Pictures (2 h 23) lire p. 6

a1


Sorties du 30 juin au 1er septembre <---- Cinéma

SND (2 h)

Bloody Milkshake

a Après avoir abandonné la compétition professionnelle, une nageuse olympique sombre dans le doute. Un portrait rigoureux et authentique, portée par la révélation Katerine Savard.

lire p. 12 et 56

Nadia, Butterfly

j

lire p. 53

Night Shyamalan (Sixième Sens, Split) revient avec ce thriller horrifique qui conte l’enfer de vacanciers piégés sur une plage où le temps est accéléré, parabole terrifiante sur le vieillissement.

d’Hafsia Herzi SBS (1 h 39)

lire p. 68

Louxor

de Zeina Durra Rezo Films (1 h 26)

Old

de M. Night Shyamalan

h4

Spirale L’héritage de Saw

En Grèce, l’ermite Nikitas lutte contre une compagnie qui veut racheter son terrain. Son fils, qu’il n’a pas vu grandir, lui réclame de l’argent… Un récit touchant sur la transmission.

thriller

guerre

fantastique

aventure

horreur

animation

historique

documentaire

catastrophe

famille

biopic

policier/enquête

super-héros

espionnage

de Darren Lynn Bousman Metropolitan FilmExport (1 h 33)

h

Digger

Sweet Thing

JHR Films (1 h 41)

Urban (1 h 31)

d’Alexandre Rockwell

de Georgis Grigorakis

Tandem (1 h 24)

o Quatre septuagénaires retirés à la campagne tentent de dissuader des agents immobiliers qui lorgnent sur leur propriété… Une comédie cinglante, dans laquelle fusent des punchlines acérées.

JUILLET

Chasseurs de truffes

de Michael Dweck et Gregory Kershaw

buddy movie psychologie

43j

d

28

technologie

enfant

musical

luttes sociales

féminisme

comingof-age

voyage/road trip

La Conspiration des belettes

Milla

Eurozoom (2 h 09)

Memento (1 h 58)

c

comédie dramatique

Universal Pictures (N. C.)

dr

de Juan José Campanella

sci-fi

U ET 20 21

JUILL

Les Alchimistes (1 h 47)

Bonne mère

d4

romance

de Pascal Plante

Le Pacte (2 h 45)

ig

drame

StudioCanal (1 h 54)

Jour2fête (1 h 35)

d’Arthur Harari

action

de Navot Papushado

de Guillaume Brac

Onoda

comédie

ci

À l’abordage !

cjr

MUSÉE DU LUXEMBOURG PROLO 19 MAI N I JUSQUGAT2021 O 425JUILLET ’A N

d’Alexandre Astier

western

de Shannon Murphy

3j

lire p. 56

Nisa Villers, Portrait présumé de madame Soustras laçant son chausson (détail), 1802, huile sur toile, Paris, musée du Louvre, département des Peintures, auprès du musée international de la Chaussure, Romans-sur-Isère © Rmn-Grand Palais (musée du Louvre) / photo © Maxime Chermat @ Aline Schneider Studio

JUILLET

21

Kaamelott Premier volet

ressortie écologie/nature

été 2021 – no 181

79


Cinéma -----> Sorties du 30 juin au 1er septembre

Arizona (2 h) lire p. 58

La Loi de Téhéran

de Saeed Roustayi Wild Bunch (2 h 10)

p

lire p. 64

04

Sème le vent

Le Soupir des vagues

Pyramide (1 h 31)

Art House (1 h 29)

de Danilo Caputo

nj

The Sparks Brothers

d’Edgar Wright

cip

Le Tour du monde en 80 jours de Samuel Tourneux

4d

Les Sorcières de l’Orient

De bas étage

UFO (1 h 44)

Le Pacte (1 h 27)

Situé au Japon, ce récit lent et délicat suit d’abord un couple infertile qui décide d’adopter un bébé, puis revient sur la douloureuse histoire de la mère biologique de l’enfant.

True Mothers

de Naomi Kawase

lire p. 72

de Yassine Qnia

d4

lire p. 74

11

lire p. 76

Nour est embauchée dans une usine chimique, dont elle découvre les ravages environnementaux. Un thriller qui évoque le récent Dark Waters de Todd Haynes.

Messe basse

de Baptiste Drapeau Capricci Films (1 h 31)

d

15 de Burhan Qurbani Le Pacte (3 h 03)

dl Louloute

d’Hubert Viel Tandem (1 h 28)

4i3

Capricci Films

Diaphana (2 h 59)

nx

Dans ce film étonnant et malicieux, le Suédois Roy Andersson (Nous, les vivants, 2017) explore les faces les plus absurdes de l’humanité à travers des saynètes oniriques ou prosaïques.

ASC (1 h 24)

d

Pyramide (1 h 39)

r Ce qui reste

KMBO (1 h 16)

Haut et Court (1 h 58)

Dans les années 1960, un père (fantasque Benoît Poelvoorde) persuade son enfant qu’il a été conseiller de de Gaulle qui l’aurait trahi. Il lui demande de le venger.

lire p. 58

d

En Camargue, un jeune homme marginal (David Murgia) en liberté surveillée tente de prendre un nouveau départ, embauché chez un homme bourru mais généreux (Slimane Dazi).

de Cédric Jimenez StudioCanal (1 h 44)

p

lire p. 62

Dans ce huis clos espagnol qui questionne avec humour l’érosion du désir conjugal, deux couples que tout oppose se dévoilent leurs secrets et questionnent l’amour.

Une relation mère-fils fusionnelle est perturbée par l’arrivée d’un beau-père… Le Mexicain Rodrigo Ruiz Patterson signe un film troublant sur la rébellion adolescente.

Profession du père

Tom Medina

Sentimental

Summer White

Ad Vitam (1 h 45)

Les Films du Losange (1 h 40)

Wild Bunch (1 h 21)

Destiny Films (1 h 25)

de Jean-Pierre Améris

i3 80

de Tony Gatlif

de Rodrigo Ruiz Patterson

de Cesc Gay

34

d no 181 – été 2021

lire p. 72

Bac Nord

d’Anne Zohra Berrached

fdr

lire p. 70

Inspiré du scandale de la Bac Nord de Marseille, ce polar sélectionné à Cannes plonge Gilles Lellouche, François Civil et Karim Leklou dans la peau de flics borderline.

de Danielle Arbid

Pour l’éternité

c

dr

lire p. 8

Passion simple

de Roy Andersson

lire p. 70

de Ryūsuke Hamaguchi

de Farid Bentoumi

z

lire p. 16

Berlin Alexanderplatz

Ad Vitam (1 h 28)

de Yerlan Nurmukhambetov et Lisa Takeba

Orange Studio / UGC (1 h 43)

Wild Bunch (1 h 22)

Drive My Car

Les Voleurs de chevaux

C’est la vie

Aya et la sorcière

de Gorō Miyazaki

Rouge

d4

de Julien Rambaldi

18

Rétrospective Maurice Pialat

cycle 2, quatre films

Haut et Court (2 h 20)

ca1

51

lire p. 68

La Mort du cinéma et de mon père aussi

lire p. 74

Walt Disney (N. C.)

StudioCanal (1 h 22)

Nour Films (1 h 40)

de Julien Faraut

oi

Gaumont (1 h 56)

de Dani Rosenberg

Alba Films (2 h 15)

om

rdf

de Shawn Levy

de Nicolas Bedos

de Kōji Fukada

lire p. 70

Free Guy

OSS 117 Alerte rouge en Afrique noire

AOÛT

dl

AOÛT

de Lemohang Jeremiah Mosese

Dix ans après, l’espion (Jean Dujardin, toujours en forme) est de retour avec son humour très « France de Giscard ». À la réalisation, Nicolas Bedos succède à Michel Hazanavicius.

AOÛT

L’Indomptable Feu du printemps

jd


Sorties du 30 juin au 1er septembre <---- Cinéma

25 1 France

Un triomphe

ARP Sélection (N. C.)

Memento Films (1 h 46)

de Bruno Dumont

jc

lire p. 32

Ad Vitam (1 h 36) lire p. 76

Fragile

d’Emma Benestan Haut et Court (N. C.)

jazzalavillette.com

sci-fi

comédie dramatique

thriller

guerre

Don’t Breathe 2

de Rodolfo Sayagues Sony Pictures (N. C.)

UFO (2 h 02)

aventure

horreur

animation

CÉCILE MCLORIN SALVANT & DAN TEPFER

Grande Halle de La Villette Philharmonie de Paris Atelier du Plateau Studio de l’Ermitage La Dynamo Villette Makerz

historique

documentaire

ELLEN ANDREA WANG

catastrophe

famille

biopic

policier/enquête

super-héros

espionnage

Le Pacte (1 h 23)

o

Claire Simon pose sa caméra attentive dans le petit village de Lussas, pour suivre les habitants engagés dans la création d’une plateforme dédiée aux films documentaires d’auteur.

de Martin Bourboulon Pathé (1 h 49)

bi

Le Fils de l’épicière, le maire, le village et le monde

HOMMAGE À MANU DIBANGO

AMBROSE AKINMUSIRE

Gogo

de Pascal Plisson

JEANNE ADDED BRUNO RUDER

THOMAS DE POURQUERY & SUPERSONIC

if

Eiffel

JOSÉ JAMES

ANGÉLIQUE KIDJO

ANTHONY JOSEPH

SHAI MAESTRO

EMMA-JEAN THACKRAY

buddy movie psychologie

de Claire Simon

Nour Films (1 h 51)

o

Dans ce film choral, Amos Gitaï croise les destins de cinq femmes venues dans une boîte de nuit d’une ville portuaire israélienne, pour questionner leurs différences culturelles et générationnelles.

Petites danseuses d’Anne-Claire Dolivet KMBO (1 h 31)

oj

Dans ce drame espagnol situé dans le Pays basque français du xviie siècle, des femmes de marin effrontées sont accusées de sorcellerie.

fantastique

d’Eugène Green

h4

Élèves d’un cours de danse exigeant, quatre fillettes se rêvent étoiles. Ce subtil docu tire parti de l’imaginaire ambigu de la danse classique, entre splendeur et dolorisme.

LOUIS COLE

lire p. 60

Atarrabi et Mikelats

cr

de Pablo Agüero

1er / 12 septembre 2021

Deux frères sont élevés par le diable et l’un s’enfuit. Mais, en partant, ce dernier perd son ombre… Le fantasque Eugène Green adapte une légende basque.

de Naël Marandin

Les Sorcières d’Akelarre

romance

d’Emmanuel Courcol

La Terre des hommes

dn

drame

technologie

enfant

musical

luttes sociales

féminisme

comingof-age

Laïla in Haïfa d’Amos Gitaï

Épicentre Films (1 h 39)

dl

Une Histoire d’amour et de désir

voyage/road trip

Licence : E.S. - 1083294 - 1041550 - 1041546 - 1041547 * Le Jazz n’est pas mort

3

action

Graphisme : Hartland Villa

AOÛT

SEPTEMBRE

er

comédie

western

de Leyla Bouzid

Sophie Dulac (1 h 32)

Pyramide (1 h 43)

id

dr

ressortie écologie/nature

été 2021 – no 181

81



Paradiscope -----> les sorties plateformes

LE

E D I GU

O S S DE

P S E I T R

O F E LAT

S E RM

COMMENT JE SUIS DEVENU SUPER-HÉROS FILM

Avec son Paris peuplé de super-héros désabusés et son casting prestigieux (Pio Marmaï, Benoît Poelvoorde, Leïla Bekhti…), ce film fantastique made in France arrive en juillet sur Netflix. L’occasion de se demander pourquoi le cinéma français contemporain s’attaque si rarement aux récits de super-héros.

D’abord prévu pour une sortie en salles et finalement diffusé à partir du 9 juillet sur Netflix, Comment je suis devenu super-­ héros porte en lui un parfum d’inédit. Le film imagine un Paris contemporain dans lequel les super-pouvoirs de certains citoyens sont une banalité tout à fait bien intégrée à la société. Mais lorsqu’une nouvelle drogue donnant de dangereux pouvoirs commence à circuler auprès de la jeunesse, les policiers Moreau (Pio Marmaï) et Schaltzmann (Vimala Pons) mènent l’enquête, bientôt aidés par Monté Carlo (Benoît Poelvoorde) et Callista (Leïla Bekhti), deux super-héros qui avaient provisoirement cessé leur activité de justiciers. Le quatuor va alors croiser

été 2021 – no 181

la piste du trafiquant Naja (Swann Arlaud), chef de bande au passé trouble. Un film de super-héros français, avec effets numériques et combats épiques ? Si la majeure partie du public a le sentiment de n’avoir jamais vu cela, Xavier Fournier, rédacteur en chef de la revue Comic Box et auteur de Super-héros. Une histoire française (Huginn & Muninn, 2014), rappelle que le genre était présent au début du siècle dernier : « Quand on replonge dans le cinéma muet, il y a un fonds important de films français qu’on pourrait aujourd’hui comparer à des récits super-héroïques, le terme n’existant pas encore à l’époque. » Citons Judex de Louis Feuillade, sorti fin 1916, his-

toire d’un justicier à cape noire qui prend un pseudonyme pour venger les victimes d’un banquier criminel. Ou encore Protéa, espionne en collants noirs, capable de se transformer en n’importe qui et de tromper la vigilance de ses ennemis, qui eut droit à cinq films entre 1913 et 1918. Mêlant goût du merveilleux, esthétique rococo et héros au caractère un brin anarchiste, ce genre cinématographique fit autorité avant d’être mis à l’écart. « Dans les années 1930 et 1940, les opposants aux récits fantastiques se sont mis à prétendre – à tort – qu’ils étaient d’inspiration étrangère. Les super-héros sont aussi devenus la cible d’une pensée conservatrice qui estimait qu’ils faisaient

83


de la concurrence aux saints et aux idées religieuses. » Et l’émergence de la Nouvelle Vague compliqua la tâche du cinéma fantastique français, jugé dès la fin des

années 1950 incompatible avec la notion de film d’auteur. L’héritage imaginaire des romanciers français Jules Verne ou Pierre Boulle fut alors récupéré par le cinéma américain : Disney produisit en 1954 Vingt mille lieues sous les mers, avec Kirk Douglas, et La Planète des singes fut adapté en 1968 par Franklin Schaffner, cinq ans après la parution du roman de Boulle. Comment expliquer un demi-siècle plus tard la mise en projet de Comment je suis devenu super-­héros ? Son réalisateur Douglas Attal raconte : « En lisant le roman éponyme de Gérald Bronner, j’ai eu un coup de foudre pour cet univers désenchanté qu’un personnage va essayer de réenchanter : dans un monde où les super-héros sont partout, mais où l’on ne prête plus attention à eux, comment s’émerveiller à nouveau ? »

En dépeignant avec talent des héros français désabusés et poussés à ranimer leur croyance en eux-mêmes, le cinéaste affiche sa foi en l’hybridation. « L’idée était d’avoir un casting protéiforme, venu de cinématographies différentes. » Ce qui fonctionne parfaitement et donne au super-pouvoir de chacun un sens thématique : la téléportation traduit par exemple le désir de fuir sa dépression, ressenti par le personnage de Benoît Poelvoorde. Les séquences d’action sont ici prises au sérieux et le film cultive un ton de polar urbain qui débouche sur une parabole politique – une des essences du cinéma de super-héros – autour d’une jeunesse en souffrance. Si le cinéma français avait abordé ces dernières années le sujet super-héroïque à travers des approches très identifiées, comme le récit natura-

liste (Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador en 2015) ou la comédie parodique (Black Snake. La Légende du serpent noir de Thomas Ngijol et Karine Rocher en 2019), Douglas Attal réussit ici son approche fantastique. De quoi nous redonner foi en l’avenir du genre : le pays de Fantax, Fantômas ou Fantômette n’a plus qu’à reprendre confiance en son propre imaginaire. Comment je suis devenu super-héros de Douglas Attal, à partir du 9 juillet sur Netflix

DAMIEN LEBLANC

LE FILM, COMMENT LES SUPER-HÉROS PEUPLAIENT-ILS La question AVANT VOTRE IMAGINAIRE ? PIO MARMAÏ

« Je les associais surtout aux deux Batman réalisés par Tim Burton, dont j’adorais la théâtralité et la dimension d’opéra fantastique. Ma mère avait aussi des bandes dessinées Marvel qu’il m’arrivait de feuilleter quand je ne savais pas encore lire. Je suis loin d’être un expert, mais la puissance mythologique de cette culture m’impressionne beaucoup : l’affrontement très schématique entre le bien et le mal cohabite avec la profonde humanité intérieure de personnages souvent plus complexes qu’on ne le croit. »

VIMALA PONS

« Les super-héros sont présents dans ma vie depuis l’enfance, même si ce ne sont pas ceux des comics. Je pense à Buster Keaton, qui créait de l’extraordinaire avec ses acrobaties. Quand la façade d’une maison tombe sur lui dans Cadet d’eau douce, c’est un vrai exploit de cascadeur. J’aime quand ce cinéma des origines décolle du réel. Être une super-héroïne aujourd’hui, ce serait regarder le monde tel qu’il est, et l’aimer tout en voulant le changer quand même. Finalement, ça donne envie de coudre une cape vert amande à Christiane Taubira. »

INSTINCT

Première réalisation sombre et dérangeante de la Néerlandaise Halina Reijn sur les troubles d’une psychothérapeute chargée d’évaluer un délinquant sexuel récidiviste, Instinct (2019) témoigne des répercussions de #MeToo dans la production européenne.

FILM

Nicoline (Carice van Houten) se voit confier l’évaluation d’un détenu coupable de crimes sexuels violents, en vue de sa réinsertion. Idris (Marwan Kenzari) a su gagner la confiance du personnel carcéral, mais la jeune femme, qui pressent en lui un double jeu, décide de mettre sa sincérité à l’épreuve. De lents travellings s’attardent sur le visage de l’héroïne, qui se laisse progressivement contaminer par le doute et par une forme de fascination malsaine. Elle arpente les couloirs de la prison, écoute les avis des professionnels et observe les détenus faire du sport ou s’exprimer lors de séances collectives. La violence masculine qu’elle côtoie quotidien-

84

no 181 – été 2021

BENOÎT POELVOORDE

« Enfant, j’aimais bien les albums de Daredevil. Et je me suis plus tard intéressé aux dessins en noir et blanc de Frank Miller. Je demeure cependant très étranger à ce monde, et le film de Douglas Attal restera ma seule incursion dans le genre. La plupart des super-héros sont en tout cas clairement dépressifs ou schizophrènes. Mais leurs gros problèmes psychologiques sont en même temps ce qui les fait super-héros, car ce qui les affaiblit est aussi ce qui les rend plus forts. » • D. L.

nement finit par déteindre sur sa vie et sa sexualité, entraînant une lente déconstruction de son identité… Plus de dix ans après avoir été révélées au public international avec Black Book de Paul Verhoeven (2006) – dont l’influence sur Instinct est manifeste –, et deux ans après les premiers soubresauts de la révolution #MeToo, les actrices Carice van Houten et Halina Reijn ont fondé leur propre maison de production, Man Up Film, se donnant comme but « d’explorer des histoires troubles qui, par peur ou par honte, n’ont pas été racontées ». Instinct en est la parfaite mise en œuvre, puisque le film s’attache à déjouer les codes du thriller érotique pour faire naître une réflexion brûlante : comment s’abandonner au désir lorsqu’il est cadenassé par la peur ? La réalisatrice filme avec une justesse troublante l’émergence du regard de son héroïne dans un milieu extrêmement inflammable, sans jamais céder au manichéisme ou aux lourdeurs du film à thèse. On attend avec impatience Red Light, la première série produite par les deux femmes, sur la prostitution aux Pays-Bas. en juillet sur OCS Première

CHARLES BOSSON


E XP OS ITI O N 6 J U I LLE T 2021 → 2 JANVI ER 2022 FONDATION CARTIER .COM

261 BOULEVARD RASPAIL 75014 PARIS

Damien Hirst, Ceremonial Blossom, 2018. Collection privée. © Damien Hirst and Science Ltd. Tous droits réservés, ADAGP, Paris, 2021. Photo © Prudence Cuming Associates.

Design graphique : deValence, Paris.


Les sorties de l’été CLOSE-UP SUR KIAROSTAMI 8 films (sur Mubi)

Dans le cadre de l’exposition « Où est l’ami Kiarostami ? » au Centre Pompidou (lire p. 42), la plateforme de streaming MUBI, véritable caverne d’Ali Baba de films rares, propose de redécouvrir huit longs métrages de ce cinéaste-caméléon. Une sélection hétéroclite, pour embrasser toutes ses facettes secrètes.

FEDORA

de Billy Wilder Film (sur le Vidéo Club de Carlotta Films) L’avant-dernière réalisation de Billy Wilder (en 1978) nous entraîne aux portes d’une forteresse imprenable dans laquelle une star hollywoodienne s’est retirée au faîte de sa gloire et de sa splendeur… Une réflexion amère sur le star-system, un film obsédant, hanté, lyrique, à la beauté radicale. • LILY BLOOM

SHIVA BABY

d’Emma Seligman Film (sur Mubi) La jeune Emma Seligman, version queer de Woody Allen, signe un huis clos familial impitoyable et nauséeux sur une étudiante bisexuelle qui assiste à une shiv’ah (un rituel juif accompli après la mort d’un proche)… Un premier film au ton féroce, malaisant et, disons-le, hilarant. • L. B.

ANTOINETTE DANS LES CÉVENNES de Caroline Vignal Film (jusqu’au 20 août sur MyCanal)

L’épopée hilarante et pathétique d’Antoinette, à la recherche de son amant dans les Cévennes. Elle va surtout rencontrer un âne rédempteur et se lancer avec lui dans un périple solitaire sur le chemin de Stevenson… Laure Calamy offre toute sa drôlerie et son humanité à ce portrait de femme amoureuse. • L. B.

FOODIE LOVE Série (le 6 août sur arte.tv) Elle est espagnole, lui, argentin. Ils n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est leur célibat et une passion dévorante pour la bouffe. Chacun se dévoile un peu plus à chaque rendez-vous, autour d’un rāmen, de cafés ou d’une glace italienne… Une comédie romantique espagnole futée, qui enchantera celles et ceux qui vivent pour manger. • N. B.

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NOS PLUS BELLES ANNÉES FILM

LaCinetek nous offre de nous replonger cet été dans ce bouleversant mélodrame de Sydney Pollack de 1973 qui balaie plus d’une décennie d’histoire américaine. Tout commence en 1937 sur les bancs de l’université, quand une jeune femme juive marxiste du nom de Katie Morosky (Barbra Streisand) harangue la foule pour dénoncer les horreurs de la guerre d’Espagne. Face à elle, l’incrédulité et la passivité de l’Amérique WASP, incarnée par le beau Hubbell Gardner (Robert Redford). Mais l’amour attire les contraires, et le coup de foudre se produit en pleine salle de classe lorsque la militante découvre le talent d’écrivain du jeune oisif. Le temps ne leur laissera aucun répit, et ce n’est que quelques années plus tard, pendant les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, qu’ils se retrouvent et forment un couple. Elle rêve de justice, lui, de renommée. Leurs convictions ne cessent de les séparer, mais leur attirance est irrésistible, et leur couple surmonte toutes les épreuves tandis que, en coulisse, l’orage du maccar-

thysme commence à gronder… Fruit d’un tournage mouvementé qui vit défiler les acteurs Warren Beatty ou Ryan O’Neal et dix scénaristes non crédités (dont Dalton Trumbo et Francis Ford Coppola), le film connut un succès considérable à sa sortie et semble incarner aujourd’hui toute l’ambition formelle et romanesque du Nouvel Hollywood. C’est, après Propriété interdite (1967) et Jeremiah Johnson (1972), la troisième des sept collaborations qui uniront

Sydney Pollack et Robert Redford, et qui ont en commun ces reconstitutions grandioses, ce sens aigu du détail, cette générosité et cette modernité dans la direction d’acteurs. Une fresque puissante en CinemaScope, où l’amour est le centre de gravité de l’histoire, et la nostalgie, son carburant émotionnel. en août sur LaCinetek

CHARLES BOSSON

HAMISHIM SÉRIE

Culotté et cynique à souhait, ce Better Things sauce israélienne, nommé en 2020 aux International Emmy Awards, raconte le cap de la cinquantaine au féminin. À regarder pour justifier de passer ses soutiens-gorge push-up en note de frais. Fraîchement ménopausée, sexuellement aussi active qu’un volcan d’Auvergne, Alona a l’impression d’avoir dépassé la date de péremption universelle pour les femmes. Elle qui voit son père devenir un peu plus sénile chaque jour craint plus que tout d’être, à son tour, un poids pour ses trois enfants qu’elle élève seule : une préado anxieuse et accro à son smartphone, un ado hyperactif et odieux et une jeune adulte persuadée qu’aucun homme ne voudra plus jamais d’elle depuis qu’elle s’est fait larguer. Sa meilleure amie, quadra quant à elle, ne parvient pas à faire un bébé toute seule, et face à leurs déboires on se demande s’il existe une parenthèse enchantée dans l’existence, un âge d’or où l’on se sentirait invincible et puissante, convaincue que rien ni personne ne saurait nous résister. À défaut, on cherche les traces de quelque

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avantage pour contrebalancer ce compte à rebours vers la décrépitude, entre bouffées de chaleur et périnée paresseux – en vain. « J’ai lu que les orgasmes multiples, c’était un bug neurologique. Je pensais qu’on avait au moins ça… Tu préfères baiser sans jouir ou jouir sans baiser ? » Créée et écrite par Yael Hedaya (scénariste de BeTipul, devenue In Treatment outre-Atlantique et En thérapie chez nous), qui s’est inspirée de sa propre vie, Hamishim opère une mise en abyme délicieusement ironique lorsqu’Alona, scénariste de son état, cherche à vendre une série sur…

les déboires d’une femme de 50 ans. Génial, lui répond une productrice (de 55 ans), mais trop risqué. Car les spectateurs aiment les jeunes, les vieilles, mais pas cette « zone grise » que constituent les femmes de cet âge-là. Et c’est peut-être là qu’il faut puiser un des (rares) avantages de cette période : se libérer, enfin, du regard des autres. en intégralité le 16 juillet sur arte.tv

NORA BOUAZZOUNI



MK2 CURIOSITY ACCOMPAGNE LES CINÉPHILES TOUT L’ÉTÉ

Cet été sur mk2 Curiosity TOKYO !

de Leos Carax, Bong Joon-ho et Michel Gondry

La plateforme de streaming, lancée par mk2 au début du premier confinement, propose de retrouver de mi-juillet à mi-août les grands films et pépites curieuses qui ont marqué sa première année de programmation cinéphile.

ABOUNA

de Mahamat-Saleh Haroun

Lubna Playoust

à disposition gratuitement, mise en scène et présentée par la réalisatrice Lubna Playoust. Anecdotes et éclairages viennent enrichir le visionnage. Saviez-vous, par exemple, que la dernière œuvre d’Akira Kurosawa est un autoportrait dissimulé du maître japonais ? Que Carl Dreyer a voulu faire appel à des repris de justice pour tourner une scène particulièrement périlleuse dans un de ses courts métrages ? Que Juliette Binoche avait refusé Jurassic Park pour jouer dans Bleu de Krzysztof Kieślowski ? Que Max Linder était particulièrement fier de l’adaptation virevol-

tante qu’il a faite des Trois Mousquetaires ? En complément de cette proposition, mk2 Curiosity invite chaque semaine des artistes et nourrit un catalogue de films en location à la demande. Une offre sans algorithme de recommandation, pour ceux qui sont perdus face aux propositions pléthoriques des plateformes mastodontes, et qui sont curieux de films rares et précieux.

Apichatpong Weerasethakul a découvert l’art surréaliste lors de ses études aux Beaux-Arts de Chicago. De retour en Thaïlande, il tourne son premier long métrage qu’il conçoit comme un cadavre exquis, entre fiction et documentaire. Il en résulte un film surprenant, influencé tant par les mélodrames thaïs traditionnels que par Marcel Duchamp ou Andy Warhol. • S. V.

Du 5 au 22 juillet, le Festival de Cannes est à l’honneur sur mk2 Curiosity. Pour fêter le retour du cinéma sur la Croisette, la plateforme propose gratuitement des films de réalisatrices et de réalisateurs participant à cette 74e édition.

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MYSTERIOUS OBJECT AT NOON

d’Apichatpong Weerasethakul

SOPHIE VÉRON

CANNES 2021 : MK2 CURIOSITY SE MET SUR SON 31

FISH TANK d’Andrea Arnold

© Ciné-Tamaris

Leos Carax, Andrea Arnold, Mahamat-Saleh Haroun, Apichatpong Weerasethakul… Ils sont à Cannes cette année pour défendre des films aux horizons cinéphiles très différents. La plateforme des curieux de cinéma en a profité pour fouiller dans son catalogue et dénicher certaines de leurs œuvres (voir encadré). Elles vous sont proposées gratuitement du 5 au 22 juillet, avant de rejoindre l’offre V.o.D. du site. Au programme : on commence par une déambulation dans Tokyo avec Merde, une bien étrange créature surgie des égouts et de l’imagination de Leos Carax. Le réalisateur ouvrira le festival avec son film Annette (lire p. 18). Puis escale au Tchad, avec deux jeunes frères en quête de leur père,

Au Tchad, il arrive que des pères disparaissent mystérieusement, laissant derrière eux leur famille. C’est ce qui a donné à MahamatSaleh Haroun l’idée d’Abouna (« notre père »), qui est aussi une métaphore de son pays – un État auquel il manque une figure paternelle. Il filme deux garçons dont l’errance fait écho à celle d’Antoine Doinel dans Les Quatre Cents Coups. • S. V.

Jane B. par Agnès V. d’Agnès Varda (1988)

dans un film de Mahamat-Saleh Haroun qui propose cette année Lingui. Les liens sacrés en Compétition officielle. Départ ensuite pour la Thaïlande, sur les traces du premier film d’Apichatpong Weerasethakul (de retour en Compétition avec Memoria) et d’une équipe de cinéma qui tisse une étrange histoire au gré des rencontres qu’elle fait sur la route. L’Angleterre, avec le portrait brûlant de Mia, 15 ans, par Andrea Arnold, qui est cet été sur la Croisette avec Cow. Dernière étape à Paris,

où Agnès Varda fait une peinture malicieuse de Jane Birkin, se jouant des mille identités que l’actrice chanteuse a endossées au cours de sa carrière, en écho au Jane par Charlotte de Charlotte Gainsbourg, en sélection Cannes Première 2021. Bon voyage ! du 5 au 22 juillet sur mk2curiosity.com, gratuit

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SOPHIE VÉRON

À 15 ans, Mia est une adolescente révoltée. Son quotidien est bouleversé lorsque sa mère rentre à la maison avec un nouveau compagnon, Connor… Katie Jarvis, qui incarne Mia, n’avait aucune expérience de jeu avant Fish Tank. Elle a été repérée lors d’un casting sauvage, alors qu’elle se disputait avec son petit ami sur un quai de gare. • S. V.

JANE B. PAR AGNÈS V. d’Agnès Varda

« Tu es belle, comme la rencontre fortuite sur une table de montage d’un andro-gin Tonic et d’une Ève en pâte à modeler », lance Agnès V. à Jane B. en préambule. Portrait documentaire et portrait fiction de Jane Birkin : l’actrice et chanteuse endosse mille rôles différents devant la caméra aimante et malicieuse d’Agnès Varda. • S. V.

© Haut et Court ; Duo Films et Goï-Goï Productions ; D. R. ; Kasander ; Ciné-Tamaris

Jeanne Moreau en espionne amoureuse ; John Fitzgerald Kennedy en toute intimité ; Betty Boop en Cendrillon ; Vincent Lacoste en jeune réalisateur surdoué ; Marie Dubois confuse et rougissante devant la caméra de François Truffaut… Autant de rendez-vous entre les spectateurs et des trésors du cinéma mondial qui ont animé semaine après semaine les sélections de mk2 Curiosity. Pour ceux qui les auraient manqués ou qui voudraient replonger dedans, la plateforme de streaming A.V.o.D. (gratuite, financée par la publicité) propose du 22 juillet au 26 août un best of estival qui met à l’honneur ces pépites qui excitent la curiosité de toutes les cinéphilies. Chaque semaine, comme tout au long de l’année, retrouvez une sélection de films et d’objets vidéo, composée par les équipes de programmation de mk2 et mise

Tokyo ! est une fantaisie en trois mouvements, réalisée par trois des plus grands réalisateurs de leur génération : Bong Joon-ho, Michel Gondry et Leos Carax. Ce dernier revient au cinéma avec son complice Denis Lavant, et invente un personnage prénommé Merde, effrayante créature qui viendra hanter son chef-d’œuvre, Holy Motors. • S. V.


Le Voyage à Nantes

— — 03 juil. 12 sept. 2021

WWW.LEVOYAGEANANTES.FR

Le Géant de Nantes. 2020, Éric Croes, De l’art des enseignes © Philippe Piron / LVAN


Culture

CULTURE

Paupérisés par le confinement et les faibles rémunérations du streaming, des musiciens tentent de se réapproprier leur travail en misant sur leur communauté et les nouveaux modes de consommation en ligne. Du micromécénat aux NFTs, vers un nouvel écosystème de la musique ? Le 27 mai dernier, le musicien électronique Jacques annonce sur ses réseaux sociaux la sortie d’un nouveau morceau, « Vous », et propose une « dinguerie » à ses fans : « d’en devenir copropriétaire au même titre que moi. Que vous possédiez “Vous” avec moi. » Il les invite ensuite à acquérir une des 194 secondes de son single sous forme de NFTs (non-fungible tokens, ou « jetons non fongible »), pour 145 euros environ (0,065 de crypto-monnaie ether). Chaque heureux possesseur d’un des 194 jetons devient alors un ayant droit de « Vous » et partage les recettes générées par son exploitation (ventes de disque, streams, utilisations pour la publicité ou le cinéma), au prorata de son investissement. Le musicien y voit un « un acte symbolique puissant, une sorte de communion matérielle hyper concrète entre plusieurs personnes qui croient en mon projet », et qui ont aussi tout intérêt à promouvoir et diffuser la (leur) chanson. NFT, QU’EST-CE C’EST ? Connu pour sa coupe de cheveux disruptive (rasés au milieu, longs sur les côtés)

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et ses concerts-dispositifs de micro-house concrète, Jacques s’approprie avec originalité le NFT, ce nouveau moyen de monétiser l’univers digital qui bouleverse ces jours-ci les modes de consommation sur Internet. Le NFT est une sorte de certificat d’authenticité qui atteste la propriété de l’acheteur sur la version originale d’un objet numérique. Les achats et reventes de NFTs s’effectuent par crypto-monnaies (bitcoin, ether) et sont rendus possibles par la « blockchain », un réseau sécurisé géré par ses participants. D’abord cantonnés au milieu de l’art contemporain (on parle de « crypto-artistes »), les NFTs attirent les collectionneurs, amateurs ou spéculateurs, et font l’objet d’une véritable ruée vers l’or depuis fin 2020, qui touche désormais l’industrie musicale. Le 28 février dernier, la chanteuse canadienne Grimes a ainsi vendu les NFTs de plusieurs de ses clips musicaux pour 5,8 millions de dollars, vite suivie par les musiciens electro Aphex Twin, Jimmy Edgar, M.I.A., Disclosure, Jacques Greene ou par le groupe de rock Kings of Leon, qui ont mis indifféremment aux enchères vidéos, chansons, albums, droits d’édition ou même accès exclusifs à leurs backstages, pour des sommes parfois astronomiques. FAN-CLUB TECHNOLOGIQUE Si les pionniers de ce nouveau commerce en ligne avaient déjà des liens avec l’univers des crypto-monnaies (Grimes est la compagne de l’entrepreneur milliardaire Elon Musk, dont les déclarations sur Twitter secouent régulièrement les cours boursiers desdites crypto-monnaies ), le NFT séduit de plus en plus de musiciens confrontés au statu quo économique imposé par Spotify et consorts (actuellement, 90 % des artistes

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© Edouard Sanville

QUAND LA MUSIQUE COMPTE SUR VOUS reçoivent moins de 1 000 euros par an du streaming), et à la perte des revenus des concerts occasionnée par la pandémie. En vendant le « master » original de sa chanson « Vous », même découpé en 194 secondes, Jacques participe de l’avènement possible d’un nouvel écosystème de la musique centré sur l’artiste et sa communauté, qui revaloriserait l’œuvre en toute indépendance des producteurs et des diffuseurs traditionnels (labels, éditeurs, plateformes). Et il le fait avec humour, en choisissant une chanson traitant justement de sa dépendance à autrui, de son rapport avec son public. « “Je suis content de pouvoir compter sur vous” ainsi que “Je suis fier de faire partie de vous” sont les deux phrases du morceau qui ont rendu pertinent le fait d’en partager les droits avec d’autres personnes via ce NFT, explique Jacques. On a utilisé la blockchain NFT car c’était le plus pratique mais, d’habitude, ce sont des crypto-artistes qui mettent en vente des NFTs qu’un seul acheteur achète, et le fait qu’il possède le NFT ne fait pas de l’acheteur un ayant droit de l’œuvre ». DE FAN À MÉCÈNE Quelle différence avec le financement participatif et des services comme Ulule ou Kickstarter, qui permettent aussi aux artistes de faire financer leurs projets par leur public ? « C’est un peu comme du crowdfunding, sauf qu’à la place d’avoir un teeshirt ou un poster vous avez une part de ma musique », explique Jacques dans son communiqué. Pour Pauline de Tarragon, chanteuse du groupe Pi Ja Ma et illustratrice, « être un.e artiste indépendant.e c’est devoir jongler avec tous ces outils pour trouver un équilibre et un peu de sécurité. »

Elle aussi a fait appel à ses fans pour affronter la pandémie, mais par l’entremise de la plateforme de micromécenat Patreon, lancée en 2013 aux États-Unis et qui commence à se développer en France (Sinclair, Kim ou Carmen Maria Vega l’utilisent notamment). À la différence des systèmes classiques de financement participatif, qui visent à réaliser un projet ponctuel, Patreon permet d’assurer à l’artiste une source de revenus récurrents, via un abonnement mensuel. Les fans deviennent ainsi patreons (« mécènes ») de l’artiste, en échange de contreparties (goodies, concerts privés, titres inédits). MESSAGES PERSONNELS « Ce qui m’a séduite, c’est la relation directe qu’on a en tant qu’artiste avec ses patreons, nous dit Pauline, dont les trente-six contributeurs lui assurent un revenu de 313 € par mois. « Il n’y a ni label ni directeur artistique, on est libre de proposer du contenu exclusif à n’importe quel moment de la journée. C’est une communauté réduite et forcément bienveillante car elle paye pour être là. » La volubilité do it yourself de sa production (chansons lo-fi, dessins, tutos Youtube) convient parfaitement à l’entretien de ce lien privilégié avec sa communauté, même s’« il faut bien se renseigner avant de s’engager là-dedans car ça demande deux trois jours de boulot par mois (en ce qui me concerne). Mais c’est toujours avec plaisir que j’effectue ce travail car j’y mets beaucoup d’amour et de sincérité. J’ai toujours aimé envoyer des lettres par la poste et là on me paye pour le faire. » WILFRIED PARIS


Culture

David Hammons, Orange Is the New Black, 2014

Figure américaine majeure du Black Arts Movement, connue pour ses assemblages de rebuts, David Hammons bénéficie de sa première exposition d’envergure en France, dans la Bourse de commerce fraîchement inaugurée. Une fois passée la découverte de ce bel espace à l’imposante coupole, réhabilité sous l’impulsion de François Pinault, on bifurque dans une galerie haute et

assemble. Cheveux crépus, basket­ ball, masques africains… la question de l’identité afro-américaine traverse toute son œuvre, toujours actuelle. En fin de parcours, une salle décorée d’une large carte des axes commerciaux de la fin du xixe siècle, à l’apogée du colonialisme occidental, héberge une pierre de la prison américaine d’Alcatraz, un trousseau de clés et la fameuse cellule vue dans la vidéo inaugurale. jusqu’au 31 décembre à la Bourse de commerce – Pinault collection

MARIE FANTOZZI

CHILDS – CARVALHO – LASSEINDRA – DOHERTY

Danse post-moderne, danse contemporaine et voguing se rencontrent dans ce ballet singulier et engagé composé pour quatre chorégraphes, concocté par (La)Horde et le Ballet national de Marseille. Toujours prêt à bousculer les conventions de la danse, le collectif féru de numérique et de ses enjeux (La)Horde, qui est à la tête du Ballet de Marseille depuis 2019, fait ici la part belle à des chorégraphes mar-

quantes et engagées de générations variées. Le temps de quatre courtes pièces assemblées, qui durent entre dix et vingt minutes chacune, on se frotte à des écritures singulières et marquantes. On s’extasie sur la pureté des lignes de l’Américaine Lucinda Childs, grande référence de la post-modern dance dans les années 1970 et 1980. On s’initie au vocabulaire ciselé de son héritière, la chorégraphe contemporaine portugaise Tânia Carvalho, qui explore sans relâche souffle, rythme et rapport à la musique. À côté de cette radicalité formelle explose la danse ardente d’Oona Doherty, jeune artiste engagée qui imprègne son art du contexte social de l’Irlande du Nord et de réflexions sur le genre. Puis on plonge tête la

première dans la chaleur volcanique des ballrooms, avec l’incontournable vogueuse française Lasseindra Ninja, qui révèle les codes de cette danse de club gracieuse et virtuose, née dans la communauté LGBTQ+ afro-américaine. Une proposition à la diversité stimulante, qui crée des passerelles entre les époques et les esthétiques, avec l’engagement comme ligne directrice, qu’il soit politique ou formel. du 16 au 19 juillet au Théâtre du Châtelet (1 h 15)

BELINDA MATHIEU

© Théo Giacometti

2 Danse

claire à l’orée de laquelle nous cueille un écran. Plan fixe sur une salle décatie où repose une structure métallique symbolisant une cellule de prison. Un homme noir d’un certain âge en claque la porte, postillonne de l’eau puis disparaît à reculons. C’était David Hammons, dans Minimum Security (2007-2020). Plus loin, dans Phat Free, une vidéo des années 1990, on le voit faire rouler une poubelle dans les rues new-yorkaises. Il y a aussi l’empreinte de son corps, enserré dans un drapeau américain, dans I Dig the Way This Dude Looks (1971). Inspiré par Marcel Duchamp, Yves Klein, l’Arte povera ou le jazz, Hammons écume Harlem, où il a élu domicile depuis les années 1970, pour récupérer tout un bric-à-brac qu’il tord, joint, coud, brûle,

© David Hammons. Courtesy de l’artiste et Pinault Collection. Photo Aurélien Mole

1 Expo DAVID HAMMONS

3 Resto NAPLES À PIGALLE di patate, mélange roboratif de pommes de terre, de charcuterie et de fromage, ou la zuppa di cozze, soupe de moules que toute la ville déguste le jeudi de Pâques. Pomodoro sur la pizza, on peut s’en délecter sur la grande terrasse du large trottoir de cette artère tranquille adossée au cimetière de Montmartre. L’ombre des arbres, des tables bien espacées, on s’installe et on attrape l’accent. Antipasti : 10 à 16 €. Pasta : 15 à 20 €. Pizza : 11 à 18 €. Dessert : 8 à 10 €. Caterina, 7, avenue Rachel, Paris XVIIIe

STÉPHANE MÉJANÈS

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© Simon Mesnage

Nicola Iovine, patron des deux restaurants Iovine’s, renoue avec ses origines en créant Caterina, authentique trattoria napoletana. Caterina, c’est le prénom de la mère et de la fille de Nicola Iovine. Dans ce qui est peutêtre la plus petite avenue de Paris, il a ouvert entre deux confinements. Le décor est simple et lumineux, bois clair, couleurs vertes. Pour la nostalgie, il a aussi accroché au mur des photos du quartier dans lequel il a grandi. Dans

l’assiette, c’est une explosion de teintes vives, de saveurs ensoleillées. Une cuisine généreuse par le sentiment qu’elle véhicule et les souvenirs qu’elle convoque. La carte se construit dans les interminables discussions entre Nicola et Salvatore Ticca (Shardana, Paris XVe), cuisinier sarde mais chef créatif avant tout. On découvre la cuisine napolitaine dans toute sa diversité. La pizza traditionnelle mais aussi en version fritta, les addictives spaghetti alla nerano, à la courgette et au provolone del Monaco DOP, ou les crocché e arancini (boules de risotto panées et farcies à la mozzarella). Selon les arrivages, on peut aussi dénicher un plat de poisson du jour, l’agneau du dimanche, la pasta e ceci, aux pois chiches, les artichauts indorati e fritti, tempura à la napolitaine, le gattò

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Culture

Chœurs bulgares et instruments asiatiques sur fond de transe électronique : Para One invente une géographie nouvelle, aussi dépaysante qu’intime, à explorer en live au festival Days Off. L’ambitieux projet SPECTRE se présente comme une fusée à trois étages, avec un album (Machines of Loving Grace, disponible), un film (Sanity, Madness and the Family, prévu pour l’automne) et, intercalé au centre, le live Operation of the Machine, qui troque la plate illustration scénique de l’enregistrement studio pour une odyssée sonore et visuelle. « Il ne faut pas s’attendre à un cinéconcert, prévient le compositeur fétiche de Céline Sciamma, plutôt à une scénographie autour des mêmes thématiques que l’album et le film, mais réarrangées très différemment. » Si le film reste pour l’instant nimbé de mystère, on sait que le DJ-producteur-réalisateur, né JeanBaptiste de Laubier à Orléans il y a quarante-deux ans, poursuivra le dialogue spirituel avec son mentor Chris Marker entamé dans ses courts métrages, pour raconter par les images une quête mémorielle. Construit comme un thriller documentaire à partir de vingt ans d’archives familiales filmées par Para One lui-même,

© Dreams Officie

4 Concert PARA ONE

le long métrage « traite de la perception de la maladie mentale, du personnage de (son) père, de la confusion entre spiritualité et guérison, des dérives sectaires (qu’il a) pu connaître ». Le disque sonde aussi le passé du musicien, de manière plus oblique, sous la forme d’un voyage hybride vers un Orient reconfiguré par les souvenirs cet ex-ado épris d’anime. Indonésie, Bulgarie, Japon… « Je suis allé chercher des sons très spécifiques, comme le jegog à Bali, une forme de gamelan de bambou qu’on entend dans les séquences de poursuite d’Akira, le

classique de Katsuhiro Ōtomo. » Les chœurs bulgares striant le morceau « Shin Sekai » rappellent la B.O. de Ghost in the Shell signée Kenji Kawai, creusant ainsi une autre galerie onirique vers le pays du Soleil-Levant. Et donc, pour Para One, vers le temps de l’enfance, magnifiquement retrouvé. le 11 juillet à la Cité de la musique

ÉRIC VERNAY

L’attente a été longue pour les adorateurs de Rodrigo Amarante. Sept ans, un gouffre, séparent Cavalo (2014), son premier album solo, de ce flamboyant Drama. « Je peux tout t’expliquer, assure le Brésilien depuis sa résidence de Los Angeles. D’abord, j’ai tourné pendant deux ans après la sortie de Cavalo. Puis j’ai composé le thème de la série Narcos, qui a si bien marché que mon agent m’a supplié de repartir sur la route. Donc encore deux ans de concerts. Puis j’ai passé huit mois à composer et enregistrer la B.O. du film Otages à Entebbe de José Padilha. Ce qui nous mène à 2020 et à la pandémie, qui a retardé la sortie de Drama. » Ce temps, ces expériences, ces espaces traversés, lui ont permis de repenser l’identité de ce qu’il appelle son « personnage » – musicien exilé, célèbre dans son pays d’origine (le groupe Los Hermanos, actif de 1997 à 2007), adopté par le reste du monde (Little Joy, avec Fabrizio Moretti des Strokes), jamais vraiment chez lui. Articulé autour d’un événement de son enfance (une coupe de cheveux imposée par son père, qui ne supportait plus de voir ce garçon sensible se faire brimer), il s’écoute à la fois comme un retour aux sources (l’école de samba où il a grandi, les orchestrations lyriques de la MPB, música popular brasileira) et une projection de son cinéma mental, bien plus vaste qu’un couplet

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© Eliot Lee Hazel

5 Musique RODRIGO AMARANTE

Netflix. « J’ai arrêté de vouloir m’adapter au milieu pop international, ce qui a fait surgir une musique plus… tropicale. Exprimer ces couleurs, c’est déjà du cinéma. » L’attente a été longue, mais Drama tombe à point nommé : synchro avec la réouverture des salles. Drama de Rodrigo Amarante (Polyvinyl)

MICHAËL PATIN

Si ton album était un film « Ma réponse est simple : Drama est un film ! Chaque chanson est pensée comme une scène dans laquelle mon personnage se trouve confronté à une situation, avec un arc narratif qui les relie entre elles. C’est pour ça que j’ai réalisé une bande-annonce de l’album. Le cinéma était ma première vocation avant la musique, et je n’ai pas vraiment lâché l’affaire. J’ai une passion pour Kurosawa, Ozu, Scola, Antonioni, Kaurismäki… J’ai même glissé un hommage à Fat City de John Huston dans un clip. Les amateurs reconnaîtront. »

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SENSATIONAL D’ERIKA DE CASIER

ŒUVRES POÉTIQUES COMPLÈTES DE T. GAUTIER

DREAMING OF YOU 1971-1976 DE K. BLACK © Steve Schapiro

ESTHER D’OLIVIER BRUNEAU

© Dennis Morton

SHOPPING CULTURE

Culture

Dans un futur proche, les robots seront partout, même dans les chambres à coucher, sous forme de lovebots. Père de famille sans histoires, Anton trouve une lovebot abandonnée, qu’il répare et s’envoie… Un drôle de polar SF mâtiné de comédie conjugale, par l’auteur du très remarqué Dirty Sexy Valley. • BERNARD QUIRINY > Le Tripode, 404 p., 19 €

RESIDENT EVIL VILLAGE

Resident Evil change d’horizon. Après les zombies, après le bayou louisiannais et ses cannibales, notre héros débarque dans un village des Carpates où l’attendent des hordes de loups-­ garous. Grâce à de sublimes décors et de sacrés moments de pétoche, la saga confirme sa mainmise sur le blockbuster horrifique. • YANN FRANÇOIS > Capcom | PC, PS5, Xbox Series, PS4, One

LA RIVIÈRE POURQUOI DE D. J. DUNCAN

Pêcheur, fils de pêcheurs, Gus Orvis­ ton pense pêche, vit pêche, ne voit pas d’autre joie que pêcher toute la journée. Point besoin cependant d’aimer la pêche pour ouvrir le grand roman d’apprentissage que lui consacre David James Duncan, souvent comparé à Jim Harrison ou Richard Brautigan. Ça mord. • B. Q. > Monsieur Toussaint Louverture, 480 p. 12 €

ÉTOILE NOIRE DE LUV RESVAL

Qui a dit que l’été était la saison des romans de plage ? Embarquez plutôt dans votre valise les rimes scintillantes de Théophile Gautier, à qui Charles Baudelaire avait décerné le titre de « poète impeccable ». Hector Berlioz en a mis quelques-unes en musique dans un cycle intitulé… Les Nuits d’été. Ça tombe bien. • B. Q. > Bartillat, 930 p., 35 €

LA RIVIÈRE DE PETER HELLER

Deux aventuriers débrouillards des­cendent une rivière en canoë. S’ensuivent incendie de forêt et sales rencontres sur les berges… Vous pensez à Délivrance de John Boorman ? C’est un peu ça, avec de somptueux tableaux de la nature et une mécanique de suspense digne d’un thriller. Spectaculaire et haletant. • B. Q. > Actes Sud, 294 p., 22 €

Égérie du Nouvel Hollywood (Easy Rider, Cinq pièces faciles), Karen Black fut aussi une magicienne country-folk. Cette poignante collection de chansons, agrégeant inédits seventies et nouveaux morceaux, est le fruit de la rencontre tardive de l’actrice de Nashville, disparue en 2013, avec le songwriter Cass McCombs. • É. V. > Anthology Recordings, sortie le 16 juillet

CASCADE DE FABIO VISCOGLIOSI

Difficile de mettre de l’ordre dans ses pensées et ses souvenirs ; mieux vaut, pour Fabio Viscogliosi, les mettre en cases et nous les offrir sous forme de bribes, en Cascade. La force du dernier ouvrage de cet auteur aux mille facettes est de réaliser un journal intime au graphisme unique, dans lequel se croisent de petits riens et des planches virtuoses. • ADRIEN GENOUDET > L’Association, 120 p., 32 €

IT TAKES TWO

AMERICANA DE LUKE HEALY

Un couple au bord du divorce se voit transformé en poupées miniatures. Sous cette forme, ils doivent coopérer pour retrouver leur fille. It Takes Two vaut moins pour sa morale amoureuse que pour son univers de poche, digne d’un Pixar, et pour son inventivité permanente à penser ses épreuves comme éloge de la solidarité. • Y. F. > Hazelight | PC, PS5, Xbox Series, PS4, One

Et si la meilleure façon de quitter le rêve américain était de traverser le pays ? Luke Healy, Irlandais de naissance et Américain de cœur, décide de suivre le PCT, sentier de randonnée aussi célèbre que redouté. Carnet de voyage, journal de marche, Americana est surtout un récit d’initiation dans lequel le trait léger de l’auteur rencontre la dureté de la marche. • A. G. > Casterman, 332 p., 23 €

© Riccardo Riccio

DORFROMANTIK

Des saxos liquides à la Sade, des romances murmurées avec la douceur d’une brise estivale… Erika de Casier, jeune Danoise née au Portugal, réactive le groove des années 19902000, butinant autant la pop de Janet Jackson que le R&B cristallin d’Aaliyah ou de Cassie, pour le passer au filtre de sa sensibilité propre, sensuelle et subtilement ironique. • É. V. > 4AD, sortie physique le 23 juillet

livre

BD

CD

vinyle

jeux vidéo

Un puzzle game reposant et hypnotique ? Ne cherchez pas plus loin. Ici, il faut assembler des parcelles polygonales (représentant des fragments d’habitations, de champs, de rivières) en respectant une certaine logique pour former une campagne chatoyante. Si le challenge se corse vite, il se double toujours d’une démonstration esthétique des plus enchanteresses. • Y. F. > Toukana Interactive | PC

Réveil de la force dans le 91. Le jeune padawan Luv Resval, protégé de Kore et d’Alkpote, s’impose en élégant découpeur d’instrus au sabre laser, dans le registre sale et méchant de la trap comme dans celui du boombap technique à la Nekfeu. D’où un disque bicéphale mais charpenté par un imaginaire de SF fantasy, sur fond de romantisme torturé. • É. V. > AWA/SONY, vinyle début juillet

été 2021 – no 181

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choc, Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez, occupent la scène et prêtent aussi leur voix à quinze poupées, les autres personnages de cette pièce. Une mise en scène qui promet d’être aussi étrange que fascinante, saturée d’émotions, et qui emprunte autant au théâtre qu’aux arts visuels et de la marionnette. • B. M. > L’Étang de Gisèle Vienne, du 8 au 18 septembre au Théâtre Paris-Villette dans le cadre du festival d’Automne à Paris

> La Spire de Chloé Moglia, du 18 au 20 juillet au Nouveau Théâtre de Montreuil (50 min)

> Les Merveilles + Les Mariés, même + Panique ! + Les Baigneurs + La Parade moderne de Clédat & Petitpierre, les 4 et 5 septembre à l’Atelier de Paris – CDCN

----> L’ÉTANG

On connaît Gisèle Vienne pour ses explorations chamaniques des raves dans Crowd, mais aussi à travers son amour pour les marionnettes et les récits adolescents. Pour sa dernière création, la metteuse en scène franco-autrichienne s’attaque à un roman de jeunesse méconnu de l’écrivain suisse Robert Walser, L’Étang. L’occasion de sonder les tribulations intimes d’un ado troublé qui tente de mettre fin à ses jours pour tester l’amour de sa mère. Deux comédiennes de

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CONCERTS

----> ELLES FONT L’ABSTRACTION

Pour combler les « oublis » des historiens, des expos viennent (re)visibiliser la part des femmes. Ici, une centaine d’artistes européennes, américaines ou asiatiques, exercant dans les champs de la photographie, du cinéma, de la danse… Leur point commun : un apport important, jusqu’alors minoré, à l’art abstrait. • M. F. > jusqu’au 23 août au Centre Pompidou

----> MICHAEL SCHMIDT. UNE AUTRE PHOTOGRAPHIE ALLEMANDE Immersion brute, subjective et tout en nuances de gris dans la société ouest-­ berlinoise de la fin de la guerre froide, à travers la rétrospective d’une des figures incontournables de la photographie allemande, qui, d’abord gendarme, s’est longuement attachée à rendre compte de la vie dans son quartier. • M. F.

----> FESTIVAL PHONETICS Coprogrammé par l’as techno Rabih Beaini, le festival fait de Saint-Denis son terrain de jeu et convie quinze artistes en résidence – la quadriphoniste Jessica Ekomane, Hiero­ glyphic Being et sa healing house, le duochaos 9T Antiope... – pour créer un parcours sonore reliant les sites emblématiques de la ville. Intrigant. • ETAÏNN ZWER

© Ph. Lebruman

----> PARIS JAZZ FESTIVAL Le génial batteur londonien Moses Boyd, la légèreté dansée du pianiste Koki Nakano, le flûtiste martiniquais Max Cilla, la folle fratrie hip-hop de l’Hypnotic Brass Ensemble, les trésors résilients de Rhythms of Resistance : un line-up élégant dans un écrin verdoyant, cocktail parfait pour siroter l’été. • E. Z. > du 30 juin au 8 septembre au parc floral de Paris

> du 16 au 19 septembre à Saint-Denis (à L’Orfèvrerie, au cinéma L’Écran, à la galerie HCE…)

----> THIS IS THE KIT Emmené par l’intranquille et douée song­ writer Kate Stables, le groupe de Bristol

FESTIVAL PARADISO

> jusqu’au 29 août au Jeu de Paume

----> CLÉDAT & PETITPIERRE [THÉÂTRE] Pendant deux jours, le duo de plasticiens nous entraîne dans son univers fantasmagorique et décalé. À travers cinq spectacles et performances dans les parcs et jardins du XIIe arrondissement et du bois de Vincennes, on croise des créatures médiévales improbables, de gros baigneurs qui bronzent et le libidineux dieu Pan. • B. M.

© Lucille Reyboz

----> LA SPIRE [CIRQUE] Sur une gigantesque sculpture qui forme trois cercles concentriques, cinq acrobates, cinq femmes, évoluent comme suspendues dans les airs. Un tour de force de l’étonnante circassienne Chloé Moglia, qui n’en finit pas de nous captiver par sa danse éthérée mêlant poésie et virtuosité. • B. M.

EXPOS

Shōmei Tōmatsu, Blood and Roses, 1969

© Foundation for Photography and Media Art with the Michael Schmidt Archive

© Paulina Pisarek

> le 9 septembre à l’église Saint-Eustache

> jusqu’au 24 octobre à la Maison européenne de la photographie

© Estelle Hanania

> Pinocchio (live) #2 d’Alice Laloy, du 16 au 21 juillet au Monfort théâtre (1 h 10)

poursuit sa douce odyssée et déploie live le lumineux Off Off On livré à l’automne : un bijou délicatement orchestré de folkpop enchanteresse, sorte d’exorcisme chaleureux qui donne envie de flirter, à nouveau, avec la joie. • E. Z.

Michael Schmidt, Sans titre, Berlin-Kreuzberg. Stadtbilder [BerlinKreuzberg. Vues urbaines], 1981-1982

----> WANG BING. L’ŒIL QUI MARCHE Caméra au poing, le cinéaste chinois prend le temps de saisir les personnes sur lesquelles on s’attarde d’ordinaire si peu : ouvriers, ermite, persécutés politiques, patients psychiatriques… Des extraits de six de ses films font dialoguer ces témoignages sans complaisance sur l’évolution de la société chinoise. • M. F. > jusqu’au 14 novembre au Bal

----> MORIYAMA – TŌMATSU. TOKYO Observation de leurs semblables dans l’après-guerre, transformations urbaines, jeunesse révoltée, arts de rue, scène underground, et une certaine obsession pour les minois diaphanes ou les jambes dénudées : il y a souvent une appétence pour no 181 – été 2021

© D. R.

----> PINOCCHIO (LIVE) #2 [THÉÂTRE] On connaît l’histoire dans laquelle le pantin devient un petit garçon de chair et d’os, moins celle dans laquelle les enfants deviennent des marionnettes. Sur scène, où de jeunes interprètes sont manipulés, habillés et maquillés comme des pantins, Alice Laloy renverse la métamorphose du conte, dans la continuité d’un projet photographique. • B. M.

les mêmes sujets chez Daidō Moriyama et Shōmei Tōmatsu. Les quatre cents tirages de ces deux maîtres de la photographie japonaise, exposés sur fond bleu nuit pour le premier, bleu ciel pour le second, portent haut l’amour du noir et blanc, toujours granuleux, voire férocement contrasté. • M. F.

© Shōmei Tōmatsu – Interface

SPECTACLES

© Jean-Louis Fernandez

CE MOIS-CI À PARIS

Culture

Des concerts et projections de films culte gratuits dans des lieux magiques, ça vous tente ? Tout l’été, le festival Paradiso, organisé par mk2, fait son retour en fanfare dans la cour du Louvre (du 1er au 4 juillet), sur le parvis de La Seine musicale à BoulogneBillancourt (du 16 au 18 juillet) et sur le rooftop de l’Hotel Paradiso à Paris (en juillet et en août). Les festivités s’ouvrent donc au Louvre où, pendant quatre soirs, de jeunes sensations musicales (Myd, Bonnie Banane, Sofiane Pamart…) vous feront danser, un verre de vin ou de grenadine à la main.

Détendez-vous ensuite en admirant sur grand écran des classiques (2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, Que la fête commence… de Bertrand Tavernier…) ainsi que deux avant-premières (The Tomorrow War de Chris McKay, Comment je suis devenu super-héros de Douglas Attal). Food trucks, ciné, musique : quel combo plus parfait pour débuter l’été ? • J. L. > gratuit, réservation obligatoire sur : https://mk2festivalparadiso.com/


ILS ONT TOUT PERDU, SAUF LE UR HUMOUR

EN CE MOMENT SEULEMENT SUR

© It’s Not A Real Company Productions, Inc.

UNE SÉRIE Ý



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