N 161
O
JUIN — JUIL. 2018 GRATUIT
AU POSTE ! QUENTIN DUPIEUX SOIGNE SA DÉPOSITION
AU CINÉMA LE 18 JUILLET SUR UNE IDÉE ORIGINALE DE YVES THOMAS IMAGE FRÉDÉRIC NOIRHOMME MONTAGE MATHILDE MUYARD SON JEAN-PIERRE DURET JEAN MALLET LUC THOMAS CASTING ANTOINETTE BOULAT CENDRINE LAPUYADE DÉCORS THIERRY FRANÇOIS DORIAN MALOINE ASSISTANT MISE EN SCÈNE FRANKLIN OHANNESSIAN SCRIPTE ANAÏS SERGEANT COSTUMES KHADIJA ZEGGAI COIFFURE POPULE MAQUILLAGE NELLY ROBIN DIRECTION DE PRODUCTION JÉRÔME PÉTAMENT DIRECTION DE POSTPRODUCTION PIERRE HUOT PRODUIT PAR PATRICK SOBELMAN COPRODUIT PAR SAÏD BEN SAÏD ET MICHEL MERKT JEAN-PIERRE ET LUC DARDENNE DELPHINE TOMSON GILLES SITBON UNE PRODUCTION EX NIHILO EN COPRODUCTION AVEC SBS FILMS CINEFEEL 3 AGAT FILMS & CIE LES FILMS DU FLEUVE AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR EN PARTENARIAT AVEC LE CNC LE CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE AVEC LE SOUTIEN DU TAX SHELTER DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL BELGE CASA KAFKA PICTURES CASA KAFKA PICTURES MOVIE TAX SHELTER EMPOWERED BY BELFIUS EN ASSOCIATION AVEC MANON 7 INDÉFILMS 6 AVEC LA PARTICIPATION DE CANAL + CINÉ + DISTRIBUTION ET VENTES INTERNATIONALES SBS DISTRIBUTION © 2018 - EX NIHILO - SBS FILMS - AGAT FILMS & CIE - LES FILMS DU FLEUVE. © 2017 GARNANT MUSIC (BMI)
Photo : Guy Ferrandis • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA
EX NIHILO PRÉSENTE
ÉDITO En
mai, on est revenus du Festival de Cannes en faisant notamment ce constat : la comédie française se porte bien. Ce fut une surprise, il faut dire. On ne s’attendait pas à rire autant devant l’inventivité folle d’En liberté ! de Pierre Salvadori, à sourire franchement face à l’autodérision du casting quatre étoiles du Grand Bain de Gilles Lellouche, à savourer les magouilles farfelues des héros du Monde est à toi de Romain Gavras – autant de films dont on vous reparlera bientôt. De là à fêter un renouveau de la comédie française d’auteur – d’auteur parce que fine, imprudente, imaginative –, il n’y a qu’un pas que le dernier film de Quentin Dupieux (grand oublié des sélections cannoises) nous donne envie de franchir allègrement. Le réalisateur de Steak, Wrong ou Réalité rassemble dans Au poste !, son premier long tourné en France, des flics un peu nuls dotés de bizarreries physiques et de tics de langage dénués de sens, des non-événements étirés jusqu’à la gêne, des digressions tordues et des irruptions gore. Pour, l’air de rien, pointer comme personne l’absurdité du quotidien. C’est sur un même registre absurde et malaisant que Blanche Gardin s’est remise à elle-même le Molière de l’humour fin mai, en faisant mine de se lamenter : « C’était sûr […] Je suis la seule femme nommée l’année de l’affaire Weinstein ! […] C’est l’histoire de ma vie : le jour où j’ai un prix, il n’a aucune valeur. » Ou comment, par un humour caustique, tout remettre en question sans donner de réponse. Rien de tel pour affûter les zygomatiques en même temps que l’esprit critique. • JULIETTE REITZER ET TIMÉ ZOPPÉ
Un grand film flamboyant. Une œuvre baroque où brille Vanessa Paradis. LE MONDE
Un choc.
TROIS COULEURS
Un thriller déjanté. Coup de cœur. 20 MINUTES
Un très beau film sensuel. LIBÉRATION
CG CINÉMA PRÉSENTE
PHOTO : E LL A HE RMË
© 2018 CG CINÉM A – PIANO - GARIDI FILMS – A RTE FRANCE CINEMA
VANESSA PARADIS
27 JUIN
UN FILM DE
YANN GONZALEZ
VOGUE
LES INROCKS
POPCORN
P. 12 RÈGLE DE TROIS : FLAVIEN BERGER • P. 14 SCÈNE CULTE : UN DRÔLE DE PAROISSIEN • P. 24 LA NOUVELLE : SOUAD ARSANE
BOBINES
P. 26 EN COUVERTURE : QUENTIN DUPIEUX • P. 40 INTERVIEW : YANN GONZALEZ & VANESSA PARADIS • P. 52 PORTFOLIO : CANNES
ZOOM ZOOM P. 60 HÉRÉDITÉ • P. 62 SANS UN BRUIT P. 64 DOGMAN
COUL’ KIDS
P. 78 INTERVIEW : CHARLOTTE MIQUEL • P. 80 LA CRITIQUE D’ÉLISE : BÉCASSINE ! • P. 81 TOUT DOUX LISTE
OFF
P. 82 ENQUÊTE : LE THÉÂTRE D’ANTICIPATION • P. 86 EXPO : ENFERS ET FANTÔMES D’ASIE • P. 102 JEUX VIDÉO : GOD OF WAR
ÉDITEUR MK2 AGENCY — 55, RUE TRAVERSIÈRE, PARIS XIIe — TÉL. 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ELISHA.KARMITZ@MK2.COM | RÉDACTRICE EN CHEF : JULIETTE.REITZER@MK2.COM CHEFFE DE RUBRIQUE CINÉMA : TIME.ZOPPE@MK2.COM | RÉDACTEURS : QUENTIN.GROSSET@MK2.COM, JOSEPHINE.LEROY@MK2.COM GRAPHISTE : JÉRÉMIE LEROY | SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : VINCENT TARRIÈRE | STAGIAIRE : GUILLAUME LAGUINIER ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : HENDY BICAISE, LILY BLOOM, CHARLES BOSSON, RENAN CROS, ADRIEN DÉNOUETTE, JULIEN DUPUY, MARIE FANTOZZI, YANN FRANÇOIS, AÏNHOA JEAN-CALMETTES, RAMSÈS KEFI, DAMIEN LEBLANC, VLADIMIR LECOINTRE, GRÉGORY LEDERGUE, MIRION MALLE, STÉPHANE MÉJANÈS, WILFRIED PARIS, MICHAËL PATIN, PERRINE QUENNESSON, BERNARD QUIRINY, CÉCILE ROSEVAIGUE, ÉRIC VERNAY, ANNE-LOU VICENTE, ETAÏNN ZWER & ÉLISE ET ANNA | PHOTOGRAPHES : VINCENT DESAILLY, PALOMA PINEDA, PHILIPPE QUAISSE, ERIOLA YANHOUI ILLUSTRATEURS : AMINA BOUAJILA, PABLO COTS, SAMUEL ECKERT, ÉMILIE GLEASON, PABLO GRAND MOURCEL PUBLICITÉ | DIRECTRICE COMMERCIALE : STEPHANIE.LAROQUE@MK2.COM | RESPONSABLE MÉDIAS : CAROLINE.DESROCHES@MK2.COM ASSISTANT RÉGIE, CINÉMA ET MARQUES : DORIAN.TRUFFERT@MK2.COM | RESPONSABLE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : MELANIE.MONFORTE@MK2.COM | ASSISTANTE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : LUCILLE.ETCHART@MK2.COM TROISCOULEURS EST DISTRIBUÉ DANS LE RÉSEAU LE CRIEUR contact@lecrieurparis.com © 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / DÉPÔT LÉGAL QUATRIÈME TRIMESTRE 2006 — TOUTE REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TEXTES, PHOTOS ET ILLUSTRATIONS PUBLIÉS PAR MK2 AGENCY EST INTERDITE SANS L’ACCORD DE L’AUTEUR ET DE L’ÉDITEUR. — MAGAZINE GRATUIT. NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE.
INFOS GRAPHIQUES
GRANDS ÉCARTS
Mi-mai,
le site Internet du Monde a publié une infographie qui, à partir d’un échantillon de cinquante-quatre films parmi les plus marquants tournés tout au long de leur carrière par les six acteurs français masculins les mieux payés en 2016, expose leur différence d’âge avec leur partenaire féminine à l’écran. Résultat : dans 74 % des cas, ces messieurs sont (bien) plus âgés. Et sachez pour l’anecdote que l’écart se creuse quand l’acteur est aussi le réalisateur : par exemple, dans Supercondriaque et Raid dingue, Dany Boon a choisi pour son personnage des compagnes de quinze ans ses cadettes (jouées par Alice Pol). Saurez-vous deviner la différence d’âge des interprètes des quelques films ci-dessous ? • JOSÉPHINE LEROY
. D. R
JOSÉ GARCIA
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NOÉMIE LENOIR
(GUIMIEUKIS)
(GINO ROMA)
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(ASTÉRIX)
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CHRISTIAN CLAVIER
DANY BOON
dans Astérix et Obélix. Mission Cléopâtre d’Alain Chabat (2002)
ALICE TAGLIONI
(RICHARD)
1
ANNA MOUGLALIS
(SIMONE ROMA)
dans Chez Gino de Samuel Benchetrit (2011)
(ELENA)
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dans La Doublure de Francis Veber (2006)
D. R
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D. R
dans Entre amis d’Olivier Baroux (2015)
OMAR SY
4
CLOTILDE HESME
(CHOCOLAT)
(MARIE)
dans Chocolat de Roschdy Zem (2016) 5
D. R ©
FRANCK DUBOSC
(JOCELYN)
CAROLINE ANGLADE
(JULIE)
dans Tout le monde debout de Franck Dubosc (2018) 6
Source : « Au cinéma, les acteurs vieillissent, mais pas leurs conquêtes », lemonde.fr
(DAPHNÉ)
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MÉLANIE DOUTEY
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(RICHARD)
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D. R
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DANIEL AUTEUIL
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Solutions : 1 : 27 ans - 2 : 10 ans - 3 :12 ans - 4 : 29 ans - 5 : 1 an et demi - 6 : 19 ans
ÉMOPITCH UN COUTEAU DANS LE CŒUR DE YANN GONZALEZ (SORTIE LE 27 JUIN) 6
UN FILM DE
LE 11 JUILLET
Crédits non contractuels • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA • Photo : Greta De Lazzaris.
MARCELLO FONTE
M AT T E O G A R R O N E
FAIS TA B.A.
À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketches). POUR CES COLLÉGIENS QUI VOUS SPOILENT VOS SÉRIES PRÉFÉRÉES DANS LE BUS Chaque matin, c’est la même rengaine : deux collégiens discutent dans le bus des séries qu’ils ont matées la vieille et n’oublient aucun détails. Quand vous recroiserez ces morveux, lisez à voix haute le passage sur la dernière saison de Game of Thrones dans le livre ludique Spoiler Alert, qui recense toutes les fins de séries culte. Vengeance parfaite !
: « Spoiler Alert » de Mathilde Degorce (Hachette Pratique)
POUR VOTRE ONCLE JACKY, UN MOTARD TATOUÉ FAN DE FEU JOHNNY Votre tonton a l’air d’un petit ourson perdu en forêt : les yeux humides, il fixe son avantbras gauche poilu où se trouve un tatouage à l’effigie du chanteur culte. Pour lui redonner du baume au cœur, achetez-lui ces trois films de truands – D’où viens-tu, Johnny ?, Point de chute, Le Spécialiste – dans lesquels joue l’idole des jeunes (et moins jeunes).
: « D’où viens-tu, Johnny ? » de Noël Howard, « Point de chute » de Robert Hossein, « Le Spécialiste » de Sergio Corbucci (Carlotta Films)
POUR VOTRE COUSINE QUI A DÉTESTÉ SON BAL DE PROMO Les robes bouffantes, les slows pseudo-romantiques ou les punchs dégueu, très peu pour elle. Cette soirée planifiée par son école fut une cata. À l’occasion de la rétrospective organisée par la Cinémathèque autour du ciné de Brian De Palma, proposez-lui d’aller voir le génial Carrie au bal du diable, avec son héroïne qui fait voler en éclats une soirée bien naze.
: « Rétrospective Brian De Palma », jusqu’au 4 juillet à la Cinémathèque française Carrie au bal du diable de Brian
de Palma, 19 76
POUR PAM, VOTRE VOISINE QUI PHOTOGRAPHIE CHAQUE ANNÉE LES STARS DE CANNES À l’état civil, elle se nomme Georgette, mais on l’appelle Pam. Sur le sol de son salon s’étalent des tonnes de photos (ratées) de stars. C’est sûr, elle adorera l’expo consacrée au photographe américain Douglas Kirkland, qui a capturé – toujours avec une bonne mise au point – plein d’actrices (Brigitte Bardot, Marilyn Monroe…), sur les plateaux ou en studio. Douglas Kirkland, Marilyn Monroe, 1961
: « Douglas Kirkland », jusqu’au 3 juillet à la galerie Gadcollection
Comme vous, cette baroudeuse espagnole passe le plus clair de son temps hors de son pays et adore la Nouvelle Vague. Depuis votre rencontre à Bogota, vous vous conseillez souvent des films grâce au réseau WhatsApp. Profitez de sa venue pour lui faire visiter Paris et surtout les XIXe et XVIIIe arrondissements, quartiers fétiches du réalisateur des Quatre Cents Coups d’après ce livre.
: « Le Paris de François Truffaut » de Philippe Lombard (Parigramme)
• JOSÉPHINE LEROY 8
© SPLENDOR FILMS ; KIRKLAND
POUR CETTE TOURISTE SYMPA ET CINÉPHILE RENCONTRÉE EN COLOMBIE
présentent
CRÉDITS NON CONTRACTUELS
THOMAS ET MATHIEU VERHAEGHE
MARC FRAIZE ANAÏS DEMOUSTIER PHILIPPE DUQUESNE ORELSAN
SORTIE LE 4 JUILLET
CHAUD BIZ
POPCORN
C’EST QUOI, LA DIRECTIVE S.M.A. ?
L’Europe
s’est enfin mise d’accord. Pas sur tout, faut pas rêver non plus, mais sur la modernisation du cadre juridique du secteur audiovisuel européen, si. Restez, on vous promet que c’est bien. Il aura fallu deux ans et un trilogue intense – parce qu’un dialogue, ça aurait été trop simple – entre le Conseil, la Commission et le Parlement européens, pour enfin trouver, fin avril, un accord sur la directive service de médias audiovisuels, dite S.M.A. Sous ce terme un peu barbare se cache un acte juridique qui oblige les États membres à intégrer à leur législation un socle de règles communes pour tous les éditeurs de contenus audiovisuels européens (chaînes de télévision, radios, plates-formes…). Instaurée en 1989 sous le petit nom de Télévision sans frontières (comme les jeux, mais avec télévision), et révisée de temps à autre, elle n’avait pas bougé depuis 2007. Mais à l’heure de l’émergence en force des Netflix, YouTube et compagnie, il était temps de refaire quelques ajustements. L’un des principaux changements est en lien avec la fameuse taxe Netflix dont nous vous parlions il y a quelques numéros déjà (le temps
passe si vite…). Désormais, les chaînes ou les services à la demande diffusant dans un autre État membre que celui dans lequel ils sont installés devront s’acquitter des taxes et obligations d’investissement dans la production du pays récepteur. Explication de texte : Netflix, qui émet depuis les Pays-Bas, mais aussi Altice, qui diffuse depuis le Luxembourg, devront s’acquitter des taxes et obligations applicables en France. Par ailleurs, une des grandes batailles de l’Hexagone dans cette révision de la directive a été le quota d’œuvres européennes dans les services de vidéo à la demande : il sera porté à 30 % au lieu des 20 % actuels. L’accord prévoit également l’obligation pour ces plates-formes de V.o.D./S.V.o.D. de mettre en avant et de promouvoir ces œuvres. Enfin, cette directive S.M.A., qui s’étend désormais aux sites de partage de vidéos telles que YouTube, mais aussi aux réseaux sociaux type Facebook et aux plates-formes de diffusion en direct sur internet façon Periscope, oblige les différents services à prendre des mesures pour protéger les jeunes publics et à lutter contre le terrorisme et les fake news. Transposition dans le droit français prévue d’ici la fin 2018. • PERRINE QUENNESSON ILLUSTRATION : ÉMILIE GLEASON
Netflix, mais aussi Altice, devront s’acquitter des taxes et obligations applicables en France.
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TOM CRUISE
MISSION : IMPOSSIBLE AU CINÉMA LE 1 ER AOÛT www.missionimpossible-lefilm.fr /Mission.Impossible.FR @paramountFR @paramountpicturesfrance
#MissionImpossibleFallout /ParamountFrance
RÈGLE DE TROIS
FLAVIEN BERGER
Tes 3 films de voyage spatiotemporel culte ? Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais (1968), dans lequel le héros revit des scènes de son passé – un voyage dans le temps cinématographique, mental, une expérience. Je revois souvent La Jetée de Chris Marker (1962), magique – le voyage est ici au service de la narration, c’est un roman-photo où les images de la pellicule apparaîtraient à l’écran lentement. Quel chef-d’œuvre de simplicité, tout est dans le non-montré, le non-dit. Et la bande-son est sublime. J’aime les œuvres
© JULIETTE GELLI, MAYA DE MONDRAGON
Flavien Berger aime la pop cinématographique. À l’occasion du festival Days Off, où il présente notamment une sélection de films sur le voyage dans le temps, thème fétiche de son second album, Contre Temps, prévu cet automne, il a répondu à notre questionnaire cinéphile.
qui donnent envie de faire des œuvres. Et Les Visiteurs (Jean-Marie Poiré, 1993), qui croise deux de mes dadas, le voyage dans le temps et le Moyen Âge ; d’ailleurs, une de mes prochaines chansons s’appelle « Medieval Wormhole », le « trou de ver médiéval » – ça pourrait résumer le film, tiens. 3 B.O. obsédantes ? Question épineuse : Miracle Mile (Steve De Jarnatt, 1990) par Tangerine Dream, parce que j’ai vu le film récemment ; Basic Instinct (de Jerry Goldsmith, 1992) – je n’aime
pas toute la B.O., mais le thème est magnifique – ; et le travail de Jonny Greenwood (multi-instrumentiste de Radiohead) avec Paul Thomas Anderson sur Phantom Thread (2018), par exemple, ou celui de John Carpenter sur Assaut (1976). Écouter une B.O. sans les images, ou regarder un film sans sa musique, c’est vraiment un autre exercice, et parfois ça ne fait honneur ni à l’un ni à l’autre. Mais je suis une espèce de réalisateur du vide ; la musique que je fais, c’est peut-être la musique de film que je ne
« Les Visiteurs croise deux de mes dadas, le voyage dans le temps et le Moyen Âge. » 12
RÈGLE DE TROIS
qu’on quitte. Kraftwerk et le krautrock, musique brutale de la modernité urbaine, musique d’autoroute qui permet une transe de l’esprit, m’inspirent. Si Léviathan [son premier opus, rêverie marine parue en 2015, ndlr.] était un roller coaster de parc d’attractions, dans Contre Temps, le véhicule est une voiture… 3 comédies un peu légères que tu assumes totalement ? Dans des tons différents, la trilogie de Richard Linklater, Before Sunrise (1995), Before Sunset (2005) et Before Midnight (2013). Puis Happy Accidents de Brad Anderson (2000), une rom com hollywoodienne d’anticipation, intense et bien écrite. Pendant tout le film, comme la fille qu’il séduit, on
se demande si le type vient vraiment du futur ou si c’est un loser – à quel moment on décide de croire. Et L’Ami de mon amie d’Éric Rohmer (1987) : j’ai caché un plan de ce film dans le clip de mon premier titre, « Gilded Glaze ». On y voit une véliplanchiste, qu’on retrouve sur l’EP Mars balnéaire – d’un disque à l’autre, il y a des éléments qui reviennent, et Contre Temps commence là où s’arrêtait Léviathan. J’aime créer des tunnels, ouvrir des portails interdimensionnels… • PROPOS RECUEILLIS PAR ETAÏNN ZWER
— : festival Days Off, du 30 juin au 8 juillet à la Philharmonie de Paris
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(Re)découvrez en ligne les plus grands films du XXème siècle choisis par des réalisateurs du monde entier LACINETEK EST SOUTENUE PAR
CRÉDIT LA DOLCE VITA DE FEDERICO FELLINI © 1960 PATHÉ. DROITS RÉSERVÉS. FILM DISPONIBLE SUR LE SERVICE.
ferai jamais, une sorte de création par l’absence… 3 duos de cinéma que tu trouves beaux ? Nicolas Cage et Laura Dern dans Sailor et Lula de David Lynch (1990), Gérard Depardieu et Isabelle Huppert dans Loulou de Maurice Pialat (1980), et Ana Moreira et Carloto Cotta dans Tabou (2012) de Miguel Gomes. 3 road trips à l’écran que tu aimerais vivre ? Ou pas, si ça finit mal. Je citerais Macadam à deux voies (Monte Hellman, 1973), Les Valseuses (Bertrand Blier, 1974) et Mad Max. Fury Road (George Miller, 2015). L’errance est belle, on ne sait pas trop où on va mais on y va, pour échapper à ce
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SCÈNE CULTE
UN DRÔLE DE PAROISSIEN
POPCORN
« Allons, mes frères, ne troublez pas la paix de notre église. »
Plus
l’entrée, et le curé Bourvil passe décidément beaucoup de temps devant sainte Louise de Marillac. « Allons, mes frères, ne troublez pas la paix de notre église », lance-t-il aux flics grimés, trop dévots et idiots pour contester son autorité. La mise en scène, tout en apparitions et disparitions, et le tempo, qui épouse l’esprit protocolaire du lieu, font de ce chassé-croisé un sommet de drôlerie, avec en point d’orgue la confession de l’ouaille blanche au père Bourvil : fainéantise, alcoolisme, adultère… Pour l’absoudre, ce dernier l’invite à remplir les troncs qu’il vient de vider et propose même, grand seigneur, de lui faire la monnaie. Quelque part entre la métrique de Jacques Tati, la verve de Michel Audiard et le non-sens des Monty Python, Mocky trouve son petit coin de paradis comique, gentiment blasphématoire et diablement efficace. • MICHAËL PATIN
grand succès public de la carrière de Jean-Pierre Mocky, Un drôle de paroissien conte l’histoire de Georges Lachaunaye, fils d’aristocrates désargentés pour qui le travail est une notion honnie, et de Dieu, un allié toujours coopératif. Croulant sous les dettes, Lachaunaye a une révélation : c’est en pillant les troncs des églises qu’il pourvoira aux besoins de sa famille. Outre un Bourvil parfait en oisif hypocrite et ingénieux, le film brille par son comique de situation et de répétition, pour lequel Mocky fait preuve d’un sens du rythme qu’on lui connaît peu. En ce sens, la scène des déguisements dans l’église Notre-Dame-de-la-Croix de Ménilmontant est un accomplissement. Entre Bourvil, son complice (Jean Poiret) et les membres de la brigade de surveillance des églises (parmi lesquels Francis Blanche) se joue un ballet de dupes à rebonds multiples, chacun ayant pris l’apparence d’un ecclésiastique pour passer inaperçu. Les sacristains suspicieux soufflent sur des cierges, le bedeau fait le planton devant
— : de Jean-Pierre Mocky (1963), disponible en Blu-ray (ESC)
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TROIS IMAGES
TERREUR SUR LA LIGNE Dans Paranoïa, Steven Soderbergh met en scène la psychose engendrée chez une jeune femme par un stalker qui la harcèle, notamment, via son smartphone. Générateur de suspense ou véritable machine de mort : le téléphone dans tous ses états. © D. R.
par SMS, Claire Foy tremble au fond de son lit. Après la brillante minisérie Mosaic (2018), thriller old school accompagné d’une application permettant d’entrer dans le récit et d’enquêter sur le crime d’Olivia Lake (Sharon Stone), Steven Soderbergh poursuit ses expérimentations téléphoniques et signe son premier film tourné à l’iPhone. Générateur d’angoisses multiples, le smartphone noie le personnage et le spectateur dans un labyrinthe de faux-semblants.
© D. R.
On trouve chez Alfred Hitchcock la représentation la plus frontale de l’appareil téléphonique comme matrice de suspense. Dans Le crime était presque parfait (1955), le simple fait de composer un numéro suffit pour tuer. Un homme engage un assassin pour se débarrasser de sa femme. Celui-ci l’étranglera quand elle se lèvera pour répondre à un appel, passé par le mari depuis une cabine. Ce dernier assiste au meurtre à distance, via le combiné : son attention aux bruits et son propre silence créent une intenable dilatation du temps. Le coup de fil se meut en outil de strangulation. Dans Boulevard de la mort (2007) de Quentin Tarantino, l’irruption du Nokia vient perturber la reconstitution seventies. Jungle Julia se retrouve brutalement isolée et tente en vain de contacter son amant, submergée par le thème de « Sally & Jack » composé par Pino Donaggio pour Blow Out de Brian De Palma (1982). Le message, parti, n’aura jamais de réponse. Les filles mourront quelques minutes plus tard, déchiquetées dans un crash de voiture. Avec ou sans fil, le téléphone tire les ficelles du récit. • CHARLES BOSSON
— : « Paranoïa » de Steven Soderbergh 20th Century Fox (1 h 38) Sortie le 11 juillet
© D. R.
POPCORN
Harcelée
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APRÈS
JAFAR PANAHI FILM PRODUCTION ET CELLULOID DREAMS PRÉSENTENT
" TAXI TÉHÉRAN "
Un road-movie tendre et drôle. Virtuose. LE MONDE
Une merveille.
LE JDD
Un grand film.Un très beau conte. LE FIGARO
LES ÉCHOS
Une ode à la liberté. L’OBS
Un petit bijou. OUEST FRANCE
UN FILM DE
ILLUSTRATION PATRICK CONNAN /
JAFAR PANAHI
actuellement
LA CROIX
POPCORN
LE BRAS CASSÉ DU CINÉ
Au
FESTIVAL DE CANNES engagé, elle dégage – ses jambes sont trop courtes pour monter les marches d’un festival. Jeudi : la production a débarqué comme p rév u . D eva nt l e s t a d e , tu a s to i s é d e s connaissances, sué à grosses gouttes (le trac) et imaginé le futur radieux (ton blaze à la fin d’un film). Une fois devant les recruteurs, tu as joué franc-jeu d’emblée : « J’ai les dents longues. » Cinq minutes plus tard, tu étais dans un accoutrement de teckel, en train de pousser des croquettes avec ton front. Le synopsis du thriller : un médecin est persuadé qu’il peut concevoir un enfant avec ses chiens. La consolation : tandis que tu aboyais, tu as entendu les huiles évoquer le Festival de Cannes – ton Graal. Vingt minutes plus tard, tu as alpagué l’une des scénaristes : « Je vous ai surpris en train d’évoquer le Festival de Cannes… en fait, j’étais dans le teckel… Du coup, tous les acteurs seront invités là-bas si le film est nominé ? — Vous avez mal compris, certainement à cause des poils artificiels. On ne parlait pas du Festival de Cannes, mais du festival canin. » • RAMSÈS KEFI — ILLUSTRATION : AMINA BOUAJILA
café, un voisin t’a annoncé la nouvelle de bon matin : il participe au casting d’un drame qui sera prochainement tourné dans ta commune. Pour faire plus vrai, la production veut recruter des habitants. Tu l’as chopé illico par le tricot : « Ça se passera où ? Et quand ? » L’œil sournois, il t’a fait un signe du menton vers ton porte-clés – un petit médaillon avec le visage de Clémentine Célarié – qu’il convoite depuis des mois. Aucun levier de négociation possible. Tant pis, c’est d’accord. « Derrière le stade, jeudi après-midi… » Joie. Ton rêve d’en être (Saint-Tropez, tutoyer les commissaires de police, manger des moules dans un bol, grignoter des boudoirs sur une péniche…) arrive en bas de chez toi. En rentrant du zinc, tu as demandé à ta copine de te sortir ton froc gris aluminium et une perruque – frisée devant, lisse derrière – au cas où. « Putain, tu n’es pas acteur, tu es comptable dans une boîte qui vend des crustacés en poudre ! Quand est-ce que tu arrêteras tes délires ? » Tu as ri à gorge déployée – « Je t’aime quand même bébé ». Mais tu as tout planifié : si tu es
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“Un thriller terriblement efficace”
“Malsain, captivant et schizophrène”
Comme au Cinéma
Plugged
Claire Foy
Réalisé par Steven Soderbergh
Écrit par Jonathan Bernstein & James Greer
REGENCY ENTERPRISES ET FINGERPRINT RELEASING PRESENTENT UNE PRODUCTION NEW REGENCY/EXTENSION 765 CLAIRE FOY “PARANOIA” (UNSANE) JOSHUA LEONARD JAY PHAROAH JUNO TEMPLE AIMEE MULLINS ET AMY IRVING CASTING CARMEN CUBA, CSA DIRECTEUR DE MONTAGE CO-PRODUCTEUR PRODUCTEURS PRODUIT ECRIT REALISE COSTUMES SUSAN LYALL DE MARY ANN BERNARD LA PHOTOGRAPHIE PETER ANDREWS CO-PRODUCTEUR COREY BAYES EXECUTIF JOSEPH REIDY EXECUTIFS KEN MEYER ARNON MILCHAN DAN FELLMAN PAR JOSEPH MALLOCH PAR JONATHAN BERNSTEIN & JAMES GREER PAR STEVEN SODERBERGH
LE 11 JUILLET AU CINÉMA
LE TEST PSYNÉPHILE
OÙ VAS-TU FINIR L’ANNÉE SCOLAIRE ?
Tu rêves de quoi, en mâchouillant ta salade détox au bureau ?
Ton livre de chevet honteux, c’est quoi ? Journal de Mireille Havet.
De plonger dans un océan infini.
Les hommes viennent de mars, les femmes viennent de Vénus de John Gray.
POPCORN
D’une partouze cosmique. De tuer quelqu’un après minuit. La question la plus bizarre qu’on t’ait posée au lit :
Hunger Games de Suzanne Collins. Une réplique qui définit ta vie : « C’est comme dans les années 1960, l’espoir en moins. »
C’est la première fois qu’on chante l’hymne américain dans ton anus ? T’es sûr(e) que t’es pas un androïde ?
« L’odeur de la baise est déjà là, et pourtant ce n’est qu’une hypothèse. »
Tu peux me rendre mon portefeuille, s’il te plaît ?
« C’était bien la prison ? T’as reçu mes cookies ? »
Quand tu fais ton entrée dans une fête… Speed, poppers, cocaïne, MDMA, quelque chose à boire…
Ce soir, tu as une soirée déguisée, tu sors ton costume… … de cosmonaute punk.
Quelqu’un va y laisser sa chemise.
… d’Anna Wintour (on ne juge pas).
Tu te demandes juste comment aborder une fille.
… d’infirmière délurée.
SI TU AS UN MAXIMUM DE : EN PRISON, MAIS TU L’AS UN PEU CHERCHÉ. Tu es un(e) récidiviste, c’est plus fort que toi, comme Sandra Bullock dans Ocean’s 8 (sortie le 13 juin). La trilogie des Ocean’s réalisée par Steven Soderbergh ne t’a pas assagi(e) et tu aimes toujours autant l’action et le clinquant. J’ai un job pour toi. Va voir ce spin-off réalisé par Gary Ross. Il fait exploser le compteur Bechdel et il est réussi comme un casse mythique. T’en es ? Je suis dans ton garage.
DANS L’ESPACE, EN ÉCOUTANT DU PUNK À JAMAIS ! Tu es un(e) grand(e) weirdo timide et tu passes tes journées à écouter du punk en rêvant que tu pelotes des aliens. Eh bien, aussi bizarre que cela puisse paraître, il y a un film qui va combler toutes tes attentes. Il s’appelle How to Talk to Girls at Parties et il est réalisé par John Cameron Mitchell (sortie le 20 juin). C’est un ovni réjouissant dans lequel on croise Elle Fanning et Nicole Kidman.
DEVANT LES PORTES DU PARADIS (SANS LES CLÉS). Tu as l’âme aventurière, rien ne t’excite tant que de te perdre en suivant les chemins sinueux de ton imagination. Tu vas être transpercé(e) par Un couteau dans le cœur, réalisé par Yann Gonzalez (sortie le 27 juin). Giallo moderne dans son écrin de lumières seventies, expérience sensorielle démente, il est une véritable invitation à l’hédonisme, au jouir-ensemble, qui te mènera au (Vanessa) Paradis.
• LILY BLOOM — ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL 20
PAR LA RÉ ALI SATR I C E D E
LE GÉA NT ÉG OÏSTE
UN DES FILMS ANGLAIS LES PLUS REMARQUABLES DE L’ANNÉE HEYUGUYS
POIGNANT ET CAPTIVANT
BOULEVERSANT
CINEUROPA
HOLLYWOOD REPORTER
EXTRAORDINAIREMENT
★★★
PUISSANT
THE SUN
R U T H W I L S O N M A R K S TA N L E Y S E A N B E A N
DESIGN : BENJAMIN SEZNEC / TROÏKA
UN FILM DE CLIO BARNARD
AU CINÉMA LE 11 JUILLET © DARK RIVER FILM LIMITED, WELLCOME TRUST, CHANNEL FOUR TELEVISION CORPORATION, THE BRITISH FILM INSTITUTE 2017
L’ŒIL DE MIRION MALLE
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LE MOMENT OÙ L’AFRIQUE DU SUD A GAGNÉ LA DÉMOCRATIE
PAR JOHN CARLIN, L’AUTEUR D’INVICTUS © Seuil-Delcourt, 2018
DESSIN & COULEURS : ORIOL MALET
ALBUM DISPONIBLE AU RAYON BD EN PARTENARIAT AVEC
LA NOUVELLE
POPCORN
SOUAD ARSANE
Elle
déboule en retard au rendez-vous, mais ses excuses souriantes font facilement passer la pilule. Souad Arsane est à l’affiche et au scénario du revenge porn culotté À genoux les gars d’Antoine Desrosières, présenté à Cannes dans la sélection Un certain regard. À 22 ans, cette brune bouclée au regard enfantin flotte sur un nuage. Originaire de Bagneux, elle a lâché son bac pro mode, blasée (« J’ai pris une année sabbatique rallongée ! »), puis une clope a tout changé. « J’accompagnais une pote à son lycée. C’était la hess, alors j’ai par hasard taxé du feu à la dir-cast de Haramiste. Elle m’a demandé mon num’. J’ai cru qu’elle me draguait, qu’elle se foutait de moi ; mais non ! » La galère, son personnage
la connaît bien : séparée de sa sœur (Inas Chanti, avec qui Souad partageait déjà l’affiche de Haramiste, moyen métrage du même réalisateur sorti en 2015), Yasmina, perdue et « trop gentille », subit un sale chantage sexuel avant de prendre sa revanche. Preuve que, au ciné comme dans la vie, l’aplomb permet de surmonter les épreuves. • JOSÉPHINE LEROY PHOTOGARAPHIE : PALOMA PINEDA
— : « À genoux les gars » d’Antoine Desrosières Rezo Films (1 h 38) Sortie le 20 juin
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© SO-ME
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COMIQUE COSMIQUE
Quentin Dupieux
Après cinq comédies tournées au Canada et aux États-Unis, Quentin Dupieux est de retour en France pour inaugurer une nouvelle phase de son cinéma. Huis clos ovniesque et savoureux, Au Poste ! met en scène l’interrogatoire par un policier (Benoît Poelvoorde) d’un homme soupçonné de meurtre (Grégoire Ludig). Heureux de prendre le contrepied des grands espaces ensoleillés anglophones de Rubber (2010) ou de Wrong (2012), le cinéaste a-t-il pour autant délaissé son goût des labyrinthes absurdes ? Réponse de l’intéressé. 28
Vos précédents films convoquaient des références américaines. Ici, on pense plutôt à des polars français comme Buffet froid. Au Poste ! s’inspire de manière très inconsciente d’un tas de choses qui ont façonné ma culture cinématographique française. On pourrait même citer Le Père Noël est une ordure et toute cette tradition de ciné-théâtre dans laquelle des comédiens drôles et doués s’emparent de dialogues ciselés. Et il y a en effet à l’origine du film une envie de revenir en France. C’est ce qui se passe concrètement dans ma vie après sept ans passés aux États-Unis. Mes films américains représentaient une sorte de période d’essai qui m’a permis d’expérimenter et d’écrire des scénarios que je n’aurais pas écrits en français [il a tourné Steak au Canada et Rubber, Wrong, Wrong Cops et Réalité aux États-Unis, ndlr]. J’ai emprunté à l’imaginaire américain, celui de Duel de Steven Spielberg ou de Scanners de David Cronenberg, avec mon prisme français, en sachant bien que mon outil n’était pas complet là-bas puisque je ne parlais pas parfaitement la langue. J’ai désormais envie de mieux maîtriser les dialogues, qui étaient devenus un élément un peu accessoire de mon cinéma. C’est un retour à l’essentiel.
Comment avez-vous imaginé le duo du film ? Le suspect, Fugain, a des airs de Français moyen à la vie bien rangée, tandis que le flic, Buron, est assez désorganisé. Je n’ai pas pensé au Français moyen, ni même au Français en général, mais j’ai par contre voulu décrire l’ennui de l’anodin en essayant de le rendre drôle. On est proche de la BD Placid et Muzo. Le fait, par exemple, que Fugain ait faim, c’est complètement nul dans le cadre d’un film, personne ne va dire que c’est une idée géniale. Mais c’était amusant que cela devienne soudain une des données du personnage. Fugain représente la réalité. Le cinéma policier nous a habitués à des récits extraordinaires et palpitants ; eh bien moi, j’ai adoré faire l’inverse, prendre le contrepied d’un récit palpitant tout en recherchant de l’humour et de la grâce dans un truc banal et ordinaire. J’ai imaginé ce tandem comme un duo de comédie. Buron a quelque chose du flic proche de la retraite, qui en a un peu marre et dont le comportement ne semble du coup pas toujours hyper professionnel. Les influences seraient aussi à chercher du côté de Police Academy de Hugh Wilson (1984) et des films potaches de flics. Le travail sur le langage est au cœur du film. En plus de la diction unique de Benoît Poelvoorde, Anaïs Demoustier et Marc Fraize s’expriment avec des accents, et un tic de langage fait office de running gag. Marc Fraize a effectivement parfois des accents du Sud, qui sont étouffés ou accentués selon les phrases. Mais je ne sais même pas d’où il vient, je sais juste qu’il vit en Bourgogne [réponse dans notre portrait de l’acteur, p. 34, ndlr]. La voix
Grégoire Ludig et Benoît Poelvoorde
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Marc Fraize
« Je laisse clairement les portes de l’inconscient ouvertes. » et l’intonation sont très importantes pour un film enfermé entre quatre murs et qui repose beaucoup sur le texte. Quand Anaïs Demoustier a déboulé sur le plateau, on a essayé plusieurs choses, et puis elle a progressivement repris son accent du Nord car elle vient de là-bas – ça la faisait marrer. On travaillait aussi la musicalité des mots, on modifiait parfois certains dialogues, c’était un mariage de tout le monde. Les comédiens étaient comme des musiciens, il fallait les accorder entre eux, il fallait que ce ne soit pas dissonant. Et que ce soit amusant. S’agissant d’un huis clos, le décor du commissariat s’avère aussi central. Comment avez-vous pensé ce lieu ? Depuis Wrong, la direction artistique de mes films est assurée par ma femme, Joan Le Boru. Et ce retour en France lui permet à elle aussi de communiquer plus précisément avec des équipes qui comprennent mieux ses influences et ses envies. On a tourné
Au Poste ! au siège du Parti communiste, dans le XIXe arrondissement, un bâtiment conçu par le grand architecte Oscar Niemeyer. Joan a transformé l’endroit tout en respectant sa vision architecturale d’origine. Moi, j’aime que l’image soit un peu naturaliste, j’ai horreur des trucs clinquants. Il fallait donc trouver une direction artistique solide qui s’adapte aussi à une forme de naturalisme. On ne fait pas juste du beau, on mélange aussi avec du vrai. Le film repose d’abord sur une narration classique et linéaire, puis l’unité de lieu, de temps et d’action vole en éclats… Je vois mon travail comme un terrain de jeu. L’objectif était de faire une comédie policière, comme dans les années 1980, mais à ma propre sauce. Si j’ai joué avec les codes de la pièce de théâtre, de l’interrogatoire et du polar français avec des flash-back, je reviens forcément vite à une ambiance psychotique. Mais l’angoisse est plus légère
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de réaliser des films fantastiques car j’étais passionné par John Carpenter et par Massacre à la tronçonneuse. Mais je passais finalement à côté de cette pulsion dans mes premiers gestes de cinéma et je me retrouvais à raconter des histoires intimistes avec des humains qui discutent et dysfonctionnent. Je ne suis pas calculateur dans ma façon de faire du cinéma : il ne s’agit pas d’aléatoire car il y a beaucoup de travail d’écriture, mais je laisse clairement les portes de l’inconscient ouvertes. J’aime ce qui est de l’ordre du rêve, c’est comme ça que je m’y retrouve. Et la dimension cauchemardesque peut logiquement être perceptible dans Au Poste !, notamment parce que je sème de petites graines d’étrangeté, comme celle du trou dans le torse de Benoît Poelvoorde. C’est de toute façon le même cerveau qui a généré ce film et les précédents. Ce sont des comédies cosmiques. Comme votre précédent film, Réalité, en 2015, Au Poste ! ne fait plus entendre aucune de vos compositions musicales, signées sous le pseudo de Mr Oizo. Le musicien s’efface-t-il au profit du cinéaste ? J’en ai marre d’entendre ma musique, c’est vrai. La bande originale de Wrong Cops (2013) proposait un feu d’artifice de ma musique electro car ça collait au côté crade, bête et méchant du film. Mais j’occupe tellement de postes sur Au Poste ! – j’ai écrit le scénario et les dialogues, j’ai été cadreur, j’ai fait la lumière, j’ai fait le montage – que je n’ai plus besoin de cette étape où il faut aussi composer. Ma musique était au départ un accompagnateur rassurant, mais je suis content d’en être libéré. Je peux aborder mes films autrement. Là c’est
cette fois-ci. On ne quitte a priori jamais l’intrigue du film, si ? Ça se discute. Au Poste ! fait clairement penser aux cerveaux fous et dérangés de Steak ou de Réalité. On se croirait presque dans un asile géant. Je crois qu’on a tous des démons et des obsessions. Quand j’ai commencé à faire des courts métrages, j’avais cette pulsion
DUPIEUX VU PAR SES ACTEURS Avec ses dialogues ciselés et son comique de situation absurde, Au poste ! repose beaucoup sur ses acteurs. On a parlé à deux d’entre eux. GRÉGOIRE LUDIG :
ANAÏS DEMOUSTIER :
« Sur le plateau, il sait exactement ce qu’il veut, et ça met tout le monde très à l’aise : le bateau a beau être chelou, le capitaine tient fermement la barre. C’est très rassurant. Et il a une manière très premier degré de diriger qui rend les situations accessibles et immédiates : “là, t’as la dalle”, “là, tu fais le mec le plus normal du monde”, “là, t’en as marre”. Simple et efficace. » • R. C .
« Il m’a proposé le rôle comme ça : “La seule indication que je peux te donner, c’est que ton personnage est complètement débile.” Quentin a un humour hallucinant, il arrive à tirer la substance comique de n’importe quelle situation. Et puis il a une manière de tourner l’air de rien, il cadre lui-même, ne s’excite pas à faire soixante prises, monte tout seul… Il donne l’impression que c’est son hobby du dimanche. » • T. Z .
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QUENTIN DUPIEUX
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Benoît Poelvoorde
« C’est fou de se dire qu’Au Poste ! est mon premier long métrage tourné en France. » David Sztanke, l’ex-Tahiti Boy, avec qui j’avais fait la B.O. de Wrong en 2012, qui a composé la musique. Vous venez de tourner votre prochain film, Le Daim, avec Jean Dujardin et Adèle Haenel. Vous restez en France ? Oui, je suis rentré dans une boulimie française. Je suis en train de monter Le Daim, dont le tournage s’est terminé en avril dans les Pyrénées. C’est l’histoire d’un type dont la vie change à cause d’un blouson en daim. Et je suis en train d’écrire les scénarios suivants. C’était une bonne idée de m’isoler et de réaliser des films hybrides en Amérique pour mieux revenir au pays avec un nouvel usage des dialogues. C’est fou de se dire qu’Au Poste ! est mon premier long métrage tourné à Paris, et même mon premier en France [il avait tourné son premier long, Nonfilm, en Espagne, ndlr]. J’avais toujours besoin d’être ailleurs pour filmer, mais je suis aujourd’hui guéri de cette petite maladie. Tourner en anglais c’était comme porter un masque, mais je suis enfin prêt à travailler non masqué dans l’Hexagone ! Et il y a plein de comédiens que j’ai envie de diriger. Benoît Poelvoorde, Grégoire Ludig, Jean Dujardin et Adèle Haenel, c’est vraiment
le haut du panier. Je suis fou de bonheur d’avoir pu tourner avec eux. Le cinéma incarne-t-il toujours à vos yeux cet objet à l’existence quasi impossible ? C’était le sujet en 2001 de Nonfilm, dans lequel le personnage demandait : « Est-ce qu’il y a un film ? » Il y a toujours quelque chose de l’ordre de l’impossible, oui. Faire un film sur un pneu [Rubber, en 2010, ndlr], c’était impossible. Et le huis clos d’Au Poste !, c’est dur et ingrat, car le travail ne se voit pas forcément. Il y a un côté impossible à faire une pièce de théâtre au cinéma, il y a cette hantise d’un genre vers lequel il est déconseillé d’aller, où la mise en scène serait pauvre. Mais une fois que le ton d’un film est trouvé sur le plateau, cela devient vraiment surnaturel et magique.
• PROPOS RECUEILLIS PAR DAMIEN LEBLANC
— : « Au poste ! » de Quentin Dupieux Diaphana (1 h 13) Sortie le 4 juillet
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“ L’INSOUCIANCE DE L’ÉTÉ... UN PETIT PARADIS. ” TROIS COULEURS
L ILE AU TRESOR BATHYSPHERE PRÉSENTE
ILLUSTRATION © NINE ANTICO
UN FILM DE GUILLAUME BRAC
LE 4 JUILLET
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GÉNIE DE LA GÊNE
Marc Fraize, admiré par Éric Judor qui l’a embarqué dans son Problemos l’année dernière sur la foi d’un one-man-show, puis aperçu dans Le Redoutable de Michel Hazanavicius, est aujourd’hui à l’affiche d’Au Poste !, le polar comique de Quentin Dupieux, lui aussi tombé sous le charme biscornu de l’humoriste de 44 ans. Mais qui est donc cet hilarant hurluberlu, adepte du silence gênant et du contrepied qui tue, plus connu sous le nom de Monsieur Fraize ? 34
MARC FRAIZE l’instant, il n’est qu’un second rôle comique. Mais aussi fugaces soient-elles, comme chez Hazanavicius, ses apparitions cinématographiques font mouche. Avec ses faux airs de monsieur Tout-le-monde, Marc Fraize (c’est son vrai nom) vole les scènes sans ciller. Que ce soit dans la satire zadiste Problemos, où sa tirade anti-chips croustillants dans les supermarchés est appelée à devenir culte, ou bien dans le dernier délire métapolicier de Quentin Dupieux, Au Poste !, dans lequel il donne le change à la bête comique Benoît Poelvoorde avec une présence désarmante, sa force de frappe sur les zygomatiques est si chirurgicale que l’on aurait tendance à regretter de ne pas le voir un peu plus. Mais cette propension à ne pas laisser son public dans le confort, pour ne pas le lasser, ressemble fort à Marc Fraize. Quitte à mettre mal à l’aise tout le monde. Le grand public découvre ainsi son personnage d’inadapté social avec effarement sur
je dénote. Or, Ruquier a mis le doigt dessus : “Vous ne dites rien. Vous êtes un fainéant. Il y en a qui s’emmerdent à écrire des textes…” Je me suis dit : “C’est vrai, je ne fais pas grand-chose, donc je vais en faire ma spécialité !” J’avais déjà des dispositions à installer de la gêne, j’en ai fait une force. » Cette démarche subversive évoque l’Américain Andy Kaufman, maître du malaise dont la vie a été portée à l’écran par Miloš Forman dans Man on the Moon en 1999. Mais Marc Fraize cite plutôt Pierre Desproges, Albert Dupontel, Coluche. « J’ai été influencé par les gens qui faisaient des one-man-show dans les années 1980-2000. Je ne sortais pas beaucoup, donc c’était à la télé. Ce qui m’impressionne, c’est la capacité de faire rire à la fois les gosses et leurs parents », explique ce père de famille désormais installé à Bourgvilain, un village de trois cents habitants en Saône-et-Loire. « J’adore aussi Peter Sellers dans The Party, et Mr Bean, ce mec poilant qui ne dit rien. » Très à l’aise
« Je ne fais pas grand-chose, donc je vais en faire ma spécialité ! » France 2, en 2011, sur le plateau d’« On n’demande qu’à en rire ». Là, devant des millions de téléspectateurs habitués à un déferlement de vannes, Monsieur Fraize, son personnage clownesque en polo rouge et pantalon vert, décide d’imposer un silence interminable. Quand Laurent Ruquier finit par l’interrompre, Monsieur Fraize lui répond du tac au tac : « Mais j’attends qu’on me dise le top ! » Suite à ce trait de génie, Ruquier aura cette sentence : « Il faut être très gonflé pour faire ça. Ou il faut être vraiment malade. »
MALAISE BLAISE
Fraize, bien sûr, n’a rien d’un inconscient. À l’orée des années 2000, lassé de son job déprimant dans l’hôtellerie de luxe, il façonne son alter ego dans les cafés-théâtres de la région lyonnaise. « J’ai construit mon personnage petit à petit, en observant, en me rendant compte que je me faisais chier sur les blagues un peu trop faciles, puis en allant chercher l’originalité. Étant un spectateur très difficile en matière d’humour, je me devais d’être exigeant avec moi-même. Il fallait que
pour habiter le silence lui aussi, Fraize le burlesque se retrouve dans le film de Quentin Dupieux le plus bavard à ce jour. Un paradoxe. Mais revenons à Kaufman. « Ce fut une découverte tardive, j’avais déjà dix ans de scène, et mes yeux étaient écarquillés. “Pas possible, si c’est pas un frangin, c’est un cousin celui-là !” Même dans la gestuelle, il y avait des similitudes. J’étais content de ne pas être seul à être débilos… Sa vie m’a aussi intéressé : quand le stand-up est arrivé aux États-Unis, il a tout pris à contrepied : les mecs donnent tous l’impression qu’ils assurent ? moi je vais donner l’impression aux gens que je n’assure pas… Il ne se considérait pas comme un comique, mais comme un équilibriste. Pour lui, un challenge, ça pouvait être de vider une salle… Et il y arrivait ! » Et Monsieur Fraize ? « Oui… Mais pas volontairement ! » • ÉRIC VERNAY PHOTOGRAPHIE : PALOMA PINEDA
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Pour
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LE MONDE À L’ENVERS Rubber de Quentin Dupieux (2010)
PETITE HISTOIRE DU NON-SENS AU CINÉMA
Dans le nouveau film de Quentin Dupieux, on croise un chef d’orchestre en slip, une équerre meurtrière, un flic à un œil et des flash-back très bavards. Qu’il filme un pneu tueur dans Rubber (2010), de la chirurgie à l’agrafeuse dans Steak (2007) ou même un cri qui rend fou dans Réalité (2015), son cinéma drôle et flippant s’inscrit dans la longue tradition d’un art de l’absurde à l’écran qui boxe joyeusement toutes les conventions. Et notre raison avec.
Quand
il naît, le cinématographe est par essence une anomalie. Procédé scientifique récupéré par les arts forains, il est un phénomène de foire insensé. Les images qui prennent vie sur l’écran provoquent la terreur et l’incompréhension des premiers spectateurs. Ce sentiment d’étrangeté et de mystère va déterminer une certaine tendance du cinéma à se jouer du bon sens. Et, très vite, alors que le dispositif s’industrialise en France (les frères Lumière d’un côté, Georges Méliès de l’autre), les jeux de montage et les manipulations de la pellicule décuplent les possibilités – c’est un mur que l’on monte et qui se démonte à l’envi chez les Lumière (Démolition d’un mur, 1896), ou des vêtements récalcitrants qui, chez Méliès, réapparaissent à chaque fois qu’on les enlève (Le Déshabillage impossible, 1900). Ces formats courts qui mélangent le banal
du quotidien et le non-sens provoquent chez les spectateurs le même émerveillement et le même vertige que produisent aujourd’hui les films de Quentin Dupieux.
ON CROIT RÊVER
Dans les années 1920, le cinéma, machine à rêves (ou à cauchemars) qui permet de défier les lois de la raison, devient le terrain de jeu préféré des surréalistes. D’André Breton à Robert Desnos, ces amateurs d’écriture automatique voient dans les possibilités du septième art un accès direct à l’inconscient. Ainsi, dans Entracte (1924), René Clair filme Francis Picabia en danseuse à barbe qui fait des pointes tandis qu’un corbillard fou traverse Paris à vive allure, dans une succession de séquences absurdes, provocatrices. C’est un cinéma de la marge, quasi expérimental, très esthétique et 36
La Maison du docteur Edwardes d’Alfred Hitchcock (1945)
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Un chien andalou de Luis Buñuel (1929)
© D. R.
littéraire (Jean Cocteau signe Le Sang d’un Poète en 1932 ; Antonin Artaud, le scénario de La Coquille et le Clergyman de Germaine Dulac en 1928), qui cherche à atteindre un état de divagation où seul prime le ressenti. L’œil découpé au rasoir du désormais culte Un chien andalou de Luis Buñuel (1929), dont Salvador Dalí cosigne le scénario, devient le symbole de ces films choc qui bousculent la bienséance pour nous obliger à regarder le monde différemment. Un geste radical, symbolique, quasi mythologique, que l’on retrouve pêle-mêle dans Œdipe roi de Pier Paolo Pasolini (1967) ; dans La Maison du docteur Edwardes d’Alfred Hitchcock en 1945 (les grands yeux abîmés dessinés par Dalí comme décor d’un dédale mental) ; dans l’adaptation par Michel Gondry du roman de Boris Vian L’Écume des jours en 2013 (les paupières coupées aux ciseaux) ; et dans Au poste ! de Dupieux, où un personnage se crève l’œil. En 1941 sort l’un des spécimens comiques les plus improbables issus du Hollywood classique. Hellzapoppin, film fou et foutraque signé H. C. Potter, multiplie les gags et les répliques nonsensiques. Dans cette fausse transposition de leur revue théâtrale, les comiques Ole Olsen et Chic Johnson font rire parce qu’ils ne respectent aucune règle. Ils interpellent les spectateurs, arrêtent le film, changent les personnages, bougent les décors, commencent une situation puis l’abandonnent, multiplient les mises en abyme… Une avalanche d’effets absurdes qui dynamite tous les codes de narration pour finir par imposer sa propre logique, et dans laquelle on prend un plaisir fou à voir le film s’autodétruire, comme un ultime gag cinglé. Le programme est souvent annoncé dès le début, manière de nous prévenir que le
Au Poste ! de Quentin Dupieux (2018)
cinéma n’est pas un art sérieux. Hellzapoppin s’ouvre ainsi par cette annonce : « Toute ressemblance entre Hellzapoppin et un film est une pure coïncidence », de la même façon que Monty Python. Sacré Graal ! (1975) s’ouvre sur des chevaliers qui font semblant de chevaucher au son de noix de coco frappées ; que La Cité de la peur (1994) débute sur un très mauvais film dans le film intitulé Red Is Dead ; ou qu’Au poste ! commence par une symphonie en slip.
Dumb & Dumber de Peter et Bobby Farrelly (1995)
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VIDÉO GAG
© D. R.
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DÉCRYPTAGE
© COLLECTION CHRISTOPHEL
DÉCRYPTAGE
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Le Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel (1972)
Dans Le Charme discret de la bourgeoisie, Buñuel multiplie les situations ubuesques. Tous ces films ont en commun une façon de faire du décalage, de l’à-peu-près, du bizarre un nouveau standard de la réalité. Comme l’Alice de Lewis Caroll traversant le miroir, on bascule avec eux dans l’envers des mondes, un endroit forcément ludique et hilarant puisque tout y est permis – jeux de mots, logiques abstraites, corps déformés. Dans l’histoire récente du cinéma, c’est Jim Carrey, pour l’Amérique, qui incarne le mieux ce genre de la comédie absurde libérée des contraintes et de la bienséance (Dumb & Dumber, en 1994, est un monument de non-sens). En France, outre Dupieux, c’est Éric Judor, un de ses acteurs fidèles (Steak, Wrong) qui, d’œuvres en œuvres, creuse ce sillon avec un humour pyromane (La Tour 2 contrôle infernale en 2016 ; Problemos en 2017). Ce mélange entre comédie et cinéma d’auteur surprend forcément et place ces films dans une certaine marginalité, assumée, qui n’est pas toujours récompensée au box-office.
AÏE, ÇA TIRE
Mais faut-il se contenter de prendre l’absurde à la légère en haussant les épaules ? S’il est souvent un levier comique, le non-sens peut aussi, sous l’influence du théâtre de l’absurde de Samuel Beckett ou d’Eugène
Ionesco, produire une réflexion critique sur l’état du monde. Dans Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), Buñuel ironise sur les conventions bourgeoises et dépeint une société sclérosée, empêtrée dans des politesses feintes et une hiérarchie vaine, en multipliant les situations ubuesques lors d’un dîner qui ne commence jamais. Même colère chez Bertrand Blier, qui dépeint dans Buffet froid (1979) la laideur et l’ennui de la France de la fin des années 1970 autour d’un meurtre absurde qui réunit Depardieu, Blier père et Jean Carmet. Deux films qui inspirent très clairement Dupieux pour Au Poste ! (il cite même l’une des scènes clés du film de Buñuel, on vous laisse découvrir laquelle…), marquant l’envie du cinéaste d’en découdre avec l’état de la France contemporaine. Au Poste ! raconte à la fois la peur d’un État policier tout-puissant, l’angoisse des dialogues sans fin avec l’administration, la lente déshumanisation… C’est une sorte de cousin français du Brazil de Terry Gilliam (1985) dans lequel le futur serait déjà là : quand on commence à trouver que les films absurdes ont du sens, c’est que, peut-être, il est temps de s’inquiéter. • RENAN CROS
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LE FILM QUI A ÉLECTRISÉ LA CROISETTE !
UN FILM DE
BENEDIKT ERLINGSSON AVEC HALLDÓRA GEIRHARÐSDÓTTIR, JÓHANN SIGURÐSSON, DAVÍÐ ÞÓR JÓNSSON, MAGNÚS TRYGVASON ELIASSEN, ÓMAR GUÐJÓNSSON, SCÉNARIO BENEDIKT ERLINGSSON & ÓLAFUR EGILL EGILSSON PRODUCTEURS MARIANNE SLOT, BENEDIKT ERLINGSSON & CARINE LEBLANC DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE BERGSTEINN BJÖRGÚLFSSON ÍKS DIRECTEUR ARTISTIQUE SNORRI FREYR HILMARSSON MONTEUR DAVÍÐ ALEXANDER CORNO COMPOSITEUR DAVÍÐ ÞÓR JÓNSSON SON FRANÇOIS DE MORANT, RAPHAËL SOHIER, AYMERICK DEVOLDERE & VINCENT COSSON CHEF COSTUMIÈRE SYLVÍA DÖGG HALLDÓRSDÓTTIR CHEF MAQUILLEUSE DOMINIQUE RABOUT COPRODUCTEURS SERGE LAVRENYUK, BERGSTEINN BJÖRGÚLFSSON, BIRGITTA BJÖRNSDÓTTIR PRODUCTEURS ASSOCIÉS SIGURÐUR GISLI PÁLMASON, JON PÁLMASON, GUÐBJÖRG SIGURÐARDÓTTIR, BJARNI ÖSSURARSON, KJARTAN SVEINSSON PRODUIT PAR SLOT MACHINE & GULLDRENGURINN EN COPRODUCTION AVEC SOLAR MEDIA ENTERTAINMENT, KÖGGULL FILMWORKS, VINTAGE PICTURES AVEC LE SOUTIEN DE THE ICELANDIC FILM CENTRE, EURIMAGES, AIDE AUX CINÉMAS DU MONDE,
CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE, INSTITUT FRANÇAIS, CNC - NOUVELLES TECHNOLOGIES EN PRODUCTION, UKRAINIAN STATE FILM AGENCY, MINISTRY OF CULTURE OF UKRAINE, NORDISK FILM & TV FOND, FONDATION GAN POUR LE CINÉMA, CREATIVE EUROPE PROGRAMME MEDIA OF THE EUROPEAN UNION EN ASSOCIATION AVEC BETA CINEMA, RÚV, SENA, JOUR 2 FÊTE, POTEMKINE FILMS, CAMERA FILM A/S VENTES INTERNATIONALES BETA CINEMA
CRÉATION ORIGINALE :
SLOTMACHINE & GULLDRENGURINN PRESENTENT
AU CINÉMA LE 4 JUILLET
INTERVIEW
BOURREAUX DES CŒURS
Un Couteau dans le cœur, deuxième long métrage visuellement obsédant de Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après minuit, 2013), permet à Vanessa Paradis de se réinventer dans un rôle tout en dangerosité candide : elle joue Anne, une productrice de pornos gays dans les années 1970 qui tente de reconquérir Loïs (Kate Moran), sa monteuse, alors qu’un mystérieux meurtrier décime leur équipe. On a réuni le réalisateur et la comédienne pour revenir avec eux sur les secrets de ce grand film flamboyant, outrancier et tourmenté. 40
© ELLA HERMË
Vanessa Paradis
j’ai mis à faire ce projet. C’est une sorte de portrait de ce que je suis, de mes fantasmes, à travers Vanessa. Pendant la préparation, nous parlions beaucoup, notamment avec ma chef déco, du mot « palimpseste », des choses qu’on gratte et qui finissent par apparaître. Il y a encore un petit peu de ça dans le film, par exemple dans les images en négatif qu’on voit régulièrement. C’est un film très fétichiste du cinéma, et pétri de références. Êtes-vous vous-mêmes collectionneurs d’objets liés aux films ? V. P. : Les objets me plaisent, mais j’ai davantage envie de les regarder que de les posséder. Y. G. : Chez moi, j’ai beaucoup de DVD et de bobines. Je suis fétichiste de la matière. Voir de la pellicule, ça m’émeut et, en même temps, ça m’attriste, parce que ça me rappelle qu’un film aujourd’hui c’est des données numériques, des boîtes électroniques qu’on appelle DCP et que je trouve tristes à mourir. Yann, vous avez montré Simone Barbès ou la Vertu de Marie-Claude Treilhou (1980) à vos acteurs. Comme dans votre film, on y trouve le Paris nocturne et interlope des années 1970, avec un cinéma porno, un cabaret lesbien… Y. G. : C’est le portrait d’une ouvreuse de cinéma porno, un personnage de femme bouleversant, libre, indépendant, frondeur. J’aime cette liberté de ton entre mélancolie, jouissance, désespoir aussi. C’est un film assez noir : la dernière conversation, dans la voiture, entre l’héroïne et le croupier, c’est un des plus beaux dialogues du cinéma français pour moi. On y sent la liberté sexuelle, la liberté dans les rues de Paris. La joie de participer à une espèce de grand secret dans les recoins de la ville. V. P. : Pour une actrice, s’imprégner de scènes de films qui inspirent le metteur en scène est important, ça parle mieux que des mots, même si on ne cherche pas des choses précises à recopier. Dans Simone Barbès ou la Vertu, les gens parlent avec une autre musique, celle d’il y a quarante ans... Y. G. : C’est exactement ça : les voix disparues du cinéma. La gouaille d’Ingrid Bourgoin [qui campe l’héroïne, ndlr], on ne la retrouve plus aujourd’hui. Tout a été effacé, il y a une singularité qui s’est perdue dans les accents et les intonations. J’étais très heureux de retrouver Ingrid, même dans un microrôle [elle joue une barmaid de cabaret lesbien dans Un couteau dans le cœur, ndlr], et de nourrir Vanessa de ce pan du cinéma français qui est un peu souterrain. V. P. : Je me suis aussi inspirée de vieux souvenirs. Je ne voudrais pas qu’on me
Dans une scène, Anne écrit un mot à Loïs en grattant un morceau de pellicule. Envoyer un message via un film, c’est une idée très romantique. Vanessa Paradis : Toutes les œuvres sont remplies de milliards de messages personnels selon, par exemple, ce que l’acteur a vécu pendant le tournage. Un film, ce n’est presque que ça : des messages cachés. Yann Gonzalez : L’idée que vous évoquez résume bien Un couteau dans le cœur, qui entrelace les affects et les images. Le message qui en émane condense les quatre ans que 41
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GONZALEZ X PARADIS
prenne pour une professionnelle des cabarets, mais c’est vrai que j’y allais beaucoup pendant mon adolescence. Quand j’avais 15 ans, on m’y emmenait souvent après une émission de télé ou un dîner. Y. G. : J’allais moins dans les cabarets que toi, mais j’ai vu pas mal de spectacles de drag-queens dans des boîtes gays quand j’avais 20 ans. C’est un peu la même idée de jouer avec le grotesque, avec l’absurde, avec un humour un peu trash, over the top. Outre la parenté avec Dario Argento dans les scènes de meurtres très esthétisées au gode-couteau, on sent aussi dans le film une grande influence de Phantom of the Paradise de Brian De Palma (1975). Y. G. : De Palma, c’est un amour d’enfance, l’un des premiers grands cinéastes que j’ai découverts. Je crois que le film que vous citez est le premier que j’ai vu de lui. Quand j’étais en cinquième, mon meilleur ami était aussi fan de films d’horreur que moi, on s’échangeait des numéros de Mad Movies. Il m’a parlé du film avec des yeux émerveillés, j’ai acheté la B.O. en cassette et je l’écoutais en boucle. Comme souvent, j’ai fantasmé l’œuvre avant de la voir, à travers sa musique. Quand je l’ai enfin vue, ça a été un bouleversement. C’est l’histoire d’un monstre blessé dans son amour, qui se venge après avoir été mutilé. Donc oui, on peut voir un écho à ce film dans Un couteau dans le cœur. Comment fantasme-t-on les années 1970 quand on est nés durant cette période ? Y. G. : Je viens du sud de la France, et une partie de ma famille vivait en banlieue parisienne. J’ai un souvenir très fort, mystérieux et empreint de danger, de mes
voyages à Paris quand j’étais enfant. Quelque chose d’un peu louche semblait se tramer dans les rues. Je sentais qu’il y avait une sorte de vie parallèle qui pouvait se jouer là, plus riche, plus folle, plus électrique qu’en province. Et les affiches de films d’horreur de l’époque me faisaient rêver, comme celle de La Compagnie des loups de Neil Jordan, en 1985. Paris, c’est la naissance du fantasme. Comment vous êtes-vous documenté sur l’univers du porno gay des années 1970 ? Y. G. : J’ai fait appel à Hervé Joseph Lebrun, spécialiste du porno gay français, pour enquêter sur Anne-Marie Tensi, la première productrice de porno gay. Il m’a présenté des gens qui avaient connu cette femme alcoolique, morte d’une septicémie, avec une jambe amputée. V. P. : Au départ, j’avais peur de mal doser la violence du personnage et de ne pas en faire assez. Du coup, le premier jour, j’en faisais trop, c’était faux. Yann a réglé ça avec sa délicatesse, il m’a dit : « Je veux te voir toi, aussi. » Y. G. :Au final, j’ai gardé quelques anecdotes sur les tournages d’Anne-Marie Tensi, sur sa vie, mais je me suis vite dégagé de la vérité, parce que son parcours est assez sordide. Je voulais quelque chose de plus romanesque : le film devait transpirer la joie et la liberté sexuelle. Dans le film, la liberté sexuelle est plutôt du côté des hommes. La relation lesbienne entre Anne et Loïs est plus torturée et reste surtout mentale. Y. G. : C’est le portrait d’une femme qui n’est pas du tout dans un appétit sexuel, mais amoureux. J’aurais trouvé ça hors de propos
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INTERVIEW
Vanessa Paradis et Kate Moran
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« Je voulais quelque chose de romanesque : le film devait transpirer la joie et la liberté sexuelle. » YANN GONZALEZ de montrer tout à coup des images de sexe entre femmes. Par ailleurs, un baiser, c’est très sensuel, sexuel, intime. C’était pour moi beaucoup plus fort que de les voir en ciseaux comme dans un film de Kechiche… J’aimais aussi cette idée que, dans le regard de Loïs, la sexualité entre hommes soit du travail, et qu’il n’y ait pas de désir. V. P. : Et puis le seul pénis qu’on voit dans le film est faux : c’est l’arme du crime. Comment le film résonne-t-il avec l’époque actuelle ? Y. G. : Je pense qu’il parle de cet hédonisme pré-sida qu’on fantasme parce qu’on ne l’a pas vécu. Mais aussi d’une liberté qui est en train de se construire sur les ruines de cette maladie, quelque chose de l’ordre du plaisir partagé qui est en train de renaître. Je me suis beaucoup inspiré de cette énergie-là, des visages contemporains, ceux qui comptent pour moi, des figures de la nuit. Je pense au visage de Simon Thiébaut, par exemple, qui joue la cheffe des transgenres, qui insuffle quelque chose d’aujourd’hui alors que c’est un
film qui pourrait verser dans la nostalgie. V. P. : Et ce qu’il y a d’intemporel dans le film, c’est la fraternité, la solidarité, l’écoute et la tendresse des personnages. Ça fait du porno, mais ça fait aussi des pique-niques. Et la fin peut être perçue comme une réaction au climat homophobe qui règne toujours à notre époque… V. P. : Il y a cette phrase qui me tue : « Ça te fait bander de tuer du pédé ? » C’est comme si je l’entendais aujourd’hui. Y. G. : Je l’ai écrite après la tuerie d’Orlando. L’idée de mettre en scène la vengeance de la communauté est vraiment arrivée juste après. • PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET ET TIMÉ ZOPPÉ
— : « Un couteau dans le cœur » de Yann Gonzalez Memento Films (1 h 42) Sortie le 27 juin
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GONZALEZ X PARADIS
RÉCIT
REFLETS DE LAME BOBINES
Dario Argento, le maître du frisson italien, auteur des cultes Suspiria et Phenomena, était de passage à Paris fin avril à l’occasion de la sortie des versions restaurées de six de ses films et de son autobiographie, Peur, dans laquelle, on a pu le constater, il se livre beaucoup plus qu’en interview.
« Quand
Les Frissons de l’angoisse (1977)
vous filmez les mains gantées de l’assassin, ce sont en fait vos propres mains, n’est-ce pas ? », « Qu’est-ce qui vous fait peur ? »… Ce sont les questions à ne plus poser à Dario Argento qui, dans sa démente autobiographie, se plaint du manque d’originalité des journalistes en la matière. Lassé, il a d’ailleurs failli annuler, fin avril dernier, toutes ses interviews prévues en France. Dans l’hôtel du VIIe arrondissement où a finalement lieu le rendez-vous, on se rassure en voyant arriver vers nous un homme à l’air sage, doux, courtois, à l’opposé de l’ambiance de ses films, joyeusement surchargés en violence hallucinée, stylisée, bariolée. Pour un autre journal, il vient de s’entretenir avec le réalisateur Pascal Laugier, un vrai fan – son dernier film, Ghostland, est plein de références au maître du giallo : les
Suspiria (1977)
fétiches enfantins flippants, la narration très mentale… La conversation a eu l’air animée, et on se dit qu’il ne faut pas qu’on se loupe sur les premières questions, au risque de faire retomber son enthousiasme. On se souvient avoir lu sur Internet un entretien concept assez drôle qu’il a donné en 2013 : montre en main, le journaliste a eu droit à quatre minutes avec le cinéaste, avant de se griller en lui demandant s’il avait déjà rencontré le diable (clap de fin : Argento déteste qu’on lui parle de surnaturel, auquel il ne croit pas du tout). Dans le peu de temps qui nous est imparti, on décide donc de ne pas l’interroger sur les diverses actus auxquelles il a déjà réagi : sur le remake de son célèbre Suspiria par le cinéaste Luca Guadagnino, il a déclaré la veille à l’Institut culturel italien de Paris qu’il ne l’avait pas trouvé déplaisant ; sur l’engagement de sa fille Asia Argento contre les violences faites aux femmes après qu’elle a révélé avoir été violée par Harvey Weinstein, il a témoigné son soutien lors de sa master class fin avril au Forum des images : « Elle est forte. » On attaque plutôt sur son besoin de se raconter aujourd’hui dans un livre très introspectif. « Je voulais rétablir une sorte de vérité, car on a raconté beaucoup de bêtises sur mon compte », souffle-t-il dans un français impec. Des sornettes qui lui ont valu d’attirer pas mal de tarés, comme ce type qui se faisait appeler Le Grand Punisseur et lui téléphonait
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« Je voulais rétablir une sorte de vérité, car on a raconté beaucoup de bêtises sur mon compte. » quotidiennement pour finir par lui dire que le plus beau jour de sa vie serait celui où il le tuerait, ou cette admiratrice qui, au début des années 2000, le harcelait de SMS morbides – « pour toi, je m’enfoncerai un couteau dans le cœur » ; « lorsque je me serai coupé les veines, je voudrais que tu lèches tout mon sang ».
LAME DE FOND
Croiser ce genre de dingos, ça vous amène forcément à vous questionner sur votre part la plus obscure. Lecteur de Sigmund Freud et de Carl Jung, Argento n’a pourtant jamais suivi de psychanalyse – alors que toute son œuvre est travaillée par l’inconscient et que ses films sont souvent inspirés de ses rêves (L’Oiseau au plumage de cristal lui vient par exemple d’un cauchemar dans lequel un homme est piégé entre deux murs de verre). « Chaque fois que je ressens le besoin d’une confrontation avec moi-même […] je me consacre à un nouveau film et tout se résout », détaille-t-il dans Peur. En interview, l’homme, un peu rincé, est davantage sur la réserve. On sent qu’il n’aime pas trop l’exercice, alors que l’on pensait bêtement
qu’il serait au taquet en lisant ses frasques de jeune journaliste cinéma au quotidien Paese Sera, pour lequel il a interviewé John Huston ou Fritz Lang. Jusqu’à cette autobiographie, le cinéaste n’était jamais allé aussi loin dans l’introspection, et dans l’éclairage de son processus créatif, qui consiste à attendre tranquillement devant sa machine à écrire que ses monstres viennent lui rendre visite – et non pas, comme la rumeur l’a souvent laissé entendre, à prendre des drogues pour faire jaillir ses rêveries féroces. C’est à l’écrit seulement qu’il fait tomber sa pudeur pour se confesser sur des événements douloureux. Comme ce soir de 1976 où, pendant le tournage de Suspiria, il fut happé par des pensées suicidaires dans une chambre d’hôtel de Rome. « J’avais demandé au personnel de l’hôtel de bloquer la fenêtre avec tous les meubles de la chambre », nous raconte-t-il avec une toute petite voix. Un incident qui fait écho à sa fascination, depuis l’enfance, pour les lieux morbides et chargés de mystère (le couloir peu éclairé de la maison familiale qui le terrifiait) et que l’on retrouve dans ses films horrifiques (l’architecture fasciste 45
BOBINES
Dario Argento
© PALOMA PINEDA
DARIO ARGENTO
DARIO ARGENTO
Suspiria (1977)
BOBINES
Il nous adresse un sourire gêné quand on le lance sur la littérature ésotérique. du quartier de l’E.U.R. à Rome devenu le décor principal de son Ténèbres). À la manière de la protagoniste somnambule de Phenomena, on y pénètre souvent confus, errant. « Dans mes films, j’aime mélanger plusieurs villes pour créer des labyrinthes qui diffusent un sentiment d’aliénation », lui arrache-t-on sur un sujet, l’architecture, qui pourtant le passionne. Autant que dans ces territoires étranges, son livre invite à s’égarer dans sa psyché trouble et insaisissable. « Pendant des années dans les interviews, j’ai dit ne pas vraiment connaître Dario Argento ou alors qu’on est deux : ma part obscure et moi, et ces deux moitiés ne se sont jamais rencontrées », écrit-il. Le cinéaste aurait ainsi une sorte de double maléfique qui le rattraperait toujours, auquel il ne pourrait pas échapper, comme un reflet déformé de sa véritable personnalité. On se demande si ses réponses lapidaires à nos questions ne sont pas dûes à cela : un refus d’être réduit à une seule de ses facettes. Nos interrogations un peu geek sur son usage du très gros plan, dont le morcellement évoque déjà des corps coupés, le laissent muet. Il nous adresse un sourire gêné quand on le lance sur la littérature ésotérique qu’il a épluchée pour sa trilogie des mères : Suspiria, Inferno et La Troisième Mère. Et quand on l’interroge sur son maniérisme, l’expressionnisme des couleurs, le baroque des décors à double fond avec lesquels il sublime les pires supplices, il lâche poliment :
« Je suis un peu fatigué… » L’autre Dario Argento, peut-être plus fidèle à l’idée qu’il se fait de lui-même, c’est donc celui que l’on a rencontré à travers la lecture de Peur. Plus intime, et donc plus ambigu. C’est tout à la fois un fils (il rend hommage à ses parents qui travaillaient dans le milieu du cinéma), un aventurier (sa fugue de jeunesse en France, passée auprès de prostituées), un père (sa relation tendre et parfois houleuse avec Asia), un séducteur (son amour pour Daria Nicolodi, avec qui il a collaboré sur l’écriture de Suspiria), ou bien même un chercheur (pour Suspiria et Phenomena, il a fait appel à des experts pour filmer de véritables larves Sarcophagia carnaria se nourrissant de chair en décomposition). Une sorte de savant qui, depuis qu’il a découvert Edgar Allan Poe enfant, étudie au fond la peur « comme une forme de vie nouvelle, alien ». Après l’avoir rencontré, on se dit qu’entre tous ces Argento, bien que la lame soit toujours aiguisée, il est impossible de trancher. • QUENTIN GROSSET (PROPOS RECUEILLIS AVEC JOSÉPHINE LEROY)
— : « Peur » de Dario Argento (Rouge Profond) • « L’Oiseau au plumage de cristal », « Le Chat à neuf queues », « Les Frissons
de l’angoisse », « Suspiria », « Phenomena » et « Opéra » de Dario Argento Ressortie le 27 juin (Les Films du Camélia)
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« Un premier film très maîtrisé » LES INROCKS
the film présente
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WOLKOWITCH KaRIM LEKLOU MaRIe DENARNAUD JeaN-MIcHeL CORREIA HeNRI-NOËL TABARY avec BRUNO
paul guilhauMe décors MarioN Burger soN aNtoiNe-Basile Mercier pierre Bariaud 1 assistaNt ilaN coheN scripte Julie darFeuil raphaËl Mouterde saMuel aÏchouN costuMes VirgiNie MoNtel réalisateur MusiQue aVec la MoNtage FraNÇois QuiQueré origiNale Nicolas BecKer collaBoratioN de MaXeNce dussÈre VladiMir KurdYaVtseV directeur producteur scéNario daVid pierret origiNal Marie MoNge JulieN guetta de productioN Frédéric BluM associé aVec la produit Michael geNtile collaBoratioN de roMaiN coMpiNgt par directeur de la photographie
design graphique :
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uNe aVec la aVec le coproductioN the FilM, Bac FilMs productioN, plaYtiMe productioN participatioN de caNal+, ciNé + soutieN de la regioN Île de FraNce, procirep-aNgoa eNaVecassociatioN coFiMage 29, la BaNQue postale iMage 11 eNaVecparteNariat cNc VeNtes le iNterNatioNales plaYtiMe
le 4 JUIlleT / BaCfilms
/ #JOUeUrs
/ BaCfilms
INTERVIEW
BOBINES
RADICAUX LIBRES
Le réalisateur américain des flamboyantes odyssées indés Hedwig and the Angry Inch (2001) et Shortbus (2006), John Cameron Mitchell, livre un nouvel ovni queer. Entre feel-good movie musical et coming-of-age sensible, How to Talk to Girls at Parties suit la rencontre, dans un concert, entre trois ados punks et une extraterrestre fraîchement débarquée sur Terre qui va se rebeller contre son peuple aux mœurs étranges. Le malicieux cinéaste nous a parlé des influences underground et politiques derrière ce plaidoyer libertaire. 48
C’est vrai que les aliens du film forment une communauté en marge, mais ils sont surtout très repliés sur eux-mêmes. Ils ont accepté l’idée de l’apocalypse et se mettent à manger leurs propres enfants pour préserver l’environnement, dans un lent suicide collectif. C’est une forme étrange de conservatisme, une haine de soi un peu paresseuse, à laquelle les punks réagissent avec vigueur. « On est vivants, on aime danser, tomber amoureux, manger et chier, mais on est aussi là pour réparer ce que nos parents ont bousillé. Accepter la mort, c’est baisser les bras ! » Le film s’adresse avant tout aux jeunes, pour leur faire sentir que c’est possible d’arranger les choses, qu’on n’est pas condamnés à fermer nos frontières et à mourir entre Blancs. Au contraire, il faut les ouvrir et que les punks baisent avec les aliens pour faire naître un nouvel enfant ! Pourquoi avoir fait des trois ados lambda de la nouvelle de Neil Gaiman, dont le film est adapté, des punks ? Quand ma coscénariste, Philippa Goslett, a rencontré Neil, il lui a raconté qu’à l’adolescence, dans la petite ville anglaise où il a grandi, il avait fondé un groupe punk et qu’un label leur avait offert un contrat, mais que son père s’y était opposé parce que ça lui semblait foireux. Ça a donné à Philippa l’idée d’ancrer le film dans la scène punk. Ça m’a parlé parce que, ma mère étant anglaise, je me suis toujours senti connecté à cet état esprit. Mais ce n’est qu’après avoir fait mon coming out que j’ai vraiment découvert ce monde, à travers le queercore [une branche isolée du punk née au milieu des années 1980, qui rejette la société hétéronormative, ndlr]. Le contexte punk, l’énergie et la liberté du film rappellent Jubilee de Derek Jarman (1978). C’était une de vos influences ? En fait, pas tant que ça. C’est drôle parce que le premier film sur lequel a travaillé ma costumière, Sandy Powell, était Caravaggio de Jarman (1987). Sur le plateau de mon film, elle m’a avoué s’être amusée comme ça ne lui était plus arrivé depuis ce tournage. Mais le film de Jarman est plus foutraque, moins linéaire que le nôtre. On s’est plutôt inspirés
de Sammy et Rosie s’envoient en l’air de Stephen Frears (1988) et du livre Le Bouddha de banlieue, tous deux écrits par Hanif Kureishi, un Britannique assez queer et punk d’origine indienne. Le film est un mélange d’influences, mais on voulait surtout faire un conte de fées. En parlant de fées, vous faites partie des Radical Faeries, un mouvement queer international qui milite en faisant notamment des incantations au cours de cérémonies païennes dans la nature. Cela vous a servi pour décrire la communauté extraterrestre, et notamment leur fête folle au début du film ? C’est surtout mon film Shortbus qui s’inspirait des Radical Faeries ; d’ailleurs, beaucoup de membres du mouvement jouaient dedans. En revanche, dans How to Talk…, les aliens sont très rigides. Ils se libèrent des diktats de leur communauté lors de cette soirée, à la manière des employés japonais qui se saoulent avec leurs patrons – tout peut arriver, mais il ne faudra surtout jamais en reparler. Le reste du temps, les aliens ont un état d’esprit assez alt-right [une branche suprémaciste blanche de l’extrême droite américaine, ndlr] : ils punissent ceux qui s’écartent de la norme, comme la fille qui a un doigt en plus. Les jeunes héros, le punk Enn (Alex Sharp) et l’alien Zan (Elle Fanning), s’explorent physiquement de façon maladroite et très drôle. Trouvez-vous la représentation de la découverte de la sexualité trop normative au cinéma ? Les ados d’aujourd’hui ont deux boulevards pour s’éduquer en matière de sexe. Le premier, c’est Internet, où l’on peut tout voir et où le porno est fractionné en d’innombrables catégories très réductrices. Le deuxième, c’est Hollywood, qui est effrayé par la chose et préfère blaguer sur le sujet ou faire une ellipse sur les scènes de sexe – ce qui est aussi une façon de dire que c’est mal.
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Pourquoi confronter des punks à des extraterrestres, deux communautés de marginaux ?
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JOHN CAMERON MITCHELL
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JOHN CAMERON MITCHELL
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« J’ai eu cette curieuse chance de découvrir le sexe entre la génération hippie et celle du sida. » Il n’y a pas grand-chose entre ces deux représentations. Dans ma génération [il est né en 1963 au Texas, ndlr], quelques images circulaient, mais on bâtissait surtout notre propre manière de faire l’amour en tâtonnant, à force d’expériences. J’ai eu cette curieuse chance de découvrir le sexe entre la génération hippie et celle du sida. On sentait une saine effervescence, même si c’était mal vu d’être gay. On prenait le temps de connaître la personne, on allait dans une chambre, on mettait un disque et le sexe durait le temps de l’album. Ce qu’on voit sur Internet, ce sont des relations sexuelles super rapides, comme s’il fallait se précipiter vers l’orgasme. Shortbus était ma réaction au sexe digital. Avec ce nouveau film, je voulais davantage m’adresser aux jeunes, il fallait donc faire attention à la classification. J’ai quand même voulu évoquer le fisting [une pratique sexuelle qui consiste à pénétrer le vagin ou l’anus avec une main ou un bras, ndlr], car ça peut être une manière d’en apprendre plus sur soi. D’ailleurs, l’une de mes scènes préférées, c’est quand on comprend que Vic, le punk macho, accepte de se faire fister : il évolue. Vous êtes un des rares cinéastes américains à vous aventurer dans un cinéma transgressif héritier de John Waters. C’est difficile à faire, aujourd’hui, aux États-Unis ? Je trouve, oui. Mais heureusement, maintenant, il y a un peu plus de place pour
ça à la télé et sur Internet. Je prépare une série de podcasts, Homunculus, sur un type qui a une tumeur au cerveau et dont l’assurance a fait faillite. Il essaye de lever des fonds en appelant des inconnus au téléphone, il leur raconte son histoire et leur chante des chansons qu’il a écrites. J’ai aussi découvert une websérie géniale, Brujos, qui suit une bande d’étudiants queer, dont certains sont latinos, adeptes de sorcellerie et pourchassés par des mecs blancs hétéros. C’est très drôle, dans l’esprit corrosif de John Waters. Mais, personnellement, je me sens plus dans l’esprit de Jean Genet et son Chant d’amour [réalisé en 1950, mais sorti vingt-cinq ans plus tard, ndlr], différemment transgressif. Ça parle de deux hommes amoureux en prison ; l’un souffle sa fumée de cigarette par un trou dans le mur, et l’autre l’aspire de l’autre côté. Genet, Jarman, Oscar Wilde… C’est le genre de queer plus doux que j’aime.
• PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ PHOTOGRAPHIE : VINCENT DESAILLY
— : « How to Talk to Girls at Parties »
de John Cameron Mitchell ARP Sélection (1 h 42) Sortie le 20 juin
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Gloria Films Production Présente un Film distribué Par soPhie dulac distribution
MaNal ISSa
MON TISSU PRÉFÉRÉ Gaya JIJI
AU CINÉMA LE 18 JUILLET
desiGn GraPhique :
UN FIlM de
avec ula tabari souraya baGhdadi mariah tannoury nathalie issa saad lostan Wissam Fares amani ibrahim metin akdülGer scénario Gaya JiJi eiJi yamazaki musique oriGinale Peer kleinschmidt Produit Par laurent lavolé coProduit Par vanessa ciszeWski david hurst eiJi yamazaki nadir ÖPerli imaGe antoine héberlé montaGe Jeanne oberson son murat senürkmez mixaGe Jocelyn robert décors nadide arGun costumes tuba ataç maquillaGe Janina kuhlmann direction de Production diane thin asli erdem une Production Gloria Films en coProduction avec katuh studio dublin Films les Films de la caPitaine liman Film zdF/das kleine FernsehsPiel en collaboration avec arte avec la ParticiPation de eurimaGes aide aux cinémas du monde aide à la coProduction Franco-allemande centre national du cinéma et de l’imaGe animée institut Français German Federal Film board avec le soutien de réGion nouvelle aquitaine Fonds imPact anGoa distribution France soPhie dulac distribution ventes internationales urban distribution international © Photo : Gloria Films Production
www.sddistribution.fr
/ Sophie Dulac Distribution / Mon Tissu Préféré
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CANNES 2018
festival était sa chasse gardée », a courageusement rappelé l’actrice Asia Argento lors de la cérémonie de clôture. Quelques mois après l’affaire Harvey Weinstein, le 71e Festival de Cannes était attendu au tournant sur la question de la place des femmes dans l’industrie du cinéma. Si elles étaient peu nombreuses en Compétition officielle (la Française Eva Husson, la Libanaise Nadine Labaki, l’Italienne Alice Rohrwacher), beaucoup de réalisatrices passionnantes nous attendaient dans les autres sélections (mention spéciale à la Semaine de la critique, qui avait adopté la parité), offrant par la variété de leurs sujets et de leurs approches formelles un salutaire renouvellement du regard. C’est à elles que nous consacrons ce portfolio de retour de Cannes. • PHOTOGRAPHIES : PHILIPPE QUAISSE
WANURI KAHIU Le deuxième long métrage de Wanuri Kahiu est le premier film kényan à être sélectionné à Cannes (dans la programmation Un certain regard). Rafiki a l’audace de montrer, de façon pop, pudique et touchante, une relation lesbienne naissante entre deux lycéennes, à Nairobi. « On ne voit quasiment pas d’histoires d’amour dans le cinéma africain », nous a dit en interview la cinéaste trentenaire, diplômée de l’UCLA, regrettant que le film soit pour l’heure interdit de diffusion dans son pays. • T. Z .
— : « Rafiki », sortie prévue le 26 septembre
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« Ce
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ROHENA GERA Après un documentaire sur l’amour, la réalisatrice indienne quadragénaire Rohena Gera signe son premier long de fiction, Monsieur (Prix à la diffusion de la Fondation GAN, Semaine de la critique). Avec sensibilité, elle traite du gouffre qui règne entre les classes sociales à Bombay à travers la relation entre une domestique et un riche héritier. Un sujet qui a frappé la cinéaste lorsqu’elle est revenue en Inde après ses études aux États-Unis – « les inégalités les plus insidieuses étaient plus flagrantes vues de l’extérieur ». • Q. G.
— : « Monsieur », sortie prévue le 26 décembre
DEBRA GRANIK Après Winter’s Bone en 2010, la trop rare cinéaste indé américaine présentait à la Quinzaine des réalisateurs Leave no Trace, un film de survie doux, inquiet et attentif à la nature, sur un père vétéran et sa fille vivant en autonomie dans les bois. Rencontrée à Cannes un jour de tempête, elle revendique son regard « forcément féminin » : « Je m’efforce, par exemple, de ne pas objectiver, hypersexualiser les femmes. Et de montrer autre chose que des femmes dévouées à un homme à qui elles consacrent leur existence, car ce n’est pas ce que je constate dans la vraie vie. » • J. R.
— : « Leave no Trace », sortie prévue le 19 septembre
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CANNES 2018 MARIE LOSIER Exilée à New York pendant vingt-deux ans, la fantasque Française s’est spécialisée dans les portraits intimes et décalés de figures underground comme Alan Vega, Guy Maddin ou les frères Kuchar – qui sont aussi ses proches. Après le très beau The Ballad of Genesis and Lady Jaye en 2011, son deuxième long métrage, le documentaire Cassandro, the Exotico!, sélectionné à l’ACID, suit avec beaucoup de tact un catcheur mexicain gay aux flamboyants justaucorps qui peine à décrocher malgré sa carcasse en miettes. • T. Z .
— : « Cassandro, the Exotico! »,
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sortie prévue le 5 décembre
GAYA JIJI Une histoire de premières fois : avec son premier long métrage, Mon tissu préféré, narrant les premiers émois sexuels d’une jeune Syrienne sur fond de guerre civile en 2011, Gaya Jiji est devenue la première femme de son pays sélectionnée à Cannes (Un certain regard). Par le biais du huis clos intimiste, la cinéaste basée à Paris a voulu « montrer comment le conflit extérieur se reflète sur le combat intérieur de (son) héroïne, avec sa famille, avec elle-même, dans sa recherche de liberté et d’identité ». Un beau portrait sensoriel. • É. V.
— : « Mon tissu préféré », sortie prévue le 18 juillet
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CANNES 2018 AGNIESZKA SMOCZYŃSKA Elle avait marqué les amateurs de films de genre en 2015 avec The Lure, comédie musicale gore sur deux sirènes dévoreuses d’hommes échouées dans la Pologne contemporaine, qui, malgré un prix spécial du jury à Sundance, n’avait pas eu les honneurs d’une sortie française. En apparence plus sage, son deuxième long, Fuga, sélectionné à la Semaine de la critique, couve une même angoisse sourde et féroce du quotidien. Il est centré sur une femme qui, devenue amnésique, suffoque dans son rôle assigné d’épouse et de mère… On espère le voir en salles. • J. R.
— : « Fuga », pas de sortie annoncée pour le moment
BEATRIZ SEIGNER À côté du bruit et de la fureur d’un Gaspar Noé ou d’un Romain Gavras, le subtilement envoûtant Los silencios s’est imposé comme une belle découverte de la Quinzaine des réalisateurs. La Brésilienne Beatriz Seigner y filme une île d’Amazonie où rôdent des fantômes bienveillants – les morts du conflit colombien. Engagée sur le front social et féministe, cette fan de Naomi Kawase et de Lucrecia Martel veut croire que l’art permet de bâtir des ponts entre les cultures et revendique un cinéma de la frontière, entre réalisme et surnaturel. • J. Do.
— : « Los silencios »,
sortie prévue le 2 janvier
56
JOUEURS
13 JUIN
The Bacchus Lady d’E. J-yong ASC (1 h 50)
Kuzola Le chant des racines d’Hugo Bachelet Ligne 7 (1 h 12) Page 74
Hérédité d’Ari Aster Metropolitan FilmExport (2 h 06) Page 60
Le Cercle littéraire de Guernesey de Mike Newell StudioCanal (2 h 03)
Jericó L’envol infini des jours de Catalina Mesa Arizona (1 h 17) Page 75
Madame Fang de Wang Bing Les Acacias (1 h 26) Page 66
Ocean’s 8 de Gary Ross Warner Bros. (1 h 50)
Une prière avant l’aube de Jean-Stéphane Sauvaire Wild Bunch (1 h 57) Page 75
Pororoca Pas un jour ne passe de Constantin Popescu New Story (2 h 32) Page 66
20 JUIN
Bécassine ! de Bruno Podalydès UGC (1 h 31) Page 80
3 jours à Quiberon d’Emily Atef Sophie Dulac (1 h 56) Page 74
À genoux les gars d’Antoine Desrosières Rezo Films (1 h 38) Page 24
Désobéissance de Sebastián Lelio Mars Films (1 h 54) Page 74
How to Talk to Girls at Parties de John Cameron Mitchell ARP Sélection (1 h 42) Page 48
Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez Memento Films (1 h 42) Page 40
Filles du feu de Stéphane Breton Quark Productions (1 h 20) Page 74
Sans un bruit de John Krasinski Paramount Pictures (1 h 30) Page 62
Love, Simon de Greg Berlanti 20 th Century Fox (1 h 50) Page 68
Sicilian Ghost Story de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza Jour2fête (1 h 57) Page 74
Have a Nice Day de Liu Jian Rouge (1 h 17) Page 68
Tully de Jason Reitman Mars Films (1 h 36) Page 70
27 JUIN
11 JUILLET
Ma fille de Laura Bispuri UFO (1 h 37) Page 75
L’Île au trésor de Guillaume Brac Les Films du Losange (1 h 37) Page 71
Parvana de Nora Twomey Le Pacte (1 h 34) Page 75
Woman at War de Benedikt Erlingsson Jour2fête (1 h 41) Page 71
Paranoïa de Steven Soderbergh 20 th Century Fox (1 h 38) Pages 16 et 72
L’école est finie d’Anne Depétrini SND (1 h 35)
Joueurs de Marie Monge Bac Films (1 h 45) Page 75
Dogman de Matteo Garrone Le Pacte (1 h 42) Page 64
Sicario La guerre des cartels de Stefano Sollima Metropolitan FilmExport (2 h 02)
Femmes du chaos vénézuélien de Margarita Cadenas Sophie Dulac (1 h 23) Page 76
L’Empire de la perfection de Julien Faraut UFO (1 h 30) Page 72
Trois contes de Borges de Maxime Martinot Vendredi (1 h 17) Page 76
Dark River de Clio Barnard Ad Vitam (1 h 29) Page 76
L’une chante, l’autre pas d’Agnès Varda Gaumont (2 h) Page 22
Le Dossier Mona Lina d’Eran Riklis Pyramide (1 h 33)
The Strange Ones de Christopher Radcliff et Lauren Wolkstein Épicentre Films (1 h 21) Page 76
Au poste ! de Quentin Dupieux Diaphana (1 h 13) Page 26
Les Indestructibles 2 de Brad Bird Walt Disney (1 h 58)
Zama de Lucrecia Martel Shellac (1 h 55) Page 76
Les Quatre Sœurs de Claude Lanzmann Paname (5 h 06) Page 70
Mes frères de Bertrand Guerry Mitiki (1 h 44)
L’Envol de Ploé d’Árni Ásgeirsson Océan Films (1 h 21)
4 JUILLET
FILMS
ZOOM ZOOM
HÉRÉDITÉ
Intense
et complexe, le premier long métrage du jeune cinéaste américain Ari Aster nous ouvre les portes d’une maison habitée par une famille endeuillée, très vite manipulée par des forces occultes. Après la mort d’Ellen, la matriarche, les membres de la famille Graham se retrouvent dans leur maison, où vivait aussi la défunte. Annie (impeccable Toni Collette), ses deux enfants ainsi que son époux (Gabriel Byrne) se réconfortent mutuellement, jusqu’à ce qu’une malédiction héréditaire vienne s’insinuer subrepticement dans la vie du clan… Dans son moyen métrage, The Strange Thing About the Johnsons (2011), Ari Aster racontait l’histoire d’une famille rongée par les viols répétés d’un père par son fils. Ici aussi, le cinéaste utilise avec méthode les dysfonctionnements familiaux
comme base d’un récit qui, tendu comme un fil, secoue le mental du spectateur. Il matérialise le détraquement biologique subi par la lignée Graham en dédoublant le décor principal : dans une maison de poupées, réplique du foyer hanté qu’Annie passe son temps à astiquer pour se donner l’illusion qu’elle contrôle la réalité, sont disposées des figurines représentant les membres de la famille. Quand la caméra y pénètre au détour d’un plan angoissant, les poupées prennent soudain vie, dans un télescopage de réalités qui en dit long sur le danger du repli familial. En tirant subtilement les ficelles de l’épouvante, ce bijou d’horreur nous met littéralement dans le mal. • JOSÉPHINE LEROY
— : d’Ari Aster
Metropolitan FilmExport (2 h 06) Sortie le 13 juin
—
3 QUESTIONS À ARI ASTER Quelles sont vos références en matière de films d’horreur ? Ceux des années 1960-1970, qui vont davantage chercher dans le spirituel, l’immatériel. Je citerais surtout Rosemary’s Baby (1968) de Roman Polanski et Ne vous retournez pas (1974) de Nicolas Roeg, deux films qui ont pour moi une portée presque philosophique.
Dans Hérédité, tout empire quand les personnages esquivent leur destin… Oui, j’utilise un peu les ressorts de la tragédie grecque : la maison de poupées d’Annie est un petit théâtre à l’intérieur d’un grand théâtre tragique. Elle croit contrôler ses figurines, mais n’a en réalité aucun pouvoir sur elles. Il fallait que l’idée de fatalité, de sort, soit omniprésente. 60
Comment avez-vous eu l’idée de rendre ce mal génétique ? J’ai été inspiré par des drames personnels récents qui, par malchance, se sont accumulés. Alors, en préparant le film, j’ai davantage pensé à une dynamique interne, à l’idée d’un drame purement familial, qu’au genre horrifique en soi.
CASTING US
PRÉSENTENT UNE UN AVEC DELISH FILMS CROSS CITY FILMS ET HANWAY FILMS PRODUCTION SEE-SAW FILMS / LITTLE PUNK FILM DE JOHN CAMERON MITCHELL HOW TO TALK TO GIRLS AT PARTIES ELLE FANNING ALEX SHARP RUTH WILSON MATT LUCAS ET NICOLE KIDMAN FILM4 ET SCREEN YORKSHIRE EN ASSOCIATION CASTING CHANSONS COIFFURE / DOUGLAS AIBEL , CSA & HENRY RUSSELL BERGSTEIN, CSA UK KAREN LINDSAY-STEWART & EMILY JACOBS MUSIQUE NICO MUHLY & MATMOS DES DYSCHORDS MARTIN TOMLINSON & BRYAN WELLER MAQUILLAGE SIAN GRIGG DÉCORS HELEN SCOTT COSTUMES SANDY POWELL MONTAGE BRIAN A. KATES, ACE IMAGE FRANK G. DEMARCO PRODUCTEURS PRODUIT DÉLÉGUÉS NEIL GAIMAN DAVID KOSSE ROSE GARNETT HUGO HEPPELL CHARLES AUTY THORSTEN SCHUMACHER MICHAEL J. WERNER WINNIE LAU PETER FORNSTAM JOSIE HO PAR HOWARD GERTLER IAIN CANNING EMILE SHERMAN JOHN CAMERON MITCHELL D’APRÈS UNE SCÉNARIO RÉALISÉ NOUVELLE DE NEIL GAIMAN DE PHILIPPA GOSLETT ET JOHN CAMERON MITCHELL PAR JOHN CAMERON MITCHELL
©CARACTÈRES
© COLONY FILMS LIMITED 2016
20 JUIN
FILMS
ZOOM
ZOOM
SANS UN BRUIT
John
Krasinski, connu comme acteur de la série The Office, se lance dans le cinéma de genre : son troisième long métrage est une fable terrifiante sur les angoisses de la parentalité. Même s’il affirme à longueur d’interviews ne pas être un fan de cinéma de genre, on peut dire que John Krasinski a su rattraper ses classiques et en retenir les meilleures leçons. Dans Sans un bruit, on retrouve un peu de la créature d’Alien (Ridley Scott, 1979) et de celle de Predator (John McTiernan, 1987), dans une ambiance d’isolement campagnard à la The Witch (Robert Eggers, 2016) et avec un message proche de celui de Mister Babadook (lire l’encadré ci-dessous). Le film s’ouvre sur les cinq membres de la famille Abbott fouillant dans la plus grande discrétion possible ce qu’il reste d’une supérette. L’indication « jour 89 » qui apparaît à l’image et quelques indices nous font comprendre que le monde est décimé par des créatures aveugles et affamées se repérant au bruit.
C’est ce qui fait l’originalité de ce survival qui, par la qualité du travail sur le son, distille une ambiance oppressante où chaque éclat sonore provoque tachycardie et frissons. Cette anxiété ressentie par les spectateurs est à l’échelle de celle des parents à l’écran, incarnés par le couple à la ville Emily Blunt et John Krasinski – qui ont deux enfants ensemble. Krasinski, qui cosigne aussi le scénario, fait ainsi transpirer ses propres angoisses de père craignant de ne pas pouvoir protéger sa progéniture dans un monde pas toujours bienveillant. Avec un sens du rythme et de l’économie de moyens, il réalise une thérapie collective subtile sur la parentalité sous la forme d’un conte cauchemardesque qui pourrait bien devenir un classique instantané du genre. • PERRINE QUENNESSON
— : de John Krasinski Paramount Pictures (1 h 30) Sortie le 20 juin
—
3 FILMS D’HORREUR FAMILIAUX Psychose d’Alfred Hitchcock (1960) Ce grand classique de l’horreur évoque les conséquences d’une parentalité autoritaire et la jalousie inhérente d’un enfant qui s’est toujours senti mal aimé.
Amityville. La maison du diable de Stuart Rosenberg (1980) Basé sur un fait divers sordide, ce thriller flippant explore la crainte d’un patriarche (James Brolin) de ne pas pouvoir offrir un bon foyer à sa famille. 62
Mister Babadook de Jennifer Kent (2014) Le désarroi d’une mère qui vient de perdre son mari métamorphose un monstre de conte pour enfants en véritable danger pour son fils dans cette bedtime story angoissante.
FILMS
ZOOM ZOOM
DOGMAN
Le
réalisateur de Gomorra retrouve les environs sinistrés de Naples pour un film noir et rugueux, illuminé par la présence burlesque de Marcello Fonte, Prix d’interprétation masculine à Cannes. Après une comédie sur la télé-réalité (Reality, 2012) et un conte baroque au casting international (Tale of Tales, 2015), Matteo Garrone revient sur les terres napolitaines et mafieuses qui firent son succès il y a dix ans avec Gomorra. Avec cette fois un récit à l’os, un chemin de croix d’une simplicité biblique. Son antihéros, incarné par l’attachant clown triste Marcello Fonte, a d’ailleurs quelque chose d’un saint ou d’un idiot dostoïevskien. Pas grand, très brun, le regard doux et le sourire enfantin, Marcello toilette des toutous de toutes tailles dans une bourgade balnéaire décrépite. Ses voisins l’aiment bien : il faut dire que, avec son allure de Buster Keaton transalpin tout droit sorti d’un conte néoréaliste de Vittorio De Sica, on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Il a le dos voûté de ceux qui courbent trop souvent l’échine, une fille qu’il emmène plonger dans les eaux peu poissonneuses du coin et un meilleur ami infréquentable : Simone (Edoardo Pesce). Accro aux coups de poing et à la poudre
blanche, cet ex-taulard terrorise tout le quartier sur sa bruyante moto. Y compris le pauvre Marcello qui, dealer à la petite semaine, croit bien faire en tolérant tous les caprices du caïd cocaïné, acceptant même de prendre son tour en prison. Jusqu’où la loyauté pour une brute épaisse est-elle tenable, physiquement et moralement ? L’idée est annoncée avec humour dès la première scène de Dogman, dans laquelle le toiletteur tente de brosser un molosse qui lui montre ingratement les crocs. Appliquée aux humains, ça donne une mécanique dominant-dominé entre voyou et victime semi-consentante, un crescendo de rancœur implacable mais humain, car non manichéen, à la fois étouffant et respirable, car troué de salutaires bouffées burlesques. Jusqu’à son duel final, l’excellent duo d’acteurs forme ainsi un pendant noir et poisseux aux pitreries de Laurel et Hardy, bouffons tragiques au service d’une possible allégorie politique : celle d’une Italie laissée exsangue par les années Berlusconi. • ÉRIC VERNAY
Jusqu’où la loyauté pour une brute épaisse est-elle tenable ?
— : de Matteo Garrone
Le Pacte (1 h 42) Sortie 11 juillet
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ANNABELLE BOUZOM PRÉSENTE
SOUAD ARSANE, INAS CHANTI, ANNE-SOPHIE NANKI ET ANTOINE DESROSIÈRES RÉALISÉ PAR
Vivant !
SLATE
Indispensable
MADMOIZELLE.COM
ANTOINE DESROSIÈRES
Courageux et remarquable RÉVÉLATION DU FESTIVAL DE CANNES
Audacieux
TÉLÉRAMA
Drôle, impertinent Culot, humour et vitalité vital LA SEPTIÈME OBSESSION
Décapant ÉCRAN LARGE
Bourré d’énergie et d’humour LE PARISIEN
PREMIÈRE
LIBÉRATION
Incroyable
CINÉ SÉRIES MAG
Résolument moderne CINECHRONICLE.COM
Percutant et important
Un vrai coup de cœur
ALLOCINÉ
CULTUREBOX
AFFICHE © PIERRE COLLIER 2018. D’APRÈS DES PHOTOGRAPHIES DE THIERRY ARENSMA ET D.R. CRÉDITS NON CO,NTRACTUELS.
ÉCRIT PAR
FILMS
MADAME FANG
— : de Wang Bing Les Acacias (1 h 26) Sortie le 13 juin
—
ZOOM ZOOM
Le
grand documentariste chinois Wang Bing (Les Trois Sœurs du Yunnan, À la folie) filme avec tact la fin de vie d’une sexagénaire qui souffre de la maladie d’Alzheimer en captant l’aura de mystère qui entoure le passage dans l’au-delà. Dans la séquence d’ouverture, elle regarde les alentours et fait quelques pas dans sa cour, vaillante mais un peu hagarde. Un plan (et une ellipse de plusieurs mois) plus tard, la voilà clouée au lit, le visage considérablement émacié et figé dans un rictus de momie : Fang Xiuying, ouvrière d’un village de la province du Zhejiang, a été terrassée par Alzheimer. Wang Bing filme longuement ce corps inerte qui ne peut plus qu’attendre la mort, manipulé par les membres de sa famille – des pêcheurs visiblement sans le sou – qui s’entassent dans sa pièce de vie pour l’accompagner dans son dernier souffle. Un dernier souffle qui n’arrive pourtant qu’après des mois, que le cinéaste ramasse avec génie – comment fait-il pour que l’on ne s’ennuie pas ? –, tout en faisant monter une tendresse et un spleen autour de ce corps tranquillement à l’agonie, au visage aussi insondable qu’inoubliable. • TIMÉ ZOPPÉ
POROROCA. PAS UN JOUR NE PASSE
— : de Constantin Popescu
New Story (2 h 32) Sortie le 13 juin
—
Constantin
Popescu ausculte dans Pororoca – qui tire son nom de la plus longue vague du monde, sur le fleuve Amazone – la lame de fond qui ravage la vie jusqu’alors confortable d’un couple de la classe moyenne roumaine. Un dimanche d’été, à Bucarest, Tudor accompagne ses enfants au parc. Tandis qu’il flirte au téléphone, sa fille disparaît. Saisi dans un plan séquence glaçant, l’événement signe le début d’une longue descente aux enfers. L’enquête policière patine, le couple se délite rapidement dans les reproches et la rancœur, et Tudor, resté seul dans le grand appartement familial bientôt transformé en taudis, s’acharne à chercher des réponses, un coupable (notamment en recoupant des photos prises le jour du drame)… D’abord ample et lumineuse, la mise en scène tirée au cordeau de Popescu retranscrit cette spirale obsessionnelle en resserrant le cadre sur son héros rongé par la culpabilité et l’impuissance. On était sans nouvelles du cinéaste depuis Les Contes de l’âge d’or en 2010. Avec ce nouveau film, il poursuit brillamment son exploration des traumas de la Roumanie. • GUILLAUME LAGUINIER
66
VIVO FILM COLORADO FILM & RAI CINEMA PRÉSENTENT
VALERIA GOLINO
ALBA ROHRWACHER “Des actrices passionnantes dans un film authentique et solaire.”
“Émouvant et subtil.” FILMDECULTE
“Captivant !” INDIE WIRE
VARIETY
UN FILM DE
LAURA BISPURI
Crédit photo : Valeria Bispuri • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA
UNE PRODUCTION VIVO FILM COLORADO FILM AVEC RAI CINEMA MATCH FACTORY PRODUCTIONS ET BORD CADRE FILMS EN COPRODUCTION AVEC ZDF - DAS KLEINE FERNSEHSPIEL EN COLLABORATION AVEC ARTE RSI RADIOTELEVISIONE SVIZZERA SRG SSR SOUTENU PAR EURIMAGES MINISTERO DEI BENI E DELLE ATTIVITA CULTURALI E DEL TURISMO - DIREZIONE GENERALE CINEMA AVEC LE SOUTIEN DE REGIONE SARDEGNA ET LA CONTRIBUTION DE LA FONDAZIONE SARDEGNA FILM COMMISSION AVEC LE SOUTIEN DE FILM UND MEDIENSTIFTUNG NRW REGIONE LAZIO AVEC LA PARTICIPATION DE CINEFOROM ET LE SOUTIEN DE LOTERIE ROMANDE DÉVELOPPÉ AVEC LE SOUTIEN DE CREATIVE EUROPE PROGRAMME - MEDIA OF THE EUROPEAN UNION VENTES INTERNATIONALES THE MATCH FACTORY UN FILM DE LAURA BISPURI AVEC VALERIA GOLINO ALBA ROHRWACHER SARA CASU MICHELE CARBONI ET AVEC UDO KIER PRODUIT PAR MARTA DONZELLI ET GREGORIO PAONESSA MAURIZIO TOTTI ET ALLESSANDRO USAI MICHAEL WEBER ET VIOLA FÜGEN DAN WECHSLER SCÉNARIO FRANCESCA MANIERI ET LAURA BISPURI PHOTOGRAPHIE VLADAN RADOVIC MONTAGE CARLOTTA CRISTIANI MUSIQUE ORIGINALE NANDO DI COSIMO COSTUMES ANTONELLA CANNAROZZI DÉCORS ILARIA SADIUN PRODUCTEUR ASSOCIÉ POUR ZDF/ARTE DORIS HEPP PRODUCTEUR ASSOCIÉ POUR ZDF BURKHARD ALTHOFF COPRODUCTEUR POUR RSI ALLESSANDRO MARCIONNI PRODUCTEURS ASSOCIÉS ALESSIO LAZZARESCHI JAMAL ZEINAL ZADE PRODUCTEUR DÉLÉGUÉ SERENA ALFIERI PRODUCTEUR EXÉCUTIF GIAN LUCA CHIARETTI PREMIER ASSISTANT RÉALISATEUR VINCENZO ROSA DIRECTEUR DE PRODUCTION VALERIO PALUSCI SCRIPTE TANIA SCALERCIO CASTING FRANCESCA BORROMEO MAQUILLAGE FRÉDÉRIQUE FOGLIA COIFFURE DANIELA TARTARI INGÉNIEUR SON STEFANO CAMPUS MONTAGE SON DANIELA BASSANI MARZIA CORDÒ DESIGN SONORE EMIL KLOTZSCH MIXAGE DENIS SÉCHAUD
27 IN JU
FILMS
HAVE A NICE DAY
— : de Liu Jian Rouge (1 h 17) Sortie le 20 juin
—
ZOOM ZOOM
Plusieurs
destins médiocres se percutent aux abords d’une ville anonyme du sud de la Chine. Au centre, un chauffeur traqué par des tueurs pour avoir volé des liasses de yens à son patron mafieux afin d’offrir une nouvelle chirurgie esthétique à sa compagne, après une première opération ratée. Censuré au dernier festival d’Annecy à la suite de pressions officielles de l’empire du Milieu, ce film d’animation chinois compense sa technique un peu rudimentaire par un sens de la rupture sèche (montage très cut troué d’ellipses, de flashs blancs et d’écrans noirs), agrémenté d’intermèdes surréalistes (de la désopilante fausse pub psyché à l’incursion incongrue d’une séquence live). Les plans soignés de paysages semi-urbains décrépits font échos aux trajectoires des personnages, pantins conventionnels dont l’apparente propreté géométrique mène implacablement au chaos. Malgré sa froideur et son rythme nonchalant, la satire de l’ultraconsumérisme chinois fait mouche grâce à un humour noir décapant, absurde et pop, innervant ce polar pince-sans-rire d’une touche d’humanité, salutaire bien que désespérée. Une curiosité. • ÉRIC VERNAY
LOVE, SIMON
— : de Greg Berlanti 20th Century Fox (1 h 50) Sortie le 27 juin
—
Tout
roule pour Simon, ado américain moyen entouré d’une famille aimante et de sympathiques amis. Sauf que, sous le décor de carte postale pavillonnaire, c’est bien sûr plus compliqué. Comme tout ado, Simon n’est pas totalement bien dans sa peau. Il n’a encore avoué à personne qu’il était homo, sinon à un inconnu sur Internet. Sur cet argument du coming out éternellement ajourné, Greg Berlanti brode un plaisant teen movie, en accord total avec la personnalité de son héros. Même si sa nature gay le fait discrètement déroger à la norme hollywoodienne, c’est un film d’allure proprette, très classique dans la forme (jusque dans sa B.O. pop rock omniprésente), préférant la séduction des conventions à l’inconfort de la provocation. Une stratégie qui, assumée ici avec un humour lucide, avait porté ses fruits à l’époque où Berlanti, scénariste pour la série Dawson, était parvenu à imposer un baiser gay sur un network américain. Dix-huit ans plus tard, peut-il réitérer l’exploit au cinéma en faisant sortir du placard le teen movie chez une major ? La réponse est donc oui. Et avec une belle efficacité. • ÉRIC VERNAY
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Le polar danois qui emballe la critique et le public
©CARACTÈRES CRÉDITS NON CONTRACTUELS
T H E
G U I LT Y
UN FILM DE
G U S TAV M Ö L L E R
18 JUILLET
FILMS
TULLY
— : de Jason Reitman Mars Films (1 h 36) Sortie le 27 juin
—
ZOOM ZOOM
Dix
ans après Juno, comédie culte sur la grossesse accidentelle d’une ado, Jason Reitman s’attaque ici à une autre phase de la maternité : la dépression post-partum. Son héroïne, Marlo (incarnée par la géniale Charlize Theron, que le cinéaste retrouve après Young Adult), a donné naissance à son troisième enfant. Son quotidien se résume à lancer des lessives, à faire la bouffe et à surveiller son fils aîné, perturbé psychologiquement. À bout, elle engage Tully (Mackenzie Davies, révélée par l’épisode « San Junipero » de la série Black Mirror), une nounou belle et étrange qui s’occupe du nourrisson la nuit. Sans se départir de son humour acide, le réalisateur de Thank You for Smoking (2006) se penche sur les frustrations d’une femme lessivée, limitée à son rôle de mère. Dans une scène aussi drôle que déprimante, Marlo allaite sans entrain son bébé à l’aide d’un tire-lait. Son corps grossi et flasque, réduit à ses fonctions biologiques, contraste avec la ligne svelte de Tully, qui la fascine et qui va réveiller ses fantasmes. Malin, le film rappelle – et c’est nécessaire – qu’être mère n’est pas une fin en soi. • JOSÉPHINE LEROY
LES QUATRE SŒURS
— : de Claude Lanzmann Paname (5 h 06) Sortie le 4 juillet
—
Les
quatre sœurs du nouveau film de Claude Lanzmann n’ont aucun lien de parenté, sinon celui d’avoir survécu deux fois. De fait, Paula Biren, Ruth Elias, Ada Lichtman et Hanna Marton ont fait partie des dizaines de témoins filmés dans le cadre du documentaire Shoah (1985), récit de plus de neuf heures sur l’extermination juive par ceux qui l’ont frôlée. Mais la parole de ces quatre rescapées n’avait pas été retenue au montage, condamnée à errer dans les limbes des plus de cinq cents heures d’images archivées, avant que le cinéaste ne lui consacre un film trente ans plus tard. Chacune d’elles fait ainsi l’objet d’un chapitre (« Le Serment d’Hippocrate », « La Puce joyeuse », « Baluty » et « L’Arche de Noé »), en creux duquel se dessine le miracle de l’humanité recouvrée après avoir été battue en brèche par la barbarie nazie. Si bien que la force du film réside autant dans le contenu glaçant des témoignages que dans la simple présence de ces femmes, dont le masque de dignité ne laisse rien paraître du combat herculéen qui a été le leur pour retrouver l’apparence d’une personne ordinaire – c’est-à-dire « sans histoires ». • ADRIEN DÉNOUETTE
70
FILMS
L’ÎLE AU TRÉSOR
— : de Guillaume Brac Les Films du Losange (1 h 37) Sortie le 4 juillet
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l’été 2017, Guillaume Brac (Tonnerre, 2014) a sillonné de long en large un endroit surprenant : l’île de loisirs de Cergy-Pontoise, en banlieue parisienne. Dans un décor constitué d’une plage de sable fin, d’un grand bois et d’espaces de jeux, il a réalisé un documentaire à l’ambiance vaporeuse où se mêlent petits filous qui tentent de gruger l’entrée, ados dragueurs qui parcourent l’île à la recherche de numéros de téléphone et de comptes Snapchat, filles tranquillement posées, responsables de sécurité zélés et vieux monsieur se remémorant ses amours… Aux côtés de cette clique de personnages coupés du monde, le cinéaste parvient à restituer une insouciance propre à l’été. Plus fort encore, il infuse dans ce paysage artificiel une profondeur insoupçonnée : dans une séquence marquante, un homme d’origine afghane raconte son exil au début des années 1990. Accusé d’être communiste, il a été capturé par des moudjahidin en pleine guerre d’Afghanistan. Passé tout proche de l’exécution, il s’est réfugié en France. Cette microsociété hors des clous prend alors la forme d’un petit paradis. • JOSÉPHINE LEROY
WOMAN AT WAR
— : de Benedikt Erlingsson Jour2fête (1 h 41) Sortie le 4 juillet
—
Halla,
une quinquagénaire activiste écolo, s’attaque à l’industrie de l’aluminium en sabotant les lignes électriques des usines. Mais l’étau se resserre peu à peu sur elle… Après Des chevaux et des hommes (2014), Benedikt Erlingsson met à nouveau la nature islandaise en valeur avec cette décapante fable environnementale. Au-delà de sa fantaisie – un orchestre accompagne partout cette super-héroïne des temps modernes –, le film convainc par sa façon de traiter le thème du double : déjà en proie à une double vie (elle est prof de chant à la ville), Halla doit aussi gérer un dilemme inattendu qui pourrait la pousser à abandonner ses activités clandestines ; sans compter que cette femme indépendante a une sœur jumelle. En invitant ainsi la sororité dans son intrigue et en confrontant lois de la nature et lois de la société, Woman at War cultive un ton insolite, porté par l’énergique performance de Halldóra Geirharðsdóttir. Le lien dressé entre féminisme, majestueux paysages et inquiétude pour l’avenir de la planète dessine alors jusqu’à la dernière image un horizon d’espoir, à la fois grave et engagé. • DAMIEN LEBLANC
71
ZOOM ZOOM
À
FILMS
L’EMPIRE DE LA PERFECTION
— : de Julien Faraut UFO (1 h 30) Sortie le 11 juillet
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ZOOM
ZOOM
Ce
stimulant essai filmique commence par questionner les liens entre sport et cinéma en présentant le travail de Gil de Kermadec, premier directeur technique national du tennis français. Ayant décortiqué pendant des années le jeu des meilleurs tennismen, ce pionnier finit logiquement par filmer les exploits de John McEnroe. Réorganisées par le cinéaste Julien Faraut au cœur d’un exposé ludique rythmé par la voix de Mathieu Amalric, ces précieuses images d’archives offrent une vision inédite du champion américain. L’analyse des agissements de McEnroe sur le court (notamment lors du tournoi de Roland-Garros 1984) dresse ainsi le sensible portrait d’un perfectionniste souffrant de ne pas retrouver la même exigence chez les autres. Les légendaires contestations du tennisman face aux arbitres relèvent par exemple, selon le cinéaste, d’une totale sincérité – et non d’une volonté de tricher. Artisan de la vérité dont les émotions peuvent conditionner la durée d’un match, McEnroe apparaît ici comme un authentique héros cinématographique. Et L’Empire de la perfection de rendre joyeusement perceptible la proximité entre tennis et septième art. • DAMIEN LEBLANC
PARANOÏA
— : de Steven Soderbergh 20th Century Fox (1 h 38) Sortie le 11 juillet
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Ne
jamais croire un réalisateur qui annonce sa retraite. Surtout si c’est Steven Soderbergh. Après un film de casse en forme de déclaration d’amour à l’Amérique (Logan Lucky, 2017), le réalisateur de Traffic (2001) revient avec un trip parano filmé au téléphone portable. Une prouesse technique bluffante qui produit une énergie inquiétante et donne du corps et du nerf à une intrigue de série B centrée sur une femme harcelée qui perd les pédales. Sawyer (impressionnante Claire Foy dans un périlleux numéro halluciné) est persuadée qu’un homme, dont elle a repoussé les avances insistantes, continue de la suivre partout. Oppressée et terrorisée, elle se retrouve internée dans un hôpital psychiatrique contre son gré. Jouant sur la frontière entre délire de persécution et menace réelle, le film produit une sensation immédiate de malaise et d’insécurité. Scrutant le moindre mouvement, la moindre expression de son personnage principal au bord du gouffre, il fascine par son voyeurisme inquiet. Près de vingt ans après Sexe, mensonges et vidéo (1989), Soderbergh n’a visiblement pas fini de s’interroger sur ce que les images disent et volent de notre intimité. • RENAN CROS
72
FILMS 3 JOURS À QUIBERON
En 1981, trois jours avec Romy Schneider dans une cure thermale, un an avant sa mort… Emily Atef reconstitue l’interview-épreuve d’une femme grandiose en prise avec ses questionnements de mère et d’actrice, incarnée par une Marie Bäumer troublante de ressemblance qui, pendant un instant, nous ferait presque oublier que Sissi n’est plus. • P. Q.
— : d’Emily Atef (Sophie Dulac, 1 h 56) Sortie le 13 juin
SICILIAN GHOST SORY
Dans ce film de mafia aux allures de conte macabre, Luna, 13 ans, part à la recherche de Giuseppe, son amoureux, qui a mystérieusement disparu. Au-delà de la poésie des paysages marécageux et des chansons hantées de Soap&Skin, la part la plus fascinante de cette œuvre sombre et chargée en symboles réside dans la belle détermination de sa jeune héroïne. • J. Do.
— : de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza (Jour2fête, 1 h 57) Sortie le 13 juin
DÉSOBÉISSANCE
À la mort de son père, Ronit (Rachel Weisz) retrouve le milieu juif orthodoxe qu’elle avait fui des années auparavant. Son attirance pour Resti (Rachel McAdams), intacte, attise de nouveau les tensions… Par ses allers-retours entre cet environnement rigoriste et des échappées passionnelles, ce drame maîtrisé et osé émeut autant qu’il galvanise. • J. L .
— : de Sebastián Lelio (Mars Films, 1 h 54) Sortie le 13 juin
FILLES DU FEU
Une unité combattante kurde mixte commandé par de jeunes soldates affronte le groupe État islamique en Syrie. Entre interventions musclées et retours émouvants sur les traces de ceux qui ont succombé, ce documentaire à la mise en scène minimaliste nous plonge intelligemment dans le quotidien difficile de femmes aussi puissantes que touchantes. • J. L .
— : de Stéphane Breton (Quark Productions, 1 h 20) Sortie le 13 juin
KUZOLA. LE CHANT DES RACINES
Ce documentaire retrace le voyage de Lúcia de Carvalho, chanteuse en quête de ses origines. Accompagnée par la caméra d’Hugo Bachelet, elle reproduit la trajectoire qui fut la sienne enfant, de son Angola natal à l’Alsace, en passant par un orphelinat à Lisbonne. L’objectif : retranscrire dans un album, Kuzola, ce multiculturalisme dont elle est le fruit. • G. L .
— : d’Hugo Bachelet (Ligne 7, 1 h 12) Sortie le 20 juin
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FILMS JERICÓ. L’ENVOL INFINI DES JOURS
Sous le soleil de Jericó, huit femmes racontent : le souvenir d’une passion amoureuse, la foi inconditionnelle qui les anime, la disparition brutale d’un être cher… En jouant avec ces témoignages comme elle joue avec les lignes et les couleurs vives du village, Catalina Mesa figure une autre Colombie, loin des narcotrafics, faite de tradition et de poésie. • G. L .
— : de Catalina Mesa (Arizona,1 h 17) Sortie le 20 juin
UNE PRIÈRE AVANT L’AUBE
Inspiré de l’histoire vraie d’un boxeur anglais incarcéré dans une prison thaïlandaise pour détention de drogue, ce drame tout en tensions brosse le portrait d’un héros en perdition. S’il se laisse parfois aller à des scènes de violence gratuite, le film convainc : avec adresse, il ramène progressivement à la vie ce surdoué au bord du précipice. • J. L .
— : de Jean-Stéphane Sauvaire (Wild Bunch, 1 h 57) Sortie le 20 juin
PARVANA
Afghanistan, en 2001. Du haut de ses 11 ans, Parvana voit son père, lecteur et écrivain public, être arrêté par les talibans à Kaboul. La fillette aux grands yeux verts se déguise alors en garçon pour tenter de secourir sa famille… Ce touchant conte animé, coproduit par Angelina Jolie, célèbre avec brio la résistance féminine face à la tyrannie. • D. L .
— : de Nora Twomey (Le Pacte, 1 h 34) Sortie le 27 juin
MA FILLE
Dans un village de Sardaigne, une fillette est fascinée par la provocante et mystérieuse Angelica (Alba Rohrwacher), une femme aux antipodes de sa mère protectrice (Valeria Golino). Toutes deux partagent pourtant un lourd secret… À travers un beau duel au soleil porté par de très bonnes interprètes, le film parvient à montrer la complexité du sentiment maternel. • J. L .
— : de Laura Bispuri (UFO, 1 h 37) Sortie le 27 juin
JOUEURS
Ella (Stacy Martin), serveuse sans histoires, rencontre le flambeur Abel (Tahar Rahim), qui l’entraîne avec lui dans la spirale du jeu. Ils ne tardent pas à être ruinés, et les malfrats auprès desquels ils se sont endettés se mettent alors à leurs trousses… Pour son premier long métrage, Marie Monge détaille avec subtilité les mécanismes de l’addiction. • Q. G.
— : de Marie Monge (Bac Films, 1 h 45) Sortie le 4 juillet
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FILMS FEMMES DU CHAOS VÉNÉZUÉLIEN
Alors que le pays traverse une crise majeure (inflation galopante, pénuries alimentaires et de médicaments, kidnappings, emprisonnements politiques…), ce documentaire prend le pouls du Venezuela en filmant le quotidien de cinq femmes qui partagent une même inquiétude : seront-elles, ainsi que leurs familles, contraintes à l’exil ? Édifiant. • J. R.
— : de Margarita Cadenas (Sophie Dulac, 1 h 23) Sortie le 4 juillet
TROIS CONTES DE BORGES
Dans les trois contes qui donnent son titre à ce film, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges développait certains de ses thèmes phare, comme le reflet de soi dans l’autre ou le sentiment d’infini. Maxime Martinot les met ici en scène sans effets tapageurs, dans une résidence de campagne, sur un rythme lent qui laisse aux mots de l’auteur le temps de résonner. • G. L .
— : de Maxime Martinot (Vendredi, 1 h 17) Sortie le 4 juillet
DARK RIVER
Quinze ans après avoir fui la ferme familiale, une femme y revient à la suite du décès de son père. Ses retrouvailles avec son frère font remonter les rancœurs, alors qu’ils ne savent pas qui va hériter de l’exploitation… Les paysages sublimes du Yorkshire et la musique de PJ Harvey portent cette intense tragédie rurale, signée par la réalisatrice du Géant égoïste (2013). • T. Z .
— : de Clio Barnard (Ad Vitam, 1 h 29) Sortie le 11 juillet
ZAMA
À la fin du xviiie siècle, un juge officiant dans une colonie d’Amérique latine attend désespérément d’être muté à Buenos Aires. Mais il s’impatiente et se lance à la poursuite d’un bandit… Le nouveau film de Lucrecia Martel (La Femme sans tête) plonge dans la torpeur d’une province où se côtoient esclavage et vertiges identitaires. Âpre mais poétique. • D. L .
— : de Lucrecia Martel (Shellac, 1 h 55)
Sortie le 11 juillet
THE STRANGE ONES
Rien n’est ce qu’il paraît dans ce long métrage où l’on suit deux frères qui parcourent en voiture la campagne américaine. Mais sont-ils vraiment liés par le sang ? À quoi tient réellement leur relation ? Dans ce film coupé en deux, à l’ambiance proche de Mysterious Skin, Alex Pettyfer retrouve un jeu sensuel qu’on ne lui avait plus connu depuis Magic Mike. • P. Q.
— : de C. Radcliff et L. Wolkstein (Épicentre Films, 1 h 21) Sortie le 11 juillet
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Une grâce sans pareille ” Télérama
SÉLECTION OFFICIELLE
SÉLECTION OFFICIELLE MEILLEUR DOCUMENTAIRE ET PRIX DU PUBLIC
Cinélatino 29es Rencontres de Toulouse
PRIX DU PUBLIC
DOCS
SÉLECTION OFFICIELLE
BARCELONA
MEILLEUR DOCUMENTAIRE ET PRIX DU PUBLIC
Cinélatino 29es Rencontres de Toulouse
Festival International du Film Documentaire
PRIX DU PUBLIC MEILLEUR DOCUMENTAIRE ET PRIX DU PUBLIC
Cinélatino 29es Rencontres de Toulouse
DOCS BARCELONA
Festival International du Film Documentaire
PRIX DU PUBLIC
DOCS BARCELONA
Festival International du Film Documentaire
Jerico un film de
Catalina Mesa
“ l’envol infini des jours ”
au cinéma le 20 juin !
Arizona Distribution
COUL’ KIDS
CHARLOTTE MIQUEL RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE DE TOPO
Anna a interviewé la rédactrice en chef adjointe de Topo, un magazine bimestriel (il sort tous les deux mois) lancé en septembre 2016 qui s’adresse aux moins de 20 ans. On peut y lire des reportages, des interviews, des enquêtes, mais toujours au format bande dessinée.
L’INTERVIEW
Pourquoi parler de l’actualité en BD ? On s’est dit que les jeunes lisent peu les journaux papier, mais qu’ils continuent à lire des bandes dessinées. Avec le dessin, on peut transmettre de l’information autrement qu’avec des textes. Nos reportages sont longs, ils font vingt-cinq pages, et la BD les rend accessibles. Le dessin crée une distance, ça veut dire qu’on peut aborder des thèmes dramatiques en les illustrant, sans avoir recours à la photo – qui est plus réaliste, et parfois plus dure. Enfin, quand on traite d’un sujet historique comme Mai 68, on va interviewer des gens qui ont vécu cette période et nous la racontent, et, grâce au dessin, on peut mettre en image leurs souvenirs, les représenter jeunes, tels qu’ils étaient à l’époque. Sur la couverture de Topo, il est précisé : « Pour les moins de 20 ans ». Pourquoi ? Sur les derniers numéros, on a rajouté « et les autres », parce qu’on s’est rendu compte que les plus de 20 ans lisaient eux aussi la revue, notamment les parents, qui apprennent ainsi des choses sur l’univers de leurs enfants
PAR ANNA, 14 ANS LE DÉBRIEF
– les réseaux sociaux, les jeux vidéo… On est contents, parce qu’il paraît que ça provoque des discussions familiales. Comment est-ce que vous choisissez les sujets ? Ce sont souvent les journalistes qui les proposent, et puis on en discute en conférence de rédaction et on vote pour décider de ceux qu’on va retenir. La question qu’on se pose tout le temps, c’est : « Est-ce que ça va intéresser un ado ? » Ensuite, il faut savoir comment on veut traiter une information ; est-ce qu’on veut en parler avec humour, par exemple ? On a notamment travaillé sur un dossier Donald Trump et les fake news, un sujet qu’on peut aborder de manière très réaliste, mais dont on peut aussi se moquer – et c’est ce qu’on a fait. Mais ce n’est pas possible avec tous les sujets. Comment est fabriqué un numéro ? Très en avance : on est dans de « l’actualité
froide », en opposition à « l’actualité chaude », qui peut être traitée immédiatement. La BD, ça prend du temps, jusqu’à six mois pour certains reportages. C’est pour ça qu’on ne peut sortir qu’un numéro tous les deux mois. Mais vous n’avez pas peur d’être en retard sur les informations ? On traite plutôt de sujets de fond. Dans notre premier numéro, un des sujets était par exemple « Pourquoi Barack Obama n’a pas réussi à interdire les armes ? ». On s’est interrogés : est-ce que dans six mois ce sera toujours d’actualité ? Mais, au fond de nous, on savait que le problème ne serait pas réglé en si peu de temps. En fait, ce n’est pas si compliqué de choisir des sujets qui soient lisibles plusieurs mois plus tard. C’est vous qui associez un journaliste à un dessinateur ? Oui, c’est moi qui fais ça, j’ai travaillé dans l’édition et je connais plein de dessinateurs. Je les ai contactés, je leur ai demandé quels sujets les intéressaient : l’écologie, les sciences, la culture… J’ai constitué une base de données, et maintenant je sais quel dessinateur je peux associer à quel sujet. Quel est votre but avec ce magazine ? On raconte un monde qui est complexe. On ne donne pas notre avis ; on pose des questions, et on espère que, après avoir lu la revue, tu pourras débattre, exprimer tes idées et développer ton sens critique. • PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) PHOTOGRAPHIE : ERIOLA YANHOUI
COMME ANNA, TU AS ENVIE DE RÉALISER UNE INTERVIEW ? DIS-NOUS QUI TU AIMERAIS RENCONTRER EN ÉCRIVANT À BONJOUR@TROISCOULEURS.FR
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COUL' KIDS
Anna : « J’ai découvert le magazine Topo durant mes vacances – il faut prendre son temps pour le lire. J’ai interviewé Charlotte Miquel dans un café. Elle m’a dit qu’elle était en plein bouclage. Ça veut dire que l’équipe du journal a beaucoup de travail, ils doivent tout vérifier avant de lancer l’impression de la revue. »
LA CRITIQUE D’ÉLISE, 9 ANS
COUL' KIDS
BÉCASSINE !
« Je daterais l’histoire dans les années 1800 (sic), mais on voit que le film a été fait récemment : le physique des champs, de la route, des maisons, et la manière de parler, c’est vraiment comme ce que je connais. Je pense que ça se passe avant les droits de l’homme parce qu’on voit qu’à l’époque on donnait des gifles aux enfants et qu’on les faisait travailler. Je ne suis pas du tout nostalgique de cette époque, mais en même temps les enfants se relâchent un peu trop aujourd’hui, et je pense qu’ils devraient travailler de temps en temps pour qu’ils se rendent compte de leur chance. Bécassine est naïve, vraiment généreuse, et a une forme de paon courage qui revient à l’imprudence. Mais elle est très aimante, donc ça arrange un peu les choses. Et le truc que j’ai le plus aimé, ce sont ses inventions. Elle invente par exemple un éjecteur à œufs, mais je pense que c’est un trucage, parce qu’une machine pareille, c’est pas à la portée du premier venu qui n’a jamais touché à la mécanique comme Bécassine. Bref, c’est un film un peu rigolo et un peu triste. En gros, c’est un peu une vie normale. »
LE PETIT AVIS DU GRAND Comme toute icône, le personnage de Bécassine peut être traité de multiples façons sans rien perdre de son essence. Enquêtrice nunuche dans la première adaptation cinématographique de 1940, héroïne aventureuse dans un récent film d’animation, elle devient ici une fausse naïve en lutte contre les injustices de son époque, des inégalités sociales aux violences faites aux enfants. Et c’est par son inaltérable gentillesse et son inventivité que cette douce force tranquille abattra tous les obstacles. • J. D.
— : « Bécassine » de Bruno Podalydès UGC (1 h 31) Sortie le 20 juin dès 5 ans
—
RETROUVE LE MOT INTRUS QUI S’EST GLISSÉ DANS LA CRITIQUE D’ÉLISE : P_ _ _
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TOUT DOUX LISTE
PARENTS FRIENDLY CARGO-GO DANCING
DANSE
Pièce chorégraphique et numérique, expérience phonique et visuelle, Cargo. L’archipel d’Ether, c’est aussi et surtout un voyage dansant en compagnie de deux inoubliables petits personnages filiformes à tête d’épingle. Un moment de poésie à partager en famille.
: du 20 au 22 juin au Théâtre Paris-Villette,dès 6 ans
LE TOP DES TAUPES
SPECTACLE
Voici un inénarrable spectacle pour enfants qui mêle judicieusement théâtre et arts plastiques, en donnant la part belle aux trouvailles sonores. Maulwürfe est une aventure peuplée de taupes, d’humains perdus et de dragons nostalgiques… une belle utaupie.
: le 8 juillet à La Gaîté Lyrique, dès 7 ans
CASQUE D’OR
IMMERSION
Tous les samedis et dimanches à 11 heures et à midi, le mk2 VR, situé à côté du mk2 Bibliothèque, est réservé aux enfants et à leur famille. Casque de réalité virtuelle sur la tête, vous pourrez faire du rameur sur un lac, rêver avec le Petit Prince, voler comme un oiseau, et même explorer la lune !
• HENDY BICAISE ILLUSTRATIONS : PABLO COTS
: mk2 VR, 160, avenue de France, Paris XIIIe, dès 6 ans
KIDS FRIENDLY
ROBOTS MAIS PAS TROP
EXPOSITION
Première exposition consacrée à l’imagination artificielle sous toutes ses formes, « Artistes & Robots » suscite des émotions bien réelles, que l’on découvre les premiers androïdes signés Nicolas Schöffer ou que l’on s’approche comme jamais du célèbre duo Daft Punk.
: jusqu’au 9 juillet au Grand Palais, dès 5 ans
BONNES NOTES
EXPOSITION
« Al Musiqa » est un voyage à suivre en famille pour découvrir l’histoire, la richesse et la diversité des musiques du monde arabe. Percussions, Scopitone, ou tapis magique interactif, vous en prendrez plein les yeux – et plein les oreilles.
: « Al Musiqa. Voix et musiques du monde arabe », jusqu’au 19 août à la Cité de la musique, dès 5 ans
DINO STORY
EXPOSITION
Alors que le nouvel opus de la saga est visible en salles, l’exposition « Jurassic World » vous propose de franchir le célèbre portail pour monter à bord d’un ferry, direction Isla Nublar, où vous attendent les dinosaures – plus vrais que nature !
: jusqu’au 2 septembre à la Cité du cinéma (Saint-Denis), dès 5 ans
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OFF
CECI N’EST PAS DU CINÉMA
LA SF DÉBARQUE SUR SCÈNE Se référant plus volontiers à la série Black Mirror qu’aux trilogies Star Wars, plus bidouilleur que spécialiste d’effets spéciaux, le théâtre lorgne du côté de la science-fiction. Les metteurs en scène construisent des fables d’anticipation dystopiques ou pleines d’humour, et préfèrent pousser les spectateurs à la réflexion que leur livrer un message clé en main. Par là, ils soufflent un petit vent de renouveau sur le théâtre politique contemporain. Rencontre avec deux d’entre eux.
Terre,
année 2516. Les humains vivent désormais reclus dans les profondeurs. Pour cacher la vérité du cataclysme écologique aux survivants, on raconte que le soleil, dans sa course folle, s’est rapproché trop près de notre planète, rendant toute vie en surface impossible. Les Souterriens – tels qu’ils se nomment désormais – vivent dans des cocons aseptisés une existence à moitié envahie par une réalité virtuelle ultra réaliste, permise par une énième innovation : la 9D. Parmi eux, Manon s’ennuie et décide de s’échapper. Voici le pitch de La Caverne, nouvelle création labélisée « science-fiction » du collectif l’Avantage du doute. Librement inspirée de la célèbre allégorie de la caverne de Platon et destinée au jeune public, cette proposition est aussi, et surtout, une réflexion menée
© SANDY KORZEKWA
OFF
SCÈNE
La Caverne du collectif l’Avantage du doute
« Pas besoin de faire voler des voitures, il suffit d’une bonne règle du jeu. » TIPHAINE RAFFIER avec beaucoup d’humour sur notre obsession des écrans et les incidences de notre rapport boulimique aux nouvelles technologies sur le réchauffement climatique.
REGARDER AUJOURD’HUI DEPUIS DEMAIN
Fils d’un auteur de romans et de bandes dessinées, biberonné aux livres de René Barjavel, Aldous Huxley ou Philip K. Dick, Nadir Legrand, membre fondateur du collectif, avait ce désir d’une pièce d’anticipation depuis de
nombreuses années. Il lui faudra une vision marquante pour que ce désir devienne une nécessité artistique. C’était un jour de carnaval à l’école primaire de sa fille, dans une cour de récré peuplée de Reines des neiges, de Batman et de Stormtroopers. « Dans une classe de vingt et un gamins, seul un sur sept n’avait pas puisé son inspiration chez Disney, Warner ou Marvel. Je me suis rendu compte à quel point l’imaginaire de nos enfants était influencé par les trois plus grandes firmes de divertissement de la planète et je me suis dit que, vraiment,
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SCÈNE
il y avait une pièce à faire. Le vrai danger des écrans, c’est qu’ils font perdre aux enfants leur pouvoir d’imagination. Les images qu’ils voient sont tellement bien faites, ils n’ont plus grand-chose à faire à part les consommer. » Si elle avoue avoir eu quelques difficultés à parler de son projet auprès des institutions théâtrales et si elle fait état d’a priori négatifs sur la science-fiction, souvent considérée comme un genre mineur en France, Tiphaine Raffier ne semble pas, elle, avoir rencontré les mêmes incompréhensions quand elle s’est lancée dans l’écriture de France-fantôme. À l’origine, la jeune metteure en scène de 33 ans
souhaitait raconter une histoire d’amour. En tombant par hasard sur un colloque consacré à la série The Leftovers, elle décide de situer sa fiction au xxve siècle. Une façon de « traiter de notre monde comme appartenant déjà au passé, d’avoir ce regard rétrospectif que seul les historiens possèdent », et de pouvoir ainsi aborder, avec toute la liberté que la métaphore autorise, des questions aussi diverses que le transhumanisme, la commercialisation de nos données personnelles ou l’inconscient collectif colonial. Et, puisque les questions de langue sont au cœur de son travail, détricoter les discours idéologiques qui colonisent
ESPACES SCÉNIQUES
© DIDIER CRASNAULT
OFF
France-fantôme de Tiphaine Raffier
Impossible de représenter la conquête spatiale dans l’espace limité d’une scène de théâtre ? Pas sûr. En 2015, dans la foulée du succès des films Gravity (A. Cuarón) et Interstellar (C. Nolan), deux projets s’y étaient risqués. Dans Corps diplomatique, Halory Goerger envoyait ses personnages monter des spectacles en orbite. La pièce était une utopie qui dégénérait en faisant marrer ses spectateurs. « On s’est autofanatisés. Le Corps diplomatique finissait par devenir le gardien d’une idée du théâtre archaïque qui trouve ses fondements dans le religieux. » En ouvrant les portes de l’espace aux artistes, elle créait une brèche pour la SF théâtrale. Frédéric Ferrer montait quant à lui une nouvelle vraie-fausse conférence, Wow !, qui sera reprise en avril 2019 au Monfort théâtre et explore les possibilités apparemment farfelues de vie sur d’autres planètes. Cette fois, la science semble jouer contre la fiction pour mieux la rendre possible, dans le présent. La SF commence toujours aujourd’hui. • A. J.-C.
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LA SF DÉBARQUE
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© SIMON GOSSELIN
NOS FUTURS Pour trouver des lieux avant-gardistes dans la reconnaissance de la science-fiction théâtrale, c’est vers Lyon qu’il faut tourner les yeux. À la tête du Théâtre Nouvelle Génération, Joris Mathieu a créé « Nos futurs », une biennale pour explorer les imaginaires de demain. Au programme de la deuxième édition, on retrouvera Frédéric Ferrer qui lance un nouveau cycle de « Cartographies » en inventant une nouvelle science, la frontologie, pour s’aventurer dans les limites du monde et de la pensée. Le collectif Invivo, lui, s’inquiète de ce que le capitalisme fait au sommeil en imaginant un casque capable d’offrir le repos d’une nuit en seulement vingt minutes… • A. J.-C.
nos esprits et nos corps, et contre lesquels on ne peut rien si ce n’est tenter d’opposer d’autres mots. Dans sa glaçante dystopie, les hommes sont devenus immortels. Grâce à une innovation, le « démémoriel », ils peuvent télécharger leurs souvenirs dans un nouveau corps au moment de leur mort. Comme l’héroïne s’en rendra compte bien assez vite après le décès de son mari, tous les « rappelés » ne vivent pas leur résurrection aussi tranquillement que prévu, qu’ils ne s’habituent pas à leur nouvelle enveloppe ou qu’ils subissent de plein fouet le nouveau racisme qui les vise…
: « Nos futurs »,
de novembre 2018 à janvier 2019 au Théâtre Nouvelle Génération, Lyon
SCIENCE-FICTION DE PEU
La science-fiction a beau être traditionnellement associée aux effets spéciaux, cette tentation technologique n’a pas effleuré Tiphaine Raffier et Nadir Legrand. Les scènes contemporaines ne sont pourtant pas obtuses aux innovations. Le metteur en scène Marc Lainé joue ainsi d’un écran vert dans Hunter, sa dernière création, relevant d’un autre genre décrié, le fantastique (avec son héroïne qui mue en loup-garou), quand le chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing s’interroge dans Phoenix sur la façon dont les drones changent notre perception des corps et des réalités. Mais France-fantôme comme La Caverne relèvent plutôt de ce que Tiphaine Raffier nomme « la science-fiction de peu de moyens ». « Les plus beaux films de SF, c’est aussi du bricolage, développe-t-elle. C’est Retour vers le futur ou Cohérence, c’est de la débrouille. Il suffit de mettre quatre
personnes autour d’une table, de dire que deux d’entre elles ont été “rappelées” et que les deux autres ont leur corps originel, et c’est déjà de la science-fiction. Pas besoin de faire voler des voitures, il suffit d’une bonne règle du jeu, énoncée clairement, et tout le reste se fait dans la tête des spectateurs. » Si l’imagination revient comme un leitmotiv chez ces deux auteurs, qu’il s’agisse d’une préoccupation politique ou d’un ressort fictionnel, c’est parce qu’ils sont avant tout homme et femme de théâtre. Une évidence pour Nadir Legrand : « Macbeth, ce ne sont que des récits de guerre. Comment tu fais pour représenter des batailles entre deux armées ? » Science-fiction ou non, depuis Shakespeare, la question au cœur du dispositif théâtral reste identique. • AÏNHOA JEAN-CALMETTES
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EXPOS
ENFERS ET FANTÔMES D’ASIE — : « Enfers et Fantômes d’Asie », jusqu’au 15 juillet au musée du quai Branly – Jacques Chirac entrée gratuite de 11 h le 23 juin à 18 h le
© MUSÉE DU QUAI BRANLY – JACQUES CHIRAC / GAUTIER DEBLONDE
24 juin (nuit comprise) • « Fantômes du cinéma japonais.
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Les métamorphoses de Sadako » de Stéphane du Mesnildot (Rouge Profond)
—
Vue de l’exposition
Ne
pas se fier à la façade du musée du quai Branly, son jardin lumineux, ses formes courbes et le sentiment de paix qui s’en dégage. À l’intérieur c’est l’enfer, peuplé de figures démoniaques entêtantes, qui guette les visiteurs intrépides à l’occasion de l’exposition « Enfers et Fantômes d’Asie ». Dans ce voyage infernal, on fait escale au Japon, en Thaïlande ou en Chine, et les époques – du xvie au xxie siècle – se télescopent. Très vite, on emprunte le fleuve des enfers, matérialisé par des jeux de lumière sur les murs reproduisant des flammes. L’aventure mystique commence : dans de sombres espaces, on tombe sur des estampes japonaises représentant des femmes-fantômes mélancoliques ; des peintures thaïlandaises dans lesquelles des phi prêt, ces créatures punies pour mauvais comportements de leur vivant, se dévorent entre eux ; l’hologramme 3D d’une femme-chat vampire, incarnée par la performeuse Japonaise Yôko Higashi ; des extraits de kung-fu comedies où sautillent des morts-vivants… Pour chaque univers, des extraits de films qui créent de vifs sentiments d’immersion ont été choisis par Stéphane du Mesnildot, journaliste des Cahiers du cinéma et auteur de Fantômes du cinéma japonais – il nous a notamment raconté, dans un portfolio à lire sur notre site Internet, comment certains mythes anciens de fantômes ont nourri le cinéma d’horreur asiatique, dans lequel ont ensuite largement puisé les films hollywoodiens. À la fin de la visite, on libère nos angoisses dans un espace jeux vidéo où l’on détruit avec un malin plaisir ces revenants envahissants. • JOSÉPHINE LEROY
À l’intérieur c’est l’enfer, peuplé de figures démoniaques entêtantes, qui guette les visiteurs.
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Chez k , tous les jours à toutes les séances, votre place de cinéma à
30
18
mai
* € 0 9 6,
29
5
M Pont Marie ou Saint-Paul
Ouvert du mercredi au dimanche inclus, fermé lundi, mardi et jours fériés.
k
Bastille
Odéon
Quai de Seine Gambetta
Bibliothèque
Parnasse
Grand Palais
Nation
Quai de Loire Beaubourg
juillet
5/7 rue de Fourcy 75004 Paris Téléphone: 01 44 78 75 00 Web: www.mep-fr.org
la carte
Quai de Seine Quai de Loire Gambetta Beaubourg
Grand Palais
Bastille Odéon Parnasse
Nation
Bibliothèque
© James Nachtwey Archive, Hood Museum of Art, Dartmouth
MEMORIA PHOTOGRAPHIES DE * Pour l’achat d’une carte 5 à 34,50€, pour 1 à 3 places par séance Valable 1 an ou 2 mois après la 1ère date d’utilisation - Hors films en 3D relief
JAMES NACHTWEY En partenariat média avec LE FIGARO MAGAZINE
MONDES TSIGANES — : « Mondes tsiganes. La fabrique
des images », jusqu’au 26 août au musée de l’histoire de l’immigration
—
Jacques Léonard, La Uta au quartier de Montjuïc, 1968
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« Gens
du voyage », « Bohémiens », « Gitans », « Manouches », « Roms », « Tsiganes » : c’est avec les définitions de ces appellations que le visiteur est accueilli. La précision est nécessaire tant elle défie les idées reçues sur ces populations. C’est d’ailleurs le but de l’exposition : montrer la diversité de groupes dont le seul dénominateur commun est un mode de vie aux marges de la société – lequel exprime un goût prononcé pour la liberté –, et surtout les stéréotypes qui leur collent, depuis toujours, à la peau. Cette construction de l’autre passe évidemment par l’image. Celle des Tsiganes a longtemps été marquée du sceau de la fascination-répulsion – que ce soit avec les études anthropologiques du xixe siècle, les fichages judiciaires du début du xxe ou les reportages racoleurs dans la presse. On suit donc, au fil des nombreuses salles claires du musée, cette fabrique des images dans le temps, dans l’espace et dans ses différentes déclinaisons. Elle a également donné lieu à de très beaux clichés : d’André Kertész, aux portes de Paris ; de François Kollar, aux Saintes-Maries-de-la-Mer ; de Jacques Henri Lartigue, à Grenade ; de Jack Delano, aux États-Unis… Très complète, riche de supports variés (photos donc, mais aussi papiers d’identité, coupures de presse), l’exposition se clôt avec ce qui est sans doute, sur le sujet, le témoignage le plus juste et le plus touchant de ces dernières décennies : le travail documentaire au long cours de Mathieu Pernot sur les Gorgan, une famille gitane que le photographe suit depuis 1995. • MARIE FANTOZZI
L’image des Tsiganes a longtemps été marquée du sceau de la fascination-répulsion.
BATIA SUTER
LE CENTRE NE PEUT TENIR
Née en Suisse en 1967, l’artiste collectionne, retouche et agence des images de tous horizons faisant dialoguer humain et non-humain, nature et artefact, intime et universel. Au Bal, Radial Grammar nous propose de déambuler au sein d’un atlas à échelle humaine incluant sculptures et projections, tandis qu’au Centre culturel suisse Sole Summary explore et revisite, sur un mode quasi indiciaire, la collection de curiosités et de peintures ayant appartenu à une tante de l’artiste. • ANNE-LOU VICENTE
Réunissant les œuvres d’une dizaine de jeunes artistes spécifiquement créées au sein de ce nouvel outil de production et de diffusion inauguré en mars, la première exposition collective de la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette convoque les propos du poète W. B. Yeats au sortir de la Première Guerre mondiale décrivant la dislocation du monde. L’occasion, en ces temps autrement instables, d’interroger les notions de centre et de périphérie et d’en redessiner les contours. • A.-L. V.
: jusqu’au 15 juillet au Centre culturel
: du 20 juin au 9 septembre
suisse et jusqu’au 26 août au Bal
à Lafayette Anticipations
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© JACQUES LÉONARD, ARCHIVES FAMILLE JACQUES LÉONARD
EXPOS
ART COMPRIMÉ Tous les mois, notre chroniqueuse vous offre un concentré des dernières réjouissances du monde de l’art.
EXPOS FILMS RENCONTRES AT E L I E R S
EXPO CHRIS MARKER
03.05.2018 > 29.07.2018
LES 7 VIES D’UN CINÉASTE
Début mai, Facebook m’a indiqué qu’une vingtaine de mes « amis » souhaitait participer à un événement. J’ai souri, doutant fort que l’un d’entre eux y mettrait les pieds… Malgré près de trente mille personnes intéressées, la visite naturiste du Palais de Tokyo, organisée le 5 mai dernier, a finalement réuni deux cents participants. Une « journée inoubliable » selon l’Association des naturistes de Paris, à l’initiative de l’événement. Bravo aux photographes de presse qui ont réussi des photos Zuckerberg-compatibles, sans tétons ni pénis apparents. • Fière de posséder une importante collection d’œuvres d’Étienne Terrus, peintre occitan méconnu des xixe et xxe siècles, le musée d’Elne, un village des Pyrénées-Orientales où vécut l’artiste, a récemment découvert un amer pot aux roses. Signatures à l’encre, anachronismes (un bâtiment représenté alors qu’il a été construit après la mort de l’artiste…) : plus de la moitié des toiles, soit quatre-vingt-deux précisément, sont des faux – comme l’a signalé un historien vigilant – achetés par la municipalité sans les faire expertiser. Bilan : 160 000 euros de perte. Une enquête est en cours. • Kerry James Marshall est devenu l’artiste afro-américain le plus côté de son vivant : sa toile Past Times de 1997, représentant une famille noire pique-niquant à Chicago, a été vendue pour 21,1 millions de dollars en mai dernier chez Sotheby’s à New York. L’acquéreur ? Sean Combs, alias le rappeur et producteur P. Diddy. • MARIE FANTOZZI ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL
#EXPOMARKER
Chris Marker, autoportrait au Rolleiflex, circa 1960 et Dessin de Guillaume en Égypte, Chris Marker © Succession Chris Marker/Fonds Chris Marker-Collection Cinémathèque française
CINEMATHEQUE.FR
En coproduction avec
Dans le cadre du 50è anniversaire de Mai 68
Grands mécènes de La Cinémathèque française Avec le soutien de
En partenariat média avec
Amis de La Cinémathèque française
En partenariat avec
SPECTACLES
TRAGÉDIES ROMAINES — : d’Ivo van Hove du 29 juin au 5 juillet au Théâtre national de Chaillot (5 h 45) © D. R.
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Shakespeare
à l’ONU : voici en deux mots la promesse de Tragédies romaines d’Ivo van Hove. Joué pour la première fois en 2007, le marathon élisabéthain de 5 h 45 du grand maître du théâtre contemporain flamand fait escale à Paris, avant que ce dernier ne file vers le Festival d’Avignon où il crée sa nouvelle pièce, inspirée de Louis Couperus, Les choses qui passent. Sur le plateau de Chaillot, tout est sombre : les canapés, les pupitres, les costumes luisants et les tristes mines de ces hommes et femmes venus des quatre coins du globe. La doucereuse lumière orangée qui baigne les acteurs n’y changera rien, elle éclaire leurs vices plus que leurs visages. C’est là, dans un décor à mi-chemin de l’open space anonyme d’une multinationale et de la salle de conférences, que vous êtes conviés à assister – ou à participer, en montant à votre tour sur scène – au grand théâtre de la politique. Les histoires convoquées par Ivo van Hove viennent du fond des âges, puisées à la source romaine et réécrites par Shakespeare sous la forme de trois tragédies : Antoine et Cléopâtre, Coriolan et Jules César. Mais il s’agit moins ici de les actualiser que de montrer ce qu’elles ont d’éternel. Mixant théâtre et création vidéo en direct, le metteur en scène glisse dans les coulisses du pouvoir pour mettre à nu les stratagèmes machiavéliens pour y accéder, la tentation de la violence ou les impossibles concessions à accepter pour s’y maintenir. Et la chute, souvent inévitable. • AÏNHOA JEAN-CALMETTES
Mixant théâtre et vidéo, le metteur en scène glisse dans les coulisses du pouvoir.
ILIADE
CONFÉRENCE DE CHOSES
En 2016, le Théâtre Paris-Villette a lancé Vis-à-vis, un festival de création en milieu carcéral. L’idée : accueillir des ateliers et projets artistiques, pensés pour et joués en prison. C’est là qu’est né Iliade de Luca Giacomoni, d’abord autour d’un seul chant de l’épopée d’Homère, et désormais de dix, incarnés à travers les voix et les corps de comédiens professionnels, d’anciens détenus devenus comédiens, et d’hommes et de femmes encore enfermés. • A. J.-C.
Membres de la 2b company – inégalable dans le comique de l’absurde –, François Gremaud et Pierre Mifsud ont imaginé sept conférences sur des sujets bien bizarres, mais très sérieux. Prenant comme point de départ la comète de Halley ou les bonbons Haribo, ils vous emmènent, d’une digression à l’autre, dans un voyage, aussi maîtrisé qu’improbable, à travers le savoir. Une encyclopédie vivante, ça peut aussi être drôle. • A. J.-C.
: de Luca Giacomoni, jusqu’au 16 juin au Théâtre Paris-Villette (1 h)
: de François Gremaud et Pierre Mifsud du 20 au 24 juin au Nouveau Théâtre de Montreuil (1 h)
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RESTOS
UN PIANO POUR DEUX
VIRTUS Le lieu est chargé d’histoire. Il abrita la Gazzetta du chef suédois Petter Nilsson, pionnier de la nouvelle scène gastronomique parisienne, au milieu des années 2000. Simone Tondo y fit escale avant de reprendre récemment Racines, avec brio. Depuis fin 2017, place à Chiho Kanzaki et Marcelo di Giacomo, à l’enseigne de Virtus (« la vertu »), du nom de leur ancien repaire de la rue Crozatier. Elle est japonaise, il est argentin. Elle est fille de boucher, il a commencé tard, par la pâtisserie. Ils ont été formés ensemble à l’école de Mauro Colagreco (Mirazur, deux étoiles, à Menton, quatrième meilleur restaurant du monde). Ils ont la timidité et la discrétion en partage. Mais ils possèdent par-dessus tout des talents sans ego qui, mis en commun, leur permettent de composer des assiettes singulières. Il faut goûter pour s’en convaincre l’huître, crème d’échalote et granité citron. Mais aussi les asperges vertes rôties (en saison), sauce à l’orange et poivre sancho. Et encore le lieu jaune de ligne et ragoût de coquillages. Ou, enfin, le canard de Challans, manioc et persil. Perfection des cuissons et des assaisonnements, le voyage se passe en douceur, dans un décor de brocante chic et autour d’un grand bar. Dans les verres coulent de sains breuvages sélectionnés par la surdouée argentine Paz Levinson, meilleure sommelière des Amériques 2015. Et si vous ne devez pousser la porte que pour une chose : le pain de partage comme une brioche, servi chaud en début de repas. Votre nouvelle madeleine de Proust ! Formule midi : 19 € (plat du jour, fromage). Menu : 59,50 €. • STÉPHANE MÉJANÈS
: 29, rue de Cotte, Paris XIIe
SAUVAGE
MOKONUTS
Ils ont trouvé leur rythme de croisière, Moko Hirayama et Omar Koreitem, en couple (nippo-libanais) à la ville comme en cuisine. Leur cantine de poche est prise d’assaut, et pour cause. Labné au zaatar ou belle volaille et purée légère, tout fait ventre. En particulier, les cookies dinguissimes de Moko, olive-chocolat ou citron confit-fenouil. Carte : environ 30 €. • S. M.
On a vanté le Sauvage du numéro 60 ; on loue l’annexe ouverte en face, plus grande, installée dans l’antédiluvienne La Marlotte. Sébastien Leroy, le boss, et Jonathan Schweitzer se relayent aux fourneaux pour des plats qui font toujours mouche, cœurs de canards, ail des ours et radis, ou saumon, bergamote et carotte. Vins natures en prime. Carte : environ 40 €. • S. M.
: 55, rue du Cherche-Midi, Paris VIe
: 5, rue Saint-Bernard, Paris XIe
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© THOMAS DUVAL
Les couples chef (ou cheffe) et directeur (ou directrice de salle), on connaît : c’est le modèle de nombreux restaurants. Se partager les poêles et les casseroles, à égalité, c’est plus rare. Chez Virtus, Sauvage ou Mokonuts, le défi est relevé. Ego ma non troppo.
CONCERTS
13 BLOCK — : le 27 juin à La Machine du Moulin Rouge • « Triple S » (Elektra)
© SARAH SCHLUMBERGER
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Et
si DeTess, OldPee, Zefor et Zed formaient le meilleur groupe de rap français en activité ? Le 13 Block ne vient pas de Marseille, contrairement à ce que son nom laisse supposer, mais du 9-3. De Sevran, pour être précis. Classée en tête des villes les plus pauvres du pays, elle est devenue l’épicentre de la trap hexagonale depuis qu’un certain Kaaris a fait trembler les murs du rap game avec Or noir en 2013. En invitant 13 Block sur un morceau deux ans après, il a offert un coup de projecteur au quatuor, qui a enchaîné depuis les projets abrasifs (Violence urbaine émeutes ; la mixtape Ultrap en 2016), avant de signer en maison de disques. Sur son dernier opus en date, Triple S, le groupe affirme son esthétique rugueuse avec brio : la sueur, la soif et les sous, sainte trinité de la bicrave en bas des tours HLM. Ça pourrait être banal, ressembler à n’importe quelles rimes livrées au kilomètre par un des wannabe Escobar squattant les plates-formes de streaming, mais les quatre MC ont une manière bien à eux de narrer la vie de petit dealer. Soit un jargon technique et imagé, pas forcément compréhensible au premier abord pour le novice, mais riche, documentaire, mitraillé à différentes fréquences par les rappeurs dont les voix, complémentaires, s’imbriquent avec fluidité et un beau sens du gimmick dans des atmosphères tendues et noctambules imaginées par Ikaz Boi (le producteur qui monte, également prisé par Damso, Travis Scott et Quavo). Le braquage est imparable. • ÉRIC VERNAY
Le groupe affirme son esthétique rugueuse avec brio.
OWLLE
Blonde attitude et mue pop maîtrisée pour la Française, qui troque les sonorités lissées de ses débuts (France et son tube « Ticky Ticky », 2014) et nous revient mi-Kate Bush mi-Katy Perry. C’est à Los Angeles, avec la complicité de Dan Levy, moitié de The Dø, qu’elle a peaufiné Heavy Weather, nouvel album plus noir, plus dense, à paraître cet été, dont le EP Summer Crisis offre un avant-goût catchy. « Ready to shine », dit-elle – trois fois oui. • E. Z .
Hot line-up pour la 4 e édition du festival qui célèbre la culture afro : la nouvelle élue de la soul anglaise Mahalia, la spirituelle Nneka, le crooner nu-soul D’Angelo, Trombone Shorty et son supafunkrock, l’« Electric Blue Witch Hop » de la fantasque Estère, l’electro-soul déchirante de Nakhane, ou encore la première date française du star boy de l’afropop Wizkid et de SZA, pépite R&B et protégée de Kendrick Lamar. Hot, on vous dit. • E. Z .
: le 14 juin au Badaboum
AFROPUNK FEST
: les 14 et 15 juillet à la Grande Halle de la Villette
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CIRQUE PLUME La dernière saison « Avec La dernière saison le Cirque Plume envoie un message ultime de bonheur. » Le Monde.fr
26.09
30.12.2018
01 40 03 75 75 · lavillette.com · #LaDerniereSaison
RÉALITÉ VIRTUELLE
KINOSCOPE VOYAGE CINÉPHILE
— : « Kinoscope. Un voyage en cinéma et en réalité virtuelle » (Novelab / Ex Nihilo / la Cinémathèque française) dès 6 ans
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« Il
y a longtemps, très longtemps, j’ai grandi dans l’atelier d’un magicien, à Paris. C’était un homme extraordinaire, un homme à l’esprit malicieux. Son désir d’émerveiller la vie était si fort qu’un jour il m’a offert la lune. » Cet homme, c’est Georges Méliès, pionnier du cinématographe et auteur, grâce à ses dons de mise en scène proches de la prestidigitation, d’un inoubliable Voyage dans la lune en 1902. Mais qui nous parle ? Le cinéma lui-même. Personnifié par le biais de la voix gourmande de Philippe A. Collin, qui coréalise ce film avec Clément Léotard, le vieillard de 123 ans égrène ses souvenirs à 360 degrés avec une pointe de nostalgie. Orphelin de Méliès mais recueilli par le vagabond Charlot, il passe par toutes les émotions, apprenant à rire avec Buster Keaton et Harold Lloyd, à frémir (de bonheur) avec les monstres Frankenstein et Nosferatu, puis à devenir adulte en sillonnant les grands espaces américains du western ou la psyché déréglée des héros d’Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick, Martin Scorsese, Federico Fellini ou Jean-Luc Godard sans jamais perdre son âme d’enfant. Présenté à la Cinémathèque en 2017, ce carrousel en VR se veut ludique et accessible à tous. Les images défilent en un théâtre d’ombres tourbillonnant. Les plus jeunes seront ravis par le soin minimaliste des animations de The Big Lebowski ou de Kill Bill, tandis que leurs aînés, plus cinéphiles, s’amuseront à reconnaître les dizaines de classiques de ce ludique flash-back. • ÉRIC VERNAY
Mais qui nous parle ? Le cinéma lui-même.
TILT BRUSH
DESSIN 3D
Vous vous sentez une âme de peintre et de sculpteur ? Tilt Brush combine parfaitement ces deux activités en offrant une expérience VR hyper intuitive, aussi bien accessible aux Léonard de Vinci en herbe qu’aux plus confirmés. Dans votre main droite, un pinceau virtuel ; dans la gauche, une palette fournie en couleurs et effets variés, allant de la fumée aux néons disco. Dès lors tout est possible, y compris capturer vos œuvres 3D en GIF. • É. V.
: (Google), dès 6 ans
MICRO GIANTS
INSECTES À LA LOUPE
Imaginez Microcosmos, mais version série B. Avec un montage plus sec, un humour plus sexe, un peu d’hémoglobine et une liberté de mouvement totale permise par l’animation en 3D. Réalisé en Chine, ce safari immersif et fictif au pays des insectes évoque plus un trip sous acide qu’un docu animalier. On en comprend mal les ressorts scientifiques, mais c’est rythmé, fun et très spectaculaire. Moins pédago que franchement déglingo : go ! • É. V.
: (Digital Domain),dès 6 ans
PROGRAMMES À DÉCOUVRIR À L’ESPACE VR DU mk2 BIBLIOTHÈQUE INFOS ET RÉSERVATIONS SUR MK2VR.COM
3E ÉDITION DU 2 JUILLET AU 26 AOÛT 2018 AVEC LE SOUTIEN DE BNP PARIBAS
AU COUVENT SAINT-CÉSAIRE IMPASSE DE MOURGUES, ARLES
WWW.VRARLESFESTIVAL.COM #VRARLESFESTIVAL
ET À LA GALERIE ARENA DE L’ENSP, 16, RUE DES ARÈNES, ARLES
PLANS COUL’ À GAGNER
MUSÉE NISSIM DE CAMONDO ARTS DÉCORATIFS
© LASZLO HORVATH
— : Ouvert du mercredi au dimanche de 10 h à 17 h
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Bureau
À
des plus belles périodes de l’histoire des arts décoratifs, lorsque Paris était le centre européen du négoce d’art. De la cour d’entrée aux salons de réception, tableaux, lustres, commodes en tout genre témoignent de la volonté du comte de reproduire l’esthétisme de l’époque. La symétrie est partout, tout comme la porcelaine et les toiles de maîtres. Les fenêtres donnent sur un jardin discret et, plus loin, sur les flâneurs du parc Monceau. Point d’orgue de cette visite : un petit boudoir au tapis bleu, jalonné de peintures à la gloire de Paris. • GUILLAUME LAGUINIER
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sa disparition en 1935, le comte Moïse de Camondo, banquier et collectionneur d’art français, légua sa collection et l’hôtel particulier qui l’abritait aux Arts décoratifs pour devenir le musée Nissim de Camondo – du nom de son fils mort pendant la Première Guerre mondiale. Pénétrer aujourd’hui dans ce bâtiment du VIIIe arrondissement construit dans les années 1910, c’est découvrir un impressionnant ensemble de mobilier et d’objets d’art du xviiie siècle français (du style Transition au style Louis XVI), l’une
JAMES NACHTWEY
EXPOSITION
En près de deux cents images, cette rétrospective célèbre le photojournaliste américain qui arpente depuis quarante ans les zones de conflits. Jeunes miliciens cisjordaniens, tireur d’élite bosniaque ou victimes de la famine au Darfour, ses clichés offrent une réflexion pleine de compassion sur la cruauté de la guerre. • G. L.
: « Memoria. Photographies de James Nachtwey », jusqu’au Territoires palestiniens occupés, Cisjordanie, 2000
29 juillet à la Maison européenne de la photographie
TINTORET
EXPOSITION
Le parcours retrace l’ascension fulgurante du peintre Tintoret au xvie siècle. Par ses compositions audacieuses (Labyrinthe de l’amour) ou par ses toiles plus classiques dans lesquelles le mythe et la religion se croisent, il s’attelle à l’expérimentation artistique, dans une Venise où la concurrence fait rage. • G. L .
: « Tintoret. Naissance d’un génie »,
jusqu’au 1er juillet au musée du Luxembourg
RETOUR SUR ALDÉBARAN
BANDE DESSINÉE
Leo poursuit sa série BD de science-fiction culte Les Mondes d’Aldébaran. De retour sur la planète colonisée, l’héroïne, Kim, devenue l’émissaire d’un peuple extraterrestre, prend la tête d’un groupe de scientifiques pour enquêter sur un étrange cube en pleine forêt, façon monolithe de Kubrick. • G. L .
Retour sur Aldéraban
: de Leo (Dargaud)
© JAMES NACHTWEY ; D. R. ; DARGAUD
Tintoret, Judith et Holopherne, 1579
SUR TROISCOULEURS.FR/PLANSCOUL
SONS
DIRTY PROJECTORS — : « Lamp Lit Prose » (Domino) Sortie le 13 juillet
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© PC JASON ROTHENBERG
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On
avait laissé Dirty Projectors en 2017 sur un album du même nom et solitaire dans lequel Dave Longstreth réglait ses comptes avec la chanteuse Amber Coffman, après leur séparation, par des compositions sombres, fragmentées, quasi expérimentales. Les beats R&B et l’Auto-Tune y remplaçaient, pas toujours pour le meilleur, les guitares virtuoses, les chœurs angéliques et les gracieuses mélodies de ses précédents disques. Un an plus tard, le voilà de nouveau avec un groupe réuni autour de sa personne, pour un retour manifeste au plaisir de jouer, de chanter, sur ce Lamp Lit Prose le montrant comme revenu à la vie, appréciant avec simplicité le monde qui l’entoure, l’exprimant avec spontanéité et délicatesse. « On retrouve beaucoup de choses de mon album Dirty Projectors sur Lamp Lit Prose, explique Dave, et que l’on trouvait déjà sur The Getty Address, en 2005 : des compositions sous forme de collage, avec de nombreuses strates sonores et une utilisation hyperréaliste de l’espace, de la stéréo. Mais ces nouvelles chansons ont un
SI TON ALBUM ÉTAIT UN FILM ? « Je ne sais pas vraiment, mais le dernier film que j’ai vu et adoré, c’est The Phantom Thread de Paul Thomas Anderson. Je crois que beaucoup de gens créatifs peuvent se reconnaître dans le personnage de Reynolds Woodcock,
feeling plus collectif, elles ne sont pas saturées par la solitude et la tristesse. En ces temps sombres et déprimants, je trouve important de se reconnecter avec ce en quoi nous croyons, ce qui nous donne de l’espoir, de l’optimisme, de la joie. » Sur Lamp Lit Prose, la primeur donnée au groupe et aux instruments acoustiques – ou électriques – va ainsi de pair avec un discours célébrant l’authenticité, la nature, la respiration de la musique (« I Feel Energy »), jusqu’au chant des oiseaux (« Blue Bird »). Des césures qui coupent les mots en deux, entre ellipses et cryptage, aux guitares en stéréo qui semblent vouloir illustrer les paroles, cette pop baroque et virtuose, presque jazz (« I Wanna Feel it All »), ressemble ici à une langue totale, volatile et imaginative, dont la fonction serait d’enrichir le réel. « Oui, j’aime quand la musique et les mots interagissent dans une vertigineuse variété de sens, de mouvements, de chemins. Pour moi, c’est ça le songwriting : ce frottement entre les mots et la musique, entre le sens et les émotions. » Et de sens autant que d’émotions, Lamp Lit Prose irradie. • WILFRIED PARIS
joué Daniel Day Lewis, ce type complètement absorbé par son travail, son art. En le confrontant à une femme qui se positionne comme son égal, Anderson le fait grandir jusqu’à ce qu’il reconnaisse l’importance des autres autour de lui et parvienne ainsi à une rédemption. » DAVE LONGSTRETH
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BEN HOWARD
‘NOONDAY DREAM’ UN 3E ALBUM SOMPTUEUX, AMBITIEUX ET LIBRE
ONEOHTRIX POINT NEVER
NOONDAY DREAM
: « Age of » (Warp)
Daniel Lopatin upgrade l’EDM d’Aphex Twin en une sorte d’illustration musicale du transhumanisme. Kotos traditionnels mutant en clavecins baroques, dégoulinant en glissandos synthétiques, virant musique klezmer aux accents grotesques, cet Age of accélérationniste passe de l’Auto-Tune aux plages ambient eighties comme un fantôme jouant à saute-mouton dans une machine. • WILFRIED PARIS
HALO MAUD
: « Je suis une île » (Heavenly)
Entre solitude et singularité, Halo Maud se présente comme une île (« il » au féminin ?), mariant les genres (rock baroque, dream-pop, ballades à mille temps) et les meilleurs musiciens hexagonaux : Olivier Marguerit (O), Moodoïd, Ricky Hollywood, Benjamin Glibert (Aquaserge). Évoquant Blonde Redhead ou Björk, la voix haute et magnétique de Maud se retrouve sur le label londonien de Baxter Dury et de Temples, insulaire et prophétesse, donc. • W. P.
MOODOÏD
: « Cité Champagne » (Because)
Après Le Monde Möö (2014), premier trip psychédélique sur une planète molle surréaliste, Pablo Padovani s’est construit une Cité Champagne aussi urbaine qu’évanescente, gorgée de groove et de sensualité. Marqué par les années 1980, du funk (Prince, Zapp) au disco (Patrick Juvet, Lindstrom), le jeune chanteur androgyne et ses musiciens virtuoses marient froideur synthétique et chaleur du dancefloor, romance et venin. • W. P. ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT
NOUVEL ALBUM
11/06 - PARIS COMPLET SALLE PLEYEL
03/07 - LYON LES NUITS DE FOURVIÈRE
05/12 - PARIS ZÉNITH
WWW.BENHOWARDMUSIC.CO.UK
SÉRIES
THREE GIRLS — : Intégrale sur Arte le 14 juin
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Basée
sur un fait divers terrible, cette minisérie de la BBC a créé l’événement outre-Manche en donnant la parole aux victimes d’un réseau de prostitution pédophile. L’affaire se déroule à la fin des années 2000 dans la banlieue de Manchester. Holly, Amber et Ruby, âgées de 13 à 15 ans, tombent sous la coupe d’un groupe d’hommes qui les violent et les contraignent à vendre leur corps. Les faits parlent d’eux-mêmes – ils ont été largement détaillés dans les médias depuis. Et pourtant, à l’époque, à l’exception d’une employée des services sociaux isolée, personne ne se donna la peine d’écouter les malheureuses. Surtout pas la police, qui mit des années à prendre la mesure d’une affaire impliquant près de cinquante victimes. Mais Three Girls n’oublie pas de pointer les graves
REVOIS
manquements du système judiciaire à l’égard de certaines victimes, considérées trop ceci ou pas assez cela pour être présentées au jury. Car ce sont surtout les préjugés – à tous les stades de l’enquête – à l’encontre de ces gamines, toutes pauvres et fragiles, que la série dénonce. Il y a beaucoup de colère dans le propos de la scénariste Nicole Taylor et de la réalisatrice Philippa Lowthorpe, mais aussi beaucoup de sensibilité. À leurs trois héroïnes, incarnées par des actrices éblouissantes, ce qu’elles ont surtout à exprimer, ce sont de profonds regrets. Huit millions de Britanniques se sont massés trois soirs d’affilée devant leur écran lors de la diffusion en prime time sur le service public, pour se joindre à elles dans une poignante séance d’excuses nationales informelles. Du jamais vu. • GRÉGORY LEDERGUE
VOIS
PRÉVOIS
THE TERROR
TRUST
EDEN
Drame en costumes et horreur font décidément bon ménage. Après le gothique londonien de Penny Dreadful, The Terror situe son action dans l’Arctique à bord de navires de la Couronne pris dans les glaces en 1845. Casting trois étoiles, phénomènes surnaturels et craquements de la banquise confèrent à ce The Thing victorien un charme diabolique. • G. L .
Les sagas successorales inspirées du Roi Lear sont un genre en soi à la télé (voir aussi la bien nommée Succession sur OCS). Trust a pour elle de se baser sur le destin fou des Getty, magnats du pétrole dont le jeune héritier fut enlevé en 1973. Simon Beaufoy (Slumdog Millionaire) force un peu le trait, mais la composition de Donald Sutherland en patriarche mérite à elle seule le détour. • G. L .
Fruit d’une collaboration entre les pôles français et allemand d’Arte, cette série en tournage abordera les vagues migratoires que connaît l’Europe. Sous la caméra de Dominik Moll, elle le fera par le prisme de vacanciers français (dont, notamment, Sylvie Testud) et allemands dont le quotidien est bouleversé par l’arrivée d’un canot de migrants sur une plage grecque. • G. L .
: Saison 1 sur Amazon Prime Video
: Saison 1 sur Canal+
100
: Prochainement
Photo : Love & Mercy © ARP sélection
CINÉ ! POP ! WIZZ ! — — — EN 68 FILMS
6 JUIN 6 JUILLET 2018
Forum des Halles forumdesimages.fr
JEUX VIDÉO
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GOD OF WAR
Jusque-là
— : PS4 (Sony) —
centrée sur la mythologie grecque, la saga migre vers le Nord sans rien perdre de sa fureur. Kratos a bien vieilli. Reclus aux confins d’une province nordique avec sa nouvelle famille, le demi-dieu se tient désormais à l’écart des guerres contre les dieux de l’Olympe qu’il menait autrefois. Jusqu’au jour où, après la mort de sa femme, il décide d’emmener son fils Atreus à Jotunheim, royaume mystique dont elle était originaire, pour y déposer ses cendres. Un voyage évidemment semé d’embûches au cours duquel nos héros vont croiser moult monstruosités qu’ils devront taillader en pièces, mais qui va vite se doubler en récit d’apprentissage familial où père et fils vont d’abord devoir s’apprivoiser avant de s’épauler l’un l’autre. On pensait connaître
God of War comme une saga (ego)centrée sur l’action débridée et le culte, un brin régressif, de la virilité barbare de son héros. Ce nouveau décorum mythologique vient contredire cette limite. Kratos n’a rien perdu de sa fureur de vaincre, et God of War reste l’un des spectacles les plus sidérants de cette année, mais son action est vite rattrapée par une mélancolie introspective à mesure que nos deux héros apprennent à se connaître. Hanté par ses vieux démons, Kratos gagne chaque fois plus en épaisseur au contact de ce fils qu’il s’efforce d’éduquer avec le peu d’humanité qu’il lui reste. God of War a beau être ce blockbuster débordant de combats et d’adrénaline, il cache une des paraboles filiales les plus matures du jeu vidéo moderne. Et ça, personne ne l’avait vu venir. • YANN FRANÇOIS
LASER LEAGUE
BATTLETECH
Deux équipes s’affrontent au cœur d’arènes peuplées de lasers mobiles. La victoire reviendra à celle qui courra le plus vite et saura le mieux maîtriser son environnement… Taillé pour le multijoueur entre potes, Laser League promet des sommets de transe collective. • Y. F.
Des robots géants qui s’affrontent à coups de missiles téléguidés et de bourre-pifs de plusieurs tonnes, que demander de plus ? Adaptation fidèle d’un jeu de plateau des plus réputés, BattleTech s’adresse certes à un public d’initiés, mais excelle en son genre. • Y. F.
: 505 Games (PC, PS4, One)
: Paradox Interactive (PC)
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PILLARS OF ETERNITY II. DEADFIRE Le jeu de rôle à l’ancienne peut réserver des aventures à la fraîcheur épatante. Dernier exemple en date, cette suite, bien meilleure que l’opus d’origine, qui nous met à la tête d’un équipage pirate dans un univers haut en couleur. Classique mais costaud. • Y. F.
: Versus Evil (PC)
INDÉ À JOUER Manette dans une main, carnet de notes dans l’autre, notre chroniqueur teste chaque mois une sélection de jeux indés.
Le monde court à sa perte : ce n’est pas moi qui le dis, mais les jeux de ce mois-ci. Alors que je pars en vacances avec mon fils dans The Forest (Endnight Games | PC), mon avion s’écrase dans une forêt oubliée des cartographes. Après m’être réveillé, seul au milieu d’une carlingue éventrée, je ramasse le minimum vital avant de partir à la recherche de ma progéniture. Quand, soudain, le choc : je viens de fouler le territoire d’une tribu de cannibales, et ceux-ci voient en moi leur prochain repas. Je crois trouver le salut en sautant dans un drakkar viking avec Dead in Vinland (CCCP | PC, Mac). Pas de bol : mon esquif se fracasse sur les rochers d’une île perdue en mer du Nord. Je missionne les quelques rescapés pour construire un abri et tente, à la nuit tombée, de maintenir au plus haut le moral de mes troupes malgré l’adversité. Après deux fractures mortelles et une crise de dysenterie collective, je jette l’éponge et m’engouffre dans Frostpunk (11 bit studios | PC). Alors qu’un blizzard apocalyptique souffle sur le monde, je dois aider un groupe de survivants, réfugiés au milieu d’un cratère géant, à tenir face au froid. Regroupés autour d’un grand fourneau qu’il faut sans cesse alimenter, ceux-ci bravent la neige et les engelures pour reconstruire un semblant de civilisation. Alors que tout semble foutu, l’entraide et la cohésion sont les dernières ressources qui me restent. Le monde s’écroule, mais la vie, elle, trouve toujours un chemin. • YANN FRANÇOIS ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT
LIVRES
LE VOLEUR D’ORCHIDÉES « Elles
sont chaudes et humides quand on les utilise, sous la domination de Vénus, et elles provoquent une violente lubricité. » Elles, ce sont les orchidées. C’est ce qu’affirmait en 1653 le British Herbal Guide, et c’est peut-être ce qui explique la passion que leur vouent certains amateurs, jusqu’au délire. Les plus toqués, pour dégoter un spécimen rare, n’hésitent pas à parcourir des milliers de kilomètres en avion, à traverser des marais puants, voire à combattre des alligators. C’est simple, explique la journaliste Susan Orlean, auteure d’une immersion de plusieurs mois dans la communauté américaine des fans d’orchidées, « j’avais l’impression de rencontrer de plus en plus de gens qui ne paraissaient absolument pas appartenir à notre époque ». Vous avez peut-être entendu parler de son livre, Le Voleur d’orchidées : Spike Jonze s’en est inspiré en 2003 pour Adaptation, drôle de film mise en abyme qui raconte, comme l’indique le titre… l’adaptation du texte, par un scénariste qu’incarne Nicolas Cage. Que vous l’ayez vu ou non, il faut vous (re)plonger dans le livre, réédité aujourd’hui dans une nouvelle traduction. C’est en effet une perle de journalisme littéraire, une non-fiction rythmée comme un polar, basée sur un fait divers survenu dans les marécages de Floride : un collectionneur maniaque, John Laroche (Chris Cooper, dans le film de Jonze), y a volé des orchidées rares valant des millions de dollars. Partie de là, Orlean se lance dans un tour du monde de la folie botanique et rencontre des personnages ahurissants, arnaqueurs,
aventuriers, poètes ou affairistes, tous fondus de plantes en général, et d’orchidées en particulier. Stupéfaite et charmée, l’auteure ne peut se cacher d’une forme de sympathie à leur égard, ne serait-ce que parce que leur opiniâtreté industrieuse et leur amour de la nature reflètent, au fond, les valeurs de l’Amérique éternelle… En plus d’être une enquête édifiante, Le Voleur d’orchidées est aussi un véritable récit d’aventures,
OFF
Susan Orlean se lance dans un tour du monde de la folie botanique. avec quelques moments chauds comme les visites aux marais du Fakahatchee où, parmi les moustiques, les orchidées les plus somptueuses attendent l’explorateur courageux. Bref, sur la plage ou sous la serre, en ce début d’été, dites-le avec des fleurs. • BERNARD QUIRINY
— : de Susan Orlean Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sylvie Schneiter (Éditions du Sous-Sol, 300 p.)
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LES PAS PERDUS
UNE SACRÉE SALADE
LES GÉANTS
Une collection d’histoires fantastiques, absurdes ou merveilleuses, à mi-chemin entre l’humour noir de Marcel Aymé et l’inventivité rêveuse de Julio Cortázar. Notez le nom de ce Belge tout juste quinqua, on devrait réentendre parler de lui. • B. Q.
Dans un commissariat, un flic cuisine une jeune fille. Son but ? Lui faire avouer qu’elle a avorté. Nous sommes au début des années 1950… Réédition d’un roman noir sur fond de critique sociale signé Cécil Saint-Laurent, pseudo du hussard Jacques Laurent. • B. Q.
Un narrateur loufoque nous dit tout sur les géants, sortes de brutes XXL disparues depuis quelques siècles, façon traité d’histoire naturelle… Une fantaisie à la Italo Calvino, par un membre éminent de l’Oulipo transalpin. • B. Q.
(Le Tripode, 140 p.)
(La Table Ronde, 168 p.)
(Le Nouvel Attila, 350 p.)
: d’Étienne Verhasselt
: de Jacques Laurent
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: d’Ermanno Cavazzoni
BD
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AVEC ÉDOUARD LUNTZ
— : « Avec Édouard Luntz. Le cinéaste des âmes inquiètes » de Julien Frey et Nadar (Futuropolis, 184 p.)
C’est
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l’histoire d’un rendez-vous manqué. Tu es jeune et inculte et tu aimes le cinéma. Tu as même écrit un court métrage. Tu cherches un producteur. Un vieux loufoque semble intéressé. Il te dit qu’il a lui aussi fait des films quand il était jeune et qu’il aurait même eu pour producteur Darryl F. Zanuck, nabab de Hollywood contre lequel il aurait gagné un procès… Tu fuis ce vieux fou. Des années plus tard, alors qu’il est mort, tu te rends compte que c’était en fait un des cinéastes français les plus prometteurs des années 1960 ! Pris de remords, tu cherches à découvrir son œuvre. Le problème, c’est que les quelques films qu’il a réalisés s’avèrent introuvables. Reportage sur la filmographie d’Édouard Luntz, cette bande dessinée autobiographique est d’autant plus passionnante que le sujet ne cesse de se dérober… Des salles secrètes de l’université de Censier jusqu’au Brésil et aux États-Unis à la recherche de bobines perdues et de témoins, l’auteur finira-t-il par voir toutes les œuvres de cet artiste indépendant qui fit tourner Maurice Ronet, Michel Bouquet et Jeanne Moreau et mourut dans l’oubli ? • VLADIMIR LECOINTRE 105
mk2 SUR SON 31 JEUDI 14 JUIN LA SORBONNE NOUVELLE FAIT SON CINÉMA « Jeux vidéo / cinéma : perspectives théoriques », par Alexis Blanchet, maître de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles.
: mk2 Bastille (côté Fg St Antoine) à 12 h 30
ARCHITECTURE ET DESIGN « Les nouvelles cathédrales : l’architecture des musées. »
: mk2 Bibliothèque à 20 h
à 20 h
MARDI 19 JUIN UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « David Lynch : l’homme qui aimait le bizarre. » Conférence suivie de la projection d’Eraserhead.
: mk2 Odéon (côté St Michel)
CYCLE JUNIOR Pour les enfants à partir de 6 ans : Bambi.
: mk2 Beaubourg
: mk2 Gambetta,
à 20 h
mk2 Bibliothèque
SAMEDI 16 JUIN L’ART CONTEMPORAIN « Delhi, rêve et réalité. »
et mk2 Quai de Loire Les samedis et dimanches à 10 h 20 ou 10 h 30
JEUDI 21 JUIN
: mk2 Bastille (côté Beaumarchais) à 11 h
NOS ATELIERS PHOTO ET VIDÉO « La street photo. » Découvrez les applis incontournables pour pratiquer la street photo, apprenez à choisir cadrages et angles permettant de raconter des histoires en images, redressez les perspectives, effacez les détails gênants, ajustez ombres et tons clairs.
LUNDI 25 JUIN LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Qu’est-ce qu’être audacieux ? »
: mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30
: mk2 Quai de Loire
DU 20 JUIN AU 3 JUIL.
UNE HISTOIRE DE L’ART « L’école du Bauhaus. »
à 19 h 30
RENDEZ-VOUS DES DOCS « Les années folles. » Projection de Polissons et Galipettes de Michel Reilhac, suivie d’un débat avec celui-ci.
à 20 h
(entrée BnF)
: mk2 Bibliothèque
LUNDI 18 JUIN
ARCHITECTURE ET DESIGN « Les enjeux écologiques. »
: mk2 Bibliothèque
MARDI 26 JUIN UNE AUTRE HISTOIRE DU CINÉMA « Tim Burton : l’anti-conte de fée. » Conférence suivie de la projection d’Edward aux mains d’argent.
: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h
JEUDI 28 JUIN CINÉ-JAM D’EDGAR SEKLOKA Hommage à la musique noire par le rappeur et écrivain Edgar Sekloka.
: mk2 Quai de Seine à 20 h
SAMEDI 30 JUIN L’ART CONTEMPORAIN « Dubaï, une plateforme au Moyen-Orient. »
: mk2 Bastille (côté Beaumarchais) à 11 h
DU 1ER AU 4 JUIL.
(entrée BnF) à 20 h
LA FÊTE DU CINÉMA Tarif unique : 4 € la séance.
UNE HISTOIRE DE L’ART « La révolution surréaliste. »
: dans toutes les salles mk2
: mk2 Beaubourg à 20 h
SAMEDI 23 JUIN L’ART CONTEMPORAIN « Johannesburg, métropole aux mille visages. »
DU 4 AU 17 JUIL. CYCLE JUNIOR Pour les enfants à partir de 6 ans : Hôtel Transylvanie.
: mk2 Gambetta, mk2 Bibliothèque
: mk2 Bastille
et mk2 Quai de Loire
(côté Beaumarchais)
Les samedis et dimanches
à 11 h
à 10 h 20 ou 10 h 30
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