TROISCOULEURS #190 - Eté 2022

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> no 190 / ÉTÉ 2022 / GRATUIT

Journal cinéphile, défricheur et engagé, par

LA TENTATION DE L’ÎLE De Ruben Östlund à Koh-Lanta, pourquoi les îles nous fascinent ? Exploration avec des cinéastes, des philosophes et des artistes CLAIRE DENIS « Pour faire du cinéma, il faut beaucoup de courage physique » MY CACTUS INC. présente

LE 17 AOÛT AU CINÉMA

DENIS MÉNOCHET L’acteur le plus intimidant du cinéma français s’ouvre à nous

ÉDITO

L’île est partout. Au Festival de Cannes, elle était au cœur de la Palme d’or, Sans filtre de Ruben Östlund, au cinéma début octobre. Le film déploie le thème insulaire dans ses trois chapitres, racontant d’abord le couple comme îlot étouffant, puis une croisière de luxe en perdition au milieu de l’océan, et enfin la survie de quelques rescapés sur une île déserte où les rapports de pouvoir s’inversent. À Cannes encore, Pacifiction. Tourment sur les îles d’Albert Serra, tourné à Tahiti baignée de brumes et de mystères,

SAEED ROUSTAEE « L’Iran vit un effondrement qui abîme les corps et les âmes »

plongeait un homme politique (Benoît Magimel) dans un trip halluciné. Ce printemps, on a aussi vu émerger la série Le Flambeau de Jonathan Cohen, géniale parodie, tournée en Corse, de KohLanta (qui achevait au même moment sa 23e saison, enregistrée aux Philippines). Même le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, apparaissait en octobre dernier, dans la vidéo de présentation de son projet de métavers, devant un paysage virtuel d’île déserte. De Robinson Crusoé à la télé-­réalité, de l’utopie à l’écologie, du fantasme occidental de nouveau monde aux camps de réfugiés, on a donc décidé d’explorer l’île comme un mythe contemporain. On a tenté d’en saisir les contours sans cesse mouvants pour comprendre

ce que cette fascination dit de nous. Notre aventure nous a menés à travers l’histoire du cinéma. Nous avons croisé des cinéastes qui nous ont parlé de leurs îles (Östlund, Serra, Thierry de Peretti, Sébastien Marnier), des philosophes, des chercheurs. « Rêver des îles, avec angoisse ou avec joie, peu importe, c’est rêver qu’on se sépare, qu’on est déjà séparé, loin des continents, qu’on est seul et perdu – ou bien c’est rêver qu’on repart à zéro, qu’on recrée, qu’on recommence » (Gilles Deleuze, L’Île déserte et autres textes). On vous invite au voyage. JULIETTE REITZER


© Final Cut for Real aps, Sun Creature Studio, Vivement Lundi !, Mostfilm, Mer Film, Arte France, Copenhagen Film Fund, Vice Studios, Ryot Films, VPRO, 2021 all rights reserved

Final Cut for Real, Sun Creature et Vivement Lundi ! présentent

UN FILM DE JONAS POHER RASMUSSEN The Danish Animation Society

AU CINÉMA LE 31 AOÛT


EN BREF

Sommaire

P. 4 P. 10 P. 14

ENTRETIEN DU MOIS – CLAIRE DENIS FLASH-BACK – LE PÈRE NOËL EST UNE ORDURE LES NOUVEAUX – JULIE LEDRU & OLIVIER BAYU GANDRILLE

CINÉMA P. 18 P. 30 P. 36 P. 42

PARADISCOPE

COUVERTURE – LA TENTATION DE L’ÎLE INTERVIEW FACE CAMÉRA – DENIS MÉNOCHET HISTOIRES DU CINÉMA – PIER PAOLO PASOLINI LES SORTIES DU 20 JUILLET AU 31 AOÛT

LE GUIDE DES SORTIES PLATEFORMES P. 70 LES 10 SÉRIES DE L’ÉTÉ P. 72 FILM – FAYA DAYI DE JESSICA BESHIR

MK2 INSTITUT RENCONTRE AVEC ALISON BECHDEL 3 QUESTIONS À EILEEN MYLES

CULTURE P. 80 P. 81 P. 86

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été 2022 – no 190

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Né en 1994, l’illustrateur qui signe notre belle couverture sur le thème de l’île crée des mondes pop, aventureux et fantastiques pour J’aime lire, le podcast Culture 2000, ou encore Alternatives économiques. De la BD aux albums jeunesse en passant par la presse, celui qui est aussi le cofondateur de la maison d’édition Chahut (qui imprime de beaux livres en sérigraphie) nous donne un grand désir d’ailleurs et d’îles folles.

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© 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006 Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par mk2 + est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur — Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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Les tests de personnalité cinéphiles fucked up dans TROISCOULEURS ancienne version, c’était elle. Lily Bloom nous représente dans l’émission Le Cercle (sur Canal+). Après des études de ciné et de socio à Paris-VIII, et avant la critique, elle a eu une vie d’actrice et de dramaturge (elle a écrit Les Cadavres hilares, Seguier). Sa verve et son humour brillent de mille feux dans sa nouvelle rubrique pour nous, Sextape.

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ILS ET ELLES ONT PARTICIPÉ

Illustration de couverture : Arthur Junier pour TROISCOULEURS Imprimé en France par SIB imprimerie — 47, bd de la Liane — 62200 Boulogne-sur-Mer TROISCOULEURS est distribué dans le réseau ProPress Conseil ac@propress.fr

SPECTACLE – LE THÉÂTRE IMMERSIF SON – SANTIGOLD LES JEUX DE L’ÉTÉ

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TROISCOULEURS éditeur MK2 + — 55, rue Traversière, Paris XIIe — tél. 01 44 67 30 00 — gratuit directeur de la publication : elisha.karmitz@mk2.com | rédactrice en chef : juliette.reitzer@mk2.com | rédactrice en chef adjointe : time.zoppe@mk2.com | rédacteurs : quentin.grosset@mk2.com, josephine.leroy@mk2. com | directrice artistique : Anna Parraguette | graphiste : Ines Ferhat | secrétaire de rédaction : Vincent Tarrière | renfort correction : Claire Breton | stagiaire : Lucie Leger | ont collaboré à ce numéro : Léa André-Sarreau, Margaux Baralon, Lily Bloom, Nora Bouazzouni, Tristan Brossat, Jules Brussel, Renan Cros, Marilou Duponchel, Julien Dupuy, David Ezan, Yann François, Anaëlle Imbert, Corentin Lê, Damien Leblanc, Belinda Mathieu, Stéphane Méjanès, Thomas Messias, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Raphaëlle Pireyre, Perrine Quennesson, Bernard Quiriny, Cécile Rosevaigue, Raphaëlle Simon, Sarah Yaacoub & Célestin et Alexandre, Anselmo, Gaïa et Jeanne | photographes : Ines Ferhat, Julien Liénard, Marie Rouge | illustratrice : Sun Bai | rédacteurs mk2 institut : Joséphine Dumoulin, Amélie Quentel | publicité | directrice commerciale : stephanie.laroque@mk2.com | cheffe de publicité cinéma et marques : manon.lefeuvre@mk2.com | responsable culture, médias et partenariats : alison. pouzergues@mk2.com | cheffe de projet culture et médias : claire.defrance@mk2.com

STÉ

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Lire ses papiers, pour reprendre un mot truffaldien, c’est « une joie et une souffrance ». Une souffrance, parce qu’on aimerait être à sa place – son métier, c’est dîner dans les meilleurs restos de la ville. Une joie, parce qu’il défend tellement bien la gastronomie ! Journaliste sportif à L’Équipe pendant une trentaine d’années, il écrit délicieusement sur la cuisine depuis 2012 dans Omnivore, Alimentation générale, L’Obs et TROISCOULEURS, donc. Journaliste aux Inrocks et à TROISCOULEURS, elle est une de nos meilleures têtes chercheuses – elle signe ce mois-ci le portrait d’Olivier Bayu Gandrille, qu’elle a bien fait de repérer. Fun fact : tous deux sont passés en stage à la rédac, mais pas en même temps. Ce côté défricheur, elle le cultive en tant que membre du comité de sélection long métrage de la Semaine de la critique. Elle est aussi la coautrice du livre Laurent Cantet. Le sens du collectif (Playlist Society).

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© Philippe Quaisse – Pasco and Co

Cinéma -----> « Avec amour et acharnement »

Année bien dense pour la cinéaste française. Claire Denis sort fin août Avec amour et acharnement, Ours d’argent à Berlin en février, qui plonge Juliette Binoche, Vincent Lindon et Grégoire Colin dans un fiévreux triangle amoureux (lire p. 56). En mai, son dernier film, Des étoiles à midi – dont la date de sortie n’est pas encore connue –, a décroché le Grand Prix à Cannes, alors qu’une partie de sa filmographie est restaurée et ressort en salles et en festivals tout au long de l’année. Infatigable et passionnée, Claire Denis, 76 ans, fait un point d’étape et nous livre sa vision de l’état du monde.

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Vous avez obtenu cette année deux prix majeurs pour vos deux derniers films. Comment vivez-vous cette reconnaissance tardive par la profession ? Il y avait quand même eu le festival de Locarno avec Nénette et Boni en 1996, où l’on avait remporté des prix, mes deux acteurs [Grégoire Colin et Valeria Bruni Tedeschi, ndlr] et moi. Ça m’avait beaucoup comblée. J’ai aussi eu des prix partout pour Beau travail [en 1999, ndlr], mais le film ne pouvait pas être à Cannes, comme il avait été fait pour la télévision. Les prix, c’est évidemment un signal important et, en même temps, c’est ou trop ou pas assez. Ce n’est pas quelque chose qui permet de se mettre en route. Le plus fort, c’est le moment où on se dit que le film va se faire. Même si c’est chargé d’énormément d’angoisse, ça chamboule tout : la vie, la peur, le plaisir. Par exemple, Des étoiles à midi, j’ai attendu longtemps pour le faire. Le premier jour de tournage, j’étais en loques. Pour faire du cinéma, il faut beaucoup de courage physique et d’obstination. Sans ça, le film n’existera pas, ou même n’a même pas besoin d’exister. Il faut avoir ce sentiment de s’être battu avec ses propres forces. Dans Avec amour et acharnement, on sent ce côté très physique. Vous filmez la tension des retrouvailles amoureuses de manière spectaculaire. Comment avez-vous pensé ces scènes ? Dans le livre de Christine Angot [Un tournant de la vie (Flammarion, 2018), dont le film est adapté, ndlr], l’héroïne croise son ex-amant dès le début. J’ai gardé cette

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sensation que ce moment devait arriver très tôt pour que le personnage de Sarah ait le temps de peser le pour et le contre. Car, croiser dans la rue, ce n’est pas retrouver l’amant, c’est se dire « qu’est-ce qu’il fait là, dans mon territoire ? » C’est inquiétant et, en même temps, c’est bouleversant. Et, finalement, c’est obsédant. Ça arrive si tôt dans le film que ça permettait de retarder le moment où elle allait s’approcher de lui, faire ce pas décisif. Elle y va à reculons, au fond. Tant qu’on est à distance, on peut retenir le désir. Vous retrouvez Juliette Binoche après Un beau soleil intérieur (2017) et High Life (2018). Vous la filmez de nouveau de manière très charnelle, érotique. Comment avez-vous réfléchi à la manière de montrer une femme dans la cinquantaine prise dans le feu du désir ? Juliette porte cette sensualité en elle. Je trouve qu’elle a un corps très beau. Le moment où un corps, où un visage, n’a plus de désir, ça se voit. Ce n’est pas une question d’âge. Juliette est tellement puissante, tellement belle – je ne peux pas dire autre­ ment –que je ne vois pas comment elle pourrait ne pas être dans le désir, et que les hommes qui l’entourent ne soient pas aussi dans le désir pour elle. C’est toujours dur d’entendre qu’une femme n’est plus désirable ou désirante. Qu’on me pose souvent la question de l’âge me paraît troublant. Avec les personnages de Grégoire Colin et Vincent Lindon, ils forment un triangle amoureux complexe, romanesque mais

aussi très réaliste. Comment avez-vous travaillé, à l’écriture avec Christine Angot, la dynamique de cette figure vue et revue au cinéma pour ne pas tomber dans les clichés ? Christine est franchement quelqu’un qui n’est pas dans le cliché. Il y a toujours chez elle une telle passion, un tel goût d’absolu… Quand je lis ses livres, je reconnais souvent des choses auxquelles je pense, qui me sont arrivées, que j’ai ressenties. Christine les décrit avec cette quête du mot total. Dans sa recherche, son écriture, il y a cette avancée progressive vers le mot qui va tout dire. Et je crois que, à cause de ça, il n’y a jamais de clichés. Pourtant, on s’est écartées du livre de Christine parce que, dedans, l’homme avec qui elle vit est atteint d’une maladie grave. D’une certaine manière, ça culpabilise l’héroïne qui se dit « je ne peux pas l’abandonner maintenant ». Je ne voulais pas que ce soit un homme malade. Un homme qu’elle a aidé à vivre, ça oui, mais qui est en pleine puissance, de son charme, de son amour pour elle. Ce n’est pas un homme blessé. Beau travail (2000) est ressorti en salles le 15 juin dernier. On peut le voir comme un antifilm de guerre : vous filmez l’attente de légionnaires à Djibouti, l’ennui, les corps masculins, le désir homo refoulé. C’est vrai. À l’époque, en allant voir la Légion étrangère à Djibouti, la guerre d’Irak était finie, je pensais que cette base militaire française – où maintenant il y a des Américains et des Chinois, et qui est devenue internationale – était un reste de la


« Avec amour et acharnement » <----- Cinéma

L’ENTRETIEN DU MOIS

colonie française. Que les légionnaires étaient là pour s’entraîner, réparer les routes, construire des terrains de basket. Ma naïveté… comme aujourd’hui avec l’Ukraine. Quand j’ai appris que Djibouti était en fait une base militaire pour le Moyen-Orient, qu’on allait renvoyer les légionnaires en Afghanistan, j’ai vraiment eu un serrement de cœur. Certains hommes qui rentraient dans la Légion avaient vécu Sarajevo, la guerre des Balkans. Ce sont souvent des hommes qui, de par le territoire dont ils sont originaires, ont une mauvaise jeunesse ; ou bien qui sortent de prison. On leur dit : « Voilà, vous n’avez pas d’autre pays que la Légion. » Pour beaucoup, c’était un refuge. Ça me touchait. Pourquoi dites-vous avoir été naïve sur la guerre en Ukraine ? En général, peut-être, je suis trop naïve. Bien sûr, je lis le journal. J’ai tourné une partie de High Life en Pologne, et je me souviens de ce que les habitants disaient. Mais j’étais plus choquée par le fait que la Pologne ou la Hongrie réduisaient les libertés personnelles – je me souviens des manifs en Pologne pour l’avortement – que par la menace de Vladimir Poutine. Et, ça, c’est de la naïveté, quand même. En fait, il faut se rendre compte que tout va ensemble. Il n’y a qu’à voir ce qui est arrivé aux États-Unis il y a quatre jours [l’arrêt Roe

tout ça a été vain. Certaines femmes préfèrent se retrancher dans une autre vision du monde. Ça me paraît étrange, de condamner des femmes plus faibles, plus fragiles qu’elles économiquement, à être mères sans l’avoir voulu, à être mères seules ou mères adolescentes. Je tremble en vous en parlant. Ça met les femmes encore plus bas. Elles vont en chier, là, c’est sûr. Lorsqu’on vous avait interviewée pendant le premier confinement, vous étiez très en colère contre les hypernationalistes et vous plaidiez pour un moratoire européen sur l’accueil des réfugiés. Où en êtes-vous sur ces questions, après le résultat du RN aux législatives et le délitement de l’Europe avec la guerre en Ukraine ? L’Europe ne se délite pas avec la guerre en Ukraine, je pense que ça peut permettre de réfléchir autrement. Je crois que ce n’est pas le « grand remplacement » qui fait que les gens votent RN, mais qu’ils le font parce qu’ils sont mal et qu’on ne leur parle pas assez. L’afflux d’immigration, c’est quelque chose qu’on ne doit pas subir seuls. L’Europe n’a pas encore assez serré ses liens. J’espère que la guerre en Ukraine, malgré les morts qui s’additionnent, va permettre à l’Europe d’être plus conciliante. Je lisais un journal américain hier qui disait « voilà, Macron a fait le malin avec l’Europe,

« Les femmes vont en chier, là, c’est sûr. » vs Rade garantissant le droit à l’avortement dans tout le pays venait d’être révoqué par la Cour suprême, ndlr]. Au sortir de l’adolescence, je bénéficiais du combat des femmes, du MLF qui avaient lutté pour la pilule et l’avortement. Je pouvais rêver d’avoir une vie de femme à égalité de celles des hommes grâce à ça, même si ce n’était pas vrai au niveau des salaires, du métier, tout ça. Voir que cette chose-là est en train de se fracasser me fait tomber dans un sentiment de désespoir. Ça veut dire que

maintenant il est bien dans la merde ! » La politique intérieure c’est une chose, mais on ne « fait pas le malin » avec l’Europe, on doit être ensemble. Ce journaliste américain – j’avais presque envie de lui écrire – ne comprend pas.

AVEC LA VOIX DE

PHILIPPE KATERINE

toute la tendresse que j’éprouvais pour le Cameroun [où Claire Denis a passé une partie de son enfance, ndlr]… Je me suis souvenu à quel point, quand on fait des films, le temps du projet est complètement différent du temps de la vie. Le cadre, la lumière, les sensations du tournage, les coupes au montage, l’enregistrement de la musique, tout ça imprime des autres faisceaux de mémoire, comme des instantanés. C’est un peu cosmique, l’espace et le temps se rejoignent. C’est exceptionnel. Au cours de la même interview, vous nous aviez parlé d’un mystérieux projet que vous prépariez à Los Angeles avec le chanteur The Weeknd. Où ça en est ? Ça s’est perdu dans le virus : il voulait tourner à Los Angeles alors que je n’avais pas le droit d’y aller. J’y pense souvent ; mais, je ne sais pas, on verra… Par contre, on a restauré aussi S’en fout la mort [son deuxième long métrage, sorti en 1990, ndlr], avec Agnès Godard [sa chef opératrice sur presque tous les films, ndlr] et Pascal Marti [chef opérateur sur S’en fout la mort, ndlr], qui je crois va être au festival de New York à l’automne. C’est ça, la vieillesse… C’est une belle vieillesse, avec vos films restaurés en plus d’en sortir de nouveaux ! Est-ce que, la vieillesse, c’est beau ? Je ne sais pas… En tout cas, quand on se pose aujourd’hui la question des films et des plateformes, je pense qu’il faut voir aussi que la salle de cinéma garde un atout immense. Vraiment immense. Avec amour et acharnement de Claire Denis, Ad Vitam (1 h 56), sortie le 31 août

PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

Vous venez de superviser la restauration de votre premier film, Chocolat (1988), avec mk2 et Eclair. Quels sentiments ça vous a procurés ? Voir son premier film, plan par plan, raccord par raccord, et s’apercevoir de

AU CINÉMA LE 17 AOÛT été 2022 – no 190

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En bref

C T E R V U A F É F A T É U T N U

« Est-ce que l’amour fait mal ? » demande Catherine Deneuve à Jean-Paul Belmondo dans La Sirène du Mississipi. Truffaut filme l’amour fou, tellement intense qu’il met en danger de mort. Dans ce film, un riche industriel continue à aimer une femme, alors même qu’il sait qu’elle l’empoisonne doucement – bizarrement, on retient qu’elle l’aime aussi. Dans L’Histoire d’Adèle H., la fille de Victor Hugo se perd dans la spirale de son obsession amoureuse, jusqu’à sombrer dans la précarité.

Depuis ses débuts, François Truffaut est lié à Paris. Dès lors, on peut voir ses incursions en province (L’Argent de poche à Thiers, L’Enfant sauvage en Aveyron, La Chambre verte à Honfleur…) comme un moyen pour lui d’oxygéner son cinéma. Sa manière de filmer des villes comme Montpellier est antitouristique, sans monument reconnaissable. Pour La Sirène du Mississipi à La Réunion ou L’Histoire d’Adèle H. à Halifax, le fait de se délocaliser permet à Truffaut de mieux saisir la perte de repères de ses héros.

FA F E TA M LE M E S S

TRAITS R O P

EN BREF

François Truffaut. Les années d’or rétrospective, sept films (Carlotta Films), ressortie le 3 août

L’AMOUR À MORT

CARTES POSTALES

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Revisitons, le temps des vacances, les années d’or de François Truffaut. Sept films sortis entre 1968 et 1978 ressortent au cinéma en copies restaurées. Des œuvres reliées par leur ambiguïté et un sens inouï du romanesque.

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Infos graphiques

Juste avant de commencer La mariée était en noir, dans lequel une mariée vengeresse séduit ses proies avant de les achever froidement, Truffaut bouclait son livre d’entretiens avec Hitchcock. Dans la psychologie trouble du personnage fascinant et brisé joué par Jeanne Moreau, on peut voir l’influence du maître britannique. Même ambiguïté dans sa manière de filmer l’usurpatrice d’identité (Catherine Deneuve) de La Sirène du Mississipi, aussi maléfique que grande amoureuse.

SARAH YAACOUB

no 190 – été 2022

« Les enfants sont très solides, ils se cognent contre tout, ils se cognent contre la vie, mais ils ont la grâce. » Ce dialogue de L’Argent de poche, portrait des jeunes habitants de la ville de Thiers, résume bien la façon dont Truffaut filme l’enfance, avec empathie et sans pathos. Délaissé par ses parents et élevé par sa grand-mère, le cinéaste s’identifiait sûrement au jeune garçon de L’Enfant sauvage retrouvé dans une forêt en 1798, qui a grandi sans éducation mais surtout sans amour.

ARTICULATIONS Il est impossible d’oublier la diction tendre de Truffaut quand, dans le rôle du médecin qui recueille le garçon de L’Enfant sauvage, il tente de lui apprendre à dire son nom. On se souvient aussi du générique parlé de La Sirène du Mississipi, dans lequel la voix éthérée de Delphine Seyrig se mêle à celles de Belmondo et de Deneuve pour lire des petites annonces. Truffaut est attentif à la musique des acteurs, du débit halluciné d’Isabelle Adjani au timbre cendré de Charles Denner ou au ton monocorde de Jeanne Moreau.


En bref

Ça tourne

ADPRÉSENTE VITAM

Greta Gerwig Alerte rose, émoji choqué : les premières images du tournage de Barbie sont tombées. Concocté par Greta Gerwig, ce portrait de la célèbre poupée américaine commercialisée dès 1959 réunit Margot Robbie et Ryan Gosling, qui jouera Ken (on vous conseille de jeter un œil à une fantastique photo où l’acteur expose avec un air super niais ses tablettes de chocolat). Connaissant le cinéma féministe et fantaisiste de Gerwig, on s’attend à une réappropriation gonflée du mythe.

TROUBLANT BRÛLANT MYSTÉRIEUX LOS ANGELES TIMES

THE WRAP

VARIETY

Arnaud des Pallières On reste dans un esprit féministe avec l’adaptation par Arnaud des Pallières (Poussières d’Amérique, Orpheline) du roman Le Bal des folles de Victoria Mas, paru en 2019 et déjà adapté par Mélanie Laurent l’année dernière. Le livre dresse les portraits de femmes internées à la fin du xix e siècle à la Salpêtrière. Au casting : Léa S­ eydoux, Charlotte Rampling et Cécile de France.

TIM ROTH CHARLOTTE GAINSBOURG

Frank Ocean Vous vous demandez où est passé le génial Frank Ocean ? L’imprévisible musicien prépare son premier long, Philly. On n’en sait pas beaucoup plus, hormis qu’il sera produit par A24 (Ari Aster, Barry Jenkins, Kelly Reichardt). Mais, parce qu’on est très curieux, on est allé chercher les références cinéphiles du futur cinéaste : dans son magazine Boys Don’t Cry, celui-ci a mentionné David Lynch, Paul Thomas Anderson, Werner Herzog ou encore Wong Kar-wai. Le level est très haut, mais on lui fait toute confiance pour conceptualiser un film aussi fou que ses albums.

UN FILM DE

MICHEL FRANCO

Coralie Fargeat On a aussi des nouvelles de la Française Coralie Fargeat, réalisatrice du sensationnel Revenge (2018), qui racontait l’histoire d’une jeune femme se muant en super-héroïne vengeresse après avoir subi un viol. Exilée aux États-Unis, la cinéaste prépare The Substance. Aucun synopsis pour l’instant, mais on sait qu’on retrouvera au casting Demi Moore, Margaret Qualley (vue à Cannes dans Des étoiles à midi de Claire Denis, qui a remporté le Grand Prix) ou encore le regretté Ray Liotta, disparu en mai dernier. François Ozon Après Peter von Kant, François Ozon planche sur un projet secret, pour le moment intitulé Madeleine, mais auparavant appelé Mon crime. Ce qui fait dire à Cineuropa que l’intrigue pourrait être inspirée par la pièce Mon crime !… de Georges Berr et de Louis Verneuil (1934) qui démarre sur l’assassinat d’un banquier parisien. Ce qui est sûr, c’est que le film réunira Isabelle Huppert, Dany Boon, Fabrice Luchini et Nadia Tereszkiewicz. Un casting plutôt improbable, pour une comédie qui nous a l’air très vaudevillesque.

JOSÉPHINE LEROY

LE 27 JUILLET AU CINÉMA été 2022 – no 190

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En bref

La phrase

© Gage Skidmore

« La Cour suprême, mon cul. » Émopitch

L’acteur américain Danny DeVito, le 24 juin dernier sur Twitter, après que la Cour suprême des États-Unis a révoqué l’arrêt historique Roe vs Wade qui, depuis 1973, accordait aux Américaines le droit d’avorter dans tout le pays.

L’ANNÉE DU REQUIN DE LUDOVIC ET ZORAN BOUKHERMA (SORTIE LE 3 AOÛT) : MAJA, POLICIÈRE DANS LES LANDES, PART À CONTRECŒUR EN RETRAITE ANTICIPÉE. MAIS L’ARRIVÉE D’UN REQUIN DANS LA BAIE ET LA DISPARITION D’UN BAIGNEUR LUI OFFRENT UNE NOUVELLE MISSION.

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Il y a bien longtemps, dans une salle de montage lointaine, très lointaine… de Paul Hirsch (Carlotta, 400 p., 20 €)

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« Le reste est ombre », jusqu’au 22 août au Centre Pompidou

Son ton professoral vous insupporte, et ses montages incohérents sont pour vous une plaie à regarder. Comme vous ne tombez jamais dans l’attaque facile (c’est tout à votre honneur), recommandez-lui l’autobiographie de Paul Hirsch, monteur américain à l’impressionnant CV (Brian De Palma, John Hughes, Joel Schumacher), qui a remporté en 1978 un Oscar pour La Guerre des étoiles de George Lucas.

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C’est votre amour pour la nuit (et un peu Erasmus, d’accord) qui a permis votre rencontre dans un bar bondé de Lisbonne. Même si le temps est passé et que vous encaissez moins bien vos gueules de bois, l’alchimie est toujours là. Elle existe aussi chez le trio d’artistes portugais Pedro Costa (cinéaste), Rui Chafes (plasticien) et Paulo Nozolino (photographe) réunis pour l’expo collective « Le reste est ombre ». Une déambulation hypnotique entre différents médiums qui ravivera vos souvenirs.

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JOSÉPHINE LEROY

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À offrir

À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs).

Votre tonton, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Cary Grant, vit dans un autre espace-temps. Seule touche de modernité chez lui : une télé avec lecteur DVD. Offrez-lui ce coffret contenant quatre longs métrages d’Alfred Hitchcock magnifiquement restaurés (Rebecca, La Maison du docteur Edwardes, Les Enchaînés, Le Procès Paradine), tous tournés avec l’appui du célèbre producteur américain David O. Selznick – une collaboration qui marquera un tournant dans la carrière du légendaire réalisateur. « Alfred Hitchcock. Les années Selznick » (Carlotta)


En bref

La sextape

« Damien Manivel offre le ciel à MARIE-MADELEINE, un CHEF-D’ŒUVRE de rêverie » LE MONDE © D.R

POUR LE PLAISIR

Filmer la jouissance féminine est un acte esthétique et politique. Oui, faire l’amour pour jouir est un droit, il est étrangement temps de le rappeler. Par exemple en évoquant le tout premier orgasme féminin du cinéma.

MAGDALA AVEC

ELSA WOLLIASTON

UN FILM DE

DAMIEN MANIVEL

Sauf chez quelques réalisatrices (Chantal Akerman, Claire Denis, Catherine Breillat, Rebecca Zlotowski, Céline Sciamma ou encore Hafsia Herzi), et chez de rares réalisateurs (Todd Haynes), dans les films, la recherche de jouissance pour une femme est le plus souvent symptôme d’un dysfonctionnement (Nymphomaniac de Lars von Trier), menaçante (Under the Skin de Jonathan Glazer) ou, pire, ridicule. Pour preuve ? L’orgasme le plus connu du cinéma, celui de Meg Ryan dans Quand Harry rencontre Sally, simulation bien pâlotte. Et, pourtant, cela avait si magnifiquement commencé. Le tout premier orgasme féminin de cinéma est peut-être le plus beau jamais filmé, dans Extase du Tchèque Gustav Machatý, en 1933. Hedy Lamarr, l’actrice, a alors 18 ans. Dans une séquence étourdissante de beauté, elle regarde un homme avec intensité. Alors qu’ils s’embrassent, une surimpression fantomatique du visage de la jeune femme nous emporte dans un vertige érotique, son vertige. Très vite, la caméra ne s’intéresse plus qu’à elle, au service de son désir, de ses fantasmes : sa bouche qui s’entre-ouvre dans un soupir, un collier de perles sur sa poitrine haletante, une main alanguie… La mise en scène déploie sa grammaire la plus gracieuse pour sublimer la montée du plaisir. Son beau visage est filmé à la renverse, la musique s’emporte dans un élan lyrique tandis que ses bras se serrent comme des cuisses. Le collier de perles brisé git au sol. Elle a joui. L’homme que l’on avait presque oublié se love alors dans ses bras, comme un enfant. Machatý filme toujours son visage à elle, ses yeux alors triomphants et fixes… Elle fume, l’homme la contemple, interdit, il n’était là que pour la servir. Le film, qui est un chef-d’œuvre d’érotisme, fera scandale en 1933, bien sûr. Même le pape s’en mêlera. Extase donnera à Hedy Lamarr la gloire mais la poursuivra ensuite comme une malédiction. La beauté de cet orgasme, l’élégance et la modernité du regard du cinéaste sur le plaisir féminin reste encore, et cela est fou d’y penser, inégalé. LILY BLOOM

AU CINÉMA LE 20 JUILLET été 2022 – no 190

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En bref

Règle de trois

Flash-back

© Christopher Barraja

JULIEN MAGALHÃES

LE PÈRE NOËL EST UNE ORDURE

Sortie il y a déjà quarante ans, la comédie noire de Jean-Marie Poiré a dû attendre un certain temps avant d’être appréciée à sa juste valeur et d’entrer au panthéon de l’humour français.

Adapté de la pièce de théâtre créée en 1979 par la troupe du Splendid, Le Père Noël est une ordure sort au cinéma le 25 août 1982, mais l’accueil n’est pas des plus chaleureux. En raison du titre jugé choquant, la R.A.T.P. refuse par exemple de louer ses espaces publicitaires. Au final, le film fait 1,5 million d’entrées, soit moins que Les Bronzés quatre ans plus tôt. « La troupe du Splendid a un humour très noir, et la pièce n’a pas été pensée pour être un succès populaire », avance Hugo Alexandre, cocréateur de la chaîne YouTube Calmos qui analyse moult comédies françaises. Se déroulant un soir de Noël à la permanence téléphonique de l’association S.O.S. Détresse Amitié, le film voit les bénévoles Pierre (Thierry Lhermitte) et Thérèse (Anémone) recevoir les visites imprévues du travesti Katia

(Christian Clavier), de la femme battue Josette (Marie-Anne Chazel) et de son compagnon, Félix (Gérard Jugnot), habillé en Père Noël, tandis que la présidente de l’association (Josiane Balasko) reste coincée dans l’ascenseur. « Ces personnages ont un petit grain et ne sont pas immédiatement attachants. Mais chaque protagoniste est écrit par son interprète, qui y apporte sa propre subjectivité. Clavier, notamment, rend le rôle de Katia touchant, il y a de la tendresse derrière la caricature. » Au fil des ans et des diffusions télévisées, le film de Jean-Marie Poiré est devenu culte. « Il a mieux vieilli que des comédies de 1982 qui avaient fait plus d’entrées, comme Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, car il n’est pas ancré dans une époque déterminée. Ce Noël pourrait se passer aujourd’hui, et les thèmes restent universels : la confrontation des milieux sociaux, ou la façon dont les bons sentiments se révèlent moins vertueux quand ils se frottent à la pratique. » Féru de discours humanistes avant de s’avérer détestable, l’hilarant personnage de Thierry Lhermitte paraît en effet indémodable. DAMIEN LEBLANC

Illustration : Sun Bai pour TROISCOULEURS

Sur Instagram, on est tombés sous le charme de ses expertises drôles et pointues (et de ses chasses aux anachronismes les plus éhontés du ciné). Le consultant en histoire, spécialiste de l’histoire de la mode et chroniqueur de l’émission féministe Damoiselle sur TV5 Monde a répondu à notre questionnaire cinéphile.

3 films pour nous rabibocher avec l’époque médiévale ? Le Décaméron de Pier Paolo Pasolini, parce que c’est un film super ensoleillé, sensuel – ça change de l’image de pudibonderie du Moyen Âge. Ça se passe en Italie pendant la peste, mais c’est très charnel. Jeanne de Bruno Dumont, pour la beauté de la cathédrale d’Amiens, la liberté totale du réalisateur dans la reconstitution – il y a des anachronismes mais ça passe très bien – et la musique de Christophe. Les Visiteurs. C’est bourré d’anachronismes, mais c’est irrésistible. Un film qui mélange des chevaliers, un rond-point et la musique d’Era, c’est du jamais-vu.

3 films pour nous faire tomber amoureux de la Renaissance ? Bruegel, le moulin et la croix de Lech Majewski. Le rythme n’est pas trépidant, et il y a un côté un peu cheap avec une espèce d’effet 3D, mais, si on arrive à ne pas s’endormir, on peut tomber en transe devant la beauté des images. On dirait un tableau de Bruegel. Il y a aussi Elizabeth. L’âge d’or [second volet d’une fresque consacrée à Élisabeth Ire d’Angleterre, réalisée par Shekhar Kapur, ndlr], parce que les décors sont grandioses. L’Enfant de Marguerite de Hillerin et Félix Dutilloy-Liégeois. Un film franco-portugais tourné avec une grande économie de moyens, mais, justement, il y a un dépouillement dans l’image et dans les costumes qui est très beau.

3 personnages de fiction qui vous ressemblent ? J’hésitais entre Voldemort, Bambi et Milou, mais je crois que je vais dire Fred, Véra et Scooby-Doo dans Scooby-Doo : Fred pour les jolies couleurs et les cheveux blonds ; Véra parce qu’elle mène l’enquête et qu’elle utilise son savoir à tour de bras ; et, en même temps, je suis le chien aussi, parce que rien ne marche jamais comme je veux.

PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY

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En bref

3 personnages historiques qui mériteraient un biopic épique ?

CHRISTIAN

CHRIS

BALE

HEMSWORTH

TESSA

THOMPSON

TAIKA

WAITITI

RUSSELL AVEC

CROWE

NATALIE

ET

PORTMAN

Beaucoup de « ique » dans cette question ! Jeanne de Belleville, qui était une duchesse de Bretagne au xive siècle, très thunée. Son mari s’est fait exécuter un peu injustement par le roi de France, et là elle devient furax total, elle récupère la tête de son époux, liquide ses capitaux, fait construire un bateau et décide de venger son mari. On la surnommait la Lionne sanglante. Il y a aussi Hildegonde/ Joseph, une personne née femme au tout début du Moyen Âge, qui a pris l’habit d’homme pour suivre son père en Terre sainte sous le nom de Joseph. Finalement, il ou elle devient un peu agent secret, fait passer des messages entre Cologne et Rome, rentre dans les ordres et devient moine jusqu’à la fin de sa vie. C’est un des nombreux exemples de saints transgenres. Le troisième, c’est Tarrare, un personnage entre le méchant de Marvel et la créature mythologique [qui a vécu au xviiie siècle, ndlr]. Il pouvait avaler des kilos d’organes de taureaux crus, des animaux vivants, du bois, du verre… Il avait constamment faim. C’était un tube en fait. Il sentait très mauvais et il était bête en plus ! On a essayé de l’utiliser comme agent secret pour qu’il transporte des messages dans son ventre, mais il se faisait prendre. On a aussi essayé de le soigner par des cures de vinaigre ou d’œufs, sauf qu’il allait manger dans les hôpitaux les organes, même ceux d’enfants ! Il a disparu à un moment, puis il est réapparu à Versailles, où il est mort à 26 ans d’une tuberculose. C’est mon personnage préféré, vraiment.

3 costumes, coiffures ou maquillages totalement anachroniques ? Alors j’adore le film, mais les cheveux lâchés d’Isabelle Adjani dans La Reine Margot, avec les sourcils circonflexes et le décolleté ouvert jusqu’au nombril… C’est pas possible ! Il y a aussi les aisselles épilées de Rose dans Titanic. On est en 1912. La vraie Rose, elle n’aurait pas pu passer chez Bodyminute ! Ça, ça ne passe pas. Et malheureusement – bien malheureusement ! – le hennin de Valérie Lemercier dans Les Visiteurs. On se trompe de quelques siècles, mais elle est tellement emblématique avec que vraiment je ne lui en veux pas.

SUPERVISION DU DEVELOPPEMENT VISUEL

SUPERVISION DES EFFETS VISUELS

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En bref

Scène culte

RASHŌMON

D’AKIRA KUROSAWA (1952) À Kyōto, dans le Japon de l’époque de Heian, un bûcheron découvre le cadavre d’un samouraï… Mais que s’est-il vraiment passé ? De Usual Suspects au Dernier Duel en passant par Elephant et Gone Girl, on ne compte plus les reprises de « l’effet Rashōmon », principe narratif qui consiste à donner les versions contradictoires d’un même événement. Une leçon de scénario transcendée par ce film-piège, célébrant les mensonges de l’image.

LA SCÈNE (Sous une pluie battante, dans un temple en ruine, deux hommes sont assis au sol.) Le bûcheron : « C’était il y a trois jours, je suis allé dans la montagne pour couper du bois. »

(Flash-back : l’homme marche dans une forêt, l’air déterminé, une hache posée sur l’épaule, lame vers le sol. Il traverse un fossé sur un tronc d’arbre renversé. Peu à peu, le feuillage s’épaissit jusqu’à lui balayer le visage. L’homme s’arrête net : accroché à une branche d’arbre devant lui, il y a un grand chapeau de paille orné d’un voile clair. Il s’approche, touche le voile, regarde autour de lui, puis continue de s’enfoncer dans le bois, l’air grave. Soudain, il s’arrête et regarde vers le sol : il ramasse un bonnet en tissu sombre, regarde autour de lui, reprend son chemin. Un peu plus loin, il bute contre quelque chose au sol, se baisse pour ramasser des cordes. Il observe alentour, ses yeux se concentrent sur un objet blanc dans les buissons. Il avance sans le quitter du regard, jusqu’à trébucher sur quelque chose. Il se retourne pour regarder ce qui l’a fait tomber et sursaute. C’est un cadavre dont on ne voit que les mains, comme pétrifiées. Il pousse un cri et s’enfuit en courant.) Le bûcheron (en off) : « J’ai couru le plus vite possible pour aller prévenir la police. Trois jours après – donc aujourd’hui –, j’ai été convoqué pour témoigner. »

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En bref

" UN POLAR QUI RAVIVE LE CINÉMA ROUMAIN " VARIETY " UNE MERVEILLE " THE PLAYLIST

L’ANALYSE DE SCÈNE Comment sonder la question fondamentale du point de vue au cinéma ? La première réponse apportée par Rashōmon tient dans son scénario, qui fait usage du flash-back pour raconter un crime à travers le regard des différents protagonistes : le bandit présumé coupable (Toshirō Mifune), le samouraï prétendument assassiné, sa femme apparemment déshonorée, et le bûcheron témoin de la scène. Mais Kurosawa ne se contente pas du vertige de la partie de Cluedo : dès le premier flash-back, dans lequel le bûcheron décrit sa découverte du corps, il court-circuite le dispositif narratif pour nous jeter dans le royaume de l’image. Le flash-back, constitué de seize plans, ne contient non seulement aucun dialogue, mais aucune information utile au récit. Pendant deux minutes, on suit l’avancée du personnage dans la forêt sous tous les angles possibles : de dos, de face, de dessus, par-dessous, de près, de loin. Ce découpage, comme l’enchaînement de travellings et de panoptiques complexes, ne signifie rien, sinon l’essentiel : la toute-puissance de la caméra, qui seule décide de ce qu’on voit – donc de ce qu’on croit. La fragmentation de la perception, les limites de l’objectivité ne sont pas des sujets superficiels dans Rashōmon : ils procèdent d’une définition du cinéma. Avec pour acmé ces plans cherchant le soleil à travers la touffeur des branches, qui gravent la métaphore dans nos rétines. Dans un film, nous dit Kurosawa, la lumière nous éblouit et l’ombre nous égare… La seule vérité, c’est l’hypnose. Rashōmon d’Akira Kurosawa, Potemkine Films (1 h 28), ressortie le 10 août

EN SALLES

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JUILLET UN FILM DE

DÉDALES BOGDAN GEORGE APETRI

ARIZONA DISTRIBUTION présente DÉDALES (MIRACOL) une production THE EAST COMPANY PRODUCTIONS coproduction CINEART TV PRAGUE, TASSE FILM avec le soutien de THE CZECH FILM FUND casting IOANA BUGARIN, EMANUEL PÂRVU, CEZAR ANTAL, OVIDIU CRIȘAN, VALERIU ANDRIUȚĂ, VALENTIN POPESCU, MARIAN RÂLEA, ANA ULARU image OLEG MUTU décors MIHAELA POENARU costumes LIENE DOBRĀJA maquillage BIANCA BOEROIU coiffure BOGDAN LAZĂR son MĀRTIŅŠ ROZENTĀLS montage BOGDAN GEORGE APETRI mixage KAREL ZÁMEČNÍK, JIŘÍ KLENKA étalonnage TOMÁŠ CHUDOMEL direction trailer & post-production MIHAI OPRESCU direction de production ALEXANDRU ILIESCU production executive MINODORA ȘERBAN coproducteurs VIKTOR SCHWARCZ, AIJA BĒRZIŅA producteurs OANA IANCU, BOGDAN GEORGE APETRI ventes internationales MEMENTO INTERNATIONAL distribution ARIZONA DISTRIBUTION scénario et réalisation BOGDAN GEORGE APETRI

MICHAËL PATIN

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LES NOUVEAUX

En bref

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Elle enflamme Rodeo, tempétueux premier film sur l’univers du cross bitume de Lola Quivoron, au cinéma en septembre. L’actrice et la réalisatrice viennent de remporter le prix de la critique au Champs-Élysées Film Festival, après le Prix coup de cœur du jury Un certain regard à Cannes. « Enfourcher une moto, c’est se créer une bulle de bonheur et d’adrénaline que l’on déplace avec soi, un bon gros shoot de liberté », analyse Julie Ledru, originaire du Val-d’Oise, dans un sourire qui crie l’évidence d’une passion totale. C’est en tombant sur une photo jaunie de sa mère posant près d’une Suzuki qu’elle prend goût à la moto. Arrivée au cross bitume seule, comme Julia, la tête brûlée qu’elle interprète dans Rodeo, Julie Ledru se fait rapidement un nom sur Instagram, à mordre de

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la piste en zone industrielle. Lola Quivoron, jeune réa­ lisatrice éprise d’héroïnes et de héros soli­ taires et de mysticisme, cherche alors à pénétrer cet univers pour son premier long métrage et se prend de subjugation pour la bikeuse, qui raconte : « J’étais assez repliée sur moi-même au moment de notre rencontre, et l’amitié tissée avec Lola m’a permis d’incarner le personnage principal du film, qui ne m’était pas destiné à l’origine. » Cette titulaire d’un diplôme en restauration gastronomique enchaînait jusque-là les missions en intérim. Sa composition animale, dopée à l’urgence de vivre, lui promet déjà plusieurs rôles sur grand écran. « Je veux aller vers des rôles où l’on me sollicite pour ce que je suis et ce que je donne », lance-t-elle dans un mélange de fièvre et de douceur. Rodeo de Lola Quivoron, Les Films du Losange (1 h 45), sortie le 7 septembre Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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LAURA PERTUY

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Pluie de récompenses au festival Côté court mi-juin pour TNT d’Olivier Bayu Gandrille, qui signe là un teen movie politique sur les émeutes de 2005. Un film d’époque pour « un événement historique » peu vu au cinéma. « Je voulais faire deux films en un et j’avais peur que la greffe ne prenne pas », nous dit-il. Elle prend pourtant à merveille. Mêlant aux émeutes de 2005 un récit initiatique teinté de fantastique et d’horreur autour d’une bande de gamins et de la légende urbaine de Paupaul, « fou des quartiers riches qui viole les jeunes qui passent par les bois, surtout les rebeus et les renois », dixit un personnage du film, TNT déploie avec une grande intelligence une réflexion sur la naissance et l’origine de la peur et sur « la violence de la sortie de l’enfance » pour les enfants racisés confrontés très jeunes aux violences policières, rendues ici à l’état de grand méchant loup. Dans ce


En bref

film d’inspiration autobiographique, Olivier Bayu Gandrille, né à Singapour et débarqué à 13 ans, en 2005, à Cergy, tord le cou au paradigme d’une violence intrinsèque dans un récit d’aventure rappelant Stand by Me de Rob Reiner et le cinéma de Steven Spielberg. Cinéphile chevronné depuis qu’enfant son loueur de DVD lui légua tout son stock, lui permettant de construire « les premières pistes de [sa] cinéphilie » à base de cinémas japonais et coréen, Olivier suivra de longues et prestigieuses études (lettres, histoire de l’art, philo), fera d’ailleurs un tout aussi prestigieux stage à la rédac de notre magazine en 2015, avant de s’atteler à l’écriture de ses propres films. Son prochain projet, qui est un long métrage, devrait épouser les couleurs de A Brighter Summer Day d’Edward Yang, son film d’enfance préféré : « Un film choral avec des enfants au début des années 2000. » À suivre de très près. MARILOU DUPONCHEL Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

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En bref -----> La page des enfants

Tout doux liste de l’été

C’est l’été, vous êtes coincés à Paris, et vous ne savez pas comment occuper vos kids sans vous-même vous ennuyer ? Voici quelques idées ludiques, curieuses et créatives qui plairont à toute la famille.

MARGAUX BARALON

­ 6 À 9 ANS

MOINS DE 3 ANS

3 À 6 ANS

LES SÉANCES BOUT’CHOU [cinéma] Lapins tachetés, loups pas si féroces, petite taupe et gorille géant… les animaux ont la part belle lors des séances Bout’chou, destinées à éveiller les plus petits au cinéma. Également à l’affiche, le programme de courts métrages Grosse colère & fantaisies vient leur apprendre à faire la paix avec leurs émotions.

LE JARDIN DU MUSÉE ALBERT-KAHN [balade] Lorsque le banquier Albert Kahn a aménagé son jardin à Boulogne-sur-Seine à la fin du xixe siècle, il rêvait de réunir des paysages du monde entier en un seul endroit. Pari réussi avec les ponts du village japonais qui succèdent à la roseraie, sans oublier bien sûr les symétries du jardin à la française.

dans les cinémas mk2, les week-ends en matinée, jusqu’au 31 août, dès 2 ans.

LES CERFS-VOLANTS DE BERCY VILLAGE [balade] Chaque été, Bercy Village invite petits et grands à lever le nez pour découvrir un décor inhabituel et voyager sans quitter Paris. Cette année, l’illustratrice Clémentine Henrion a paré la cour Saint-Émilion de quatre cents cerfs-volants colorés qui, tout en jeux de lumière et en légèreté, rappellent le bord de mer. installation gratuite, visible tous les jours jusqu’au 15 septembre

du mardi au dimanche, gratuit pour les moins de 26 ans

GRAINES, L’EXPOSITION ! [art] Qu’elles soient d’arbre, de céréales, de fruits ou de fleurs, les graines nourrissent le monde et, en creux, contribuent à le raconter. Une exposition leur est justement consacrée au Centquatre, avec à la fois des contributions de divers artistes et, le 21 juillet, un atelier manuel pour les enfants dès 5 ans. du mardi au dimanche jusqu’au 4 septembre, fermeture entre le 1er et le 22 août, gratuit pour les enfants, 5 € pour les adultes (3 € tarif réduit)

Voilà de l’art que l’on peut regarder, mais aussi toucher, et même déplacer ! Quinze artistes internationaux ont conçu d’immenses œuvres gonflables aux couleurs pop, éléments déroutants d’un monde joyeux et féérique. L’exposition invite à laisser libre cours à son imaginaire le temps d’un voyage ludique et immersif. tous les jours jusqu’au 28 août à la Grande Halle de la Villette, à partir de 10 € pour les moins de 12 ans et 18 € pour les adultes en tarif plein

Gagnez des places en suivant TROISCOULEURS sur Facebook et Instagram

LES PESTACLES DU PARC FLORAL [spectacle] Entre les pelouses et les plans d’eau du parc floral de Paris, les Pestacles de l’été font entendre la saccade de claquettes, les notes d’un ukulélé ou la reprise, par un slameur, du Petit Prince de Saint-Exupéry. Ici, les contes se chantent, la musique se danse et la poésie emballe tout le monde. les mercredis 13 et 20 juillet, 17, 24 et 31 août et 7 septembre à 14 h, entrée du parc 2,50 €, gratuit pour les moins de 7 ans, dès 2 ans

tous les samedis après-midi du 9 juillet au 27 août, gratuit dans la limite des places disponibles

L’ARGENT DE POCHE DE FRANÇOIS TRUFFAUT [cinéma] Dans la France de Valéry Giscard d’Estaing, les élèves d’une école primaire apprennent, chacun à leur manière, à embrasser l’adolescence. Il y a le rebelle à l’histoire compliquée, celui qui ne pense qu’à flirter, le gentil amoureux de la coiffeuse… Tous dressent un portrait gracieux du crépuscule de l’enfance, dans ce film sublime de François Truffaut sorti en 1976. LE MUSÉE DES ARTS FORAINS [cirque] Voilà une plongée hors du temps dans les arts du spectacle, faite de vieux manèges et de cabinets de curiosités, quelque part entre les films de Terry Gilliam et ceux de Guillermo del Toro. La visite guidée se fait avec un guide comédien, en musique et sans gants, puisqu’il est possible de manipuler tous les objets.

EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE DE DANIEL KWAN ET DANIEL SCHEINERT [cinéma] Evelyn, gérante d’une laverie, est à bout. Son mari veut divorcer, et son contrôle fiscal tourne mal. Jusqu’à ce qu’elle comprenne que, dans des mondes parallèles, elle est une multitude d’autres Evelyn. À réserver aux ados, cette réinterprétation du multivers façon studio A24 se révèle réjouissante. au cinéma le 31 août (Originals Factory)

LITTLE FILMS FESTIVAL [cinéma] Pompon, petit ours plein d’idées et d’ambition, est la tête d’affiche de ce festival de cinéma pour les jeunes enfants. Mais on y retrouve aussi d’autres créatures des villes et des champs, dans une multitude de courts métrages animés aussi inventifs que poétiques qui célèbrent l’amitié. dans plusieurs salles parisiennes jusqu’au 31 août, www.littlekmbo.com/little-films-festival-2022

L’ATELIER RODIN [art] Pendant l’été, le musée Rodin pense aux enfants (et aux grands qui en ont gardé l’âme et la fougue) et propose un parcours spécial pour les apprentis sculpteurs. Avant ou après la visite du musée, dessinez, essayez-vous au modelage ou prenez la pose pour devenir modèle… tout est possible ! du mardi au dimanche jusqu’au 28 août, gratuit pour les moins de 25 ans

JAZZ À LA VILLETTE FOR KIDS ! [musique] À la rentrée, le festival Jazz à la Villette sera ponctué de rires et de cris de surprise. Car, entre les concerts illustrés et les contes musicaux, le programme dédié aux enfants se veut drôle et intriguant. En témoigne Les Cromosaures de l’espace, space opéra insolite sur des dessins de l’auteur de bande dessinée Brecht Evens.

POTINS DE PARIS [balade] Savez-vous où et quand s’est déroulé le plus grand cambriolage de France ? Comment Voltaire est devenu riche ? Qui a fait des recherches sur la pierre philosophale ? En costumes et avec humour, Victoria et Gabrielle content les petites anecdotes et la grande histoire de Paris lors de passionnantes visites en plein air.

le 4 septembre dans l’amphithéâtre de la Cité de la musique, 14 € pour les adultes, 10 € pour les enfants

trois parcours de 1 h 30 accessibles aux moins de 16 ans, 17 €, gratuit pour les moins de 12 ans.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU CIEL DE YUSUKE HIROTA [cinéma] Et si le ciel n’existait plus, définitivement obscurci par les fumées que d’immenses cheminées crachent en permanence ? C’est ce qu’imagine Yusuke Hirota dans ce film d’animation écolo où l’on suit le jeune Lubicchi et son ami Poupelle, un homme-­ déchets, bien décidés à prouver que les étoiles existent.

UP TO SPACE AU MUSÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE [sciences] Aller vers l’infini et au-delà, cela commence au musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. L’exposition temporaire qui s’y déroule tout l’été invite à se mettre dans la peau d’un astronaute, avec simulateur de pas lunaire en microgravité et manipulation de roche martienne. En bonus, une plongée dans les coulisses du film Buzz l’Éclair.

au cinéma le 17 août (Art House)

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APRÈS 10 ANS

ressortie au cinéma le 3 août (Carlotta Films)

tous les jours pendant les vacances scolaires, 18,80 € pour les adultes, 12,80 € pour les 4-11 ans.

POP AIR [art]

LE JARDIN D’ÉTÉ DU MUSÉE DU QUAI BRANLY [contes] C’est dans les jardins du musée du quai Branly – Jacques Chirac, confortablement installé à l’ombre d’un arbre, que l’on peut écouter des histoires extraordinaires venues des confins du monde. Légendes africaines, mythes asiatiques ou contes océaniens se dévorent des oreilles, après avoir découvert la faune et la flore du lieu.

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jusqu’au 31 août, gratuit pour les moins de 26 ans


La page des enfants <----- En bref

L’interview Alexandre, 14 ans, Gaïa, Jeanne et Anselmo, 9 ans, ont interviewé Pierre Salvadori, réalisateur de La Petite Bande. Un grand film d’aventure, une comédie sur l’amitié et l’engagement ; ou comment cinq collégiens projettent de faire sauter l’usine qui pollue leur rivière.

J. : Toi aussi, tu avais une petite bande ? Non, j’étais un enfant solitaire, comme le personnage d’Aimé. J’ai changé plusieurs fois d’école, j’étais timide et je n’avais jamais vraiment le temps d’établir des liens avec les autres enfants. En revanche, quand je partais en colo, je retrouvais à chaque fois les mêmes copains, et c’est cette bande qui m’a fait grandir, découvrir le théâtre et prendre confiance en moi.

Alexandre : Les enfants ont-ils réalisé eux-même leurs propres cascades ? Oui. Je tenais à ce qu’ils soient investis physiquement dans le film. On a tourné dans la montagne. Au début, certains étaient plus ou moins à l’aise, et puis au fur et à mesure c’est devenu leur territoire.

Gaïa : Tu penses que, après l’aventure qu’ils viennent de vivre, les personnages resteront amis pour la vie ? Quand tu partages une chose pareille, tu restes ami très longtemps. Moi, les moments où j’ai fait des choses folles avec des gens, je ne les ai jamais oubliés. Anselmo : Quoi, par exemple ? Une fois, en Corse, on est partis dans la montagne avec des cousins sans rien dire

An. : Mais tu peux au moins nous dire ta plus grosse bêtise ? Elle est si grosse que je ne peux rien dire. Même ma maman ne la connaît pas.

Al. : L’histoire est inspirée de faits réels ? En 1972, des boues rouges se répandaient sur les plages corses, et personne ne faisait rien. On a fini par localiser la source de cette pollution : une usine italienne. Un petit commando corse s’est créé, et ils ont fait péter un bateau qui déversait ces déchets en mer.

G. : Et leurs blessures, c’était de vraies blessures ? Non, c’était du maquillage, comme des décalcomanies en relief qu’on peint une fois posées. Je voulais que les enfants portent sur leur corps les traces de l’aventure, comme moi quand j’étais petit – à force de traîner dans la nature, on était couverts de griffures.

An. : Et tu faisais partie de ce commando ? Non, j’avais 8 ans, mais ça m’a beaucoup marqué !

Al. : À titre personnel, es-tu engagé pour la protection de la nature ? Je ne milite pas dans des associations, mais avec ce film j’évoque une situation

PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE, GAÏA, JEANNE ET ANSELMO (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE)

La critique de Célestin, 8 ans

DE L’AUTRE CÔTÉ DU CIEL RESSORTIE LE 15 JUIN

de façon radicale. Ce que font ces enfants, ce n’est pas rien, et les questions qu’ils se posent sont vitales. A-t-on le droit de se battre parce qu’on nous fait du mal ? Est-ce légitime d’aller contre la loi si on nous fait du tort ? Parfois, pour faire avancer les choses, il faut sortir un peu du cadre, mais jusqu’où peux-tu aller ? C’est la question que pose le film.

La Petite Bande de Pierre Salvadori, Gaumont (1 h 46), sortie le 20 juillet, dès 8 ans

Photographie : Ines Ferhat pour TROISCOULEURS

« C’est un film pour ceux qui aiment les aventures folles et la bagarre. Ça se passe il y a plus de mille ans (en gros), dans une grande ville avec plein de fumée qui cache le ciel. Personne ne sait qu’il y a d’autres endroits où aller. C’est triste, parce que c’est important de voyager pour découvrir de nouvelles choses. Un jour, une étoile descend des nuages et crée Poupelle, un robot tout pété fait qu’avec des trucs de la décharge. On pourrait en faire un nous-mêmes : il suffit d’avoir des gants pour les mains, des balais pour les pieds, et un cœur (par exemple une personne très vieille qui est morte). Poupelle devient copain avec un enfant qui doit travail-

ler, parce que son papa est mort. Mon personnage préféré, c’est un mineur qui dit la vérité au garçon sur la ville. Il travaille pas pour l’argent, mais pour découvrir plein d’histoires sous la terre. Moi aussi plus tard je voudrais travailler pour le plaisir. Les gens, ils sont obsédés par l’argent, nuit et jour. Assoiffé d’argent, ils peuvent tuer ! Ça serait vraiment trop bien de pas avoir d’argent dans le monde. »

5 « Alors quoi ? On oublie tout ça ? Les Italiens ? Les Polonais ? Les Arméniens ? Les 600 000 tirailleurs sénégalais ? C’est tout le pays qu’a Alzheimer, ou quoi ?!? On est 500 millions de guignols en Europe et on veut nous faire croire qu’on peut pas accueillir 1 million de pauvres gens ? Ça fait même pas un par village ! »

5. BONS POUR L’ASILE BONS POUR L’ASILE

à aucun adulte, on s’est perdus, et on est revenus une fois la nuit tombée. C’était terrifiant. Et puis j’ai fait d’autres bêtises, un peu plus âgé, mais je ne peux pas les raconter dans le journal.

LUPANO CAUUET

Jeanne : Qu’est-ce qui t’a inspiré le titre du film ? Je voulais un titre qui évoque l’amitié et le fait qu’on est plus forts ensemble. J’avais d’abord pensé à « petit gang », à la « petite troupe », et puis c’est le mot « bande » qui s’est imposé. Parce que ça peut faire penser à une bande d’amis, de voyous, de fous ; donc La Petite Bande est un titre qui ressemble au film !

9 782505 071419

De l’autre côté du ciel de Yusuke Hirota, Art House (1 h 40), sortie le 17 août

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PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

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L TEN A TA DE TIO L’ Î N LE

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C’est une aventure infinie : au cinéma, en cartes ou en mots, en mythes ou en philo, on n’aura jamais fait le tour de l’île. Territoire fantasmatique s’il en est, l’île est au cœur de trois films importants de la rentrée : Pacifiction. Tourment sur les îles, Sans filtre et L’Origine du mal. On a sondé des cinéastes, des philosophes et des scientifiques pour tenter d’explorer son foisonnant paysage imaginaire, de L’Utopie de Thomas More au métavers de Mark Zuckerberg. DOSSIER COORDONNÉ PAR JULIETTE REITZER

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Illustration : Arthur Junier pour TROISCOULEURS

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Cinéma En couv -----> -----> «La Peter tentation von Kant de l’île »

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Touriste

Pour les Occidentaux que nous sommes, l’île est bien souvent d’abord synonyme de vacances. Donc de touristes. Néocolon consommateur, le touriste fantasme beaucoup son séjour – et les coutumes locales – et, forcément, le profit s’en mêle. Jacques Rozier s’en moquait déjà dans les années 1970 avec Les Naufragés de l’île de La Tortue – et Pierre Richard, Jacques Villeret et leurs vacances en forme de robinsonnade foirée. Plus récemment, la série The White Lotus de Mike White (la première saison a été diffusée l’an dernier sur OCS) réunissait les pires spécimens de touristes tout-puissants dans un resort de luxe pour des vacances cauchemardesques. Et ce ne sont pas les naufragés du Sans filtre de Ruben Östlund (Palme d’or à Cannes en mai ; sortie le 28 septembre), veules et sûrs d’eux, qui vont changer la donne. Si le touriste consomme, dans le cinéma d’horreur, c’est lui qui est consommé par une île avide de digérer et de recracher ceux qui viendraient simplement la piller (Nightmare Island de Jeff Wadlow, 2020). Mais, parfois, tout le monde passe aussi simplement de bonnes vacances (voir « Paradis »). • Renan Cros

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Terre promise

Le cinéma des îles abonde de migrations. La terre d’accueil rêvée, celle de l’espoir d’une vie plus belle, inspire parfois soudainement le sentiment de l’exil, voire de l’exclusion. Ce sont ces émotions que Jonas Mekas a transcrites après son arrivée en 1949 à Ellis Island, à New York, où transitaient les immigrants jusqu’en 1954. Après avoir acheté sa première Bolex, il chronique sa propre vie. De ce ciné-journal, il réalisera Lost, Lost, Lost (1976), récit fragmentaire de l’arrachement et de l’errance. Cet envers du rêve américain apparaît aussi dès le premier plan symbolique de The Immigrant de James Gray (2013), avec la statue de la Liberté de dos à l’entrée d’Ellis Island. Dans le documentaire Fuocoammare (2016), portrait de l’île de Lampedusa, Gianfranco Rosi filme d’un côté les migrants qui débarquent, de l’autre les locaux qui vivent dans une quasi-indifférence envers les premiers. Dans une scène, un faisceau lumineux traque une épave dans l’abîme noir. C’est la métaphore du cinéma, comme une lueur qui aide à mieux voir dans le chaos. • Q. G.

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Paradis

Mirage exotisant du paradis lointain marketé par l’industrie du tourisme, l’île paradis est vantée comme tel par certains récits très « guide de vie ». Comme dans le cheesy Mange, prie, aime de Ryan Murphy (2010), où l’accomplissement personnel d’une cadre surmenée (Julia Roberts) se calque sur une vision individualiste : manger des pâtes en Italie, prier Bouddha en Inde et rencontrer un bel homme riche à Bali. Mais l’image du paradis est bien plus drôle lorsqu’elle affirme à fond son côté toc. C’est le cas dans la comédie musicale Mamma Mia! de Phyllida Lloyd (2008), dans lequel une jeune fille cherche son père biologique parmi plusieurs hommes qu’elle invite à son mariage, et où le lyrisme premier degré des chansons d’Abba accompagne l’idéalisation camp de l’île grecque de Kalokairi. Quant à La Tortue rouge (2016), film d’animation poétique du Néerlandais Michael Dudok de Wit, son trait épuré et élégant comme ses teintes douces permettent de renouveler la vision criarde du paradis – qui ne le devient que lorsque le héros, un naufragé, entre en harmonie avec son écosystème. • Quentin Grosset

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Jeu

Et si c’était un immense terrain de jeu ? Une grande étendue au milieu de la mer, un endroit pour rêver, jouer, imaginer… être un enfant, tout simplement. Pas étonnant que le Pays imaginaire du Peter Pan de J. M. Barrie ait la forme d’une île. C’est le pays joyeux des enfants heureux (air connu), la cultissime Île aux enfants de Casimir. Comme la famille qui s’échoue sur une île dans Les Robin­sons des mers du Sud de Ken Annakin (1961), ce sont les enfants qui s’adaptent le mieux à cet espace, le réinventent, le conquièrent et le façonnent selon leurs désirs. La saga du Lagon bleu et sa suite Retour au lagon bleu, sorte de Paul et Virginie ultra kitsch des années 1980, fantasme une enfance insulaire, faites d’amour et d’eau fraîche. Mais l’enfance a aussi ses démons que Sa Majesté des mouches de William Golding, récit d’une société despotique à hauteur d’ado (adapté par Peter Brook au cinéma en 1963), saisit avec horreur et fureur. • R. C.

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Nature

Pour nous autres humains corrompus par la civilisation, l’île peut être perçue comme le lieu d’un retour à l’état de nature. King Kong, créature simiesque du film réalisé en 1933 par Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, est découvert à Skull Island. Ce gigantesque gorille a été pensé par le pionnier des effets spéciaux Willis O’Brien comme anthropomorphe pour nous renvoyer l’image de notre bestialité. D’autres monstres insulaires incarnent des préoccupations écologiques : les dinosaures ramenés à la vie dans Jurassic Park (1993) de Steven Spielberg incar­ nent l’ingérence néfaste de l’humanité sur un environnement vengeur. Les réinterprétations du mythe de l’Atlantide (Waterworld de Kevin Reynolds, 1995) peuvent aussi être le signe d’une inquiétude par rapport à la montée des eaux. Dans La Soufrière (1977) de Werner Herzog, il faut composer avec une nature imprévisible. Alors que le volcan de la Soufrière, en Guadeloupe, menace d’entrer en éruption, le réalisateur va à la rencontre de ceux qui ont choisi de rester. Ses plans dépeuplés mettent en image un vieux fantasme, l’île vierge. • Q. G.

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Trésor

L’Île au trésor, le roman séminal de Robert Louis Stevenson, a donné lieu à de multiples adaptations, de la version de Maurice Tourneur en 1923 à la parodie du Muppet Show en 1996. La fascination qu’il exerce encore tient à son ampleur épique, à ses pirates à l’antihéroïsme transgressif – et aussi à ce qu’il nous met face à notre appât du gain. Dans sa version de 1986, Raúl Ruiz cherchait peut-être à retrouver quelque chose de son sentiment d’enfant époustouflé par ce classique de la littérature jeunesse : il donnait alors le rôle de Jim Hawkins à Melvil Poupaud, petit aventurier de tout juste 12 ans. Même ode à l’enfance dans le documentaire L’Île au trésor de Guillaume Brac (2018), où l’île mystérieuse devient la base de loisirs de Cergy. Une scène de paddle près d’une pyramide surgie d’un point d’eau se mue en quête valeureuse pour quelques gamins. Plus apoca­ lyptique, Le Trésor des îles Chiennes (1991) de F. J. Ossang transforme le fameux trésor en une source d’énergie inespérée dans un territoire de mort, où se loge l’angoisse de l’épuisement des ressources. • Q. G.


La« Peter tentation von de Kant l’île» <----<----- En Cinéma couv

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Aventure

Repaire de pirates dans le roman de Robert Louis Stevenson (L’Île au trésor, 1883), décor des aventures de Jack Sparrow de la saga Pirates des Caraïbes, l’île excite notre imaginaire de baroudeur et nous incite à partir à l’aventure. Walter Mitty, l’homme qui rêvait sa vie dans le film de Ben Stiller de 2014, trouve sur les chemins brumeux d’Islande le courage de devenir l’aventurier qu’il rêvait d’être. Sur l’île d’Oléron, le gentil papa tyrannique de Liberté-Oléron (2001) de Bruno Podalydès, lui, joue les capitaines de bateau qui coule. L’aventure prend l’eau, certes, mais c’est l’audace qui compte. Comme dans le récent Le Secret de la cité perdue (2022) où Sandra Bullock et Channing Tatum errent sur une île du Pacifique, les paysages sauvages et l’isolement de l’île exigent de ses visiteurs citadins de lâcher leur boussole pour mieux se perdre et ainsi se découvrir d’insoupçonnés talents d’aventuriers. Mais pas de craintes : comme l’a écrit Jules Verne, l’île mystérieuse veille avec respect et curiosité sur ceux qui l’habitent. • R. C.

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Fantômes

Est-ce parce que l’horizon semble toujours nous y observer, ou parce qu’on finit irrémédiablement par revenir sur nos pas ? Sur l’île, on pourrait bien sentir comme une présence… Willem Dafoe et Robert Pattinson, les deux gardiens du phare d’une île perdue de la Nouvelle-Angleterre de The Lighthouse (Robert Eggers, 2019) en font la terrifiante expérience. L’île fait vaciller toutes nos certitudes : mouettes rieuses, monstres tapis dans l’ombre (L’Île du docteur Moreau de John Frankenheimer, 1997), fantômes (L’Île aux trente cercueils, série de 1979 avec Claude Jade) ou encore légende haïtienne sur les morts-vivants qui inspirera bon nombre de films, de Jacques Tourneur (Vaudou, 1943) à Bertrand Bonello (Zombi Child, 2019). La vie insulaire, forcément plus secrète, excite l’imaginaire du culte surnaturel et ses pratiques païennes terrifiantes, comme dans The Wicker Man de Robin Hardy (1973). L’île comme espace hostile, territoire de toutes nos peurs. • R. C.

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Fiction

Il n’y a pas que les films avec des îles qui sont empreints d’aventure : leurs tournages aussi. Récemment, le réalisateur catalan Albert Serra nous racontait son expérience à Tahiti pour Pacifiction. Tourment sur les îles (sortie le 9 novembre), tourné en plein confinement : « Il y avait cette atmosphère de vide, de solitude, on avait toute l’île pour nous, c’était génial. Ça se ressent un peu dans le film. C’est même peut-être son sujet. » Pas mal de légendes entourent le tournage de Tabou (1929) de Friedrich W. Murnau à Bora-Bora : l’équipe du film aurait profané des sépultures en installant son QG sur un cimetière. Certains y voient le début d’une malédiction qui a précipité divers incidents, jusqu’à l’accident de voiture mortel de Murnau sur une route de Californie, quelques jours avant la première. Pour Sybil (2019), la cinéaste Justine Triet imaginait, elle, un tournage fictif sur le décor du film Stromboli de Roberto Rossellini (1950). La présence en arrière-plan de son célèbre volcan symbolise l’atmosphère chargée de désirs et de tensions éruptifs du tournage qu’elle dépeint. • Q. G.

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Solitude

Robinson Crusoé (1719), légendaire roman de Daniel Defoe sur le parcours d’un naufragé, a souvent été réinterprété au cinéma comme l’apprentissage de la solitude. Dans Seul au monde de Robert Zemeckis (2001), un cadre joué par Tom Hanks échoue sur une île déserte après un crash aérien et se crée un interlocuteur imaginaire en dessinant un visage à un ballon de volley qu’il nomme Wilson. Le film dit ainsi toute l’importance de la fiction comme moyen d’évasion et pour se confronter à soi-même. Le grand Onoda. 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari (2021), adapté de l’histoire vraie d’un soldat japonais qui a cru défendre une île des Philippines pendant trois décennies alors que la guerre s’était terminée peu après son arrivée, saisit par son rapport vertigineux d’une conscience au temps. Onoda le sent-il même passer, sans personne pour lui rappeler qu’il s’écoule ? Même sens de l’absurde dans Pacifiction. Tourment sur les îles (2022), dans lequel Albert Serra montre la solitude d’un politicien français (Benoît Magimel) en Polynésie, qui s’agite mais n’a de prise sur rien. • Q. G.

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Monde inversé

Espace vierge, l’île donne la possibilité de renverser les codes et d’essayer d’autres sociétés, une utopie. En 1725, au théâtre, Marivaux donne le ton avec sa comédie L’Île des esclaves, dans laquelle maîtres et valets échangent leur place dans une parabole politique qui interroge les rapports de pouvoir. En 1919, avec L’Admirable Crichton, Cecil B. DeMille adapte pour Hollywood une pièce de l’auteur de Peter Pan et fait valdinguer les conventions sociales et bourgeoises en racontant le naufrage d’un yacht de luxe sur une île et la prise de pouvoir par un majordome sur ces oisifs égarés. Méchant et insolent, le film est une inspiration directe du tout aussi méchant Sans filtre, Palme d’or 2022 (lire p. 23). L’utopie finit toujours par s’éteindre, mais la possibilité d’une île reste la métaphore d’un idéal impossible à atteindre. • R. C.

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Introspection

Sur l’île, on est toujours face à la mer. Et, forcément, face à la mer, on pense. L’île isole et crée le vertige de soi, ce qu’Ingmar Bergman avait bien compris. Reclus sur l’île de Fårö, le maître suédois a trouvé dans ces paysages insulaires le décor de Persona (1966), grand film sur l’introspection. De L’Avventura (Michelangelo Antonioni, 1960) et son île rocheuse où personnage et récit disparaissent soudain, laissant Monica Vitti et le spectateur face à un grand vide, à l’île purgatoire de la série Lost. Les disparus (20052010), véritable examen de conscience à ciel ouvert, l’île est un espace profondément moderne, à la fois ouvert et intime, où l’on finit par trouver ce qu’on ne savait pas que l’on cherchait. Souvent, l’inspiration, comme pour la réalisatrice au centre de Bergman Island de Mia Hansen-Løve (2021), ou une forme de sérénité face à la mort, comme pour Agnès Varda (« L’Île et elle », exposition amoureuse de 2006 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain* ; Les Plages d’Agnès, 2008). • R. C.

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En couv -----> La tentation de l’île

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Sorcellerie

Les îles ont quelque chose de magique, posées sur l’eau, comme par enchantement. Dans La Tempête de William Shakespeare, adapté au cinéma par Peter ­Greenaway (Prospero’s Books, 1991), l’île est le domaine d’un magicien et le lieu de tous les sortilèges, maléfiques ou amoureux. Sur la plage de Old, le dernier film de M. Night Shyamalan, sorti l’an dernier, les vacanciers voient soudain le temps s’accélérer irrémédiablement. Prisonnier de l’île, les voilà condamnés à voir défiler leur vie en quelques heures. Série phare de la fin des années 1970, L’Île fantastique promettait, elle, à ses visiteurs de vivre leurs rêves les plus fous. M. Roarke et son assistant Tattoo exauçaient les désirs secrets de personnages dont les histoires donnaient lieu à des leçons de vie édifiantes. Comme Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico (2018) transformés en femmes par les pouvoirs étranges d’une île phallique, la magie de ce lieu finit toujours par révéler quelque chose de ses occupants – avec ou contre leur gré. • R. C.

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Oubli

C’est aussi la terre d’un fantasme, celui de tirer un trait sur le passé. Le cinéaste Barbet Schroeder a filmé Ibiza par deux fois comme un espace d’oubli. Dans More (1969), des hippies ne regardent plus ni derrière ni devant eux, ils vivent de drogues et d’amour dans un présent perpétuel. Dans Amnesia (2015), une Allemande vit seule à Ibiza depuis de nombreuses années, et ne parle plus sa langue maternelle pour mieux se délester du poids de l’histoire. Autre fuite, dans Star Wars. Le réveil de la Force (2015) : par honte ou par dépit, Luke Skywalker s’est exilé sur une île planète, loin de tout, après que son neveu a basculé du côté obscur. Dans Fedora (1978), Billy Wilder filme une actrice vieillissante recluse sur une île grecque luxuriante. Prétextant se faire oublier, il semblerait qu’elle tente plutôt de préserver son mythe par les moyens les plus tordus. Même sur la plus perdue des îles, peut-on vraiment échapper à ce qu’on a été ? • Q. G.

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Enfermement

Beaucoup de films titillent nos peurs claustrophobiques à travers des récits mettant en scène des îles prisons. Fantasmatique, ce type d’établissement pénitentiaire (Alca­traz, Rikers Island, l’île du Diable…) l’est surtout parce qu’il est réputé abriter les prisonniers les plus dangereux, encore davantage mis au ban de la société que s’ils étaient parqués sur le continent. Des films comme L’Évadé d’Alcatraz de Don Siegel (1979) insistent alors sur la prouesse spectaculaire que constitue l’évasion, demandant du courage, de la discrétion et de la ruse. C’est à la fuite incompréhensible d’une patiente d’hôpital psychiatrique que l’on a affaire dans Shutter Island (2010) de Martin Scorsese. Les enquêteurs sont entraînés dans un indémêlable jeu de pistes, et s’enferment eux-mêmes dans un huis clos mental. Plus métaphysique, Old de M. Night Shyamalan (2021) imagine un atoll inextricable, où des vacanciers vieillissent à toute vitesse. Le cinéaste prend le parti de l’insularité pour évoquer notre impuissance face à notre finitude. • Q. G.

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Désir

Au fond, sur une île, on est tranquille, c’est l’occasion de laisser libre cours à nos fantasmes les plus débridés. Lorsqu’en février 2018 on demandait aux cinéastes français Bertrand Mandico et Yann Gonzalez s’ils concevaient leurs films respectifs comme des utopies queer, le premier répondait : « Oui, c’est l’idée d’un territoire qui s’étend à chaque film. Je vois un peu ça comme une carte du Tendre. » Le second allait dans le même sens : « Chacun des films serait comme une île où je pourrais chaque fois inviter plus de gens. » Pour Les Garçons sauvages (2018), dans lequel les corps de garçons criminels se transforment sur une île où les végétaux sont des sexes, Mandico nous disait avoir été inspiré par le roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier : « À un moment, Robinson… il baise avec l’île, quoi ! » Dans le bien nommé Les Îles, Gonzalez filme tout à la fois le feu de la passion et la magie de la débauche, la peur et l’excitation, en imaginant chaque espace insulaire en une zone de cruising peuplée de monstres ardents et de branleurs sentimentaux. • Q. G.

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Survie

« Sur l’île, il ne peut en rester qu’un. » Cette phrase, issue d’un jeu d’aventure télévisé très connu, est devenue le symptôme d’une société du spectacle hyper concurrentielle. De Koh-Lanta à sa parodie récente Le Flambeau. Les aventuriers de Chupacabra, l’île n’est pas un territoire refuge, mais un champ de bataille où tous les coups sont permis pour être le dernier « survivant ». Une mécanique de jeu télévisé à base d’éliminations – comme si l’île était un paradis d’où l’on peut être banni – que la fiction a parfois repris à son compte – mais avec nettement plus de sang. L’île de Battle royale (Kinji Fukasaku, 2001) devient le territoire d’un carnage entre lycéens. À l’instar de celle du comte Zaroff dans le film de 1934, les chasses d’État de la saga Hunger Games (2012-2015) se font sur des îles coupées du monde, à la localisation mystérieuse. Comme celle de la série Squid Game où les plus faibles et démunis s’affrontent jusqu’à la mort. À l’abri des regards se joue le pire de l’humanité… pour être retransmis sur les écrans du monde entier. • R. C.

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Émancipation

Plus rarement, l’île prend les contours d’un lieu safe, un espace culturel et politique où des personnes marginalisées s’épanouissent à l’écart d’une société conformiste. Récemment, dans « L’Acqua fresca », clip du groupe Mansfield. TYA, le jeune réalisateur Nicolas Medy revisite Un chant d’amour de Jean Genet avec un imaginaire plus lesbien, en rêvant l’île de Maldoror, bagne de criminelles. La caméra invente les passages secrets entre les cellules, où le désir circule sans entrave. Dans le sublime Portrait de la jeune fille en feu (2019), Céline Sciamma investit l’exi­guïté d’une île comme pour mieux se resserrer sur l’histoire d’amour entre une peintre et sa modèle, poussant l’hétéro­sexualité hégémonique hors champ. Reprenant dans une veine queer le mythe des sirènes appelant Ulysse à son retour de l’île des morts, Marie Losier dépeignait leur féminité à la fois pailletée et menaçante dans L’Oiseau de nuit (2015), imaginant les performeuses drag de la discothèque portugaise Finalmente Club prêtes à croquer goulûment plein de colons hétéros beaufs. • Q. G.


La tentation de l’île <----- En couv

L’île vue par…

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Complot

RUBEN ÖSTLUND, RÉ ALISATEUR

© Plattform Produktion

Dans la mythologie contemporaine, l’île est parfois le lieu du secret. Repaire des génies du mal peuplé de laboratoires interdits dans la saga James Bond (avec l’île de Crab Key, où vit Dr. No, comme matrice), l’île est cet endroit sur la carte qui n’existe pas, ou presque. Elle est donc forcément le lieu de tous les fantasmes complotistes : essais nucléaires cachés, paradis fiscaux ou stars ressuscitées (Elvis et Johnny coulent-ils des jours heureux sur une île, cachés du monde ?). De The Ghost Writer de Roman Polanski (2010) à Ex machina d’Alex Garland (2014), en passant par The Island de Michael Bay (2005) ou Seconds. L’opération diabolique de John Frankenheimer (1967), le cinéma parano a fait de l’île le lieu des mensonges et des vérités cachées. Cette année, c’est sur l’île de la série parodique de Jonathan Cohen Le Flambeau. Les aventuriers de Chupacabra qu’Yvan (Thomas Scimeca), le complotiste, trouvait malgré lui des réponses à pas de mal de ses délires. Comme par hasard. • R. C.

* Des photographies issues du catalogue de l’exposition « L’Île et elle » sont visibles dans l’exposition « Plages, cabanes et coquillages » sur le travail d’Agnès Varda, jusqu’au 18 septembre à la Villa Domergue et jusqu’au 20 novembre au centre d’art La Malmaison, à Cannes

Ruben Östlund sur le tournage de Sans filtre

Après avoir décapé la morale bourgeoise dans The Square, Palme d’or en 2017, le Suédois a raflé une deuxième Palme avec Sans filtre, une comédie satirique qui transforme un bateau de croisière de luxe et une île paradisiaque en petits théâtres de la cruauté. Dans votre nouveau film, Sans filtre, vous enfermez vos personnages sur un bateau puis sur une île déserte… Quoi de mieux qu’une île pour tout foutre en l’air ? Quand mes personnages arrivent sur cette île, ils ont l’impression que tout sera comme avant. Mais, une île, c’est toujours un point de départ. Qui fixe les règles de la société ? Mes films cherchent à comprendre le fonctionnement bizarre de toutes ces hiérarchies tacites qu’on s’impose. Sur le bateau, il y a les dominants et les dominés, et tout ce petit monde, enfermé ensemble sur ce gros morceau de ferraille, rejoue éternellement des codes destructeurs. Qu’est-ce qui se passe quand tout fout le camp ? Un grain de sable – ici un capitaine [joué par l’excellent Woody Harrelson, ndlr] qui a trop lu Karl Marx –, et tout bascule.

L’île est un mythe politique pour vous ? Il y a beaucoup d’îles dans la fiction. C’est un territoire vierge dans lequel chacun peut projeter ce qu’il veut. Moi, je n’avais pas envie de parler de « survie » et d’utiliser l’île comme un lieu d’aventure. Pour moi, cette île déserte, c’était surtout un espace neutre, un espace libéré des règles et des codes de la société. Tout le monde est au même niveau. Et, maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? C’est peut-être en ça que l’île est un décor politique. Là, on espère encore pouvoir réinventer le monde. On retrouve cette idée de l’île comme territoire où les hiérarchies disparaissent dans la littérature classique (L’Île des esclaves de

camp. Le pouvoir est une jouissance qui salit les rapports. Plus on y goûte, plus on oublie la violence et la domination qu’il suppose. Cette île met en lumière tout ce qui était auparavant caché dans l’ombre de la politesse et de la bienséance.

glorieux pendant lesquels il essaie d’échapper à qui il est. On est extrêmement fragile en vacances, parce qu’on espère beaucoup. Mais, sur un paquebot de luxe, il y a tout ce que l’humanité peut avoir de pire : le profit, le pouvoir, la servitude et le mauvais goût.

Dans Snow Therapy, vous transformiez un séjour au ski en psychodrame cruel. Ici, qu’est-ce que la croisière de luxe vous permet de dire sur l’argent et le capitalisme ? Il n’y a rien de plus capitaliste aujourd’hui que les vacances, qui sont devenues une injonction au bonheur. Il faut les préparer, les réussir, les montrer, « profiter », voilà. À partir de là, il suffit que ça ne se passe pas

Vous allez tourner votre nouveau film dans un avion. Une autre forme d’île ? Le film s’appelle The Entertainment System is Down. Un avion, en soi, c’est une utopie. Vous enfermez des gens qui ne se connaissent pas pendant des heures, en l’air, au-dessus du vide. Il faut vraiment croire en l’humain pour se dire que ça va bien se passer. On a inventé ces petits écrans qui diffusent des films en boucle pour que vous oubliiez la personne assise à côté de vous. Forcément, moi, je me demande ce qui se passe si ce système tombe en panne. Vous saviez qu’il y a plus de chances qu’il y ait un incident entre voyageurs durant le vol si les passagers de la classe économique ont dû traverser la classe affaires pour atteindre leur siège ? Pensez-y quand vous embarquerez pour vos vacances.

« Un grain de sable, et tout bascule. » Marivaux, 1725) ou dans le cinéma américain classique (L’Admirable Crichton de Cecil B. DeMille, 1922)… Mais l’ordre social finit toujours par revenir. Pourquoi ? Peut-être parce que, comme moi, les gens qui ont écrit ces histoires savaient bien que les règles et les hiérarchies ne disparaissent pas comme ça. Dans Sans filtre, je voulais voir ce qui se passerait si le pouvoir changeait de

comme prévu pour que tout devienne drôle et révèle quelque chose de nous, êtres humains soi-disant civilisés du xxie siècle. On sort de sa zone de confort quand on est en vacances, on explore, on se rêve un peu en quelqu’un d’autre. C’est quelque chose qui me touche. J’ai l’air d’un misanthrope comme ça, mais pas du tout. J’aime l’humain pour ses faiblesses, ses failles, ses moments pas très

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Sans filtre de Ruben Östlund, Bac Films (2 h 29), sortie le 28 septembre

PROPOS RECUEILLIS PAR RENAN CROS

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THIERRY DE PERETTI, RÉALISATEUR

Le cinéaste, né à Ajaccio, sonde la mémoire collective corse dans des films amples et tragiques – Les Apaches, Une vie violente. Il prépare son quatrième long métrage, adaptation du roman À son image de Jérôme Ferrari.

Dans vos films, on ne voit presque jamais la mer. Comment, alors, donner la sensation de l’île ? Ce qui « fait île », c’est la conscience qu’en ont celles et ceux qui y vivent, et la somme des récits qui sont les leurs ou qui peuvent en émerger. Mon désir de cinéma vient de là, de parler de la Corse à travers son histoire récente, son peuple, de parler de nous. Pour moi, l’île n’est pas déserte, elle n’est pas un paysage joli pour venir en voyage de noces, elle est le monde. La belle plage, la belle montagne, je n’ai pas voulu les filmer dans mes premiers films, parce que j’aurais eu l’impression de rajouter un supplément exotique, ce qui

me répugnait un peu, comme si je disais : « Voyez comme c’est beau, venez bronzer ici ! » Mais vous pouvez vous intéresser à ce qui se passe, à ce qui se joue, à ce qui se vit et se dit ici ; c’est ce qui compte. La beauté qui est liée à la Corse, à sa nature, est douloureuse, elle fait presque mal, c’est difficile de montrer ça. L’île, c’est aussi un territoire fermé, d’où l’on ne s’échappe pas ? La question de la finitude de l’île et de ce que ça peut générer d’inquiétant ou même d’angoissant, j’ai pu la ressentir à l’adolescence ; c’est en partie ça qui m’a donné envie de partir. Il y a un texte très beau, dur et pas nostalgique du tout de Marie Susini, La Renfermée. La Corse [paru en 1981, ndlr], accompagné de photos de Chris Marker, dans lequel elle parle de ça, de l’étouffement des bordures. J’ai pu ressentir ce qu’il y a d’extrêmement concentré sur l’île et qui renvoie à une certaine solitude. Ici, ça peut être difficile d’échapper à ce qu’il y a d’étroit et d’inamovible dans la mémoire des autres, on peut se dire qu’on ne pourra pas sortir de la place qu’on nous donne. Tout vient et tout part de l’île, rien d’autre n’existe. Pourtant, à l’intérieur de ce territoire fermé,

limité, il y a aussi, si on est attentif, de nombreux autres microterritoires puissamment différents les uns des autres. L’extrême Sud, en Corse, ce n’est pas le Centre, ce n’est pas Ajaccio, ce n’est pas la Plaine orientale. Chacune de ces microrégions possède en elle un potentiel de récit et de cinéma fort, unique même, total. À l’intérieur d’une île, il y a des îles. Ça se démultiplie en fait. L’île est aussi un archipel. Et les autres îles ? Il y a deux autres îles auxquelles je pense souvent. Taïwan d’abord. Quand j’ai commencé à vouloir faire du cinéma, j’ai découvert, ébloui, les films de Hou Hsiao-hsien, Les Fleurs de Shanghai, Good Men, Good Women, et aussi les plus contemporains, Millenium Mambo ou Goodbye South, Goodbye. J’avais eu une impression très familière, très forte. Taïwan est aussi une île coincée entre deux cultures, chinoise et japonaise, comme la Corse l’est entre les cultures française et italienne. Taïwan a subi et continue de subir le joug des colonisateurs continentaux. En Corse, la relation politique et historique avec la France n’est pas encore dénouée, elle demeure conflictuelle, promettant un surgissement

© Pyramide Distribution

L’île vue par…

Une vie violente (2017)

« Pour moi, l’île n’est pas déserte, elle n’est pas un paysage, elle est le monde. » violent à la moindre occasion. L’autre île, qui est un archipel, et qui m’a aussi passionné à travers l’œuvre de quelques cinéastes – Lav Diaz, Raya Martin, entre autres –, ce sont les Philippines. Norte. La fin de l’histoire, Batang West Side ou encore Evolution of a Filipino Family sont des films qui, malgré leur violence, leur démesure, me réconfortent et me font me sentir moins isolé. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

Dans sa vidéo de présentation de son métavers, en octobre dernier, Mark Zuckerberg s’exprimait devant un paysage d’île déserte. Le philosophe et informaticien Jean-Gabriel Ganascia, président du comité d’éthique du CNRS, explique ce que sous-tend cette analogie entre île et monde virtuel. « Dans la science-fiction, le métavers, cet univers virtuel où une communauté de personnes interagissent sous forme d’avatars, n’est pas du tout lié à la figure de l’île. Les premiers romans qui le mettent en scène, Simulacron 3 (1964) de Daniel F. Ganouye, Simulacres (1964) de

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Philip K. Dick, présentent plutôt le métavers de manière dystopique. Dans la vidéo de Zuckerberg, il y a transformation de ce qui est dystopie en utopie – l’utopie, dans l’ouvrage du même nom de Thomas More publié en 1516, étant à l’origine une île. Je pense qu’il veut donner une image positive d’évasion dans un univers idéal où les contraintes de la réalité s’estompent pour favoriser la rencontre. Cette utopie, elle est particulière parce qu’elle est soumise à ses ambitions d’homme d’affaires. Son idée, c’est qu’il pourrait y avoir un seul grand métavers qui fusionnerait tous les autres, et il laisse entendre qu’il pourrait en être le grand chef. De ce point de vue, c’est l’opposé de l’utopie de More, où la circularité de l’île connote l’égale distance, l’équilibre entre les personnes. » PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

Mark Zuckerberg et son avatar dans la présentation de son métavers, en octobre 2021

no 190 – été 2022

© Meta

Jean-Gabriel Ganascia, philosophe et informaticien


La tentation de l’île <----- En couv

Louis Brigand, géographe

Vivez UNE SECONDE

Professeur de géographie à l’université de Bretagne occidentale, Louis Brigand a publié en 2009 Besoin d’îles (Stock). Il nous a répondu depuis l’archipel de SaintPierre-et-Miquelon, où il tourne un film sur le homard.

Pourquoi avons-nous besoin des îles, particulièrement aujourd’hui ? Les îles sont toujours des territoires d’utopie où l’on peut envisager de changer, sinon le monde, du moins sa propre vie. On en a d’autant plus besoin actuellement que l’on recherche des valeurs très présentes dans les îles : la solidarité, la convivialité, la proximité, d’autres formes économiques en lien avec un environnement de qualité, d’autres modes de mobilité ou encore de modèles énergétiques. Le nombre important de néorésidents que l’on trouve aujourd’hui dans les îles en est l’expression la plus achevée. Certaines îles deviennent d’ailleurs inaccessibles à des revenus moyens. À terme, on pourrait imaginer qu’elles deviennent des enclaves pour une population fortunée aspirant à un cadre de vie remarquable et à certaines formes de tranquillité… PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

à la Bourse de Commerce

Bourse de Commerce — Pinault Collection, Philippe Parreno, Quasi Objects: My Room is a Fish Bowl, AC/DC Snakes, Happy Ending, Il Tempo del Postino, Opalescent acrylic glass podium, Disklavier Piano (détail), 2014-2022. Photo Andrea Rossetti

En quoi les îles sont-elles des avant-postes écologiques ? Elles l’ont toujours été, car elles constituent des espaces remarquables sur de nombreux plans : paysages, environnement, biologie végétale et animale, géomorphologie… Ce sont de vrais laboratoires, et ce n’est pas un hasard si Darwin a élaboré ses théories de l’évolution à partir des îles Galápagos. En outre, avec les changements climatiques, les îles basses posent des questions fondamentales par rapport au rehaussement du niveau marin.

D’ÉTERNITÉ

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été 2022 – no 190

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Cinéma En couv -----> -----> XXX La tentation de l’île

L’île vue par…

GUILLAUME MONSAINGEON, PHILOSOPHE En 2019, il était commissaire, avec Jean-Marc Besse, de la foisonnante exposition « Le Temps de l’île », au Mucem, à Marseille.

que les îles déclenchent, ce sont des passions, des pulsions, des désirs. En fait, les îles sont des accélérateurs. Elles accélèrent à la fois notre peur de l’impasse, d’un lieu d’où l’on ne peut pas sortir, et le grand fantasme de la modernité occidentale, l’île pensée comme espace de liberté.

Qu’avez-vous découvert au fil de vos recherches sur les îles ? L’incroyable variété des regards et des disciplines mobilisées : la littérature, le cinéma, la peinture, l’économie, l’anthropologie, la géo-

L’île est donc un pur fantasme occidental ? Oui, l’île en général, et l’île déserte en particulier, est un fantasme occidental. Il y a eu pas mal d’étapes dans la construction de ce fantasme, mais on peut identifier deux grands moments. D’abord la Renaissance, avec le livre Utopia de Thomas More, qui invente une île comme modèle politique. Il y a des petites polémiques sur l’étymologie du terme « utopia » : est-ce que c’est le lieu qui n’existe pas, ou le lieu de bonheur ? L’autre grande invention, c’est évidemment Robinson Crusoé de Daniel Defoe. J’ai découvert l’invraisemblable succès de cet ouvrage à partir de sa publication, en 1719 : des milliers de rééditions, des centaines de traductions. Il n’y a pas un philosophe qui n’ait pas travaillé sur Robinson Crusoé. Ce succès montre bien que, comme tout mythe, l’île révèle quelque chose de notre conception occidentale.

« On peut parler d’îles recolonisées par la télé-réalité. »

Pourquoi l’île fascine-t-elle les artistes ? Au début du xxe siècle, avec le tournant conceptuel, l’artiste se pose en penseur, avec un discours critique sur la société. À partir de là, les artistes se saisissent des îles un peu comme les pirates s’en étaient saisis au xviiie siècle, avec par exemple Libertalia [colonie libertaire qui aurait été fondée par

avant J.-C., ndlr]. Mais depuis le xxe siècle s’est développée aussi l’idée de la ville archipel, où l’île est mise en relation avec d’autres espaces. En écologie aussi, on en est maintenant à penser que rien n’est jamais isolé. On est sur la grande île qu’est la Terre. C’est intéressant de voir comme le modèle de l’île évolue vers un modèle du réseau d’îles.

L’île est aussi un décor de télé-réalité… Les émissions comme Koh-Lanta montrent une réalité économique de ces îles devenues des studios de télévision. Il y a vraiment l’idée de l’île comme une réalité plastique dont on peut se saisir. Parce que c’est une île, on peut la façonner, on peut y créer des infrastructures qu’on ne pourrait pas créer ailleurs. En cela, on peut parler d’îles recolonisées par la télé-réalité. Il y a vraiment cette idée de s’emparer, de déformer, de transformer. Et on constate que ce n’est jamais pour souligner la singularité, les particularités de langue, de mode de vie ou d’histoire, mais au contraire pour homogénéiser, pour standardiser. C’est à nouveau l’île selon nos fantasmes occidentaux.

La tradition d’accueil sur les îles prend des échos très contemporains avec la crise migratoire, de Lampedusa en Italie à Lesbos ou Samos en Grèce… La tradition d’accueil, on la voit bien par exemple dans L’Odyssée d’Homère [fin du viiie siècle avant J.-C., ndlr] qui est un des livres fétiches en matière d’insularité puisque Ulysse passe d’île en île. Cette hospitalité des insulaires à l’égard de l’inconnu, de l’altérité, elle est attestée par tous les travaux des anthropologues. On sait par exemple que le peuplement des îles du Pacifique s’est fait parce que les gens ont traversé 3 000 kilomètres d’eau sur des pirogues. Tout ce que les textes et les traditions océaniennes rapportent, c’est que le modèle était vraiment celui de la mixité et de l’acculturation par les échanges. Aujourd’hui, cette tradition se transforme en obligation imposée par les États, non pas d’accueil ou d’hospitalité, mais de centre de rétention. Il s’agit non pas de bien traiter, mais au contraire de reléguer sur l’île pour éviter l’envahissement du continent. C’est une vraie violence qui est faite.

Les îles nous fascinent aussi pour leur proximité avec la nature. Quel lien entretiennent-elles avec l’écologie ? Il y a un côté sentinelle : l’île nous dit avant le continent ce qu’il en est de la montée des eaux, de la multiplication des épisodes d’ouragans. Donc l’île, ce n’est pas seulement l’éloignement dans l’espace, mais c’est aussi une relation temporelle. En urbanisme, l’île a toujours été un modèle – déjà à l’époque romaine, on parlait d’insula [immeuble d’habitations qui apparaît à la fin du iie siècle

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

© BnF

politique. Partout, le motif de l’île est un outil pour nous penser nous-mêmes, penser nos sociétés, l’histoire, le futur. Pour l’exposition au Mucem, on a abouti à un projet plutôt philosophique et un peu provocateur, qui était de dire : l’île n’existe pas. Les définitions juridiques, par exemple, c’est du grand n’importe quoi – il faut que la terre émergée ne soit pas recouverte à marée haute et que cette terre soit viable, qu’on puisse y assurer une vie. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Plus on avance et moins c’est clair, et on voit bien que plutôt qu’une soif de connaissance, ce

des pirates sur l’île de Madagascar à la fin du siècle, ndlr] et toutes ces îles de pirates qui étaient la possibilité de créer un autre monde, un monde alternatif. Les artistes se sont emparés des îles parce qu’effectivement elles permettent de repenser un petit monde complet, alternatif. L’île décuple l’imaginaire.

xviie

Histoire de Robinson Crusoé, estampe (détail), 1841

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La tentation deXXX l’île <----<----- En Cinéma couv

Avec son collectif Bajour, Hector Manuel a créé en 2021 L’Île, un spectacle iconoclaste situé sur une île imaginaire, satire burlesque de nos fantasmes d’ailleurs.

Sébastien Marnier, réalisateur Le réalisateur Sébastien Marnier investit l’île comme le lieu des faux-semblants avec L’Origine du mal, tourné à Porquerolles, au cinéma le 5 octobre prochain. Pourquoi avoir situé votre récit sur l’île de Porquerolles ? J’ai imaginé un double huis clos : une immense villa filmée comme un mausolée sur une île paradisiaque. J’ai écrit en pensant à

« L’île me semblait une allégorie pertinente pour parler de notre génération désireuse de déconstructions et de redéfinitions, de notre urgence à fuir les injonctions professionnelles et sociales pour réinventer notre propre identité, voire notre propre culture. Y convergeaient la liberté joyeuse et le vertige de l’indéfinition, la solitude apaisante et la peur une fois qu’on a fait le vide de son histoire. Naufragés politiques et du monde du travail, écrasés par la machine capitaliste, pouvaient donc s’y rencontrer. Enfin, tout groupe, qu’il soit politique, artistique ou

amical, constitue toujours un petit îlot avec ses règles, ses codes, son histoire particulière et choisie, et c’est ce que nous aimons représenter dans nos spectacles. »

Porquerolles. J’aime cette île pour sa beauté, ses couleurs, sa côte sauvage et la Fondation Carmignac. Mais, dès que les beaux jours arrivent, elle est littéralement envahie par les touristes. La plage d’Argent, si sereine, se défigure comme dans une photo de Martin Parr. C’est vraiment cette schizophrénie qui a éveillé en moi l’idée de faire de Porquerolles l’arène anxiogène de L’Origine du mal.

Qu’est-ce que l’île représente pour vous ? C’est paradoxal : c’est à la fois le comble du luxe, cette idée paradisiaque d’être loin des autres, d’être connecté aux éléments, à l’océan, mais c’est aussi l’isolement, l’entre-soi… Un territoire à la fois protecteur et dangereux. Dans mon film, cette dimension îlienne est métaphorique. Elle raconte la fin d’un monde et la dégénérescence d’une famille richissime. L’ancien monde en quelque sorte. L’île est un territoire idéal de suspense et de thriller. Si vous criez, personne ne vous entend.

Comment donner par la mise en scène le sentiment d’être sur une île ? Par les traversées en bateau. À la fois en ferry et en yacht, pour donner à voir l’opposition entre pauvres et riches. Ces nombreux allers-retours entre le continent et l’île racontent l’insularité mais aussi, et surtout, le retranchement de la famille de Stéphane (Laure Calamy). Ils racontent aussi sa traversée personnelle.

Deux spectacles de Bajour sont montrés à Avignon cet été : De la mort qui tue (1 h 15) et Bob et moi (1 h 15). http://www.bajour.fr

© Loewen photographie

Hector Manuel, metteur en scène

PROPOS RECUEILLIS PAR RENAN CROS

L’Origine du mal de Sébastien Marnier, The Jokers/Les Bookmakers (2 h 05), sortie le 5 octobre

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

Albert Serra, réalisateur

Daniel Scheinert, réalisateur

Dans Pacifiction. Tourment sur les îles, au cinéma le 9 novembre, Albert Serra suit un politicien français à Tahiti, complètement déphasé alors que la rumeur d’une reprise des essais nucléaires se propage.

Le cinéaste américain, dont le déluré blockbuster Everything, Everywhere, All at Once sort cet été (lire p. 38), signait en 2016 avec son acolyte Daniel Kwan un film d’île génial et perché, Swiss Army Man, dans lequel un naufragé (Paul Dano) se lie d’amitié avec un cadavre (Daniel Radcliffe).

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

© Les Films du Losange

« L’île, c’est le paradis perdu, devenu accessible et banal. Tout vrai paradis doit être difficile à conquérir. L’île qui fait

rêver, c’est celle qui arrive à préserver sa singularité en empêchant les gens d’y aller. Et c’est mieux si elle est petite. Pour donner le sentiment d’une île, je montre beaucoup d’eau dans le film, ainsi qu’une évolution des événements et une psychologie des personnages un peu bloqués. Le tournage a été accidentellement idéal, parce qu’il y avait le confinement total, mais nous avions quand même l’autorisation de tourner. L’île était déserte. »

« En pleine nature, l’esprit et le corps deviennent bizarres. Ils le sont toujours, mais être loin de sa famille et de la société exacerbe cette étrangeté. C’est très drôle à filmer. Swiss Army Man est une version absurde du roman Castaway de Lucy Irvine [publié en 1983 ; la Britannique y raconte comment, après avoir répondu à l’annonce de l’écrivain Gerald Kingsland, elle part vivre avec lui pendant un an dans l’archipel de Tuin, en Australie, ndlr]. C’est aussi un hommage au roman Hatchet de Gary Paulsen [publié en 1986, ndlr], récit initiatique dans lequel un jeune garçon échoue sur une île à la suite d’un crash d’avion. Il doit survivre seul dans les bois, avec juste une

été 2022 – no 190

hache. Ça m’avait sidéré à l’époque, ça m’a ouvert les yeux sur ce qu’est la mort, mais aussi la persévérance et l’espoir. » PROPOS RECUEILLIS PAR LÉA ANDRÉ-SARREAU

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Cinéma -----> « Rétrospective F. J. Ossang »

MO

C TS

É S S I O R

« C’est l’histoire d’un homme qui décide de tout prendre À LA LETTRE. » Au bord de l’aurore de F. J. Ossang (Warwillers, 1994)

© Renaud Monfourny

« J’avais écrit un scénario, mais je n’arrivais pas à faire le film, alors j’ai écrit ce livre. Le scénar c’était Au nord de l’aurore, alors j’ai intitulé le livre Au bord de l’aurore. C’était une sorte de carnet de bord entre l’Argentine et l’Espagne. L’idée, c’était de tout prendre à la lettre. Tout ce qui est métaphore devient vertigineux et radical. Par exemple : “On se tire !” – puis, pan, coup de feu. »

« Ses dialogues, il faudrait pouvoir les dire dans un cercueil ou un tombeau de glace. » Elvire, actrice et compagne de F. J. Ossang, TROISCOULEURS no 159, mars-avril 2018)

« C’est vrai que, quand il fait chaud, mes dialogues sont pas faciles à dire. Ça, c’était un truc entre Elvire et Jack Belsen, le guitariste de mon groupe de noise ’n’ roll MKB Fraction Provisoire. Jack est mort en décembre 2018. On s’est connu en 1979, un peu par hasard, et ça a été le début de MKB. Il connaissait des bouts de dialogue par cœur, et il les citait de manière un peu absurde. Ça m’amusait bien… Tous mes films ont été écrits différemment. L’Affaire des divisions Morituri (1985), Le Trésor des îles Chiennes (1991), je rêvais que ce soient des films d’aventure. Je ne réfléchissais pas avant-garde, expérimental. Finalement, le budget étant réduit drastiquement, j’ai dû comprimer. Je voulais dévorer le cinéma, et puis bon on m’a un peu calmé. Alors ce sont devenus des films d’aventure intérieure. Le film de genre, c’est un petit peu à la mode, et c’est pas toujours à propos. Moi, mon truc, c’était de vampiriser le genre. »

« F. J. autobiographie des kids chimiques. F. J. big bang du coma technologique. F. J. au sourire de Winchester. » « Note de Claude Pélieu » dans Au bord de l’aurore de F. J Ossang (Warwillers, 1994)

« Il y a eu une fraternité instinctive entre les beats comme lui – les premiers hein, pas les babas hippies – et les punks comme moi. Claude était un très grand ami, une rencontre capitale. J’avais lu son livre Infra noir, qui m’avait beaucoup plu, puis je lui ai écrit pour lui proposer de faire un numéro spécial de Cée qui lui serait consacré. Il m’a répondu en reprenant un de mes textes par fragments, j’étais très honoré. On avait vingtdeux ans de différence, moi j’avais 20 ans – il m’appelait Kiddo –, lui la quarantaine. Tout de suite ça a démarré fort, on s’est beaucoup écrit. Il a débarqué aux États-Unis en 1962, et je crois qu’Allen Ginsberg et William S. Burroughs l’ont tout de suite adopté. Là, très vite, il a inventé une façon d’écrire, ça a été un big bang. Tous les Burroughs sont traduits par lui et c’est génial. Il n’avait d’yeux que pour les ivrognes, les fous, les imbéciles. Go for lunatics. »

« Écrire n’est rien d’autre que ça : non pas une évasion hors de la réalité, mais une C’est, pour nous, le plus grand tentative pour changer la poète punk français. « And réalité, de sorte que l’écrivain now, das ist dada rock ‘n’ roll peut s’évader des limites « Sans le soleil, impossible guerilla », chantait F. J. Ossang de la réalité. » de comprendre l’Amérique en 1980 avec son groupe MKB Ultimes paroles de William S. Burroughs du Sud. » Fraction Provisoire. Un mantra (Christian Bourgois, 1997) Pérégrinations argentines de Witold Gombrowicz qui est toujours celui de « C’est un immense écrivain. J’ai édité deux « J’adore le journal de Gombrowicz, je le relis l’écrivain, cinéaste et musicien, textes de lui [dans la revue semestrielle Cée et pour la maison d’édition Céedition, qu’il a « À quoi bon des poètes en tous les étés, quel que soit l’endroit où je me dont les trois premiers films cofondées en 1977 avec le poète Luc-Olivier trouve. Au début des années 2000, j’essayais d’Algange, ndlr], et j’ai aussi écrit un petit temps de détresse ? » de faire des films en Argentine, j’avais un (L’Affaire des divisions livre sur lui, W. S. Burroughs vs formule-mort, « Pain et vin » de Friedrich Hölderlin peu d’argent, et comme c’était la faillite làMorituri, 1985 ; Le Trésor des en 2009. On était fous de Louis-Ferdinand bas… Mais je n’y suis jamais arrivé. À Buenos îles Chiennes, 1991 ; et Docteur Céline, de Guy Debord, d’Antonin Artaud « L’écrivain Jean-Christophe Bailly avait fait Aires, il y avait ce bar génial, avec quatre et de William S. Burroughs, ils étaient pour une anthologie où il reposait la question mètres de hauteur sous plafond, c’était le Chance, 1998) ressortent en nous les quatre piliers de la sagesse. Ce que de Hölderlin à des artistes. Samuel Beckett Café Tortoni, un très haut lieu du tango. Il version restaurée, tandis que j’ai écrit sur Burroughs, c’était pas le texte avait répondu : “Je n’en ai pas la moindre faisait 34 °C mais, le ressenti, c’est plutôt d’un homme savant, ou d’un poète ensei- idée !” Ça se pose aussi pour le cinéma, qui 44 °C. C’est là que j’ai compris que, alcool son manifeste Génération gnant. C’était au contraire celui d’un poète s’est suicidé par ses protagonistes même. bien tassé plus chaleur étouffante, c’est pas Néant (1993) est lui aussi amateur, d’un petit qui parlait d’un grand. Aujourd’hui on ne peut faire que des films un bon cocktail. Pour la chaleur j’ai un truc. republié aux Presses du réel. C’était donner des clés, dire pourquoi j’aimais très peu chers ou très chers. J’essaye de Pendant le tournage de Docteur Chance, passionnément cet auteur. Je me reconnais répondre à la question dans mon livre Mer- tout le monde se foutait de ma gueule, On a soumis à F. J. Ossang dans ce qu’il dit. À la fois dans le fait que la cure insolent. Mais je ne me rappelle plus parce qu’il faisait 46 °C et que moi j’avais des phrases aussi électriques réalité n’existe pas, et dans le fait qu’écrire ce que j’ai dit. Alzheimer ! » mon blouson en cuir. Si tu roules à moto, ou réaliser un film ça dédouble la réalité. Il avec l’air tu n’as pas chaud, donc tu te désque son univers sombre, arrive qu’un auteur invente un monde instanhydrates. Tandis que si tu gardes ton cuir, aventureux et dément. tanément ; c’était son cas. » c’est un peu la technique touareg. »

F. J. OSSANG

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« Rétrospective F. J. Ossang » <----- Cinéma

« Plutôt que le voyage, la fuite. » Génération Néant de F. J. Ossang

« Ça doit être vrai, hein. J’étais jeune quand j’ai écrit ça, au tout début 1980, après que mon ami Thierry s’est tué en voiture sur la nationale Paris-Bordeaux. Ça a été un choc. La fuite, c’est un voyage. Une question que je me pose, c’est comment fuir ? où fuir ? Quand il faut affronter des situations, dans la fuite, il y a une urgence… Ça ne résout pas les questions, ça les brûle ! »

« Notre génération n’est plus une génération, mais ce qui reste, le rebut et le coupon d’une génération qui promettait, hélas, plus qu’aucune autre. Tout au monde est désaxé, tout. Rien n’échappe à cette loi de folie, à ce malaise qui précède une aube que nous ne verrons même point. »

Curiosa Films présente

Juliette Vincent Binoche Lindon

Journal 1919-1924 de Mireille Havet

« Rétrospective F. J. Ossang » (Solaris), ressortie le 24 août • Génération Néant de F. J. Ossang (Les Presses du réel, 432 p., 23 €) • F. J. Ossang. Cinéaste à la lettre de Michèle Collery (Rouge profond, 154 p., 17 €)

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

© 2022 CURIOSA FILMS • PHOTO : © GAELLE RAPP • DESIGN : BENJAMIN SEZNEC / TROÏKA

« C’est magnifique. J’imagine que ça a dû être écrit dans les années 1920 ? C’est une époque que j’ai divinisée. C’est tout ce que je préfère en littérature, en poésie. Au cinéma aussi d’ailleurs. Le génie punk des années 1920, c’est F. W. Murnau. C’est hallucinant tout le prodige de machinerie qu’il emploie. Après, bon, les caméras deviennent toutes petites. Le punk, j’ai pensé que c’était dada qui recommençait. Je fantasmais beaucoup dessus, pas seulement sur la musique, c’était comme sortir de cette poésie de merde, de ces poètes à la con qui constipent, congestionnent. Pour moi, c’était ça, c’était tabula rasa. »

Claire Denis le 31 août au cinéma

© D. R. ; © Paloma Pineda ; © Patrick Mendes ; © Anton Bubnovskiy ; © D. R. ; © D. R. ; © D. R. ; © D. R.

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Cinéma -----> « As bestas »

L’ENTRETIEN FACE CAMÉRA

DENIS MÉNOCHET Le comédien de 45 ans, révélé en 2009 chez Quentin Tarantino, a imposé son jeu magnétique et son regard doux dans le cinéma d’auteur français (on se souvient de sa performance glaçante dans Jusqu’à la garde de Xavier Legrand) et anglo-saxon (il sera bientôt dans le nouveau Ari Aster). À l’affiche, cet été, de l’époustouflant thriller As bestas de Rodrigo Sorogoyen et du mélodrame Peter von Kant de François Ozon, l’acteur a partagé une burrata avec nous, le temps de nous raconter son parcours atypique.

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Qu’est-ce qui vous a séduit dans As bestas, thriller champêtre et brutal dans lequel vous incarnez un Français installé en Galice qui vit un violent conflit avec ses voisins ? Je venais d’enchaîner plusieurs films et j’étais au Canada [pour le tournage de Disappointment Blvd. d’Ari Aster, ndlr] quand on m’a appelé pour lire le scénario de Rodrigo Sorogoyen. Comme je connaissais mal son cinéma, j’ai regardé ses films et sa série Anti­disturbios, et ça m’a complètement fasciné. Ceci dit, il fallait que j’apprenne l’espagnol et j’avais en plus une paralysie faciale à la suite d’un rappel de vaccin, donc j’ai eu un vrai doute sur ma capacité à faire ce film. Mais Rodrigo a su me rassurer, et j’avais aussi très envie de travailler avec Marina Foïs [qui joue sa femme dans le film, ndlr]. Je trouve qu’elle fait des choix cinématographiques super intéressants et, quand j’étais jeune, il y a très longtemps, j’allais voir Les Robins des Bois en spectacle [troupe de théâtre qui comptait notamment dans ses rangs Jean-Paul Rouve, Maurice Barthélemy et Marina Foïs, ndlr]. As bestas a un aspect très asphyxiant. Les confrontations physiques entre votre personnage et ses voisins ont-elles été éprouvantes à jouer ? Oui, ça a été difficile physiquement. J’ai quand même fini avec un masque à oxy-

no 190 – été 2022

gène après le tournage d’une séquence. Je ne savais plus où j’étais, je suis tombé dans les pommes. Le plan était long, la caméra se rapprochait de moi et on était dans un effort physique intense, et j’ai vu tout rouge. Mais la scène est réussie, et c’est tout ce qui compte. Moi, j’adore ça. Plus on me donne des choses dures à jouer, plus j’y vais et plus j’ai l’impression de vraiment faire mon travail. Le film est très frontal dans son approche de la xénophobie, du fait de se sentir étranger. Ça fait écho à votre propre vie ? J’ai eu cet écho-là, oui. Parce qu’à cause de la pandémie, j’ai dû changer de vie et m’installer en Bretagne, d’où ma famille est

ment parlé par rapport au film, cette façon dont on voit l’autre comme l’étranger. C’est un mot fort, l’« étranger », cela peut aller de ton voisin aux gens qui essaient de venir en Europe et qu’on chasse, et qu’on abandonne. Vous avez passé la majeure partie de votre enfance à l’étranger. En quoi cela vous a-t-il forgé, hormis le fait que vous parlez couramment anglais ? Oui, mon papa était ingénieur dans l’extraction pétrolière. Mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent mais, à la fin des années 1970, quand vous vouliez vous expatrier, on vous payait un peu tout : la maison, l’essence, la voiture… Je suis donc

« J’ai un côté très labrador ! » originaire [il habitait auparavant en Angleterre, ndlr]. Et j’ai eu à un moment donné une petite altercation avec des chasseurs qui m’ont dit : « Oui, mais depuis que vous êtes venu vivre chez nous… » Cela m’a vrai-

né à Enghien-les-Bains [dans le Val-d’Oise, ndlr], mais on est tout de suite partis et, au bout de quinze jours, j’habitais en Norvège. On a aussi vécu en Uruguay ou en banlieue de Dubai, aux Émirats arabes unis


« As bestas » <----- Cinéma

[il a également habité au Texas et en Argentine, ndlr]. Ma toute première école, quand j’étais petit, était en langue anglaise. On a toujours été baignés dans l’anglais, avec mon grand frère. Dans les années 1970 et 1980, la culture anglo-saxonne était en plus très forte sur le cinéma. Et puis, plus tard, j’ai rencontré une professeure, Lesley Chatterley, qui avait une école à Paris, Acting International. J’y ai passé trois ans à apprendre chaque jour à jouer en anglais et en français. Depuis 2006, je travaille aussi avec Jordan Beswick qui fait des stages en anglais à la Manufacture des Abbesses. C’est un type génial, ancien directeur de casting, notamment pour James Gray. J’ai toujours eu les deux : d’un côté des films en français et de l’autre une pratique de l’anglais pour me retrouver face à Jodie Foster en train de manger des tacos [dans Désigné coupable de Kevin Macdonald, sorti en 2021, où il incarne un avocat français, ndlr]. Cet été, vous jouez aussi, dans Peter von Kant, le rôle d’un cinéaste ultrasen-

sible, alter ego de Rainer W. Fassbinder. Comment avez-vous abordé ce projet ? Ça ne se refuse pas, en fait. Je repense toujours à l’école de théâtre et à mes camarades qui n’ont pas eu la même chance que moi. Peter von Kant est un personnage très pathétique par moments, très violent à d’autres moments, il est dans l’émotion, il se drogue… Je pouvais avoir accès à toutes ces partitions, sous le regard bienveillant de François Ozon. Après Dans la maison en 2012 et Grâce à Dieu en 2019, c’est votre troisième film avec François Ozon, mais le premier dans lequel vous tenez le rôle principal. J’ai eu cette envie très forte de montrer à François Ozon ma reconnaissance de m’avoir choisi pour ce rôle, de donner tout ce que je peux en échange de la confiance qu’on m’a faite. J’ai un côté très labrador ! Et puis Grâce à Dieu nous a tous énormément rapprochés, la teneur du film et ce qu’il a provoqué nous ont soudés à jamais [le film retrace l’histoire vraie de plusieurs hommes ayant été sexuellement abusés

par un prêtre durant leur enfance, ndlr]. Je me souviens en plus être passé un jour à Montparnasse et avoir vu le tournage de Gouttes d’eau sur pierres brûlantes [sorti en 2000, ce film de François Ozon était adapté d’une pièce de théâtre écrite par Fassbinder, ndlr]. Vingt ans plus tard, Ozon refait un hommage à Fassbinder, et cette fois je suis dans le film. C’est comme un signe du destin. D’où vient cette angoisse, dont vous parlez parfois, d’être viré au tout début d’un tournage ? Je pense que c’est propre à beaucoup d’acteurs. Je me souviens avoir lu une interview de Dustin Hoffman, qui avait été en coloc avec Gene Hackman. Ils s’étaient retrouvés pour la première fois sur un même projet et, après le premier jour de tournage, ils se sont avoué cette crainte-là également : « Est-ce que le film que tu viens de finir est ton dernier ? Est-ce que le premier jour de ton prochain film, tu vas te faire virer ? » Ça fait partie du métier. Et c’est très embarrassant et bizarre pour moi de me retrouver

au premier plan. Je fais cette comparaison avec les tortues qui vont pondre des œufs sur la plage : d’un coup les œufs éclosent, les petites tortues vont vers la mer et il y a des oiseaux qui en dévorent plein. Pour une petite tortue Meryl Streep qui arrive jusqu’à la mer, il y en a trente ou quarante qui ont été dévorées. Je pense à ça, et je me dis que je vais me faire dévorer. Jusqu’à la garde de Xavier Legrand avait une vraie charge politique. Dans ce film sorti quatre mois après #MeToo, vous jouiez un père de famille en plein divorce dévoilant peu à peu un visage manipulateur… Oui, le film a déclenché une prise de conscience. On pouvait se rendre compte, quand mon personnage tire dans la porte et qu’il manque de tuer son fils, de ce qu’est réellement le problème des féminicides, qui n’est toujours pas réglé. La mise en scène de Xavier Legrand est tellement forte et tendue, Jusqu’à la garde rivalise avec les meilleurs thrillers coréens ou américains, et c’est mon genre préféré. C’était une vraie fierté de pouvoir partici-

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Cinéma -----> « As bestas »

per à un débat de société et de tout donner pour que les gens vivent l’histoire, en parlent après le film, éduquent leurs enfants… Cela rejoint les conversations sur la pédophilie dans l’Église déclenchées par Grâce à Dieu, ou le point de vue sur les réfugiés que donnera Les Survivants de Guillaume Renusson. Je joue un homme qui vit isolé dans un chalet des Alpes, non loin d’un lieu de passage pour des migrants qui cherchent à franchir la frontière entre l’Italie et la France, et qui va rencontrer une réfugiée en pleine nuit. C’est un premier film hyper puissant. Allez-vous beaucoup au cinéma ? Oui, j’ai la chance d’avoir près de chez moi, en Bretagne, un cinéma dans lequel j’allais quand j’étais jeune et qu’on rentrait en France pour les vacances. Il s’appelle l’Eckmühl [à Penmarc’h, dans le Finistère, ndlr]. Mais la pandémie a énormément changé les comportements, et ça peut être compliqué pour des gens de trouver une baby-sitter, une place de parking, et de payer douze euros pour un film… Est-ce que cela va s’inverser ? Je le souhaite vraiment. Car l’expérience de la salle, ça change des vies, ça inspire, ça crée des vocations, ça fait comprendre des choses auxquelles on n’aurait pas pensé. Alfred Hitchcock disait que c’était beau d’avoir au cinéma un « good cry », de pleurer un bon coup. Il n’y a que la salle qui apporte ça, c’est un sanctuaire où on s’autorise à lâcher prise.

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Votre vocation d’acteur est-elle née dans une salle de cinéma ? Mon premier grand souvenir de cinéma, c’est E. T. L’extra-terrestre [de Steven Spielberg, sorti en 1982, ndlr]. C’était un accès au rêve. Comme quand Elliott fait la vaisselle, ouvre le robinet, que de la buée

L’intensité émotionnelle et l’atmosphère irrespirable de cette scène d’ouverture restent en mémoire. Comment avez-vous géré la pression ? Le vrai cadeau que m’a fait Quentin Tarantino, c’est de me montrer comment avoir accès à l’émotion en tant qu’acteur. C’est une clé secrète que je ne peux pas révéler en détail, mais il m’a tout expliqué et ça m’a énormément apporté. Il faut savoir que cette scène, au début d’Inglourious Basterds, est une reprise de la scène de True Romance [écrit par Quentin Tarantino et réalisé par Tony Scott en 1993, ndlr] où Christopher Walken vient dans la caravane voir Dennis Hopper qui lui fait un discours sur les Siciliens en expliquant pourquoi ils sont tous devenus bruns aux yeux noirs alors qu’ils étaient avant blonds aux yeux bleus. Christopher Walken éclate de rire et laisse Dennis Hopper fumer une dernière cigarette avant de l’exécuter. C’est Tarantino qui a écrit cette scène, et ce sont exactement les mêmes ressorts de tension qu’au début d’Inglourious Basterds. Quentin voulait récupérer dans son propre cinéma ce sicilian speech. Et il y a un truc que je trouve très bizarre avec cette scène : quand tu y penses, c’est Christopher Walken et Dennis Hopper d’un côté, Christoph Waltz et Denis Ménochet de l’autre. Tarantino a repris des acteurs avec les mêmes prénoms

« C’est quelque chose que je fais, encore aujourd’hui, je regarde les étoiles en rêvant. »

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s’élève autour de son visage et qu’il regarde les étoiles… C’est quelque chose que je fais, encore aujourd’hui, je regarde les étoiles en rêvant. Du côté des acteurs, c’est Anthony Hopkins qui m’a profondément marqué en 1991 dans Le Silence des agneaux [de Jonathan Demme, ndlr] et trois ans plus tard dans le magnifique Les Vestiges du jour [de James Ivory, ndlr]… J’avais du coup décortiqué sa méthode de travail. Après une dizaine d’apparitions dans des œuvres aussi variées que Caméra Café ou La Môme, vous êtes révélé au public en 2009 avec Inglourious Basterds de Quentin Tarantino. Vous y incarnez un fermier qui cache une famille juive chez lui pendant la Seconde Guerre mondiale avant que le SS Hans Landa (Christoph Waltz) ne

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vienne lui extorquer des aveux. Comment ça s’est passé ? Déjà pincez-moi, parce que c’est pas possible [il se laisse pincer la main, ndlr]. Ce jour-là j’ai gagné au loto professionnel. Le casting était rue de Rivoli, dans une cuisine, et il y avait Tarantino et son producteur. On a lu la scène une seule fois, et je suis parti. Trois semaines après, Tarantino m’appelle et me dit : « Ça va être toi. » Jamais je n’aurais imaginé ça possible.

Denis Ménochet (à gauche) dans As bestas de Rodrigo Sorogoyen (2022) © Lucia Faraig

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Denis Ménochet et Christoph Waltz dans Inglourious Basterds de Quentin Tarantino (2009) © A Band Apart – Studio Babelsberg – Collection Christophel

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Jusqu’à la garde de Xavier Legrand (2018) © Haut et Court

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Khalil Gharbia et Denis Ménochet dans Peter von Kant de François Ozon (2022) © Carole Bethuel – FOZ

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pour se réapproprier totalement la scène. Je suis sûr qu’il en avait conscience. Et ça, je m’en suis rendu compte bien plus tard, quand j’étais dans le métro et que j’ai vu l’affiche du film. Ça m’a percuté. Après Tarantino, vous avez tourné avec d’autres grands cinéastes anglo-saxons, comme Ridley Scott (Robin des Bois), Stephen Frears (The Program), Wes Anderson (The French Dispatch)… Quand on fait des films d’auteur français, on peut avoir en amont de vraies conversations avec les cinéastes sur le rôle. Et ça, c’est beaucoup plus proche de ce que je pense être mon métier. Sur de gros tournages hollywoodiens, j’ai moins accès au réalisateur, qui est dans une dynamique de construction plus rapide. The French Dispatch de Wes


« As bestas » <----- Cinéma

Anderson [dans ce film sorti en 2021, Denis Ménochet joue un garde pénitentiaire, ndlr], c’était très méticuleux et en même temps énorme, car il y a plein de choses qui se passent. Mais, en tant que fan de cinéma, quand Wes Anderson me propose de venir faire une panouille, je suis content. C’est pour ma collection personnelle d’images. Tourner dans Robin des Bois a dû être intéressant aussi. C’était très impressionnant. Surtout, j’ai fait la connerie de mentir en disant que je savais faire du cheval [il joue Adhemar, homme de main du roi de France Philippe Auguste, qui rejoint la troupe de Godefroy, ndlr]. Et j’ai failli crever. Car il a fallu qu’on attaque, avec Mark Strong, [qui joue le seigneur Godefroy, cruel homme de main du roi Jean, ndlr] un château fort en bois avec huit caméras, du feu et je ne sais combien de figurants. C’est George, un cheval au CV long comme le bras, qui m’a sauvé la vie ce jour-là. Ridley Scott hurlait de rire. Il s’est du coup pris de passion pour moi et m’a emmené partout. Je ne tournais pas, car mon rôle était minuscule, mais j’étais tout le temps avec Ridley, je dînais avec lui, avec sa femme, avec William Hurt [qui joue aussi dans le film, ndlr]. Je garde un souvenir encore meilleur des dîners avec Ridley Scott que des quelques scènes tournées avec lui.

“ U N E F R E S Q U E FA M I L I A L E QUI TIENT DE TOLSTOÏ ET DU PARRAIN” libération

LEILA

Et sEs frèrEs

PRIX FIPRESCI - CANNES 2022

Vous venez de tourner dans le prochain film très attendu et mystérieux du cinéaste américain Ari Aster, Disappointment Blvd. Comment c’était ? Ari Aster est en train de créer son propre genre filmique. J’ai été plus qu’impressionné sur le plateau. Aussi parce qu’il y avait Joaquin Phoenix dans un rôle comme on ne l’a jamais vu [il joue « l’un des entrepreneurs les plus prospères de tous les temps », d’après le pitch officiel, ndlr]. Ari faisait des plans incroyables avec son chef op, il utilisait de vieilles techniques des années 1980 et d’un coup un truc super moderne, dans un décor complètement fou. C’était un énorme what the fuck ce tournage. Vous avez été nommé deux fois aux César, en 2019 pour Jusqu’à la garde et en 2020 pour Grâce à Dieu. C’est une déception de ne pas avoir été récompensé ? Bien sûr qu’on est toujours déçu, c’est toujours cool d’avoir une récompense. Après ce n’est pas une fin en soi. Et au fond je m’en fiche un peu, car je n’ai pas l’impression d’appartenir à cette famille-là. J’ai l’impression d’être toujours là en outsider. Parce que mon parcours est particulier : j’ai commencé par l’Amérique, je n’ai pas grandi tout de suite avec une génération de cinéastes et d’acteurs français. As bestas de Rodrigo Sorogoyen, Le Pacte (2 h 17), sortie le 20 juillet

PROPOS RECUEILLIS PAR DAMIEN LEBLANC Photographie : Marie Rouge pour TROISCOULEURS

un film de

SA E E D RO U STA E E L E R É A L I S AT E U R D E

LA LOI DE TÉHÉRAN

IRIS FILM PRÉSENTE EN ASSOCIATION AVEC WILD BUNCH ET ELLE DRIVER LEILA ET SES FRÈRES (BARADARANE LEILA) UN FILM DE SAEED ROUSTAEE AVEC TARANEH ALIDOOSTI SAEED POURSAMIMI PAYMAN MAADI NAVID MOHAMMADZADEH FARHAD ASLANI MOHAMMAD ALIMOHAMMADI NAYEREH FARAHANI MAHDI HOSSEINI NIA CHEF OPÉRATEUR HOOMAN BEHMANESH MONTEUR BAHRAM DEHGHANI CHEF DÉCORATEUR MOHSEN NASROLLAHI COSTUMES GHAZALEH MOTAMED COMPOSITEUR RAMIN KOUSHA SON AMIRHOSSEIN GHASEMI MAQUILLAGE IMAN OMIDVARI DIRECTEUR DE PRODUCTION MAHDI BADRLOO PRODUIT PAR SAEED ROUSTAEE JAVAD NORUZBEIGI INVESTISSEUR OMID AKHBARATI FONDATION ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR SAEED ROUSTAEE

LE 24 AOÛT été 2022 – no 190

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Cinéma -----> « Leïla et ses frères »

THÉORIE DU CHAOS

© Amirhossein Shojaei

« L’Iran vit un effondrement extraordinaire qui abîme complètement les corps, les âmes. »

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SAEED ROUSTAEE Le cinéaste iranien livrait cette année à Cannes l’un des plus grands films de la Compétition, Leïla et ses frères. Un drame familial cinglant, d’une modernité folle, dans lequel quatre frères et une sœur luttent contre la pauvreté. Fin juin, par téléphone depuis Téhéran, Saeed Roustaee nous a parlé de sa mise en scène fulgurante et de la crise sévère qui ébranle actuellement l’Iran. Le propos du film est assez désespéré sur l’état de la société iranienne. Tout semble s’effondrer : l’économie, les valeurs, les liens familiaux. Cela fait plusieurs années, depuis le deuxième mandat de Mahmoud Ahmadinejad, en 2009 [président de la République isla­

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mique d’Iran de 2005 à 2013, ndlr], que tous les jours on est confrontés à des catastrophes économiques. C’est notre quotidien. J’aimerais ne pas y penser, mais c’est impossible. Quand le film a été fini, la Pride [un modèle de voiture du constructeur sud-coréen Kia, très populaire en Iran, ndlr] coûtait cent millions de tomans. Aujourd’hui, elle coûte deux cent cinquante millions. Notre cinéma ressemble au Néoréalisme italien. Nous sommes dans la même situation : nous vivons un effondrement extraordinaire qui abîme les corps, les âmes, qui affecte les relations humaines. Comment ne pas y penser ? Comment ne pas en faire des films ? Après La Loi de Téhéran, qui plongeait dans la consommation et le trafic de crack en Iran, vous continuez de vous intéresser aux déclassés. Vous considérez-vous comme un cinéaste engagé ? Pour moi, c’est le cinéma et le récit qui sont importants. Mais ce que vous voyez dans mes films, c’est l’environnement d’où je viens et dans lequel je vis. L’idée de Leïla et ses frères est venue d’amis qui disposaient d’une petite somme d’argent pour changer d’appartement. Mais, d’un coup, au moment où ils ont vendu leur appartement, il y a eu l’inflation, et le prix de l’immobilier a été multiplié par trois, voire quatre. Mes amis ont donc été obligés d’acheter un appartement encore plus petit.

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Je n’aime pas dire que je suis un cinéaste engagé. Néanmoins, j’ai l’impression d’avoir un engagement envers mon peuple. Le film vient d’être interdit en Iran par le ministère de la Culture. Comment avezvous vécu cette annonce ? Le film est pour l’instant interdit de projection, mais on fait tout ce qu’on peut pour débloquer la situation. Chaque fois que je fais un film, le gouvernement a une réaction hypersensible, peut-être parce que j’ai beaucoup de spectateurs : trois millions de personnes ont vu La Loi de Téhéran au cinéma en Iran, pour lequel on avait mis un an à obtenir l’autorisation de tournage, et beaucoup de temps à avoir l’autorisation de projection. C’est une situation qui me met vraiment sous pression personnellement. Psychologiquement, c’est très compliqué. [Depuis cet entretien, trois réalisateurs ont été arrêtés en Iran, provoquant l’inquiétude de la communauté internationale quant à la situation des cinéastes locaux. Mohammad Rasoulof et Mostafa Aleahmad, arrêtés le 8 juillet, sont accusés d’avoir encouragé des manifestations après l’effondrement d’un immeuble qui a fait quarante-trois morts, en mai dans le sud-ouest du pays, d’après l’agence officielle IRNA citée par Le Monde. Jafar Panahi a été arrêté le 11 juillet, sans explication au moment où nous bouclons, ndlr.]

L’ampleur romanesque du film est impressionnante. Aviez-vous en tête d’autres grandes tragédies familiales, comme Le Parrain par exemple ? Le Parrain est un de mes films préférés. Il y a d’autres films, comme 12 hommes en colère, qui sont pour moi des références. Il y a deux types de personnes qui vont voir des films : ceux qui sont là pour le divertissement et ceux qui sont là pour réfléchir. Moi, j’ai fait le film pour la deuxième catégorie. C’est pour cette raison que j’ai mis des années à écrire le scénario, qu’on a fait six mois de préproduction, cinq mois de tournage. Chaque personnage est écrit de manière très précise, minutieuse. Dans mon cinéma, j’essaie de montrer la vie et les relations humaines telles qu’elles sont. L’appartement où on a tourné faisait moins de cent mètres carrés, et on était une équipe de quatre-vingts personnes. Je voulais qu’on soit dans la réalité des personnages. Les membres de cette famille vivent les uns sur les autres, dans un lieu où l’intimité est impossible. Ils n’ont pas d’endroit où ils peuvent réfléchir seuls, pour eux-mêmes. Beaucoup de plans travaillent l’idée de l’ascension impossible de ces personnages qui tentent par tous les moyens de sortir de la pauvreté. C’est vrai. Quand le père explique à sa femme ce que signifie devenir le parrain de la famille


« Leïla et ses frères » <----- Cinéma

[le vieil homme doit devenir le nouveau parrain de sa communauté, plus haute distinction de la tradition persane, et promet pour cela de verser une grosse somme d’argent, ndlr], il monte avec elle au premier étage de leur appartement. Toutes les personnes de la famille veulent changer de catégorie sociale, mais on ne les laisse pas s’élever. La construction des cadres est très picturale. Qu’est-ce qui vous guide quand vous choisissez l’endroit où placer votre caméra ? Il y a un story-board, mais je ne me contente pas de ça. Avec une petite caméra et tous les acteurs, je filme une répétition et je montre ces plans-là à mon chef op et à mes acteurs pour leur dire : « C’est comme ça qu’il faut que ça soit fait. » Ce qui est important pour moi, c’est que je ne cherche jamais à avoir de jolis cadres, je ne veux pas des cartes postales. Le sujet principal dans le cadre, c’est l’humain. C’est l’humain dans sa simplicité que je veux filmer, je veux que mes films ressemblent à la vie. Quel est votre rapport à l’héritage des grands cinéastes iraniens, comme Abbas Kiarostami ou Jafar Panahi ? Il y a une histoire du cinéma iranien que je pense connaître très bien, puisque je fais du cinéma depuis l’âge de 15 ans. J’ai fait un lycée professionnel cinéma, j’ai étudié à l’université, j’ai fait des courts métrages. J’aime beaucoup les deux cinéastes que vous citez. Comment sont-ils devenus des grands noms du cinéma international ? Je pense qu’ils ont essayé de trouver leur chemin pour arriver à la vérité. Moi aussi, c’est ce que j’essaie de faire. Abbas Kiarostami est pour moi l’un des meilleurs cinéastes au monde. C’est le cinéaste des cinéastes. Quand il était à l’hôpi­tal, je voulais aller lui rendre visite, mais mon chef opérateur m’a conseillé d’attendre qu’il sorte de l’hôpital, et ce n’est jamais arrivé [Abbas Kiarostami est décédé en juillet 2016 à Paris à la suite des complications d’une intervention médicale bénigne en Iran, ndlr]. Ça reste un énorme regret.

Leïla et ses frères de Saeed Roustaee, Wild Bunch (2 h 49), sortie le 24 août

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

«Inspiré... Stimulant»

TÉLÉRAMA

PREMIÈRE

Curiosa Films présente

Juliette Vincent Binoche Lindon

© 2022 CURIOSA FILMS • PHOTO : © GAELLE RAPP • DESIGN : BENJAMIN SEZNEC / TROÏKA

Qu’est-ce qui vous a mené à des études de cinéma ? Enfant, le cinéma était important chez vous ? Quand on était petit, en Iran, le vendredi après-midi, il y avait toujours des films à la télé, car c’était un jour férié. Moi, je détestais ça. J’étais le seul de la famille qui ne regardait pas le film du vendredi. Ce que j’aimais, c’était aller jouer dans la rue avec d’autres gamins. C’est en arrivant au lycée professionnel artistique, auquel mon frère m’avait inscrit, que je suis tombé amoureux du cinéma. En Iran, il y a plus d’une centaine de longs métrages qui sont produits par an, il y a un vrai amour du cinéma. Si on subissait moins d’interdictions et de choses de ce genre, on aurait d’autant plus de spectateurs. Avec tous ces amoureux, on va faire en sorte que la flamme du cinéma ne s’éteigne jamais.

«un drame social etonnant»

Claire DenisLE 27JUILLET AU CINÉMA le 31 août au cinéma

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EUROZOOM PRÉSENTE EN ASSOCIATION AVEC PARTICIPANT & BOO PICTURES UNE PRODUCTION ABBOUT PRODUCTIONS EN COPRODUCTION AVEC CINÉMA DEFACTO, LASTOR MEDIA, FOX IN THE SNOW FILMS, SNOWGLOBE, BARENTSFILM, GAÏJIN, FILM I SKÅNE “COSTA BRAVA, LEBANON” UN FILM DE MOUNIA AKL AVEC NADINE LABAKI, SALEH BAKRI, CEANA & GEANA RESTOM, NADIA CHARBEL, LILIANE CHACAR KHOURY, YUMNA MARWAN, ÉCRIT PAR MOUNIA AKL & CLARA ROQUET PRODUIT PAR MYRIAM SASSINE & GEORGES SCHOUCAIR COPRODUCTEURS SOPHIE ERBS, SERGI MORENO, OLIVIER GUERPILLON, INGRID LILL HØGTUN, KATRIN PORS, TOM DERCOURT, TONO FOLGUERA, EVA JAKOBSEN, MIKKEL JERSIN, JOAKIM RANG STRAND IMAGE JOE SAADE MONTAGE CARLOS MARQUES MACET, CYRIL ARIS MUSIQUE ORIGINALE NATHAN LARSON MUSIQUE ADDITIONNELLE ZEID HAMDAN EFFETS SPÉCIAUX PETER HJORTH SON RANA EID MIXAGE PETER ALBRECHTSEN DÉCORS THOMAS BREMER, ISSA KANDIL COSTUMES BEATRICE HARB PRODUCTEURS EXÉCUTIFS JEFF SKOLL, ANIKAH MCLAREN, FOUAD MIKATI, CANDICE ABELA MIKATI, KARAM ABULHUSN, MONIQUE DIB, LARA EL KHOURY, ELIE TABET & HARRIET HARPER JONES AVEC LE SOUTIEN DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE, DE LA RÉGION ÎLE-DE-FRANCE, DE CICLIC – RÉGION CENTRE-VAL DE LOIRE, DU DOHA FILM INSTITUTE, DU SØRFOND - NORWEGIAN MINISTRY OF FOREIGN AFFAIRS, DU FONDS IMAGE DE LA FRANCOPHONIE, DU TORINOFILMLAB AVEC LE SOUTIEN DU PROGRAMME MEDIA EUROPE CRÉATIVE DE L’UNION EUROPÉENNE, DE VISIONS SUD EST - SDC, DU SWEDISH FILM INSTITUTE, DU DANISH FILM INSTITUTE, DE L’AFAC - ARAB FUND FOR ARTS AND CULTURE, DU BEIRUT DC MADAR FUND, AVEC LE SOUTIEN DU GOBIERNO DE ESPAÑA © 2021 ABBOUT PRODUCTIONS – CINEMA DEFACTO – LASTOR MEDIA – FOX IN THE SNOW - SNOWGLOBE – BARENTSFILM – GAIJIN. ALL RIGHTS RESERVED.

Traduction : Asal Bagheri

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Cinéma -----> Rétrospective Pier Paolo Pasolini

PIER PAOLO

PAS OL INI

Cette année marque le centenaire de la naissance du cinéaste italien (19221975), dont l’œuvre mystique et provocante a attisé toutes les passions. Alors que ressortent cet été certains de ses plus grands films (L’Évangile selon saint Matthieu, Théorème) et que se multiplient les parutions et événements, on a voulu s’arrêter un instant sur la face nomade de ce libre penseur. En 2022, le fantôme de Pier Paolo Pasolini revient hanter le vaste monde de la culture. Des livres (Archaïsme et impureté. Les écarts de Pasolini, Paradjanov et Oliveira d’Alice Letoulat ; ou bien l’ouvrage collectif Tout sur Paso­ lini), des expos en Italie ou en France, une vague de ressorties entre juin (Salò ou les 120 Journées de Sodome, distribué par Solaris), juillet (huit films distribués par Carlotta) et août (Théorème, distribué par Tamasa). Et aussi la sélection de ses Sonnets (publiés chez Gallimard en 2012), au programme de l’agrégation de lettres modernes. Ce déferlement d’hommages peut avoir un côté étrange, voire franchement ironique, quand on connaît le dégoût du révolutionnaire marxiste, du penseur anticlérical, du pourfendeur des valeurs bourgeoises pour toute forme de béatification. Ce sentiment évacué,

il y a une grande exaltation à redécouvrir par ces multiples entrées l’œuvre de génie du cinéaste, journaliste, poète et écrivain italien, qui n’a pas cessé de se déplacer – formellement, théoriquement et littéralement. C’est sa manière d’appréhender le monde par une perpétuelle mise en mouvement, plus que l’aura sulfureuse qui l’a entouré toute sa vie (de la kyrielle de procès dont il a fait l’objet, principalement pour outrage aux bonnes mœurs, à son assassinat – à ce jour non élucidé – dans des circonstances troublantes en 1975, en passant par la réception de son brûlot antifasciste Salò… la même année), qui nous interpelle le plus en cet anniversaire. Car on pourrait presque avancer que c’est la clé d’accès à ses plus grands mystères. Cette appréhension du monde trouve probablement son origine dans son enfance

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chahutée, vécue sous le régime fasciste de Mussolini, après sa naissance le 5 mars 1922. Fils d’un militaire caractériel qui a dilapidé la fortune familiale et d’une mère aimante d’origine bien plus modeste, Pasolini a dû s’adapter à de nombreuses mutations.

PREMIERS EXILS « Dès ma plus tendre enfance, on a fait de moi un nomade. […] Le temps de naître à Bologne… et mon père nous déplace à Parme. Puis nous allâmes à Conegliano, à Belluno, Sacile, Idria, Cremone, et dans d’autres villes du nord de l’Italie… Mon enfance a été une longue série de déménagements… », avait-il confié au journaliste français Jean Duflot dans Entretiens avec Pier Paolo Pasolini publiés en 1970 aux Éditions Pierre Belfond. Cette confusion originelle fait écho à une entêtante scène du début d’Œdipe roi (1967), où l’ambiance apaisée d’un jardin verdoyant est très vite perturbée : épousant le regard du nouveau-né qui déjà voit sa tragédie annoncée, la caméra balaie à coups de mouvements rapides son environnement arboré. On retrouve aussi cette idée d’expatriation hors du cocon dans Mamma Roma, deuxième long de Pasolini sorti en 1962, avec le personnage d’Ettore, fils d’une prostituée quadragénaire, qui est arraché de la campagne où il a grandi sans sa mère pour s’installer avec elle dans la cité fraîchement construite du quartier de Don

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Bosco, à Rome. L’adolescent passe son temps à traîner avec les autres jeunes au milieu d’un terrain vague désolé, filmé cette fois avec une forme de langueur suspendue. L’attention du spectateur est aussi portée sur les ruines qui côtoient dans un même cadre ces nouvelles constructions. Cette fusion presque bâtarde entre vestiges indéboulonnables et modernité grouillante sera au cœur de plusieurs documentaires ambulants de Pasolini.

MONDE NOUVEAU Dans les années 1960, Pasolini entreprend plusieurs voyages dans des pays qu’on disait alors du « tiers-monde ». Il y tournera des carnets de bord filmiques pour toujours inachevés, parce qu’envisagés comme des préparatifs à d’autres films. Le réalisateur français Jean-Claude Biette, qui a été assistant de Pasolini, les nommera les appunti (« remarques »). Tous (Repérages en Palestine pour ”l’Évangile selon saint Matthieu”, 1965 ; Notes pour un film sur l’Inde, 1968) nous ouvrent à des considérations politiques vertigineuses. À commencer par Carnet de notes pour une Orestie africaine (1976), dans lequel Pasolini visite notamment la Tanzanie et l’Ouganda. Sillonnant terrains abandonnés et quartiers occidentalisés, capturant des regards caméra d’une grande intensité – sa spécialité –, il construit des ponts entre Antiquité et époque postcoloniale : « Je crois reconnaître des analogies entre la situation


Rétrospective Pier Paolo Pasolini <----- Cinéma

QUAND LE MONDE S’ÉTEINDRA, SON HISTOIRE COMMENCERA décrite dans l’Orestie [la trilogie d’Eschyle, qui évoque la fondation de la démocratie avec la déesse Athéna, ndlr] et celle de l’Afrique d’aujourd’hui », l’entend-on dire en voix off. La fin du film donne la parole à des universitaires romains venus de divers pays d’Afrique, et donne lieu à des discussions passionnantes, toujours pertinentes aujourd’hui. « On ne découvre pas un monde meilleur, on découvre un monde nouveau », résume l’un d’entre eux. En dehors de ses périples à l’étranger, Pasolini tirera aussi de ses virées en Italie de profondes réflexions politiques. À bord de sa Millecento, Pasolini s’est lancé à l’été 1959 dans un voyage. Départ : Vintimille, ville italienne à la frontière avec la France. Arrivée : Trieste, sur la côte adriatique. Entre-temps, des notes de routard d’où émanent une volupté, une propension à l’autodérision et un regard cinglant sur la grande bourgeoisie, recroquevillée dans ses majestueuses villégiatures. Elles ont été réunies dans l’opuscule La Longue Route de sable, traduit en 1999 aux éditions Arléa, et se lisent comme la preuve ultime qu’il existait une forme de spiritualité heureuse chez celui qu’on a décrit comme un antireligieux virulent. « Mon voyage me pousse vers le sud, toujours plus au sud : comme une délicieuse obsession, je dois poursuivre vers le bas », écrit-il. Au gré du voyage, il prend pour cible les bateaux de Capri « chargé(s) de touristes sacrilèges », « une bande de marchands de Latina, [qui] défendent leur possession d’un bout de banc […] en mangeant du poulet et du pain », le « modèle balnéaire classique du Nord », avec « grande plage parfaitement équipée », villas et hôtels. Mais il est aussi inondé de joie par la découverte de recoins écartés, d’objets, comme cet « antique siège de bois, ecclésiastique » situé sur les hauteurs de Ravello, sur lequel il s’assoit et dont il dit : « Il y a tant de quiétude ici que je voudrais y mourir, finir ainsi, dans une telle douceur. » Un passage d’autant plus saisissant quand on connaît la mort de Pasolini, dont on a retrouvé le corps, abîmé par des coups de bâtons, écrasé par son Alfa Romeo, sur la plage d’Ostie, la nuit du 1er au 2 novembre 1975. L’impression d’une boucle qui se referme, à l’image de celles des tragédies antiques, qui l’auront poursuivi jusqu’au bout du voyage. « Pasolini 100 ans ! », rétrospective, six films (Carlotta Films), ressortie le 20 juillet • Théorème de Pier Paolo Pasolini (Tamasa, 1 h 38), ressortie le 31 août

JOSÉPHINE LEROY 1

Pier Paolo Pasolini © D. R.

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Mamma Roma © 1962 RTI. Tous droits réservés

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Œdipe roi © 1968 SND (Groupe M6). Tous droits réservés

LE 17 AOÛT AU CINÉMA

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Cinéma -----> « Everything Everywhere All at Once »

HOLLYWOOD, LE REBOOT

© Allysson Riggs

Leur regard humaniste fait de l’absurdité ambiante une machine à rire.

DANIEL SCHEINERT ET DANIEL KWAN Le blockbuster est-il encore capable de transgression et de panache ? En découvrant Everything Everywhere All at Once, film d’action impertinent et méta sur une propriétaire de laverie qui se métamorphose en super-héroïne, on se dit que oui. Derrière la caméra, Daniel Scheinert et Daniel Kwan, jeune duo malin qui tente de reprendre le flambeau des sœurs Wachowski pour hacker Hollywood. Portrait croisé.

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Faire un blockbuster « drôle mais complexe, qui brasse tellement de multivers que toute forme de sens finirait par s’effondrer ». Voici le défi ambitieux que Daniel Scheinert et Daniel Kwan, 35 ans, s’étaient lancé. Pari réussi : dès ses premières images, criblées d’effets spéciaux ingénieux et de trouvailles visuelles, Everything Everywhere All at Once fait l’effet d’un ovni décapant, d’une virée SF aussi absurde qu’exaltée. L’impeccable Michelle Yeoh y campe Evelyn, une mère de famille sino-américaine coincée dans un quotidien morne, entre un mari qui veut divorcer, une fille dont elle a du mal à accepter l’homosexualité et une contrôleuse des impôts tyrannique (impériale Jamie Lee Curtis). Jusqu’au jour où elle découvre l’existence d’univers parallèles grâce auxquels elle va explorer ses « autres » vies. Derrière cette comédie outrancière, succès surprise au box-office américain (sortie dans un nombre limité de cinémas, le film a bénéficié du bouche-à-oreille et a été racheté par la société A24, qui l’a sorti dans un plus grand nombre de salles, ce qui a permis de générer 67 millions de dollars de recettes rien qu’aux États-Unis et au Canada à l’heure où l’on écrit ces lignes), un duo de réalisateurs discrets biberonnés à l’univers fait maison de Michel Gondry et qui n’en sont pas à leur premier coup d’éclat anti­conformiste. Après

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s’être fait la main sur des clips de DJ Snake et de Foster the People, Scheinert et Kwan sortent un premier long détonnant, Swiss Army Man, buddy movie où un cadavre (Daniel Radcliffe) vient en aide à un naufragé suicidaire (Paul Dano) sur une île (lire p. 27). Pour tourner ce survival existentiel et trash, dans lequel s’épanouit une amitié masculine hors des normes sociales, le tandem ne choisit pas un studio mais des décors réels – essentiellement le parc national de Redwood, en Californie –, cadre idéal pour déployer un délire en fait pas si absurde.

CAILLOU DANS LA MATRICE « Swiss Army Man, c’était un peu Apocalypse Now », nous explique Scheinert, sympathique barbu aux lunettes rétro, depuis le rooftop parisien sur lequel on le rencontre – il est venu présenter Everything… en clôture du Champs-Élysées Film Festival sans son complice, Daniel Kwan, resté aux États-Unis. « On était à deux doigts de devenir fous dans cette forêt – problématique, quand on doit filmer l’histoire de deux mecs qui perdent la tête. Ce concept permet une mise à distance pour parler de la culture, de la société, ob-

server comme le corps et l’esprit se dissocient dans la nature. » Décloisonner les genres, mélanger le bizarre et le sublime, naviguer entre film indé (3 millions de dollars, budget ridicule aux États-Unis, pour Swiss Army Man) et projets plus ambitieux (25 millions de dollars pour Everything…), les Daniels, comme on les surnomme, sèment le trouble dans un modèle économique hollywoodien bien calibré. « Les frères Russo [réalisateurs de Captain America. Civil War et d’Avengers. Endgame et producteurs du film des Daniels, ndlr] nous ont raconté ce que c’était de faire un film Marvel – ce qui nous a encouragés à ne pas prendre cette voie », confie ironiquement Scheinert. Avec cette volonté de sortir le blockbuster de son inertie intellectuelle et de ses recettes éculées en mêlant les codes du film noir, des scènes de baston héritées des comédies de kung-fu et une esthétique inspirée des animés japonais, les Daniels se posent en héritiers d’un autre duo : les sœurs Wachowski. Tout comme leur révolutionnaire Matrix (1999), Everything… fait la part belle à l’action autant qu’à une réflexion sur le libre arbitre. « Nos films sont une réaction à ma perte de foi religieuse et au chaos qui naît quand on ne sait plus en quoi l’on croit et que les repères moraux vacillent », expliquait Kwan dans une interview, en avril, au site Internet Film Freak Central. Un coup d’œil à son


« Everything Everywhere All at Once » <----- Cinéma

compte Instagram – sur lequel on peut le voir souriant, peroxydé et entouré de son épouse, la réalisatrice Kirsten Lepore, et de leur jeune fils – nous apprend qu’Everything… est aussi un hommage à sa mère chinoise et, à travers elle, aux « mères immigrées » dont le sentiment de déracinement se transmet inconsciemment de génération en génération. On comprend mieux ce qui a matché entre ces deux athées, qui n’ont que sept mois d’écart, quand ils se sont rencontrés pendant leurs études de cinéma à l’Emerson College de Boston (Scheinert vient de l’Alabama, Kwan du Massachussets) : une confiance dans les pouvoirs de la fiction pour réveiller les dons endormis, les rêves que l’on n’ose pas s’avouer et un questionnement sur le poids des regrets. Le tout à travers des films bouillonnants.

CLUEDO CINÉPHILE Au vu des nombreuses références du film – un clin d’œil à Stanley Kubrick, une violence débridée et triviale empruntée au jeu vidéo Mortal Kombat –, les deux Daniel seraient-ils des geeks savants, obsédés par la rime visuelle et la citation ? On aurait vite – et mal – fait de le croire. Leur cinéphilie n’a rien d’un fétichisme à la Quentin Tarantino ni d’une nostalgie mortifère. Elle affleure sous un mode ludique, modeste car consciente d’elle-même. « C’est la langue que nous parlons, explique Scheinert, grâce à laquelle nous nous connectons aux autres, comme un vocabulaire commun. Par exemple, j’aime l’idée que le personnage d’Evelyn rêve de vivre dans un film de Wong Kar-wai – ça fait écho à ma propre sensibilité. » Comme chez les Wachowski, ce syncrétisme culturel qui abolit la hiérarchie entre culture pop et auteurisme est une façon de lutter contre le cynisme des grosses productions actuelles : « Le postmodernisme met un phénomène à distance, s’en détache émotionnellement pour le commenter. Mais ce monde où tout est mensonge, destruction et chaos n’est pas habitable pour le spectateur. Il fallait apporter un espace de réconfort, d’espoir, quelque chose à aimer au-delà de ce non-sens. » Cet espace de réconfort découle de leur regard humaniste, qui ne cède rien au nihilisme et fait de l’absurdité ambiante une machine à rire, parfois même matière à sublimer le monde. C’est un cadavre qui retrouve le goût de la vie dans Swiss Army Man, un détournement de rom com joué par des êtres dotés de doigts-saucisses dans Everything… Partout, une même morale : accepter la différence et l’imperfection rend plus fort. Pas étonnant que le film préféré de Scheinert soit Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki : « Son apparente violence cache un discours pacifiste. C’est très rare dans le cinéma hollywoodien. Pendant le tournage, je me disais : aussi jouissif que ce soit pour le public de tuer le méchant, est-il possible de libérer cette dopamine en ne mettant en scène que des gentils ? ». La gentillesse, prochain super-pouvoir de Hollywood ? Everything Everywhere All at Once de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, Originals Factory (2 h 19), sortie le 31 août

LÉA ANDRÉ-SARREAU

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Cinéma -----> Figures de style

Après Ava, sur une ado qui perd la vue, Léa Mysius sort Les Cinq Diables (en salles le 31 août), sur une enfant ultrasensible aux odeurs, dont certaines la plongent dans des flash-back de la jeunesse de ses parents (Adèle Exarchopoulos et Moustapha Mbengue) : un conte fantastique qui détonne dans le cinéma français et dont la jeune cinéaste nous révèle les figures de référence. « Pour imaginer Volker nsé au Tambour de pe de grandir et r le don de Vicky, j’ai ête rr d’a é cid dé enfant qui a il hurle à cause d an qu lui Schlöndorff, sur un rres autour de ve les r se plo j’ai grandi dans ex rs t qui fai sa voix. Par ailleu , gie, comme dans s dan ce en qu fré d’une y a beaucoup de ma une campagne où il ts en France et dans le monde. nd de beaucoup d’e roi , qui campe le père Moustapha [Mbengue Joanne, ndlr], qui est Vicky et l’époux de “Chez moi, les gens : sénégalais, me disait pas.” Je voulais que nt voie ne ou nt voie , mais surtout le film parle de magie fait que le du ; de transmission si le passé hante, mais aus » . ur fut

le « Ce qui m’intéresse, c’est était plus qui , vue la tait c’é , Ava s corps, donc le sens. Dan c’était ue. Ce qui m’intéressait ici, évidemment cinématographiq isible. Comment filmer l’invisible ? On he à l’inv qui encapsule d’aborder un sens qui touc très concret, une petite fille d’aller petit de se cho tait c’é passe par quelque qui les étiquette. L’idée, ique, en les odeurs dans des pots et de plus abstrait et métaphys es, et se cho lque rêv à petit vers que les et odeurs, les souvenirs t les faisant un lien entre les Ce qui est important, ce son le. isib l’inv s dan de partir les si aus s ment, mai images qu’on montre évidem images cachées derrière. »

« Je ne m’identifie pas du tout au cinéma bourgeois parisien. En France, on a des paysages très variés, qui peuvent contenir beaucoup de romanesque. C’est Esther Mysius, la chef déco et directrice artistique [aussi sœur jumelle de la réalisatrice, ndlr], qui m’a poussée à aller vers cette vallée entourée de montagnes. Elle m’a montré ces lotissements pointus, ces décors qui ancrent d’emblée le film dans le fantastique. Cet endroit, avec les montagnes, c’est comme une boule qu’on secoue avec la neige à l’intérieur : un monde clos. On sent la référence à Twin Peaks de David Lynch. Pourtant, je n’avais pas encore vu la série, seulement le film, mais la référence est partout, elle contamine tout. Et, bien sûr, on a pensé à Shining pour la séquence du début, filmée avec un drone. »

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PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

« J’ai pensé à Adèle Exarchopoulos asse d’écriture pour jouer la mère. Je trouvais z vite dans le processus très intéressant qu’elle soit à l’opposé du rôle. Joanne est très droite, froide. Adèle déborde de vie, elle est bouillonnante. C’est une actrice déme nte, elle est d’une justesse, d’une inventivité et d’une beauté… Pour le début du récit, il fallait la contenir jusqu’à la frustration – Adèle en parle comme ça. Être droite, bien articuler, ne pas être dans une contraste avec les flash-back, dans lesqu sensualité évidente. Ça els de vie, incandescente. Ça, c’est plus Adèle on la découvre pleine . Et elle a apporté une sorte d’humour au personnage, qui nous semblait aussi important. »

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Figures de style <----- Cinéma

Les Cinq Diables de Léa Mysius, Le Pacte (1 h 35), sortie le 31 août

Illustration : Anna Parraguette pour TROISCOULEURS

« J’avais une référence psychanalytique, La Nuit sexuelle de Pascal Quignard, qui parle de la scène primitive. Je l’ai relu après avoir écrit une première version du scénario, et ça a fait tilt : il parle du fait que les enfants imagineraient qu’avant leur naissance il y aurait des cris, des feux et un massacre. C’est la première image du film, j’ai trouvé ça assez marrant. Quignard dit que, pour les enfants, ce serait la scène d’avant leur naissance, peut-être celle de la conception, à laquelle ils ne pourront jamais assister, et qu’ils aimeraient pouvoir demander à leurs parents : “Est-ce vous m’aimiez avant que j’existe ?” Tout ça a nourri le film, mais je n’avais pas envie qu’il soit trop cérébral mais ludique, spectaculaire, dans le plaisir. »

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Cinéma -----> « La Petite Amie d’Antonio »

LA PETITE AMIE D’ANTONIO

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Le premier long métrage de Manuel Poirier, que ce cinéaste autodidacte est parvenu à réaliser après des années de petits boulots et de galères, est sans doute le plus émouvant de sa filmographie. Sorti en 1992, dans des conditions particulièrement défavorables, ce film magnifique a fini par devenir invisible. Une œuvre symbole d’un cinéma « en marge », indépendant et sans compromission.

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Déscolarisé dès la troisième, successivement ouvrier dans le bâtiment, visiteur de prison et ébéniste, rien ne prédestinait Manuel Poirier à devenir cinéaste. Trente ans après la sortie de La Petite Amie d’Antonio (1992), le réalisateur parle toujours de son premier film comme d’un « petit miracle ». Une œuvre bouleversante d’humanité, qui aura mis près de sept ans à voir le jour. « Je n’ai jamais été très intégré à ce monde du cinéma, nous a-t-il confié. J’ai toujours été en marge. Pas par idéologie, mais de fait. » Ayant passé les premières années de sa vie au Pérou, Poirier vit le retour de ses parents en France, dans un modeste lotissement de banlieue, comme un « déracinement ». Une « cassure » qui explique en partie ce « décalage », ce sentiment de n’appartenir à aucun groupe. Au milieu des années 1980, au bord de la rupture, celui qui rêve envers et contre tout depuis l’adolescence de devenir cinéaste reçoit le coup de grâce de sa conseillère de l’ANPE : « Ne rêvez pas de cinéma, vous n’y arriverez jamais. Vous

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êtes en fin de droits, grandissez ! » Poirier doit également faire face au refus de son scénario par une commission d’aides du CNC, qui lui renvoie sa copie en entourant les fautes d’orthographe. « Je n’arrivais pas à faire le film. Je n’avais aucun financement, et le sujet n’était pas suffisamment porteur. J’avais tous les handicaps », se souvient-il. À court de ressources et épuisé par la vie parisienne, vient le temps d’un nouvel exil. Choisi, cette fois-ci.

LE PREMIER RÔLE DE SERGI LÓPEZ La quarantaine approchant, il part s’installer dans la campagne normande en achetant à crédit une bicoque sans salle de bains. Un soir d’hiver, son chauffage d’appoint le lâche lorsqu’un tuyau explose sous la pression de l’eau gelée. « Je ne veux pas faire mon Zola mais j’étais au fond du trou.

Je ne pouvais pas tomber plus bas. Cette situation m’a paradoxalement redonné de l’énergie. » Il profite de cet isolement pour peaufiner le scénario de La Petite Amie d’Antonio, dans lequel infuse ce parcours de vie cabossée. Cette fêlure de l’âme habite le personnage de Claudie (magistralement incarnée par Hélène Foubert), en rupture avec sa famille et hébergée dans un centre médico-social. Une ado à fleur de peau qu’Antonio, ouvrier catalan, invite à danser et à laquelle il s’accroche avec l’infinie et la tranquille bienveillance de celui qui est déterminé à aimer. « Mon premier film, c’est également le premier rôle de Sergi López. Je lui ai fait la promesse que, si je continuais à tourner, il serait dans chacun de mes films », raconte Poirier. Il a tenu parole. L’incroyable justesse des dialogues et de la direction d’acteurs touche au cœur. Que ce soit dans les nombreuses scènes de dispute et de crise, ou pendant cette séquence où Claudie, d’habitude si renfermée, dévoile toute l’étendue de son


« La Petite Amie d’Antonio» <----- Cinéma

mal-être à son beau-père, qui parvient à lui redonner le sourire en dansant au son d’une biguine. Des instants d’émotion d’une intensité rare qui en disent long sur la sensibilité d’un cinéaste persuadé que, pour comprendre l’humain, il n’est rien de mieux que d’en sonder les failles. Sans budget suffisant pour financer un long métrage, Manuel Poirier a l’idée géniale d’en tourner les vingt premières minutes en les présentant comme un court métrage, obtenant ainsi les subventions accordées aux œuvres courtes. Une amorce qui convainc le fondateur de la société mk2 (qui édite ce magazine), Marin Karmitz, d’accorder au long métrage le tout nouveau label « mk2 découvertes », et le petit budget allant avec.

UNE SORTIE CONFIDENTIELLE Le résultat : une œuvre à part, conçue hors du moule de La Fémis, cette école prestigieuse qui a permis l’éclosion de nombreux cinéastes, au prix d’une uniformité caractéristique d’un certain cinéma français des années 1990. « Pour le tournage, j’hébergeais une partie de l’équipe. Et certains comédiens dormaient chez l’habitant », se

remémore le cinéaste. Faisant appel à une société de production pour la logistique et le financement de son film, il doit cependant composer avec son producteur, avec qui il est en désaccord sur la nécessité ou pas de certaines scènes. Mais Poirier, farouchement opposé à toute forme de compromission,

comparé aux premières œuvres de Maurice Pialat. Cette sortie confidentielle, la volonté de sortir du parisianisme et l’indépendance du réalisateur séduisent l’ACID (l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion), née d’un manifeste de cent quatre-vingts cinéastes appelant à « résister ». C’est le tout

Le CNC lui renvoie son scénario en entourant les fautes d’orthographe. refuse catégoriquement de plier. « Franchement, heureusement que je n’ai pas cédé ! » lâche le réalisateur, qui dit n’avoir jamais rien renié de ses valeurs et de son intégrité. Enfin financé, le film ne quitte pas totalement la marginalité puisqu’il sort à Paris en 1992, dans une unique salle, le mk2 Odéon. Face au mastodonte 1492. Christophe Colomb de Ridley Scott, il reste à l’affiche une semaine. Du côté de la critique, c’est pourtant une pluie d’éloges qui s’abat sur le film normand,

premier film que la jeune structure choisit de soutenir. Elle finance le tirage de nouvelles copies, à la demande des exploitants de province. Symbole du cinéma indépendant, le film circule beaucoup dans les réseaux de distribution alternatifs comme Utopia. Amoureux de La Petite Amie d’Antonio, Maurice Bernart, figure emblématique du cinéma indépendant qui a déjà produit des films d’Alain Corneau, de Jean-Pierre Mocky ou d’Alain Cavalier, offre à Manuel Poirier

la possibilité de réaliser un deuxième long métrage, lui aussi très remarqué : … à la campagne (1995). Puis il tourne les formidables Attention fragile (1995, pour la collection « Les années lycée » d’Arte) et Marion (1997). La consécration arrive avec Western, Prix du jury à Cannes en 1997. D’autres films suivent. Mais son côté « caractériel » et la confrontation avec d’autres producteurs qui « ne pensent qu’au business » écœurent un réalisateur trop entier, qui prend progressivement ses distances. « Je pense que mes films ont eu un effet thérapeutique qui a fait son œuvre, analyse-t-il. Mais peut-être que ma colère, mes émotions et mes convictions me porteront bientôt vers un nouveau projet. » On aimerait tellement revoir La Petite Amie d’Antonio, qui s’apprécie encore davantage quand on en connaît la genèse. S’il arrive au film d’être projeté en festival – comme aux Filmeurs l’été passé, au milieu des champs –, il n’a jamais été édité, et a fini par devenir pratiquement invisible. De quoi renforcer un peu plus son statut de film « en marge ». Reste aux cinéphiles à espérer qu’une restauration redonne vie à cette œuvre fragile, et donc d’autant plus belle. TRISTAN BROSSAT

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Sergi López et Hélène Foubert © Collection Christophel

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Hélène Foubert et Sergi López © D. R.

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Cinéma -----> L’archive de Rosalie Varda

69 ANNÉE ÉROTIQUE ET MA PREMIÈRE TAFFE DE « CIGARETTE ARTISTIQUE »

Lions Love (… and lies) d’Agnès Varda © 1969 Max Raab – Ciné-Tamaris

Chaque mois, pour TROISCOULEURS, Rosalie Varda plonge dans les archives de ses parents, les cinéastes Agnès Varda et Jacques Demy, et nous raconte ses souvenirs à hauteur d’enfant. Ce mois-ci : sur le tournage de Lions Love (… and Lies) d’Agnès Varda, en 1969. À Los Angeles, en 1969, Agnès tourne Lions Love (… and Lies), une fiction complètement psychédélique et baroque. Viva, la

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star underground et égérie d’Andy Warhol, et Jim Rado et Gerry Ragni, les deux auteurs de Hair, la comédie musicale « hippie chic contre la guerre au Viêt Nam », composent un trio amoureux, Eddie Constantine fait une apparition et Shirley Clarke joue son propre rôle de cinéaste et le double d’Agnès. Pour mes parents, c’est l’époque contre-culture américaine et la découverte de la cité des Anges prise dans la magie, la démesure et la folie de la fin des années 1960. Revenons au tournage. J’y passais souvent, accompagnée de ma nounou Monique. Généralement Jim se dénudait pour me dire bonjour ! C’était une façon assez surprenante et exhibi­tionniste de me saluer, mais cela ne me faisait ni chaud ni froid car leur nudité était là tout le temps, devant tous, donc banalisée. L’ambiance joyeuse et

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farfelue de ce tournage a donné une pépite de cinéma qui se regarde aujourd’hui presque comme un documentaire. Ce qui est amusant, avec le recul, c’est qu’Agnès et Jacques ont découvert Los Angeles et la musique pop en fréquentant des stars comme Jim Morrison et des groupes de cette époque tels que Spirit, The Byrds, Buffalo Springfield, The Grateful Dead, Jefferson Airplane tout en travaillant chacun sur des films très différents. Notre maison d’Alpine Drive était ouverte à tous, et l’on pouvait y croiser des Européens en voyage – Simone Signoret, Jean-Luc Godard, Roman Polanski, Catherine Deneuve, Michelangelo Antonioni, Yves Montand – comme des Américains admirateurs du couple de la Nouvelle Vague que formaient Agnès et Jacques. Après avoir « joué » Françoise dans

Les Parapluies de Cherbourg et fait une apparition furtive dans Oncle Yanco, me voici, à 10 ans, avec une action à faire : fumer ma première « cigarette artistique » ! Je précise quand même que la dose de substance magique était légère ! J’avais fait mes colliers avec des petites perles de verre et des graines, et ma tenue orange avait été achetée dans une jolie boutique de Beverly Hills – c’est chic ! Et je portais un badge « Think » qui est aujourd’hui dans nos archives. La bande de gamins était évidemment constituée des enfants des amis – je pense que les parents étaient très heureux de nous voir nous amuser, sans penser une seconde à la réalité de la scène. Souvenirs heureux d’une enfance particulière sous le signe des gémeaux et du cinéma. Bel été à tous et on se retrouve en septembre ! • ROSALIE VARDA


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L’ANNÉE DU REQUIN SORTIE LE 3 AOÛT

Après leur film de loupgarou, Teddy, les jumeaux Boukherma jouent à nouveau avec les codes cinématographiques et le mélange des genres pour nous offrir un étonnant film de requin qui croise savamment esprits comique et tragique sur fond d’absurde tableau des dérèglements contemporains. 46

Est-il bien sérieux de s’attaquer en France au film de requin ? Le genre est tellement lié à un écrasant modèle américain (Les Dents de la mer, En eaux troubles…) que toute tentative de réinterprétation paraît risquée. Mais Ludovic et Zoran Boukherma, qui avaient signé avec Teddy une audacieuse variation sur les films de loup-garou, ont si peu froid aux yeux qu’ils s’approprient ici la mythique figure du requin en mêlant tonalité humoristique et gravité du récit. On suit ainsi les aventures de Maja (Marina Foïs), une gendarme qui doit, à contrecœur, prendre sa retraite anticipée. Son époux (Kad Merad) lui a déjà préparé un avenir rangé et formaté, mais l’arrivée soudaine d’un requin tueur dans la baie pousse Maja à reprendre du service. Si le

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film démarre comme une comédie, entre les blagues potaches d’un collègue (incarné par Jean-Pascal Zadi) et les extraits d’une émission de radio locale pleine de commentaires politiques fantaisistes, l’absolu premier degré avec lequel Maja vit les évènements prépare à une deuxième partie autrement plus dramatique. Les attaques de requin sont en effet filmées de façon brutale, tandis que Maja, assaillie par des doutes existentiels, se voit notamment harcelée sur les réseaux sociaux et agressée physiquement… C’est là que le projet des Boukherma prend son sens : la menace quasi invisible qui perturbe la vie intime des protagonistes n’est pas sans évoquer la pandémie de Covid et ses mesures de restrictions. Pratiquant l’hybridation des

genres pour mieux représenter les oscillations d’une époque dans laquelle les angoisses de fin du monde côtoient des moments rocambolesques, les cinéastes s’appuient sur les dérèglements contemporains pour nourrir leur hommage à une histoire du cinéma dans laquelle leur film ne dénote pas. L’Année du requin de Ludovic et Zoran Boukherma, The Jokers/Les Bookmakers, sortie le 3 août

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AS BESTAS SORTIE LE 20 JUILLET

Dans ce thriller d’une tension folle, Denis Ménochet et Marina Foïs font face à la haine de deux frères qui considèrent ces étrangers venus chercher un peu de paix comme la cause de leur vie miséreuse. Il suffit de quelques mots et des silences pesants de ces paysans aux visages burinés pour faire monter la tension dès les premières minutes. Antoine et Olga (Denis Ménochet et Marina Foïs), couple de Français venu s’installer en Galice, sont ici en territoire hostile. Une terre âpre, rongée par la pauvreté de ses habitants, qui ont tôt fait de désigner l’étranger comme ennemi. « Quand on s’en va, en Espagne, on dit au revoir », lance à Antoine d’un regard haineux l’aîné des frères Anta. Ces deux-là vouent une haine profonde à ce couple discret qui ne demande rien d’autre que de faire pousser ses légumes et de restaurer de vieilles bâtisses pour repeupler la région. Son tort ?

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S’être opposé à l’installation d’éoliennes qui auraient pu rapporter un petit pécule à la population locale. Dans une ambiance suffocante, on suit les tentatives d’intimidation alcoolisées des deux frères sur cette femme et son mari, dont la détermination à rester n’a d’égale que l’imposante carrure d’un Denis Ménochet (lire p. 30) à la fois bourru et diplomate. Il a beau tenter de parlementer, son espagnol n’est jamais assez bon pour Xan, dont on comprend progressivement les raisons qui le poussent à haïr autant. Avec le talent déjà à l’œuvre dans Madre et El reino, Rodrigo Sorogoyen applique à ce drame social les codes du thriller, dans un déferlement d’une violence d’abord sourde puis physique, qui n’est pas sans rappeler l’exil en Cornouailles de Dustin Hoffman dans Les Chiens de paille de Sam Peckinpah. Le réa­lisateur espagnol y greffe une habile réflexion sur la justice. Et sur le pouvoir de

l’image à faire jaillir ou non la vérité, via les vaines tentatives d’Antoine pour filmer en caméra cachée les menaces des deux frères. Dans le second mouvement, Marina Foïs impressionne dans la quête obstinée de son personnage pour continuer à vivre dans cet univers toxique. Le dialogue avec sa fille, venue la rejoindre pour lui faire entendre raison, vire irrémédiablement à l’affrontement. Olga est devenue une étrangère aux yeux de ses proches. Comme si sa détermination s’était progressivement muée en une nouvelle forme d’aliénation. As bestas de Rodrigo Sorogoyen, Le Pacte (2 h 17), sortie le 20 juillet

TRISTAN BROSSAT

Marina Foïs impressionne dans sa quête obstinée. no 190 – été 2022

Trois questions Antoine essaie de discuter avec les deux hommes qui le harcèlent, en vain. La tension ne cesse de monter, jusqu’à la violence physique, comme si c’était la seule façon de se faire respecter… Cette attitude suscite uniquement la peur, émotion que ressent d’ailleurs le spectateur. C’est tout le contraire du respect, qui ne peut se gagner que par l’écoute et le dialogue. À condition bien sûr que la haine ne soit pas trop forte. Olga refuse que son mari filme les menaces des frères Anta, ce qui semble pourtant la seule solution pour les arrêter. Pourquoi ? Pour elle, l’utilisation de la caméra est une provocation, un acte violent. C’est tout le contraire

À RODRIGO SOROGOYEN d’une tentative de dialogue, d’une démarche pacifique. Elle ne veut pas que son mari rentre dans ce jeu qu’elle considère comme infantile. Pourquoi avez-vous ce désir de faire se rencontrer les cultures espagnole et française, ce qui était déjà le cas dans votre précédent film, Madre ? Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, ce que nos sociétés de plus en plus refermées sur elles-mêmes semblent avoir oublié. La France, c’est un pays que je sens très proche de moi, dans tous les sens du terme, et que j’admire. Cette collaboration [le film est une coproduction hispano-française, ndlr] est également une façon d’améliorer mon travail.


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SUNDOWN SORTIE LE 27 JUILLET

Le sulfureux cinéaste mexicain Michel Franco (Después de Lucía) surprend avec ce film inclassable, tout à la fois thriller politique et errance mystique sur les plages faussement paradisiaques d’Acapulco. Impérial, Tim Roth y trouve l’un des rôles de sa vie. Michel Franco a encore frappé. Décrié pour ses récits implacables, le Mexicain s’impose comme le nouveau Michael Haneke. Et pour cause : on retrouve chez les deux cinéastes une distanciation objectivante, un certain pessimisme, une propension au sadisme ou encore un sabordage en règle des mœurs bourgeoises. Sur ce dernier point, Sundown ne fait pas exception : on assiste aux vacances farniente d’une richissime famille anglaise dans un hôtel de luxe à Acapulco. Le montage erratique

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fait s’entremêler des séquences muettes ou presque qui pourraient passer pour inoffensives chez d’autres cinéastes, mais qui prennent ici une tournure obscène. En quelques traits bien sentis, Franco croque la suffisance de personnages dont le point de vue surplombant rejoue une forme d’arrogance impérialiste. Jusqu’à ce qu’un terrible coup de fil oblige Alice (Charlotte Gainsbourg) à rentrer à Londres avec ses deux ados et son frère, Neil (Tim Roth, déjà dans Chronic du même cinéaste en 2015). Or, celui-ci prétexte un oubli de passeport et prolonge ses vacances en solo… Franco ne devance jamais son héros, dont les motivations restent obscures. Il l’accompagne (et nous avec) dans son fantasme d’oisiveté éternelle, sublimé par une mise en scène en constante apesanteur. Avec sa dégaine lunaire, Neil n’a pourtant rien du riche homme d’affaires. Tout juste apprend-on que rien ne l’intéresse si ce n’est vivre d’amour et de bière fraîche. Foncièrement mystérieux, le film cultive comme une lecture métaphysique des événements ; en témoigne la récurrence d’un halo solaire éblouissant aux airs d’autorité providen-

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tielle ou de vision épiphanique. C’est que le héros solitaire, à qui Tim Roth confère une présence quasi christique, descend des hauteurs huppées pour le quartier déshérité de la plage publique et fait l’expérience du dénuement. Mais ce chemin de croix surréaliste, Franco le situe au carrefour meurtrier d’Acapulco ; une manière inédite, pour le cinéaste cruel et désespéré qu’il est, d’entremêler ainsi les crimes industriels commis par l’oligarchie aux crimes de sang qui gangrènent ce paradis perdu.

Sundown de Michel Franco, Ad Vitam (1 h 23), sortie le 27 juillet

DAVID EZAN

Tout juste apprend-on que rien n’intéresse Neil si ce n’est vivre d’amour et de bière fraîche.


LES FILMS DU MORSO

CRÉDITS NON CONTRACTUELS

PRÉSENTE

AU CINÉMA LE 7 SEPTEMBRE


Cinéma -----> Sorties du 20 juillet au 31 août

TEMPURA SORTIE LE 20 JUILLET

Ce coming-of-age enchanté sublime le quotidien solitaire mais aventureux d’une vingtenaire célibataire, à Tokyo. La réalisatrice, Akiko Ohku, met en scène de façon excentrique l’intimité de son personnage principal pour illustrer son développement personnel. Tous les jours, dans son appartement encombré de Tokyo, Mitsuko relève un défi qu’elle se fixe elle-même. Aidée par A, la voix masculine de sa conscience, elle surmonte ses craintes pour aller au restaurant seule, partir en voyage ; son grand défi du film étant de

réussir à inviter à dîner l’homme qui lui plaît. La romance, pourtant, passe au second plan pour laisser briller le personnage principal et nous inviter à goûter les joies simples de sa solitude. Chacune des émotions de Mitsuko est littéralement illustrée à l’écran : dans l’avion, elle imagine la cabine se remplir de ballons colorés ; quand elle joue de la musique, les notes se matérialisent derrière elle. Les conversations perpétuelles de la jeune femme avec A, personnage intrusif mais serviable, la poussent à oser toujours un peu plus, tout en révélant subtilement son rapport tendu aux hommes, exploré crûment à la fin. Tout le long, et même dans le drame, Mitsuko campe fièrement son indépendance, la réalisatrice refusant jusqu’au bout le cliché de la demoiselle en détresse en prônant l’idée que si l’on a besoin des autres, c’est seulement pour nous encourager à faire ce qu’on n’osait pas faire seul.

Tempura d’Akiko Ohku, Art House (2 h 13), sortie le 20 juillet

LUCIE LEGER

DÉDALES SORTIE LE 20 JUILLET

De ce récit d’une novice qui disparait de son couvent au nord de la Roumanie, le cinéaste Bogdan George Apetri tire un thriller ultra maîtrisé, dont la lenteur n’entame jamais l’efficacité. Dans la liste des films étrangers dont le titre est bien mal traduit en français, Dédales figure en bonne place. Le troisième long métrage du Roumain Bogdan George Apetri n’a rien d’un labyrinthe. Au contraire, suivant une structure narrative simple en deux parties, il s’intéresse d’abord au trajet d’une jeune novice de 19 ans, Cristina Tofan, qui se faufile hors de son couvent pour se rendre chez le médecin, dans une petite ville du nord de la Roumanie. Avant de céder la place à la trajectoire du détective Marius Preda, venu interroger les nonnes. Cristina n’est jamais rentrée après ce rendez-vous, et l’enquêteur est chargé de

comprendre ce qui a pu se passer. Cette construction en miroir emmène le policier et le spectateur dans le sillage de la jeune fille. Usant avec virtuosité mais sans prétention des plans-séquences, le cinéaste retranscrit tout à la fois la lourdeur du temps qui passe et le danger latent. Tout, dans ce film pourtant très lent, semble annoncer le drame. Il suffit d’un regard furtif ou d’un bruissement du vent dans une forêt pour se sentir au bord du gouffre. Et, tandis que s’emboîtent parfaitement les éléments qui permettent de mettre au jour les secrets de chacun des personnages, on ne peut s’empêcher de penser que le long métrage ressemble décidément plus à son titre original : Miracol (« miracle »). Dédales de Bogdan George Apetri, Arizona (1 h 58), sortie le 20 juillet

MARGAUX BARALON

Il suffit d’un regard furtif ou d’un bruissement du vent dans une forêt pour se sentir au bord du gouffre. 54

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Cinéma -----> Sorties du 20 juillet au 31 août

MARCEL ! SORTIE LE 27 JUILLET

Nimbé de fantaisie et fort d’une réflexion passionnante sur le deuil, le premier long métrage réalisé par l’actrice Jasmine Trinca (vue notamment chez Valeria Golino et Nanni Moretti) installe la pratique artistique comme force réparatrice. Dans les ruelles écrasées de chaleur d’une ville italienne désargentée, une enfant traîne son ennui tout autant que le désir de retisser un lien avec sa mère. Jeune veuve, celle-ci balade sa tristesse dans un appartement miteux et ne retrouve du souffle qu’au gré de spectacles de rue qu’elle met en scène et

interprète avec Marcel, son chien. Il y a dans Marcel ! la douceur du conte que l’on égrène en chapitres. S’affirme aussi un contrechamp plus glaçant où l’amour se meurt dans un deuil qui ne se fait pas. C’est toute la réussite du film que de montrer la cruauté d’une mère envers sa fille, le rejet compulsif qui se joue parfois entre le créateur et sa création. Ici, tout est affaire de récit de soi, de ce que l’on fait des souvenirs qui nous hantent et de cette grande toile blanche que propose la pratique artistique, aussi libératrice qu’étouffante. Jasmine Trinca – fabuleuse comédienne chez Nanni Moretti (La Chambre du fils) et Valeria Golino (Miele) – offre ainsi à cet inouï caméléon qu’est Alba Rohrwacher (Palerme, Sous le ciel d’Alice) un champ d’expression extensible. Marcel ! est un geste aussi étrange que touchant, ne répondant à aucun code, se laissant porter par la persistance de l’amour.

Marcel ! de Jasmine Trinca, Rezo Films (1 h 33), sortie le 27 juillet

LAURA PERTUY

AVEC AMOUR ET ACHARNEMENT SORTIE LE 31 AOÛT

Claire Denis (lire p. 4) filme l’amour comme un thriller ou comme un film de vampires, portée par trois acteurs incandescents : Juliette Binoche, Vincent Lindon et Grégoire Colin. Sarah (Juliette Binoche) et Jean (Vincent Lindon) vivent ensemble depuis dix ans quand François (Grégoire Colin), qui fut jadis en couple avec la première et ami avec le second, réapparaît dans leur vie. C’est d’abord Sarah qui l’aperçoit, au détour d’une rue. En un instant, son visage radieux se défait. Puis c’est tout son corps qui s’affaisse : « François François François », se met-elle à répéter, les mains crispées sur le ventre, comme possédée. Et c’est bien de possession qu’il s’agit, de possession et d’emprise, le charme de François opérant sur Sarah, et bientôt aussi sur Jean, qu’il recontacte pour monter un bu-

siness, comme un sortilège puissant. Il y a quelque chose du film de vampire dans la manière dont Claire Denis filme la subjugation amoureuse – François, qui apparaît presque toujours la nuit, a d’ailleurs des airs de Nosferatu. À mesure que le triangle amoureux se met en place, le reste semble s’estomper – la vie professionnelle, la relation de Jean avec son fils ado qu’il n’a pas élevé – pour ne laisser dans le cadre que les corps, les cris et les visages de ces trois acteurs fascinants. On comprend alors que le titre du film est aussi vrai pour ce que vivent les héros que pour la manière dont Claire Denis les filme. Avec amour et acharnement de Claire Denis, Ad Vitam (1 h 56), sortie le 31 août

JULIETTE REITZER

Il y a quelque chose du film de vampire dans la manière dont Claire Denis filme la subjugation amoureuse. 56

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À COUPER LE SOUFFLE

FANTASTIQUE ET MYSTÉRIEUX TÉLÉRAMA

SO FILM

PUISSANT

GRANDIOSE

LE MONDE

KONBINI

UN FILM DE

31ÛT

AO F COMME FILM ET TROIS BRIGANDS PRODUCTIONS PRÉSENTENT

ADÈLE EXARCHOPOULOS SALLY DRAMÉ SWALA EMATI MOUSTAPHA MBENGUE DAPHNÉ PATAKIA

©2021 F Comme Film – Trois Brigands Productions – Le Pacte – Wild Bunch International – Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma – Division • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA

LÉA MYSIUS


Cinéma -----> Sorties du 20 juillet au 31 août

MI IUBITA MON AMOUR SORTIE LE 27 JUILLET

Forte de rôles puissants dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (2019) ou Les Olympiades de Jacques Audiard (2021), Noémie Merlant fait ses premiers pas de réalisatrice avec ce film autoproduit qui pose un regard neuf et irradiant sur la communauté rom. On n’attendait pas Noémie Merlant sur le terrain du cinéma guérilla, et pourtant : avec une audace folle, sans producteur, elle s’est envolée pour la Roumanie afin de tourner son premier long métrage. Mi iubita mon amour raconte ainsi l’irruption d’une bande de vacancières dans la vie d’une famille rom, qui les héberge le temps qu’elles se ressaisissent après qu’on leur a volé leur voiture. Merlant y

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campe le rôle-miroir – qu’on devine en partie auto­biographique – d’une actrice secrètement fascinée par Nino, le garçon faussement intrépide qui l’a accueillie chez ses parents. Loin du choc des cultures annoncé, la situation relève au contraire de l’évidence. Et cette famille recomposée de vivre un été placé sous le signe de l’hédonisme… Le geste est d’autant plus fort qu’il touche à une communauté particulièrement discriminée et stigmatisée. L’actrice-­réalisatrice le détourne habilement via un film consacré aux épidermes, habité par les ondulations d’une caméra portée. C’est que les corps dialoguent et s’égalisent par la rencontre, laquelle advient sur le mode du partage – culinaire, vestimentaire, musical, amoureux –, la proximité intime transmuée en force de subversion. Là se niche toute la beauté du projet, qui renverse par ailleurs la table avec malice : les Françaises sont ici les exilées, quand l’initiation charnelle n’est pas l’apanage d’un homme mais d’une femme plus âgée. Sans s’astreindre à un point de vue théorique, sans mainmise budgétaire ou morale sur son récit, Merlant s’offre même le luxe de l’intuition.

On le voit lors d’une longue scène de dîner en forme d’exutoire collectif, aux airs de théâtre improvisé, durant laquelle elle filme la famille avec une dévorante authenticité. Une ardeur qui évoque frontalement La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche (2007), ode naturaliste à la communauté maghrébine de Sète. Mieux : à l’image de cette figure tutélaire, la cinéaste fait aussi advenir de grands personnages de cinéma. C’est le cas pour Nino, incarné par son jeune coscénariste Gimi Covaci. Car le vrai miracle de Mi iubita mon amour tient à ce que Noémie Merlant révèle la grâce candide qu’on n’avait pas su voir chez cet adolescent au début du film, tandis qu’il sort de la nuit pour demander une cigarette. Mi iubita mon amour de Noémie Merlant, Tandem (1 h 35), sortie le 27 juillet

DAVID EZAN

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Trois questions Dans quel contexte avez-vous rencontré la communauté rom ? Il y a des années, je me suis investie dans une association qui aide plusieurs familles roms et j’ai noué une solide amitié avec l’une d’elles. Comme je suis nulle en paperasse, j’ai compris qu’il serait plus constructif de les engager autour d’un projet. Ils n’aiment pas les documentaires sur eux, mais l’idée d’une fiction les enchantait. Mon court métrage Shakira (2019) est né de cette façon, Mi iubita mon amour a suivi.

À NOÉMIE MERLANT nous sommes partis. On se levait le matin tôt et on découvrait chaque fois les décors sur place ; tout s’est fait dans une vraie émulation. On s’est pas mal inspirés de Call Me by Your Name de Luca Guadagnino (2018) : on voulait prendre le temps de sentir les frissons sur les peaux, les odeurs de l’été…

Quel regard portez-vous sur le financement des films ? Tout devrait pouvoir exister en création. Certains peintres font bien des tableaux abstraits et immédiats, j’aimerais qu’il en Dans quelle énergie s’est soit de même pour les films. déroulé ce tournage hors C’est parfois très bien lorsque norme ? On a écrit très vite, avec Gimi c’est cadré et que tout le monde Covaci, puis on a recruté deux donne son avis au préalable, te ch ni c i e nnes q u i so r ta i e nt mais je sais que, dans mon cas, à peine d’école. J’ai loué une cela aurait effacé la singularité caméra avec mes économies, et de mon discours.


Sorties du 20 juillet au 31 août <---- Cinéma

DESTRUCTION BABIES & BECOMING FATHER SORTIE LE 27 JUILLET

30 SEPT

Destruction Babies (2016) et Becoming Father (2018) révèlent en France le cinéaste japonais Tetsuya Mariko, ancien élève de Kiyoshi Kurosawa, qui s’impose par son outrance sanglante et sa réflexion incisive sur les intrications entre la masculinité et la violence. Né à Tokyo en 1981, le réalisateur Tetsuya Mariko s’est fait remarquer de festival en festival avec ses courts et son long métrage Yellow Kid (2009), dans lequel il revisitait le film de boxe, avant d’être consacré par le Prix du meilleur réalisateur émergent à Locarno pour Destruction Babies en 2016. Dans ce long, qui ressemble à une version contemporaine et japonaise d’Orange mécanique, le cinéaste s’inter-

roge sur notre relation à la représentation de la violence en jouant avec brio sur notre épuisement et sur nos nerfs. Il suit Taira et Shota, deux frères orphelins de Mitsuhama, au Japon. Taira, l’aîné au regard fou, aborde n’importe qui dans la rue, et provoque des bastons sans raison. Souvent il est mis à terre, mais toujours il se relève et revient chercher les coups, jusqu’à ce que couvert de sang il n’en puisse plus. Taira avance comme un tourbillon qui détruit tout sur son passage, comme une version hyperréaliste des kaijū eiga, ces films où des monstres (Godzilla ou, plus proche de nous, le Merde imaginé par Leos Carax dans Tokyo!) dévas­ tent des villes entières. Shota, son frère, à ses trousses, incarne notre regard impuissant et fasciné devant cet agent du chaos, face à cette répétition incessante et nauséeuse du même spectacle de la brutalité et de la destruction. Aucune clé psychologique ne nous sera donnée pour en élucider l’origine, à peine quelques pistes sont lancées – notamment la construction de la masculinité dans un environnement

rural au Japon. Un questionnement qui est aussi au cœur de Becoming Father (2018), le très over the top dernier long de Mariko, adapté du manga Miyamoto Kara Kimi de Hideki Harai, publié entre 1990 et 1994. Ici, Mariko s’empare du rape and revenge movie. Jeune employé d’une entreprise de papeterie, le très inhibé Miyamoto tombe amoureux de la mystérieuse Yasuko, qui n’en a pas grandchose à faire de lui mais l’utilise pour se débarrasser d’un autre. Après une soirée, Yasuko est victime d’un viol. Présent dans la pièce à ce moment-là, Miyamoto n’est pas intervenu pour l’aider : il s’est endormi, ivre… Dès lors, la jeune femme est autant en colère contre lui qu’elle le méprise. Mais, bille en tête, Miyamoto va s’évertuer à vouloir la venger. Tetsuya Mariko démonte sa fierté et sa vanité qui soudain le décoincent, en faisant le portrait d’une vendetta absolument affligeante. Son héroïsme prétendu est tourné en ridicule par une mise en scène gory, dans laquelle ses yeux paraissent révulsés comme dans le plus fantasque des mangas, où ses cris hystéros paraissent tout droit sortis des meilleurs cartoons sadiques. Le cinéaste moque alors son code de l’honneur viril en le faisant passer par les cascades les plus no limit, comme pour montrer en même temps leur inanité. Et, pendant ce temps-là, Yasuko assiste à tout ça, consternée.

22 OCT

PRIME ✺ EMMA PETERS LUJIPEKA ✺ LA GRANDE SOPHIE MELISSA LAVEAUX ✺ OLDELAF AYỌ ✺PIERRE DE MAERE 2E2M INVITE JULIETTE LES GOGUETTES ✺ OURS LONNY ✺ HANGMAN’S CHAIR FLORENT MARCHET ✺ JAVA CHINESE MAN ✺ LUV RESVAL YOUN SUN NAH QUARTET HOWLIN’ JAWS ✺ TERRENOIRE JOHNNY MAFIA ✺ CATS ON TREES BCUC ✺ GORAN BREGOVIĆ BLØND AND BLÖND AND BLÓND BONBON VODOU ✺ GOVRACHE FAADA FREDDY ✺ ODEZENNE ZOMBIE ZOMBIE ✺ JAHNERATION THOMAS FERSEN ✺ YANISS ODUA ZOUFRIS MARACAS

12/20 €

FESTIVALDEMARNE.ORG

Destruction Babies & Becoming Father de Tetsuya Mariko, Capricci Films (1 h 58 ; 2 h 09) sortie le 27 juillet

QUENTIN GROSSET

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Cinéma -----> Sorties du 20 juillet au 31 août

MAGDALA SORTIE LE 20 JUILLET

Balade silencieuse sur les derniers jours de MarieMadeleine recluse dans la forêt, le cinquième film de Damien Manivel (Le Parc, Les Enfants d’Isadora) accomplit le miracle de nous faire ressentir du divin en racontant du prosaïque. Pour ce sujet biblique, à la grande fresque historique, le Brestois Damien Manivel a préfère la peinture de détail. Il filme en gros plans, en gestes, en trajectoires le parcours de la compagne de route de Jésus. Elle qui a fait le choix radical de s’extraire du monde des hommes, vivant ses derniers instants en ermite dans la forêt, buvant des gouttelettes de rosée à même les feuilles ou fouillant la terre de ses doigts pour glaner de quoi manger. Elle s’incarne dans le corps puissant et lent d’Elsa Wolliaston, chorégraphe américaine que le cinéaste

a déjà filmée dans son court métrage La Dame au chien (2010) puis dans Les Enfants d’Isadora (2019). Avec ce nouvel épisode d’un compagnonnage de douze années et trois films, le cinéaste-danseur fait le portrait d’une amie chère en filigrane de celui du personnage mythique, tout en explorant à deux les gestes d’une chorégraphie non dansée. Le devenir animal de ce caméléon qui se fond dans la nature amène la future sainte à une générosité suprême : offrir son cœur – littéralement – à un oiseau malade pour lui redonner vie avant de se retrancher dans une grotte éclairée d’une simple bougie ; la magie de la lumière imprimée sur la pellicule 16 mm nous prépare alors au miracle de l’élévation. Magdala de Damien Manivel, Météore Films (1 h 18), sortie le 20 juillet

RAPHAËLLE PIREYRE

La magie de la lumière imprimée sur la pellicule nous prépare au miracle de l’élévation.

LES PROMESSES D’HASAN SORTIE LE 3 AOÛT

Propriétaire d’un champ, Hasan a l’occasion de partir faire le pèlerinage à La Mecque avec sa femme. Cette promesse de voyage va raviver ses remords enfouis… Le cinéaste turc Semih Kaplanoğlu saisit les tourments de son héros dans une mise en scène tout en vibrations. D’intenses scènes de négociation parsèment Les Promesses d’Hasan. Négociation par rapport au champ qu’Hasan cultive, car l’agriculteur cherche à éviter qu’un pylône soit

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installé en son milieu, ce qui le priverait d’une partie de ses récoltes. Et négociation avec sa conscience, puisque, pour préserver sa propriété, il faudrait qu’il convainque ses voisins d’accepter cette installation électrique sur leur terrain. En même temps, la perspective d’un futur pèlerinage à La Mecque avec son épouse l’amène à s’interroger sur la probité de ses actes, et sur ses erreurs passées. Si Semih Kaplanoğlu cède parfois à un symbolisme un peu évident, sa manière sensorielle d’évoquer l’agitation intime de Hasan par les vibrations de son environnement a quelque chose de fascinant. C’est surtout le rythme paisible du film, bercé par la brise, qui est à la fois troublant et inattendu, parce qu’il contraste avec les tempêtes intérieures du vieil homme. Cette lenteur contemplative se calque sur la cadence de son inquiétude, qui le consume doucement, en distillant un grand sentiment de mélancolie.

Les Promesses d’Hasan de Semih Kaplanoğlu, ARP Sélection (2 h 28), sortie le 3 août

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QUENTIN GROSSET



Cinéma -----> Sorties du 20 juillet au 31 août

TROIS MILLE ANS À T’ATTENDRE SORTIE LE 24 AOÛT

Le nouveau long métrage de George Miller (Mad Max), présenté hors Compétition à Cannes cette année, est un film de conteur comme on n’en fait plus, dans lequel la foi inébranlable en le pouvoir de la fiction et des images paraît transcender le temps et l’espace. Venue donner une conférence à Istanbul, une narratologue (Tilda Swinton) commence à avoir de drôles de visions. Après qu’elle a mis la main sur une fiole magique, un djinn (Idris Elba) prend soudainement forme dans sa chambre d’hôtel, avant de lui annoncer qu’elle doit exaucer trois vœux. Esprit transcendantal et immortel, capable de percevoir les rouages secrets de l’univers, le djinn raconte au fil du film son histoire sous la forme d’un conte enivrant dans lequel s’enchaînent, dans un assemblage étonnant,

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des scènes burlesques, épiques ou fantasmagoriques qui nous mènent d’un palais royal à la pointe d’une tour où est enfermée une sorcière en quête de savoir… Après Mad Max. Fury Road (2015), George Miller revient avec un film à mi-chemin entre The Fall de Tarsem Singh et les fables numériques de Robert Zemeckis (Le Drôle de Noël de Scrooge) ou de Steven Spielberg (Le Bon Gros Géant). Dans ce blockbuster ludique, la fiction est une affaire d’envoûtement, mais aussi d’alchimie. Le film multiplie les effets de dilatation et de liquéfaction pour mettre en scène la rencontre, magique et miraculeuse, entre l’art du récit et celui de l’image. Des corps fondent, se transforment et plongent au fond de l’eau pour composer une sorte d’élixir bariolé, qui use des effets numériques pour figurer des mythes ancestraux. Dans la marmite du cinéaste australien, on trouve des images cosmogoniques, des formules mathématiques, des fresques sensuelles teintées d’orientalisme… Le mélange est certes un peu étrange, mais la foi que voue Miller à son histoire d’amour philosophique, dans laquelle la figure humaine comme celle

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de l’immortel apprendront à faire un pas vers l’autre (l’une apprenant à accepter les mystères de l’univers, l’autre à toucher du doigt une finitude longtemps espérée), paraît inébranlable. Les contours un peu naïfs du projet s’imposent finalement comme une condition pour libérer la mise en scène et la laisser voler de ses propres ailes, sans souci des conventions. Au bout de l’aventure, un chapitre plus intime révèlera même toute la portée émotionnelle de ce tourbillon méta­ physique, bien caché sous la forme d’un beau film de conteur.

Trois mille ans à t’attendre de George Miller, Metropolitan FilmExport (1 h 48), sortie le 24 août

CORENTIN LÊ

La foi que voue George Miller à son histoire d’amour philosophique paraît inébranlable.



Cinéma -----> Sorties du 20 juillet au 31 août

LA DÉRIVE DES CONTINENTS (AU SUD) SORTIE LE 24 AOÛT

Entrelaçant l’intime et le politique, cette dramédie de Lionel Baier, sélectionnée à la Quinzaine des cinéastes cette année, navigue en eaux troubles pour mieux retranscrire les sentiments confus que l’on ressent vis-à-vis de l’idéal européen. Après Comme des voleurs (à l’est) (2006), tourné en Pologne, puis Les Grandes Ondes (à l’ouest) (2013), tourné au Portugal, le Suisse Lionel Baier poursuit son expédition européenne, en choisissant cette fois-ci comme théâtre la Sicile, épicentre de la crise migratoire. Il suit Nathalie (Isabelle Carré), qui a pour mission d’accueillir Emmanuel Macron et Angela Merkel dans un camp de migrants. Il s’agit en réalité d’une opération de communication bien rodée, visant à montrer que l’Union européenne est en pleine maîtrise de la situation. À sa

grande surprise, Nathalie retrouve sur place son fils, le très remonté Albert (Théodore Pellerin), militant auprès d’une O.N.G., qui ne lui parle plus depuis plusieurs années… Dans la tension de ces retrouvailles, le film oppose dans un premier temps les idéaux et les désirs révolutionnaires de la jeunesse au pragmatisme des parents. Avec humour et gravité, avec douceur mais sans naïveté, il renoue progressivement les liens entre les générations. Dans ce décor aride superbement filmé (on pense à une séquence tournée dans un village détruit par un tremblement de terre, comme un symbole de notre fragilité), il invite surtout à réfléchir au rôle que peut encore jouer l’Union européenne dans les tragédies qui s’imposent à nous. La Dérive des continents (au sud) de Lionel Baier, Les Films du Losange (1 h 29), sortie le 24 août

JOSÉPHINE LEROY

Le film oppose les désirs révolutionnaires de la jeunesse au pragmatisme des parents.

AMERICA LATINA SORTIE LE 17 AOÛT

Un dentiste bien installé découvre une ado séquestrée dans sa cave et décide de se taire. Ce drame psychologique sur fond de dissimulation est signé par un duo de cinéastes italiens qui s’épanouissent dans le malaise. Massimo Sisti (Elio Germano) a apparemment tout pour être heureux. Mais, lorsque ce dentiste décide de se comporter comme s’il ne venait pas de trouver une adolescente ligotée dans sa propre cave, il nous emporte avec lui dans un gouffre où ni le bon sens ni l’empathie n’ont de place. Sélectionné au dernier Festival de Venise, le film des jumeaux D’Innocenzo (Frères de

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sang, Storia di vacanze) est d’abord le portrait psychanalytique d’un homme décidé à préserver les apparences pendant que l’horreur prend ses aises au sous-sol – et en lui. La mise en scène crée un état de sidération, faisant littéralement pression sur un héros qui se décompose sous nos yeux. Jouant avec l’imagerie de la famille parfaite et matérialisant le capharnaüm mental dans lequel il se débat, les réalisateurs parviennent à créer un état d’inconfort aussi épais que durable. Clou du spectacle : une scène de repas familial aussi digne de Claude Chabrol que de David Lynch, dans laquelle Massimo vomit littéralement sa haine du personnage de petit­-bourgeois dans lequel il s’est enfermé. Bien qu’offrant quelques réponses, America latina agit comme un mauvais rêve : notre façon de l’interpréter déterminera notre faculté à nous en relever.

America latina de Damiano et Fabio D’Innocenzo, Le Pacte (1 h 30), sortie le 17 août

no 190 – été 2022

THOMAS MESSIAS


IONAL ENTERTA

YUYA YAGIRA MASAKI SUDA NANA KOMATSU NIJIRO MURA

© 2016 “DESTRUCTION BABIES” FILM PARTNERS. ALL RIGHTS RESERVED.

TOKYO THEATRE CO.,INC. DREAM KID,INC. DATANG INTERNAT

KAMI SOSUK E IKEMATSU TAKUMI KITAMURA MASAKI MIURA

avec ISHIZUK A scénario TETSUYA MARIKO KOHEI KIYASU ZU NISHIGAYA YUKI NISHIMI YA KAN ODAGIRI YOSHITA KA SHUTOKU MUKAI production TOKYO THEATRE CO.,INC. productrice exécutive EISEI SHU producteurs TOSHIKA HIDEMI LI musique direction artistique HIRONOR I IWAMOT O montage U CO.,LTD image YASUYU KI SASAKI son SHINYA TAKATA KID,INC. “destruction babies ” film partners DLE,INC. SHOCHIK internatio nales SHOCHIK U CO., LTD. DREAM co - productio n KIRISHIM A 1945,INC . ventes INMENT CO., LTD. AVEX MUSIC PUBLISHING,INC.

IS ! A N O P JA A M É IN C U D LE IB R R LE N O U V E L E N FA N T TE

DEN DEN

LE 27 JUILLET AU CINÉMA

SOSUK E IKEMATSU YO AOI WATA RU ICHINOSE ARATA LURA

«FROM MIYAMOTO TO YOU « FILM PARTNERS PRESENTS A

STAR SANDS PRODUCTION/20 19/JAPAN /スクリーン

サイズ /COLOR/MIN ©

ARAI

de HIDEKI avec après le manga “MIYAM OTO KARA KIMI E” iKenaga scénario TETSUYA MARIKO et TAKEHIK O MINATO d’ internationales KADOKAWA INC. distribution CAPRICC I image Hidetos Hi sHinom iYa musique sHoJi RE / OHTA PUBLISHING COMPAN Y production STAR SANDS ventes publié aux éditions MILLION YEARS BOOKSTO RESERVED. 2019 “FROM MIYAMOTO TO YOU” FILM PARTNERS. ALL RIGHTS


Cinéma -----> Sorties du 20 juillet au 31 août

REBEL SORTIE LE 31 AOÛT

Suivant l’itinéraire d’un jeune Belge qui se retrouve complice du djihad en Syrie, le duo Adil El Arbi et Bilall Fallah revient au cinéma européen entre deux films hollywoodiens et signe une tragédie familiale à la brutalité pétrifiante. Kamal (Aboubakr Bensaihi), jeune Belge parti en Syrie au début de la guerre en croyant pouvoir y intervenir comme humanitaire, se retrouve enrôlé au sein du groupe État islamique dont il filme les atroces exactions. Pendant ce temps, en Belgique, des recruteurs tentent de convaincre le jeune frère de Kamal de partir à son tour, au grand dam de leur mère (Lubna Aza-

bal)… Réalisateurs de Bad Boys for Life et de Batgirl (prochainement en salles), les Belges Adil El Arbi et Bilall Fallah délaissent le temps d’un film le faste de Hollywood pour retracer une des grandes tragédies de la dernière décennie, qui a vu des Euro­ péens partir faire le djihad et participer à des meurtres de masse. Pour rendre le récit immersif, le duo de cinéastes se livre à une représentation frontale de la violence et à une impressionnante mise en scène qui détaille l’engrenage infernal dans lequel sont pris les personnages. Le film bénéficie en outre de trois puissantes séquences musicales, qui s’apparentent à des numéros de music-hall et racontent l’évolution de Kamal, de la colère initiale au désespoir final. En juxtaposant ainsi chronique sociale, drame familial et film d’action, Rebel apporte une pierre originale et très amère au traitement fictionnel du djihadisme.

Rebel d’Adil El Arbi et Bilall Fallah, Bac Films (2 h 15), sortie le 31 août

DAMIEN LEBLANC

FLEE

SORTIE LE 31 AOÛT

Vibrante adaptation des souvenirs d’un réfugié afghan vivant au Danemark, Flee, du Danois Jonas Poher Rasmussen, a reçu une pluie de récompenses dans le monde, dont le Crystal à Annecy en 2021, et a été nommé trois fois aux Oscar. Aux classiques Valse avec Bachir et Persepolis, dans la liste des grands films d’animation historico-personnels, il faudra désormais ajouter Flee. Le long métrage du Danois Jonas Poher Rasmussen donne la parole à un des amis du cinéaste, Amin (dont le prénom a été changé), 36 ans, universitaire au Danemark, en passe de se marier avec Kasper, un réfugié afghan ayant fui la prise de pouvoir des talibans au début des années 1990. Grâce à une superbe 2D réaliste, qui confine parfois à l’abstraction quand les souvenirs se font plus incer-

tains et difficiles, Flee est le témoignage d’un homme parmi la multitude des candidats à l’exil. Une histoire pour universaliser la violence, la peur, la solitude, mais aussi le soulagement et les rares joies de cette fuite aussi libératrice que dévastatrice, nécessaire que contrainte. C’est aussi le récit d’un garçon qui découvre son homosexualité en regardant Jean-Claude Van Damme, d’une mondialisation où telenovelas et Daft Punk traversent des frontières devenues mortelles pour d’autres, la confession d’un adulte rongé par une culpabilité terrible – cet essai animé marque le point de départ d’une rédemption et d’un pardon. Bouleversant, sans jamais tirer la carte du pathos fastoche : une merveille. Flee de Jonas Poher Rasmussen, Haut et Court (1 h 23), sortie le 31 août

PERRINE QUENNESSON

Une superbe 2D, qui confine parfois à l’abstraction quand les souvenirs se font plus incertains et difficiles. 66

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PYRAMIDE PRODUCTIONS PRÉSENTE

RENDEZ-VOUS DANS LE FUTUR

UN FILM DE

FRANÇOIS DESCRAQUES RAPHAËL DESCRAQUES SLIMANE-BAPTISTE BERHOUN AUDREY PIRAULT MATHIEU POGGI VINCENT TIREL ASSA SYLLA LÉNIE CHERINO


Cinéma -----> Sorties du 20 juillet au 31 août

JUILLET

La Petite Bande

Sundown

Gaumont (1 h 46)

Ad Vitam (1 h 23)

de Pierre Salvadori

Des feux dans la nuit

KMBO (1 h 34)

Dulac (1 h 34)

de Peter Bebjak

dt

lire p. 17

As bestas

Marcel !

Le Pacte (2 h 17)

Rezo Films (1 h 33)

de Rodrigo Sorogoyen

c

lire p. 50

de Jasmine Trinca

d

lire p. 28 et 48

Mi iubita mon amour

Carlotta Films

Tandem (1 h 35)

rétrospective, six films

z

de Noémie Merlant

dr

lire p. 34

Dédales

dr

lire p. 52

03 z

lire p. 56

de Ludovic et Zoran Boukherma The Jokers/Les Bookmakers (1 h 27)

c

lire p. 57

Capricci Films (1 h 58)

ARP Sélection (2 h 28)

Costa Brava, Lebanon

Météore Films (1 h 18)

Eurozoom (1 h 47)

d Mia et moi

lire p. 58

L’héroïne de Centopia d’Adam Gunn et Matthias Temmermans Alba Films (1 h 22)

5f4

d

lire p. 57

lire p. 58

Dans ce thriller décalé, cinq tueurs à gages (dont Brad Pitt) doivent voyager ensemble entre Tokyo et Morioka à bord du train le plus rapide du monde.

d

Krypto et les Super-Animaux

Bullet Train

Warner Bros. (1 h 40)

Sony Pictures (2 h 06)

de Jared Stern et Sam Levine

at

5f1 no 190 – été 2022

Dodo

de Pános H. Koútras Pyramide (2 h 12)

dr Dans ce documentaire intime, les pérégrinations de deux frères syriens en route vers l’Europe sont racontées et filmées par leur cousin, qui en fait une ode à la liberté.

Loin de chez nous de Wissam Tanios

Épicentre Films (1 h 22)

o

One Piece Film Red

de David Leitch

lire p. 12

Un dodo, volatile disparu depuis des siècles, fait irruption lors d’un mariage et dérègle toutes les dynamiques… Une relecture foutraque et camp de Théorème de Pasolini.

lire p. 46

de Semih Kaplanoğlu

de Mounia Akl

de Damien Manivel

dptz

lire p. 6

L’Année du requin

de Tetsuya Mariko

Magdala

Potemkine Films (1 h 28)

Carlotta Films

Art House (2 h 13)

cdt

d’Akira Kurosawa

rétrospective, sept films

Les Promesses d’Hasan

lire p. 52

10

Rashōmon

François Truffaut Les années d’or

Destruction Babies

c

dt

d

Tempura

d’Akiko Ohku

Le Pacte (1 h 44)

Shellac (2 h 17)

Capricci Films (2 h 09)

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de Juanjo Giménez Peña

de Denis Côté

de Tetsuya Mariko

Arizona (1 h 58)

En décalage

Un été comme ça

Becoming Father

de Bogdan George Apetri

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Cinéaste rare, le Québécois Denis Côté s’intéresse ici à trois jeunes femmes venues passer un mois d’été dans un centre de repos pour tenter d’apaiser et de comprendre leurs troubles sexuels.

lire p. 54

Pasolini 100 ans !

de Dominique Lienhard

id

de Michel Franco

c

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Le Rapport Auschwitz

AOÛT

JUILLET

20 27

Au Moyen Âge, un pêcheur de 15 ans apprend le sens des responsabilités après le départ de son père, alors que des drames frappent son village superstitieux.

AOÛT

CALENDRIER DES SORTIES

Tiré de l’histoire vraie de deux déportés slovaques parvenus à s’enfuir d’Auschwitz en 1944, ce biopic poignant narre la façon dont ils ont tenté de révéler au monde l’existence des camps.

de Gorō Taniguchi Pathé (2 h)

51c


Sorties du 20 juillet au 31 août <---- Cinéma Le grand Jordan Peele (Get Out, Us) revient nous faire peur avec ce trip SF qui met en scène des événements surnaturels au beau milieu d’un désert californien.

de Leonardo Medel

ht

Art House (1 h 40) lire p. 17

My Name Is Gulpilil

Condor (1 h 55)

Star Invest Films (1 h 42)

Nour Films (1 h 45)

de Thomas Daneskov

sd1

de Molly Reynolds

ct

24 31

America latina

Rétrospective F. J. Ossang

Avec amour et acharnement

Le Pacte (1 h 30)

Solaris (1 h 21 ; 1 h 49 ; 1 h 37)

Ad Vitam (1 h 56)

de Damiano et Fabio D’Innocenzo

rt

Rétrospective, trois films

z

lire p. 62

Deux amis (Casey Affleck et Matt Damon) se perdent dans la vallée de la Mort. Beau et absurde comme un Beckett, le chef-d’œuvre de Gus Van Sant ressort au cinéma.

de Claire Denis

dr

lire p. 26

Everything Everywhere All at Once

Leïla et ses frères de Saeed Roustaee

de Daniel Kwan et Daniel Scheinert

Wild Bunch (2 h 49)

Originals Factory (2 h 19)

d

sac

lire p. 32

Gerry

Trois mille ans à t’attendre

Théorème

Carlotta Films (1 h 43)

Metropolitan FilmExport (1 h 48)

Tamasa (1 h 38)

de George Miller

de Gus Van Sant

dz

rfd

Sony Pictures (2 h 05)

Les Films du Losange (1 h 29)

de Lionel Baier

d

dz

lire p. 60

La Dérive des continents (au sud)

dt

drame

sci-fi

comédie dramatique

thriller

fantastique

aventure

horreur

historique

documentaire

catastrophe

biopic

policier/ enquête

super-héros

buddy movie

psychologie

technologie

musical

luttes sociales

féminisme

voyage/ road trip

western

ressortie

romance

famille

comingof-age

guerre

espionnage

écologie/ nature

animation

enfant

lire p. 34

Le Pacte (1 h 35)

3

lire p. 62

Les Vieux Fourneaux 2 Bons pour l’asile

Les Volets verts

Rebel

ARP Sélection (1 h 38)

Bac Films (2 h 15)

c

action

de Léa Mysius

Gérard Depardieu campe un acteur hanté par son histoire passée avec sa partenaire de scène. Avec sensibilité, Jean Becker adapte un roman de Georges Simenon.

Apollo Films/Orange Studio (1 h 43)

comédie

Les Cinq Diables

Le truculent trio de septuagénaires (Pierre Richard, Eddy Mitchell, Bernard Le Coq) vient cette fois en aide à des réfugiés dans une bourgade du Sud-Ouest hostile.

de Christophe Duthuron

lire p. 16 et 36

de Pier Paolo Pasolini

Là où chantent les écrevisses d’Olivia Newman

lire p. 4 et 54

o Cochez les films que vous ne voulez pas manquer

de Yusuke Hirota

David Gulpilil, première star aborigène du cinéma mondial (La Randonnée, Charlie’s Country), fait un récit nuancé de son aventure hollywoodienne dans ce docu nostalgique.

Wild Men

de Kristina Buožytė et Bruno Samper

AOÛT

De l’autre côté du ciel

L’esprit des frères Coen plane sur cette comédie danoise mâtinée de thriller, dans laquelle un cadre décide soudain de tout plaquer pour vivre comme un homme préhistorique.

cr

Vesper Chronicles

AOÛT

AOÛT

17

StudioCanal (1 h 32)

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Dans un monde postapocalyptique, les privilégiés vivent dans des citadelles et les autres survivent dans une nature dangereuse. Seule une jeune biohackeuse a encore de l’espoir.

Universal Pictures (2 h 11)

d’Ivan Calbérac

Paramount Pictures (1 h 31)

d

de Jordan Peele

La Dégustation

d’Enrique Gato

Moonlight Films (1 h 40)

Nope

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Tad l’explorateur et la table d’émeraude

La Verónica

lire p. 38

Flee

de Jonas Poher Rasmussen Haut et Court (1 h 23)

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lire p. 64

d’Adil El Arbi et Bilall Fallah

de Jean Becker

dat

d été 2022 – no 190

lire p. 64

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LES 10 SÉRIES DE L’ÉTÉ LES PAPILLONS NOIRS

1 © Nicolas Roucou

Spoiler : l’été sera show ! Les chaînes et plateformes ont cessé de négliger le public estival et proposent une grille alléchante côté séries. Tueurs en série, orgies imaginaires, dragons ou amours queer : il y en aura pour tous les goûts. NORA BOUAZZOUNI

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Albert (Niels Arestrup), coiffeur à la retraite, n’en a plus pour longtemps et embauche Adrien (Nicolas Duvauchelle), écrivain de polars en panne d’inspiration, pour coucher ses mémoires. Mais l’histoire d’amour qu’il décrit se révèle être en fait les confessions d’un couple de tueurs dans les années 1970… Une minisérie sanglante et pleine de rebondissements, où récits et temporalités s’entremêlent, et où se croisent des hommes violents et abîmés. début septembre sur Arte.tv

no 190 – été 2022

© Apple TV+

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4 © Apple TV+

© 2020 PayperMoon Italia, Rai Fiction

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BLACK BIRD

DON’T LEAVE ME

QUEER AS FOLK

Condamné à dix ans de prison pour trafic de drogue, James Keene se voit proposer un marché : sa liberté en échange des aveux de Larry Hall, suspecté d’avoir tué plusieurs femmes, mais incarcéré pour un seul meurtre… Un thriller tendu inspiré d’une histoire vraie, avec Taron Egerton, Ray Liotta et Greg Kinnear.

Elena Zonin est flic. Son quotidien, c’est le dark web, où se vendent armes, organes et enfants. La piste d’un réseau pédocriminel la conduit à Venise, où le corps d’un jeune garçon a été retrouvé… La ville de l’amour comme on ne l’avait jamais vue, sombre et inquiétante, par les scénaristes de Gomorra et ZeroZeroZero.

Reboot de la série pionnière créée en 1999 par Russell T. Davies (It’s a Sin), cette mise à jour se veut plus queer, plus réaliste mais aussi plus critique sur la génération Z qu’elle met en scène à travers le quotidien, les interrogations et les frasques sentimentales d’une bande d’amis LGBTQ+ à La Nouvelle-Orléans.

à partir du 25 juillet sur Canal+

à partir du 31 juillet sur Starzplay

© Apple TV+

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FIVE DAYS AT MEMORIAL BAD SISTERS

à partir du 19 août sur Apple TV+

Marnie, 24 ans, débarque à Londres pour un nouveau départ, espérant faire disparaître le trouble obsessionnel compulsif qui lui pourrit la vie : des images obscènes sous forme de flashs. « C’est comme le film Sixième sens, sauf que je ne vois pas des gens morts, mais à poil. » Une quête de soi drôle et touchante. le 2 septembre sur Arte.tv

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GAME OF THRONES. HOUSE OF THE DRAGON

LE SEIGNEUR DES ANNEAUX. CONVERSATIONS LES ANNEAUX DE POUVOIR WITH FRIENDS

Dire que ce premier spin-off est très attendu serait un euphémisme. Se déroulant deux cents ans avant les événements de Game of Thrones, dont l’ultime saison s’est achevée en 2019, ce prequel revient sur les origines – et la chute – de l’apparemment invincible maison Targaryen, qui chuchote à l’oreille des dragons.

C’est l’autre mastodonte estival, qui devrait coûter plus d’un milliard de dollars à Amazon pour l’ensemble des cinq saisons annoncées. Un budget colossal pour une série qui racontera le Deuxième Âge de l’univers imaginé par Tolkien et la création des fameux anneaux, plusieurs siècles avant la trilogie de Peter Jackson.

à partir du 22 août sur OCS

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© Matt Grace – Prime Video

© 2022 WarnerMedia Direct, LLC. All rights reserved. HBO Max™ is used under license

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La prolifique et multirécompensée Sharon Horgan (Catastrophe, This Way Up, Divorce) produit et joue dans cette comédie noire (adaptation de la géniale série belge Clan, dispo sur Arte.tv) dans laquelle quatre sœurs très soudées vont chercher à se débarrasser de l’infâme mari de la cinquième d’entre elles – dans son dos.

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à partir du 12 août sur Apple TV+

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Cinq jours dans un hôpital de La Nouvelle-Orléans ravagé par l’ouragan Katrina, qui a fait plus de 1 800 morts et un million de déplacés en 2005. Une minisérie créée par John Ridley (scénariste de 12 Years a Slave) et Carlton Cuse (Lost), inspirée de l’enquête d’une journaliste américaine sur la mort de plusieurs patients.

© Phil Fisk – Channel 4 – Drama Republic

sur Apple TV+

à partir du 2 septembre sur Prime Video

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Deuxième adaptation en série pour la romancière Sally Rooney, après le succès de Normal People. Deux étudiantes, Frances et Bobbi, ex mais amies, rencontrent Melissa et Nick, un couple d’artistes plus âgé. Un carré amoureux s’installe, mais la liaison entre Nick et Frances va ébranler l’amitié des deux jeunes femmes. en août sur Canal+

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FAYA DAYI FILM

© Mubi

Difficile, sans y avoir goûté, d’imaginer les effets que peut produire le khat sur le corps et l’esprit. Mais l’on se dit qu’il est possible que mâcher cette plante cultivée en abondance dans les forêts d’Éthiopie exalte certaines sensations communes à celles éprouvées par le spectateur devant Faya Dayi. Si la caméra de Jessica Beshir ne perd jamais de vue le réel, la narration porte constamment vers un au-delà. Aux histoires vécues par les différents personnages, se mêle la légende de Maoul Hayat, l’élixir permettant d’accéder à la vie éternelle, qui, dans la tradition soufie, n’est autre que la feuille de khat. Ce récit, narré en voix off dès le début du film, tandis que la caméra s’attarde sur des volutes de fumée d’encens semblant se mouvoir au ralenti, est très vite rattrapé par des scènes on ne peut plus concrètes de récolte laborieuse. On suit alors avec intérêt le chemin de cette feuille – qui fait vivre une grande partie de la population éthiopienne – jusqu’aux entrepôts où les branches sont rassemblées

en fagots avant de repartir en camion vers les marchés du pays. Mais la dimension onirique, renforcée par un magnifique noir et blanc et une bande-son méditative, habite chaque plan. Pour supporter ce travail harassant, pas d’autre choix que de mâcher ces feuilles aux vertus stimulantes et euphorisantes proches de l’amphétamine. Et de s’approcher ainsi d’un état de transe facilité par la répétition des mouvements. L’histoire intime de l’exil de jeunes hommes vers l’Europe, ou de celle d’un père de famille ravagé par l’addiction au khat (l’un des maux du pays), croise la colère de l’ethnie musulmane oromo, en conflit avec le gouvernement. L’enchevêtrement complexe de ces récits, entrecoupés par des scènes aux allures de rêves (baignade d’enfants, chants religieux…), est propice au lâcher-prise, pour mieux perdre le fil et laisser venir les sensations. Ce beau film entre documentaire et fiction marque aussi le retour de la réalisatrice dans le pays, que ses parents ont dû fuir lorsqu’elle était adolescente en raison des pressions politiques. Sélectionné à Sundance en 2021, Faya Dayi a reçu le Grand Prix du festival suisse Visions du réel la même année. Faya Dayi de Jessica Beshir, à partir du 10 août sur Mubi

TRISTAN BROSSAT

© Mubi

En Éthiopie, l’addiction au khat fait des ravages. Dans un somptueux noir et blanc, ce film planant entre documentaire et fiction part à la rencontre de destins bouleversés par la mastication de cette feuille spirituelle devenue le poumon de tout un pays.

© Camera One

© Centre audiovisuel Simone de Beauvoir

© 1958 Les Films de Mon Oncle – Specta Films C.E.P.E.C

Les sorties du mois

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MON ONCLE

LE FILMEUR

de Jacques Tati (1958), sur LaCinetek

d’Alain Cavalier (2005), sur CinéMutins

Difficile de ne pas succomber au charme fou de l’indémodable chef-d’œuvre de Jacques Tati sorti en 1958. Un film rempli de tendresse, porté par un Monsieur Hulot au meilleur de sa maladresse. Constamment à contretemps, notre héros tâche de faire bonne figure dans une villa ultra moderne et aseptisée, à laquelle il tente d’apporter un peu de vie. • T. B.

Dans ce journal filmé, Alain Cavalier (Le Plein de super, Thérèse) nous offre dix ans de sa vie (1994-2005), condensés en 1 h 40. Des corps qui vieillissent, des mésanges qu’on nourrit, des chambres d’hôtel qui se succèdent, le « filmeur » ne lâche jamais sa caméra numérique, avec laquelle il tente d’immortaliser ces instants de vie profondément poétiques. • T. B.

no 190 – été 2022

CALAMITY JANE & DELPHINE SEYRIG. A STORY de Babette Mangolte (2020), sur Tënk

Chamboulée par la lecture des lettres de Calamity Jane à sa fille, l’actrice Delphine Seyrig projette d’adapter cette correspondance en film et part, dans les années 1980, enquêter sur les traces de cette figure mythique de la conquête de l’Ouest. Le regard d’une féministe sur une femme libre, sous l’œil de Babette Mangolte. Passionnant. • T. B.


NATIONAL GEOGRAPHIC DOCUMENTARY FILMS PRÉSENTE UNE PRODUCTION SANDBOX FILMS INTUITIVE PICTURES COTTAGE M “FIRE OF LOVE” MUSIQUE ORIGINALE NICOLAS GODIN ERIN CASPER JOCELYNE CHAPUT CO-PRODUCTEUR EXÉCUTIF BEN SCHWARTZ PRODUCTEURS EXÉCUTIFS GREG BOUSTEAD JESSICA HARROP CAROLYN BERNSTEIN JOSH BRAUN BEN BRAUN PRODUIT PAR SHANE BORIS INA FICHMAN SARA DOSA ÉCRIT PAR SARA DOSA ERIN CASPER JOCELYNE CHAPUT SHANE BORIS RÉALISÉ PAR SARA DOSA VENTES INTERNATIONALES MK2 FILMS

MONTAGE

EXCLUSIVEMENT AU CINÉMA LE 14 SEPTEMBRE


L’ÉTÉ CURIOSITY Quinze ans après sa sortie, la contemporanéité de Tokyo! est intacte. Peuplé de monstres que l’on déterre et de fantômes que l’on méprise, ce film collectif démontre la capacité de ses cinéastes à creuser le futur comme une matière tangible : noire, poisseuse, électronique, décharnée… Leos Carax, Michel Gondry et Bong Joon-ho entrent dans Tokyo par les chemins de traverse qui caractérisent leurs obsessions. Le premier, le plus radical d’entre tous, s’immisce dans la ville en terroriste : son film est un attentat. Denis Lavant y interprète une créature romanesque en costume vert. S’expulsant des égouts à la manière d’un geyser, il emporte tout sur son passage : fleurs, femmes et vies… Lors de la présentation du film à Cannes dans la section Un certain regard, le comédien parlait du tournage comme d’un « bain de jouvence ». C’est sans doute la particularité de l’attentat commis : contre les forces destructrices de la conformité, pour la puissance libertaire de l’art. Merde est le premier des trois films (avec Holy Motors en 2012 et Annette l’an dernier) réalisés par Carax après la naissance de sa fille. Une sorte de trilogie du renouveau, en collaboration avec la directrice de la photo Caroline Champetier, qui l’aide à repenser

DU 21 JUILLET AU 25 AOÛT Cet été, le cinéma se fait expérience immersive sur mk2 Curiosity. Plongez au cœur du septième art avec nos sélections thématiques : rencontre avec « Éros, dieu du cinéma », visite des « Villes

lumières », lutte contre « Des monstres en héritage », exploration des « Errances poétiques », découverte de « L’amour et la violence » et parenthèse enchantée chez les « Kids ».

TOKYO!

son rapport aux couleurs se traduisant par un passage au numérique dans Annette. Moins abrasifs, les segments de Tokyo! par Michel Gondry et Bong Joon-ho explorent l’intériorité des Tokyoïtes. Gondry montre la difficile intégration dans un milieu urbain souvent hostile. De son côté, Bong Joon-ho s’attarde sur le phénomène des hikikomori, personnes recluses dans leur habitation pour des périodes indéterminées, parfois des dizaines d’années. Mais, là aussi, les films ne peuvent se résumer aux réalités sociales décrites : il y a le mystère d’un cinéma qui pose des questions sans en connaître les réponses. C’est peut-être ce qui lie les trois cinéastes : confiants dans la matière qui habite leurs films, ils acceptent de ne pas savoir tout ce qu’elle contient de vérités.

FILM

Tokyo! de Michel Gondry, Leos Carax et Bong Joon-ho, du 21 juillet au 25 août sur mk2curiosity.com, gratuit

JULES BRUSSELS

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La sélection mk2 Curiosity

SUBMARINO

SUR LA ROUTE

CHAMBRE AVEC VUE

de Thomas Vinterberg (2010, 1 h 50) du 21 juillet au 25 août sur mk2curiosity.com, gratuit

de Walter Salles (2012, 2 h 15) du 21 juillet au 25 août sur mk2curiosity.com, gratuit

de James Ivory (1985, 1 h 52)

Deux frères séparés par les blessures de l’enfance mènent des existences parallèles dans le Copenhague underground… Trainspotting à la danoise, le film de Thomas Vinterberg (Festen, Drunk) explore, dans une veine sombre et mélo qui prend aux tripes, la tentative de rapprochement filiale et la quête de normalité de deux êtres cabossés.

Au lendemain de la mort de son père, Sal Paradise, jeune écrivain new-yorkais, rencontre Dean Moriarty, voyou dangereusement séduisant. Fuyant une vie médiocre, Sal et Dean prennent la route… Avec ce film porté par Garrett Hedlund, Sam Riley et Kristen Stewart, Walter Salles s’attaque au mythique roman de Jack Kerouac, figure de la Beat Generation.

Dans cette adaptation d’un roman d’E. M. Forster, une jeune Anglaise bien née séjourne avec son chaperon en Toscane, où elle rencontre un bel et impétueux pensionnaire… Chambre avec vue, c’est : la fine fleur des acteurs britanniques (Helena Bonham Carter, Daniel Day-Lewis), une carte postale de Florence et une plongée parmi les privilégiés de l’époque edwardienne.

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du 21 juillet au 25 août sur mk2curiosity.com, gratuit



Découvrez nos conférences, débats, cinéma clubs à retrouver dans les salles mk2

ALISON BECHDEL Roman graphique Grand nom du roman graphique depuis Fun Home, succès surprise en 2006, l’autrice américaine sera l’invitée du mk2 Institut le 8 septembre. Après le tout aussi introspectif C’est toi ma maman ?, en 2012, elle publie fin août Le Secret de la force surhumaine (Denoël Graphic), à propos de l’influence du sport sur sa vie. Comme dans vos autres œuvres, vous nous conviez dans votre quête personnelle – ici votre combat contre l’anxiété, la peur de la mort, et pour trouver la paix intérieure à travers le sport. Comment vivez-vous le fait de vous exposer autant à travers vos livres ? C’est quelque chose de très étrange. Je n’ai pas d’appétit particulier pour les exposés intimes, je suis quelqu’un de très secret, mais j’ai une vraie compulsion de la confession – peut-être due à mon éducation catholique. Quelque chose dans le fait de dire la

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© Elena Seibert

« J’ai une vraie compulsion de la confession. »

vérité de mon expérience, de livrer ces observations intimes me semble cathartique. C’est un sacrifice que je suis prête à faire, une manière de sortir de ma conscience isolée en essayant de faire comprendre ce que c’est que d’être moi et, par-là, de me connecter avec les autres. De manière générale, qu’est-ce que la pratique du sport vous a appris sur vous-même ? Pratiquer toutes ces activités, c’est la partie de ma vie qui me rend heureuse, ça soulage mon anxiété. Ça me fait vivre dans mon corps, sortir de ma tête. Je sentais d’ailleurs que je ne devais peut-être pas écrire à ce sujet parce que ça en ruinerait les effets. Ça supposait d’y penser de façon analytique, j’avais peur que ça émousse le pouvoir soulageant du sport sur moi. Ça s’est avéré faux. Ce que le sport m’a surtout appris, c’est comment sortir de ma subjectivité en produisant un effort physique, en me focalisant, en respirant profondément sur un temps long. C’est un raccourci vers le même état que la méditation – que j’atteins parfois aussi avec mon travail de création, mais c’est beaucoup plus dur. Courir ou grimper une colline à vélo est un moyen rapide pour me permettre d’entrevoir ce merveilleux sentiment de ne pas être piégée dans ma conscience. C’est le premier de vos romans graphiques qui suit un ordre chronologique, on voit votre évolution par tranches de dix ans… Oui, c’est très différent de mes autres mémoires, qui font des sauts dans le temps de

manière non linéaire. Mais ce nouveau livre parle de la vie, ce que c’est de la traverser, de vieillir, d’apprendre et de faire face aux mêmes problèmes de façon cyclique mais sous des angles différents. Ce qui retranscrivait le mieux ce que je voulais dire, c’était une construction tout à fait chronologique. Je n’aime pas trop les autobiographies linéaires d’habitude, car ce n’est pas surprenant. La personne naît, va à l’école, se marie, etc. L’ennui total. Dans mon livre, j’ai essayé de contrer cet effet en intriquant mon histoire avec celles d’autres écrivains, comme Margaret Fuller et Jack Kerouac. Vous utilisez souvent ce procédé dans votre œuvre, la mise en écho de votre expérience avec celles de figures littéraires. Comment la littérature agit sur votre parcours personnel ? Je dois avouer que c’est moins les œuvres de ces écrivains que leur vie qui m’a semblé pertinente par rapport à ce que j’écrivais. J’ai lu plein de biographies de ces auteurs, mais peu de leurs livres. Ralph Waldo Emerson et Margaret Fuller sont plutôt difficiles à lire. Pour un lecteur d’aujourd’hui, c’est assez ampoulé et inutilement compliqué. J’aurais fait une très mauvaise étudiante, j’ai bien fait de ne pas me lancer dans un doctorat… Mais j’ai beaucoup aimé lire des choses sur leur vie et sur comment ils ont lutté avec leur époque. Margaret Fuller [écrivaine et féministe américaine du xix e siècle, ndlr] a fait tout ce qu’elle voulait alors qu’elle était dans un temps et

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un lieu qui ne l’y autorisaient pas. Samuel Taylor Coleridge [poète anglais ayant vécu au tournant du xixe siècle, ndlr] se battait contre son addiction à l’opium et a tout de même réussi à écrire toute sa vie. Jack Kerouac, une fois qu’il a réussi à vendre son livre Sur la route [paru en 1957 aux États-Unis, ndlr], a vécu une descente aux enfers accélérée, notamment à cause de son alcoolisme. J’aime trouver des parallèles entre les vies de ces personnes. Toutes ces vies bordéliques et romantiques regorgent d’informations pour moi, et ça me plaît de me sentir parmi ces humains qui ont lutté dans différentes époques et différentes cultures, savoir qu’on est tous aux prises avec le même genre de défis. Qu’est-ce que vous avez appris sur ce processus en travaillant sur ce livre ? J’ai essayé de le concevoir de manière à contrer mon addiction au travail. Je voulais trouver un rapport plus simple au processus de création, plutôt que ça soit quelque chose de douloureux et de difficile. Essayer de m’amuser. C’était une des choses qui m’attiraient le plus chez Jack Kerouac, qui parlait tout le temps de spontanéité, de comment il se mettait simplement à taper ses histoires – ce qui, bien sûr, n’était pas tout à fait la réalité. J’aime cette idée de pouvoir écrire ou dessiner quelque chose et que ça sorte de manière parfaite. Dans le livre, j’ai joué avec différents styles de dessin. Certaines planches sont dessinées au pinceau et non au crayon, et en noir et


blanc plutôt qu’en couleurs. J’ai voulu m’approcher de la peinture d’Extrême-Orient au pinceau, une pratique méditative basée sur la spontanéité qui permet d’accéder à un autre niveau de réalité. J’ai essayé de transposer de cette manière le sentiment que me procure la pratique du sport. Vous évoquez votre découverte de La Mélodie du bonheur de Robert Wise (1966) au cinéma et avouez avoir été particulièrement marquée par Julie Andrews et la représentation des montagnes autrichiennes. Quel effet ça vous a procuré ? C’est assez compliqué. J’avais peut-être 4 ans quand mes grands-parents m’ont emmenée voir le film. C’était incroyable. J’ai adoré ces montagnes, et je suis tombée éperdument amoureuse de Julie Andrews, qui joue une nonne assez androgyne qui devient une mère pour une bande d’enfants. Je faisais un transfert complexe et érotique sur elle. Ce sentiment érotique s’est mixé avec la beauté des montagnes, ça s’est déployé en une polymorphie perverse dont sont capables les enfants : les montagnes me semblaient sexy aussi ! Je crois que ça m’est resté. L’autre chose avec ce film, c’est que mon grand-père avait grandi dans les Alpes autrichiennes, il gardait des chèvres dans les Dolomites. Je me demande si, d’une certaine manière, je n’ai pas senti ça comme une réponse génétique à ce paysage. C’était très puissant. Je sais qu’il y des gens qui sont juste plus mer et d’autres plus montagne, mais j’ai vraiment la sensation d’avoir une connexion particulière avec ces montagnes. Ça sera rattaché à Julie Andrews pour toujours. Sur quels thèmes voulez-vous vous pencher maintenant ? Je suis sur quelque chose d’assez différent. C’était aussi censé être une autobiographie mais, quand je me suis retrouvée à imaginer les années à trimer sur un autre mémoire, le travail d’excavation sur ma propre vie, ne pas trahir les faits, je me suis démotivée, j’en ai eu marre. À la place, je suis partie sur l’écriture d’une autofiction, c’est un peu ma vie et, en même temps, pas. Ça me procure un grand sentiment de liberté ! « Rencontre avec Alison Bechdel, figure du roman graphique américain », le 8 septembre au mk2 Bibliothèque, à 20 h Tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi : 9 € | − 26 ans : 4,90 € | carte UGC/mk2 illimité à présenter en caisse : 9 € | tarif séance avec livre : 26 € • Le Secret de la force surhumaine d’Alison Bechdel, traduit de l’anglais (États-Unis) par Lili Sztajn, (Denoël Graphic, 240 p., 26 €) PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ

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MK2 JUNIOR À partir de 5 ans : Raiponce ; Reine d’un été ; Lettre à Momo ; Ma folle semaine avec Tess.

JAPANIME MANIA Arrietty. Le petit monde des chapardeurs de Hiromasa Yonebayashi.

> mk2 Bibliothèque, mk2 Gambetta, mk2 Quai de Loire, les samedis et dimanches matin

---> VENDREDI 22 JUILLET

Sexe, drogues, pauvreté… Dans le génial et foutraque Chelsea Girls, livre paru en 1994 aux États-Unis et enfin traduit en français, Eileen Myles, qui viendra au mk2 Institut pour une rencontre à la rentrée, raconte sa vie de poète lesbienne dans le New York underground des années 1970 et 1980. C’est de là-bas qu’iel (l’artiste se définit comme non binaire), la gentillesse incarnée, a répondu à nos questions.

Dans ce livre, vous racontez les difficultés d’être une poète lesbienne dans le New York underground des années 1970 et 1980. Il y avait toujours des hommes gays autour de moi, mais il n’y avait pas vraiment de groupes de femmes. Donc, petit à petit, avec Christine [qui apparaît comme un personnage récurrent du livre, ndlr], nous avons formé le nôtre. En fait, quand je suis arrivé·e à New York, en 1974, même si je ressentais des choses pour des femmes, je ne me définissais pas comme lesbienne. J’étais donc considéré·e comme une femme faisant partie d’un groupe d’écrivains gays. Je connaissais les plus vieux, Allen Ginsberg, John Ashbery… Ils étaient très généreux et gentils envers moi, mais, quand je me suis affirmé·e en tant que lesbienne, les diffi-

---> DIMANCHE 14 AOÛT

CE MOIS-CI CHEZ MK2

QUESTIONS Littérature TROIS À EILEEN MYLES

Vous êtes une icône queer aux États-Unis, votre travail étant régulièrement cité par de multiples artistes : Maggie Nelson, Debo­rah Levy… Pour Chelsea Girls, quelles étaient vos sources d’inspiration ? La Bâtarde de Violette Leduc (1964) est l’un des romans qui m’a le plus inspiré·e. Évidemment, je dois aussi citer Jack Kerouac : avec Chelsea Girls, je voulais écrire une sorte de Sur la route lesbien, un livre très tumultueux. Les films de François Truffaut ont également été une grande source d’inspiration pour moi. À l’époque, je me demandais « mais où est l’équivalent féminin d’Antoine Doinel ? » En tant que poète, je ne savais pas écrire d’histoires et je n’étais pas sûr·e de savoir écrire en prose, mais j’adorais le cinéma. Je me suis donc dit que j’allais écrire plusieurs petits films sur ma vie, en créant une Antoine Doinel, au féminin, nommée Eileen Myles.

---> JUSQU’AU 31 AOÛT

DARKISSIME Ça d’Andy Muschietti.

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 22 h

---> SAMEDI 23 JUILLET JAPANIME MANIA Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki. > mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

---> DIMANCHE 24 JUILLET

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JAPANIME MANIA Ponyo sur la falaise de Hayao Miyazaki. > mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

---> DIMANCHE 21 AOÛT

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 17 h 30

DARKISSIME Piranha 3D d’Alexandre Aja. > mk2 Bibliothèque (entrée BNF), à 22 h

DARKISSIME Get Out de Jordan Peele.

---> SAMEDI 27 AOÛT

---> SAMEDI 30 JUILLET

JAPANIME MANIA Arrietty. Le petit monde des chapardeurs de Hiromasa Yonebayashi.

> mk2 Bibliothèque (entrée BNF), à 22 h

JAPANIME MANIA Le Royaume des chats de Hiroyuki Morita. > mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

---> DIMANCHE 31 JUILLET JAPANIME MANIA Les Contes de Terremer de Gorō Miyazaki.

> mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

---> DIMANCHE 28 AOÛT JAPANIME MANIA Le vent se lève de Hayao Miyazaki. > mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 17 h 30

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 17 h 30

---> VENDREDI 2 SEPTEMBRE

CULTISSIME ! Dunkerque de Christopher Nolan.

DARKISSIME Grave de Julia Ducournau.

> mk2 Gambetta

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 22 h

---> VENDREDI 5 AOÛT

---> SAMEDI 3 SEPTEMBRE

DARKISSIME Us de Jordan Peele.

JAPANIME MANIA La Colline des coquelicots de Gorō Miyazaki.

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 22 h

---> SAMEDI 6 AOÛT JAPANIME MANIA Le Château ambulant de Hayao Miyazaki. > mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

---> DIMANCHE 7 AOÛT

> mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

---> DIMANCHE 4 SEPTEMBRE JAPANIME MANIA Le Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata. > mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 17 h 30

JAPANIME MANIA Ponyo sur la falaise de Hayao Miyazaki.

---> LUNDI 5 SEPTEMBRE

---> VENDREDI 12 AOÛT

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Qu’est-ce que s’engager dans l’existence ? »

DARKISSIME Abuela de Paco Plaza.

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 22 h

---> SAMEDI 13 AOÛT JAPANIME MANIA Les Contes de Terremer de Gorō Miyazaki.

avec la participation de

---> SAMEDI 20 AOÛT

---> VENDREDI 26 AOÛT

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 17 h 30

PROPOS RECUEILLIS PAR AMÉLIE QUENTEL

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 22 h

CULTISSIME ! Interstellar de Christopher Nolan.

---> VENDREDI 29 JUILLET

« Eileen Myles – figure majeure de la culture underground et LGBT aux États-Unis », le jeudi 15 septembre, à 20 h, au mk2 Bibliothèque, à l’occasion de la parution de Chelsea Girls, traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié, (Éditions du sous-sol, 288 p., 23 €)

DARKISSIME The Vigil de Keith Thomas.

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 17 h 30

> mk2 Gambetta

Diriez-vous que la situation a évolué pour les artistes queer aujourd’hui ? De nos jours, il y a beaucoup plus de poètes qui sont trans, lesbiennes, queer. Il y a de nombreux textes, des événements… J’ai vu une évolution dès les années 1990 : un jour, alors que j’avais dans les 40 ans, j’ai assisté à un open mic dans lequel intervenaient des femmes majoritairement lesbiennes. Et là, devant toutes ces femmes de vingt ans de moins que moi venues m’écouter, j’ai réalisé que j’avais une audience, et j’ai eu l’impression, d’une certaine manière, de rencontrer ma génération. Aujourd’hui, l’un des aspects très généreux de notre époque est le fait que nous pouvons nous exprimer, même s’il reste encore de nombreux endroits où cela n’est pas possible.

---> VENDREDI 19 AOÛT

JAPANIME MANIA La Colline aux coquelicots de Gorō Miyazaki.

JAPANIME MANIA Le Château ambulant de Hayao Miyazaki.

cultés sont arrivées : je me suis retrouvé·e un peu isolé·e. Et je pense que tout cela a contribué à l’excès de ma relation avec Christine – c’était une période très punk. Pour obtenir de l’attention, pour obtenir notre place, il fallait que l’on soit atroces, et nous l’étions (rires)! Nous étions terribles !

> mk2 Bibliothèque (entrée BnF), à 17 h 30

> mk2 Parnasse, en fin d’après-midi

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> mk2 Odéon (côté St Germain), à 18 h 30

DÉJÀ DEMAIN Projection de Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet, Le Roi qui contemplait la mer de Jean-Sébastien Chauvin et Les Grandes Vacances de Valentine Cadic. > mk2 Odéon (côté St Michel), à 20 h


NE CONFIEZ PAS VOTRE TEMPS DE CERVEAU DISPONIBLE À N’IMPORTE QUI. Des conférences dans les salles mk2 avec des artistes et des auteurs pour penser le monde d’aujourd’hui et de demain.

Programme et réservation sur www.mk2.com Crédits : © D. R.


SPECTACLE TRÈS VIVANT

Théâtre L’été, c’est souvent le meilleur moment pour découvrir ou réviser les classiques. Et si vous les viviez plutôt ? Très prisés à New York et à Londres, les spectacles immersifs proposent des expériences spectaculaires durant lesquelles public et acteurs se mélangent. Inspirés de romans, de pièces ou de films célèbres, ils arrivent à Paris. Au théâtre, on connaît le rituel : une salle, une scène, des acteurs, chacun à sa place. Du spectacle vivant comme on observe un aquarium. Mais, depuis quelques années, le théâtre anglo-saxon brise la glace. Que se passe-t-il s’il n’y a plus de scène, plus d’acte, plus d’histoire avec un grand H, mais des morceaux épars, des instants tous en même temps qui permettent aux personnages de vivre leur vie sous les yeux de spectateurs libres de déambuler où bon leur semble ?

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Inspirés à la fois de l’art forain, du travail d’improvisation et du jeu vidéo, les spectacles immersifs poussent les portes d’un monde ouvert dans lequel chacun expérimente, digresse et se raconte sa propre histoire. Dans ce flou sensoriel savamment entretenu, l’usage des œuvres classiques – dont l’histoire est connue de tous – devient le support idéal. La compagnie anglaise Punch­drunk en a fait sa marque de fabrique. Créé à Londres au début des années 2000 et devenu depuis 2011 une institution off-Broadway, à New York, Sleep No More vous invite à arpenter comme bon vous semble les 9 000 mètres carrés du McKittrick Hotel où, affublé d’un masque très Eyes Wide Shut, vous assistez librement pendant trois heures à une relecture de la tragédie de Macbeth. Suivre un comédien, entrer dans une chambre, fouiller les tiroirs, tout est possible. La folie meurtrière de Shakespeare prend vie, et la soirée est irracontable. C’est toute la force de ce théâtre immersif : il faut le vivre pour le comprendre. À Londres, c’est la guerre de Troie qui fait rage en ce moment dans l’entrepôt de The Burnt City, nouvelle création de la compagnie Punchdrunk, qui ne désemplit pas. Même succès pour la version festive et alcoolisée du Great Gatsby de Francis Scott Fitzgerald, montée dans un entrepôt du West End. Depuis quelques années, des compagnies françaises tentent l’expérience immersive, et la tendance s’accélère, comme le prouvent ces trois projets qui font l’actualité.

AU BONHEUR DES DAMES Le Bon Marché devient le décor d’une adaptation immersive d’Au bonheur des dames, roman d’Émile Zola sur la naissance des grands magasins. À la tombée de la nuit, les personnages sortent des ombres des rayonnages. Pendant deux heures et demie, par petit groupe de vingt-cinq, les visiteurs déambulent dans les rayons, échangent avec les personnages (Alphonse le trésorier, Denise la jeune vendeuse), assistent à des drames, bref, vivent le roman de Zola comme s’ils y étaient. Mise en scène par Juliette Colin, l’expérience annonce plus d’une vingtaine de comédiens, en costumes d’époque. > de Crumble Production, à partir du 2 septembre au Bon Marché

TERMINATOR 2. LE JUGEMENT DERNIER La compagnie Dream Factory mise sur le spectacle total en adaptant Terminator 2. Le jugement dernier, le film culte de 1991 de James Cameron. Dans une tour du côté de Montreuil, on revit les grandes étapes du retour de Sarah Connor et du T-800. Trois

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heures pour arpenter le désert américain, l’asile de Pescadero, les bureaux de Cyber­ dyne Systems ou la fonderie, avec un simili Arnold Schwarzenegger et une Linda Hamilton à la française. Baston, courses-poursuites, cascades, c’est un peu du cinéma en vrai. > de Dream Factory, jusqu’au 31 juillet à Montreuil

QUE MA JOIE DEMEURE Déjà metteuse en scène d’une formidable relecture tous terrains des Trois Mousquetaires, Clara Hédouin entraîne sa troupe dans une expérience immersive autour du classique Que ma joie demeure de Jean Giono. Cette proposition, moins tonitruante en apparence, emmène les spectateurs dans une randonnée entre campagne et forêt à la rencontre des personnages de ce roman pastoral magique. Six heures de spectacle en plein air durant lesquelles la nature devient le décor imaginaire du monde de Giono. Du théâtre comme un voyage hors du temps, entre passé et présent, réalité et imaginaire, où l’art et la vie se confondent enfin. > du Collectif 49 701, les 23 et 24 juillet à Magny-Les-Hameaux RENAN CROS

© Paris Secret

CULTURE

Culture


Culture

LA SÉLECTION DU MOIS 1 Livre

LE DERNIER VOL

Le nom de John Monk Saunders parlera aux fans de ciné hollywoodien des années 1920 : on lui doit plusieurs scénarios, dont celui des Ailes de William A. Wellman, carton de l’année 1927. Distingué, séduisant, cet ex-pilote de l’US Air Service fait partie du gratin de Hollywood : il joue au golf avec Douglas Fairbanks, dîne avec les huiles de Para-

Le Dernier Vol (Single Lady) de John Monk Saunders, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Garnier (Quai Voltaire, 320 p., 24 €)

16 septembre – 14 octobre Odéon 6e

Jours de joie Arne Lygre Stéphane Braunschweig création 20 septembre – 14 octobre Berthier 17e

Dans la mesure de l’impossible Tiago Rodrigues 15 – 22 octobre La Commune – Aubervilliers

BERNARD QUIRINY

ODETTE. L’AUBERGE URBAINE

Caroline et Sophie, dignes filles du toujours vaillant chef deux étoiles Michel Rostang, sont passées maîtresses dans l’art de créer des lieux où l’on se sent instantanément comme chez soi. C’est le cas ici où le groupe propriétaire de l’hôtel Le Pont-Neuf, Maison Albar Hotels, leur a demandé de remplir les

assiettes. Dans un endroit chouettement décoré par Alexandre Danan (agence EDO) et l’Atelier COS Architecture, avec notamment des volutes de bois et de cuir qui vous enveloppent avec chaleur et des voilages à la manière de Christo (qui emballa le Pont-Neuf en 1985), le service, souriant sans se forcer, vous met à l’aise. Aux fourneaux, Rémi Hénaux, discret Nordiste formé par Christian Le Squer (Le Cinq, ***) et Frédéric Robert (La Grande Cascade, *), réconforte en vivacité avec une cuisine où le végétal passe devant l’animal. Le tartare de bœuf mariné n’est qu’un faire-valoir pour l’asperge verte de Provence, le suprême

de volaille jaune rôti fait une figuration intelligente au milieu des petits pois à la française, les maquereaux snackés et les sardines se cachent dans des cannellonis de courgettes. La carte des vins au verre est large et belle, le mâcon-fuissé 2020 de la maison Aegerter vaut ses 11 €. Marché du jour : 26 €. Pièces à partager : 38 ou 45 €. Carte : environ 50 €. 23-25, rue du Pont-Neuf, Paris Ier

STÉPHANE MÉJANÈS

Elle a marqué les années 2000-2010 avec un mix efficace et singulier de rock indé, d’electro, de R&B et de hip-hop. Souvent comparée à M.I.A., la chanteuse de Philadelphie fait son retour en prêtresse pop pleine de foi et d’énergie sur Spirituals. « Je crois que la seule façon d’évoluer culturellement, c’est d’évoluer individuel-

lement », explique Santigold par mail. « Ça demande de l’honnêteté envers soimême et une volonté de creuser dans toute la boue, le passé, les traumatismes que nous portons tous. J’utilise ma musique comme un outil pour ma propre évolution, elle m’aide à faire une partie de mon travail personnel, et j’espère qu’elle peut inspirer d’autres personnes. » « High Priestess », « Ushers of the New World », « The Lasty » ou « No Paradise » invitent ainsi à renouer avec la spiritualité, de manière pratique, transcendante et transformatrice, face aux dangers (climatiques notamment) qui nous menacent. Et si ce quatrième album s’inspire des negro spirituals chantés par les communautés

Alexander Zeldin

En transit

Anna Seghers Amir Reza Koohestani

Spirituals de Santigold (Little Jerk)

Une mort dans la famille Alexander Zeldin 31 janvier – 19 février Berthier 17e

Kingdom

d’après Braguino de Clément Cogitore Anne-Cécile Vandalem 2 – 26 février Odéon 6e

Oncle Vania Anton Tchekhov Galin Stoev 18 mars – 22 avril Odéon 6e

Othello

10 – 18 novembre Odéon 6e

William Shakespeare Jean-François Sivadier

Angélica Liddell

23 mars – 21 avril Berthier 17e

Liebestod 23 novembre – 16 décembre Centquatre-Paris

Némésis

Depois do silêncio

Philip Roth Tiphaine Raffier création

[Après le silence] d’après le roman Torto Arado d’Itamar Vieira Junior Christiane Jatahy

9 – 26 mai Odéon 6e

La Ménagerie de verre

Daddy Marion Siéfert 12 mai – 9 juin Berthier 17e

Hedda

Tennessee Williams Ivo van Hove

Henrik Ibsen Aurore Fattier

9 – 15 décembre Berthier 17e

7 – 17 juin Odéon 6e

Dogs of Europe chrétiennes afro-américaines depuis le xixe siècle, il conjugue son message d’espérance avec des sonorités toujours aussi variées, bénéficiant de collaborateurs talentueux (Rostam, Boys Noize, Dre Skull, P2J, SBTRKT, Jake One…), Santigold concevant la production comme un travail collaboratif. À 45 ans, cette artiste rare, mais toujours visionnaire et audacieuse, continue de nous inspirer.

11 – 21 janvier Berthier 17e

Love

25 novembre – 22 décembre Odéon 6e

SANTIGOLD © Frank Ockenfels

3 Son

ce roman bâclé et pétillant a pris une patine, un charme anachronique et tapageur qui font oublier son côté superficiel. Avec ses coupes de champagne tristes et ses répliques désabusées, il condense l’humeur exubérante et fatiguée de la Lost Generation.

8 novembre – 1er décembre Berthier 17e

© Stéphane Méjanès

2 Resto

mount et épouse Fay Wray, rencontrée sur le plateau des Pilotes de la mort. Dans leur maison de Selma Avenue, ils reçoivent Charlie Chaplin, Georgia Hale ou William Hawks… Inspiré du voyage de Monk en Europe l’année précédente, Le Dernier Vol raconte les aventures de jeunes vétérans de l’armée de l’air américaine qui s’amusent, bavardent et picolent dans les palaces parisiens puis improvisent une virée en Espagne et au Portugal. La ressemblance avec Le soleil se lève aussi d’Ernest Hemingway est si frappante que la critique parle de plagiat ; le livre est un échec, même si Saunders le fait adapter par William Dieterle. Traduit aujourd’hui par Philippe Garnier, qui l’assortit d’une préface passionnante,

Alhierd Bacharevič Nicolai Khalezin, Natalia Kaliada Belarus Free Theatre 6 – 22 janvier Odéon 6e

Les Frères Karamazov

Sur les ossements des morts [Drive Your Plow Over the Bones of the Dead] Olga Tokarczuk Simon McBurney Complicité

Fédor Dostoïevski Sylvain Creuzevault

Abonnez-vous !

Découvrez la saison 22 / 23 sur theatre-odeon.eu WILFRIED PARIS

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SHOPPING CULTURE

Culture

CARD SHARK

Des jeux de cartes, il en sort des dizaines par mois. Mais aucun n’avait encore osé nous mettre dans la peau d’un tricheur professionnel. C’est le pari de ce jeu narratif et historique qui prend place au xviiie siècle en France. D’une malice à toute épreuve, Card Shark est la grande surprise indé de l’été. • YANN FRANÇOIS > (PC, Switch | Devolver Digital)

CÉLESTE. « BIEN SÛR, MONSIEUR PROUST » DE CHLOÉ CRUCHAUDET

On connaissait Albertine, Odette, Madeleine(s), mais moins Céleste, la jeune gouvernante de Marcel Proust durant les dernières années de sa vie. Au fil d’une narration classique mais pas moins captivante, le premier volet des mémoires de cette femme au cœur tendre nous embarque dans de magnifiques envolées oniriques. • R. S. > (Noctambule, 116 p., 18,95 €)

THE QUARRY

RIEN À FEUTRE DE CAMILLE BLANDIN

Le titre annonce la couleur : jeux de mots potaches et dessins au feutre hyper colorés. On avait découvert l’humour pince-sans-rire – et allègrement scato – de l’auteur avec ses comic strips sur Instagram, compilés dans cet album. L’occasion de croiser un escargot très premier degré, ou un petit poi(d)s lourd. • RAPHAËLLE SIMON > (Éditions Lapin, 192 p., 17 €)

IL NE PENSE QU’À ÇA 1967-1970 D’ÉVARISTE

Rival matheux du chanteur Antoine, Évariste est bien plus marrant avec sa coupe de cheveux mockeur (mods à gauche, rockeurs à droite) et ses chansons déglinguées, chantées d’une voix de fausset ou de primate, dissertant sur le calcul intégral et l’aliénation, sur les ondes d’Europe 1 comme dans les AG de Mai 68. Révolutionnaire. • W. P. > (Born Bad)

ELTONSBRODY D’EDGAR MITTELHOLZER

LA FORÊT IVRE DE GERALD DURRELL

Et si vous partiez en Argentine et au Paraguay ? Le voyage qu’y a effectué Gerald Durrell (le frère de Lawrence) date un peu (1954), mais le livre qu’il en a tiré n’a rien perdu de son charme. On redécouvre, dans une traduction corrigée, cet éloge foisonnant de la faune et de la flore sud-américaines, assaisonné de péripéties variées. • B. Q. > (La Table Ronde, 256 p., 14,50 €)

LOGGERHEAD DE WU-LU

Densité post-punk, saturation hardcore et hip-hop viscéral, le nouvel album du Londonien Wu-Lu hybride samples hachés menu et basses qui décollent la plèvre. Urgence, chutes et bosses le traversent comme un arc électrique, entre Black Dice, Slipknot et DJ Shadow. À écouter fort sur une boombox dans un skatepark. • W. P. > (Warp)

HIGHGRADE DE TIRZAH

PADOVALAND DE MIGUEL VILA

Regards torves, points noirs, le dessin n’épargne personne dans cette chronique désenchantée sur des vingtenaires qui trainent leur vide existentiel dans une banlieue résidentielle de Padoue. Gueules inoubliables, personnages aussi pathétiques qu’attachants, découpage hyper inventif, l’Italien signe un premier album impressionnant. • R. S. > (Presque Lune, 160 p., 22 €)

LA FILLE SUR LE COFFRE À BAGAGES DE JOHN O’HARA

New York, 1930 : le narrateur est embauché pour veiller sur Charlotte Sears, actrice sur le déclin mais toujours désirable convoitée par les hommes les plus puissants de la ville… Pilier du New Yorker, John O’Hara (1905-1970) donne ici une satire mélancolique de la haute société new-yorkaise, tout en strass et illusions. • B. Q. > (Éditions de l’Olivier, 146 p., 16 €)

ORGYIA SATINA DE NICOLAS ROIRET

livre

BD

CD

vinyle jeux vidéo

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Petit frère d’Until Dawn, The Quarry enfonce le clou d’une formule jouissive : transformer le slasher en cinématique interactive avec force dilemmes et courses-poursuites. Très bien joué, The Quarry s’apprécie surtout à plusieurs, en restant aussi soudés (ou pas) que son groupe d’ados face à la mort. • Y. F. > (PC, PS4, PS5, Xbox One, X Series | Supermassive Games)

Un jeune peintre anglais est accueilli dans le manoir d’une veuve. Elle parle sans arrêt de la mort, avec un humour douteux… Edgar Mittelholzer (19091965) joue avec les codes du roman gothique dans ce petit joyau dont le véritable héros est la maison avec parquets qui craquent et portes qui grincent qui donne son titre au livre. • B. Q. > (Les Éd. du Typhon, 268 p., 9,80 €)

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On avait salué ici Colourgrade, le deuxième album de la chanteuse britannique Tirzah. Ces remixes, signés Arca, Actress, Lafawndah, Loraine James ou Speakers Corner Quartet, offrent de nouvelles couleurs à son nuancier de chansons en clair-obscur, entre jazz orchestral, R&B destructurée et électronique minimaliste. Planant. • W. P. > (Domino)

Sabine, mère divorcée, est une star sur Facebook. Elle organise une fête dans le Sud avec tous ses followers. Des dizaines d’inconnus débarquent, et plusieurs amants… Soleil, vin rosé, sexe, malentendus : Nicolas Roiret raconte la soirée sous plusieurs angles dans ce roman acide, portrait cinglant de quadras jouisseurs et déboussolés. • B. Q. > (Serge Safran, 304 p., 19,90 €)


ROOM WITH A V VIEW 14—25 SEPT. 2022

Musique RONE Mise en scène et chorégraphie (LA)HORDE Commande du Théâtre du Châtelet Créé au Théâtre du Châtelet en mars 2020 En accord avec Décibels Productions, Dif Productions et InFiné Coproduction Théâtre du Châtelet, Ballet national de Marseille, Grand Théâtre de Provence

© Illustration Sara Andreasson – Direction artistique Base Design – Licences N° L-R-21-4095 / L-R-21-4060 / L-R-21-4059

RONE × (LA)HORDE BALLET NATIONAL DE MARSEILLE

VIEWS OF A ROOM

Une expérience en réalité virtuelle du spectacle est également disponible. Informations sur chatelet.com


Culture

CE MOIS-CI À PARIS

CONCERTS

----> CHAD VANGAALEN + GHOST WOMAN Le Canadien Chad VanGaalen a sorti l’année dernière World’s Most Stressed Out Gardener, délicieux album de pop psychédélique, entre Beck et Syd Barrett, inspiré par sa passion pour le jardinage. En première partie du chanteur à la main verte, Ghost Woman nous emmène en un road trip hypnotique inspiré par le rock sixties. • W. P. > le 30 août au Petit Bain

----> MATHIEU BOOGAERTS Après avoir squatté La Java pendant plusieurs années au fil de rendez-vous réguliers, le chanteur lunaire et malicieux investit la salle bleue du cinéma L’Archipel pour quatre concerts exceptionnels. Au programme : chansons anciennes, actuelles, mais aussi inédites, sous des formes variées, et avec des surprises. • W. P. > les 15 septembre, 13 octobre, 10 novembre et 15 décembre à L’Archipel

----> SINEAD O’BRIEN Révélée par son récent premier album, Time Bend and Break the Bower, la chanteuse irlandaise vient hanter nos plateaux de sa présence magnétique et de sa voix puissante, entre poésie (inspirée par Samuel Beckett, W. B. Yeats, Albert Camus…) parlée-­ chantée façon Patti Smith et rock noir et incandescent à la The Fall. • W. P. > le 16 septembre au Point Éphémère

Gagnez des places en suivant TROISCOULEURS sur Facebook et Instagram

EXPOS

à New York dans un beau film mélancolique ; des spectateurs marins flottant autour d’un piano jouant tout seul une mélodie inquiétante ; une répétition de photogrammes d’un homme noir au visage indistinct – incarnation spectrale des générations passées et futures d’Afro-Américains invisibilisés… Autant de présences qui révèlent l’absence au fil d’un parcours immersif qui mérite que l’on y consacre du temps ! • R. S. > jusqu’au 26 septembre à la Bourse de Commerce – Pinault Collection

----> ALLEMAGNE / ANNÉES 1920 / NOUVELLE OBJECTIVITÉ / AUGUST SANDER Première grande exposition en France consacrée à la Nouvelle Objectivité, courant artistique de l’Allemagne des années 1920, ce très beau panorama (peinture, design, cinéma) met en lumière cette période foisonnante, avec une mention spéciale pour les chefs-d’œuvre du peintre Otto Dix et du photographe August Sander. • R. S. > jusqu’au 5 septembre au Centre Pompidou

Carl Grossberg, Autoportrait, 1928

----> C’EST EN CROYANT AUX ROSES QU’ON LES FAIT ÉCLORE Tout nouveau tout chaud, le 110 Honoré est un espace culturel hybride autour du vivant abritant un studio d’enregistrement, un restaurant et des expos. Avec, pour commencer, une série de photos d’Isabelle Chapuis qui s’inspire de l’histoire du lieu, qui abritait un fleuriste au début du siècle dernier. • R. S. > jusqu’au 24 septembre au 110 Honoré

Isabelle Chapuis, Dandelion, 2013-2014

----> LE THÉÂTRE DES ÉMOTIONS

À travers une centaine d’œuvres (Émile Friant, Jean-­Honoré Fragonard, Hans Richter, Christian Boltanski…) issues des plus grandes collections, le parcours dévoile les transformations de la représentation des émois dans l’Europe du Moyen Âge à nos jours : pudeur chaste, fougue libertine, mélancolie romantique, traumas d’après-guerre… • R. S. > jusqu’au 21 août au musée Marmottan Monet

SPECTACLES ----> OMMA DE JOSEF NADJ Depuis les années 1980, le chorégraphe originaire d’ex-Yougoslavie déploie une danse audacieuse, poétique, souvent imprégnée d’autres formes artistiques. Pour sa dernière création, Omma, Joseph Nadj convoque huit interprètes originaires du Mali, du Sénégal, de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Congo-Brazzaville et de la République démocratique du Congo et tente de décrire à travers eux la création de l’univers à travers une esthétique sans fioriture. En se concentrant sur la voix, le souffle et la musicalité, on découvre une myriade de personnalités qui forment une communauté touchante. • BELINDA MATHIEU > du 27 au 29 juillet au lycée Jacques-Decour

----> LÀOÙTESYEUXSEPOSENT DE JOHANNY BERT Inspiré par les vanités du xviie siècle et du baroque, le marionnettiste Johanny Bert, as d’une subtile étrangeté, créé une pièce hybride, entre performance et théâtre d’objets. Sur les mélodies du saxophoniste Thomas Quinart se déploient des scènes tantôt sombres tantôt légères, qui forment des tableaux hypnotiques. • B. M. > du 28 au 30 juillet au lycée Jacques-Decour

----> OUT OF THE BLUE DE SILKE HUYSMANS ET HANNES DEREERE Après Mining Stories (2016) puis Pleasant Island (2019), le duo Silke Huysmans et Hannes Dereere livre le dernier volet d’un triptyque théâtral sur l’extractivisme. Dans ce récit, se mêlent entretiens et études, pour créer une dramaturgie qui oscille entre le documentaire et la poésie et questionne des perspectives futures. • B. M. > du 12 au 15 septembre au Théâtre de la Ville – Espace Cardin

----> MES PARENTS DE MOHAMED EL KHATIB Mohamed El Khatib, qui a mis en scène des supporteurs d’un club de foot ou encore des enfants de parents divorcés, tissant une dramaturgie intime et proche de la vie, convoque ici les élèves de l’école du Théâtre national de Bretagne pour parler de la vie de leurs parents, filmés depuis leur chambre pendant le confinement. • B. M. > du 13 au 23 septembre au Théâtre de la Ville

RESTOS ----> FASTE Nicolas Duquenoy a ambiancé les bistrots parisiens des années 2000. On l’avait laissé chez À la Marguerite, le voici en dynamiteur du croque-monsieur. Et pas du toutvenant ! Pain Éric Kayser, ingrédients sourcés, recettes de chef, on a adoré le « plaisant pastrami » et le « furieux champignon ». Croque de 8,50 à 13 €. • S. M. > 52, rue du Faubourg-Saint-Martin, Paris Xe

----> DOKIDOKI Ici, on ne sert au comptoir que des hand rolls préparés minute : tartare de poisson (au choix : yellowtail – sorte de limande –, crabe, Saint-Jacques, toro – partie grasse du thon – ou homard), riz tiède, le tout servi dans une divine feuille d’algue nori. Mochis (5 €) pas moches au dessert. Menus : 16-22-30-34 €. • S. M. > 59, rue Jean-Jacques-Rousseau, Paris Ier ----> BENCHY À table, au comptoir sur trottoir ou à emporter, à nous les sandos beaux et bons de Kaito Hori, au pain de mie japonais ultra moelleux. Du salé : tamago (œuf, mayo, yuzu), pastrami ou thon (8 à 12 €). Du sucré : kiwi, mangue ou fraise avec mascarpone et chantilly (8 €). Matcha latte pour faire couler. • S. M. > 50, rue du Cherche-Midi, Paris VIe

----> UNE SECONDE D’ÉTERNITÉ

Peuplée de fantômes et de mirages, la nouvelle exposition de la collection Pinault questionne l’expérience du temps. Le fantôme de Marilyn dans une chambre d’hôtel

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© Sebastian Buzzalino ; © Thibault Montamat ; © Chloé Le Drezen ; © Grisebach GmbH ; © D. R. ; © RMN-Grand Palais – Thierry Ollivier ; © Séverine Charrier ; © Christophe Raynaud de Lage ; © Silke Huysmans & Hannes Dereere ; © Stéphane Méjanès ; © Stéphane Méjanès Pietro Paolini, L’Entremetteuse, XVIIe siècle

no 190 – été 2022


Venez avec ceux que vous aimez

5 PLACES * OFFERTES

et frais d’adhésion offerts**

pour tout nouvel abonnement du 6 Juillet au 9 Août 2022 * Les 5 places sont valables pendant 12 mois à compter de leur réception sur l’adresse mail du payeur de l’abonnement UGC Illimité souscrit auprès du stand UGC Illimité ou en ligne entre le 06/07/2022 et le 09/08/2022 inclus. Les places sont valables tous les jours, dans tous les cinémas du réseau UGC hors cinémas partenaires et utilisables en une à cinq fois (hors séances spéciales). Les places seront adressées sous forme d’e-invitations UGC à l’adresse email du payeur, sous réserve que l’abonnement soit toujours actif, aux dates suivantes : le 26/07/2022 pour un abonnement souscrit entre le 06/07/2022 et le 24/07/2022 et le 18/08/2022 pour un abonnement souscrit entre le 25/07/2022 et le 09/08/2022. ** voir conditions sur ugc.fr

– UGC CINÉ CITÉ – RCS de Nanterre 347.806.002 – 24 avenue Charles de Gaulle, 92200 Neuilly-sur-Seine – Capital social 12.325.016€


JEUX DE L’ÉTÉ

Les solutions ici :

MOTSMOTS CROISÉS PAR ANAËLLE IMBERT – ©LES MOTS, LA MUSE CROISÉS PAR ANAËLLE IMBERT – ©LES MOTS, LA MUSE LES MOTS CROISÉS CINÉ Dans ces mots croisés, plusieurs définitions (en gras) sont en rapport avec le cinéma et quelques célèbres films d’été, à vous d’en trouver les solutions ! Dans ces mots croisés, plusieurs définitions (en gras) sont en rapport avec le cinéma et quelques célèbres films d’été, à vous d’en trouver les solutions ! Chaud devant : quelques références à nos films d’été préférés s’y sont glissés ! Par Anaëlle Imbert

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HORIZONTALEMENT 1. Actinium. Café d'Arabie. 2. Cible dede projection. HORIZONTALEMENT 1. Actinium. Café d'Arabie. 2. Cible projection.EnEnvoilà voilàun un qui jadis ne cherchait pas à se débarrasser de ses pellicules mais au contraire qui jadis ne cherchait pas à se débarrasser de ses pellicules mais au contraireàà les développer ! 3. Verres mis mis en orbite. Il est durdur ! Qui nene ditditmot. les développer ! 3. Verres en orbite. Il est ! Qui mot.4.4.Filin Filinfixé fixéàà l'ancre. Réalisateur du film Le Rayon vert. 5. Matières premières. l'ancre. Réalisateur du film Le Rayon vert. 5. Matières premières.Victorieux. Victorieux.6.6. FleurFleur des champs. Scandium. 7. Ville de Suède. Ça Ça pour une surprise des champs. Scandium. 7. Ville de Suède. pour une surprise! 8. ! 8.Ancienne Ancienne commune du Jura. Œuvre de Danny Boyle. 9. Phénol contenu dans l'huile de commune du Jura. Œuvre de Danny Boyle. 9. Phénol contenu dans l'huile dethym. thym. Feuille argentée. 10. Court appel. Venais en en aide. Polonium. 11.11. Certain. Feuille argentée. 10. Court appel. Venais aide. Polonium. Certain.S'enroule S'enroule autour du cou. La Piscine films plus célèbres.12. 12.Commune Commune autour du cou. La Piscine est est l’unl’un de de sesses films lesles plus célèbres. d'Italie. Divertit. Il a réalisé Moonrise Kingdom. Rigolerai. Sur l'ardoise.Ville Ville d'Italie. Divertit. 13. Il13. a réalisé Moonrise Kingdom. 14.14. Rigolerai. Sur l'ardoise. brésilienne. 15. Mas détruit. Il fait son cinéma ! 16. Témoignage d'estime. 17. brésilienne. 15. Mas détruit. Il fait son cinéma ! 16. Témoignage d'estime. 17. Trompée. 18. Partie cheval. la manche. Rangé épis. Pieu.20. 20.Sortie Sortie Trompée. 18. Partie d'und'un cheval. FaitFait la manche. 19.19. Rangé enen épis. Pieu. d'enceinte. Se précipita (se). 21. Prénom masculin. Plante légumineuse. 22. Rejoint d'enceinte. Se précipita (se). 21. Prénom masculin. Plante légumineuse. 22. Rejoint ses semblables enclin un clin d'œil. Donne le départ. Article. Elle bordéepar parsasa ses semblables en un d'œil. Donne le départ. 23.23. Article. Elle estestbordée mer. 24. Fait un avoir. Colère passée. mer. 24. Fait un avoir. Colère passée. VERTICALEMENT A. Engage le personnel. ouvre bien des portes! B. ! B.Intéresse Intéresse VERTICALEMENT A. Engage le personnel. ElleElle ouvre bien des portes les chercheurs. Placé à l'endroit. C. Qui relève du génie ! Vedette de plateau. Ça ne les chercheurs. Placé à l'endroit. C. Qui relève du génie ! Vedette de plateau. Ça ne vaut rien. D. C’est à Eric Rohmer que nous devons ce film. Ramasse miettes. E. vaut rien. D. C’est à Eric Rohmer que nous devons ce film. Ramasse miettes. E. Crée des maux fléchés. Laisse le choix. Indice d'acidité. Elles prennent de gros Crée des maux fléchés. Laisse le choix. Indice d'acidité. Elles prennent de gros cachets. Bière anglaise. F. Succès de Luca Guadagnino. Île de France. G. Emboîte cachets. Bière anglaise. F. Succès de Luca Guadagnino. Île de France. G. Emboîte le pas. Apporte l'addition. Routes rejoignant le centre-ville. H. Un endroit où le pas. Apporte l'addition. Routes Germanium. rejoignant leConjonction. centre-ville.I. H. Undeendroit où décompresser. Vieille louange. Film Guillaume décompresser. Vieille louange. Germanium. I. Film Brac. J. Désert rocheux. Finissent ex æquo.Conjonction. Tète. K. Préfixe pour de allerGuillaume ensemble. Brac.Sur J. Désert rocheux. Finissent ex æquo. Tète. K. Préfixe pour aller le sol. Présent dans la salle de bains. Relève ce qui est plat. L. Avec ensemble. lui, on parle Sur leà sol. dans la grain salle de bains. Relève ce mettre qui est àplat. L. Avec lui, onM.parle voixPrésent haute. Mis son de sel. Refuse de se table. Décharge. Peut à voixêtre haute. Mis son grain de sel. Refuse de se mettre à table. Décharge. M. Peut n’importe qui. Métaux précieux. Montra le chemin. Ce que l'intimité fait de être vous. n’importe Métaux précieux. Montra le CeMy que l'intimité deIl Retirequi. de la vie active. N. Réalisateur dechemin. Mektoub Love : Cantofait Uno. vous.plante Retirelade la vieLeactive. Réalisateur deO.Mektoub My Love : Canto Il graine. cinémaN.est le septième. Plante vivace. Tout-petit quiUno. mouille plante lalit. graine. est ledans septième. Plante vivace. Tout-petit qui mouille son Ni toiLe ni cinéma moi. P. Haut l’arbre. O. Nous fait avancer. A tendance à se replier surNilui-même. X. Dur dans leNous fruit.fait Erbium. son lit. toi ni moi.Q.P.Rayons Haut dans l’arbre. avancer. A tendance à se replier sur lui-même. Q. Rayons X. Dur dans le fruit. Erbium.

À gauche, une image du film L’Année du requin (en salles le 3 août) ; à droite, la même, à 7 différences près.

no 190 – été 2022


Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori, Nyinyilki – Main Base, 2009. Collection privée, Adélaïde, Australie. © The Estate of Sally Gabori / Adagp, Paris, 2022. Photo © Simon Strong.

261, boulevard Raspail, 75014 Paris fondationcartier.com


JEAN RENO

ALEXANDRA MARIA LARA

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© Jean-François Baumard / TCC / STUDIOCANAL.

UNE SÉRIE ADAPTÉE DU ROMAN À SUCCÈS DE MARC LEVY


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