> no 187 / AVRIL 2022 / GRATUIT
Journal cinéphile, défricheur et engagé, par
VINCENT LE PORT
Un grand cinéaste sort de l’ombre + violence et cinéma : entretien croisé avec Gisèle Vienne MONIA CHOKRI « Je voulais que l’idée de l’horreur vienne du regard des femmes »
LA NOUVELLE VAGUE DU CINÉMA LIBANAIS
13 AVRIL
KERVERN & DELÉPINE « On est des boomers, on ne pourra jamais s’en dépêtrer »
ÉDITO
Soyons clairs, on n’a pas fait le choix d’une couv qui trancherait avec l’ambiance anxiogène de l’époque. Surgi de l’obscurité, voici Vincent Le Port, révélation du Festival de Cannes l’an dernier avec Bruno Reidal. Confession d’un meurtrier. Une plongée sidérante dans la psyché d’un assassin d’enfant, dans le Cantal, en 1905, quelque part entre Robert Bresson (pour la rigueur implacable de la mise en scène), Claude Chabrol (pour l’étude froide du mal) et Marcel Pagnol (pour la peinture rocailleuse de
GASPAR NOÉ Il broie notre petit cœur avec Vortex, grand film sur la vieillesse
la ruralité du début du xxe siècle). C’est un film difficile, d’abord parce qu’il nous place du côté du meurtrier : adapté d’un fait divers, il est construit à partir des Mémoires que le tueur, un séminariste de 17 ans, a écrits à la demande de ses médecins. Difficile aussi parce qu’il mêle la douceur (les paysages de nature en été, la voix fluette du héros) et la brutalité pour saisir le mal à hauteur d’enfant : le protagoniste apparaît successivement à l’âge de 6, 10 et 17 ans – un gouffre vertigineux rarement exploré par le cinéma naturaliste. Difficile encore parce qu’il nous confronte à un être qui est à la fois monstre et victime, pris dans une lutte contre ses pulsions. Pour mieux aborder cette œuvre passionnante, nous
l’avons montrée à la metteuse en scène Gisèle Vienne, qui ne cesse d’explorer la violence dans ses pièces radicales, et qui sort ce mois-ci une version cinématographique de l’une d’elles, Jerk – sur l’histoire vraie d’un Américain ayant assassiné vingt-huit adolescents dans les années 1970. Comment filmer le mal ? Que faire des monstres parmi nous – s’ils existent ? Et quelle violence dans le regard de l’artiste, et du spectateur ? Autant de questions qui éclairent notre époque et auxquelles ces deux grands artistes nous offrent de réfléchir. JULIETTE REITZER