TROISCOULEURS #178 - été 2020

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N 178

O

ÉTÉ 2020 GRATUIT

FRANÇOIS OZON ÉTÉ 85 SUMMER OF LOVE


VOUS SEREZ TOUJOURS INSPIRÉS PAR LE CINÉMA

10 000 PLACES DE CINÉMA OFFERTES

Partenaire passionné du 7e art depuis plus de 100 ans, BNP Paribas est heureux de célébrer avec vous la réouverture des salles et de vous inviter au cinéma. Rendez-vous sur welovecinema.bnpparibas


ÉDITO Toute

l’intensité des premiers émois adolescents qui parcourt le nouveau film de François Ozon, Été 85, pourrait être résumée dans cette scène, empruntée à La Boum de Claude Pinoteau : sur la piste blindée d’une boîte de nuit, l’incandescent David met le casque de son walkman (oui, on est dans les années 1980) sur les oreilles de son amoureux, le doux Alexis. À contre-courant de la foule déchaînée qui l’entoure, ce dernier se retrouve plongé dans les eaux troubles de la chanson d’amour et de solitude de Rob Stewart « Sailing ». « I am sailing / Stormy waters / To be near you / To be free » – le morceau, qu’on entend à deux moments-clés du film, fait écho à la scène de naufrage dans laquelle les deux héros se sont rencontrés. « Le film va prendre un sens différent après ce qu’on a tous vécu », nous a dit François Ozon en entretien, et c’est vrai que, après plus de deux mois de confinement, l’image de ce garçon amoureux, à la fois seul et entouré d’une foule vibrante, a quelque chose d’emblématique et d’exaltant. Elle nous touche aussi parce qu’elle rappelle l’expérience du spectateur dans la salle de cinéma, à la fois seul face au film et pris dans une émotion collective. Après trois mois de fermeture, on est vraiment heureux de vous retrouver dans les cinémas, et de vous raconter dans ces pages tous les beaux films qui vous y attendent cet été. • JULIETTE REITZER


E G A Y O LE V TES N A ÀN

2200 0 2 0 2 E R E B … M B R ÉNNEEM TTEEM EEN NTTSS… P E M P S E S É 7 V 22 7 U NSS,, ÉÉ V A U ON IITTIIO A T S S O Û T O P P Û O X E X A O CEE PPUUBBLLIICC,, E D U 88 A DU AC L’’EESSPPA

NSS L AN DA RTT D A AR

© MRZYK & MORICEAU, SUR UNE PHOTO DE MARTIN ARGYROGLO DE L’ŒUVRE « LE TEMPS ENTRE LES PIERRES » DE FLORA MOSCOVICI, LE VOYAGE À NANTES

WWW.LEVOYAGEANANTES.FR


POPCORN

P. 10 LA CONSULTATION : MULAN • P. 22 FLASH-BACK : INCEPTION P. 24 LE NOUVEAU : FÉLIX LEFEBVRE

BOBINES

P. 26 EN COUVERTURE : ÉTÉ 85 • P. 34 ENTRETIEN : SOPHIE LETOURNEUR • P. 48 PORTRAIT : OULAYA AMAMRA

ZOOM ZOOM

P. 62 LES JOUEUSES • P. 66 SAPPHIRE CRYSTAL P.68 THE KING OF STATEN ISLAND • P. 70 TIJUANA BIBLE

COUL’ KIDS

P. 96 INTERVIEW : LÉO WALK • P. 98 LA CRITIQUE DE LÉONORE : SPYCIES • P. 99 TOUT DOUX LISTE

OFF

P. 100 EXPOS : RACHEL ROSE • P. 106 SONS : SOKO P. 108 SÉRIES : I MAY DESTROY YOU

ÉDITEUR MK2 + — 55, RUE TRAVERSIÈRE, PARIS XIIe — TÉL. 01 44 67 30 00 — GRATUIT DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ELISHA.KARMITZ@MK2.COM | RÉDACTRICE EN CHEF : JULIETTE.REITZER@MK2.COM RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : TIME.ZOPPE@MK2.COM | RÉDACTEURS : QUENTIN.GROSSET@MK2.COM, JOSEPHINE.LEROY@MK2.COM GRAPHISTE : JÉRÉMIE LEROY | SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : VINCENT TARRIÈRE | STAGIAIRE : SOPHIE VÉRON ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : LÉA ANDRÉ-SARREAU, LOUIS BLANCHOT, LILY BLOOM, CHARLES BOSSON, NORA BOUAZZOUNI, RENAN CROS, JULIEN DUPUY, DAVID EZAN, MARIE FANTOZZI, YANN FRANÇOIS, CLAUDE GARCIA, ADRIEN GENOUDET, CORENTIN LÊ, DAMIEN LEBLANC, OLIVIER MARLAS, BELINDA MATHIEU, ALINE MAYARD, STÉPHANE MÉJANÈS, JÉRÔME MOMCILOVIC, WILFRIED PARIS, MICHAËL PATIN, LAURA PERTUY, PERRINE QUENNESSON, BERNARD QUIRINY, CÉCILE ROSEVAIGUE, ÉRIC VERNAY, ANNE-LOU VICENTE & LÉONORE, AGATHE ET ANNA PHOTOGRAPHE : PHILIPPE QUAISSEILLUSTRATEURS : PABLO COTS, SAMUEL ECKERT, ÉMILIE GLEASON, ANNA WANDA GOGUSEY, PABLO GRAND MOURCEL | PUBLICITÉ | DIRECTRICE COMMERCIALE : STEPHANIE.LAROQUE@MK2.COM ASSISTANTE RÉGIE, CINÉMA ET MARQUES : MANON.LEFEUVRE@MK2.COM RESPONSABLE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : ALISON.POUZERGUES@MK2.COM CHEFFE DE PROJET CULTURE ET MÉDIAS : CLAIRE.DEFRANCE@MK2.COM IMPRIMÉ EN FRANCE PAR SIB IMPRIMERIE — 47, BD DE LA LIANE — 62200 BOULOGNE-SUR-MER TROISCOULEURS EST DISTRIBUÉ DANS LE RÉSEAU LE CRIEUR CONTACT@LECRIEURPARIS.COM © 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / DÉPÔT LÉGAL QUATRIÈME TRIMESTRE 2006 — TOUTE REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TEXTES, PHOTOS ET ILLUSTRATIONS PUBLIÉS PAR MK2 + EST INTERDITE SANS L’ACCORD DE L’AUTEUR ET DE L’ÉDITEUR. — MAGAZINE GRATUIT. NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE.


INFOS GRAPHIQUES

MAÎTRES DU TEMPS

Grand

maestro des failles spatio-temporelles, des flash-forward et des montages à rebours, Christopher Nolan revient cet été avec Tenet, un thriller d’espionnage labyrinthique. Retour sur ces réalisateurs qui, comme lui, jouent avec nos repères chronologiques et nos nerfs. • LÉA ANDRÉ-SARREAU

COURS, LOLA, COURS

CÉLINE ET JULIE VONT EN BATEAU

de Tom Tykwer (1999)

de Jacques Rivette (1974)

L’héroïne de ce film se lance dans une course effrénée pour sauver son amoureux mais, chaque fois qu’elle échoue, le récit reprend du début… Un récit original en trois segments qui permet de jouer sur la dilatation du rythme, à la façon d’un clip vidéo.

Avec ce buddy movie au féminin, Jacques Rivette met en scène un film infini en faisant vivre à ses héroïnes une myriade d’aventures qu’il décline en plusieurs possibilités, intervertissant les personnages et les événements.

MEMENTO de Christopher Nolan (2000) Pour aider son personnage amnésique à retrouver ses souvenirs et à élucider le meurtre de sa femme, ce thriller entièrement monté à l’envers adopte une structure mentale éclatée, offrant un twist final inoubliable.

PREMIER CONTACT de Denis Villeneuve (2016) Des scientifiques découvrent, grâce à des extraterrestres, que le temps linéaire n’est qu’un leurre puisque passé et présent forment une boucle… Une idée matérialisée par des plans à la composition tout en courbe et des mouvements de caméra circulaires.

UN JOUR SANS FIN de Harold Ramis (1993)

Un présentateur météo exécrable condamné à revivre le même jour à l’infini doit briser cette malédiction en trouvant un sens à son existence, le principe de répétition servant à questionner le quotidien.

: « Tenet » de Christopher Nolan, Warner Bros., sortie le 12 août

ÉMOPITCH EFFACER L’HISTORIQUE (SORTIE LE 26 AOÛT) 6


" ÉTOURDISSANT DE BEAUTÉ !" " UN CHEF D’ŒUVRE !" LA SEPTIÈME OBSESSION

POSITIF


FAIS TA B. A .

À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs). POUR VOTRE ONCLE, UN ACTEUR DE THEÂTRE QUI RÂLE SUR LES COMÉDIES FRANCAISES CONTEMPORAINES Il estime que plus rien n’est drôle. Emmenez-le voir cette expo consacrée à Louis de Funès, qui a composé de géniaux personnages comiques, surtout chez Gérard Oury (La Grande Vadrouille). Il y découvrira des photos personnelles, de tournage et de films, des dessins, des lettres et des extraits de films, à côté d’une rétro et de conférences autour de la comédie. Les Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury (1973)

© D. R.

: « Exposition Louis de Funès », du 15 juillet 2020 au 31 mai 2021 à la Cinémathèque française

POUR CE TRADEUR EXPATRIÉ AUX ÉTATS-UNIS QUI VEUT SE RECONVERTIR DANS LE GRAPHISME Quand vous l’avez rencontré à New York, sa façon de cacher sa sensibilité vous a conquis(e). Pour l’inspirer et l’aider à concrétiser son rêve, envoyez-lui ce coffret collector consacré à Phase IV (1974), une super dystopie autour de fourmis mutantes – le seul long métrage réalisé par le célèbre graphiste Saul Bass à qui l’on doit les affiches et les génériques inoubliables de Vertigo (1958) et de La Mort aux trousses (1959) d’Alfred Hitchcock, entre autres.

: « Coffret Ultra Collector Phase IV de Saul Bass » (Carlotta)

POUR VOTRE FRÈRE, UN STARTUPEUR QUI RÉPÈTE À SON ENTOURAGE QU’IL N’A « PAS LE TIME » © LES FILMS PELLÉAS

Depuis qu’il a monté sa boîte d’aspirateurs à chaussettes, il ne peut absolutely not se libérer pour un ciné. Pour son anniv, abonnez-le pour 4 € par mois à la plateforme Brefcinema qui s’ouvre au public et propose chaque semaine trois nouveaux courts métrages – l’occasion d’apprécier, en peu de temps, des œuvres de géniaux cinéastes comme Apichatpong Weerasethakul. Blue d’Apichatpong Weerasethakul (2018)

: www.brefcinema.com

POUR VOTRE MEILLEURE AMIE, GOTH ET BADASS, QUI VOUS A DONNÉ CONFIANCE EN VOUS Avec sa bicoloration rouge et noir et ses tee-shirts à l’effigie de groupes de métal finlandais, elle impose son style. Elle se retrouvera dans l’univers baroque et étrange de Bertrand Mandico (Les Garçons sauvages, 2018) grâce à ce coffret qui réunit des courts et des moyens métrages sortis entre 2013 et 2017 (L’Île aux robes, Depressive Cop) ainsi que le clip d’« Apprivoisé » de Calypso Valois.

: « Mandico Box vol. 2 » (Malavida)

Avec son caméscope, elle vous prend sous tous les angles, puis s’enferme dans sa chambre (salle de montage de fortune) pour transformer de banals moments familiaux en scènes d’épouvante. Pour lui faire plaisir, embarquez-la à la rétrospective consacrée au cinéaste américain Don Siegel (Les Proies, L’Inspecteur Harry), orfèvre du montage, créateur de séquences tirées au cordeau qui la fascineront.

: « Rétrospective Don Siegel », du 3 septembre au 4 octobre

Les Proies (1971)

© CARLOTTA FILMS

POUR VOTRE FILLE QUI, PASSIONNÉE DE MONTAGE, S’ENTRAÎNE AVEC VOTRE IMAGE

à la Cinémathèque française

• JOSÉPHINE LEROY 8



© WALT DISNEY

LA CONSULTATION

MULAN, © D. R.

CHINOIS MAIS PAS TROP L’AVIS DE LUISA PRUDENTINO, ENSEIGNANTE À L’INALCO

Après Le Roi lion ou Aladdin, c’est au tour du dessin animé Mulan d’être adapté en prise de vues réelles. Contrairement aux transpositions précédentes, celle-ci s’éloigne franchement du film d’animation sorti en 1998. Oubliés les séquences musicales et Mushu, l’adorable petit dragon, le Mulan de Niki Caro (en salles le 19 août) est un film d’aventure grandiose ancré dans la réalité. Pour Luisa Prudentino, enseignante spécialiste du cinéma chinois à l’Inalco, cette approche atypique s’explique par la bonne santé du marché chinois.

Pourquoi Mulan a-t-il eu droit à un traitement différent de celui des autres adaptations de dessins animés Disney des années 1990 ? Mulan est un personnage historique [qui aurait vécu au ve siècle, ndlr] ancré dans la légende chinoise. C’est le mythe de la piété filiale, une fille dévouée qui veut éviter l’horreur de la guerre à son père. On est sur une thématique importante pour les Chinois, en ligne avec la morale confucéenne. Mulan est une figure qui a toujours éveillé un sentiment de fierté chez eux. Ce n’est pas un hasard si son parcours a connu énormément de déclinaisons au cours de l’histoire chinoise. Il faut toujours faire attention quand on s’attaque à des personnages aussi importants. Un mauvais traitement pourrait offenser les personnes concernées, elles pourraient se plaindre que l’adaptation n’est pas fidèle ou qu’il s’agit d’une appropriation irrespectueuse de leur culture. Dans le cas de Mulan, la stratégie de Disney a toujours été de s’éloigner du mythe original tout en conservant une certaine authenticité. Avec le dessin animé, Disney avait joué sur la légèreté. Avec un film en live action, plus réaliste, cela ne serait pas passé. Disney a supprimé le fantastique pour jouer sur le côté hollywoodien, tout en adoptant les éléments qui plaisent au public chinois : l’aventure, la balade, les paysages époustouflants, la musique grandiose. En plus d’avoir repensé l’univers du film pour mieux séduire le public chinois, Disney a fait appel à une actrice inconnue à Hollywood mais très populaire en Chine, Yifei Liu, pour interpréter l’héroïne. Ce n’est pas étonnant, le marché chinois est devenu incontournable pour Hollywood [l’an dernier, le box-office chinois avait dépassé les 9 milliards de dollars, ce qui en fait le deuxième marché mondial, ndlr]. Vu les enjeux économiques, les studios font tout pour ne pas offusquer le bureau de la censure et pour séduire le public chinois. Ils sont prêts à faire des compromis pour entrer sur ce marché. Pourtant, le film a été tourné hors de la Chine, en chinglish, un argot anglais influencé par le chinois, avec des décors anachroniques. Il ne faut pas que le film soit trop chinois, sinon il ne plaira ni au marché occidental ni au marché chinois. En effet, les Chinois n’aiment pas quand des films étrangers viennent sur leur terrain. Maintenant que la Chine sait faire des films à gros budget, elle n’a plus le même rapport aux superproductions américaines. Il faut que les films hollywoodiens restent des films hollywoodiens.

• PROPOS RECUEILLIS PAR ALINE MAYARD 10


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« MAGISTRAL » P O S I T I F

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LE 19 août au cinéma


CHAUD BIZ

POPCORN

DÉCONFINEMENT À TAILLE HUMAINE

Alors

est secrétaire de cette association loi 1901 à but non lucratif. Ces micro-entrepreneurs et autres TPE, qui n’ont pas pu bénéficier de l’assurance chômage par exemple, et dont l’existence même est menacée par la crise et ses conséquences, Solidarité cinéma les a répertoriés de manière indicative sur son site. Parmi les métiers à soutenir, elle recense les sociétés de convoyage, de gardiennage, de cantine, de location de loges, mais aussi des éditeurs musicaux indépendants, des créateurs de génériques et de bandes-annonces, ou encore les attachés de presse, les affichistes et les sociétés de sécurité sollicitées dans le cadre des avantpremières. Un esprit de corps partagé par des donateurs tels que The Jokers, Diaphana, Haut et Court ou encore Les Films du Worso, pour n’en citer que quelques-uns. Au 19 juin, Solidarité cinéma avait déjà récolté plus de 183 000 €. La date limite de dépôt des dossiers pour la première session a été fixé au 10 juillet 2020. L’association attribuera ensuite des aides comprises entre 2 000 € et 15 000 €, après un passage en commission. Qui a dit que, dans le cinéma, c’était le règne du chacun pour soi ? • PERRINE QUENNESSON ILLUSTRATION : ÉMILIE GLEASON

que la crise du Covid-19 a violemment marqué le secteur cinématographique, plusieurs entreprises indépendantes ont décidé de s’unir pour soutenir les plus fragilisés. On parle souvent de la grande famille du cinéma avec un léger rictus mais, parfois, il s’avère qu’il ne s’agit pas seulement d’une expression galvaudée et ironique. C’est en tout cas ce que montre l’action d’un petit groupe d’entreprises indépendantes du secteur qui ont décidé, dans un élan fraternel, de se réunir sous la bannière Solidarité cinéma pour soutenir financièrement les sociétés avec qui elles travaillent toute l’année et qui ont été fragilisées par la crise du Covid-19, coincées dans l’angle mort des aides de l’État. Derrière cette initiative, on trouve Marc Missonnier, fondateur de Moana Films, qui représente la production, Alexandra Henochsberg (Ad Vitam) pour les distributeurs, Isabelle Terrel (Coficiné) pour les institutions financières, Aude Cathelin (directrice de production) pour les directeurs de production, Hugo Rubini (Rubini et Associés) pour les assureurs, Thierry de Segonzac (TSF) pour les industries techniques et l’avocat Christian Valsamidis (Taylor Wessing), qui

La grande famille du cinéma n’est pas seulement une expression galvaudée et ironique.

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“ LE MEILLEUR DOCUMENTAIRE DE L’ANNÉE ” VULTURE NEW-YORK GROUPE DEUX, KGP FILMPRODUKTION & LITTLE MAGNET FILMS PRÉSENTENT

Par le réalisateur de

LE CAUCHEMAR DE DARWIN

Epicentro LES JEUNES PROPHÈTES DE CUBA

un film de

Hubert Sauper AU CINÉMA LE 19 AOÛT

Les Films du Losange


RÈGLE DE TROIS

AGNÈS B. Décrivez-vous en 3 personnages de films. Jeanne dans Le Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson, pour sa naïveté, sa force, sa foi ; elle était hardie, elle ! Ensuite, peut-être une héroïne hitchcockienne. J’aime tellement Alfred Hitchcock que j’ai créé une chemise que j’ai appelée « Soupçons », comme si je la destinais à Joan Fontaine dans ce film. Et enfin John Harper dans La Nuit du chasseur de Charles Laughton. Je me retrouve assez dans son côté enfant adulte. 3 rencontres de cinéma ? Je me souviens que, vers mes 17 ans, j’ai rencontré Kenneth Anger au Café de Flore. Il venait je crois d’écrire Hollywood Babylone et il avait des cheveux noirs magnifiques. J’expose ses travaux plastiques à La Fab. Il y a aussi Quentin Tarantino. Quand il préparait Reservoir Dogs, il a envoyé son habilleuse dans la seule boutique que j’avais à Los Angeles pour acheter mes costumes noirs. Par la suite, on a continué à

travailler ensemble, j’ai fait la chemise blanche d’Uma Thurman et la veste noire avec le col en cuir que porte John Travolta dans Pulp Fiction. Dix ans après, il m’a demandé de lui refaire la même… Je peux aussi parler de mon grand ami Harmony Korine. Je l’ai caché pendant deux années dans un petit studio à Paris, il voulait échapper à New York, à tout ce bordel. Il n’y avait que Claire Denis et Leos Carax qui étaient au courant. 3 films de votre jeunesse ? Les Belles de nuit de René Clair. Ma mère, tout en étant bourgeoise, était quelqu’un d’un peu déjanté. Elle nous a emmenées voir le film avec ma sœur quand j’avais 10 ans. Tout à coup, Gérard Philipe embrasse Gina Lollobrigida et, là, elle s’est levée et a dit : « Je ne veux pas que vous me voyiez voir ça ! » La phrase m’est restée. Sissi impératrice d’Ernst Marischka : les gens trouvaient que je ressemblais à Sissi quand j’étais petite. Puis enfin Si Versailles m’était conté de Sacha Guitry. Je suis née à Versailles, et je

© KAZOU OHISHI

La créatrice de mode ouvre La Fab., un nouveau lieu transversal et indiscipliné dédié à l’art contemporain. Pour la première exposition, elle présente des pièces de sa collection (où se croisent Nan Goldin, Gilbert & George, David Lynch…) réunies sous le signe de la hardiesse. On a vérifié si ce caractère aventureux se retrouvait aussi dans ses goûts cinématographiques. dessinais beaucoup le parc du château, auquel j’étais accro. Je faisais du vélo à fond autour du Grand Canal quand j’avais du chagrin, j’avais les larmes froides qui coulaient le long des oreilles. 3 fois où les arts plastiques ont rencontré le cinéma pour faire des étincelles ? Le Mystère Picasso d’Henri-Georges Clouzot, c’est fascinant. Francis Bacon. Peintre anglais de Pierre Koralnik. Alors qu’il est filmé dans son atelier, Bacon essaye d’échapper à l’interview en reculant, il se tortille dans tous les sens, on dirait presque un de ses tableaux. Puis tous les documentaires incroyables de Martin Scorsese sur le rock, peut-être particulièrement The Last Waltz. 3 jeunes cinéastes que vous aimeriez soutenir ? Ladj Ly, Julie Bertuccelli, puis… j’aimerais bien que vous m’en conseilliez d’autres !

• PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

— : « La Hardiesse dans la collection agnès b. », jusqu’au 1er août à La Fab. • « Moins de trente ans !! », jusqu’au 1er août à la galerie du jour

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DE LA

GRÂCE, DU CHARME ET DE L’ÉMOTION. TOUT SIMPLEMENT

TÉLÉRAMA

ÉMOTIONNELLEMENT

BOULEVERSANT.

PUISSANT !

CINÉMA TEASER

UNE

OUEST FRANCE

RÉUSSITE ! PASSIONNANT ! LE PETIT BULLETIN

LE MONDE

AGAT FILMS & CIE

UN FILM DE

PRÉSENTE

SÉBASTIEN LIFSHITZ

LE 9 SEPTEMBRE

Crédits non contractuels • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA

"De 13 à 18 ans, Anaïs et Emma ont grandi devant la caméra de Sébastien Lifshitz"


SCÈNE CULTE

LES RÉVOLTÉS DE L’AN 2000 (1977)

POPCORN

« Comme toujours, les enfants sont les plus touchés par la tragédie »

« Qui

un zoom sur un corps d’enfant mort ou mutilé, accompagnée de chants et de rires dont l’innocence procède d’un décalage nauséeux. « Comme toujours, les enfants sont les plus touchés par la tragédie », précise la voix off, apportant d’emblée la réponse à la question du titre : tuer un enfant est une pratique courante, et le tabou qui l’entoure, une odieuse hypocrisie d’adultes. Par la suite, Narciso Ibáñez Serrador regrettera d’avoir placé cette démonstration au début du film, plutôt qu’en conclusion : c’est elle qui transforme la série B en manifeste et limite sa capacité à résister aux épreuves du temps. Paradoxalement, c’est aussi ce type d’audace typiquement seventies qui l’élève au-dessus de la mêlée. Cité en référence par Álex de la Iglesia, Lucile Hadzihalilovic ou Jaume Balagueró, ¿Quién puede matar a un niño? reste une curiosité à part dans le cinéma d’horreur. Un mélange unique d’humour noir gentiment gore et de leçon de morale au bulldozer. • MICHAËL PATIN

est capable de tuer un enfant ? » (¿Quién puede matar a un niño?) : c’est la question provocante posée par le titre original de ce film signé Narciso Ibáñez Serrador, que les exploitants français ont choisi d’ignorer au profit du plus politiquement correct – et à côté de la plaque – Les Révoltés de l’an 2000. Un couple d’Anglais débarque sur une petite île espagnole pour fuir le tourisme de masse. Accueillis par des enfants mutiques, ils découvrent que ceux-ci éliminent sans distinction (mais avec une inventivité toute juvénile) les adultes qui passent à leur portée. Pour tenter de survivre, il va falloir mitrailler du bambin, renverser du morveux, bref, franchir ce que l’homme civilisé considère comme l’ultime interdit. Outre son style sophistiqué, inspirée du giallo italien et des Oiseaux d’Alfred Hitchcock, Les Révoltés de l’an 2000 se distingue des autres films mettant en scène des enfants maléfiques (du Village des damnés à La Malédiction) par sa portée politique. D’où ce générique de plus de sept minutes, composé d’images d’actualités tristement célèbres, des camps d’extermination nazis à la guerre civile au Nigéria. Chaque séquence se conclut par

— : de Narciso Ibáñez Serrador, ressortie en version restaurée le 12 août

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LES FILMS DU WORSO ET NO MONEY PRODUCTIONS PRÉSENTENT

BLANCHE GARDIN

DENIS PODALYDÈS

CORINNE MASIERO

DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE

GÉNIALEMENT DRÔLE ! UNE

COMÉDIE

HHHHH LE PARISIEN

JUBILATOIRE ! LE MONDE

Crédits non contractuels • Photo : Mondino • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA

UN FILM DE

TÉLÉRAMA

FÉROCE

ET

DÉCAPANT ! VARIETY

BENOÎT DELÉPINE & GUSTAVE KERVERN

VINCENT LACOSTE BENOÎT POELVOORDE BOULI LANNERS VINCENT DEDIENNE PHILIPPE REBBOT ET MICHEL HOUELLEBECQ

LE 26 AOÛT


TROIS IMAGES

EASY RIDEUSES Never Rarely Sometimes Always d’Eliza Hittman est le récit d’un voyage qui se transforme en épopée pour regagner son corps et ses droits. Quand les héroïnes prennent la route pour étendre nos horizons…

© D. R.

deux longs métrages et un passage remarqué par la série (High Maintenance, 13 Reasons Why), la réalisatrice américaine Eliza Hittman suit, dans Never Rarely Sometimes Always, le voyage à New York qu’entreprennent deux ados pennsylvaniennes pour que l’une d’elles puisse avoir recours à un avortement. Dans un bus qui traverse le Holland Tunnel pour rejoindre Manhattan, la caméra capte en 16 mm la découverte de la ville par l’héroïne du film, alors solitaire, et la multitude d’émotions qui la traverse, érigeant ainsi un fait divers en épopée légendaire. En 2016, Andrea Arnold signe avec American Honey un chef-d’œuvre du road movie, dans la tradition des récits américains du genre, de Jack Kerouac à Walt Whitman en passant par le bus des Merry Pranksters de Tom Wolfe et Ken Kesey. La Britannique subvertit les codes et se désintéresse du paysage pour capter la richesse, la complexité et la beauté du groupe qui sillonne le Midwest en van. Du point de vue de la jeune héroïne, Star (Sasha Lane), on découvre un tressage de couleurs, de tatouages, de drogues, de conversations et d’affects qui saturent l’espace intérieur. Sous-titré « a new road movie through cinema », le documentaire-fleuve de quatorze heures de l’Irlandais Mark Cousins, Women Make Film (inédit en France), est une histoire esthétique du septième art uniquement illustrée par des films de femmes. Pour en assurer la narration, Cousins a demandé à des actrices comme Jane Fonda, Kerry Fox ou Tilda Swinton de prendre la route avec lui pour conduire ce road documentaire émancipateur. Les yeux tournés vers l’horizon, elles racontent treize décennies de regard féminin. • CHARLES BOSSON

— : « Never Rarely Sometimes Always »

d’Eliza Hittman, Universal Pictures (1 h 42), © D. R.

POPCORN

Après

sortie le 19 août

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UN KEN LOACH AU FÉMININ !

Plateforme

Sélection officielle

TORONTO

GÖTEBORG

GRAND PRIX DU JURY LES ARCS

Sélection officielle

SAN SEBASTIAN

LE 9 SEPTEMBRE

Sélection officielle

ZURICH


LE TEST PSYNÉPHILE

À QUOI VA RESSEMBLER TON ÉTÉ DÉCONFINÉ ?

Le monde d’après, c’est…

Le porno en 2020, c’est quoi ?

Chacun pour soi.

Le roulage de pelles devant Netflix.

Détente et déter’ mais là, t’es un peu trop déter’.

Les étoiles qu’on donne (ou pas) aux chauffeurs Uber.

POPCORN

T’as juste l’impression d’être un Mammuth. Ton festival d’été alternatif pour concurrencer le Puy du Fou.

La relation Trump-Kim Jong-un sur Twitter. Ton idée de génie pour emballer cet été… Prier saint Amour.

Covidchella dans la pistoche du quartier.

La psychologie comportementale amoureuse.

Une free party dans un data center. Un bowling dans un sauna. Ton Titanic à toi, c’est quoi ? Tu n’as plus d’odorat (mais bon, l’argent n’a pas d’odeur).

Prendre avant d’être pris. Le premier truc qu’on t’a dit quand t’es sorti de ton 15 m2 ? Vous avez l’air con, les gars, quand vous souriez.

Prendre le rond-point de Leader Price.

T’as besoin d’un nouveau départ, mec.

Aller voir une fille de joie qui tire tout le temps la gueule.

Je vais te spoiler la face.

SI TU AS UN MAXIMUM DE : UN POLAR POISSEUX SUD CORÉEN En 2020, le monde s’écroule, mais toi, t’as décroché le jackpot. Avant de faire une Balkany dance, je te conseille d’aller voir Lucky Strike de Kim Yonghoon (sortie le 8 juillet). Ce film va brutalement te rappeler que bien mal acquis ne profite jamais. Inspiré du livre de Keisuke Sone, ce premier film est un jeu de massacre, vénéneux, à mi-chemin entre Parasite de Bong Joon-ho et No Country for Old Men des frères Coen.

UNE COMÉDIE ADO POTACHE Le confinement a réveillé en toi l’ado mal aimé et bouboule au visage constellé d’acné. T’as pécho ? d’Adeline Picault (sortie le 29 juillet) risque de devenir ton film de l’été, celui que l’on va voir avec des copains pour rigoler – mais pas que. Il va t’emporter dans le grand bain des amours adolescentes, et tu vas rire comme une bécasse. Le film est vendu comme un mélange des Beaux Gosses et de la série Sex Education… Eh bien c’est vrai, pour une fois.

UN ROAD MOVIE PUNK En 2020, qui n’a pas eu envie de jeter son portable (avant de le récupérer illico dans la benne, tête la première) ? Avec leur dernier film, Effacer l’historique (sortie le 26 Août), Gustave Kervern et Benoît Delépine s’intéressent aux victimes collatérales des réseaux sociaux, les laissés-pour-compte de l’ère numérique. Résultat : une comédie sociale grinçante sur l’ubérisation du monde et ses injonctions à l’efficacité. Allez viens, on se casse (au cinoche) !

• LILY BLOOM — ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL 20


AU CINÉMA LE 22 JUILLET CINEMA


FLASH-BACK

INCEPTION

Sorti il y a dix ans, le thriller de science-fiction de Christopher Nolan (qui ressort en salles cet été) conserve aujourd’hui un fort pouvoir de fascination, au-delà de ses diverses influences manifestes.

Le

film, sorti en juillet 2010, met en scène un voleur expérimenté (Leonardo DiCaprio), capable de pénétrer le subconscient des individus, qui va se heurter lors d’une périlleuse mission aux douloureux souvenirs de sa défunte épouse (Marion Cotillard). « Inception croise de multiples influences, explique Timothée Gérardin, auteur de Christopher Nolan. La possibilité d’un monde (Playlist Society, 2018). Il mêle film noir, film d’espionnage à la James Bond et accents de science-fiction à la Kubrick. » Mais derrière ces imposantes références, ce blockbuster au budget de 160 millions de dollars représente surtout un film très personnel pour Nolan. « Il y reprend des ingrédients de ses premières œuvres : comme dans Memento, on suit un héros qui, en perdant l’être aimé, a perdu l’accès à la cohérence du monde. » C’est aussi un authentique film d’auteur. « Son minimalisme le rend unique. Le concept de l’emboîtement des rêves n’engendre pas un foisonnement visuel comme chez Luis Buñuel ou chez David Lynch ; la réalisation est au contraire épurée. » La comparaison récurrente avec Paprika (2006), film d’animation de Satoshi Kon

consacré à l’onirisme, est également nuancée par Gérardin. « L’approche d’Inception s’avère plus grise, on dirait une comédie musicale vidée de ses couleurs. Nolan revendique par ailleurs des influences littéraires plutôt que cinématographiques, comme celle de Jorge Luis Borges. Et le film renvoie au mythe d’Ulysse, qui part longtemps en voyage et peine à être reconnu par Pénélope. » Plus grand succès de Nolan en France avec près de 5 millions d’entrées, Inception offrait aussi une réponse à Matrix. « Les deux films parlent d’une réalité qui peut à tout moment se décomposer, mais les sœurs Wachowski sont des progressistes qui proposent de se réinventer alors que le héros damné de Nolan reste prisonnier du monde virtuel. » Ce qui n’empêche pas la générosité : « Inception vulgarise des notions scientifiques comme la relativité du temps. C’est complexe, mais jamais brumeux. » • DAMIEN LEBLANC ILLUSTRATION : ANNA WANDA GOGUSEY

— : de Christopher Nolan, ressortie le 15 juillet

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AVA L O N P R É S E N T E

PA R L E R É A L I S AT E U R D E LA BM DU SEIGNEUR ET DE MANGE TES MORTS

AV E C

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AU CINÉMA LE 29 JUILLET


LE NOUVEAU

POPCORN

FÉLIX LEFEBVRE

Du

haut de ses 20 ans, Félix Lefebvre affiche un enthousiasme pour le métier de comédien qui rappelle la fougue d’Alexis, l’ado qu’il incarne dans Été 85 de François Ozon (lire p. 26). L’acteur se revendique pourtant moins naïf que son personnage. « J’ai commencé à tourner quand j’étais lycéen et j’ai vite vu la caméra comme une alliée. Puis j’ai foncé sans demi-mesure vers cette carrière. » Admirateur de Sergio Leone, Michel Gondry, Stanley Kubrick ou Julia Ducournau, l’ancien élève scientifique s’amuse des chiffres (« J’avais 19 ans en 2019 et je tournais le 19e film de François Ozon. ») et évoque River Phoenix, vu dans My Own Private Idaho et dans Stand by Me pour préparer Été 85. « Il avait en lui une

sensibilité et une fêlure très belles. » On se prend alors à lui trouver une ressemblance physique avec l’acteur américain, mais le jeune homme développe une confiance bien à lui (« Je me sens armé pour faire face au monde du cinéma. »), bientôt mise à profit dans un biopic de NTM signé Audrey Estrougo… qui plongera à nouveau ce garçon moderne dans les années 1980. • DAMIEN LEBLANC PHOTOGRAPHIE : PHILIPPE QUAISSE / PASCO

— : « Été 85 » de François Ozon, Diaphana (1 h 40), sortie le 14 juillet

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©CARACTÈRES - ILLUSTRATION : CADOR

SON

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ÉTÉ 85

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FRANÇOIS OZON


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LE TEMPS RETROUVÉ

Le nouveau long métrage de François Ozon, Été 85, romance nostalgique sur la côte normande entre deux jeunes garçons qui a reçu le label « Cannes 2020 », est l’un des films les plus attendus pour la réouverture des cinémas. Ce beau teen movie solaire et tourmenté arrive à point nommé, car il nous prépare à la volupté de l’été tout en nous contant une histoire de résilience. Le réalisateur nous a parlé de ce film initiatique dont l’éclat tient à la douceur de son regard. 28


Comme tout le monde, j’étais dans l’incertitude. J’ai vécu ça comme un moment de suspension, de détachement. Tout était prêt pour la sortie d’Été 85 : le dossier de presse, l’affiche, la bande-annonce. S’il n’y avait pas eu tous ces événements, le film aurait été dans les salles pendant le Festival de Cannes, je pense. C’est un risque pour le distributeur de le sortir début juillet, parce qu’on ne sait pas si les gens vont se déplacer, s’il y a encore cette angoisse du virus. Moi, j’ai l’impression qu’il y a un vrai désir. C’est pour ça que, lorsque Thierry Frémaux nous a proposé d’être dans la sélection des films labellisés « Cannes 2020 » [à la suite de l’annulation du Festival de Cannes, les films sélectionnés bénéficient d’un label « Cannes 2020 », ndlr], on s’est dit qu’on allait sortir le film dans la foulée, comme on l’aurait fait si le festival s’était vraiment tenu. À l’été 1985, vous aviez 17 ans. Cette période a-t-elle été aussi déterminante pour vous que pour les héros du film ? C’est la veille de la majorité, donc oui je sentais que j’allais avoir plus de liberté ; et en même temps c’était la découverte de la sexualité, de la musique, avec les Cure, les Smiths… C’est à peu près à ce moment-là que j’ai découvert le livre d’Aidan Chambers [Dance on My Grave, sorti en 1982, dont est adapté Été 85, ndlr], qui est sorti en France sous le titre La Danse du coucou. J’ai tout de suite eu un coup de foudre pour ce roman qui parlait de l’adolescence sans tabou, tout en s’adressant à cette classe d’âge. À l’époque, je faisais des films en Super 8 et je me disais que j’aimerais bien l’adapter pour un premier long métrage. J’avais développé un scénario avec un ami, que j’avais appelé J’irais danser sur ta tombe, en référence à Boris Vian. Je ne l’ai pas retrouvé, mais je crois que j’avais pas mal transformé l’histoire d’origine. Mais j’avais du mal à me projeter, parce que, dans le bouquin, le cadre est très britannique, je ne visualisais pas trop où ça pouvait se passer en France… En préparant Été 85, j’ai trouvé en Normandie un équivalent français de cette station balnéaire ouvrière du sud-est de l’Angleterre, avec les mêmes briques rouges, comme l’inverse de la Côte d’Azur. Le Tréport et Fécamp étaient des villes idéales pour montrer ce milieu ouvrier auquel appartient Alex, qui a un père docker, et une petite bourgeoisie, incarnée par la mère

de David (Benjamin Voisin), qui s’ancre souvent au-dessus de la plage, dans des résidences secondaires. Les murs de la chambre du héros, Alexis (Félix Lefebvre, lire p. 24), sont tapissés de posters de Taxi Girl, des Cure… et aussi de pyramides égyptiennes – il est fasciné par les rites funéraires de l’Égypte ancienne. Qu’y avait-il aux murs de votre chambre d’ado ? J’étais aussi passionné d’égyptologie, mais c’était quand j’étais enfant. C’est un élément que j’ai ajouté par rapport au livre. Ce que j’ai aimé, à travers ce décor, c’est faire sentir cette part d’enfance et cette obsession de la mort qui est très virtuelle. C’est une fiction, une abstraction pour lui. Quels étaient vos partis pris esthétiques pour recréer les années 1980 ? J’ai pris très vite la décision de tourner en Super 16 mm. Le numérique donne une image très froide, très glacée, très piquée. Il a tendance à éteindre les couleurs et à uniformiser l’image. Au contraire, le 16 mm ramène une douceur, il fait ressortir le rouge des peaux. Au niveau des costumes, on aurait pu être dans des années 1980 encore plus marquées ; au final, c’est assez sobre. Avec la costumière Pascaline Chavanne, on a beaucoup regardé les teen movies américains de l’époque – il y en a des français, mais ils sont souvent racontés du point de vue des adultes. On a regardé les films de Francis Ford Coppola, Rusty James, Outsiders, dans lesquels on sent un petit relent esthétique des années 1960. Ce mélange d’époques correspondait bien à l’histoire, tournée vers une certaine nostalgie. Vous avez éparpillé beaucoup de références à vos propres films, et peut-être plus particulièrement à vos courts métrages de jeunesse comme Une robe d’été ou Action vérité… C’est vrai que, à mes débuts, j’ai fait beaucoup de films sur les adolescents, donc on retrouve cette atmosphère coming-of-age, ce côté

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Félix Lefebvre et Benjamin Voisin

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Comment avez-vous vécu ces mois de confinement ?

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roman d’apprentissage. Je me disais que je refaisais mon premier film. Mais ces références ne sont pas volontaires. C’est là qu’on voit que le livre d’Aidan Chambers m’a vraiment marqué, parce qu’en le relisant je me suis rendu compte qu’il comportait plein de scènes que j’avais déjà tournées. Ça, c’était une surprise. Je me suis même demandé s’il fallait vraiment que je le fasse, si je ne l’avais pas déjà réalisé. Après, je me suis dit que, avec la maturité que j’ai acquise, je le ferais différemment. J’ai essayé de faire en sorte que ce ne soit pas un décalque de scènes déjà existantes. Mais on retrouve bien ces thèmes : le deuil, la passion, le travestissement… Après Grâce à Dieu (2019), qui s’invitait dans l’actualité en racontant la libération de la parole de plusieurs victimes d’un prêtre pédocriminel, aviez-vous envie de retrouver la légèreté un peu troublée, un peu grinçante de vos œuvres de jeunesse ? Je ne sais pas si c’est grinçant, parce que le film est assez doux. Si je l’avais réalisé en 1985, je l’aurais fait très différemment. Peut-être que le film aurait été plus agressif. Là, il y a une espèce de distance – avec l’âge qui fait qu’il y a peut-être plus de tendresse pour les personnages. C’est vrai que, avec Grâce à Dieu, je n’étais pas préparé au fait de

prendre part à l’actualité, d’avoir des procès, de ne pas savoir si le film allait sortir ou pas [les avocats du prêtre Bernard Preynat, alors mis en examen pour abus sexuels sur mineurs et depuis condamné pour ces faits, demandaient la suspension du film au motif que sa sortie en février 2019 portait atteinte à sa présomption d’innocence, ndlr]… J’avais envie d’enchaîner sur un film plus léger, même si Été 85 porte une certaine gravité. En confiant la narration de votre film à Alexis, qui lit en voix off un texte qu’il a écrit, vous jouez comme à votre habitude sur des dévoilements tardifs, des béances, une forme de suspense. Ce sont ces jeux qui vous stimulent en tant que scénariste ? Ce qui m’intéresse, c’est d’offrir une place au spectateur, de créer une relation avec lui. Je fais une sorte de pacte avec lui, je donne certaines règles, on joue ensemble, je l’entraîne sur de fausses pistes et je le laisse se projeter. Quand on voit le début du film, on peut imaginer des choses, et par la suite on se rend compte que ce n’est pas exactement ça qu’il s’est passé. J’aime le côté interactif du cinéma, penser à moi-même lorsque je regarde un film. C’est cette construction en puzzle d’Été 85 qui permet à chacun de s’identifier, même aux filles, alors qu’il s’agit d’une histoire entre deux garçons.

« Cette construction en puzzle permet à chacun de s’identifier, même aux filles. »

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Melvil Poupaud et Félix Lefebvre

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Félix Lefebvre et Benjamin Voisin

Le temps de l’été 1985, sur la côte normande, Alexis, 16 ans, vit tout. Le blondinet réservé monte tour à tour en haut des émotions les plus vives, entre amour, sexe et amitié, et en chute de façon tout aussi fulgurante. Cet ascenseur émotionnel, François Ozon, dont la filmographie est infusée par des concepts issus de la psychanalyse (Une nouvelle amie, L’Amant double), le symbolise dès la scène d’ouverture. Pris dans une tempête soudaine alors qu’il manœuvrait tranquillement son voilier, Alexis manque de se noyer avant qu’un beau jeune homme, David, ne vogue à son secours. Fasciné, Alexis s’accroche alors à cette curieuse comète. Semblant lui-même retrouver une fougue tout adolescente, le cinéaste mêle joyeusement références filmiques (Call Me by Your Name, La Boum, La Fureur de vivre) et tonalités, naviguant – sans peur de la rupture nette – du teen movie solaire, sensuel et léger, à la love story romanesque et enfiévrée, en passant par le drame bouleversant. Et de nous faire monter, avec son héros, sur d’irrésistibles et inoubliables montagnes russes des sentiments. • TIMÉ ZOPPÉ

Dès le début, Alexis est caractérisé comme un personnage à la Jean Genet, un criminel à tête d’ange, tandis qu’il émane de David un bagout sensible à la Patrick Dewaere. Comment avez-vous pensé cette disparité ? Je voulais une complémentarité, trouver le couple qui fonctionne. Félix Lefebvre, je l’ai tout de suite trouvé. Il correspondait à ce que je recherchais, quelqu’un de malin, vif, qui soit charmant sans être trop beau, et qui paraisse intelligent, pour qu’on puisse croire que ce garçon pouvait devenir écrivain. Et après il a fallu trouver David, ça a été plus compliqué. Benjamin Voisin est venu passer le casting pour le personnage d’Alex, et je me suis dit qu’il avait plutôt la spontanéité de David. Il avait encore ce côté enfantin qu’il a perdu depuis. Je lui ai demandé de se développer, de faire de la gym, d’acquérir l’aisance du personnage, qui a vraiment

L’histoire qu’il a vécu avec David est le point de départ du texte d’Alexis, texte qu’il fait lire à son professeur de français, joué par Melvil Poupaud. Leur duo évoque celui de l’élève et du professeur de Dans la maison (2012). Qu’est-ce qui vous fascine dans ce rapport maître-élève ? Ce qui m’intéresse, c’est la transmission, comment elle se fait. Dans la maison, c’était une transmission qui était compliquée, parce que le professeur était à la fois fasciné et peut-être renvoyé à son incapacité à créer. Là, il y a quelque chose de plus généreux de la part du personnage de Melvil Poupaud, il a envie d’aider. Jusqu’où est-il prêt à aider ? C’est ça la question ; il y a une forme d’ambiguïté là-dedans, et en même temps il est assez clair, il se considère bien comme son professeur. C’est comme s’il se retenait de son propre désir. 31

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ROLLER COASTER


une emprise sur Alexis. Ce qui est bien, c’est qu’il y avait une vraie complicité, une vraie alchimie entre les deux acteurs. Comment avez-vous travaillé les scènes d’amour ? C’est un film de désir, d’amour, ça se passe l’été, donc ça a été assez naturel pour eux. D’autant que le film est assez pudique, il n’y avait pas d’enjeu très compliqué. Mais j’ai senti dans cette génération plus d’ouverture que chez d’autres acteurs avec qui j’ai pu travailler précédemment, chez qui on sentait que ça coinçait un peu pour les scènes gay. Vous racontez une histoire gay pendant l’été 1985 et pourtant le film ne comporte aucune référence au sida, qui touchait durement la communauté homosexuelle à l’époque. Pourquoi ? À l’origine, le film s’appelait Été 84. J’ai changé le titre parce que j’ai utilisé la chanson des Cure « In Between Days » et, quand j’ai contacté Robert Smith, il m’a répondu qu’il ne pouvait pas nous donner les droits parce que le morceau est sorti en 1985. Là, c’était le drame, donc je lui ai dit que j’étais prêt à changer le titre du film, même si on a tourné en pensant à l’été 1984. En 1984, le sida est déjà là, mais il n’a pas encore explosé, notamment en province. Si La Danse du coucou a eu tant d’impact, c’est qu’il est justement sorti à un moment où le sida commençait à se propager – même si Aidan Chambers ne pouvait pas y penser puisqu’il l’a écrit en 1981. On peut presque se dire que la mort de David dans le livre a touché beaucoup d’homosexuels, parce qu’ils pouvaient y voir une sorte de métaphore de l’épidémie.

Benjamin Voisin et Félix Lefebvre

Dans une scène capitale du film, vous faites une référence évidente à La Boum. Vous qui allez bientôt tourner avec Sophie Marceau, quel est votre rapport à ce film ? Ça fait partie de ces films qui vous marquent adolescent, un peu comme Grease. J’avais à peu près le même âge que Sophie Marceau

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Félix Lefebvre et Benjamin Voisin

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« En relisant le livre d’Aidan Chambers, j’ai réalisé qu’il comportait plein de scènes que j’avais déjà tournées. » quand La Boum est sorti. On a failli se croiser plusieurs fois, et là ça va enfin se faire. On est en train d’adapter Tout s’est bien passé, le livre autobiographique d’Emmanuèle Bernheim, qui nous a quittés en 2017, sur son père. Alain Cavalier devait l’adapter mais, à la suite de la disparition d’Emmanuelle, il a fait un très beau documentaire sur leur amitié et sur la mort, Être vivant et le savoir (2019). C’est pourquoi je me suis senti autorisé à repartir du roman lui-même. Le personnage d’Alexis dit vouloir « échapper à son histoire ». Comment cela fait écho en vous ? Je n’ai pas envie de l’expliquer, pour que chacun puisse s’approprier cette phrase qui est l’une des dernières du livre et que je trouve très belle. Je peux juste dire que c’est l’idée d’échapper aux déterminismes, qu’ils soient sociaux, économiques, politiques,

sentimentaux. Ça raconte un peu la résilience du personnage qui, malgré tout ce qu’il a subi, parvient à en faire quelque chose.

• PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET PHOTOGRAPHIE : PHILIPPE QUAISSE / PASCO — : « Été 85 »

de François Ozon, Diaphana (1 h 40), sortie le 14 juillet

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INTERVIEW

© GIASCO BERTOLI

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IN UTERO

En mêlant dans des dispositifs ludiques et très libres le documentaire, l’autobiographie et la fiction pour décortiquer l’intime le plus trivial de ses personnages, Sophie Letourneur (La Vie au ranch, Les Coquillettes) fait bouger les cadres d’un cinéma français qu’elle s’efforce de désacraliser. Son nouveau film, Énorme, est à la fois drôle, impudent, et très juste sur tout ce qu’une grossesse vient chambouler dans les corps et l’équilibre d’un couple – campé par les grandioses Marina Foïs et Jonathan Cohen. Rencontre avec l’une des cinéastes les plus passionnantes de sa génération. 34


Ton dernier film, Gaby Baby Doll, est sorti il y a six ans. Que s’est-il passé depuis ? J’ai commencé à écrire Énorme avant même le tournage de Gaby Baby Doll, mais c’est vrai que c’est un film qui a pris beaucoup de temps. J’ai fait un gros boulot d’enquête sur le monde de la musique classique [le personnage de Claire, joué par Marina Foïs, est une grande pianiste soliste, ndlr] et sur le milieu hospitalier, car je n’y connaissais rien. Comment s’est présenté ce travail d’enquête ? J’ai appelé l’attaché de presse de la Philharmonie de Paris qui m’a suggéré de rencontrer Jacques Thelen, l’agent de Martha Argerich [pianiste argentine, ndlr], du violoniste Renaud Capuçon… À la Philharmonie, ils organisaient justement un concert pour les 70 ans de Thelen, avec quasiment tous les artistes dont il s’occupe. Ils m’ont dit : « Tu pourrais faire un faux documentaire sur lui, une sorte de cadeau pour son anniversaire, qui te permettrait de comprendre un peu ce milieu. » Donc j’ai passé trois mois à faire ça, un docu d’une heure que je lui ai donné – il a pas compris pourquoi je lui offrais ça et il en avait un peu rien à foutre mais moi ça m’a aidée. Et j’ai fait un stage d’observation à la maternité de Saint-Denis, puis un autre à celle de Colombes. J’aime tellement cette période d’enquête que je ne cherche pas vraiment l’efficacité par rapport à mon scénario, donc ça met du temps. Mais tout est lié. Rien ne sert à rien, mais tout n’est pas injecté dans le film non plus. Quand tu te diriges comme ça avec ta caméra vers des milieux très différents, comment les gens t’accueillent ? Les gens s’en foutent du cinéma. Il y a une désacralisation totale, et je trouve ça génial car je ne sacralise pas non plus le cinéma. Quand on tourne avec des gens qui ne sont pas acteurs, le cinéma doit se plier à la vie, respecter les autres. Tu dis que tu ne sacralises pas le cinéma ? Je n’ai jamais voulu faire de cinéma. Moi, je voulais être styliste, puis peintre. Après j’ai fait de l’art vidéo, et enfin j’ai été monteuse pour gagner ma vie, assez jeune. J’ai tenté le concours de La Fémis en montage – que je n’ai pas eu d’ailleurs –, mais je ne me suis jamais dit : « Je veux absolument faire des films et je vais y arriver. » Quand j’ai

rencontré Emmanuel Chaumet [le producteur de tous ses films jusqu’à Gaby Baby Doll, ndlr], c’était pour qu’il m’embauche comme monteuse. C’est lui qui m’a dit : « Si tu as un projet, dis-moi. » On a fait mon premier court métrage comme ça [La Tête dans le vide, en 2004, ndlr], et comme il a bien marché ça s’est enchaîné. Ce qui est marrant, c’est que jusqu’à présent j’étais simplement guidée par mon plaisir de faire les choses, je ne pensais pas au spectateur. Mais le combat sur Énorme a été tellement compliqué que ça a un peu fait bouger les choses. Pour la première fois, j’ai eu l’impression qu’il y avait vraiment un sens à ce que je faisais. Qu’est-ce qui a été si compliqué ? Je crois que ma façon de représenter le sexe féminin et la maternité a été assez déstabilisante pour les gens qui m’accompagnaient. Ils s’attendaient peut-être à une plus franche comédie sur la grossesse, avec une inversion des rôles entre l’homme et la femme. Vu le sujet, les acteurs connus, le fait que je sois une femme réalisatrice, tout le monde s’est un peu emballé, je pense qu’il y a eu un malentendu. Et je crois que l’idée du mélange des genres, pour une comédie, a du mal à passer. Les choses doivent être dans des cases. Alors que je pense que les gens sont capables de voir un film avec une particularité, ils n’ont pas besoin qu’on leur prémâche le truc. Et puis, c’est un peu comme si c’était obscène de montrer la grossesse, tout ce qu’il y a avant la naissance. Mais à force de ne pas le raconter, les femmes culpabilisent quand ça ne se passe pas bien. Tout ça, ce sont des constatations après coup, car lorsque je me suis dit que je voulais raconter la grossesse à ma façon, telle que moi, mes amies ou des gens que j’ai rencontrés l’avaient vécue, je ne pensais pas du tout que ça pouvait choquer. Mais qu’est-ce qui, d’après toi, peut choquer dans le film ? Je ne saurais dire exactement, peut-être les histoires de sécrétions ? Tous ces tabous autour du sexe féminin et de la puissance de la matrice, le liquide bleu qu’on met à la place du sang dans les pubs pour les serviettes hygiéniques, c’est une histoire de honte : les femmes doivent avoir honte de leur sexe, honte du sang qui coule de leur sexe. Et encore, j’ai dû enlever des choses. Par exemple, j’avais un bien meilleur plan de placenta. Là, dans le film, on le voit à peine, de loin. Mais j’avais un plan super, où on voyait la sage-femme et le placenta posé sur le chariot, vraiment comme un objet. Je trouve ça génial, parce que c’est

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SOPHIE LETOURNEUR


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INTERVIEW le seul organe que tu peux créer dans ta vie d’adulte. Il y a des films sur la grossesse qui te plaisent ? Naissance et maternité de Naomi Kawase. C’est un documentaire où elle met en parallèle sa grossesse et le cancer de sa grand-mère. Bon après elle va très loin, c’est-à-dire quelle filme son propre accouchement avec une caméra DV et qu’elle mange un bout de son placenta avec des baguettes à la fin. J’avais pleuré, pleuré… j’avais trouvé ça magnifique. Le film questionne la notion de genre, les rôles très normés assignés aux hommes et aux femmes, notamment quand ils attendent un bébé. Le film parle pas mal de la norme oui, parce que mes personnages ne sont pas du tout normés. Au départ je joue sur une inversion des genres sur des questions comme la réussite. Claire est une grande pianiste reconnue et Frédéric [joué par Jonathan Cohen, ndlr] se tape toute la charge mentale, la logistique. Même dans leur sexualité, ce sont ses orgasmes à elle qui arrêtent les rapports. Puis à un moment tout cela bouge, et le film s’intéresse plus aux troubles dans le genre qu’à une simple inversion. On réalise que lui est quelqu’un de maternel, qu’il a besoin de prendre soin d’elle, puis de l’embryon également, et elle n’est plus qu’une matrice. Cette question de la place que l’on peut avoir par rapport à l’enfant qui arrive m’importait beaucoup. Moi, j’étais dans un rapport pas du tout normé à mes grossesses et je me posais des questions tout le temps, sur la place que je laissais au père notamment. Comment travaille-t-on avec un matériau autobiographique ? Je ne peux pas trop faire autrement, mes idées en général partent de là. Mais c’est

Jonathan Cohen et Marina Foïs

compliqué. Par exemple dans Énorme, même si c’est extrapolé, je parle quand même un peu du père de mon fils, qui en plus est le monteur de mes films, donc évidemment au montage ça a été compliqué… ça pose beaucoup de questions. Tu parlais de la manière dont, pendant une grossesse, le corps de la femme devient une matrice. Comment as-tu abordé cela ? Quand j’ai eu un enfant à 26 ans, j’avais un vrai désir de maternité. Je trouvais ça

JONATHAN VOIT GRAND Second rôle comique récurrent des années 2010, Jonathan Cohen passe à la vitesse supérieure, mené par son goût pour les univers hors normes. On l’attrape au vol, tandis qu’il finit la postproduction de sa série pour Canal+, La Flamme. Une parodie de la télé-réalité Bachelor. dans laquelle il campe un célibataire entouré d’une horde de prétendantes jouées par la crème des actrices françaises (Leïla Bekhti, Adèle Exarchopoulos, Florence Foresti…). Un projet fou, remake d’une série produite par Ben Stiller (Burning Love), que le comédien de 40 ans, formé au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, porte avec un mélange d’étonnement et de joie. Cohen partage avec l’acteur-réalisateur américain la même gourmandise à faire vivre des personnages grotesques, de son double musical Fucking Fred au génial Serge le Mytho dans la série Bloqués. « Le réalisme ne m’intéresse pas tellement. J’aime quand ça décolle. Je me laisse porter par l’univers des cinéastes, leur folie. » Cet été, il le prouve en teubé de compet’ dans Terrible jungle (lire p. 76), en aspirant papa dingo dans Énorme et, le temps d’une apparition drolatique, dans Tout simplement noir (lire p. 44). Osez, osez Jonathan. • RENAN CROS

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SOPHIE LETOURNEUR

dingue de fabriquer un enfant, je voulais connaître cette expérience. Et, en même temps, j’ai hyper mal vécu certains aspects, par exemple le fait de prendre énormément de poids. Le film est parti de ça aussi, du fait qu’à la fin je me sentais véritablement énorme et dépossédée de mon corps. Quand on est artiste, on a envie de contrôler les choses, et alors là je n’étais plus du tout mon propre maître. C’était une chose étrange, qui m’horrifiait et que je trouvais hyper belle à la fois. Et en même temps, c’est comique les femmes très enceintes. Le film est très drôle. D’ailleurs, les deux acteurs que tu as choisis, Marina Foïs et Jonathan Cohen, viennent de la comédie. Je voulais faire un truc burlesque parce que je me suis dit que si je parlais de la monstruosité de la grossesse sans que ce soit décalé on allait trouver ça horrible. Et puis beaucoup de situations sont grotesques en elles-mêmes : aller aux urgences pour un oui pour un non, jauger les autres couples, passer son temps à écarter les jambes pour vérifier l’ouverture du col… C’est assez délirant. Le comique a surtout été travaillé au moment de l’écriture, car je ne fais pas du tout d’improvisation sur le tournage. Le film est vraiment écrit

minutieusement à partir des répétitions avec les comédiens, de témoignages de femmes enceintes et de couples… Au cœur de tes films il y a souvent des histoires d’amour exaltées. Ici, tu filmes un couple dans son quotidien le plus trivial. Au quotidien, ce couple, ce n’est vraiment pas la passion… C’est le couple comme petite entreprise. Chacun a son rôle et sait très bien ce qu’il apporte à l’autre et ce en quoi il l’empêche aussi. Lui l’empêche de s’épanouir, et elle l’empêche de s’occuper de sa propre personne. Certains m’ont dit que ce couple n’était pas crédible, mais qu’est-ce que ça signifie exactement, un couple crédible ? Chacun le construit à sa façon. Dans tous tes films tu inventes des dispositifs complexes pour mêler le réel et la fiction. Ici, tu as tourné des plans documentaires à la maternité de l’hôpital Trousseau, que tu as ensuite montés dans les scènes de fiction tournées avec tes acteurs. Tu peux expliquer ? On a fait un tournage documentaire pendant un mois à Trousseau, en équipe réduite. J’avais sélectionné plusieurs sages-femmes que j’avais envie de suivre. Je voulais tourner des scènes particulières, comme une analyse du liquide amniotique. Dès qu’un cas qui pouvait m’intéressait se présentait, les sages-femmes venaient me prévenir. On demandait à la patiente si elle était d’accord pour qu’on filme l’examen, en lui disant bien qu’on ne verrait à l’image que ses jambes, qu’on filmerait surtout la sage-femme. La scène du test, quand Claire pense avoir rompu la poche des eaux, c’est monté avec un vrai plan d’examen. Le plan du bébé dans les bras de Frédéric, à la fin du film, c’est aussi du documentaire : on a filmé le bébé dans les bras de son père à qui j’avais demandé de mettre le pull de Frédéric. C’était hyper ludique, j’ai adoré tourner comme ça. Ça n’a rien à voir avec un tournage avec trente-cinq personnes et des camions, un clap et un assistant qui crie « Silence ! »

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BOBINES

© AVENUE B PRODUCTIONS / VITO FILMS

« Ce sont ses orgasmes à elle qui arrêtent les rapports. »


© AVENUE B PRODUCTIONS / VITO FILMS

INTERVIEW

BOBINES

Marina Foïs

« Et en même temps c’est comique, les femmes très enceintes. » À l’hôpital, j’ai aussi tourné des impros avec ma copine Laetitia Goffi, qui joue dans mon film Le Marin masqué (2011) et qui était enceinte de neuf mois, et avec Mathieu, le régisseur du film. Ces impros, on les faisait avec les sages-femmes quand elles avaient un moment, dans leur bureau. Tout ça faisait à peu près trente heures de rushs en comptant les accouchements – j’en ai filmé une quinzaine. Le film est tourné entièrement en intérieur. C’était important de faire quelque chose d’un peu claustrophobe, comme ce qu’on peut ressentir pendant ce neuvième mois de grossesse où on est prisonnière de son état, d’un calendrier qu’on ne maîtrise pas, de sa condition de femme, de son utérus. C’est aussi le moment où le couple devient une cellule familiale, ce qui peut donner une impression d’enfermement. C’est pour ça aussi que j’ai utilisé le format carré. Le chef op disait que c’était un film in utero.

couple, la famille, le désir. Et surtout, j’ai très envie de filmer les enfants. Dans mon projet, ils ont l’âge le pire, 2 ans et demi, 3 ans. Ça va être vachement dur mais mon ambition c’est de montrer à quel point ça détruit tout, enfin beaucoup de choses, et en même temps comment il y a un ravissement quand on regarde son enfant – souvent quand il dort d’ailleurs. Je ne me sens pas du tout dans le mood des séries et de leurs attentes scénaristiques, et en même temps j’aimerais penser à un mode de narration autre que le film d’1 h 30 pour pouvoir aller plus loin dans le trivial, dans l’idée de filmer des petites choses, de rester dans un truc très artisanal. C’est ce qui me ressemble le plus.

• PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

— : de Sophie Letourneur,

Memento Films (1 h 41), sortie le 2 septembre

Sur quoi travailles-tu en ce moment ? Un projet de film qui s’appelle Voyages en Italie, avec un s. Je m’attaque à un monstre pour le coup très sacralisé ! Ça interroge le 38


COMME DES CINÉMAS & YOKOGAO FILM PARTNERS

PRESENTENT

VICTIME OU MANIPULATRICE ?

UN FILM DE

KÔJI FUKADA LE 5 AOÛT AU CINÉMA


CONCOURS

BOBINES

CINÉ CONFINÉ

Le 15 mars dernier, les salles de cinéma fermaient. Deux semaines plus tard, mk2 et le magazine TROISCOULEURS lançaient le Concours du court métrage confiné : les films envoyés devaient être tournés dans le respect du confinement et des mesures sanitaires, et devaient inclure cette phrase, prononcée par Anna Karina dans Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard : « Qu’est-ce que je peux faire ? Je sais pas quoi faire ! » Le jury, composé des équipes de mk2 et de TROISCOULEURS, avait pour mission de choisir deux gagnants, un pour la catégorie « court métrage », l’autre pour la catégorie « très court métrage » (moins de deux minutes). Mais devant la quantité de films reçus (617 !) et leur qualité, il a finalement choisi de distinguer treize films, à découvrir dans ces pages, et à voir sur troiscouleurs.fr. Tournés dans de minuscules studios ou de grands jardins, par des cinéastes solitaires ou des familles réunies autour du projet, ces films constituent une mémoire précieuse et fascinante de l’époque étrange que nous avons traversée. Un grand merci à tous les participants !

GRAND PRIX DU TRÈS COURT MÉTRAGE CONFINÉ

A CORONA STORY DE VICTOR MIRABEL

Un jeune couple se prélasse sur une plage de la côte atlantique. Soudain, un appel retentit à la radio : la guerre contre le coronavirus est déclarée ! Ni une ni deux, les deux protagonistes s’engouffrent dans leur 2 CV et rentrent à Paris, prêts à livrer bataille – représentée sous la forme d’un combat homérique à la Super Mario. En 1 minute 32, ce malicieux film en stop motion rend hommage avec humour et créativité au personnel soignant mobilisé sur le front du Covid-19. Victor Mirabel, trentenaire installé à Paris qui travaille comme assistant réalisateur sur des longs métrages, l’a tourné avec sa copine, et avec son frère et la copine de ce dernier (qui jouent dans le film). « Ils ont autant contribué que moi à ce projet familial. On a bien rigolé, et c’est surtout pour ça qu’on l’a fait. » Après avoir déjà réalisé plusieurs courts métrages, le cinéaste espère bien ne pas s’arrêter là. « Je suis à la recherche d’un producteur pour des projets de courts et de longs métrages. » À bon entendeur… • SOPHIE VÉRON

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COURT MÉTRAGE

GRAND PRIX DU COURT MÉTRAGE CONFINÉ

AUX ARMES ET CÆTERA

et instructive. Décors et déguisements en carton, séquences d’animation en stop motion pour donner vie aux personnages, maquillages petit bijou d’inventivité, aussi hallucinants… Pour improviser ces drôle que poétique, a été saynètes qui regorgent de détails entièrement écrit, réalisé et monté (dont la fabrication nous est révélée par la famille Yal. dans un making of à la fin du film), de Dans la famille Yal, il y a Samuel, trucages malins et de clins d’œil aussi réalisateur de cinéma d’animation drôles qu’impertinents à une actualité et sculpteur, Sabine, enseignante, et angoissante soudain transformée en leurs trois enfants, Zacharie (10 ans), source de créativité, la famille s’est Eva (8 ans) et Esther (4 ans). Pour cette imposé deux règles strictes : d’abord, dans famille confinée à Pontoise en région un esprit écolo, ne parisienne dans un rien acheter, tout atelier d’artistes, fabriquer soi-même réaliser ce film a avec les matériaux été une « périlleuse à disposition ; et, aventure », voire ensuite, recouvrir même un « péplum ». tous les visages « Nous ne regardons SABINE YAL d’un masque ou pas la télé, nous de maquillage. Des contraintes qui n’avons pas Netflix : c’était une manière rendent le résultat encore plus bluffant, de se réapproprier le temps du confinement à mi-chemin entre prouesses techniques hors écran », explique Samuel. À l’origine et esprit artisanal. Joyeux carnaval du court métrage, il y a ces mots bariolé tour à tour loufoque puis sérieux, d’Emmanuel Macron prononcés lors de son discours du 16 mars : « Nous sommes en se muant parfois en ballet chorégraphié et onirique, frôlant l’expérimental tout guerre. » « Nos enfants étaient angoissés, en gardant l’esprit mutin de l’enfance, non pas par le virus, mais par ce mot, Aux armes et cætera est un court métrage “guerre” », explique Sabine. Dès lors, qui met du baume au cœur et prouve ce projet collectif et organique, dont que l’imagination ne connaît aucune le scénario évolue au jour le jour et où limite – pas même celles des murs chacun change de rôle, devient une façon d’un appartement. d’appréhender les émotions des enfants par l’art, dans une démarche pédagogique • LÉA ANDRÉ-SARREAU

Ce

« Nos enfants étaient angoissés, non pas par le virus, mais par ce mot, “guerre”. »

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BOBINES

DE SAMUEL YAL


PALMARÈS PRIX DU MEILLEUR INTERPRÈTE FÉLIN NANA dans Nana de Lubna Playoust

GRAND PRIX DU COURT MÉTRAGE CONFINÉ AUX ARMES ET CÆTERA de Samuel Yal

Ce très joli film champêtre suit les aventures d’un petit garçon et de Nana, sa chatte, beaucoup moins mignonne qu’il n’y paraît.

PRIX DES MEILLEURS DIALOGUES MERVEILLE de Valentin Chetelat

Ce fascinant film de famille mélange les techniques d’animation pour raconter l’histoire d’une maisonnée en guerre contre le virus. Drôle, impertinent et merveilleusement inventif.

Un rouleau de PQ sorti se promener sans attestation, un poivrier-policier à l’accent chantant : en à peine trois minutes, ce court hilarant croque la période avec génie.

GRAND PRIX DU TRÈS COURT MÉTRAGE CONFINÉ A CORONA STORY de Victor Mirabel

PRIX DE LA MEILLEURE MUSIQUE ORIGINALE YAMÉE COUTURE pour Les Maisons de carton de Shaan Couture

En moins de deux minutes et avec un dispositif minimaliste (deux comédiens qui évoluent au sol), la crise du Covid-19 est racontée de façon muette et colorée.

Elle a composé la musique originale et tient le rôle principal : Yamée Couture est LA révélation de ce très joli film de famille nostalgique et solaire, réalisé par sa sœur, Shaan.

PRIX DU MEILLEUR DOCUMENTAIRE MALGRÉ… d’Étienne Jarrier

Tous deux remportent une diffusion de leur film dans le réseau mk2, une séance privée du film de leur choix pour eux et leurs proches, et un an de cinéma.

Réalisé par un jeune homme de 18 ans, ce documentaire dans lequel il filme son père, atteint de la maladie de Parkinson, pour

BOBINES

tenter de reconstituer le puzzle de sa vie a bouleversé le jury.

PRIX DU MEILLEUR SCÉNARIO LES FILLES de Paula Alves

PRIX MEILLEURS ESPOIRS CAMILLE et LISON CHESNÉ dans Robotini à la chasse de son bras de Julien Chesné

Portrait vibrant et bouleversant d’une famille franco-brésilienne à travers trois générations de femmes,

Camille Chesné, 8 ans, et Lison Chesné, 5 ans, ont

réunies dans une maison pleine de vie.

écrit le scénario, les dialogues et font les voix de presque tous les héros de ce génial film d’aventure, tourné avec leurs jouets dans leur appartement.

PRIX DU MEILLEUR FILM DE GENRE INVISIBLE de Nourdine Taleb

PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE ET FÉMININE BRIAC DURAND et JOSÉPHINE ONTENIENTE dans Le Confinement au cinéma de Briac Durand et Joséphine Onteniente

Scénario, caméra, montage, mixage : le réalisateur a littéralement tout fait seul, en plus de jouer l’unique personnage de ce film – qui manie à merveille le suspense et l’angoisse.

PRIX DU MEILLEUR MONTAGE THIS IS HOW THE WORLD ENDS de Louise Fauroux

Le confinement filmé à la manière de Quentin Tarantino, de Michael Bay, de Wes Anderson, de Fritz Lang ou des sœurs Wachowski : les deux jeunes réalisateurs cinéphiles maîtrisent

Brillamment composé à partir d’images issues de la pop culture

l’art de la référence et, en plus, ils jouent bien !

(médias, réseaux sociaux, jeu vidéo Les Sims), ce film drôle et

acide imagine le futur de l’humanité. Une cinéaste à suivre.

MENTION SPÉCIALE COUP DE CŒUR DU JURY JOURNAL D’UNE FAMILLE CONFINÉE de Bénédicte Poumarède et Stéphane Malassagne

PRIX RÉVÉLATION JEUNE CINÉASTE CAMILLE SCHNIRER pour son film Hors tournage

Filmé façon C’est arrivé près de chez vous, un père célibataire

Cette réalisatrice en herbe de 17 ans tire un délicieux portrait,

angoissé par le virus décide d’enfermer sa fille à la cave.

mi-caustique, mi-tendre, de sa mère dans tous ses états (râlant,

Le plaisir que prennent les enfants des cinéastes à participer

applaudissant le personnel hospitalier, dansant la zumba).

à ce petit bijou d’humour noir est communicatif.

— : Regardez tous les films du palmarès sur troiscouleurs.fr — 42


UNITÉ DE PRODUCTION ET JACK N’A QU’UN ŒIL PRÉSENTENT

UN DÉLICIEUX VENT DE LIBERTÉ !

★★★ PREMIÈRE

BERT HALVOET ET ADAMA NIANE Design : Julien Bon • Réalisation : TROÏKA

AVEC AURÉLIEN COTENTIN


INTERVIEW

BOBINES

STAND UP

On pensait que seuls les Américains savaient faire ça. De la comédie populaire et politique à la fois, capable de lier ensemble le gag et l’esprit critique. C’est peu dire donc que l’arrivée de Tout simplement noir, vrai-faux documentaire tordant de et avec Jean-Pascal Zadi sur la création d’une « marche noire » – prétexte pour interroger la place de la communauté noire en France – va faire autant de bien à l’époque qu’au cinéma français. L’ex-rappeur, révélé au grand public sur Canal+ avec sa pastille culte « C koi les bayes ? », nous raconte le fragile et passionnant équilibre à trouver entre l’humour et l’engagement. 44


Dans le cinéma français, Tout simplement noir ne correspond à aucune case. Comment vous définiriez ce type de comédie ? Ah, c’est la question relou, là ! (Rires.) En fait, je crois que c’est une comédie qui montre que la réalité est drôle. Il suffit de se poser les bonnes questions. C’est pour ça qu’on a choisi la forme du faux documentaire. C’est une comédie qui a un truc à dire. Mais, même s’il y a des sujets très importants dans le film comme l’identité, le racisme, le communautarisme, la transmission à l’enfant, c’est avant tout une comédie. La comédie n’est pas un prétexte. J’ai envie de faire marrer les gens avant tout. Et si, en même temps, ils se posent des questions et que ça les fait réfléchir, c’est mieux. Ça veut dire que c’est le gag, la vanne qui a dirigé l’écriture plutôt que le propos ? Non, au contraire. Il fallait absolument qu’on soit sûr de ce qu’on voulait raconter, quels problèmes on voulait aborder, pour pouvoir ensuite trouver le moyen d’en rire. Une fois que tu sais où tu vas, que t’es sûr de ce que tu veux défendre, c’est là où tu peux trouver le moyen d’y arriver. Et, pour moi, le meilleur moyen c’est la comédie. On a défini les grands thèmes de chaque séquence, les grandes idées qu’on peut avoir sur l’identité noire, les polémiques qu’il y a parfois, les clichés qui vont avec et on a essayé de trouver un moyen de tout remettre en question par l’humour. C’est quoi l’identité métisse, par exemple ? Ça veut dire quoi ? On est reparti des clichés, des façons qu’on a tous de tout mettre dans des cases, pour s’en moquer… Vous convoquez dans le film plein de personnalités qui jouent leur propre rôle avec beaucoup d’autodérision. Comment on intègre la réalité, ces personnalités, dans un processus comique ? Le fait qu’à l’écran on ait JoeyStarr, Éric Judor, Fary, Lucien Jean-Baptiste, Claudia Tagbo, Stéfi Celma et tous les autres, tout d’un coup ça donne l’impression qu’on est dans la réalité. Chaque scène était structurée, avec le sujet abordé, quelques répliques fortes, et la chute. Mais

le reste s’est beaucoup fait sur le tournage, en réaction. Pour que l’improvisation marche, il fallait surtout bétonner l’écriture de mon personnage. Et, après, on a laissé chacun amener son truc à lui. Il n’y a qu’Éric Judor pour savoir comment être Éric Judor à l’écran… Qu’est-ce que vous avez en commun avec le Jean-Pascal Zadi du film ? Mon personnage, c’est un vrai personnage de comédie. Il est à la fois candide et hautain. Soit la pire des combinaisons. Il ne sait rien mais il croit qu’il sait. On en connaît tous un… Ces mecs qui disent toujours ce qu’il ne faut pas dire, qui ne connaissent pas les limites et qui gueulent plus fort que tout le monde. Sous prétexte qu’il défend une cause noble, il pense qu’il est au-dessus des autres et qu’il peut tout dire… Et en même temps il se prend plein de claques dans la gueule mais il avance, il continue. Ça le rend touchant. C’est une version très exagérée de moi, je crois. Sur le plateau, le coréalisateur du film, John Wax, et les producteurs me mettaient des stops à chaque fois que je me prenais pour un comédien. « Ne joue pas, ne cherche pas à créer un personnage. Sois juste la pire version de toi-même ! » Franchement, je crois que j’ai tout donné là-dessus. Bien qu’insupportable et très maladroit, votre personnage défend des idées importantes. Pourtant, il fait face à une certaine hostilité et à plein de paradoxes. Oui, et ça, ça me plaisait beaucoup. Parce qu’au fond, aujourd’hui, quand tu veux défendre une cause, quand tu t’engages, les gens attendent de toi que tu sois parfait. Les gens sont très durs, très critiques envers ceux qui prennent la parole publiquement. C’est chaud d’être politicien ou militant aujourd’hui. Les gens imaginent que tu es forcément un modèle alors que tu veux simplement faire bouger les choses. J’aime bien l’idée que mon personnage ne soit pas du tout un modèle. Il a les meilleures intentions du monde, mais il ne sait pas écouter les

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Jean-Pascal Zadi et Claudia Tagbo

BOBINES

JEAN-PASCAL ZADI


INTERVIEW

Fary et Jean-Pascal Zadi

BOBINES

« Il y a des Noirs en France qui ont des histoires à raconter, et elles s’adressent à tout le monde. » autres vu qu’il parle tout le temps plus fort qu’eux. Ça, c’est vraiment dans l’air du temps du militantisme 2.0. Les grandes causes, les grands problèmes – parce que oui, la représentation des Noirs en France c’est un vrai souci – servent pour certains à alimenter leur petit ego. Mon personnage est sur le fil. À la fois sincère et complètement attiré par la lumière. C’est un film sur une forme d’hypocrisie, un truc qu’on vit tous. On est à la fois pleins de grandes idées humanistes, et en même temps on a plein de préjugés et de clichés dans la tête. Moi, je défends la nuance. Ce n’est pas parce que mon personnage est un peu con et qu’il aime se mettre en avant que ce qu’il défend n’est pas juste. Rien n’est simple, et encore moins les gens. À travers ce personnage, on raconte aussi un état des lieux de la France et le manque de représentation des Noirs dans l’espace public. Plus mon personnage croit avoir toutes les réponses, plus je crois qu’on se pose, nous, les bonnes questions. Est-ce que quand on fait une comédie nuancée, qui plus est politique, on prend le risque de ne pas plaire à tout le monde ? Il serait temps de faire un peu appel à l’intelligence des gens. Ça me gonfle, tous ces films qui prennent les gens par la main et qui leur montrent exactement ce qu’ils veulent voir. La comédie en France a souvent peur

de la nuance. C’est beaucoup de caricature. Alors certes, mon film n’est peut-être pas compatible avec le prime time de TF1, mais tant mieux. Je suis sûr qu’il y a des gens qui vont penser que, parce qu’il y a le mot « noir » dans le titre, c’est un film communautariste. Mais quand Guillaume Canet fait des films avec que des Blancs, ça ne gêne personne – et moi le premier. Alors je ne vois pas pourquoi le fait qu’il n’y ait que des Noirs dans mon film serait plus communautariste. C’est un film tout aussi français que Les Petits Mouchoirs. Il y a des Noirs en France qui ont des histoires à raconter, et elles s’adressent à tout le monde. Cette question du communautarisme, du militantisme, de l’identité, trouver sa place dans la société, ça s’adresse à tout le monde. On pourrait faire le même film avec un personnage juif, arabe, homosexuel ou tout un tas d’autres cases. Pour moi, c’est un film profondément français, un film sur l’art de se prendre la tête, de gueuler, de jamais être d’accord, de discuter tout. On ne peut pas faire plus français que ça !

• PROPOS RECUEILLIS PAR RENAN CROS — : de Jean-Pascal Zadi et John Wax, Gaumont (1 h 30),sortie le 8 juillet

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UN ANTIDOTE POUR SAUVER L’AMOUR TROIS COULEURS

COMME DES CINÉMAS ET TARANTULA PRÉSENTENT

GUSTAVE KERVERN INDIA HAIR

POISSONSEXE Photo : Magali Bragard • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA

UN FILM DE OLIVIER

ELLEN DORRIT PETERSEN

JEAN-BENOIT UGEUX

BABINET

ALEXIS MANENTI

SOFIAN KHAMMES

AU CINÉMA LE 2 SEP TEMBRE ©2019 COMME DES CINEMAS - TARANTULA


PORTRAIT

© GUILLAUME MALHEIRO – STYLISTE : VALENTINO

BOBINES

LA FEMME SAVANTE

Quatre ans après sa révélation pour son rôle dans Divines (qui lui valut le César du meilleur espoir féminin), Oulaya Amamra a fait du chemin : un film avec Romain Gavras (Le monde est à toi), un autre avec André Téchiné (L’Adieu à la nuit), un dernier enfin avec Philippe Garrel, Le Sel des larmes (en salles le 14 juillet). Une trajectoire de cinéma exigeante qui en dit long sur les ambitions de cette apprentie comédienne biberonnée à Molière, sur le point d’achever sa formation au prestigieux Conservatoire national supérieur d’art dramatique. 48


OULAYA AMAMRA fut d’ailleurs entre les murs de l’école, comme simple élève, qu’Amamra fut remarquée par Garrel pour tenir le rôle de Djemila, une jeune Montreuilloise séduite (puis négligée) par un provincial monté à Paris. Professeur au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, le cinéaste se plaît en effet à mêler exercices et expériences professionnelles en auditionnant ici ses propres étudiants pour les trois rôles principaux du Sel des larmes. « Avec lui, c’est très simple : tu lis le texte avec quelqu’un. Et c’est soit “oui”, soit “non”, soit “peut-être avec une autre personne”. Ce n’est pas une question de justesse, mais d’alchimie avec le scénario et avec l’autre. » Une méthode de casting radicale et parfois déstabilisante, redoublée au tournage par des partis pris atypiques – « Sauf accident technique rédhibitoire, Garrel ne tourne qu’une seule prise. Autant le travail de répétition est méticuleux, autant le tournage est envisagé comme le lieu où la vie et les aléas doivent prévaloir. » Le mélange de grâce et de fébrilité du film est à ce prix. Il en faut plus pour déstabiliser cette fausse débutante, déjà rompue à la pression du métier, qui fit ses premières armes sur les planches à 12 ans et qui a toujours rêvé d’intégrer la Comédie-Française. Ainsi la vocation de cette native de Viry-Châtillon tire-t-elle son origine d’une expérience de spectatrice, salle Richelieu, où Catherine Hiegel électrisa l’adolescente dans le rôle de Toinette, la servante du Malade imaginaire de Molière. « Depuis, ce personnage fait partie de mon ADN, au point que j’ai tenu à l’incarner à chaque étape du concours du Conservatoire. » Un choix de cœur mais aussi de raison, puisqu’elle campa Toinette pendant près de cinq ans sous la direction de sa grande sœur, Houda Benyamina, qui en fit ensuite l’héroïne teigneuse de son premier long métrage, Divines, en 2016. « À l’origine, elle ne voulait même pas que je passe le casting. Elle pensait que j’étais trop coquette, trop réservée pour camper un personnage aussi fort, aussi agressif. Mais en vérité, plus c’est loin de ce que je suis, et plus c’est jouissif pour moi. »

CORPS ET ÂME

Danse classique, école catholique, textes de Molière et de Marivaux sur la table de chevet : Oulaya a beaucoup de choses à faire oublier à sa sœur pour la convaincre qu’elle peut incarner Dounia et ses rêves de criminalité. Déterminée à faire plier ce mur de résistance, la cadette modifie son comportement au quotidien, transforme sa frimousse de jeune première en ganache de caillera impertinente. Un investissement qui obligea la réalisatrice à se rendre à l’évidence, mais

ne fut pas sans conséquences dans le cursus de la lycéenne. « Pendant la préparation, j’étais tellement imprégnée de la personnalité de Dounia que j’ai été renvoyée de mon école pour insolence. Je dois tout à ce rôle, mais je lui ai aussi tout donné. » Au point qu’il fut très difficile pour elle d’en sortir, alimentant sa détermination à intégrer le Conservatoire, où elle put à nouveau laisser libre cours à un naturel discret, observateur, voire très studieux. « Je prends des notes tout le temps : durant les cours, les répétitions, et même durant les tournages. Je considère l’existence comme un apprentissage perpétuel. » À 24 ans, l’épisode Divines est maintenant largement dépassé, mais semble avoir confirmé chez elle une prédilection pour les expériences de jeu sans concession, comme en témoignent

« Plus le personnage que j’incarne est loin de ce que je suis, et plus c’est jouissif pour moi. » ses modèles (Isabelle Huppert, « pour son intelligence et les risques qu’elle a pris durant toute sa carrière ») ou ses cinéastes préférés (elle aimerait jouer pour Lars von Trier ou Michael Haneke). Et si le cinéma l’a déjà consacrée, la comédienne reste au plus profond d’elle-même dévouée au théâtre. « La sensation que je peux éprouver derrière un rideau de théâtre, je ne l’ai jamais retrouvée sur un plateau. Au cinéma, tu es un rouage, tu es au service du film. Au théâtre, tu es directement au service du public. Ça fait battre le cœur beaucoup plus fort. » • LOUIS BLANCHOT

— : « Le Sel des larmes »

de Philippe Garrel, Ad Vitam (1 h 40), sortie le 14 juillet

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BOBINES

Ce


INTERVIEW

© D. R.

GIRLHOOD

Porté par l’irrésistible envie d’explorer l’intime et la construction de l’identité – dans ses aspérités comme dans ses éclats –, Sébastien Lifshitz (Les Vies de Thérèse, Bambi, Les Invisibles) a suivi deux amies pendant cinq années clés de leur existence. Documentaire immersif, Adolescentes accompagne le quotidien d’Emma et d’Anaïs, ballotté entre mélancoliques plages d’ennui et déchirements impromptus. Après la riche rétrospective que lui a consacrée le Centre Pompidou, et alors qu’il s’apprêtait à présenter son nouveau film, Petite fille, à la Berlinale, le cinéaste est revenu sur ce projet d’envergure.

Pourquoi vous être intéressé à la période relativement complexe qu’est l’adolescence ? Je suis parti des souvenirs de ma propre adolescence, de cette génération « no future » marquée par l’élection de François Mitterrand, l’apparition du sida, le poids

du chômage qui devenait endémique et nous barrait toute possibilité d’avenir. L’époque nous fabrique presque, on n’est pas imperméable au contexte politique, social, économique et culturel dans lequel on évolue. La révolution numérique, l’apparition des réseaux sociaux et la montée des intégrismes religieux sont autant de sujets qui donnent à notre époque une couleur très spécifique. J’avais envie de savoir comment les ados d’aujourd’hui vivaient cela et s’ils étaient si différents de nous, au fond. 50


seule idée d’accompagner la vie de ces deux adolescentes sans rien diriger. Je cherchais à être au plus près d’elles, car il ne s’agissait pas de faire un film sur l’adolescence mais avec deux adolescentes. Mes choix étaient uniquement motivés par le fait de capter le quotidien le plus banal comme d’essayer d’être présent dans les moments qui comptent et sont tout d’un coup exceptionnels. Il y a eu beaucoup de premières fois, tant dans la vie amoureuse et familiale qu’à l’école. Certains examens sont des marqueurs très forts qui donnent aux adolescents le sentiment de s’accomplir ou non, d’être aptes… Je voulais, dans le même temps, saisir les moments de la vie française – attentats, élections… – qui sont venus nourrir le récit de l’adolescence d’Emma et d’Anaïs. Comment faire surgir le réel quand on confronte des adolescents à une caméra ? Lorsqu’Emma et Anaïs ont accepté de tourner ce film, il existait en elles un certain fantasme d’être actrices, ce qui me semble d’ailleurs essentiel pour vivre une telle expérience. À chaque fois que je les retrouvais, les filles me livraient un « show », souvent inspiré de la série ou du film qu’elles venaient de voir. Je n’intervenais pas, mais, au bout de quelques heures, elles étaient épuisées. Le film commençait à ce moment-là, les situations qu’elles vivaient étant plus fortes que le dispositif qui les entourait. La grande proximité avec laquelle vous filmez vos sujets donne parfois au documentaire des allures de fiction… Faire du documentaire, c’est une manière d’interroger l’époque que je vis et de travailler autour de questions qui m’importent beaucoup : la construction d’un individu, d’une vie, la liberté ou non qu’on parvient à y apporter, la façon dont on arrive à être soi… Pour autant, j’avais envie d’un récit ample, d’une chronique de l’adolescence tournée et montée comme une fiction avec, notamment, l’utilisation du format Scope, de la musique et le jeu sur les ellipses à un rythme très soutenu. Après avoir installé une telle proximité avec Emma et Anaïs, comment s’est passé leur retour à une vie « normale » ? Les adolescents vivent tellement dans le présent que la fin du tournage n’a pas constitué un événement particulier ; le quotidien a très vite repris le dessus. En revanche, ce film comptait tellement à mes yeux qu’il m’a été difficile de quitter Brivela-Gaillarde, de rompre ce rituel du tournage qui avait lieu tous les mois. Je ne suis

Emma et Anaïs

Le tournage s’est déroulé sur un temps long, cinq ans… Il était fondamental pour moi d’aller sur le terrain afin d’être au plus près de ces adolescentes, de prendre le temps de les regarder vivre et de les écouter. On ne peut pas faire le tour de la question en l’espace de quelques semaines. Ce film a constitué une expérience de vie commune fantastique ; ce sont cinq ans de ma vie que j’ai mobilisés, en plus d’une année de préparation et d’une autre de postproduction. Si j’ai réalisé deux autres films entre-temps – Bambi en 2013 et Les Vies de Thérèse en 2016 –, je ne me suis jamais vraiment défait du tournage d’Adolescentes. Pourquoi avoir choisi de faire débuter le film quand Emma et Anaïs sont en classe de quatrième ? J’aurais pu commencer à 11 ans, à l’entrée en sixième, mais cet âge incarne encore une grande part d’enfance. Il me semble que la bascule se fait entre la cinquième et la quatrième, au moment où arrive une deuxième langue et où les mathématiques deviennent beaucoup plus complexes. J’ai le sentiment qu’on passe alors dans un autre âge, loin de l’insouciance et de la légèreté des classes de sixième et de cinquième. Aviez-vous en tête des jalons, des instants précis à saisir au cours de ces cinq années ? Je suis arrivé sur le tournage avec pour 51

BOBINES

SÉBASTIEN LIFSHITZ


INTERVIEW

Anaïs

BOBINES

« J’avais envie d’un récit ample tourné comme une fiction. » évidemment pas leur père, mais j’ai tout de même eu le sentiment d’assister au départ des enfants de la maison. Elles prennent leur envol, continuent de vivre sans vous. Le lien est toujours là, mais il s’est transformé… Quelles réponses avez-vous obtenues aux questions que vous vous posiez sur les adolescents d’aujourd’hui ? Même s’ils ont l’air d’être dans leur bulle, je me suis rendu compte que l’actualité les imprègne, qu’ils ont des choses à dire. Sur la question des attentats, par exemple, Anaïs affronte ses parents, elle tient absolument à défendre son opinion et à se faire entendre. Quel regard Emma et Anaïs portent-elles sur le film ? J’ai l’impression qu’en le découvrant elles ont eu le sentiment de se voir, mais qu’elles ont également été assez surprises. Emma a voulu donner une image d’elle un peu glamour et pudique lors du tournage, alors qu’Anaïs est quelqu’un qui déborde, parle tout le temps, donne tout. Lorsqu’Emma a vu le film, elle a découvert quelque chose d’elle qu’elle ne pensait pas que j’avais perçu. « En gros, je suis la fille qui fait la gueule, qui est seule et qui parle mal à sa mère ? » m’a-t-elle dit. Je lui ai demandé si c’était faux, si le film l’avait trahie, et elle m’a répondu que ce n’était pas le cas, mais qu’elle ne voyait peut-être pas les choses ainsi auparavant. Le documentaire lui a tendu une sorte de miroir, ce qui est assez

violent d’une certaine façon. Anaïs, elle, m’a confié ne pas être certaine d’être une « bonne personne » avant cette expérience, mais en être sortie rassurée. À la manière de la collection de photos vernaculaires que vous possédez, on a le sentiment que vous souhaitez préserver un moment de la vie de deux personnes pour la postérité. Quand je trouve des photos anciennes amateurs, elles sont déjà une forme d’archéologie ; elles sont abandonnées depuis si longtemps que j’ai l’impression de les sauver de la destruction. La réalisation est une démarche différente, car je suis très actif dans le processus de création de l’image. Je vois Adolescentes comme un document pour Emma et Anaïs, qu’elles montreront peut-être à leurs enfants, du moins je l’espère. Une chose est sûre, elles ne pourront pas les baratiner en leur disant qu’elles n’ont jamais menti, répondu à leurs parents ou eu de mauvaises notes, tous ces mensonges que les adultes utilisent pour s’ériger en modèles. De façon plus générale, j’espère que l’on sent l’amour et la tendresse que j’ai pour elles.

• PROPOS RECUEILLIS PAR LAURA PERTUY — : de Sébastien Lifshitz,Ad Vitam (2 h 15), sortie le 26 août

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CASEY

ANNA

PNIOWSKY

AFFLECK

UN FILM DE

CASEY AFFLECK

12

Aoรปt


MICROSCOPE

LE DAMNÉ

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : Good Time de Josh et Bennie Safdie.

La

BOBINES

vitesse trouve son chemin partout dans Good Time, jusque dans la lenteur. À mi-chemin, le film est à l’arrêt, et soudain ça accélère de l’intérieur, dans le récit qu’un type fait au sujet de la cavale insensée qui l’a conduit là, sur la banquette arrière d’une voiture avec la gueule tapissée de bosses et de plaies grotesques, enrubanné en momie ivrogne et par ce fait confondu avec un autre, par Connie, le héros du film, qui l’a kidnappé à l’hôpital en le prenant pour Nick, son frère. Depuis le début, la vitesse plane comme un vautour, prête à fondre sur la moindre

Un personnage livré à son sort burlesque (tomber, jusqu’à tomber une fois de trop). promesse de quiétude. Ici elle s’enroule comme un serpent dans les mots de l’homme à la tête délabrée, qui est un personnage fantastique, comme tous les seconds rôles de Good Time. Le moindre « second rôle » y obéit à une règle tacite observée par Serge Daney voilà trente ans au sujet du Van Gogh de Maurice Pialat. Est réussi, disait-il, tout personnage dont on sentirait tout de suite qu’il n’a « pas que ça à faire ». Autrement dit qu’il a une vie de part et d’autre de son apparition, dont on pourrait déduire un film entier. Entre deux apparitions, il a « pris l’air, pris des couleurs, pris le temps ». Dans Good Time plusieurs ont pris, plutôt, des coups, on

ne sait comment, et leurs gueules ravagées sont un moyen brillant de marquer sur eux l’empreinte d’une vie vécue. Quant aux autres, ils n’ont, au minimum, pas que ça à faire en effet : la vitesse de Connie est cernée par une somme de petites vitesses, rodant en nuée comme des moucherons. Pourtant, les trois plus importants « seconds rôles » du film sont aussi les plus lents, et même, les plus allergiques à la vitesse (c’est bien pour cela qu’ils sont les principaux seconds rôles, parce qu’ils donnent une dynamique au film en contrariant le marathon électrique de Connie). Il y a Nick, le frère, handicapé, accablé d’un tenace état de confusion ; une adolescente molle ; et Ray, donc, sur la banquette avec sa gueule cassée, qui raconte ses déboires insensés. Dans la course folle du film, son récit rocambolesque est un détail. Mais c’est aussi une double et formidable synthèse : du film, et du personnage. Du film dont il reproduit en miniature, comme un solo de jazz, la cadence et le sujet – une absurde cavale pour échapper aux flics, conclue sur une chute fatale. Du personnage, dont il résume le destin : il est fait pour tomber, littéralement. D’ailleurs, c’est lui qui tombe dans les deux cas, à la fin de son histoire, à la fin du film. Ce personnage merveilleux (et merveilleux acteur, Buddy Duress, qui a connu la prison avant le film et y est retourné depuis, indécrottable) est un cas flagrant d’allergie à l’accélération. Un personnage qui ne demande rien qu’un peu de calme pour se défoncer tranquille, et qui est pris, titubant, dans des bourrasques de vitesse, à cause d’une histoire de LSD ou d’un type qui le kidnappe en le prenant pour un autre. Personnage à idée fixe (« I’m not going back to jail! »), courant comme un poulet sans tête, son grand corps secoué par la vie comme un chiffon et livré sans ménagement à son sort burlesque (tomber, jusqu’à tomber une fois de trop) : le plus authentique damné des films de l’époque. • JÉRÔME MOMCILOVIC

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BOBINES

MICROSCOPE

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A P S A R A

F I L M S

P R É S E N T E

S AND RI NE B O N N AI RE B R I G I T T E RO ÜAN

AUR E AT I KA

S AR AH ST ER N

KE NZ A FO RTA S

UN F I LM DE

MAR I O N L AINE

L IB RE ME NT IN SP IR É DU ROMA N CHAMBRE 2 D E JU LI E B ONN I E , P U B L IÉ AUX E DI TI ONS B EL FOND (P L ACE D E S E DI TE U RS , 2 0 13)

LUCIE FAGEDET

NADÈGE BEAUSSON-DIAGNE

STÉPHANE DEBAC

CLAIRE DUMAS

ALICE BOTTÉ

ELSA MADELEINE

S C ÉN ARI O MAR I ON L A I NE AVE C LA C O LLA B O R ATIO N DE JUL I E BO N NI E, LAU RA PI A N I MUSIQ UE O RI G I N ALE BÉAT R IC E T HI R I ET 1 È R E ASSI STAN T RÉ ALI SAT RI C E DOM I N IQ U E F UR GÉ SC RI P T E MA RGOT S EBA N IM AGE BRI C E PA N C OT M ONTAGE CL ÉM EN C E CAR R É S ON LU DOVI C ESCAL L I ER, MUR I EL M OR EAU, OL I VI ER GU I L L AU M E D IR ECT ION D E PROD U CT ION AN N E- C L A IR E C R ÉAN C I ER R É G I E ST ÉPH AN I E D EL BO S DÉ CO RS FR ÉDÉ RI QU E E T FR ÉD ÉRI C L A PI ER RE CO ST U M E S SO PHI E B ÉGON - FAGE M AQ U I LLAG E SAR A H M ES C OF F C H E F É LE CT RI C I E N BEN OÎ T J OL I VET C H E F M ACHINER IE THI BAU D C L OAR EC PROD U IT PAR MA RI N E A RR I GH I D E CASA N OVA EN AS S OCIAT ION AVEC PY R AM I D E AVEC L A PAR T ICIPAT ION D E CAN A L +, OC S AVE C L E SO UTIE N DE LA PRO CI R EP, LA R ÉGI O N SU D, LA R ÉG IO N NO U VEL L E- AQ UI TAI N E, LE D ÉPA RT EM EN T D E L A C H AR EN T E- M AR I T I ME E N PART E N ARI AT AVEC L E C N C EN AS S OCIAT ION AVEC LA BA N QU E PO STAL E I MAGE 1 2 D IST R IBU T ION ET VENT ES INT ER NAT IONAL ES PY R AM I D E


‘‘ Un manifeste en faveur de ces héroïnes du quotidien ’’ LE JO U RN AL D E S FEMME S


8 JUIL.

14 JUIL.

Felicità de Bruno Merle, Rezo Films (1 h 22), page 90

Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi et John Wax, Gaumont (1 h 30) page 44

Été 85 de François Ozon, Diaphana (1 h 40), pages 24 et 26

Les Meilleures Intentions d’Ana García Blaya, Épicentre Films (1 h 27), page 90

Celles qui chantent collectif, Les Films Pelléas (1 h 15), page 74

Le Sel des larmes de Philippe Garrel, Ad Vitam (1 h 40), page 48

La Nuit venue de Frédéric Farrucci, Jour2fête (1 h 35), page 90

Malmkrog de Cristi Puiu, Shellac (3 h 20), page 74

La Voix du succès de Nisha Ganatra, Universal Pictures (1 h 54)

Chained de Yaron Shani, Art House (1 h 52), page 76

15 JUIL.

22 JUIL. The King of Staten Island de Judd Apatow, Universal Pictures (2 h 16), page 68

L’Envolée d’Eva Riley, Arizona (1 h 23), page 90

Abou Leila d’Amin Sidi-Boumédiène, UFO (2 h 15), page 64

Lands of Murders de Christian Alvart, KMBO (2 h 09), page 91

Lucky Strike de Kim Yong-hoon, Wild Bunch (1 h 48), page 90

Sapphire Crystal de Virgil Vernier, Shellac (31 min), page 66

Madre de Rodrigo Sorogoyen, Le Pacte (2 h 09), page 91

La Forêt de mon père de Vero Cratzborn, KMBO (1 h 31)

Beloved de Yaron Shani, Art House (1 h 48), page 76

Né à Jérusalem (et toujours vivant) de Yossi Atia et David Ofek, ARP Sélection (1 h 23), page 91


Tiempo después de José Luis Cuerda, Tamasa (1 h 35)

29 JUIL.

Eva en août de Jonás Trueba, Arizona (2 h 09), page 78

White Riot de Rubika Shah, Les Bookmakers / The Jokers (1 h 20), page 80

Voir le jour de Marion Laine, Pyramide (1 h 31), page 94

Yakari Le film de Xavier Giacometti et Toby Genkel, Bac Films (N. C.), page 94

Tijuana Bible de Jean-Charles Hue, Ad Vitam (1 h 32), page 70

Le Défi du champion de Leonardo D’Agostini, Destiny Films (1 h 45), page 92

Terrible jungle d’Hugo Benamozig et David Caviglioli, Apollo Films (1 h 31), page 76

Just Kids de Christophe Blanc, Rezo Films (1 h 43), page 92

Mulan de Niki Karo, Walt Disney (1 h 55), page 10

The Climb de Michael Angelo Covino, Metropolitan FilmExport (1 h 38), page 91

The Vigil de Keith Thomas, Wild Bunch (1 h 28), page 92

Never Rarely Sometimes Always d’Eliza Hittman, Universal Pictures (1 h 42), page 18

Hotel by the River de Hong Sang-soo, Les Acacias (1 h 36), page 91

5 AOÛT L’Infirmière de Kōji Fukada, Art House (1 h 44), page 78

12 AOÛT

19 AOÛT

Mano de obra de David Zonana, ARP Sélection (1 h 23), page 80

Light of My Life de Casey Affleck, Condor (1 h 59), page 92

Epicentro de Hubert Sauper, Les Films du Losange (1 h 47), page 82

The Perfect Candidate de Haifaa al-Mansour, Le Pacte (1 h 45), page 92

Mignonnes de Maïmouna Doucouré Bac Films (1 h 35) page 82


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Family Romance, LLC de Werner Herzog, Nour Films (1 h 29), page 84

Grand frère de Liang Ming, ASC (1 h 44), page 95

A Perfect Family de Malou Leth Reymann, Haut et Court (1 h 33), page 94

Citoyens du monde de Gianni Di Gregorio, Le Pacte (1 h 31), page 95

La Femme des steppes, le Flic et l’Œuf de Wang Quanan, Diaphana (1 h 40), page 94

Spycies de Guillaume Ivernel, Eurozoom (1 h 39), page 98

Antigone de Sophie Deraspe Les Alchimistes (1 h 49), page 95

9 SEPT. Adolescentes de Sébastien Lifshitz, Ad Vitam (2 h 15), page 50

LANDI STUDIOS ET MOGO FILM LABS PRÉSENTENT EN ASSOCIATION AVEC OCTOBER HAVERST CULTURE MEDIA UNE PRODUCTION STARLIGHT FILMS LLC ET NEW THEATER UNION UN FILM DE WANG QUANAN “ÖNDÖG” E. DULAMJAV D. AORIGELETU ET B. NOROVSAMBUU DIRECTEUR ARTISTIQUE BATER SUPERVISEURS POST PRODUCTION SON WANG CHANG RUI WANG XULIANG SUPERVISEUR VFX CHUNG BOLIANG COORDINATION DE LA MUSIQUE MA PENG MONTAGE MUSIQUE ZHONG WEI MONTAGE IMAGE WANG QUANAN YANG WENJIAN MUSICIENS BATERZHAORIGE (MGL) D.SHINETSOGGENI (MGL) COSTUMES ZHALANQIQIGE DELIGEER (MGL) DÉCORS BATER DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE AYMERICK PILARSKI (FRA) DIRECTEURS DE PRODUCTION YUANHUI BAODE COPRODUCTEURS JI WENWEN YUAN XIBO RUAN XIAO WANG CHANGRUI COPRODUCTEURS EXÉCUTIFS ZHANG WENXIAN RUAN XIAO WANG CHANGRUI JEANCY XU JINGCHUN PRODUCTEURS EXÉCUTIFS D. BYAMBATSOGT (MGL) YING YE YUANHUI PRODUIT PAR WANG QUANAN ÉCRIT PAR WANG QUANAN RÉALISÉ PAR WANG QUANAN

Lil’Buck Real Swan de Louis Wallecan, Sophie Dulac (1 h 25), page 94

2 SEPT. avenue b productions et vito films présentent

26 AOÛT

marina foïs

un film de avec Jacqueline KaKOu

jonathan cohen

Les Joueuses #PasLàPourDanser

de Stéphanie Gillard, Rouge (1 h 28), page 62

Énorme de Sophie Letourneur, Memento Films (1 h 41), page 34

Rocks de Sarah Gavron, Haut et Court (1 h 33), page 88

Ema de Pablo Larraín, Potemkine Films (1 h 42), page 72

Sole de Carlo Sironi, Les Valseurs (1 h 40), page 95

Poissonsexe d’Olivier Babinet, Rezo Films (1 h 28), page 88

La Daronne de Jean-Paul Salomé, Le Pacte (1 h 46)

À cœur battant de Keren Ben Rafael, Condor (1 h 30), page 95

Un soupçon d’amour de Paul Vecchiali, Épicentre Films (1 h 32)

sophie letourneur

ayala cOuSTeau vicTOr uZZan alexandre Berrurier andrée nuryMBerG GHelFi PriSca JaMi anne JOnqueT JudiTH arOnOviTcZ et l’équiPe de l’HôPiTal TrOuSSeau virGinie GOSSeZ et l’équiPe de la MaTerniTé deS BlueTS eMManuel HOndré et PHiliPPe PrOvenSal de la PHilHarMOnie de PariS

scenario sophie letourneur et mathias gavarry adaptation et dialogues sophie letourneur produit par caroline bonmarchand et isaac sharry assistants mise en scene romy engels et guillemette coutelier image laurent brunet montage jean-christophe hym et michel klochendler son guillaume le braz et joseph de laage montage son loic prian et nicolas moreau mixage emmanuel croset et olivier guillaume etalonnage christophe bousquet musique bruno fontaine et françois labarthe directeur de production thomas paturel directrice de post-production xenia sulyma regie mathieu santoni une coproduction avenue b productions vito films en association avec memento films distribution indie sales company cinemage 13 l’orchestre national d’ile-de-france le studio by orchestre national d’ile-de-france avec la participation de canal+ et cine+ avec le soutien de la region ile-de-france et le centre national du cinema et de l’image animee distribution france memento films distribution ventes internationales indie sales company

Madame de Stéphane Riethauser, Outplay (1 h 34), page 84

Dans un jardin qu’on dirait éternel de Tatsushi Ōmori, Art House (1 h 40), page 86

Effacer l’historique de Gustave Kervern et Benoît Delépine, Ad Vitam (1 h 46), page 86


Par le réalisateur de NO, NERUDA et JACKIE Mariana Di Girólamo

Gael García Bernal

MAGISTRAL Première

HYPNOTIQUE The Wrap

UNE ODYSSÉE VISUELLE Time Out

ÉLECTRISANT La 7e Obsession

Ema

un film de

Pablo Larraín

AU CINÉMA LE 2 SEPTEMBRE

FABULA PRÉSENTE UN FILM DE PABLO LARRAÍN MARIANA DI GIROLAMO GAEL GARCÍA BERNAL “EMA” PAOLA GIANNINI SANTIAGO CABRERA MUSIQUE COMPOSÉE PAR NICOLAS JAAR SON ROBERTO ESPINOZA DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE SERGIO ARMSTRONG ADFCH CHEFS COSTUMIERS MURIEL PARRA FELIPE CRIADO CHEF DÉCORATEUR ESTEFANÍA LARRAÍN MAQUILLAGES ET COIFFURES MARGARITA MARCHI CONSEILLER ARTISTIQUE CRISTIÁN JOFRÉ CHORÉGRAPHE JOSÉ VIDAL MONTAGE SEBASTIÁN SEPÚLVEDA POST PRODUCTION CRISTIÁN ECHEVERRÍA FELIPE INOSTROZA PRODUCTEUR EXÉCUTIF EDUARDO CASTRO PRODUCTEURS ASSOCIÉS PAULA KRAUSHAAR CATALINA ADONI ALFREDO ADONI PRODUCTEURS DÉLÉGUÉS ROCÍO JADUE MARIANE HARTARD PRODUIT PAR JUAN DE DIOS LARRAÍN ÉCRIT PAR GUILLERMO CALDERÓN PABLO LARRAÍN ALEJANDRO MORENO RÉALISÉ PAR PABLO LARRAÍN


ZOOM ZOOM

LES FILMS DU MOIS À LA LOUPE

LES JOUEUSES.

#PASLÀPOURDANSER Ce documentaire consacré à la redoutable équipe féminine de l’Olympique lyonnais propose un point de vue inédit tant sur les coulisses du football contemporain que sur la place des femmes dans le sport de haut niveau. Retranscrivant l’adrénaline de la compétition tout en explorant des thématiques plus inattendues, comme celle du lien intergénérationnel entre joueuses, le film de Stéphanie Gillard est un inspirant témoignage féministe, doté d’une grande force visuelle et sensorielle.

Quatorze

titres de championne de France et six Ligues des champions : l’équipe féminine de l’Olympique lyonnais règne actuellement sur le football européen. Immergée pendant plusieurs mois dans ce groupe pour en comprendre les exceptionnelles performances, Stéphanie Gillard a opéré une précieuse auscultation des sensations collectives propres à la compétition de haut niveau. Elle nous plonge, dès la scène d’ouverture, dans un match filmé à hauteur de footballeuses au sein duquel les sonorités, les contacts physiques et les efforts haletants rappellent que le sport pratiqué ici est bien le même que celui des catégories masculines. Fixées sur leur objectif d’un triplé Championnat – Coupe de France – Ligue des champions lors de la saison 2019, les stars de l’OL sont observées au travers d’entraînements et d’obligations quotidiennes qui donnent lieu à des séquences tour à tour solennelles et décontractées, éclairant à chaque fois le fonctionnement du groupe. Un groupe aussi soudé qu’hétéroclite, composé de personnalités aux tempéraments et aux nationalités multiples, qui permet aussi de retracer – notamment en compagnie de l’expérimentée Wendie Renard – les évolutions qu’a connues le football féminin depuis la création de la


FILMS

— : de Stéphanie Gillard, Rouge (1 h 28), sortie le 9 septembre

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section féminine de l’OL en 2004. On mesure ainsi combien la situation des footballeuses a changé en quinze ans, passant du statut amateur au statut professionnel, occasion pour la réalisatrice de traiter les questions de la transmission entre les générations de joueuses et de la pérennisation d’un esprit d’équipe (thèmes déjà présents dans son documentaire The Ride, qui suivait des cavaliers sioux). Reste le triste constat du fossé financier et médiatique qui continue de séparer les équipes féminines et masculines… Dans une séquence marquante, des joueuses, en visite dans une école primaire, conseillent aux petits garçons d’enfin accepter de jouer avec les petites filles. Malgré ce rôle de modèles à suivre pour les jeunes – particulièrement depuis la dernière Coupe du monde féminine –, les footballeuses de l’OL doivent lutter inlassablement pour la reconnaissance. La solidarité et la sororité deviennent alors les conditions absolues de l’excellence sportive, phénomène que le documentaire saisit parfaitement. • DAMIEN LEBLANC

À quoi renvoie le sous-titre #PasLàPourDanser ? À la remarque sexiste adressée à la joueuse Ada Hegerberg lorsqu’elle a reçu le Ballon d’or en 2018. Mais je n’ai pas mis d’images de cette cérémonie dans le film, car c’était trop hétérogène par rapport à la grammaire d’ensemble. Le titre renvoie aussi aux nombreuses archives que j’ai regardées sur le foot féminin – les reportages faisaient systématiquement référence à la danse, aux entrechats, à une prétendue grâce féminine. J’ai trouvé ça hallucinant : en gros, une fille est juste là pour danser. C’est Billy Elliot inversé. Aviez-vous en tête des documentaires de référence sur le football ? J’en avais deux. Les Yeux dans les Bleus de Stéphane Meunier, car c’est le film de vestiaire par excellence, où on découvre une équipe et ses personnalités. Et Zidane. Un portrait du xxi e siècle de Douglas Gordon et Philippe Parreno, qui a été déterminant quant à ma manière de filmer les matchs ; même si on n’avait pas dix-sept caméras comme eux, mais seulement deux. On a voulu capter ce que les joueuses entendent quand elles sont sur le terrain et tenter de comprendre les émotions par lesquelles elles passent. Le film traite de questions féministes, mais n’en fait pas son unique sujet. J’ai décidé de ne poser aucune question sur ce thème, car il allait forcément se présenter de lui-même. Je m’identifie beaucoup à elles, je suis réalisatrice, et c’est aussi un métier d’hommes. Nous, on fait l’activité qu’on aime, mais c’est l’environnement extérieur qui met en doute notre légitimité. Et on voit dans le film que c’est en montrant aux jeunes footballeuses par quelles difficultés sont passées les anciennes qu’elles seront plus fortes. Ce processus concerne les femmes dans de nombreux autres domaines.

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© JEAN-MARC BOUZOU

3 QUESTIONS À STÉPHANIE GILLARD


FILMS

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ABOU LEILA

En

confrontant ses deux antihéros aux mirages ineffables du Sahara, le cinéaste algérien Amin Sidi-Boumédiène signe un audacieux premier long métrage en forme de trip solaire et fantasmatique. Nous sommes en 1994, pendant la décennie noire d’une Algérie confrontée aux attaques islamistes. Lotfi, gaillard patibulaire – interprété par l’acteur et cinéaste Lyes Salem –, arpente les routes avec son ami S., atteint de troubles du comportement, pour en finir avec le terroriste Abou Leila. Mais existe-t-il seulement ? Ils n’ont en poche qu’un portrait de cet homme, et personne ne semble le reconnaître… C’est de ce MacGuffin que le film tire sa force romanesque, s’amusant à créer de multiples fausses pistes comme autant de passerelles entre les genres. Du polar au road movie, du surréalisme lynchien aux pures scènes d’horreur graphique, le cinéaste en extrait les motifs pour mieux se les réapproprier. Abou Leila, plus que leur simple assemblage, en est ainsi l’épure quasi abstraite – au gré de ce périple, point d’explosions guerrières, mais l’implosion de nos deux hommes, seuls face aux démons d’un pays devenu paranoïaque. Le duo central à la Rain Man (Barry Levinson, 1989) – entre les deux héros, l’incompréhension mutuelle

se mêle à une tendresse toute fraternelle – est pour beaucoup dans la beauté de ce film d’itinérance où l’on aime à se perdre. Outre ses variations d’échelles entre l’immensité du désert et des lieux confinés à la dimension anxiogène (la voiture ou des chambres d’hôtel miteuses), le cinéaste joue aussi de nos peurs dans des séquences hallucinatoires desquelles on se réveille comme sonné. C’est que le cadre du récit, dont les contours se floutent progressivement, tient beaucoup d’un espace mental à la temporalité figée ; rien ne semble bouger si ce n’est le tout-terrain des protagonistes, s’éloignant toujours un peu plus de la quête initiale. L’aridité du Sahara, couplée à la nébulosité de l’intrigue policière, tend à créer une sensation d’épuisement, et le récit, à se vider de sa substance. Comme le font les deux hommes perdus dans le désert de sel de Gerry (Gus Van Sant, 2004), Lotfi et S. errent en fantômes ; gangrenés par la psychose, ils subissent eux-mêmes la violence qu’ils sont censés pourchasser. • DAVID EZAN

Lotfi et S. errent en fantômes, gangrenés par la psychose.

— : d’Amin Sidi-Boumédiène,

UFO (2 h 15), sortie le 15 juillet

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FILMS

SAPPHIRE CRYSTAL

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Creusant

son sillon en toute indépendance, Virgil Vernier (Orleans, Mercuriales) poursuit une œuvre qui compte parmi les plus inclassables et les plus excitantes du jeune cinéma français. Son nouveau film, moyen métrage dans l’opulence genevoise, explore une autre facette du monde moderne. Des jeunes discutent de la crystal shower, un jeu consistant, en boîte de nuit, à payer des bouteilles de champagne hors de prix pour en asperger les clients. S’il avait pris l’habitude de tourner en pellicule pour sublimer décors et visages, Vernier opte cette fois-ci pour l’image dégradée d’un simple iPhone et se tourne a priori vers ce qu’il y a de plus détestable : une jeunesse déconnectée qui, depuis son cocon suisse, aime à étaler sa richesse. On la suit pourtant lors d’une soirée banale, au champagne et à la coke tristes, qui débute en boîte et se termine par une errance groggy dans des rues vides. On devine que le film n’est pas tout à fait une fiction et que, comme

souvent chez le cinéaste, la ville autour des personnages reflète leur âme. Dans Andorre (2013), Vernier filmait un espace enclavé, aseptisé et entièrement dédié à la consommation comme une ville dystopique. Genève ne l’est pas moins, les immenses logos de marques de luxe qui ornent les façades et l’ostentation de son célèbre jet d’eau la rendant presque inquiétante. La dimension mythologique, composante essentielle de l’œuvre du cinéaste, trouve ici un sens des plus ironiques, puisqu’un jeune se réjouit que ces logos cachent les étoiles. Si la couronne de Rolex est ainsi filmée comme le nouveau guide spirituel d’une jeunesse qui ne croit plus qu’au matérialisme, la grande beauté du film tient surtout à ce que Vernier filme ses personnages, héritiers d’un système qui les dépasse, dans tout leur charme candide. • DAVID EZAN

— : de Virgil Vernier, Shellac (31 min),

sortie le 15 juillet

3 QUESTIONS À VIRGIL VERNIER À quel point le film est-il écrit ? J’ai fait le casting sur Instagram, en repérant des jeunes qui avaient l’habitude d’aller dans la boîte la plus huppée de Genève. Je n’aime pas les dialogues trop écrits, mais j’ai élaboré des situations précises en m’inspirant du vécu de ces jeunes. Ils incarnent en quelque sorte leur propre rôle.

Pourquoi avoir choisi de tourner à l’iPhone ? Autant la pellicule servait à sublimer un réel qui n’avait pas cet éclat immédiat, autant, pour filmer des gens qui brillent déjà comme des diamants, j’ai pensé qu’il fallait les démythifier en choisissant un support délibérément pauvre. Ce support dit aussi quelque chose du ton, du point de vue du film. 66

Que cherchiez-vous à révéler de cette jeunesse ? J’ai voulu comprendre pourquoi ce modèle d’ultrarichesse était devenu, dans le milieu du rap ou dans l’univers d’Instagram, le fantasme dominant. Mais ces jeunes ressemblent à n’importe quel post-ado de leur âge et, malgré leur capital économique, ils sont encore touchants dans leur maladresse.


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en salles le 5 août Arizona Distrib.


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THE KING OF STATEN ISLAND

Après

une décennie 2010 moins inspirée (40 ans. Mode d’emploi, Crazy Amy), Judd Apatow remet en jeu sa couronne de roi de la comédie états-unienne avec The King of Staten Island ; et la conserve haut la main, nous arrachant quelques larmes au passage. Vingt-quatre ans, toujours chez maman. Oh, Scott a des excuses, bien sûr. Ce Tanguy tatoué souffre de troubles de l’attention, d’une maladie intestinale et d’une bonne grosse dépression. Quand sa mère décide de sortir de dix-sept ans de veuvage, Scott se retrouve face à ses propres impasses. Chômeur, vaguement maqué, l’éternel ado végète avec ses potes fumeurs de weed, confortablement vautré dans son refus de grandir. Les fans de Judd Apatow ne seront pas dépaysés. Typique de ses alter ego, ce nouveau Peter Pan des suburbs s’inscrit dans la lignée antihéroïque entamée il y a quinze ans avec 40 ans, toujours puceau. Sauf que, loin de se limiter à cette veine régressive, le réalisateur creuse en parallèle un sillon plus névrosé, celui de Funny People – c’est là encore l’histoire d’un clown triste refusant de regarder sa tragédie en face. Car Scott a beau dégainer des blagues macabres, il ne s’est jamais vraiment remis du décès de son père, pompier mort en héros et dont la légende,

plus encombrante que l’absence, l’empêche d’avancer. Dans le rôle de ce fils torturé, on découvre le visage cartoonesque de l’excellent Pete Davidson, humoriste lui aussi orphelin d’un père soldat du feu disparu dans les décombres du World Trade Center. Semi-biographique, le film imagine son parcours s’il n’avait pas percé au Saturday Night Live, sous la forme « dramédique » d’une ode aux losers à l’imperfection si attachante, avec les terrains vagues de Staten Island pour cadre et les ritournelles plus galvanisantes que justes de Kid Cudi pour B.O. Cette odyssée vers la rive adulte s’avère plus chaotique pour certains. Mais les retardataires sont toujours les premiers dans l’univers d’Apatow. On retrouve avec jubilation son art de la vanne qui s’étire et des seconds couteaux aiguisé avec le soin d’un James L. Brooks – Marisa Tomei, Steve Buscemi, le comique Bill Burr, l’épatante Bel Powley. Tous ces personnages sont tellement attachants que l’on voudrait rester plus longtemps avec chacun d’entre eux. • ÉRIC VERNAY

Les fans de Judd Apatow ne seront pas dépaysés.

— : de Judd Apatow, Universal Pictures (2 h 16), sortie le 22 juillet

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TIJUANA BIBLE

Avec

Tijuana Bible, le réalisateur de Mange tes morts quitte la communauté des Yéniches pour en filmer une autre, qu’il connaît bien : la faune interlope de Tijuana, au Mexique. Mystique et habité. Jean-Charles Hue a déjà tourné plusieurs films dans la cité frontalière mexicaine, régulièrement classée parmi les villes les plus dangereuses au monde. Tijuana Tales notamment, court métrage dont Tijuana Bible esquisse le prolongement fictionnel. Hormis le trio de comédiens principaux, le casting amateur vient des rues décrépites de « TJ » où prostituées, voyous, militaires déportés et junkies cohabitent dans la terreur des cartels de la drogue, sous le soleil de Satan. Hue raconte ce territoire des damnés de la terre à travers l’œil vitreux de Nick, un vétéran de la guerre d’Irak venu s’oublier dans l’héroïne. La rencontre du marine avec Ana, une Mexicaine à la recherche de son frère disparu, va l’obliger à retrouver ses esprits. C’est que les narcotrafiquants règnent sur la Zona norte : chaque faux pas se solde par un aller simple à la fosse commune. Tijuana Bible avance ainsi, sur un chemin de braise semi-documentaire, en partie improvisé, entre purgatoire et enfers,

traçant un classique sillon rédempteur à la Bad Lieutenant d’Abel Ferrara – ce polar halluciné carbure lui aussi à la came et à la religion. Il s’agit de débusquer le Ciel dans les bas-fonds. L’occasion pour Jonathan Ricquebourg, déjà chef opérateur de Mange tes morts, de repeindre en orange le film noir et de changer la crasse des taudis en miracle mordoré. Lorsque Nick marche sur des débris de verre, ce n’est plus une décharge à ciel ouvert, mais une scintillante mer de diamants. Campé par Paul Anderson (vu dans la série Peaky Blinders), le soldat a le corps décharné d’un Christ. Ana (Adriana Paz) arbore l’expression calme d’une madone endeuillée. Quant à l’effrayant boss du cartel local, tout de larmes tatouées sur son crâne raviné, il a l’allure archétypale d’un diable. Mais, comme Ana traquant l’esprit de son frère dans les odeurs pestilentielles du cimetière, comme Nick tripant seul dans sa chambre noire, le truand chauve, tapi au bord des rives asséchées d’un Styx moderne, cherche lui aussi un chemin vers la lumière. • ÉRIC VERNAY

Ce polar halluciné carbure à la came et à la religion.

— : de Jean-Charles Hue,

Ad Vitam (1 h 32), sortie le 29 juillet

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EMA

Après

l’escapade américaine Jackie et ses sixties en 16 mm, retour au Chili et au contemporain pour Pablo Larraín, avec ce nouveau récit de femme en résistance et en butte aux conventions sociales. Tony Manero, Neruda, Jackie, Ema : les prénoms et les patronymes pullulent dans la filmographie du prodige de Santiago. Une œuvre de portraitiste qu’on pourrait presque résumer en une frise de visages soudain ébranlés par les secousses du destin. Après s’être joué des conventions du biopic (la fuite de Pablo Neruda et le travail de deuil de Jackie Kennedy explorés comme de pures tempêtes mentales), le cinéaste se rabat sur la fiction sans rien perdre de son appétit iconoclaste : effets de mise à distance, ruptures de ton, lignes narratives qui filent dans toutes les directions, se contredisent parfois. Ema suit ainsi le combat quotidien d’une jeune danseuse dans son désir d’être mère – désir en forme de rage intérieure, qui devra faire face à toutes les oppositions de son environnement. Soumis à un régime de continuité chaotique qui donne le sentiment que le récit mélange les pièces de plusieurs puzzles, le film s’immerge jusqu’au cou dans la psyché de son héroïne en s’accordant à sa personnalité versatile – tour à tour individualiste et fédératrice,

concupiscente et conflictuelle. Pour le spectateur, c’est une expérience trouble en forme de rêve éveillé, qui trouve ses vecteurs sensibles dans le réseau urbain sinueux de Valparaíso, la musique miroitante de Nicolas Jaar, ou bien les irruptions chorégraphiques de reggaeton ponctuant les péripéties. Car, pour intimes qu’elles soient, les crises ont toujours, chez Larraín, la force de reconfigurer la réalité à leur guise – à grand renfort de cauchemars, de fantasmes ou d’hallucinations prophétiques. Ici, le désir maternel d’Ema (une référence au Madame Bovary de Flaubert ?) répond à une pulsion d’amour autant que d’apocalypse : la gestation y est un événement symbolique propre à tout faire sauter (les normes sociales, les structures de domination, les routines affectives), en imposant au monde la loi d’une volonté individuelle. Plutôt que de reconnecter les femmes aux impératifs de la nature et de la société, la maternité devient dès lors un acte terroriste, une puissance d’ébranlement aux conséquences potentiellement révolutionnaires. • LOUIS BLANCHOT

Le film s’immerge dans la psyché de son héroïne en s’accordant à sa personnalité versatile.

— : de Pablo Larraín,

Potemkine Films (1 h 42), sortie le 2 septembre

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NORDISK FILM PRODUCTION A/S présente

U N FI L M DE MA LO U R E Y M A N N MIKKEL BOE FØLSGAARD KAYA TOFT LOHOLT RIGMOR RANTHE NEEL RØNHOLT image SVERRE SØRDAL, FNF montage IDA BREGNINGE casting ANJA PHILIP maquil age HENRIK STEEN effets spéciaux maquil age THOMAS FOLDBERG costumes CAMILLA NORDBJERG décors SABINE HVIID & KRISTINA KOVACS son THOMAS ARENT & HANS CHRISTIAN ARNT TORP producteur délégué HENRIK ZEIN producteur exécutif CHRISTEL C. D. KARLSEN producteurs MATILDA APPELIN & RENÉ EZRA Écrit et réalisé par MALOU REYMANN. une distribution HAUT ET COURT DISTRIBUTION Produit par NORDISK FILM PRODUCTION A/S En collaboration avec DR avec le soutien du DANISH FILM INSTITUTE

LE 19 AOÛT


FILMS

MALMKROG

— : de Cristi Puiu, Shellac (3 h 20), sortie le 8 juillet

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S’il

troque l’appartement exigu de Sieranevada (2016) pour un manoir en Transylvanie, Cristi Puiu conserve son amour des temps longs et des films de groupe enflammés. Dans son domaine, le mondain Nikolai reçoit ses amis de la haute société. Originaires de divers pays d’Europe mais parlant tous un français soutenu, les protagonistes, personnifiant chacun un idéal précis, sont comme immobilisés par la neige alentour. Chacun y défendra, durant le séjour, son point de vue sur le monde… Adaptant le chant du cygne du philosophe russe Vladimir Soloviev, écrit à l’aube du xxe siècle, le cinéaste roumain fait le pari risqué de consacrer un film à la parole ; une parole qui, contrairement au livre, se déverse en un flux dévorant et ininterrompu. Sans aucune esbroufe, le cinéaste filme brillamment la cruauté d’échanges sentencieux qui, à peine perturbés par le vacarme d’une force omnisciente, pourraient se poursuivre ad nauseam. La dimension quasi fantastique de Malmkrog tient ainsi à l’éternel alanguissement de ces aristocrates retirés du monde qui, feignant d’ignorer les attentions de leurs domestiques, s’épuisent littéralement à penser. • DAVID EZAN

CELLES QUI CHANTENT

— : collectif, Les Films Pelléas (1 h 15), sortie le 8 juillet

En

réponse à une commande de l’Opéra de Paris, quatre cinéastes (dont Karim Moussaoui et Jafar Panahi) ont proposé leur vision singulière de cet art lyrique. Il en résulte ce film solaire, divisé en quatre parties distinctes qui toutes mettent en lumière le chant des femmes dans le monde. Qu’il soit en France (Maria Callas au Palais Garnier dans un collage d’archives baroques chez Sergei Loznitsa, une cantatrice chantant la maladie en miroir d’une malade bien réelle chez la metteuse en scène Julie Deliquet) ou qu’il s’invente ailleurs (de mystérieuses divas algériennes chez Karim Moussaoui, une chanteuse iranienne réduite au silence chez Jafar Panahi), l’opéra est célébré comme pure catharsis. Hors de nos murs, il prend même une autre dimension : les deux remarquables films de Karim Moussaoui et de Jafar Panahi redonnent au chant son caractère primitif et sacré. Celles qui chantent y deviennent alors des prêtresses en Algérie et une insoumise en Iran, le seul fait d’entendre la belle voix meurtrie de cette dernière, en guise de conclusion au film, tenant du vrai miracle. • DAVID EZAN

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AU CINÉMA LE 16 SEPTEMBRE


FILMS

CHAINED / BELOVED

— : de Yaron Shani Art house (1 h 52 et 1 h 48) sorties les 8 et 15 juillet

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Dix

ans après Ajami, un implacable thriller sur fond de conflit israélo-palestinien, l’Israélien Yaron Shani choisit la sphère domestique pour taper encore une fois là où ça fait mal. Avec une lucidité qui fait parfois froid dans le dos, il signe un fascinant diptyque oscillant entre ombre et lumière. Dans Chained (en salles le 8 juillet), il s’intéresse aux mécanismes de la violence masculine en tirant le portrait de Rashi, un flic mis à pied à la suite d’une enquête interne menée par la police de Tel-Aviv. Celui-ci voit son couple avec Avigail, une infirmière qui a eu un enfant d’une première union et qui est enceinte, péricliter. C’est sur cette dernière, ainsi que sur les femmes qu’elle rencontre et qui vont l’ouvrir à d’autres horizons, que Yaron Shani fixe son regard dans Beloved (en salles le 15 juillet). Alternant les points de vue, Shani joue sur les temporalités : la fulgurante descente aux enfers de Rashi contraste avec l’éveil progressif, ample et solaire, d’Avigail. Un jeu de miroir qui en dit beaucoup sur les faux-semblants de la société israélienne, partagée entre une politique sécuritaire et une grande soif de liberté. • JOSÉPHINE LEROY

TERRIBLE JUNGLE

— : d’Hugo Benamozig et David Caviglioli, Apollo Films (1 h 31), sortie le 29 juillet

Dans

les années 1970, en France, on faisait de la comédie foutraque, méchante, absurde et terriblement drôle. Sous l’influence du Jean Yanne de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ou des Chinois à Paris, Terrible jungle ravive cet esprit incorrect, à la fois poétique et acerbe, en s’amusant des tribulations et fantasmes coloniaux d’un jeune anthropologue naïf (Vincent Dedienne), parti à la rencontre d’une tribu cachée dans la jungle amazonienne, et de sa terrible mère dragon (Catherine Deneuve), venue à sa rescousse. Faux film d’aventure, la comédie dérape constamment vers l’absurde, le bizarre, le cynisme, pour dézinguer avec un humour fou l’éternel et terrible mythe du « bon sauvage » et les récits d’exploration émerveillée qui vont avec. Tantôt grinçant jusqu’au malaise, tantôt joyeusement burlesque, le film pousse tous les curseurs à fond et offre à Vincent Dedienne, épatant et inquiétant, un premier rôle à sa démesure. En face, la reine Deneuve s’amuse et forme avec Dedienne et le génial Jonathan Cohen (dans un grand numéro de teubé de compet’) le trio réjouissant d’une comédie dingo qui ne ressemble à aucune autre. • RENAN CROS

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Michel franco présente

Un film de

David Zonana ©CARACTÈRES

DIRECTEUR DE TEOREMA PRÉSENTE ‘MANO DE OBRA’ AVEC LUIS ALBERTIS SON ALEJANDRO DE ICAZA ENRIQUE FERNANDEZ TANCO POSTPRODUCTION JOAKIM ZIEGLER CASTING EDUARDO GIRALT BRUN MONTAGE OSCAR FIGUEROA JARA PRODUCTRICE PRODUCTEUR SCÉNARIO ET DÉCORS IVONNE FUENTES IMAGE CAROLINA COSTA DÉLÉGUÉE SANDRA PAREDES EXÉCUTIF DARIO YAZBEK BERNAL PRODUCTEURS MICHEL FRANCO DAVID ZONANA ERENDIRA NUÑEZ LARIOS RÉALISATION DAVID ZONANA

19 AOÛT


FILMS

EVA EN AOÛT

— : de Jonás Trueba, Arizona (2 h 09), sortie le 5 août

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Errance

estivale dans la moiteur madrilène, le délicieux conte rohmérien de l’Espagnol Jonás Trueba (lire son entretien sur troiscouleurs.fr) remplace la quête de soi par celles des autres. Eva, trentenaire célibataire, s’offre un mois d’août en solitaire dans sa ville, Madrid, pendant que ses habitants sont tous partis en vacances… Pourquoi décide-t-elle de rester seule ? Le cinéaste en fait le mystère du personnage, laissant son passé à la porte afin d’ouvrir le film aux infinies conjectures du présent. Si Eva est d’abord une feuille blanche, elle nous devient profondément intime, non seulement par l’attention que porte Trueba à son intériorité, mais aussi par ce qu’en révèlent ceux qu’elle croise. Issus de rencontres inespérées comme de retrouvailles amères, les multiples personnages s’agrègent autour d’elle en un tissu vivant, véritable matière d’un film pensé comme une ode à l’harmonie du hasard. Hommage sensuel au Rayon vert (d’Éric Rohmer, 1986), Eva en août, dans son émouvante modestie, filme l’été comme le lieu de toutes les réinventions de soi et, à une époque où règne la solitude, redonne de sa force aventureuse au goût des rencontres. • DAVID EZAN

L’INFIRMIÈRE

— : de Kōji Fukada, Art House (1 h 44), sortie le 5 août

Trois

ans après le magistral Harmonium, Kōji Fukada signe un nouveau thriller psychologique pétri de duplicité. Ichiko travaille comme infirmière pour une famille qui la considère comme un de ses membres à part entière. Lorsque la cadette de ce foyer entièrement féminin disparaît, l’employée modèle se retrouve suspectée d’avoir participé à l’enlèvement. Les médias japonais ont tôt fait de la condamner, et un engrenage redoutable vient vite jeter l’opprobre sur Ichiko… Le titre original du film signifie « de profil », comme pour suggérer cette lecture superficielle, ce jugement hâtif sur la personnalité et les actions d’autrui. Déployé sur deux temporalités, L’Infirmière installe un jeu troublant sur l’identité de sa protagoniste (campée par Mariko Tsutsui, déjà inouïe dans Harmonium), oscillant entre sa capacité à s’effacer totalement ou à incarner pleinement ses pulsions manipulatrices et animales. Kōji Fukada, lui, ne tranche jamais et laisse son personnage se démultiplier à l’envi. Une réflexion brillante autour du pouvoir des médias – mais aussi du cinéma – sur notre perception du monde, ainsi qu’une truculente étude de caractère. • LAURA PERTUY

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DU GHETTO DE MEMPHIS AUX ÉTOILES DE LA DANSE CLASSIQUE

AU CINÉMA LE 12 AOÛT


FILMS

WHITE RIOT — : de Rubika Shah, Les Bookmakers / The Jokers (1 h 20), sortie le 5 août

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À

l’heure où les tensions raciales resurgissent outre-Manche dans la lignée du mouvement Black Lives Matter, le documentaire White Riot revient sur les manifestations antiracistes au Royaume-Uni à la fin des seventies. Rien de tel qu’une image d’archive pour prendre le pouls du contemporain : en nous renvoyant le passé, elle nous offre un miroir déformant du monde d’aujourd’hui, soulignant le caractère cyclique de l’histoire. Dans les années 1970, en plein essor du punk au Royaume-Uni, et alors qu’une frange de la jeunesse semble tentée par les contours fascisants du National Front, plusieurs organisations s’élèvent pour mobiliser et réunir les adeptes du punk, du rock et du reggae dans la lutte pour l’égalité et le multiculturalisme. Le montage d’archives de White Riot, composé de citations et d’illustrations emblématiques de l’époque, se visionne comme un livre d’images qui évoque la maquette de Temporary Hoarding, fanzine culte du mouvement Rock Against Racism auquel le documentaire rend hommage. Le documentaire se fait ainsi le témoin d’une époque qui aura, comme d’autres avant et après elle, su résister à la tentation morbide de l’ultranationalisme. • CORENTIN LÊ

MANO DE OBRA

— : de David Zonana, ARP Sélection (1 h 22), sortie le 19 août

Producteur

de Michel Franco (Chronic, Les Filles d’avril), le Mexicain David Zonana réalise un premier long métrage frappant qui pousse loin la lutte ouvrière. De la main-d’œuvre : c’est tout ce que Francisco et ses collègues, ouvriers du bâtiment, représentent pour la bourgeoisie de Mexico. Quand son frère décède d’une chute sur le chantier d’une villa, Francisco n’a pas le temps de digérer son deuil, occupé à se battre pour que sa belle-sœur enceinte soit dédommagée par leur riche employeur – les avocats de celui-ci attribuant l’accident à l’« état d’ébriété » de la victime, pourtant connue pour ne pas boire une goutte d’alcool… Avec une sobriété qui donne toute sa force à son propos, David Zonana met en scène la captivante reprise de terrain opérée par Francisco – qui investit peu à peu la villa – et par sa classe sociale sur la bourgeoisie, sans oublier de sonder les bouleversements éthiques qui surviennent souvent avec l’accession au pouvoir. Tout en réparant symboliquement les maux infligés aux plus précaires, cette utopie anarchiste pointe habilement le risque de reproduire le schéma de domination contre lequel ils luttent. • TIMÉ ZOPPÉ

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« UN HYMNE À LA CONQUÊTE DE LA LIBERTÉ »

UN FILM DE

STÉPHANE RIETHAUSER

OUTPLAY FILMS PRÉSENTE UN FILM DE STÉPHANE RIETHAUSER 1ÈRE ASSISTANTE RÉALISATION MARIE-CATHERINE THEILER 2ÈME ASSISTANTE RÉALISATION ADRIENNE BOVET IMAGE STÉPHANE RIETHAUSER, LUC RIETHAUSER, MARCUS WINTERBAUER MUSIQUE ORIGINALE DAVID PERRENOUD MONTAGE NATALI BARREY MONTAGE ET MIXAGE SON MARTIN STRICKER UNE PRODUCTION LAMBDA PROD COPRODUCTION RTS / SRG SSR AVEC LE SOUTIEN DE CINEFOROM ET DE LA LOTERIE ROMANDE

© Studio 212 / Emilia Da Silva

madame


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EPICENTRO

— : de Hubert Sauper, Les Films du Losange (1 h 47), sortie le 19 août

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Travaillé

par la question des conséquences du colonialisme, le documentariste Hubert Sauper s’attaque ici à l’héritage complexe de Cuba. Vestige communiste jouxtant la toute-puissance capitaliste des États-Unis, l’île n’est plus illuminée que par les flashs de touristes abrités dans les voitures anciennes et les hôtels de luxe. Le cinéaste, lui, s’intéresse au point de vue des Cubains sur leur double statut de victimes – de l’impérialisme espagnol puis américain – et d’icônes révolutionnaires. La force du film tient à l’importance qu’y jouent les enfants, conscients qu’ils sont les héritiers de l’échec du communisme mais déterminés à poursuivre leur « utopie » – mot magique qui revient comme un mantra revigorant. L’espace que leur offre le cinéaste, rare et précieux, adoucit ainsi la noirceur de l’horizon pour laisser place à la génération des révoltés de demain. Rendant hommage à la force de subversion du cinéma (on y croise la petite-fille de Chaplin), Epicentro rappelle aussi, au moyen de faux reportages ayant instrumentalisé Cuba pendant la guerre hispano-américaine, la dimension mensongère que revêt parfois l’image documentaire. • DAVID EZAN

MIGNONNES

— : de Maïmouna Doucouré Bac Films (1 h 35), sortie le 19 août

Après

son court métrage césarisé Maman(s) en 2015, la réalisatrice franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré (lire son entretien sur troiscouleurs.fr) livre un remuant premier long sur une pré-ado qui pousse loin les limites de la rébellion. À 11 ans, Amy étouffe dans sa famille, coincée entre deux petits frères dont elle doit beaucoup s’occuper et une mère débordée qui s’apprête à accueillir son époux et la deuxième femme de celui-ci, qu’il vient d’épouser au Sénégal. Prisonnière des injonctions familiales et des traditions dans lesquelles elle ne se reconnaît pas, Amy trouve une échappatoire en intégrant une bande de filles fières de son école qui s’entraînent pour un concours de danse et dont elle va progressivement érotiser la chorégraphie… Loin du feel-good movie balisé sur la danse, Mignonnes surprend en creusant loin – et intelligemment – ses enjeux : l’hypersexualisation des jeunes filles à l’ère d’Internet, l’équilibre à trouver quand on est tiraillé(e) entre plusieurs cultures et l’immuable et universel obstacle rencontré à l’adolescence : l’humiliation subie quand on s’écarte de la norme. Maïmouna Doucouré signe ainsi un teen movie à la fois original, sensible et édifiant. • TIMÉ ZOPPÉ

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« L’UN DES PLUS BEAUX FILMS D’HONG SANGSOO. » L E S C A H I E R S D U C I N É M A

un film de

HONG SANGSOO

FESTIVAL DE LOCARNO PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE


FILMS

FAMILY ROMANCE, LLC

— : de Werner Herzog, Nour Films (1 h 29), sortie le 19 août

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Au

Japon, une mère célibataire paye un acteur de la société Family Romance afin qu’il endosse, auprès de sa fille de 12 ans, le rôle du père que celle-ci n’a jamais connu. S’aventurant pour la première fois en terres nippones, Werner Herzog, dans ce film fou, interroge les conséquences d’une solitude gangrenée par la peur du jugement. À sujet contemporain, forme contemporaine : le récit est bien fictif, mais il découle d’une réalité documentaire, l’acteur en question (Yuichi Ishii) incarnant son propre rôle puisqu’il est le réel fondateur d’une « agence de location de proches ». Si d’autres cinéastes occidentaux auraient porté un regard acerbe sur de telles pratiques, l’humanisme et l’espièglerie du maître allemand l’emportent dans de courtes saynètes illustrant, en périphérie de l’apprivoisement timide entre le faux père et sa fille, le tragicomique des services fournis par Family Romance. Fidèle à son statut d’explorateur de l’extrême, Herzog démêle ici le vrai du faux d’une société en constante simulation pour révéler, derrière son excitant potentiel absurde, une bouleversante mélancolie de fin de monde. • DAVID EZAN

MADAME

— : de Stéphane Riethauser, Outplay (1 h 34), sortie le 26 août

Exhumant

ses archives familiales, le Suisse Stéphane Riethauser instaure un dialogue fictif avec Caroline, sa grand-mère dissidente, et livre un bouleversant documentaire autobiographique. Sur une vidéo, tournée il y a des années, Stéphane et Caroline se chamaillent dans l’intimité d’une chambre. En rembobinant, Madame révèle leur blessure commune – celle qu’éprouvent ceux qu’on dit différents, incompris par un monde conservateur et patriarcal. Rendant hommage à sa grand-mère décédée, femme d’affaires indépendante aux vies multiples, Stéphane murmure, en voix off, les souvenirs qui lui restent de son éclatante personnalité et de son refus des normes. Jumeau lumineux du sublime Tarnation (Jonathan Caouette, 2004), le film, dans un incroyable collage d’archives diverses et de journaux intimes, retrace l’enfance bourgeoise du cinéaste et les injonctions de virilité qu’imposait son genre. Stéphane y raconte le bridage d’un père exigeant, ses fantasmes adolescents, puis la découverte, hautement taboue, de son homosexualité. Avec une infinie délicatesse, Madame explore la question du genre et, par l’introspection, devient un plaidoyer universel. • DAVID EZAN

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FESTIVAL EUROPÉEN DU FILM DE LUSSAS

PRIX SACEM DU MEILLEUR DOCUMENTAIRE

FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE LA HAVANE

« LE NOUVEAU BUENA VISTA SOCIAL CLUB » TRUE AFRICA

« RÉVOLUTIONNAIRE » DAZED

AFRICA MIA « UN VENT DE CRÉATIVITÉ ET D’UTOPIE » LE MONDE

©Photos : OFF PRODUCTIONS - SRAB FILMS - CRÉDITS NON-CONTRACTUELS

LA FABULEUSE HISTOIRE DES MARAVILLAS DE MALI

UN FILM DE

RICHARD MINIER & EDOUARD SALIER

AU CINÉMA LE 1 6 SEPTEMBRE © 2020 - UMF/OFF PRODUCTIONS - SRAB FILMS


FILMS

DANS UN JARDIN QU’ON DIRAIT ÉTERNEL — : de Tatsushi Ōmori,

Art House (1 h 40), sortie le 26 août

ZOOM

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Le

Japonais Tatsushi Ōmori poétise le rituel inaliénable de la cérémonie du thé dans ce film aussi rigoriste qu’empreint d’une profonde tendresse. Dans le Japon des années 1990, Noriko, étudiante indécise, accompagne sa cousine Michiko au cours de Mme Takeda – la grande Kirin Kiki, dans son dernier rôle au cinéma avant son décès en 2018 –, professeure intransigeante de l’art du thé. Le déploiement si singulier du récit, embrassant la précision des gestes et la répétitivité des exercices à mesure que les deux jeunes femmes s’initient, distille une telle pesanteur que l’on ressent physiquement l’exigence de la pratique. Au-delà du tableau certes saisissant de cette tradition, le cinéaste pénètre l’intériorité de Noriko avec une rare acuité et, au rythme des saisons, il donne à voir l’éclosion de cette femme-enfant. Plus qu’un épanouissement individuel, Tatsushi Ōmori filme l’abandon de Noriko aux vibrations du monde – du ruissellement de l’eau aux gouttes de matcha pendues à son bol. Du minimalisme de la mise en scène, il tire pourtant ce qu’il y a de plus dense : le portrait d’une femme qui, à force de passion et d’apprentissage, trouve un sens à sa vie. • DAVID EZAN

EFFACER L’HISTORIQUE

— : de Gustave Kervern et Benoît Delépine, Ad Vitam (1 h 46), sortie le 26 août

Trois

habitants d’un lotissement de province voient leur quotidien perturbé par les nouvelles technologies. Marie (Blanche Gardin), mère célibataire victime d’un chantage à la sextape, Bertrand (Denis Podalydès), veuf dont la fille est harcelée au lycée, et Christine (Corinne Masiero), chauffeuse VTC freinée dans son activité par les mauvaises notes de ses clients, souffrent ainsi quotidiennement de l’emprise des géants d’Internet mais vont décider de répliquer… En articulant crise sociale de la France périphérique (avec allusion aux « gilets jaunes ») et numérisation accélérée de la société, Benoît Delépine et Gustave Kervern (Louise-Michel, I Feel Good) signent une pertinente tragicomédie dans laquelle la dépendance aux écrans se doit d’être contrée par un projet de résistance collective. Truffé de gags visuels, de silences évocateurs et de cadrages déroutants, ce singulier objet formel à la fantaisie désinvolte, primé au dernier festival de Berlin, répond aux sentiments contemporains d’impuissance et d’aliénation en affichant une foi inébranlable en son geste artistique libérateur. • DAMIEN LEBLANC

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« Un chef d’oeuvre » BANDE À PART

FAMILY ROMANCE, LLC Un film de Werner Herzog

UNE PRODUCTION SKELLIG ROCK ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR WERNER HERZOG AVEC YUICHI ISHII ET MAHIRO TANIMOTO PRODUIT PAR ROC MORIN MUSIQUE ERNST REIJSEGER IMAGE WERNER HERZOG COSTUMES RUTH TZIPORA PRISES DE VUES AÉRIENNES PAR DRONE SIMON HERZOG MONTAGE SEAN SCANNELL DESIGN SONORE ET MIXAGE MARK MANGINI POST-PRODUCTION IMAGE WARNER BROS POST-PRODUCTION SON FORMOSA GROUP VENTES INTERNATIONALES FILM CONSTELLATION DISTRIBUÉ PAR NOUR FILMS

AU CINÉMA LE 19 AOÛT


FILMS

POISSONSEXE

— : d’Olivier Babinet, Rezo Films (1 h 28), sortie le 2 septembre

ZOOM

ZOOM

Ubuesque

romance sur fond de catastrophe environnementale, Poissonsexe cherche un remède aux solitudes modernes. Dans un avenir proche, l’Atlantique se fait le triste écrin d’un lent ballet de sacs plastiques. Daniel (Gustave Kervern), biologiste loufoque, tente de repeupler les eaux en faisant s’accoupler deux minuscules poissons. Lucie (India Hair) occupe, elle, ses insomnies en suivant en ligne la progression de la dernière baleine vivante. Quand, un soir, cet improbable duo repêche une étrange créature sur la plage, s’amorce une histoire d’amour bientôt chahutée par de vives blessures intimes… Olivier Babinet (Swagger) fait de l’extrême solitude de ses personnages – soulignée par les bleus profonds du ciel et de la mer comme par la mystique de la pleine lune – l’écho du délabrement fulgurant de notre monde. En n’offrant à sa galerie d’êtres brillamment écrits d’autre choix que de s’assumer dans leur entière vérité, avec leurs désirs et leurs défaites, le réalisateur dit le besoin de réinvention d’une société en souffrance. Vers un antidote pour sauver l’amour et assurer la survie des espèces ? • LAURA PERTUY

ROCKS

— : de Sarah Gavron, Haut et Court (1 h 33), sortie le 9 septembre

Rocks,

15 ans, vit à Londres avec son petit frère et sa mère, qui disparaît un jour sans crier gare. Livrée à elle-même, la jeune fille fait tout, avec l’aide de ses meilleures amies, pour préserver son frère et échapper aux services sociaux… La Britannique Sarah Gavron (Rendez-vous à Brick Lane, Les Suffragettes) puise dans ses jeunes actrices non-professionnelles toute l’énergie propre à l’adolescence. Un peu comme dans Bande de filles de Céline Sciamma, dont Rocks pourrait être le pendant anglais, elle sonde les doutes qui fragilisent une jeunesse multiculturelle ostracisée, tant du point de vue géographique que social – à ce triste état des lieux, il faudrait ajouter la désertion parentale qui force l’héroïne à grandir plus vite que prévu. Heureusement, rien de tout ça ne plombe le récit. Servi par la photographie lumineuse de la chef opératrice française Hélène Louvart (qui a notamment collaboré avec Agnès Varda et Alice Rohrwacher), ce teen movie qui frôle le documentaire évite de tomber dans le misérabilisme grâce à la spontanéité rafraîchissante de ses comédiennes, pour mieux mettre en valeur les inombrables ressources de celles et ceux qu’on laisse en marge. • JOSÉPHINE LEROY

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“CARLO SIRONI EST UN JEUNE RÉALISATEUR DONT VOUS ENTENDREZ LONGTEMPS PARLER” PAOLO TAVIANI

SOLE UN FILM DE

C ARLO SIRONI KINO PRODUZIONI ET RAI CINEMA PRÉSENTENT “SOLE” AVEC SANDRA DRZYMALSKA, CLAUDIO SEGALUSCIO, BARBARA RONCHI, BRUNO BUZZI, MARCO FELLI, ORIETTA NOTARI ET VITALIANO TREVISAN UNE CO-PRODUCTION ITALO-POLONAISE PAR KINO PRODUZIONI ET LAVA FILMS AVEC RAI CINEMA AVEC LA CONTRIBUTION DE MINISTERO DEI BENI CULTURALI - DIREZIONE GENERALE CINEMA AVEC LE SOUTIEN D’EURIMAGES ET REGIONE LAZIO AVVISO PUBBLICO ATTRAZIONE PRODUZIONI CINEMATOGRAFICHE (POR FESR LAZIO 2014-2020) UNION EUROPÉENNE CO-FINANCÉ PAR POLISH FILM INSTITUTE AVEC LE SOUTIEN DE TORINOFILMLAB ET IDM FILM FUND VENTES INTERNATIONALES LUXBOX SOUND MONTAGE SON MARZIA CORDÓ INGÉNIEUR SON MICHAŁ FOJCIK DIRECTEUR DE PRODUCTION MAURIZIO MILO PREMIER ASSISTANT RÉALISATEUR NICOLA SCORZA MUSIQUE ORIGINALE PAR TEONIKI ROŻYNEK CHEF COSTUMIÈRE OLIVIA BELLINI CHEF DÉCORATRICE ILARIA SADUN CASTING PAR JORGELINA DE PETRIS UN SUJET DE GIULIA MORIGGI, CARLO SIRONI SCÉNARIO DE GIULIA MORIGGI, CARLO SIRONI, ANTONIO MANCA MONTAGE ANDREA MAGUOLO DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE GERGELY POHARNOK CO-PRODUIT PAR AGNIESZKA WASIAK PRODUIT PAR GIOVANNI POMPILI RÉALISÉ PAR CARLO SIRONI

CO-FINANCÉ PAR L’

LE 9 SEPTEMBRE AU CINÉMA


FILMS L’ENVOLÉE

Après la mort de sa mère, Leigh, une ado solitaire vivant près de Brighton, s’entraîne dur à la gymnastique. Son père lunatique lui annonce qu’elle doit désormais vivre sous le même toit que son demi-frère, dont elle n’a jamais entendu parler… Pour son premier long métrage, Eva Riley compose un récit d’apprentissage sensible et nuancé. • Q. G.

— : d’Eva Riley (Arizona, 1 h 23), sortie le 8 juillet

LUCKY STRIKE

Courant après un sac plein de liasses de billets, huit personnages (dont un employé de sauna, une tenancière de bar et un douanier sans scrupules) sont pris dans une spirale d’arnaques sanglantes… Premier long métrage d’un prometteur cinéaste sud-coréen, ce polar en forme de puzzle brille par son éclairage soigné et sa cinglante galerie de bras cassés. • D. L .

— : de Kim Yong-hoon (Wild Bunch, 1 h 48), sortie le 8 juillet

LA NUIT VENUE

Un chauffeur de VTC sans papiers, exploité par la mafia chinoise depuis son arrivée en France, rencontre un soir une stripteaseuse qui se prend d’affection pour la musique de cet ancien DJ. Ensemble, ces deux âmes solitaires tentent d’échapper à une détresse contemporaine, que cet envoûtant film noir à l’ambiance electro retranscrit puissamment. • D. L .

— : de Frédéric Farrucci (Jour2fête, 1 h 35), sortie le 15 juillet

FELICITÀ

Chloé (Camille Rutherford, une révélation) et Tim (Pio Marmaï) mènent une vie de bohème. Mais l’été s’achève et leur fille, Tommy, est impatiente de rentrer au collège… Étalé sur une journée, le film prend des tournants libres et inattendus, à la manière d’un scénario qui s’écrit et fourche, tout en dressant un portrait singulier de la fin de l’enfance. • L. P.

— : de Bruno Merle (Rezo Films, 1 h 22), sortie le 15 juillet

LES MEILLEURES INTENTIONS

Buenos Aires, années 1990. Ballottée entre une mère qui veut déménager en Uruguay et un père immature, Amanda, 10 ans, préférerait vivre avec ce dernier, contrairement à son frère et sa sœur… Avec ses personnages aussi imparfaits que touchants, cette comédie pleine de nostalgie évoque avec tact la lourde charge que peut faire peser la séparation sur les enfants. • J. L .

— : d’Ana García Blaya (Épicentre Films, 1 h 27), sortie le 15 juillet

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FILMS MADRE

Une Espagnole dont le fils a disparu il y a dix ans sur une plage des Landes s’est depuis installée dans le département. Quand elle rencontre un ado qui lui rappelle son enfant, elle plonge dans une spirale inattendue… Après Que Dios nos perdone (2017) et El reino (2019), Rodrigo Sorogoyen met sa caméra virtuose au service d’un intense drame passionnel. • D. L .

— : de Rodrigo Sorogoyen (Le Pacte, 2 h 09),

sortie le 22 juillet

NÉ À JÉRUSALEM (ET TOUJOURS VIVANT)

Natif de Jérusalem, un trentenaire, blasé par les guides touristiques, lance un nouveau genre de visite guidée dans lequel il fait le tour des lieux d’attentats de ces dernières années… La singularité de ce projet aux airs d’autofiction ranime de douloureux souvenirs autant qu’il les exorcise, laissant place, en creux, à une délicate chronique sentimentale. • D. E .

— : de Yossi Atia et David Ofek (ARP Sélection, 1 h 23), sortie le 22 juillet

LANDS OF MURDERS

Dans une Allemagne à peine réunifiée, deux policiers doivent coopérer pour résoudre une affaire de disparition au sein d’une lugubre province… Remake de La isla mínima situé dans le sillage de Memories of Murder – auquel il emprunte beaucoup –, le film reconduit la formule simple mais efficace d’une enquête policière comme miroir des traumatismes de tout un pays. • C. L .

— : de Christian Alvart (KMBO, 2 h 09), sortie le 22 juillet

THE CLIMB

Sur le point de se marier, Kyle profite d’une randonnée à vélo pour annoncer la nouvelle à Mike, son complice de longue date. Une scène d’ouverture qui déraille assez vite quand Mike avoue qu’il a couché avec la fiancée de son ami… Récit d’une bromance étonnamment sensible, cette comédie américaine se démarque par ses délicieux plans-séquences. • O. M.

— : de Michael A. Covino (Metropolitan FilmExport, 1 h 34), sortie le 29 juillet

HOTEL BY THE RIVER

Poursuivant, en toute indépendance, ses déclinaisons rohmériennes avec sa muse Kim Min-hee, Hong Sang-soo raconte les errances d’un poète solitaire et d’une jeune femme mélancolique dans les couloirs vides d’un hôtel cerné par la neige. Le film, l’un de ses plus troublés, envoûte par sa sinuosité temporelle et son noir et blanc diaphane. • D. E .

— : de Hong Sang-soo (Les Acacias, 1 h 36), sortie le 29 juillet

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FILMS JUST KIDS

Une fratrie se retrouve brutalement orpheline. L’aîné voit partir sa sœur et doit assurer la tutelle de son petit frère… Portrait sans fard d’ados désaxés, ce drame familial, qui dépoussière le genre, trouve une grâce inattendue dans son casting de jeunes talentueux – dont l’acteur montant Kacey Mottet Klein (Keeper, 2016 ; L’Adieu à la nuit, 2019). • D. E .

— : de Christophe Blanc (Rezo Films, 1 h 43), sortie le 5 août

LE DÉFI DU CHAMPION

Une jeune star de l’AS Roma brûle la vie par les deux bouts. Après le scandale de trop, le président du club lui lance un ultimatum : s’il ne passe pas son bac, il est viré. Le footballeur va devoir accepter l’aide d’un prof particulier désabusé… Stefano Accorsi prend visiblement plaisir à camper ce loup solitaire rafraîchi par un jeune trublion au grand cœur. • T. Z .

— : de Leonardo D’Agostini (Destiny Films, 1 h 45), sortie le 5 août

THE VIGIL

Un New-Yorkais ayant fui sa communauté juive orthodoxe accepte d’assurer la veillée funèbre d’un vieil homme selon les rites de cette religion. Isolé une nuit avec la dépouille et l’étrange veuve, il est témoin de phénomènes paranormaux… Si ce premier long n’évite pas tous les clichés du genre horrifique, l’originalité du récit lui donne un éclat particulier. • T. Z .

— : de Keith Thomas (Wild Bunch, 1 h 28),

sortie le 5 août

LIGHT OF MY LIFE

Dans un monde où un virus a décimé presque toute la population féminine, un père et sa fille sont en fuite… Casey Affleck (Manchester by the Sea), qui campe aussi le rôle principal masculin, s’attache d’abord à dépeindre l’attachante relation des héros. La deuxième partie du film, versant plus dans le survival classique, n’en apparaît que plus efficace. • Q. G.

— : de Casey Affleck (Condor, 1 h 59), sortie le 12 août

THE PERFECT CANDIDATE

Désirant postuler pour un job à Riyad, Maryam, médecin dans une petite ville saoudienne, est empêchée de prendre l’avion : elle n’est pas mariée et n’a pas d’autorisation signée par son père. Elle décide de se présenter aux élections municipales pour changer les choses… Ce drame politique narre avec subtilité le combat d’une femme contre de solides plafonds de verre. • J. L .

— : de Haifaa al-Mansour (Le Pacte, 1 h 45), sortie le 12 août

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New Fes Ima tiva ges l

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FILMS VOIR LE JOUR

Jeanne, auxiliaire taiseuse dans une maternité, cache son passé à ses collègues comme à sa fille unique. Un jour, ses vieux démons refont surface… Donnant à voir le quotidien chargé des sages-femmes, le film vaut aussi pour le rôle sur mesure offert à la grande Sandrine Bonnaire, touchante en mère célibataire reprenant possession de son être. • D. E .

— : de Marion Laine (Pyramide, 1 h 31), sortie le 12 août

YAKARI. LE FILM

Yakari rêve de pouvoir apprivoiser Petit-Tonnerre, l’indomptable mustang. Lorsque le jeune Sioux parvient à sortir le cheval d’un mauvais pas, il obtient en récompense le don de communiquer avec les animaux … Fidèle à l’esprit de la BD, le film de Xavier Giacometti et Toby Genkel fait la part belle aux questions d’écologie et de respect de la nature. • S. V.

— : de Xavier Giacometti et Toby Genkel (Bac Films), sortie le 12 août

LIL’BUCK. REAL SWAN

Superbement filmé, ce documentaire offre une plongée historique dans le milieu bigarré de la danse urbaine de Memphis tout en s’attachant à un prodige local : Lil’Buck. Lui qui a eu la brillante idée de mélanger la danse du cru, le jookin’, avec la danse classique s’est fait repérer par Benjamin Millepied et est devenu un maître incontesté de son art. • T. Z .

— : de Louis Wallecan (Sophie Dulac, 1 h 25), sortie le 19 août

LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’ŒUF

Le corps d’une femme est retrouvé au cœur de la steppe mongole. Un policier simple d’esprit et une bergère doivent veiller sur les lieux du crime… Star du nouveau cinéma chinois, Wang Quanan renoue avec le cadre mystico-rural du Mariage de Tuya, Ours d’or 2007, et, d’un tissu de plans-séquences, pousse l’épure formelle jusque dans ses retranchements. • D. E .

— : de Wang Quanan (Diaphana, 1 h 32), sortie le 19 août

A PERFECT FAMILY

La vie d’une famille danoise bascule le jour où le père annonce son changement de genre. Après une transition douloureuse, sa fille prend conscience de l’amour inaltérable qu’elle éprouve pour son paternel… Entre les lignes d’un scénario un peu convenu, ce drame doux-amer fait de la question du regard sur soi et sur les autres son cœur secret. • C. L .

— : de Malou Leth Reymann (Haut et Court, 1 h 33), sortie le 19 août

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FILMS CITOYENS DU MONDE

À Rome, trois amis sexagénaires déplorent la maigreur de leur allocation de retraite. Ils échafaudent des plans pour couler des jours plus heureux dans un pays où la vie est moins chère… Sur un ton léger et potache, Gianni Di Gregorio (Le Déjeuner du 15 août) dénonce certains travers sociaux tout en adressant en creux une lettre d’amour à la Ville éternelle. • T. Z .

— : de Gianni Di Gregorio (Le Pacte, 1 h 31),

sortie le 26 août

À CŒUR BATTANT

Un couple vit une séparation pour raisons administratives. La distance Tel-Aviv - Paris, dans laquelle s’immiscent bien des questions géopolitiques, met à l’épreuve leur amour par écrans de téléphones interposés… Le dispositif immersif – on ne voit que ce qui est retranscrit sur leurs smartphones – montre l’agonie de cette relation faussement tactile. • L. P.

— : de Keren Ben Rafael (Condor, 1 h 30), sortie le 2 septembre

GRAND FRÈRE

Ce premier long métrage chinois suit deux orphelins vivant modestement de la pêche près de la frontière nord de la Chine. À partir d’un canevas narratif de ménage à trois, le cinéaste dépeint les antagonismes de personnages incarnant différentes strates sociales. Dans une atmosphère glacée, il signe un film saisissant de cruauté sur la fin de l’innocence. • Q. G.

— : de Liang Ming (ASC, 1 h 44), sortie le 2 septembre

ANTIGONE

Quand son frère Étéocle est abattu gratuitement par la police, Antigone – adolescente maghrébine réfugiée à Montréal – vole au secours du cadet, Polynice. Devenu viral, son combat fait d’elle le symbole de la jeune génération… Une adaptation très contemporaine, écho percutant à l’actualité nord-américaine et aux violences policières systémiques visant les minorités. • L. P.

— : de Sophie Deraspe (Les Alchimistes, 1 h 49), sortie le 2 septembre

SOLE

Léna, Polonaise de 22 ans, est mère porteuse pour un couple d’Italiens. Alors qu’elle vient dans leur pays pour accoucher, Ermanno, neveu des futurs parents adoptifs chargé d’encadrer la jeune femme, commence à être intrigué par elle… Carlo Sironi signe un long métrage sobre et empathique sur la confusion des sentiments de ses jeunes héros désillusionnés. • Cl. Ga .

— : de Carlo Sironi (Les Valseurs, 1 h 40), sortie le 9 septembre

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COUL’ KIDS

LÉO WALK Agathe, 15 ans, et Anna, 16 ans, ont interviewé le danseur et chorégraphe Léo Walk pendant le confinement – donc en visioconférence. Après une tournée mondiale avec Christine and the Queens, il a collaboré aux vidéos de la chanteuse Angèle, a créé sa compagnie de danse, La Marche Bleue, et sa ligne de vêtements, Walk in Paris. Son spectacle de danse, Première ride, initialement prévu au mois d’avril, sera donné à la rentrée au Bataclan puis au Trianon.

L’INTERVIEW

C’est quoi la danse, pour toi ? C’est avant tout du ressenti, du feeling, c’est l’essence même de la vie… c’est naturel, de danser ! Quelles sont les thématiques abordées dans ton spectacle, Première ride ? Le thème principal est l’enfance. Mes danseurs sont de tous âges, mais j’ai veillé à ce qu’ils convoquent leur âme d’enfant pour interpréter ma pièce. Depuis quand prépares-tu ce spectacle ? Il y a quatre ans, j’ai travaillé sur le premier tableau avec quelques danseurs comme Aloïse Sauvage. Mais la pièce telle qu’on va la présenter en septembre, ça fait huit mois que je suis dessus. Comment est-ce que tu travailles, comment tu mémorises une chorégraphie ? Moi, je bosse d’abord seul de mon côté : j’écoute la musique, il y a des choses qui me viennent, et je retiens mes idées de mouvements. Ensuite, quand j’arrive face à mes neuf danseurs, je leur fais travailler la matière, je vois comment ils la digèrent, je change des choses en fonction de leur ressenti. Tu supportes le confinement ? Ces quatre dernières années, j’ai dû produire


D’AGATHE ET ANNA, 15 ET 16 ANS LE DÉBRIEF

et construire en permanence. À faire trop de choses, on peut se perdre. Ça me fait du bien d’avoir du temps pour reprendre les bases de ma danse, le hip-hop et le break. Tu es danseur, chorégraphe, styliste, et même mannequin. Quel est le prochain domaine dans lequel tu aimerais t’aventurer ? Peut-être le cinéma. J’ai eu plusieurs propositions, mais je ne veux pas me lancer comme ça. En ce moment, c’est ma pièce qui compte. Pourquoi le cinéma ? M’imaginer en face de la caméra, ça me met déjà la pression, donc pourquoi pas tester ? Quelle a été ta réaction quand on t’a demandé d’ouvrir la cérémonie des César avec tes danseurs ? J’étais un peu inquiet, parce que pour moi la danse, c’est sacré ; et la télé, ça me fait vachement peur. Il faut envoyer, il n’y a pas de place pour la nuance. Je l’ai fait parce que c’est Florence Foresti, que j’aime beaucoup, qui me l’a demandé. Mais j’avoue que j’étais réticent, j’avais peur de compromettre la danse.

Est-ce qu’il y a des films, et plus particulièrement des comédies musicales, que tu nous recommanderais ? Bizarrement, je ne suis pas fan de comédies musicales, ça ne me touche pas. En revanche, il y a des films de danse qui m’ont marqué, comme Pina de Wim Wenders. Et puis, petit, j’ai été impressionné par Billy Elliot, et j’ai kiffé les films Street Dancers et Le Défi, qui m’ont donné envie de faire du break. Avec quel artiste tu as préféré collaborer ? Sur le premier album de Christine and the Queens, il y a eu un mojo, plein d’éléments ont fait que c’était une expérience de ouf. C’était hyper intéressant musicalement, et j’ai adoré travailler avec Marion Motin, une chorégraphe qui m’a beaucoup appris. Avec qui tu aimerais travailler ? J’aimerais beaucoup bosser avec Philip Glass, un compositeur et pianiste assez âgé, ainsi qu’avec James Blake, un artiste electro. C’est mon rêve absolu.

• PROPOS RECUEILLIS PAR AGATHE ET ANNA (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE)

— : « Première ride » de la compagnie La Marche Bleue, les 15 et 16 septembre au Bataclan et le 12 octobre au Trianon

TOI AUSSI TU AS ENVIE DE RÉALISER UNE INTERVIEW ? DIS-NOUS QUI TU AIMERAIS RENCONTRER EN ÉCRIVANT À BONJOUR@TROISCOULEURS.FR

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COUL' KIDS

Agathe : « Léo Walk est jeune. On se comprenait bien, il répondait naturellement à nos questions. C’était intéressant d’avoir son point de vue sur la danse. » Anna : « C’est impressionnant tout ce qu’il entreprend. Ça donne envie de suivre son exemple, d’être polyvalent, d’avoir une vie variée. J’aime bien le fait que, sur les réseaux sociaux, il poste principalement de la danse et peu de choses perso. On sent que son travail est son obsession. »


LA CRITIQUE DE LÉONORE, 9 ANS

« Spycies est un film d’action situé dans le futur et dans un monde avec des animaux à la place des humains. Si ça se trouve, depuis la préhistoire, voire même depuis les dinosaures, il n’y a pas d’humains dans ce monde ! Ou, si ça se trouve, il y a eu trop de pollution, et les animaux sont devenus un peu humains pour survivre. Il y a souvent des animaux à la place des humains dans les histoires pour enfants. Je pense que c’est parce que les animaux ont plus de qualités faciles à comprendre. Par exemple, si je compare un humain à un autre humain, il va être le même. Alors que chaque race d’animal à sa propre personnalité, et du coup on comprend mieux les personnages. Les animaux, ça permet aussi de parler de choses qui peuvent choquer les gens, mais en un peu déguisé, comme dans les fables de La Fontaine. Par exemple, dans Spycies, on se moque des gens qui font de la chirurgie pour se faire beau, mais, comme c’est fait avec des animaux, ça ne choquera personne. C’est pour ça que Spycies, c’est mieux qu’un film d’action rigolo, c’est aussi un film qui dit des choses. » humain

COUL' KIDS

SPYCIES

LE PETIT AVIS DU GRAND Guillaume Ivernel aime truffer ses films d’hommages à la culture pop inattendus dans une production jeunesse. Il s’était inspiré des couvertures psychés d’albums de rock progressif pour Chasseurs de dragons. Il réitère l’exploit dans Spycies en citant les films d’espionnage anglais, les BD d’anticipation de Métal hurlant ou les buddy movies qui ont fait les grandes heures des années 1980. Ce jeu de références confère une saveur toute particulière à ce film d’action pétaradant à l’humour décalé. • JULIEN DUPUY

LIS L’ARTICLE ET RETROUVE LE MOT ÉCRIT À L’ENVERS !

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— : de Guillaume Ivernel, Eurozoom (1 h 39), sortie le 26 août dès 6 ans


TOUT DOUX LISTE CONCOURS DU COURT MÉTRAGE CONFINÉ CINÉMA Un robot en quête de son bras, des clowns en crise existentielle, des super-héroïnes hautes comme trois pommes… Ils sont tous dans les films reçus pour notre concours du court métrage confiné – et ça vaut le détour. • S. V.

: « Concours du court métrage

confiné : les enfants à l’honneur ! », sur troiscouleurs.fr, dès 4 ans

L’ODYSSÉE DE MARIE CURIE PODCAST Marie Curie était une scientifique pionnière et brillante, mais pas seulement : étudiante rebelle, radiologue sur le front durant la Grande Guerre, elle a encore beaucoup à dévoiler d’elle-même. Une figure à (re)découvrir dans le programme spécial jeune public de France Inter, Les Odyssées. • S. V.

: à réécouter sur le site de France Inter, dès 7 ans

AU PAYS DES MONSTRES EXPO Léopold Chauveau a passé sa vie à dessiner et à sculpter de drôles de petits monstres, fantômes et autres gnomes. Ces étranges créatures s’exposent au musée d’Orsay pendant tout l’été. • S. V.

: « Au pays des monstres. Léopold Chauveau (1870-1940) » jusqu’au 13 septembre au musée d’Orsay, dès 6 ans

LUCE ET ROSALIE SPECTACLE Qu’elles partent en voyage ou qu’elles sauvent la planète, Luce et Rosalie vivent toutes leurs aventures en chantant et en dansant, et font rire aux éclats leur jeune public. • S. V.

: mis en scène par Vicky Haut,

jusqu’au 28 juillet à la Comédie Saint-Michel, dès 4 ans


EXPOS

© RACHEL ROSE, COURTESY DE L’ARTISTE, GALERIE PILAR CORRIAS LONDRES ET ENTREPRISE GAVIN BROWN’S, NEW YORK, ROME

RACHEL ROSE — : jusqu’au 13 septembre à Lafayette Anticipations

OFF

La

Rachel Rose, Lake Valley, 2016

fondation Lafayette Anticipations propose la première exposition d’envergure en France consacrée à l’artiste américaine basée à New York qui, à seulement 34 ans, est déjà considérée comme un véritable petit génie de la vidéo. Une exposition immersive qui s’annonce comme une expérience perceptive et sensorielle au potentiel hallucinatoire, à l’image des vidéos de Rachel Rose qui, si elles mêlent les techniques et registres filmiques, procèdent toutes d’une intention expérimentale à même de traduire l’intensité et l’étrangeté de l’expérience de la vie (et de la mort), non seulement par les humains, mais aussi par les animaux et les machines, sur terre et au-delà. « Pour toutes mes œuvres, j’ai réfléchi au caractère catastrophique des changements que nous connaîtrons au cours de nos vies actuelles, à leur influence sur notre vision de nous-mêmes, à notre façon de faire face », explique-t-elle. De Sitting Feeding Sleeping (2013), vidéo faite à partir d’images tournées dans un zoo, un laboratoire de cryogénie et un laboratoire de perception robotique, à Lake Valley (2016), une œuvre d’animation réalisée au moyen d’un collage composé de milliers d’illustrations de livres pour enfants mettant en scène une créature chimérique en proie à l’abandon et à la solitude, on nage les yeux écarquillés dans des récits hyper visuels et palpitants hantés par les notions de transformation et d’évolution, dans une optique post-humaine empreinte de réel autant que de science-fiction. De quoi nous rappeler à quel point nous sommes des êtres vivants, follement. • ANNE-LOU VICENTE

Une expérience perceptive et sensorielle au potentiel hallucinatoire.

ERWIN WURM

CHRISTO ET JEANNE-CLAUDE

Consistant à activer – pour ne pas dire « devenir temporairement » – une sculpture au moyen de son propre corps, sa série One Minute Sculpture est un hit mondial… À défaut de jouer le jeu, volontiers comique voire absurde, et de prendre la pose en raison de la nouvelle donne sanitaire (pas touche !), on se contentera ici d’en observer la dimension visuelle et d’apprécier la place de la photographie au sein du travail de l’artiste autrichien, qui, d’un médium à l’autre, ne cesse d’associer sculpture et image, espace et performativité. • A.-L. V.

Le 31 mai dernier, on apprenait la disparition de Christo à 84 ans. La rétrospective consacrée à la période parisienne du couple et du duo d’artistes qu’il formait avec Jeanne-Claude et à l’histoire du projet du Pont-Neuf empaqueté (1975-1985), censée ouvrir au public le 18 mars, était restée « en attente » pendant de longues semaines. En attendant de voir l’Arc de triomphe empaqueté à son tour à l’automne 2021, on s’emballe pour la haute plasticité de leurs premières œuvres de taille modeste, réalisées à partir d’objets du quotidien. • A.-L. V.

Maison européenne de la photographie

au Centre Pompidou

: « Photographs », jusqu’à fin juillet à la

: « Paris ! », jusqu’au 19 octobre

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ART COMPRIMÉ Tous les mois, notre chroniqueuse vous offre un concentré des dernières réjouissances du monde de l’art.

UN FILM DE

AMIN SIDI-BOUMÉDIÈNE

Que faire de nos vieux masques, attestations de sortie ou correspondance de confinement ? Les donner à un musée, pardi ! Entre avril et mai, le Mucem a lancé une collecte d’objets témoins de cette période particulière. Cinq cent quarante leur sont parvenus, de toute la France : du matériel de protection, mais aussi des banderoles de remerciements au personnel soignant, cuillères en bois, tapis de yoga… et même une tyrolienne bricolée entre deux immeubles ! Les artefacts retenus intégreront les collections du musée marseillais au cours de l’été, afin d’étudier « comment la crise sanitaire fait éprouver dans la vie ordinaire les mutations de nos sociétés à grande échelle ». • Le 24 mai étaient vendus aux enchères, entre autres, une grande serviette et une malle de voyage ayant appartenu à Marie-Antoinette, pour 14 500 € et 43 750 €. • Au cours des manifestations Black Lives Matter, des images de statues mises à bas par la foule sont devenues virales sur les réseaux sociaux. Ainsi d’une sculpture en bronze du négrier anglais Edward Colston à Bristol, jetée dans un canal le 7 juin. Aux détracteurs de cette action, le street artist Banksy a adressé dans la foulée, sur Instagram, une suggestion de « réhabilitation » : ladite statue remise sur son socle et agrémentée de quatre autres personnages la déboulonnant. « Tout le monde est content. Une sacrée journée commémorée. » • MARIE FANTOZZI ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL


SPECTACLES

PLAINE D’ARTISTES — : jusqu’au 2 août dans plusieurs espaces intérieurs et extérieurs de la Villette

© PATRICK BERGER

À mon bel amour d’Anne Nguyen

OFF

Transformer

la Villette en « un vaste champ d’expérimentation » : voilà la promesse de Plaine d’artistes. Imaginé pendant la crise du Covid-19, ce projet réunit plusieurs structures culturelles telles que le Centre Pompidou, le CND et l’Ircam, associées pour dévoiler une programmation pluridisciplinaire de cinquante artistes. Si on n’y verra pas de pièce à part entière, des résidences, des répétitions, des formes inabouties sont prévues, permettant aux artistes et au public de retisser le lien après une séparation forcée. Le spectacle vivant y est à l’honneur avec Anne Nguyen et son hip-hop subtil et millimétré, qui met en lumière les contrastes et complémentarités entre des styles de danse opposés dans À mon bel amour. On y découvre aussi deux portes ouvertes sur le travail de François Chaignaud, danseur et chanteur expert en métamorphose : d’abord une exploration du rythme avec le beatboxeur Aymeric Hainaux, puis une « danse en apnée » dans un bassin. L’art de la marionnette n’est pas en reste avec Gabriel, pièce pour pantin et comédienne de la compagnie Copeau Marteau, qui aborde la question du handicap. On retrouve également de grands noms des arts de la scène, dont les prestations ne sont pas encore détaillées, comme Bintou Dembelé, chorégraphe et danseuse récemment mise en lumière grâce à sa version des Indes galantes, Mourad Merzouki, hip-hoppeur directeur du CCN de Créteil ainsi que la virtuose et touchante compagnie circassienne XY. Un programme très prometteur pour égayer l’été parisien. • BELINDA MATHIEU

Permettre aux artistes et au public de retisser le lien.

GOUÂL

LITTORAL

Imprégné des danses du Maghreb depuis l’enfance, Filipe Lourenço commençait à explorer, questionner et déconstruire son héritage en 2018 dans son magnifique solo Pulse(s). Pour sa dernière création, il s’attaque à l’alaoui, une danse traditionnelle martiale algérienne dont il capte l’intensité pour la révéler à travers un prisme contemporain, loin des clichés folkloriques. • B. M.

Wajdi Mouawad remonte pour une quatrième fois le premier volet de sa trilogie Sang des promesses. On y suit le voyage initiatique teinté d’onirisme de Wilfrid, jeune homme parti au Liban pour trouver une sépulture à son père. Une histoire qui fait écho à celle de son metteur en scène et dans laquelle il explore les thèmes intemporels du deuil et des rapports intergénérationnels. • B. M.

au lycée Jacques-Decour

au théâtre national de La Colline

: de Filipe Lourenço, les 30 et 31 juillet

: de Wajdi Mouawad, du 7 au 18 juillet

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– UGC CINÉ CITÉ – RCS de Nanterre 347.806.002 – 24 avenue Charles de Gaulle, 92200 Neuilly-sur-Seine – Capital social 12.325.016€

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RESTOS

À LA BELLE ÉTOILE © ROMAIN ZARKA

Fidèle de cette rubrique, vous avez déjà découvert de futurs étoilés : Marcore, Fleur de Pavé ou L’Innocence. Dans la cuvée 2020 du guide Michelin, on trouve aussi trois autres restaurants très différents : Le Sergent Recruteur, Le Faham et Le Jules Verne.

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LE SERGENT RECRUTEUR On avait laissé Alain Pégouret au Laurent, le très politique restaurant des jardins des Champs-Élysées. Il lui a donné dix-huit ans de sa vie, avant d’aller se réinventer sur l’île Saint-Louis. Ce voyage en six stations (changer à Palais-Royal) lui a fait du bien. Le voilà plus libre que jamais, chez lui, dans un restaurant élégant, pierre, bois et marbre, avec cuisine ouverte sur la salle. Le Cannois formé à l’école de Joël Robuchon et de Christian Constant lâche les chevaux pour envoyer des assiettes toujours précises mais décomplexées. L’homme pressé au débit de mitraillette cuisine aussi bien un exotique cabillaud à l’huile d’avocat et à la mélisse, jus de crevettes grises épicé, mangue verte et lait de coco, qu’une coquine poulette Culoiselle rôtie à l’ail noir sous la peau, celtuces (dite laitue asperge) et bimi (cousin du brocoli) grillés, fleurette d’herbes fortes. Mais quand il veut vous bousculer, il vous assène un encornet farci aux trompettes et pieds de cochon, grillé au piment d’Espelette, servi avec un bouillon clair de champignons et feuille de borage (ou bourrache, au goût de concombre), perlé à l’encre de seiche. Une sacrée claque. On peut aussi se laisser tenter par l’arrivage du jour, en direct de l’un de ses producteurs. Une cave de cent références, plutôt classiques, peut joliment compléter l’expérience – avec modération, bien sûr. Ironie de l’histoire, l’étoile qu’il avait gagnée au Laurent a disparu. Elle a été retrouvée au Sergent Recruteur. Menus : 39 € et 49 € (midi), 95 €. Carte : 90 €. • STÉPHANE MÉJANÈS

: 41, rue Saint-Louis-en-l’Île, Paris IVe

LE FAHAM

LE JULES VERNE

Le Faham, c’est une orchidée originaire de l’île de la Réunion. Comme Kelly Rangama, candidate de Top Chef 2017 qui, avec son mari pâtissier, Jérôme Devreese, a ouvert un lumineux restaurant où la cuisine réunionnaise se gastronomise, à l’image de ce pavé de légine (poisson des profondeurs), carotte gingembre en aigre doux, rougail et riz croustillant. Formules : 31-39 €. Menu : 65-79 €. • S. M.

Il faut casser sa tirelire mais, à cent vingt-cinq mètres au-dessus de la mer, le restaurant repris par Frédéric Anton (trois étoiles au restaurant du Pré Catelan) coche toutes les cases du beau et du bon. Avec un fort penchant marin, dont une formidable langoustine en raviole, truffe et crème de parmesan, fine gelée à la betterave. Menus : 135 €, 190 €, 230 €. • S. M.

: 108, rue Cardinet, Paris XVIIe

: avenue Gustave-Eiffel, Paris VIIe

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SOKO

SONS

— : « Feel Feelings » (Because)

© EVA TAN

OFF

« T’as

vu ou pas ? » Soko vient de faire pivoter son écran pour nous montrer le couple d’écureuils qui s’ébat dans son jardin de Los Angeles. « On dirait qu’ils dansent. C’est le moment Disney ! » Jusqu’à présent, les animaux mignons et la guimauve hollywoodienne ne faisaient pas trop partie de son univers. Sur Feel Feelings, son troisième album, il est plutôt question de violences conjugales (« Quiet Storm »), de rencontres interchangeables (« Replaceable Heads ») ou de vide post-rupture (« Blasphémie »). Quelque chose a changé chez Soko, et ce disque brillant en est l’expédient et le témoin. Lorsqu’elle s’y attelle en 2016, la Bordelaise est en vrac. Après une retraite au Hoffman Institute, un centre de développement personnel très new age – « c’est comme dix ans de thérapie concentrés en une semaine » –, elle décide

SI TON ALBUM ÉTAIT UN FILM ? « Je pense que ça serait sans doute 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix. Les sentiments que j’explore sur l’album ressemblent assez à ceux du film. Un mélange de relations toxiques, de sensualité à fleur de peau… et de

de s’astreindre au célibat pour « retrouver une relation saine avec (son) amour-propre. » Et de focaliser son énergie sur l’enregistrement de ce disque, épaulée par un who’s who de l’indie pop américaine – de Sean Lennon à Chairlift en passant par MGMT – qu’elle guide d’une main plus sûre que jamais. « Je voulais que les batteries soient sèches et clairsemées, les basses sensuelles comme chez Air ou chez Gainsbourg, et que les guitares donnent l’impression d’être jouées sous l’eau, à la manière de The Durutti Column. » Soko cite ses sources et assume les conclusions : « Pour la première fois, j’ai fait un disque que j’ai envie d’écouter. » L’œuvre d’une artiste réconciliée avec son histoire. Le dernier beat qui résonne est celui du cœur d’Indigo Blue Honey, son fils né en 2018. Soko a bien mérité son « moment Disney ». • MICHAËL PATIN

bébé. C’est lent, épuré, ça prend son temps et c’est très passionné. Et puis j’adore Béatrice Dalle, qui est géniale dans ce film. C’est une force de la nature, qui m’inspire à la fois en tant qu’actrice et en tant que femme. Il n’y en a pas beaucoup, des personnalités de sa carrure. » SOKO

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JUKE-BOX ARCA

: « KiCk i » (XL Recordings)

Artiste trans latinx (néologisme non sexué utilisé à la place de « latino » ou de « latina »), Arca revendique sa non-binarité au-delà de son identité de genre, mais comme constitutive de sa création. Conciliant son héritage vénézuélien (reggaeton et pop en espagnol) et les sonorités les plus avant-gardistes (harsh noise, electronica, esthétique PC Music), sa pop mutante invite ici Björk, Rosalía, Shygirl ou SOPHIE en un ambitieux manifeste de polymorphisme musical. • W. P.

ALEX IZENBERG : « Caravan Château » (Weird World)

Délicate collection de portraits, Caravan Château (bel oxymore) réfléchit, comme dans un palais des glaces infini, les figures féminines, idéales ou réelles, aimées d’Alex Izenberg. D’« Anne in Strange Furs » à « Sister Jade », la voix haute et vacillante (évoquant Neil Young) de celui-ci se pose sur une étrange (rétro et freaky) musique de chambre pop (Harry Nilsson, The Beatles) concocté en alchimie avec des membres de Grizzly Bear et de Foxygen. Comme un bouquet de fleurs tombé du ciel. • W. P.

CRACK CLOUD : Pain Olympic

(Meat Machine)

Avec ces « jeux olympiques de la douleur », ces anciens fumeurs de crack canadiens, reconvertis en spectaculaire collectif post-punk, font muter le minimalisme anguleux de leurs EPs en une ambitieuse fantasmagorie pop, hip-hop, electro, no-wave. Ce foisonnement sied parfaitement à leurs visions post-apocalyptiques (voir leurs clips, entre John Carpenter et Terry Gilliam), sans que ces brûlots ne perdent de leur urgence, qu’elle soit douloureuse ou extatique. • W. P. ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT


SÉRIES

I MAY DESTROY YOU

© OCS

— : saison 1 sur OCS —

OFF

Trois

ans après la drôlissime Chewing Gum, l’actrice, scénariste et réalisatrice britannique Michaela Coel vire de bord avec une œuvre étourdissante sur le trauma et le consentement, inspirée de sa propre histoire. Le viol est omniprésent dans la télé contemporaine. Surexploité comme moteur dramatique (Game of Thrones, Westworld) ou comme ressort comique, esthétisé (The Handmaid’s Tale), il est rarement traité du point de vue de la victime et ne dit pas toujours son nom. Une représentation problématique qui, en minimisant et normalisant les violences sexuelles, participe de la « culture du viol ». Mais cette saison télévisuelle marque un tournant. D’abord avec la série Unbelievable (Netflix), tirée d’une histoire vraie, qui voit deux enquêtrices

REVOIS

prendre en charge une affaire de viol dans laquelle la victime est accusée de mentir. Ensuite avec I May Destroy You, la nouvelle création de Michaela Coel. Elle y campe une jeune autrice à succès et star de Twitter qui n’a plus que quelques heures pour rendre le manuscrit de son deuxième livre. Elle sort boire un verre avec des amis avant de retourner à son texte, mais se réveille le lendemain avec une plaie à la tête, un black-out et des flashs d’un inconnu la violant dans les toilettes. Immersive, brutale et touchante, I May Destroy You propose – sur le fond comme sur la forme – un point de vue inédit sur le viol doublé d’une réflexion sur l’identité, l’amitié, les rapports de pouvoir et l’art comme moyen de se réapproprier son histoire. Douze épisodes qui feront date. • NORA BOUAZZOUNI

VOIS

PRÉVOIS

PERRY MASON

LOVECRAFT COUNTRY

INDUSTRY

On triche un peu, car la minisérie est nouvelle, mais elle raconte l’histoire originelle du cultissime avocat à la barbe grise, campé par Raymond Burr dans les années 1980. Imaginé pendant la Grande Dépression, Perry Mason a d’abord été détective privé. Ici incarné par Matthew Rhys (The Americans), borsalino vissé sur la tête, il enquête sur un infanticide dans une ambiance de film noir ultra léchée. • N. B.

Adaptée d’un roman de Matt Ruff, produite par Jordan Peele (Get Out) et J. J. Abrams (Lost, Westworld), Lovecraft Country suit Atticus Freeman, un jeune Noir lancé dans un road trip à travers l’Amérique ségrégationniste des années 1950, à la recherche de son père. Au programme de cette série horrifique, des monstres terrifiants – et des racistes qui le sont tout autant. • N. B.

Le retour de Lena Dunham (Girls) derrière la caméra, du moins pour le pilote de cette coproduction BBC-HBO qui suit des jeunes fraîchement diplômés et prêts à tout pour se faire embaucher dans une prestigieuse banque d’investissement londonienne. Sexe, trahisons et dividendes : serait-ce le Grey’s Anatomy de la finance, la subversion en plus ? • N. B.

: saison 1 sur OCS

: en août sur OCS

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: cet automne sur OCS

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JEUX VIDÉO

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THE LAST OF US. PART II

Plus

— : Sony (PS4) —

âpre que jamais, la saga postapocalyptique accouche d’un nouveau chef-d’œuvre. Retrouver Ellie et Joel, le duo inoubliable de The Last of Us, a quelque chose de bouleversant. Comme nous, les deux héros ont changé, et le temps a marqué leur visage. Surtout, ces retrouvailles se drapent dans un nouveau voile tragique que nous ne détaillerons pas ici pour éviter de tout vous divulguer… Il va donc falloir reprendre la route, arpenter les ruines de cette Amérique fantôme, affronter les hordes de zombies et les milices qui la sillonnent, tenter de survivre au jour le jour, encaisser les coups durs – et aussi (beaucoup) pleurer. Si The Last of Us. Part II confirme le talent immense du studio Naughty Dog en matière d’écriture et de mise en scène, c’est parce qu’il est hanté d’une

THE PROCESSION TO CALVARY Détourner les tableaux de la Renaissance, en faire la toile de fond d’une épopée digne d’un sketch des Monty Python, tel est le programme de cet étonnant point ’n’ click. Entre splendeur picturale et hilarité constante, la parodie ne manque jamais d’esprit. • Y. F.

: Joe Richardson (PC)

nouvelle obsession – la vengeance – qui vient entièrement redéfinir les personnages et leur psychologie. D’une radicalité folle, le jeu n’épargne rien ni personne, flirtant souvent avec une noirceur traumatisante. Heureusement, toute cette violence n’a rien de gratuit ni de complaisant, mais sert une réflexion brillante sur le devenir de notre monde et de notre espèce face à un chaos devenu loi. Si le cinéma n’est jamais loin (on pense autant aux westerns de Clint Eastwood qu’aux plans-séquences d’Alfonso Cuarón), The Last of Us. Part II reste un (grand) jeu parce qu’il n’oublie jamais de nous mettre au premier plan. S’y aventurer, c’est tester ses propres limites morales. Et s’il nous fait parfois franchir la ligne rouge, c’est pour mieux nous marquer à vie. • YANN FRANÇOIS

SNOWRUNNER

WILDFIRE

Vous pensez que des camions chargés d’acheminer des marchandises sur terrains accidentés ne peuvent constituer la matière d’un jeu ? Jetez donc un œil à ce simulateur… Si le réalisme est roi, il ne fait jamais barrière au dépaysement total. • Y. F.

Pour sauver son village, un paysan hérite d’un pouvoir pyrotechnique qu’il va devoir apprivoiser afin d’infiltrer le camp ennemi et de mettre en fuite les pillards… À mi-chemin entre plateforme et infiltration, ce jeu indé fait (littéralement) feu de tout bois pour nous captiver. • Y. F.

: Focus Home Entertainment (PC, PS4, One)

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: Sneaky Bastards (PC)


Chaque mois, notre chroniqueur explore les mondes du jeu vidéo indépendant en donnant la parole à l’un de ses créateurs.

— : « The Blind Prophet » (Ars Goetia | PC)

Jusqu’en octobre 2020

Gangao Lang jusqu’au 30.08 Estelle Hanania à partir du 04.09

Erwin Wurm, Outdoor sculpture (Appenzell), instruction drawing, 1998 © Erwin Wurm • Création graphique : Joanna Starck

Très populaire dans les années 1990, le point ’n’ click est depuis passé de mode. Mais il est de brillantes initiatives à contre-courant pour redonner au genre de sa superbe, comme The Blind Prophet. Son créateur, Baptiste Miny, est un artiste formé à l’école Émile-Cohl qui, après ses études, a osé le grand saut du premier jeu indé. Pour financer le projet, il se lance en décembre 2018 dans une campagne de financement participatif, avec une ambition folle : réaliser un point ’n’ click à la façon d’un comics, dans la veine graphique de Sergio Toppi et de Frank Miller, ses influences majeures. Et ça marche : les fonds récoltés lui permettront d’aller au bout de sa vision, en toute indépendance. « Les contraintes de création m’ont poussé à miser sur le dessin, la narration, l’ambiance. Il fallait rester simple et efficace. » L’histoire est celle de Bartholomeus, un apôtre divin envoyé dans la ville de Rotbork pour la libérer d’une invasion démoniaque. Un décor fascinant, tant par sa densité (quatre-vingt-dix-neuf tableaux somptueux à visiter) que par sa noirceur. « Le jeu vidéo, par sa durée, permet de jongler avec des émotions très différentes. Je voulais une histoire mature, sans concession, mais qui soit aussi teintée d’humour, pour ne pas m’enfermer dans un seul style. » Derrière la splendeur se cache aussi une relecture moderne du point ’n’ click, qui aime à multiplier les clins d’œil aux amoureux du genre et à faire évoluer ses codes. « Pour moi, The Blind Prophet reste une introduction à un univers qui se veut plus étendu. Je me suis gardé de dévoiler trop de choses, car j’espère y revenir dans d’autres jeux. » On a hâte de voir ça. • YANN FRANCOIS

Erwin Wurm Photographs


LIVRES

EN ROUTE, MAUVAISE TROUPE  ! À

cause de la crise du Covid-19, la plupart d’entre nous ne passerons pas exactement cet été les vacances dont nous avions rêvé. C’est un peu frustrant mais, pour nous consoler, sachons que ce ne sera jamais pire que le séjour en Europe de l’écrivain australien Kenneth Cook et de sa famille, au début des années 1960 : une aventure si catastrophique qu’il l’a racontée dans un livre. Parti de Sydney en cargo, avec sa femme et leurs quatre enfants remuants, Cook avait pour projet de rejoindre l’Angleterre, d’acheter un bateau, de traverser la Manche et de descendre tranquillement jusqu’à la Méditerranée par les canaux. Hélas, rien ne s’est passé comme prévu. Au programme : crise de dysenterie à bord du cargo brinquebalant ; pannes de voiture à répétition ; banqueroute personnelle ; naufrage dans la Manche ; tempêtes de neige ; ennuis multiples avec les autorités. Alors que leur plan de route était censé les conduire en Grèce, les Cook se retrouvent finalement sur la côte espagnole, sans un sou en poche. Pour s’en sortir, Kenneth Cook ira jusqu’à se mettre hors la loi en prenant part à un trafic de whisky de contrebande ! Paru en 1963, le récit dans lequel il relate leurs mésaventures en famille n’avait jamais été traduit en français ; c’est désormais chose faite, pour le bonheur de ses nombreux admirateurs francophones et des amateurs de littérature comique en général. Dans le genre très couru du récit humoristique de voyage à l’étranger, c’est un chef-d’œuvre. La famille Cook ne peut pas faire un pas sans que quelque chose s’écroule, tombe en rade ou leur explose à la figure – à ce niveau de poisse, on touche au sublime.

S’y ajoutent les inévitables malentendus liés à leur maîtrise insuffisante des langues ou à leur méconnaissance de coutumes locales parfois trompeuses. Il faut dire que, aux yeux d’un Australien, l’Europe est un continent étrange, pourvu d’un climat hostile et de populations imprévisibles. Le récit se déroulant au début

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À ce niveau de poisse, on touche au sublime.

POURQUOI RÊVER LES RÊVES DES AUTRES ?

des sixties, le lecteur d’aujourd’hui est dépaysé lui aussi, comme s’il voyait un film d’époque – impression qu’accentuent les photos noir et blanc disséminées dans le volume. Malgré ses presque soixante ans d’âge, ce bijou d’humour au flegme très anglo-saxon n’a pas pris une ride. • BERNARD QUIRINY

— : de Kenneth Cook (traduit de l’anglais par Mireille Vignol, Autrement, 254 p.)

L’HOMME SAUVAGE

MICRONATIONS

Ce mince volume de lettres de Pessoa est l’un des six tomes de la collection Les Plis, beaux petits livres dont la jaquette une fois pliée forme une enveloppe, prête à poster. Le moyen le plus chic de renflouer La Poste – tout en épatant vos amis. • B. Q.

Complètement oublié de nos jours, Frédéric Boutet (1874-1941) fut un auteur hyper prolifique, ami d’Apollinaire, prête-plume de Maurice Leblanc… On redécouvre ici son Homme sauvage, roman fantaisiste et provocateur, au charme inaltéré. • B. Q.

Et si vous fondiez votre propre État, dont vous seriez le souverain à vie ? Le journaliste italien Graziano Graziani a établi l’inventaire des micronations, ces minuscules États improbables qui surgissent comme autant de défis à l’ordre juridique mondial. • B. Q.

(L’Orma, 62 p.)

(L’Éveilleur, 106 p.)

(Plein Jour, 352 p.)

: de Fernando Pessoa

: de Frédéric Boutet

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: de Graziano Graziani


BD

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VILLE NOUVELLE

Peut-on

— : de Lukasz Wojciechowski (Çà et là, 76 p.) —

faire de la bande dessinée comme on rêve d’architecture ? Les liens qui unissent le neuvième art et le premier sont ténus depuis plus d’un siècle. Lukasz Wojciechowski, architecte polonais de formation, a voulu explorer dans Ville nouvelle ce pont graphique qui fait qu’un plan d’archi sommeille toujours derrière une planche et qu’en traçant les contours d’une ville on cherche, comme en bande dessinée, à y projeter une histoire. Dans cet ouvrage réduit, unique en son genre, on suit un architecte qui imagine puis bâtit une ville moderne sur les ruines causées par la guerre. Les gestes, comme les rêves, se répètent et, en même temps que les plans prennent vies, les personnages disparaissent pour être remplacés par des machines sans âme et la ville tant attendue prend des airs de cauchemar. En déployant un graphisme hérité du design des Trente Glorieuses, ce livre anguleux, puissant, nous rappelle combien les plans, le dessin et les courbes ne suffisent jamais à rendre vibrant un rêve. • ADRIEN GENOUDET 113


BAT BoF -

mk2 SUR SON 31

CULTISSIME ! DIMANCHE 2 AOÛT Projection des Blues Brothers de John Landis. DIMANCHE 9 AOÛT Projection de Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze. DIMANCHE 16 AOÛT Projection d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry.

JUSQU’AU 19 AOÛT

MERCREDI 8 JUIL.

CYCLE BOUT’CHOU Mk2 Bout’Chou accueille le Little Films Festival, en collaboration avec Gebeka Films, Les Films du Préau, KMBO et Cinéma Public Films. Huit films autour des thèmes « prendre soin de la nature », « rêver la tête en l’air », « observer les animaux » et « partir à l’aventure ».

SÉANCE EXCLUSIVE DE TOUT SIMPLEMENT NOIR L’équipe du film de Jean-Pascal Zadi et John Wax viendra à la rencontre des spectateurs à l’issue de la projection.

JUSQU’AU 25 AOÛT CYCLE JUNIOR Pour les enfants à partir de 5 ans : les trois volets de Moi, moche et méchant.

: mk2 Quai de Loire, mk2 Gambetta et mk2 bibliothèque

: mk2 Bibliothèque à 20 h

LUNDI 13 JUIL. AVANT-PREMIÈRE D’ÉTÉ 85 La projection du film de François Ozon sera suivie d’une rencontre avec l’équipe du film.

DIMANCHE 23 AOÛT Projection des Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón. DIMANCHE 30 AOÛT Projection de Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar.

: mk2 Gambetta dans l’après-midi

RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES mk2 SUR mk2.com/ evenements

: mk2 Bibliothèque à 20 h 15

les samedis et dimanches matin

LE GRAND BAIN DANS LE BASSIN d’une toile inoubliable sous les étoiles ? Mk2 s’associe au Cinéma sur l’eau de Paris Plages avec Häagen-Dazs et la Ville de Paris, le 18 juillet prochain. Le Grand Bain de Gilles Lellouche sera projeté sur un écran mobile installé sur le quai de Loire et visible gratuitement depuis des bateaux flottant sur le bassin de la Villette. En avant-programme, le pétillant A Corona Story de Victor Mirabel, gagnant de notre concours du court métrage confiné, catégorie « très court métrage » (lire p. 40), ouvrira le bal aquatique. Et ce, en total respect des règles sanitaires. Pour avoir une chance d’y assister, il suffit de s’inscrire sur eteparticulier.paris… et de croiser les doigts

© D. R.

Envie

pour être tiré(e) au sort parmi une centaine de gagnant(e)s. Priorité aux cinéphiles qui ont le pied marin. • CLAUDE GARCIA

— : à proximité du mk2 Quai de Loire à 19 h

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TROIS COULEURS (Partenariat) • 170 x 285 mm Tel • Visuel: CITY OF ANGELS • Remise le 24 juin • Parution 2020

DIMANCHE 12 JUIL. Projection d’Out of Africa de Sydney Pollack. DIMANCHE 19 JUIL. Projection de Scarface de Brian De Palma. DIMANCHE 28 JUIL. Projection de The Big Lebowski des frères Coen.


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EN CE MOMENT SEULEMENT SUR

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