Trois Couleurs #139- mars 2016

Page 1

le monde à l’écran

hou hsiao-hsien du 2 mars au 5 avril 2016

Rencontre avec le réalisateur de The Assassin

jodorowsky’s dune La folle épopée d’un film maudit

et aussi

Suite armoricaine, Pascal Cervo, The Coral…

JEFF NICHOLS MIDNIGHT SPECIAL : DESTINATION SCIENCE-FICTION www.troiscouleurs.fr 1

no 139 – gratuit


l’h istoi r e du moi s

Jodorowsky’s Dune Le culte de l’inachevé Des rendez-vous manqués d’Orson Welles aux abandons de Stanley Kubrick, les films inachevés imprègnent notre imaginaire en marge de l’histoire officielle. Comme l’adaptation pharaonique du roman Dune de Frank Herbert, commencée en 1975 par Alejandro Jodorowsky et jetée aux orties deux ans après faute de financement. Enfin distribué en France, le documentaire Jodorowsky’s Dune retrace la folle épopée de ce film maudit, incarnation de tous les rêves de cinéma brisés.

© chris foss

PROPOS RECUEILLIS PAR MICHAËL PATIN

Guild Tug, dessin préparatoire de Chris Foss pour Dune, 1975

ue se passe-t-il quand un film n’aboutit pas ? Dans la plupart des cas, il sombre dans l’oubli, froissant quelques carrières, achevant sa trajectoire dans un placard que l’industrie s’empresse de sceller. Mais de temps en temps, un long métrage en projet fait tant parler de lui qu’il perdure comme objet de fantasme après sa mise au rebut, constituant une saillance dans l’imaginaire collectif. La particularité de ces « quasi-œuvres » est d’être celles d’auteurs reconnus qui, s’attaquant à des sujets qui leur tiennent à cœur, ébauchent la promesse de spectacles grandioses dans lequel leur savoir-faire trouverait une

2

nouvelle forme d’aboutissement. Ainsi, Charlie Chaplin et Stanley Kubrick se sont tous deux cassé les dents sur Napoléon, développant une obsession et une ambition à la mesure du personnage (Kubrick annonçait tenir le « plus grand film jamais réalisé » 1 ). Orson Welles compte à son actif de nombreux projets avortés, dont l’emblématique The Other Side of the Wind, bloqué par des procédures sans fin, ce qui participe à sa légende de réalisateur ingérable (ou maltraité). Plus proche de nous, on peut citer Megalopolis de Francis Ford Coppola, dont le budget prévisionnel a fait reculer les studios, Ronnie Rocket que David Lynch développe sans succès depuis des années, ou encore Superman Lives de Tim Burton, avec Nicolas Cage

mars 2016


Dessin préparatoire de Hans Ruedi Giger pour Dune, 1976

dans le rôle principal, qui a fait fantasmer les geeks au point d’écraser de son ombre les adaptations de Bryan Singer et Zach Snyder. Non seulement ces films fantômes marquent notre imaginaire, mais ils ont souvent des effets bien réels sur la filmographie de leurs concepteurs, voire sur l’histoire du septième art. Ainsi, Stanley Kubrick abandonna The Aryan Papers, car La Liste de Schindler de Steven Spielberg, sortie au même moment, traitait d’un sujet similaire. L’étonnant lien des deux cinéastes ne s’arrête pas là, puisque Spielberg réalise en 2001 A. I. Intelligence Artificielle, un autre projet avorté de Kubrick. Certaines œuvres maudites deviennent aussi à leur tour sujets de films, comme L’Homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam, immortalisé par le fulgurant making of Lost in La Mancha, ou L’Enfer d’Henri-­Georges Clouzot, réinterrogé en 2009 dans un documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea. Dans tous les cas, le corpus d’anecdotes liées à la préparation ou au tournage (souvent catastrophique) génère un déferlement fantasmatique et imprègne notre (pop) culture aussi sûrement que les chefs-d’œuvre de leurs auteurs.

parfois, un projet fait tant parler de lui qu’il perdure comme objet de fantasme après sa mise au rebut. © chris foss

© h. r. giger

l’h istoi r e du moi s

IMPRIMER LA LÉGENDE

Parmi ces films fantasmes, il en est un qui surpasse tous les autres de son aura culte, grâce aux histoires rocambolesques qui entourent sa conception et au gigantisme de ses ambitions : le Dune d’Alejandro Jodorowsky. Il était donc logique et presque nécessaire qu’un film s’attache à imprimer sa légende. Pour Jodorowsky’s Dune, le réalisateur Frank Pavich a réuni les protagonistes et a assemblé un maximum d’archives, afin de reconstituer l’aventure et de sonder ses répercussions. Et c’est bien sûr Jodorowsky lui-même, octogénaire débordant d’énergie juvénile, qui s’impose comme le héros de ce documentaire à la gloire des rêves

Pirate Spaceship, dessin préparatoire de Chris Foss pour Dune, 1975

contrariés. C’est en 1975 que l’artiste mexicain débute son adaptation de Dune, pierre de faîte de la littérature SF signée Frank Herbert. Son précédent film, La Montagne sacrée, a connu un certain succès en Europe malgré sa folie furieuse, et son producteur Michel Seydoux a décidé de lui donner carte blanche. Il n’en fallait pas plus pour libérer la mégalomanie de Jodo qui souhaite alors « créer un prophète pour changer les jeunes esprits du monde entier » 2 et se met en quête d’une armée de « guerriers spirituels » pour donner corps à sa

www.troiscouleurs.fr 3


l’h istoi r e du moi s

Alejandro Jodorowsky

« si mon dune était allé jusqu’au bout, je serais devenu un genre de spielberg. » Alejandro Jodorowsky

vision. Le documentaire narre dans le détail la série de rencontres improbables qui façonne le casting de Dune, des plus grands artistes graphiques (Moebius, Chris Foss, H. R. Giger) aux acteurs les plus improbables (Udo Kier, Mick Jagger, Orson Welles ou Salvador Dalí, qui demande à être payé 100 000 dollars la minute), en passant par quelques grands groupes de rock de l’époque, tels que Pink Floyd et Magma. Chaque témoignage atteste de l’effrayante fascination exercée par le gourou Jodorowsky, qui hypnotise (littéralement) le spécialiste des effets spéciaux Dan O’Bannon et fait subir un entraînement inhumain à son propre fils Brontis (six heures d’arts martiaux par jour, sept jours sur sept, pendant deux ans) afin qu’il puisse devenir le jeune héros du film. RÉINCARNATIONS

Après deux ans de développement, le film se trouve matérialisé sous forme d’un énorme livre, sorte de méga story-board détaillant chaque plan, chaque lieu et chaque personnage, qui est remis aux majors hollywoodiennes afin de réunir les 5 millions de dollars manquants. Et c’est là que tout s’écroule, dans la confrontation entre un artiste intraitable (qui prévoyait un métrage de douze voire vingt heures !) et les financiers calculateurs de l’« usine à rêves ». Il faut voir cette séquence stupéfiante dans laquelle Jodorowsky, tirant une grosse liasse de billets de sa poche, vitupère contre ce dieu sans âme qui fait tourner le monde. Si le documentaire manque un peu de contrechamps critique, il dépasse la simple opposition artiste/­système (ou rêve/réalisme) en décrivant comment ce monument imaginaire a durablement influencé l’esthétique 4

de la science-fiction et la représentation du mysticisme au cinéma, d’Alien à Prometheus en passant par Contact ou Les Aventuriers de l’Arche perdue. Il montre aussi que ce naufrage est le point de départ des nombreuses bandes dessinées écrites par Jodorowsky, qui allaient marquer au fer rouge des générations de lecteurs. « Si mon Dune était allé jusqu’au bout, je serais devenu un genre de Spielberg, et ma bande dessinée L’Incal n’aurait pas existé », nous confiait le cinéaste à Cannes en 2013. Mais la grande force de Jodorowsky’s Dune tient surtout à sa manière de révéler une analogie entre le scénario du film et l’histoire de sa production. En effet, ce Dune revisité contait le parcours d’un héros qui finit la tête coupée, mais dont l’âme survit en se réincarnant à travers toute la galaxie. Soit le reflet précis du destin qui attendait le film. Comme si Alejandro Jodorowsky, habité par une vision extralucide, avait lui-même préparé la destruction de son rêve et sa diffusion messianique dans l’inconscient contemporain. C’est pourquoi Dune de Jodorowsky est le seul film fantasme en mesure de contenir tous les autres, celui dont chaque aspect valide une ascendance magique de l’imaginaire sur la réalité. Si le cinéma n’a pas le pouvoir de changer le monde, un rêve de cinéma semble ainsi y être déjà parvenu. 1. Stanley Kubrick’s Napoleon. The Greatest Movie Never Made d’Alison Castle (Taschen) 2. Citation extraite de Jodorowsky’s Dune de Frank Pavich Jodorowsky’s Dune de Frank Pavich Documentaire Distribution : Nour Films Durée : 1h25 Sortie le 16 mars

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 5


6

mars 2016


Sommaire

Du 2 mars au 5 avril 2016

À la une… 2

en ouverture

décryptage

Jodorowsky’s Dune

Commencée en 1975 par Alejandro Jodorowsky, l’adaptation pharaonique de Dune a été jetée aux orties deux ans après, faute de financement. Le documentaire Jodorowsky’s Dune retrace la folle épopée de ce film maudit, incarnation de tous les rêves de cinéma brisés.

en couverture

30

Saint Amour Benoît Delépine et Gustave Kervern lâchent Depardieu et Poelvoorde dans un road movie choral et viticole, leur offrant un bastion de liberté plutôt rare dans le cinéma hexagonal.

36

portrait

32

Pascal Cervo Malgré son assiduité à l’écran, l’acteur à l’air toujours juvénile reste peu connu du public. L’intensité de son jeu l’impose pourtant comme le feu secret du cinéma français.

Jeff Nichols

Le petit prodige du cinéma indépendant américain poursuit sa fulgurante ascension. Après trois longs métrages acclamés (Shotgun Stories, Take Shelter, Mud. Sur les rives du Mississippi), Jeff Nichols joue la surprise avec Midnight Special. S’il s’avance comme un pur film de genre, grand public et divertissant, le programme est plus retors qu’il n’y paraît.

25

© chris foss ; antoine doyen ; flavien prioreau ; ben morgan vessel ; spot films

entretien

critique

Pascale Breton Après Illumination, la cinéaste revient avec Suite armoricaine, fresque puissante et mélancolique en forme de recherche du temps perdu, dans laquelle elle confronte plusieurs générations à leurs fantômes.

scène culte

28

Yojimbo À la fin du xixe siècle, un r nin errant débarque dans un village où sévit une guerre sanglante entre deux clans. Parmi les neuf chefs-d’œuvre d’Akira Kurosawa qui ressortent ce mois-ci, Yojimbo reste le plus jubilatoire.

musique

78 The Coral Avec Distance Inbetween, les cinq Anglais, rares survivants du revival garage rock, livrent une partition énergique, brute, teintée de krautrock et à la spontanéité live. Fidèles à eux-mêmes.

www.troiscouleurs.fr 7

44

Hou Hsiao-hsien Auréolé du Prix de la mise en scène à Cannes en 2015, The Assassin signe le grand retour du cinéaste taïwanais, dont la majesté contemplative fait des miracles en redessinant les perspectives du film de sabre chinois.


8

mars 2016


… et aussi Du 2 mars au 5 avril 2016

Édito

11

Les actualités

12

À suivre

18

l’agenda

20

histoires du cinéma

25

les films

55

Les DVD

76

cultures

78

La tête dans les étoiles

Cigarettes et cinéma, Festival de Berlin

Corentin Fila et Kacey Mottet Klein dans Quand on a 17 ans Les sorties de films du 2 au 30 mars 2016

Évolution de Lucile Hadzihalilovic p. 51 // Un vrai faussaire de Jean-Luc Léon p. 52 // Brooklyn de John Crowley et Paul Tsan p. 56 // Pursuit of Loneliness de Laurence Thrush p. 60 // In Jackson Heights de Frederick Wiseman p. 66 // Remember d’Atom Egoyan p. 68 // Volta à terra de João Pedro Plácido p. 71 // Quand on a 17 ans d’André Téchiné p. 72 // East Punk Memories de Lucile Chaufour p. 74 // Un monstre à mille têtes de Rodrigo Plá p. 74 Jacques Nolot. Intégrale et la sélection du mois

L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

trois couleurs présente

100

l’actualité des salles mk2

102

Nikon Film Festival, Gérard Fromanger au Centre Pompidou Hamlet Kebab, « Demain le journalisme », rénovation à l’Odéon

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentin.grosset@mk2.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRE Paola Dicelli ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Leslie Auguste, Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Renan Cros, Julien Dupuy, Yann François, Claude Garcia, Grégory Ledergue, Stéphane Méjanès, Mehdi Omaïs, Wilfried Paris, Michaël Patin, Bernard Quiriny, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer PHOTOGRAPHES Antoine Doyen, Flavien Prioreau, Philippe Quaisse PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) AssistantE RÉGIE PUBLICITAIRE Caroline Desroches (caroline.desroches@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) Assistant partenariats culture Florent Ott CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com)

Trois Couleurs est distribué dans le réseau le Crieur (contact@lecrieurparis.com)

© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

Illustration de couverture © Thomas Cantoni / Talkie Walkie pour Trois Couleurs

www.troiscouleurs.fr 9


10

mars 2016


é dito

La tête dans les étoiles PAR JULIETTE REITZER

Laquelle est ton étoile, tu peux la voir d’ici ? » Le visage levé vers le ciel, Jenny (Karen Allen) interroge son extra­ terrestre d’amant, campé par Jeff Bridges, alors qu’il s’apprête à rejoindre les siens. « Là-bas, bas dans le ciel », répond-il, le bras tendu vers l’horizon. Le contrechamp offre au spectateur l’image, saisie dans toute la largeur du format Scope, d’un ciel étoilé immense et impénétrable. Cette scène de Starman, road trip ultra romantique réalisé par John Carpenter en 1984, le cinéaste américain Jeff Nichols, né en 1978, l’a découverte quand il était ado, une nuit, à la télé. « L’atmosphère du film m’avait paru magnifique, inédite, nous a-t-il raconté. Et j’avais été marqué par le jeu si étrange de Jeff Bridges. Je me souviens m’être dit : “Mais qu’est-ce que c’est que cet ovni ?” » Le jeune réalisateur ne cache pas s’être inspiré du film de Carpenter pour construire l’intrigue et l’univers visuel de Midnight Special, son nouveau long métrage. Soit l’histoire d’un gamin que ses pouvoirs surnaturels semblent relier au ciel, vers lequel il ne cesse de diriger ses regards. L’image est bien connue des amateurs de l’œuvre de Nichols : dans tous ses films, les héros lèvent ainsi la tête vers les cieux, que ce soit pour trouver le réconfort de quelques rayons de soleil après une blessure sentimentale (Mud. Sur les rives du Mississippi) ou pour scruter d’un œil inquiet les signes annonciateurs d’une terrible tempête (Take Shelter). En s’aventurant, avec Midnight Special, dans le registre de la pure science-fiction, en tournant sa caméra vers un cosmos opaque et mystérieux, Jeff Nichols offre à ce motif une nouvelle et réjouissante dimension.

www.troiscouleurs.fr 11


e n bre f

Les actualités PAR PAOLA DICELLI, JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, WILFRIED PARIS ET TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

LA RENTABILITÉ DES FILMS FRANÇAIS Comme tous les ans, l’hebdomadaire Le Film français a publié son classement des productions hexagonales présentant le meilleur taux de rentabilité au cours de l’année précédente. Celui-ci est calculé en établissant le rapport entre le budget prévisionnel du film et le nombre d’entrées réalisées lors de son exploitation nationale. Surprise : en 2015, les films d’auteur à petits budgets prennent la tête du classement, alors que celui-ci était dominé, en 2014, par des comédies populaires comme Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? et La Famille Bélier. T. Z.

200%

Rentabilité (en %)

180,70 % 130,22 %

100%

94,43 %

Connasse.

Princesse des cœurs

de Noémie Saglio et Éloïse Lang budget :

4 m€

155,51 %

164,64 %

105,58 %

Babysitting 2 de Philippe Lacheau et Nicolas Benamou budget :

9,5 m€

Much Loved de Nabil Ayouch budget :

0,66 m€

Demain * de Cyril Dion et Mélanie Laurent budget :

1,26 m€

Mustang de Deniz Gamze Ergüven budget :

1,30 m€

La Loi du marché de Stéphane Brizé budget :

1,70 m€

* En cours d’exploitation au moment de l’étude

> PRÉVENTION

© collection christophel

Le tabac, bientôt tabou ?

Uma Thurman dans Pulp Fiction de Quentin Tarantino

12

Début février, l’Organisation mondiale de la santé a publié un rapport sommant les gouvernements de prendre des mesures (allant jusqu’à l’interdiction aux mineurs) contre les films dans lesquels on voit les acteurs s’en griller une. Selon son communiqué, des études américaines ont montré que, chez les ados, 37 % des nouveaux fumeurs ont suivi l’exemple donné à l’écran. Une initiative qui semble résonner comme un dangereux appel à la censure, et qui fait écho à un fumeux épisode de 2009, quand la société Métrobus avait gommé la pipe de la bouche de Jacques Tati sur les affiches d’une exposition qui lui était consacrée (ce qui, bizarrement, avait abouti à un assouplissement de l’application de la loi Évin). En réalité, le rapport vise surtout à en finir avec la publicité déguisée pratiquée par les fabricants de tabac, qui payent grassement les acteurs et les sociétés de production pour placer illégalement des clopes dans les films. Sans cibiches, on se demande tout de même à quoi ressembleraient les films d’Arnaud Desplechin ou de Quentin Tarantino… T. Z.

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 13


e n bre f

> LE CHIFFRE C’est, en dollars, la valeur estimée des cadeaux offerts aux célébrités nommées à la 88e cérémonie des Oscars, non pas par l’Académie – qui crie au scandale –, mais par une société de placement de produits profitant de l’événement. À la clef, des séjours en Israël et au Japon, un traitement cutané au laser ou encore un sex-toy. Q. G.

> DÉPÊCHES

Bon plan

Festival

Décès

Du 20 au 22 mars, le Printemps du cinéma revient pour sa 17e édition. L’occasion de fréquenter les salles obscures pour un tarif unique de 4  par séance, dans tous les cinémas, à tous les horaires, et pour tous les films.

Le festival international de films documentaires Cinéma du réel se tient du 18 au 27 mars au Centre Pompidou. Entre les frontières du cinéaste israélien Avi Mograbi ouvre cette 38 e édition, qui accueille 41 films en compétition.

Deux grands chefs opérateurs nous ont quittés en février : Jean Rabier (Cléo de 5 à 7, Les Parapluies de Cherbourg, les films de Claude Chabrol durant plus de trente ans…) et Douglas Slocombe (Le Bal des Vampires, les trois premiers Indiana Jones…).

> LA PHRASE

> LA TECHNIQUE

Pamela Anderson

Amoureux des effets spéciaux à l’ancienne, Corin Hardy souhaitait que les créatures de son premier film, Le Sanctuaire, soient réalisées selon la tradition du man in suit. Comme dans L’Étrange Créature du lac noir de Jack Arnold (1955), celles-ci sont donc incarnées par des comédiens recouverts d’un costume en caoutchouc mousse sculpté, moulé puis peint. Mais pour duper l’œil expert des spectateurs contemporains, le jeune cinéaste a tout de même fait appel aux techniques modernes : si les interprètes portent bien un costume en caoutchouc, leurs bras et leurs jambes, recouverts de lycra bleu, ne se glissent pas dans les membres rachitiques des créatures, mais se contentent de les animer, à la façon des marionnettes du Bunraku japonais. En gommant numériquement ces portions bleues, la silhouette des monstres semble effroyablement émaciée. J. D. Le Sanctuaire de Corin Hardy Sortie le 30 mars

mars 2016

« ÉCOUTEZ, LES GARS, JE SUIS OCCUPÉE. J’AI MA VIE, JE M’AMUSE, J’ADORE ÊTRE À LA PLAGE ET JE NE VEUX RIEN FAIRE D’AUTRE. » C’est en ces termes que l’icône d’Alerte à Malibu aurait refusé un rôle important dans The Mask (1994), d’après une interview au magazine Sofilm.

© george pimentel /getty images

© d. r.

Le monstre s’habille en lycra

14

© rda / everett

PAR P. D.


www.troiscouleurs.fr 15


e n bre f

© d. r.

en tournage

Fuocoammare de Gianfranco Rosi

> PALMARÈS

Une Berlinale sur tous les fronts Présidé par Meryl Streep, le jury de la 66e Berlinale, qui s’est tenue du 11 au 21 février dernier, a choisi de décerner sa récompense suprême, l’Ours d’or, à un film qui fait écho à l’actualité internationale du moment : Fuocoammare de l’Italo-Américain Gianfranco Rosi, un documentaire sur l’île de Lampedusa et sur le drame qu’y vivent des milliers de migrants. Dans un registre également très politique, le Grand prix du jury a été remis à Mort à Sarajevo du Bosniaque Danis Tanovi , adaptée de la pièce Hôtel Europe de Bernard Henri-Lévy, évoquant l’histoire de l’Europe au xxe siècle à travers les destins des clients d’un hôtel de Sarajevo. La France, elle, a conquis le jury grâce à un film plus intimiste, L’Avenir, cinquième long métrage de Mia Hansen-Løve, sur une prof de philo en pleine crise existentielle. La cinéaste de 35 ans repart avec l’Ours d’argent de la meilleure réalisatrice. Q. G

Natalie Portman rejoint Kit Harrington, Jessica Chastain, Kathy Bates et Susan Sarandon dans The Death and Life of John F. Donovan de Xavier Dolan, sur la relation épistolaire entre une star et un jeune acteur. Le tournage, en anglais, est prévu l’été prochain • Après l’oscarisé Démineurs (2009) et Zero Dark Thirty (2013), Kathryn Bigelow choisit les émeutes de Detroit en 1967 comme sujet de son prochain film, dont la sortie est prévue courant 2017. P. D.

LIVRE

> LIVRE

Thiellement ésotérique Les treize livres que l’essayiste et réalisateur Pacôme Thiellement a consacrés à la musique (The Beatles, Frank Zappa, Led Zeppelin), à la littérature (Gérard de Nerval) ou aux séries télé (Twin Peaks, Lost) visent à élever les œuvres populaires au rang d’objets sacrés, rituels ; et donc à en faire non pas l’analyse mais l’exégèse, à en expliquer le sous-texte, le sens secret, à les réinterpréter. Invoquant évangiles gnostiques, traités hermétistes ou poésie soufie, Cinema Hermetica se compose de chapitres indépendants les uns des autres qui traitent chacun d’un film culte (Nosferatu, Freaks, Le Locataire, Suspiria, Chinatown, Nymphomaniac ou Shining) et qui, une fois réunis, forment une singulière histoire des rapports qu’entretient le cinéma avec son ésotérisme : initiation et contre-initiation, carnaval et apocalypse, communautés des freaks et solitude contemporaine… Pacôme est de ces magiciens qui savent faire parler les images. W. P. Cinema Hermetica de Pacôme Thiellement (Super 8 Éditions)

16

mars 2016

Dans Kikobook, le réalisateur Gérard Kikoïne (Parties fines, Pensionnat de jeunes filles, Bourgeoise et pute…) raconte la France post-révolution sexuelle à travers les souvenirs de ses « films d’Amour » – comme il tient à appeler ses longs métrages. En émaillant ce bel objet d’images d’archives polissonnes et drôlement commentées, cette figure centrale du porno des années 1970-1980 livre un témoignage passionnant sur son cinéma à la fois baroque et grivois. Q. G. Kikobook de Gérard Kikoïne (les éditions de l’Œil)


www.troiscouleurs.fr 17


Corentin Fila et Kacey Mottet Klein Dans Quand on a 17 ans d’André Téchiné, ils campent des ados dont la relation évolue du conflit à la passion. Dans la vie, Kacey Mottet Klein et Corentin Fila ont tout de suite sympathisé. Ils ont pourtant dix ans d’écart et des parcours très différents. PAR TIMÉ ZOPPÉ

L

e décalage entre Corentin Fila et son personnage dans Quand on a 17 ans est frappant. Âgé de 27 ans et d’une grande volubilité, il semble à l’opposé du jeune homme solitaire et mutique qu’il incarne dans le film. « Je ne suis pas si différent que ça de lui. Je pense que j’ai la même mélancolie, mais j’espère que je suis plus drôle ! » Né à Paris, il gagne sa vie en tant que mannequin pendant sa licence d’économie. En 2011, il assiste à une pièce de Peter Brook aux Bouffes-du-Nord : « Avant, pour moi, Molière, c’était des vieux de la Comédie-Française avec un violoncelle et un gros bide. Mais quand j’ai vu ces acteurs hyper puissants, j’ai su que c’était ça que je voulais faire. » Il intègre la Classe libre du cours Florent, puis décroche son premier rôle au cinéma dans le film de Téchiné. Il rêve à présent d’incarner des personnages qui ont « l’ennui sexy », comme ceux des films de Jim Jarmusch.

T

ombé dans la marmite à 8 ans en tournant dans Home (2008) d’Ursula Meier, le jovial jeune homme de 17 ans a depuis fait du cinéma sa raison de vivre. Après avoir connu le feu des projecteurs avec L’Enfant d’en haut (2012) de la même réalisatrice, au côté de Léa Seydoux, Kacey Mottet Klein a préféré arrêter l’école à 15 ans. « Les regards de mes camarades de classe, la jalousie… c’était pas facile. » Originaire de Suisse (« J’ai fait les quatre cents coups à Lausanne. »), il s’est depuis établi à Bruxelles pour « se concentrer à fond » sur son travail. Avant d’embrasser pour la première fois un garçon sur le plateau de Téchiné, il a incarné un ado rigolard confronté à la paternité dans Keeper de Guillaume Senez (en salles le 23 mars). Conscient que « tout peut s’arrêter du jour au lendemain », il se réjouit de retrouver Meier, sa « maman de cinéma », à l’automne, pour un projet encore secret.

Quand on a 17 ans d’André Téchiné avec Kacey Mottet Klein, Corentin Fila… Distribution : Wild Bunch / Durée : 1h56 Sortie le 30 mars

18

mars 2016

© philippe quaisse

à su ivre


www.troiscouleurs.fr 19


ag e n da

Sorties du 2 au 30 mars 2 mars Saint Amour de Benoît Delépine et Gustave Kervern avec Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde… Distribution : Le Pacte Durée : 1h41 Page 30 Deux Rémi, deux de Pierre Léon avec Pascal Cervo, Luna Picoli-Truffaut… Distribution : Vendredi Durée : 1h06 Page 32 et 52

Zoolander 2 de Ben Stiller avec Ben Stiller, Owen Wilson… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h35 Page 54

Louis-Ferdinand Céline d’Emmanuel Bourdieu avec Denis Lavant, Géraldine Pailhas… Distribution : Paradis Films Durée : 1h37 Page 58

Éperdument de Pierre Godeau avec Guillaume Gallienne, Adèle Exarchopoulos… Distribution : StudioCanal Durée : 1h50 Page 56

Dieumerci ! de Lucien Jean-Baptiste avec Lucien Jean-Baptiste, Baptiste Lecaplain… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h35 Page 58

9 mars

Little Go Girls d’Éliane de Latour avec Bijou Ballo, Safia Koné… Distribution : JHR Films Durée : 1h33 Page 58

Célibataire, mode d’emploi de Christian Ditter avec Dakota Johnson, Rebel Wilson… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h50 Page 52

Suite armoricaine de Pascale Breton avec Valérie Dréville, Kaou Langoët… Distribution : Météore Films Durée : 2h28 Page 25

Solange et les Vivants d’Ina Mihalache avec Ina Mihalache, Pierre Siankowski… Distribution : Wide Durée : 1h07 Page 58

Un vrai faussaire de Jean-Luc Léon Documentaire Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h30 Page 52

C’est l’amour de Paul Vecchiali avec Pascal Cervo, Astrid Adverbe… Distribution : Shellac Durée : 1h37 Page 32

Alias Maria de José Luis Rugeles avec Karen Torres, Carlos Clavijo… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h32 Page 60

Belgica de Felix Van Groeningen avec Tom Vermeir, Stef Aerts… Distribution : Pyramide Durée : 2h07 Page 54

The Assassin de Hou Hsiao-hsien avec Shu Qi, Chang Chen… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h45 Page 44

Pursuit of Loneliness de Laurence Thrush avec Joy Hille, Sandra Escalante… Distribution : Ed Durée : 1h36 Page 60

L’Orchestre de minuit de Jérôme Cohen-Olivar avec Avishay Benazra, Aziz Dadas… Distribution : Lena Films Durée : 1h53 Page 54

Brooklyn de John Crowley avec Saoirse Ronan, Domhnall Gleeson… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h53 Page 56

La Chute de Londres de Babak Najafi avec Gerard Butler, Aaron Eckhart… Distribution : SND Durée : 1h38 Page 54

Room de Lenny Abrahamson avec Brie Larson, Jacob Tremblay… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h58 Page 56

Jodorowsky’s Dune de Frank Pavich Documentaire Distribution : Nour Films Durée : 1h25 Page 2

Moonwalkers d’Antoine Bardou-Jacquet avec Ron Perlman, Rupert Grint… Distribution : Mars Durée : 1h47 Page 54

Des nouvelles de la planète Mars de Dominik Moll avec François Damiens, Vincent Macaigne… Distribution : Diaphana Durée : 1h41 Page 58

Midnight Special de Jeff Nichols avec Michael Shannon, Jaeden Lieberher… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h51 Page 36

20

mars 2016

16 mars


ag e n da

www.troiscouleurs.fr 21


ag e n da

Sorties du 2 au 30 mars Évolution de Lucile Hadzihalilovic avec Max Brebant, Julie-Marie Parmentier… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h21 Page 51

23 mars

Keeper de Guillaume Senez avec Kacey Mottet Klein, Galatea Bellugi… Distribution : Happiness Durée : 1h31 Page 68

The Lady in the Van de Nicholas Hytner avec Maggie Smith, Alex Jennings… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h44 Page 60

Batman v Superman L’aube de la justice de Zack Snyder avec Ben Affleck, Henry Cavill… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h31 Page 64

La Vallée de Ghassan Salhab avec Carole Abboud, Fadi Abi Samra… Distribution : Survivance Durée : 2h14 Page 70

Les Ogres de Léa Fehner avec Adèle Haenel, Marc Barbé… Distribution : Pyramide Durée : 2h24 Page 62

Médecin de campagne de Thomas Lilti avec François Cluzet, Marianne Denicourt… Distribution : Le Pacte Durée : 1h42 Page 64

Batman de Leslie H. Martinson avec Adam West, Burt Ward… Distribution : Splendor Films Durée : 1h45 Page 84

Triple 9 de John Hillcoat avec Casey Affleck, Kate Winslet… Distribution : Mars Durée : 1h55 Page 62

In Jackson Heights de Frederick Wiseman Documentaire Distribution : Sophie Dulac Durée : 3h10 Page 66

10 Cloverfield Lane de Dan Trachtenberg avec Mary Elizabeth Winstead, John Goodman… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h45 Page 62

Aux yeux de tous de Billy Ray avec Julia Roberts, Nicole Kidman… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h51 Page 66

Le Cœur régulier de Vanja d’Alcantara avec Isabelle Carré, Jun Kunimura… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 1h35 Page 70

Au nom de ma fille de Vincent Garenq avec Daniel Auteuil, Sebastian Koch… Distribution : StudioCanal Durée : 1h27 Page 62

Rosalie Blum de Julien Rappeneau avec Noémie Lvovsky, Kyan Khojandi… Distribution : SND Durée : 1h35 Page 66

Soleil de plomb de Dalibor Matani avec Tihana Lazovi , Goran Markovi … Distribution : Bac Films Durée : 2h03 Page 70

A Perfect Day de Fernando León de Aranoa avec Benicio del Toro, Tim Robbins… Distribution : UGC Durée : 1h46 Page 64

Royal Orchestra de Heddy Honigmann Documentaire Distribution : Arizona Films Durée : 1h34 Page 66

Five d’Igor Gotesman avec Pierre Niney, François Civil… Distribution : StudioCanal Durée : 1h42 Page 70

No Land’s Song d’Ayat Najafi Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h31 Page 64

Remember d’Atom Egoyan avec Christopher Plummer, Martin Landau… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h35 Page 68

Good Luck Algeria de Farid Bentoumi avec Sami Bouajila, Franck Gastambide… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h30 Page 70

Le Divan du monde de Swen de Paw Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h35 Page 64

Chala. Une enfance cubaine d’Ernesto Daranas avec Armando Valdés Freire, Alina Rodríguez… Distribution : Bodega Films Durée : 1h48 Page 68

Volta à terra de João Pedro Plácido Documentaire Distribution : UFO Durée : 1h18 Page 71

22

mars 2016

30 mars


ag e n da

13 hours de Michael Bay avec John Krasinski, James Badge Dale… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h24 Page 71

Quand on a 17 ans d’André Téchiné avec Kacey Mottet Klein, Corentin Fila… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h54 Page 72

East Punk Memories de Lucile Chaufour Documentaire Distribution : Aramis Films Durée : 1h20 Page 74

La Passion d’Augustine de Léa Pool avec Céline Bonnier, Lysandre Ménard… Distribution : KMBO Durée : 1h43 Page 71

Sunset Song de Terence Davies avec Peter Mullan, Agyness Deyn… Distribution : Rezo Films Durée : 2h15 Page 72

Un monstre à mille têtes de Rodrigo Plá avec Jana Raluy, Sebastián Aguirre Boëda… Distribution : Memento Films Durée : 1h14 Page 74

Shadow Days de Zhao Dayong avec Li Ziqian, Liang Ming… Distribution : Dissidenz Films Durée : 1h35 Page 71

Taklub de Brillante Mendoza avec Nora Aunor, Julio Diaz… Distribution : New Story Durée : 1h37 Page 72

Kung Fu Panda 3 de Jennifer Yuh et Alessandro Carloni Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h35 Page 85

www.troiscouleurs.fr 23


24

mars 2016


histoires du

CINéMA

KERVERN ET DELÉPINE

Ils lâchent Depardieu et Poelvoorde dans un road movie choral et viticole. p. 30

JEFF NICHOLS

Rencontre avec le cinéaste américain pour Midnight Special p. 36

HOU HSIAO-HSIEN

Le réalisateur taïwanais de The Assassin évoque son travail formel p. 44

Pascale Breton Après Illumination (2004), chronique douce-amère de la vie sentimentale d’un marin-pêcheur, Pascale Breton revient avec Suite armoricaine, fresque puissante et mélancolique en forme de recherche du temps perdu. À travers les parcours de Françoise (Valérie Dréville), prof d’histoire de l’art qui vient enseigner à Rennes, la ville de ses années punk, et Ion (Kaou Langoët), étudiant en géographie faisant face à l’instabilité de Moon (Elina Löwensohn), sa mère SDF, la cinéaste confronte plusieurs générations à leurs fantômes. PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

www.troiscouleurs.fr 25

© flavien prioreau

« Tout finit par revenir, je défends une vision du temps circulaire. »


h istoi re s du ci n é ma

A

vant l’entretien, Pascale Breton nous explique pourquoi elle a les yeux rougis : elle est allergique à Paris. Née à Morlaix, la réalisatrice a passé une partie de sa jeunesse dans la capitale où elle a réalisé quelques courts métrages remarqués, mais elle a vite compris que Paris étouffait son désir de cinéma. C’est donc en Bretagne, sur sa terre natale, que la cinéaste est revenue s’installer pour réaliser Illumination en 2004. Depuis, elle a enchaîné les projets avortés faute de financements. Une décennie plus tard, la revoilà avec son deuxième long métrage, Suite armoricaine, dont l’héroïne, Françoise, fuit aussi Paris pour Rennes, ville de son adolescence. Françoise cherche ainsi l’apaisement, mais ses souvenirs enfouis vont remonter à la surface à travers plusieurs rencontres : un sombre étudiant qui l’intrigue, une vieille amie qui vit dans la rue. Bien que la cinéaste assume quelques points communs avec son héroïne, elle assure que le film n’a rien d’auto­ biographique. Elle qui a mis si longtemps à revenir au cinéma a pourtant choisi de filmer un personnage qui expérimente la difficulté d’un retour. Françoise retrouve la ville de sa jeunesse, Ion tire un trait sur son passé en prétendant que sa mère est décédée : votre film parle beaucoup de la mémoire. Plus que la mémoire, je pense qu’il s’agit d’apprivoiser le temps sous toutes ses formes, en l’observant comme un animal sauvage. Par exemple, le temps d’un personnage n’est pas celui d’un autre, donc je donne parfois à voir plusieurs points de vue sur une même séquence. En tant que cinéaste, le temps a aussi été un outil pour construire le film. J’ai choisi d’étaler le tournage sur une longue durée (une année universitaire), avec beaucoup de pauses, notamment parce que Valérie Dréville était très prise au théâtre. En revanche, j’ai écrit le scénario très vite, en suivant les méthodes de Cesare Zavattini, metteur en scène et théoricien du Néoréalisme italien, qui pensait qu’on doit écrire comme on découvre un pays inconnu, sans connaître la fin ni savoir où on va. Valérie Dréville est une grande actrice de théâtre, mais elle est plutôt rare au cinéma. Pourquoi l’avoir choisie pour le rôle principal ? Dans Prénom Carmen de Jean-Luc Godard, elle est extraordinaire. C’est une actrice gigantesque, mais elle n’avait jamais joué de premier rôle. Du coup, je me disais que, si elle acceptait de faire le film, elle donnerait beaucoup. Le tournage s’annonçait

26

difficile, il y avait dans ma démarche un côté « vœu de pauvreté », donc il fallait une actrice assez modeste, sans assistant, qui ne passe pas son temps dans un car loge. Je ne voulais pas de hiérarchie, je tenais à des modes de communication égalitaires, notamment avec les étudiants qui participaient au film – ils n’avaient pas le titre de stagiaires, mais d’étudiants associés. Vous avez choisi comme décor principal le campus de Villejean. Que vous inspirait ce lieu ? Je voulais ancrer le récit dans une université, car c’est un lieu éclectique, des individus différents peuvent facilement s’y croiser. C’est aussi un endroit qui me semblait synthétiser quelque chose de la ville. Cette fac est dans une dynamique très libertaire. Les dernières grandes manifestations étudiantes, en 2009 [contre le projet de loi sur l’autonomie des universités, ndlr], ont eu une grande portée ici. Il y a eu une répression insupportable. Ces blessures m’ont semblé encore ouvertes : il a vraiment fallu négocier pour obtenir une autorisation de tournage. Vous avez filmé en format Scope, ce qui donne une large place aux paysages. Le film traite beaucoup de géographie, notamment à travers Ion, qui y consacre ses études. Les personnages cherchent leur place dans ce monde, alors il fallait ouvrir le champ de la caméra pour montrer comment chacun négocie avec son environnement. J’ai aussi voulu que la nature soit très présente. D’ailleurs, les arbres apparaissent toujours en amorce dans les plans sur les bâtiments urbains. J’ai fait en sorte que les paysages prennent un caractère mental. On y retrouve l’atmosphère alchimique des tableaux de la Renaissance dans lesquels chaque élément a une signification. Dans le film, il est question de l’identité et de l’imaginaire bretons, de la langue qui se perd, des légendes qu’on oublie. Mes grands-parents parlaient breton. Mes parents le comprenaient un peu ; moi, pas du tout. Le vrai deuil du film, c’est celui de cette langue. Mais, en même temps, je mets en scène deux personnages d’étudiants en ethnologie qui choisissent la langue bretonne comme objet d’étude. Tout finit par revenir, je défends une vision du temps circulaire. Pourquoi avoir choisi d’utiliser des images d’archives du Rennes du début des années 1980, en pleine vague punk ? Je voulais que le générique de début raconte cette époque qui correspond à l’adolescence de Françoise

mars 2016


© diaphana

© le pacte

e ntreti e n

Valérie Dréville

« Mes grands-parents parlaient breton ; moi, pas du tout. Le vrai deuil du film, c’est celui de cette langue. » et à la mienne. À travers ces images, on traverse ce temps de révolte en Bretagne. Je pense par exemple à la lutte des habitants de Plogoff contre l’installation d’une centrale nucléaire entre 1978 et 1981, qui a entraîné l’abandon du projet. Dans ce genre de manifestation, il fallait de la musique. On est alors passé de la culture des fest-noz à la musique punk. Du fait de la proximité de l’Angleterre, celle-ci est très vite arrivée en Bretagne. Moon perpétue le mode de vie punk, ce qui l’exclut de la société contemporaine et conduit son fils à la renier. Quel message porte ce personnage ? Quand on est jeune, on boit beaucoup, on goûte à toutes les drogues, on a besoin de tester les limites, d’expérimenter différents stades de conscience. Moon n’a pas trouvé son chemin. Elle incarne un thème très présent et souvent ressassé dans le film, celui de l’Arcadie [dans la mythologie grecque, l’Arcadie, région du Péloponnèse, est une terre paradisiaque où les hommes côtoient les dieux, ndlr]. Elle l’évoque à travers le souvenir d’un voyage près de la mer Égée qu’elle a fait autrefois avec son fils. Elle y pense comme à un éden perdu.

Ion dira qu’il veut refaire ce voyage, comme pour boucler la boucle. L’Arcadie est aussi le sujet des cours d’histoire de l’art que donne Françoise. Le montage de Suite armoricaine a un rythme très alangui, flottant, qui tranche avec la dureté des événements relatés dans le film. Les personnages semblent toujours se déplacer comme s’ils se promenaient. Pour le montage, j’ai pensé aux vagues, autant pour leur rythme que pour leur mouvement de flux et reflux. On a construit le film de façon à ce que l’intrigue avance à reculons : chaque rencontre occasionne un retour dans le passé. Mais c’est vrai que le tempo du film est propice à la flânerie. D’ailleurs, lorsqu’ils se rencontrent enfin, Françoise propose à Ion une virée à la campagne. C’est une chose que je fais quand je rencontre des jeunes gens qui sont tristes. Je les emmène en balade. C’est une transmission par la vie, par le fait d’être ensemble. Suite armoricaine de Pascale Breton avec Valérie Dréville, Kaou Langoët… Distribution : Météore Films Durée : 2h28 Sortie le 9 mars

www.troiscouleurs.fr 27


h istoi re s du ci n é ma – scè n e cu lte

La réplique :

« Si vous voulez y aller, allez-y. Moi, je me retire. »

Yojimbo À la fin du xixe siècle, un r nin errant (Toshir Mifune) débarque dans un village où sévit une guerre sanglante entre deux clans. Parmi les neuf chefs-d’œuvre d’Akira Kurosawa qui ressortent ce mois-ci en version restaurée, Yojimbo (1961) reste le plus jubilatoire. Et peut-être le plus influent. PAR MICHAËL PATIN

O

n sait que les pâtes ont été inventées en Chine, on sait moins que le western spaghetti vient du Japon. Son premier coup d’éclat, Pour une poignée de dollars de Sergio Leone, est un remake de Yojimbo d’Akira Kurosawa. Même structure narrative, même antihéros moralement ambigu, même relecture moderne, ironique et iconoclaste, des codes du western. Le programme du film est synthétisé de manière hilarante lors de la première bataille rangée, lorsque le samouraï Sanjuro (un nom qu’il invente quand on lui demande de décliner son identité), tout à son intrigue, annonce qu’il ne participera pas au combat. « Si vous voulez y aller, allez-y. Moi, je me retire. » Et le voilà qui s’installe en haut d’une grande échelle plantée au milieu de la rue principale. Le montage alterne ensuite plans

28

en plongée sur les mouvements d’avant en arrière des belligérants, armés jusqu’aux dents mais trop pleutres pour régler leurs comptes en plein jour, et plans en contre-plongée du héros, qui se régale du spectacle. Sous la caméra virtuose de Kurosawa (dont un génial plan d’ensemble, scindé en deux par l’échelle, dans lequel les épées s’agitent fébrilement en bas du cadre), les villageois sont des fourmis jaugées par un dieu rigolard et méprisant. Aussi divertissant que les meilleurs films de Leone, Yojimbo secoue les frontières du genre pour livrer une critique acerbe de la bassesse humaine. Yojimbo d’Akira Kurosawa avec Toshir Mifune, Tatsuya Nakadai… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h50 Ressortie le 9 mars

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 29


h istoi re s du ci n é ma

L’ACTEUR À LA RACINE La méthode de Kervern et Delépine Avec Saint Amour, Benoît Delépine et Gustave Kervern lâchent Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde dans un road movie choral et viticole. La veine sociale et irrévérencieuse des Grolandais se nourrit de plus en plus de leurs acteurs, auxquels ils offrent un bastion de liberté plutôt rare dans le cinéma français. PAR TIMÉ ZOPPÉ

On n’est pas devenus main st re a m , qu a n d mê me ? » s’i nqu iète Benoît Delépine dans un recoin du Grand Amour, le bar parisien choisi pour la promo du film. Son hirsute complice, Gustave Kervern, explicite : « Certaines personnes trouvent que, sur ce film, on s’est un peu assagis… » Saint Amour ne dénote pourtant pas de leur univers : Gérard

30

Depardieu et Benoît Poelvoorde y campent deux paysans, un père bosseur et son poivrot de fils, qui font concourir leur taureau au Salon de l’agriculture puis décident de faire la route des vins en taxi. Leur voyage, auquel participe activement leur chauffeur beau parleur (interprété par Vincent Lacoste), est semé de ballons de rouge descendus cul sec et de rencontres avec des figures féminines (jouées par Céline Sallette, Ana Girardot ou Solène Rigot) plus ou moins inspirées. Dans des rôles d’épicuriens frôlant la dépression, Depardieu

mars 2016


décryptag e

et Poelvoorde imposent leur jeu et leur présence démesurés, jusqu’à prendre le pas sur le scénario et la mise en scène. CHAMP LIBRE

Kervern et Delépine n’ont pourtant pas toujours donné autant de place aux acteurs. Dans leurs premiers essais, le road trip Aaltra (2004) et le surréaliste Avida (2006), les réalisateurs endossaient eux-mêmes les premiers rôles : « C’est parce qu’on n’avait pas de sous », lâche Kervern. En 2008, ils passent un cap en proposant le haut de l’affiche de l’improbable satire sociale Louise-Michel à Yolande Moreau et à Bouli Lanners. Dès leur film suivant, Mammuth (2010), ils amènent un poids lourd du cinéma dans le leur, relativement marginal. Pour jouer un motard qui sillonne les routes de France afin de retrouver ses fiches de paie et de pouvoir toucher sa retraite, le duo ne voit nul autre que Gérard Depardieu. « On voulait travailler avec lui, pas tant pour sa filmographie que pour des interviews complètement cinglées qu’on avait vues sur la BBC, se rappelle Delépine. Il racontait qu’il tuait les cochons à mains nues, tout en écrasant sa clope sur la moquette. On s’est dit : “Putain, il en a encore sous le pied !” En même temps, on savait que si on le trouvait chiant et con, on lui dirait au revoir. On est assez indépendants pour pouvoir dire non. De toute façon, on n’avait pas écrit une ligne avant qu’il accepte. » Comme tous leurs films, Mammuth raconte l’émancipation d’un homme qui ne trouve pas sa place dans le système. Au-delà du personnage, c’est Depardieu, l’acteur, que l’on sent prendre plaisir à lâcher prise au fil de scènes surprenantes (le héros et son cousin se masturbent mutuellement, le dessinateur Siné le pousse à admettre qu’il est « un con »). C’est que, sur leurs plateaux comme dans leurs films, Kervern et Delépine savent instaurer une ambiance de confiance et de détente. « Depardieu nous a même dit que ça lui rappelait le tournage des Valseuses, s’enthousiasme Kervern. On était hyper contents, même si on ne voyait pas trop le rapport entre les deux films. C’est peut-être l’esprit de liberté, la façon de travailler… » BAS LES MASQUES

Avec Mammuth, les réalisateurs ont trouvé leur recette : désormais ils partent de la personnalité des acteurs et des particularités de leur jeu pour servir leur critique de la société. Pour Le Grand Soir, en 2012, ils proposent ainsi au survolté Benoît Poelvoorde d’incarner l’autoproclamé « plus vieux punk à chien d’Europe » et à Albert Dupontel, plus pondéré de réputation, mais capable de déployer une grande folie dans son jeu, de camper son frère, un vendeur de matelas au bord du burn-out. En 2014, les réalisateurs simplifient le schéma avec Near Death Experience en ne montrant qu’une

Gustave Kervern et Benoît Delépine

Depardieu et Poelvoorde imposent leur jeu démesuré, jusqu’à prendre le pas sur la mise en scène. seule personne à l’écran : Michel Houellebecq. L’écrivain joue un salarié dépressif qui s’exile dans la nature pour tenter de se suicider. Ses réflexions tragi-comiques formulées de façon littéraire en voix off, son corps flétri en décalage avec les éléments qui l’entourent… L’impression d’assister à un portrait du fascinant romancier, personnalité à la fois cynique, désabusée et apparemment détachée de son apparence physique (il n’a plus de dents, fume en continu et arbore un visage cadavérique), donne une étonnante densité à l’histoire. Avec Saint Amour, Kervern et Delépine poussent le principe en construisant le film autour de l’image de gros buveurs de Depardieu et Poelvoorde (un penchant qui a parfois compliqué le tournage) et en plaçant des caméos en forme de clins d’œil à la réalité (la réalisatrice de pornos Ovidie en agent immobilier nymphomane ; Chiara Mastroianni, compagne de Poelvoorde dans la vie, en patronne de baraque à frites qui fait du charme au personnage qu’il interprète). « Plus que leur image publique, c’est le caractère fort des gens qui nous intéresse », précise Kervern. On est curieux de voir ce qu’ils pourraient faire en dirigeant Jean Dujardin, avec lequel ils tentent de monter un film depuis plusieurs années. À propos de ce même projet, Delépine glisse, prudent : « On rencontre Renaud après-demain, on verra ce qui se passe… » Comme ils le précisent, le chanteur « revient de très loin ». Leur cinéma serait l’écrin idéal pour accueillir son retour. Saint Amour de Benoît Delépine et Gustave Kervern avec Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde… Distribution : Le Pacte Durée : 1h41 Sortie le 2 mars

www.troiscouleurs.fr 31


© antoine doyen

h istoi re s du ci n é ma

PASCAL CERVO Voilà une vingtaine d’années que Pascal Cervo trace son chemin dans un cinéma toujours audacieux. Malgré son assiduité à l’écran – il est ce mois-ci à l’affiche de C’est l’amour de Paul Vecchiali et de Deux Rémi, deux de Pierre Léon –, l’acteur à l’air toujours juvénile reste peu connu du public. L’intensité de son jeu l’impose pourtant comme le feu secret du cinéma français. PAR QUENTIN GROSSET

32

mars 2016


portr ait

Je n’ai pas une grande gueule, je ne tiens pas à attirer l’attention en société et, du coup, je m’entends dire régulièrement que je n’ai pas l’air d’un acteur, que je “ne fais pas” acteur. » Dans une interview donnée à Libération en 2011, Pascal Cervo se désolait de renvoyer une image un peu passe-partout. L’œil rieur, arborant une barbe qui donne à son visage un caractère moins doux et moins poupin que dans ses films, l’acteur de 38 ans nous confie qu’il n’entend plus tellement cet injuste reproche aujourd’hui. Mais, dans le café du Ve arrondissement où a lieu notre rencontre, il s’étonne que le photographe ne sache pas qui il est ni dans quoi il a joué. Pas fâché pour autant, l’acteur s’installe devant l’objectif avec assurance. Il semble loin le personnage de Marc, cet ado tourmenté par ses désirs, grâce auquel on l’a découvert en 1994 dans Les Amoureux de Catherine Corsini.

peut tout projeter. L’homme est difficile à cerner, on sent chez lui une certaine pudeur, et il ne se livre pas sur autre chose que son travail. Insaisissable, l’acteur ne se laisse pas réduire à un type de personnage. Autant Marc, dans Les Amoureux, est fragile, autant le personnage avec lequel il s’illustre ensuite dans le fiévreux À toute vitesse (1996) de Gaël Morel, celui d’un jeune écrivain qui s’inspire d’un garçon épris de lui pour en faire le héros d’un roman, apparaît têtu et débordant d’une sensualité brûlante. Une dualité qui fait écho au jeune homme que Pascal Cervo est alors. « Dans mon petit groupe d’amis, j’étais très impulsif, voire inconscient par moments. Mais dès que je sortais de ce cercle, je devenais très réservé. » Dans Deux

C’est à 15 ans que le jeune Pascal, originaire de Soisy-sur-Seine dans l’Essonne, obtient le premier rôle du film, après avoir été repéré par une directrice de casting alors qu’il flânait avec ses amis devant un grand magasin. « Je n’étais pas très à l’aise avec le fait que le personnage soit gay. J’ai commencé par refuser, et je pense que c’est ce qui a intéressé Catherine Corsini. » La réalisatrice, avec laquelle il collaborera par la suite pour deux téléfilms, se souvient de ce qui a motivé son choix de casting. « Je cherchais une forme de banalité, je voulais que chacun puisse se reconnaître en lui. Pascal avait ce côté commun tout en ayant une personnalité opaque. Ce n’est pas quelqu’un qui se vautre dans les émotions. » Son physique ordinaire, sa beauté classique, semble être la matière même avec laquelle Cervo travaille, lui qui sait se fondre dans des rôles et des univers extrêmement variés ; comme une surface blanche sur laquelle on

Rémi, deux, un étonnant film à la fois burlesque et inquiet, le cinéaste Pierre Léon a eu la bonne idée de profiter de l’ambivalence de l’acteur pour adapter Le Double de Fiodor Dostoïevski. Soit l’histoire de Rémi, un garçon effacé, qui voit arriver dans sa vie un deuxième Rémi, son sosie, beaucoup plus à l’aise et affirmé. La difficulté, pour l’acteur, consistait à marquer la disparité entre deux personnages identiques. « Pierre Léon m’avait donné des indications assez abstraites : je devais jouer Rémi 1 en pensant à un chat, et Rémi 2 en songeant à un perroquet. » Le cinéaste évoque son travail avec l’acteur : « À l’écran, il trouve l’équilibre nécessaire entre son aura d’acteur et le personnage qu’il doit jouer. Il maîtrise parfaitement les allers-retours entre les deux visages. » Une maîtrise qui tient au fait que, depuis ses rôles dans Les Amoureux ou À toute vitesse, embrassés de façon instinctive, l’acteur s’est vu offrir des partitions plus exigeantes

DOUBLE JE(U)

Son physique ordinaire semble être la matière même avec laquelle Cervo travaille.

Deux Rémi, deux de Pierre Léon

www.troiscouleurs.fr 33


h istoi re s du ci n é ma

« Pascal Cervo est du niveau d’un Robert Redford. Je ne pourrai plus faire de film sans lui. » Paul Vecchiali

C’est l’amour de Paul Vecchiali

de pure composition. Sur le tournage de Dernière séance (2011) de Laurent Achard, un slasher à la mise en scène clinique, dans lequel Cervo livre une performance trouble et extrême dans le rôle d’un projectionniste meurtrier, le cinéaste demande ainsi une rigueur absolue à son acteur. « Laurent, comme la plupart des réalisateurs avec lesquels je travaille, a un très fort rapport au cadrage. Paradoxalement, cela me laisse beaucoup de liberté dans mon jeu. » LE CERVO DE LA BANDE

Après un petit rôle de souffleur dans Saltimbank de Jean-Claude Biette en 2003, puis en tournant avec Laurent Achard ou Pierre Léon, Cervo s’est en effet choisi une famille de cinéastes aux univers stylisés qui donnent plutôt dans l’antinaturalisme, partagent un goût pour le dialogue, le cinéma populaire, les ruptures de tons et emploient souvent les mêmes acteurs (Jean-Christophe Bouvet, Serge Bozon, Axelle Ropert…). Autant de réalisateurs et acteurs héritiers de « l’école Diagonale » (du nom de la société de production fondée par Paul Vecchiali en 1976), mouvement caché et passionnant du cinéma hexagonal des années 19701980 qui regroupait, outre Vecchiali et Biette, Jean-Claude Guiguet ou Marie-Claude Treilhou. Vecchiali, qui a mis en scène Pascal Cervo en héros dostoïevskien dans Nuits blanches sur la jetée (2015), puis en figure romantique inspirée par Jean Genet dans C’est l’amour, nous confie aujourd’hui : « Pour moi, il est du niveau d’un Jacques Perrin

34

ou d’un Robert Redford. Je ne pourrai plus jamais faire de film sans lui. » Dans son prochain long métrage intitulé Le Cancre, qui sortira en 2016, le cinéaste et son acteur fétiche joueront un père et son fils, aux côtés de Catherine Deneuve. Luimême légataire de l’héritage laissé par les réalisateurs produits par Diagonale, Pascal Cervo a, depuis peu, amorcé une carrière de cinéaste à travers deux courts métrages prometteurs, Valérie n’est plus ici (2009) et Monsieur Lapin (2013), tous deux avec l’actrice Michèle Moretti. Ce dernier met en scène un veilleur de nuit mutique et mystérieux auquel on peut trouver des ressemblances avec Cervo lui-même quand, à un moment du film, il est invité à monter sur une scène par une prof de théâtre qui le remarque au hasard dans la rue. Celle-ci lui reproche de ne pas savoir parler de luimême : « C’est quand même la moindre des choses lorsqu’on est acteur. » Elle l’enjoint à sortir de son silence ; ce qu’il récite alors est inattendu, énigmatique mais très incarné. Sans se livrer, l’acteur est à la fois impénétrable et surprenant. Deux Rémi, deux de Pierre Léon avec Pascal Cervo, Luna Picoli-Truffaut… Distribution : Vendredi Durée : 1h06 Sortie le 2 mars C’est l’amour de Paul Vecchiali avec Pascal Cervo, Astrid Adverbe… Distribution : Shellac Durée : 1h37 Sortie le 9 mars

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 35


h istoi re s du ci n é ma

entretien

JEFF NICHOLS Le petit prodige du cinéma indépendant américain poursuit sa fulgurante ascension. Après trois longs métrages acclamés (Shotgun Stories, Take Shelter, Mud. Sur les rives du Mississippi), et avant Loving, qu’il a tourné cet automne et qui a de grandes chances d’être montré à Cannes en mai prochain, Jeff Nichols joue la surprise avec Midnight Special. S’il s’avance comme un pur film de genre, grand public et divertissant, le programme est plus retors qu’il n’y paraît. Démonstration en compagnie du cinéaste, charismatique et chaleureux.

© antoine doyen

PAR juliette reitzer

36

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 37


h istoi re s du ci n é ma

Toujours installé sous les ciels immenses d’un Sud sentimental et mystérieux, toujours porté par le génial acteur Michael Shannon, le cinéma de Jeff Nichols s’ouvre à la science-fiction, sans pour autant renier ses obsessions. Midnight Special suit la fuite en avant de Roy (Michael Shannon) et de son fils Alton (Jaeden Lieberher), un bambin doté de super-pouvoirs – ses yeux lancent des éclairs, il est capable de capter les ondes radio ou de faire tomber un satellite. Avec Lucas (Joel Edgerton), un ami d’enfance de Roy, ils tentent d’atteindre une destination mystérieuse, tout en étant poursuivis par le FBI et par les membres d’une secte qui prennent Alton pour un prophète. Ils rejoignent en cours de route la mère d’Alton, campée par Kirsten Dunst. Premier film du cinéaste produit par un studio (Warner Bros.), le proprement fantastique Midnight Special, drame familial fébrile et poignant, n’en porte pas moins la marque indélébile de son auteur.

C

omme dans vos précédents films, la relation parents/enfants est le moteur de Midnight Special, film de poursuite mystérieux et inquiétant. Être père, c’est un voyage éprouvant ? Oui… Je suis devenu père peu de temps avant de commencer à écrire ce film. Quand mon fils avait à peu près 1 an, il a fait une convulsion fébrile – c’est une réaction à une poussée de fièvre. Il avait des spasmes, les yeux révulsés, c’était terrifiant. Ma femme et moi avons cru qu’il allait mourir. Ça m’a fait prendre conscience que je n’avais absolument aucun contrôle sur mon enfant ou sur ce qui lui arrive, et ça m’a terrorisé. J’ai commencé à envisager d’en faire un film, mais la peur en soi n’est pas une idée suffisante. Donc j’ai essayé de réfléchir à la façon dont je gérais cette peur. J’ai compris que notre réaction face à la peur est d’essayer de reprendre le contrôle. Dans ce cas précis, de contrôler entièrement l’environnement de notre enfant pour qu’il soit en sécurité. Ce qui n’est pas vraiment une bonne idée. Je me suis alors demandé comment être un bon père ; et il m’a semblé qu’il s’agissait surtout de comprendre qui est votre enfant. C’est de ça que parle le film : un père qui fait ce voyage avec son fils – littéralement,

38

sur les routes. Il essaie de comprendre où son fils doit aller et de l’aider à y arriver. Cette sensation de perte de contrôle sur les événements s’incarne par exemple dans cette scène géniale dans laquelle Roy et Lucas conduisent dans la nuit noire, tous phares éteints, pour échapper à la police. Comment cette scène est-elle née ? J’ai grandi à Little Rock dans l’Arkansas, une région rurale. On m’avait raconté que les trafiquants convoyaient de la drogue sur les routes, la nuit, tous feux éteints, pour ne pas être repérés. Je ne sais pas si c’est vrai, c’est peut-être une légende urbaine, mais j’ai gardé cette image en tête pendant de nombreuses années. Elle a été à l’origine du choix du genre du film, du rythme de la narration, du style visuel, de l’ambiance. Peut-on voir en Alton une version enfantine du personnage de Curtis (Michael Shannon) dans Take Shelter ? Tous deux semblent étrangement connectés aux éléments, au ciel en particulier. (Il réfléchit.) Ça se pourrait… Laissez-moi vous poser une question. Dans le tout dernier plan

mars 2016


de Midnight Special, le gros plan sur Michael Shannon, avez-vous remarqué quelque chose, dans ses yeux ? Non… Revoyez-le. Et soyez très attentive, car c’est fugace. Mais disons qu’il y a un indice… Ce que je peux vous dire, c’est que Michael Shannon dans Take Shelter, c’était moi à l’époque où j’écrivais Take Shelter, et que Michael Shannon dans Midnight Special, c’était moi à l’époque où j’écrivais Midnight Special. Alton, ce gamin qui doit apprendre à gérer ses super-pouvoirs, ça pourrait aussi être vous face à la réalisation de ce film ambitieux, avec de nombreux effets spéciaux. C’est une conclusion qui me plaît bien, même si je ne l’ai pas pensé comme ça. Je voulais qu’Alton incarne les possibilités infinies et non explorées qu’offre l’univers. On n’a jamais fait l’expérience de ce qu’il y a après la mort, d’autres dimensions, des manifestations physiques de Dieu… Aucune de ces choses n’est visible, mais l’homme a envie qu’elles existent – et moi aussi sans doute. Alton est la manifestation de cette envie.

© 2016 warner bros. entertainment inc. and ratpac-dune entertainment llc

« Je me suis alors demandé comment être un bon père ; et il m’a semblé qu’il s’agissait surtout de comprendre qui est votre enfant. »

© 2016 warner bros. entertainment inc. and ratpac-dune entertainment llc

e n couve rtu re

Le film est produit et distribué par Warner Bros. Pour vous qui venez du cinéma indépendant, était-ce très différent de travailler sous l’égide d’un studio ? C’était remarquablement semblable à tout ce que j’ai fait avant. Midnight Special est un pur fanboy film‑ c’est un film de genre. C’est évidemment un film sur moi, ma femme, mon enfant, mais ça devait aussi être un film vraiment cool, un film que les gens ont envie d’aller voir. Il m’a semblé que Warner Bros. serait le bon partenaire pour ça. Je leur ai dit : « Les mecs, j’adore ce que vous faites, j’adore vos affiches, la façon dont vous

www.troiscouleurs.fr 39


© 2016 warner bros. entertainment inc. and ratpac-dune entertainment llc

h istoi re s du ci n é ma

pensez le marketing de vos films, et je veux que Midnight Special en bénéficie. » Mais j’avais des règles, très claires, dès le début : Michael Shannon devait jouer le premier rôle, je devais pouvoir travailler avec mon équipe habituelle, et je voulais avoir le final cut. Aucune de ces conditions ne leur a posé problème ? Non. Je ne sais pas trop pourquoi d’ailleurs, je ne m’attendais pas vraiment à ce qu’ils acceptent. Je crois qu’ils avaient aimé Mud. Et bon, je crois aussi que j’étais assez réaliste sur le budget. Ce n’était pas un film à 150 millions de dollars, ni un film à 100 millions. Ni même un film à 50 millions d’ailleurs. C’était un film à combien ? 19 millions. Ce qui pour moi était beaucoup – le plus gros budget de ma vie. Mais pour Warner, disons que c’était un risque acceptable. Cela dit, vous avez raison, le fait de travailler avec un studio a quand même modifié un peu ma manière de faire. Les gens de Warner ont été super, ils m’ont accompagné pendant tout le processus. Ils ne m’ont pas lâché, ce qui veut dire qu’ils m’ont aussi poussé à me remettre en question, en me demandant par exemple : « T’es sûr que tu veux laisser autant de questions sans réponses dans l’intrigue ? Montrons le film [en organisant des projections tests avec des panels de spectateurs, ndlr], voyons combien de gens aiment et combien n’aiment pas, et ce qu’ils n’aiment pas. » Quand vous faites du cinéma indépendant, votre film est sélectionné dans un festival, les gens l’aiment ou pas, et peu importe : c’est comme ça. Là, on a été plus attentifs aux retours. De bonnes choses en sont sorties, mais ça a été dur pour moi, parce que ça m’a obligé à défendre mes idées et mes choix, à imposer mon point de vue, encore et encore. À chaque fois qu’une fiche de visionnage revenait

40

avec des remarques du type : « Je veux savoir ci et ça, et qu’on m’explique pourquoi il se passe ça », je devais réaffirmer ma conviction que ce n’est pas parce que le spectateur veut savoir qu’il doit savoir. Ça ne rendra pas le film meilleur. Le spectateur est en effet plongé dans le mystère, les informations lui sont données avec parcimonie. Il est un peu comme le personnage joué par Adam Driver, un agent de la NSA qui enquête pour comprendre qui est Alton, et à qui l’un de ses interlocuteurs dit en se marrant : « Vous ne comprenez vraiment rien à ce qui se passe, hein ? » Ça vous a amusé de jouer avec les attentes des spectateurs ? J’adore ça ! Il ne faut pas oublier que le spectateur est incroyablement intelligent. On a été éduqués à regarder des films. Dès qu’un personnage apparaît à l’écran, on commence instinctivement à faire des suppositions sur ses liens avec les autres personnages, avec son environnement. Au début de Midnight Special, on est dans une chambre de motel avec deux types et un enfant, on se dit : « Qui sont ces gars, ce sont les méchants ? Non, ça ne peut pas être les méchants, je les ai vus sur l’affiche et dans la bande-annonce… » Puis quelques minutes plus tard, ils tirent sur un flic, et on se dit qu’ils ne sont finalement pas si sympas que ça. Pareil avec Alton, ce petit garçon qui ne peut pas être exposé à la lumière du soleil. Est-ce un vampire ? un alien ? Est-il malade ? Toutes ces questions sont géniales. Le mélange des genres – science-fiction, road movie, drame familial, film de super-héros… – participe aussi à cette volonté de brouiller les pistes, de surprendre le spectateur ? Oui. Je me souviens que j’avais fait lire le scénario de Take Shelter à un ami scénariste. Il m’avait envoyé une critique détaillée. « Voilà pourquoi je n’aime pas : je ne sais pas quel genre de film

mars 2016


© 2016 warner bros. entertainment inc. and ratpac-dune entertainment llc

« Ce petit garçon qui ne peut pas être exposé à la lumière du soleil, est-ce un vampire, un alien ? Toutes ces questions sont géniales. »

www.troiscouleurs.fr 41


© 2016 warner bros. entertainment inc. and ratpac-dune entertainment llc

h istoi re s du ci n é ma

c’est. Il faut que tu nous dises, très tôt, de quel genre de film il s’agit, pour qu’on sache comment le regarder. Sinon, le public va se sentir déstabilisé. » Ça ressemblait totalement à ce qu’un prof pourrait vous dire dans une école de cinéma ! J’ai rejeté ses arguments en bloc, c’est des conneries. On ne sait pas si mon film est un drame familial, un thriller psychologique, un film d’horreur, et ça me va très bien. Et je suis OK avec le fait que certains spectateurs aiment ça, et d’autres pas. C’est le prix à payer pour développer mon propre style. Vous citez les films de science-fiction des années 1980 comme principale référence pour ce film : Rencontre du troisième type et E. T. L’extra-terrestre de Steven Spielberg, Starman de John Carpenter. Comment avezvous abordé le style visuel du film avec votre directeur de la photographie Adam Stone ? Il y a deux choses. La première, c’est qu’on a fait comme on fait toujours, on est allés dans des décors réels pour tourner, dans de vrais hôtels, sur de vraies routes. J’avais une idée précise des lieux que je voulais. Ce qui fait que pour tourner, on roulait

42

parfois deux ou trois heures : on a tourné dans le Mississippi, en Louisiane, en Floride, au Texas… Les lieux réels sont toujours une composante principale de l’esthétique de mes films – on est allés sur une vraie île au milieu du Mississippi pour tourner Mud, par exemple. Deuxièmement, il fallait que les éléments fantastiques du film aient un rendu organique, réel, ce qui est le cas dans les films qui nous ont inspirés : des nuits d’un noir d’encre, opaque, des flares éclatants. On a commencé à faire des tests image très tôt, en se demandant s’il fallait tourner en pellicule ou en numérique. On a finalement choisi la pellicule, comme pour tous mes films, et des objectifs anamorphiques. Alton a des pouvoirs inexpliqués. Il lit d’ailleurs un comic book de super-héros. C’est intéressant que vous vous frottiez au registre du super-héros, parce que vos héros, justement, n’en sont pas : ce sont des types normaux, à qui il arrive des événements extraordinaires. Je n’ai jamais envisagé mes personnages comme des pièces sur un plateau d’échecs, qu’on déplace de case en case pour leur faire prendre telle ou

mars 2016


© 2016 warner bros. entertainment inc. and ratpac-dune entertainment llc

e n couve rtu re

Jeff Nichols et Kirsten Dunst sur le tournage de Midnight Special

« J’envisage mes personnages comme des gens normaux – même quand un rayon lumineux leur sort des yeux. » telle portée symbolique. Je les envisage vraiment comme des gens normaux – même quand un rayon lumineux leur sort des yeux. J’imagine comment je réagirais si j’étais à leur place : une mère à qui on a enlevé son enfant, un petit garçon qui ne comprend pas ce qui lui arrive et pourquoi c’est si douloureux, un policier qui veut aider son ami d’enfance mais a le sens du devoir… J’ai en permanence, particulièrement pour ce film, à cœur de faire exister et de rendre réaliste le point de vue de chacun. Les personnages masculins de vos films sont souvent submergés par leurs émotions, par leurs doutes, ce sont de grands sensibles… Cette sensibilité, cette mélancolie a-t-elle quelque chose à voir avec une certaine « âme du Sud », où vous vivez et où tous vos films se passent et sont tournés ? Oui, c’est sûr. Il y a un archétype qui a toujours gravité autour du Sud, c’est celui du fermier solide et fort, qui parle peu, qui ne partage pas ses émotions facilement. Mais quand vous commencez à connaître ces gens, vous constatez souvent qu’ils sont en fait plus sensibles que la moyenne. D’ailleurs, je pense que le personnage le plus fort du film, c’est celui de la mère, jouée par Kirsten Dunst. Elle est capable de dire ce que personne n’a le courage de dire : que leur enfant serait peut-être

mieux sans eux, que sa place n’est peut-être pas parmi eux. Je lui ai volontairement donné cette force parce que je pense que, jusque-là, mes personnages féminins étaient un peu faibles, pas assez développés – Jessica Chastain [qui joue dans Take Shelter, ndlr] se moque toujours de moi avec ça. La famille est un sujet central dans tous vos films, mais le couple aussi. Il s’agit toujours d’un amour contrarié ou impossible, un amour qui doit affronter les éléments pour survivre. Il y a une vraie dimension tragique et romantique dans cette vision de l’amour. Je crois vraiment, sincèrement, à l’idéal du grand amour, mais à mesure que je vieillis, et que les années de mariage s’accumulent, je comprends la réalité de tout ça. Les comédies romantiques se terminent quand les amoureux sont enfin réunis. Mais la vie ne se termine pas à ce moment-là. C’est la suite qui m’intéresse. C’est peut-être de là que vient le côté tragique dont vous parlez. En tout cas, oui, je suis un grand romantique, à 100 %. (Il soupire.) Mais un romantique réaliste.  Midnight Special de Jeff Nichols avec Michael Shannon, Jaeden Lieberher… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h51 Sortie le 16 mars

www.troiscouleurs.fr 43


h istoi re s du ci n é ma

critique

the assassin Auréolé du Prix de la mise en scène à Cannes en 2015, The Assassin, dont la sortie a été maintes fois reportée, signe le grand retour de Hou Hsiao-hsien (Poussières dans le vent, La Cité des douleurs, Millennium Mambo). La majesté contemplative du cinéaste taïwanais fait à nouveau des miracles en redessinant les perspectives du film de sabre chinois. PAR LOUIS BLANCHOT

44

mars 2016


dos si e r

P

our les admirateurs du maître, il y avait de quoi s’étonner : Hou Hsiaohsien, figure de proue de la nouvelle vague taïwanaise, chantre de sa jeunesse égarée, décidait d’aventurer son cinéma de l’intériorité sur les terres du wu xia pian, le « film de chevalier errant ». Un genre chéri de la culture chinoise, découvert par le grand public occidental à l’orée du millénaire grâce au succès surprise de Tigre et Dragon d’Ang Lee, mais surtout connu pour ses partis pris spectaculaires – combats défiant la gravité, décorum opulent. Plusieurs années se sont écoulées depuis cette annonce, qui n’ont cessé d’épaissir un brouillard de mystère et d’appréhension autour de The Assassin : allait-on retrouver intacte la poésie sensorielle du réalisateur de Millennium Mambo (2001) ? L’alliage de sophistication et de simplicité qui en faisait l’incomparable signature n’allait-il pas être compromis, asphyxié par le cortège de conventions et d’apparat ? C’était vite oublier que la désorientation n’a jamais cessé d’être le moteur caché de la filmographie de Hou Hsiao-hsien (qui s’est souvent risquée en territoire étranger) autant que la boussole secrète de sa mise en scène (qui n’a pas son pareil pour faire perdre au spectateur toute notion de temps et d’espace).

a toujours su vivifier son regard sur le passé, qui jamais chez lui ne se fige dans les apprêts de la reconstitution. Dans The Assassin, la Chine médiévale de la dynastie Tang est abordée de la même façon que le Japon moderne de Café Lumière (2004) ou que le Paris du Voyage du ballon rouge (2008) : comme un univers empli d’énigmes sensorielles qu’il s’agirait de capter ; un chaos de textures, de particules et de sons auquel donner une harmonie provisoire, presque improvisée. Les surfaces transparentes et ambrées des rideaux, les étoffes pourpres des robes, les exhalaisons d’encens et le

D’abord reconnu à travers une série de films autobiographiques (avec comme sommet le magnifique Poussières dans le vent, sorti en France en 1991), puis avec une trilogie centrée sur l’histoire de son pays (La Cité des douleurs en 1990, Le Maître des marionnettes en 1993, Good Men, Good Women en 1996), le cinéaste taïwanais a fini par opter pour l’alternance entre récit intime et fresque historique, estompant progressivement les frontières entre ces formes, entrelaçant les ambitions, conservant la singularité de son regard au mépris de toutes les géographies, les époques et les genres. Entre deux portraits définitifs et ouatés de la jeunesse taïwanaise (Goodbye South, Goodbye en 1997, Millennium Mambo en 2001), Hou Hsiao-hsien adapte ainsi en 1998 Les Fleurs de Shangai de Han Ziyun, récit suspendu des maisons de prostitution à la fin du xix e siècle en Chine, où drames d’amour et tragédies d’argent se mêlent et se confondent entre les murs de salons luxueux. Le film prend la forme d’un labyrinthe hypnotique ressassant le quotidien des courtisanes et de leurs clients. L’occasion, pour Hou, de peaufiner avec une virtuosité sans pareille son art de l’observation en espaces fermés. Chaque fois, la séquence se construit comme une enclave physique autant que mentale dont la réalité se verra progressivement dissoute par une imperceptible chorégraphie de travellings et de panoramiques ; manière de rappeler combien le réalisateur

Non content d’atteindre ici une forme d’apothéose, ce redéploiement plastique achève de soustraire The Assassin aux impératifs de la grosse machinerie du wu xia pian. Ce parti pris – presque un refus – condamne parfois le spectateur à demeurer à la remorque des péripéties, mais trouve un relais idéal dans la trajectoire hébétée de son héroïne, cette tueuse qui refuse de passer à l’acte – interprétée par l’impassible Shu Qi, égérie du cinéaste depuis Millennium Mambo. « Je me suis laissé attendrir », avouera, en cours de film, le personnage à son mentor. Il faut évidemment prendre cette confidence comme une note d’intention, la licence poétique d’un cinéaste qui préfère s’émanciper des règles narratives usuelles (l’intrigue, à la fois minimale et sinueuse) et des passages obligés (les combats, réduits à quelques cisaillements instantanés), pour ne s’intéresser qu’à la dimension frémissante du récit, cette matière sensorielle qui se trouve partout autour de lui et qui, à la façon des vues Lumière des premiers temps, attire et mobilise absolument toute l’attention de la mise en scène. Un art de l’envoûtement qui aura tôt fait de perdre certains, mais qui ne mettra pas longtemps avant de convaincre les autres que se joue là, malgré quelques atours expérimentaux, une forme de permanence du cinéma, laquelle place, à bientôt 70 ans, Hou Hsiao-hsien encore au-dessus – très au-dessus – de la plupart de ses contemporains.

DISSOUDRE LES FRONTIÈRES

La désorientation est le moteur caché de la filmographie de Hou Hsiao-hsien. scintillement des bougies renvoient aussi directement aux néons fluo, aux lasers stroboscopiques, aux vapeurs de woks et aux panaches de fumée de Goodbye South, Goodbye et de Millennium Mambo, rendant compte d’un même monde indéchiffrable, fait de lumière et d’évanescence.

www.troiscouleurs.fr 45

SE LAISSER ATTENDRIR


h istoi re s du ci n é ma

entretien

Hou Hsiao-hsien Hou Hsiao-hsien est l’un des grands orfèvres du cinéma contemporain. Avec le chef opérateur Mark Lee Ping-Bin, qui éclaire ses films depuis trente ans, il a ainsi enfanté quelques-unes des images les plus emblématiques de son temps. C’est cette caméra en apesanteur, serpentant entre les convives d’une maison close dans Les Fleurs de Shangai ; c’est la silhouette gracile de Shu Qi, déambulant à travers un tunnel zébré de néons dans Millenium Mambo. À l’occasion de la sortie du bruissant et hypnotique The Assassin, le réalisateur taïwanais revient sur son travail formel. propos recueillis PAR LOUIS BLANCHOT

46

mars 2016


© yao hung i

dos si e r

Hou Hsiao-hsien

H

uit ans se sont écoulés entre votre précédent long métrage, Le Voyage du ballon rouge, et The Assassin. C’est une période de battement inhabituelle dans votre filmographie. La raison en est simple : j’ai accepté la présidence du Taipei Film Festival et les Golden Horse Film Festival and Awards [l’équivalent des Oscars taiwanais, ndlr] et cela m’a pris beaucoup de temps. L’avantage étant que je pouvais idéalement concilier ce travail, disons, administratif, avec le travail de préparation de The Assassin, qui demandait plus de temps que mes autres films. Pour quelles raisons ? Déjà, au niveau de l’écriture, car ma scénariste Chu Tien-wen et moi-même avions besoin de faire beaucoup de recherches historiques. Nous avons fini par réunir une documentation considérable, car je voulais être au plus près du quotidien de l’époque. Ensuite, au niveau logistique, le projet nécessitait de réunir des moyens financiers importants, de construire des décors, de fabriquer des costumes.

Depuis Les Fleurs de Shangai, qui se déroulait uniquement entre les murs de maisons de prostitution, vous sembliez davantage attiré par les intérieurs, les espaces fermés. Dans The Assassin, on retrouve votre goût des paysages, des espaces extérieurs et naturels. C’est quelque chose qui vous avait manqué ? Ces paysages qu’on voit dans le film, je ne connaissais pas leur existence avant les repérages. Mais quand je les ai découverts, j’ai tout de suite été stupéfié : leur beauté était intense, intacte. Leur présence était donc essentielle, ils m’ont influencé à chaque étape du film : ce sont eux qui m’ont permis d’atteindre l’authenticité que je recherchais. Même lors des scènes d’intérieur, on sent la présence du dehors. Par exemple, vous filmez beaucoup de séquences derrière des voiles qui bougent à cause du vent, comme si vous vouliez faire sentir la présence de la nature autour du récit. Les intérieurs ne sont plus des enclaves, comme dans Les Fleurs de Shangai. Pour Les Fleurs de Shangai, c’était une contrainte : nous tournions en ville, au sein d’anciennes maisons de prostitution des concessions étrangères, qui étaient des espaces très confinés où le temps semblait s’être arrêté. Tandis qu’à l’extérieur, tout avait changé, plus rien n’existait tel qu’à l’époque. Pour The Assassin, c’était très différent. Pour tourner les scènes d’intérieur, j’ai insisté pour construire mon décor, non pas en studio, mais en extérieur, sur un terrain vague, ce qui me permettait de bénéficier de l’effet de tous les éléments naturels. Par exemple, je voulais profiter de l’action de la lumière naturelle sur cet intérieur, selon la trajectoire du soleil tout au long de la journée. Même chose pour toutes ces séparations faites par les tentures des différentes pièces des temples, dans lesquelles le vent venait naturellement se prendre. Cela aurait été impossible en studio ? C’est surtout quelque chose qui ne m’intéresse pas. Je ne vois pas l’intérêt de reconstituer la lumière du soleil, ou d’avoir des ventilateurs pour simuler l’action du vent. Ce que j’apprécie, ce sont les

www.troiscouleurs.fr 47


h istoi re s du ci n é ma

« Je ne vois pas l’intérêt d’avoir des ventilateurs pour simuler l’action du vent. »

interventions naturelles : elles rendent les choses vivantes. C’est votre usage du plan-séquence qui permet cette perméabilité aux éléments naturels. Tout à fait. Sur le tournage de The Assassin, on laissait le vent arriver, pénétrer l’espace, dialoguer avec la séquence, avec les comédiens, gonfler la soie comme les voiles d’un bateau, puis tout d’un coup s’intensifier, perturber les flammes des chandelles, puis se calmer à nouveau. Tous ces éléments ne peuvent intervenir de façon harmonieuse qu’à l’intérieur d’un plan-séquence. Vous étiez initialement plutôt partisan du plan fixe. Mais depuis deux décennies, votre caméra est devenue au contraire très mobile, comme incapable de se fixer sur quelque chose en particulier. Il n’y a pas eu de déclic ou de décision proprement dite. Cela s’est opéré naturellement, en fonction des sujets. Par exemple, Les Fleurs de Shangai est adapté d’un roman très célèbre, écrit par Han Ziyun. C’est un récit de souvenirs, l’auteur ayant lui-même connu l’ambiance de ces lieux de prostitution haut de gamme dans lesquels il suivait son père. Ainsi, je voulais rendre compte des perceptions de ce jeune artiste, que l’on sente que la caméra était comme l’œil de l’écrivain en train d’observer ce monde confiné, en vase clos. Votre filmographie récente alterne entre présent et passé, entre films sur le monde contemporain (Millennium Mambo, Café Lumière, Le Voyage du ballon rouge) et films d’époque (Les Fleurs de Shangai, Three Times, The Assassin). C’est le hasard des projets ? Ma filmographie est toujours le fruit du hasard. Je vous donne un exemple : en 1995, je réalise

48

Good Men, Good Women, un film historique réunissant un trio d’acteurs composé de Jack Kao, de Lim Giong et d’Annie Shizuka Inoh. Ils étaient tous à Cannes, où nous avons présenté le film. Durant les quelques jours passés en‑semble, je les ai vus devenir très amis : les rapports qu’ils entretenaient étaient si intéressants qu’ils m’ont donné l’idée d’un film. Mais un film dans le présent, que je voulais écrire rapidement et tourner dans la foulée. C’est devenu Goodbye South, Goodbye. Tout cela est donc moins une affaire d’alternance que de glissement. Dans The Assassin, vous vous confrontez pour la première fois à des séquences spectaculaires nécessitant des chorégraphies, des cascades, des effets spéciaux. Comment les avez-vous abordées ? Plutôt que de me positionner en contemplateur, j’ai dû davantage suivre les personnages : leurs actions décidaient des angles de vue. Cela m’obligeait à modifier certaines de mes habitudes – celle, par exemple, de constamment rester en retrait, d’observer et de laisser s’écouler le plan. Mais, dans le fond, cela n’a pas changé grand-chose, il n’y a pas tant de combats que cela. Souvent, dans les films d’époque, tout est homogénéisé au niveau formel. Ici, le début est en noir et blanc, le format change pour certaines séquences, le grain de l’image aussi. Pourquoi ces variations ? Le prologue est en noir et blanc parce que, pour moi, c’était un moyen de faire un lien avec la littérature, qui fonctionne ainsi – il y a un prologue avant le titre et le début de l’histoire. Pour le reste, j’ai surtout travaillé au feeling : en fonction des besoins de la scène, mon chef opérateur et moi décidions de tourner de telle ou telle façon. D’autant qu’aujourd’hui, avec le numérique, on peut se permettre d’expérimenter. Le numérique me facilite beaucoup les choses, il offre une certaine souplesse, je me sens moins contraint.  The Assassin de Hou Hsiao-hsien avec Shu Qi, Chang Chen… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h45 Sortie le 9 mars

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 49


50

mars 2016


les F I L M S du 2 au 30 mars BROOKLYN

Un récit d’exil dans l’Amérique des fifties enflammé par des comédiens lumineux p. 56

IN JACKSON HEIGHTS

Le documentariste Frederick Wiseman filme un quartier cosmopolite de New York p. 66

VOLTA À TERRA

Le film de João Pedro Plácido documente la vie d’un hameau du nord du Portugal p.71

Évolution Un petit village au bord de l’océan, peuplé de femmes et de jeunes garçons. Nicolas et sa mère y mènent une existence paisible, jusqu’au jour où l’enfant découvre un cadavre au fond de l’eau. Alors qu’il se met à douter de son environnement, on l’envoie à l’hôpital avec tous ses camarades. Attendue pendant dix ans, Lucile Hadzihalilovic renoue avec les obsessions d’Innocence pour construire un « film trip » cérébral et horrifique.

M

PAR MICHAËL PATIN

onteuse des films Carne et Seul contre tous de son compagnon, Gaspar Noé, cofondatrice avec lui de la société de production Les Cinémas de la Zone, Lucile Hadzihalilovic est longtemps restée dans l’ombre, malgré le culte entourant La Bouche de Jean-Pierre, son moyen métrage sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard en 1996. C’était avant la sortie d’Innocence (2005), premier long métrage sidérant en forme de conte fantastique sensoriel sur le passage des petites filles à la puberté, qui révélait une cinéaste en pleine possession de sa grammaire. Dix ans plus tard, on retrouve celle-ci intacte dès les premiers plans sous-marins d’Évolution, dont la beauté mystérieuse annonce une nouvelle plongée vers les abysses de l’inconscient. Comme dans Innocence, on est envoyé dans un espace clos dont les codes nous sont étrangers et dont le dépouillement est synonyme d’abondance métaphorique – hier le cercueil, aujourd’hui l’étoile de mer. Et comme dans Innocence, les préceptes du cinéma de genre (fantastique, giallo) sont assourdis par un traitement expérimental porté sur l’onirisme. Pourtant, le film ne produit pas du tout la même impression,

prenant la voie sinueuse d’une horreur cérébrale là où son prédécesseur privilégiait au fond la révélation des sentiments. La thématique de la sortie de l’enfance se double ici d’une réflexion sur la maternité, ce qui a pour effet de produire des images ambivalentes qui ne révèlent leurs secrets qu’après une lente décantation. Cette dualité, qui fait la richesse d’Évolution comme son opacité, est inscrite en creux dans sa structure. La première partie, située entre le village et le bord de l’océan, montre le rapport mère-fils et les questionnements de Paul. La seconde se déroule entre les murs de l’hôpital, où les garçons sont enfermés, soumis à des expériences de plus en plus terrifiantes, et où Paul se lie à l’une des infirmières, jouée par la diaphane et magnétique Roxane Duran. D’une partie à l’autre se produisent les secrètes mutations qui mèneront le garçon de l’enfance à l’adolescence, transformant son rapport à la femme, avec pour point d’orgue une scène de baiser de sirène qui restera gravée longtemps dans nos mémoires rétiniennes. De quoi patienter jusqu’au prochain film de Lucile Hadzihalilovic. de Lucile Hadzihalilovic avec Max Brebant, Julie-Marie Parmentier… Distribution : Potemkine Films Durée : 1h21 Sortie le 16 mars

www.troiscouleurs.fr 51


le s fi lm s

Deux Rémi, deux PAR QUENTIN GROSSET

Rémi voit soudain débouler dans sa vie un deuxième Rémi qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, le charisme en plus. Cette copie trop conforme est-elle un fantasme, ou bien un sosie mal intentionné ? Après L’Idiot (2009), le cinéaste Pierre Léon s’inspire une nouvelle fois d’une œuvre de Fiodor Dostoïevski avec cette ludique et réjouissante variation du Double.  de Pierre Léon avec Pascal Cervo, Luna Picoli-Truffaut… Distribution : Vendredi Durée : 1h06 Sortie le 2 mars

Un vrai faussaire

Célibataire, mode d’emploi PAR Raphaëlle Simon

PAR ÉRIC VERNAY

Une gouaille de gangster, un pinceau d’orfèvre : Guy Ribes, 65 ans, est un personnage insolite. Grandir dans un hôtel de passe ne l’a pas empêché de trouver sa voie rapidement. Celle, souterraine mais lucrative, de la contrefaçon. Car Ribes n’est peutêtre pas devenu un « vrai peintre », au sens noble du terme, mais un vrai faussaire, ça, oui. Durant trente ans, le Français a inondé le marché de l’art de ses fausses toiles de maîtres, pour finalement se faire pincer en 2005 et être condamné en 2010 à trois ans de prison, dont un ferme. Tant pis pour lui, tant mieux pour nous, qui, grâce à ce documentaire, n’ignorons plus rien de ses multiples talents. Notamment celui

qui consiste à s’approprier le style des grands noms de la peinture, sans vulgairement les copier, pour donner l’impression aux gogos (experts compris) qu’ils sont en présence d’une œuvre inédite d’Henri Matisse, de Pablo Picasso ou de Marc Chagall… Comme il l’explique à la caméra, entre deux fanfaronnades (anecdotes croustillantes, dont la véracité peut légitimement être mise en doute), Ribes doit déployer des trésors d’inventivité pour « remplacer le temps », c’est-à-dire faire croire à l’existence d’un tableau ancien. Aussi drôle que captivant.

La famille des comédies girl’s power (Crazy Amy, Spy, Mes meilleures amies) s’agrandit à vue d’œil. Cette nouvelle venue met en scène quatre New-Yorkaises antimariage qui vivent le célibat chacune à sa manière… S’il n’a pas le toupet aussi trash que Judd Apatow ou Paul Feig, Christian Ditter livre une comédie d’émancipation réjouissante, bien qu’un peu brouillée dans son message.

de Jean-Luc Léon Documentaire Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h30 Sortie le 2 mars

de Christian Ditter avec Dakota Johnson, Rebel Wilson… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h50 Sortie le 2 mars

52

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 53


le s fi lm s

> MOONWALKERS

L’Orchestre de minuit PAR PAOLA DICELLI

Lorsque Mickaël Abitbol (Avishay Benazra) revient dans son Maroc natal pour voir son père, célèbre musicien à la tête de l’Orchestre de minuit, ce dernier meurt d’une crise cardiaque. Durant les jours qui le séparent de l’enterrement, le fils marche sur les traces du père et, accompagné d’un chauffeur de taxi fantasque (Aziz Dadas), part à

la rencontre des membres de l’orchestre… Alternant scènes en couleurs et flash-back en noir et blanc, le film est porteur d’une grande poésie et connaît un dénouement particulièrement bouleversant.

Dans les vapeurs hallucinogènes du mouvement hippie, un agent de la C.I.A. (Ron Perlman) est chargé de proposer à Stanley Kubrick de filmer un faux atterrissage sur la Lune… Pour son premier long métrage, le Français Antoine Bardou-Jacquet signe une comédie loufoque et irrévérencieuse. d’Antoine Bardou-Jacquet (1h47) Distribution : Mars Sortie le 2 mars

de Jérôme Cohen-Olivar avec Avishay Benazra, Aziz Dadas… Distribution : Lena Films Durée : 1h53 Sortie le 2 mars

> LA CHUTE DE LONDRES En visite à Londres, le président américain et l’agent secret Mike Banning vont tenter de réchapper à un gigantesque complot terroriste… Cette suite de La Chute de la Maison Blanche reprend le flambeau du gros film d’action bourré d’explosions et de patriotisme. de Babak Najafi (1h40) Distribution : SND Sortie le 2 mars

Belgica PAR Timé zoppé

Après le poignant et acclamé Alabama Monroe (2013), le Belge Felix Van Groeningen suit le parcours de deux frères aux modes de vie opposés qui s’associent pour faire du Belgica, le troquet tenu par l’un des deux, le bar le plus branché de Gand. Entre projets d’agrandissement, soirées pulsées par la musique electro-­rock de Soulwax

(qui, pour l’occasion, a créé deux groupes fictifs qui se produisent dans le film), complicité fraternelle et problèmes de couple, le long métrage brasse des thèmes universels avec beaucoup d’énergie. de Felix Van Groeningen avec Tom Vermeir, Stef Aerts… Distribution : Pyramide Durée : 2h07 Sortie le 2 mars

54

mars 2016

> ZOOLANDER 2

Zoolander 2 garantit son lot de gags, de satire, et de caméos – de Anna Wintour à Justin Bieber ou Susan Sarandon –, avec en plus la pétillante Penélope Cruz aux côtés de Ben Stiller et Owen Wilson qui incarnent deux mannequins sur le retour. de Ben Stiller (1h35) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 2 mars


www.troiscouleurs.fr 55


le s fi lm s

Éperdument PAR É. V.

Tout oppose le directeur de prison pince-sans-rire (Guillaume Gallienne) à son impétueuse détenue (Adèle Exarchopoulos). Leur histoire d’amour impos­ sible est le moteur de ce mélo car­ céral. Soit une mécanique impla­cable, celle de la tragédie (clins d’œil à Phèdre de Racine), dont nos héros cherchent à desserrer l’étau plutôt qu’à le défaire, au mépris de la morale… et de leur intérêt. Sec et incarné.  de Pierre Godeau avec G. Gallienne, A. Exarchopoulos… Distribution : StudioCanal Durée : 1h50 Sortie le 2 mars

Room PAR T. Z.

Brooklyn PAR RAPHAËLLE SIMON

La boule au ventre, Eilis (Saoirse Ronan) quitte sa mère, sa sœur et son Irlande natale pour tenter sa chance dans le New York des années 1950, ville de tous les possibles et terre d’accueil fertile au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. D’abord rongée par le mal du pays, la raisonnable jeune fille se fait peu à peu une place comme vendeuse, et se laisse courtiser par un charmant garçon travailleur et très doux (Emory Cohen), fils d’immigrés italiens. Mais un événement tragique la contraint à rejoindre sa patrie, où le devoir familial et un nouveau prétendant, riche et cultivé, la poussent à rester. Si l’intrigue est un peu sage et prévisible dans son installation, le récit s’enflamme à mesure que

l’héroïne se perd, tiraillée entre deux hommes, deux pays, et deux systèmes de valeurs. Car ce que raconte en creux cette allégorie de l’exil, c’est la genèse de l’individualisme dans une Amérique peuplée d’immigrés venus s’accomplir en self-made-(wo)men. Un récit d’émancipation touchant, porté par d’excellents comédiens : la lumineuse Saoirse Ronan, découverte dans Reviens-moi de Joe Wright, qui poursuit brillamment sa carrière hollywoodienne (The Grand Budapest Hotel, Lost River…), et Emory Cohen, sorte de Brando nonchalant, jolie révélation du film.

Inspiré de plusieurs faits divers, Room suit le quotidien de Jack (Jacob Tremblay), un garçon de 5 ans qui ne connaît que la pièce où sa mère (Brie Larson) est séquestrée depuis plusieurs années et où elle l’a mis au monde. À la manière d’un conte, Jack raconte sa vie en voix off et le bouleversement qu’il ressent quand ils parviennent à s’échapper. Le pathos n’est pas toujours esquivé, mais l’histoire demeure édifiante.

de John Crowley avec Saoirse Ronan, Domhnall Gleeson… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h53 Sortie le 9 mars

de Lenny Abrahamson avec Brie Larson, Jacob Tremblay… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h58 Sortie le 9 mars

56

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 57


le s fi lm s

> DIEUMERCI !

Des nouvelles de la planète Mars PAR J. R.

Après le thriller glacial et funèbre (Harry. Un ami qui vous veut du bien en 2000, Lemming en 2005) et le drame gothique en soutane (Le Moine en 2011), Dominik Moll se tourne vers la tragi-comédie familiale. Il plonge son héros, le modeste employé de bureau Philippe Mars (François Damiens), dans la folie du monde contemporain, filmée sur un

registre tantôt burlesque, tantôt onirique : une ex-femme overbookée, un fils végétarien… et un collègue de travail aussi borderline qu’envahissant, habilement campé par Vincent Macaigne.

Après La Première Étoile et 30° couleur, Lucien Jean-Baptiste continue de s’intéresser au versant comique du choc culturel. Il campe ici Dieumerci, un quadragénaire, intérimaire dans le bâtiment, qui veut devenir comédien. Son prof de théâtre lui assigne pour binôme un bobo blond et juvénile. de Lucien Jean-Baptiste (1h35) Distribution : Wild Bunch Sortie le 9 mars

de Dominik Moll avec François Damiens, Vincent Macaigne… Distribution : Diaphana Durée : 1h41 Sortie le 9 mars

> LITTLE GO GIRLS

La cinéaste et anthropologue Éliane de Latour revient à Abidjan sur les traces des go girls, ces jeunes prostituées qu’elle avait suivies en 2009 pour une série de photos, et réalise un film fort, même s’il s’éparpille un peu parfois. d’Éliane de Latour (1h33) Distribution : JHR Films Sortie le 9 mars

Louis-Ferdinand Céline PAR T. Z.

En 1948, l’auteur de Voyage au bout de la nuit s’est mis au vert au Danemark avec sa femme Lucette pour échapper à la justice française, qui l’accuse d’avoir collaboré avec les nazis. Il reçoit la visite de Milton Hindus, un jeune Juif américain, persuadé de son innocence, qui veut écrire un livre sur leur rencontre… Emmené par un Denis Lavant qui

appuie la monstruosité de ce Céline antisémite, le film d’Emmanuel Bourdieu (Les Amitiés maléfiques, Mascarade, Intrusions) décrit subtilement les rapports de force mouvants au sein du trio. d’Emmanuel Bourdieu avec Denis Lavant, Géraldine Pailhas… Distribution : Paradis Films Durée : 1h37 Sortie le 9 mars

58

mars 2016

> SOLANGE ET LES VIVANTS

Solange est agoraphobe. Elle passe ses journées chez elle et s’évanouit dès qu’elle met le nez dehors. Ses amis se succèdent pour qu’elle sorte de son isolement… Ina Mihalache reprend son personnage du blog « Solange te parle », dans cette adaptation bricolée et attachante. d’Ina Mihalache (1h07) Distribution : Wide Sortie le 9 mars


www.troiscouleurs.fr 59


le s fi lm s

Alias Maria PAR Q. G.

À 13 ans, Maria, membre de la guérilla des FARC en Colombie, porte un fusil plus grand qu’elle. Elle a pour mission d’amener le bébé de son commandant dans une ville où il sera en lieu sûr. Sur son chemin, elle reste mutique, car elle a un secret à protéger… Précisément documenté (le scénario se base sur des interviews d’enfants-­soldats), ce saisissant portrait d’une adolescence sacrifiée se transforme peu à peu en un survival tendu.  de José Luis Rugeles avec Karen Torres, Carlos Clavijo… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h32 Sortie le 9 mars

The Lady in the Van

Pursuit of Loneliness

PAR P. D.

PAR TIMÉ ZOPPÉ

L e c i né a s t e br i t a n n i que Laurence Thrush imbrique deux temps différents pour observer, à Los Angeles, la fin de vie d’une femme âgée, en se focalisant sur les attitudes bienveillantes des professionnels qui l’entourent. L’an dernier sortait De l’autre côté de la porte, premier long métrage de fiction du réalisateur qui illustrait, avec une grande distance, le phénomène japonais des hikikomori, ces personnes qui s’enferment dans leur chambre pendant des années. Tout en conservant une approche pudique et sensible, Laurence Thrush entre ici davantage dans l’intimité de son héroïne, une vieille dame solitaire atteinte du syndrome de Diogène qui la rend incapable de jeter le

moindre objet et qui la conduit à amonceler des tonnes de détritus chez elle. Construit sur les allers-retours entre les derniers jours de sa vie et l’enquête menée après sa mort par une travailleuse sociale qui tente de retrouver un hypothétique membre de la famille, le film trouve un angle inédit en mettant à l’honneur tous les professionnels qui ont aidé ou ont pris soin de la vieille dame (une coiffeuse attentionnée, des infirmiers consciencieux…). En berçant le spectateur avec leurs paroles et leurs gestes apaisants, Laurence Thrush élabore un véritable baume pour l’âme.

À Londres, une vieille femme au passé aussi trouble que fascinant stationne la camionnette qui lui sert de maison dans l’allée du domicile d’un écrivain… Après l’avoir mise en scène sur les planches londoniennes en 1999 (avec, déjà, la remarquable Maggie Smith dans le rôle principal), Nicholas Hytner adapte la pièce d’Alan Bennett dans un film touchant, ponctué d’un délicieux humour pince-sans-rire.

de Laurence Thrush avec Joy Hille, Sandra Escalante… Distribution : Ed Durée : 1h36 Sortie le 9 mars

de Nicholas Hytner avec Maggie Smith, Alex Jennings… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h44 Sortie le 16 mars

60

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 61


le s fi lm s

Les Ogres PAR R. S.

Les fauves sont lâchés : Léa Fehner (Qu’un seul tienne et les autres suivront) suit une troupe de théâtre itinérant foutraque et bigarrée, avec son lot d’alcooliques, d’hystériques, de gros fêtards et de grands cocus. Hyper concernée (elle a grandi dans ce milieu et fait jouer des proches, dont ses parents, dans leur propre rôle de directeurs de troupe), la réalisatrice manque parfois un peu de recul (sa mise en scène endiablée finit par donner le tournis), mais parvient à capter l’énergie de groupe avec ardeur et maîtrise. de Léa Fehner avec Adèle Haenel, Marc Barbé… Distribution : Pyramide Durée : 2h24 Sortie le 16 mars

> AU NOM DE MA FILLE

Après Présumé coupable (2011) et L’Enquête (2013), Vincent Garenq adapte une nouvelle affaire judiciaire captivante. Cette fois, il suit la longue bataille d’André Bamberski (Daniel Auteuil) pour faire juger Dieter Krombach, un médecin qu’il accuse d’avoir violé et tué sa fille. de Vincent Garenq (1h27) Distribution : StudioCanal Sortie le 16 mars

Triple 9 PAR LOUIS BLANCHOT

Face à Triple 9, on pense d’abord à Heat de Michael Mann, avec son braquage qui se déverse dans les rues d’une métropole américaine (ici, Atlanta, purgatoire en plein soleil). Mais c’est surtout à William Friedkin que renvoie le nouveau film du cinéaste australien John Hillcoat : la faute à sa bande de ripoux, à son récit en forme de spirale infernale et

à son propos sur la contagion du mal. Un programme efficace mais traité avec un poil de prétention, comme souvent chez le réalisateur de La Route, qui aime conférer un goût de majesté à ses séries B existentielles. de John Hillcoat avec Casey Affleck, Kate Winslet… Distribution : Mars Durée : 1h55 Sortie le 16 mars

62

mars 2016

> 10 CLOVERFIELD LANE

Produit par J. J. Abrams et pensé comme un lointain parent de Cloverfield (2008, également produit par Abrams), ce huis clos horrifique centré sur trois personnages reclus dans un bunker s’interroge : le danger vient-il de l’intérieur, ou de l’extérieur ? de Don Trachtenberg (1h45) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 16 mars


www.troiscouleurs.fr 63


le s fi lm s

> LE DIVAN DU MONDE

A Perfect Day PAR MEHDI OMAÏS

Au cœur d’une zone des Balkans ravagée par la guerre, un groupe hétéroclite d’humanitaires s’active. Leur mission ? Retirer un cadavre du fond d’un puits afin que les habitants puissent jouir d’une eau propre… Porté notamment par les prestations convaincantes de Benicio del Toro et de Tim Robbins,

ce sixième long métrage de l’Espagnol Fernando León de Aranoa (Les Lundis au soleil) entremêle drame et comédie pour signifier l’absurdité des conflits. de Fernando León de Aranoa avec Benicio del Toro, Tim Robbins… Distribution : UGC Durée : 1h46 Sortie le 16 mars

Pendant plusieurs mois, Swen de Paw a posé sa caméra dans un cabinet psychiatrique. Le dispositif est simple et efficace, et les personnages, attachants – autant les patients en détresse que ce drôle de psy au franc-parler étonnant : « Oui, tu vas mourir. Vis, en attendant. » de Swen de Paw (1h35) Distribution : Shellac Sortie le 16 mars

> BATMAN V SUPERMAN L’AUBE DE LA JUSTICE

300, Sucker Punch, Man of Steel : le talent de Zack Snyder pour emballer d’énormes blockbusters dans une mise en scène ultra soignée n’est plus à prouver. Il orchestre ici la rencontre des deux plus célèbres super-héros de l’univers DC Comics, Superman et Batman. de Zack Snyder (2h31) Distribution : Warner Bros. Sortie le 23 mars

No Land’s Song

> MÉDECIN DE CAMPAGNE

Par É. V.

Depuis la révolution de 1979, les chanteuses iraniennes n’ont plus le droit de se produire seules devant des hommes. En organisant un concert en forme de pont culturel entre Paris et Téhéran (avec la participation de Jeanne Cherhal et Élise Caron), Sara Najafi, la sœur du réalisateur, veut rendre hommage aux divas d’antan et, surtout, réactiver

la tradition du chant féminin. Mais, comme nous le montre de manière édifiante ce documentaire, pour parvenir à monter ce spectacle, il va falloir faire face à un pouvoir religieux intraitable. d’Ayat Najafi Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h31 Sortie le 16 mars

64

mars 2016

Lui-même malade, un généraliste en zone rurale (François Cluzet) doit passer le flambeau, mais il accueille froidement celle qui veut lui succéder (Marianne Denicourt)… Avec humanité, Thomas Lilti (Hippocrate) étudie les particularités de l’exercice de la médecine à la campagne. de Thomas Lilti (1h42) Distribution : Le Pacte Sortie le 23 mars


www.troiscouleurs.fr 65


le s fi lm s

In Jackson Heights Qu’est-ce qui fait l’identité d’un quartier aussi cosmopolite que celui de Jackson Heights, à New York ? Tentative de réponse, par le documentariste Frederick Wiseman, en plus de trois heures captivantes. PAR ÉRIC VERNAY

Frederick Wiseman est un peu le Woody Allen du documentaire. Non pour son humour (même si ses films n’en manquent pas), mais pour sa productivité exceptionnelle : presque un film par an depuis cinquante ans. Un demi-siècle passé à ausculter les rouages de la société américaine, aussi bien à travers ses institutions que ses communautés ; avec à chaque fois la même science du rythme. Pour In Jackson Heights, l’Américain de 86 ans a, dix mois durant, trituré ses cent vingt heures de rushes en salle de montage, pour n’en garder que trois heures et dix minutes. Du flux continu des images, il extrait des pépites et donne l’illusion de ne pas altérer le cours du réel. En filmant les multiples communautés de Jackson Heights, quartier du Queens où pas moins de cent vingt-sept langues sont parlées, Wiseman tente ainsi d’en recomposer le pouls singulier. Sans

> Rosalie Blum

Dans cette comédie au charme suranné, Vincent, coiffeur solitaire, est fasciné par le mystère que dégage Rosalie Blum, une épicière. Il veut en apprendre plus sur elle et se met à la suivre partout. Mais il ne sait pas qu’elle s’en est rendu compte et que ça l’amuse beaucoup… de Julien Rappeneau (1h35) Distribution : SND Sortie le 23 mars

rien asséner ou simplifier. D’où une succession de longues séquences en plans quasi fixes, dépourvues de voix off, où, entre un saut au restau halal et un passage chez le tatoueur, s’expriment (et s’écoutent, comme le signalent de beaux plans sur les visages attentifs) diverses assemblées d’habitants (latinos, juifs, LGBT, retraités, etc.) captées in situ. Les problématiques propres au quartier émergent de ces discussions et se nourrissent par correspondances organiques. On comprend que l’inflation immobilière menace l’existence des petits commerçants, et donc le métissage inhérent au lieu. Constat inquiétant, amené d’un geste gracieux, musical, presque léger. de Frederick Wiseman Documentaire Distribution : Sophie Dulac Durée : 3h10 Sortie 23 mars

> AUX YEUX DE TOUS

Porté par le trio Julia Roberts/Nicole Kidman/Chiwetel Ejiofor, ce remake efficace d’un thriller argentin récompensé par l’Oscar du meilleur film étranger en 2010, raconte le combat d’une enquêtrice du FBI prête à transgresser l’éthique policière pour élucider le meurtre de sa fille. de Billy Ray (1h51) Distribution : Universal Pictures Sortie le 23 mars

66

mars 2016

> ROYAL ORCHESTRA

La Néerlandaise Heddy Honigmann suit la tournée mondiale des musiciens de l’Orchestre royal du Concertgebouw. Ponctué de sublimes extraits de concerts, le documentaire offre aussi une vision du quotidien de ces artistes qui doivent conjuguer carrière et vie privée. de Heddy Honigmann (1h34) Distribution : Arizona Films Sortie le 23 mars


www.troiscouleurs.fr 67


le s fi lm s

Keeper PAR T. Z.

Amoureux, Maxime et Mélanie ont 15 ans quand celle-ci tombe enceinte. Entre la pression parentale et les projets difficilement conciliables (le garçon se rêve en gardien de but professionnel), le choix de garder ou non l’enfant devient cornélien. Le lourd sujet de ce premier long métrage est allégé par l’inter­ prétation fine et juste du jeune duo de comédiens et par l’absence de jugement moral.  de Guillaume Senez avec Kacey Mottet Klein, Galatea Bellugi… Distribution : Happiness Durée : 1h31 Sortie le 23 mars

Chala PAR H. B.

Remember PAR HENDY BICAISE

Zev Gutman se réveille dans une chambre d’un autre temps. Quand il en sort, le vieil homme semble découvrir avec nous les couloirs de sa maison de retraite. Le protagoniste de Remember ferait alors presque penser au réalisateur Atom Egoyan lui-même, comme sorti d’un mauvais rêve, mais bien décidé à retrouver sa forme d’antan (celle de The Adjuster et de De beaux lendemains). Sa dernière épouse étant décédée, Zev peut enfin quitter les lieux et accomplir une ultime mission : malgré son amnésie à court terme, muni de fiches mémo et d’un pistolet, il va parcourir l’Amérique du Nord à la recherche

d’un certain Rudy Kurlander, un diable personnifié, qui a tué toute sa famille à Auschwitz, en 1942. Avec son personnage aux souvenirs défaillants, Remember prend des allures de métaphore extrême du devoir de mémoire. Haletant, le thriller d’Atom Egoyan est aussi précieux : avec son survivant âgé de 90 ans, prêt à en découdre avec un fugitif nazi aussi âgé que lui, Remember sera probablement le dernier film sur la Shoah raconté au présent.

Un adolescent rebelle et débrouillard hésite entre deux destins : choisira-t-il de ressembler aux chiens qu’il dresse au combat ou bien à sa professeure Carmela, modèle à la fois de rigueur et d’anticonformisme ? En offrant plusieurs voies à chacun de ses nombreux personnages, Ernesto Daranas compose un portrait dense et complexe de La Havane, placé sous l’égide de la morale et de l’éducation.

d’Atom Egoyan avec Christopher Plummer, Martin Landau… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h35 Sortie le 23 mars

d’Ernesto Daranas avec Armando Valdés Freire, Alina Rodríguez… Distribution : Bodega Films Durée : 1h48 Sortie le 23 mars

68

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 69


le s fi lm s

> LA VALLÉE

Soleil de plomb PAR H. B.

Lauréat du Prix du jury Un certain regard à Cannes l’an passé, ce film à sketches atypique raconte trois histoires distinctes, trois tête-àtête sensuels et tragiques sur fond de guerre civile en ex-Yougoslavie. Les deux mêmes acteurs incarnent à chaque fois deux amants à dix années d’intervalle (1991, 2001 et 2011), comme une promesse

illusoire : les affres des conf lits n’auront pas de prise sur ces immortels, leurs corps frêles et ardents ne vieillissent ni ne souffrent tandis qu’un monde s’écroule doucement autour d’eux.

Au Liban, un homme devenu amnésique après un accident se lie par hasard avec un groupe travaillant dans une ferme de la vallée de la Bekaa qui couvre une activité trouble… Il faut s’abandonner à ses images et à son atmosphère poétiques pour apprécier ce film intrigant. de Ghassan Salhab (2h14) Distribution : Survivance Sortie le 23 mars

de Dalibor Matani avec Tihana Lazovi , Goran Markovi … Distribution : Bac Films Durée : 2h03 Sortie le 30 mars

> FIVE

Pour payer le loyer de l’appart qu’il partage avec ses potes d’enfance, Samuel s’improvise dealer… Pour son premier long métrage, Igor Gotesman, coscénariste de Casting(s), nous sert un Pierre Niney en pleine forme et des répliques souvent bien senties. d’Igor Gotesman (1h42) Distribution : StudioCanal Sortie le 30 mars

Le Cœur régulier

> GOOD LUCK ALGERIA

PAR R. S.

Partie au Japon sur les traces de son frère, décédé dans un accident, Alice (Isabelle Carré) atterrit dans un village de bord de mer chez Daïsuke, un vieil homme qui dissuade les suicidaires de se jeter du haut des falaises, sacrées, et les accueille chez lui… La réalisatrice belge Vanja d’Alcantara adapte le roman d’Olivier Adam

(ins­piré de l’histoire vraie d’un policier retraité qui aurait empêché des centaines de personnes de sauter des falaises de Tojimbo) avec sensibilité, lui conférant une portée méditative et poétique. de Vanja d’Alcantara avec Isabelle Carré, Jun Kunimura… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 1h35 Sortie le 30 mars

70

mars 2016

En espérant sauver son entreprise de fabrication de skis grâce aux subventions versées aux athlètes, Sam décide de participer aux Jeux olympiques d’hiver sous les couleurs de l’Algérie, le pays d’origine de son père… Premier film du réalisateur, cette comédie subtile sonde la question de la double nationalité. de Farid Bentoumi (1h30) Distribution : Ad Vitam Sortie le 30 mars


le s fi lm s

Volta à terra Avec une douce langueur, le premier documentaire du Portugais João Pedro Plácido s’intéresse à la vie d’un hameau du nord du Portugal, et plus particulièrement à un jeune paysan en quête d’amour. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Les vaches sont conduites avec entrain sur des chemins escarpés ; les champs, patiemment cultivés ; les moutons, tondus aux ciseaux dans l’allégresse… Bien occupés par les travaux agricoles, les habitants du tout petit village d’Uz semblent vivre heureux et en autarcie. On se croirait transporté dans une époque ancestrale si on ne les voyait, de temps à autre, regarder d’un œil dubitatif la télé – l’une de leurs rares lucarnes sur le reste du monde. Pendant un an, João Pedro Plácido a laissé défiler les saisons devant sa caméra, documentant amoureusement la vie de cette bourgade paisible d’où viennent ses grands-parents. Mais cet hommage habité à des activités millénaires – et toujours aussi indispensables – qui palpite au rythme de la nature laisse progressivement place à une problématique bien contemporaine : comment maintenir ce mode de vie face aux attraits

> 13 HOURS

Le 11 septembre 2012, à Benghazi en Libye, des terroristes s’en prennent à un camp des missions spéciales de l’armée américaine et à une agence de la C.I.A… La caméra de Michael Bay propose une immersion musclée dans cet assaut qui a duré treize heures. de Michael Bay (2h10) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 30 mars

de la société moderne ? C’est tout le problème de Daniel, un paysan de 20 ans qui aime profondément son travail. D’abord montré comme un gamin bourru (il faut le voir manger comme un cochon un sandwich préparé par sa mère), ce jeune homme qui avoue chercher l’amour mue, au fil de l’année, en un adulte charmeur. Un flirt providentiel, pendant les fêtes d’août qui donnent l’occasion à d’anciens habitants partis à la ville de revenir sur leur terre natale, rend son rêve palpable. Mais la jeune fille n’est pas prête à venir s’isoler à Uz… Le film quant à lui se garde bien, jusqu’au dernier plan, de rompre son charme tranquille sur le spectateur. de João Pedro Plácido Documentaire Distribution : UFO Durée : 1h18 Sortie le 30 mars

> SHADOW DAYS

En Chine, de retour dans son village natal avec sa fiancée enceinte, Renwei est engagé au planning familial, qui veille au respect de la politique de l’enfant unique… Mélangeant le drame au fantastique, Shadow Days est un film déroutant et hypnotique. de Zhao Dayong (1h35) Distribution : Dissidenz Films Sortie le 30 mars

www.troiscouleurs.fr 71

> LA PASSION D’AUGUSTINE

Dans les années 1960, mère Augustine dirige un couvent au Québec. Pour transmettre sa passion de la musique à ses élèves, elle doit lutter contre la rigidité de sa hiérarchie… Léa Pool (Rebelles) signe un joli film aux personnages secondaires attachants. de Léa Pool (1h43) Distribution : KMBO Sortie le 30 mars


le s fi lm s

Taklub par é. v.

La vie après la catastrophe. En 2013, le typhon Haiyan a dévasté les Philippines. Dans le style quasi documentaire et véloce qu’il affectionne, Brillante Mendoza (John John, Kinatay) plonge sa caméra dans les décombres, pour en extraire quelques destins de rescapés. Le film relate avec dignité l’âpre quotidien de ces survivants (recherche des disparus, administration débordée, pillages) dans un campement de fortune.  de Brillante Mendoza avec Nora Aunor, Julio Diaz… Distribution : New Story Durée : 1h37 Sortie le 30 mars

Quand on a 17 ans

Sunset Song PAR Q. G.

PAR QUENTIN GROSSET

Après L’Homme qu’on aimait trop, André Téchiné (avec le concours de Céline Sciamma au scénario) revient à ce qu’il filme peut-être le mieux : la naissance du désir, les émotions ambiguës et exacerbées, la sensation d’isolement qui peut en découler. Dans les Pyrénées, Damien (Kacey Mottet Klein) fait face à l’animosité de Tom (Corentin Fila), un camarade de classe qui vit avec sa mère adoptive. Les deux adolescents se regardent en biais, se bousculent, se battent. Marianne (Sandrine Kiberlain), la mère de Damien, est médecin. Elle est amenée à soigner la maman de Tom, qui découvre qu’elle est enceinte. Pour que Tom puisse se consacrer à ses études plutôt qu’à sa mère malade, Marianne

accueille le jeune homme sous son toit. Un trouble et violent jeu de séduction s’installe alors entre Damien et Tom… Vingt-deux ans après Les Roseaux sauvages, il faut bien reconnaître qu’avec ce tendre duel, André Téchiné, à 72 ans, saisit toujours aussi justement les emportements sentimentaux de la jeunesse. Il parvient surtout à instiller du lyrisme dans ce récit d’initiation amoureuse, grâce à une direction d’acteurs exaltée et à la solennité avec laquelle il filme les paysages de glace qui donnent une grande ampleur à cette passion qui hésite à brûler.

Le réalisateur britannique Terence Davies (The Terence Davies Trilogy, The Deep Blue Sea) suit le parcours de Chris Guthrie, jeune fille issue d’une famille de paysans écossais au début du xx e siècle, qui s’affranchit des hommes de sa vie… Pour signifier cette émancipation, le cinéaste joue sur une opposition entre des intérieurs sombres et des paysages filmés en 70 mm de façon aérée et majestueuse.

d’André Téchiné avec Kacey Mottet Klein, Corentin Fila… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h54 Sortie le 30 mars

de Terence Davies avec Agyness Deyn, Peter Mullan… Distribution : Rezo Films Durée : 2h15 Sortie le 30 mars

72

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 73


le s fi lm s

Un monstre à mille têtes PAR JULIEN DUPUY

Dès son premier film, La Zona. Propriété privée (2008), le réalisateur mexicain Rodrigo Plá avait révélé un talent imparable pour mêler thriller et pamphlet social, en dénonçant les lotissements imprenables dans lesquels les nantis sud-­américains s’enferment pour se protéger d’une populace qu’ils redoutent. Pour son retour au thriller, le cinéaste repart à l’assaut de ces édens artificiels et filme le combat d’une femme, Sonia Bonet, contre une compagnie d’assurances tentaculaire qui refuse de couvrir les soins vitaux de son époux. La créature du titre est donc cette société qui, à force de morceler jusqu’à l’absurde les responsabilités, est devenue littéralement inhumaine. Antinomie radicale de cette hydre des temps modernes, Sonia est un

être solitaire qui assume jusqu’au bout ses actes, même les plus répréhensibles. En juxtaposant la lutte de Sonia et les témoignages en voix off des victimes de l’héroïne, Rodrigo Plá enferme ses personnages dans ce système qui semble inébranlable : dès le début, le sort de Sonia paraît scellé. Elle sera condamnée, et sa famille,

brisée. Mais cette narration à deux temps montre aussi que son combat n’est pas totalement vain – car il ne vise qu’à donner des visages, fussent-ils hostiles, à cet ennemi insaisissable.  de Rodrigo Plá avec Jana Raluy, Sebastián Aguirre Boëda… Distribution : Memento Films Durée : 1h14 Sortie le 30 mars

East Punk Memories PAR TIMÉ ZOPPÉ

Après Violent Days, son docu-­ fiction sur des rockers en 2009, la Française Lucile Chaufour puise à nouveau dans la frange énervée du spectre musical pour cimenter East Punk Memories, qui la voit retourner en Hongrie interroger des punks qu’elle avait filmés dans

les années 1980 et décortiquer leurs sentiments nationalistes. Le documentaire s’ouvre sur un procédé simple et dynamique : pour présenter chaque protagoniste, un split screen juxtapose des archives en super 8 le montrant dans sa période punk et boutonneuse avec des images récentes,

74

mars 2016

aux cadres nets et posés, faisant état de ce qu’il est aujourd’hui. Manifestement, la bande de musiciens insurgés et excités, au sein de laquelle s’était immergée la réalisatrice avant la chute du mur, s’est depuis désolidarisée et ramollie. À l’époque, la fougue de ces punks de l’Est étaient tristement imprégnée par les idées d’extrême droite, exact opposé, sur le spectre politique, du régime communiste en place. Aujourd’hui, plusieurs d’entre eux se sont rangés, mais peu ont changé d’opinions politiques, la fin de la dictature n’ayant pas apaisé les tensions dans le pays. Le constat est rude, mais l’analyse, passionnante.  de Lucile Chaufour Documentaire Distribution : Aramis Films Durée : 1h20 Sortie le 30 mars


www.troiscouleurs.fr 75


le s fi lm s

Jacques Nolot On le connaît surtout comme acteur, mais Jacques Nolot a réalisé des films âpres et intraitables dans lesquels il évoque ses angoisses les plus intimes. L’intégrale de ses films, qui sort en DVD, permet de découvrir une œuvre profonde et élégante que ce cinéaste trop rare considère comme une forme de catharsis. PAR QUENTIN GROSSET

Acteur raffiné à la fine moustache et à l’accent du Sud-Ouest triste et chantant (notamment chez André Téchiné ou Paul Vecchiali), Jacques Nolot est aussi l’auteur de trois longs métrages autobiographiques sans concession qui reviennent sur des périodes différentes de sa vie. Dans L’Arrière-pays (1998), le cinéaste évoque un retour dans son Gers natal après des années d’absence. Dans La Chatte à deux têtes (2002), il se souvient d’un cinéma porno hétéro (où la drague homo bat son plein) qu’il fréquentait autrefois. Enfin, dans Avant que j’oublie (2007), son dernier film en date, il raconte sa dépression après la mort de son amant, sa difficulté d’écrire et de se réinventer, passés 60 ans. Incarnant le premier rôle de chacun de ses films, au côté d’acteurs parfois non professionnels (des habitants de son village d’enfance dans L’Arrière-pays), Nolot embrasse crûment des sujets douloureux (la mort de sa mère, le rejet de son père, la prostitution, la séropositivité, la vieillesse…), privilégiant les plans séquences comme pour mieux prendre le temps de ressasser ses démons. Cela aurait pu être inconvenant,

76

scabreux ; c’est sublime, sensible, à fleur de peau. Il n’y a qu’à voir le regard généreux, aimant, avec lequel le cinéaste filme la faune solitaire et clandestine du cinéma dans La Chatte à deux têtes. Ou quand, à la toute fin d’Avant que j’oublie, dans l’un des plans les plus beaux et graves de ces dernières années, il se filme lui-même en travesti devant l’un de ces cinémas coquins, laissant la caméra tourner à mesure que se consume sa cigarette, avant de disparaître dans l’obscurité. La puissance mélancolique de ces images confirme que Jacques Nolot est un réalisateur vraiment précieux au sein du cinéma français. Dans le portrait de lui que signe Estelle Fredet figurant dans les bonus, le cinéaste est interrogé sur le fait qu’il n’a pas réalisé de film depuis presque une décennie. Dans un discret sourire, Nolot répond joliment que, s’il n’en a pas ressenti le besoin, c’est peut-être tout simplement qu’il va bien. Jacques Nolot. Intégrale (Capricci) Disponible

mars 2016


dvd

LES SORTIES DVD

> L’ANNÉE DU DRAGON

> FATIMA

> VERS L’AUTRE RIVE

Quand Michael Cimino réalise L’Année du dragon en 1985, il est au creux de la vague, après l’échec de son précédent film, La Porte du paradis. Aidé par un Oliver Stone encore méconnu, il entreprend l’adaptation du best-seller de Robert Daley sorti en 1981 qui sonde la question des communautés et de l’identité américaine à travers le personnage de Stanley White (Mickey Rourke), un policier traquant la mafia de Chinatown. Complété d’un imposant livret, ce coffret collector, édité à trois mille exemplaires numérotés, permet de revivre ce film fort qui s’inscrit dans la lignée de Voyage au bout de l’enfer. P. D.

Dans une banlieue française, Fatima, femme de ménage, sue sang et eau pour élever seule ses deux filles, l’une ado rebelle, l’autre entamant des études de médecine. Née au Maroc, elle n’est pas à l’aise avec le français, ce qui renforce son sentiment d’isolement… Philippe Faucon (La Désintégration) s’appuie sur un récit et une mise en scène minimalistes pour faire ce triple portrait, auscultant deux générations aux aspirations différentes qui puisent leur force l’une dans l’autre. Par le biais de son héroïne, il donne surtout une voix à toutes celles qui, comme elle, ont toujours pris sur elles en silence. T. Z.

Après Shokuzaï (2012), Kiyoshi Kurosawa se penche sur le retour d’un fantôme bienveillant dans le monde des vivants. Yusuke a disparu en mer il y a trois ans. Une nuit, il revient dans la vie de sa femme Mizuki. Ce retour inattendu n’est pas sans faire ressurgir certaines rancœurs, mais Yusuke et Mizuki vont finalement renouer au cours d’un voyage dans la paisible campagne japonaise, avant qu’il ne retourne dans l’au-delà… Jouant sur des variations de lumière qui font osciller certaines séquences entre passé et présent, Kurosawa signe un film doux et apaisé sur le difficile travail de deuil. Q. G.

de Michael Cimino (Carlotta)

de Philippe Faucon (Pyramide)

de Kiyoshi Kurosawa (Condor)

> LA GRANDE FARANDOLE

> LES SECRETS DES AUTRES

>LENNY

Sorti en 1939, La Grande Farandole est la neuvième collaboration entre Fred Astaire et Ginger Rogers (ils se retrouveront dix ans plus tard pour Entrons dans la danse de Charles Walters). Marquant la fin de leur contrat avec la RKO, ce film musical retrace la vie d’Irene et Vernon Castle (un couple de danseurs qui, au début du siècle dernier, popularisèrent auprès du public blanc les rythmes du jazz et des danses telles que le foxtrot) jusqu’à la mort tragique de celui-ci dans un accident d’avion. Cette version restaurée invite à s’extasier de nouveau devant les numéros d’Astaire et Rogers et à mesurer l’intemporalité de leur duo. P. D.

Après In the Family (2014), son premier film, qui retraçait l’émouvant combat d’un père pour conserver la garde de son fils à la suite du décès accidentel de son compagnon, Patrick Wang revient inspecter la cellule familiale dans Les Secrets des autres. Il y fait montre de la même façon singulière de concentrer une grande partie des scènes dans la cuisine, haut lieu de dépliage des émotions et des frustrations, et laisse les peines s’écouler doucement de chacun des membres d’une famille rongée par un deuil non accompli. La mise en scène est sobre mais s’autorise quelques magnifiques coups d’éclat. T. Z

Deux ans après l’entraînant Cabaret (1972), le chorégraphe Bob Fosse réalisait ce beau film intimiste et torturé sur la vie de l’Américain Lenny Bruce, considéré comme l’un des maîtres de stand-up. Plusieurs fois arrêté pour obscénité dans les années 1960, Bruce n’a eu de cesse de railler l’hypocrisie de l’Amérique puritaine. En plus des prestations de Dustin Hoffman dans le rôle du comique et de Valerie Perrine dans celui de sa femme, Lenny laisse une forte impression par son noir et blanc stylisé, œuvre du directeur de la photographie Bruce Surtees auquel rend hommage, dans les bonus du DVD, son confrère Darius Khondji. T. Z.

de H. C. Potter (Warner Bros.)

de Patrick Wang (Ed)

www.troiscouleurs.fr 77

de Bob Fosse (Wild Side)


cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

The Coral ROCK

The Coral fait partie des rares survivants du revival garage rock démarré en grande pompe il y a quinze ans. Sur Distance Inbetween, leur septième album, les cinq Anglais livrent une partition énergique, brute, teintée de krautrock et à la spontanéité live. Fidèles à eux-mêmes.

êt us es

ici

vo

© ben morgan vessell

© xxxxx

PAR ÉRIC VERNAY

XVIIIe XIXe

XVIIe IX

VIIIe

IIe I

XVIe VII

X

e

e

IIIe

er

XXe

XIe

e

IVe VIe

XVe

XIVe

Ve

XIIe

FESTIVAL F.A.M.E du 10 au 13 mars à La Gaîté lyrique p. 80

XIIIe

78

mars 2016

THÉÂTRE Edges du 22 au 25 mars à la Villette p. 92

SPECTACLES


KIDS

MUSIQUE

Batman : la chronique d’Élise, 7 ans et demi p. 84

Cavern of Anti-Matter, versant libéré du krautrock p. 82

ARTS

JEUX VIDÉO

FOOD

T

out a commencé par des jam-sessions entre lycéens boutonneux. Ça se passait en 1996, à Hoylake, une petite ville paisible proche de Liverpool. C’est là, face à la mer d’Irlande, que s’amorçait le fameux revival des groupes à guitares des années 2000. D’autres mèches rock ’n’ roll s’allumaient alors un peu partout. À New York débarquait le phénomène The Strokes, tandis que les Suédois de The Hives alignaient les singles ravageurs. Côté britannique, The Libertines n’allaient pas tarder à exploser. Aujourd’hui, cette déferlante en « The » paraît déjà lointaine. Pourtant, malgré l’essoufflement de cette génération, The Coral garde le cap. Modestement mais vaillamment. Désormais trentenaires, ils sortent leur septième album, roboratif train fantôme dont l’onirisme tortueux à la David Lynch se nourrit de rythmiques hypnotiques héritées du kraut­ rock. Le son psyché sixties est plus rêche, spontané et minimaliste que d’habitude. Idéal pour l’énergie du live. Mais à part ces quelques retouches, rien – ou presque – ne semble avoir changé pour les garçons du Merseyside : toujours les mêmes dégaines de lads amateurs de comics intelligents (Alan Moore), de vieux films fantastiques en animation en volume (Jason et les Argonautes de Ray Harryhausen) et de playlists pointues (sur cassettes) ; toujours le même accent scouse, difficilement déchiffrable pour qui est né à plus de cinquante miles de Liverpool. PAS DE VAGUEs

Bien sûr, il y a eu quelques épreuves à surmonter, comme trouver un guitariste après le départ de Bill Ryder-Jones en 2008 (aujourd’hui remplacé par Paul Molloy), ou faire le deuil en 2014 de leur mentor Alan Wills, alors que le groupe se trouvait en pleine panne d’inspiration depuis 2010. « On avait tous besoin d’un break », confie le claviériste Nick Power. « C’est comme

LIVRES

Le petit bijou postume de Don Carpenter p. 86

MODE

présente

« C’est comme au football. Parfois, il faut faire tourner l’équipe. » James Skelly

au football, ajoute le chanteur James Skelly, en bon supporter du Liverpool FC. Parfois, il faut faire tourner l’équipe. C’était surtout de la fatigue mentale, à force d’enchaîner les tournées. Cet album, on a essayé de le faire il y a cinq ans, mais on a préféré s’arrêter pour se remettre à vivre. Du coup, pendant l’hiatus, on a tous fait des trucs différents : Nick a sorti un bouquin de poésie, Ian a formé un groupe en parallèle avec Paul, j’ai fait un album avec The Intenders et produit une B.O. de film animé. » Bref, pas de shooting publicitaire, ni de mariage médiatisé ou de cure de désintox à l’horizon ; seulement la période de jachère nécessaire à un groupe « normal ». Le quintet semble en effet avoir érigé en dogme l’absence de vagues – ce qui ne manque pas de sel, venant de musiciens dont les textes sont obsédés par la mer. D’où, sans doute, leur belle longévité. « J’ai toujours voulu avoir une longue “carrière” dans la musique, même si le mot ne me plaît pas des masses, confie Nick, avec sérieux. Mes groupes préférés ont sorti des dizaines d’albums. Je voulais suivre les traces de Pink Floyd, des Rolling Stones, de Can, des Beatles… » James le coupe : « Mais le truc, en réalité, c’est qu’on ne sait rien faire d’autre ! Pourquoi crois-tu que les paparazzis ne nous prennent pas en photo dans des soirées, en pleine débauche sex & drugs & rock ’n’ roll ? Parce qu’on n’est jamais invités ! » Pas grave. « On a nos propres fêtes », ajoute le chanteur, le regard malicieux. Distance Inbetween de the Coral (Ignition Records/[PIAS]) Sortie le 4 mars

le PARCOURS PARISIEN du mois

EXPOSITION « Helena Almeida. Corpus » jusqu’au 22 mai au Jeu de Paume p. 94

FOOD Alliance 5, rue de Poissy Paris Ve p. 98

www.troiscouleurs.fr 79

EXPOSITION Bettina Rheims jusqu’au 27 mars à la Maison européenne de la photographie p. 99


cultures MUSIQUE

agenda © d. r.

Par E. Z.

Amore Synthétique de Benoît Sabatier et Marcia Romano

FESTIVAL

F.A.M.E PAR ETAÏNN ZWER

F.A.M.E, comme film & music experience. Le festival dédié au cinéma musical et à la pop culture revient avec une passionnante 3e édition. Si le film musical squatte le box-office ces dernières années (Sugar Man en 2012, Amy en 2015), en marge de ces succès, le genre se réinvente. Les curateurs Benoît Hické (cycle Musiquepointdoc à La Gaîté Lyrique) et Olivier Forest (copilote du festival Filmer la musique) en dénichent les pépites cachées, revendiquant l’esprit « électron libre » d’une programmation aussi pointue que variée. Raretés vintage (The Queen, perle camp de 1968 sur l’Amérique préStonewall), films d’artistes, fictions ovnis (Amore Synthétique de Benoît Sabatier et Marcia Romano, road romance entre une jeune fille et un synthé), myriade d’avant-premières (Green Room, un survival punk signé Jeremy Saulnier) : les vingt-six films à l’affiche explorent toutes les scènes et tous les genres, du divertissement pop à la vignette politique, du L.A. glam metal des eighties de Penelope Spheeris à la réalité âpre des rappeurs de Tunisia Clash. Mais si les deux programmateurs refusent « la thématique artifice façon “les destins brisés du rock” », de belles lignes de force émergent. « Cette édition est obsédée par la nuit et le clubbing ; et, contrechamp aux musiciens stars de l’an passé, elle célèbre la foule des anonymes, public, fêtards… » On plonge ainsi dans l’underground gay de Derek Jarman, la faune d’after d’Alexis Langlois ou les émois des fans de Roxy Music (Roxette). F.A.M.E ? Un certain état du monde, entre « la boule à facettes et le rasoir ». F.O.N.C.E.Z. du 10 au 13 mars à La Gaîté lyrique

DU 3 AU 5 MARS

28 MARS

THE BIG MO Microfestival et grosse furie avec les labels Howlin’ Banana, Teenage Menopause, Born Bad et leurs poulains : The Parrots (surf music déglinguée), le french garage des Madcaps, Jessica93 (mi-shoegaze mi-dark-pop), Violence Conjugale (cold-wave), la bande-son ciné sixties de Forever Pavot…

MODERAT Les b-boys techno Modeselektor et le crooner dream-pop Apparat poursuivent leur épopée electronica, initiée en 2009, avec III. Beats obsédants, clair-obscur atmosphérique, lyrisme soyeux et visuels signés Pfadfinderei : l’alchimie est toujours aussi grisante et c’est tant mieux.

au Café de la Danse

4 MARS

DU 22 MARS AU 2 AVRIL

GRIMES Sortie du bois underground avec le génial Visions en 2012, la Canadienne emo-sexy-cool fait éclater son electro-pop alien sur Art Angels, disque hallucinogène où copinent Aphex Twin, Mariah Carey, mantra et imagerie fantasy-punk, qu’elle dévoilera lors d’un show fabuleux et fêlé.

LES FEMMES S’EN MÊLENT Jolie mêlée pour cette 19e édition du festival qui célèbre la scène féminine indépendante : le blues mutant de Shilpa Ray, Sea Lion (cold-folk éthérée), Beau (folk-rock rêveur), K.Flay et son hip-hop intimiste, les excitées Kenji Minogue, l’ovni Emily Wells, Louise Roam et Ok Lou…

15 MARS

2 AVRIL

THE INTERNET Face cachée de l’ex-collectif Odd Future, le producteur Matt Martians et la chanteuse et DJ Syd « The Kyd » taillent depuis 2011 une néo-soul aussi perchée qu’ensorcelante. Ils lâcheront les morceaux de leur troisième opus, Ego Death, sorti cet été, lors d’un live feel good et groovy à souhait.

GRIEFJOY Artisan d’une synth-pop ouvragée, le quatuor niçois opère une séduisante mue électronique avec son deuxième album, à venir en mars : techno puissante (« Godspeed »), mélodies et mélancolie irradiantes, touche classique feutrée – grandiose et beau. À découvrir live. Transe assurée.

au Trianon

au Cabaret Sauvage

80

mars 2016

à L’Olympia

dans divers lieux parisiens

à La Gaîté lyrique


www.troiscouleurs.fr 81


cultures MUSIQUE

Cavern of Anti-Matter KRAUTROCK

Avec l’album Void Beats / Invocation Trex, le nouveau groupe de Tim Gane (Stereolab) convoque le versant le plus libéré du krautrock allemand pour accoucher d’une musique vivante et évolutive, une étrange et sombre transe.

© joe dilworth

PAR WILFRIED PARIS

Dans les années 1990, le groupe anglais Stereolab, qui mariait influences krautrock, exotica et tropicalistes à des mélodies pop et à des textes engagés, se vit attribué la dénomination « post-rock » pour son sens de la synthèse et de l’expérimentation (apports electronica, structures compliquées). Son cofondateur, Tim Gane – basé à Berlin –, s’est lancé dans un nouveau projet, avec Joe Dilworth, batteur original de Stereolab, et le claviériste Holger Zapf. Si le nom du groupe, Cavern of Anti-Matter, fut aussi, en 1959, celui d’une œuvre de Pinot-Gallizio (inventeur de la « peinture industrielle » et membre fondateur de l’internationale situationniste), Tim Gane assure qu’il n’a pas essayé de « faire des analogies entre la pièce originale et notre musique, même si j’ai été fan du situationnisme. J’aime juste ce nom, qui suggère une certaine possibilité sonore et l’opportunité de faire un nouveau type de musique. » Le trio, créé en 2012, à l’invitation de l’artiste Nicolas Moulin pour un double LP publié sur son label Grautag, sort son premier album officiel, qui

82

se déploie comme une odyssée sonique, principalement instrumentale, à l’exception des participations de Bradford Cox (Deerhunter) et de Sonic Boom (Spacemen 3). Inspirés par un krautrock moins « motorik » (Kraftwerk, Neu!) que free ou proto-techno (Moebius-Plank-Neumeier, Brainticket…), c’est-à-dire technique, virtuose, inscrit dans la durée, ces douze titres semblent destinés à la scène, malgré un design sonore soigné. « Beaucoup des instruments acoustiques/électriques ont été traités électroniquement ou mélangés, ce qui rend difficile de dire ce qui est électronique ou pas. L’idée était d’obtenir un son à la fois primitif et artificiel, une sorte de tourbillon sonore. » Moins obscure que fourmillante de microdétails, d’harmonies fines et de textures tissées, cette caverne est un tunnel technoïde et organique, hyper fragmenté et pourtant totalement entourant. Bon trip. Void Beats / Invocation Trex de Cavern of AntiMatter (Duophonic/Differ-ant) Disponible

mars 2016


sélection PAR MICHAËL PATIN

SOUNDS OF THE YESTERYEAR

THE KEYBOARD SONGS

(Alter K/La Baleine)

(Prohibited/ L’Autre Distribution)

de Charles X

Qui peut prétendre au trône du king of pop laissé vacant par Michael Jackson ? En dépit de sa position d’outsider, le jeune Charles X semble avoir les épaules pour tenir ce rôle. Son deuxième album, Sounds of the Yesteryear, s’impose comme un fabuleux nuancier de soul contemporaine, gorgé de mélodies atemporelles et de détails obsédants, qui actualise le feeling Motown avec l’aplomb d’un (futur) grand.

BRUTE

de Don Niño

Membre fondateur du label Prohibited Records et du groupe NLF3, Nicolas Laureau bâtit depuis quinze ans, sous le nom de Don Niño, une œuvre solo aussi rare que précieuse. Son secret : la patience. Il a ainsi pris plus de trois ans pour graver ces dix chansons minimalistes et éloquentes, centrées sur le piano, qui ouvrent une interzone entre pop et jazz. Un sommet dans la carrière de ce perfectionniste discret.

ZOO

de Fatima Al Qadiri

de Françoiz Breut

On se rappelle le documentaire Leçons de ténèbres de Werner Herzog, et ses images terrassantes de champs pétroliers en flammes. Fatima Al Qadiri, elle aussi, a dû s’en souvenir au moment de créer le poisseux et sombre Brute. New-Yorkaise, originaire du Koweït, cette artiste pluridisciplinaire utilise le langage électronique pour dessiner des paysages dans lesquels la terreur épouse la sensualité. Comme ceux d’une apocalypse secrètement désirée.

L’histoire de Françoiz Breut est celle d’une muse devenue maîtresse de son domaine. On ne pense plus à Yann Tiersen ni à Dominique A en écoutant Zoo, sixième album solo dans lequel sa voix d’éternelle jeune femme se promène sur des ritournelles finement ouvragées, ensorcelantes sans faire de gringue. La production du génial Adrian Utley (Portishead) offre une brillance très moderne à ces chansons généreuses et libérées.

(Hyperdub)

(Caramel Beurre Salé/ La Baleine)


cultures KIDS

CINÉMA

Batman

l’avis du grand

Jusqu’à présent, Élise a été épargnée par le raz-de-marée des adaptations cinématographiques de comics. Alors quoi de mieux que la ressortie du premier film relatant les aventures de Batman et Robin pour l’introduire en douceur dans l’univers des justiciers en collant ? PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier d’ Élise, 7 ans et demi « Le métier de Batman, c’est super-­ héros. Il n’est pas payé, il fait simplement son devoir. Un héros, c’est juste un personnage très important – on dit “le héros d’une histoire” –, alors qu’un super-héros, c’est une personne qui sauve les autres et a des pouvoirs. Mais Batman, je ne sais pas trop ce qu’il a comme pouvoir. Par exemple, il ne vole pas, alors qu’il a une cape. Sa cape, c’est juste pour faire stylé, en fait. Il combat les méchants, avec plein de véhicules qu’il range dans son garage, la Batcave. Ce ne sont pas des véhicules normaux, on les appelle la Batvoiture, la Batmoto, le Bateau. À un moment, Batman se fait attaquer par un requin

qui lui avale la jambe. Normalement, la jambe de Batman aurait dû tomber, car ça a des mâchoires très puissantes, un requin. Mais comme le requin est hors de l’eau, il ne peut pas respirer, alors il respire le moins possible et, du coup, il n’a pas assez de force pour croquer la jambe de Batman. En tout cas, c’était très bien. J’aimerais bien voir d’autres aventures avec lui, sauf que je pense que Batman a été créé juste pour ce film. » Batman de Leslie H. Martinson avec Adam West, Burt Ward… Distribution : Splendor Films Durée : 1h45 Sortie le 23 mars Dès 6 ans

84

mars 2016

Sorti sur les écrans français en 1967, parallèlement à la fameuse série télévisée, ce long métrage est assurément l’adaptation la plus délirante du personnage créé par Bob Kane. Bien dans le ton des swinging sixties, ce Batman oublie le justicier névrosé de Gotham City pour lui préférer un joyeux drille qui combat des méchants, cabotins en diable, revêtu d’un large slip brillant et d’un justaucorps qui moule délicieusement les poignées d’amour du comédien Adam West. Volontairement kitsch et outrageusement coloré, le film se vautre dans un humour absurde, jusqu’à un retournement final qui, affront suprême, fait passer le justicier pour un gaffeur aussi irresponsable que couard. À l’heure où Hollywood ne jure que par les surhommes venus des comics, ce Batman est une petite folie très rafraîchissante. J. D.


Ma petite planète verte PAR PAOLA DICELLI

Ma petite planète verte regroupe cinq courts métrages d’animation étrangers qui visent à initier les enfants à la protection de l’environnement. Longs de cinq à treize minutes, ces petits films silencieux ou en version française abordent, à travers des personnages et des esthétiques variés (papier découpé, animation en volume, 2D numérique, pâte à modeler), différentes thématiques : S’il vous plaî t, gouttelettes ! de la Mexicaine Beatriz Herrera traite du caractère précieux de l’eau ; Paola poule pondeuse des Belges LouiseMarie Colon et Quentin Speguel souligne quant à lui les méfaits de l’agriculture intensive. Mais tous sont, chacun à sa manière, poétiques, drôles et efficaces. Collectif Animation Distribution : KMBO Durée : 36min Sortie le 2 mars Dès 4 ans

et aussi

CINÉMA

DVD

Après le succès des deux premiers opus, Kung-Fu Panda revient pour de nouvelles aventures trépidantes. Po retrouve enfin son père, qu’il croyait disparu. Mais leur ennemi Kaï les menace et, pour le combattre, ils décident d’apprendre le kung-fu à une bande de pandas un peu gauches… Manu Payet, Pierre Arditi et Marie Gillain prêtent à nouveau leurs voix à ces personnages, toujours drôles et attachants. P. D. Kung-Fu Panda 3

Doté du pouvoir de sortir de son corps pour voler dans les airs, Léo, un New-Yorkais de 11 ans gravement malade, a vingt-quatre heures pour empêcher un malfrat de diffuser un virus informatique… Porté par les voix d’Édouard Baer, Jean-Pierre Marielle et Audrey Tautou, ce beau film d’animation sort dans une édition agrémentée de six making of explicatifs sur les techniques d’animations et de bruitages qui réjouiront petits et grands. P. D. Phantom Boy

de Jennifer Yuh et Alessandro Carloni Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h35 Sortie le 30 mars Dès 6 ans

d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli (France Televisions) Sortie le 9 mars Dès 7 ans


cultures LIVRES / BD

ROMAN posthume

Un dernier verre au bar sans nom Don Carpenter ressuscite les jeunes écrivains de la côte ouest des États-Unis au début des sixties. Un petit bijou posthume achevé par Jonathan Lethem. PAR BERNARD QUIRINY

Il y a deux noms sur la couverture d’Un dernier verre au bar sans nom : Don Carpenter et Jonathan Lethem. Mort en 1995 à 64 ans, Carpenter n’a pas eu le temps de ficeler le manuscrit de ce roman autobiographique qui s’inspire de sa jeunesse, au temps où il hantait les bars de San Francisco avec d’autres jeunes écrivains, notamment son ami Richard Brautigan. Fan de Carpenter, Lethem n’a pas hésité quand l’éditeur Jack Shoemaker lui a demandé de retravailler le texte pour sa publication. Dur défi que celui de se glisser dans la peau d’un autre… « J’ai retapé tout le livre à la machine afin de m’imprégner de la syntaxe de Carpenter, explique Lethem dans la postface. En fait, j’ai surtout élagué. En tout, ce livre ne doit pas contenir plus de cinq ou huit pages de ma main, et j’aimerais croire que vous ne pourriez jamais les repérer. » Même si la traduction lisse l’ensemble, le pari est réussi : aucune couture n’est visible, le texte est fluide et homogène. Et quel récit ! Carpenter, connu pour ses romans Sale temps pour les braves (1966) et Deux comédiens (1979), y reconstitue toute l’atmosphère des milieux littéraires de la côte ouest à ses débuts, au tournant des années 1950 et 1960. Tandis que Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Gary Snyder ou William Burroughs fabriquent à New York les classiques de la Beat Generation, les jeunes écrivains de Portland ou de San Francisco s’échinent à

86

rédiger de bons textes pour les vendre et devenir célèbres ; ils forment des couples, se jalousent, s’admirent… Carpenter s’inspire de ses amis de l’époque, ceux qu’il retrouvait chez Enrico’s, le bar des artistes de San Francisco (d’où le titre anglais, Friday at Enrico’s). Les personnages sont hantés par l’écriture : l’un achève un roman sur la guerre de Corée, l’autre vend une nouvelle à Playboy, le troisième tire le diable par la queue puis séduit le cinéma… Reprenant ses thèmes fétiches – la prison, l’alcool, la guerre, la broyeuse de Hollywood –, Carpenter décrit avec tendresse et distance la destinée de ces aspirants à la gloire, sans jamais les rendre ridicules ou narcissiques. Loin des mondanités de la côte est, ils incarnent la figure héroïque du travailleur solitaire et idéaliste à la John Fante, à l’ère des machines à écrire Smith Corona et des revues de littérature populaire à fort tirage. Une douce nostalgie plane sur ce livre générationnel et très attachant. La même que ressentent sûrement les hipsters de San Francisco quand ils passent aujourd’hui devant le 504 Broadway, adresse de l’exEnrico’s, fermé depuis 2006. Un dernier verre au bar sans nom de Don Carpenter, traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy (Cambourakis)

mars 2016


sélection Par b. q.

UN PEU PLUS BAS VERS LA TERRE

JOKO FÊTE SON ANNIVERSAIRE

(Le Dilettante)

(Wombat)

de Renaud Cerqueux On ne compte plus les écrivains révélés par Le Dilettante. Voici Renaud Cerqueux : les cinq nouvelles de son premier recueil oscillent entre réalisme caustique et fantastique loufoque (on croise un singe parlant qui prétend avoir créé la Terre et qu’on surnomme Dieu), chacune placée sous les auspices de deux citations, de Nietzsche à… Arcade Fire. Inégal, fatalement, mais plein de punch. Une phrase ? « L’intérieur rappelait vaguement un catalogue Ikea, en moins psychorigide. »

FLASH BOYS

de Michael Lewis (Éditions du Sous-sol)

Dans l’Illinois ou dans le New Jersey, de discrètes sociétés boursières font tirer des centaines de kilomètres de câble optique. Leur but ? Accélérer les ordres et grignoter des millisecondes qui leur rapporteront des millions de dollars… Bienvenue dans le monde du THF, ou transactions à haute fréquence : une nouvelle façon de jouer en bourse décryptée par Michael Lewis dans un captivant reportage littéraire façon Tom Wolfe, mélange d’enquête et de thriller financier.

de Roland Topor

Suite des rééditions des romans de Topor avec ce conte noir de 1969. Sur le chemin du travail, le héros, Joko, se fait sauter dessus par un étranger qui réclame de voyager sur son dos. Joko refuse, l’autre insiste… Une fable cruelle et guignolesque sur le travail, l’exploitation, l’indignité, ici préfacée par Pâcome Thiellement. À lire aussi : Topor. Voyageur du livre (Les Cahiers dessinés), superbe recueil d’illustrations présentées par Alexandre Devaux.

GÉOGRAPHIES DE LA MÉMOIRE

de Philippe Le Guillou (Gallimard)

Philippe Le Guillou, à travers l’évocation des paysages de sa vie (la Bretagne) et des grands auteurs qu’il a lus ou connus (Gracq, Tournier, Mohrt, Déon…), trace dans ce superbe livre une sorte d’autoportrait littéraire et spirituel, éloge des lieux, de leur âme et de leur mystère, mais aussi de la littérature et des grandes œuvres. Un mélange d’autobiographie et d’essai où surgit aussi, discrètement, une réflexion intime sur le rapport à Dieu et au religieux.


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Juliette PAR STÉPHANE BEAUJEAN

sélection par s. b.

DRESSING

de Richard Tompson

Multiprimé aux États-Unis alors qu’il n’a pas 30 ans, Michael DeForge s’installe comme l’une des plumes les plus prometteuses de la bande dessinée contemporaine. Dressing est un recueil de nouvelles parfait pour appréhender son univers construit autour du mal-être et du corps, sa large palette d’esthétiques, son humour noir et la sophistication de ses constructions de page.

Les amateurs de Calvin et Hobbes devraient se jeter sur ces gags signés par l’un des héritiers les plus talentueux de Bill Watterson, le créateur du fameux duo. Les rapports conflictuels et comiques entre les enfants et les adultes sont une nouvelle fois soulignés par un décalage de niveau de langage, la récurrence de situations qui confinent à l’absurde et la puissance des souvenirs convoqués.

(Atrabile)

Après six ans d’absence, et alors que l’adaptation cinématographique de son Rosalie Blum sort sur les écrans avec Noémie Lvovsky dans le rôle-titre, Camille Jourdy revient enfin à la bande dessinée. En quelques livres, l’auteure a installé une œuvre singulière. Pince-sans-rire, surréaliste, parfois même à la lisière du fantastique, son écriture s’attache à dépeindre la mécanique des relations humaines avec une fausse simplicité. Dans Juliette, elle éclaircit sa gamme colorée, affine son trait, et multiplie le nombre de cases. Le résultat : des pages extrêmement denses, aux atmosphères encore plus enveloppantes, dans lesquelles le lecteur peut scruter et examiner le moindre geste tout autant que les environnements saturés d’objets symboliques et puissamment incarnés. L’histoire commence lorsque l’angoissée Juliette décide de se mettre au vert quelques jours chez son père. Elle renoue alors avec la petite ville de province de sa jeunesse, ses bars, son voisinage, et surtout avec sa famille aussi décomposée que fantasque. C’est là, dans ce petit monde doucement tourmenté, que Juliette, la cadette de cette famille, pourra probablement trouver la réponse aux angoisses qui l’ont toujours assaillie… Parce que les expressions des visages sont simplifiées et tirées vers le réalisme, que les décors sont saturés de signaux et d’une charge mémorielle, le lecteur s’immerge plus encore dans le flot des relations perturbées de cette galerie de personnages haut en couleur. La question du regard de l’autre a toujours été au cœur du travail de Camille Jourdy ; mais, avec Juliette, l’artiste franchit un palier dans sa recherche esthétique, qui renforce l’expression de son monde intérieur et la connivence avec son lecteur. Juliette. Les fantômes reviennent au printemps de Camille Jourdy (Actes Sud BD)

88

mars 2016

CUL DE SAC

de Michael DeForge

SORTIES DE SECOURS

de Joyce Farmer (Delcourt)

Encensé par Robert Crumb, célèbre outre-Atlantique, ce portrait d’un couple de personnes âgées qui se dirigent lentement vers la fin de vie sonne terriblement juste. Écrit par l’une des stars de la contre-culture en bande dessinée des années 1970, Sorties de secours cristallise une forme de fatalité qui ne sombre jamais – c’est là sa grande qualité – dans l’abattement.

(Urban Comics)

HISTOIRE DÉCOLORÉE

d’Amandine Meyer (Misma)

Voici le premier recueil d’une jeune artiste dont l’univers est déjà très construit. Peuplé d’enfants sans visage qui évoquent parfois les jeunes filles torturées de Henry Darger, le monde d’Amandine Meyer se décline en expériences esthétiques qui visent à hypnotiser le lecteur, à convoquer le mystère et, plus encore, le trouble et le malaise. Souvent saisissant.


www.troiscouleurs.fr 89


cultures SÉRIES

tendance

American Crime Story Aiguisé par les docu-phénomènes Making a Murderer et The Jinx, l’appétit du public américain pour les faits divers bien réels ne semble pas près de s’éteindre. Avec sa série sur le procès O. J. Simpson, Ryan Murphy (Glee) enfonce le clou.

© fx

©james devaney / wireimage

PAR GRÉGORY LEDERGUE

le caméo MILEY CYRUS CHEZ WOODY ALLEN

« Toute ressemblance avec des personnes existantes serait purement fortuite. » Alors qu’elles puisent largement leur intrigue dans l’actualité, les séries judiciaires américaines ont toujours rivalisé de prudence. Or c’est bien de réel dont le public est avide, comme le prouvent les audiences de l’increvable émission d’investigation Dateline (NBC). Voilà que, dans le sillage du docu The Jinx (HBO), on redécouvre maintenant la noblesse du true crime. En ce début d’année, aux États-Unis, on n’a parlé que de Steven Avery, possible victime d’acharnement judiciaire et « star » du feuilleton du réel Making a Murderer

(Netflix). Et la fiction, à son tour, se met à la page. Avec la série American Crime Story, Ryan Murphy revient à l’une des dates-clés de cette passion nationale : le 12 juin 1994, et la découverte des corps de l’ex-femme d’O. J. Simpson et de son compagnon. Le procès qui suivit captiva le pays cent trente-trois jours durant et changea à jamais la manière de mettre en scène la justice. En reconstituant le plus fidèlement possible les événements, Murphy achève de brouiller la frontière entre faits et fiction. Résultat : 5,1 millions de curieux ont regardé le premier épisode sur FX, un record absolu. Si en plus, le true crime paie…

sélection

THE AFFAIR Après une première saison qui abordait finement l’adultère en donnant successivement la parole – façon Rashōmon – à chacun des amants, Noah (Dominic West) et Alison (Ruth Wilson), la deuxième corse l’affaire en donnant également voix au chapitre aux cocus Helen (Maura Tierney) et Cole (Joshua Jackson). Du grand art. Saison 2 sur Canal+

PAR G. L.

X-FILES Générique resservi tel quel, à peine quelques rides en plus sur le visage des interprètes, Mulder (David Duchovny) et Scully (Gillian Anderson) sont de retour. Et ce n’est rien de dire que ce X-Files-là carbure à la nostalgie. Pour le meilleur (l’humour, les clins d’œil, la lampe torche), et aussi pour le pire (la parano nineties). Réservé aux fans. Saison 10 sur M6

90

mars 2016

Le réalisateur de L’Homme irrationnel avait créé la surprise, il y a un peu plus d’un an, en annonçant avoir signé pour sa toute première série chez le géant Amazon. Depuis, Woody Allen traîne des pieds, affirmant dans la presse ne rien comprendre au format. Les choses semblent prendre enfin tournure, néanmoins. Aux dernières nouvelles, la pop star Miley Cyrus sera de la partie, rejoignant au casting Elaine May (Escrocs mais pas trop) et Woody lui-même, dans ce qui s’annonce comme un show années 1960 en six épisodes de 30 minutes. Diffusion pas prévue avant 2017. G. L.

BARON NOIR Kad Merad en homme politique dunkerquois lâché par son mentor, Niels Arestrup, élu président de la République : beau programme et beau duel d’acteurs (arbitré par Anna Mouglalis, conseillère du président), tirant parti d’un ancrage réaliste dans un Nord socialiste déchiré entre idéaux et compromissions. Hardi et frontal. Saison 1 en DVD chez StudioCanal


www.troiscouleurs.fr 91


cultures spectacles

Ivana Müller THÉÂTRE

À la Villette, le festival 100 % met à l’honneur la malicieuse Ivana Müller, artiste franco-croate qui décortique et poétise les rouages du spectacle, des coulisses aux spectateurs.

© szene ivanamuller

PAR ÈVE BEAUVALLET

Allez savoir sur quel malentendu vous venez de troquer votre dimanche en pyjama contre la découverte d’une artiste croate encore peu connue en France et étiquetée « concept » et « minimaliste ». Ce n’est qu’une fois assis sagement dans votre fauteuil que le piège se referme. Pas d’acteurs, pas de décors, pas de lumières sophistiquées, juste des scripts cachés sous chaque siège avec lesquels les spectateurs doivent se débrouiller pour fabriquer une pièce. Avec You Are Still Watching (présenté notamment pendant sept mois à la biennale de Venise), l’iconoclaste Ivana Müller avait composé un petit chef-d’œuvre à partir de la somme d’attentes, d’angoisses et de rêves qui structurent l’imaginaire du spectateur lambda. On découvrait alors une prestidigitatrice amusée d’aborder la scène de théâtre comme l’Oulipo abordait la feuille de papier : à grand renfort de fausses pistes inventives, de vues obliques, de jeux du chat (elle) et de la souris (nous, à moins que ce ne soit l’inverse). On apprenait qu’elle était installée à Paris depuis peu, après un parcours sur les scènes européennes les plus

92

débridées, lesquelles avaient déjà donné aux spectateurs l’opportunité d’applaudir son art du canular ludique inspiré par sa connaissance de la littérature et des théories poststructuralistes. « Quand je vais au théâtre, regarder les spectateurs m’intéresse autant que regarder la scène », précise-t-elle. S’attarder sur les hors-champ, les coulisses ou les seconds plans aussi, visiblement. Pour Edges, sa nouvelle création, elle leur donne le rôle principal en plaçant le projo sur des chœurs d’opéra oubliés de l’histoire, des figurants à moitié visibles ou des cadrages incongrus sur des peintures de la Renaissance – « l’époque de la Renaissance a beaucoup nourri la pièce, puisque c’est le moment de l’invention de la perspective et, avec elle, de la démocratisation du regard ». Une façon, pour elle, d’évoquer sur un plan métaphorique et non didactique cette notion de « marge » actuellement au centre du débat politique. Edges d’Ivana Müller, du 22 au 25 mars à la Villette

mars 2016


agenda PAR È. B.

JUSQU’AU 30 AVRIL

STÉPHANE GUILLON Citer son nom, c’est perdre d’emblée 50 % du lectorat, mais l’irritant et talentueux ex-sniper de France Inter ravira l’autre moitié dans son nouveau procès humoristico-politique. Rétrospective de quatre années en Hollandie, psychanalyse collective des déçus de la gauche… On récolte bien ici ce que le titre du show avait promis : du Guillon Certifié conforme. au Théâtre Déjazet

© didier crasnault

DU 10 AU 17 MARS

pas de vous risquer à l’aveugle, dirigez-vous prioritairement vers Jan Martens, Lorenzo De Angelis, Nina Santes et Célia Gondol, ou Dominique Gilliot et Maeva Cunci. au Théâtre de Vanves

LES 26 ET 27 MARS

DELGADO/FUCHS Hier, c’était une réflexion hilarante sur la sexualisation intensive, avec un spectacle en forme de cours de fitness porno. Aujourd’hui, le tandem trop peu connu Delgado/Fuchs garde son cap pop. Dans Bataille, il travaille, en armure 100 % Godefroy de Montmirail, sur les parades chevaleresques et les dessous de la guerre. Entre pathos et héroïsme. au Centquatre

au Théâtre des Amandiers (Nanterre)

DU 10 MARS AU 8 AVRIL

FESTIVAL ARTDANTHÉ Le festival ArtDanThé dévoile chaque année sa fourmilière de jeunes artistes de nationalités diverses à grosse ascendance expérimentale. Et si ça ne vous amuse

LES 9 ET 10 AVRIL

© tony elieh

HALORY GOERGER Si les Nuls avaient croisé le chemin de Stanley Kubrick, sans doute auraient-ils envisagé un pitch similaire à celui de Corps diplomatique. Soit une équipe de bras cassés qui part dans une capsule interstellaire transmettre le patrimoine de l’humanité à d’autres formes de vie et qui choisit, pour entrer en communication avec celles-ci, de créer un spectacle universel.

OMAR RAJEH Le chorégraphe Omar Rajeh est libanais. Il a grandi dans l’ambiance tumultueuse des repas locaux traditionnels et il le fait savoir dans son alléchant projet Beytna. Afin de réfléchir sur les différents us et coutumes de la table, il a choisi de réunir le Togolais Anani Sanouvi, le Belge Koen Augustijnen et le Japonais Hiroaki Umeda pour manger, tchatcher et danser ensemble, pendant que nous, pauvres spectateurs, crevons de faim dans la salle.

à la Maison des arts de Créteil


cultures ARTS

EXPOSITION

Helena Almeida

agenda

PAR LESLIE AUGUSTE

PAR ANNE-LOU VICENTE

© charles duprat

JUSQU’AU 26 MARS

Vue de l'exposition PSYCHOLOGIE BIBLIOLOGIQUE La psychologie des artistes et de leurs œuvres serait-elle lisible dans leurs usages et leurs (re)lectures de l’objet livre ? C’est la question que pose le commissaire Vincent Romagny, en faisant dialoguer un ensemble de pages sélectionnées et parfois annotées par des artistes des années 1960 et 1970 avec des œuvres d’artistes plus jeunes.

Pintura habitada (Peinture habitée), 1975

à la galerie MFC-Michèle Didier

JUSQU’AU 10 AVRIL © martin argyroglo

Artiste contemporaine majeure au Portugal, Helena Almeida est encore méconnue en France. L’exposition « Corpus », au Jeu de Paume, offre l’opportunité de découvrir son remarquable travail. Tout à la fois artiste et modèle, Helena Almeida utilise son corps comme le prolongement de son geste artistique. Née en 1934 à Lisbonne, elle commence ses recherches en utilisant la peinture, donnant forme à des œuvres dans lesquelles la toile se défait progressivement du châssis pour interroger la question de la représentation. Au fur et à mesure de ses travaux, les médiums se croisent : le dessin, la vidéo, mais surtout la photographie, qu’elle commence à pratiquer en 1969. Ses clichés noir et blanc capturent ses performances dansées, précisément chorégraphiées. Quelques notes de couleurs primaires viennent ponctuer les mouvements du corps. Des taches de peintures jouent avec l’image photographiée, telles les marques d’un dialogue entre l’œuvre et son idée. « Corpus » présente son travail chronologiquement, de la fin des années 1960 à aujourd’hui. Des grands tirages qui morcellent les parties du corps d’Almeida en mouvement à ceux, plus virulents, sur lesquels l’artiste se représente muselée par ses propres mots dessinés sur sa bouche, c’est un ensemble poétique et harmonieux, qui ne dissimule pas son engagement. Une violence sourde s’en échappe, magnifiant un travail radical. L’exposition se visite comme on jouerait à cache-cache : l’artiste se montre tout en s’échappant, exerçant ainsi sur nous une fascination espiègle. jusqu’au 22 mai au Jeu de Paume

94

mars 2016

Vue de l'exposition DE TOI À LA SURFACE Les œuvres ici réunies par le commissaire François Aubart jouent à des niveaux multiples sur la double vie des objets qui bien souvent outrepassent leurs fonctions initiales. Ils deviennent ainsi des personnages qui eux aussi, si tant est qu’on leur prête ce rôle, ont leur petite histoire à raconter, apparaissant comme autant de surfaces de projection nourries de nos affects. au Plateau

Jusqu’au 14 mai

All Over Vibrez, mirettes… Imaginez une succession de tableaux, représentant

toutes sortes de lignes verticales, accrochés sur une peinture murale de John M. Armleder. Vous en rêviez ? Samuel Gross le fait, dans cette exposition qui réunit la crème de la peinture abstraite (Philippe Decrauzat, Stéphane Dafflon, Lisa Beck, Liam Gillick, Olivier Mosset, etc.). De quoi vous en faire voir de toutes les couleurs, à perte de vue ! à la galerie des Galeries

JUSQU’AU 28 MAI

LE SENS DE LA PEINE Un pont est jeté entre La Terrasse, nouvel espace d’art contemporain municipal, et la maison d’arrêt voisine, à travers cette exposition qui permet de s’interroger collectivement sur le sens de la peine, entendue à la fois comme sanction, mais aussi comme souffrance éprouvée par tous ceux qui, détenus ou non, sont en proie à diverses formes d’enfermement.

à La Terrasse. Espace d’art de Nanterre

JUSQU’AU 2 JUILLET

GROUPE MOBILE Le centre d’art et de recherche Bétonsalon investit l’ancien atelier de Marie Vassilieff, situé au cœur du quartier du Montparnasse, fief artistique historique. Prenant comme point de départ quelque 250 000 plaques de verre produites par le photographe Marc Vaux des années 1920 jusqu’au début des années 1970, l’exposition inaugurale propose de retracer collectivement l’histoire visible et invisible des œuvres et de leurs créateurs par le biais de l’archive photographique. à la villa Vassilieff


www.troiscouleurs.fr 95


cultures JEUX VIDÉO

MONDE-PUZZLE

The Witness

Auteur du génialissime Braid, Jonathan Blow sort enfin son deuxième jeu, auquel il a travaillé sept ans. Une gestation hors norme, à l’échelle de son ambition : concevoir une île comme un gigantesque réseau d’énigmes à résoudre. PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS AMERICAN TRUCK SIMULATOR (SCS Software/PC)

Votre avatar débarque sur une île aux couleurs bariolées qui abrite une multitude d’énigmes (six cent cinquante en tout) disséminées un peu partout. Libre à chacun de visiter ses moindres recoins et de résoudre ses casse-tête dans l’ordre qui lui plaira, avec pour seule contrainte de guider une ligne à travers une grille figurée sur un petit écran, en trouvant le bon tracé à chaque fois. Si les premières épreuves réclament juste de calculer l’itinéraire à rebours, cela se corse ensuite, puisqu’il devient nécessaire d’intégrer des éléments du décor alentour (se servir du soleil et de ses reflets pour révéler un tracé, ou bien de l’ombre portée d’un arbre, ou encore de sons d’oiseaux

répétés en boucle, et ainsi de suite). Si, par son cadre insulaire et sa difficulté parfois alambiquée, The Witness peut rappeler Myst, il n’en offre pas moins une expérience des plus singulières. Se différenciant des habituels tests de logique, ses énigmes nous invitent à faire corps avec leur environnement et ses diverses manifestations (bruits, couleurs, formes) pour révéler leur secret. Plus qu’un jeu de réflexion, l’île de The Witness est une belle métaphore du jeu vidéo et de sa capacité unique à nous immerger dans un monde-cerveau aussi retors que poétique. The Witness (Thekla/PS4, One, PC)

sélection XCOM 2 Saga culte des années 1990, XCOM signe un retour à la hauteur de son illustre héritage. Cette fois encore, la XCOM (une force d’intervention spécialisée en guérilla urbaine) doit débarrasser la planète d’un colonisateur alien… Aussi spectaculaire qu’impitoyable, XCOM 2 pose un nouveau jalon dans le jeu de stratégie, à la jouabilité infinie. (2K/PC, Mac)

Par Y. F.

GRAVITY RUSH REMASTERED En plus de donner un nouvel éclat à sa direction artistique (un graphisme BD entre Hayao Miyazaki et Moebius), cette remasterisation permet de (re)découvrir un incontournable de la PS Vita sur console de salon. Avec son héroïne capable d’inverser les lois de la gravité, Gravity Rush est une aventure mémorable, traversée de fulgurances poétiques. (Sony/PS4)

96

mars 2016

De prime abord, un jeu qui demande de gérer une entreprise de fret et de piloter soi-même un camion n’a rien de bien séduisant. Et pourtant, malgré un réalisme intransigeant propre à transformer chaque créneau en épreuve olympique, American Truck Simulator s’avère une découverte fascinante. Bercé par les paysages de l’Ouest américain et le son des radios locales, chaque livraison devient ainsi une expérience du temps présent et de la solitude, un cocon aussi hypnotique que reposant. Y. F.

AGATHA CHRISTIE. THE ABC MURDERS Réalisé par un petit studio français, The ABC Murders a d’abord valeur de plaisir coupable en nous replongeant dans l’univers d’Agatha Christie, son flegme so british, les excentricités de l’inénarrable Hercule Poirot (et son accent français à couper au couteau en V.O.)… Un jeu d’enquête rondement mené, malgré une apparente modestie de moyens.

(Microïds/PS4, One, PC)


4 perles indés Par Y. F.

THE WESTPORT INDEPENDENT (Coffee Stain Studios/ PC, iOS, Android)

Alors que l’Amérique vient de basculer dans un régime totalitaire, le Westport Independent est en pleine tourmente éditoriale. Faut-il soutenir la politique gouvernementale, ou bien se faire la voix des contestataires ? Le rédacteur en chef (vous) doit choisir ses sujets, modifier leur titraille ou leur contenu et subir les conséquences – parfois désastreuses – de ses partis pris. Baigné par une atmosphère de polar, ce jeu fait de son contexte uchronique un exercice malin de funambulisme moral.

OXENFREE

(Night School Studio/ PC, One, Mac)

Des ados enquêtent sur la possible existence de phénomènes paranormaux sur une île qui servait autrefois de base expérimentale… Réalisé par d’anciens illustrateurs de Disney, Oxenfree réussit un mélange inédit entre SF et teen drama. Ici, c’est le naturalisme qui prime : les personnages vivent leur vie, parlent de tout et de rien, et le joueur dispose à chaque fois de peu de temps pour participer à une discussion qui coule naturellement, dans une aventure qui nous emporte par sa belle vitalité.

FIREWATCH

(Panic/PC, PS4, Mac)

Cherchant à fuir ses problèmes personnels, un homme accepte un poste de garde forestier dans le Wyoming, avec pour mission de surveiller les départs des feux de forêt. Passant ses journées à marcher, il n’a d’autre interaction sociale que de discuter par talkie-walkie avec une de ses collègues, qu’il ne voit jamais. Entre randonnée sylvestre en vue subjective et thriller intime, Firewatch dresse, grâce à d’excellents dialogues et acteurs, un tableau bouleversant de la solitude et de l’exil volontaire.

DREII

(Bitforge/3DS)

Dans ce jeu d’adresse, il faut manipuler (seul ou à plusieurs) des volumes et les faire tenir en équilibre pour reproduire une figure imposée. Paré d’un habillage sobre (figures blanches sur fond neutre) et d’un moteur physique ultra pointilleux, Dreii vaut surtout pour son concept coopératif mondialisé. Chaque joueur se voit associer un partenaire pris au hasard et doit coordonner ses gestes avec lui, avec un nombre très limité de mots pour communiquer – mais traduits en dix-neuf langues.


cultures FOOD

NOUVEAUTÉS

Des couverts découverts Fluctuat nec mergitur, Paris est toujours Paris, avec son énergie et son dynamisme. Côté bonnes tables, le rythme des ouvertures reste soutenu. Petite séance de rattrapage, avec en tête Alliance, l’une des belles découvertes du moment. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

© charlotte defarges

© alban couturier

BISTRO BONHOMIE

Toshitaka Omiya et Shawn Joyeux se sont rencontrés à l’Agapé, dans le XVIIe arrondissement. D’un côté, un cuisinier japonais inspiré, en France depuis quinze ans, et formé à l’école d’Alain Passard, de Philippe Legendre et de David Toutain. De l’autre, un directeur de salle très tôt attiré par la gastronomie – comme son frère Brian, qui tient une pâtisserie à Bruxelles –, mais surtout naturellement doué pour vous mettre à l’aise et mitonner de diaboliques accords mets-vins. L’alliance est là, et elle fonctionne, comme un mariage de passion et d’envie. Avec Caroline Tissier, leur architecte d’intérieur (qui compte, dans ses réalisations, le restaurant David Toutain et l’Antoine du chef Thibault Sombardier), ils ont dessiné

un lieu à leur image, sobre et élégant, avec au plafond des cercles de LED diffusant une lumière apaisante. Derrière une vitre façon serre d’hiver, Toshi joue une partition d’une grande finesse et d’un grand équilibre. Un simple plat de pommes de terre (variété Allians, bien sûr), avec échalotes et champignons, donne le ton d’une cuisine aérienne qui n’oublie pas la gourmandise. L’alliance, encore elle, entre la Saint-Jacques, le potiron et le café fait des étincelles ; celle de la pomme, du sarrasin et du cidre, aussi. Menus : 29 € et 34 € (midi). Menu Alliance : 70 €. Carte : 65 €. Alliance 5, rue de Poissy – Paris Ve Tél. : 01 75 51 57 54 www.restaurant-alliance.fr

AG Les Halles 4, rue Mondétour – Paris Ier Tél. : 01 42 61 37 17 www.ag-restaurant.fr

esprit d’ouvertures FULGURANCES. L’ADRESSE Il vous reste deux mois pour découvrir la cuisine de Chloé Charles chez Sophie Cornibert et Hugo Hivernat, fondateurs de la plateforme culinaire Fulgurances. C’est le jeu : six mois de résidence et puis s’en va ; un autre chef prendra sa place. En attendant, foncez : sa cuisine va à l’essentiel du produit et du goût. Menus : 19 € et 22 € (midi), 44 €. 10, rue Alexandre-Dumas – Paris XIe Tél. : 01 43 48 14 59

MENSAE Entre les Buttes-Chaumont et Ménilmontant, Thibault Sombardier a ouvert une cantine mi-bouchon lyonnais mi-bistrot parisien. Kévin d’Andrea (finaliste de Top Chef 2015) est aux manettes, pour des assiettes toujours changeantes, mais où risotto et cochon grillé tiennent une place de choix. Menus : 20 € (midi), 35 €. 23, rue Mélingue – Paris XIXe Tél. : 01 53 19 80 98

98

mars 2016

DU MONDE À L’AG Alan Geeam poursuit son rêve français. Après l’Auberge Nicolas Flamel et l’AG, à Saint-Germain-des-Prés, le chef né au Libéria de parents libanais triple la mise avec l’AG Les Halles, inauguré début novembre 2015. Ouvert du petit-déjeuner au dîner (sauf le dimanche soir), ce bistrot au comptoir de marbre célèbre l’art de vivre à la française. Pain du matin, terrine du chef à l’apéro, cochon de lait en pot-au-feu, fromages de chez Sanders et desserts à l’ardoise, on passe un moment chaleureux et réconfortant. Menus : 39 € et 55 €. Carte : 45 €. S. M.

PAR S. M.

LE MATHIS Haut lieu des noctambules parisiens des années 1990, Thierry Ardisson en tête, le Mathis renaît, avec son bar aux rideaux rouges et un minuscule restaurant où flotte le parfum de Françoise Sagan. Au menu, des classiques bien exécutés, sole entière, homard à la nage et ris de veau. Jolie carte des vins. Carte : 60 €. 3, rue de Ponthieu – Paris VIIIe Tél. : 01 53 76 39 55


cultures MODE

© bettina rheims

LIVRe

Kristin Scott Thomas Playing with a Blond Wig, 2002

Bettina Rheims exposition

JAMAIS ASSEZ MAIGRE L’ancien mannequin français Victoire Maçon Dauxerre publie aux éditions Les Arènes un témoignage poignant et sans concession sur le diktat de la maigreur dans le monde de la mode. Repérée à 17 ans par une célèbre agence, la jeune femme pourtant mince a été contrainte de perdre 9 kg pour rentrer dans du 32-34, la taille « standard » sur les défilés. Des accusations qui font écho à un amendement adopté en avril dernier, dans le cadre de la loi santé, interdisant l’embauche de mannequins dénutris. R. S. CAPSULE

PAR RAPHAËLLE SIMON

Depuis sa première commande pour le magazine Egoïste, sur des stripteaseuses de Pigalle, à la fin les années 1970, jusqu’à sa dernière série sur des détenues dans des prisons françaises, en passant par ses célèbres portraits de stars et de top-modèles shootées pour le papier glacé, Bettina Rheims n’a eu de cesse de célébrer et de magnifier la féminité. De l’interroger, aussi. Que ce soit à travers ses séries Modern Lovers (1990) et Gender Studies (2011), dans lesquelles elle explore la question du genre en photographiant des androgynes et des transsexuels, ou par ses mises en scènes transgressives (les clichés de jeunes femmes en pleine extase ; les séries mode qui

flirtent avec le porno chic ; les portraits iconiques de célébrités, de Madonna à Monica Bellucci, dans des poses érotiques), la photographe bouscule les codes pour mieux chahuter les contours de la féminité. Mais si son style chic et choc a fait sa renommée, c’est sans fard que l’on préfère ses mises à nu, à l’image du puissant portrait de Kristin Scott Thomas qui tombe le masque en enlevant une perruque, ou des émouvants récents portraits en noir et blanc des femmes détenues, qui témoignent que l’artiste a appris, avec le temps, à gratter le vernis pour saisir l’essentiel. jusqu’au 27 mars à la Maison Européenne de la Photographie

www.troiscouleurs.fr 99

© uniqlo

La femme dans tous ses états, épinglée sur quelque cent quatre-vingts clichés, monumentaux pour la plupart : la MEP célèbre les quarante ans de carrière de la photographe française, faiseuse d’icônes et grande portraitiste de la féminité.

CARINE ROITFELD x UNIQLO Jupe crayon, veste cintrée, teintes sombres et kaki : la silhouette de femme d’affaires, iconique de l’ancienne rédactrice en chef du Vogue Paris, s’invite dans les rayons d’Uniqlo. Pour cette deuxième collaboration avec le géant nippon, Carine Roitfeld propose une collection mi-chic mi-street avec, pour agrémenter les pièces classiques, un bombers et un imprimé feuillage camouflage idéal pour affronter la jungle urbaine dans le froid hivernal. R. S.


pré se nte

© d.r.

© frederic nauzcyciel

théâtre

Je suis une poignée de main d’Aurélien Laplace

COURT MÉTRAGE

NIKON FILM FESTIVAL Le jury de la 6e édition du festival de courts métrages, présidé par Jacques Gamblin, a communiqué son palmarès mi-février. Plus de mille films d’une durée maximum de 140 secondes ont concouru, en respectant cette année le thème « Je suis un geste ». PAR CLAUDE GARCIA

Par coïncidence ou choix délibéré, le jury de cette édition a couronné deux films à thématique politique mais au ton et à la mise en scène opposés. Le Grand prix du jury est décerné à Je suis une poignée de main d’Aurélien Laplace, qui imagine avec un humour très potache la phase de répéti­tion, dans le bureau présidentiel américain, précédant la photo historique montrant Yasser Arafat et Yitzhak Rabin se serrer la main devant Bill Clinton, le 13 septembre 1993. Je suis Tunisie 2045 de Ted Hardy-Carnac, qui reçoit le Prix de la mise en scène, s’empare quant à lui du sujet de l’immigration, et de manière radicalement plus sombre : dans le futur, alors que les habitants d’une Europe sinistrée tentent de migrer vers la Tunisie, le destin d’un père et de sa fille ne tient qu’au coup de tampon

d’une employée tunisienne. Au champ-contrechamp sec et drôle du premier film répondent la caméra mouvante et l’ambiance sobrement futuriste du second. Deux propositions maîtrisées (chacun des deux réalisateurs avait déjà quatre courts métrages à son actif) auxquelles viennent notamment s’ajouter Je suis le premier pas de David Noblet (Prix des écoles), une joute de gestes entre deux enfants, et Je suis un réflexe de Zulma Rouge (Prix Canal+), une farce macabre sur un boucher. Le gagnant du Grand prix bénéficie, entre autres dotations, de la diffusion de son film dans les salles MK2 durant la semaine du 2 mars. Idem pour celui du Prix de la mise en scène, mais durant la semaine du 9 mars. Le palmarès complet est consultable sur le site du festival, www.festivalnikon.fr

100

mars 2016

SPLENDID’S Sept gangsters et leur otage sont retranchés au septième étage d’un hôtel encerclé par la police… Achevée en 1948, cette pièce de Jean Genet a été reniée par son auteur de son vivant. Elle est ici jouée en anglais (surtitré en français) par des acteurs presque tous américains, ce qui contribue à lui conférer une atmosphère fascinante de film noir hollywoodien. P. D. du 17 au 26 mars au Théâtre national de La Colline

SÉMINAIRE

DES CHAÎNES Le temps de six conférences, les vendredis à 18 h 30, le critique Emmanuel Burdeau se propose d’aborder les séries télévisées en les considérant non pas comme des films de cinéma mais comme des œuvres à part entière, avec un langage, un rythme, un mode de production qui leur sont propres. Pour étayer son propos, il accueillera divers intervenants dont Christina Wayne, qui a notamment développé les séries Breaking Bad et Mad Men. P. D.

du 18 mars au 22 avril au Jeu de Paume

CYCLE « MANGER ! » Quels que soient les genres et les cultures, les scènes de repas au cinéma font ressortir pulsions et rapports humains. Partant de ce constat, le Forum des images lance pour la première fois « Manger ! », un cycle de cours, de débats et de films (de L’Ange exterminateur de Luis Buñuel à Ratatouille de Brad Bird, en passant par La Grande Bouffe de Marco Ferreri) qui interrogent cet intérêt pour la nourriture sous un angle sociologique. P. D. du 2 mars au 14 avril au Forum des images


THÉÂTRE PHÈDRE(S) Krzysztof Warlikowski sonde le mythe de Phèdre pour en percer les mystères, en s’appuyant sur les écrits de Wajdi Mouawad, de Sarah Kane et de J. M. Coetzee. Le metteur en scène polonais retrouve pour l’occasion la magistrale Isabelle Huppert (dans le rôle-titre), après lui avoir confié en 2010 le rôle de Blanche Dubois dans Un Tramway, adapté de Tennessee Williams, déjà à l’Odéon. P. D. du 17 mars au 13 mai à l’Odéon-Théâtre de l’Europe

GÉRARD FROMANGER Peinture-Monde, Carbon black, 2015

Le Centre Pompidou consacre une rétrospective à cet acteur majeur de la figuration narrative, donnant à découvrir l’œuvre du peintre toujours engagé de 76 ans, et sa vision acide et colorée de l’histoire du xxe siècle. PAR RAPHAËLLE SIMON

Peindre la révolution ou révolutionner la peinture : Gérard Fromanger n’a jamais choisi son camp, livrant depuis cinquante ans une œuvre à la fois pop et engagée, portée par son obsession de la couleur et son désir de peindre le monde, ses mutations et ses dérives. Flottant au milieu des toiles, une grande sculpture sphérique et transparente donne la couleur de l’expo­ sition : le rouge. L’artiste français avait placé une douzaine de ces Souffle de mai dans les rues de Paris quelques mois après les événements de 1968, pour donner à voir aux passants la ville en couleurs. Chez Fromanger, la couleur est politique, et le rouge devient un leitmotiv, à l’image de son iconique (et tristement actuel depuis

les attentats de Paris) tableau figurant un drapeau tricolore qui saigne, décliné en un magnifique film-tract de trois minutes, réalisé avec Jean-Luc Godard en 1968. Le parcours thématique, composé d’une cinquantaine de peintures, mais aussi de quelques sculptures et dessins, met en lumière un autre motif cher à l’artiste : la foule multicolore, qui chemine dans ses toiles depuis ses débuts, que ce soit les paysans chinois du monumental En Chine, à Hu-Xian (1974), ou les anonymes amassés dans un bateau pneumatique, sous le regard indifférent des passants, de Peinture-Monde (2015). Le temps passe, l’engagement et le talent de Fromanger demeurent. jusqu’au 16 mai au Centre Pompidou

www.troiscouleurs.fr 101

© nguyen the duong

EXPOSITION

© gérard fromanger, 2016 © luca lozzi

CIRQUE

LE NOUVEAU CIRQUE DU VIETNAM Dans leur précédent spectacle, les acrobates et musiciens du Nouveau Cirque du Vietnam mélangeaient techniques ancestrales et cirque moderne pour présenter la vie d’un village vietnamien traditionnel. Empreint de la même poésie, ce deuxième volet, À Ố Làng Phô, promet d’être plus exalté : pour raconter l’évolution et l’urbanisation de la société vietnamienne, la musique locale laisse place au hip-hop. P. D. du 29 mars au 17 avril à La Villette

THÉÂTRE CONSTELLATIONS Roland est apiculteur, Marianne enseigne la physique quantique. Premiers émois, grands bonheurs, petites trahisons… Nick Payne raconte, avec une scénographie sobre et des dialogues acérés, la trajectoire cabossée de ce drôle de couple, de leur rencontre, à l’occasion d’un barbecue, à leur séparation tragique. Après Londres et Broadway, le dramaturge britannique investit les planches parisiennes avec Marie Gillain et Christophe Paou. P. D. du 15 mars au 18 juin au théâtre du Petit Saint-Martin


L’actualité DES salles THÉÂTRE FILMÉ

HAMLET KEBAB Quand le théâtre de La Commune a passé commande à Rodrigo García en lui demandant : « Qu’est-ce qu’Aubervilliers inspire à votre art ? », le sulfureux metteur en scène hispano-argentin, connu pour ses pièces-performances trash et engagées (Daisy, 4), a répondu spontanément : « Hamlet dans un Kebab. » Ainsi est né Hamlet Kebab, une performance jouée dans un kebab d’Aubervilliers par des habitants du quartier et retransmise en direct au MK2 Bibliothèque. Tentative d’approche.

© marc ginot

PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

Rodrigo García

uel est le principe d’Hamlet Kebab ? Pour être honnête, c’est très compliqué pour moi de donner des interviews avant que mes spectacles n’aient commencé, parce que je travaille de manière très intuitive, j’improvise tout le temps, donc quand je parle de mes créations en amont, ça n’a absolument rien à voir avec le résultat final ! Je ne suis pas de ces artistes qui savent ce qu’ils vont faire à l’avance, qui planifient tout ; ce que j’aime, c’est l’aventure. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le Théâtre de La Commune m’a proposé de participer à ce projet en lien avec Aubervilliers, qui intègre des gens du quartier. J’avais remarqué en passant qu’il y avait plein de kebabs à Aubervilliers ; du coup, j’ai proposé de faire une pièce dans un kebab.

102

Ça ne vous semblait pas gênant de ne pas bien connaître Aubervilliers pour monter une pièce qui a cette ville pour sujet ? Je ne connais pas bien la ville, en effet, mais j’y ai quand même monté une pièce l’année dernière, au Théâtre de La Commune, qui s’appelait Et balancez mes cendres sur Mickey. Mais on n’a pas besoin de bien connaître quelque chose pour pouvoir en parler. Je ne fais pas une conférence sur le quartier, j’exprime mon art, ma vision. La pièce sera jouée dans un kebab à Aubervilliers, sans spectateurs, et filmée pour être retransmise en direct dans un cinéma à Paris. Pourquoi montrer la pièce à distance, quel est le but de la démarche ? Je trouve ça intéressant que les Parisiens puissent voir ce qui se passe à Aubervilliers.

mars 2016


Pour créer du lien et décloisonner Paris et sa banlieue, ne vaudrait-il pas mieux faire venir le public parisien à Aubervilliers ? Quand je faisais le chemin entre le métro et le Théâtre de La Commune, à l’époque où je jouais ma pièce, j’ai remarqué que la population était très mélangée : il y avait des Noirs, des Arabes, des Chinois, mais personne du quartier n’entrait dans le théâtre. À l’intérieur, il n’y avait que des Parisiens… La segmentation est là, c’est un fait. Le but, c’est que le public parisien voie la population d’Aubervilliers travailler sur le projet.

« Hamlet, c’est une histoire d’aventures, et j’aime l’aventure. » Pourquoi Hamlet ? Je ne fais pas de répertoire normalement, c’est une décision politique que j’ai prise il y a très longtemps. Quand j’ai commencé le théâtre, il y a une trentaine d’années, je me suis interdit de jouer des classiques. Je tenais à créer mon propre langage, à écrire mes propres pièces, que seul moi pourrais faire – contrairement aux œuvres du répertoire que tout le monde peut adapter. D’ailleurs, au centre dramatique national de Montpellier que je dirige depuis deux ans, on ne joue pas de répertoire, ce qui est très rare pour un centre dramatique. Mais, cette fois, ça me semblait adéquat de faire un

classique. Comme je voulais que la pièce se passe dans un kekab, ça me paraissait intéressant de jouer du Shakespeare, pour le contraste. Et puis Hamlet, c’est une œuvre que j’aime et que je connais bien. C’est une histoire d’aventures, et j’aime l’aventure. Comment comptez-vous travailler avec les comédiens amateurs ? Contrairement à ce que je fais d’habitude, ce ne sera pas une adaptation libre. On va travailler sur le texte original de Shakespeare ; enfin, une partie, car le texte est trop long pour des amateurs. J’ai fait une petite audition avec les habitants du quartier qui se sont présentés. Nous allons maintenant répéter ; pas autant que pour une pièce normale pour laquelle il y a deux mois de préparation, mais quand même une quinzaine de jours. Le fait que la pièce soit filmée pour la retransmission change-t-il beaucoup votre approche ? On a eu juste une réunion sur le sujet pour l’instant, mais ça change beaucoup de choses, oui. Ce ne sera pas qu’une pièce de théâtre, ce sera une œuvre cinématographique, avec un langage cinématographique. À ça s’ajoute la contrainte de jouer dans un kebab, ce qui limite pas mal. Mais toutes ces contraintes forcent à être créatif. du 7 mars au 10 mars à 20h au Mk2 Bibliothèque Plus d’informations sur www.mk2.com

CONFÉRENCES

DEMAIN LE JOURNALISME À l’occasion du centenaire de la naissance de Françoise Giroud, le fonds de dotation en sa mémoire, qui remet chaque année des prix à des journalistes et à des travaux de presse, organise deux jours d’événements au MK2 Bibliothèque. « Demain le journalisme » propose une leçon de journalisme à partir d’une sélection des articles écrits par Françoise Giroud, mais se tourne aussi vers le présent et l’avenir. Les mutations du métier aujourd’hui sont ainsi abordées dans des conférences par des représentants des revues M. Le magazine du Monde, Causeur, So Foot et XXI. Le trimestriel Usbek & Rica présente quant à lui la conférence-spectacle « L’utérus artificiel va-t-il libérer les femmes ? » Et pour clore l’événement, la directrice de France Culture, Sandrine Treiner, anime une table ronde sur le sujet « Comment faire vivre aujourd’hui les valeurs fondamentales du journalisme ? » C. G. les 11 et 12 mars au MK2 Bibliothèque Informations et inscription sur www.demainlejournalisme.com

www.troiscouleurs.fr 103


L’actualité DES salles

Rénovation à l’Odéon

L

e MK2 Hautefeuille devient le MK2 Odéon (côté St Michel). Distant d’à peine 200 mètres du MK2 Odéon (côté St Germain), le cinéma a été entièrement rénové. Passé le hall, réaménagé pour une circulation plus fluide et équipé d’écrans dynamiques et de bornes automatiques, les quatre salles prennent un coup de jeune, des tentures murales aux moquettes, en passant par les fauteuils, remplacés par les fameux love seats et leur accoudoir relevable, parfaits pour les séances en amoureux. C. G.

En place à Montparnasse Les trois salles du MK2 Parnasse ont, elles aussi, profité de l’hiver pour se refaire une beauté.

104

mars 2016


www.troiscouleurs.fr 105


L’actualité DES salles

CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

07/03

CONFÉRENCES

RENCONTRES

musique

11/03

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Que désirons-nous vraiment lorsque nous désirons ? » >MK2 Odéon (côté St Germain) à 18h15

ROCK’N PHILO « Faut-il vivre à genou ou mourir debout ? Fais ce que tu voudras. » >MK2 Grand Palais à 20h

08/03

UNE HISTOIRE DE L’ART L’art gothique. >MK2 Odéon (côté St Michel) de 11h à 12h30

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La Barnes Foundation de Philadelphie. >MK2 Odéon (côté St Germain) de 12h30 à 13h30

08/03

SOIRÉE BREF Au programme, les courts métrages Première séance de Jonathan Borgel, Victor ou la Piété de Mathias Gokalp, Rhapsody de Constance Meyer, Je ne suis pas un cygne d’Armand Lameloise et Une visite de Philippe Harel. >MK2 Quai de Seine à 20h

10/03

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La Barnes Foundation de Philadelphie. >MK2 Quai de Loire de 12h30 à 13h30

10/03

CINÉ BD En partenariat avec les éditions Dargaud, rencontre-dédicace avec les auteurs de la série Les Vieux Fourneaux, suivie de la projection du film Another Year de Mike Leigh. >MK2 Quai de Loire à partir de 18h

10/03

SOIRÉE MARVIN JOUNO En partenariat avec le label Un Plan Simple, et à l’occasion de la sortie du premier album de Marvin Jouno, Intérieur nuit, projection du film du même nom, réalisé par lui et rassemblant les onze morceaux de son disque. >MK2 Grand Palais à 20h30

11/03

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La Barnes Foundation de Philadelphie. >MK2 Bibliothèque (entrée BnF) de 12h30 à 13h30

12/03

14/03

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Faut-il penser à la mort pour vivre pleinement ? » >MK2 Odéon (côté St Germain) à 18h15

19/03

UNE HISTOIRE DE L’ART Les primitifs italiens : Cimabue, Giotto, Duccio. >MK2 Odéon (côté St Michel) de 11h à 12h30

20/03

NOS ATELIERS PHOTO « Sur les traces de Saul Leiter », animé par Aurélie Lecarpentier (tout type d’appareil sauf smartphone). Réservation : 06 95 28 78 10 / contact@mobilecameraclub.fr >MK2 Bibliothèque

21/03

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La National Gallery de Washington. >MK2 Nation de 12h30 à 13h30

21/03

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Qu’est-ce qui fait la beauté de la France ? » >MK2 Odéon (côté St Germain) à 18h15

21/03

ALL’OPERA Le Barbier de Séville de Rossini. >MK2 Odéon (côté St Germain) à 20h

21/03

LE RENDEZ-VOUS DES DOCS Projection en avant-première de La Sociologue et l’Ourson de Mathias Théry et Etienne Chaillou, en présence de la sociologue (Irène Théry), de l’ourson (Mathias Théry) et du coréalisateur (Etienne Chaillou) >MK2 Quai de Loire à 20h

106

mars 2016

JEUNESSE

22/03

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La National Gallery de Washington. >MK2 Odéon (côté St Germain) de 12h30 à 13h30

22/03

CONNAISSANCES DU MONDE Le Cambogde. >MK2 Nation à 14h

24/03

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La National Gallery de Washington. >MK2 Quai de Loire de 12h30 à 13h30

25/03

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE La National Gallery de Washington. >MK2 Bibliothèque (entrée BnF) de 12h30 à 13h30

26/03

UNE HISTOIRE DE L’ART Le Quattrocento à Florence : Donatello, Masaccio, Fra Angelico. >MK2 Odéon (côté St Michel) de 11h à 12h30

01/04

ROCK’N PHILO « Le rock est-il un art ? Du cri primal à la symphonie électrique. » >MK2 Grand Palais à 20h

02/04

UNE HISTOIRE DE L’ART Le temps des génies : Vinci, Raphaël, Michel-Ange. >MK2 Odéon (côté St Michel) de 11h à 12h30

04/04

LES PLUS BEAUX MUSÉES DU MONDE Le Rijksmuseum d’Amsterdam. >MK2 Nation de 12h30 à 13h30

04/04

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « L’identité : fierté ou prison ? » >MK2 Odéon (côté St Germain) à 18h15


www.troiscouleurs.fr 107


108

mars 2016


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.