Magazine TRAJECTOIRE - édition 127 de juin 2019

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En d’autres termes, la spiritualité devrait être le moteur de l’existence... Oui, j’en suis profondément convaincu. Malheureusement, on vit dans un monde toujours plus artificiel, où l’on croit que tout ce qu’on voit n’est qu’une seule réalité, au lieu de s’ouvrir à un monde en lien avec la transcendance. Les religions, qui avancent des certitudes et posent des obligations, ont dégoûté beaucoup de gens de la spiritualité qui, elle, ouvre à la recherche, au sens de la vie. La religion impose des réponses à des questions que les fidèles ne se posent pas, alors que la spiritualité ne donne pas de réponses aux questions de ceux qui s’en posent… Cet aspect de la spiritualité est omniprésent dans votre discours, puisque vous affirmez que les questions sans réponses créent la conscience d’exister. C’est vrai. Ce qui nous permet d’avancer, c’est de rompre avec nos carcans. La vraie aventure est spirituelle. Elle commence lorsque l’on accepte de sortir de nos habitudes, de se questionner sur nos valeurs et nos préconçus. Les questionner pour s’en libérer… Tout le monde peut apprendre à le faire. N’est-ce pas un brin «ÀdémagogueÀ»À? Certains partent avec plus d’avance que d’autres, que ce soit en termes de capacités intellectuelles ou de ressources financières… Je ne le pense pas. Je ne parle jamais du côté spectaculaire d’une aventure. Celui qui court toute la journée pour gérer ses enfants tout en ramant pour boucler les fins de mois peut aussi connaître l’envie de faire mieux. Si cette personne accepte de se remettre en question, elle pourra relever des défis. Il y a des tas de choses à faire autrement, à chaque moment de la journée. En fait, vous donnez de l’espoir à tout le monde… Je ne dis pas du tout que c’est facile. Il est parfois nécessaire d’être entouré… Mais c’est un processus que l’on peut appliquer aux moments ordinaires, pour essayer de les rendre extraordinaires. Grâce à votre père, pionnier de l’océanographie, vous avez eu le privilège rare d’assister au décollage des fusées des missions Apollo. Est-ce cela qui a fait naître votre destin d’aventurierÀ? Cette collision entre mon monde «ÀordinaireÀ» – école, devoirs, football américain et cours de poésie américaine – et celui,

incroyable, de pouvoir rencontrer les héros de la conquête de l’espace et de l’aviation comme Charles Lindbergh – tout ce que j’avais lu dans les livres – m’a permis de comprendre que rien n’était impossibleÀ! Vous recevez beaucoup de compliments de toutes parts. Comment rester humble quand on a réalisé tant d’exploits, qu’on a tant de projets pensés pour le bien de la planète et qu’on est si aduléÀ? Je sais à quel point j’ai aussi dû galérer pour y arriver. Les retours positifs me montrent que je vais dans la bonne direction. C’est gratifiant d’être utile aux autres, mais je ne donne pas des conférences pour me glorifier. Je le fais car je suis persuadé que les gens peuvent devenir des explorateurs dans leur domaine, des aventuriers dans leur vie. En tant que médecin, je suis content quand on me dit que mes conférences aident à mieux vivre. Comment pouvez-vous afficher tant de confiance en l’être humain quand on voit les horreurs qu’il peut commettre, à l’image du terrorismeÀ? Mon espoir demeure quand je vois la qualité des ressources potentielles que porte l’homme. Mais je désespère aussi parfois quand je vois à quel point ces ressources sont si mal utilisées. Et ce qui me fait peur, c’est la bêtise humaineÀ: c’est ce qui détruira la planète si rien ne change. L’égoïsme, le «Àcourt-termismeÀ», cette manière de retarder les décisions fondamentales pour l’environnement par pure cupidité… L’environnement, c’est votre cheval de bataille. Oui, parce que le discours que les politiques et l’économie ont à ce sujet est complètement dépassé. Ils n’empoignent pas le problème par le bon boutÀ? Ils ne cessent de répéter que l’écologie coûte plus cher et qu’elle oblige les gens à se priver. Il est urgent que ce discours changeÀ! L’écologie doit être enthousiasmante et rentable, et notre monde a les moyens d’évoluer. Nous vivons avec des technologies désuètes. Isoler tous les bâtiments correctement, remplacer les chauffages à mazout par des pompes à chaleur, rendre propres les sources d’énergie, s’éclairer avec des ampoules LEDÀ: rien qu’avec cela, la consommation électrique diminuerait drastiquement.

Au printemps, le «savanturier» Bertrand Piccard a vécu un moment très émouvant à l’issue de la conférence «ÀComment atteindre l’impossibleÀ», donnée devant 500 personnes réunies au Collège Champittet, à Pully. Par Julie Masson


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