Fonte au sable - Fonte à cire perdue, E. Lebon - Editions Ophrys

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Collection voir – faire – lire

F A I R E

ISSN 2117-055X Institut national d’histoire de l’art

Collection voir – faire – lire

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Fonte au sable – fonte à cire perdue. histoire d’une rivalité

Le XIXe siècle vu s’opposer deux procédés de fonte des bronzes d’art, l’un censé avoir servi avant tout la production industrielle qui a inondé le siècle : la fonte au sable, et l’autre réputé plus artistique mais plus coûteux : la fonte à la cire perdue. Intriguée par les incohérences de cette version qui s’est propagée jusqu’à nos jours, l’auteur s’est écartée des textes partisans et polémiques habituellement cités pour aller vers les sources originelles, techniques et archivistiques afin de cerner les raisons fondamentales des choix et tenter d’éclaircir les paradoxes. Une nouvelle histoire de cette rivalité apparaît alors. Loin des interprétations habituelles, l’auteur met en lumière un fait nouveau dans ce domaine, la soumission de la sculpture et de ses acteurs à des enjeux idéologiques majeurs. Cet ouvrage est prolongé et enrichi par des développements proposés en ligne sur le site de l’INHA : http://inha.revues.org/32423.

Élisabeth Lebon est docteur en Histoire de l’art. Elle a consacré sa thèse au catalogue raisonné de l’œuvre sculpté de Charles Despiau. Elle a publié, en collaboration avec Pierre Brullé, le catalogue raisonné de l’œuvre sculpté d’Anton Pevsner (Galerie-éditions Pierre Brullé, 2002). Elle est l’auteur du Dictionnaire des fondeurs de bronzes d’art – France 1850-1890 (Élancourt, Marjon Éditions, 2003).

Collection Voir – Faire – Lire Lire Du fragment Antoinette Le Normand-Romain & Pierre Pachet

E. Lebon

À tout être vivant, il appartient d’abord de voir puis de faire. À l’homme seul, il incombe de lire. L’INHA et les Éditions Ophrys s’engagent sur ces trois voies pour être au plus proche de l’œuvre : Voir : une œuvre sous des regards croisés ; Faire : la main au service de l’œuvre ; Lire : l’œuvre d’un artiste prise au reflet d’une pensée.

FAIRE

Comment je peins un tableau Otto Dix Malaise dans la peinture. Á propos de La Mort de Marat Jean-Claude Milner

Voir Louise Bourgeois « Three Horizontals » Fabien Danesi, Evelyne Grossman & Frédéric Vengeon

Élisabeth Lebon

FONTE AU SABLE – FONTE À CIRE PERDUE HISTOIRE D’UNE RIVALITÉ

Institut national d’histoire de l’art Éditions Ophrys

« Messe de saint Grégoire », œuvre anonyme, Mexique, XVIe siècle Dominique de Courcelles, Claude Louis-Combet & Philippe Malgouyres

Ouvrage à paraître

Voir Le Pont transbordeur de Marseille par Làszlo Moholy-Nagy François Bon, Olivier Lugon & Philippe Simay

Conception de la couverture : Jean Daviot Illustration de la couverture : Rodin – Buste de Rochefort


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Fonte au sable – Fonte à cire perdue Histoire d’une rivalité

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Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Centre National du Livre.

Remerciements aux généreux contributeurs et dévoués relecteurs : Jean-Baptiste Auffret, Jane Basset, Christophe Bery, Thierry Bingen, Anne-Laure Brisac-Chraïbi, Janis Conner, David Descatoire, Jean Dubos, Nicole Garnier, Olivier Gufflet, Max Itzokovitch, Monique et Yves Ledru, Christine Leibovici, Elisabeth Lemirre, Antoinette Le Normand-Romain, Bernard Lizot, Anne Nadeau-Dupont, Anne Pingeot, Amélie Simier, Nicolas Thomas, Alain Richarme, Francis Roret, Jean Soulez, Eve Turbat, Jean-Marie Welter. Sans oublier mes fils, Basile et Pacôme Dewaele.

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Élisabeth Lebon

Fonte au sable – Fonte à cire perdue Histoire d’une rivalité

Collection Voir-Faire-Lire Institut national d’histoire de l’art Éditions Ophrys

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FAIRE

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute représentation, reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Par ailleurs, la loi du 11 mars 1957 interdit formellement les copies ou les reproductions destinées à une utilisation collective. ISBN : 978-2-7080-1338-4 © Institut national d’histoire de l’art/Éditions Ophrys, 2012. Imprimé en France Éditions Ophrys, 25 rue Ginoux, 75015 Paris / www.ophrys.fr

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À Mady Ménier « Il faut s’attendre que de si grandes nouveautés transforment toute la technique des arts, agissent par là sur l’invention elle-même, aillent peut-être jusqu’à modifier merveilleusement la notion même de l’art. Sans doute ce ne seront d’abord que la reproduction et la transmission des œuvres qui se verront affectées. » Paul Valéry, « La conquête de l’ubiquité », Pièces sur l’artt (1928).

La « fonte au sable » et la « fonte à cire perdue » sont deux procédés utilisés depuis des temps immémoriaux pour réaliser des œuvres de bronze. La cire perdue fut utilisée en France pour produire les objets d’art les plus somptueux, les plus célèbres monuments de l’Ancien Régime, puis céda la place à la fonte au sable au moment où se développait, au XIXe siècle, une activité industrielle touchant largement le monde de l’art. Mais les dernières décennies du siècle virent une réhabilitation éclatante et durable de la fonte à cire perdue. Cette résurgence donna lieu à une interprétation qui, tout comme le goût dominant pour les bronzes ainsi réalisés, a perduré jusqu’à nos jours : il s’agissait d’une réaction à la production massive de bronzes d’art, dégradée en grande partie par la médiocrité inhérente au procédé de fonte au sable auquel l’industrie s’était soumise. Retenu en effet pour son faible coût de production, le moulage au sable exigeait impérativement un découpage des modèles peu compatible avec le respect des œuvres d’art. Ce découpage, source de déformations, trahissait les œuvres originales et, par là même, les artistes. Matrice de bas de gamme, favorable à l’industrie plus qu’à l’art, la fonte au sable devait céder la place au renouveau de la cire

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perdue, procédé statuaire par excellence, magnifié par d’illustres monuments royaux, mais hélas tombé dans l’oubli, victime du règne des appétits financiers. Par bonheur trois fondeurs isolés mais exemplaires, Honoré Gonon et son fils Eugène, puis Pierre Bingen, avaient avec abnégation cherché, retrouvé et préservé l’illustre procédé. Ils ouvraient ainsi la voie aux grands noms du bronze à cire perdue que furent – au début du XXe siècle – des fondeurs aussi réputés qu’Adrien-Aurélien Hébrard ou Claude Valsuani, rénovateurs de la vérité artistique du bronze.

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Cette version établie et propagée, surtout à partir de la fin du XIXe siècle, par d’ardents partisans de la fonte à cire perdue se heurte toutefois à certaines incohérences qui jusqu’ici n’ont pu être éclaircies : comment justifier les fontes au sable d’excellente qualité que l’on trouve tout au long du XIXe siècle y compris dans la production en nombre, par exemple celles des meilleurs animaliers (Fratin, Barye, Mène et Cain, Isidore Bonheur, Moigniez, Lenordez, Frémiet…) ou les bronzes issus de l’atelier Carpeaux, fontes pourtant sous-traitées le plus souvent à des artisans fondeurs restés obscurs ? Pourquoi Rodin, figure exemplaire du respect de l’« Artiste » et de son geste, vénéré par ceux qui luttaient justement haut et fort contre la fonte au sable, a-t-il largement boudé la cire perdue ? Ou encore comment expliquer la réputation incontestée d’un fondeur au sable comme Eugène Rudier qui, jusqu’au milieu du XXe siècle, poursuivit sa production sous la célèbre marque « Alexis Rudier » ? Puisque les défauts reprochés à la fonte au sable étaient attribués à des impératifs techniques, nous avons voulu nous écarter des textes partisans et polémiques habituellement cités pour aller vers les sources proprement techniques et archivistiques afin de cerner les raisons fondamentales des choix et tenter d’éclaircir les incohérences. Une nouvelle histoire de cette rivalité entre procédés est alors apparue. Loin des interprétations habituelles, elle met en lumière, de façon insoupçonnée dans un tel domaine et à travers de surprenants retournements, la soumission de la

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sculpture et de ses acteurs à des enjeux idéologiques majeurs, aboutissant à une modification fondamentale de ses ressorts profonds.

LES PROCÉDÉS DE FONTE SOUS L’ANCIEN RÉGIME Un examen des pratiques antérieures est indispensable pour éclairer les positions qui seront prises tout au long du XIXe siècle. Toutefois le développement de ce sujet complexe aurait trop dévié de l’essentiel de notre étude. Aussi le lecteur est-il invité à consulter les développements et illustrations complémentaires que nous proposons sur le site de l’INHA, nous ne ferons ici qu’en tracer les indispensables grandes lignes1. Sous l’Ancien Régime, les métiers organisés en corporations protègent les secrets d’atelier. Il existe bien quelques échanges stratégiques, et une poignée de publications tente de faire le point sur les connaissances, mais l’ensemble demeure parcellaire et marginal. Quelques rares traités de métallurgie rendent compte de pratiques d’atelier mais ils restent prisonniers de généralités, obscurcies par l’absence de bases scientifiques. Les ouvrages les plus diffusés recensent des « recettes » à travers lesquelles le tour de main, essentiel, ne peut être transmis. L’ouvrier, surtout dans des métiers aussi complexes que ceux qui touchent à la métallurgie, ne peut que reproduire une « routine » dont il s’imprègne au cours d’un très long apprentissage. Dans cette pratique, l’usage des sens se révèle capital en l’absence de toute connaissance scientifique fiable, d’autant qu’on ne dispose pas encore d’instruments de mesure précis des hautes températures et que l’on ignore la chimie moderne dont Lavoisier établira les bases : ces avancées scientifiques fondamentales ne font en effet que s’amorcer dans les toutes dernières années de l’Ancien

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1. Les prolongements de cet ouvrage sont accessibles en ligne sur le site de l’INHA sous le titre « Le sculpteur et le fondeur » – http://inha.revues.org/3243

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Régime. C’est donc seulement après une bonne dizaine d’années que l’apprenti fondeur pourra justifier d’une expérience suffisamment ressassée pour posséder un savoir essentiellement sensoriel, jalousement protégé puisqu’il constitue une garantie d’emploi qualifié correctement rémunéré, sorte de patrimoine dont on peut réserver la transmission à des proches.

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Deux branches de la fonderie, faisant également appel à un procédé appelé fonte en terre, sont toutefois décrites de façon plus précise : la fonte des cloches qui se pratique de façon ambulante jusque dans les villages les plus reculés, et la fonte d’artillerie, en particulier de canons. Pour le bronze d’art, on dispose également de quelques textes essentiels, publiés de façon très officielle à l’occasion de l’érection de statues royales équestres faisant systématiquement appel à la fonte à cire perdue2. Naturellement vouées à la propagande, donc à examiner avec prudence, ces publications de prestige offrent cependant une somme considérable et unique d’informations techniques très détaillées assorties de schémas, destinées à démontrer l’immense difficulté des projets et l’habileté extraordinaire de leurs réalisateurs. Elles ont été inlassablement reprises et citées jusqu’à nos jours. Religion, guerre, pouvoir politique : les descriptions les plus techniques dont nous disposons concernent donc principalement la fonte de pièces de grandes dimensions relevant d’intérêts stratégiques majeurs pour les puissances en place. Le processus de production des ustensiles courants (en fer ou alliages variés) n’est en revanche quasiment pas décrit avant les publications encyclopédiques de la fin du XVIIIe siècle qui commencent à s’y intéresser. L’activité ordinaire du fondeur, tout comme celle du sculpteur d’ailleurs, relève sous l’Ancien Régime du domaine de l’artisanat et n’est généralement pas destinée à laisser de traces pour l’Histoire. Il existe cependant 2. 174 3-Boffrand et 1768-Mariette. Les écrits de Falconet au sujet de son Pierre le Grand d (1781-Falconet) apportent d’intéressantes informations mais n’offrent pas le même degré de précision que les ouvrages de Boffrand et Mariette.

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de nombreuses sources secondaires susceptibles d’être liées aux pratiques exceptionnelles comme aux plus banales : contrats, actes notariés, actions en justice, rapports d’expertise… Enfouies dans des archives foisonnantes, non dépouillées et dispersées, elles attendent encore d’être exploitées, et même localisées. Nous n’avons qu’effleuré ce gisement d’informations. Ainsi, à partir de publications lacunaires et orientées, un héritage de confusions répétées et d’interrogations inabouties s’est installé. Si l’on sait que, « de tout temps » selon la formule consacrée, la fonte au sable fut pratiquée par les fondeurs d’art et d’ornement, on ne s’est guère interrogé sur l’ampleur et les limites de cette utilisation. En particulier le recours à la fonte au sable pour des œuvres d’art antérieures au XIXe siècle est une question demeurée sans véritable réponse, et à laquelle nous tenterons d’apporter quelques éclaircissements3. Pour ajouter à la confusion, si les secrets de métier ne se diffusaient guère aisément, il existait très certainement une perméabilité des pratiques, alimentée par certaines alliances stratégiques, un recours à la sous-traitance et par la circulation des personnes, qui permettait finalement à un même atelier de faire appel à différents procédés, voire de mettre au point des processus hybrides. Nous avons pu remarquer par exemple chez Gouthière l’emploi du procédé de fonte au sable appliqué directement sur des modèles montés en cire sur plâtre, mais tout reste encore à découvrir dans ce domaine4.

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Une certaine confusion est également due à l’utilisation, sous l’Ancien Régime, du terme générique de « fonte » ou 3. Voir dans les prolongements en ligne : « Les procédés de fonte sous l’Ancien Régime, la fonte au sable ». 4. Le fondeur d’art Jean Dubos nous a confirmé qu’en prenant de grandes précautions, il est effectivement possible de mouler des cires au sable mais sur de petites pièces utilisant une cire de fonderie très dure, et de préférence solidement renforcées par un noyau de plâtre ; le fondeur Thinot l’aurait fait pour quelques petits modèles de Germaine Richier (entretien avec l’auteur, octobre 2010). En 1810, les grands Lionss de la fontaine de l’Institut à Paris (d’abord confiés à Launay qui ne les acheva pas pour cause de faillite), première fonte de fer artistique, ont été également fondus sur des modèles en cire, dans des châssis de sable (2009-Perchet).

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« fondeur en terre » pour évoquer deux pratiques distinctes : la fonte en terre proprement dire, et la fonte à cire perdue, car la pratique de la fonte à cire perdue est en effet si exceptionnelle, sous l’Ancien Régime comme au XIXe siècle, que la qualification même du métier de « fondeur à cire perdue » n’existera pas avant le début du XXe siècle5. L’amalgame entre les deux procédés vient de leur façon identique de monter le moule de potée. Nous donnons, dans nos annexes en ligne, les raisons qui nous poussent cependant à différencier ces deux procédés. Nous les supposons avoir tous deux été employés pour la production statuaire, ce qui n’a guère été étudié jusqu’ici en ce qui concerne la fonte en terre6.

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La fonte d’art à cire perdue éclôt en France au XVIe siècle avec l’arrivée des Florentins à Fontainebleau, en particulier de Benvenuto Cellini, orfèvre et ciseleur qui se fit pour François Ier sculpteur et fondeur. Les fondeurs florentins n’étaient d’ailleurs revenus à la cire perdue pour la fonte statuaire que dans les toutes premières décennies du XVIe siècle7, alors que le procédé avait été pratiqué en revanche sans discontinuité pour l’orfèvrerie. Il réclamait une matière première coûteuse à l’achat – de la cire d’abeille pure – en bonne partie « perdue » précisément lors du processus. Il était en outre très lent : la terre employée pour le moulage de potée, complétée d’additifs, devait macérer pendant toute une saison d’hiver puis nécessitait de fastidieuses manipulations. La réalisation du moule était d’autant plus pénible que les pièces étaient de grandes dimensions. Il fallait plusieurs mois pour mouler un modèle monumental. Le délai s’allongeait avec l’étuvage de la cire, qui pouvait aussi prendre plusieurs semaines. Le procédé était donc très cher et très lent, mais adapté à la statuaire dans la mesure où les qualités 5. Honoré Gonon lui-même, ouvrant en 1829 la première fonderie exclusivement dédiée à la cire perdue, la qualifiera uniquement de « fonderie d’objets difficiles à réaliser ». La rubrique « fondeurs à cire perdue » n’apparaît dans le Bottin du Commerce, organisé par professions, qu’à partir de 1922. 6. Voir dans les prolongements en ligne : « Fonte en terre, fonte statuaire ? » 7. 2009-Mozzati.

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spécifiques de la cire permettaient d’obtenir des fontes creuses – nécessité absolue pour la statuaire – quelle que soit la complexité des formes. On procédait pourtant couramment au découpage préalable du modèle pour travailler sur des parties détachées, plus aisées à manipuler et à mouler : la fonte d’un seul jet, fleuron du procédé pour ceux qui le redécouvreront à la fin du XIXe siècle, ne se pratiquait en réalité que très exceptionnellement dans ces temps-là. La qualité ne tenant qu’à l’habileté plus ou moins extraordinaire de l’exécutant, beaucoup de fontes brutes étaient d’une qualité médiocre et nécessitaient d'importantes réparations de surface confiées aux ciseleurs. Ceux-ci occupaient donc une fonction capitale. Ils étaient proches de l’artiste quand ce n’était pas l’artiste lui-même qui se chargeait de ces importantes finitions. L’opération était en tout cas réalisée sous son étroit contrôle. L’intervention du sculpteur se révélait indispensable du début (réparage des cires) à la fin (ciselure). Son autorité était par conséquent reconnue en fonderie. Il lui arrivait parfois même d’empiéter sur les prérogatives très techniques du fondeur proprement dit au point d’aboutir à de violents conflits dont, pour certains, le bruit est parvenu jusqu’à nous. Pour les œuvres importantes le fondeur était généralement désigné par le sculpteur à travers un acte de sous-traitance, hélas très rarement conservé puisque les archives de sculpteur ne l’étaient guère elles-mêmes.

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Signe de la rareté d’application du procédé, aucun fondeur ne semble avoir pratiqué exclusivement la cire perdue – ce qui explique sans doute l’inexistence de ce terme de métier. Soit on faisait appel pour la petite statuaire à des « fondeursciseleurs » généralement issus des métiers de l’orfèvrerie (comme les Thomire) ou de l’ébénisterie (comme les Caffieri), qui pratiquaient ou sous-traitaient divers procédés de fonte selon les besoins, soit on avait recours, pour les fontes monumentales, par nature exceptionnelles, à des fondeurs d’artillerie formés à la fonte en terre au sens strict (Keller, Gor) qui possédaient l’expérience des coulées de grande quantité de métal et disposaient des

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équipements adéquats, mais qui n’étaient familiers a priori ni de la fonte d’art, ni de la pratique de la cire perdue.

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Les fondeurs de canons, comme les fondeurs de cloches, avaient recours à la fonte en terre, au sens strict auquel nous l’entendons ici. Le procédé consistait à établir en terre l’épaisseur destinée ensuite à être occupée par le métal. Il présentait l’avantage d’une matière première gratuite abondante et permettait d’obtenir d’un jet des pièces de grandes dimensions. Mais le fait que, contrairement à la cire, la terre ne soit pas fusible, rendait très complexe l’obtention de fontes creuses. En outre, sauf cas extraordinaire réclamant des soins hors du commun, il n’était pas possible de préserver le modèle qu’il fallait établir à nouveau pour chaque exemplaire. Pour les canons précisément : après des expérimentations peu probantes pour obtenir un noyau, depuis le milieu du XVIIIe siècle chaque modèle était établi en terre pleine, moulé, puis on provoquait un éboulement interne de ce modèle qui le détruisait totalement mais laissait le moule entièrement vidé prêt à recevoir le bronze. Les canons étaient donc fondus en métal plein puis forés dans un second temps. Nous comprenons bien l’avantage pour les fondeurs de cloches, qui travaillaient de façon ambulante, de ne pas avoir à s’encombrer de modèles. Pour les canons en revanche, nous verrons que le fait de travailler à modèle perdu fut un lourd inconvénient qui poussa à des innovations majeures entraînant des conséquences fondamentales pour notre sujet. Le fondeur en terre, qui rebâtissait un modèle pour chaque épreuve, voyait tout son travail préparatoire anéanti en cas d’échec à la coulée. De plus le procédé, aussi aléatoire que la cire perdue dans ses résultats, était tout aussi long dans sa mise en œuvre. Outre les cloches et canons, il fournissait également des pièces ou ustensiles divers. Il pouvait aussi être utilisé pour certaines pièces de bronzes d’ornement, quoique cela n’ait jamais été étudié jusqu’ici, et même pour des pièces d’art parfois monumentales comme nous avons pu le découvrir8. 8. Voir dans les prolongements en ligne : « Fonte en terre, fonte statuaire ? »

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Gois fils, Jeanne d’arc, Quai du Fort-des-Tourelles, Orléans, fonte au sable d’un jet d’Honoré Gonon, 1804. © E. Lebon.

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Gois fils, Jeanne d’arc, Quai du Fort-des-Tourelles, Orléans, fonte au sable d’un jet d’Honoré Gonon, 1804, détail. © E. Lebon.

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1830 À 1871 : GRANDEUR ET DÉCADENCE DE LA FONTE AU SABLE

Pendant qu’Honoré Gonon s’évertuait à « retrouver » ce qui n’avait jamais vraiment existé, et parvenait d’ailleurs, grâce à son talent hors du commun, à faire de la fonte à cire perdue un procédé réellement amélioré, les pionniers de la fonte au sable, ainsi que leurs multiples confrères et successeurs, avaient continué à perfectionner ce procédé qui finit par donner des résultats remarquables et remarqués, en qualité et en régularité. Un artilleur polytechnicien, le colonel Dussaussoy, fait une avancée fondamentale en 1817 : il trouve le moyen d’aérer les moules de sable, inconvénient jusque-là majeur du procédé, en les perçant à l’aiguille d’une multitude de petits trous formant des micro-évents pour varier dégressivement la compression. Le problème de l’évacuation des gaz est désormais résolu. Pour le bronze d’art, cette meilleure aération va permettre une répartition égale et rapide du métal, donc l’obtention de faibles épaisseurs, garantie d’une grande fidélité au modèle et d’une appréciable économie de matière.

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Le marché de la statuette, des bras de cheminée, pendules et autres décors de bronze dope le commerce français du luxe y compris à l’exportation, alors même que les machines à réduire efficaces qui lanceront véritablement l’industrie d’art ne sont pas encore inventées111. On passe entre 1807 et 1813 de neuf à trente-huit fabriques d’horlogerie, de huit à deux cent cinquante entreprises d’orfèvrerie, de treize à cinquante-deux établissements de bronziers112. En 1827, on dénombre cent 111. Plusieurs machines permettant de reproduire fidèlement une œuvre dans des dimensions réduites ou agrandies sont mises au point à partir des années 1830 (procédés Gatteaux, Morel, Dutel, Colas, Sauvage) et sont exploitées par l’industrie à partir des années 1840. Barbedienne achète le procédé Collas en 1839, Susse adopte le procédé Sauvage en 1847. 112. 1970-Tulard, p. 73-76.

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quarante entreprises à la rubrique « Bronzes et ornements » de l’Almanach du commerce, qui toutes, sans exception, font appel à la fonte au sable. L’honneur de cette rapide expansion revient à ce procédé qui, selon des avis quasi unanimes jusqu’aux années 1840 donne, avec un coût et un temps suffisamment raisonnables pour stimuler les marchés, des résultats tout aussi, et dit-on même plus satisfaisants que ceux atteints par la cire perdue. Les voix discordantes sont rarissimes et s’expliquent : nous avons dit que Lafolie dans son rapport officiel sur la fonte du Henri IV V ne peut faire autrement que de décrier la fonte au sable (on reconnaît même parfaitement la voix de Dejoux dans le ton et les arguments employés à ce sujet). Il n’ose toutefois pas rejeter radicalement le procédé qui a tout de même donné des réussites remarquées : il attribue l’échec du Desaix au manque de connaissances du fondeur en « métallurgie », c’est-à-dire en chimie des alliages. Les divergences entre le rapport officiel qu’il publie et ses notes administratives conservées aux Archives nationales, sont d’ailleurs parfaitement révélatrices du parti pris idéologique de l’auteur dans la publication. De façon plus étonnante, le révolutionnaire Hassenfratz dans son colossal ouvrage sur La Sidérotechnie reste confus sur les procédés de bronze artistique, ici présentant uniquement la fonte à cire perdue pour décrire la production statuaire, mais affirmant là qu’on obtient des résultats parfaitement satisfaisants dans ce même domaine avec la fonte au sable. L’incohérence de ses assertions est relevée par Launay qui s’en étonne dans son Manuel du fondeur. Mais Hassenfratz, spécialiste de minéralogie et de sidérurgie, est à mille lieues des questions artistiques et n’a manifestement pas fouillé le sujet du bronze d’art comme il l’a fait pour les autres parties, plus industrielles, de sa spécialité. Enfin on relève également dans l’important Dictionnaire technologique de Francoeur, publié sous la Restauration, une distance prudente qui décrit les échecs de fonte au sable et ne les attribue pas au procédé, mais toujours à des incompétences en chimie des alliages. On s’explique mal en

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revanche comment le savant chimiste Jean-Baptiste Dumas, qui sera ministre du Commerce et de l’Industrie de Louis Napoléon Bonaparte en 1850, peut écrire en 1833 dans un traité de chimie appliquée que le moulage en sable a dû être abandonné à cause des soufflures provoquées par les moules trop compacts, puisque cette difficulté a été communément dépassée depuis les années 1820 au plus tard. Mais nous notons qu’il prône dans le même ouvrage le moulage en terre des canons, totalement abandonné depuis plusieurs décennies. Il s’agit manifestement d’un texte publié trop longtemps après sa rédaction, appuyé sur une documentation totalement dépassée. La jeune revue L’Artiste, qui milite pour une réunion de l’art et de l’industrie, publie quant à elle dès 1834 une incontestable diatribe contre les bronzes d’art, mais elle porte la faute sur les modèles ainsi que sur les acheteurs, et non sur les fondeurs. Le travail de Richard et Quesnel est admiré même si la ressemblance du masque de Napoléon semble douteuse, car « ceci paraît moins tenir à l’exécution du fondeur » qu’au mauvais moulage d’Antommarchi, nous explique-t-on. L’exposition de Soyer et Ingé a déçu mais, précise l’auteur : « Nous ne doutons pas du talent bien connu de ces fondeurs ; c’est donc la faute des modèles qu’ils ont eu à exécuter […] ». Si les bronzes « livrés au commerce » sont critiqués, à cause de « cet aspect poli, luisant et frotté » que leur donne une ciselure excessive, c’est à cause du goût perverti d’un public étranger à l’art par manque d’éducation, qui « n’en veut plus souffrir d’autre ». D’où la nécessité de réconcilier art et industrie dans une vocation d’éducation populaire, thèse sous-jacente à l’ensemble de l’article. L’auteur dans son introduction sollicitait justement les artistes pour qu’ils acceptent de donner des modèles à l’industrie. « Quels progrès [les industries] ne feront-elles pas, quand les artistes agiront plus directement sur elles et que les fabricants mettront autant d’importance à choisir des modèles avoués par l’art pour leurs meubles et leurs étoffes qu’aujourd’hui à choisir un bon chef d’atelier et remplir toutes les conditions d’une

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bonne exécution matérielle113. » Ces premières attaques relèvent donc d’un militantisme pour la démocratisation de l’éducation artistique (voire historique, politique et même morale) à travers l’industrie qui en propage les formes. Elles n’ont rien à voir avec le procédé de fonte au sable que, bien au contraire, l’on met en avant.

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Alors que plus tard, on cherchera le risque et la singularité inhérents à la fonte à cire perdue où chaque épreuve est reprise (théoriquement) par la main de l’artiste, et se trouve donc potentiellement différente des autres, porteuse d’une identité spécifique que le fait de limiter et numéroter les épreuves va renforcer, on se félicite au contraire dans la première moitié du siècle de la régularité – jugée comme une fidélité – des reproductions en fonte au sable toutes issues d’un modèle (ou chefmodèle) définitivement établi, qui ne subissent théoriquement aucune altération même si le nombre d’épreuves coulées est important114. Après les incertitudes des résultats de la fonte à cire perdue d’Ancien Régime, on apprécie dans ce procédé, de façon diamétralement opposée à la vision qui s’imposera plus tard, l’identité immuable à un modèle unique à laquelle on associe le respect accordé à l’œuvre. D’autre part, le secret corporatif étant désormais levé et l’esprit d’entreprise exalté (conjointement avec une protection de la propriété des inventions), les ouvrages de diffusion du savoir foisonnent : publications de la Société d’Encouragement à l’Industrie nationale à partir de 1802, manuels d’atelier en édition bon marché (la célèbre collection des manuels Roret démarre en 1825), publications savantes, traités de chimie appliquée à la métallurgie, catalogues des Expositions de l’industrie, revues érudites… On ne compte plus les supports qui, tout en visant 113. N. L’H., « Exposition de l’Industrie française », L’Artiste, T. VII, 1834, premier article p. 174-172 et deuxième article p. 182-185. 114. Un chef-modèle métallique est réutilisable indéfiniment, sous réserve de rafraîchir de temps à autre les marques d’usure.

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le public le plus large, rivalisent de précision et de sérieux. L’exposition du Crystal Palace de Londres en 1851, dans un bâtiment dont la transparence est toute symbolique, marque un apogée de ce nouvel état d’esprit qui ne met plus seulement en avant les produits finis, mais également les outils et les procédés de production. On prône alors partout les avantages de la fonte au sable : qualité, régularité des résultats et forte économie. Dès l’Exposition des produits de l’industrie de 1827, le rapporteur du jury affirme que « plusieurs fabricants jettent en bronze avec une telle habileté que leurs pièces sortent du moule presque parfaites et n’ont ensuite que faiblement besoin d’être réparées115 ». Le comte Frédéric de Clarac, conservateur des Antiques au musée du Louvre, va jusqu’à affirmer dans un volumineux ouvrage publié en 1841, comprenant un essai fouillé sur la technique de la sculpture et les procédés de fonte, que « le sable appliqué sur la statue devrait même produire une fonte plus pure et plus près de l’original que celle qui, dans la cire perdue, est le résultat d’un surmoulage116 et d’un réparage1177 ». Des ciseleurs en seraient même arrivés à se coaliser pour ruiner le fondeur Boyer, dont les bronzes commandés par Barye sortent avec une telle qualité qu’ils se sentent menacés dans leur emploi : « Les conseils de Barye joints à l’expérience d’un praticien consommé, d’un artiste tel M. Hardeley [sic, pour Hardeler], d’un fondeur tel que M. Boyer, devaient amener une fabrication excellente. M. Hardeley ne fait aucun mystère de son alliage : 95 parties de cuivre jaune

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115. L.E.F. Héricart-Ferrand, comte de Thury, P.H. Migneron, Rapport sur les produits de l’industrie française, Paris, Imprimerie royale, 1828, p. 324. 116. Le moulage en cire sur le modèle original fourni par l’artiste constitue effectivement un surmoulage, alors que le moule de sable s’applique directement sur cet original. On peut incidemment relever – sous réserve de finitions de qualité – que cette caractéristique de la fonte au sable pourrait en faire déontologiquement un procédé plus adapté aux fontes posthumes que la cire perdue qui pourtant, de nos jours, peut être pratiquée alors que l’artiste n’est plus là pour réparer les cires (les reprises sont exécutées par un ouvrier de fonderie, voire par l’ayant-droits). 117. 1841-Clarac, p. 119. L’introduction de cet ouvrage est datée de 1839. L’évocation d’entretiens avec Launay (mort en 1827), D’Arcet et Jacquet laisse penser que la partie concernant le bronze a dû être rédigée plusieurs années auparavant.

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affiné, et 5 parties d’étain. On obtient de la sorte une fusion facile, une matière qui se contente de déripages insignifiants et d’un nettoyage par la carde. Les ciseleurs et les ragréeurs ont tout à y perdre, aussi se sont-ils coalisés contre ce pauvre M. Boyer. Mais si les premiers ont pu ruiner le fondeur, les seconds sont restés impuissants devant l’artiste » nous dévoile Busquet118. L’unanimité règne de l’Athénée ’ des Arts, clamant en 1804 que l’économie apportée par la fonte au sable n’a de sens que parce que la qualité est pour le moins égale à celle du procédé ancien, jusqu’au très précis Dictionnaire de l’industrie manufacturière dont l’article « moulage » – dans le tome publié en 1838 – vante les améliorations apportées par Soyer, et précise que ses fontes sont d’un seul jet, sans défauts, « objets que l’on aurait à peine espéré voir réussir par les procédés ordinaires » (c’est-à-dire au sable) avant ces améliorations. Passons l’impitoyable critique de la fonte à cire perdue de Launay que nous avons déjà évoquée et citons le métallurgiste-enseignant Guettier, très documenté, exhaustif et précis dans ses descriptions techniques : en 1844, il juge la fonte à cire perdue définitivement condamnée puisque « quels que soient les soins apportés à ce moulage et quelle que soit la composition de la potée, il est impossible de donner aux objets coulés (à la cire perdue) la netteté et le fini qu’il est facile d’atteindre par le moulage en sable qui donne la possibilité de réparer toutes les pièces de rapport, de les recouvrir d’une couche de badigeon, de les flamber etc., etc., moyens toujours certains d’empêcher les parois des moules de se vitrifier sous le contact du métal et de donner à celui-ci des surfaces telles q qu’elles p peuvent 119 se passer du burin et du rifloir ». Étant donné la constante 118. 1856-Busquet « Bonzes… », 26 octobre, p. 250. Hardeler était un monteur en bronze. À cette époque, Barye a cédé son fonds pour l’exploitation commerciale à Émile Martin (qui sous-traite les fontes, entre autres, à Boyer), mais il continue à produire dans ses propres ateliers de nouveaux modèles, également avec des recours à des sous-traitants (merci à Alain Richarme – galerie Univers du Bronze, Paris – pour ces informations). 119. 1844-Guettier, p. 301.

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cet aspect paradoxal qui décidément la caractérise, une autre révolution ne la fasse rayonner avec éclat.

LE RETOUR DE LA FONTE À CIRE PERDUE, UN ULTIME COMBAT DE COMMUNARDS

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Un nouveau bouleversement politique vient en effet retourner brutalement, une fois encore, la situation politique française dans les dernières décennies du siècle : la fin du Second Empire est marquée par la cuisante défaite de Sedan, la chute du régime impérial et les épisodes terribles et sanglants de la Commune de Paris en 1871. Puis la France hésite un temps entre un retour à la monarchie – auquel le prétendant finalement se dérobe – et une République qui se cherche. Il faut attendre 1879 pour qu’enfin consolidée la Troisième République fasse œuvre de réconciliation nationale et, par une loi d’amnistie en deux temps, rappelle les communards parisiens exilés. Parmi eux le sculpteur Jules Dalou qui a envoyé d’Angleterre, où il s’était réfugié, un projet pour le concours d’un Monument à la République destiné à la place du même nom, à Paris. Les débuts du sculpteur avaient été à peine antérieurs aux événements de la Commune dont il fut un actif partisan. Son retour en 1879 correspond à l’influence d’une gauche française qui vient de réussir à s’installer durablement au pouvoir. Le Conseil municipal de Paris, qui a intégré d’anciens communards, veut à travers ce monument marquer la capitale encore traumatisée par les terribles années 1870 et 1871 en célébrant publiquement l’aboutissement républicain de tant de drames. Un jury sélectionne le fade projet des frères Morice, mais le Conseil municipal retient, hors concours, la proposition quant à elle hors normes du sculpteur communard. N’obtenant pas la place de la « République », Dalou gagne celle de la « Nation », lieu symbolique qu’il faut tout autant réinvestir puisqu’il s’agit de la place anciennement dite « du Trône », dont l’accès est flanqué de deux immenses colonnes

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surmontées de colossales statues de rois fondues (au sable) par Calla en 1849173. Le monument républicain de Dalou pourra en outre servir de contrepoint p oriental à l’arc de Triomphe p de la place de l’Étoile, arche g p guerrière voulue p par Napoléon p et achevée sous Louis-Philippe. À ce monument s’attache immédiatement une puissance symbolique encore vive de nos jours puisqu’il offre toujours un point de ralliement lors des grandes manifestations parisiennes. Il fut l’objet de deux inaugurations spectaculaires liées à la commémoration de la Révolution de 1789 et destinées à contrer le péril antirépublicain : en 1889, le fondeur n’ayant pas tenu ses engagements, la première cérémonie fut tout de même organisée en remontant les modèles de plâtre qui lui avaient été déposés, que l’on peignit entièrement couleur de bronze174. Il fallait alors faire à tout prix une démonstration de force face au p péril boulangiste g q qui menaçait la république p q d’une nouvelle dictature. Toutes les hautes autorités de l’État, toutes les puissances de la gauche républicaine y paradèrent au désespoir de Dalou qui voyait son monument au peuple confisqué par les nouvelles élites. En 1899 une seconde inauguration avec le bronze fut, cette fois à la satisfaction de Dalou, l’occasion d’énormes défilés populaires (on estima la foule à trois cent cinquante mille personnes). Le Conseil municipal de Paris avait fait placarder cette annonce : « Citoyens, en transformant l’inauguration du monument conçu par le grand sculpteur Dalou pour symboliser

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173. Il s’agit d’un Saint-Louis dû à Etex, et d’un Philippe-Auguste par Dumont, fontes de bronze. Ces statues de plus de trois mètres de hauteur ont été restaurées en 2010 à la fonderie de Coubertin. Calla, fondeur de fer, a tenté très brièvement, peut-être uniquement à l’occasion de cette commande, de fondre en bronze. Les défauts que l’on peut observer sur ces épreuves expliquent peut-être que, devant les difficultés rencontrées, Calla ait renoncé au bronze par la suite. Toutefois, la virtuosité du travail des mouleurs au sable laisse aujourd’hui perplexes et admiratifs les fondeurs chargés de cette restauration, au point de leur avoir d’abord fait croire à une fonte à cire perdue (entretien de l’auteur avec Christophe Bery, chef d’atelier de la fonderie de Coubertin, 20 janvier 2010). 174. Cette opération éphémère d’un coût considérable occasionna des problème techniques à cause de la couche de peinture difficilement compatible avec une utilisation ultérieure en fonderie.

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le « Triomphe de la République » en une manifestation populaire, vous voulez montrer que les républicains sont en éveil et qu’ils savent s’unir lorsque, par ruse ou par violence, des criminels veulent porter atteinte à la liberté. [...] Cette fête civique, à laquelle vous conserverez jusqu’au bout le calme et la majesté qui lui conviennent, sera un enseignement salutaire pour ceux qui pourraient être tentés de mettre la main sur la République […] 175. »

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Mais en 1880, lorsqu’il en reçoit la commande, le seul talent, même très grand, d’un Dalou qui avait à peine entamé sa carrière avant l’exil et dont la célébrité auprès de la gentry anglaise tenait essentiellement à des statuettes renouvelant la scène de genre intimiste, ne suffit pas à expliquer ce choix. Ses engagements politiques intransigeants, la renommée tout aussi politique qu’ils lui valaient, enfin l’aspect colossal de sa proposition jouent évidemment un rôle éminent, exemplaire dans cette décision q qui p permet à la Ville de Paris d’affirmer son radicalisme et sa puissance face à l’État176. Mais alors, comment expliquer que Dalou le rouge, le révolutionnaire, l’insoumis, l’« ouvrier de race, travaillant et vivant en ouvrier », cet homme « peuple jusqu’aux moëlles1777 » impose pour ce projet grandiose, prévu dans le cadre de la célébration du centenaire de la Révolution française, le procédé des rois, la fonte à cire perdue ? Et alors que des sommes énormes sont engagées, comment parvient-il à faire accepter pour cette fonte pharaonique un Pierre Bingen, fondeur quasiment inconnu, adepte fort récent d’un procédé complexe dont la pratique est en désuétude ? 175. cité par 2010-Brest, p. 89. 176. « Hébrard disait, ce soir, chez Brébant : – Paris, une ville qui a un budget comparable au budget de certains États de l’Europe, et ce budget est confié à des gens auxquels je ne voudrais pas confier cinq cents francs à porter à Saint-Denis. Voici l’opinion d’un libéral sur le conseil municipal de Paris… » (2004-Goncourt, T. 2, 23 juillet 1878, p. 784). Sur les soutiens de Dalou au Conseil municipal de Paris, voir 2004-Tillier, p. 300 et suiv.. 177. 1903-Dreyfous, p. 44 et 10.

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L’ÈRE DES NOUVELLES RÉVOLUTIONS, OU CONCLUSION EN FORME DE POLÉMIQUE CONTEMPORAINE

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À travers l’histoire des démêlés entre deux procédés de production artistique se sont ainsi profilés l’histoire d’un pays, les enjeux de révolutions politiques et idéologiques, les déplacements de pouvoir avec leurs bouleversements mais aussi leurs résistances et leurs paradoxes, pour aboutir à l’émergence d’une nouvelle forme de création artistique. Celle-ci s’est développée dans le siècle suivant, qui est volontiers caractérisé par une nouvelle « révolution » dite numérique relevant davantage de l’accélération et de l’extension que du renversement. La France du XXe siècle, à l’aube duquel s’arrête notre sujet, n’aura pas connu de bouleversement politique fondamental. Nous laisserons à d’autres le soin d’examiner précisément, avec le recul qu’apportera l’histoire, si comme nous le pensons ce siècle n’a fait qu’amplifier les prémices posées au précédent, au moins dans le domaine auquel nous nous sommes ici attaché. Nous y retrouvons en effet un développement exponentiel des tendances que nous avons vu éclore à travers notre sujet : divulgation des informations et connaissances démultipliées grâce à l’internet (de façon fulgurante, dans ses contenus comme dans son public) ; culture de masse dont le revers est une confiscation persistante des positions agissantes toujours réservées à quelques puissants cercles confinés, les élites paraissant solidement installées en oligarchies qui se trouvent désormais fermement ancrées dans les démocraties dont elles furent issues ; exaltation croissante des individualités contredite par une uniformisation mondialisée qui les délite, et qui mène paradoxalement à une menace de plus en plus pesante sur l’espèce ; virtualisation toujours plus poussée des actions qui, dans des domaines de plus en plus étendus, déclinent au profit des intentions et anéantissent les savoirs spécifiques et concrets de pans entiers de la société ; dans le domaine qui nous

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retient, gestes artistiques toujours plus évanescents, appelant en contrepoint des enjeux financiers toujours plus colossaux, dans une collusion dont nous connaissons les excès. L’artiste, après s’être laissé dépouiller de l’œuvre au sens historique et étymologique du mot, semble désormais menacé de se dissoudre lui-même dans des rôles créés de toutes pièces par des ressorts spéculatifs faisant et défaisant les gloires, dans une accélération qui relève d’un rythme étranger à celui de la lente maturation de l’art. Notre époque n’a-t-elle pas poursuivi l’élargissement, tendu peut-être jusqu’à l’implosion, de ce sur quoi s’était lentement bâti l’art occidental jusqu’à nous ? Devenu sans « objet », l’art qui occupe majoritairement le devant de la scène contemporaine mondialisée est le plus souvent mis en « œuvre » par des acteurs industriels redevenus anonymes, l’artiste faisant figure de donneur d’ordre à peu près détaché de toute réalisation. La sculpture contemporaine s’est dissoute d’abord dans son socle, lieu du discours des officiels, puis dans un espace qui s’est élargi à l’infini, elle se rappelle dans le cartouche qui retient plus que tout le regard du visiteur de musée, ou dans l’indispensable et épais catalogue qui tente d’exposer l’alibi idéel. Le fossé que nous avons vu naître au XIXe siècle entre la pensée et le geste s’est creusé. Et nous voyons le discours, immatériel, insaisissable, mouvant, prendre une place extensive dans le « propos » de l’art contemporain.

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Si nous revenons à l’histoire de nos deux procédés de fonte, le regain d’intérêt pour la cire perdue a naturellement perduré avec le système qui l’avait engendré, conservant les contradictions qui sous-tendaient les raisons profondes de ce choix. La fonte au sable, qui n’a plus connu de modification notoire depuis les grandes avancées du XIXe siècle mis à part l’adoption du sable synthétique (qui, de l’aveu général, peine à atteindre la qualité des meilleurs sables naturels du XIXe siècle), est donc devenue aujourd’hui le procédé en voie de disparition d’autant plus que le temps de main-d’œuvre très spécialisée qu’il

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réclame l’a terriblement renchéri à proportion du coût de celleci. En revanche la cire perdue a connu depuis les années 1960 des améliorations techniques conséquentes qui ont accéléré, sécurisé et fiabilisé ce processus : l’élastomère a détrôné la fragile gélatine, des coques en céramique très résistantes mais légères et peu encombrantes remplacent les chapes de terre, la coulée de la cire sous pression comme celle du métal par dépression peuvent être fiabilisées. On notera que ces innovations vinrent principalement de la fonderie de Coubertin où une riche baronne éponyme fit bénéficier de son généreux mécénat Jean Bernard, sculpteur et fils de sculpteur passionné, ardent rénovateur du compagnonnage, épaulé de Jean Dubos, fondeur talentueux et tout aussi passionné, venu de la chaudronnerie, et qui à la tête d’une équipe de jeunes fondeurs améliora le processus tout en se formant « sur le tas263 ». Quels échos ne retrouvons-nous pas là de ce que nous avons décrit pour le siècle précédent ! Mais, triste écho à l’histoire des Gonon, ces améliorations du procédé n’arrivent-elles pas, une fois encore, trop tard ? Avec l’évolution de l’art contemporain, c’est avant tout la disparition de l’œuvre en bronze elle-même que l’on peut craindre aujourd’hui. Certes un mouvement de résistance existe, qui cherche à redonner du sens aux cires perdues perfectionnées, à privilégier les cires directes et qui tente de maintenir l’exercice d’une fonte au sable de qualité. Par ailleurs la puissance symbolique que conserve l’art monumental n’a pas encore été gagnée par l’éphémère et demeure un pôle d’activité pour nos fondeurs, qui représentent toujours des modèles internationaux d’excellence. Il reste que dans la mutation des processus créatifs, entrevue ici à travers l’histoire des techniques, l’œuvre en bronze apparaît aujourd’hui très anachronique par la lenteur et la complexité de sa réalisation, 263. Les premiers moulages élastomères sont expérimentés à Coubertin à partir de 1963, les coques en céramique y apparaissent en 1965, l’utilisation de la pression pour introduire la cire liquide dans les années 1970, la coulée du métal par dépression en 1978 (entretien de l’auteur avec Jean Dubos, novembre 2010).

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son lien avec le travail savant de la main, sa lourdeur, sa densité, sa résistance au temps qui passe. Elle se définit comme une véritable antithèse de ce qui caractérise la société contemporaine : vitesse et virtualité. Mais qui peut prévoir la date et l’ampleur de bouleversements profonds qui pourraient à nouveau surgir pour réorganiser et redéfinir la place de l’homme agissant donc celle de l’art et de ses outils ?

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NOTICES

Les noms suivis d’une étoile font l’objet d’un développement dans le Répertoire en ligne. Les noms suivis de deux étoiles renvoient à des essais inédits dans ce Répertoire. - ADAM, Juliette, née Lambert (1836-1936) : Fille d’un médecin provincial, réputée pour sa beauté, elle épouse en secondes noces Paul Adam, avocat fondateur du crédit foncier, député puis sénateur. Elle publie de nombreux ouvrages romanesques ou polémiques et anime un salon très influent où se réunit l’opposition républicaine favorable à Gambetta. Au nom de la grandeur de la France, elle sombre au début du XXe siècle dans le bellicisme, l’antisémitisme et la xénophobie. - ALAVOINE Jean-Antoine (1778-1834) : Prix de Rome, architecte de la Ville de Paris, pionnier de l’architecture métallique, il est responsable des chantiers monumentaux de la capitale et à ce titre, fin connaisseur des questions de fonderie. En 1826, il fournit un rapport très complet sur l’établissement d’une fonderie d’État moderne à l’Ile-aux-cygnes jamais réalisée. - ANTOMMARCHI François (docteur) (1780-1838) : Médecin attaché au service de Napoléon à Sainte-Hélène, il en rapporta un masque mortuaire de l’empereur. À partir de 1833, il fit réaliser des tirages par souscription, puis vendit ses droits pour l’édition en bronze à l’entreprise Richard et Quesnel. - ARCET, Jean d’ (1724-1801) * : Homme de sciences (chimiste), académicien. - ARCET, Jean-Pierre-Joseph d’ (1777-1844) * : Fils du précédent, également homme de sciences et académicien, spécialiste de la chimie des alliages. Directeur des essais puis commissaire général de l’Hôtel des Monnaies, c’est une autorité qui fait partie de nombreuses commissions consultatives. Sa fille épouse le sculpteur James Pradier. - ARCET Louise d’ (1814-1885) : voir Louise PRADIER. - ARMENGAUD frères : Charles (1838-1893) et Jacques (1810-1891) Armengaud, ingénieurs des Arts et métiers, spécialisés dans l’étude et l’exécution de dessins de machines, ils fondent la revue Le Génie industriel en 1851.

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- ARTOIS comte d’ : voir Charles X. - ATHÉNÉE DES ARTS (Lycée des arts) * : société savante créée en 1792, encourageant les innovations dans les « arts utiles » par des hommages publics, et assurant dans un esprit de progrès la publication de ces inventions. - ATELIER CARPEAUX (1872-1908) * : Fabrique de bronzes d’art créée par le sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux en 1872 pour diffuser ses œuvres. Les fontes (au sable) sont sous-traitées à Matifat, Husset, Boyer. - BACHELIER Jean-Jacques (1724-1805) : Peintre de fleurs, directeur de la manufacture de Vincennes puis de Sèvres, il met au point le biscuit. Il fonde de ses propres deniers en 1766 une école gratuite de dessin destinée aux artisans, ancêtre de l’actuelle École nationale supérieure des Arts décoratifs. - BARBEDIENNE Ferdinand (1810-1892) * : Fondeur-fabricant de bronzes d’art (fontes au sable) actif à partir de 1838.

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- BARBERET Joseph (1837-1920) : Ouvrier boulanger qui devient rédacteur de journaux républicains, syndicaliste modéré proche de Gambetta, puis directeur du Bureau des sociétés professionnelles au ministère de l’Intérieur, il participe à l’élaboration d’une législation syndicale, il est l’auteur de monographies professionnelles publiées en sept volumes de 1886 à1890. - BARRE Auguste (1811-1896) * : Sculpteur, élève de son père médailleur, de Cortot et de David d’Angers. - BARRÉ Aristide (1840-1922) : Ciseleur et sculpteur sur bois, blanquiste, communard (chef du personnel de la Préfecture de Paris en 71). Exilé en Angleterre, il y enseigne à l’« École pour enfants de proscrits » fondée par le général La Cécilia. À son retour en France, il connaît un succès professionnel qui lui vaudra la Légion d’honneur en 1878. - BARTLETT Paul Wayland (1865-1925)* : Sculpteur américain vivant en France, élève de Rodin et Fremiet, connu pour son œuvre à caractère essentiellement animalier et de nombreux monuments principalement édifiés aux États-Unis. - BARYE Antoine-Louis (1795-1875) ** : Sculpteur essentiellement animalier. En 1834, il ouvre sa propre maison d’édition et tente, avec un succès inégal, de garder la main sur son atelier de fonderie (au sable). Il sous-traite ses fontes à cire perdue aux Gonon. - BAUDELAIRE Charles (1821-1867) : Poète, journaliste et critique d’art – engagé aux cotés des républicains lors de la révolution de 1848.

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GLOSSAIRE

Assises Voir Moulage par assises Battre le sable Opération qui consiste à tasser le sable autour du modèle dans le châssis. Brut de coulée, ou brut de fonte Une épreuve brute de fonte est telle qu’elle apparaît au décochage (c’est-à-dire lorsqu’on ôte le moule qui a servi pour la coulée). Quel que soit le procédé employé, le bronze apparaît alors hérissé d’un réseau de tiges de métal qui lui est relié, correspondant aux jets et évents dans lesquels l’alliage s’est figé. Un bronze brut de fonte permet d’apprécier le travail du fondeur avant que toute intervention ne vienne le modifier. Châssis Caisson de bois ou de métal, dans lequel le mouleur tasse le sable autour du modèle. Les châssis sans fond peuvent s’empiler. Châssis découvert (fonte en châssis découvert) La face avant du modèle est enfoncée dans un châssis rempli de sable, et y forme le creux dans lequel le métal sera coulé. La partie supérieure du moule est laissée à l’air libre ; les gaz s’en échappent sans contrainte. Cette face supérieure ne peut comporter aucun motif. Ce procédé est employé pour la fonte non artistique, de fer principalement (par exemple des plaques de cheminée). Chef-modèle Lorsque le modèle est fragile (par exemple en plâtre), il pourrait être abîmé pendant les manipulations et tassements énergiques du moulage au sable. Les fabricants de bronzes d’art ont réglé ce problème en coulant, à partir du modèle initial, une unique épreuve métallique appelée chef-modèle, laquelle sert ensuite de matrice réutilisable et très résistante. Sa ciselure est moins soignée que celle des épreuves commercialisées. Le chef-modèle est démontable en autant de parties que nécessaire quand la pièce n’est pas coulée d’un jet, comme c’est le cas dans l’édition. Au XIXe siècle, on parle de « modèle » (ou parfois de « cuivre ») au lieu de chef-modèle, et à juste titre de « surmoulés » pour ce que nous appelons aujourd’hui les épreuves ou tirages.

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Cire directe Afin de limiter ses frais, le sculpteur peut modeler directement dans de la cire de fonderie. Il confie ensuite ce modèle au fondeur qui s’en servira pour réaliser son moule de potée. Le sculpteur doit maîtriser l’épaisseur de cire qui doit être aussi régulière que possible afin d’éviter tout accident à la coulée (manques) ou au refroidissement (déchirures) ; dès que le modèle dépasse la miniature, il faut travailler autour d’un noyau en réfractaire. Si la fonte échoue, le modèle est définitivement perdu. Cire indirecte Pour conserver le modèle, de quelque matériau qu’il soit (cire, terre, plâtre ), celui-ci est moulé une première fois, puis écarté. Dans le moule ainsi obtenu on plaque une épaisseur régulière de cire dans laquelle se coule ensuite le noyau. Cette épreuve de cire sur noyau est démoulée, et on monte sur elle le moule de potée avant de procéder au décirage. On peut retirer plusieurs cires dans un même moule. Cette étape de moulage intermédiaire en fait un procédé plus coûteux, mais plus sûr, que la cire directe. Ciselure Opération qui consiste à reprendre la surface du bronze à l’aide de ciselets afin de corriger diverses imperfections dues au moulage et à la coulée. 192

Décirage Opération qui consiste à étuver le moule de potée dans un four spécial, afin de faire fondre la cire et dégager ainsi l’espace où sera par la suite coulé le métal. Cette opération dure plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour un monument. Une partie de la cire est récupérée, le reste (environ 30 %) disparaît par calcination pendant l’opération. Il faut être absolument certain que toute la cire a été évacuée pour éviter tout accident à la coulée. Echeno Petit canal généralement creusé à même le sol et couvert de matière réfractaire, par lequel le bronze versé du four de fusion basculant s’écoule, jusqu’à l’ouverture du moule enterré (pour les coulées de pièces monumentales). Étuvage Les moules au sable sont passés au four d’étuvage pour en chasser toute trace d’humidité avant la coulée. Évent Lorsque le bronze en fusion est versé dans le moule, il chasse violemment l’air contenu dans le moule et produit lui-même des gaz. Le mouleur doit prévoir l’évacuation de ces gaz qui peuvent faire exploser le moule s’ils ne trouvent pas suffisamment d’échappement : il ménage donc de petits conduits allant du vide

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laissé pour le bronze vers l’extérieur du moule. Ces conduits se remplissent de métal à la coulée, au fur et à mesure qu’il y chasse les gaz. Comme les jets, ils forment un réseau de tubes de métal plein reliés à l’épreuve. Il faut les couper et réparer la surface du bronze à leur endroit. Le mouleur au sable creuse les évents dans le sable du châssis. Pour la cire perdue, on applique un réseau de petits tuyaux de cire pleins sur la cire du modèle. Le placement judicieux des évents est capital pour la réussite de la coulée. Fonte creuse Désigne une fonte dont l’intérieur est creux. Une épreuve en bronze plein coûterait cher en métal inutile, serait excessivement lourde, et se fissurerait profondément en cas de formes complexes car le bronze se rétracte plus ou moins rapidement selon sa vitesse de refroidissement, elle-même dépendante de son épaisseur. Cette rétractation du métal fait également qu’un bronze de faible épaisseur est réputé plus fidèle au modèle car il subit moins de déformations au refroidissement. Fonte en un seul jet Le modèle est moulé et coulé dans son intégrité. Fonte plate Désigne des modèles qui ne se développent pas dans les trois dimensions (boucles, plaques diverses ).

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Fonte pleine Il s’agit de pièces qui n’ont pas de creux intérieur, par exemple les poids de mesure, les boulets, ou de très petits sujets. Dès que le modèle est un peu volumineux ou présente des variations d’épaisseur, il est impossible de le couler plein. Fourneau (ou four) à réverbère Four de fusion des alliages. Sa forme à sole et à voûte favorise la montée et la tenue des températures. Il permet de fondre de plus grandes quantités de métal que les fours « potagers » ordinaires et convient donc mieux aux fontes monumentales. Gélatine Substance obtenue par macération d’os, liquéfiable à basse température. En séchant, la gélatine restitue très finement les empreintes. Elle garde une certaine élasticité pendant quelques jours. Contrairement au plâtre rigide qui oblige à multiplier les pièces pour démouler un modèle sans le détériorer, la gélatine s’enlève comme un caoutchouc souple tout en conservant sa forme ; le démoulage des creux et retraits (les « contre-dépouilles ») est donc largement

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BIBLIOGRAPHIE Nous avons adopté pour cette bibliographie une présentation chronologique qui, même si elle n’est pas exhaustive, présente l’avantage de refléter l’évolution des publications techniques et scientifiques concernant la fonderie de bronze du XVIe au début du XXe siècle. Les grands textes étrangers, connus et utilisés en France, sont dans cette logique placés à leur date de parution en français. Entre parenthèses est indiquée la date de parution originale, puis celle de la première traduction française. De brefs commentaires peuvent apporter un complément d’information. Ils sont précédés de la mention [NdA]. Une bibliographie enrichie est disponible sur internet : http://inha.revues.org/3243. Présentée chronologiquement, elle indique également les liens pour retrouver l’intégralité de l’ouvrage lorsque celui-ci a été mis en ligne. Sont également proposés en ligne sur le site de l’INHA la transcription de diverses sources (manuscrits, brevets …). (1540/1556)-Biringuccio V. Biringuccio, De la Pirotechnia Libri X X, Venise, Curzio Navo, 1540, 168 fol. Une traduction française par Jacques Vincent est publiée par Claude Fremy dès 1556 : Biringuccio, V., La Pyrotechnie ou art du feu […], composée la le Seigneur Vanoccio Biringuccio Siennois, Et traduite d’Italien en François, par feu maistre Jacques Vincent, avec privilège du Roy pour dix ans, À Paris, Chez Claude Fremy à l’enseigne S. Martin, rue St. Jacques, 1556. [NdA] Connu pour être le premier ouvrage imprimé concernant la métallurgie. Réédité de nombreuses fois, rapidement : en 1572, en 1627… (1556)-Agricola Georgius Agricola, (Georg Bauer dit), De Re Metallica, 1556 [NdA] Première traduction en français au XXe siècle. (1564/1586)-Fioravanti Léonard Fioravanti, Miroir universel des Arts et Sciences, de M. Leonard Fioravanti Bolognois, divisé en trois livres. 1. Traitant de tous les arts liberaux & mecaniques [...] 2. De diverses sciences, histoires & belles contemplations des anciens philosophes. 3. De plusieurs secrets & inventions necessaires à sçavoir, mis en François par Gab[riel] Chappuys, Tourangeau, reveu & augmenté, en cete seconde édition, Paris, Pierre Cavellat, 1586. 1676-Félibien André Félibien, Des principes de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, et des autres arts qui en dépendent, 1676. [NdA] Plusieurs rééditions. 1716-Secrets… Secrets concernant les Arts et Métiers, À Paris, chez Claude Jombert, 1716. Chapitre « Méthodes et secrets pour mouler » [NdA] Le texte sur la façon de fondre des statues en bronze reprend celui publié par Félibien en 1676 (Des principes de l’architecture, de la sculpture […])

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1723/1741-Savary Philémon-Louis Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de Commerce, Nouvelle édition, Paris, chez la Veuve Estienne, édition échelonnée de 1723 à 1741 [NdA] Un article « bronze », un autre « fonderie ». Édition posthume, l’auteur est mort en 1716. 1743-Boffrand Germain Boffrand, Description de ce qui a été pratiqué pour fondre en bronze d’un seul jet la figure équestre de Louis XIV, élevée par la ville de Paris dans la place de Louis le Grand, en 1699…, Paris, Guillaume Cavelier, 1743 1751/1772-Diderot Denis DIDEROT, Jean Le Rond D’ALEMBERT, dir., Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de gens de Lettres… Suivi du Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts mécaniques avec leur explication, Paris, 28 vol., 1751-1772. 1768-Mariette Pierre-Jean Mariette, Jean-Louis Lempereur, Description des travaux qui ont précédé, accompagné et suivi la fonte en bronze d’un seul jet de la statue équestre de Louis XV, le Bien-Aimé, dressée sur les mémoires de M. Lempereur,... par M. Mariette, Paris, imprimerie de P.-G. Le Mercier, 1768

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1761/1782-Description… Académie des Sciences, Descriptions des Arts et Métiers, faites ou approuvées par Messieurs de l’Académie royale des sciences de Paris, 1761-1782, Tome XIV, publié en 1780 : « L’art du mouleur en plâtre par M. Fiquet », p. 569 à 613 [NdA] Les citations sont référencées à partir de la réédition : À Neuchâtel : de l’imprimerie typographique, 1771-1783, chez Calixte Volland, an VII (1798), nouvelle édition publiée avec des annotations et augmentée de tout ce qui a été écrit de mieux sur ces matières, en Allemagne, en Angleterre, en Italie, 20 volumes. 1781-Falconet Étienne Falconet, « Second entretien d’un statuaire avec un voyageur » (p. 219 à 256), « Sur les fontes en bronze » (p. 264 à 294.) in Œuvres d’Étienne Falconet, statuaire, tome sixième, Lausanne, Société typographique, 1781. 1794-Monge, Description… Gaspard Monge, Description de l’art de fabriquer les canons, Imprimé par ordre du Comité de salut public, Paris, Imprimerie du Comité de salut public, an 2 de la République française. 1794-Monge, Mort… (Gaspard Monge), Mort aux tyrans - Programme des cours révolutionnaires sur la fabrication des salpêtres, des poudres et des canons, faits à Paris par ordre du Comité de salut public, dans l’amphithéâtre du Museum d’histoire naturelle, et dans la salle des Électeurs, maison du ci-devant Évêché, les 1, 11 et 21 Ventôse, deuxième année de la République Française une et indivisible, par les citoyens Guyton, Fourcroy, Bertholet [sic], Carny, Pluvinet, Monge, Hassenfratz [sic] et Périerr Les archives de la Révolution française, Maxwell Heading Hill Hall, Oxford, 1992.

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Table des matières ELISABETH LEBON Fonte au sable - Fonte à cire perdue F Histoire d’une rivalité.............................................................................. é 5 NOTICES ........................................................................................153 GLOSSAIRE .....................................................................................191 BIBLIOGRAPHIE ...............................................................................197

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Collection voir – faire – lire

F A I R E

ISSN 2117-055X Institut national d’histoire de l’art

Collection voir – faire – lire

9 782708 013384

20 e

Fonte au sable – fonte à cire perdue. histoire d’une rivalité

Le XIXe siècle vu s’opposer deux procédés de fonte des bronzes d’art, l’un censé avoir servi avant tout la production industrielle qui a inondé le siècle : la fonte au sable, et l’autre réputé plus artistique mais plus coûteux : la fonte à la cire perdue. Intriguée par les incohérences de cette version qui s’est propagée jusqu’à nos jours, l’auteur s’est écartée des textes partisans et polémiques habituellement cités pour aller vers les sources originelles, techniques et archivistiques afin de cerner les raisons fondamentales des choix et tenter d’éclaircir les paradoxes. Une nouvelle histoire de cette rivalité apparaît alors. Loin des interprétations habituelles, l’auteur met en lumière un fait nouveau dans ce domaine, la soumission de la sculpture et de ses acteurs à des enjeux idéologiques majeurs. Cet ouvrage est prolongé et enrichi par des développements proposés en ligne sur le site de l’INHA : http://inha.revues.org/32423.

Élisabeth Lebon est docteur en Histoire de l’art. Elle a consacré sa thèse au catalogue raisonné de l’œuvre sculpté de Charles Despiau. Elle a publié, en collaboration avec Pierre Brullé, le catalogue raisonné de l’œuvre sculpté d’Anton Pevsner (Galerie-éditions Pierre Brullé, 2002). Elle est l’auteur du Dictionnaire des fondeurs de bronzes d’art – France 1850-1890 (Élancourt, Marjon Éditions, 2003).

Collection Voir – Faire – Lire Lire Du fragment Antoinette Le Normand-Romain & Pierre Pachet

E. Lebon

À tout être vivant, il appartient d’abord de voir puis de faire. À l’homme seul, il incombe de lire. L’INHA et les Éditions Ophrys s’engagent sur ces trois voies pour être au plus proche de l’œuvre : Voir : une œuvre sous des regards croisés ; Faire : la main au service de l’œuvre ; Lire : l’œuvre d’un artiste prise au reflet d’une pensée.

FAIRE

Comment je peins un tableau Otto Dix Malaise dans la peinture. Á propos de La Mort de Marat Jean-Claude Milner

Voir Louise Bourgeois « Three Horizontals » Fabien Danesi, Evelyne Grossman & Frédéric Vengeon

Élisabeth Lebon

FONTE AU SABLE – FONTE À CIRE PERDUE HISTOIRE D’UNE RIVALITÉ

Institut national d’histoire de l’art Éditions Ophrys

« Messe de saint Grégoire », œuvre anonyme, Mexique, XVIe siècle Dominique de Courcelles, Claude Louis-Combet & Philippe Malgouyres

Ouvrage à paraître

Voir Le Pont transbordeur de Marseille par Làszlo Moholy-Nagy François Bon, Olivier Lugon & Philippe Simay

Conception de la couverture : Jean Daviot Illustration de la couverture : Rodin – Buste de Rochefort


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