Sociabilités en atelier de projet - Mémoire de Master d'Initiation à la recherche

Sociabilités en atelier de projet Etude de l’influence de l’enseignement de projet sur les sociabilités (enseignantes et étudiantes) à l’ENSAL

Mr. Keating (R. Williams) dans Dead Poet Society (film de 1989 de Peter Weir)

ÉTUD. COLLIN Sydney UNIT E0932 - MÉMOIRE 3 - MÉMOIRE INITIATION RECHERCHE

MEM

DE.MEM TUT. SEP

ROUDIL N. BALAY O.

MARCH ARCH

S09 DEM ATEC 18-19 M2

© ENSAL

Sociabilités en atelier de projet Etude de l’influence de l’enseignement de projet sur les sociabilités (enseignantes et étudiantes) à l’ENSAL Sydney Collin

Véronique Péguy, ENSAL

Mémoire d’initiation à la recherche Encadrant : Nadine Roudil Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon (ENSAL) 2018-2019

Sociabilités en atelier

« No grades at stake gentlemen. Just take a stroll.

Thank you gentlemen !

If you noticed, everyone started off with their own stride, their own pace.

Now I didn’t bring them up here to ridicule them, I brought them up here to illustrate the point of conformity The difficulty of maintaining your own beliefs in the face of others […]

But you must trust that your beliefs are unique, your own. Even though others may think them odd or unpopular. […]

I want you to find your own walk right now, your own way of striding, pacing any direction.

Anything you want, wether it’s proud, wether it’s silly, anything!

Gentlemen, the courtyard is yours ! » Mr. Keating (R. Williams) à ses élèves dans Dead Poet Society (film de 1989 de Peter Weir)

Sociabilités en atelier

SociabilitĂŠs en atelier

Remerciements

à Nadine Roudil pour son suivi tout au long de cet exercice de mémoire, pour ses encouragements et sa relecture attentive aux dix étudiants et au sept enseignants, dont Rainier Hoddé, qui ont accepté de m’accorder de leur temps pour faire ces entretiens à mes chers colocataires, Julia, Pauline et Hugo pour leur soutien, les nouilles chinoises de casino et pour les délicieuses pâtes carbonara aux poireaux et le gâteau au yahourt à Hugo pour m’avoir aidé à retranscrire les entretiens, pour son soutien moral, ses relectures attentives et ses remarques pertinentes à mes parents pour avoir soutenu Hugo.

Sociabilités en atelier

Sommaire Introduction

9

Origine et contexte de naissance du sujet 9 Contexte et état de la recherche en matière de pédagogie architecturale 9 Posture et engagement 13

Note méthodologique

14

I.

18

Les modes de diffusion du savoir

a.

Ressources mobilisées par les enseignants pour construire leur enseignement. Articulation entre un désir personnel de transmission et une inscription dans une formation plus globale.

18 La cooptation Projet Pédagogique de l’enseignant Entre projet pédagogique personnel et diversité des pratiques : quel projet d’école ?

18 18 24

b.

Mise en pratique de l’enseignement en atelier de projet. Réception des étudiants face à la diversité des pratiques 26 La revue de projet individuelle La revue de projet collective ou semi-collective Tension entre temps collectif et individuel En Master, plus de souplesse

26 30 32 33

II. Mobilisation des ressources (enseignantes et étudiantes) pour le 35 projet a.

Sollicitation de l’attention de l’enseignant. L’enseignant, une ressource paradoxale. Stratégie de sollicitation et/ou d’évitement 35 L’enseignant idéal vu par les étudiants, avancer dans son projet grâce au dialogue avec l’enseignant Des freins au dialogue avec l’enseignant Les moyens pour tirer le maximum de cet échange

37 39 40

b.

Organisation collective des étudiants. Entre comblement d’un manque dans l’enseignement et recherche d’une forme de travail collectif 43 Une entraide élémentaire souvent utilitaire et ponctuelle L’entraide comme recherche d’une stimulation intellectuelle La conception, l’objet d’une entraide ciblée

Sociabilités en atelier

44 45 55

III. La construction d’une légitimité et effets de distinction

58

Les changements dans le rapport à l’enseignant et à l’enseignement Glissement entre la Licence et le Master, entre verticalité et horizontalité 58

a.

La construction de l’habitus à travers deux exemples : le rendu comme rite de passage et la note comme symbole d’un arbitraire 59

Le rendu comme rite de passage La note

b.

59 62

Effets de distinction 67

La note et les rendus : deux éléments qui peuvent créer des effets de distinction alimentant la compétition entre les étudiants 67 Positionnement dans la diversité des pratiques, distinction dans et en dehors des domaines de master 68

Conclusion

71

Bibiographie

76

Annexes

78

Sociabilités en atelier

Introduction

Introduction Origine et contexte de naissance du sujet

Mon engagement dans les instances de l’école m’a rendu très critique sur la formation proposée en école d’architecture.

Très tôt, je suis devenue plutôt militante dans le domaine de la pédagogie qui est pour moi central. En effet, il me semble que l’enseignement est une question qui restera toujours d’actualité.

C’est un enjeu majeur pour nos sociétés : quels architectes, quels citoyens voulons-nous ?

Pendant près de trois ans, j’ai eu la chance de travailler au Collège des étudiants1 avec d’autres étudiants élus issus d’autres ENSA sur des sujets communs à nos écoles. Nous avons notamment commencé à nous intéresser à la question de la charrette2 comme véritable phénomène culturel dans les écoles d’architecture. Mon sujet de recherche puise ses racines dans ce phénomène bien particulier. Je trouvais fascinant qu’un étudiant puisse se sacrifier (sur le plan de la santé notamment) autant pour ses études. Je souhaitais déterminer la place que la charrette occupait dans la vie des étudiants, connaître les raisons qui justifiaient un tel comportement. Mais je voulais avant tout rechercher ce que la charrette pouvait signifier pour l’enseignement de l’architecture. J’ai vite découvert qu’un mémoire balayant très largement et presque exhaustivement le sujet avait déjà été réalisé (Dayot, 2014). C’est à la lecture de ce travail que certaines notions plus transversales se sont imposées à moi.

La charrette ne me semblait plus qu’être un élément parmi tant d’autres dans le contexte pédagogique des ENSA mais aussi de nombreuses écoles d’architecture anglo-saxonnes. J’ai donc commencé à m’interroger sur l’atelier de projet comme lieu majeur de l’enseignement de l’architecture ainsi que sur les rapports d’autorité qui pouvaient exister entre les différents publics (enseignants, intervenants extérieurs, étudiants).

L’objectif premier de ce travail était donc de décrypter les rapports humains au sein d’un atelier de projet en lien avec la question de l’enseignement et de la transmission des connaissances.

Contexte et état de la recherche en matière de pédagogie architecturale Quelques definitions

« The

design studio has become the “heart and head of

architectural education” »3 (Dutton, 1987, p.16)

observer les sociabilités4 étudiantes. Le choix n’est pas anodin. L’enseignement du projet d’architecture est au cœur de la formation en école d’architecture, que ce soit en France ou dans le monde anglophone qui a hérité de la culture des Beaux-Arts. Ce mode d’enseignement en studio ou en atelier se fait généralement autour d’un enseignant architecte (praticien) qui va suivre un groupe d’étudiants.

Contrairement à une transmission de savoir académique basée sur des cours magistraux, l’atelier permet d’avoir des rapports plus individualisés entre enseignants et enseignés. C’est donc un cadre idéal pour observer les interactions entre les différents acteurs. De plus, le projet, ou plutôt la conception architecturale est par essence un acte créatif. Le choix de l’atelier permet donc également d’étudier si les spécificités de ce mode créatif influent ou non sur les sociabilités en atelier.

Tout d’abord, il est important de définir certains termes saillants de la recherche. Le terme projet est défini par le Grand Robert comme « image d’une situation, d’un état que l’on pense atteindre ». Le mot concevoir, c’est à dire « créer par l›imagination », apparaît dans les exemples de la définition.

Or la deuxième acceptation du terme concevoir par le Larousse renvoi aussi au champ lexical de l’esprit mais ajoute une nouvelle dimension, celle du processus intellectuel : « élaborer quelque chose dans son esprit, en arranger les divers éléments et le réaliser ou le faire réaliser. ».

L’imagination fait également penser à la création. La quatrième acceptation du projet pour le Larousse « Tracé définitif, en plans, coupes et élévations, d’une construction à réaliser (machine, équipement, bâtiment, aménagement urbain, etc.). [Le tracé initial, à partir des études préliminaires, est l’avant-projet.] » peut être clairement appliqué au domaine de l’architecture car elle englobe les espaces bâtis. De plus, elle intègre le vocabulaire spécifique de la représentation en architecture (plans, coupes et élévations).

Ainsi, on peut rapprocher le projet de l’acte de la conception. Pour cette recherche on assimilera les notions de projet d’architecture et conception architecturale à l’élaboration (processus intellectuel et créatif ) et à la représentation (formalisation) d’espaces bâtis.

Qu’est-ce-que l’enseignement le projet d’architecture ?

Le Grand Robert fournit deux définitions très intéressantes de l’enseignement qui apporte des éclairages différents. Il s’agirait en premier lieu d’un « précepte qui enseigne une manière d’agir, de penser. ». Cette définition n’est pas sans rappeler celle de l’habitus développée par le sociologue Pierre Bourdieu.

Au cours des entretiens que j’ai pu mener, l’un des enquêtés m’a demandé pourquoi j’avais tout particulièrement choisi l’atelier plutôt que d’autres enseignements pour 1 Instance, émanation de l’UNEAP (Union Nationale des Etudiants en Architecture et Paysage) 2 « Travail intensif de dernier moment pour remettre à temps un projet, un ouvrage. », Dictionnaire Larousse en ligne 3 L’atelier est devenu ‘ le cœur et la tête de l’enseignement de l’architecture’ (Traduction de l’auteure)

4 Pour définir le terme de sociabilité, on se réfère ici directement à cette définition : « ensemble des relations qu’un individu entretient avec d’autres compte tenu de la forme que prennent ces relations » (Rivière, 2004)

Sociabilités en atelier

9

« Du côté de ses conditions de production, l’habitus se définit par trois caractères. Il renvoie d’abord aux apprentissages par lesquels des perceptions, des jugements ou des comportements sont véhiculés et inculqués pendant la socialisation individuelle.

Il renvoie ensuite à l’impact de ces apprentissages sur l’agent, à la façon dont ils sont intériorisés et reconduits dans un inconscient individuel et collectif. Il renvoie enfin à la capacité de ces dispositions à faire naître des pratiques sociales. » (Universalis en ligne) La deuxième définition de l’enseignement, « Action, art de transmettre des connaissances ; cette transmission. », implique véritablement une distinction entre celui qui sait et celui qui ne sait pas car il y a transmission des savoirs. On aurait donc une sorte de verticalité dans cette transmission. De plus, le fait de définir l’enseignement comme art de transmettre quelque chose peut désigner un ensemble de techniques et dispositifs à maîtriser voire une science (qui s’oppose pourtant d’une certaine façon à l’art). A ce propos, quelle distinction faire entre enseignement et pédagogie ? Toujours selon le Grand Robert, la pédagogie est une « science de l’éducation, une méthode d’enseignement, d’instruction ».

Donc si l’on résume, l’enseignement est une transmission de savoir, une formation de l’esprit et la pédagogie regroupe les manières de transmettre, les vecteurs s’appuyant sur des outils et dispositifs pédagogiques.

Pour cette étude, nous assimilerons donc l’enseignement du projet d’architecture à l’acte de faire apprendre à concevoir une l’architecture. La limite de cette définition réside dans le fait que bien souvent, la fin et les moyens se confondent. Le projet d’architecture d’un étudiant est à la fois le résultat de l’enseignement mais aussi son vecteur. Par suite, on assimilera donc l’enseignement du projet au projet d’architecture lui-même.

Enfin, l’atelier ou le studio fournit le lieu et le cadre physique de cet enseignement. Il semble essentiel de rappeler que l’atelier renvoie avant tout à l’artisanat, au travail manuel ou travaux techniques. Lorsque l’on parle d’atelier de projet, ceci impliquerait donc déjà une certaine posture dans la manière d’envisager le projet. Il s’agirait d’une activité fondée sur la pratique (par opposition à la théorie). Le projet se transmettrait donc par la pratique (et donc par des praticiens ?). Au-delà du lieu, par abus de langage, l’atelier devient aussi un enseignement (« j’ai atelier5 ») et une temporalité. Le terme atelier devient donc polysémique et multidimensionnel.

Le projet d’architecture : un enseignement en quête d ’ u n cadre théorique « la primauté d’une pédagogie de l’atelier dans l’enseignement de l’architecture apparaît comme une forme particulière d’apprentissage intellectuel et pratique où perdure le sens du travail collectif » (Lambert, 2014, p.130)

On peut faire le constat que l’atelier de projet est une particularité des écoles d’architecture et constitue à ce titre, un 5

Expression utilisée par certains étudiants

10 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

élément identitaire majeur. Il est extrêmement valorisé car il est considéré que c’est par la pratique du projet qu’on acquiert les compétences pour concevoir. Le caractère quasi hégémonique du projet subordonne par conséquent les autres matières (appelés aussi enseignements transversaux). Celles-ci, sont considérées comme des ressources. Tout doit servir le projet.

Ce statut particulier de l’enseignement du projet ou de la conception architecturale ne semble pourtant pas avoir permis d’établir un consensus national sur les savoirs souhaitables (Hoddé, 2016) pour les étudiants en architecture. Depuis le début des années 70, la recherche française concernant le processus de projet s’est structurée autour de l’architecturologie de Philippe Boudon et d’enquêtes plus empiriques menées à la fin des années 80. La transmission de ses résultats et/ou leurs applications se fait au travers de livres ou de colloques. Ces colloques donnent l’occasion d’avoir un débat collectif entre enseignants.

Bien que « l›architecturologie […] [acte] la fin d’une confusion avec la théorie de l’architecture, souvent réduite à un panorama des doctrines qui orientent ou qualifient le projet » (Hoddé, 2016, p.99), Rainier Hoddé pointe du doigt le fait que « la réception de telles recherches reste[...] limitée, y compris dans les écoles d’architecture ». Il dénonce également le fait qu’il y trop peu « d’enseignants-communiquants » lors de colloques eux aussi trop peu réguliers. « la référence au grand-tout-complexe autorisant le grand-flou sur ce que les étudiants sont en train d’apprendre, consubstantielle à tous les arbitraires dans la critique de leur travail n’est plus possible » (Hoddé, 2004, p. 157)

Ce manque de cadre théorique revient souvent pour expliquer le fait que les attendus pédagogiques soient vagues ou implicites. Ceci est aussi vrai pour des auteurs français que pour des auteurs anglo-saxons dont le modèle emprunte directement au système Beaux-Arts. « The definition of what is and is not architecture is a contested concept both inside architectural schools and within the wider architectural community. Thus, individual critics were observed voicing their own personal constructions of ‘architecture’ and ‘architectural identity’ in their dialogue with students »6 (Webster, 2006, p. 15) Il semblerait que malgré les grands progrès effectués en terme de recherche, la « boite noire de la création » et la figure du « hero designer » (Dayot, 2014, p. 61) subsistent comme des symptômes de ce cadre théorique lacunaire ou peu diffusé.

Comme on l’a vu en première partie, l’enseignement de l’architecture s’appuie sur la pratique. On pourrait donc dire que 6 La définition de ce qui est ou de ce qui n’est pas de l’architecture est un concept qui est contesté à la fois à l’intérieur des écoles d’architecture mais aussi dans l’ensemble de la communauté du monde de l’architecture. Ainsi, on remarque que, dans le dialogue avec les étudiants, les critiques expriment leur propre vision de l’architecture et de ce qui constitue l’identité architecturale. (Traduction de l’auteure)

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

la pratique est le fondement intellectuel de cet enseignement.

Notion de pouvoir dans l’apprentissage du projet

Dans ce contexte à priori flou, des auteurs cités précédemment indiquent que l’enseignant de projet conserve une partie des caractéristiques du maître ou du patron d’atelier tel qu’il existait aux Beaux-Arts. En effet, l’enseignement de l’architecture reposait à la base sur de l’apprentissage entre un maître et un élève.

L’identification au maître était forte car il aidait à préparer au sujet de concours qu’il ne choisissait pas. Après 1968, l’enseignant reste chef d’atelier mais devient aussi juge (en étant membre de jury lors des rendus par exemple) «Within the design studio, the replacement for the drawing office, the tutor or studio master, almost literally mirrored the role of the master architect by ‘coaching’ the students individually on their design projects »7 (Webster, 2006, p. 8)

La transmission se fait surtout de manière orale et à l’aide d’éléments graphiques (Lambert, 2014, p. 134). Les éléments écrits son très rares y compris pour les corrections lors des jurys.

Dans une étude réalisée par Kathryn H. Anthony au sein d’une école américaine, elle montre le peu d’impact (voire l’impact négatif ) que peuvent avoir les corrections orales sur les étudiants (p. 7). La retranscription écrite des critiques orales est une méthode préconisée pour rendre la correction plus pédagogique et les critiques plus constructives. Le mode d’évaluation par jury est notamment interrogé par Helena Webster à travers une analyse s’appuyant sur Michel Foucault. Dans une enquête réalisée auprès d’une école britannique, le jury apparaît comme un outil disciplinaire dans le sens ou le dialogue y est très peu présent, ce qui n’encourage pas les étudiants à prendre des risques (p.17). « ‘jury’ or ‘crit’8, words that imply adversarial practices, was still being used by tutors, critics and students to describe an event whose espoused purpose was learning through non-adversarial co-reflection. »9 (Webster, 2006, p. 10) Ainsi, les auteurs anglo-saxons que j’ai pu lire convergent vers l’idée que les logiques de pouvoir interne à l’atelier sont en réalité très importantes. La notion de verticalité entre enseignants et étudiants est bien présente alors même que le mode d’enseignement par petit groupe devrait favoriser le dialogue. L’enseignement reste ainsi formellement hiérarchisé.

Selon Dayot, le corporatisme hérité des Beaux-

7 Au sein du studio, le remplacement de l’agence, du tuteur ou le maître de studio, reflétait presque littéralement le rôle du maître architecte en «coachant» les étudiants individuellement dans leurs projets. (Traduction de l’auteure) 8

Diminutif de critics (NDLR)

9 Les jurys ou rendus, des termes impliquant des pratiques antagoniques, sont toujours utilisés par les tuteurs, les enseignants et les étudiants pour décrire un événement dont le bus était d’apprendre à travers une co-réflexion non antagonique. (Traduction de l’auteure)

Arts se manifeste encore à travers la notion d’institution totale10 développée par Goffman. Grâce à un savant cocktail de domination et de promiscuité, le groupe va s’homogénéiser tout en se distinguant peu à peu du reste du corps social. La domination peut s’exprimer à travers des « rites de passage » tels que la charrette par exemple qui se perpétuent grâce à des mécanismes implicites. Garry Stevens analyse grâce à Bourdieu les rapports de domination implicites qui peuvent exister dans les écoles d’architecture. Le pouvoir symbolique qui s’opère à travers le capital culturel transmet des valeurs désirables et favorisées par la société (et donc les dominants). Ce capital serait l’équivalent de la notion d’habitus. « Simplified, the hidden curriculum refers to those unstated values, attitudes, and norms which stem tacitly from the social relations of the school and class- room as well as the content of the course »11 (Dutton, 1987, p. 16)

Thomas Dutton utilise la notion de curriculum caché afin de décrire les relations de pouvoir qui régissent l’atelier de projet. Ainsi le curriculum caché parle de « l’idéologie d’un savoir » et les pratiques sociales qu’il implique. De plus, le savoir est intrinsèquement lié au pouvoir. Dans son article, Dutton donne des exemples d’exercice qu’il a expérimenté avec ses étudiants où il essaye justement de déconstruire ce rapport vertical par différents moyens. Il n’est par exemple plus le seul à déterminer la note, les étudiants eux-mêmes y participent. L’idée est aussi de restaurer un dialogue car la hiérarchie implique nécessairement une asymétrie qui empêche l’échange sur un même pied d’égalité.

Une culture de studio contestée mais qui crée une identité

La « mythologie de l’artiste et de la vie de bohème », le « mystère de la création » (Dayot) et le caractère immersif et chronophage du projet vont renforcer une certaine culture du studio12. Cette culture du studio a été dénoncée en premier par 10 « le rôle d›une institution totale est de modeler les individus à travers l›intériorisation de l›autorité » (Dayot, 2014, p.150) 11 Simplifié, le curriculum caché fait référence à ces valeurs, attitudes et normes non énoncées qui découlent tacitement des relations sociales de l’école et de la classe ainsi que du contenu du cours.

(Traduction de l’auteure) 12 Dayot présente neuf effets de l’institutionnalisation de cette culture de studio (p.57,58): - La charrette comme moyen de prouver sa détermination et sa dévotion - Le studio possède un caractère immersif - « Le studio fonctionne de manière insulaire », il y a donc une grande inertie du système - Promotion d’une vision de l’architecte-créateur, ce qui justifie les sacrifices - Favorisation du produit fini plutôt que du processus d’où importance de la production (donc charrette) - Le studio centré sur l’individu - Les enseignants reproduisent ce qu’ils ont eu en tant qu’étudiants et donc transmette une culture - La relation d’autorité entre enseignants et enseignés est fondée sur le « mystère de la création »

Sociabilités en atelier

11

les étudiants américains à travers l’AIAS13 vers la fin des années 90 pour les abus qu’elle pouvait engendrer (charge de travail trop importante, charrettes à répétition). Mais les processus de construction identitaire, à la fois du groupe et de l’individu sont forts. « Le caractère invariant du modèle pédagogique, la prégnance de mythes communs aux écoles d’architecture et la valorisation par l’humour du dysfonctionnement sont des éléments qui accréditent l’idée d’une culture spécifique au cours de studio » (Dayot, 2014, p. 56) L’atelier de projet, espace de construction d’une sociabilité étudiante

Triangle problématique (S. Collin)

*

Les problématiques évoquées m’ont amené à m’interroger sur les liens qui pouvait exister entre l’enseignement, le projet d’architecture et les rapports de pouvoir (ou d’autorité). Plus particulièrement, comment ce trio influencent-ils les sociabilités étudiantes et enseignantes dans les ateliers à l’ENSAL ?

Autrement dit, l’étude vise à décrypter et à caractériser la façon dont l’enseignement de projet va influencer les comportements des étudiants avec leurs pairs mais aussi leurs rapports aux enseignants. La question des sociabilités a été peu abordée dans ce que j’ai pu lire ou alors simplement à travers l’entraide ou la compétition. Même pour ces deux aspects, les auteurs ne décrivent pas vraiment les formes qu’ils vont prendre.

Pour cette étude, ces sociabilités étudiantes sont principalement envisagées sous l’angle de : l’entraide, des rivalités et des effets de distinction entre les étudiants (comment ils se différencient les uns des autres). Concernant les relations étudiants /enseignants, on s’intéressera surtout aux rapports de pouvoir, d’identification ou de distanciation (vis-à-vis de l’enseignant) qui peuvent exister.

La construction des hypothèses s’appuie principalement sur les quatre points que résument Dutton (en s’appuyant sur un travai

de Chris Argyris14 et Donald Schön15) les conséquences de la compétition et de la hiérarchie sur l’atelier de projet. Nous en retiendrons trois : - « [Le studio] est un environnement qu’enseignants et étudiants essayent de contrôler mais étant donné les différences de pouvoir, les étudiants perdent » - « Les étudiants ne s›utilisent pas assez comme ressource » - « Le studio est devenu une expérience centrée autour de l’enseignant »16 (Dutton, 1987, p.19)

On peut constater que l’atelier de projet est un lieu où contrairement au cours magistral, l’anonymat n’existe pas et l’expression des individualités est fortes. Les relations entre enseignants-enseignés et étudiants-étudiants sont fortes. En effet, le travail, les projets sont exposés souvent au grand jour et donc confrontés au regard des autres. A L’ENSA Lyon, la compétition n’est pas un mode de fonctionnement qui semble encouragé par les enseignants mais il y a un besoin de savoir ce que chacun vaut individuellement.

Dans ce cadre, on peut formuler deux grandes hypothèses : - l’organisation de l’atelier par l’enseignant va induire une compétition implicite chez les étudiants - La diversité des pratiques d’enseignements couplée au manque de cadre théorique va forger la démarche personnelle de l’étudiant Pour la première hypothèse, le caractère implicite et latent de la compétition peut s’exprimer au travers d’une stratégie du dépassement de soi. Chaque semaine, il y a, de la part des étudiants, une sorte de surenchère de la production graphique qui peut se justifier sur trois niveaux : 1 - se montrer à soi-même de ses propres capacités 2 - montrer aux autres, aux pairs l’avancement sur son projet 3 - montrer l’avancement à l’enseignant pour avoir le plus de validation/ correction de sa part.

Les trois niveaux ont une influence plus ou moins importante mais on peut supposer que le niveau trois est le plus fort. En effet, le retour que les étudiants ont sur leur travail est si court par rapport au temps investi qu’ils privilégient, de manière stratégique, un retour individualisé. Le regard de l’enseignant est le plus important pour les étudiant et comme l’avait fait remarqué Dutton, ceci nuit à une expérience plus collective du projet et constitue un frein à l’entraide. Le projet reste centré autour de l’enseignant.

Proposition d’un modèle théorique simple sur l’influence du rapport enseignant-enseignés sur le degré d’entraide entre étudiants au sein d›un même groupe de projet – Échelle d›émulation collective face aux rapports de pouvoir : 14 ARGYRIS Chris, “Teaching and Learning in Design Settings”, Architecture Education Study Vol. 1: The Papers, pp. 551- 660

- Le jury est l’incarnation de la culture de studio et donne lieu à des abus

15 Donald Schön (1930-1997) est un penseur américain notamment connu pour avoir développé une théorie autour de la réflexivité du point de vue de l’apprentissage et de la pratique (professionnelle par exemple)

13

16

American Institute of Architecture Student

12 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

Traduction de l’auteure

III. III.a III.b

C

Compétition-rivalité  Entraide  Projet collectif

De même, on peut supposer que les différentes formes de rendu (ou jury) vont engendrer plus ou moins de compétition entre les étudiants. Par ailleurs, la comparaison des rapports de pouvoir enseignants-étudiants lors des séances de projet classiques ou lors des rendus pourrait être intéressante pour apporter des éclairages sur la manière dont ces deux temps s’influencent. Y-at-il une différence de comportement importante des acteurs en présence entre ces deux temps d’enseignement ?

Dans le cadre de la deuxième hypothèse, on pourrait distinguer deux grands types d’enseignants. Certains vont tout de suite indiquer vers quoi l’étudiant doit tendre et laisser peu de latitude pour concevoir comme l’étudiant le souhaiterait. D’autres au contraire, ne préfèrent rien dire par peur d’inhiber l’étudiant.

Ceci crée un rapport paradoxal avec l’enseignant car l’étudiant a à la fois envie de s’émanciper, mais stratégiquement, il a plutôt intérêt à se conformer aux attentes de l’enseignant, implicites ou non. Comment forge-t-on une démarche personnelle dans ces cas-là ?

De plus, le « grand-tout-complexe » auquel fait référence Rainier Hoddé de manière assez amusante force l’étudiant à se positionner sans arrêt. Il a forcément besoin d’un esprit critique car dans ce contexte tout se vaut. Son esprit critique est mis à l’épreuve par le système de manière implicite mais la nature même de la conception demande elle aussi, de manière explicite cette fois, de faire des choix, de se positionner (à travers un concept fort par exemple). Les choix ne sont jamais neutres. L’identification personnelle au projet est de ce fait assez forte.

On pourrait dire que la combinaison du manque de cadre théorique et de la sollicitation constante de l’esprit critique tend finalement à produire de nouvelles doctrines individuelles. Ainsi l’école forge-t-elle peut être des egos17, au sens philosophique du terme. Si on considère que le travail collectif nécessite de mettre de côté son ego, qu’est-ce que cela implique par rapport aux sociabilités étudiantes ?

Posture et engagement

Au vu du contexte de naissance de mon sujet, la question de la posture est bien entendu centrale dans ce travail de recherche. « La compréhension d’un objet d’enquête ne se réduit pas, en effet, à l’ensemble des connaissances scientifiques ou des données factuelles qui ont pu être rassemblées à son propos. Le « flair » du chercheur, qui l’amène à voir des configurations de sens que d’autres ont ignorées ou à proposer des lectures hors des routines d’une discipline, n’est souvent rien d’autre que sa capacité pratique à user du raisonnement analogique, ou, plus largement, à recourir à des schèmes de perception et d’action, 17 « Le sujet, l’unité transcendantale du moi (depuis Kant). ➙ Ipse, je, moi. »,© 2017 Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française

d’orientation et de jugement qu’il a incorporés au cours de sa trajectoire biographique. Ce principe de réflexivité est recommandé de longue date dans les recherches sur le travail de terrain aux Etats-Unis. Inutile de dire qu’il comporte une part de ‘mise en danger’ de l’enquêteur. C’est avec et contre soi qu’il faut se battre pour produire du savoir. Et l’acquisition d’un savoir va de pair avec une transformation de soi, des manières de percevoir les choses et de poser les problèmes. » (Cefaï et Amiraux, 2003) Dans mon cas, j’attribue le caractère de mise en danger au fait de faire partie ou d’être mon propre objet d’étude. Je suis dans une forme d’observation participante. L’exercice le plus difficile est donc clairement d’opérer la distanciation nécessaire et de donner toutes les informations utiles sur les arcanes de mon cheminement intellectuel et mes biais. Par ailleurs, cette citation m’a d’autant plus frappée qu’elle résonnait avec la position défendue par la sociologue Monique Pinçon-Charlot dans une interview donnée pour Radio Insoumise en août 2017. Celle-ci explique qu’il est essentiel de fournir des éléments biographiques sur son mari et elle pour avoir les clés de lecture de leurs travaux.

La notion de neutralité du chercheur est donc à relativiser dans le sens où le choix et la construction même du sujet et de la problématique sont issus d’intuitions puisées en partie dans l’histoire personnel du chercheur. Le chercheur loin d’être neutre, parle d’un point de vue situé mais donne les conditions d’objectivation de ce point de vue en explicitant sa posture, sa démarche et en croisant ses résultats et ses méthodes pour consolider ses interprétations.

Dans ce contexte, la note méthodologique se veut justement être la plus exhaustive possible. * Le mémoire est découpé en trois parties. L’enseignement du projet étant au cœur de notre questionnement la première partie traite des modes de diffusion du savoir et de leur réception par les étudiants. Nous nous intéresserons à la manière dont les enseignants construisent leur enseignement, les outils qu’ils utilisent et le contexte (théorique et administratif ) dans lequel ils s’insèrent. Puis nous analyserons, au travers des typologies d’organisation d’atelier, la réception des étudiants du mode d’enseignement en atelier et ce que cela peut générer en terme de solidarités ou de rivalités.

Dans un deuxième temps, nous nous pencherons plus en détail sur les relations enseignant/enseigné, notamment à travers le portrait de l’enseignant idéal. Nous poursuivrons en montrant comment les problèmes communs (comme des manques spécifiques dans l’enseignement) vont influencer la manière dont les étudiants s’organisent collectivement. Nous verrons comment cette solidarité peut dépasser la simple réponse à un problème, mais aussi les paradoxes (entraide vs. rivalité) qui peuvent se dégager de ces structures collectives.

Enfin, la troisième partie s’attachera à développer la question de la montée en légitimité des étudiants au fil des années et la manière dont cela va influencer leur rapport aux enseignants et aux autres étudiants. Nous terminerons en nous interrogeant sur le lien entre cette nouvelle légitimité, le positionnement critique des étudiants et les effets de distinction qui en découlent.

Sociabilités en atelier

13

Note Méthodologique Terrain d’étude Le choix de mon terrain d’enquête se limite à l’ENSA Lyon pour les entretiens et s’élargit à l’ensemble des écoles d’architecture en France pour le questionnaire en ligne. Ce terrain a été choisi principalement pour faciliter la campagne d’entretien.

Entretiens semi-directifs Pour développer ce mémoire, j’emprunte ma méthode des entretiens semi-directifs au domaine des sciences sociales. Ces entretiens sont effectués sur deux populations distinctes. D’une part des étudiants et d’autres part des enseignants (principalement à l’ENSAL). La plupart de ces entretiens ont été effectués par Skype ou ont fait l’objet d’un rendez-vous en face à face. Il est a noté que dans le cas des étudiants, il y a de fait une proximité, voire une complicité entre enquêteur et enquêté car ils s’expriment sur des choses que j’ai moi-même vécues. De plus, je connaissais certains d’entre eux plus ou moins personnellement. Pour les enseignants, il peut peut-être y avoir un effet de censure dans le sens où je les interroge sur une population (les étudiants) dont je fais moi-même partie.

Concernant les étudiants, dix entretiens d’une durée d’une heure à une heure et demie maximum ont été effectués entre avril et juin 2018. Le groupe étudiant est composé de deux personnes de chaque promotion (de la L1 au M2) afin d’observer l’évolution de la posture des étudiants même si l’échantillon n’est absolument pas représentatif.

La grille d’entretien est structurée de manière à faire explicitement émerger les éléments suivants : > Q.1 à Q. 4 : Parcours de formation, attentes / réalités > Q. 5 à Q. 7 : Journée type, organisation atelier et rendus > Q. 8 à Q. 12 : Réaction face à la critique de projets selon l’interlocuteur, formes d’entraide en atelier et dans la promotion > Q.13 et Q. 14 : Amélioration de l’enseignement > Q. 15 à Q. 17 : différence licence/master (seulement pour les étudiants en Master), retour critique sur le comportement en atelier, rapport au monde professionnel Pour les enseignants, six entretiens d’une durée d’une heure maximum ont été effectués entre mai 2018 et juin 2018.

L’échantillon s’efforce de regrouper des personnes de différentes tranches d’âge pour pouvoir témoigner de l’évolution des études d’architecture au fil des années et le confronter avec les entretiens étudiants. Un septième entretien plus court a été réalisé avec Rainier Hoddé. Cet entretien est particulier car l’enquêté possède une certaine expertise dans le domaine de la pédagogie appliquée à l’architecture. Cet entretien ne fera pas l’objet d’une analyse car il n’a pas été retranscrit. Il s’agissait plutôt d’un entretien à valeur informative. De plus, Marie P. est un cas particulier parmi les entretiens d’enseignants car elle enseigne dans une autre école que celle de Lyon et n’est pas enseignante de projet. Ceci permettait d’avoir un point de vue décalé.

14 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

La grille d’entretien pour les enseignants est structurée de manière à faire émerger les éléments suivants : > Q.1 et Q. 2 : Parcours de formation > Q. 3 à Q. 5 : Place du projet dans l’école et quotidien en atelier à l’époque de la formation > Q. 6 à Q. 9 : Formes d’entraide, place des travaux de groupe, composition de l’atelier à l’époque de la formation > Q.10 à Q. 12 : Enseignants marquants, différence entre l’enseignement reçu et l’enseignement aujourd’hui > Q. 13 à Q. 15 : Façon d’appréhender l’enseignement

Nom

Lieu d'entretien

Liens et niveau de connaissance de l'enquêté

Année

BAC

Clara

Skype (soir)

connaissance via le CA

L1

BAC S

Denis

Skype (matin)

connaissance via la CVE

L1

BAC SI

Marc

Skype

connaissance via le CA

L2

?

Rose

Au domicile de l'enquêteur (bureau), (soir)

connaissance via le CA

L2

BAC S puis MANAA

Anne

Au domicile de l'enquêté (cuisine), (matin)

connsaissance via la CVE

L3

BAC S

Maud

Skype (soir)

connaissance via Anne

L3

BAC S

Jade

Skype (matin)

connaissance de promotion

M1

BAC S

Victoire

Skype (soir)

connaissance de promotion

M1

BAC ES

Lou

Au domicile de marraine, connu l'enquêté (terrasse), dans les résidences (pour le petit déjeuner) étudiantes

M2

BAC S

Julie

Au domicile de connaissance via l'enquêté (salon), (soir) la CVE

M2

BAC SI

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

description reste lacunaire.

Profil

Nom

Lieu Architecte Spécialité d'entretien Praticien

Gérard M.

A l'école (salle voûtée en RDC)

TPCAU

X

Alain L.

Skype

TPCAU

X

Marie P.

Skype

SHS

Chercheur (diplômé en Génération architecture)

X

60 ans et +

X

Jean O.

A l'école (bureau)

STA TPCAU

Laurence K.

A l'école (salle de réunion)

STATPCAU

X

A l'agence de l'enquêté Frédéric G. TPCAU (salle de réunion)

X

60 ans et +

60 ans et +

X

50 ans et +

X

35 ans et +

Traitements des entretiens

Les seize entretiens ont été intégralement retranscrits.

L’analyse peut se décomposer en trois phases principales : - Première relecture des entretiens avec un repérage des grands thèmes de la grille d’analyse globale - Pour chaque partie du corpus (partie étudiante, partie enseignante), découpage des entretiens selon une grille d’analyse plus fine.

- Pour certains thèmes particuliers (entraide, dialogue avec l’enseignants), une mise en parallèle de tous les entretiens a été effectué pour relever les récurrences, dissonances et nuances. Cela a ensuite été résumé à travers un tableau synthétique.

La question de l’entraide a été décortiquée afin d’en déterminer les modalités et de pouvoir dresser des typologies : à quel moment intervient cette entraide ? (avant ou après une correction par exemple) à quelle fréquence les étudiants se demandent-ils de l’aide ? s’agit-il de questions de conception ? de questions techniques ?

De questions liées à la représentation ? Des références ? s’agit-il d’aide ou de réelle collaboration même dans le cadre d’exercices individuels ?

Les étudiants s’impliquent-t-ils dans l’exercice de critique de projet ?

Comment l’enseignant séquence-t-il sa séance d’atelier ?

Questionnaire 35 ans et +

En somme, les entretiens font état de 3 générations (avec des sauts de 20 ans) : - Les diplômés de la fin des années 1970 - Les diplômés de la fin des années 1990 - Les (futurs) diplômés de la fin des années 2010 Que ce soit pour les étudiants ou les enseignants, la grille d’analyse est la même. Il s’agit de faire émerger : les relations entre étudiants, les relations enseignants/étudiants, les formes d’organisation d’atelier et l’auto-analyse du parcours.

Les grilles d’entretiens complètes pour les étudiants et enseignants sont disponibles en annexes.

Il paraît important de préciser que ce corpus a bien une visée qualitative et non quantitative. L’auteur, Stéphane Beaud pousse les enquêteurs à bien préciser et décrire le cadre dans lequel s’est déroulé l’entretien car ces précisions sont majeures pour l’interprétation. Le texte retranscrit est en effet une version appauvrie de l’entretien car on y perd la subtilité du cadre, de la gestuelle et du langage de l’enquêté. J’ai essayé de donner quelques clés (voir les tableaux) au lecteur, malheureusement, comme beaucoup d’entretiens ont été effectués par skype, cette

Un questionnaire a été diffusé en ligne (par mail et par facebook) entre août et septembre 2018 et a recueilli 560 réponses (dont 44,6% provenant de l’ENSA Lyon). Le but de ce questionnaire était de pouvoir mettre en perspective l’analyse des entretiens et d’éventuellement pouvoir extrapoler à une échelle plus large que celle de l’ENSA Lyon. En plus des graphiques directement donnés par Google form, un traitement via Excel a été effectué afin de pouvoir dépouiller les réponses libres. Malheureusement, aucun trie croisé n’a pu être effectué à cause du manque de temps.

Il se décompose en cinq parties : > Q.1 à Q.4 : Informations générales (école, année d’étude…) > Q.5 à Q.8 : Formes d’entraide face à une difficulté, Moments propices pour l’entraide > Q.9 à Q.14 : Organisation de l’atelier de projet, écoute concernant le projet des camarades > Q. 15 à Q.18 : rapport au travail de groupe > Q. 19 à Q.21 : Intensité de l’entraide au sein de l’atelier de projet et de la promotion Les résultats bruts sont disponibles en annexe.

Travail de mise à distance, précautions méthodologiques et limites de la recherche Le parti-pris de ce travail a été de livrer une analyse du corpus

Sociabilités en atelier

15

plutôt exhaustive, au risque de manquer de synthèse. Cependant, le fait de m’obliger à décrire était aussi une façon de prendre de la distance par rapport à mon sujet étant donné que je fais partie de la population étudiée. Cette mise à distance a aussi été facilitée par les relectures d’une personne tierce.

De plus, le corpus brossant un portrait très large du sujet et le temps étant limité au vu de la taille du corpus, ce mémoire est à envisager comme un premier jet d’analyse, une première itération. Ainsi, si le travail devait se poursuivre, il faudrait faire une relecture de ce mémoire dégageant peut-être les point les plus saillants. A l’instar du rendu de projet, ce mémoire donne à voir un morceau de processus à un instant t.

Néanmoins, le fait de présenter un aperçu presque exhaustif permet aussi de révéler à quel point l’imbrication des problématiques traitées est complexe. D’autant que pendant l’écriture, je me suis rendue compte qu’il était difficile de déceler les paramètres qui étaient les plus influents avec les données que j’avais en ma possession. Les imbrications sont en effet assez complexes.

Enfin, ce mémoire comporte beaucoup de citations longues. J’ai fait ce choix de présentation pour mettre en valeur mon corpus et montrer qu’il ne s’agissait pas simplement d’illustrer un propos.

De plus, il était important de ne pas trop saucissonner les entretiens afin de ne pas perdre de sens et de ne pas donner l’impression d’avoir recomposé un discours.

16 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

I. Les modes de diffusion du savoir

I. Les modes de diffusion du savoir a. Ressources mobilisées par les enseignants pour construire leur enseignement.

Articulation entre un désir personnel de transmission et une inscription dans une formation plus globale.

Pour comprendre comment un enseignement peut influencer des sociabilités étudiantes, penchons-nous d’abord sur la genèse et la construction des enseignements dispensés par les enseignants enquêtés. Plusieurs paramètres ont-été pris en compte : les conditions d’entrée à l’école, le corpus théorique, les références à leurs propres études et à leur activité professionnelle.

La cooptation

Cooptation dans l’école Pour Laurence K. et Jean O. les conditions d’entrée à l’école sont floues ou n’ont pas été abordées. Cependant, il faut noter que ces deux enseignants n’étaient pas à l’origine des enseignants de projet. Leur cooptation pour passer d’un enseignement transversal à l’enseignement du projet s’est faite à l’intérieur même de l’école.

Pour Jean O., c’est l’association à un enseignant de projet qui souhaitait bénéficier de son expertise dans un domaine précis qui l’a propulsé en atelier de projet. Tout comme Gérard M., il a par la suite fondé un enseignement de projet en Master même s’il n’était à l’origine pas « estampillé prof de projet ». Quant à Laurence K., son entrée dans un enseignement de projet de Master s’est faite grâce à la création d’une équipe pédagogique avec un nouvel enseignant à l’école. *

Cooptation en milieu professionnel La plupart des entretiens réalisés avec les enseignants témoignent du fait que la cooptation est un processus assez déterminant pour être introduit dans une école d’architecture. C’est par exemple lors du premier emploi de Frédéric G. que les portes de l’enseignement lui ont été ouvertes. Nourri par le désir de transmettre une passion, il suit plus ou moins son patron de l’époque, lui-même enseignant, en effectuant d’abord ce qui s’apparenterait plutôt à du monitorat18. Plus tard, il est totalement intégré à une équipe d’enseignants en charge d’un semestre de projet en licence à l’école de Lyon. Gérard M., lui aussi nourri à l’origine par un désir de transmission, est d’abord invité par son ancien directeur de TPFE19 pour effectuer des vacations20 alors qu’il exerce en libéral.

Au fil des années, il passe de vacataire à titulaire, ce qui lui permet de contribuer à la fondation d’un des domaines de Master. Bien qu’ayant bénéficié d’une petite expérience d’enseignement dans un atelier étant plus jeune, Alain L. devient enseignant après une longue carrière professionnelle. C’est un monde nouveau pour lui, il va donc s’appuyer sur d’autres enseignants plus expérimentés auxquels il a été introduit avant de rentrer à l’école.

18 Ici, l’enquêté utilise ce terme pour mettre en évidence le fait qu’il avait quasiment l’âge des étudiants qu’il aidait au moment des faits. On utilisera donc la définition de moniteur fourni par Larousse : « étudiant rémunéré pour participer, dans l’enseignement supérieur à l’activité enseignante »

Ainsi, l’entrée à l’école pour ces enseignants est précédée et déclenchée par des rencontres qui vont faire le pont entre le monde professionnel et le monde de l’enseignement ou alors, le pont entre ressources pour le projet21 et enseignement du projet. Les affinités basées sur une histoire commune, le partage de valeurs communes ou d’une vision commune en matière d’architecture sont autant d’éléments qui vont permettre de passer d’un monde à l’autre. Bien-sûr, ces rencontres ne garantissent pas l’entrée à l’école, encore faut-il avoir l’envie d’enseigner mais aussi l’opportunité administrative (recrutement). On pourrait se demander si la cooptation est une condition nécessaire (mais non suffisante) pour commencer à enseigner en école d’architecture mais ce n’est pas l’objet de ce travail. En tout cas, il ne fait aucun doute que cette cooptation peut faciliter l’insertion dans une équipe pédagogique et dans un projet (pédagogique) d’école.

Projet Pédagogique de l’enseignant La question du projet pédagogique porté par chaque enseignant est plus délicate à caractériser. Les enseignants interrogés font appel à leur propre parcours, personnel et professionnel et témoignent davantage d’une vision globale du monde de l’architecture et de l’enseignement. La référence aux enseignants marquants comme source d’inspiration ou comme déclencheur d’un intérêt pour l’enseignement ou pour un sujet particulier était cependant bien présente dans les entretiens. Deux des enseignants interrogés s’attardent tout particulièrement sur ce que ces enseignants ont pu leur apporter et sur la manière dont ils le ré-insufflent aujourd’hui dans leur enseignement.

19 Travail Personnel de Fin d’Etude aujourd’hui remplacé par PFE (Projet de Fin d’étude) 20 Les vacations sont effectuées par des enseignants vacataires (par opposition aux titulaires). Ils sont recrutés pour effectuer un nombre limité de vacations, c’est-à-dire de « séances de travail dont la durée s’exprime généralement en heures ou demi-journées, qu’une personne consacre à une activité rémunérée » (CNRTL). « Les titulaires (ou agents titulaires) sont des agents civils, militaires ou magistrats, ayant réussi un concours de la fonction publique ou devenu titulaire suite à un plan de titularisation. » (INSEE)

18 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

21 Les ressources pour le projet sont souvent des enseignements d’autres disciplines (art, histoire, informatique, etc.)

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

« Et puis après à Lyon j’avais eu M. X qui m’avait beaucoup marqué, qui m’a donné envie… alors ça j’essaye aussi de l’insuffler dans la manière dont j’enseigne aujourd’hui sur une question de rapport de confiance avec l’étudiant et plus essayer d’encadrer les envies de l’étudiant enfin comment aiguiser sa curiosité toute étant dans un cadre exigent, le cadre des études sup. Mais je suis pas doctrinal, et lui il l’était pas. Mais je vais d’abord te parler de lui avant de te parler de moi… Ce que j’appréciait beaucoup en lui c’est qu’il disait pas « il faut faire ça », il prenait pas le stylo quoi, il corrigeait pas, il essayait pas de nous ancrer dans sa doctrine, dans des théories ou des mouvements architecturaux comme pouvait le faire certains autres. » Frédéric G. « Je vais assumer de lui faire plaisir, mais M. Z j’en parle toujours, cette générosité, cette bienveillance envers la personne, moi c’est ce qui m’a sauvé quoi, moi j’avais besoin de ça, moi j’avais besoin d’une vraie rencontre chaleureuse et de quelqu’un de bienveillant, de pas, je vais te jeter dans l’eau et voir si tu sais nager.[…] par rapport à lui, je pense que je suis un peu plus dans la provoc, je pense que je secoue un peu plus les étudiants que lui, mais j’essaie aussi d’être bienveillante, j’essaie de faire les deux » Laurence K. Ici, ces deux enseignants essayent surtout de reproduire une manière de transmettre basée sur la bienveillance et la confiance.

Ces témoignages relèvent donc plus de la valorisation de certaines caractéristiques relationnelles plutôt que de dispositifs pédagogiques en tant que tel. Autrement dit, ceci témoigne d’une qualité du rapport humain, nécessaire pour avoir un échange sain. Le fait d’en parler et de le mettre en valeur laisse donc imaginer que ce contexte bienveillant ne va pas forcément de soi. En reproduisant ou non cette pratique, ou du moins cet état d’esprit, l’enseignant se met donc en situation d’empathie avec ses étudiants en essayant de se rappeler lui-même de ce qui lui a plu ou déplu quand il était lui-même étudiant. Ce lien avec le passé n’est pas sans rappeler ce que décrit Henri Ciriani22 dans un propos recueilli en 1994 (Boudon, Cirianni, et al, 1995, p.48). « Pour mon enseignement, je m’appuie sur mon passé.

J’ai été formé en Amérique du Sud. J’ai enseigné là-bas, parfaitement bien encadré par d’anciens enseignants, de véritables pédagogues qui m’ont libéré en me donnant des instructions, jour par jour, sur le travail à faire. En arrivant à Paris, on m’a confié un atelier. Pour « ne pas couler », j’ai dû structurer en doctrine ce que j’étais capable de faire, face à l’incroyable responsabilité qui m’était donnée : prendre en charge pendant six mois un groupe de quinze étudiants. C’est ce qui attend tout jeune qui arrive dans n’importe quel école d’architecture. Vous arrivez et, quelle que soit votre expérience, 22 Henri Ciriani est un architecte d’origine péruvienne. Il est notamment connu pour avoir conçu le Musée départemental Arles Antique. Il possède de nombreux prix (dont l’Equerre d’Argent 1983) et a enseigné au Pérou et en France. Il a également effectué des activités de recherche portant sur l’espace moderne.

vous êtes face à quinze étudiants ou plus et on vous dit : « Mon cher ami, on se retrouve dans six mois ! ». Donc pour ne pas couler […] il fait ce qu’il peut, ce dont il se rappelle, ce qu’il a pensé, cherche l’idée qu’il se fait des étudiants, car il a été lui-même étudiant. S’il a eu la chance d’avoir un bon enseignant, il essaie de se rappeler tout ce qu’il lui a enseigné. » 23 Ce témoignage permet d’aborder plusieurs points très intéressants.

Premièrement, Ciriani met en évidence la difficulté et la solitude que peut éprouver un tout nouvel enseignant. Se raccrocher à son passé est alors la ressource la plus accessible, la plus immédiate, la plus intuitive. D’autant plus que les enseignants qui arrivent en école d’architecture ne bénéficient d’aucune formation pédagogique. Mais ceci est un constat qui s’applique aujourd’hui à l’ensemble du monde de l’enseignement supérieur en France.

Par exemple, dans son mémoire sur la culture de la charrette, Youri Dayot écrivait ceci : « Les enseignants en architecture ont été formés pour être architecte et non pour être enseignant en architecture. […] L’absence de formation pédagogique spécifique est un des principaux facteurs qui peuvent expliquer la reproduction de la culture du studio.

C’est donc l’école qui est garante de la tenue des objectifs pédagogiques, mais cela dépend de l’implication de l’enseignant dans la politique de l’école. […] Un second problème est le caractère parfois flou de ces objectifs et leur absence de diffusion dans le corps enseignant. La question est de savoir comment la qualité pédagogique de l’environnement d’apprentissage peut être amenée et garantie est cruciale, puisqu’à défaut de lui chercher une réponse, ce sera l’expérience de l’enseignant en tant qu’ex-étudiant qui primera et donc la perpétuation, sans réflexion critique de la culture du studio telle qu’elle existe. » (Dayot, 2014, p.64) Marie P. est elle-même stupéfaite par la façon dont ses collègues reproduisent l’enseignement qu’ils ont reçu : « Ça c’est sûr qu’il y a ce mimétisme-là, absolument.

Maintenant, ceux qui étaient avec moi avec Ciriani, je les vois comme enseignants aussi, et maintenant je suis à XXX et depuis des années je suis présidente de jury des PFE, à l’école, et il y a certains de mes anciens, enfin de gens qui étaient à l’école aussi, avec Ciriani qui sont maintenant enseignants et je vois à quel point leur enseignement est un mimétisme de celui qu’ils ont reçu. Je retrouve dans la façon dont ils évaluent les projets, les corrections qu’on avait quand on était étudiants. Mais alors c’est vraiment incroyable. 30 ans après, 40 après » Marie P. Dans notre cas, s’il n’y a pas de remise en question explicite de la culture de studio, il serait faux de penser que les enseignants n’ont aucun recul critique sur leur enseignement en tant que tel. Cependant, on peut se demander s’ils font appel à d’autres 23 CIRIANI Henri, octobre 1995: « La transformation», In L’enseignement du projet d’architecture, 115 p.

Sociabilités en atelier

19

ressources que leur intuition et leur expérience d’ancien étudiant pour se donner les moyens de construire un enseignement cohérent. Seul un enquêté a mentionné, et ce, de manière très explicite qu’il s’appuyait sur un collègue pour tout ce qui avait trait à la pédagogie à proprement parler. Aucun autre n’a mentionné le fait de s’être fait aider par des collègues plus expérimentés dans l’enseignement. Est-ce un oubli ou les enseignants ne font-ils pas cette démarche ? Et si non, pourquoi ? Par ailleurs, jusqu’à la fin de l’année scolaire 2017-2018, l’Ecole de Lyon était la seule à bénéficier d’un expert pédagogique. Or, seul un enquêté y fait référence : « J’ai l’impression, ce qui m’a beaucoup appris et m’a fait progresser très vite, c’est M. V. Quand on débute dans l’enseignement, c’est quand même formidable d’avoir un conseiller pédagogique qui fait des formations, on va beaucoup plus vite dans la vie quand on est formé quand même, globalement, donc je dirais plutôt que ma propre formation d’architecte, c’est plus les formations de V qui m’ont fait grandir très vite, j’ai pigé des trucs, peut être j’aurais fini par les apprendre un jour, mais ça m’aurait pris beaucoup plus de temps. […] Et après on fait avec les moyens qu’on a et M. V il m’a décuplé les moyens d’actions, il m’a ouvert un panel d’outils et… au lieu d’avoir juste un crayon, j’ai eu un ciseau, un pinceau, voilà j’avais beaucoup plus d’outils, et ça, après quand on est créatif et qu’on aime ça, on imagine des choses.» Laurence K.

formulation de modèles de pensée, de règles de conduite. » tandis que la théorie est un « Ensemble de notions, de connaissances abstraites organisées en système (avec une finalité didactique) ».

Pour être claire sur la définition qui est mise derrière chacun de ces termes, nous nous appuieront sur ce qu’a énoncé Philippe Boudon24. Selon lui, doctrine et théorie sont deux notions qui se distinguent par leur objet : la première vise le faire (la pratique) et produit des préceptes (Sauvage et al., 2002, p.30) tandis que la seconde vise la connaissance et produit des concepts. Il ajoute que la distinction est double car la doctrine est de l’ordre du singulier alors que la théorie est de l’ordre du général. La séparation qu’il fait est par ailleurs indissociable de la question suivante : l’architecture est-elle un art ou une science ? A ceci, il répond que les deux dimensions co-existent et que la dimension artistique est davantage à appréhender sous l’angle de la doctrine alors que la seconde est à prendre sous l’angle de la théorie (Ibid, p.38).

Enfin, le fait de parler d’une théorie n’exclut pas la diversité dans le sens où l’architecture possède des dimensions multiples. C’est d’ailleurs pour cela que le terme de théorie a été utilisé au pluriel.

Il donne un certain nombre d’exemples : « théorie du projet », « théorie de la conception », « théorie des doctrines » (Ibid, p.38) auxquelles on pourrait ajouter « théorie de l’enseignement du projet d’architecture » par exemple.

*

Le fait que la quasi-totalité des enquêtés n’aient pas spontanément mentionné cette ressource soulèvent différentes interrogations : s’agit-il d’un simple oubli, d’un manque d’intérêt, d’un manque de temps ? Comme pouvait le souligner Dayot plus haut, estce une démarche plutôt privilégiée par des enseignants impliqués dans l’école ? Et donc de fait plutôt des titulaires que des vacataires qui par leur statut ont à priori plus de temps pour s’impliquer.

Le rapport à la doctrine Le deuxième propos que met en évidence Ciriani, c’est celui de la doctrine. Il est d’ailleurs intéressant à mettre en parallèle avec la citation de Frédéric G. se rappelant de ce qu’il appréciait chez un des enseignants qui l’a marqué. En effet, là où Ciriani fait appel à la doctrine comme roue de secours pour structurer son enseignement, Frédéric G. l’introduit de manière négative, comme un moyen de coercition. De plus, à travers son énumération, il place la doctrine, la théorie et les mouvements architecturaux sur un même plan. Bien que ce ne soit pas l’objet de cette recherche, il est difficile de ne pas aborder la question de ce qu’on appellera le trio infernal « Théories-Doctrines-Pratiques ». En effet, occulter ce débat houleux et tout à fait contemporain empêcherait d’atteindre le niveau de complexité du contexte dans lequel chacun doit se positionner, enseignant comme étudiant.

Selon le CNRTL, la doctrine est un « ensemble de principes, d’énoncés, érigés ou non en système, traduisant une certaine conception de l’univers, de l’existence humaine, de la société, etc., et s’accompagnant volontiers, pour le domaine envisagé, de la

20 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

Schéma récapitulatif théorie//doctrine (S. Collin)

* Ciriani est un architecte qui se place dans la mouvance des modernistes. Sa doctrine s’inscrit donc dans un mouvement défini et qui avait ses écrits structurants, une certaine pensée et une vision du monde. Aujourd’hui, il n’existe plus vraiment de mouvement architectural à proprement parler ou au moins d’école de pensée. On se situe aujourd’hui dans un moment de transition, une sorte de post postmodernité au sens où les modernes sont remis en question et les filiations dans les pratiques deviennent 24 BOUDON Philippe, 2002 : « Enseignement de projet et enseignement de la conception», In Conception d’architecture, 276 p.

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

de plus en plus multiples et difficiles à tracer. Je me souviens d’un enseignant de projet que j’ai eu en 3ème année (âgé d’une cinquantaine d’année) qui nous avait un jour dit : « ça doit être difficile pour vous. Nous à notre époque, on avait juste à choisir dans quel mouvement on allait s’insérer »25. Ce vide doctrinal est renforcé par une situation de crise dans le milieu professionnel qui affecte aussi les écoles comme ne manque pas de le souligner Frédéric G. : « Est-ce qu’il y a des différences majeures entre ce que vous avez eu vous [étudiant] et ce qu’il y a aujourd’hui ?

C’est compliqué je pense parce là on vit aussi un changement d’époque quand même, dans l’école d’architecture aussi, dans la pratique de l’architecture de manière générale. Il y a moins de figures, il y a moins d’ego trip autour des architectes, moins d’archi-super-stars. Il y a une espèce de chose un peu plus modeste qui se met en place, besogneuse et puis la difficulté elle est toujours un peu là donc ça amène de la modestie mais aussi beaucoup de collaboratif et aussi beaucoup de je dirais d’émergence par la culture du faire. » Frédéric G. Le rapport à la figure, à l’archistar est intéressant car des grands architectes comme Le Corbusier, Alvaro Siza, Louis Khan ou même Henri Ciriani sont des architectes qui sont encore beaucoup étudiés et donnés comme références pour les projets dans les écoles d’architecture. Or ces architectes s’inscrivaient dans des courants de pensée. Simultanément, on assiste à l’arrivée d’une nouvelle génération d’enseignants qui se place en rupture en invoquant une culture du faire, par opposition il semblerait, à la doctrine (alors que selon Boudon, les deux vont de pair). Il n’est pas anodin que ce soit les deux enseignants les plus jeunes qui parlent de ces ruptures : Vieux Monde/Nouveau Monde, doctrine/culture du faire. Dans l’entretien avec Laurence K., le maître à penser est une figure qui revient à plusieurs reprises et qui est mis en opposition avec la figure de l’enseignant pédagogue. « De fait, la différence je pense que c’est le rapport à l’architecture.

Les enseignants qui sont avant tout là dans une mission d’architecte, c’est-à-dire pour diffuser une certaine architecture et non pas comme pédagogue, pour faire en sorte que l’étudiant apprenne, c’est deux postures différentes finalement » Laurence K. Ces deux enseignants s’identifient clairement au pédagogue.

S’opère ainsi une troisième distinction qui vient se superposer aux deux premières : Maitre à penser/Pédagogue. L’accompagnement qu’ils défendent est basé sur l’écoute et la confiance et peut faire penser à une approche maïeutique26, c’est-à-dire l’art de faire accoucher les esprit. L’étudiant est placé au centre des 25

Reconstitution sur la base du souvenir de l’auteure

26 « Méthode socratique reposant apparemment sur l’interrogation et se proposant d’amener un interlocuteur à prendre conscience de ce qu’il sait implicitement, à l’exprimer et à le juger », CNRTL

préoccupations, c’est son projet qu’il faut faire émerger, en le guidant mais sans lui imposer une vision. Cette négation de la doctrine est donc plutôt compréhensible si on la considère uniquement dans sa dimension autoritaire et arbitraire.

Le rapport à la Théorie Pourtant, la distinction n’est pas si simple car la doctrine s’intéresse au faire. On pourrait tout à fait opposer à ces enseignants le fait que, se revendiquer d’une position non-doctrinale est justement doctrinal. Autrement dit, nier la doctrine est aussi une façon de la rendre implicite. Le fait de ne pas faire l’effort de la formuler ne veut pas dire qu’elle n’existe pas. Elle reste juste latente. En effet, tous les enseignants ont une conception du monde, et plus particulièrement de l’architecture, qui leur est propre. Or la non formulation explicite de cette vision empêche de la débattre et donc de la partager. Le monde de l’architecture anglo-saxon, mettait déjà en évidence les contenus implicites et ambigus qui circulaient en atelier de projet (Ledewitz, 1984, p.2). Lors d’un entretien, une étudiante en Master 2 soulignait ceci : « Sinon pour améliorer l’enseignement, il faudrait que le prof présente sa pédagogie dès le départ. Que ce soit identifié, genre moi je fonctionne comme ça, etc, qu’est-ce-que vous en pensez et que les étudiants aient la possibilité d’apporter des choses à ce moment-là… qu’il y ait ce temps-là quoi… ». Lou Ici, cette demande de clarté est aussi un moyen de devenir acteur dans la relation de l’enseigné à l’enseignant. Car l’implicite opère de fait une asymétrie entre celui qui émet des contenus ambigus et celui qui les reçoit et essaye de les déchiffrer, de les comprendre et de les interpréter. Ce processus est à renouveler sans cesse avec chaque enseignant car chacun a une définition différente de l’architecture et de ce qu’il considère comme qualitatif du point de vue architectural. Les étudiants sont donc soumis, au fil de leur cursus, à des visions arbitraires et implicites qui semblent difficiles à mettre en cohérence. Cette question de l’arbitraire27 est particulièrement visible pour ce qui concerne la notation des étudiants par les enseignants mais nous l’aborderons plus en détail en Partie III. Le fait de ne pas revendiquer de doctrine n’exclut donc pas les dérives arbitraires et autoritaires. Bien sûr, il existe une gradation dans l’autoritarisme mais de fait, un rapport de pouvoir s’installe.

De même, l’opposition entre maître à penser et pédagogue n’est pas si évidente car rien ne prouve qu’un tel maître serait incapable 27 « Qui dépend uniquement d’une décision individuelle, non d’un ordre préétabli, ou d’une raison valable pour tous. », CNRTL. Dans un langage plus courant, le bon-vouloir pourrait être un synonyme. Dans cette étude, la question du pouvoir arbitraire est envisagée sous l’angle du pouvoir de violence symbolique proposé par Bourdieu et Passeron (La Reproduction, 1970, p.18) : « Tout pouvoir de violence symbolique, i.e. tout pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondements de sa force, ajoute sa force propre, i.e. proprement symbolique, à ces rapports de force. »

Sociabilités en atelier

21

de faire apprendre. Simplement, il fera apprendre à ses étudiants (ou disciples) ce que lui juge bon. Ceci pose la question du contenu de l’enseignement. Françoise Schatz28 opère également une différenciation entre les deux relations : le rapport maître/ élève où la doctrine « sert d’horizon à l’évaluation du travail de l’étudiant » et le rapport plutôt centré sur le travail de l’étudiant où « l’enseignant ne se propose pas comme modèle pour l’étudiant ».

Pour ce deuxième cas, elle pose alors une question fondamentale : qu’entend-on « par « le travail de l’étudiant » : s’agit-il de l’objet architectural proprement dit, ou est-ce la manière d’arriver à ce qu’il présente à l’enseignant ? » (Sauvage et al, 2002, p.175). Mais encore une fois, on pourrait faire remarquer que Ciriani, bien que prônant la doctrine considérait aussi que le rôle de l’enseignant était de faire émerger un projet qui soit propre à l’étudiant (Boudon, Cirianni, et al, 1995, p.48).

Il parait à ce stade important de souligner qu’il ne s’agit nullement de défendre la doctrine architecturale, mais juste de mettre en évidence le fait que dans un contexte où les enseignants ont peu de base théorique pour enseigner, elle a pu constituer un outil structurant pour la pédagogie. Pierre Chevrière disait ceci : « Il faut une doctrine pour enseigner l’architecture. Si on associe la vérité à la théorie et la croyance au dogme, la doctrine, elle, réunit les convictions sédimentées sans prétendre à la vérité scientifique ni à une quelconque vérité révélée… Chaque enseignant en architecture mêle dans son discours des références culturelles, historiques et des points de doctrines : ses convictions… »29 Pour être plus précis dans ce débat, il faudrait cependant aller plus loin dans ce qu’on considère comme une doctrine ou non. Quelle distinction entre opinions, visions, tendances, mouvements architecturaux et doctrines ? En tout cas, nombreux sont ceux qui veulent aujourd’hui dépasser les débats et guerres de doctrine.

Quels sont les dispositifs dont il faut se doter pour donner la capacité aux étudiants de produire de l’architecture plutôt qu’une architecture unique. Quels sont les compétences fondamentales que l’on attend des futurs architectes ? Si les enseignants ne s’appuient pas sur la formulation d’une doctrine, sur quoi s’appuient-ils alors ? Quels sont leurs outils ?

La théorie semble être une réponse possible, et plus particulièrement la théorie de la conception et la théorie de l’enseignement du projet architectural. Cependant, « il n’existe ainsi pas vraiment de consensus autour de la notion de compétence notamment à cause de la difficulté (voire la résistance que peuvent opposer ces mêmes professionnels !) que peuvent avoir les enseignants de Théories &Pratiques de la Conception Architecturale et Urbaine(TPCAU) à s’emparer des travaux de recherche en science de l’éducation qui peuvent se révéler abscons en l’absence des bases 28 SHATZ Françoise, 2002 : « La correction dans l’enseignement du projet : observation et référenciation» , In Conception d’architecture, 276 p.

29 CHEVRIERE Pierre, 1999 : « Dire l’architecture », Paris, l’Harmattan, 1999, p.144 cité par SHATZ Françoise, 2002 : « La correction dans l’enseignement du projet : observation et référenciation» , In Conception d’architecture, p. 176

22 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

théoriques adéquates. » (Paris, 2017). Ainsi, le champ de la pédagogie de la conception reste largement inexploité par la recherche (Paris, 2017). Pourtant, dès la fin des années 90 - à un moment où le débat sur la scientificité de l’architecture battait déjà son plein - il s’agissait déjà de réfléchir à un enseignement portant sur les articulations de ce couple infernal théorie/pratique (Frébault et al, 1993, p.14). Certains auteurs ont essayé d’apporter des pistes de réflexions pour essayer de sortir de cette indéfinition théorique. « Ces opérations de conception permettent aussi de construire un enseignement de studio (ou de projet) qui permet d’échapper à trois écueils récurrents dans les ENSA : répliquer et reconduire la formation qu’on a reçue, imposer ou introduire un style, une doctrine et des choix esthétiques » (Hoddé, 2018, p.157). La dénonciation de ces fameux écueils se retrouvent dans les actes de différents colloques étalés sur à peu près 20 ans.

De plus, on note que la relation que les architectes ont avec l’écrit est tout à fait particulière. La culture du faire, intrinsèque à la conception architecturale semble s’opposer à une culture de l’écrit. Est-ce que le faire implique forcément l’oralité ?

Cette hypothèse peut se révéler intéressante si on considère qu’historiquement, l’enseignement était plutôt assimilé à de l’apprentissage, dans une relation maître/élève ou maître/apprenti où le geste et la parole avaient toute leur importance (Lambert, 2014). Cette opposition peut être mise en perspective par le fait que les écoles d’architecture ont la particularité d’être à cheval sur deux mondes : le monde professionnel et le monde universitaire.

Ce sujet est d’ailleurs tout à fait d’actualité car l’ensemble des ENSA, depuis février 2017, a vu ses statuts réformés. Cette réforme, vise à « favoriser les coopérations de toute nature avec les entités d’enseignement et de recherche de notre paysage national. La réforme va également repositionner de façon très nette les ENSA en tant qu’acteurs territoriaux et nationaux des politiques publiques, en donnant en particulier un nouvel essor au développement des initiatives d’éducation artistique et culturelle. Grâce à elle, les écoles pourront répondre avec efficacité aux défis professionnels, sociétaux et environnementaux qui se posent aujourd’hui »30. Mais l’un des éléments phare de cette réforme repose surtout sur l’évolution du statut des enseignants-chercheurs : « le statut d’enseignantchercheur, rassemble – c’est le sens du statut fixé par le décret n° 2018105 – tous les enseignants et chercheurs titulaires des ENSA, quelles que soient leurs appartenances disciplinaires. »31. Cette mesure vise à valoriser la recherche dans les ENSA et pousse notamment les enseignants titulaires à se lancer dans des activités de recherche32.

Elle rapproche donc les ENSA du reste des établissements sous tutelle du Ministère de l’Education Supérieure et de la Recherche33.

30 « Enseignement d’architecture, une réforme d’avenir », mise en ligne le 23-05-2018, disponible sur : culture.gouv.fr 31

Ibid

32 En 2005, les école d’architecture s’alignent sur la structure européenne des diplômes, le système LMD : Licence, Master, Doctorat.

Ceci marque un nouveau rapprochement avec le monde universitaire et le fait que l’architecture est finalement intégré comme champ disciplinaire scientifique. C’est-à-dire que d’une recherche SUR l’architecture, il y a l’ambition de passer à une recherche EN architecture.

33 Les écoles d’architecture sont sous la tutelle du Ministère de la Culture.

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

Cependant, cette réforme n’est pas vue d’un bon œil par tous les acteurs. Ce sont notamment les enseignants architectes praticiens qui expriment leurs inquiétudes : « Et puis il y a un autre truc c’est que y a le problème élan34, les réformes et puis entre le statut des universitaires et le statut des praticiens bah… dans les commissions qui font le recrutement il va y avoir de plus en plus d’universitaires donc il va y avoir de plus en plus d’universitaires au détriment de praticiens du coup ça va forcément… c’est le danger…alors moi je donne ma version praticien…» Frédéric G. « Il ne faut pas que les enseignants qui sont aussi praticiens ne deviennent que de simples intervenants en mal de reconnaissance, indique Marie Clément, qui travaille également en agence. Les chercheurs doivent aussi faire de la pratique. La recherche en architecture ne doit pas être calquée sur le modèle universitaire »35 Ces deux témoignages cristallisent des tensions qui montrent que le domaine de l’architecture à encore de nombreuses questions sans réponse. Mais cette contradiction est tout à fait logique à l’heure où la recherche en architecture, à travers le doctorat notamment tente de structurer. Les débats tumultueux autour de la recherche par le projet montrent que la discipline cherche encore à définir sa spécificité. Cependant ce débat n’est pas nouveau car « il y a un conflit entre la légitimité de la pratique du projet et la nouvelle légitimité universitaire acquise après 68 » (Dayot, 2014, p.184) Outils et contraintes quant à l’explicitation du projet pédagogique « Dès que j’ai dû expliquer ce que je faisais à UP7 puis à UP836 34 La loi ELAN porte sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. Elle est présentée en Conseil des Ministres le 4 avril 2018 et publié le 24 novembre. Cette loi a fait l’objet d’une très grande mobilisation de la profession qui estimait qu’elle allait porter atteinte à la qualité de la production du logement. Dès le 2 Mai, 81 diplômés de l’ENSA Lyon lance « l’Appel de Lyon », une pétition signée par plus de 3500 personnes. Le 17 Mai, la profession (l’Ordre des Architectes, des syndicats, des architectes, des enseignants et des étudiants) se mobilise un peu partout en France pour dénoncer cette loi. Des tables rondes sont organisées avec d’autres acteurs du bâtiment comme les bailleurs sociaux par exemple qui sont plus directement touchés par cette loi. (sources : droit-finances.commentcamarche.com, architectes.org) 35 BROUCK Thais, « 5 clés pour une réforme des écoles d’architecture », mise en ligne le 24-01-2013, disponible sur : lemoniteur. fr 36 Les Unités Pédagogiques sont mises en place en 1968 après que l’enseignement de l’architecture ai été détaché de l’ENSBA (Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts). L’UP7 correspond à l’Ecole d’Architecture Paris Tolbiac qui sera par la suite supprimée. L’UP8 est devenue en 1986 l’Ecole Nationale Supérieure de Paris-Belleville et accueille notamment d’anciens de l’UP7.

à mes futurs associés, dès que j’ai dû faire l’effort intellectuel de m’expliquer, non plus aux étudiants pour faire des projets, mais à d’autres enseignants, je peux dire que j’ai construit une pédagogie. Une pédagogie n’est est pas une tant qu’elle n’est pas clairement expliquée à ses pairs. La formation du groupe UNO s’est faite sur la base de cette pédagogie qui a été mise par écrit ; c’est la différence entre un et quatre. Ce qui est mis par écrit, c’est ce qui peut être partagé. Ce qui a été élucidé et qui est partagé par tous. Une pédagogie n’est pas quelque chose qui est le produit d’un » Aujourd’hui, la question de l’explicitation passe notamment par l’écriture de fiche d’enseignement, que ce soit pour le projet ou bien pour les enseignements transversaux. Ces fiches sont disponibles sur le portail Taiga37 et contiennent différents paragraphes : objectifs pédagogiques, contenu, mode d’évaluation, travaux requis, bibliographie, support de cours. Les enseignants étant toujours livrés à eux-mêmes (Hoddé, 2018, p.150), on peut se poser la question suivante : constituent-elles un réel outil pour construire, expliciter et partager une pédagogie ou s’agit-il d’une simple contrainte administrative ? Dans son travail, Paris met évidence la manière dont les enseignants de TPCAU perçoivent ce cadre plus ou moins contraignant. Néanmoins il souligne que : « ce sont eux (les architectes) qui savent, ce sont eux qui sont à même d’expliquer ce qu’est l’architecture face à un système administratif qui se trouve en dehors de cette sphère professionnelle. L’administration s’efforçant ici, tant bien que mal de guider les enseignants à faire rentrer leurs ambitions dans un cadre pédagogique à la fois national et européen. Les enseignants expriment pour certains une mise en tension entre la volonté de cadrer les choses, d’objectiver, de critériser les exigences (louable théoriquement mais jugée comme trop « scolaire ») avec la nécessité d’une évaluation qualitative davantage centrée sur la singularité de l’étudiant. » (Paris, 2017, p.26) Bien entendu, ces fiches mériteraient une analyse plus poussée mais il est intéressant de noter que peu de fiches concernant les projets de licence font état d’une véritable bibliographie alors qu’elle est systématique en master. Est-ce simplement le produit de la rénovation récente du cycle master à l’école d’architecture de Lyon ou le fait que l’enseignement de licence reste un impensé ?

Ou encore que la bibliographie est-elle facilitée par les différentes colorations qui existent en master ? De quel corpus théorique parle-t-on ? S’agit-il d’écrits d’architectes sur leur pratique, sur l’architecture, de travaux de recherches, de travaux sur les sciences de l’éducation, de sciences sociales ?

La question de la bibliographie, ou plutôt du corpus théorique est centrale car elle était quasiment absente dans le discours des enseignants enquêtés. On pourrait l’envisager comme la cristallisation des rapports compliqués du trio infernal : ThéoriesDoctrine-Pratiques. La question n’a pas été posée explicitement mais spontanément, ce sont surtout les références aux enseignants marquants ou à la pratique professionnelle qui ont été mobilisés 37 Portail commun à toutes les ENSA qui permet notamment d’accéder aux bulletins de note et aux fiches d’enseignement

Sociabilités en atelier

23

pour parler de la construction de leur enseignement. Deux enseignants m’ont cependant renvoyé avec insistance à la description de l’enseignement de projet qu’ils dispensent en master (envoyé au préalable par mail). L’une de ces notices est très détaillée et imagée et n’est pas sans rappeler le témoignage de Ciriani sur la dimension collective d’une pédagogie. L’introduction appuie par ailleurs sur le fait que l’équipe ait fait appel à un expert de la pédagogie pour construire leur projet d’enseignement. Celui-ci a donc été un intermédiaire entre les enseignants et un corpus théorique issu principalement des sciences de l’éducation. On observe donc que les enseignants ne sont pas tous égaux sur le thème de la pédagogie. Tout dépend de l’intérêt qu’ils y portent et des moyens qu’ils se donnent pour structurer un enseignement cohérent. Sachant que les ressources théoriques (sur la conception architecturale) et administratives sont limitées. Un des enquêtés disait à ce sujet : « Dans les sciences de l’éducation, la dynamique de projet peut s’appliquer à n’importe quel objet. Et dans les écoles d’ingé ils cherchent maintenant beaucoup à instaurer des enseignements par projet. Sous l’impulsion d’ailleurs des québéquois et de toute la communauté francophone. Il y a une raison, c’est-à-dire que ça engage un certain nombre de compétences, ça développe un certain nombre de capacités donc là y a un socle et y a une approche du mode de fonctionnement de l’enseignement que je soupçonne absente chez les enseignants de projet [en école d’architecture] qui n’ont pas le temps de se pencher sur ces questions-là. [...] [L’approche par compétences permet de] décoller de l’enseignement de la discipline architecture pour voir ce que ça veut dire enseigner et qu’est-ce que ça veut dire apprendre pour les étudiants. Donc qui donne un peu les questions que tu poses qui ont été des questions très pertinentes lors de la réécriture du nouveau programme y a maintenant 6 ou 8 ans. On avait formé l’ensemble des enseignants à ça mais les enseignants de projet qui sont souvent des praticiens n’ont pas le temps de se poser ces questions-là… » Jean O.

ENSA s’inscrivent en effet dans un cadre français et européens qui impose un découpage des études un 3 cycles (Licence, Master, Doctorat). De plus, comme n’importe quel établissement d’enseignement supérieur, les ENSA sont soumises à l’évaluation du HCERES39 ayant pour but l’amélioration des formations.

Enfin, au niveau de l’ENSAL ? les études sont structurées à travers différents champs disciplinaires40 qui participent à un ou plusieurs enseignements. Les enseignements, regroupés en UE (Unité d’enseignements), sont chapeautés par un enseignant responsable d’une équipe pédagogique. Il y a donc par exemple, pour la Licence à Lyon, un enseignant responsable pour chaque semestre de projet. Malgré tout, ce sont bien les enseignants qui sont légitimes pour élaborer les programmes à travers des instances comme la CFVE41. Mais vu l’état de la recherche en architecture et le manque de formation des enseignants, on peut s’interroger sur la manière dont l’enseignement peut être mis en cohérence. Et à ce titre, comment un consensus sur les compétences visées peut se créer afin d’installer une progressivité dans l’enseignement ?

Lors de la formulation du dernier quadriennal42 à l’école de Lyon de nombreux efforts ont été faits pour intégrer les enseignements transversaux aux cours de projet. En conséquence, plusieurs enseignements de projet sont co-construits avec d’autres disciplines en licence (art, sociologie ou construction par exemple).

Concernant les enseignements de projet en licence cependant, ils semblent s’enchainer sans qu’il y ait de cohérence apparente43 du moins sur la diversité des thématiques abordées. Peut-être que cette cohérence s’opère à travers la complexification des exercices et donc des compétences visées. Certains souligneront pourtant qu’il n’existe pas de petit projet en architecture. Autrement dit, la conception d’un cabanon demande le même niveau d’exigence qu’un immeuble de logement collectif ou un musée.

Cette remarque est d’autant plus intéressante que ce sont des diplômés en architecture qui sortent des écoles et non des architectes38. Dans un contexte où le monde professionnel se recompose, nombreux sont les étudiants qui se tournent vers d’autres métiers de la maîtrise d’œuvre, de la maîtrise d’ouvrage ou changent même complètement de domaine.

La cohérence de l’enseignement, se pose tout particulièrement lors du départ d’un enseignant. Lorsque je suis arrivée à l’Ecole d’Architecture de Lyon en 2014, j’ai fait partie de la dernière promotion ayant effectué son premier semestre sous la direction de Marc Baraness. Ce semestre était marqué par deux exercices différents : « l’atelier d’artiste » et la « maison entre deux murs ».

Après son départ, ce semestre 1 a été complètement remplacé par un exercice totalement différent, un exercice portant sur le récit et où l’accent est mis sur un site et des matériaux. Etant donné que les enseignants envisagent l’architecture de manière extrêmement différente, j’ignore comment ce nouvel enseignement se

Entre projet pédagogique personnel et diversité des pratiques : quel projet d’école

39 Haut Conseil de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

L’enseignement du projet apparaît comme une somme de dispositifs pédagogiques où chaque enseignant choisi ce qu’il transmet et la manière dont il le transmet. Cette observation pose la question du rapport entre la matrice (l’école) et les grains (les enseignants) de la matrice ? Le terme de somme n’est en réalité par tout à fait exact car il existe en effet différents niveau de cadrage administratif. Les

40 STA : Sciences et Techniques pour l’Architecture, SHSA : Sciences Humaines et Sociales pour l’Architecture, ATR : Arts et Techniques de la représentation, etc.

41 Commission des Formations et de la Vie Etudiante. Emanation du CPS (Conseil Pédagogique et Scientifique), nouvelle instance mise en place par la réforme des ENSA de février 2017 remplaçant la CPR (Commission de la Pédagogie et de la Recherche).

42

38 Pour porter le titre d’architecte, il faut, entre autre, passer la HMONP (Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre)

24 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

Programme pédagogique pour 4 ans

43 Les enjeux ne sont pas les mêmes en Master car les étudiants ont le choix du DEM (Domaine d’Etude de Master)

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

positionne par rapport à l’ancien. Bien que différent, est-ce que ce sont les mêmes compétences qui sont visées ? Y-a-t-il eu une passation entre les enseignants ? Cet enseignement se place-t-il explicitement en rupture avec l’ancien ou dans une continuité ?

On touche ici la question du projet pédagogique de l’Ecole, de l’identité pédagogique qu’elle se donne et de la pérennité de cette identité. Poussons la réflexion jusqu’au bout, si à un enseignant correspond un contenu adossé à sa vision de l’architecture et une manière de transmettre ce contenu alors, lorsque l’enseignant disparaît son enseignement ne lui survit pas. L’enseignement est alors de fait intrinsèquement liée à la personne et donc difficilement partageable avec d’autres enseignants. Par ailleurs, Cette caricature permet de mettre en évidence la distinction entre ce qui relève dans le contenu transmis, de l’expérience personnelle et du contenu universel au sens où il est partagé par tous. Dans ce contexte, comment s’assurer de ce que les étudiants ont appris ?

Même à l’échelle d’un semestre de projet, une grande liberté est laissée à chaque enseignant quant aux choix des dispositifs pédagogiques comme le souligne bien Frédéric G. :

Avant de présenter ces pratiques. Il est nécessaire de comprendre quelques éléments structurants dans le cursus et dans l’organisation de l’atelier. A Lyon comme dans de nombreuses école, la troisième année est un cap important car c’est la fin du premier cycle : la licence. De même, la cinquième année, année du PFE est très intense. Ce sont donc deux étapes clés.

Ensuite, il est important de noter que les rendus, ou jurys sont des moments structurants dans la vie de l’atelier et ce peu importe l’année. C’est le moment de la présentation de l’aboutissement d’un travail s’effectuant sur un semestre dans la majorité des cas.

Et même si le contrôle continu est parfois pris en compte, c’est à ce moment qu’est donnée la note finale. L’enjeu est donc assez grand. La dernière séance avant le rendu est donc très importante car c’est en quelque sorte la dernière chance pour se rattraper. Les autres séances « classiques » seront rythmées, pour la plupart, par des temps individuels de face à face avec l’enseignant et des temps individuels.

« Par exemple là sur la licence, très pragmatiquement, vous arbitrez comment entre les temps collectifs et les temps individuels par exemple ? Alors ça c’est pas écrit, c’est très intuitif. Il y a un cadre qui est très écrit, sur les attendus de rendu, sur l’organigramme. Il y a un timing et un rythme de projet qui est très cadré. Après sur les approches des 8 enseignants… Au-delà des cours magistraux qu’on fait parfois à plusieurs… Après on est assez libre sur la manière d’organiser les choses. Donc il y a des temps de restitution de tout le groupe et des temps qu’on passe avec chacun. C’est un peu en fonction de l’actualité et des difficultés ou des facilités et de l’hétérogénéité ou de l’homogénéité du groupe. Cette année c’était un groupe assez homogène. » Frédéric G. Là encore, le caractère intuitif de l’organisation de l’atelier est cohérent car les enseignants ne possèdent aucune formation. * Il existe un consensus sur la diversité des approches dans un contexte d’indéfinition de la discipline, ou une cohabitation des dissensus (Paris, 2017, p. 29). Cette indéfinition de la discipline provient principalement du fait que la recherche (en architecture) se cherche, tiraillée entre Théories et Pratiques de l’architecture.

Les enseignants, livrés à eux-mêmes n’ont pas d’autres choix que de s’en remettre à leur expérience personnelle. De plus, tous ne peuvent pas ou ne veulent pas s’intéresser aux sciences de l’éducation pour les aider à faire un enseignement cohérent.

Enfin, les approches personnelles de chaque enseignant peuvent rentrer en conflit ou au contraire, se rassembler.

Néanmoins, il existe un consensus tacite sur la forme d’enseignement consacré : le projet et l’atelier ou studio. Dans ce cadre commun, les pratiques sont diverses. Le cadre formel et les objectifs pédagogiques fixés par l’enseignant référent de semestre laisse quand même une grande latitude aux différentes pratiques, notamment sur l’organisation des séances de projet comme nous allons le voir dans la suite.

Sociabilités en atelier

25

b. Mise en pratique de l’enseignement en atelier de projet.

Réception des étudiants face à la diversité des pratiques Ici, nous allons nous pencher sur les différentes pratiques d’enseignements au travers du point de vue des étudiants. Pour cela, des typologies d’organisation d’atelier ont été dressées, nous permettant ainsi d’analyser ce qu’elles peuvent engendrer sur les comportements étudiants. Comme annoncée dans la note méthodologique, l’analyse s’appuie sur les entretiens étudiants et les résultats du questionnaire en ligne.

Q.9 : Globalement, depuis le début de tes études d’architecture, comment ont été organisées les séances d’atelier de projet?

La revue de projet individuelle

La revue de projet individuelle est principalement basée sur un face-à-face avec l’enseignant. Au cours de ce face-à-face, l’étudiant présente l’avancement de son projet d’une semaine à l’autre puis l’enseignant lui fait son retour. Ce retour peut prendre la forme d’un monologue de l’enseignant ou d’un véritable dialogue. L’enseignant donne des pistes de réflexion, de solutions pour aider l’étudiant à avancer. Souvent, l’enseignant dessine sur un carnet ou sur les éléments (plans, coupes, dessins…) que l’étudiant a apporté pour montrer son avancement. Le temps consacré à chaque étudiant semble varier entre un quart d’heure et quarante minutes en moyenne. Enfin, certains enseignants vont prendre en note les éléments clés de chacun des projets comme aide-mémoire.

*

Le face-à-face avev l’enseignant (S. Collin)

* Revue collective par petits sous-groupes d’étudiants à la table Revue collective à la table puis revue individuelle à la table Revue individuelle avec prof qui se déplace de table en table Etc.

* La répartition des résultats montre que l’organisation des ateliers est très diversifiée. Pour ceux qui ont mis des réponses autres, ils confirment cette tendance en soulignant qu’ils ont déjà rencontrés tous les cas de figures en fonction des enseignants. On voit néanmoins que la revue individuelle est la plus représentée.

26 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

Pendant la revue individuelle, d’autres étudiants peuvent écouter ce que l’enseignant dit à leur camarade. Cette écoute peut être plus ou moins périphérique (c’est-à-dire à la table ou plus loin), plus ou moins passive (interventions des autres étudiants ou non), et encouragée par l’enseignant ou non.

Ces revues vont prendre deux formes principales : soit les étudiants se déplacent vers l’enseignant, soit l’inverse.

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

Un ou plusieurs enseignants se déplacent

Les étudiants se déplacent vers l’enseignant

L’enseignant se déplace de tabe en table (S. Collin)

Les étudiants se déplacent et en profitent pour écouter (S. Collin)

*

*

Dans ce cas de figure, les étudiants sont installés à des tables individuelles ou par groupe (par affinité surtout) et l’enseignant se déplace de table en table. C’est lui qui choisit l’ordre de passage.

Il se dirige donc à sa guise ou vers les étudiants qui insistent pour le voir.

Ici, ce sont plutôt les étudiants qui choisissent le moment où ils vont voir l’enseignant. Celui-ci est assis à une table ou une tablée et voit défiler les étudiants. Les étudiants vont alors s’organiser de manière tacite pour déterminer un ordre de passage ou alors l’écrire formellement sur une feuille qui sera soit donnée à l’enseignant, soit gardée par les étudiants sans forcément que l’enseignant soit au courant. Cette liste de passage peut dans certain cas faire l’objet de tensions entre les étudiants comme le raconte Anne.

« Après ce qu’il s’est passé aussi au semestre 1, c’est que chaque étudiant était dispersé pour travailler un peu partout et c’était l’enseignant qui se déplaçait qui demandait qui cherchait à le voir, donc la différence du coup, à part pendant le semestre 4, c’est impossible de se poser à la table et d’écouter, parce qu’il aurait fallu suivre l’enseignant… ça pouvait pas trop se faire… » Marc « Du coup, là quand il venait vers nous, là pour le coup je bossais le projet parce qu’on savait jamais si on allait le voir ou pas vu que du coup c’était un peu lui qui choisissait qui il voyait mais du coup c’était un peu plus stressant parce que tu pouvais un peu moins t’organiser, moins préparer ton truc mais sinon ça allait.» Maud Avec ce système, Marc et Maud trouvent l’écoute plus difficile car il est compliqué de suivre l’enseignant dans son parcours aléatoire.

De plus, le fait de ne pas connaître le moment où l’enseignant va venir oblige à rester à sa table et à travailler son projet car l’enseignant ne viendra jamais à une table vide. Les étudiants sont donc un peu plus soumis au bon-vouloir de l’enseignant à moins qu’ils se manifestent et insistent. « Et puis pour l’ordre il choisissait comment ? Il allait aléatoirement vers des gens ?

- C’était super compliqué parce que, surtout avant les rendus, on avait beaucoup besoin d’aide, au début il allait aléatoirement ça nous plaisait pas. Du coup y’en a qui demandaient, ceux qui insistaient le plus souvent. Fallait faire la queue, fallait insister, mais après [au final il a fini par aller] voir ceux qui étaient plus en difficulté [avant le rendu]» Clara

« Et l’atelier il est organisé comment par ton enseignant ? ça marche comment ?

- Alors, en fait il est en bas à une table et puis on fait plus ou moins une liste de passage qui finit plus ou moins en dispute générale parce qu’on est en L3 et y’en a, c’est un peu des gamins et tout le monde a plus ou moins des impératifs alors que c’est pas vraiment le cas et ducoup on passe selon l’ordre de passage. Mais l’ordre de passage est fait en scred [en secret NDA] plus ou moins à 10h pendant l’étude de cas. Donc ça veut dire que tout ceux qui sont à côté de la personne qui commence l’étude de cas passe en premier et les autres qui sont à l’autre bout de l’amphi passent en dernier quoi. Donc catastrophe quoi. Donc c’est une organisation digne du CP » Anne «Tu m’as un peu parlé de l’ambiance en atelier, que c’était bon enfant on pourrait dire…

- Alors en fait au début oui, mais là il y a quelques semaines, je pense que c’est à cause de la pression et que tout le monde est un peu HS mais du coup y’a eu un peu des tensions à cause des listes de passage alors qu’on s’en fout un peu mais ça vraiment un peu créer des tensions pour rien donc c’était un peu dommage mais après…

- Pourquoi des tensions sur les listes de passage du coup ?

- Et parce qu’en fait personne n’arrivait à se mettre d’accord et vu que tout le monde est un peu stressé ça partait vite pour rien.» Maud

Sociabilités en atelier

27

D’après Anne, certains vont s’approprier cette liste le plus tôt possible de manière à être sûr d’être placé en bonne position. La liste devient alors une sorte d’outil du pouvoir entre les étudiants qui va créer des inégalités entre les individus. En effet, passer dans les premiers donne plus de chance de passer du temps avec l’enseignant alors que les derniers peuvent se retrouver pressés par le temps, voir dans le pire des cas, ne pas passer. En troisième année, le temps est compté, l’exercice est complexe, la quantité d’éléments à produire est élevée et le redoublement du projet impossible sous peine de ne pas pouvoir partir en Erasmus ou de ne pas pouvoir entrer en Master. Dans un contexte où les enjeux sont si importants, beaucoup ne veulent pas prendre le risque de ne pas voir l’enseignant car après tout, c’est lui et lui seul qui note. « D’accord. Euh est-ce-que tu penses que ta posture, ta participation en atelier elle a un peu évolué depuis que t’es arrivée ?

- Justement on en parlait je sais plus quand… Et on se disait qu’en fait les premières années, ou même la deuxième, on ne voyait pas toujours les profs de projet mais des fois on ne voulait pas les voir.

Alors que maintenant c’est vraiment inconcevable de pas voir le prof de projet pour la séance de projet. Du coup, ouais je pense que ça, déjà ça a changé.

- Ah ouais comment ça se fait du coup ?

- Justement on se demandait comment c’était possible parce que vraiment maintenant c’est la panique si on voit pas le prof donc. Peut-être parce que y’a plus de pression, le projet est plus compliqué etc. Je pense que ça doit être pour ça. Mais ducoup ça ouais c’est un des gros changements, et puis aussi plus de travail. Mais c’est aussi plus intéressant je trouve. » Maud « C’est ce qui peut être de l’ordre du détail, mais [il faudrait] organiser les passages en fonction des horaires, des créneaux, ce genre de chose, pour qu’il y ait une forme d’équité un peu dans le temps, pouvoir organiser sa journée en fonction de son passage avec l’enseignant, mais je pense que le fait que l’enseignant soit à sa table pour attendre que les étudiants défilent et que la table soit assez grande pour accueillir tous ceux qui désirent écouter c’est très bien comme manière pour fonctionner, parce que les premières fois ça peut être très intéressant et enrichissant d’écouter les projets des autres, pourtant des fois, quand il s’agit de produire, il faut produire et ça nous… ça peut être une perte de temps, même si c’est toujours intéressant. » Marc Pour Marc comme pour d’autres étudiants, ce mode de fonctionnement permet d’aller écouter les remarques de l’enseignant à tout moment. Certains étudiants le font lorsqu’ils attendent leur tour. Cela leur garantit ainsi de garder leur place (de ne pas se faire doubler dans l’ordre de passage) en signifiant à l’enseignant qu’ils sont les prochains sur la liste. Mais cela permet aussi de profiter des critiques de l’enseignant à l’égard du travail d’autrui car certaines peuvent aussi s’appliquer à leur propre projet. La configuration de la tablée ou table ronde va notamment favoriser ce type de phénomène car elle peut aussi permettre à

28 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

plusieurs étudiants de travailler tout en écoutant de manière plus ou moins active. Certains enseignants vont réellement essayer de valoriser ce processus d’écoute en l’intégrant à leur pédagogie. « Donc en S4, Monsieur M., c’était un prof qui était énormément dans la pédagogie, donc, outre le rendu qui était finalement assez classique […] Outre ça, quand on était en projet, régulièrement, quand on lui montrait notre avancée de travaux, on était par deux, et quelqu’un, le deuxième écoutait et prenait des notes pour le premier qui passait en ensuite le premier partait, et un deuxième arrivait pour prendre des notes pour celui qui en avait pris le tour d’avant. Et du coup c’était la première fois que je voyais ça, que je comprenais que voilà, ça marchait, on était pas tout seul. Et ça c’était super intéressant d’avoir un prof qui était dans la pédagogie» Victoire Le fait d’avoir un secrétaire permet à l’étudiant de se concentrer sur le dialogue avec l’enseignant et d’avoir une trace de l’échange qu’il pourra par la suite commenter et relativiser avec l’étudiant scribe. Ce genre de dispositifs pédagogiques reste cependant assez marginal. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Victoire précise bien que cet enseignant était particulièrement pédagogue. On peut donc supposer qu’il s’intéressait véritablement à la pédagogie en tant que telle et aux outils de transmission.

Il était difficile de déterminer à quel point la pratique de l’encouragement à la critique de projet pouvait être répandue ou non, même avec le questionnaire en ligne.

Q.10 : Depuis le début de tes études d’architecture, ton enseignant de projet t’as encouragé à participer à la critique de projet (la tienne et celle des autres).

* En effet, on a une répartition quasi homogène entre les deux pôles jamais et systématiquement. Ensuite, cette question ne portait pas spécifiquement sur la revue individuelle, difficile donc de savoir si les répondants s’intéressaient aux séances de projet

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

classique ou aux rendus. De plus, l’encouragement n’a pas été défini précisément. Parle-t-on d’un encouragement oral d’ordre général ou de véritables dispositifs pédagogiques (comme vus précédemment) permettant de servir un but (ici, la critique de projet).

Les étudiants ont quand même tendance à valoriser l’écoute qu’ils jugent « intéressante » mais précisent que cela ne doit pas se faire au détriment des moments dédiés au travail individuel et à la production en atelier.

L’affichage

L’affichage (S. Collin)

*

« Et du coup vous affichez jamais collectivement, enfin je parle pas des rendus, je parle des cours de projet, il fait pas d’affichage où tout le monde peut voir les projets des autres ?

- Mon enseignant actuel ne fait pas ça mais au premier semestre, j’étais avec Monsieur T., et on faisait ça. En fait on affichait tous puis ensuite on faisait tous le tour ensemble.

- Et est-ce-que ça faisait une différence selon toi ?

- Euh franchement ouais. Oui parce que quand on affiche déjà je pense qu’il y a plus de pression parce qu’on montre explicitement à tout le monde ce qu’on a fait, à quoi ça ressemble, donc ça rend le truc beaucoup plus formel et peut être que c’est moins facile pour les autres, pour l’enseignant je sais pas mais, pour les autres c’est peut-être moins facile de s’intéresser et de s’approprier notre projet. Ça fait très formel. Ça fait déjà un truc qui peut être déjà fini même si en fait c’est 2 croquis d’esquisse et un concept qu’on a affiché. Ça met de la distance ». Denis Selon Denis, c’est justement ce côté formel qui rend l’affichage intimidant. De plus, cela invite moins les autres étudiants à s’impliquer, peut-être parce que l’affichage fait trop penser au rendu. Plus loin dans l’entretien, Denis explique que cette forme n’est en effet pas la plus à même de créer de la convivialité. Enfin, cette forme va permettre de se comparer et de se mesurer aux autres. Elle peut notamment impliquer des mécanismes plus ou moins conscient de surenchère, pour impressionner l’enseignant par exemple. Mais nous l’aborderons plus en détail dans la seconde partie.

Certains étudiants voient néanmoins les vertus que peut avoir l’affichage car il permet justement de s’entrainer à présenter quelque chose même si cela peut mettre la pression. Pour Jade, l’affichage permet justement de dédramatiser.

La dernière forme de revue individuelle est l’affichage. Dans ce cas, tous les étudiants affichent leur état d’avancement (sous forme de dessins, plans, coupes, maquette, etc.) sur les murs de l’atelier et l’enseignant circule de projet en projet. L’étudiant concerné se met à côté de son travail et présente l’état de ses réflexions. Des petits groupes d’étudiants peuvent suivre derrière l’enseignant au fur et à mesure qu’il circule. L’affichage s’assimile beaucoup à des formes de rendu classique et permet à l’ensemble de l’atelier d’avoir une vision d’ensemble sur le travail des autres.

Sociabilités en atelier

29

La revue de projet collective ou semi-collective

de deux manières différentes : soit l’enseignant fait des remarques sur les projets les uns après les autres en incitant plus ou moins les autres étudiants à participer, soit l’enseignant fait un retour global sur la séance précédente, sur un exercice en particulier ou fait une petite intervention de type cours magistral sur une thématique qu’il a déterminée. Ce temps collectif peut avoir une visée pédagogique (faire participer activement les étudiants) et/ou utilitaire (éviter de se répéter). « L’année dernière au S4 où c’était un peu plus collectif parce que le prof voulait pas répéter 20 fois les mêmes choses donc du coup il faisait des corrections plutôt collectives. […] On était tous autour de la table, il corrigeait un projet à la fois. De manière générale j’écoutais parce que tout ce qu’il disait c’était valable pour tous nos projets donc y’avait pas d’intérêt à pas écouter.

- Et donc les fois où c’était collectif, c’était surtout le prof qui parlait où y’avait d’autres gens qui réagissaient ?

- Non c’était surtout le prof qui parlait. En S4 on a fait du logement donc c’était beaucoup de rigueur donc on a fait beaucoup de réglementation en fin de compte. Il commentait…

Oui c’était très commenté par le prof et très peu de réactions des élèves. » Anne « Est-ce-que tu peux détailler un peu plus ? Le prof il parle avant, qu’il vous encourage à parler ? Comment il gère le truc un peu ?

- Il nous encourage plutôt à parler mais comme on n’est pas très bavards, il prend le relais. Il essaye un peu de lancer des discussions pour faire ça, il s’appuie en fait sur des trucs qu’on a fait la dernière fois, sur ce qui nous a demandé de faire pour la séance et aussi sur des trucs auxquels il a pensé lui, qu’il a cherché de son côté. Par exemple, pour donner un cas concret, la dernière fois, il nous avait demandé à la fin de la séance de projet de lui faire 2 dessins très rapides du quai de Saône avant et du quai de Saône après même si notre programme n’était pas fixé. Il fallait juste lâcher un truc rapidement, du coup on a fait ça à la toute fin et il a commenté en groupe chacun de nos dessins » Denis

Les différentes configurations de revues collectives (S. Collin)

* La revue de projet collective se déroule généralement autour d’une grande tablée. La plupart du temps, c’est l’enseignant qui va prendre la parole et diriger ce temps. Ce moment peut être utilisé

30 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

Là encore, les étudiants ont plutôt tendance à valoriser le temps d’écoute que permet ce dispositif. Ils restent néanmoins assez passifs, c’est l’enseignant qui a le monopole de la parole. Cela peut s’expliquer par un manque de connaissance dans le cadre d’un exercice qui est tout nouveau comme le souligne Anne pour le projet de logement. Dans ce cas, on est véritablement dans une relation de sachant/non-sachant, comme dans un cours magistral où il s’agit d’amener des savoirs. Dans un autre contexte, même quand l’enseignant essaye de faire participer les étudiants, l’exercice peut se révéler difficile. De nombreux facteurs peuvent rentrer en jeu pour expliquer ce mutisme des étudiants : la timidité, le manque d’habitude, la peur de blesser ses pairs, le manque d’intérêt, le manque de confiance en soi, un manque de légitimité, etc. En fait, l’intervention des étudiants pour faire des critiques constructives, notamment sur le projet des autres fait appel à différentes compétences et savoir-êtres que les étudiants vont acquérir au fur et à mesure des études, à défaut d’avoir des dispositifs pédagogiques ciblés pour les développer dès la première

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

année. Autrement dit, c’est une aptitude qui se développe à priori avec l’expérience mais nous l’aborderons plus en détail dans la troisième partie. On peut néanmoins se demander s’il ne serait pas intéressant de mettre au point ces dispositifs le plus tôt possible dans le cursus, surtout dans un cadre comme celui de l’atelier qui pousse à d’autres formes d’apprentissage que ne permettent pas les cours classiques (basé sur la transmission d’un sachant). Rainier Hoddé va d’ailleurs opposer une pédagogie dite magistrale avec la pédagogie allostérique. Cette dernière est « une approche mettant en interaction le sujet psychique, le sujet social et l’activité mentale qui est nécessaire » qui permet de mettre en relation « ce que l’on sait déjà, ce que l’on est avec ce que l’on doit apprendre 44».

Contrairement à la pédagogie magistrale, l’approche allostérique garantie que l’apprenant fixe véritablement des connaissances en allant au-delà de la simple satisfaction procurée par la gratification de la note par exemple. Il défend le fait que cette approche pourrait être appropriée par les enseignants pour construire des pédagogies de l’architecture. Cela permettrait également de comprendre ce qui fait obstacle à l’appropriation cognitive des étudiants. Cette dernière remarque pourrait d’ailleurs être une piste pour aider les étudiants en difficulté.

Pour Denis, la revue collective a le mérite d’être moins stressante que l’affichage car c’est un moment plus convivial, où tout le monde ne voit pas nécessaire le travail de chacun. « Là ce qu’on fait au deuxième semestre, c’est qu’on est tous autour d’une table, on montre plus ou moins nos dessins, des fois le prof il les fait tourner pour que tout le monde puisse les voir. Mais voilà, y’en a qui pourrait très bien ne pas du tout avoir fait le travail et personne le saurait où à la limite y’a que le prof qui le saurait. Déjà ça stigmatise moins au niveau de la qualité et de la quantité de travail et ça facilite peut-être l’investissement dans un truc. Même si, on peut se dire que y’a moins d’engagement puisque tout le monde est moins obligé de regarder et c’est moins facile à voir, etc. » Denis Pour d’autres étudiants néanmoins, ce système peut être synonyme de privation de liberté ou de mauvais accompagnement. « Euh on était tous autour de la table et fallait même pas bouger.

Enfin je me rappelle une fois je dessinais et il m’a dit que le bruit du crayon ça le dérangeait et tout (rires). Et puis on montrait nos projets un par un, on se levait pour aller à la chaise à côté de lui et voilà on lui expliquait et il jugeait un peu » Clara Le cas de Clara est exceptionnel mais montre aussi que ce dispositif donne un caractère obligatoire qui peut empêcher les étudiants de s’organiser comme ils le souhaitent.

La revue collective, par rapport à la revue individuelle peut aussi pousser l’enseignant à aller moins dans le détail et donc présenter le risque d’oublier un étudiant, surtout si celui-ci ne se signale pas.

44

P.71 et 73 in Conception d’architecture

« Au S5 c’était des corrections plutôt collectives et là pour le coup je trouvais que ça nous apportait pas grand-chose parce que le prof m’a laissé me noyer parce c’était ça hein… Pendant tout le semestre, et à une semaine du rendu final de semestre il m’a dit « oulà mais ça va pas du tout ton projet » en fait donc du coup en une semaine j’ai dû me retaper le travail d’un semestre. » Anne Enfin, plusieurs étudiants déplorent le fait que la revue collective soit plus chronophage et moins utile qu’une revue de projet plus personnalisée comme le décrit Rose ci-dessous.

Le semi-collectif

La revue de projet par petits groupes de quatre étudiants (S. Collin)

* « Comment tu pourrais me décrire ta journée type en projet ?

Hésite pas à être assez descriptive - Moi [en S4] j’étais avec Mme. Y, je sais pas si tu vois. Je trouve qu’elle a un fonctionnement très bien et je crois que c’est la seule à faire ça. En gros elle prend pas de pause de midi, elle mange un sandwich en même temps, par contre elle prend les étudiants par 4 … Parce que en fait c’est super chiant, soit les profs vont voir chacun individuellement mais du coup ils y passent la journée et y’en a qui sont pas vus en général, ou alors 2 minutes. Soit t’as un prof qui fait une table ronde avec tout le monde et tout le monde entend les projets de tout le monde et c’est nul parce que tu t’endors et tu peux pas travailler ton projet à côté. Là c’est par quatre et t’écoutes vraiment les deux autres projets et t’y reste 2h à peu près avec elle. […] Enfin, avant ça j’écoutais jamais les trucs des autres et en général c’est vrai qu’à quatre t’as des trucs qui se répètent et en même temps tu l’as vois vraiment et t’es sûr de la voir. Donc je sais pas pourquoi les autres copient pas un peu ce modèle là. » Rose Le dispositif de petit groupe qu’elle décrit pourrait selon elle, allier certains avantages de la revue individuelle et de la revue collective.

De plus, en master, Jade explique que cette échelle encourage le dialogue entre les étudiants.

Sociabilités en atelier

31

« Déjà le fait d’être par table groupée et de faire intervenir plusieurs personnes et de pas forcément faire passer dans un ordre précis, c’est-à-dire qu’on peut poser limite notre production sur la table et puis il va regarder un peu de chaque projet, et forcément on va parler un peu… entre nous et un peu sur les projets des autres. Donc l’organisation même de l’atelier fait que ça encourage quand même le dialogue sur le projet des autres. » Jade

Tension entre temps collectif et individuel En fait, ce que révèle l’analyse de toutes ces configurations d’atelier, c’est que ces dispositifs présentent tous un problème commun : la gestion du temps. Bien souvent, ce sont les étudiants qui doivent être les maîtres du temps. Sinon, l’enseignant prend rarement cette responsabilité et certains sont laissés pour compte. « Et ça dure à peu près combien de temps quand tu passes ?

- C’est tellement aléatoire. Après moi quand je passe, ça dure facilement une demie heure. Ça dépend parce qu’après j’ai l’impression que le prof a quand même un peu ses têtes et ses projets donc il passe plus de temps avec certaines personnes après moi j’essaye d’écourter une peu le temps pour que tout le monde ait le temps de passer mais c’est aléatoire c’est pas vraiment nous qui décidons, c’est le prof.

Mais bon le prof, parfois ça fait déjà une demie heure que t’es avec lui, les autres derrière ils attendent tu vois que ça les saoule et… J’essaye… d’écourter, j’ai plein d’autres trucs à lui demander mais j’essaye d’écourter un peu le truc pour que les autres puissent passer aussi. » Anne On l’a vu, le temps est précieux pour les étudiants (surtout celui de l’enseignant), et en particulier avant les rendus. Dans la plupart des cas, les enseignants vont articuler dans une journée un temps collectif (le matin par exemple) et un temps individuel (l’aprèsmidi). A l’approche des rendus, le temps individuel prendra le dessus.

Il y a un véritable juste milieu à trouver entre temps collectif et temps individuel. Trop de temps collectif tue le collectif car l’écoute assidue est trop fastidieuse. De plus, elle donne l’impression aux étudiants de ne pas avoir un suivi assez personnalisé. Bien que les étudiants soulignent les avantages de la revue collective, ils semblent quand même privilégier la revue individuelle, surtout en licence. Cela peut s’expliquer par le fait qu’ils tâtonnent encore dans ce monde nouveau et que le temps passé avec l’enseignant garantit une certaine sécurité. On pourrait cependant se demander si trop de temps individuel n’a pas tendance à atomiser l’esprit de groupe, surtout si les étudiants ne s’organisent pas entre eux par ailleurs.

Peu importe le système choisi, une mauvaise gestion du temps peut créer des inégalités entre les étudiants en terme de suivi.

Car ce que les étudiants redoutent en réalité le plus, c’est un suivi médiocre comme en témoigne une réponse à la question 945 : 45

Globalement, depuis le début de tes études d’architecture,

32 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

« Ça varie vraiment selon l’implication des différentes équipes enseignantes des semestres, quand on a de la chance c’est individuel à la table, quand on en a moins c’est par groupe d’au moins une dizaine où un ou deux chanceux se feront corriger et les autres doivent se contenter d’avoir à assister aux corrections de ces quelques élèves... L’égalité des chances n’existe pas dans cette école car tous les profs ne sont pas autant investis les uns que les autres. Un redoublement peut être causé par le suivi médiocre qu’offrent certains profs. » Ce que met également en exergue ce commentaire, c’est que malgré la diversité des pratiques, toutes ne se valent pas, que ce soit en terme de connaissances, de qualité du suivi, etc. Autrement dit, la non harmonisation des pratiques autour de quelques règles communes peut également entraîner des inégalités entre étudiants car chacun va suivre une trajectoire différente, peuplée d’enseignants tout aussi différents. En fait, cette différence est tout aussi source de richesse qu’elle n’est source d’inégalité. Face à ces réalités, deux étudiantes de master apporte un regard intéressant sur l’organisation de l’atelier : « Qu’est-ce-que tu proposerais pour améliorer l’enseignement de projet ?

- Déjà, avoir chaque semaine une proposition… En fait moi ce que j’aimerais faire, et reproduire en agence plus tard c’est tous les matins avoir un peu un fil conducteur de la journée. Tu sais tu dis à tes collègues, ce matin vous venez avec une référence philosophique… Enfin tu sais avoir des moments qui animent un petit peu la journée de projet, qui font point de départ pour la réflexion. Je trouve que ça manque un peu d’initiative du prof, c’est à nous de tout apporter. Il faudrait avoir des temps un peu d’exercices qui nourrissent le projet. Mais rapide, pas un truc qui ultra structuré. […] Avoir à la fois du temps personnel et du temps collectif c’est hyper important.

- C’est-à-dire ?

- Du temps où tu peux être tout seul dans ton coin à dessiner et du temps où t’es en groupe mais que ce soit clair quoi. Pour pas que tout le monde puisse t’interrompre quand t’es en train de bosser et en même temps euh… pas être tout le temps dans le collectif où on est tout le temps à faire des retours alors que si t’as pas de matière, comment tu peux faire un retour tu vois. Donc ouais avoir des temps aussi pour bosser en atelier, quitte à faire des grosses journées hein… Genre commencer à 8h et finir à 20h où tu peux pendant 3h de concentrer à fond, voir un peu ton prof et voir un peu tes collègues. Mettre en place plus de convivialité en licence, de moments où on peut manger ensemble, et tout… Et puis une meilleure appropriation de l’espace aussi. » Lou Lou met ici en évidence le fait que les étudiants ont besoin que l’atelier soit rythmé par différents temps, correctement chronométrés et clairement établis. Par ailleurs, Jade souligne le fait que la diversité des organisations permet d’aborder différentes problématiques et qu’il faut donc essayer de voir tous les cas de comment ont été organisées les séances d’atelier de projet ?

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

figure. Cependant, il faut juger de ce qui est le plus opportun au bon moment.

En Master, plus de souplesse En Master, on peut retrouver à peu près les mêmes types d’organisation que décrite précédemment. Cependant, les étudiants étant plus autonomes, ils ont souvent plus de liberté dans ce qu’ils vont présenter à l’enseignant (quoi et comment) voire plus de liberté pour organiser l’atelier comme ils le souhaitent, même au moment des rendus car les enseignants sont aussi moins présents.

Sociabilités en atelier

33

II. Mobilisation des ressources (enseignantes et ĂŠtudiantes)

pour le projet

II. Mobilisation des ressources (enseignantes et étudiantes) pour le projet Pour rappel, la grille de lecture principale pour analyser les entretiens était la suivante : relations enseignant/étudiants, relations étudiant/étudiant, organisation de l’atelier, auto-analyse du parcours. Ces interrelations ont surtout été envisagées sous l’angle de l’entraide, du travail de groupe et des rivalités. La relation à l’enseignant a, quant à elle, plutôt été abordée sous l’angle des rapports de force, ou rapports de pouvoir. Pourquoi faire maintenant apparaître la notion de ressource comme approche thématique ? Lors de l’analyse des entretiens enseignant, un des témoignages était frappant : « Quelles formes prenaient l’entraide dans ces deux écoles ?

Alors, oui, il y a eu des formes différentes d’entraide, mais peut être aussi selon ce que moi j’ai sollicité et selon des moments, c’est un peu personnel comme question. Donc moi à Bordeaux ce qui m’a manqué en arrivant, c’est qu’on avait aucun cours instrumentaux46. […] donc là il y a eu de l’entraide, ceux qui savaient faire, je leur ai demandé de me dire ce que je pouvais tout simplement pas inventer. Donc c’était une entraide vraiment très instrumentale, très ponctuelle. » Marie P. C’est à ce moment-là qu’il est apparu que la sollicitation de l’autre pouvait à la fois être générateur d’entraide et de rivalité.

Car tous ne sont pas égaux de ce point de vue-là. Cette notion de ressource s’est également imposée grâce à une des définitions fournies par le CNRTL « Situation de deux ou plusieurs personnes qui prétendent aux mêmes avantages et s’opposent pour les obtenir ».

Ici le terme ressource peut très bien se substituer au terme avantage.

Ce mémoire s’intéressant aux relations entre deux populations différentes, il fallait comprendre comment s’opérait la sollicitation de ressources dites humaines et ce que cela pouvait générer en terme d’entraide ou de rivalités.

a. Sollicitation de l’attention de l’enseignant.

L’enseignant, une ressource paradoxale. Stratégie de sollicitation et/ou d’évitement L’enseignant, une ressource basée sur la culture orale

La figure de l’enseignant est centrale. Il est probablement la première ressource mise à disposition des étudiants pour avancer dans leur projet d’architecture. C’est une ressource précieuse dont le temps est compté comme le suggère les tensions décrites dans la partie précédente, à la fois autour de la liste de passage mais aussi autour du temps collectif et du temps individuel en atelier. De plus, comme suggéré initialement, la transmission de l’enseignant vers l’enseigné se fait quasiment exclusivement par oral et ne laisse aucune trace écrite pour le groupe. Les seules traces qui subsistent sont les notes prises par les étudiants dans leur carnet mais elles 46 Marie P. fait référence a des cours portant sur la représentation du projet et ses outils.

sont à usage individuel. A travers son commentaire, Maud met en évidence le fait qu’un semestre en atelier ne laisse rien qui soit partageable et qui puisse se conserver ou se transmettre. « Qu’est ce que tu proposerais pour améliorer l’enseignement ? […]

- Ce qui serait super cool ça serait qu’au fur et à mesure du semestre où on a le même prof, d’essayer de faire une sorte de catalogue avec des questions de détail qu’on a vu ensemble qui soit répertoriées dans un petit classeur qui nous permette d’avoir une base commune à tous et du coup ça serait des choses qu’on aurait trouvé avec le prof et ça serait l’occasion d’avoir au fur et à mesure des projets vraiment des bases solides qu’on garderait après. Parce que je trouve dommage c’est qu’on a la tête baissée dans notre projet été en fait y’a des gens qui font des détails qui pourraient nous intéresser pas forcément pour ce projet mais pour d’autres projet et du coup on voit pas forcément. Et ce serait pas mal d’avoir ça et de garder une trace. » Maud Quelques enseignants essayent néanmoins de constituer des répertoires d’étude de cas qui s’enrichissent d’année en année ou de faire des livrets synthétisants l’ensemble des projets du semestre (surtout en Master) pour constituer des traces de l’enseignement effectué.

Des étudiants plus solliciteurs que par le passé ? La vision des enseignants Parmi les six enseignants interrogés, Gérard M. et Marie P. décrivent des situations en atelier où il y avait peu d’encadrement et le temps passé avec l’enseignant était très restreint.

Bien que ces deux individus parlent de situations similaires, ils ne l’ont pas vécu du tout de la même manière. L’un souligne le fait que, dans ce cadre les étudiants étaient beaucoup plus libres qu’aujourd’hui et l’autre s’indigne du laxisme et de l’absentéisme de ses enseignants de l’époque.

Des étudiants en demande « On avait des sujets et on avait des objectifs mais bon, en tant qu’étudiant, on se débrouillait beaucoup plus librement, on n’ allait pas dire « Monsieur, est-ce qu’il faut que je fasse un 200eme pour le prochain rendu [...] Donc y’avait moins de contraintes, de risques, donc y’avait peut-être moins aussi besoin de sécurité, donc d’encadrement, mais ça n’empêchait pas une évolution très positive du dossier et des 10minutes ou 15minutes, qui étaient très concentrées, très effectives sur l’avancée du travail. Je pense même que nous en tant qu’étudiants on était moins demandeurs que votre génération, votre génération, je vois là, je mangeais un peu dehors à midi, et j’ai passé mon repas à discuter avec deux trois étudiantes ou étudiants qui m’ont même demandé des choses » Gérard M. On a ici un discours d’enseignant sur ses années étudiantes qui met en exergue une sorte d’émancipation, d’affranchissement

Sociabilités en atelier

35

de la figure de l’enseignant. Le discours met en opposition deux générations, indiquant que l’une est plus libre, plus autonome par rapport aux figures d’autorité que la génération actuelle. Sur ce point, il est difficile de savoir à quel point cette vision est idéalisée et quelle part repose sur des faits réels. Car il est évident que le cadre des école d’architecture a bien sûr évolué. Néanmoins, ce discours sur des conditions de travail « plus relax », plus libres et plus autonome revient dans la plupart des discours tenus par les enseignants, dont certains sont entrés à l’Ecole d’architecture une dizaine d’années après Mai 68. Il n’est donc pas impossible que cette vision alimente leur manière d’envisager l’enseignement aujourd’hui.

Difficile de savoir à quel point le discours est idéalisé également parce que les conditions de cet affranchissement, ou plutôt le pourquoi, ne sont pas véritablement formulées.

Pour revenir à la citation, cette « demande » des étudiants semble susciter l’étonnement de l’enseignant. Certains étudiants sont prêts à sortir du cadre de l’atelier et du temps de projet pour obtenir les informations dont ils disent avoir besoin.

Clara est justement une étudiante de première année en demande de plus d’encadrement. Elle indique que ce renforcement de l’encadrement pourrait se faire grâce à la présence de moniteur ou encore si les enseignants se rendaient plus disponibles par mail. « Qu’est-ce-que tu proposerais pour améliorer l’enseignement ? Si tu pouvais ? L’enseignement de projet plutôt -Vu le temps qu’on consacre au projet et le nombre d’heures, il devrait il y avoir peut-être un autre jour à consacrer au projet.

Des fois, on passe le matin le lundi, et puis on modifie notre projet, et on doit attendre une semaine avant de savoir ou alors on doit présenter ça au rendu et on sait pas vraiment si c’est bon ou pas.

Donc ça serait bien qu’il y ait un moment dans la semaine, par exemple le jeudi, où les profs de projet soient là. En vrai c’est beaucoup une semaine entre chaque journée de projet. Ou alors que les profs répondent au mail je pense que ça serait déjà bien. Sinon peut être qu’il y ait un prof de projet dans les ateliers et quelqu’un d’autre… Par exemple, quelqu’un qui aide à la représentation ou quelqu’un qui aide au projet, ou quelqu’un qui aide à la structure, quelqu’un qui nous oriente… Des stagiaires ou un assistant au prof de projet qui pourrait nous faire avancer pendant que les autres passent parce que des fois aussi, on n’a pas le temps de développer assez quoi. » Clara Pour elle, cette demande se justifie par le fait que le différentiel entre le temps de travail personnel et le temps passé avec l’enseignant est beaucoup trop important. La problématique des assistants à l’enseignant de projet avait notamment été soulevé par Bernard Huet47. Il indiquait que « la démultiplication de la fonction enseignante et de la distribution des responsabilités au sein d’une équipe encadrant des étudiants » (Boudon, Ciriani et al., 1995, p.79) était un véritable problème en France. Il souligne que 47 HUET Bernard, octobre 1995 : « Théories et modèles », In « L’enseignement du projet d’architecture », 115 p.

36 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

dans beaucoup de pays les tâches entre professeurs, assistant et moniteur sont clairement réparties et que le professeur s’occupe principalement de la coordination entre théorie et pratique pour le projet. « Ce système hiérarchisé n’est pas artificiel, car il correspond parfaitement à la multiplicité de la fonction enseignante et à la diversité des niveaux que l’on doit assurer pour enseigner l’architecture sur les plans de la théorie et de la pratique » (Boudon, Ciriani et al., 1995, p.80). Dans notre cas, l’enseignant référent du semestre est bien souvent lui aussi responsable d’un atelier en particulier qu’il encadre. De plus, des moniteurs sont présents uniquement au tout début de la première année, lors d’une semaine appelée semaine d’immersion. « Comptez pas sur le prof pour vous aider, c’est à vous de vous débrouiller, et avancer le plus vite possible. » Alain L. Ici, le discours est légèrement différent du précédent car l’enseignant n’est même plus considéré comme une ressource pour avancer dans son projet. La débrouille comme forme émancipatoire est de nouveau invoquée ici. Si l’enseignant n’est plus là comme appui, comme aide, on peut légitimement se demander quel est son rôle ? Est-ce juste une autre altérité qui pousse les étudiants dans leur retranchement ? Une altérité stimulatrice ? Des réponses peuvent se profiler grâce au portrait de l’enseignant qui est dressé un peu plus bas. Cette question de la débrouille est assez récurrente dans l’enseignement du projet d’architecture. Ceci n’est pas sans lien avec le fait que « la question de la théorie de la conception et du projet reste encore largement un débat » car « force est de constater que l’enseignement de la théorie du projet se cantonne encore trop souvent à des développements sur la manière dont l’architecte se débrouille dans le projet pour le faire accoucher »48. Dans ce contexte, il parait difficile pour les enseignants de donner des méthodes de travail aux étudiants. Les trois témoignages suivants font justement état de cet abandon et de la manière dont il peut être vécu par les étudiants.

Colère et inquiétude face au cadre d’enseignement proposé « Et ils [les enseignants] s’exprimaient par des borborygmes un peu ou des clins d’œil ou des grimaces et c’était extrêmement compliqué de progresser en fait, de savoir ce qui était bien, ce qui était moins bien... Moi c’est une pédagogie qui m’a absolument pas convenu, j’avais pas d’appui à la maison.

Pour celui qui pouvait avoir un père, un oncle qui reprenait l’exercice avec lui, ça allait, mais pour tous ceux qui arrivaient de l’extérieur [du monde de l’architecture NDA] comme moi, c’était tout simplement pas possible. » Marie P. Dans un tout autre registre, l’absentéisme des enseignants est ici complété par une autre dimension, la dimension pédagogique.

Celle-ci est décrite, plus haut dans l’entretien, comme lacunaire 48

II. II.a I.b

P.16-17, André Sauvage, in Conception d’architecture

III. III.a III.b

C

et peu lisible comme en témoigne la citation. Pour rappel, Marie P. est enseignante en SHS et a fait ses études à la fin des années 1970 à l’école d’architecture de Bordeaux puis à Paris-Belleville (anciennement UP8). Ici, la notion de ressource est centrale. Il n’était pas question ici de s’émanciper de l’enseignant car c’est la seule ressource qu’elle avait à sa disposition mais c’était aussi un vecteur de difficultés dont elle ne semblait pas pouvoir compenser les manques et les lacunes « je n’avais pas d’appui à la maison ».

Le deuxième élément qui semble fondamental dans cette citation est la première phrase. L’utilisation d’un champ lexical quasiburlesque ou théâtral (borborygmes, clins d’œil, grimaces) est assez intéressant pour décrire une situation où les enseignants semblent entretenir un flou (délibérément ou non) autour du travail produit par les étudiants. Sur ce point, Youri Dayot parle de relation d’autorité fondée sur le mystère de la création (Dayot, 2014, p.65).

Il met en évidence la relation d’un sachant qui connaît le mystère de la création à un apprenant qui n’a pas d’autre choix que de s’y plier. On pourrait donc parler d’une forme de dépendance qui résonne assez bien avec ce que décrit l’enquêtée car elle n’a pas accès à d’autres ressources ayant un statut de sachant. Dayot ajoute également qu’il n’y a pas vraiment d’accompagnement de la part des enseignants pour aider l’étudiant à comprendre. Cette dimension est importante car elle témoigne d’une spécificité des études liée à l’acte créatif.

« Et du coup, l’entraide qui pouvait exister, est-ce-qu’elle compensait des manques et si oui, quels manques elle compensait ?

- Oui, des manques il y en a beaucoup hein (rires). Je trouve qu’en archi, par ce côté très livré à toi-même […] Les profs sont pas fait pour enseigner, ils sont juste architectes, et du coup ils essayent de transmettre la façon dont eux font de l’architecture alors que l’architecture à l’école et l’architecture dans le métier, c’est deux choses complètement différentes. Et il leur manque je pense des outils à nous transmettre pour avancer. C’est-à-dire qu’on préfère nous livrer à nous même en mode ouais tu vas trouver ta méthode, construit toi ton truc, alors que si on te disait alors là tu vas prendre des échantillons de ton site, te faire une carte mentale et puis après prendre une musique, t’inspirer avec…

Enfin tu vois, te donner des trucs un peu qui te stimule et tous ces trucs-là, si t’as pas l’idée d’aller le chercher, t’as jamais personne pour te dire enrichi ton projet d’une autre manière tu vois. Et ouais, je pense qu’il pourrait y avoir des méthodologies de conception et ça passe un peu par un peu une philosophie de projet, d’enseignement. Et elle est inexistante en fait, y’a un peu Mme. Y qui essaye de mettre en place une philosophie de projet […].» Lou

Laurence K.(études effectuées au début des années 2000), évoque une situation similaire du point de vue pédagogique :

Ces deux discours sont très intéressants car ils font tous deux état ce cette sensation d’être livré à soi-même en projet. Toutes deux déplorent le manque de méthodes et le manque d’outils. Les trois témoignages précédents indiquent que la convergence du manque d’éléments théoriques sur la démarche de projet, de l’entretien d’un certain mystère de la création et de la non-formation des enseignants peut vraiment handicaper les étudiants, voir les plonger dans des situations de détresse. Face à cela, l’étudiant est contraint de se débrouiller, de se bricoler sa propre méthode tant bien que mal. Cela relève donc plutôt d’un apprentissage sur le tas plutôt que d’un apprentissage pensé avec une progressivité construite.

« Moi déjà j’ai le souvenir, voilà ce qui me mettais mal à l’aise… pas tout le monde mal à l’aise, mais vraiment cette pédagogie du “je balance le poisson dans l’aquarium pour qu’il apprenne à nager“, voilà moi j’avais besoin de méthodes, j’avais besoin de… mais je crois c’était pas tellement l’état d’esprit donc faut comprendre tout seul et moi je… moi je crois que j’ai beaucoup cherché en réaction » Laurence K. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle précise bien que tout le monde n’était pas dans la désapprobation vis-à-vis de cette pédagogie.

Ceci montre bien que tout le monde n’est pas égal face à l’enseignement et que les réceptions sont diverses. Ces niveaux de réception peuvent être influencés par différents facteurs comme : les aspirations personnelles, les niveaux d’acculturation au monde de l’architecture49, etc.

L’enseignant idéal vu par les étudiants, avancer dans son projet grâce au dialogue avec l’enseignant Ici, on se propose de dresser une sorte de portrait-robot de l’enseignant idéal à partir du discours porté par les étudiants.

Un enseignant qui accompagne le projet de l’étudiant Cet enseignant sait être synthétique et concis. « [C’est un enseignant] qui va droit au but parce que le problème des discours à la table c›est aussi que c›est très long, et on perd beaucoup de contenu... » Victoire

49 Struggle in the design studio, a Bourdivin Look at Architectural Pedagogy

« Et après un bon enseignant c’est aussi un enseignant qui dit les choses de manière concise et s’étale pas longtemps sur un sujet… » Anne

Sociabilités en atelier

37

De plus, il est cultivé et possède une grande expérience. « Pour moi un bon enseignant de projet c’est un enseignant qui a des références, qui a beaucoup d’expérience » Anne « [Il faut quelqu’un] qui ait beaucoup de culture, quelqu’un qui ait un peu tout vu. Quelqu’un qui a un pied dans la profession ça me semble important. » Lou « Et pourquoi tu considères que l’enseignant te donne une garantie de te donner une bonne idée ?

- Euh… Par croyance. J’essaie de me dire ça pour pas que je me dise qu’ils sont mauvais. Je préfère croire qu’ils sont bons. Après j’ai eu des enseignants bons aussi, qui m’ont donné des conseils utiles… ou pas.

- D’accord mais cette croyance elle se base sur quoi ? Sur le fait qu’ils soient praticiens ?

- Effectivement ça se base sur le fait qu’ils sont praticiens. Je me dis que y’a un certain type de question que je vais pouvoir leur poser. Et ils vont répondre du tac au tac parce qu’ils ont de l’expérience, ils l’ont déjà vécu, ils l’ont déjà fait. Après y’a aussi le fait qu’ils soient enseignants. J’ai peut-être encore un peu trop la vision du lycéen et je me dis qu’ils sont pas là par hasard mais en fait il suffit presque juste d’être architecte pour pouvoir enseigner en projet. Donc c’est peut-être pas un bon argument mais j’ai encore cette vision-là. Ça vient sûrement du lycée. » Denis Enfin c’est quelqu’un qui est à l’écoute de l’étudiant, pédagogue et rassurant.

Les étudiants valorisent beaucoup les enseignants qui vont chercher à aller dans leur sens, ou du moins dans le sens de leur projet. Ils ne veulent pas se faire déposséder de leurs idées. Des qualités humaines telles que l’écoute et la bienveillance sont aussi évoquées et rappelle le discours porté plus haut par Frédéric G. et Laurence K. à propos de leurs enseignants marquants (p. 19).

D’ailleurs, quand Clara explique qu’elle souhaiterait avoir des enseignants plus pédagogue, il semble qu’elle assimile plutôt ce terme au fait d’avoir des qualités humaines.

La vision des étudiants semble se rapprocher de l’approche maïeutique que nous avions déjà évoqué plus haut. Une étudiante vient cependant nuancer cette vision. « J’ai eu M. I en L1 qui lui était beaucoup plus... je sais pas comment dire, décisionnaire. Et voilà, il donnait on va dire la marche à suivre et je pense qu’en L1, c’est difficile de faire autrement, je pense que quand on voit arriver les élèves, ils sont un peu paumés, ils partent dans tous les sens, c’est aussi pas mal d’avoir quelqu’un qui nous dirige. » Victoire Ici, l’enseignant semble donner une méthode précise, peutêtre adossée à une doctrine explicite pour guider les étudiants.

Là encore, cette approche rejoint la question de la doctrine que nous avons déjà débattue. Victoire y voit un intérêt, du moins en première année, pour mettre les étudiants sur des rails.

Mais qui sait aussi pousser l’étudiant dans ses retranchements pour que le projet soit plus solide «Et puis ouais, quelqu’un qui est toujours en train de te pousser à bout, à te titiller pour… Parce que souvent tu peux tomber dans une espèce de complaisance, “ah oui ça marche, le prof est d’accord“… Alors que si t’as quelqu’un qui est toujours là à te pousser dans tes retranchements, c’est là que t’apprends le plus en fait. Là c’est un prof qui est très investi, mais il faut aussi que il y ait de l’investissement côté étudiant pour que ça marche. […] Ouais c’est une histoire de juste équilibre, mais bon c’est pas évident. » Lou

“C’est quoi pour toi un bon enseignant de projet ?

- C’est un enseignant qui essaie de ne pas s’immiscer dans le projet de ses étudiants et qui doit se forcer à développer une idée qui n’est pas la sienne. Genre c’est super dur à faire. En fait je ne vois pas à quoi servirait l’enseignement sinon. » Denis « Et oui peut être que les profs soient un peu plus pédagogues, qu’ils comprennent plus les étudiants des fois, qu’ils se mettent à notre place, et qu’ils aient des formations peut être pour enseigner.

- J’allais justement te demander ce qu’étais pour toi un bon enseignant de projet, genre si t’avais des caractéristiques essentielles qui te venais en tête ?

- ça n’à rien à voir avec l’enseignement de projet mais je pense que, surtout au S1, ils doivent rassurer parce qu’ils comprennent pas qu’on est tous paniqués. » Clara « En fait je trouve que c’est ce qui marche bien ce semestre là avec mon enseignant, parce que je pense qu’il faut que l’enseignant soit très à l’écoute de l’étudiant de ses intentions, de ses idées, de ses, des réflexions, en fait, du cheminement de la pensée de l’étudiant […] je pense que c’est très important parce que si l’enseignant arrive à comprendre pourquoi il a fait ça, il arrive à proposer des solutions qui sont en accord en fait avec la philosophie du projet de l’étudiant » Marc

38 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

« Je pense que ça peut être difficile à vivre en tant qu’étudiant, mais essayer de voir si l’étudiant est sûr de ses idées, s’il sait pourquoi il fait ça […]Et tester ça, et que l’enseignant le teste. Ça je pense que c’est quelque chose de bien. Sans que l’enseignant soit en train de plaquer sa vision du projet sur ce que l’étudiant veut faire, mais qu’au contraire, il essaie de, ben un peu comme ce que M. Y m’a fait subir pendant le S6 […]. Au moins il m’a poussée en fait à aller au fond et le plus de tous, à radicaliser les choses en fait. Il faut pas exagérer non plus, mais voilà, après » Julie A l’inverse, certains étudiants apprécient le fait d’avoir un enseignant contradicteur qui permet de défendre leur projet et de le pousser jusqu’au bout. L’idée étant d’avoir un projet qui s’affirme en tant que tel, qui soit radical, chose qui est assez

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

valorisée par les enseignants. Le fait que le projet exprime une idée forte, peut en effet être vu comme un gage de qualité car c’est la preuve que l’étudiant a réussi à transposer en architecture ce concept et donc à avoir un projet cohérent. De plus, cette attitude peut pousser l’étudiant à sortir des sentiers battus et de sa zone de confort. Bien entendu, comme le souligne Julie, c’est un équilibre difficile à trouver.

Enfin, on note que ces deux remarques viennent d’étudiantes de master 2. Difficile de dire si c’est une simple coïncidence ou si cela est révélateur d’un rapport à l’enseignant qui change. D’autres éléments qui seront développés dans la partie suivante vont néanmoins dans le sens de la deuxième proposition. Les étudiants de master (ou même de Licence 3) sont effet peut être plus armés (assurance, bagage culturel, etc.) pour faire face à un enseignant contradicteur.

l’étudiant de son projet. Ceci pose une véritable question d’enseignement. Je me souviens qu’un jour, un enseignant m’avait justement fait part de cette difficulté : « C’est difficile parfois parce qu’on se retient de faire le projet à la place de l’étudiant ».50 Comment garantir l’autonomisation de l’étudiant avec une telle approche ? L’inquiétude qu’exprime Clara autour de la paternité de ses idées met d’ailleurs en évidence cette problématique. « Ce qui se passait par exemple au semestre 3, c’est que l’enseignant que j’avais me proposait des solutions et des idées et des choses qui en fait étaient pas du tout en accord avec ce que je cherchais à faire, à produire, à montrer, à exprimer au sein de mon projet, c’est toujours beaucoup plus compliqué dans le sens où… est-ce que j’applique les conseils d’un enseignant, parce qu’il est enseignant, parce que tu es étudiant et qu’il est là pour te donner des conseils…Mais d’un côté ça va en quelque sorte dénaturer mon projet et le faire évoluer vers un chemin où je ne désirais pas spécialement aller… Ou est-ce que je maintiens mon cap à défaut d’écouter l’enseignant… Donc je pense qu’il faut vraiment qui soit à l’écoute, pour qu’il comprenne ce que veut l’étudiant, c’est primordial, après faut voilà, faut que ce soit, ce qui est intéressant c’est que je sois un échange […], mais comment dire, je cherche le mot, mais qu’il y ait l’idée qui est poussée et enrichie par l’enseignant au lieu de changer d’idée carrément. » Marc

Des freins au dialogue avec l’enseignant Le portrait-robot de l’enseignant idéal va maintenant permettre de comprendre ce qui peut entraver le dialogue entre l’étudiant et son enseignant. « L’ego » de l’enseignant et/ou la peur qu’il change tout le projet : tensions autour de l’appropriation du projet « Moi ce que j’aime vraiment bien c’est qu’on cherche ensemble des solutions et qu’il soit en accord avec ce que l’étudiant veut faire et pas ce que le prof veut faire. Parce que des fois y’a un petit peu des problèmes d’ego des profs et vraiment ouais être à l’écoute et qu’il fasse vraiment l’effort de comprendre ce qu’on veut faire pour amener le meilleur quoi.

- Euh quand tu parlais de problème d’ego des profs, t’as déjà été dans une situation comme ça dans les projets précédents ?

- Non pas moi mais on m’a souvent dit, enfin y’a des amis à moi qui m’ont souvent dit que c’était compliqué de faire son propre projet avec certain prof. Mais heureusement non moi j’ai pas eu ça. » Maud « Avec M. Z, on parlait pas tant que ça… En fait c’était un peu… Il disait comment lui il l’aurait fait[…]Il le faisait pas exprès mais on aurait dit qu’il aimait bien avoir une trace de lui dans les projet. Enfin moi mon projet ça vient presque tout de lui quoi. Ducoup ça j’ai pas trop aimé. Même si j’aimais bien le projet au final, je me le suis pas trop approprié. […] Et sinon niveau idée… Y’en a au bout de 2 jours, ils ont déjà une idée.

Moi ça met plus de temps à arriver. Parfois j’aime même pas mon idée de base et c’est grâce au prof ou aux avis des autres qu’elle s’améliore et ducoup j’aime bien ce que je fais. Mais je me dis que si je fais des trucs que j’aime pas plus tard y’aura pas les professeurs… » Clara On voit ici que l’appropriation du projet devient un véritable enjeu du dialogue avec l’enseignant. Certains enseignants, dans un processus conscient ou inconscient semblent déposséder

Le fait que l’idée principale du projet puisse être changée provoque une certaine peur chez les étudiants car cet acte touche directement à l’identité du projet voire à leur propre identité. De plus, cela peut les handicaper fortement, notamment quand le changement arrive juste avant les rendus. Dans ce cas, le dilemme posé par Marc (suivre l’enseignant ou non) est vite réglé car au final, c’est bien lui qui note le projet.

Le fait qu’il se fasse mal comprendre ou que l’étudiant reçoive mal la critique (d’où l’évitement parfois) « Alors je prenais, j’espère que c’est plus le cas, très mal la critique. Je le prenais personnellement. On fait beaucoup l’erreur. Des fois j’avais du mal à voir, j’ai pas trouvé que c’était constructif souvent ce que disait le prof. Peut-être parce que je le comprenais pas. Peut-être que ça venait du fait que les premières années, on n’est pas encore prêt à tout entendre. En tout cas, pour moi, c’était le cas. En tout cas pour mes potes, c’était pareil. » Victoire Victoire fait l’hypothèse que ce problème de communication viendrait surtout d’un manque de maturité. Or, on l’a vu, les enseignants ont peu d’outils pour enseigner. Donc face à un étudiant arc-bouté sur son projet, ce genre de phénomène n’est peut-être pas si étonnant.

50

Propos reconstitués sur la base du souvenir de l’auteure

Sociabilités en atelier

39

Le fait qu’il n’ait pas toutes les clés de lecture du projet par limite de temps « Tu disais [que le prof], c’est pas forcément la voie de la sagesse ? Pourquoi ?

- Pourquoi parce que le prof… malheureusement on débat que vingt, vingt-cinq minutes sur notre projet donc finalement il a pas toutes les clés de notre projet donc il sait pas que je veux pas mettre des vitres sur cette façade là parce que y’a un arbre et j’ai pas envie de le voir ou quoi… Du coup, là avec le prof c’est difficile de résumer en trente minutes ce qu’on a fait en une semaine ou même parfois pendant 1 semestre donc y’a des choses que le prof ne voit pas forcément donc il peut pas prendre en compte tous les éléments de notre projet. Et puis après je pars du principe que le prof nous fait des remarques mais c’est absolument pas des ordres, c’est plutôt des conseils. Et même des fois M.Z il nous le dit, moi je te dis ça mais ça se trouve c’est pas ça, c’est autre chose. » Anne Le discours d’Anne est révélateur de celui d’une étudiante de 3ème année qui commence déjà à prendre un certain recul et à développer un regard critique sur les conseils de son enseignant.

Par rapport à Clara qui, face au même constat (le temps limité avec l’enseignant par rapport au temps passé en travail personnel), demandait plus d’encadrement, Anne l’intègre comme une limite à prendre en compte dans le dialogue avec l’enseignant. Les conseils de l’enseignant ne constituent pas un absolu.

Coupe sur les ateliers de l’ENSA Lyon, l’appropriation des mezzanines par les étudiants (S.Collin)

*

Les moyens pour tirer le maximum de cet échange Les étudiants vont également développer des stratégies plus ou moins conscientes pour tirer le maximum de bénéfice de l’échange avec l’enseignant.

Aller voir ailleurs et multiplier les avis Cette démarche spontanée et rare a seulement été évoquée une fois par Laurence K. Une telle démarche a été mise en place justement pour compenser le fait qu’elle ne s’entendait pas avec son enseignant de l’époque.

La contradiction d’une séance à l’autre

« Je m’entendais pas vraiment avec mon enseignant de projet dont j’ai oublié le nom d’ailleurs… ça marchait pas et du coup en fait.. M. J, je l’ai jamais eu comme enseignant d’atelier, mais j’étais allée le voir, mais je ne sais pas pourquoi, je crois qu’il était enseignant d’autres de mes amis. Toujours est-il que j’ai débarqué, toutes les 2 semaines, j’allais le voir avec mon projet et j’allais lui demander des conseils, parce qu’en fait, la manière dont on problématise, dont on met en ordre un projet c’est ça que je retrouvais pas, ça me parlait pas dans la manière dont mon enseignant de projet me questionnait […] alors qu’avec M. J, parce que les questions qu’il m’a posées elles m’ont percutées, parce que la manière dont il m’a renvoyé le travail que j’étais en train de faire… ça m’a parlé donc… » Laurence K.

Cette dernière observation est confirmée par le fait que d’une séance à l’autre, les enseignants peuvent parfois apporter des regards contradictoires, d’autant plus si une prise de note ou un suivi rigoureux n’est pas fait. L’étudiant novice se retrouve alors désorienté. * Face à ces différents freins, couplés à d’autres contraintes (comme l’inconfort thermique des ateliers, le bruit, etc.), des étudiants comme Victoire par exemple vont adopter des stratégies d’évitement. Dans ce cas, soit l’étudiant reste chez lui et vient en atelier juste pour faire « bonne figure », soit il va occuper l’espace de l’atelier de manière à ne pas se faire remarquer par l’enseignant, en s’installant plutôt en mezzanine par exemple.

40 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

Ce témoignage est très intéressant pose la question de la diversité des profils d’enseignants et des affinités. En effet, on pourrait avancer que, cette diversité est pertinente, uniquement à partir du moment où l’étudiant peut choisir le profil qui lui correspond, le profil avec qui ça match. Si la garantie d’une bonne relation étudiant/enseignant est basée uniquement sur l’affinité, faut-il organiser un speed-dating préalable pour que les étudiants fassent leur choix ? La réflexion est ici poussée à l’extrême mais en réalité, c’est ce qu’il se passe pour les étudiants de master. En effet, ceux qui ont effectué leur premier cycle à Lyon ont plus de chance

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

de connaître une partie du corps enseignant et de commencer à connaître le type d’enseignement, le type d’architecture (ou de façon de faire l’architecture) qui leur convient le mieux.

En fait, l’étudiant de master a le luxe de pouvoir choisir ses enseignants mais aussi de multiplier les avis en allant voir des personnes différentes. Cela lui permet donc d’échapper au joug d’un seul et unique enseignant contrairement à la licence.

La surenchère, entre dépassement de soi et stratégie de séduction « Comment tu ressens l’ambiance en atelier ?

- […] Le fait par exemple d’afficher, ça nous poussait peut-être à faire mieux pour faire aussi bien que telle ou telle personne.

Pas pour faire mieux, mais pour faire aussi bien, pour pas avoir la honte, mais pour montrer qu’on fait aussi bien. C’est une pression un peu bénéfique parce que ça nous pousse à travailler pour correspondre aux attentes du prof qui veut que ça soit affiché […] Et que les autres verront qu’on est un élève sérieux ou pas.

- Donc y’a le regard de l’autre qui compte quand même ? Mais selon toi c’est le regard des autres qui compte le plus ou le regard du prof ?

- Le regard du prof. Parce qu’à la limite, à nos potes et à nos camarades on va dire, j’ai pas fait tel ou tel truc sans importance et on s’en foutant. Alors qu’au prof on dirait pas ça. » Denis « D’accord. Et au sein de ta promo, est-ce-que y’avait aussi un peu des allers-retours inter groupe de projet ?

- Non pas tellement… Mais après nous c’est vrai qu’on est une promo assez bizarre… Dans le sens où on est, enfin y’a des fortes personnalités qui ont envie absolument de… Enfin qui sont dans la compétition en permanence… qui vont du coup produire une masse de travail énorme et en fait, y’a toujours en fait des déséquilibres au sein de cette promo. […]

- Cette compétition elle se manifestait directement par un excès de zèle ?

- Ouais un excès de zèle. C’est-à-dire que le prof il disait, bon vous me referez votre plan au 200ème. Lui ou elle, il en avait 3 ou 4 le lendemain plus une maquette. Les gens s’arrêtaient pas de bosser en fait, y’avait pas de temps de pause. […] Mais bon, si ça plaisait au prof… Tu vois y’a un peu cette idée de plaire au prof genre… C’est un peu bizarre. Ouais du coup la solidarité, pas trop… En licence non, mais en master oui beaucoup plus.

Le master je le trouve beaucoup plus sympa que la licence en soi » Lou « C’est ça qui m’énerve beaucoup en projet c’est qu’il faudrait toujours être en train de calculer à qui il faut plaire entre guillemets et ça m’énerve beaucoup » Rose

« A la fois c’est quelque chose qui peut tirer vers le haut, parce que je pense qu’on apprend beaucoup de ses camarades […] ça peut basculer dans une quelque chose de pas très sain ou de…

Après le dépassement de soi, c’est quelque chose qui est bon je crois et l’exigence c’est quelque chose qui fait partie du métier donc… […] Et de la même manière ce que disaient les étudiants de master que j’ai interrogés, ils parlaient de la surenchère et je pense que la surenchère fait partie de ça aussi » Laurence K Dans tous ces témoignages, il est difficile de distinguer si c’est le dépassement de soi ou la stratégie de séduction qui induit le mécanisme de surenchère.

*

Schémas récapitulatif des intéractions entre : dépassement de soi, séduction et surenchère (S. Collin)

* Ces deux premiers éléments sont en interaction constante et sont plus ou moins conscientisés par les étudiants. Dans le cas de Denis par exemple, le dépassement de soi est au service d’une stratégie de séduction de l’enseignant car c’est bien son regard qui compte le plus.

Ce qui est certain, c’est que, comme a pu l’évoquer Lou, la surenchère va provoquer de véritables inégalités entre les étudiants.

En effet, si l’enseignant réajuste ses attentes en fonction de ceux qui en font plus que ce qui était attendu au départ, les étudiants qui s’étaient effectivement alignés sur les consignes initiales se retrouve lésés. La seule solution consiste alors à surenchérir à son tour. On peut dire que les étudiants rentrent alors dans une sorte compétition latente. Néanmoins, pour vérifier cette hypothèse il faudrait essayer de déterminer si ce mécanisme se met uniquement en place lors de l’affichage, c’est-à-dire quand l’ensemble de l’atelier peut voir le travail de tous, ou s’il existe aussi dans les différentes formes d’organisation d’atelier vues en Partie I.b.

L’autre question qui se pose est la suivante : pourquoi plaire à l’enseignant ? Bien sûr, c’est lui qui note mais tout dépend de ce qu’il note précisément. Note-t-il le produit fini ? La démarche ?

Un peu des deux ? Le projet est-il censé plaire à l’enseignant pour qu’il lui attribue une bonne note ? On en revient toujours aux

Sociabilités en atelier

41

même éternelles questions.

Cependant, si on part du postulat qu’un enseignant évalue des compétences et non un projet, l’idée de plaire devient alors caduque.

Ce que met en évidence cette stratégie de séduction, c’est que l’enseignant cumule aujourd’hui des rôles qui auparavant était répartis entre plusieurs personnes. « Le vade-mecum du nouvel enseignant est sa volonté d’inventer un enseignement qui n’existe pas, le nouvel enseignant cumule les rôles anciennement dévolus au directeur des études, au chef d’atelier et au jury. A lui tout seul, il définit les programmes, il corrige les travaux, il conseille, il juge. Il est le professeur et , à lui seul, il est tout le jury »51. Cette dernière phrase peut se vérifier car bien souvent, les jurys de licence pour les rendus sont composés d’un binôme d’enseignant dont l’enseignant référent. Au final, c’est à ce dernier de décider s’il pondère sa note en fonction des remarques de son collègue.

Cette surenchère peut aussi relever d’une stratégie pour mobiliser l’attention de l’enseignant le plus efficacement et le plus longtemps possible. Multiplier et bonifier les éléments présentés à l’enseignant peut en effet donner un meilleur aperçu de son projet et ainsi augmenter les chances qu’il s’y intéresse et fasse des remarques pertinentes. A ce propos, il paraît important de souligner que certains étudiants, considérant qu’ils n’ont pas assez avancé sur leur projet (pour X raison), préfèrent ne pas aller voir leur enseignant. Dans des moments de blocages, l’enseignant n’est alors pas considéré comme une aide ou une ressource potentiel.

Ces étudiants viendront alors quand ils auront quelque chose de potable à montrer à l’enseignant. Comment aider les étudiants en difficulté dans ce genre de situation ? Comment armer les enseignants pour qu’ils puissent faire avancer un étudiant qui n’a pas de support à présenter ?

Enfin, dans une moindre mesure, cela peut aussi dénoter d’une tentative de séduction en fonction de la célébrité de l’enseignant pour ensuite pourvoir travailler pour lui.

en tant qu’architecte. Montrer qu’il est bon élève lui permet alors de mettre toutes les chances de son côté et de se faire coopter. * Les étudiants entretiennent donc des rapports paradoxaux avec l’enseignant qui oscillent entre confiance et méfiance, entre sollicitation, séduction et évitement. Cette relation ambiguë peut avoir des répercussions sur les interactions avec les autres étudiants comme on l’a vu avec le mécanisme de surenchère par exemple. Néanmoins, les problèmes communs qu’ils partagent peuvent aussi devenir le terreaux d’une solidarité qui elle aussi, ne sera pas dénuée de paradoxes et d’ambiguïtés.

« Il y avait déjà ces jeux de concurrence parce qu’on savait déjà que l’un des enjeux c’était d’aller faire des charrettes chez Ciriani, d’entrer dans le système des concours d’architecture publics, donc voilà, y’avait certains de mes copains qui ont eu une très bonne carrière dans ce registre-là. Donc y’avait déjà l’ébauche d’une mise en concurrence, presque comme sur le marché de l’emploi, donc voilà c’était… je le dis maintenant, à posteriori, sur le moment j’en avais pas conscience, mais y’avait ce besoin de se faire valoir comme un assistant, assistant de qualité auprès de Ciriani, architecte-concepteur.» Marie P. Au-delà de la célébrité, cet enjeu de l’emploi peut en effet motiver ce type de démarche surtout si l’étudiant apprécie son enseignant 51 DENES Michel, 1999 : « Le Fantôme des Beaux-Arts : l’enseignement de l’architecture depuis 1968 », Paris, Editions de la Villette, p.53 cité par DAYOT Youri, 2014 : « La culture des charrettes dans les ENSA – Pourquoi les étudiants en architecture ne dorment pas ? », Mémoire de master en sciences sociales, sous la direction de Raul MAGNI-BERTON et Guillaume ROUX, Grenoble, p.23.

42 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

b. Organisation collective des étudiants Entre comblement d’un manque dans l’enseignement et recherche d’une forme de travail collectif

5 : Les étudiants ont une véritable capacité d’auto-organisation collective avec des outils de mise en commun (comme des groupes facebook, drive commun…).

L’analyse a permis de montrer que les typologies d’organisation collective des étudiants sont très variées et dépendent de nombreux paramètres et notamment des besoins auxquels elles correspondent.

Ces organisations collectives ne répondent pas nécessairement à des manques précis et identifiés, elles peuvent être assez spontanées. La plupart des enquêtés décrivent dans leur promotion, une ambiance plutôt bonne ou neutre. Les résultats de l’enquête en ligne vont également dans ce sens. Que ce soit dans l’atelier ou dans la promotion, les résultats sont sensiblement les mêmes. Le niveau d’entraide et de solidarité est estimé entre 3 et 4 pour la majorité. On note cependant que la description pour chaque niveau ne permet pas de comprendre la structure de la promotion. Le niveau 3 par exemple ne décrit qu’un maillon dans la promotion (le groupe d’amis) et ne permet pas de comprendre les relations des maillons entre eux (relations antgonistes, sectaires ou pas). Par ailleurs, près d’un cinquième des répondants estiment que le niveau de solidarité est situé entre 1 et 2, ce qui n’est pas négligeable.

Q.20 : Sur une échelle de 1 à 5, quel est le niveau d’entraide et de solidarité au sein de ta promotion?

*

Q. 19 : Sur une échelle de 1 à 5, quel est le niveau d’entraide et de solidarité au sein de ton atelier de projet ?

2 : Les étudiants travaillent globalement chacun de leur côté, sauf pour demander de l’aide sur des points spécifiques (représentations, logiciels, cours, etc…).

3 : Les étudiants travaillent et s’organisent par groupe d’amis, d’affinités.

4 : Les étudiants n’hésitent pas aller voir le travail des autres membres de de la promotion, (qui ne sont pas forcément dans leur atelier) et à prendre le temps d’en discuter.

5 : Les étudiants ont une véritable capacité d’auto-organisation collective avec des outils de mise en commun (comme des groupes facebook, drive commun…).

*

2 : Les étudiants travaillent globalement chacun de leur côté, sauf pour demander de l’aide sur des points spécifiques (représentations, logiciels, etc…).

3 : Les étudiants travaillent et s’organisent par groupe d’amis, d’affinités.

4 : Les étudiants n’hésitent pas aller voir le travail des autres membres de l’atelier et à prendre le temps d’en discuter.

Seule une enquêtée décrit des rivalités importantes mais nous y reviendront.

Ces typologies d’organisation collective peuvent se ranger dans deux grandes familles : une solidarité qui correspond à une entraide élémentaire et une solidarité comme recherche d’une stimulation intellectuelle

Sociabilités en atelier

43

Une entraide élémentaire souvent utilitaire et ponctuelle

« Alors je pense, moi je sais qu’en parlant qu’à titre personnel je suis souvent sollicité, quelques fois sollicité en cours, en journée d’atelier, tout simplement pour de l’aide sur des logiciels, ce genre de choses, parce qu’il se trouve que j’ai commencé à utiliser un peu plus tôt que la moyenne, du coup je connais quelques trucs, donc ça m’arrive très souvent que des personnes qui sont pas dans le cercle restreint, dans mon cercle le plus proche d’amis, viennent sans soucis me voir pour des conseils ou des astuces ou des solutions s’ils rencontrent un problème, ce genre de choses, ça se fait vraiment beaucoup.» Marc

Elle correspond plutôt à une entraide qui répond à un problème précis à un instant t. Ce type d’entraide porte principalement sur la représentation ou la production et dans une moindre mesure sur la conception. Elle intervient notamment à l’approche du rendu, période d’intensification des échanges entre les étudiants.

Elle existe également dans d’autres enseignements plus classiques (cours magistraux) à travers le partage de cours mais cet aspect ne sera pas approfondi ici.

L’entraide sur la représentation du projet

L’entraide sur la production des éléments de rendu du projet

Les questions de représentation sont particulièrement importantes en première année comme en témoigne Clara et Denis.

Les rendus sont aussi les moments où la qualité et la quantité d’éléments à produire sont les plus exigeantes. Selon leur avancement, certains font appel à des amis pour venir les aider dans la production des maquettes par exemple. Des charrettes collectives (petits effectifs de 2 ou 3 personnes) s’organisent afin de passer la dernière ligne droite dans un climat plus festif. 45 % des répondants dans l’enquête en ligne disent que l’entraide est la plus intense au moment des rendus. On notera d’ailleurs que rendus et charrettes sont souvent synonymes. De plus, 61,5% des répondants estiment que la charrette est un moment propice pour s’entraider.

Cependant, les charrettes ne sont souvent pas un choix. Dans un questionnaire52 réalisé par Youri Dayot, 81% des étudiants qui effectuaient des charrettes estimaient que c’était le seul moyen de tenir dans les délais. La charrette apparaît donc comme une sorte de fatalité, elle s’impose et certains estiment que les enseignants sont en partie responsable. Dans son mémoire, Dayot montre en effet comment l’enseignement du projet, par son histoire et le cadre dans lequel il s’inscrit (que nous avons décrit en partie I) va pousser les étudiants vers ce mode de travail, tout particulièrement avant les rendus.

« Au premier semestre, y’avait beaucoup d’entraide, […] après y’avait toutes les petites questions genre comment on dessine les arbres, etc, donc ça, on postait [sur le groupe facebook] tout le temps, y’avait toujours quelqu’un qui répondait. On était tous dans le même bateau, tous en panique ducoup on s’aidait beaucoup. Ensuite au S2, bien que c’était souvent des travaux de groupe, et ben c’était un peu plus… On savait déjà représenter… Enfin on avait moins besoin de l’aide des autres en fait.» Clara « au premier semestre, on est un peu perdu dans nos manières de faire, dans nos manières de représenter…

On sait pas trop comment faire et le prof il peut pas être auprès de tout le monde en même temps ducoup. Ouais en fait au premier semestre c’était assez flagrant, la coopération entre les étudiants parce qu’on se posait tous tout le temps des questions. Comment est-ce-que vous faites ça ? On s’envoyait des photos de comment on représentait telle ou telle chose. En fait la représentation architecturale en dessin à la main ça passe uniquement par le dialogue entre les etds. » Denis Les cours de représentation, les indications lacunaires des enseignants et le manque de temps ne semble pas suffire pour guider les étudiants, d’autant plus en première année. Le groupe facebook de la promotion devient alors à la fois un outil de communication majeur et une ressource pour trouver des réponses. Ici, face à une difficulté commune (la représentation) l’ensemble de la promotion se mobilise pour mettre en commun l’état des connaissances sur le sujet. Outre le groupe Facebook, les étudiants sollicitent des personnes expertes ou plus avancées notamment sur la maîtrise des logiciels. Cela arrive plutôt en deuxième année où l’outil informatique commence à être utilisé dans la grande majorité des cas. Marc fait par exemple partie des étudiants sollicités.

44 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

« Qu’est-ce-que tu proposerais pour améliorer l’enseignement de projet si tu pouvais ? […]

- Ce serait bien, même si c’est dans la mentalité des profs, […] ça serait bien si les profs donnaient un avis définitif la semaine d’avant quoi parce que souvent les étudiants n’ont pas tout, ça vient pas que des profs, c’est pas vraiment le cas de la mienne hein… Mais les profs vont vraiment te dire ce qu’ils pensent au dernier moment et ça c’est clairement te mettre charrette pour le rendu. C’est pareil pour les L3, j’ai aidé Y hier sur sa maquette parce que son prof lui a fait totalement changer sa forme il y a une semaine et il est en fin de S6 quoi.

Du coup, il n’avait pas de plans il y a une semaine enfin genre vraiment c’est pas cool…» Rose 52 Dans un premier temps, un premier questionnaire a été diffusé à l’ENSAG pour établir une corrélation entre charge de travail et troubles de la santé. Puis, un deuxième questionnaire de cinquantequatre questions a été diffusé à l’ensemble des étudiants français et a obtenu 4457 réponses soit un taux de retour de 25%. (Dayot, 2014, p.100)

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

Rose déplore ce type de comportement chez les enseignants car il pousse l’étudiant à se mettre dans le rouge. Ainsi, l’entraide dans les moments de charrette est plutôt là pour pallier à une situation d’urgence et/ou comme soutien moral. D’ailleurs, dans le questionnaire de Dayot, parmi les éléments positifs que pouvait présenter la pratique de la charrette, 21,6% des répondants voyaient la solidarité et la convivialité entre étudiants . Les charrettes ne font néanmoins pas toujours l’objet d’une entraide car tout le monde ne peut pas ou n’ose pas se faire aider, notamment quand tout le groupe se retrouve dans la même situation. « Après bon en période de rendu, en terme d’entraide c’est pas trop ça parce qu’on est tous dans la même misère donc… Enfin je sais que certaines années ça a marché, quand on était charrette il y a certains de nos amis qui venaient nous aider mais là c’est pas le cas.

- Vous charettez tout seul du coup ?

Oui on charrette tout seul… » Anne Deux tendances s’opposent, soit il y une entraide forte face à l’urgence, soit les étudiants n’ont pas le temps d’aller s’aider justement parce que tout le monde est en charrette. Cette dernière proposition doit être cependant nuancée par l’existence des charrettes à l’école, le principe étant que l’école reste ouverte une ou plusieurs nuits d’affilés pour une ou plusieurs promotions.

J’ai moi-même pu vivre et observer deux charrettes de ce type. La première, lorsque j’étais alors en première année concernait les L2. Les cartons à pizza vides côtoyaient les postes d’ordinateur en salle informatique, un matelas trônait au milieu de la rue de l’école et certains deuxièmes années se déplaçaient avec des plaids sur le dos. La scène était tout à fait incroyable car il régnait une atmosphère joyeuse et conviviale qui contrastait avec les visages tirés par la fatigue. La deuxième charrette, je l’ai vécue en fin de L1. Je me rappelle que nous travaillions pour beaucoup en atelier et que nous avions commandé des pizzas pour tout un groupe de personne. Je suis sûre que certains sont restés à l’école juste pour profiter de cette ambiance si particulière, alors même qu’ils avaient plus ou moins fini leur rendu et qu’ils auraient pu rentrer chez eux.

L’appel à l’aide pendant les charrettes est également très présent pour les PFE ou les fins de 3ème année certains vont faire appel à des étudiants des promotions inférieures pour venir les aider.

C’est un moment qui permet alors d’avoir des liens avec d’autres promotions comme se souvient Frédéric G : « En fait nous on se retrouvait grouillot des années supérieures.

Mais bon, ce n’était pas de l’exploitation je l’ai fait 2 fois hein…

C’était pour des trucs de galère, aider à faire des maquettes, des diplômes. Et puis ça permettait de tisser des liens avec les années supérieures aussi.»

Frédéric G. Cependant, cette pratique a pu par le passé, glisser de l’entraide à l’exploitation et même faire partie de pratiques de bizutage hérité des beaux-arts.

« A Bordeaux à l’époque, on avait un enseignement très traditionnel, un petit peu en continuité avec celui de l’école des Beaux-Arts pré-68 dans lequel on travaillait en ateliers verticaux, donc de la première à la sixième année, parce qu’à l’époque il y avait six années d’études, la première et la sixième année travaillaient ensemble, y’avait des bizutages […] L’idée était que les plus jeunes devaient servir de gratteurs pour ceux qui présentaient le prix de Rome et pour tout vous dire, le bizutage se faisait sur cette base-là. Ils nous ont coincés un jour où on était en amphi et ils nous ont dit, bah voilà, nous on est des plus anciens, vous allez être nos esclaves pour faire le grand prix de Rome donc nous, on veut vous connaître.» Marie P. Ici, le registre est tout à fait différent et s’assimile à un baptême du feu obligatoire et humiliant.

Une entraide pour le moral Cette autre dimension et pas des moindres ne peut être assurée que par les étudiants eux-mêmes. Elle est quasiment intrinsèque à toute les formes d’entraide même si elle est parfois implicite (quand il s’agit de s’aider sur des logiciels ou autres) et revient fréquemment. Pour Maud, il s’agit même de la seule raison d’être de l’entraide. « Est-ce-que tu penses que cette entraide et cette solidarité elle compense des manques en particulier ?

Ah euh…Je pense pas je pense que c’est surtout un plus qui nous aide à gérer notre travail, à gérer notre stress surtout et à se sentir un peu mieux parce que si y’avait pas ça ça serait vraiment compliqué de finir l’année. Mais sinon non, pas de manque en particulier en tête. » Maud C’est donc une condition essentielle au bien-être dans un environnement qui peut parfois être violent : lors d’un redoublement, pour un diplôme (L3 ou M2) ou encore quand la réussite du projet conditionne le départ en Erasmus.

La solidarité comme recherche d’une stimulation intellectuelle Cette deuxième famille va souvent plus loin que la simple entraide utilitaire mais demande un plus grand investissement.

Cette famille n’exclue aucunement la première. Au contraire, elle crée plutôt des conditions pour que la première existe. Elle se caractérise également beaucoup par la recherche d’une certaine altérité, la volonté de multiplier les avis sur son projet pour avoir un autre regard que celui de l’enseignant et s’enrichir sur le plan conceptuel ou méthodologique.

Par la curiosité, l’écoute et la discussion La majorité des étudiants ayant effectué des entretiens apprécient le fait d’aller voir le projet des autres. Cette attitude est très

Sociabilités en atelier

45

valorisée par les licences mais ils déplorent souvent un manque de temps. Les pauses sont des moments privilégiés surtout pour aller voir les amis qui sont dans d’autres ateliers. Mais c’est aussi une opportunité pour observer la manière dont les autres ateliers fonctionnent et regarder les autres projets.

Q.14 : Je discute avec les autres membres de mon atelier de leur projet

« J’aimerais bien m’intéresser à tous les autres mais on ne peut pas le faire tout le temps donc c’est un peu dommage ouais… Je m’intéresse beaucoup à ceux de mes amis. Et puis si je vois une maquette de loin et que ça me tilt ça me donne envie de regarder.

Ouais depuis le début je crois. Ça peut donner des idées et puis je trouve que c’est une bonne chose de nous donner des conseils entre nous parce que ça fait des avis objectifs. Ya pas le professeur qui t’impose son avis non plus. » Clara « Mais sinon, les gens qui s’arrêtent et qui regardent plus en détail ce que je suis en train de faire, je trouve ça super. Généralement, j’essaye de le faire. Je fais toujours un peu une visite des ateliers de long en large et je m’arrête sur 2, 3 trucs et je leur demande de m’expliquer. Franchement, j’aimerais bien que les gens fassent ça.

Peut-être plus, pour donner un retour construit » Denis « On s’aide un peu, quand on fait une pause, on fait un petit tour des ateliers, on va discuter, on demande à propos du projet, on regarde un peu ce qu’ont fait les autres, ça permet même un peu de chercher des idées, ce genre de choses » Marc

Cependant, ceci ne dit pas si les étudiants s’engagent par la suite dans des discussions actives ou des interventions sur les projets des uns et des autres. Comme nous l’avons vu en Partie I.b. certains enseignants vont favoriser des pratiques collaboratives pendant des séances classiques pour encourager les étudiants à s’écouter et à intervenir sur les projets. Mais encore une fois cette pratique est très limitée.

Du côté des master enquêtés, l’écoute de l’autre est davantage présentée comme une bonne pratique ou une nécessité pour pouvoir avancer dans son projet. En master, les étudiants sont en effet plus en autonomie, surtout dans certains DEM comme ALT où tout le monde a des sujets différents.

« Moi je montre assez peu mes projets à mes amis, ce qui est dommage, franchement… Pourquoi tu ne le fais pas ? Parce que, je sais pas, j’ai pas forcément le temps… Enfin on prend pas le temps même si je pense que ça serait super et je pense que ça serait un bon exercice de vraiment essayer... » Rose

« T’apprends plein de chose de ce que fait l’autre parce que… y’en a un qui va travailler sur les bains douche, l’autre sur une réhabilitation de logement, l’autre sur du participatif. Et on est tellement sur des sujets différents que dès que tu vas voir quelqu’un, c’est forcément un échange qui est totalement différent de ce que tu fais toi, et ducoup c’est assez riche quoi.

Mais ducoup ça c’est quelque chose qui est… Informel, totalement. C’est systématiquement ? Non non c’est informel, c’est-à-dire que tu croise quelqu’un, bim, tu discutes. Et on sollicite ça parce que sinon, t’avance pas [ce DEM], genre si t’as pas de retour critique, tu peux vite t’enfermer dans un truc, tu sais pas où tu vas et puis… » Lou

La discussion en profondeur autour des projets des uns et des autres semblent être cependant une pratique relativement marginale en licence et ne se fait pas forcément spontanément.

L’écoute des autres est une pratique assez courante et valorisée par les étudiants (Partie I.b.). Plus de 50% des répondants au questionnaire affirment aller souvent écouter les projets de leurs camarades lorsqu’ils passent avec l’enseignant.

Q.13 : Généralement, je vais écouter les projets de mes camarades d’atelier lorsqu’ils passent avec l’enseignant

46 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

Multiplier les rencontres permet d’enrichir son projet mais aussi de se remettre en question. L’autonomie et la présence moins fréquentes des enseignants permettent de créer des conditions pour des discussions informelles autour d’un café ou d’un repas. Cependant, on peut noter que ces rencontres ne sont pas forcément volontairement provoquées par les étudiants. On reste sur le registre de la spontanéité. Pour Jade, aller voir les autres étudiants permet aussi de se relancer quand on est dans un passage à vide. C’est aussi une manière de se situer par rapport aux autres, voir si chacun a compris les mêmes choses, les mêmes enjeux.

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

« Et puis y a aussi le fait de pouvoir se situer un peu. Donc si on a un peu près compris les enjeux ou pas de la séance tous de la même façon. Comment on l’a compris, comment on pense l’adapter à notre projet. Et un peu discuter de la direction qu’on pense prendre. En dehors des heures de projet parce que ça bien sûr tu peux le poser à ton prof mais comme le prof est pas non plus toujours là en dehors des heures des projets, enfin c’est normal. Mais quand t’as besoin d’un regard extérieur y a toujours aussi des étudiants pour aider. » Jade Les autres étudiants peuvent être des appuis importants pour interpréter le cadre et les consignes données par les enseignants.

Dans un contexte où les objectifs visés par les enseignants ne sont pas toujours explicites et clairs, cette attitude peut permettre aux étudiants de s’harmoniser entre eux ou pas. Les décalages sur la compréhension des enjeux du projet peuvent en effet favoriser ou défavoriser certains. Par ailleurs, on note que les étudiants du groupe de projet permettent de compenser, quand on les mobilise, l’absence de l’enseignant.

Bien que l’entraide ne soit pas possible sur le moment, le temps du rendu peut être utilisé pour faire appel au regard critique d’autrui afin de relativiser les retours des enseignants par exemple.

Néanmoins, Victoire déplore le fait qu’il n’y ait pas assez de lien avec les promotions supérieures, qui pourraient justement être très utiles dans ces moment-là. « Après le truc du rendu, c’est que c’est fait, c’est trop tard, mais en effet, il peut y avoir une sorte de retour critique de la part des étudiants d’autres promos sur ce qui a été fait et ça c’est sûr qu’on l’a pas du tout, ou alors très peu, ou je le vois pas, mais à mon avis, ça manque vraiment... on a beau avoir un parrain, il faut que... il y ait une sorte de connexion entre parrain et filleul(e) et si on l’a pas, on a très peu finalement de liens avec les autres promos » Victoire

Q.8 : le système de parrainage t’est bénéfique en projet

Comme le dit très bien Victoire, à moins de ne pas avoir cette connexion avec son parrain, il n’est pas facile de rentrer au contact des promotions supérieures. Peu d’école d’architecture fonctionnent encore en atelier vertical54 comme cela pouvait être le cas par le passé. A moins de sympathiser en dehors de l’école, dans les résidences étudiantes ou autre, faire partie d’une association de l’école ou aller au bar de l’école restent les moyens les plus simples de faire connaissance avec des étudiants d’autres promotions.

Pour Frédéric G. par exemple : « Le bar c’était l’endroit dans l’école dans lequel on discutait avec des 4ème, 5ème , 3ème , 1ère années et ducoup c’était une…vraie ressource pour…

Recueillir des points de vue, nourrir des discussions, désamorcer des situations dramatiques, merdiques…

Mais même sur le projet ?

Ah oui oui… » Les étudiants des premières années interrogés sont assez catégoriques sur l’aide qu’a pu leur apporter leurs parrains.

Ce témoignage permet de comprendre que les liens avec les promotions supérieures constituent un enjeu important mais c’est une ressource précieuse à laquelle tout le monde n’a pas accès.

D’ailleurs 70,8% des répondants au questionnaire en ligne ont estimés que le système de parrainage53 ne leur était pas bénéfique.

« Euh ouais, c’était hyper utile [sa marraine]. Et c’est plus rassurant d’avoir une réponse de gens qui sont passé par là, même si c’est pour des petits détails. […] d’avoir sa réponse ça m’avait trop soulagé, ça m’avait aidé. Ils peuvent nous aider sur des petits trucs sur Photoshop, etc. Après aussi au S1, on sait pas ce que veux chaque prof parce qu’ils sont tous différents et ducoup ils peuvent nous aider en nous disant comment eux ils avaient fait avec ce prof. » Clara

53 Dans ce système (en tout cas à Lyon), chaque étudiant de première année se voit affecté à un parrain ou une marraine de l’année supérieure (L2 donc). Le but est de donner à chaque étudiant un repère, une ressource vers laquelle il pourra se tourner s’il a besoin d’aide ou d’information. Ce système est basé sur le volontariat.

54 Atelier vertical : toutes les années sont mélangées. Dans le questionnaire en ligne, un étudiant qu’à l’ENSA Marne-la-Vallée, un workshop de 15 jours était organisé en février sur ce modèle. L’ENSA Val-de-Seine semble aussi proposer des ateliers verticaux.

Sociabilités en atelier

47

« D’ailleurs, est-ce-que les parrains et compagnie ça t’as aidé ?

Euh ouais j’ai pu lui poser 2,3 questions mais après ça s’arrêtait là. Je sais que yen d’autres qui ont beaucoup plus été aidé par leur parrain jusqu’à carrément prêter du matériel, des tables lumineuses ou des trucs comme ça. Toi ça s’arrêtait plutôt à quel type de question ? Représentation et idée. Au tout début, par sécurité, j’avais quand même demandé si mon idée était bien. » Denis Ainsi, les parrains deviennent une ressource humaine pour le projet mais aussi une ressource matérielle qui apporte une certaine sécurité dans un contexte nouveau. Ils constituent une figure de légitimité plus rassurante que celle de l’enseignant car ils ont en commun le même statut d’étudiant. Cette légitimité est assurée par le fait qu’ils ont déjà passé certaines épreuves. Pour Marc, ils peuvent aussi être de bon conseil pour gérer un enseignant avec qui ça se passe mal. « [Ma marraine], elle bossait souvent dans un atelier pas loin du mien donc ça m’arrivait souvent d’aller la voir pour simplement parler de mon projet, pour avoir des conseils que j’allais prendre beaucoup en considération.

En L1, j’avais des enseignants qui m’aidaient pas beaucoup, qui étaient pas dans le dialogue et l’écoute, j’ai beaucoup sollicité d’aide de sa part. Après je connais aussi également beaucoup de 3ème année etc, qui m’ont aussi beaucoup aidé, là pas forcément en terme de conception architecturale, mais en termes de production, de logiciels, ce genre de choses.

Je trouve que l’aide et l’entraide, c’est aussi beaucoup inter-promo et c’est très important et je pense qu’il faudrait carrément le développer encore plus. » Marc Les étudiants expriment donc un désir de développer ces liens avec les autres promotions afin que cette ressource soit profitable à tous. Cependant, un des entretiens étudiants montre que l’accès à cette ressource peut aussi alimenter des rivalités ou des tensions entre étudiants. « En fait y’a un groupe qui se dit tête de promo mais qui l’est pas forcément. Enfin qui c’est vrai l’est plus ou moins. Je sais pas comment expliquer mais en fait… […] C’est un groupe d’élèves qui fait un groupe de projet et donc qui du coup au niveau des rendus ils sont un peu plus avancés mais en fait c’est parce qu’ils communiquent beaucoup avec les années supérieures, M1, M2 et donc du coup ils sont… Ils maitrisent une utilisation de logiciel qu’on maitrise pas forcément, enfin qu’on n’a pas appris. Et donc du coup je pense que c’est des gens qui, déjà avant d’entrer en archi je pense, je pense qu’ils ont une avance un peu plus considérable.

48 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

[…] En fait c’est un groupe, ça se voit, qui s’est un peu mis dans toute la vie étudiante. […] J’en ai parlé avec d’autres de la promo et c’est une impression que beaucoup ont : qu’ils se placent à des endroits stratégiques pour tous nous dominer et être en tête de promo. C’est une rivalité enfin moi je trouve ça un peu dommage parce que en soit c’est pas parce qu’il sont en tête de promo qu’on aura pas le même diplôme.» Anne

Ici, l’étudiante estime que le fait que ce groupe soit en tête de promo provient d’une inégalité de départ qui est alimentée par le lien que ce groupe entretient avec les masters. Cela leur permet d’être plus en avance que leur semblable sur les outils de représentation et le partage de ces connaissances ne semble pas se faire. De plus, elle a l’impression que ce groupe s’est approprié l’ensemble de la vie associative de l’école. On peut supposer que cela leur permet également d’entretenir les liens avec les autres promotions et peut aussi exclure d’autres groupes. L’étudiante communique son profond sentiment d’inégalité en précisant bien que le diplôme sera pour tout le monde le même. Ainsi, ce groupe cumulent différentes caractéristiques qui lui permet d’être clairement identifié et de se distinguer des autres en bien ou en mal. Tous les effets de distinction ne créent pas nécessairement des inégalités mais ici, ils sont perçus comme tels. Cette situation qui provoque une certaine animosité peut donc constituer un frein à l’entraide.

Pour certains étudiants, le lien avec les promotions supérieures peut-être très structurant dans leur cursus. Lou avait par exemple beaucoup tendance à solliciter ses amis de l’année d’au-dessus, d’autant plus qu’ils habitaient dans la même résidence. « Après le reste du temps j’allais plutôt solliciter Brice ou Johanna…. Que je trouvais du coup plus intéressants vu qu’ils avaient déjà fait l’exercice, plutôt que des gens qui sont dans ton atelier qui eux sont déjà en galère tu ne vas pas en plus aller leur dire « ah, est-ce-que tu pourrais m’aider ? » Lou Mon propre cursus a été beaucoup marqué par le temps que j’ai pu passer avec les promotions supérieures. En effet, j’ai été, assez par hasard, en contact dès ma première année avec des étudiants de 2ème et de 3ème année avant même de connaître mes propres collègues de promotion. Or tout le monde n’a pas eu cette chance et je me rends compte rétrospectivement que c’est une ressource qui m’a servi, et que j’ai pu (ou su ?) mobiliser au cours de ces cinq dernières années. Ce sont par exemple ces étudiants qui m’ont poussé, inciter à m’engager dans la vie de l’école. En fréquentant les ateliers masters tout en étant encore en licence, j’ai obtenu des informations qui m’ont permis d’effectuer des choix plus renseignés. J’ai pu bénéficier de manière plus ou moins directe de leur expérience mais aussi de leur vision. J’irais même plus loin en disant que je me considère aujourd’hui comme une sorte d’héritière d’un certain groupe d’anciens étudiants. Bénéficier de leur expérience a été beaucoup plus structurant dans la construction de ma posture que ne l’a été l’apport des enseignants

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

par exemple.

Pour Frédéric G. c’est même la rencontre d’étudiants au bar de l’école qui lui a donné envie de se lancer dans les études d’architecture. Son attache avec les promotions supérieures est donc resté fort. « Moi disons que j’étais déjà plus ou moins accepté par les autres années quand je suis arrivé en 1ère année parce que je les connaissais déjà un peu du bar et donc du coup ça a facilité…

J’étais un peu le petit première année que tout le monde… ça a ouvert des portes a plein de relations amicales. Du coup ça m’a permis en parallèle de mes études de me sensibiliser à la vie étudiante, la vie associative. » Frédéric G. Par le travail en groupe Le travail en groupe non-obligatoire : s’organiser entre pairs pour réussir (un terreau pour le réseau professionnel) Ceci montre aussi qu’une grande partie de l’entraide des étudiants se passe en réalité en dehors des ateliers et qu’elle est aussi tributaire des relations amicales que les étudiants vont pouvoir nouer. Bien que le cercle d’entraide soit à géométrie variable, le cercle d’ami représente la structure d’entraide la plus importante.

*

plus, ce groupe d’ami peut se superposer au groupe d’atelier dans les cas où les étudiants ont le choix de composer leur atelier.

Quand ils le peuvent, les étudiants se regroupent avec leurs amis en atelier même s’ils ne travaillent pas sur le même projet. Certains, comme Marc et Rose, choisissent néanmoins délibérément de se mettre seul ou de s’installer à côté de personne qui leur sont moins proches. Pour Rose, cela se justifie par un besoin de concentration selon l’étape du projet. Marc quant à lui aime pouvoir faire connaissance avec de nouvelle personne. « Pourquoi tu préfères travailler toute seule ?

Comme là j’étais pas trop dans les temps, j’ai besoin d’avancer vite et que… Pour le S4 j’ai besoin de me concentrer. […] Enfin là c’était vraiment calculer des mètres carrés et ça marchait jamais dans mon projet parce qu’il était trop compliqué. Ça ne prenait pas mal la tête quoi. Au S3 on bossait pas mal à plusieurs, c’était aussi parce que j’étais avec mes amis. » Rose Se regrouper avec ses amis en atelier permet de créer des conditions d’échanges, de stimulation intellectuelle et de soutien moral. Cela permet en quelque sorte d’avoir des ressources pour son projet (mais pas que) à portée de main. « Alors ducoup, moi j’arrive plutôt à travailler en mezzanine, j’arrive pas trop à travailler en bas. Et de manière générale, on travaille en groupe d’amis. […] Parfois je travaille mieux à l’école parce qu’on est tous ensemble. […]. On travaille mieux en groupe qu’en individuel. Enfin par exemple hier on devait finir notre rapport d’étude. Bon moi j’ai pas pu rester parce que j’avais des trucs à faire mais ils ont proposés qu’on se mette en atelier et qu’on travaille ensemble pour se motiver et se booster. Et je sais que ça marche plutôt bien de manière générale. » Anne D’ailleurs, dans le questionnaire en ligne, les trois premières raisons invoquées pour travailler en groupe sont : le plaisir et la stimulation intellectuelle, le soutien moral, l’aide sur les problèmes techniques suivie de près par l’aide à la conception.

Q. 17 : Le plus souvent, tu travailles le projet en groupe

Le cercle d’entraide à géométrie variable. Parfois, le cercle d’amis et le cercle des années supérieures se superposent. (S. Collin)

* Le questionnaire en ligne semble aller dans le même sens car que ce soit pour demander de l’aide pour de la conception ou de la représentation, près de 50% des personnes ayant été interrogées en ligne se tournent prioritairement vers leurs amis.

Dans la plupart des cas, ce groupe d’ami est quasiment exclusivement composé de personnes de la même promotion. De

Sociabilités en atelier

49

« donc voilà y’a toujours eu une forme de concurrence entre eux, et encore aujourd’hui, y’a un peu la comparaison du et t’en est où, et tes projets, tout ça, moi pas trop… je suis pas sur ce tableau-là vraiment » Laurence K.

Anne abonde dans ce sens à travers une expérience qu’elle a vécu dans son propre groupe d’ami. « -Moi je sens au sein de mon groupe d’amis… mais ça on en a parlé entre nous… des rivalités un peu… C’est un peu étonnant mais voilà.

-Ça s’exprime comment cette rivalité ?

-Bah ça s’exprime… Enfin c’est une personne en particulier qui va essayer de piocher un peu des trucs sur tous les autres projets et faire le sien avec ça. Enfin je trouve ça dommage parce que ça marche pas du tout comme ça l’architecture et c’est plutôt considérer comme du plagiat même pour le coup mais oui ça s’exprime un peu comme ça et c’est toujours une espèce de comparaison entre nos projets alors que finalement l’origine du projet c’est plutôt un copier collé de ce qu’on fait donc… » Anne

Tout comme pour les promotions supérieures, les groupes d’amis sont très structurants dans le cursus de certains. C’est du moins ce que traduisent les souvenirs de plusieurs enseignants. « Moi j’ai été entourée voilà, j’ai eu un groupe d’amis on était 7 tout le temps ensemble surtout la licence, parce qu’après la 4e année, c’était l’Erasmus donc on était plus séparé à ce momentlà et puis après on a choisi des masters différents, c’était surtout la licence… […] mais cette amitié elle s’est construite dans le travail […]du coup cette interaction, cet échange, cette émulation, je crois que c’était aussi assez propre à mon groupe d’amis et je suis pas sûr que c’était généralisable à tous les groupes, mais je pense qu’il y a des choses assez similaires […] Je dirais que j’ai beaucoup appris de mes amis je pense aux techniques de représentation par exemple, déjà à l’époque on commençait avec l’informatique, on se filait les bibliothèques Photoshop en diplôme voilà, donc les technique de représentation, pareil donc en géométrie, ça c’est des choses sur lesquelles on s’aidait beaucoup les uns des autres » Laurence K Marie P. rapporte une expérience similaire avec un groupe de quatre copains. Elle a même réalisé son diplôme en binôme. « Donc ce qui se passait, c’est que j’ai commencé ce deuxième cursus en urbanisme avec 4 copains très proches de l’école d’architecture, donc on a fait un petit groupe de 5 extrêmement solidaires et pour pouvoir mener nos deux cursus en même temps, on faisait tous nos travaux ensemble pour pouvoir les faire pendant les heures de... voilà… déplacement pour aller à Saint-Denis ou à Vincennes, voilà, et nous organiser plus efficacement ensemble. » Marie P.

Ainsi, au sein de ce cercle d’entraide peut coexister à la fois de la solidarité et des tensions liées à un phénomène de comparaison et donc de mise en concurrence des projets. Le phénomène de plagiat que décrit Anne est très intéressant car il permet d’aborder la notion de création et d’œuvre. Chacun dans le groupe revendique la paternité de son projet et le fait que quelqu’un, et de surcroit un proche se l’approprie est vécu comme une trahison, un non-respect de sa propre individualité. Le projet est alors envisagé comme une œuvre plutôt que comme un processus, et chaque étudiant se voit comme un créateur/créatif (Dayot, 2014, p.155).

Dayot montre que c’est la culture de studio, essentiellement basée sur l’individu qui développe cette vision de soi idéalisée (Ibid p.156). Ce phénomène rappelle quelque peu la problématique de l’appropriation du projet par l’enseignant qui avait été abordé en Partie II.a. On voit ainsi que le projet d’architecture cristallise des tensions permanentes entre une construction collective et des individualités. Cette observation peut donner une piste de réponse au fait que l’entraide se fasse majoritairement sur de la représentation plutôt que de la conception mais nous y reviendront dans la Partie III. Les cercles d’entraide amicaux peuvent aussi, par effets de distinction, générer des rivalités externes.

Cela n’empêche cependant pas les rivalités internes au groupe.

Laurence K. explique par exemple que certains de ses amis se comparaient beaucoup, sans pour autant qu’il y ait d’animosité.

50 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

« Aujourd’hui, je pourrais défendre autre chose, mais non, à l’époque je crois que je n’osais pas forcément. D’abord, une promo de 100 c’est beaucoup. On ne connait pas forcément de manière très intime vraiment tout le monde. Je me souviens que dans ma propre promo y’avait quand même un peu des chapelles, des groupes qui s’entendaient plus ou moins, qui n’avaient pas forcément la même attitude, qui n’avaient pas forcément les mêmes valeurs aussi, donc je dirais on n’est pas forcément en confiance, j’ai eu des groupes qui étaient presque une famille, là moi ce groupe de 7… Après on avait des groupes amis, et on avait des groupes pas amis du tout quoi. […] Y’a des gens que j’ai découvert plus tard où j’ai appris aussi, à travers leur regard, l’image que nous on pouvait dégager en tant que groupe, mais nous on avait un peu une image du groupe de motivés, moi j’avais toujours la main levée dans le cours, je la ramenais tout le temps » Laurence K. Laurence K. met en évidence le fait que différents groupes, ou plutôt clans ou chapelles coexistent dans la promotion. Ces chapelles peuvent s’ignorer, s’affronter ou plus ou moins collaborer mais elles se distinguent très clairement par les valeurs qu’elles vont partager et/ou des affinités. On prendra ici le mot clan comme synonyme de chapelle au sens de « groupe homogène de personnes envisagées du point de vue de ce qu›elles ont en commun »55. On note que ces groupes ne se superposent pas nécessairement aux groupes d’amis et peuvent s’envisager du point de vue de leur coloration architecturale (« ceux qui sont à fond de patrimoine par exemple ») ou du point de vue de leur relation au travail ou de leur niveau de participation ou de socialisation. Denis définit par exemple trois catégories d’étudiants : les asociaux assumés, les normaux qui sont majoritaire et les super investis, qui peuvent rappeler le groupe de motivés de Laurence K. « - Et donc vous disiez qu’il y avait ces clans…

-Mais y’avait pas trop de tension, après c’était juste des affinités, des groupes… Après la promo était assez solidaire, ni plus ni moins. Y’avait des fêtards, les très sérieux, les très scolaires, les plus transversaux, y’avait ceux qui participaient à la vie étudiante, du coup forcément ça crée des points de contact même inter-promo parce que les bureaux des élèves ils étaient transversaux dans les différentes années donc c’était… Mais après j’ai pas de souvenir que…De grosse tension ou de gros esprit compet » Frédéric G. Le groupe des transversaux n’est pas sans rappeler ce que racontait Anne sur ce groupe de sa promotion qui semblait, selon elle, dominer tous les autres, notamment parce qu’ils avaient des liens avec les promotions supérieures.

Ces groupes ou chapelles seront bien-sûr sans cesse reconfigurés an fonction de la caractéristique considérée et du regard qui les interroge. Ils sont donc soumis à la subjectivité de chacun qui décidera, selon les situations, si oui ou non ils pourront être 55

intégrés au cercle d’entraide.

Le travail en groupe obligatoire ou encouragé par les enseignants, une pratique à double tranchant Le travail en groupe (sur un même projet) reste globalement quelque chose d’assez valorisé par les étudiants interrogés. La part des personnes interrogées en ligne qui disent travailler le projet en groupe souvent ou systématiquement correspond environ à 1/3.

Q.15 : Tu travailles le projet en groupe :

Là encore, c’est une manière de s’enrichir mutuellement au contact de l’altérité. Il ne s’agit plus ici d’entraide mais bien de collaboration et de co-conception. « Et toi si tu devais choisir entre le travail individuel et le travail de groupe, tu choisirais quoi ?

Je trouve ça plus intéressant le travail de groupe, mais ça dépend beaucoup des personnes avec qui on tombe. […]

Ouais en vrai même avec l’autre groupe où on était pas toujours d’accord, c’est toujours enrichissant de voir comment les autres travaillent. Mais en général je pense que j’aime bien le travail de groupe. » Clara « Euh je suis pas très pour bosser à plusieurs en projet parce que déjà, en fonction du nombre de personne qui bosse sur le projet, y’en a forcément qui vont beaucoup moins travailler que les autres et c’est un problème qui est très récurrent dans la coopération entre étudiant. Ensuite au-delà de ce problème de coopération, je suis pas sûr que ce soit facile, non seulement de se répartir en fonction de ce que chacun sait faire et aime faire mais aussi de concevoir à plusieurs. En tout cas personnellement je doute de mes capacités à réussir à partager une idée avec quelqu’un en projet. » Denis

CNRTL

Sociabilités en atelier

51

« Bah peut être que y’a un côté rassurant dans le travail en groupe parce que y’a moins cette angoisse de la page blanche… […] En groupe ça peut aller plus vite généralement pour prendre des directions et prendre des décisions. Après bien sûr ça dépend avec qui tu es. […]. Je dirais que le travail en groupe à quelque chose d’intéressant dans le sens où y’a une part des architectes dans le monde professionnel qui travaillent quand même en groupe et voilà. Ça permet de pas être là à couver un peu son projet et de pas toujours remettre en question certaines choses. Ou de pas tomber dans certains automatismes.». » Jade Les étudiants soulignent bien qu’une expérience positive du travail en groupe dépend beaucoup des personnes. Un enseignant, qui encourage pourtant le travail en groupe, explique aussi que l’expérience peut être désastreuse dans les groupes où ça ne prend pas. Il ne donne cependant aucune indication sur les manières d’y remédier. Le travail en groupe est donc présenté comme un mode de conception tributaire d’une alchimie entre ses membres qu’on a du mal à expliciter et analyser. Il est donc difficile de trouver des remèdes lorsque cela se passe mal.

Denis indique également que ce travail nécessite de partager une idée, de la construire ensemble, ce qui semble rentrer en conflit avec sa propre individualité, sa créativité propre. Le travail de groupe est alors contradictoire avec cette nécessité de se différencier, qui est propre au domaine créatif. Pour Clara, c’est d’ailleurs cela qui constituait une des différences fondamentales avec le lycée.

était trop complexe pour une personne. Il s’agissait donc pour lui d’une « co-conception parfaite ».

Les master 1 interrogés, étaient aussi dans des situations de travail en groupe. Il n’est donc pas surprenant que les étudiants de master valorisent également ce mode de travail. Ils accentuent moins cette peur de se retrouver avec des personnes indésirables, d’autant plus qu’en master 2, les groupes sont choisis par les étudiants.

On peut aussi imaginer que la maturité des étudiants puisse jouer sur cette manière plus sereine (ou idéalisée ?) d’envisager le travail collaboratif. Mais même en master, cette crainte peut refaire surface, notamment quand le groupe d’atelier est composé de personnes dont l’investissement est très inégal. J’ai moi-même vécu cette situation qui avait créé une atmosphère extrêmement tendue, voire délétère.

Néanmoins, comme le souligne Jade, cet apprentissage peut se révéler nécessaire, surtout vis-à-vis du monde professionnel. Dans son métier, l’architecte d’agence ne travaille en effet jamais seul car il est toujours amené à au moins travailler avec d’autres corps de métier. Fort de leur expérience professionnelle, certains vont exalter cet aspect dans leur pédagogie. « Avant de choisir le master, il faut bien qu’il se rende compte qu’ils vont être obligé de travailler collectivement. Donc on le dit, c’est notre marque de fabrique. […]. C’est-à-dire qu’il y a un mois difficile et puis après, petit à petit, ils vont se rendre compte que ça marche. Une fois qu’ils auront nettoyé leur cerveau d’individualisme forcené qui est un petit peu là du fait de l’éducation enfin vous voyez quoi…. Ils vont se rendre compte qu’en fait, Alain à droite il a des compétences pour l’informatique, que machin il sait très bien faire des maquettes avec Catherine, que Bernard il assure en mathématiques, et que l’ensemble de leur association, qu’on forme nous, c’est nous qui formons les groupes. On forme les groupes en fonction de leur propre motivation par rapport au sujet. » Alain L.

« Bah on se sent plus tous différents en fait. On essaye un peu de développer notre architecture même si on est qu’en L1 » Clara Cependant, cette crainte affirmée face au travail de groupe semble plutôt marginale. Elle peut en effet être mise en parallèle avec les 3,6% de répondants au questionnaire qui ne souhaite pas travailler en groupe par peur de se faire déposséder du projet (voir la figure précédente).

Par ailleurs, l’idée est plutôt propre à la phase de conception.

Bien que le travail de groupe ait eu tendance à se développer ces dernières années, plusieurs enseignants interrogés explique que celui-ci a beaucoup fait l’objet de phase de diagnostic et d’analyse de site plutôt que de projet en soi. A Lyon, sur la licence, les projets faisant l’objet de projet de groupe sont plutôt des exercices courts et ne s’étalent pas sur un semestre entier. Les étudiants peuvent aussi être encouragés à s’organiser collectivement pour produire une maquette pour l’ensemble de l’atelier par exemple.

Le projet individuel reste donc majoritaire.

Les projets collectifs sont beaucoup plus nombreux en master.

La majorité des projets de master 1 sont par exemple effectués entièrement ou en partie en groupe. Le master 2, année du PFE redevient plutôt individuel bien que les projets en binôme ou trinôme soient acceptés. Les deux étudiantes de master 2 enquêtées effectuaient d’ailleurs leur PFE en groupe. Jean O. qui avait également réalisé son PFE en binôme expliquait par exemple que ce choix était une « question d’intérêt commun pour une problématique et puis d’une absolue nécessité » car le sujet retenu

52 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

Ici, le travail de groupe est valorisé car il permet une complémentarité des compétences au service du projet. Dans ces conditions, le projet est vu comme étant nécessairement plus riche. L’individualisme dont font preuve les étudiants est présenté comme un état préexistant, hérité d’une certaine éducation qui ne dit pas son nom. On peut supposer qu’elle soit exogène et antérieure à l’école d’architecture. Ceci pourrait laisser croire que l’école d’architecture, dans son ensemble, n’aurait pas sa part de responsabilité dans cette individualisation. Or on l’a vu plus haut, le processus créatif, de fait, met en jeu des individualités. Ici, ce domaine de master défend une vision qui va à contre-courant de cette pensée et va donc se doter de dispositifs pour enclencher et développer tous les éléments en jeu lors d’un travail de groupe. Par exemple, le semestre démarre avec un voyage en pleine nature qui permet de créer une « cohésion de groupe dans l’effort », l’idée étant de permettre à tous les membres de cet atelier (donc y compris les enseignants) d’apprendre à se connaître. Cela montre aussi que l’entraide et la cohésion qui peut se mettre en place au sein d’un atelier peut en réalité prendre ses racines en dehors de l’espace et du temps de l’atelier, tout comme les affinités qui vont se nouer au

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

bar ou dans les résidences étudiantes par exemple.

D’autres enseignants se montrent un peu plus sceptiques sur le travail de groupe. Ils craignent en effet que cela s’accompagne d’une déresponsabilisation vis-à-vis du projet, d’une incapacité à assumer ces choix dans le projet architectural. Mais cette vision est plutôt marginale dans l’échantillon des enquêtés. C’est plutôt la tendance collaborative qui l’emporte, notamment dans un contexte de crise comme avait pu le souligner Frédéric G dans la Parti I.a lorsqu’il parlait de l’émergence de la culture du faire.

Victoire, explique que, même dans le cas où le projet se fait seul, l’enseignant pourrait aussi devenir un catalyseur des échanges entre étudiants en créant des conditions propices. « Et sinon je pourrais rajouter, un prof qui multiplie les scénarios où les élèves sont obligés de travailler ensemble. Ça veut pas dire que le projet se fait pas tout seul, mais simplement rien que le fait de travailler sur la même parcelle, je sais pas si c’est possible, ça oblige d’avoir des liens avec les autres » Victoire On notera à ce sujet qu’un atelier de projet est déjà un commun dans le sens où il est au minimum un espace partagé à un moment donné par tous ces membres et qu’il se constitue autour d’une problématique, d’un exercice ou d’un site commun.

Concernant l’encouragement (ou non) des enseignants à s’organiser collectivement, le questionnaire semble difficilement départager les deux tendances.

Q.11 : Depuis le début de tes études d’architecture, ton enseignant a encouragé le groupe d’atelier à s’organiser collectivement

Néanmoins, le souvent et le systématiquement, l’emportent à eux deux de 60% contre environ 40% pour le « jamais » et le « rarement ». Il est impossible de savoir si ces encouragements portent directement sur le projet ou sur des aspects périphériques comme la construction d’une maquette de groupe ou la diffusion de consignes par exemple. Mais ce sont cependant des aspects qui peuvent créer un minimum de cohésion et donc créer un terrain propice pour aller plus loin dans le partage et l’entraide.

Par l’atelier parallèle Ce type d’organisation collective est une forme de travail de groupe choisi mais qui va encore plus loin car il va investir un

espace et/ou une temporalité différente de l’atelier de projet ou alors venir bouleverser ces deux dimensions. Toutefois, ces tendances semblent rester marginales et concerner plutôt les étudiants en master.

Dans l’atelier « -Alors, on avait trouvé un truc qui marchait vraiment bien en S6 où bah déjà on avait tout le monde, on restait plus ou moins toujours dans la même configuration au niveau des tables, moi j’étais toujours en bout, on devait être 4 ou 5 sur la même table, mais en fait plus ou moins tout l’atelier, on se faisait des sortes de réunions, enfin pas tout l’atelier, mais une bonne partie de l’atelier, on se faisait des sortes de réunions où on présentait le projet et on se critiquait les uns les autres.

-Et ça spontanément ?

-Spontanément, je sais pas comment on a commencé ça, mais avec quelques personnes… et donc, ça permettait quand même de bien avancer d’avoir les remarques des autres étudiants, c’était assez constructif. » Julie Julie n’a pas précisé si ces revues collectives s’effectuaient pendant la pause de midi ou pendant qu’un étudiant passait avec l’enseignant. Néanmoins, les étudiants se sont affranchis de l’organisation de l’atelier de l’enseignant ou se la sont plutôt appropriée pour mettre à profit un temps d’attente ou de latence. Cela permet ainsi de multiplier les avis de chacun sur son projet, en complément de celui de l’enseignant. Cette organisation crée ainsi les conditions pour une horizontalité dans le partage des connaissances notamment parce que l’enseignant, figure d’autorité et de hiérarchie n’est pas présent. Le fait que la revue s’organise spontanément est aussi le signe d’une certaine autonomisation et d’un affranchissement au moins symbolique vis-à-vis de l’enseignement. Pourquoi ne pas profiter du cadre de l’atelier, qui contrairement à un enseignement en classe, permet d’échanger plus facilement avec ses pairs. Le temps collectif ne devient donc plus uniquement dicté par l’enseignant, il se met en place, à l’initiative des étudiants qui peuvent choisir d’inclure ou d’exclure l’enseignant.

En dehors de l’atelier « En 3ème année je me suis mis en colocation avec celui qui est mon associé aujourd’hui et un autre ami diplômé archi.

Et ducoup on avait un atelier dans notre appartement en fait. Et puis c’était sans contrainte horaire de fermeture de l’école » Frédéric G. Pour Frédéric G., sa collocation de trois devient un deuxième atelier, et donc un espace-temps différent où le travail du projet peut se faire entre pairs et entre amis, en toute liberté. De plus, il met en évidence le fait que la position géographique de l’école

Sociabilités en atelier

53

va beaucoup influencer le temps qui y est passé. Pour beaucoup d’étudiants qui habitent le cœur de Lyon, le trajet vers l’école n’est en effet non négligeable. Certains vont donc préférer y aller uniquement quand c’est obligatoire et nécessaire. On peut donc imaginer que ce nouvel atelier puisse rentrer en concurrence avec l’atelier de l’école. Si on pousse la réflexion, le seul intérêt que présenterait l’atelier de l’école serait donc de voir l’enseignant car les autres avantages (échanges avec les autres étudiants) pourraient très bien être comblés par l’atelier/collocation.

D’autres, comme Jean O. vont plus loin en investissant un troisième espace en dehors de l’école et en dehors de chez lui. Une amitié solide, notamment sur les 2 dernières années a permis de faire face « à des situations de grandes solitudes [où] tu te retrouves tout seul donc forcément en charrette […] On a même loué un local pour pouvoir travailler ensemble en dehors de l’école».

Là encore, les étudiants s’affranchissent de l’établissement en se créant une structure parallèle, sans aucune contrainte et sur laquelle ils ont tout pouvoir. « Donc ça moi j’ai pas forcément des souvenirs suffisamment précis sauf bien sûr de dynamiques… Celles que j’ai vécu avec 4 ou 5 collègues dont certains sont encore dans le coin… Et puis avoir aussi quelques souvenirs qu’au sein de la promotion il y avait quelques groupes comme ça. C’est-à-dire qui allaient bien au-delà du simple temps scolaire. » Jean O.

Ceci peut justement simplement s’expliquer par les contraintes horaires des établissements et le fait que le projet demande beaucoup de travail en dehors des heures dédiées. La production d’éléments à montrer à l’enseignant se fait en effet principalement en dehors des séances de projet. Partant de ce constat, il est logique que ceux qui souhaitent travailler en groupe d’organisent aussi en dehors de l’école. Peu d’étudiant disent travailler chez des amis. Trois commentaires mettent cependant en avant le fait que certains appartements peuvent servir de refuge et de lieu de travail. « mon appart est le refuge de mes amis, donc chez moi, mais avec mes amis et binômes d’amis » Le dernier cas figure est probablement le cas le plus aboutie et le plus détaillé de l’atelier parallèle.

La dynamique de projet est donc loin d’être cantonnée à l’atelier de projet. D’autant que, dans les questionnaires en ligne, 62,2% des étudiants affirment travailler le projet principalement chez eux.

« Mais là ce qu’on a mis en place, pendant les vacances de Pâques… Il y a Z qui… a entre guillemets ouvert son appart, et du coup, on est, je sais pas, une douzaine de l’atelier, plus quelques personnes, quelques autres étudiants d’autres DEM où on s’est retrouvés quasiment tous les jours des vacances pour aller travailler chez elle. On a appelé ça résidence artistique, bref on a un peu déliré dessus, mais on va dire, pour se soutenir et pas travailler chacun chez soi. » Julie

Q.16 : Le plus souvent, tu travailles le projet :

Encore une fois, ce témoignage vient mettre en évidence le fait que cette organisation permet de pallier aux contraintes de l’école, que ce soit sur ses contraintes horaires et calendaires (ici les vacances) ou pour des questions de confort (ici le bruit).

Mais cet atelier parallèle permet aussi de recréer des conditions d’échange qui semblent difficile autrement dans la mesure où chacun travaille un projet fondamentalement différent des autres.

Il n’y a pas forcément de site ou de problématique commune. On note d’ailleurs qu’il rassemble des personnes de domaines d’étude différents, il n’est donc pas extrait directement d’un atelier existant et ne correspond pas non plus directement à un groupe d’amis (comme le précisera par la suite Julie). Bien qu’il y ait des affinités et un groupe d’ami fondateur, d’autres personnes viennent se greffer. Cette organisation assez exceptionnelle et plutôt à la marge fait l’objet de tout un imaginaire (maison du bonheur, résidence artistique) qui montre qu’elle possède un capital sympathie plus fort que l’atelier classique. Il faut en effet avoir en tête qu’en Master, beaucoup d’étudiant choisissent de travailler chez eux car

54 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

ils sont en autonomie et qu’il voit surtout leur directeur de PFE lors de rendez-vous ponctuel ou lors des rendus au côté d’autres enseignants du DEM. L’emploi du terme de résidence artistique56 n’est pas anodin car il fait clairement appel à la notion de création mais aussi d’émulation collective dans le but de créer.

Il est intéressant de noter que les enseignants ne sont jamais ou peu mis au courant de ce type d’organisation. Ce qui peut expliquer ce type de réaction : « X, là qui nous dit, maintenant que vous êtes en PFE, vous êtes pendant plus d’un semestre sur votre projet, si vous restez chacun dans votre coin, vous allez péter un câble, vous allez devenir schyzo du projet. Ça m’étonne qu’il y ait si peu d’étudiants en atelier, restez pas enfermés chez vous… venez voir les autres, parlez, ouvrez-vous… Donc là j’ai l’impression que c’est la première fois qu’il y a quelqu’un qui nous dit : parlez-vous, parce que sinon, non pas trop. » Julie L’injonction semble venir en réaction au fait qu’il observe peu d’étudiant en atelier. Difficile de savoir s’il aurait eu la même réaction, même avec plus d’étudiants présents. Les enseignants ont en réalité très peu d’indications sur le niveau de cohésion dont fait preuve leur atelier de projet. Pour ceux qui s’y intéressent, ils s’appuient sur des indications assez superficielles comme la manière dont une information va être diffusée au sein du groupe par exemple. « Mais du coup ça, juste vous l’aviez fait suite à la remarque de X ou c’était avant ?

Non, c’est plutôt l’inverse finalement, en fait, je pense que lui il se rend pas compte, ça par exemple il est pas au courant. Du coup, il nous a fait cette remarque mais de manière un peu… gratuite quoi, enfin...Il voit qu’il y a pas grand monde en atelier, mais après il se pose pas plus de questions ou quoi que ce soit… » Julie Donc là encore, ce véritable atelier parallèle semble entrer en concurrence avec l’atelier classique. Il y aussi cette volonté de la part des étudiants, d’ouvrir le débat, de ne pas se cantonner aux remarques de son directeur d’étude et de s’exposer à un foisonnement d’idées.

La conception, l’objet d’une entraide ciblée On l’a vu, l’entraide entre les étudiants cible beaucoup les problèmes de représentation. Celle-ci peut d’ailleurs diminuer à mesure que les étudiants progressent comme le suggère ici Clara.

56 « Une résidence est un lieu qui accueille un ou plusieurs artistes pour que celui-ci ou ceux-ci effectuent un travail de recherche ou de création, sans qu’il n’y ait d’obligation de résultat. La création sera facilitée grâce à la mise à disposition d’un lieu de vie et de création, des moyens financiers, techniques et humains. » (source : culture.gouv.fr)

« Ensuite au S2, bien que c’était souvent des travaux de groupe, et ben c’était un peu plus… On savait déjà représenter…

Enfin on avait moins besoin de l’aide des autres en fait. Et oui sinon y’a toujours le groupe facebook. Yen a souvent qui poste des questions etc. Mais au niveau du projet en lui-même, ouais on s’aidait pas… Des fois on regardait ce que faisait les autres mais voilà quoi » Clara Cette entraide pourra refaire surface quand de nouveau problème de représentation liée à l’informatique par exemple ressurgiront.

En attendant, la phase de conception semble être le parent pauvre de cette entraide et ce n’est pas uniquement parce que les étudiants n’ont pas le temps de s’y pencher.

Ici, la conception sera définie par deux étapes : premièrement, l’idée mère ou concept, puis le développement du projet à partir de cette ligne directrice (mise en espace : définition et dimensionnement des différents espaces à travers leur forme, leur usage, leur matérialité, etc.). « [On s’aide] pas trop sur les idées… Si un peu sur les idées mais le concept un peu moins parce que c’est quelque chose d’assez personnel et c’est quelque chose qui se définit très vite et du coup on bloque jamais très longtemps dessus et voilà. C’est surtout les choses sur lesquelles on bloque donc plutôt les idées et les techniques. » Anne Pour Anne, le concept apparaît comme étant l’étape la plus personnelle, qui ne nécessiterait pas vraiment de demander de l’aide. « Du coup on s’aidait vraiment sur la représentation. Sur le concept en général pas du tout. Je sais pas si c’est par respect de l’idée de notre camarade ou parce qu’on n’a pas non plus le temps de s’asseoir et de discuter. Et puis ouais plutôt sur des trucs techniques ou des choses comme ça. Du très concret. […] Sur l’idée, peut-être que les étudiants trouvent ça un peu trop intime pour en parler directement et ont peur de se laisser trop changer par le point de vue de quelqu’un d’autre et qu’à la fin ça soit plus leur idée. Comme ça pourrait arriver avec un prof mais le prof il a quand même la responsabilité de respecter l’idée de l’étudiant. » Denis «[les techniques de représentation] ça c’est des choses sur lesquelles on s’aidait beaucoup les uns et les autres. Sur le projet, un peu mais moins… moins quand même parce que, y’a quelque chose d’assez intime malgré tout, en projet, avec les amis même si on partageait des choses, c’était toujours avec une espèce de distance de respect mais aussi de quelque chose de non maîtrisé de toute façon qui fait que le conseil est malgré tout un peu plus difficile à se raconter » Laurence K.

Sociabilités en atelier

55

Denis et Laurence K. abondent dans le même sens quant à la dimension intime du projet et au respect dont il doit faire l’objet.

La notion de respect donne une teneur presque sacrée au processus de conception. Comme le souligne Denis, cette distance de respect peut aussi être maintenue pour être certain de garder son identité et sa pureté. Par ailleurs, le fait de qualifier ce processus de nonmaîtrisé donne l’impression qu’il est mystique au sens de caché ou secret. Il serait donc difficile à formuler et les étudiants n’auraient pas les outils nécessaires pour le communiquer. Cette notion de respect vis-à-vis de la création se pose de la même manière avec les enseignants, cependant, il serait de leur devoir de garantir qu’ils ne corrompront pas l’identité créative de leurs étudiants. Cette règle pourrait faire partie d’une sorte de contrat pédagogique tacite entre l’étudiant et l’enseignant. Cependant, comme on l’a vu en Partie I.a., cette règle n’est pas toujours respectée par les enseignants.

Marc qui est en deuxième année avance que les étudiants n’ont pas encore les compétences pour s’aider sur ce sujet. « Après de l’aide, pour ce qui concerne le projet, on s’aide pas énormément entre nous sur le projet, parce que c’est quand même un peu compliqué, parce qu’on est qu’étudiants en deuxième année, donc on n’est pas forcément habilités, capables de s’aider sur un projet » Marc Ainsi, la tâche étant trop complexe et/ou flou, l’acte créatif reste un moment extrêmement personnel qui est partagé avec l’enseignant de manière privilégiée. L’enseignant est en effet légitime. Les étudiants qui ont la chance d’être en contact avec des étudiants des années supérieures peuvent aussi se tourner vers eux car eux aussi possèdent une certaine légitimité qui assure d’avoir un avis avisé et de qualité sur des questions de conception « Et cette entraide c’était plus sur la forme ? Le rendu, la représentation, que sur le projet en tant que tel, la conception ?

Bah l’entraide elle était plus sur la conception par rapport aux promos du dessus qui nous donnaient des conseils, et elle était vraiment sur la production quand on était en charrette » Lou Cette question de la légitimité face au processus de conception est assez centrale. En effet, on remarque que ce sont plutôt les étudiants de licence interviewés qui mettent une distance concernant l’entraide sur la conception. Ceci peut aussi s’expliquer par le fait qu’ils sont dans une phase de découverte progressive du monde de l’architecture. Ils tâtonnent et se considèrent encore comme des novices. Les étudiants en master semblent plus ouverts sur la question de la conception, on sent qu’il y a plus de porosité.

Comme on l’a vu plus haut, les étudiants sont plus enclins à aller discuter du fond du projet avec leurs camarades, voire à organiser de véritable revue de projet sans l’enseignant, justement pour relativiser et enrichir les remarques de ce dernier. Ce processus d’autonomisation passe aussi par une légitimation des étudiants qui s’installe en grande partie à travers le regard des enseignants.

56 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

III. Construction d’une légitimité et effets de distinctions

III. Construction d’une légitimité et effets de distinction Les changements dans le rapport à l’enseignant et à l’enseignement Glissement entre la Licence et le Master, entre verticalité et horizontalité

Ici, Lou s’empare de cette nouvelle légitimité, de cette prise de confiance grâce au bagage acquis en licence pour être force de proposition. En effet, elle explique que cela permet véritablement d’avoir des échanges riches et pertinents, notamment avec l’enseignant qui fait maintenant parti des pairs.

Pour Jean O., le passage de la licence au master implique un véritable changement dans la pédagogie car les étudiants ne sont plus les mêmes.

« Et dans les autres cas ?

Bah je trouve que c’est la première année où on a vraiment une interaction entre élève et prof, après je sais pas si ça vient du fait qu’on a plus de maturité, en terme de projet et en terme d’architecture, ou si c’est parce que je m’en rendais pas vraiment compte, mais j’avais l’impression de parler assez peu et d’assez peu donner mon avis avant. […] Enfin je pense que ça vient aussi de la maturité, pas que des profs. Je pense qu’en L3 on a pas du tout la même maturité ou les mêmes connaissances qu’on a en L1 ou en L2 et voilà quoi. » Anne

« [Je fais comprendre] aux étudiants qu’ils sont aussi pointus que moi dans l’analyse de ce qu’ils produisent lorsqu’ils font du projet. Donc faire confiance effectivement au collectif pour porter un regard qui est certainement différent, certainement décalé, mais tout aussi enrichissant. […] Vous atteigniez un niveau d’expertise dans le domaine et de maturité, parce que vous êtes sortis de la licence qui vous donne le droit et la compétence à regarder les autres, les alimenter avec bienveillance. […] c’est pas un effet de mode, c’est vraiment un Crédo. S’enrichir au contact des autres et ne pas hésiter à se penser légitime, c’est-à-dire à dire des choses sur le travail des autres. Euh cet exercice là qu’on fait aussi dans ALT M2 à travers notamment les tables rondes […]

Parce qu’il n’y a pas de solution unique… Il n’y a pas de bonne solution. Il n’y que des solutions admises, concertées, aimées, etc.

Voilà, donc sur le plan de la pédagogie que je mets en œuvre, elle est vraiment nourrie de ça. Moi je ne considère pas légitime sur un certain nombre de sujet que les étudiants vont traiter » Jean O. Avec le témoignage de Jean O., on voit que le passage de la licence au master constitue une véritable étape. Si les étudiants l’ont passé, c’est qu’ils justifient d’un certain niveau de connaissance et d’expérience qui les rend apte à rentrer dans une communauté professionnelle de pairs. Jean O. va véritablement s’appuyer sur ce postulat pour construire son enseignement où les étudiants peuvent exercer leur regard critique et devenir des ressources pour les autres.

Plusieurs étudiants confirment cette montée en légitimité, notamment grâce au changement du rapport avec l’enseignant.

En fait, cette prise de légitimité peut commencer à s’opérer dès la L3 comme en témoigne Anne. Selon elle, c’est plutôt la maturité et la prise de confiance qui va permettre de changer la relation avec l’enseignant. Difficile de dire lequel de ces deux paramètres (changement pédagogique ou maturité) précèdent l’autre car cela dépend aussi des situations. On pourra cependant admettre que les deux s’influencent mutuellement. « Cette solidarité, moi je l’ai vu en master où on a plus ce prof tout puissant, où c’est déjà une pédagogie différente, cette fois c’est plus une compensation, c’est juste une nouvelle manière d’aborder l’architecture, une manière qui est finalement plus adéquate au monde actuel je pense » Victoire Pour Victoire, le changement de pédagogie va pouvoir également avoir un impact sur la solidarité entre les étudiants. Celle-ci ne correspond plus à une compensation mais bien à une nouvelle manière de travailler. Les différentes organisations collectives (décrites en Partie II.b), comme la résidence artistique ou l’aide à la conception sont par exemple des formes qui semblent pouvoir être plus utilisées lorsque les étudiants ont acquis une légitimité entre eux et vis-à-vis des enseignants.

« -Et pour toi d’où elle vient cette évolution de ta posture ? Ya eu un déclic ? Enfin pourquoi ?

-Bah je pense qu’en master on a un rapport plus horizontal avec les profs, du coup on se permet de répondre en rendu, d’avoir un échange et un débat, plutôt qu’en Licence… où t’es juste là comme une espèce de pion à écouter le prof. Ça te fait pas tellement aller de l’avant… Et puis t’as pas la légitimité et la connaissance nécessaire et toute l’expérience pour être sûr de ce que tu fais et pertinent. Tu te laisses un petit peu submerger…

Enfin je sais pas comment dire ça… Parce qu’un moment donné tu prends de la confiance dans tes connaissances, tu affines ta méthodologie de projet et tout ça. Et donc y’a une espèce de prise de confiance je pense. » Lou

58 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

« Est-ce-que tu peux me re-synthétiser les grandes différences entre la licence et le master pour toi ?

La licence c’est un aperçu plus théorique de l’architecture et le master plus une pratique. Et théorique dans le sens où tu t’enrichi en expérience, en références, etc. Tu commences un peu à… je vais dire ça comme ça (rires)… Dépuceler ton esprit à l’architecture. Tu commences peu à peu à avoir ce regard qui s’ouvre sur les choses. Quand tu te balades dans la rue c’est plus pareil. Tu t’ouvres au monde en Licence c’est super intéressant.

Et en master, après cette ouverture, t’as plus une recherche de comment toi tu veux te projeter dans ce monde-là, quelles sont tes méthodes, tes outils, tes valeurs. Te forger un esprit critique et développer une vision qui t’es propre alors qu’au début c’est plus une culture assez générale. Donc je dirais que la licence c’est une ouverture, le master c’est une recherche… » Lou Cette citation est très intéressante car elle résume les points que nous avons évoqué précédemment et offre une vision qui permettrait de formuler ces deux hypothèses : - La Licence est une ouverture, une prise de conscience face à un nouveau domaine jusqu’alors inconnu. Cette ouverture s’opère à travers des expériences de projet, des connaissances acquises en projet ou dans les enseignements transversaux mais aussi à travers des épreuves telles que les rendus ou les charrettes (pour ceux qui en font). En fait, la licence pourrait correspondre à la construction et l’intériorisation d’un habitus commun à tous les étudiants. On se réfère ici à l’habitus au sens bourdieusien du terme « comme produit de l’intériorisation des principes d’un arbitraire culturel capable de se perpétuer après cessation de l’Action Pédagogique57 et par là de perpétuer dans les pratiques, les principes de l’arbitraire intériorisé » ( Bourdieu, Passeron, 1970, p. 47) - Le Master est un moment pour affirmer une identité. Il symbolise le passage de l’Ecole au monde professionnel. Grâce à la légitimité acquise par le passage en Licence, les enseignants les acceptent maintenant comme des pairs. Les étudiants vont se positionner dans leur pratique et développer une vision du monde qui leur est propre. On peut supposer que c’est donc le moment à partir duquel les étudiants vont véritablement se distinguer les uns des autres.

Afin de développer le premier point, nous verrons comment le rendu et la note peuvent être structurant dans construction de cet habitus. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux effets de distinction des étudiants à travers un exemple à valeur ethnographique tiré de ma propre expérience.

La construction de l’habitus à travers deux exemples : le rendu comme rite de passage et la note comme symbole d’un arbitraire

a. La construction de l’habitus à travers deux exemples : le rendu comme rite de passage et la note comme symbole d’un arbitraire Le rendu comme rite de passage Les rendus rythment fortement les études d’architecture et sont des moments structurants dans la vie de l’atelier. Ils sont souvent précédé d’une augmentation importante du rythme de travail des étudiants (au même titre que les partiel d’ailleurs) qui peut très vite devenir une véritable charrette. En école d’architecture, la charrette peut s’assimiler à un véritable rite de passage. En effet, dans un sondage réalisé par l’UNEAP58 en 2017, près de 66,5% des répondants estiment qu’il existe un véritable culte de la charrette dans les écoles d’architecture.

*

Communication réalisée par le groupe Santé du Collège des étudiants dans le cadre du traitement des données du questionnaire sur la santé. (source : page facebook de l’UNEAP)

* Nous ne nous attarderons pas sur cette pratique, dont les tenants

57 « Toute action pédagogique (AP) est objectivement une violence symbolique en tant qu’imposition, par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel » (Bourdieu, Passeron, 1970, p. 19)

58 Sondage réalisé par le Collège des étudiants et relayé par les administrateurs UNEAP sur les réseaux respectifs de chaque ENSA. Une partie des résultats a ensuite été diffusée sur la page facebook de l’UNEAP. Ce sondage portait sur la santé des étudiants en architecture et la culture de la charrette.

Sociabilités en atelier

59

et aboutissants font l’objet du mémoire de Youri Dayot59. Il était néanmoins important de l’évoquer pour comprendre l’importance que peuvent prendre les rendus dans le cursus des étudiants en architecture. Comme il est précisé plus haut, les rendus peuvent prendre des formes diverses : passage devant un binôme d’enseignant, affichage dans tout l’atelier, rendu muet60, etc. Dans tous les cas, il y a une véritable mise en scène de l’étudiant et de son travail qui l’expose et qui est souvent vécu comme une situation stressante.

Dans un article s’intéressant au jury en tant que dispositif pédagogique à part entière, Hélena Webster61 fait état de résultats et interprétations d’une étude ethnographique menée pendant 1 an dans une école d’architecture anglaise. La thèse de l’auteure remet en question la place du design jury comme dispositif d’évaluation par excellence dans les écoles d’architecture.

Dans un premier temps, Helena Webster montre la position paradoxale et dichotomique du design jury qui oscille entre temps d’apprentissage réflexif et dispositif disciplinaire.

Ensuite, devant cette contradiction, l’auteure se tourne vers Michel Foucault. Elle observe qu’à travers toute l’œuvre de Foucault, « il concevait les micro-technologies du pouvoir et la constitution [identitaire] de l’individu » comme étant les deux faces d›une même pièce plutôt que d›être deux phénomènes distincts. » (Webster, 2006, p.7). Et c’est bien cette dualité et la place laissée à la négociation pour les étudiants qui intéressent l’auteure.

Dans la troisième partie, l’auteure revient sur la naissance de la pédagogie architecturale en Angleterre. Elle souligne le fait que l’atelier reproduit une pédagogie quasiment identique à l’apprentissage maître-élève et intègre à la fois les notions de lieu de surveillance et de pratiques de normalisation développées par Foucault.

Les interviews effectuées par Webster montrent que le jury reste un événement très valorisé et dont les objectifs (amélioration et retour critique sur le projet) sont très bien compris. Cependant, le discours des étudiants révèle que le jury induit une approche stratégique de leur part qui favorise des apprentissages de surface car le dialogue avec le jury est difficile voire inexistant.

Sur ce point, les étudiants de licence qui ont été interviewés pour ce mémoire ont des points de vue contrastés. Denis estime que le rendu est un moment très important du point de vue des remarques que les enseignants vont fournir. Quant à Marc, pour son dernier rendu, il souligne que les remarques ont peu d’impact car il est trop tard. A propos de la licence, Lou trouve d’ailleurs que les enseignants « attendent trop le rendu pour se manifester ».

59 DAYOT Youri, 2014 : « La culture des charrettes dans les ENSA – Pourquoi les étudiants en architecture ne dorment pas ? », Mémoire de master en sciences sociales, sous la direction de Raul MAGNI-BERTON et Guillaume ROUX, Grenoble, 207p.

60 Dans le cas d’un rendu muet, l’étudiant ne fait pas de présentation orale. Ses planches doivent donc être assez explicites et claires pour que les enseignants puissent comprendre le projet. L’étudiant n’a donc pas la possibilité de défendre son projet.

61 WEBSTER Helena, 2006 : “A Foucauldian look at the Design Jury”, Art Design & Communication in Higher Education

60 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

« Je me dis qu’il [le rendu] devrait arriver avant. Parce que pendant le rendu, ils nous disent plein de chose qu’ils devraient nous dire avant. Bon après ils nous le disent aussi maintenant parce qu’on leur montre quelque chose de plus ou moins fini.

Mais oui c’est un moment où je pense qu’on apprend plein de chose parce qu’ils nous font un retour sur un truc fini et que du coup ils ont un point de vue global et du coup s’ils comprennent ils pourront nous faire un retour sur la qualité de ce qu’on a fait et s’ils ne comprennent pas ils pourront nous dire ce qui manque. Du coup le rendu c’est peut-être le truc le plus important du projet. Même si c’est pas agréable. » Denis « Après en terme de retours des enseignants, sur le projet, c’est vraiment, pour le dernier rendu, ça n’a eu aucun impact, de toute façon le projet était fini, mais enfin ça guide quand même beaucoup pour le rendu suivant » Marc Par contre, le dialogue entre le jury (les enseignants) et l’étudiant qui passe peut en effet être rendu difficile par l’organisation dans le temps et dans l’espace des rendus. « -Et lors des rendus ça se passe comment ? Ya un rendu et après les profs parlent ? Ya un dialogue ?

-Alors là on n’a pas eu de dialogue parce qu’on a commencé très en retard. On a commencé à 10h30 au lieu de commencer à 9h donc voilà on a déjà perdu 1h30. Y’avait pas du tout de dialogue, quand on essayait de renchérir y’a Mme Y qui nous disait : ‘stop on n’a pas le temps de répondre, c’est nous qui parlons et pas vous’.

Ok (rires)» Anne Dans ces conditions, l’échange avec les enseignants est impossible.

Plutôt que de construire leur propre identité, H. Webster observe une sorte d’adaptation des étudiants aux idées de leurs enseignants. De plus, la perspective d’un jury provoque un changement de comportement important chez les étudiants sur une période d’un jour à deux semaines (comme la charrette évoquée plus haut...). Ceci s’explique à la fois par le fait que les étudiants appréhendent le jugement des experts mais aussi parce que le projet n’est jamais fini. Ce comportement est cependant intégré comme « normal » car il fait partie d’une culture diffusant des pratiques « nécessaires » pour l’exercice du métier.

En conclusion, l’auteure souligne que l’évaluation des étudiants a grandement évolué depuis le 19ème siècle. L’évaluation a maintenant pour but d’apporter un regard critique encourageant ainsi qu’un apprentissage réflexif dans un environnement ouvert. Cependant, les design jury contemporains restent prisonniers de certaines pratiques qui créent un décalage entre les objectifs visés par le jury et ses effets réels. Webster rappelle que ces résultats ne sont en aucun cas généralisables bien qu’on puisse imaginer des scénarios similaires dans d’autres écoles (grâce à des écrits antérieurs notamment). Enfin, elle ouvre en s’interrogeant sur la manière dont l’école étudiée pourrait utiliser cette étude pour améliorer l’enseignement dispensé.

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

L’étude ethnographique présentée dans cet article fait écho aux conclusions tirées par Kathryn H.Anthony62 dans un travail réalisé cette fois ci dans une école américaine. En effet, elle observe le peu d’impact (voire l’impact négatif ) que peuvent avoir les corrections orales lors des jurys sur les étudiants. Ces deux études, sont révélatrices, à leur humble échelle, de l’asymétrie qui peut s’installer entre jury et jurés et des comportements parfois problématiques que cela entraîne chez les étudiants.

Le jury est un moment fort pour l’étudiant en tant qu’individu.

Il cristallise des rapports de force à un moment clé mais cela n’est pas forcément représentatif de ce qui se passe au quotidien en atelier de projet au quotidien (stress de la situation d’évaluation lors du rendu). De plus, les interactions des étudiants au moment du jury ne sont pas du tout abordées dans ces deux études dans lesquelles on apprend que les étudiants n’interviennent presque jamais après le retour critique des intervenants pour discuter du projet de leurs camarades.

Cette dernière observation est plutôt confirmée par les étudiants enquêtés, surtout en licence. Ils évoquent en effet le fait qu’il y ait peu voire aucune intervention de la part de leurs camarades pendant les rendus. Denis juge que cela pourrait être intéressant mais que c’est plutôt un moment privilégié pour les enseignants.

De plus, l’organisation spatiale en amphithéâtre, derrière les enseignants, peut sembler propice à l’écoute des étudiants mais plutôt inadaptée pour encourager la participation du public

*

verticalité entre enseignants et enseigné existe toujours mais une horizontalité se révèle plutôt du point de vue pédagogique, plus précisément sur la question de la critique. « - Et au niveau des rendus, c’est organisé comment ?

-Alors c’est organisé par les élèves (rires). On a opté pour un système qui change un peu, c’est-à-dire qu’on a 2 phases. Une phase le matin où on a une discussion à 5. Tu présentes ton projet, et le prof est là pour donner des références. Et l’aprèsmidi c’est le prof qui présente ton projet en fait (rires). Ou alors les étudiants. Et c’est pas mal parce que toi t’as rien le droit de dire, et il présente ça aux autres de manière neutre, pas comme s’ils avaient à défendre une idée et les autres ils font la critique.

Et donc là c’est intéressant parce que les critiques fusent plus facilement tu vois. Et euh c’est super intéressant ce format…[…]

-Et le retour critique du prof se passe le matin du coup ?

-Oui et en petit groupe donc on a le temps d’aller plus loin. C’est plus convivial qu’un prof qui dicte ses critiques ouvertement de façon acerbe, devant toute la promo. C’est plus cozy le matin.

Donc par rapport à des rendus que t’as pu avoir par le passé c’est comment ?

C’est moins brutal en fait… En fait par le passé je les ai trouvé pas très… pour des petits L1 qui ne savent pas trop ce que c’est l’architecture, des fois on s’est pris des bonnes grosses bâches…

Enfin moi ça allait mais j’ai des souvenirs de gens qui se sont fait complètement démontés pour une erreur. » Lou Ce mode de rendu est vécu comme une expérience beaucoup plus chaleureuse, peut-être moins formelle et mise en opposition avec la brutalité des rendus de licence. Julie, elle aussi en master 2 apporte une vision similaire à celle de Lou. « Maintenant avec du recul, je comprends les remarques et je suis d’accord que ce qu’on avait fait c’était un peu faible et pas très intéressant, mais après c’est toujours la même manière des profs de s’exprimer et de vouloir dire les choses violemment.

Je sais pas pourquoi » Julie

Exemple de rendu : les étudiants s’installent sous forme “d’amphithéâtre” (S. Collin)

* Lou a cependant eu l’occasion de tester un format de rendu différent dans son domaine de master qui encourage justement la participation des étudiants en s’appuyant sur une horizontalité entre enseignants et étudiants. Du point de vue hiérarchique, la 62 - H. Anthony K, Printemps 1987 : « Private Reactions to Public Criticism : Students, Faculty, and Practicing Architects StateTheir Views on Design Juries in Architectural Education », Journal of Architectural Education (1984-), Vol. 40, No. 3, pp. 2-11

On peut supposer qu’un tel format soit justement intéressant pour créer des conditions qui permettent aux étudiants de mieux recevoir la critique de l’intégrer mais aussi de pouvoir y réagir.

Cependant, on peut justement se demander si ce type de rendu n’est pas plus adapté à des étudiants de master, à priori plus expérimentés, qu’à des étudiants de licence. Il serait intéressant d’étudier les avantages que peuvent apporter de tels dispositifs en terme d’apprentissage et ainsi de voir dans quelles conditions ils pourraient être utilisés avec des étudiants novices.

En master 1, j’ai moi-même pu expérimenter des formats de rendu très différents. Pour l’un d’entre eux, les enseignants nous faisaient participer, par binôme à la critique de projet. Ils avaient préparé une fiche qui nous permettait de nous guider dans nos remarques.

Cet exercice était très intéressant mais aussi très difficile. En effet, c’était quelque chose de nouveau pour nous dont nous n’avions

Sociabilités en atelier

61

jamais eu l’habitude. Il n’était pas évident pour tous de jouer le jeu et nous avions tous été quelque peu étonné par ce dispositif au départ.

Ainsi, le rendu apparait comme un moment plus ou moins traumatisant et enrichissant pour les étudiants selon qu’il donne lieu à un dialogue ou à un monologue des enseignants avec des critiques virulentes.

La note « Il y a deux choses différentes, y’a l’enseignement en 2ème année qui est une chose où l’approche pédagogique elle est totalement différente d’un enseignement en master. Parce qu’en master, on a des esprits qui sont déjà un peu plus constitués, enfin qui sont façonnés où y’a déjà un bagage culturel archi, un background sur les expérimentations en terme de projet.

Enfin voilà, on a des conversations, en 2ème année on n’a pas des conversations. C’est de la stimulation, […] Enfin, c’est post-bac donc du coup ils sont très jeunes, ils ont encore une approche très scolaire, ils ont aucune culture architecturale, enfin c’est rarissime. Donc en fonction des caractères, il faut essayer de trouver les moyens de leur dire … « va voir ». Ce qui n’est pas forcément aisé, mais du coup, on parle pas réellement de projet. […] C’est presque plus une façon de se faire comprendre sur le fait qu’il faut travailler et être curieux. Ça c’est pour moi la pédagogie de 2ème année. » Frédéric G. L’étudiant de licence est vu comme une personne ayant un esprit vierge qui arrive dans un monde tout à fait nouveau.

Son acculturation63 va notamment passer par l’abandon d’une approche scolaire. Ce terme est assez souvent employé par les enseignants de manière péjorative. Ce serait une approche « livresque, qui manque d’originalité »64. D’ailleurs, malgré la volonté de l’Ecole de Lyon de sélectionner des profils divers, la grande majorité des étudiants proviennent de BAC S ou STI. On note également que la plupart des étudiants enquêtés soulignent le fait que l’approche moins scolaire des études d’architecture a aussi été un élément déterminant pour choisir cette filière.

Malgré tout, l’habitus scolaire reste quelque chose de très ancré chez les étudiants même s’il apparait que déclarer que la note n’a pas d’importance est socialement valorisé. On peut imaginer que le fait que l’aspect « scolaire » soit stigmatisé par les enseignants joue sur cette valorisation.

« Pour moi les notes… je sais que c’est pas pour tout le monde… Mais quand même ça compte même si tu sais que c’est pas important et que ça compte pas, pour ta vie future en vrai c’est un pacte moral parce que ça reste quand même un repère de la reconnaissance de ton travail quoi » Rose Le fait que Rose parle de pacte moral suggère le fait que la note ferait partie d’un pacte pédagogique avec l’enseignant.

La plupart des étudiants de licence enquêtés manifestent leur incompréhension face à la note qu’ils reçoivent.

L’incompréhension face à l’arbitraire de la note « En fait ce qui m’arrive souvent depuis le début de l’année c’est qu’à l’oral ça se passe super bien, les profs sont super contents, ils disent même j’adore, c’est un beau projet. Après bon ça va j’ai pas une note catastrophique mais j’ai 12 ou 12,5 et au final je m’en fou d’avoir 12,5 mais j’aimerais bien savoir plus pourquoi en fait. Surtout au premier rendu, c’est ça qui m’a marqué, c’est qu’ils m’ont juste dit que j’aurais pu décaler ma maison et j’ai eu 12 alors qu’ils étaient super content. Parce que ça me rend curieuse aussi de savoir qu’on aurait pu faire, ce qu’on aurait pu améliorer et au final et de rien dire, de mettre 12 et de pas l’expliquer c’est un peu frustrant » Clara « Je n’ai pas compris ma note et ma note me semble pas justifiée voilà. Je te parle du dernier rendu du S1 […] Même de façon plus générale, je pense que les étudiants n’ont pas compris leur note sur ce projet. Ça sortait un peu de nulle part. Des notes qui étaient plus ou moins contestées et oui j’en fait partie. Je trouvais que ma note sortait complètement de nulle part et que je ne méritais pas cette note. […] » Denis La plupart des étudiants enquêtés expliquent en effet qu’ils sont souvent surpris par le décalage qui existe entre les retours exprimés par les enseignants en rendu et la traduction par la note. Ceuxci appuient sur le fait qu’ils ne cherchent pas à avoir une note excellente mais que la perte de point soit au moins correctement expliquée. La frustration de Clara peut se comprendre par le fait qu’il s’agit du dernier retour sur un travail conséquent d’un semestre. Denis va jusqu’à dire que sa note était totalement injustifiée. En fait, les différents témoignages montrent que les étudiants ne savent pas et ne comprennent pas sur quels critères les enseignants se basent pour les noter. Dans les entretiens, seul un enseignant a expliqué concrètement sous quel angle il envisageait la question de la note.

63 « Processus par lequel un individu apprend les modes de comportements, les modèles et les normes d›un groupe de façon à être accepté dans ce groupe et à y participer sans conflit.`` (Mucch. Sc. soc.

1969). » , CNRTL 64

CNRTL

62 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

« Comment vous notez les étudiants ? Sur quoi svous vous basez ?

Qu’est-ce-que c’est un bon projet pour un étudiant de S4 ?

Bah après en S4 c’est très cadré. […] Ya pas vraiment de contraste et de notation à la tête du client même si évidemment ça influe indirectement mais… […] Moi je mets pas souvent de 17, de 18. Pour moi 15 c’est super, c’est déjà génial. Ce qui pose toujours un peu des soucis, parce que… Enfin là on a noté hier donc là j’ai eu des mails ce matin où j’ai déjà des demandes de… Enfin pourquoi j’ai pas eu 20 ? Pourquoi vous m’avez enlevé des points ? Alors que ce projet est excellent, il est pas loin d’être parfait quoi… Pour nous 15 c’est le job méga super bien rempli, super rigoureux dans le contexte de celui d’un projet de 2ème année. […]

Pour moi quelqu’un qui a 20 c’est quelqu’un qui fait un projet entre guillemets comme le ferait un professionnel, un praticien de l’architecture… Alors ça peut se questionner, on pourrait se dire, tu rempli le contrat bah voilà t’as 20.[...] Mais après ça dépend vachement des critères et de la manière dont sont abordées les choses. […]

Y’a un étudiant qui a fait un projet très utopique, moi je l’ai encouragé à le faire parce que je voyais qu’il y prenait du plaisir […] Il était très étonné que je l’encourage à aller dans quelque chose qui lui plaisait… Parce que c’était utopiste, radical. […]

Mais du coup il y passait du temps, beaucoup de précision et moi je trouvais ça super intéressant pour lui en fait. Et puis il répond au cadre, […] la tête est bien faîte et le discours est bien construit donc y’a pas de raison de le saquer. […] Donc il à 15 et il pas 18 malgré tout… Même s’il s’intéresse à l’utopie dans sa thématique, son projet n’est pas révolutionnaire même s’il s’intéresse à de l’architecture révolutionnaire entre guillemets. […] Moi quand je vois un étudiant qui est stimulé, hyper enthousiaste, y’a pas meilleur retour d’un étudiant que ça. Oui ça me fait sourire et puis je trouve ça super intéressant parce que je me dis que ça ne peut faire qu’un bon architecte. Parce que c’est la culture plaisir le projet. Si t’as pas ça en fait, faut pas faire architecture, parce que c’est tellement exigent et pénible et régler des problèmes tout le temps.» Frédéric G. Il y a deux façon d’envisager la manière dont on obtient une note.

Soit l’étudiant gagne des points, soit il en perd. Ici, le barème de l’enseignant correspond plutôt à la première proposition. Le sens de lecture peut aussi témoigner du décalage entre le nouvel habitus et l’habitus scolaire dans lequel la note finale était plutôt envisagée comme le résultat d’une perte de point partant de 20.

Si on extrapole le barème de notation de cet enseignant à partir de son discours, on pourrait obtenir ceci : - Une note inférieure à 10 : le travail est insuffisant par rapport aux objectifs sur semestre - Une note de 10 : le contrat est rempli, les objectifs du semestre sont atteints - Une note de 15 : le contrat est rempli et le travail est excellent, il dépasse les objectifs du semestre - Une note de 20 : le travail est digne de celui d’un praticien Le dernier point pourrait être discuté dans le sens où le projet de praticien répond à des contraintes (notamment économiques et réglementaires) auxquelles les étudiants, dans le cadre d’un

semestre de licence, ne sont jamais confrontés. Partant de ce postulat, cet objectif serait inatteignable. Il parait alors logique que l’étudiant ayant fait un projet utopique n’obtiennent pas une note supérieure à 15.

Là encore, on revient aux éternelles questions d’objectifs, de critères, de barèmes, de compétences visées pour évaluer les étudiants. L’évaluation rigoureuse des projets peut en effet se révéler être un vrai casse-tête. De plus, certains enseignants expriment leur inquiétude face à l’explicitation des critères de notation. Un enseignant exprime par exemple la possibilité que les étudiants s’emparent des critères de notation et les utilisent dans une simple visée scolaire.

«C’est pas une copie de maths avec quatre exercices avec une pondération des exercices avec nombre de points. C’est très subjectif, ça peut être injuste, je comprends, c’est une revendication depuis très longtemps, d’avoir des critères objectifs quantifiés, je le conçois, mais je vois pas comment on applique ça au projet, je vois pas comment on applique ça à une dissert’ de philo, mais le jour où on aura ça, on aura plus de philo, plus de projet, parce qu’on aura juste des étudiants qui feront les calculs et la pondération, il me faut 12 sur tel critère et je valide mon truc... et on fera plus du projet, on fera quelque chose d’autre... »65 On pourrait cependant souligner le fait que même sans critères explicites, les étudiants peuvent retourner le système à leur avantage, notamment à travers les stratégies de séduction décrites en Partie II.a.

Ainsi, même si un cadre commun peut être mis en place par l’enseignant référent de semestre, chaque enseignant s’approprie la notation, et va rarement expliciter la façon dont il a noté.

L’incompréhension des étudiants face à leur note proviendrait donc à la fois de la dissonance entre le rendu et la note mais aussi du mystère qui tourne autour de l’attribution de cette note basée sur un retournement du sens de lecture de cette même note.

A ce titre, la note devient un bon exemple de manifestation de l’arbitraire de l’enseignant que nous avions évoqué en Partie I.a.

D’autant que l’enseignant possède le monopole du barème de la note. Il y a donc un véritable rapport de pouvoir qui va s’installer entre l’étudiant et l’enseignant.

Là où les étudiants pouvaient auparavant (au lycée) expliquer leur note mathématiquement ou alors par le dialogue avec l’enseignant, les étudiants sont maintenant livrés à eux-mêmes, le dialogue n’étant parfois pas satisfaisant comme l’explique Anne.

65 Extrait d’entretien avec Sébastien A. tiré de : PARIS Hugo, 2017 : « Enseigner la conception – Etudes des pratiques de l’enseignement de la conception en école d’architecture (ENSAL) et en école d’ingénieur (INSA Lyon) », Mémoire de master en architecture, sous la direction de Boris Roueff, Lyon, p.27

Sociabilités en atelier

63

« [Ce mur] permettait aux gens qui étaient à l’intérieur de la parcelle de voir dehors mais pas aux gens qui étaient dehors de voir à l’intérieur. Et ça sur la maquette c’était pas forcément très bien représenté je pense, et en fait du coup il m’a mis 11, parce que la limite de parcelle n’était pas à sa convenance. Donc je suis allée le voir après. Je lui dis « vous auriez préférez que je mette un mur en béton ? » Il me dit « oui avec un mur en béton t’aurais eu une meilleure note ». ça m’a perturbé…

Je voulais pas avoir 16 ou 20, c’était pas mon but. Mais j’aurais bien aimé avoir 12 ou 13 parce que j’avais traité la pente correctement alors que d’autres personnes, qui l’avaient carrément pas traitée, avaient eu des notes beaucoup mieux que la mienne. J’ai été un peu embêté parce qu’en plus le titre du projet c’était je crois, faubourgs métropolitains, construire dans la pente… Donc voilà ça m’a un peu choqué. » Anne Pour Anne, l’explication est d’autant plus injustifiée qu’elle estimait avoir atteint les objectifs du semestre. Il y a donc dissonance entre critères d’évaluation annoncés (dans le livret de présentation du semestre) et ceux pris en compte par l’enseignant au final. D’autant que ceux-ci peuvent apparaître comme étant un jugement de valeur. Un sentiment d’injustice se dégage alors, lorsque les étudiants se mettent à se comparer entre eux.

Un arbitraire qui peut créer un sentiment d’inégalité et d’injustice. « Et tu te situais comment par rapport aux autres ? Vous avez un peu comparé vos notes pour essayer de comprendre ?

Bah en fait dans les moments de comparaison qu’on fait ensemble, ce qui est ressorti c’est que les enseignants jugent de manière tout à fait… Pas du tout objective et que c’est à la tête de l’étudiant et à la tête du projet […]. C’est la seule explication qu’on a trouvée sur la notation en fait » Denis Face à l’arbitraire implicite, Denis n’a pas d’autre choix que d’envisager le fait que les enseignants notent les projets qu’ils préfèrent, c’est-à-dire, à la tête du client.

Marc quant à lui, souligne que la différence de critères de notation d’un groupe d’atelier à l’autre peut poser de véritable souci d’harmonisation.

64 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

« Ma note par rapport aux commentaires que l’enseignant a pu me donner au cours des séances et surtout pendant les rendus et après les rendus, je trouvais que les deux, la note et les commentaires étaient assez en accords pour une fois, parce que d’habitude, j’étais souvent assez déçu de la note par rapport aux commentaires qui ont été donnés, au sens où le projet semblait avoir été apprécié et bien mené la note ne semblait pas refléter ça.

Après en terme de comparaison, par rapport à d’autres projets, dans mon groupe, y’a toujours une certaine cohésion au sein du groupe. Après ce que je remarque toujours et c’est toujours un peu compliqué, entre deux groupes, il y a certaines fois où l’enseignant va demander, va attendre une phase du projet beaucoup plus poussée dans un groupe et pas dans un autre. Donc c’est pas évident dans le sens où si le binôme a une note supérieure à un autre binôme alors qu’ils avaient un projet moins poussé en terme de conception, c’est toujours un peu compliqué à prendre en considération. » Marc Une incompréhension face à la note peut ainsi pousser les étudiants à se comparer et ainsi créer de profonds sentiments d’inégalité et d’injustice.

La note apparaît ainsi comme un véritable outil de pouvoir sur lequel les étudiants n’ont, dans la plupart des cas, aucune prise.

Néanmoins, quelques enseignants se sont emparés de la question de la note pour en faire un véritable dispositif pédagogique Le partage du pouvoir grâce au partage de la notation Pour un des enseignants enquêtés, le fait que les étudiants accordent de l’importance à la note est une question générationnelle. Nous ne débattrons pas ici de l’influence de ce facteur. C’est néanmoins à partir de ce constat qu’il s’est emparé de la question de la note pour en faire un élément pour sa pédagogie. « La notation va devenir un outil important, donc on va aussi essayer de mieux expliquer comment on note. Puisqu’on s’aperçoit que la notation c’est quelque chose de très important dans cette génération, euh… Il faut qu’on insiste plus dessus. » Alain L. Dans ce semestre de master, les étudiants sont amenés à autoévaluer le travail de groupe. Les étudiants se notent à l’intérieur du groupe grâce à un système de fiche. Les étudiants ne sont donc pas uniquement évalués sur le projet lors du rendu et la note finale est le résultat d’une pondération de la note des étudiants et des enseignants. En participant à leur notation, l’enseignant perd l’exclusivité de son pouvoir, il est maintenant partagé. Dans cet exemple, ce partage implique aussi une explicitation de la note notamment à travers le système de fiches.

Aucune indication n’a été fournie sur la manière dont les étudiants percevaient ce système, notamment sur le fait qu’ils se notent entre eux. On pourrait en effet imaginer qu’un tel dispositif puisse également provoquer des tensions entre les étudiants. Ici encore se pose la question suivante : pourquoi un tel système ne serait-il pas envisageable en licence ?

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

Légitimité et détachement face à la note Les masters enquêtés semblent envisager la note de manière beaucoup plus sereine, ou du moins avec un certain recul. A l’instar de Julie qui expliquait qu’elle avait compris les remarques de son rendu de S5 à posteriori, Jade présente la compréhension de la note comme étant un processus de long terme. « Est-ce-que ça t’es arrivé depuis que t’es en archi, d’avoir un décalage entre le rendu et la note ?

Je sais pas trop. Enfin en soi, c’est toujours compliqué dans le sens où il ne faut pas s’inscrire dans l’immédiateté on va dire et avoir vraiment un recul là-dessus. C’est-à-dire qu’après quand 1 an passe, ou 6 mois passent, on n’a plus déjà le même regard là-dessus, on se dit ah j’aurais fait les choses différemment. Et déjà ça fait, sur ces histoires de notes, ça contextualise autrement. Je pense que c’est un processus évolutif au niveau de ce qu’il se passe dans la tête. Même quand on te pose une note au final, peut être que le projet s’arrête là en terme de production mais toi tu te continues à t’en faire une idée.» Jade Si on suit le raisonnement de Jade, la note pourrait se justifier avec le temps, au fur à mesure que l’étudiant mûrit et que son regard sur son passé évolue. La note a donc peu de signification au moment où elle est donnée. En fait, c’est l’étudiant qui va y donner du sens à posteriori pour pouvoir relativiser cette note.

Pour Lou, la note n’a de fait, aucun sens. Elle est une simple contrainte administrative. C’est à l’étudiant de faire sa propre auto-évaluation, d’un point de vue qualitatif. « Ton dernier projet, comment ça s’est passé ? Est-ce que t’as compris ta note ?

En ALT justement on s’en fou de la note. Genre vraiment ce qui compte c’est ta démarche et ce que ça t’apporte. Genre pour moi la note elle n’a aucun sens. […] Y’a aucune façon de distinguer un 16, d’un 14 ou un 15 entre quelqu’un qui fait de la réhab et l’autres qui fait du projet participatif. C’est pas du tout comparable. Genre j’ai eu 15 hein mais pour moi ça n’a aucune portée, ça n’influence pas du tout la façon dont je vais continuer à avancer. C’est purement histoire de dire, bon c’est validé quoi. Non pour moi la note n’a aucune importance.

Peut-être que tu peux comparer avec la licence pour le coup vu que ça se passait pas de la même manière ?

En licence, j’aimais bien le système de notation A, B, C, D avec des plus et des moins. Un peu flou mais pas trop. Après souvent je ne comprenais pas ma note parce que j’avais toujours l’impression de travailler plus pour avoir que ça (rires).

Mais ouais parfois je les trouvais un peu injustifiées, on sait pas d’où ça sort en fait je trouve que ça manque de retour de projet. Après le rendu, globalement on nous balance notre note mais c’est bien d’avoir un retour du rendu tu vois ce que je veux dire. » Lou

Lou ajoute que la note est d’autant plus insignifiante que les projets sont beaucoup trop différents entre eux pour avoir des critères de notation communs. Face à cela, on pourrait avancer qu’aborder l’évaluation sous l’angle de la compétence pourrait justement constituer une piste pour se détacher de l’objet-projet en tant que tel.

Tout comme beaucoup d’autres étudiants, Lou exprime cependant le fait que ces notes de licence lui paraissaient injustes. Maturité, prise de légitimité, changement de pédagogie, etc… Quels sont les facteurs les plus déterminants dans l’évolution du regard des étudiants sur leur note ? * Les observations précédentes pourraient mener sur une piste de réponse (hypothétique) : Le rendu et la note sont des exemples de mécanismes permettant d’inculquer un habitus ayant pour but de remplacer l’habitus scolaire. On note que cet habitus peut être caractérisé de professionnel dans la mesure où les rendus ressemblent aux concours (notamment concernant les modalités sur les éléments à rendre : planches, maquettes, etc.) Le premier mécanisme, le rendu, est de l’ordre de la pédagogie explicite66. En effet, les rendus sont des événements presque institutionnalisés et ils sont admis comme tels.

La note quant à elle, ou plus précisément la fabrication de la note, relève plutôt d’une pédagogie implicite67 dans le sens où elle n’est pas perçue comme rendant compte d’un travail ou des retours exprimés lors du rendu. Elle fait l’objet d’un arbitraire implicite.

A mesure que les étudiants gagnent en légitimité, ils vont réaliser à quel point cette note peut être arbitraire et donc s’en détacher. Ce détachement est aussi une manière de s’affranchir de cette note, soit en la rendant insignifiante, soit en lui construisant un autre sens. Dans les deux cas, il ne s’agit plus de comprendre le sens que l’enseignant donne à cette note. Ainsi, dans une certaine mesure, l’étudiant s’émancipe également du regard de l’enseignant. Cette dernière phrase pourrait cependant être remise en question par le fait que les enseignants valorisent les étudiants qui accordent peu d’importance à la note. Cette émancipation devient alors paradoxale car elle signifie que l’étudiant a en fait été correctement acculturé à l’école d’architecture. Le fait d’accepter cet état de fait, en trouvant des compensations par ailleurs (autosatisfaction) peut ainsi éviter que l’étudiant ne conteste l’arbitraire de la situation.

Par ailleurs, cette émancipation ne peut-être totale, elle est seulement psychologique. En effet, même en master, les enseignants gardent le pouvoir que leur confère l’attribution de la note : faire valider ou non un semestre.

Pour être plus précis, c’est la note est plutôt le résultat de l’évaluation ou du jugement du projet de l’étudiant, cette dernière correspondant alors à la pédagogie implicite. Cette évaluation ne 66 « le mode d’inculcation produisant l’habitus par l’inculcation méthodiquement organisée en tant que telle de principes formulés et même formalisés » (Bourdieu, Passeron, 1970, p.62) 67 « le mode d’inculcation produisant un habitus par l’inculcation inconsciente de principes qui ne se manifestent qu’à l’état pratique dans la pratique imposée » (Bourdieu, Passeron, 1970, p.62)

Sociabilités en atelier

65

se fait pas uniquement pendant les rendus, elle se fait en continu, notamment lors des face-à-face avec l’étudiant. C’est sur cette évaluation que l’enseignant va pouvoir formuler ses remarques. « Il serait vain de croire pouvoir hiérarchiser ces deux modes d’inculcation opposés [pédagogie explicite et implicite] selon leur productivité spécifique puisque cette efficacité mesurée à la durabilité et à la transposabilité de l’habitus produit ne peut-être définie indépendamment du contenu inculqué et des fonctions sociales que remplit, dans une formation sociale déterminées, le travail pédagogique : ainsi, la pédagogie implicite est sans doute la plus efficace lorsqu’il s’agit de transmettre des savoirs traditionnels, indifférenciés et totaux (apprentissage des manières et des tours de main), dans la mesure où elle exige du disciple ou de l’apprenti l’identification à la personne totale du « maître » ou du « compagnon » plus expérimenté.» (Boudieu, Passeron, 1970, p.63).

La pédagogie serait donc intéressante pour transmettre des savoirsêtre par mimétisme. * La construction de la légitimité des étudiants peut aussi s’accompagner d’effets de distinctions entre les étudiants.

Les rendus et les notes, deux éléments qui permettent l’inculcation d’un habitus, sont des indicateurs de ceux qui réussissent en projet et deviennent donc de fait des éléments de distinctions. « Dans la promo c’est un peu compliqué de se situer mais y’a vraiment des gens qui ont des 18, c’est toujours les mêmes gens qui ont toujours ça et on se sent un peu nul à côté. » Clara

66 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

b. Effets de distinction La note et les rendus : deux éléments qui peuvent créer des effets de distinction alimentant la compétition entre les étudiants Ici, nous prendront l’exemple du semestre 6 (licence 3), dernier semestre de licence car il cristallise des enjeux importants. « -Et t’as parlé plusieurs fois de la pression, la pression, elle vient d’où exactement ?

-Bah là la pression surtout c’est surtout parce que c’est la L3 et ducoup si on loupe le projet bah forcément on revient l’année prochaine sans pouvoir rentrer en Master, surtout avec les Erasmus. Il reste plus que ça donc ça met vraiment une pression de dingue et le pire c’est le fait qu’ils annoncent les résultats devant tout le monde. Ça c’est horrible. » Victoire La pression que ressent Victoire est exacerbée par l’annonce des résultats en public. Cette annonce, s’effectue dans l’amphithéâtre devant l’ensemble de la promotion, à la fin de la journée de rendu.

J’ai moi-même vécu ce moment en 3ème année. Les enseignants annoncent les meilleures notes et ceux qui ne valident pas le semestre. Ce sont donc applaudissements et silences gênés qui se succèdent dans la salle.

Cette pratique apparaît comme une sorte de mise en scène (consciente ou non) de la disqualification de certains étudiants (au sens de l’élimination). Une telle pratique rappelle la façon dont se déroule les compétitions sportives (annonce des résultats, affichage du classement, etc.)

Pour Victoire, ce semestre relève d’une véritable mise en compétition des étudiants à travers le dépassement de soi. Son témoignage rappelle la discussion autour de la question de la surenchère (Partie II.a.) « En fait le S6, c’est : montre de quoi tu es capable. Montre de quoi, toi, en tant qu’individu, t’es capable de faire et donc à partir de là, c’est que quelque part, ça implique la compétition... […] Donc je pense que c’est le fond de l’enseignement déjà. C’est aussi la dernière année licence, donc c’est aussi l’occasion de mettre le paquet […] quitte à penser un peu moins à ses potes et à se dire bon j’espère qu’ils vont y arriver, mais il faut avant tout que moi je me défonce […] »

« -Du coup cette compétition, tu l’as ressentie à d’autres moments de ton cursus en archi, ou c’était exclusivement sur ce semestre-là?

-Non je pense que le format de rendu, le fait qu’on passe devant tous les autres, ça, de fait, pour moi, ça implique la compétition.

Je sais pas, et en même temps c’est jamais dit clairement, c’est juste qu’en même temps, ils nous font faire du concours, ils nous font travailler l’image et ça c’est un peu ce que je regrette un peu dans l’école d’archi. J’ai l’impression qu’ils nous préparent à faire du concours en licence… « Victoire En fait, plus qu’une préparation à l’entrée au master, ce que décrit Victoire s’apparente plus à une préparation pour devenir un bon architecte travaillant en agence. Mais pas n’importe quelle agence, une agence répondant à beaucoup de concours. Cela supposerait donc de pouvoir produire beaucoup, mais surtout produire de beaux éléments de rendu afin de séduire son public.

Le mode concours conduit donc intrinsèquement à une mise en compétition, au moins implicite, des étudiants. « Les différentes manières de faire l’architecture, ça on les a pas avant le master je pense, mais aussi la multiplicité, le fait qu’il y ait des DEM différents, des manières d’aborder l’archi avec différentes entrées […]

Et ducoup c’est un peu un faux maître d’ouvrage, alors ça nous prépare c’est sûr, pour ceux qui vont aller dans des agences classiques, ça nous prépare bien parce que t’as ton cahier des charges, si tu dois fourrer 100 logements sur une parcelle de 5000m², t’as pas trop ton mot à dire, mais pour moi, ils devraient nous apprendre à critiquer le fond et ils le font pas. […]

Il fallait absolument atteindre l’objectif au lieu de critiquer, mais voilà, c’est une pensée de master là que j’ai, pas de licence » Victoire Dans l’entretien avec Victoire, on comprend que l’entrée en master a véritablement été salutaire pour elle, d’autant plus qu’elle avait été traversée par beaucoup de doutes concernant le fait de rester en école d’architecture ou de se ré-orienter. Pour Victoire, le master ouvre aussi les portes d’une démarche plus critique et plus réflexive sur le travail demandé. De plus, comme elle le fait remarquer, le master donne pour la première fois le choix aux étudiants. Ils vont pouvoir choisir la manière d’aborder l’architecture qui leur convient le mieux après et se positionner dans leur pratique. Son commentaire résonne donc fortement avait la lecture que donnait Lou sur la différence entre licence et master (énoncé en III.a).

Le S6 est donc véritablement vécu comme un moment où il faut faire ses preuves. Il faut se montrer digne de pouvoir passer en master.

Sociabilités en atelier

67

Distinction par les domaines de master « A l’époque à l’UP8, cette histoire des trois cursus était un peu facteur d’identification pour les étudiants, mais aussi de… comment dire, de différenciation avec les autres… donc on ne voisinait pas trop, il y avait réellement des enjeux de conflit entre les enseignants et ça se répercutait quand même pas mal sur les étudiants. Donc on ne fréquentait pas volontiers des étudiants des autres cursus, c’était un peu comme s’il y avait trois écoles dans l’école, on était un peu chacun mis sur certains rails, donc y’avait Bernard Huet à l’époque qui était prof à Belleville et les enseignants qui étaient autour de Bernard Huet enseignaient beaucoup le patrimoine, la ville européenne traditionnelle, le rapport à l’histoire et quand on était du côté d’Henri Ciriani, on trouvait tout ça, on était, comment dire, à trouver tout ça ringard. Donc y’avait une sorte de mépris et je pense qu’il était réciproque pour des façons d’appréhender l’architecture qui n’étaient pas les nôtres, qui nous semblaient peut être trop limitatives ou pas permettre l’expression créative de l’architecte, enfin bon, depuis j’ai pris beaucoup de distance par rapport à tout ça, mais il me semble qu’à l’époque c’était un peu le problème, donc déjà au sein de la promotion, y’avait déjà trois sous-groupes qui étaient ceux des différents cursus d’enseignement du projet » Marie P. Ce travail de mémoire ne permet pas de dire si les conflits d’ordre idéologique entre les enseignants ont un impact sur les étudiants.

Ce point mériterait une étude plus approfondie. Néanmoins, il paraissait intéressant de l’aborder car, même si cela ne va pas forcément jusqu’au conflit, il peut exister de réels désaccords et/ou incompréhensions entre les enseignants selon les DEM auxquels ils se rattachent. Ces désaccords peuvent porter sur la façon d’aborder l’architecture, la manière d’enseigner le projet, etc. On peut donc supposer, que ces désaccords puissent se transmettre au moins implicitement aux étudiants en fonction du degré d’identification que ces derniers ont avec leur enseignant.

A première vue, il semble régner un climat de tolérance et d’ouverture en master. Pour Jean O., cette ouverture se traduit aussi par le fait que l’ensemble des enseignements de master sont co-construits avec une autre disciplines (patrimoine, sciences et techniques, urbanisme, sciences humaines et sociales, etc.). Du côté des étudiants, il ne semble pas non plus y avoir d’animosité entre les différents domaines de master. Les étudiants vont simplement se différencier sur le mode de la plaisanterie (ou pas) en qualifiant les DEM ou en se lançant des boutades. Par exemple, dans tel DEM les étudiants glandent ou inversement.

Pour conclure cette partie sur les effets de distinction qui a l’ambition d’attiser la curiosité sur ce sujet de recherche plutôt que de donner des réponses, nous livrons ce témoignage à valeur ethnographique.

J’expérimente en ce moment même quelque chose de tout à fait particulier dans mon domaine de master. Ce domaine a la particularité de laisser les étudiants absolument libres du choix de leur sujet, de leur site et de leur démarche pour le PFE. Les

68 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

enseignants sont des ressources disponibles mais absolument pas omniprésentes. C’est aux étudiants d’aller les chercher quand ils en ont besoin. Malgré cette extrême autonomie, ou le fait que nous soyons livrés à nous-même, il nous est fait la demande de réaliser un projet collectif. Sur ce point, j’ai une lecture de ce projet collectif qui n’engage que moi. Je pense que la spécificité de ce DEM ne réside pas tant dans le fait de produire des PFE extrêmement différents car, malgré le fait que les autres DEM fédèrent leurs étudiants d’un commun (une thématique ou un site commun par exemple), les PFE sortants sont tout aussi divers.

Non, la spécificité de ce DEM, c’est de permettre d’avoir un réel temps de réflexion sur sa posture sans être « la tête dans le guidon ».

Le fait que les enseignants soient aussi « périphériques » donne aussi la possibilité de s’en détacher pour expérimenter un atelier de projet qui ne soit pas animé par un enseignant omniprésent.

Il s’opère alors un réel décentrement par rapport à un atelier habituellement centré autour de l’enseignant comme pouvait postuler Dutton. Je pense que le projet collectif est une condition nécessaire pour émuler cette expérimentation car un atelier de projet c’est aussi un collectif. Il me semble aussi être un élément essentiel pour fédérer et rassembler toute cette hétérogénéité et fait donc office de commun.

Cette année, nous avons décidé de mettre en scène notre atelier à travers quatre événements parlant de la pédagogie du DEM et de notre vision critique sur cet atelier. Le premier événement, la construction d’une installation sur le thème de l’introspection collective a été justement l’occasion de créer du collectif et d’apprendre à un peu mieux se connaître. La préparation du deuxième évènement, le rendu de fin de premier semestre, a permis une discussion et un débat de fond sur ce chacun était venu chercher dans ce DEM. Ce moment a été pour moi révélateur car il cristallisait deux tendances parmi les étudiants. L’une était plutôt pour la mise en valeur et la proclamation de cette diversité, « notre force, c’est notre différence » en somme. Cette tendance se caractérisait aussi par une sorte d’arc-boutement sur « l’objet projet », sur le savoir-faire « projet ». Il y avait dans le débat une vraie difficulté à penser la pédagogie sans avoir la matière, c’est-àdire le projet. La deuxième tendance s’attachait plus à une vision qu’on pourrait qualifier d’idéaliste des relations en atelier. Ces relations et ces échanges étaient envisagés comme des manières de nourrir le projet de chacun. On était donc plus dans une question du « savoir-être » aux autres. Je faisais partie de la deuxième tendance. Je déplorais à cette occasion le fait que malgré notre soi-disant spécificité, nous restions très classiques et que nous ne profitions pas assez de la latitude qui nous était laissée pour échanger entre pairs sur des modes différents que ceux des rendus.

Je soulignais cependant que ce débat était en soi quelque chose de particulier qui n’existait pas forcément dans les autres DEM et que c’est donc bien le cadre (ou le non-cadre/ ou bien son absence) qui nous le permettait. Bien sûr d’autres éléments jouent, notamment les personnes en présence, leur capacité à être motrice ou non, etc.

Car il est important de préciser que tout le monde n’est pas obligé de participer au projet collectif.

Si on se base sur les propos de Dutton que nous avions exposés en introduction, on remarque que malgré l’absence de l’enseignant, l’expérience collective de l’atelier semble difficile, surtout à un stade où les étudiants n’ont pas encore commencé à développer

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

leur projet de PFE. Dans ce cas, on peut donc se demander ce qui fait atelier ? Quelle est la matrice commune à tous ces projets différents ? Ici, le projet pédagogique de l’enseignant consiste à s’effacer pour laisser la main. C’est donc aux étudiants de donner du sens à cet atelier s’ils le souhaitent, notamment à travers le projet collectif. Sinon, l’atelier ne se définit alors plus que par sa caractéristique première : un lieu. Autrement dit, chaque étudiant fait atelier, c’est-à-dire que chaque étudiant mobilise principalement un enseignant (Le Directeur d’Etude) qu’il a choisi au sein d’un panel varié de personnalités ne partageant pas nécessairement la même vision de la pédagogie et de l’architecture.

Il y a donc autant de dispositifs pédagogiques que d’étudiants.

En fait, plus qu’une expérience centrée sur l’enseignant, l’atelier est peut-être plutôt centré sur l’individu (et son projet) comme le suggère Dayot quand il énumère les éléments caractéristiques de la culture de studio (Dayot, 2014, p. 58). Si l’on part de ce postulat, envisager une expérience collective de l’atelier devient compliqué. Plusieurs facteurs viennent renforcer cet aspect.

Premièrement, il y a dans ce DEM, une véritable mise en tension entre le projet collectif et le projet individuel. La plupart des étudiants ont choisi ce DEM dans le but de développer un projet qui leur est propre (pas de site de projet imposé ou de thématiques propres au DEM) et non pour effectuer un projet collectif. Par ailleurs, la présentation du DEM est très ambiguë sur le rapport au collectif car elle met beaucoup plus en avant le côté individuel et introspectif.

Ce projet collectif est d’autant plus difficile à envisager qu’il ne sert pas directement les projets de chacun (contrairement à une analyse de site groupée par exemple). Enfin, ce projet collectif n’est pas noté donc chaque étudiant se doit de décider s’il veut s’y investir et s’il y trouve un intérêt. De fait, l’investissement dans le projet collectif relève ainsi d’une démarche très personnelle, basée sur des convictions.

Ce que semble révéler cette expérience, c’est que même en l’absence des enseignants, un commun peut se développer au sein de l’atelier, et ce malgré la diversité des projets. On l’a d’ailleurs vu dans la Partie II.b., les étudiants sont largement capables de s’organiser collectivement, surtout en master. Néanmoins, ce commun peut se révéler difficile à construire car les étudiants ont pris l’habitude d’avoir une expérience de l’atelier centrée autour de leur projet. On peut cependant poser la question suivante : l’ambition de l’atelier se résume-t-elle au développement du projet individuel de chaque étudiant ou a-t-il d’autres objectifs (produire de la connaissance, du débat, etc.)

En tout cas, cette question du commun, pourrait se révéler très intéressante pour les enseignants. En effet, c’est un aspect sur lequel la pédagogie peut se positionner pour le stimuler et l’organiser afin de le rendre bénéfique et utile pour le développement de compétences utiles au projet d’architecture et à tout ce qui s’y rattache.

Sociabilités en atelier

69

Conclusion

Conclusion

On a vu que peu importe la manière dont l’atelier était organisé par l’enseignant (revue collective, revue individuelle, etc), la problématique de la gestion du temps subsistait. Plusieurs étudiants soulignent le fait que les revues collectives peuvent s’avérer longues et fastidieuses, décourageant ainsi l’écoute des autres projets bien que cette pratique soit largement valorisée par les étudiants. Ces derniers sont soucieux de pouvoir avoir un temps individuel en atelier pour travailler leur projet et un temps de face-à-face avec l’enseignant. C’est ce temps de face-àface avec l’enseignant qui semble tant convoité par les étudiants.

Nous avons observé deux phénomènes qui cristallisent tout particulièrement ce rapport de convoitise vis-à-vis de l’attention de l’enseignant.

Le premier concerne les tensions qui ont eu lieu dans un atelier de L3 autour de l’ordre de passage des étudiants. Dans ce contexte de fin de licence, les enjeux sont grands car le redoublement empêche l’entrée en master et/ou le départ en Erasmus. De plus, le projet est complexe et les exigences de production très importantes. Il faut donc que les étudiants tirent le maximum du dialogue avec l’enseignant afin d’avoir toutes les clés pour réussir au mieux le projet. Les premiers à passer s’assurent donc d’avoir toute l’attention de l’enseignant contrairement aux derniers, qui eux courent le risque de ne parfois pas voir l’enseignant du tout par manque de temps. Des tensions naissent alors. Dans ce cas, ce sont bien les étudiants qui prennent la responsabilité de la gestion du temps et non l’enseignant. C’est donc à chaque étudiant de faire attention à son temps de passage (ou non), de signaler à l’enseignant qu’il faut maintenant mettre fin au dialogue, au risque de pénaliser ses camarades. Ici, la mise en compétition des étudiants se fait également à travers la liste de passage qui devient un outil de pouvoir : c’est à celui qui la commencera en premier que reviendra le pouvoir. En effet, il y a véritablement la dimension de la lutte et de la rivalité sur cette question de liste de passage. Bien que cet exemple soit un cas extrême, la question de l’équité de traitement (au moins sur le temps) demeure. Sur cette question, l’enseignant semble se déresponsabiliser implicitement et laisser la gestion aux étudiants. C’est eux qui lui signalent s’il y a oui ou non un problème.

tend à creuser les écarts entre les étudiants, voire nourrir de l’animosité entre eux. Lou y voit par exemple une manière de plaire à l’enseignant. Partant de ce constat, pour combler ces inégalités, les étudiants n’auraient pas d’autres choix que de surenchérir pour s’aligner. Sur ce point, les étudiants n’ont pas fait part de tensions explicites liés à ce phénomène. Cependant, cela peut laisser penser que cette tendance peut générer une compétition plus ou moins latente, le but étant d’impressionner l’enseignant plutôt que de développer sa propre démarche. Ce dernier point pourrait paraître surprenant dans le sens ou le but de l’enseignant est, à priori, de faire apprendre la conception et non de sélectionner le meilleur projet (à son goût). L’enseignant est en effett dans une position ambiguë de conseiller et de juge mais il est difficile de déterminer ce qu’il juge exactement (compétences de représentation, de conception, « objet » final, etc.), les critères d’évaluation étant souvent flous pour les étudiants. De plus, dans une moindre mesure, ce phénomène de séduction peut être alimenté par l’envie d’être coopté par l’enseignant perçu comme une porte d’entrée vers le monde professionnel.

Ce que nous révèle ces deux phénomènes, c’est que l’enseignant n’est pas directement à l’origine de rivalités.

Cependant, l’attention de l’enseignant est centrale pour pouvoir les comprendre.

Cette attention est principalement sollicitée par les étudiant lors du face-à-face de la revue individuelle. Cependant, le développement du projet des étudiants fait l’objet de tensions donnant un caractère assez paradoxal à la relation enseignant/ étudiant. En effet, celle-ci oscille entre désir d’émancipation et dépendance. D’un côté, les étudiants recherchent très vite un style, un processus de conception qui leur soit propre mais désirent dans le même temps être guidé par l’enseignant, notamment sur la question de la méthode. De surcroît, les étudiants peuvent être tiraillés par l’idée de plaire ou de déplaire à l’enseignant. Du côté des enseignants, ceux-ci doivent leur communiquer les bons outils pour qu’ils deviennent autonomes et s’empêcher de faire le projet à la place des étudiants.

Le deuxième phénomène que nous avons vu est celui du dépassement de soi et de la surenchère. Celui-ci semble se manifester notamment à travers les affichages en atelier. Ce mode de revue de projet, qui n’est pas sans rappeler le mode d’organisation des rendus, permet d’avoir un aperçu du travail de tous les étudiants de l’atelier. L’affichage donne donc l’occasion aux étudiants de se comparer aux autres. Cependant, comme ont pu le souligner Denis (L1) et Lou(M2), l’enjeu est bien de mobiliser l’attention de l’enseignant car c’est son retour qui est le plus valorisé. Tandis que Denis va mettre en avant la question du dépassement de soi (il faut montrer le meilleur de soi-même à travers son travail), Lou décrit la tendance à la surenchère qui régnait parmi quelques individus de sa promotion lorsqu’elle était en licence. En effet les étudiants de son groupe d’atelier produisaient plus (et/ou mieux) que ce que demandait l’enseignant. Il paraît difficile de savoir si un tel comportement est conscient ou inconscient, ou s’il relève à la base d’une volonté de se dépasser. Néanmoins, ce phénomène

Sociabilités en atelier

71

l’implicite, du manque de clarté qui est susceptible de désorienter l’étudiant et induire de fait un rapport de pouvoir. En effet, dans ce cas l’enseignant se réserve les clés de compréhension de ce contenu implicite. En fait, seuls les enseignants qui s’intéressent spécifiquement à la pédagogie auront tendance à faire la démarche d’aller se documenter et chercher des outils en dehors de leur propre expérience pour construire leur enseignement.

Schéma représentant les tensions entre émancipation et dépendance vis-à-vis de l’enseignant (S. Collin)

*

La question de la débrouille devient alors assez centrale dans cette relation. En effet, les étudiants sont globalement livrés à eux-mêmes sur le plan des méthodes de conception. De plus, ils doivent bien souvent interpréter des contenus implicites livrés par leurs enseignants et se confronter à une redéfinition de l’architecture à chaque nouvel enseignant rencontré. Ceci peut s’expliquer par plusieurs facteurs.

Premièrement, les enseignants (praticiens ou chercheurs) sont aussi globalement livrés à eux-mêmes quand ils commencent à enseigner. Ils n’ont aucune formation en matière de pédagogie (comme c’est le cas pour la plus grande partie du monde de l’enseignement supérieur en France) et n’ont pas de supports théoriques de référence en matière de conception (ce qui est en revanche un trait lié à l’architecture en tant que discipline).

Ainsi, l’enseignement de la conception ou du projet pourrait être qualifié, selon Robert Prost, de boite noire. En effet, la recherche en architecture a encore du mal à se structurer et à trouver sa spécificité par rapport au monde universitaire dont elle entend se distinguer. Le débat est d’autant plus complexe que l’architecture est une discipline à cheval entre une pratique (le monde professionnel) et une théorie (le monde universitaire).

Ainsi, les enseignants s’en remettent bien souvent à leur propre expérience étudiante pour développer leur enseignement. Là, où certains voyaient la doctrine comme un passage obligatoire pour structurer leur enseignement, d’autres enseignants, plus jeunes, assument une approche non-doctrinale. Par cette attitude « maïeutique », ces derniers entendent favoriser l’émergence du projet de l’étudiant et éviter l’autoritarisme.

Cependant, bien que leurs opinions ne soient pas érigées en doctrine, nous pointons du doigt le fait que rien n’empêche leur avis et visions personnelles de l’architecture d’être communiqués à l’étudiant de manière implicite. Et c’est bien cette question de

72 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

Dans ce contexte, le portrait de l’enseignant idéal dressé par les étudiants peut paraître tout aussi paradoxal. C’est un enseignant à l’écoute, cultivé, expérimenté et qui sait être synthétique dans son propos. Mais pour certains, il doit cependant savoir pousser l’étudiant dans ses retranchements pour rendre son projet plus riche et plus solide. L’enseignant doit alors s’adonner à un jeu d’équilibriste entre accompagnateur et contradicteur.

Ce portrait de l’enseignant idéal peut être mis en perspective avec les problèmes que les étudiants citent le plus souvent et qui constituent des freins au dialogue : l’appropriation du projet par l’enseignant, les problèmes de compréhension, le manque de temps.

Les étudiants entretiennent donc des rapports paradoxaux avec l’enseignant qui oscillent entre confiance et méfiance, entre sollicitation, séduction et évitement. Cette relation ambiguë peut avoir des répercussions sur les interactions avec les autres étudiants comme on l’a vu avec le mécanisme de surenchère par exemple. Néanmoins, les problèmes communs qu’ils partagent pourraient aussi former les bases d’une solidarité qui, elle aussi, ne serait pas dénuée de paradoxes et d’ambiguïtés.

L’analyse des entretiens et du questionnaire en ligne nous a conduit à découper cette solidarité en deux grandes familles.

La première correspond plutôt à une entraide utilitaire et ponctuelle. Elle répond à un problème précis à un instant t. Ce type d’entraide porte principalement sur la représentation ou la production et dans une moindre mesure sur la conception. Denis (L1) indique notamment que les cours de représentation et les conseils des enseignants sur les questions de représentation sont assez lacunaires. Pour lui, l’apprentissage de la représentation se fait donc principalement grâce aux autres étudiants. Elle intervient notamment à l’approche du rendu, à travers l’intensification des échanges entre les étudiants sur les groupes facebook ou bien par le soutien moral et matériel en charrette. A ce sujet, Rose (L2) considère que les enseignants sont en partie responsable car, en modifiant le projet de l’étudiant une semaine avant le rendu, ils le mettent automatiquement dans le rouge.

La deuxième famille se base sur la recherche d’une stimulation intellectuelle. Elle va donc souvent plus loin que la simple entraide utilitaire mais demande un plus grand investissement des étudiants. Cette famille n’exclue aucunement la première.

Au contraire, elle crée plutôt des conditions pour que la première existe. Elle se caractérise également beaucoup par la recherche d’une certaine altérité et la volonté de multiplier les avis sur son projet pour avoir un autre regard que celui de l’enseignant et s’enrichir sur le plan conceptuel ou méthodologique. Elle se manifeste à travers trois formes que sont : l’écoute et la discussion

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

autour du projet d’autrui, le travail de groupe (obligatoire ou non) et l’atelier parallèle.

L’écoute du projet d’autrui est une pratique très valorisée par les étudiants et plutôt encouragée par les enseignants. Ces derniers semblent surtout l’encourager oralement mais peu semblent mettre au point des dispositifs pédagogiques spécifiques pour l’encourager. Elle reste donc spontanée (balade dans les ateliers), souvent passive et débouche plus souvent sur une discussion approfondie en master qu’en licence.

De même, le travail de groupe reste assez valorisé par les étudiants, bien que sa réussite soit conditionné par l’alchimie qui va s’installer entre les membres du groupe. Les enseignants semblent ainsi resté démunis face à un groupe qui ne fonctionnerait pas.

Plusieurs étudiants témoignent du fait qu’ils aiment se regrouper avec leurs amis en atelier pour travailler. Bien que le cercle d’entraide soit à géométrie variable, on relève que le groupe d’ami est le plus structurant dans la majorité des cas. A l’intérieur de cercle, entraide et rivalités peuvent coexister, notamment à travers le phénomène de comparaison ou encore de plagiat (dans le cas extrême). De plus, les étudiants ne sont pas tous égaux quant à l’accès aux étudiants des années supérieures. En effet, ces étudiants constituent une ressource ou un appui très valorisé et considéré comme très utile. A l’instar du groupe d’amis, ces étudiants plus âgés ont souvent été très structurants dans leur formation, parfois plus que les enseignants qu’ils ont pu avoir. Cependant, le fait qu’il y ait une inégalité quant à l’accès à cette ressource peut créer des effets de distinction alimentant des rivalités entre les étudiants. Anne (L3) considère en effet qu’un certain groupe dans sa promotion est avantagé car, grâce aux relations qu’il entretient avec les étudiants de master, il est plus en avance sur la maîtrise des logiciels.

Si l’on découpe grossièrement le projet en deux dimensions que sont la représentation et la conception, on voit que ces dernières sont assez structurantes dans la manière dont va s’organiser l’entraide étudiante. La question de la conception semble être envisagée comme étant la dimension la plus intime du projet.

Pour être plus précis, c’est plutôt le concept, le fil rouge ou encore les idées qui vont être mises en place dans l’intimité. Ainsi, la phase conception fait l’objet d’une distance de respect installé par les étudiants entre eux. Le projet revêt une dimension très personnelle. Certains, même s’ils sont peu, ont donc peur que leur projet perde de son identité au contact des autres. Et cette question de l’appropriation du projet se pose aussi bien avec l’enseignant qu’avec les autres étudiants. La discussion autour de la conception reste plutôt réservée à des personnes considérées comme légitimes, c’est-à-dire les enseignants ou les étudiants des années supérieures quand c’est possible. A mesure que les étudiants gagnent en expérience, le partage, la discussion et la critique autour de la conception semblent néanmoins devenir beaucoup plus facile (avec les enseignants et avec les autres étudiants). Ceci est appuyé par le fait que la plupart des étudiants de licence enquêtés ne se sentent pas forcément légitimes et aptes à aider leur camarade sur la conception.

La tension entre émancipation et dépendance vis-à-vis de l’enseignant va se poser d’autant plus à mesure que les étudiants

évoluent dans les années. En effet, fort du bagage expérimental et culturel accumulé pendant la licence, les étudiants de master vont être considérés comme des pairs par les enseignants. Ils ont remplacé leur habitus originel, stigmatisé par les enseignants (l’habitus scolaire) par un nouvel habitus professionnel (jugé comme étant « d’architecte »). La licence correspond donc à une véritable période d’acculturation au monde de l’architecture.

Cette acculturation va notamment passer par des rites comme les charrettes ou les rendus. Ces derniers sont des évènements qui peuvent être vécus de manière plus ou moins traumatisante par les étudiants mais qui restent néanmoins très valorisés. Le rendu est un moment surtout réservé aux retours des enseignants, les autres étudiants ont donc peu de place pour participer à la critique de projet sauf dans les cas de formats plus expérimentaux.

Ces formats demeurent néanmoins plutôt réservés aux années de master, où les étudiants sont plus facilement invités à réagir sur les projets de leurs camarades.

Ce changement dans le rapports enseignants/étudiants se manifeste aussi à travers un changement pédagogique pour certains enseignants : l’encouragement au dialogue, à la critique du projet d’autrui car les étudiants sont maintenant considérés comme pouvant être aussi pertinents que l’enseignant. Du côté de la solidarité, grâce à cet nouvelle légitimité, l’entraide semble plus facilement se faire sur des questions de conception autrefois plutôt réservées à l’enseignant. De plus, les étudiants de master paraissent plus à même de mettre en place des organisations collectives plus autonomes vis-à-vis des enseignants. Bien que restant marginal, le récit de Julie sur la résidence artistique montée à l’occasion des vacances témoigne d’une capacité à construire un véritable atelier parallèle qui s’affranchit des enseignants et des contraintes calendaires et horaires de l’école. On y retrouve d’ailleurs, reproduites, des pratiques typiques de l’atelier comme les revues de projet collectives.

Ainsi, les étudiants de master semblent s’émanciper psychologiquement et intellectuellement des enseignants.

Progressivement, l’étudiant comprend que l’évaluation et la notation de son projet est soumis à quelque chose qui lui échappe totalement, l’arbitraire de l’enseignant. La note donnée par l’enseignant est alors relativisée ou alors totalement dépourvue de sens car un arbitraire en vaut un autre. Néanmoins, les étudiants restent dépendants de l’enseignant car il possède encore le pouvoir de la note qui peut décider du passage ou non de l’étudiant dans l’année supérieure.

Le master est aussi par ailleurs le moment où les étudiants ont véritablement le choix dans leurs enseignements, et notamment dans celui de projet qui, on l’a vu, est structurant dans la formation.

Ils peuvent donc s’orienter vers la pratique de l’architecture qui leur correspond le mieux en choisissant leur domaine de master. Là où la licence correspondait à une ouverture sur des pratiques diverses, le master va plutôt correspondre à la constitution d’une pratique et un positionnement critique. Ainsi, en effectuant ce choix les étudiants vont se distinguer d’autant plus les uns des autres. Cela est d’autant plus vrai dans le DEM qui mise sur l’individualité de chacun, instaurant ainsi une véritable tension entre projet individuel et projet collectif (constituant l’unique commun dans l’atelier, contrairement aux autres DEM qui fédèrent les étudiants

Sociabilités en atelier

73

autour d’un site ou une thématique)

Pour conclure, reprenons les trois points énoncés par Dutton en introduction : «[le studio ou atelier est ] un environnement qu›enseignants et étudiants essayent de contrôler mais étant donné les différence de pouvoir, les étudiants perdent »

Les rapports de pouvoir sont bien présents et semblent notamment se cristalliser autour de l’arbitraire dont font l’objet l’évaluation et la notation des enseignants. Cependant, on relève que, concernant la gestion du temps dans l’atelier, les étudiants sont en capacité de prendre le contrôle de la situation, notamment lors de la revue individuelle (liste de passage par exemple). « Les étudiants ne s›utilisent pas assez comme ressource »

Les étudiants de licence semblent en effet plutôt frileux à l’idée de s’aider sur la conception. Mais ceci s’explique aussi parce qu’ils s’estiment illégitimes et inexpérimentés. Néanmoins, les étudiants s’utilisent énormément sur les questions de représentation à la fois dans, et en dehors de l’atelier. De plus, quand ils le peuvent les étudiants font appel à des camarades plus expérimentés des années supérieures. Sur ce point, l’atelier vertical pourrait être une forme d’atelier très intéressante à étudier. En effet, elle présente l’avantage de donner une chance à tous les étudiants de bénéficier de l’expérience des promotions supérieures. De plus, l’atelier vertical pourrait justement donner lieu à des expérimentations pédagogiques qui décentreraient l’attention des étudiants, des enseignants.

Les étudiants de master sont quant à eux beaucoup plus enclins à échanger des points de vue sur leurs projets. Ceci se fait d’autant plus spontanément dans le DEM de Lou (M2) où tous les sujets de PFE sont extrêmement différents et empêchent toute comparaison. De surcroît, les enseignants sont relativement absents.

que celui-ci instaure une véritable émulation collective par un dispositif pédagogique spécifique. Les rapports à l’enseignant sont donc très individualisés. La figure d’autorité que représente l’enseignant semble ainsi capter toute l’attention des étudiants.

Cette tendance diminue à mesure que les étudiants gagnent en légitimité mais aussi dans des ateliers où les enseignants sont justement peu présents volontairement (DEM de Lou encore une fois).

D’un autre côté, l’entraide et la solidarité vont prendre des formes qui sont capable de s’émanciper voire de concurrencer l’atelier classique centrée autour de l’enseignant. Les étudiants démontrent ainsi qu’ils ont la capacité d’apprendre des uns et des autres. L’enseignant n’a alors plus le monopole de l’enseignement du projet. L’apprentissage du projet devient une construction collective.

Il serait intéressant de pousser les étudiants, dès la L1 à gérer une séance d’atelier classique en autonomie (sans enseignant) afin d’observer la manière dont ils exercent leur regard critique sur les projets de leurs camarades.

Néanmoins, on note qu’il serait en réalité plus juste de dire que l’atelier est une expérience centrée autour du projet des individus (notamment dans les cas du DEM de Lou). Dès que l’on s’éloigne un petit peu de la question des projets des étudiants, il y a une difficulté à définir ce qui constitue le commun dans un atelier.

Qu’est-ce-qui fait aujourd’hui atelier ? Quels sont ses limites et ses ambitions ? S’agit-il simplement de développer des projets individuels ou de produire de la connaissance ? Qu’est-ce-que partagent les étudiants d’un même atelier ?

Ainsi, s’intéresser aux formes d’entraide et de solidarité développés par les étudiants et s’interroger sur ce qui fait office de commun dans l’atelier (comment le stimuler et le rendre utile) pourraient constituer des ressources très intéressantes pour expérimenter sur l’enseignement du projet.

« le studio est devenu une expérience centrée autour de l’enseignant »

Cette hypothèse est celle à laquelle il est le plus difficile de répondre.

Au sein de l’atelier, on a vu que le regard de l’enseignant était très valorisé, surtout en licence. En effet, les étudiants vont se débrouiller pour essayer de passer du temps avec l’enseignant mais vont aussi essayer de rendre ce temps le plus qualitatif possible afin de tirer un maximum d’informations qui puisse les aider à développer leur projet. Une partie de la solidarité des étudiants va logiquement se structurer autour des manques et des problèmes que peuvent représenter l’enseignement (la représentation, la charrette, etc.). En fait, une grande partie de la solidarité semble s’opérer en dehors de la supervision de l’enseignant, c’est-à-dire à distance de l’enseignant (que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’atelier). Cette solidarité étudiante semble donc presque incompatible avec la présence physique de l’enseignant à moins

74 Sociabilités en atelier

In.

I.

I.a I.b

II. II.a I.b

III. III.a III.b

C

SociabilitĂŠs en atelier

75

Bibliographie Livres et actes de colloques :

Thèses :

BOUDON Philippe, 2004 : « Conception », Paris, Editions de La Villette, 93p

BLACKFORD MEWBURN Inger, Mai 2009 : “Constructing Bodies: Gesture, Speech and Representation at Work in Architectural Design Studios”, PhD, sous la direction de : Dr Scott Drake, Dr Greg Missingham, Dr Sue Wilks et Dr Peter Raisbeck, PhD thesis, Faculty of Architecture, Building and Planning, The University of Melbourne, 277p

BOUDON Philippe, CIRIANI Henri, FLEZER Stanislas (et al.), Octobre 1995 : « L’enseignement du projet d’architecture », Propos recueillis par JeanFrançois Mabardi, Paris : Ministère de l’Aménagement du Territoire, de L’Equipement et des Transports, Direction de l’architecture et de l’urbanisme, 115p BOURDIEU Pierre, PASSERON Jean-Claude, 1970 : « La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement », Paris, Les Editions de Minuit, 278p FOULCAUT Michel, 1975 : « Surveiller et Punir », Paris, Gallimard, 360p FREBAULT J., LAMARRE F. , ROLLET P., (et al.), 1993 : « Propos sur l’enseignement de l’architecture », Paris, Ministère de l’Equipement des Transports et du Tourisme, Direction de l’architecture et de l’urbanisme SAUVAGE André, CHEIKHROUHOU Ali, (et al.), 2002 : « Conception d’architecture, le projet à l’épreuve de l’enseignement », Paris, L’Harmattan, 276p Mémoires : DAYOT Youri, 2014-2015 : « La culture des charrettes dans les ENSA – Pourquoi les étudiants en architecture ne dorment pas ? », Mémoire de master en sciences sociales, sous la direction de Raul MAGNI-BERTON et Guillaume ROUX, Grenoble, 207p.

PARIS Hugo, 2016-2017 : « Enseigner la conception – Etudes des pratiques de l’enseignement de la conception en école d’architecture (ENSAL) et en école d’ingénieur (INSA Lyon) », Mémoire de master en architecture, sous la direction de Boris Roueff, Lyon, 128p

76 Sociabilités en atelier

Articles scientifiques : A. DUTTON Thomas, Automne 1987 : “Design and Studio Pedagogy, Journal of Architectural Education (1984-), Vol. 41, n°1, pp. 16-25 BEAUD S., 1996 : « L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l’«entretien ethnographique », Politix, vol. 9, n°35, pp. 226-257.

CEFAI D. et AMIRAUX V., 2002 : « Les risques du métier. Engagements problématiques en sciences sociales, partie 1 », Cultures & Conflits [En ligne], disponible sur : http://conflits.revues.org/829 .

H. ANTHONY Kathryn, Printemps 1987 : “Private Reactions to Public Criticism: Students, Faculty, and Practicing Architects StateTheir Views on Design Juries in Architectural Education”, Journal of Architectural Education (1984-), Vol. 40, n°3, pp. 2-11 HODDE Rainier, 2004 : « Cadres et méthode pour créer collectivement un enseignement : La ” Références et projet ” en première année à Paris Malaquais.

Enseigner l’architecture en 1er cycle ».

HODDE Rainier, octobre 2016 : « La conception architecturale et son enseignement saisis par la recherche », In Archiscopie n°8, pp.97-102 HODDE Rainier , Janvier 2018 : “Apprendre à convevoir : une démarche pédagogique à partir d’opérations de conception”, In « L’architecture et l’urbanisme au miroir des formations », sous la direction de Claude COHEN et Laurent DEVISME, Cahier Ramau 9, Paris, Editions de La Villette –Réseau Ramau, 245p

LAMBERT Guy, 2014, mis en ligne le 31 décembre 2015:« La pédagogie de l’atelier dans l’enseignement de l’architecture en France aux XIXe et XX e siècles, une approche culturelle et matérielle » Perspective [En ligne], pp. 129-136

CNRTL , disponible sur : http://www.cnrtl.fr/

LEDEWITZ Stefani, Hiver 1985 : “Models of Design in Studio Teaching, Journal of Architectural Education (1984-), Vol. 38, n°2, pp. 2-8 REMY C., 2014 : « Accepter de se perdre. Les leçons ethnographiques de Jeanne Favret-Saada», SociologieS [En line], disponible sur : http://sociologies.revues. org/4776.

RIVIERE Carole Anne, 2004 : « La spécificité française de la construction sociologique du concept de sociabilité », Réseaux, n° 123, p. 207-231. disponible à : https://www.cairn.info/revue-reseaux1-2004-1.htmpage-207.htm STEVENS Garry, Novembre 1995 : “Struggle in the Studio: A Bourdivin Look at Architectural Pedagogy”, Journal of Architectural Education (1984-), Vol. 49, n°2, pp. 105-122 WEBSTER Helena, Novembre 2006 : “A Foucauldian look at the Design Jury”, Art Design & Communication in Higher Education Divers: BROUCK Thais, mis en ligne le 24-01-2013 : « 5 clés pour une réforme des écoles d’architecture », , disponible sur : lemoniteur.fr mis en ligne le 23-05-2018 : « Enseignement d’architecture, une réforme d’avenir », disponible sur : culture.gouv.fr GONTHIER Frédéric, habitus, Encyclopædia Universalis [En ligne], consulté le 17 janvier 2018, disponible sur : http://www.universalis-edu.com.acces. bibliotheque-diderot.fr/encyclopedie/habitus/ Le Grand Robert de la Langue Française [En ligne] Larousse [En ligne]

Sociabilités en atelier

77

Annexes Grille d’entretien pour les étudiants

Grille d’entretien pour les enseignants

1-

Quel est ton parcours de formation ?

1-

Quel a été votre parcours de formation ?

2-

Pourquoi avoir choisi l’architecture ?

2-

Pourquoi avoir choisi l’architecture ?

3- Quelles sont les différences entre ce à quoi tu t’attendais et la réalité ?

3- Quelle place avait le projet par rapport aux autres enseignements ?

4- toi ?

Quelles sont les différences majeures avec le lycée selon

5-

Décris-moi ta journée type en projet ?

6-

Comment l’atelier est-il organisé par ton enseignant ?

7-

Comment se passe les rendus ?

6- Quelles formes prenaient l’entraide et la solidarité au sein de votre école ?

8-

Comment réagis-tu au retour du prof sur ton projet ?

7-

Quels types de travaux étaient effectués en groupe ?

8-

Décrivez le type de personne qui composait l’atelier.

9-

Décrivez en 3 mots l’ambiance qui régnait en atelier.

9- Comment réagis-tu au retour d’autres étudiants sur ton projet ?

10- Que retiens-tu de ton dernier projet/rendu ? As-tu compris ta note ? Te semble-t-elle justifiée ? Comment te situe-tu par rapport aux autres ?

11- Quelles formes prend l’entraide et la solidarité au sein de l’atelier ?

12-

(Quels manques compensent l’entraide ?)

13-

Que proposerais tu pour améliorer l’enseignement ?

14-

Qu’est-ce qu’un bon enseignant de projet pour toi ?

4- Pourriez-vous décrire le quotidien des ateliers de projets ? (Organisation par l’enseignant, modes de restitutions, organisation spatiale…)

5-

Comment se passaient les rendus ?

10- Comment était l’enseignement quand vous étiez dans ce qui pourrait être équivalent de la licence aujourd’hui ? (Rapport à l’autonomie tout au long du cursus) 11- Si vous avez eu des enseignants marquants, en quoi étaient-ils marquants ?

12- Selon vous, quelles différences majeures entre l’enseignement dans les écoles d’architecture aujourd’hui et celui que vous avez reçu ?

15- Quelles différences entre la licence et le master selon toi ? (pour les étudiants en master)

13- Comment notez-vous les étudiants ? Quels sont vos critères ? Qu’est-ce qu’un bon projet d’étudiant pour vous ?

16- Comment a évolué ta posture/ ta participation en atelier au fil du cursus ? De quelle manière envisages-tu l’atelier ?

14- Comment avez-vous forgé votre façon d’enseigner ?

Quelles sont vos influences ?

17- Comment perçois-tu tes études face au monde professionnel ?

15-

78 Sociabilités en atelier

Quel souvenir gardez-vous de vos études ?

SociabilitĂŠs en atelier

79

Annexes : rĂŠsultats du questionnaire en ligne

80 SociabilitĂŠs en atelier

SociabilitĂŠs en atelier

81

82 SociabilitĂŠs en atelier

SociabilitĂŠs en atelier

83

84 SociabilitĂŠs en atelier

SociabilitĂŠs en atelier

85

86 SociabilitĂŠs en atelier

SociabilitĂŠs en atelier

87

Quelques réponses : L'entraide n'est hélas majoritairement qu'au sein des groupes d'amis qui scinde la promotion et tente de le répéter dans les groupes d'atelier ou autre matières à projet. Les échanges et l'écoute fonctionnent de la même façon et certains se braquent sur les commentaire à l'égard de leur projet et/ou n'osent pas en faire aux autres de peur d'attaque "personnelle". Dans mes études c'est lors de très grosse charettes que l'ont tente de se serrer les coudes sinon cela reste à petite échelle de groupe d'amis quotidiennement. Certains manquent l'enrichissement des mélanges (positifs souvent quand imposés pour le projet de fête des lumières par exemple)...

Dans l'adversité contre les profs, notamment quand ceux ci démontent les projets sans être constructifs

quand les enseignants n'encouragent pas la compétition

Je ne saurais pas vraiment répondre mais je dirais pour moi personnellement j’aide les autres quand j’ai vraiment bien compris et que je suis sure de ne pas dire de bêtises et également et idéalement m quand j’ai le temps

Au début (début d'un projet, début d'une année ou début des études en général) quand on est vraiment livré à nous-mêmes parce qu'on a pas encore les compétences soi-même ni les outils et que les profs ne sont pas très disponibles ou directement trop exigeants, on ne peut compter que les uns sur les autres pour s'améliorer

88 Sociabilités en atelier

Je dirais qu'il n'y est pas de periode plus intense pour de l'entraide, cest en continue. Dès qu'on a un doute, une question, besoin d'un regard extérieur on peut aller voir n'importe qui. L'entraide va dans les deux sens si j'ai besoin a un moment d'aide ceci est aussi le cas pour dautre et donc cela ce fait dans les deux sens. L'entraide peut venir de d'autres promo où chacune a son propre rythme donc il n'y a pas de période plus intense. Je pense aussi que le métier d'architecte est un métier où il faut travailler ensemble et on a besoin d'avoir un autre regard pour mettre le doigt sur certains détails que l'on ne verrait pas forcément. L'entraide est donc un plus enorme pour le projet pour le faire avancer.

Au moment où on apprends à utiliser les logiciels. (Le questionnaire entier est tourné comme si l’entraide était un point clé à atteindre dans toutes écoles (cf « les étudiants ont une véritable capacité.. »). Travailler seul parfois n’a t’il parfois n’a t-il pas de bons côtés ?).

Il y a des groupes facebook pour poser des questions mais c'est surtout pour l'organisation ou les infos importantes sinon les etudiants travaillent globalement seuls et quelques fois en groupe. L'entraide est la plus presente lorsqu'on travaille sur le meme projet ou entre amis.

L'entraide est la plus intense durant les rendus de projets, mais cela depend beaucoup des gens. Personnellement j'ai besoin de travailler en groupe pour pouvoir prendre du recul plus facilement. L'avis des autres est constructif et m'aide a rendre mes projets plus forts. Pour d'autres, rester seul est plus important, il leur permet la concentration, mais je n'adopte pas cette methode de travail. Aussi, travailler en groupe permet du soutien dans les moments difficiles, de charette. Je ne supporte pas de travailler seule, tard le soir.

Pendant des périodes très stressantes où on a tous besoin de se sentir soutenus. Je ne ressens pas forcément un esprit de compétition dans la promo mais il y a beaucoup de petits groupes qui ne se mélangent que rarement, c'est dommage.

Au PFE. Mais il faut compte sur ces amis. Toutes les questions étaient tournés vers les ateliers mais à Malaquais, il n'y en a pas. Il y a des départements avec des projets mais nous changeons chaque semestre. C'est pourquoi l'entraide est peut être moins forte que dans d'autre Ecole. Parcontre Ca favorise les échanges avec tous les Etudiants, sur pleins de sujet.

Lors de ma 5ème année, c'est là où il y a eu le plus d'entraide, de communication et de contact au sein du groupe de projet mais c'était aussi énormément en lien avec la démarche mise en place par l'enseignant notamment par rapport à sa vision de la conception architecturale

Nous avons la chance dans notre école d'avoir des coursives ouvertes 24h/24h c'est un réel lieu d'échange, en cas de problème on trouve toujours un voisins (de même promo ou supérieure) pour nous aider ou se faire dépanner en matériel, j'y ai plus appris en première année que dans mes cours de studio ! Les gens viennent aussi spontanément regarder les projets des autres, c'est toujours sympa d'avoir un master qui s'arrete sur ton projet de deuxieme année pour te donner son avis, c'est constructif ; c'est tout aussi sympa d'aller s'intéresser aux projets farfeluts de première année. Dans mon école la vie associative est très développée et chacun peut trouver une asso qui lui correspond (musique, théatre, évennementiel, sport, ministore, cuisine) c'est aussi le moyen de rencontrer de nouvelles personnes, de décompresser, apprendre sur le plan personnel, et de se faire une petite famille. La kfet est aussi un lieu d'échange particulier où il est possible de finir son semestre autour d'une bière avec certain de ses profs.

Sociabilités en atelier

89

Annexes : tableaux d’analyse des entretiens Grille d’analyse pour les entretiens étudiants Discours porté sur ses études d'archi.

Organisation de l'école et de la formation Orga. Atelier du pt de vue matériel

Orga. atelier par l'enseignant

Rendus

Ambiance, relation inter etds

Entraide / Projet vs. camaraderie / Enseignement Journée type travail de transversaux groupe

Vie associative

Composition Dynamique de des promotions groupe

Perception de soi en tant qu'étudiant

Regard critique porté sur ses études Profs, quel registre pour Perception les décrire (pédagogie, Préférences du cadre idées archi) des études

Rivalités

La note

Dialogue avec le prof

Grilles d’analyse pour les entretiens enseignants Discours porté sur ses études d'archi. Sur la base des souvenirs

Organisation de l'école et de la formation

Orga. Atelier du pt de vue Orga. atelier par l'enseignant matériel

Ambiance, relation inter etds

Entraide / camaraderie / travail de groupe

Projet vs. Enseignement transversaux

Regard critique porté sur ses études ( par rapport à aujourd'hui ) Profs marquants, quel registre pour les décrire Idées archi

Rivalités

Vie associative

Composition Dynamique de des groupe promotions

Perception de soi en tant qu'étudiant

Perception du cadre des études

Pédagogie

Discours porté sur la posture d'enseignant, les études d'archi et les étudiants aujourd'hui Vision des autres Vision de Pourquoi enseignants, Références à Références Relation aux etds, perception des l'architecture et enseigner et Références comportement avec l'expérience etds du monde de aux études comment ça a théoriques les autres pro l'architecture commmencé enseignants Perception de l'entraide, du collectif

90 Sociabilités en atelier

de l'autonomi e

Niveau

Regard critique sur son enseignement et l'enseignement de manière générale

Exemple de tableau de croisement des discours sur l’entraide (enseignants) ENTRAIDE Gérard M.

Alain L.

Pas d'échange avec les promos inf. ou sup. mais "groupe d'amitié" au sein de la promo. Entraide pour les rendus ou pour la critique L'entraide se faisait par affinité, en focntion des visions des uns et des autres dans un atelier de projet Les profs ne se prononçaient pas spécialement sur cet aspect

Marie P.

Jean O.

Paris : "entraide ponctuelle et très instrumentale" car se voyait peu donc pas facile de travailler ensemble.

Bordeaux : entraide après les rendus, lors de l'affichage, en attendant les profs, entraide sur des questions très ciblées. entraide plutôt en dehors de l'école // seul grand moment d'échange à l'école = quand ils allaient tirer des plans

Laurence K.

Frédéric G.

Entraide sur l'informatique, etc. Moins sur le projet car "distance de respect" sur quelquechose de "non maîtrisé"

majorité de travaux individuels difficulté à s'entraider si pas de locaux bcp de solidarité avec un groupe de 4 copains à Paris car menaient aussi leur deux cursus en même temps // diagnostic en groupe// diplôme à 2 avec une amie // entraide dans son groupe d'ami pour le PFE car ils étaient échelonnés, "festif"//

PFE à 2 et groupe d'amis très important face à des situations de grande solitude. Pas seulement par plaisir mais aussi pour pouvoir échanger

Groupe d'amis très structuranr, émulation, un peu de concurrence parfois

Colocation avec un ami maintentant associé. Leur appart' était comme un atelier sans contraintes et sans horaires

Les promos supérieures étaient une vraie ressource pour discuter du projet, de l'outil informatique, etc. LE BAR était un lieu privilégié pour ça. GROUILLOT pour les années sup. en galère

Sociabilités en atelier

91

Exemple de tableau de croisement des discours sur l’entraide (étudiants) ENTRAIDE CLARA

DENIS

Volonté d’aller voir les projets des autres.

Valorisation de cette attitude même si le temps manque. Clara va quand même plutôt voir ses amis.

MARC

ROSE

ANNE

La pause est un moment privilégier pour aller se balader et voir ses amis dans d’autres ateliers. Permet aussi de voir les autres projets. Mais encore une fois problème du temps car il faut rentrer dans le projet des autres. Concernant la représentation, Marc fait partie des étudiants sollicité car il est plus en avance sur les logiciels. C’est donc une ressource privilégiée

MAUD

JADE

Va voir les autres projets seulement à l'occasion des rendus donc plus d'entraide possible

Aller voir les autres étudiants permet aussi de se relancer quand on est dans un passage à vide.

C’est aussi une manière de se situer par rapport aux autres, voir si chacun a compris les mêmes choses, les mêmes enjeux. La limite c’est qu’on ne peut pas solliciter tout le monde à l’infini, il faut savoir prendre des décisions seuls et puis chacun recherche aussi une esthétique qui lui est propre

L’aide se fait toujours principalement sur la représentation.e

Pour Jade, l’entraide peut se faire sur le fond du projet comme sur la représentation (tutoriels, etc…).

Victoire pe certainem sur la form Surtout da années. Ce affirme qu se faire aid entendre) est plus ou commence véritable e à partir du Avec les re qui ont de en même t maquettes Mais pour cela corres une nouve le prof est à une man d’envisage

Pour Jade, travailler en groupe est un moyen de remettre en question sa propre manière de travailler.

Cela apporte aussi un certain confort, un dynamisme.

Pour Victo peut aussi conditions les étudian entre eux travaillent projet.

Entraide sur la représentation, surtout au S1 car sentiment d’être perdu. Les profs n’avaient pas le temps. Cette entraide était surtout réservée à la représentation plus qu’à la conception. Pour Denis, l’idée première doit être respectée, c’est de l’ordre de l’intime. Protection. N’importe qui ne peut l’approcher (réservé au prof ou au élèves plus âgés car ils ont L’EXPERIENCE). Groupe Facebook très actif

La question de la légitimité pour aider ses pairs sur la conception revient.

Le groupe facebook, encore une fois un bon repère pour l’entraide.

Pour Anne ça va un peu plus loin car l’aide peut porter sur de la conception mais d’ordre plus technique (arrangements spatiaux). Les idées restent quand même quelque chose de très personnel qui ne necessite pas d’aide

Le travail de groupe est vu comme une expérience de l’altérité qui peut -être très enrichissante ou catastrophique.

Expérience à double tranchant. Comment partager quelque-chose d’aussi intime qu’une idée (Denis)

Il ne travaille pas forcément en groupe d’amis lorsqu’ils sont en atelier, travaille à côté de personne différente d’une séance à l’autre.

Ici, le parrainage permet de combler le manque d’écoute de l’enseignant.

Besoin de se concentrer aussi en fonction d'où l'on en est dans le projet.

Pas forcément envie d’être avec ses amis à ce moment-là.

Travailler en groupe en atelier est aussi un moyen de se booster, de gérer son travail et son stress.

Le parrainage, véritable ressource pour apprendre à gérer son enseignant. Et en plus c’est rassurant. De plus ces étudiants sont plus légitimes pour qu’on leur pose des question sur l’idée mère.)

Travail en groupe lors de la dernière ligne droit, charrette, pour le moral par exemple.

REPRESENTATION/CONCEPTION, deux temps qui n’engage pas le même type d’entraide La première peut se faire avec des personnes de sa propre promotion tandis que la deuxième demande des personnes qu’on estiment plus légitime.

92 Sociabilités en atelier

Victoire déplore le manque de lien entre promo. De plus, pour que le lien avec le parrain marche, il faut qu’il y ait une connexion. Il pourrait y avoir des retours critiques des promos lors des rendus pour relativiser.

Par le passé, des amis venaient pour aider en charrette mais aujourd’hui compliqué car tous dans la même misère. Charrette tout seul

V

D

utres ement à es rendus entraide

ent sur la on.e

aussi un n travail

JADE

VICTOIRE

Aller voir les autres étudiants permet aussi de se relancer quand on est dans un passage à vide.

C’est aussi une manière de se situer par rapport aux autres, voir si chacun a compris les mêmes choses, les mêmes enjeux. La limite c’est qu’on ne peut pas solliciter tout le monde à l’infini, il faut savoir prendre des décisions seuls et puis chacun recherche aussi une esthétique qui lui est propre

LOU

Dans le DEM de Lou, aller voir les autres est une nécessité pour avancer. De plus, tout le monde a des sujets différents donc il n’y a pas de comparaison possible et c’est forcément enrichissant. Toutes ces rencontres en atelier sont informelles

Pour Jade, l’entraide peut se faire sur le fond du projet comme sur la représentation (tutoriels, etc…).

Victoire pense qu’il y certainement plus d’entraide sur la forme que sur la fond.

Surtout dans les premières années. Cependant elle affirme qu’il peut être dur de se faire aider (dur à entendre) car tout le monde est plus ou moins nul. Elle commence à ressentir une véritable entraide seulement à partir du S6 et en Master.

Avec les redoublants aussi qui ont deux projets à faire en même temps (aide sur les maquettes par exemple).

Mais pour elle, en master, cela correspond surtout à une nouvelle pédagogie, où le prof est moins présent, et à une manière plus collégiale d’envisager l’architecture.

« l’entraide elle était plus sur la conception par rapport aux promos du dessus qui nous donnaient des conseils, et elle était vraiment sur la production quand on était en charrette. »

Pour Jade, travailler en groupe est un moyen de remettre en question sa propre manière de travailler.

Cela apporte aussi un certain confort, un dynamisme.

Pour Victoire, l’enseignant peut aussi créer des conditions propices pour que les étudiants interagissent entre eux même s’ils ne travaillent pas sur le même projet.

Entraide auprès d’un ami qui la connait bien sur le fond du projet. Il a des remarques qui sont parfois plus pertinentes que celles de l’enseignant.

Travaille avec le même groupe d'ami pendant toute la licence

Victoire déplore le manque de lien entre promo. De plus, pour que le lien avec le parrain marche, il faut qu’il y ait une connexion. Il pourrait y avoir des retours critiques des promos lors des rendus pour relativiser.

JULIE

Julie est étonnée, car pour la première fois en PFE, c’est la première fois que les profs encouragent les étudiants à se parler sous peine de devenir schyzo. En effet il ne voit personne en atelier.Pourtant les étudiants peuvent s’organiser en dehors de l’école résidence artistique regroupant des gens d’autres DEM. Présentation des projets pour avoir des retours critiques. Système similaire au S6, groupe de 4 ou 5 en

« en atelier je vois pas vraiment d’entraide… C’était soit moral et dans les résidences étudiantes, soit pédagogique avec les promos du dessus voire du dessous desfois quand y’avait des coups de main pour les maquettes »

Entraide en charrette

Sociabilités en atelier

93

Tableaux test destinés à définir des typologies d’entraide et de solidarité

QUI/OU

Atelier

Maison ou résidence étudiante

Bar

Amis Camarades d'atelier parrains et promo sup autres camardes de promo

5

9

13

17

2

6

10

14

18

3

7

11

15

19

8

12 "Résidence artistique"

Lieu de mélange des populations

Visite

16 20 Lieu de Lieu de mélange des mélange des populations(s populations "Atelier sans contrainte" outien moral dans la dernière ligne

Amis Camarades d'atelier

21

25

Pendant le face à face avec le prof 29 33

22

26

30

34

parrains et promo sup

23

27

31

35

24

28

32

QUI/QUAND

Séance classique

autres camardes de promo Regroupement Balade

QUI/PQ

Avant un rendu

Charrette collective Grouillot pour un étd plus âgé

Production Charrette (maquette, pers)

Amis Camarades d'atelier parrains et promo sup autres camardes de promo

maquette de groupe obligatoire Charrette (maquette, pers)

94 Sociabilités en atelier

Rendu

Groupe facebook en ébullition Pas d'entraide, tout le monde est dans la même galère

Visite

Rue

1

4 Regroupement Balade

Centre d'impression

Représentation Tous le monde est sollicité, en fonction des points forts de chacun et notamment via facebook

36 Balade Ecoute attentive Retour critique Regroupement, des parrains critiques constructives

Soutien moral Dépend de l'année. Les Surtout les étudiants ont plus amis tendance à garder cette partie pour eux ou à la réserver aux En dernière profs ou au parrain année notamment Conception

Passage à vide

Pour relativiser la critique des profs certains considèrent que leurs amis sont plus pertinents car ils les connaissent mieux

Master

oui

Sociabilités en atelier de projet

Triangle problématique d’origine pour les premières mastériales (2017) Étude de l’influence de l’enseignement du projet sur les sociabilités au sein de l’atelier à l’ENSAL et à l’ENSAG(ou ENSASE).

T R I A N G L E

P R O B L É M A T I Q U E

O B J E C T I F S

COMPRENDRE les différents échanges entre étudiants et enseignants et la manière dont

ils les sociabilités étudiantes et enseignantes en

s’opère la transmission des connaissances dans un sens comme dans l’autre.

atelier de projet ?

ENCOURAGER un apprentissage horizontal et plus réflexif car l’atelier de projet est un dispositif qui me paraît idéal pour cela.

Influence sur

« Ce qui enseigné dans l’atelier de projet jour un rôle stratégique dans la socialisation politique des étudiants » « What is taught in design studios plays a strategic role in the political socialization of students. »

Champ des questions et hypothèses

> Notion de curriculum caché

Enseignement : « Action, art de transmettre des connaissances ; transmission.»

pour décrire les relations de

(Le Grand Robert)

pouvoir qui régissent l’atelier

(Thomas Dutton)

ENSEIGNEMENT

Dead Poet Society

de projet.

Pédagogie Transmission Connaissances Savoirs Savoirs-faires...

L’enseignement de l’architecture à la

> « idéologie d’un savoir » et

recherche d’un cadre théorique ?

pratiques sociales qu’il

> cohabitation des

implique.

dissensus, comment structurer l’enseignement?

The Wall, Pink Floyd

Garry Stevens

> Structuration de la

d’architecture.

à travers le Capital culturel

==> transmission de valeurs désirables et favorisées par la société (et donc les dominants). Ce capital serait l’équivalent de

l’architecturologie de Philippe Boudon et d’enquêtes plus empiriques menées à la fin des années 80. Bien que « l’architecturologie […] [acte] la fin d’une confusion avec la théorie de l’architecture, souvent réduite à un panorama des doctrines qui orientent ou qualifient le projet » Rainier Hoddé pointe du doigt le fait que « la réception de telles recherches reste[...]

limitée, y compris dans les écoles d’architecture ».

Enseignement : « Précepte qui enseigne une manière d'agir, de penser. » (Le Grand Robert)

Quelles stratégies de communication utilisent les étudiants avec leur enseignant ?

Le projet, une activité

organise-t-il son

fondée

atelier dans le temps et

sur la pratique ( par

l’espace?

opposition à la théorie)?

Quelle place est laissé

Entre émancipation,

« manière d'être d'un

critique et conformisme

individu, constituant

face au cadre posé en

un ensemble de signes

atelier de projet,

socialement codés »

Comment se positionnent

(Universalis)

les étudiants ?

Institution totale : “le rôle d’une institution

l’intériorisation de

Le jury comme outil

L’école forge-t-elle des

disciplinaire ?

égos ?

l’autorité» (Youri Dayot)

Relations de POUVOIR (entre les acteurs présents en atelier de projet)

Autorité Hiérarchie...

Une transmission sur la base de l’oralité et

d’élements graphiques.

(Guy Lambert)

> Relation maîtreélève traditionnellement importante Atelier Paulin, Ecole des Beaux-Arts, INA

exterieurs ?

Habitus :

les individus à travers

>

aux intervenants

la notion d’habitus développée par Bourdieu.

totale est de modeler

Rainier Hoddé recherche française concernant le processus de projet autour de

Comment l’enseignant

Rapports de domination implicites au sein des écoles

> Pouvoir symbolique

R E C H E R C H E

d’architecture et relations de pouvoir influencent-

Biblio., définitions autour des mots clés (champ d’investigation)

>

L A

DÉCRYPTER les rapports humains au sein d'un atelier de projet.

Mots clés principaux

Thomas Dutton

D E

En quoi les liens entre enseignement, projet

Quelles sont les différences de comportement des acteurs en présence entre le temps du jury et le temps de l’atelier ?

SOCIABILITÉS (enseignantes et étudiantes )

en atelier

Entraide Compétition Corporatisme Individualisme Collectif Confiance Défiance...

“Ce terme recouvre à la fois ce que Durkheim appelait les formes de la conscience collective et ce statut de l’identité personnelle qui permet à chacun d’être un sujet différent des autres sujets et en rapport avec eux.”

(André Akoun, Universalis)

L’atelier, une expérience centrée autour de l’enseignant ?

(Guy Lambert)

Quels rapports les

Quelle place est laissé au

étudiants ont-ils vis à vis

travail collectif?

de leur atelier de projet ?

Comment les

(attachement,

individualités

indifférence, rejet...)

s’expriment-elles ?

Quelles sont les modalités d’entraide des étudiants? A quels moments intervient

“L'élaboration

analyse s’appuyant

(processus intellectuel

sur Michel Foucault :

et créatif) et la

> Dans une enquête

représentation

réalisée auprès d’une école

(formalisation graphique

britannique, le jury apparaît

et conceptuelle)

comme un outil

“Boîte noire de la création” “Hero designer”(Créateur/

Le projet est au centre de l’enseignement de l’architecture.

Créatif)

(Youri Dayot) How I met your Mother

d'espaces bâtis ou

disciplinaire dans le sens

hypothétiquement

ou le dialogue y est très peu

des risques.

projet ?

cette entraide ?

interrogé à travers une

pas les étudiants à prendre

Conception Représentation Atelier, Studio, Culture de studio...

des étudiants dans l’exercice de critique de

du projet d’architecture :

Le mode d’évaluation par

présent, ce qui n’encourage

PROJET d’architecture

Quelle est l’implication

Proposition de définition

Helena Webster

« La primauté d’une pédagogie de l’atelier dans l’enseignement de l’architecture apparaît comme une forme particulière d’apprentissage intellectuel et pratique où perdure le sens du travail collectif»

Harry Potter

destinés à l’être. ÉTUDIANT(S) TITRE

COLLIN Sydney

M1 DCAI

Sociabilités en atelier de projet

UNIT

UE073 - E0732 - SEM. RECH.-LAB - Mémoire 1 - Problématiques

RESP

LEQUAY H.

DE MEM

ROUDIL N.

ENCADREMENT BIGOT-DOLL E., TRAN F., SAUNIER Thierry, FIORI Sandra

S07 17-18

Master 1

MEM INTERDEM

© ENSAL

Sociabilités en atelier

95

Sociabilités en atelier de projet Sociabilities within the design studio

Etude de l’influence de l’enseignement de projet sur les sociabilités (enseignantes et étudiantes) à l’ENSAL Study on the way architectural pedagogy impacts sociabilities (between students and teachers) at ENSAL

Le projet est au cœur de l’enseignement des écoles d’architecture. Ce mode d’enseignement en studio ou en atelier se fait généralement autour d’un enseignant architecte (praticien ou non) qui suit un groupe d’étudiants.

Contrairement à une transmission de savoirs académiques basée sur des cours magistraux, l’atelier permet d’avoir des rapports plus individualisés entre enseignants et enseignés.

Partant de ce constat, l’atelier peut donc être envisagé comme une véritable arène sociale. On se propose ici d’étudier l’impact de l’enseignement du projet sur les sociabilités entre étudiants mais aussi entre enseignants et enseignés.

Ces sociabilités sont envisagées principalement sous l’angle de l’entraide, des rivalités et des effets de distinction. Ce mémoire s’appuie sur des méthodologies et concepts issus des sciences sociales, en exposant notamment une analyse d’une dizaine d’entretiens réalisés avec des enseignants et des étudiants de l’ENSA Lyon. De plus, il a la particularité de présenter une mise en récit à valeur ethnographique de ma propre expérience étudiante. A partir de ce corpus, j’analyse la construction de l’enseignement, ses mises en pratique dans les ateliers, la manière dont les étudiants le réceptionne et s’organise collectivement pour y répondre.

Dans ce contexte, ce travail montre notamment comment entraides et rivalités peuvent coexister au sein (et en dehors) de l’atelier.

Mots-clés : enseignement / teaching, projet d’architecture / architectural projetct, entraide / mutual aid, rivalités / rivalries

Design project is at the heart of the teaching system in architecture school. This method of teaching occurs in a studio and is provided by an architect (practionner or not) in charge of a small group of students. Contrary to the way knowledge is traditionnally passed on, the studio allows a more personalized interaction between teachers and students. Based on this observation, the studio can be seen as real social arena. This work proposes to study the impact of the design project pedagogy on the sociabilities of students, but also between teachers and students. These sociabilities are analysed in terms of mutual aid, rivalries and in the way students distinguish themselves. This study is based on methodologies and concepts developped by social sciences. Indeed, it discusses more than ten interviews of students and teachers from ENSA Lyon. Then, it features some ethnographic extracts of my own student experience.

From this corpus, I analyse the construction of a pedagogy, its applications in the studio, the way students receive it and how the organize themselves collectively. In this context, this work shows how mutual aid and rivalries can co-exist in and out of the design studio.

Dessin pris en photo dans les ateliers de l’ENSAL (auteur inconnu)