Le nivellement par le bas

Il y a juste 20 ans que je joue au golf. Et j’aime toujours autant ça. Ce que je regrette en revanche, c’est la tendance actuelle d’un premier handicap toujours plus haut. A l’époque où j’ai commencé, il n’y avait qu’une trentaine de parcours en Suisse, moins de 15'000 licenciés et surtout des exigences élevées pour mériter ce plaisir d’arpenter les fairways. D’abord, il n’y avait pas d’autorisation de parcours. Il fallait prendre des leçons, jusqu’à ce que le pro du club estime votre niveau de jeu suffisant pour vous «inscrire» à l’examen du handicap. Et pour certains, cela impliquait parfois plus d’une saison à n’avoir pour environnement golfique que les limites du driving range… Le test théorique sur les Règles & l’Etiquette n’était pas plus difficile qu’aujourd’hui, en revanche, l’examen pratique était assez relevé, puisqu’il fallait faire deux parcours de 9 trous en compagnie du pro, avant l’épreuve proprement dite du 18 trous, toujours sous la surveillance plus ou moins aimable de l’enseignant! En scorant 40 coups audessus du par – ou moins pour les plus doués – vous obteniez votre premier handicap de 30. Et cet handicap était déjà critiqué par certains, pour lesquels la barre avait été placée à 24 quelque temps auparavant, quand ce n’était pas à 18! Bref, lorsque l’on se voyait attribué le fameux sésame, on avait un semblant de niveau de jeu. Quelques années plus tard, l’ASG s’est alignée sur la France et les autres pays qui avaient, peut-être par commodité algébrique, fixé ce premier handicap à 36. Si on s’arrête là, le mal n’est pas trop profond. En revanche, il serait navrant de s’inspirer du modèle français, qui est passé au handicap 54 en 2000! On pourrait presque considérer cette décision comme le fameux «bug» que l’informatique nous promettait à pareille époque… Justifiée (?) par le développement du golf, par la multiplication des joueurs, cette évolution n’est rien d’autre qu’un nivellement par le bas, qu’une dérive regrettable de la démocratisation de ce sport. Une démocratisation qu’il ne s’agit pas pour autant de remettre en cause, bien au contraire. Car ce n’est pas en soi la baisse du niveau de jeu qui est dommageable, mais les comportements que cette démarche suscite. Aujourd’hui, le golfeur qui a 53,5 de handicap se considère en effet comme un joueur à part entière! Il arrête de prendre des leçons, pour en donner aux misérables détenteurs de la carte verte – équivalent de notre autorisation de parcours. Mais là n’est pas encore le problème. Le pire, c’est qu’il joue très lentement. Fort de la légitimité de son handicap, il s’arroge le privilège de faire trois coups d’essai, de regarder sa ligne au putting en tenant son putter comme un fil à plomb – en évitant bien de demander comment ça fonctionne! – de chercher toutes les balles qu’il a mis dans le rough tout en omettant de jouer une balle provisoire, bref, il accumule les clichés du joueur infernal. Ce qui est plus grave, c’est qu’on lui donne la parole! Comme l’a fait récemment l’un de nos confrères de l’Hexagone dans un test de clubs, qui demandait son avis à un handicap 53 sur les performances d’un… driver! Et ce joueur de s’extasier sur la facilité de ce club et sur sa capacité à envoyer des balles droites.

Le jeu lent est la plaie du golf, on ne le répétera jamais assez. A l’heure où, chez nous, certains amateurs trouvent logique de passer 5 heures sur le parcours, il faut savoir que les Ecossais, défenseurs historiques de l’esprit du golf, détestent dépasser les 3 heures de jeu. Et qu’ils mettent en place des mesures draconiennes pour ne pas encombrer le parcours.

Jouer lentement ne serait pas un problème, si les «fautifs» acceptaient de laisser passer les joueurs plus rapides, s’ils se rappelaient que le stableford permet de relever sa balle et de passer au trou suivant et s’ils observaient John Daly boucler 18 trous en 2h30, dans le par, sans jamais faire le fil à plomb avec son putter…

■ Jacques Houriet

Premier coup d’une partie écossaise classique, qui va durer moins de trois heures…