Le paris des esprits

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1   ........................... CADUCÉE, MESSAGER DES DIEUX ..................... (5e) 2 ............................ MONASTÈRE DE LA VISITATION ....................... (6e) 3 .................................. TOMBE D’ALLAN KARDEC ....................... (20e) 4 ................................ CHAPELLE DE L’HUMANITÉ .......................... (3e) 5 .................................... L’ANGE DE TURBIGO ................................ (3e) 6 ..................................... TOUR SAINT-JACQUES ............................... (4e) 7 ....................... ÉGLISE SAINT-ÉPHREM-LE-SYRIAQUE ................. (5e) 8 ......................... SYNAGOGUE CHASSELOUP-LAUBAT ................. ( 15e) 9 .............................. GRANDE MOSQUÉE DE PARIS ........................ (5e) 10 .................................. INSTITUT SAINT-SERGE ............................ ( 19e) 11 ......................................... KAGYU DZONG    . .................................. (  12e) 12 ................................... TEMPLE ANTOINISTE .............................. ( 17e) 13 ................. SYNDICAT NATIONAL DES MAGNÉTISEURS ........... ( 12e) 14 ..................... ÉSOTÉRISME ASIE-ANTILLES-AFRIQUE ................. ( 11e) 15 ....................................... TEMPLE GANESH ................................. ( 18e) 16 .................................... DOJO ZEN DE PARIS .............................. ( 13e) 17 .......................... AUTEL DU CULTE DE BOUDDHA .................... ( 13e) 18 .......................... ÉGLISE CATHOLIQUE LIBÉRALE ................... ( 10e) 19 .................... ESPACE DE MÉDITATION DE L’UNESCO ................ (7e) 20 ................................... SAINTE GENEVIÈVE ................................ (5e)


P riscillav Vincentq Telmonx & Moonfs

VOYAGE À TRAVERS LE PARIS MYSTIQUE ET ALCHIMIQUE


AVANT-  P ROPOS Paris est un temple. Un labyrinthe, un assemblage infini de couches d’histoires et de mouvements, de passagers du bout du monde et de l’au-delà, de danses avec les Esprits, toujours bien vivants bien que parfois endormis… Une ville à la géographie sacrée, pourtant méconnue de nos jours, à laquelle des communautés de tous les continents sont venues apporter leurs savoirs, leurs mystiques et leurs rituels. Dans le flux des événements et des idées, Paris a toujours été un centre de mutations, un lieu de rendez-vous fortuit de toutes les nations, un lieu de croisement, inscrit depuis fort longtemps dans sa topographie. Paris est née d’une île, l’île originelle sur laquelle fut bâtie plus tard sa cathédrale, centre religieux déterminant l’organisation de ses quartiers. La symbolique des lieux semble ne rien laisser au hasard – son fleuve ( l’Yonne, que l’on prend par mégarde historique pour la Seine), avant d’emprunter son cours actuel il y a quelque dix mille ans, faisait un arc de cercle qui effleurait les collines de Belleville, Montmartre et Chaillot, préfigurant déjà la forme future de la cité. La distinction entre le profane et le sacré y apparaissait dès l’Antiquité : à l’ouest, les institutions humaines – le palais de justice et le palais royal ; à l’est, les institutions divines – les temples. Telle une balance équilibrant pouvoir matériel et pouvoir spirituel. Entre les artères à trois voies et les pâtés d’immeubles, il existe encore des parcelles qui échappent au temps. De l’Egypte ancienne aux mystères du Moyen-âge et jusqu’à nos jours, Paris est un haut lieu de la magie. Paris c’est l’histoire


des alchimistes, des magiciens, des temps anciens qui ont inspiré de grandes œuvres et peuplés la cité de symboles cachés. Explorer les traces du Sacré à Paris, les traces de ces «  Esprits  » parfois fantasques, toujours bienveillants et accueillants – n’en déplaise aux raccourcis contemporains – c’est parcourir la ville selon un tracé différent, redéployer son passé pour mieux comprendre son présent, et intégrer autrement la cité globale qu’elle est devenue à la fin du XXe siècle. C’est aussi s’aventurer dans une quête sonore intense, un voyage musical qui nous fait traverser les communautés d’ici et d’ailleurs, de vêpres catholiques en psalmodies hindouistes, de prières soufies en récitations bouddhistes… Et retrouver, parfois, le silence le plus sacré, au cœur du tourbillon de nos vies. Paris la ville des Esprits n’a pas disparu, bien au contraire. Nous vous proposons de réinvestir ces chemins et de réinventer notre rapport à la « Ville Lumière » , ce Tout-Monde.


CADUCÉE, MESSAGER DES DIEUX Hermès chez les Grecs, Mercure pour les Romains, le « Messager des Dieux » pour tous. Paris, ancienne Lutèce, était gardée au nord et au sud, par deux temples de Mercure – le premier dominait la route qui va vers la Belgique, le second celle qui vient des régions méditerranéennes. Lieu de rencontre des voyageurs, carrefour d’idées, Paris possède les attributs du dieu antique qui a marqué son sol et veille sur la ville comme le protecteur des voyageurs, le gardien des carrefours et le messager sans repos. C’est Homère qui nous conte que celui-ci a échangé sa lyre contre un bâton avec des serpents entrelacés. Les alchimistes sont généralement désignés comme étant les disciples d’Hermès, et le pouvoir est résumé dans celui-ci par le bâton avec l’enroulement des deux serpents - d’un côté le mercure, de l’autre le soufre, le bâton le sel, le tout donnant la médecine universelle, le pouvoir de la Vie éternelle et pouvoir de jouvence. Ce qui n’est pas sans rappeler la double hélice de l’ADN. Bien que très proche, il ne faut pas le confondre avec celui d’Asclépios ; un seul serpent entourant un vase - qui fut repris pour symbole de l’ordre des médecins de France depuis 1945. Le caducée réapparaît régulièrement à qui sait regarder les traces encore vivantes dans les rues de la capitale. Présence discrète mais ô combien significative d’un passé entrelaçant science et esprits... 1


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MONASTÈRE DE LA VISITATION « Le Bruit fait peu de Bien, le Bien fait peu de Bruit… » Battre en retraite au cœur de la ville, trouver silence au sein du chaos. Le monde a beau accélérer, dans son trouble de bruits et de fureur, d’hyper-connectivité à tout prix et de normalisation intense, on trouve encore de nombreux monastères à travers Paris, toujours bien actifs. Le bâtiment historique de la Visitation, ordre né à Annecy en 1610, ne sera bientôt plus qu’un souvenir, dévoré par une opération immobilière. Mais les sœurs continuent un peu plus loin, vers Port-Royal, à prêcher la charité monastique, et accueillent même les femmes volontaires a entrer en courtes retraites de silence… Les monastères urbains sont encore nombreux – on appréciera notamment de découvrir la Fraternité Monastique de Jérusalem à l’Église Saint-Gervais et ses fameuses vêpres en fin de journée. Cette vie recluse et silencieuse fascine – faisant écho à la vague actuelle de nouveaux chemins de méditation, élargissant notre rapport aux sagesses ancestrales et préfigurant un grand re-basculement du monde vers la question divine.

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TOMBE D’ALLAN KARDEC « Naître, Mourir, Renaître encore et Progresser sans cesse, telle est la Loi. » C’est au cœur du cimetière du Père Lachaise que se dresse la tombe d’Allan Kardec, si fameuse et pourtant méconnue, si fleurie et pourtant dénigrée par les guides de passage. Hippolyte Léon Rivail de son vrai nom, né en 1804, lyonnais d’origine et grand scientifique du monde des esprits, fondateur du spiritisme, père spirituel de Victor Hugo et de tant d’autres, est aujourd’hui mis de côté. Pourtant ses idées et ses techniques médiumniques de communication avec les esprits défunts ont essaimé à travers toute l’Europe bourgeoise du XIXe siècle, avant de trouver refuge au Brésil, où la popularité de ses travaux en a fait le personnage français le plus influent du grand pays tropical. À la stupéfaction des français qui eux, ont quasiment tout oublié de ce personnage fascinant ; auteur du célèbre Livre des Esprits, (qu’il déclare avoir rédigé sous leur dictée), précurseur de nombreux courants de pensées spirituelles, et inspirateur des surréalistes. Après tout, un scientifique oublié qui nous parle de réincarnation au cœur du plus grand cimetière de Paris, cela fait encore désordre.

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CHAPELLE DE L’HUMANITÉ L’ordre. Le progrès. Mais où est passé l’amour ? se demandent les Brésiliens qui n’ont hérité sur leur drapeau national que d’une version écourtée. « Les vivants sont toujours, et de plus en plus, gouvernés par les morts ». Autre maxime bien connue du courant positiviste, le modèle de pensée fondé par Auguste Comte qui a essaimé dans de nombreux domaines philosophiques – on considère même Comte comme le père de la sociologie. Mais on oublie pourtant souvent, entre 1845 et 1849, la création au sein du positivisme de la Religion de l’Humanité et de ses temples, dont l’ultime Chapelle est en plein cœur du Marais. Ce courant d’esprit prônait une « Religion sans Dieu » mais avec l’Homme et ses grandes œuvres au centre. Célébrant les créations des anciens, avec l’espoir d’inspirer les nouvelles générations. Le renouveau du culte des morts selon Comte était bien senti, mais a pris une étrange tournure… Dans une société de l’enregistrement permanent, dévorée par sa nostalgie, les morts n’ont-t’ils pas effectivement une part de plus en plus importante sur le fonctionnement du monde ? Le poids du passé a pris une ampleur inédite, assombrissant trop souvent l’enthousiasme du renouveau. Mais la Chapelle de l’Humanité ne répond plus.

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L’ANGE DE TURBIGO À l’angle de la rue Turbigo et de la rue Conté, à quelques pas du musée des Arts et Métiers, rencontrez l’image de l’esprit universel. Un ange aux ailes déployées, les pieds posés sur un globe, un brin de myrrhe dans la main gauche et une bourse dans la main droite. Cette cariatide se dresse sur trois étages de la façade, comme dans les « trois mondes » – terrestre, intérieur et céleste. Autour d’elle le mystère perdure ; elle incarnerait le génie de la charité, prêt à donner aux pauvres, dans cette rue dont la vocation était, dès sa création en 1854, d’être commerçante. Mais d’autres légendes circulent… L’une d’elles est rapportée par Raymond Queneau – le propriétaire de l’immeuble, au cours de la construction aurait vu l’ange en rêve avec sa bourse à la main, le lendemain il gagnait au loto, et rendit hommage à l’esprit qui l’avait visité. D’autres passants pourtant y voient l’affaire de Mercure/ Hermès ! L’esprit universel préside aux échanges entre le ciel et la terre, transmet les messages et garde les carrefours, à la croisée des chemins… Esprit des voyageurs, des commerçants, mais aussi des voleurs… Et de Paris, éternel carrefour du monde.

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TOUR SAINT-JACQUES Elle se dresse, mystérieuse, au croisement de la rue de Rivoli et du boulevard de Sébastopol, au milieu du premier square parisien. Bâtie il y a cinq siècles, la tour Saint-Jacques fut une église avant d’être un clocher solitaire : Saint-Jacques-de-laBoucherie doit son nom à celui à laquelle elle était dédiée, et à la Grande Boucherie, située entre le Châtelet et la rue Saint-Jacques. Au XIVe siècle, Nicolas Flamel, célèbre bourgeois parisien, écrivain public, est le mécène de l’église. On le dit même alchimiste : il aurait réussi à percer les secrets de la pierre philosophale permettant la transmutation de métaux en or. Il fait construire une chapelle dans l’église pour y installer son futur tombeau, contenant un trésor : un coffre de cèdre avec le livre original d’Abraham le Juif sur les secrets de l’Alchimie. À sa mort, il lègue la quasi-totalité de ses biens aux bonnes œuvres de Saint-Jacques. Vendue à la Révolution comme carrière de pierres, elle est la seule partie de l’église à échapper à la démolition en 1797 et est rebaptisée par les alchimistes : la Tour des Mystères... Elle aurait été sauvée grâce à Blaise Pascal qui réalisait des expériences sur la pesanteur depuis le toit. Lors de sa restauration en 1855, l’architecte Théodore Ballu fait poser une statue du philosophe à la base de l’édifice et inscrit les initiales de Nicolas Flamel dans un des vitraux. Depuis 1965, la tour est redevenue le point de départ de la route vers Saint-Jacques-de-Compostelle pour de nombreux pèlerins, et son énigme ne faiblit pas. 6


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ÉGLISE SAINT-ÉPHREM-LE-SYRIAQUE Le voyageur tend l’oreille. « Awoun douèshméïa… » Dimanche matin, à quelques pas du Panthéon, le père Ellie ouvre la messe dans la langue de Jésus; l’AraméenSyriaque. L’orgue prend l’espace, les chants s’élèvent, la petite communauté s’époumone, plus ou moins assurée, troublant l’ordre habituellement si précis de l’église. La paroisse de Saint-Éphrem, donnée à la Mission Syriaque Catholique de Paris et à sa communauté en 1925 après bien des tribulations, fait partie de ces nombreuses églises méconnues de la capitale en lesquelles se réunissent des communautés des quatre coins du monde, chacune ré-assemblant leurs histoires passées et présentes. Des communions loin de la terre d’origine, mais d’autant plus intenses que le rite fait office de pont céleste avec une terre mythique. La liturgie du début du VIe siècle, dite de JérusalemAntioche, est encore en usage sous les ordres de Saint-Éphrem, ascète poète et musicien du IVe siècle qui fonda une chorale composée de jeunes filles et que l’on surnomma « la cithare de l’Esprit-Saint »… Le voyageur apprend ainsi pas à pas, soufflant sur ce qui semble de prime abord poussiéreux, à retracer la poétique spirituelle et musicale de courants religieux irriguant tout notre présent artistique.

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SYNAGOGUE CHASSELOUP-LAUBAT Au détour d’une rue, par la grâce d’un angle spécifique, on s’extirpe de l’accélération du monde pour plonger dans l’intemporel. Le temps d’une pause, le nouveau émerge dans le quotidien, et c’est pourtant du passé qu’il s’agit. Alors, peutêtre, seulement resurgit la plus belles des villes, combinaison impossible d’histoires mythiques, d’architectes poètes, de démesure d’époque. La Synagogue de la rue Chasseloup-Laubat a cette discrétion qu’ont en général les temples juifs, s’inscrivant dans la vie urbaine avec évidence. Magnifique héritage de l’âge d’or des synagogues du XIXe siècle, la Chasseloup-Laubat fut bâtie en 1913 par le jeune Lucien Bechmann, sur la fortune du Baron de Rothschild, dans un style byzantin qui l’intègre dans le quartier, comme si son statut particulier repoussait les avancées de l’urbain en tout coin. Une image d’hier qui se révèle aujourd’hui à qui sait regarder. On dirait presque du Atget.

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GRANDE MOSQUÉE DE PARIS En passant la grille du jardin des plantes, le minaret de 33 mètres de haut se découpe dans le ciel, puis les arcades, les arabesques hispano-mauresque inspirées de l’Alhambra de Grenade. C’est en 1926 que la plus ancienne mosquée de France achève sa construction grâce aux 450 artistes venus du Maghreb pour la réaliser, en reconnaissance du sacrifice des soldats musulmans morts pour la France au cours de la Première Guerre mondiale. Plus tard, lors de l’occupation allemande, elle constituera un lieu de résistance où de nombreux parachutistes britanniques et des familles juives trouvèrent un abri et des moyens d’exfiltration. Édifice de toute beauté, fréquenté par de nombreux non-musulmans, la Grande Mosquée nous rappelle l’incompréhension contemporaine envers une religion qui aura marqué l’histoire et l’esthétique de l’Europe dans toute sa partie méditerranéenne. Loin du tumulte du monde, les mosquées – comme les chapelles, les temples, les pagodes, les oratoires – sont un lieu de recueillement et de prière ouvert à tous. Et très souvent, bien que beaucoup plus discrètement à Paris, des espaces sonores d’une grande richesse, lieu de retrouvailles de nombreuses familles bien au-delà de la seule prière.

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INSTITUT SAINT-SERGE Entre l’horizon lointain des hautes tours de la Place des Fêtes, du parc des Buttes Chaumont et l’atmosphère populaire du 19e arrondissement, une grille en fer, puis une étroite allée, enfin un vieux garage et son enseigne « Librairie » à peine lisible. Protégée par un îlot de verdure, l’église en bois du Saint-Serge de Radonège apparaît entre les arbres. L’ancienne église luthérienne Allemande fut rachetée aux enchères par la communauté orthodoxe de Paris le 18 juillet 1924, jour de la fête de Saint Serge. Devenue l’Institut de théologie orthodoxe, véritable fleuron de la pensée russe en Occident, elle y formera des centaines de prêtres jusqu’à ce jour, dans son écrin encore aujourd’hui éblouissant de petit village. Merveille du temps global, lorsqu’une brèche d’un dimanche matin parisien ouvre vers le cœur de la Russie, le long d’une messe agitant son théâtre du sacré avec toute la précision d’un frisson slave. Les chants célestes succèdent aux ensembles de carillons si particuliers des églises orthodoxes, étranges reminiscences quasi-balinaises d’ensembles de gamelan joués par un seul homme. L’office se termine et la table s’ouvre, pour partager le bortsch fumant et autres douceurs du grand Est...

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KAGYU DZONG L’énergie des hauts plateaux du Tibet souffle sur le bois de Vincennes. Depuis les années 1970, le bouddhisme se développe en France de façon spectaculaire, et pour la première fois, en 1975, un centre bouddhiste tibétain de la lignée Kagyupa est créé. Béni par Sa Sainteté le XVIe Karmapa, on lui donna le nom de Kagyu Euser Tcheu Dzong, « la Citadelle de Claire Lumière ». Il est construit dans l’enceinte de la Pagode, vestiges de l’Exposition coloniale de 1931, et abrite le plus grand Bouddha d’Europe. En façade les quatre colonnes peintes de couleurs vives symbolisent les « 4 Nobles Vérités » (Toute vie est remplie de souffrances / La cause de la souffrance est le désir ignorant / Il est possible de parvenir à la suppression de la souffrance / La Voie de l’esprit est le chemin menant à la cessation des souffrances) dévoilées par Bouddha à Sarnath en Inde il y a 2500 ans. La flèche d’or qui coiffe le temple représente quant à elle la vacuité. Aujourd’hui, le Temple accueille quiconque souhaite être initié au bouddhisme tibétain, par des méditations ou des enseignements. La France a toujours eu un rapport riche mais complexe avec le bouddhisme. Le « mysticisme » supposé de la pensée orientale n’est pourtant qu’une incompréhension envers une science du temps. L’Occident a poursuivi la quête de l’énergie, l’Orient celle du temps. Deux visions du monde qui se sont opposées, mais qui pourraient bien contenir dans leur rencontre inéluctable le berceau d’une nouvelle conscience planétaire. 11


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TEMPLE ANTOINISTE La femme, la soeur, la mère peut-être, qui nous avait accueilli dans la petite salle attenante, ferme les yeux. Habillée d’une vieille Europe, elle canalise. Conclusion éminemment surréaliste à une « opération » dominicale. Fondé par le wallon Louis-Joseph Antoine non loin de Liège, en 1910, le culte Antoiniste est l’une des plus fascinantes expressions de la foi contemporaine européenne – extension logique du spiritisme kardéciste, exfiltration du christianisme vieillissant, on trouve aujourd’hui 3 temples à Paris, tous actifs. « Ici, Dieu s’appelle Amour » L’Antoinisme se défend d’être une religion – recherche de la Parole Divine éternelle et universelle, ses offices sont des prières orientées vers les fluides vibratoires, destinant les participants au mystère de la Foi et au soin des consciences. Et sa discrétion n’est que proportionnelle à sa charité – l’accueil dans ses Temples d’un autre temps fait office du plus beau théâtre de la guérison. Mais le travail est laborieux. « Ce n’est pas tout, en effet, de recevoir l’amour, il faut le garder.»

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SYNDICAT NATIONAL DES MAGNÉTISEURS « Il y a une infinité de choses qui dépassent la raison » disait Albert Einstein. Le mot syndicat, datant de 1477, étymologiquement « la sympathie du droit » , désignait à l’origine l’activité dans la ville de Foix… On ne pouvait imaginer mieux pour établir un lien entre organisation matérielle de la société et organisation quantique de la conscience. Le long du Canal de la Bastille, un syndicat s’est installé depuis 1997 – mais pas n’importe lequel – pour défendre les médecines alternatives et ses praticiens. C’est dans le Paris du XIXe siècle qu’une famille de magnétiseurs règne sur la discipline. Hector Durville, secrétaire général de la Société magnétique de France et éditeur du Journal du Magnétisme et Psychisme Expérimental, et son fils se sont donnés pour but de vulgariser la pratique. L’idée d’un fluide naturel permettant à un praticien exercé de guérir un malade au moyen de passes magnétiques a été développée par FranzAnton Mesmer, médecin allemand du XVIIIe siècle. Durville continue les travaux mesmériens en créant une école pratique du magnétisme, que son fils développera par la suite. Il y a les sciences officielles et les clandestines, appelées alors « sciences occultes », symbole de l’éternel conflit entre le rationnel et l’irrationnel. Aujourd’hui encore, c’est toute une approche médicale qui est peu considérée, malgré les constants appels aux coupeurs de feu dans les hôpitaux publics français. Si les sciences occidentales cartésiennes rejettent ce qui bouleverse l’entendement, on oublie qu’avant d’écrire le Discours de la méthode, Descartes affirmait l’avoir rêvé. 13


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ÉSOTÉRISME ASIE-ANTILLES-AFRIQUE « Pou aimé moins » – la fiole trône en bonne place, parmi des centaines d’autres articles venus des quatres coins d’un globe ésotérique et aux pratiques chamaniques d’hier et d’aujourd’hui. Un coin d’occultisme joyeux dans un quartier carrefour du Faubourg du Temple. C’est Philippe qui régale, il gère la boutique de ses parents, émigrés du Cambodge, et connaît sur le bout des doigts les magies du monde – des potions, des parfums, des herbes et des bougies, et même parfois des masques de halloween - le sacré sait bien enrôler son reflet dans le miroir quand il le faut. Ou l’inverse. Ce délicieux mélange entre boutique ésotérique et bazar de marabouts est un fourre-tout de rencontres aussi – on y croise tout ce que la ville peut compter de joueurs de fétiches, de guérisseurs plus ou moins patentés, de praticiens du futur, d’alchimistes bricoleurs… « Pou aimé moins » – renseignez-vous bien lors de l’achat – il ne s’agit pas d’une potion de désenvoutement, mais bien le contraire – « Pou aimé moins » dans le créole antillais, est pour attirer l’âme soeur… Gare à qui vous faites boire la potion !

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TEMPLE GANESH Lorsqu’on y pénètre, on se déchausse, et on se laisse emporter par les effluves d’encens, de noix de coco et de jasmin, par la danse des prêtres brahmanes – torses nus, pagnes noués à la taille – autour des corbeilles d’offrandes, de pétales de fleurs et de fruits, préparant les rituels du jour en psalmodiant les mantras, incarnant le « Dharma », l’Ordre universel cosmique ou Loi éternelle. À l’origine, le plus ancien temple hindou de la capitale, fondé en 1985, était discrètement installé derrière une porte de la rue Philippe de Girard, à deux pas du métro Marx Dormoy. En 2010, il a déménagé rue Pajol, dans le quartier surnommé « Little Jaffna », du nom de la capitale culturelle des Tamouls, au nord du Sri Lanka. Ici, on vénère tous les dieux, mais surtout Ganesh, appelé en sanscrit Vighneshvara, fils de la déesse montagnarde Parvati et du dieu danseur Shiva. Ganesh est considéré par les hindous comme une divinité suprême, le dieu du savoir, symbole de l’union entre le microcosme et le macrocosme, l’humain et le divin, capable d’écarter les obstacles par la puissance de sa pensée. Dieu au corps d’homme à la tête d’éléphant, il est celui que l’on invoque en premier au début de toute quête spirituelle, permettant par son intercession d’accéder aux autres Dieux. Plus loin dans la rue, quelques mosquées cachées, un temple sri-lankais, un ordre chaldéen… Paris respire de ses ailleurs.

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DOJO ZEN DE PARIS « Si la posture est juste, votre esprit aussi devient juste. Si la posture est immobile, l’esprit aussi devient immobile. Si la posture est tranquille, l’esprit aussi est tranquille. La posture, l’attitude, le comportement influencent l’esprit. » C’est notamment chez Arnaud Desjardins et ses recherches vers l’Est du monde dans les années 1960-70 qu’une certaine culture française aura puisé un renouveau spirituel, depuis bien ancré à travers le territoire. Dans ses documentaires sur le Zen, Ici et Maintenant et Partout et Toujours, on suivait le grand maître Taisen Deshimaru de monastères en monastères – mais c’est bien à Paris que le « sensei » japonais ouvrit en 1971 le premier Dojo Zen en Europe, peu après son arrivée pour répandre la sagesse de cette tradition millénaire. Dans un lieu coupé du temps et de l’agitation, une communauté ouverte de pratiquants se réunit, pour la pratique du zazen - posture d’Éveil incluant à la fois le corps, la respiration et le mental. Une heure de silence total, ouverte et fermée par la percussion du Dai Kaijo. Les yeux fixés vers le néant du mur blanc pour y trouver le grand tout intérieur.

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AUTEL DU CULTE DE BOUDDHA Le parking peut prêter à confusion – ou peut-être bien servir d’idéal lieu de repos des esprits... L’image n’en reste pas moins stupéfiante. Dans le quartier chinois du 13e arrondissement, en dessous de la grande dalle de la porte d’Ivry, on pénètre au cœur de la communauté bouddhique indochinoise locale. Après la pénombre du sous-sol, place à cette étonnante pagode souterraine aux autels colorés, aux guirlandes scintillantes et aux multiples offrandes. Le temple est niché au milieu de tuyaux d’aération, de conduits de transports d’air supérieur, pour prier délicatement le bouddha Sakyamuni, le bodhisattva Avalokitesvara ou la déesse de la compassion Guan Yin. Le recueillement est de rigueur mais on peut aussi refaire le monde, en jouant aux échecs et en buvant le thé à toute heure du jour. C’est d’ici que partent les Dieux et les Dragons pour le fameux défilé du Nouvel An chinois, qu’organise chaque année cette communauté. Au-dessus, en dehors, la ville gronde. Et dans cet improbable parking, on s’enivre au divin asiatique.

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ÉGLISE CATHOLIQUE LIBÉRALE L’Église ? Ou bien plutôt les Églises ? Indépendante de l’Eglise Catholique Romaine depuis un schisme du XVIIIe siècle, héritière du courant dit de « l’Église Vieille Catholique », le temple discret de la rue Tesson reçoit deux fois par semaine pour des messes bien différentes. Ici, la dévotion sacramentelle est au cœur du rituel, un « acte magique » concevant la réincarnation comme base du principe d’accession de l’homme à son Dieu intérieur. Le service d’onction consiste dans la célébration du Sacrement des Malades, la maladie étant comprise au sens large et global du terme. On pourrait penser à des formes d’exorcisme si l’on ne connaissait que peu la richesse et la diversité de la pratique religieuse, fidèle à l’ancienne Tradition Apostolique, qui a toujours accompli ce Sacrement dans sa perspective d’origine : le rétablissement et l’harmonie entre les trois composantes de la personne ; l’Esprit, l’Âme et le corps. Les Onctions sont appliquées sur les centres facilement accessibles ; le front, le sommet du crâne, la gorge et la nuque, par le prêtre avec de l’huile consacrée, servant d’auxiliaire dans le dispositif de la guérison ésotérique. Ses propriétés thérapeutiques, universellement reconnues depuis la plus haute antiquité, ont fait de cet onguent naturel un des moyens de soin jadis le plus usuel et le plus répandu. Chaque semaine, on se presse pour la recevoir ici, au cœur de Paris.

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ESPACE DE MÉDITATION DE L’UNESCO Le sol en granit de cet étonnant cylindre fut exposé aux radiations lors de l’explosion d’Hiroshima. 50 ans plus tard, pour le 50e anniversaire de l’Unesco, Tadao Ando, célèbre architecte japonais, dévoilait un espace de silence oecuménique, dans lequel on ne pénètre qu’après avoir suivi un parcours. Une rampe nous faisant lever les yeux vers le ciel lorsqu’on pénètre enfin en son centre, enlaçant cosmique et dramatique. Cet espace cylindrique est dédié à la méditation et au recueillement. Son œuvre pour symboliser la paix est mitoyenne de « L’ange de Nagasaki », sculpture qui fut épargnée par les bombardements et offerte en 1976. Le visiteur est invité à se recueillir sur l’effroi de la Seconde Guerre mondiale et méditer sur le pouvoir destructeur de l’être humain. Héritière de ses drames terrestres, et les conjurant dans la transcendance céleste - voilà peut-être la quête spirituelle du monde. « J’aimerais réaliser des édifices qui resteront gravés dans le cœur des hommes. » Et Ando-san d’inscrire ce « temple » moderne dans la grande tradition de l’architecture du sacré à Paris.

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SAINTE GENEVIÈVE « Que les hommes fuient, s’ils veulent, s’ils ne sont plus capables de se battre. Nous les femmes, nous prierons Dieu tant et tant qu’Il entendra nos supplications. » Paul Landowski son architecte aurait voulu qu’elle tourne la tête vers Notre-Dame, mais la Sainte Patronne de Paris, protégeant la jeune ville tel l’enfant en ses bras, a porté son regard vers l’Est. Drôle de destin mais opportun pour l’histoire ésotérique de la ville – construite sur un axe est-ouest / passé-futur, le long de la Seine, le levant régalant la ligne de son passé glorieux, le couchant tel l’espoir du lendemain ultra-modernisé… Sainte Geneviève appartient bien au passé de la ville, sauvant l’ancienne Lutèce de l’invasion des barbares Huns, avec ses encouragements à la résistance. Landowski lui, a continué à regarder vers l’Ouest – dans la direction de Rio de Janeiro, où il construira quelques années plus tard son œuvre la plus célèbre, pour certains la plus belle sculpture du monde : le Christ Rédempteur. D’un charme plus discret, Sainte Geneviève continue calmement à monter la garde, regardant passer les époques, les chutes, les multiples métamorphoses de la « Ville Lumière », sachant bien que les Esprits de Paris n’ont point disparu.

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Une exploration textes et photos de Priscilla Telmon et Vincent Moon. Duo d’artistes collaborant en tant que cinéastes et explorateurs sonores. Ensemble, ils produisent des films expérimentaux ethnographiques et des enregistrements musicaux, publiés en open-source, autour de la musique sacrée et des rites contemporains. www.petitesplanetes.earth

Remerciements Samuel Aubert, Guillaume Heuguet, Pierre Vanni, et Olivier Krasker-Rosen

Design graphique Pierre Vanni

POUR LEUR 19e ÉDITION, LIBÉRÉES DES CONTRAINTES DE TEMPS ET DE LIEU PROPRE AU FESTIVAL, LES SIESTES PROPOSENT LE PROJET ÉDITORIAL « MUSIQUE ET SOIN ». LA PRÉSENTE ÉDITION EN CONSTITUE UN DES CHAPITRES. DÉCEMBRE 2020.



Paris la ville des Esprits n’a pas disparu, bien au contraire. Nous vous proposons de réinvestir ces chemins et de réinventer notre rapport à la « Ville Lumière », ce Tout-Monde.

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