L'enseignement des wedding chapels, la célébration du simulacre au Japon

ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’ARCHITECTURE DE PARIS-LA-VILLETTE

Séminaire « Milieux habités »

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Mémoire de master de Juliette RODRIGUEZ // Sous la direction de Anne FREMY et Céline BODART Janvier 2020

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Je souhaite adresser mes plus chaleureux remerciements à toutes les personnes m’ayant accompagnée durant mes recherches et la rédaction de ce mémoire.

Je remercie dans un premier temps Monsieur Takahiro Taji, mon professeur référent à Kyoto University lors de mon séjour d’étude au Japon pendant l’année 2018-2019.

Il m’a aidé au travers de multiples corrections à prendre du recul sur mon travail, et m’a donné de nombreuses pistes à suivre.

Je tiens également à remercier Monsieur Kiyoshi Sey Takeyama, un de mes professeurs de théorie architecturale à Kyoto University qui a eu la gentillesse d’ouvrir ma réflexion sur le sujet de ce mémoire, ainsi que de me faire visiter certaines de ses réalisations.

Je remercie également Madame Anne Frémy, mon professeur référent à l’ENSA Paris-la-Villette, qui m’a accepté dans son séminaire de recherche en cours d’année, et qui m’a également donné de nombreuses pistes à suivre durant nos réunions d’avancement, notamment en me faisant prendre le recul nécessaire pour trouver le fil rouge de mon mémoire.

Merci à Céline Bodart, qui m’a également encadré cette année, pour son suivi attentif et son regard bienveillant, au long de ce travail, et pour ses nombreux mails et son soutien.

Enfin, merci à mon ami Thomas Swierzinski, et a son regard éclairé. Pour m’avoir épaulé et me conseiller durant cette étude.

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DE LA TRADITION JAPONAISE AUX WEDDING CHAPELS : SE MARIER AU JAPON

1) Contexte social et rapport au mariage

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2) Religion catholique au Japon

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3) Apparition des Wedding Chapels : de Las Vegas à Tokyo

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CHAPITRE 2 : CONSTRUIRE UNE ARCHITECTURE PAR L’IMAGE U

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1) La Performance

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3) Pastiche culturel et hybridation dans un contexte de mondialisation

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2) Le mariage comme produit commercial prêt à consommer

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1) L’originalité dans le simulacre

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1) La Narration par l’espace

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2) Le Kitsch : du casino au pachinko

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2) Imagerie « instagrammable » du lieu de l’extraordinaire cérémonie

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CONCLUSION

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TABLES DES ANNEXES

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BIBLIOGRAPHIE TABLES DES MATIERES

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Ce travail de recherche s’intéresse au phénomène de production d’architecture par l’image, puis d’image par l’architecture à travers les Wedding Chapels (chapelle de mariage) au Japon.

Le mariage est l’union conjugale, qui se manifeste sous différentes formes selon les cultures. Il peut être contractuel, rituel, illimité, juridique, religieux, ou plusieurs de ces critères à la fois. Sa définition est plurielle, et peut même varier au sein d’une même culture.

Au Japon, ces cérémonies de mariage sont souvent extravagantes, coûtant des fortunes.

Traditionnellement, les mariages japonais suivent la cérémonie de mariage de type shintoïste et se tiennent dans un sanctuaire shintoïste ; cependant, la nouvelle génération de couples japonais a la possibilité d'organiser une cérémonie de style occidentale dans des chapelles de mariage qui n’ont d’autre vocation que d’accueillir des cérémonies nuptiales, sans signification chrétienne.

Les sanctuaires shintoïstes ont été remplacés par les chapelles, faites de stuc, de carton-pâte, où l’ornementation se fait reine. Ces modèles de chapelles, bien que non religieux, reste cependant un espace où s’applique une certaine sacralité pour les Japonais, qui le voient comme le lieu de cérémonie où ils s’engagent dans une union en prenant part à un rituel.

Ce modèle est né d’un imaginaire, d’une vision que l’Orient se fait de l’Occident et qui produit alors un concept singulier, en utilisant le pastiche, la copie, l’artificiel et le factice. Cette image de chapelle occidentale perçue par le Japon, et interprétée, créée alors une nouvelle image puisqu’elle est diffusée dans un contexte de société de média de masse. On se trouve alors dans

un processus de création multiculturelle, dans un flux informatif d’images, de références, sans savoir précisément qui est simulacre, qui est simulé, et où se situe le réel.

Etant donné que l’image permet de créer l’architecture de la Wedding Chapel et que cette dernière produit à son tour une image, en quoi ce phénomène répond à une politique de représentation ?

Ainsi il convient de s’intéresser dans un premier temps au contexte dans lequel s’inscrit la notion de mariage au Japon, et nous tenterons d’analyser comment et d’où cette image de référence a été introduite dans ce pays. Par la suite, nous étudierons les manifestations de cette image dans l’architecture de la chapelle, construite par l’image, qui se fait alors décor de théâtre, et réponds à ces codes. D’autre part, nous nous pencherons sur l’interprétation japonaise, par le simulacre.

Nous verrons que cette prise de position, kitsch et contrefaite, n’enclave pas ces concepteurs dans une dynamique fermée. Enfin, nous traiterons le système inverse, en prenant l’image reproduite de la Wedding Chapel comme référence nouvelle, qui sera propagée, déformée, pour satisfaire une esthétique sensible, qui devient narrative et un piédestal pour les nouvelles modalités de communication par l’image engendrée par les réseaux sociaux.

Campagne publicitaire MIKIMOTO – 1950/1960

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DE LA TRADITION JAPONAISE AUX WEDDING CHAPELS : SE MARIER AU JAPON

« Ce que le public réclame, c'est l'image de la passion, non la

passion elle-même. » Roland Barthes

Mythologies, 1957

Dans la première partie de ce mémoire de fin d’étude, on définira comment cette image idéalisée de chapelle de mariage à l’occidentale a été introduite au Japon, et pourquoi elle s’est autant popularisée. Dans un premier temps on tentera d’établir un cadre sur la situation sociale actuelle, ensuite on définira le rapport entre la religion catholique et le Japon. Enfin, on s’intéressera de manière plus précise à l’introduction du modèle de Wedding Chapel par les médias.

1) Contexte social et rapport au mariage 1. Législation du contrat de mariage Après l’ouverture de ses frontières en 1868 puis au cours des réformes Meiji, le droit familial japonais s'est aligné sur des concepts occidentaux tels que la monogamie et la primogéniture. Cela a renforcé le rôle décisionnel du chef de famille et le rôle du mariage en tant que relation exclusive et à vie. Le mariage, qui ne concernait traditionnellement que les familles et leur environnement social immédiat, s'est intégré dans le tissu social de l'État-nation et a été renforcé par la création d’un rite officiel shintō 1 . Avec le mariage du prince héritier Yoshihito en 1900, le rite s’est alors popularisé dans les classes supérieures2, puis est devenue la forme commune auprès de l’ensemble de la population.

Aujourd’hui , les couples sont mariés au sens légal du terme une fois qu'ils ont fait le changement de statut matrimonial sur la feuille de registre de leur famille, le koseki (戸籍), sans qu'une cérémonie ne soit nécessaire, à la mairie de leur ville. L’Etat et la religion étant séparés, chacun est donc libre de choisir quel type de cérémonie il voudra après avoir complété la partie administrative.

Traditionnellement, les mariages sont classés en deux catégories qui se différencient en fonction de la méthode de recherche de partenaire : le omiai (お⾒合い), c'est-àdire le mariage arrangé ou résultant d'une introduction arrangée, et le ren'ai (恋愛), où les époux se sont rencontrés et ont décidé de se marier seuls. Néanmoins, la

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Goldstein-Gidoni, O. Packaged Japaneseness: Weddings, Business, and Brides. ConsumAsiaN book series.

University of Hawai’i Press, 1997 2

Smith, Robert J. 1995. “Wedding and funeral Ritual. Analysing a moving Target.” In Ceremony and Ritual in Japan: Religious Practices in an Industrialized Society, edited by Jan van Bremen. London: Routledge.

distinction est aujourd’hui beaucoup moins significative de par les idées occidentales d'amour qui ont changé la perception du mariage au Japon. En effet, suite à la restauration de Meiji, on assiste à une réelle occidentalisation des mœurs, avec des conséquences profondes, engendrant une métamorphose des coutumes, notamment en ce qui concerne les cérémonies de mariage.

WEDDING FASHION, C. 1930.

2. Cérémonie shintoïste En 1982, le rite de mariage shintoïste était la forme dominante de cérémonie de mariage et représentait plus de 90 % des célébrations nuptiales sur le territoire nippon. A l'époque, la cérémonie chrétienne ne représentait qu'environ 5% du nombre total de cérémonies de mariage3. Cependant, d'après plusieurs enquêtes4, au milieu des années 90, le mariage chrétien dépasse le mariage shintoïste en nombre et, depuis 1999, continue d'être la cérémonie de mariage par excellence pour environ 70% des couples à Tokyo et dans les environs, avec des tendances similaires de popularité dans la plupart des autres régions du pays. Chez les jeunes Japonais, les statistiques concernant la prévalence des cérémonies chrétiennes de mariage révèlent que la majorité des Japonais se définissent par la formule " nés shintoïstes, morts bouddhistes ", mais vivant " non religieux, et se marient chrétiens ".

Michael FISCH 2001, The rise of the chapel! wedding in Japan. Japanese Journal of Religious Studies 28.

4 Ishii KENJI, 2005, Kekkonshiki : Shiawase o tsukuru gishiki, 結婚式幸せを創る儀式 [Wedding ceremonies, rituals for creating happiness] Tokyo: NHK. 3

チアーズブライダル – Cheers Bridal – Yokohama Wedding

Karen Kristian – Wedding photograph - 2017

3. Cérémonie à l’occidentale Les structures et les installations utilisées pour les mariages et les cérémonies à l’occidentale sont désormais dispersées dans tout le pays, et un large éventail d'industries nuptiales sont actives de diverses manières, proposant des services « à la carte » divers et variés. Il s'agit ici d'un phénomène économique unique et propre au Japon, sans équivalent dans le monde. 5 Cependant, étant donné que le nombre de fidèles chrétiens est de 2,95 millions (2015), soit seulement 2,3 % de la population, les mariages chrétiens courants ne sont pas une expression d’une quelconque foi6. De plus, la plupart des lieux où se déroulent les mariages chrétiens ne sont pas des églises chrétiennes. Les mariages sont célébrés dans des bâtiments construits dans des hôtels ou des salles de cérémonie de mariage, ou dans des bâtiments qui sont construits indépendamment sur ces sites. Une chapelle dédiée aux mariages, qui ne fonctionne donc pas comme une église chrétienne peut être considérée comme un " édifice religieux " unique au Japon, même si un regard étranger pourrait considérer cela comme une hérésie.

Néanmoins, tant le consommateur que le fournisseur de services nuptiaux, admirent et acceptent la Wedding Chapel et la cérémonie de mariage est appelée un mariage chrétien. Concernant sa classification, les chapelles de mariage sont présentées en tant qu’architecture commerciale plutôt qu’architecture religieuse dans la presse

5 Ishii KENJI, 2005, Kekkonshiki : Shiawase o tsukuru gishiki, 結婚式幸せを創る儀式 [Wedding ceremonies, rituals for creating happiness] Tokyo: NHK. 6 Ibid.

spécialisée. En d'autres termes, un mariage chrétien est une activité de consommation d'images chrétiennes dans des installations commerciales.

Pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène un recensement de ces édifices, dans la ville de Tokyo permet d’avoir un aperçu sur la densité réelle de l’offre proposée, qui répond à une demande toujours plus croissante.

Recensement des Wedding Chapel – 2019 - Tokyo (fond de carte CadMapper)

2) Religion catholique au Japon 1. Introduction du catholicisme La première période de contact entre européens et japonais ainsi que les premières missions chrétiennes au Japon ont commencé en 1549, et ont pris fin en 1640 avec l'interdiction et la poursuite du culte chrétien ainsi que l'interruption presque totale des relations avec l’extérieur. Après la réouverture du Japon dans les années 1850, bien que les régulations religieuses soient restées en vigueur, les premières églises modernes ont été érigées dans les colonies extraterritoriales de Yokohama et Nagasaki en 1862 et 1864, respectivement, pour prodiguer des soins aux chrétiens étrangers et pour servir de repères religieux. Les bâtiments, en fait, ont attiré beaucoup d'attention et sont devenus des destinations d'excursions pour les Japonais des environs. Malgré les limitations imposées aux étrangers en général, et aux missionnaires en particulier, la culture chrétienne a réussi à s'implanter grâce à des conversions parmi les employés japonais des entreprises et les étudiants occidentaux. Dès les années 1880, des communautés chrétiennes et des églises sont apparues dans un certain nombre d'endroits du pays, en conservant un lien avec les écoles et les institutions caritatives. 7 Au même moment, les missions catholiques dans le sud du Japon se concentraient fortement sur la réintégration des "chrétiens cachés" (Kakure Kirishitan : 隠れキリ

シタン )8 qui avaient survécu à la persécution dans le Kyushu rural. Le

Mark R. MULLINS, Christianity Made in Japan: A Study of Indigenous Movements, 1998 8 Christal WHELAN, The Beginning of Heaven and Earth: The Sacred Book of Japan's Hidden 7

Christians, 1996

développement hétérogène des communautés s'est reflété dans l'apparition des premiers édifices religieux en dehors des colonies extraterritoriales. Les nouvelles églises des Kakure Kirishitan ont été construites dans des zones rurales et se trouvaient parmi des maisons d'agriculteurs - des constructions en bois d'un seul étage adaptées aux matériaux et au climat locaux. Les Eglises encore existantes montrent d'une part un ajustement à leur environnement et d'autre part des formes très proches de l'église occidentale. Le type de construction le plus récurrent est le modèle générique des églises européennes et nord-américaines de la fin du XIXe siècle, avec sa salle longitudinale à double-hauteur et son toit voûté, sa tour audessus de l'entrée, ses murs massifs percés par des fenêtres élevées et souvent ornés de portiques classiques. Cette architecture était aussi singulière que les nouveaux bâtiments qui fleurissaient pendant cette période au Japon. Cela dit, cette forme commune d'Église - outre les normes imposées par le culte - a été naturellement façonnée par le contexte régional, social et culturel de chaque missionnaire ainsi que les matériaux et les sommes d'argent disponibles. 9

9 KEISUKE Matsui, Geography of Religion in Japan: Religious Space, Landscape, and Behavior, 2014

St. Andrew's Church, Tokyo - Project Canterbury - Handbooks on the Missions of the Episcopal Church. -Japan

New York: The National Council of the Protestant Episcopal Church, 1934

2. Expansion des communautés religieuses L'expansion des communautés chrétiennes s'est effectuée plus facilement grâce à la constitution de 1889, qui pour la première fois introduit la liberté de croyance sous certaines conditions, et qui créée un cadre d'interaction entre les communautés Chrétiennes et l'autorité. Mais si les écoles chrétiennes et les centres de soinsassociés aux chrétiens occidentaux - sont devenus partie intégrante de la vie sociale, le statut des chrétiens japonais a continué de faire l'objet de contestations sociales.

Les architectes missionnaires ont lutté pour trouver des formes architecturales adaptées à la représentation de la foi chrétienne au Japon. Ils s'attendaient à ce que les églises de style occidental soient provisoires et remplacées au fil du temps par une expression japonaise indigène de l'architecture chrétienne, qui serait alimentée par la confiance en soi croissante des chrétiens japonais et leur connaissance grandissante de leur foi et leur confiance en celle-ci. 10 Contrairement à ces attentes et malgré la montée du nationalisme japonais et les tentatives du gouvernement de contenir les différentes formes constructions religieuses dans les années 1930, la dépendance des églises japonaises à l'égard des formes architecturales importées s'est toutefois maintenue, même lorsqu'il a fallu remplacer les bâtiments existants. Les modèles de conception établis ont été conservés autant que possible et souvent copiés, parfois même par les communautés locales. On peut en conclure que la forme même du bâtiment et son style

Beate LÖFFLER, Acculturated Otherness. Christian Churches and Wedding Chapels in Modern Japanese Society IN-EAST School of Advanced Studies, Universität Duisburg-Essen, Germany 10

architectural sont devenus un code visuel enrichi d'une signification spécifique au sein des communautés, que les chrétiens japonais se sont efforcés de maintenir.

Parallèlement, les tentatives de création de toute forme d'identité visuelle japonaise enracinée dans les pratiques de construction autochtones et les formes de lieux de culte chrétiens ont été largement rejetées par les fidèles japonais qui les jugeaient inadaptées. À l'échelle nationale, il n'y a qu'une douzaine d'exemples d'églises visuellement japonaises parmi plus de neuf mille églises et chapelles au total. La plupart d'entre elles ont été construites par des étrangers bien intentionnés ou romantiques, comme l'Allemand Konrad Wiese, qui a conçu l'Église luthérienne de la Croix à Tokyo en 1959. Même après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le christianisme a reçu un nouvel élan au Japon et que de nombreuses églises ont été érigées ou reconstruites, celles-ci ont conservé les modèles traditionnels américains ou d'Europe centrale des décennies précédentes ou ont adopté les solutions de la réforme européenne contemporaine. Parmi les nouveaux bâtiments, la prédominance de l'éclectisme a finalement été remplacée dans les années 1960 et 1970 par des structures modernes en béton, le plus souvent sans âme. Dans l'ensemble, cependant, les éléments traditionnels, comme les tours ou les tourelles, les toits en pente et les salles à double hauteurs, demeurent la forme esthétique dominante à ce jour.

3. Identité visuelle de l’église contemporaine au Japon Malgré une poignée d'exemples exceptionnels de forme et d'espace modernes, le style néo-gothique reste désormais l'influence la plus répandue pour la conception des églises japonaises. Il ne représente ni une appartenance spirituelle ni un pont temporel mais est plutôt une image formelle. Il sert de marqueur de l'identité religieuse chrétienne japonaise moderne qui met en avant l'existence d'une communauté unie dans la foi et distingue ces communautés de la majorité non chrétienne en utilisant l'altérité visuelle.

Au fil du temps, cet ensemble de formes architecturales a très probablement perdu la signification initialement marquante de l'aspect "non japonais" et a plutôt acquis le statut d'appartenance à la modernité en général. L'utilisation récurrente de formes néogothiques a créé une forme de tradition dans l'architecture chrétienne japonaise.

Ceci étant dit, l'altérité formelle initiale s'est profondément mêlée aux différentes composantes de la société japonaise : pour les communautés chrétiennes, la forme Eglise Baptiste à Kobe – Mai 2006- 663highland- Wikicommon

du bâtiment de l'église représente leur présence locale en tant que groupe religieux et leur appartenance aux fidèles des générations précédentes ainsi qu'aux paroissiens actuels. Dans certains cas, elle peut même être comprise comme une référence à l'œcuménisme, nécessaire pour créer un sentiment d'identité et d'appartenance par différenciation. Dans l'ensemble, la forme de l'Église est devenue un marqueur de tradition, de stabilité dans le temps et d'appartenance. La forme iconique et significative de l'église chrétienne avec ses caractéristiques architecturales non japonaises fait partie du répertoire symbolique des lieux de culte japonais depuis des décennies, distinguant les communautés chrétiennes des adeptes des pratiques bouddhistes ou shintoïstes, et n'a pas été remise en question par les communautés chrétiennes, les laïques ou le gouvernement. Même dans les années 1930, alors que les paroisses de chrétiens étaient souvent contrôlées par le gouvernement parce qu'on les soupçonnait d'activités subversives, les édifices religieux n'étaient pas mal considérés. Cependant, les enseignements et les formes architecturales ne se sont pas acculturés tout à fait séparément, mais différemment. Le bâtiment de l'église chrétienne en Europe a une symbolique identitaire historiquement acquise. Lieu de transcendance, autrefois de pouvoir politique et juridique, qui s'interpose inséparablement avec sa forme architecturale. Bien que cet enracinement des significations religieuses et profanes soit souvent compris comme une partie évidente du christianisme, il ne s'est pas développé de la même manière au Japon.

Les communautés ont pris la forme architecturale comme cadre de référence stable et l'ont rempli des significations et fonctions adaptées à la minorité catholique relativement jeune.

3) Apparition des Wedding Chapels : de Las Vegas à Tokyo 1. Introduction de la culture du mariage occidental par les médias Pendant les années 1920, des villes comme Tokyo et Osaka ont effectué une mutation urbaine dans un processus d’échange culturel et de développement avec d’autres métropoles telles que Londres, Paris ou New York, récoltant les changements sociaux qui en découlent. La presse (magazine, journaux, etc.) largement disponible a alors permit de promouvoir les concepts d'égalité dans le mariage et de la famille nucléaire, fournissant ainsi de nouveaux modèles de rôle à jouer dans la société. Cela n'a pas eu d'impact immédiat, toutefois, ces idées ont été réexaminées après la Seconde Guerre mondiale, lorsque la croissance économique au Japon a permis d'élever le niveau de vie et de créer une classe moyenne avec des ménages à un seul revenu. Les mariages sont devenus un événement social, pour lequel des premiers romans avaient servi de toile de fond à la narration avant le cinéma - et plus tard la télévision - et qui mettait en scène des modèles romantiques11. Les médias ont également été utilisés intentionnellement par la famille impériale qui, une fois de plus, a favorisé les nouvelles pratiques nuptiales. En 1959, le mariage du prince héritier Akihito avec Michiko Shoda a été diffusé à la radio, leur parade nuptiale étant le premier mariage d'amour impérial largement connu grâce à la couverture médiatique, non sans rappeler la médiatisation de Lady Diana en 1981 dans notre monde occidental. Peu de temps après, les célèbres acteurs japonais Yujiro Ishihara et Mie Kitahara se marièrent, en attirant spécialement

11 Goldstein-Gidoni, O. Packaged Japaneseness: Weddings, Business, and Brides. ConsumAsiaN book series.

University of Hawai’i Press, 1997

10 Avril 1959 - Mariage du prince héritier Akihito avec Michiko Shoda - Bettmann

1980 – Jeunes mariées et machine à fumer - Cohen

l’attention sur le fait que la mariée portait une robe occidentale blanche avec un voile durant la réception.

Au fil du temps, l'amour romantique s'est mêlé à l’idée d'un mariage de conte de fées et à la mariée qui se transforme en princesse d'un jour. Le mariage du prince héritier britannique Charles avec Lady Diana Spencer en 1981, retransmis en direct, a donné un nouvel élan à cette idée et a finalement fait passer le marché des mariages de style occidental à la vitesse supérieure.12 Progressivement, des lieux spécifiques sont apparus pour offrir un cadre approprié à la cérémonie.

A partir des années 1990, le modèle de la Wedding Chapel, ou chapelle de mariage, se popularise de plus en plus par le biais de la presse féminine. En effet, des revues japonaises consacrées au mariage, entre autres « Zexy » et « Kekkonpia », introduisent alors ce concept sous forme de magnifiques catalogues présentant différents lieux, ainsi que différentes robes à choisir selon ses goûts, ses attentes.13 Pour choisir le lieu de célébration d’un mariage, les Japonais passaient jusque-là par un intermédiaire ou leurs parents, mais à partir du moment où des revues spécialisées dans ce domaine sont apparues, les couples ont, semble-t-il, préféré faire leur choix eux-mêmes.

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Ōbayashi TARYŌ. 1997. “Der Ursprung der shintōistischen Hochzeit.“ In Rituale und ihre Urheber: Invented

Traditions in der japanischen Religionsgeschichte, edited by Klaus Antoni, 39–38. Hamburg : Lit. 13

Taro IGARASHI, “Luxury and Chapels in Tokyo”, STREAM 01 — Exploration, 2008

Pa rti re T oky o Ba y We ddi ng Vill age – D éce m bre 2 017 - De bbzie L eks on o

2. Un modèle issu de l’American Dream La forme adoptée par ces entités singulières n’est pas sans rappeler celles que l’on peut trouver à Las Vegas qui a acquis en quelques décennies le statut légendaire de ville des mariages éclairs. La démarche administrative y est rapide et peu couteuse, il suffit de remplir un court formulaire et de payer la taxe moyennant environ 75 dollars. Malgré cette démarche simpliste, le mariage est valide et reconnu presque partout dans le monde, ce qui a pour conséquence de voir affluer un tourisme matrimonial. La plupart des grands hôtels de la ville ont des chapelles de mariage et de nombreux restaurants locaux proposent des cérémonies de mariage. Les mariages peuvent également être célébrés dans l'une des églises locales, des synagogues, sur l'un des nombreux terrains de golf ou dans une chapelle de mariage indépendante.

Les mariages drive-in sont également disponibles dans certaines infrastructures. La variété de formes et chapelles à thèmes possibles sont indénombrables : Star Wars, conte de fées, ou bien gothique, à l’image de la société de consommation, le mariage est un produit manufacturé qui répond à l’offre et à la demande.

Même si le design contrefait de la chapelle de mariage japonaise présente des similitudes dans la forme avec sa matérialité faite de stuc, de carton-pâte, nous plongeant dans un univers qui échappe au réel, le fond amené par l’utilisation du lieu et ce qu’il représente pour les usagers, est pourtant différent. La cérémonie qui y a eu lieu a une réelle valeur symbolique aux yeux des futurs époux et de leurs proches, elle constitue un rituel d’engagement des époux. On peut, par cette transposition de la chapelle de Las Vegas, comprendre à quel point cette singularité dans l’ivresse ornementale a marqué les villes d’aujourd‘hui.

A little white chapel – 1980 – Las Vegas

3. La Wedding Chapel : une image miroir Dans la mesure où, à l’origine, l’église est un bâtiment conçu pour accueillir l’assemblée des fidèles, on ne peut pas ranger les chapelles de mariage dans la catégorie des édifices religieux. Mais cet état de fait est révélateur de la façon dont les Japonais conçoivent la religion. Les réalisations comprennent des bâtiments en forme de boîte avec des toits à pignon et des petites tourelles de faîtage, qu’on retrouve sur les abords de parkings, sur les terrasses des hôtels, dans des entreprises de mariage spécialisées ou bien encore dans des centres de villégiature au paysage naturel.

Parmi la grande majorité des bâtiments éclectiques avec une utilisation continue de symboles chrétiens, un petit nombre de conceptions résolument

modernes

dépassent

le

cadre

du

consumérisme

commercialisable en une architecture discursive, d'une part, utilisant la nature comme référence symbolique de la transcendance, d'autre part.

C'est ce petit groupe de bâtiments modernes qui a sensibilisé l'Occident à la montée en puissance croissante des chapelles de mariage au Japon, et a parfois fait croire à tort que ces bâtiments étaient en fait des églises.

En ce sens, l'influence de l'architecture occidentale s'est reflétée en Occident. Comme la plupart des chapelles de mariage sont de petite taille et utilisent un historicisme facilement reconnaissable qui peut sembler naïf, le phénomène a longtemps été ignoré par le discours architectural. Ce n'est qu'avec les œuvres de Tadao Ando de la fin des années 1980 et des années 1990 que le domaine a pris conscience du

Tadao Ando – Church on water - 1988

phénomène. Avec leurs formes modernes alignées sur des icônes architecturales, le fait qu'elles n'étaient pas tout à fait des églises, n’ayant été construites que sous la forme d'églises, est passé largement inaperçu. On constate que seule l'image d'un bâtiment a été transférée et non sa signification religieuse ou son absence de signification. On peut alors se questionner sur les manifestations possibles que peut adopter cette image dans l’architecture de la chapelle.

Zexy magazine – 2017 - Tokyo

CHAPITRE 2 : CONSTRUIRE UNE ARCHITECTURE PAR L’IMAGE U N

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« L’urbanisme est cette prise de possession de l’environnement naturel et humain par le capitalisme qui, se développant logiquement en domination absolue, peut et doit maintenant refaire la totalité de l’espace comme son propre décor. ».

Guy Debord

La Société du spectacle, 1957

Dans cette deuxième partie, on définira comment les manifestations de cette image dans l’architecture de la chapelle se manifestent, la transformant alors en décor de théâtre de la société capitaliste. Dans un premier temps on définira le rapport qu’entretient la chapelle de mariage avec la société capitaliste. Enfin, on s’intéressera à la mondialisation comme facteur de pastiche, mais également d’hybridation culturelle.

1) La Performance 1.

Rituel et adaptation Alors pour commencer, d’abord les personnages : les futurs mariés, le faux-prêtre, et l’assemblée. Ces trois entités vont prendre part à une cérémonie régit par une véritable mise en scène, un moment féérique qui se veut joyeux et euphorisant.

Une attention toute particulière est portée aux détails esthétiques, que ce soit pour l’ambiance sonore avec des hymnes musicaux classiques liés aux cérémonies nuptiales, pour les vêtements formels ou bien les chorégraphies rigides et dramatiques telles que la marche de la future mariée dans l’allée centrale, au bras de son père. Tout ceci invoque l'impératif du rituel de persuader ses participants de sa puissance et de sa signification à travers des symboles qui agissent sur un plan explicitement sensoriel. L'élément de persuasion implique ici aussi la suspension volontaire de la croyance religieuse du participant à la cérémonie (que ce soit les mariés ou les invités) afin de supprimer toute contradiction inhérente, par exemple du fait que le prêtre joue seulement un rôle et que les participants ne soient pas chrétiens. La cérémonie est dans un premier temps un rite de passage pour rentrer dans le monde des adultes. La performance est publique, parce qu'elle se fait en présence d’une assemblée mais également parce qu’elle prend appui sur des valeurs communes, et intégrés par la société nippone concernant ce que signifie être mari et femme, fonder un foyer et enfin devenir officiellement un membre à part entière de la collectivité.14 L’événement se doit également d’être le plus proche d’une vision

14

EDWARD Walters, Modern Japan Through its Weddings : Gender, Person, and Society in Ritual Portrayal

Stanford University Press, 1989

idéalisée du conte de fée possible car il présente au meilleur moment de leur relation les époux, ils se doivent d’être perçus comme des modèles matrimoniaux que l’assemblée pourrait mythifier. En somme, il faut se montrer sous son meilleur jour, en mettant à contribution les sens et l’émotion, que ce soit par le décor, la musique ou la performance des personnages. L’intervention d’un faux prêtre (dont la seule prérogative soit qu’il paraisse occidental), présent pour guider tout ce rituel, tel le chef d’orchestre, qui enchaine les discours en anglais et en japonais, afin d’apporter l’exotisme onirique souhaité par le public, tout en restant intelligible, est un exemple de cette théâtralité fantasmagorique.

Le mariage à la chapelle crée aussi nettement un cadre rituel qui démarque l'événement de l'espace social et du temps habituels. Dans ce contexte, les présentations formelles qui ont lieu avant et pendant la cérémonie, l'utilisation d'un langage hautement soutenu envers les invités et les participants sont des modèles établis de convenance cérémoniale dans le système culturel de la société japonaise qui ponctuent toute occasion formelle et créent une pleine conscience de l'environnement comme espace rituel. De tels schémas de comportement sont parfois appelés kata au Japon. Quand la performance d'un participant à un rituel correspond à ces modèles prédéterminés, on dit qu'il s'agit d'un katadôri (forme correcte) et la déviation est appelée katayaburi (forme de rupture). Le kata-dôri met l'accent sur la continuité et la conformité à la tradition tandis que le kata-yaburi signale la discontinuité. Il est important qu'une cérémonie contienne ces deux aspects, car la continuité fournit le modèle rituel global tandis que la discontinuité établit un élément d'unicité.

Sandra Dewis – Tokyo Disneyland – Axioo - 2016

2. Le Décor Ensuite, le décor : on retrouve du stuc, du plâtre, du carton-pâte qui forme une nostalgie de conte de fée. On essaye de faire du pastiche historiciste, un peu toc, un peu fake, dans ces petites utopies architecturales, comme un retour refoulé, après un siècle dominé par l’architecture moderne, froide et rationaliste. On peut tout d’abord soutenir que la séparation du mariage du cadre temps/espace habituel est renforcée par l'importance que ce lieu soit une Wedding Chapel au Japon. Alors que la chapelle en Amérique, en Europe ou en Amérique du Sud engendre un cadre temps/espace alternatif par son association présumée avec une déité transcendantale, la Wedding

Chapel Japonaise fonctionne selon un critère légèrement différent. Le fait que le christianisme n'ait pas réussi à prendre réellement pied dans la société japonaise le rend hors de l'espace de la culture japonaise. Ainsi, l'espace de la chapelle incarne non seulement une séparation de la vie régulière, mais aussi une séparation du Japon.

En même temps, la chapelle décrite comme étant construite dans un "space-like" peut indiquer que la popularité croissante du mariage à la Wedding Chapel a déjà rendu l'espace plus ou moins familier, exigeant ainsi la conception d'un environnement encore moins connu. On peut voir récemment alors émerger des formes de plus en plus singulières pour produire ces espaces, et on constate que les architectes en charge d’un tel projet rivalisent d’imagination.

2) Le mariage comme produit commercial prêt à consommer 1. Production, mise en en scène : les coulisses d’une entreprise Dans son ouvrage Packaged Japaneseness: Weddings, Business, and Brides, l’anthropologue Ofra Goldstein-Gidoni utilise le terme “production” pour souligner l’aspect théâtral de l’événement, ainsi que la manière extrêmement efficace par laquelle les cérémonies de mariage sont façonnées. Elle affirme : « j’avais le sentiment de visualiser une machine magnifiquement organisée et bien huilée créée par la production d’un mariage », à la manière d’une « ligne d’assemblage ».

Néanmoins les professionnels du mariage (maquilleur, coiffeur ; habilleur, etc.) aiment leurs travails et ne le pense pas comme aliénant, à la manière d’un ouvrier présent pour produire et non pour créer. Certains vont jusqu’à le considérer même comme un réel art, utilisant leurs pinceaux pour sublimer l’événement de par leur savoir-faire.

Toutefois, ces professionnels ont comme volonté de toujours vouloir respecter des emplois du temps serrés, dans un souci de rigueur, ce qui conduit inévitablement à une augmentation de la standardisation et de la mécanisation des actions. Ce n’est pas uniquement une manufacturisation des mariés qui s’opèrent, de par leur habillage, ou leur mise en beauté, mais véritablement un processus de production culturelle. Le rituel public du mariage reproduit son sujet comme un symbole et l’objectifie.

Dans cette logique, la Wedding Chapel qui est un modèle qui a été décalqué sur des images publicitaires et cinématographiques est la production d'un certain système symbolique de quelque chose qui est étranger, à savoir le « caractère occidental ».

Elle promeut son image par le biais de cet attrait que peut avoir ce caractère exotique, qui va distordre la réalité, transformer l’espace en un lieu hors du temps, et hors de l’espace réel vécu. Cette différence, ce penchant pour l’autre, c’est ce que les promoteurs vont alors mettre en exergue dans leur stratégie commerciale, plaçant la chapelle dans une catégorisation d’objet à consommer, qu’on peut commander via catalogue ou via Internet, soumis à des tendances, à des variations. Selon Walter Edwards : « A l'époque des Marchandises, un centre majeur de l'élaboration culturelle était le grand magasin, qui enseignait aux gens comment consommer. Son pendant dans la nouvelle ère des services du Japon est le palais de mariage, qui enseigne aux gens comment faire un spectacle. » 15

15 EDWARDS, W. Modern Japan Through Its Weddings: Gender, Person, and Society in Ritual Portrayal. Stanford University Press, 1989.

2. La Wedding Chapel : reflet de valeurs capitalistes Cette architecture n’est donc pas ancrée dans une réalité pérenne, contrairement à ses lointaines cousines occidentales, elle n’a pas pour vocation de durer tel un géant de pierre, mais de pouvoir être détruite, transformée, réduite, augmentée, ornementalisée, etc. Dans une société en mouvance, de plus en plus dynamique, ce phénomène de fast-architecture fait écho à des phénomène similaires : fast-food,

fast fashion, l’architecture est le produit de ce/ceux qui la façonne, un reflet de la société de consommation de masse donc.

Selon Charles Jencks, spécialiste du mouvement postmoderne, « L’architecture reflète […] les préoccupations essentielles d’une société, ses valeurs spirituelles et matérielles. A l’ère pré industrielle, les principaux lieux de l’expression architecturale étaient le temple, l’église, l’agora, la salle publique, le château et l’Hôtel de Ville ; alors qu’à l’époque moderne, l’argent sert à financer des hôtels, des restaurants et tous ces types d’édifices commerciaux […]. Seuls les édifices répondant à des valeurs de consommation suscitent les investissements. »16 On peut alors expliquer ce rapide développement par le capital intégré à son entreprise. C’est une architecture financée, qui a réussi à se parer de plus en plus d’artifice et de faste.

Guy Debord énonce dans son ouvrage La Société du spectacle : « L’urbanisme est cette prise de possession de l’environnement naturel et humain par le capitalisme qui, se développant logiquement en domination absolue, peut et doit maintenant refaire la totalité de l’espace comme son propre décor. » Ce même décor nuptial sert

16

Charles JENCKS. Le langage de l’architecture Post-moderne, Denoël Editions, 1979

alors de scène à cette représentation du monde de la consommation, qui se fait par l’introduction d’images, de références.

En préférant la copie à l’original, le spectacle à l’authentique, la marchandise devient alors l’instrument de la séparation qui définit le spectacle à travers sa conscience réifiée, c’est-à-dire par le signe de la marchandise sans partage et inégalé.

17

Reprenant des idées marxistes, Guy Debord énonce que la société médiatique et médiatisée, des images et du divertissement introduit une notion forgée avant toute chose sur le caractère fétiche de la marchandise.18 Ceci induit automatiquement la séparation de l’individu par rapport à lui-même et par rapport aux autres. Le fétichisme de la marchandise c’est la réification c’est-à-dire une réalité qui devient concrète, sous forme d’objet, qui va devenir une marchandise puisque cet objet a une valeur marchande en plus de sa valeur d’usage. De surcroit, il est la médiation entre les individus jusqu’à les conduire à devenir eux-mêmes des marchandises. Ils pensent exister, néanmoins le lien social humain qui existe entre les individus est médiatisé par la marchandise. Ils se retrouvent donc séparés de leurs propres vies, vidés de leur substance, attestant d’une soumission au spectacle.

Cette inversion des valeurs est définie par Walter Benjamin au XIXème siècle comme une fantasmagorie19, et pour la ville prends les apparences d’un décor, d’un monde imaginaire, celui du capitalisme. Les Wedding Chapels concordent avec la description qu’il engage dans son ouvrage, Paris, Capitale du XIXe siècle. Elles présentent une

17

18 19

DEBORD Guy, La Société du Spectacle, Editions Gallimard, 1957

ibid.

WALTER Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, Editions du Cerf, 1989

HIROSHIMA CHAPEL

nouveauté marchande selon une « belle forme » en convoquant des civilisations lointaines. Ces fantasmagories sont « les images que la société se fait d’ellemême »20, on expose les marchandises non pas dans un univers de prix mais dans un univers poétique, afin de susciter un monde lointain mais en même temps meilleur.

Aujourd’hui, la mondialisation met en exergue ce phénomène et l’intensifie de par la facilité des échanges malgré les distances physiques.

WALTER Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, Editions du Cerf, 1989

20

3) Pastiche culturel, et hybridation dans un contexte de mondialisation 1. Contexte globalisant Il faut tout d’abord affirmer que la mondialisation, ou globalisation, correspond à "distinguer le « washiki » (和式) du « yō shiki » (洋式), le style traditionnel "japonais" du style à l’"occidental". Ce dernier permet une expression d'individualité et d'originalité, il offre la possibilité de pouvoir échapper à la pression d'avoir à perpétuer correctement la tradition en jouant selon un modèle établi depuis des générations.

En utilisant des codes pastiches d’une culture étrangère, on créée alors sa propre tradition et cela permet de se positionner en tant qu’individu à part entière. Les mariages à l’occidental représentent ce souffle de liberté pour la jeune génération, ils ont été acceptés comme phénomène tendance, et sont mieux compris à travers l’expression de « paysage »21. On peut ajouter que la montée en popularité des

Wedding Chapel coïncide avec la fin de la période de la "bulle" économique : « Pour les jeunes Japonais, les églises symbolisent la modernité occidentale » 22. L’Occident est perçu comme image de progrès, ce qui est étranger est alors mythifié et ouvre un espace des possibles optimiste. Or, cette vision d’ailleurs est perçue par le prisme du Japonais, qui va produire une distorsion de la réalité, une figure idéalisée de ce qu’est une chapelle où se marient les occidentaux. On a les yeux sur un décor de théâtre qui vient envahir la ville, un désir de féérie et de carton-pâte qui serait une réponse implacable et enchanteresse aux errements du modernisme.

21

INOUYE Jukichi, Home Life in Tokyo. Tokyo : Tokyo Printing, 1911

GOLDSTEIN-GIDONI, O. Packaged Japaneseness: Weddings, Business, and Brides. ConsumAsiaN book series.

University of Hawai’i Press, 1997 22

Alors, on peut se demander s’il est possible d’expliquer le mélange de styles japonais et occidental qui caractérise le modèle de mariage moderne comme un autre symbole de la mondialisation. Cette dernière peut produire aussi bien une homogénéisation qu’une hétérogénisation culturelle23 : ce qui pourrait ressembler à un mélange culturel pour un expert culturel lointain est en fait une combinaison de formes culturelles distinctes dans l'expérience des acteurs sociaux eux-mêmes. Selon Guy Debord, dans son manifeste de 1957 « La même modernisation qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi retiré la réalité de l’espace. » 24 , « la production capitaliste a unifié l’espace, qui n’est plus limité par des sociétés extérieures. Cette unification est en même temps un processus extensif et intensif de banalisation », « Cette puissance d’homogénéisation est la grosse artillerie qui a fait tomber toutes les murailles de Chine. » La chapelle de mariage est donc liée à la société de marché, dans un contexte mondial.

Bruce Bégout, dans son ouvrage Zéropolis souligne cette démarche architecturale en affirmant que l’envie est « la raison pour laquelle l’architecture vernaculaire de la consommation de masse néglige, en toute connaissance de cause le bâtiment au profit de son apparence allégorique »25. Il ajoute ensuite que cette architecture « délaisse la thèse pour le thème, la fondation pour l’ostension. Elle ne cherche pas à durer, à s’établir, mais à faire vendre sur le champ ». On peut rajouter que cette société de consommation a non seulement modifié notre rapport aux objets, mais a

24 25

DEBORD Guy, La Société du Spectacle, Editions Gallimard, 1957

BEGOUT Bruce, Zeropolis, Paris Editions Allia, 2002

également introduit la notion de l’amusement pour pouvoir mieux commercialiser son produit. Il devient dès lors le meilleur moyen pour engendrer du profit, de par l’effet qu’il produit sur son consommateur. On assiste à une instrumentalisation de la production par le divertissement. Désormais, tout se monnaie que ce soit des rapports humains ou bien des pratiques culturelles, seul le cadre dans lequel ces échanges sont effectués compte afin de contenter les désirs du consommateur.

2. Construction de nouvelles mythologies par la citation C’est dans ce contexte de société de masse que se développe la tendance du dépaysement. Expérimenter l’Autre, ou son stéréotype, permet d’avoir un regard sur un monde alternatif. Cette curiosité est bien évidemment fortement facilement contentée grâce à l’émergence de la mondialisation qui facilite les échanges avec l’étranger. Le tourisme de masse permet de satisfaire cette envie d’ailleurs, le client émet dans un premier temps une envie quant à la destination qu’il désire découvrir et des expériences qui y sont liées, tout du moins l’idée qu’il s’en fait. Car dans son inconscient, des stéréotypes et des images véhiculés par les médias de masse ont forgé ce désir latent. Enfin, l’industrie du tourisme lui propose, tout prêt, de retrouver ces images et ces expériences.

Avec l’avènement de la Wedding Chapel, nul besoin de se déplacer physiquement pour retrouver ces images. De même que pour un voyage, on peut se décider en fonction de l’image qu’on affectionne sur une esthétique ou une autre. On retrouve par exemple à Tokyo un certain nombre de styles différents dans le néo-gothique appliqué. Qu’on soit plutôt attiré par une demeure « à la française », une église romane, une bâtisse toscane, ou bien un jardin à l’anglaise, le choix nous est offert.

Cette multiplicité dans la forme est sans nul doute une réponse à la demande du consommateur, qui dépend essentiellement de l’imaginaire qu’il s’est construit à travers sa propre consommation médiatique. Néanmoins, malgré une volonté de différenciation stylistique, ces chapelles répondent toutes à un cahier des charges bien précis afin de contenter la masse. Partout, on y retrouve la déformation des

formes classiques qu’on duplique à profusion pour créer un sentiment de richesse, des ornementations à outrance, des éclairages artificiels.

On a une création de mythes nouveaux par l’image rêvée et souhaitée des clients qui se reflète sur les façades et s’insinue à l’intérieur même des édifices. Cette mythologie se crée par l’utilisation de la citation d’éléments architecturaux. Là une colonne, ici une tourelle, tout ceci n’est pas gratuit est a pour vocation d’entretenir un jeu d’image avec le spectateur. On a affaire à un total abandon de fonctionnalisme par un recours plus ou moins distancié aux formes explicites de passés multiples et différenciés, un historicisme. Cela conduit souvent à cette prétendue diversité, voire à une exubérance de formes, permise par une pratique renouvelée des moyens techniques.

3. Distorsions spatiales et environnement : luxe, chapelle et Nature Outre cette architecture néogothique contrefaite, on retrouve également un renouveau dans le processus de création de ces chapelles qui, à l’image des boutiques de luxes, intéressent de plus en plus les architectes en recherche d’une vitrine de leurs capacités. En effet, établir un édifice qui n’a d’autre vocation que celui d’être photogénique et d’attiser un désir esthétique parait un défi intéressant à relever, et de plus attire du profit puisqu’un public conséquent s’y intéresse. On peut d’ailleurs noter que ces mêmes boutiques de luxe sont apparues au Japon, et plus particulièrement à Tokyo, au même moment que les chapelles. Les grandes enseignes de luxe jouent un rôle majeur dans le monde consumériste, mais elles éprouvent sur le sol nippon une remarquable expansion.26

Depuis le début du 21eme siècle, Tokyo a vécu une succession de projets architecturaux de grandes ampleurs, mais ce qui est apparu dans les quartier de Ginza et d’Omotesando est particulièrement intéressant. Des bâtiments entiers ont été conçus comme des immenses vitrines de leurs marques. Ces nouvelles boutiques sont en réalité porteuses d’expérimentations architecturales. On peut citer à titre d’exemple le magasin Prada conçu par Herzog et de Meuron en 2003. Les architectes se sont attelés à lui donner l’aspect d’un diamant futur stique remarquable de par sa façade, mais ne se sont pas arrêtés là puisque la structure même du bâtiment est

26 IGARASHI Taro, “Luxury and Chapels in Tokyo”, STREAM 01 — Exploration, 2008

constitué d’une trame en béton qui permettent d’avoir une forme si particulière et un éclat grâce au damier de verre qui le ceinture.

Prada – Herzog et de Meuron – Janvier 2010 - Tokyo

Ce n’est pas un projet isolé, et Ginza et Omotesando sont bien connus pour être les vitrines de nombreux starchitectes qui ont déployés de manière remarquable leurs sensibilités vis-à-vis des matériaux et de l’aspect extérieur des bâtiments. Ce phénomène n’est pas sans rappeler l’architecture de pavillon des expositions universelles : ce sont des constructions qui n’ont pas pour intention de durer indéfiniment et permettent de saisir l’opportunité de pouvoir expérimenter.

De la même manière, on retrouve bon nombre de chapelles de mariages conçues par des architectes célèbres créées comme de petits pavillons jouant sur les formes, la matérialité. Le biomimétisme est par exemple une des tendances qui s’appliquent aujourd’hui, en reproduisant ou détournant les principes de la Nature afin de la réadapter à un usage par l’être humain. Cette célébration de la nature fait tout particulièrement écho à la culture japonaise qui entretient une relation toute particulière avec celle-ci. Les particularités de celle-ci seraient issus du shintoïsme, qui énonce que tous les éléments naturels seraient liés à des manifestations divines.

Elle est, de par cette croyance, cherchée à être reproduite, dans les jardins notamment. 27 Kengo Kuma a, par exemple, prit part à l’exercice en 2015 avec sa Birch Moss Chapel.

En 2016, il présente ce projet durant une conférence à la Harvard Graduate School

of Design comme « très japonais ». Son intention était de « faire disparaitre la petite chapelle dans les bouleaux blancs de Karuizawa ». Cette petite ville est une destination touristique connue pour les japonais, située dans les montagnes à l’intérieur des terres. Le projet se situe dans la forêt de bouleau qui entoure le

Karuizawa New Art Museum. Il a « disposés aléatoirement des poteaux en aciers recouverts de troncs de bouleaux, comme s’il s’agissait des arbres de la forêt. Ils soutiennent le toit vitré de la chapelle et les bancs sont en verre et en acrylique », puis il a « recouvert le sol de mousse à l’intérieur et à l’extérieur de la chapelle, ce qui a permis de faire disparaitre la chapelle dans les bouleaux. 28

27

BENYUS Jeanne, The Biomimicry Guild, William Morrow Paperbacks, 2002

28

“Kengo Kuma, The Character of Places “, Kengo Kuma special Issue, AA projects, Mai 2018

Birch Moss Chapel / Kengo Kuma and Associates" 11 Mar 2019. ArchDaily. Accessed 10 Jan 2020

L’utilisation de ce motif du tronc d’arbre en tant que structure n’est pas un cas isolé et tend à se propager auprès d’autre architectes, sensibles à cette réinterprétation de la Nature et qui souhaitent réaliser des chapelles à l’aspect plus contemporain. On le retrouve dans la Forest Chapel de Hirokana Ogawa & Associates, situé à Gunma ou encore plus récemment la Agri Chapel de Yu Momoeda Architecture Office située à Nagasaki. Dans ces 3 cas de figures, les architectes ont pour intention de connecter le paysage environnant à l’intérieur du bâti, par ce biais ils introduisent le sacré de la Nature dans la chapelle. En intégrant une spiritualité propre à la philosophie shintoïste japonaise, l’édifice de par son symbolisme se pare alors d’un sens nouveau, multiple, fruit de la complexité des images qu’il manipule.

Néanmoins, cette hybridation ne représente pas l’intégralité de ce que les chapelles de mariage proposent comme architecture. On est alors en droit de se demander si l’interprétation japonaise, par le pastiche et la contrefaçon, parfois qualifiée de kitsch , n’enclave pas ces concepteurs dans une dynamique fermée.

Forest Chapel / Hironaka Ogawa & Associates" 07 Mar 2013. ArchDaily.

Agri Chapel / Yu Momoeda Architecture Office" 05 Dec 2017. ArchDaily

St Grace Cathedral-Tokyo

CHAPITRE 3 : EMPRUNT A L’OCCIDENT ET INTERPRETATION JAPONAISE L

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« Nous n’apprécions pas seulement une copie parfaite, nous nous

convainquons également que l’imitation a atteint un climax et que désormais la réalité lui sera toujours inférieure. ».

Umberto Eco

1970

Dans cette partie, on s’intéressera au simulacre et à l’architecture empruntée et son interprétation afin de mieux appréhender en quoi cette conception architecturale permet la création d’un processus culturelle.

Dans un premier temps on définira ce qu’est le simulacre et le postmodernisme et le rapport de la société japonaise avec ces notions. Ensuite on s’attellera à définir en quoi cette production peut être qualifiée de kitsch, et ce que cela apporte à la dimension architecturale de l’édifice.

1) L’originalité dans le simulacre 1. Une culture de la copie L’authentique et le faux sont deux notions complexes à analyser de manière philosophique et culturelle. Leurs définitions et leurs distinctions oscillent, dépendant du point de vue par lequel elles sont considérés : idéaliste ou empirique, psychologique ou anthropologique, esthétique ou éthique. Certaines sociétés sont particulièrement sensibles à ces distinctions ; les mêmes sociétés, à des périodes différentes de leur développement, peuvent être aveugles à leurs différences ou les trouver sans intérêt de diverses manières. Comme le suggère Lionel Trilling dans son ouvrage sur l’histoire de la culture de l’authentique, ce concept en vient à être assimilé avec le réel, et le réel avec l’original assez tard dans l’histoire occidental, émergeant d’une transition du monde médiéval au monde moderne. Au contraire, le Japon a depuis longtemps acquis sa propre classification de système de copie, présentant plusieurs types de réplications, du tracé à l’imitation, de différentes manières en fonction de la signification, de la manière d’exécution, et de la valeur de chaque forme. 29 Articuler la distinction entre l’authentique, dans le sens de l’original et du faux, de la copie ou du simulacre, est essentiel afin de déterminer la motivation qui conduit à la conception et la construction de ces chapelles. Certains observateurs occidentaux auraient tendance à identifier l'ouverture du Japon à la technologie, l'industrialisation rapide et le progrès économique comme la preuve d'une tradition culturelle dans le copiage30 . Ce récit de la

TRILLING Lionel, Sincerity and Authenticity (Cambridge, MA: Harvard University Press, 1972)

29

30

COX Rupert, The Culture of Copying in Japan, Critical and historical perspectives, Japan Anthropology

Workshop Series, Oxford Brookes University, Routledge, 2008

transformation technologique et industrielle japonaise depuis le XIXe siècle associe des facteurs institutionnels et culturels, de sorte que le copiage est le résultat des éléments suivants : une subordination du moi au groupe, inspirée de Confucius, utilisée pour promouvoir la loyauté envers l'entreprise et la nation ; l'idéologie de " l'entreprise comme famille " qui transfère les hiérarchies familiales sur le lieu de travail ; et des paramètres institutionnels tels que le gouvernement Meiji soutenant le copiage de la technologie.

Dans la logique de ce modèle, le Japon devient une nation d'imitateurs qui n'ont que récemment, alors qu'ils ont atteint la maturité économique suffisante, commencé à faire preuve de plus de créativité vis-à-vis d’une culture qui leur est autre.

Les tentatives pour contrer cette perception - selon laquelle la copie (en particulier la copie de technologie étrangère) est une tradition culturelle japonaise - ont eu tendance à remplacer un stéréotype par un autre. Dans son livre Created in Japan : from Imitators

to World Class Innovators, l'auteur Sheridan Tatsuno situe la créativité dans un mode de pensée distinctement " japonais ". La pensée occidentale est caractérisée comme linéaire, rationnelle et individualiste. La pensée japonaise est adaptative, holistique et cyclique. Il est également intéressant de relever que Tatsuno utilise des métaphores mécanistes telles que « fission » et « fusion » pour illustrer les différences entre l’Est et l’Ouest. En fin de compte, il situe les origines de ce mode de pensée créative japonais dans une tradition culturelle inspirée du zen.31 L’idée d’un Japon qui copie sournoisement doit être alors modifié par des perspectives qui abordent ces échanges comme source de créativité et d’une fascination pour le monde extérieur, comme une méthode d’universalisation de la connaissance et de la culture.

31

TATSUNO S. Created in Japan: from Imitators to World Class Innovators, Harper Business, 1991

2. Hyperréalité et simulacre : ceci n’est pas une chapelle Baudrillard énonce dans son ouvrage Simulations et Simulacres que « le réel est produit à partir de cellules miniaturisées, de matrices, de banques de mémoire, de modèles de contrôle - et il peut être reproduit un nombre indéfini de fois à partir de ceux-ci », «la simulation, autrefois confinée aux paramètres de l'imitation ou de la représentation, n'est plus celle d'un territoire, d'un être de référence, d'une substance. C'est la génération par des modèles d'un réel sans origine ni réalité : un hyper réel ».32 La Wedding Chapel s’appuie sur cette « hyper-réalité » et sur le fantasme pour générer un sentiment d’évasion. Dans cette dimension, ce qui est fictif et ce qui est réel fusionnent à tel point que les différencier devient quasi impossible., c’est donc dans le champ de l’imaginaire architectural que le faux comme effet de simulation et d’hallucination esthétique prend son essor en devenant une des logiques de compréhension et de détractation symbolique. C’est une force dans l’architecture comme jonction entre la forme esthétique et l’utopie, le rêve et le simulacre. Certains morceaux symboliques des villes deviennent des « centrales de l’imaginaire »

33

permettant de

pénétrer les arcanes d’un monde du rêve de plus en plus actuel à l’intérieur de la conformation contemporaine des espaces réels et irréels. Ce va et vient entre ces deux instances produit alors une fusion imaginative, intégration symbolique effaçant les barrières des schémas mentaux toujours ancrés dans la logique de la séparation et les différences entre le réel et l’irréel, entre vrai et faux.

32 33

BAUDRILLARD Jean, Simulations et Simulacres, Gallilée, 1981

Ibid.

Tokyo – Janvier 2019 – Photo personnelle

Aujourd’hui les technologies mises à disposition permettent de produire des copies qui paraissent en tout point identique à son modèle, entrainant une dissolution des frontières, des identités et des marqueurs distinctifs d’authenticité. Dans le documentaire de 1989 de Wim Wender, Notebook on Cities and Clothes, le styliste Yoji Yamamoto énonce qu’« avec l’électronique et le digital […] la notion même d’original est devenue obsolète. Tout est copie. Chaque distinction est devenue arbitraire. L’identité est démodée. »34 Dans ses écrits, Baudrillard n’est pas optimiste quant à l’avenir d’un tel phénomène. Il craint que ce simulacre entraine le monde dans un système vidé de son sens, autrement dit qu’il l’entraine vers le chaos. 35 Un autre aspect subversif de cette hyper-réalité est énoncé par Umberto Eco lors de sa visite à Disneyland en 1970. Selon lui, notre capacité à l’apprécier découlerait, entre autres, du fait que « nous n’apprécions pas seulement une copie parfaite, nous nous convainquons également que l’imitation a atteint un climax et que désormais la réalité lui sera toujours inférieure. »36 Les imagineerings de l’entreprise Disney n’ont en effet rien laissé au hasard dans leur célèbre parc d’attraction qui se présente comme un parfait simulacre. Le terme « imagineering » vient du mélange entre « imagination » et « engineering ». Cette équipe regroupe un ensemble de créatifs, architectes et dessinateurs amenés à produire une ingénierie de l’imaginaire, permettant l’insertion de l’univers Disney dans le monde réel. Celui-ci est alors une supplantation de la culture sur la nature, l’accomplissement de l’ingéniosité humaine sur un monde matériel. Dans ce sens, les

35 36

BAUDRILLARD Jean, Simulations et Simulacres, Gallilée, 1981 UMBERTO Eco, Travels in Hyperreality, Harcourt Brace, 2003

Osaka – Aout 2019 – Photo personnelle

faussaires détiennent alors un pouvoir, détenir l’habilité de reproduire c’est avoir le contrôle et faire partie d’une civilisation supérieure.

Ce phénomène engendre une sorte de culture architecturale et urbanistique faite de copier/coller ou bien de remix d’un imaginaire des fictions utopiques dont les Wedding

Chapels semblent condenser ou éveiller cette illusion réalisée. Il y a de ce fait une fascination pour les simulacres visuels qui contaminent les esprits et dans les formes de remix architecturaux nous remarquons une matérialisation des rêves. Nous plongeons ainsi dans une rêverie imaginaire comme forme de récréation dont l’espace de certains quartiers tokyoïtes semble être l’accomplissement une architecture symbolique comme modalité d’imager et de recréer des mondes qui marquent l’esprit d’une ville. Dans cette conception, nous pouvons retrouver une corrélation dans le devenir des réalités urbaines avec une exubérance des formes auxquelles les chapelles sont des exemples idéals d’un système d’autoréférence fondé sur l’apparence du signe et du simulacre. Et ce système d’autoréférence est bien visible dans ses recettes architecturales mettant en forme le simulacre onirique par l’intégration d’une sorte de spectacle et d’amusement. Que la chapelle n’en ai que le nom, n’est plus ce qui importe, mais bien sa représentation qui témoigne d’un désir d’évasion et d’exotisme.

3. Delirious Tokyo : une vision postmoderne Le mouvement postmoderne est une manifestation architecturale qui semble débuter autour des années 70 d’abord aux Etats-Unis puis partout ailleurs dans les pays industrialisés. Le postmodernisme est un concept pluriel et instable, qui a trouvé son influence dans plusieurs. Si en architecture il est le plus communément compris comme phénomène stylistique, il devrait être appréhendé d’abord dans le contexte de ce à quoi il s’opposait c’est-à-dire une architecture différenciée du modernisme mais s’inscrivant dans son sillage.37 Nous sommes passés d’un monde où les nations sont et séparées par des frontières, à un monde qui trouve son identité dans la ville et même temps fait partie d’un monde village. Ce courant est hybride et repose sur un double-code, basé sur des dualités fondamentales. Parfois il dérive de la juxtaposition entre le nouveau et l’ancien, parfois il est basé sur l’inversion ironique de l’ancien. Ce style reste le produit de son époque, empreint de paradoxe et de mélange culturel. Le postmodernisme c’est l'esprit d'une architecture qui s'efforce de multiples façons, d'incarner et de participer aux complexités d'un état contemporain saturé d'images et exploité par une multiplicité de médias. Il comprend qu'à travers le style, la forme pouvait devenir active et communicative de multiples façons, s'adressant aux publics et aux usagers, aux clients et aux communautés d'une manière que les codes de signification abstraits ne permettent pas. 38

37

JENCKS Charles, The Story of Post-Modernism: Five Decades of the Ironic, Iconic and Critical in Architecture,

John Wiley & Sons, 2011 38

GHIRARDO Diane, Les Architectures Postmodernes, Thames & Hudson, 1997

Qu'est-ce donc que le postmodernisme aujourd'hui - maintenant que ses principes urbains ont été repris par les grands promoteurs, par les urbanistes, et que ses formes semblent destinées à meubler impuissantes les renouvellements du design des années 1980 à intervalles réguliers ? Le postmodernisme est au cœur d'une

architecture qui embrasse le chaos et la nature médiatisée, saturée, complexe et globale du monde contemporain, et qui incarne et agit en son sein avec une croyance vigoureuse dans la nature visuelle, sensuelle et communicative de la forme architecturale comme véhicule de récits, de sens, de plaisir et de liberté. Il s'agit peutêtre avant tout d'un environnement ouvert, d'une diversité vigoureuse et de débats constants. C’est une force dans l’architecture comme jonction entre la forme esthétique et l’utopie, le rêve et le simulacre. Certains morceaux symboliques des villes deviennent des « centrales de l’imaginaire »

39

permettant de pénétrer les

arcanes d’un Dreamland de plus en plus actuel à l’intérieur de la conformation contemporaine des espaces réels et irréels.40 Selon Jean Baudrillard la différence entre réel et simulacre a disparu, c’est donc dans le champ de l’imaginaire architectural que le faux comme effet de simulation et d’hallucination esthétique prend son essor en devenant une des logiques de compréhension et de détractation symbolique de l’espaces postmoderne.

D’ailleurs dans le courant du postmodernisme, l’architecture représente le langage esthétique privilégié pour penser la construction et la production de l’espace. Elle y est appréhendée comme le cadre dominant de l’expérience sensorielle, un médium suscitant une multiplicité de significations et d’interprétations liées selon la perspective de Venturi41 à sa « complexité et sa contradiction ».

39

BAUDRILLARD Jean, Simulations et Simulacres, Gallilée, 1981

41

VENTURI Robert, De l’ambiguïté en architecture, Dunod, 1996

Osaka – Aout 2019 – Photo personnelle

C’est alors pour son ambiguïté que nous pouvons voir la farce imaginative des formes architecturales dans leur reproductivité symbolique qui produisent une impression de réalité et en même temps, une incarnation de la rêverie, d’un voyage expérientiel dans les terres de l’imaginaire et de l’utopie. On peut dire que la réalité est médiatisée par l’architecture qui élabore une illusion comme analogue au rêve et de l’hallucination psychotique. Dans cette atmosphère, nous sommes en face d’un regard kaléidoscopique relatif au nomade urbain, au flâneur rêveur affecté par les formes esthétiques architecturales qui, dans la mise en relation du symbolique et de la perception, deviennent des médiations affectives, quelque chose qui nous fait vibrer.

A travers les images architecturales, il y a donc un rapport direct avec l’illusion du monde onirique. Une vaporisation onirique comme dirait Benjamin42 qui s’inspire du surréalisme pour montrer cette correspondance entre rêve et architecture et mettre l’accent sur la charge atmosphérique que l’on peut retrouver dans les constructions, ou bien des objets architecturaux qui font partie de la conscience onirique du collectif.

C’est une manière d’imager la ville, de monumentaliser l’espace en créant de ce fait une architecture symbolique qui marque l’état des villes. C’est à partir de ce constat que nous pouvons parler d’une architecture qui matérialise les rêves et les illusions et peut ainsi conduire à une sorte « d’ivresse ornementale ».43 Cette ivresse sera une manière de penser, dans une ontologie de l’actualité, comment l’architecture met en forme des illusions, réalise les simulacres, bâtit une fascination fantasmagorique. Si nous pensons à l’architecture postmoderne avec sa logique de copie des formes

42 43

WALTER Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, Editions du Cerf, 1989

Teyssot Georges Walter Benjamin. Les maisons oniriques, Hermann 2013

archétypales du néoclassicisme, il faudra remarquer son évolution technique qui amène, dans notre contemporanéité, à la construction d’un paysage d’exubérance de formes dont Tokyo semble être une incarnation type de cette transmutation de l’imaginaire à partir d’une hallucination esthétique du simulacre et du vrai-faux pourrait-on dire.

Si Rem Koolhaas à travers son « Delirious New-York »44 avait mis en perspective la célébration du Coney Island et l’architecture fantasmagorique des parcs d’attractions, dans notre contemporanéité nous observons comment l’esthétique collage, du simulacre joue un rôle important dans la modification de la sensorialité urbaine, du rapport au territoire mais aussi du rapport entre original et copie, entre kitsch et amusement des formes. Il est aisé d’observer cette cristallisation dans les exemples des Wedding Chapels à travers la copie de formes architecturales européennes. Nous sommes en face d’une véritable projection du simulacre, d’une représentation fantasmée des clichés européens, d’une duplication de l’imaginaire qui joue sur les frontières du vrai et du faux, de la contrefaçon et de la copie, du kitsch et du monumental. On pourrait ainsi parler de Delirious Tokyo, un modèle d’assemblage architectural : une marchandisation spectaculaire d’un imaginaire qui est façonné par des clichés véhiculés par le monde de la culture médiatique. Nous sommes au-delà même du modèle de disneylandisation qui a débuté en 1950 avec le concept de l’imageenering par la Walt Disney Company. Le story-telling architectural de métropoles comme Tokyo représente ainsi une application de cette expérience de

44

KOOLHAAS Rem, New-York Délire, un manifeste rétroactif pour Manhattan, Ed. Parenthèses, 2002

filtrage, ou juxtaposition, entre le réel et le simulacre où à travers le phantasma – trompe-l’œil, apparition, fantôme – d’où dérive la fantasmagorie, la ville devient un décor qui colonise l’imaginaire à l’époque de sa reproduction sémiotique et symbolique.

2) Le kitsch : du casino au pachinko 1. Le goût de la masse Le kitsch, défini par A.Moles dans son ouvrage Psychologie du Kitsch, l’Art du Bonheur, est un style d’absence de style, fonction de confort surajoutée aux fonctions traditionnelles.»45 Etymologiquement, le mot provient de l’allemand kitschen qui signifie bâcler, ou verkitschen qu’on pourrait définir par refiler en sous-main, vendre quelque chose à la place d’une autre. Dans les deux cas de figure, cela présuppose une négation de l’authentique. On peut ajouter à cette première définition un caractère d’affluence de ce mode esthétique, d’« excès des moyens sur les besoins ». Dans certains cercles artistiques Munichois, aux alentours de 1875, il désignait une image de mauvaise qualité, bon marché, un cliché surchargé sans âme, un produit culturel aux sentiments triviaux.

Avec l’avènement de la Révolution Industrielle, on a une décomposition des activités qui s’opère. L’Homo Faber est capable de création (l’artiste, l’inventeur), de production (l’ouvrier, la chaîne opératrice) et de consommation.46 Cette dernière activité se destinera alors à prendre le pas sur les autres. Le phénomène kitsch est « basé sur une civilisation consommatrice qui produit pour consommer et créé pour produire », il est un « mode de relation esthétique de la société bourgeoise avec son environnement ». En effet, ce phénomène est lié au développement et à la puissance financière et politique de la bourgeoisie montante de son époque. Le désir d’identification à une classe supérieure par des signes extérieures de réussite sociale sans avoir des moyens suffisants pour

45 46

MOLES Abraham, Psychologie du Kitsch, l’Art du Bonheur, Denoël, 1976

Ibid.

s’acheter de véritables œuvres d’arts va entrainer une intensification du processus de développement du kitsch. La classe moyenne se tourne alors vers l’inauthentique, la copie, l’imitation. Les objets sont désormais fabriqués la plupart du temps suivant un modèle préétabli, copiés indéfiniment sur un moule créé par d’autres. La place réservée à l’individualisme est alors de plus en plus délaissée, dans un souci de production de masse qui contentera le plus grand monde. Cet univers des objets qui découle du système industriel est aujourd’hui associé à un système néo-kitsch, c’est un « aménagement » entre l’ascétisme fonctionnaliste et la société de l’abondance.47 Les objets ont leur raison d’être, sauf que cette fonctionnalité qui contente l’esprit est fausse la plupart du temps.

La publicité devient alors un des meilleurs fournisseurs d’alibi à cette surconsommation, qui n’est pas forcément nécessaire.

Le Kitsch représente ce qui est acceptable par le plus grand nombre. C’est le confort de la médiocrité, l’art sans effort et sans douleur « à la portée de toutes les bourses, de toutes les consciences, de tous les esprits ». C’est un mode d’accès à la culture pour la société de masse : « Ce que nous étudions n’est ni le Beau platonicien, ni le laid, c’est l’immédiat, c’est l’aspect dominant de la vive esthétique quotidienne ». Idée de progrès et de brassage social pour les uns, esthétique de « troupeau » pour les autres. Nietzche le qualifiera de telle manière : « l’histrionisme, la mise en scène, l’art de l’étalage la volonté de faire de l’effet pour l’amour de l’effet »48. La facilité d’accessibilité à la culture revêt une importance dans la Wedding Chapel qui peut alors être défini comme un objet kitsch

47 48

OLALQUIAGA Céleste, Royaume de l'artifice : L'émergence du kitsch au XIXe siècle, Fage Editions NIETZCHE, Fragments posthumes 15, Paris, Gallimard, 1977, p 177

proposant un bonheur accessible et représenté par un univers merveilleux où la réalité est sublimée.

2. La fabrication du spectacle Associé au départ au mauvais goût, on constate un rapport entre kitsch et imitation qui remplace la création, qui l’appauvrit car il sous-entend une contrefaçon, en faisant une esthétique décadente. Néanmoins la période postmoderne entend bien renverser ce point de vue, les mentalités évoluent, l’insouciance de la rationalité, de la logique et de l’histoire à construire, c’est également la fin des interdictions, de la permissivité.

Selon Guy Debord, c’est un contexte d’un monde culturel fonctionnant à la manière socio-économique, pour fabriquer du spectacle et abolir le réel : « Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation ».49 La ville, le monde urbain devient alors la parfaite représentation du décor dans lequel se spectacle s’inscrit.

Las Vegas, ville du jeu, du divertissement, et du paraitre semble le symbole de cette société. Selon Bruce Bégout, « Las Vegas n’est rien d’autre que notre horizon urbain.

Ce qui s’est mis en place au cœur du désert de Mojave, la superpuissance de l’entertainment qui dicte au cours de la vie, l’organisation de la ville en fonction des galeries marchandes et des parcs d’attractions, l’animation permanente qui règne jour et nuit dans les rues et les allées couvertes, l’architecture thématique qui mélange séduction commerciale et imaginaire enfantin, la soumission suave des citadins par un opium spectaculaire et télévisuel, nous connaissons déjà tout cela et allons être amenés à la vivre de manière plus habituelle encore. Nous sommes tous des habitants de Las Vegas, à quelque distance que nous nous trouvions du Nevada. »50 En effet, aujourd’hui cette image de ville du divertissement est mondialisée et se retrouve sur

DEBORD Guy, La Société du Spectacle, Editions Gallimard, 1957 50 BEGOUT Bruce, Zeropolis, Paris Editions Allia, 2002 49

Pachinko – Akihabara - 2010

l’archipel. Que ce soit dans les temples du jeu de casino, appelés pachinko (パチン コ), dans les salles d’arcades, dans la rue saturée d’écrans lumineux et de messages vocaux et enfin dans l’architecture des chapelles de mariage, on retrouve en Tokyo un héritier de ce kitsch post-moderne.

3. L’ornementation ordonnée On a défini Tokyo comme héritier postmoderne de Las Vegas de par l’usage du kitsch, du postmodernisme et du déploiement d’un urbanisme du divertissement.

Néanmoins l’utilisation d’une esthétique kitsch et du postmodernisme demeure une vision singulière de ce courant.

En effet, la chapelle de mariage, dans son faste et ses décorations, ses fausses moulures, son architecture en carton-pâte, possèdent néanmoins une pratique plutôt mesurée, du moins maitrisée dans l’utilisation de ces codes. On peut opposer la vision occidentale du kitsch religieux, en prenant pour exemple les plans utilisés dans l’œuvre cinématographique de Baz Luhrmann, Romeo+Juliet. Dans ce film, il figure la religion comme « juste une autre marchandise dans la culture de consommation post-moderne ».51 Des statues, des icônes et des images sacrées inondent pratiquement chaque scène, faisant paraître l'idée même de spiritualité en quelque sorte dénaturée au milieu de la somptueuse Verona Beach. Luhrmann semble vouloir afficher une société pour laquelle la religion a été réduite à guère plus que des symboles pour lesquels on voue une tendre nostalgie.

On retrouve dans la conception première des chapelles de mariages japonaises cette idée de religion comme produit de consommation, néanmoins la création de l’image mise en place par le design architecturale diffère. Là où le réalisateur australien

51

LEHMANN, Courtney. "William Shakespeare's Romeo + Juliet.” Shakespeares after Shakespeare: An

Encyclopedia of the Bard in Mass Media and Popular Culture. Ed. Richard Burt. 2 vols. Westport, CT: Greenwood Press, 2007. I, 124.

Romeo+Juliet – Baz Luhrmann - 1996

St Grace Cathedral Tokyo

multiplie les iconographies et nous acène d’une esthétique accumulative à la limite de la folie et désordonnée, les Wedding Chapel instaurent elles un ordre et une clarté dans son arrangement.

Le film et la chapelle, même s’ils figurent le même objet avec des méthodes similaires à savoir le kitsch postmoderniste religieux, produisent deux images opposées. Le premier veut dénoncer une société dans laquelle la religion s’est vu supplantée par un pouvoir politique corrompue, tandis que le second veut produire une image simplement d’un idéal esthétique idéalisé.

-

CHAPITRE 4 : VERS UNE ARCHITECTURE DE L’IMAGE P R O P A G A T I O N

D ’ U N

I D E A L

« Et sans doute notre temps… préfère l’image à la chose, la copie

à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être… ce qui est

sacré pour lui, ce n’est que l’illusion mais ce qui est profane, c’est la

vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité

et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacré. » Feuerbach

(Préface de la deuxième édition de L’Essence du

Christianisme)

Dans cette dernière partie, on s’intéressera à l’image reproduite de la Wedding Chapel comme référence nouvelle, qui sera propagée, déformée, pour satisfaire une esthétique sensible, qui devient narrative et un piédestal pour les nouvelles modalités de communication par l’image engendrée par les réseaux sociaux Dans un premier temps on analysera en quoi la Wedding Chapel répond à un processus d’architecture narrative. Ensuite on s’intéressera à la propagation de ce langage iconographique à l’ère des mass-media et des réseaux sociaux. Enfin, on portera un œil sur ces derniers, et plus particulièrement sur le plus pictural de tous, Instagram.

1) La Narration par l’espace 1. De la représentation en architecture L'architecture est discutée, expliquée et identifié presque entièrement par ses représentations. En effet, celles-ci sont souvent traitées comme si elles étaient l'architecture elle-même. Un statut considérable est donné aux projets fictifs, à la collection de photographies authentiques ou à l'éminent compte critique. C'est un paradoxe. L'architecture est fondamentalement concernée par le monde physique, mais nous discutons et définissons même l'architecture (par opposition à la construction) à travers une construction élaborée de représentations médiatiques : la photographie, le journalisme, la critique, l'exposition, l'histoire, les livres, les films, la télévision et la théorie critique.52 La relation de l'architecture avec ses représentations est particulière, puissante et absolument critique. L'architecture est motivée par la croyance en la nature du réel et du physique : les qualités spécifiques d'une chose - sa matière, sa forme, son agencement, sa substance, son détail - par rapport à une autre. Elle est absolument enracinée dans l'idée de " la chose elle-même ". Pourtant, elle est discutée, illustrée, expliquée - voire définie - presque entièrement à travers ses représentations ….

L'histoire qui précède implique ceci : l'architecture, par opposition au bâtiment, est un acte interprétatif, critique.

53

Il a une condition linguistique différente de la

condition pratique du bâtiment. Un édifice est interprété lorsque son mécanisme rhétorique et ses principes sont révélé. Cette analyse peut être effectuée de

52

RATTENBURY Kester, This is Not Architecture: Media Constructions, Psychology Press, 2002

53

Ibid.

différentes façons, selon les formes des différents types de discours ; parmi ceux-ci, la théorie, la critique, l'histoire et le manifeste. Un acte d'interprétation est également présent dans les différents modes de figuration du discours : le dessin, l'écriture, le modélisme, etc. L'interprétation est aussi partie intégrante de l'acte de projection, le spectateur analysant ce qu’il voit à travers le spectre de son propre bagage de référence visuelle.

2. Wedding Chapel et images

Ces Wedding Chapels font partie d’une architecture qui se veut référencée, et se définissent par le spectre d’un imaginaire collectif quant à la vision d’un romantisme à l’occidental, idéalisé et fantasmagorique. La société de l’image, les médias donc, ont permis cette propagation visuel d’un idéal nuptial par des films, des photographies, ou bien encore par des retransmissions télévisuelles de mariages de célébrités. On a alors un vrai-faux architectural comme source d’inspiration cinématographique dont il se nourrit en retour. Dans le domaine des produits culturels, l’imagination de la ville du futur et ses architectures a toujours constitué une sorte de sociologie de l’anticipation. Des signes et des simulacres de cet imaginaire explorant tendances et virtualités se retrouvant en effet actualisés dans la réalité de nos métropoles contemporaines. On y retrouve une sorte de métaphore urbaine qui est perçue dans notre actualité comme une convention banale du climat stylistique contemporain.

Les images cinématographiques nous offrent alors un rapport direct à l’illusion du monde onirique et nous allons retrouver une copie de cet imaginaire dans le réel de la porosité architecturale.

La publicité permet également cette narration, avec notamment la promesse d'"être soi-même" qu’elle offre qui se termine finalement par le fait d'être comme tout le monde. En effet, bon nombre d’entreprises d’organisations de mariages se vantent d’offrir des espaces de cérémonies plus singuliers les uns que les autres, que les futurs époux peuvent choisir sur des catalogues de papier glacé, avec un service « à la carte ». Néanmoins, on peut se questionner sur une réelle originalité lorsque chacun choisit son "expression d'individualité" dans une liste établie. Les usagers des

SETRE CHAPEL - KOBE

Wedding Chapels consomment alors leurs rêves vécus dans la contemplation et dans la production photographique comme une forme de reproduction au monde. Dans cette ambiance le contour des formes architecturales exprime le mieux la conception et la réalisation d’un univers du « tout est possible » qui ouvre une gamme exceptionnelle à des nouvelles possibilités de remix formels. C’est alors une nouvelle manière de construire le récit en produisant un monde d’attractions.

On peut alors aisément établir une analogie avec les théories des architectes Robert Venturi et Denise Scott Brown sur l’architecture ludique, qui deviennent des métaphores.

Ribbon Chapel

3. Métaphores édifiées : du « canard » au « hangar décoré»

En 1972, les architectes américains Denise Scott Brown et Robert Venturi publient

Learning from Las Vegas (L’enseignement de Las Vegas), analysant dans cet ouvrage la nouvelle forme d’urbanisme que représente le modèle de l’architecture ludique, commerciale et populaire de la célèbre ville. Ils y constatent, notamment, l’omniprésence des enseignes publicitaires en avant des « hangars décorés » qu’elles voilent et magnifient ; ils désignent du nom de « canards » les bâtiments dont les formes miment la fonction, par référence à une boutique (1931) de Long Island construite en forme de canard géant – Big Duck – pour la seule raison qu’on y vendait du canard. 54 Devant ces constats, comment ne pas penser à Hollywood et aux lettres géantes qui, depuis 1923, s’étalent sur une colline de Los Angeles ? La cité du cinéma s’y authentifie clairement comme fondée sur l’artifice, elle dont les décors réduits à des façades sont en même temps illusion du réel et clin d’œil à l’intention du spectateur.

Cette exubérance signalétique et cette expressivité débridée, présentes dans les deux villes, semblent à Scott Brown et Venturi être partie prenante de certains fondements de la culture populaire américaine. On n’a pas manqué de leur opposer que Las Vegas présentait plutôt les traits d’une culture imposée à des consommateurs passifs ou au mieux éblouis par le clinquant.

54 JENCKS Charles, The Story of Post-Modernism: Five Decades of the Ironic, Iconic and Critical in Architecture, John Wiley & Sons, 2011

Osaka – Juillet 2019 – Photo personnelle

Ce type d’architecture postmoderne peut également être interprété comme des métaphores, issus de leur époque. Les gens perçoivent inévitablement un édifice par rapport à un autre, ou par rapport à un objet similaire, bref ils le perçoivent comme une métaphore. Moins il leur paraitra familier, plus ils auront tendance à le comparer à ce qu’ils connaissent. De la métaphore au cliché, du néologisme au signe architectural consacré par l’usage, tel est l’itinéraire suivi par toutes les nouvelles formes et les nouvelles techniques qui réussissent à s’imposer. Or, les limitations de codes basées sur l’apprentissage et la culture orientent notre lecture, et ’il existe une multiplicité de codes, dont certains peuvent se contredire mutuellement d’une sousculture à l’autre. Du fait que les édifices mettent souvent en jeu une pluralité de codes, ils peuvent être perçus comme des métaphores mixtes, aux contenus antinomiques. Vient s’ajouter à cela que notre perception est façonnée et modifiée par les codes fondés sur les expériences antérieures.55 Reprenons l’exemple de Venturi qui partait du principe que l’architecture doit être envisagée comme communication et soutient que les édifices devraient ressembler à des « hangars décorés et pas à des canards ». Le « hangar décoré » est une simple enceinte agrémentée de signes du genre panneau d’affichage, ou d’une ornementation conventionnelle, par exemple un fronton pour symboliser l’entrée ; un canard en revanche est pour Venturi un édifice qui a la forme de sa fonction ou un édifice moderne dans lequel la structure et la volumétrie deviennent la décoration. 56

55 JENCKS Charles, The Story of Post-Modernism: Five Decades of the Ironic, Iconic and Critical in Architecture, John Wiley & Sons, 2011

56

VENTURI, R., BROWN D.S., et IZENOUR S.. Learning From Las Vegas. MIT Press, 2017

Saint Voile Chapel

La communication architecturale se range alors en deux secteurs : celui des édifices canards, c’est-à-dire les signes iconiques, et celui du « hangar décoré » c’est-à-dire les signes symboliques. Plus les métaphores sont nombreuses, plus elles renforcent l’effet dramatique tandis que plus elles se contentent de suggérer, plus elles renforcent le mystère. Il y a de la force dans une métaphore mixte, mais il y a de l’efficacité dans une métaphore suggérée.

A la lumière de cette analyse, on peut alors mieux appréhender l’appréciation esthétique que nous procure les différentes chapelles. L’économie de moyen dans le symbolisme et le fait de suggérer une métaphore nous apparait comme bien plus efficace. On se retrouve alors bien plus sensible à l’espace imaginé par un Tadao Ando qui sublime sa Chapel on the Water en y intégrant une séquence d’entrée qui procure une séparation entre monde profane et monde sacré, à la manière d’un tori.

L’harmonie avec la nature caractérisée par le plan d’eau qui s’étend à l’infinie en face de la baie vitrée qui encadre l’autel, et la croix, utilisent cette métaphore avec beaucoup d’efficacité. On retrouve également l’hybridation définie précédemment de la culture japonaise associée à l’image religieuse occidental.

2) Imagerie « instagrammable » 1. Production/Reproduction

La transmission de l’architecture, par d’autre moyens que soi-même, se définit comme sa reproduction. L’architecture en tant que telle se fait donc un acte interprétatif, qui possède un langage différent de celui de l’édifice physique. Son analyse peut en effet s’effectuer de multiples façons, selon le type de discours qu’on souhaite avoir vis-à-vis de l’édifice. De plus l’interprétation individuelle de chacun est présent dans les différentes techniques de représentation ; que ce soit par le dessin, l’écriture ou bien encore la maquette. 57 Comme étudié précédemment, depuis l’ère industriel, le produit et sa reproduction se confondent l’un avec l’autre. Avant l’avènement de la photographie, le spectateur de l’architecture était l’usager. Désormais, la pratique de l’architecture a évolué vers un statut d’objet de consommation entrainant une augmentation de son audience. Ainsi, on peut mieux appréhender en quoi sa relation avec le spectateur a évolué de façon radicale. Celui-ci, qu’il soit le touriste admirant la façade, ou le lecteur d’un magazine spécialisé, devient progressivement l’utilisateur du bâtiment, celui qui va donner du sens à l’édifice.

De plus, Colomina avance également l’argument selon lequel le média imprimé serait le miroir par lequel les tenants et aboutissements, fragmentés du travail de son auteur lui reviennent miraculeusement à lui formant une image complète. Elle s’interroge ensuite sur comment établir une relation productive plutôt que réflective

57

COLOMINA Beatriz « Architectureproduction », This is Not Architecture: Media Constructions, Edited by

Kester Rattenbury Chapitre 15, Routledge, 2002

avec ce dit miroir.58 Elle argumente ensuite sur le fait que l’architecture doit stimuler le désir du spectateur à produire de l’architecture., s’appuyant sur les Manifestes

Architecturales de Bernard Tschumi, une exposition tenue à la Artists Space gallery de New York en 1978. Il écrira à propos « Après tout, les dessins architecturaux et la photographie sont juste des espaces de papier – il n’y a pas de moyen de « performer » de la réelle architecture dans un magazine ou à travers un dessin. La seule manière est de le faire croire. »59 Tschumi utilise cette espace physique de l’exposition et le papier imprimé pour refléter le statu de l’architecture comme objet dans la société des médias et de la publicité. Ces dernières années, l’architecture a pu s’immiscer dans l’espace du musée et de la galerie, espaces traditionnels de l’art institutionnel, créant ainsi un phénomène culturel de production.

Les réseaux sociaux agissent alors de la même manière sur le désir de l’architecture : en publiant une vitrine de notre identité et notre environnement, on souhaite dans un sens l’approbation d’un public. Le décor se doit alors d’être désirable, de se présenter comme la plus susceptible d’être séduisante pour le spectateur qui le perçoit.

58

Ibid.

59

TSCHUMI Bernard Architectural Manifestoes, exhibition catalog (New York, 1978)

2. Instaculture : la société des images 2.0 Tout un chacun peut devenir une vedette, mais encore plus que cela, il le doit. C’est une possibilité mais également un dictat dont les outils à l’ère du numérique deviennent de plus en plus adaptés à ce phénomène. Dans la société actuelle qui répond à une logique de réseau social, ne pas avoir de profil Facebook ou Instagram peut faire de moi quelqu’un de suspect. Les individus ont disparu pour laisser place à leur propre représentation. Tout le monde se doit alors de se construire sa propre vie à travers l’image véhiculé sur ces réseaux, ce qui est important n’est pas ce que je dis mais c’est de me photographier en train de le dire pour le diffuser, le montrer. Les rapports de forces et les jeux sociaux sont transposés au monde de l’Internet. Alors, chacun est soumis à une surveillance, et chacun mène une double-vie : une virtuelle et une réelle.

La plate-forme de partage de photo, Instagram, qui compte aujourd’hui près de 800 millions d'utilisateurs, est la vitrine par excellence de ce dédoublement de l’individu.

Sur ce réseau, la popularité est un critère social et passe seulement et uniquement par l’apparence, une image plus ou moins déformée de qui on est réellement et le décor dans lequel on insère son avatar a un rôle déterminant à jouer. Ainsi, Instagram ne change pas seulement notre façon de voir l'architecture mais aussi notre façon de la comprendre. Notre perception va être façonnée par la multitude de photographies à laquelle on a accès d’un même lieu, et de leurs interprétations en fonction des différents auteurs/instagrammeurs. Les plus célèbres d’entre eux sont d’ailleurs appelés influenceurs, dans le sens où leurs publications touchent une communauté assez large pour pouvoir avoir une portée sur des tendances, des courants visuels.

Conscient de cela, de nombreux architectes commencent alors à prendre en compte cette nouvelle dimension. Par exemple, le Vessel de Thomas Heatherwick, que l'on décrit a été construit sur la supposition qu'il possédait les éléments intrinsèques pour produire des images photogéniques, le but étant d’ameuter un tourisme qui produit de l’image et la diffuse sur les réseaux. Instagram a rendu le partage de l'architecture avec les masses plus facile que jamais. 60 Pourtant, Instagrammer l'architecture n'est pas la même chose que la photographier, en portant ses propres points de vue esthétiques, qui sont globalement harmonisés sur l’ensemble de la plateforme, il est difficile de comprendre la réelle utilité de ce dispositif qui revient encore une fois à un média de la consommation. La plateforme n’encourage pas à contempler les photos plus que quelques secondes, diffusant de manière continue du nouveau contenu, toujours plus mis en scène.

Les partisans évidents de ce genre sont des architectes comme BIG et Heatherwick Studio, qui créent une architecture néo-iconique dans laquelle l’image n'est pas seulement une forme conçue pour s’intégrer dans la skyline de la ville, mais pour fonctionner avec des médias qui permettent sa propagation. Le message est ainsi clair, précis, et peut se propager facilement. 61

60

LANGE Alexandra, “Is Instagram Ruining Architecture ?”, The New-York Times, Sept. 2019

61

WAINWRIGHT Olliver,”Snapping point : how the world’s leading architects fell under the Instagram spell”, The

Guardian 23 Nov. 2018

Cet outil devient alors un formidable moyen pour la publicité des chapelles de mariages. Les futurs époux n’ont qu’à rechercher le nom des lieux qu’ils désirent pour leurs cérémonies et avoir différents points de vue sur cet objet. La Chapelle peut également par ce biais devenir décor d’un statut social, d’un bonheur accompli et de par ce fait se doit de répondre à cette esthétique Instagram si caractéristique.

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Ainsi, on s’est intéressé au phénomène de production d’architecture par l’image, puis d’image par l’architecture à travers les Wedding Chapels (chapelle de mariage) au Japon à travers l’analyse de plusieurs documents iconographiques et d’écrits philosophique, sociologique, anthropologique ou encore spécialisé dans l’architecture.

Ce phénomène est bien porteur d’un processus de création multiculturelle, dans un flux informatif d’images, de références, sans savoir précisément qui est simulacre, qui est simulé, et où se situe le réel. C’est l’avènement d’une société de surconsommation, même dans sa production et sa diffusion iconographique.

Cette création culturelle entraine l’émergence de deux tendances dans les édifices de chapelle de mariage. D’un côté ceux qui reprennent littéralement les codes des édifices religieux issus de leur imaginaire d’un catholique kitsch, produisant un néo-gothisme empreint de pastiche.

D’un autre côté, une architecture d’hybridation culturelle, qui appréhende l’édifice en y intégrant des symboles inhérents à la culture japonaise, notamment par l’association de motifs de la Nature.

Afin de mener à bien cette analyse, il m’a été nécessaire de définir plusieurs grandes notions : simulacre, kitsch, représentation, consommation, spectacle, postmodernisme et mondialisation. Cette série lexicale nous représente alors bien l’accent que met la chapelle sur son apparence, afin d’être propagée.

Ces concepts ont alors été confrontés aux regards de théoriciens qui avaient étudiés ces notions dans un contexte occidental. Que ce soit Robert Venturi ou Bruce Bégout avec Las Vegas, Rem Koolhaas avec Manhattan ou encore Walter Benjamin avec Paris, ces conceptions d’un rapport à la représentation et à la propagation d’une image par le bâtiment, de manière plus ou moins subtile, semblent partager par ces auteurs.

Alors, après avoir appliqué ces théories à l’objet étudié qu’est la chapelle de mariage japonaise, on constate qu’elle répond elle aussi à cette politique de représentation imposée par la société des mass media. Elle devient produit commercial, à consommer, non pérenne dans le temps. On peut alors faire l’analogie avec les pavillons utilisés lors d’expositions universelle. Le but de l’architecture serait-il alors forcément d’approcher un statut d’immortalité, immuable à travers les siècles ? Ou bien faudrait-il percevoir cette liberté comme salvatrice dans la conception architecturale, offrant la possibilité d’innover, permettant un fabuleux laboratoire d’expérience pour ses concepteurs ?

Néanmoins, à l’heure d’une transition écologique, l’architecture semblerai devoir se tourner vers une durabilité et une économie de moyen. Cette frugalité parait nécessaire, mais demanderait à bouleverser tout un schéma d’organisation sociale et politique qui régissent cette architecture de la consommation. On pourrait alors se demander comment ce modèle d’objet architecturale évoluerait, et si l’hybridation architecturale introduite désormais par plusieurs édifices viendraient à devenir la norme, en développant de nouveaux moyens constructifs et de nouveaux matériaux soucieux de l’environnement, moins clinquants certes, mais non moins nobles.

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#01

#08

#02

#09

#04

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#04

#11

Catholic Church // YOKOHAMA 1862, Fr. Prudent

Oura Tenshudō // NAGASAKI 1864, Fr. Louis T. Furet, Fr. Bernard. T. Petitjean, Hideyoshin Kojama

Anglican-episcopal Church // OSAKA 1872-73, Fr. Prudent

St. Paul Daimyōji // MEIJI-MURA 1879, Ôto Isekichi

#05

Shitsu Church // NAGASAKI 1882, Father Marc Marie de Rotz

E

Rakuyo Church// KYOTO 1988

Eiko Church // KOBE 2004

Saint Anselm's Church // TOKYO, MEGURO 1954, Antonin Raymond

#12 Church of Christ// TOKYO, SHIBUYA 1995, Maki and associates.

#13

#07

#14

Anglican-episcopal Church of the Christ // NARA 1930, Kichitarooki

X

Baptist Church // KOBE 1953

#06

Eglise luthérienne de la Croix // TOKYO 1959, Konrad Wiese

E

Shonan Church // KANAGAWA 2014, Takeshi Hosaka Architects

Catholic Suzuka Church // SUZUKA 2015, ALPHAVILLE

S

#15

#22

#16

#23

St Mary Cathedral //TOKYO 1964, Kenzo Tange

Church of the Light// OSAKA 1999, Tadao Ando

#17

A Church in Kyoto // KYOTO 2011, Shigenori Uoya Architects and Associates

Paper Church, KOBE 1995-2005 (disassembled), Shigeru Ban

Hiroshima Chapel // HIROSHIMA 2014, Nikken Space Design

#24 Ribbon Church // HIROSHIMA 2013, Hiroshi Nakamura & NAP

#18

#25

#19

#26

#20

#27

#21

#28

Kobe Shinsei Baptist Church// KOBE 2004, Ks Architects.

Harajuku Church // TOKYO 2006, Ciel Rouge

Hongodai Christ Church School & Nursery // YOKOHAMA 2010, Takeshi Hosaka Architects

21st Century Christ Church // TOKYO 2014, Tadao Ando

Harajuku Church // TOKYO 2006, Ciel Rouge

Hongodai Christ Church School & Nursery // YOKOHAMA 2010, Takeshi Hosaka Architects

Birch Moss Chapel // NAGANO 2015, Kengo Kuma & Associates

Rainbow Chapel // TOKYO 2015, Kubo Tsushima Architects,

#29

St Voile Chapel //NIIGATA 2014, Kasahara Design Work

#30 Forest Chapel // GUNMA

2011, Hironaka Hogawa and Associates

#31

Ailereve // KOCHI 2007, Yasui Hideo Atelier

#32 Zion Christian Church //KANAGAWA 2013, Tezuka Architecture

#33

Chapel in Hiromine // HIMEJI 2009, Ryuichi Ashizawa Architects

#34

Sunpu Church // SHIZUOKA 2008, Taira Nishizawa

#35

White Chapel // OSAKA 2006, Jun Aoki & Associates

#36 Setre Chapel // KOBE

2005, Ryuichi Ashizawa Architects

#37

Leaf Chapel // KOBUCHIZAWA 2004, Klein Dytham

#38 Zion Christian Church //KANAGAWA 2013, Tezuka Architecture

#39

Chapel in Hiromine // HIMEJI 2009, Ryuichi Ashizawa Architects

#40 Sound of Wind //SHIGA 2015, Ryuichi Ashizawa Architect & Associates

#41 the Holy See Pavilion //VENISE 2018, Fujimori Terunobu

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L’ENSEIGNEMENT DES WEDDING CHAPELS ウ

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C E L E B R A T I O N

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S I M U L A C R E

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I M A G E

INTRODUCTION C H A P I T R E

1

:

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R E F E R E N C E

DE LA TRADITION JAPONAISE AUX WEDDING CHAPELS : SE MARIER AU JAPON

4) Contexte social et rapport au mariage 1. Législation du contrat de mariage 2. Cérémonie shintoïste

3. Cérémonie à l’occidentale

5) Religion catholique au Japon 1.

Introduction du catholicisme

2.

Expansion des communautés religieuses

3.

Identité visuelle de l’église contemporaine au Japon

6) Apparition des Wedding Chapels : de Las Vegas à Tokyo

1. Introduction de la culture du mariage occidental par les médias 2. Un modèle issu de l’American Dream 3. La Wedding Chapel : de Las Vegas à Tokyo

CHAPITRE 2 : CONSTRUIRE UNE ARCHITECTURE PAR L’IMAGE U

N

D

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4) La Performance

1. Rituel et adaptation 2. Décor

5) Le mariage comme produit commercial prêt à consommer

1. Production, mise en en scène : les coulisses d’une entreprise

2.

La Wedding Chapel : reflet de valeurs capitalistes

1.

Contexte globalisant

2.

Construction de nouvelles mythologies par la citation

6) Pastiche culturel et hybridation dans un contexte de mondialisation

A

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E

3. Distorsions spatiales et environnement illusoires C H A P I T R E L

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3 H

:

I N T E R P R E T A T I O N

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C

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J A P O N A I S E U

F

A

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X

3) L’originalité dans le simulacre 1. Une culture de la copie

2. Hyperréalitéet simulacre : ceci n’est pas une chapelle 3. Delirious Tokyo : une vision postmoderne

4) Le Kitsch : du casino au pachinko 1. Le goût de la masse

2. Fabrication d’un spectacle

3. L’ornementation ordonnée C H A P I T R E P

R

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4 G

: A

L ’ I M A G E T

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C O M M E D

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N

3) La Narration par l’espace

1. L’architecture par ses représentations 2. Métaphores édifiées : du « canard » au « decorated shed »

4) Imagerie « instagrammable » 1.

2.

Production/Reproduction

Instaculture : la société des images 2.0

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

TABLES DES ANNEXES

TABLES DES MATIERES

R E F E R E N C E I

D

E

A

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