DOSSIER // 10 ANS DE XYNTHIA É V È N E M E N T
C L I M A T I Q U E
Xynthia : les leçons d’un désastre © Nathalie Vauchez
Depuis dix ans, les chercheurs locaux, toutes disciplines confondues, ont réalisé des progrès considérables dans la compréhension des tempêtes et de leur impact sur les zones habitées, offrant des outils précieux dans la prévention du risque. Explications. au dernier moment dans charentaises, tandis que les villages le Golfe de Gascogne. Ce directement face à l’Océan, pourtant phénomène soudain a soumis à une double exposition (houle créé une « mer jeune » : d’ouest et érosion du trait de côte), des vagues plus courtes ont été relativement épargnés. « Leur (longueur d’onde réduite) système naturel est plus résistant car que pour une tempête les vagues ont forgé au fil du temps classique dont les effets des protections comme les dunes. Dans avaient été peu étudiés. les fonds d’estuaires, beaucoup plus à « Plus la longueur d’onde l’abri, les barrières sédimentaires sont est réduite, plus la surcote quasiment absentes et les altitudes plus est importante », résume basses », explique Eric Chaumillon. Des le chercheur. Cette « rugosecteurs où les enjeux ont évolué au sité » des vagues jeunes fil du temps, avec une urbanisation provoque « un effet de croissante en zones dangereuses, déferlement », qui conduit répondant depuis 1945 au désir de à une élévation du niveau « la maison avec vue mer » dans un de la mer très importante. contexte de balnéarisation et de course « Cet aspect avait été totaaux littoraux. Là où les paysans avaient lement négligé, alors qu’il créé des polders, ces terres endiguées augmente la hauteur d’eau gagnées sur la mer, pour cultiver leurs de plusieurs dizaines de champs, des maisons, puis des lotiscentimètres. Pour la temsements sont apparus. En Vendée, la La puissance de la mer a créé cette importante brèche dans la digue. pête Klaus, nous avons Faute-sur-Mer (29 morts) est l’exemple montré que 50 centimètres extrême de ces polders « immobiliers », i en qu’on connaisse les proLa faute à « pas de chance » ? de la surcote était dû à cela », confie où les maisons, construites dans une cessus à l’œuvre, Xynthia nous Xavier Bertin, directeur de recherche au Comme Dame Nature nous le rappelle cuvette, ont été submergées par 2,8 CNRS et chercheur au Lienss (Littoral, a surpris par son ampleur ». souvent, Xynthia est avant tout le résulmètres d’eau ! Charron (3 morts), au Environnement et Sociétés). Dans les De l’aveu d’Eric Chaumillon, enseitat d’une conjonction de phénomènes nord de La Rochelle, répond à cette pertuis charentais, cette sorte de petite gnant-chercheur en géologie marine improbables : passage d’une tempête logique, même si le village ne se trouve mer intérieure en forme « d’entonà l’université de La Rochelle, la temau large de nos côtes, au moment de la noir », la faible profondeur conjuguée pas dans une cuvette aussi profonde. pête de 2010 n’a pas surpris que les pleine mer (4h du matin) et avec un fort à l’effet de Coriolis(2) ont aussi tendance coefficient (102). Une sorte de « faute à habitants des zones sinistrées d’Aytré, à accentuer l’effet des marées. Autant pas de chance » souvent évoquée après de Boyardville, La Couarde, Charron ou de phénomènes qui expliquent une L’atout des zones humides le drame, mais qui ne peut pas satisfaire des Boucholeurs. Depuis cette funeste surcote de 1,50 mètre par rapport à (1) les scientifiques. « La surcote a été Grâce au programme Survey 17, les nuit du 27 au 28 février 2010, qui a celle attendue au large de l’île de Ré, très importante par rapport à l’intenchercheurs rochelais ont développé un entraîné la mort de douze personnes et jusqu’à presque 2 mètres au fond sité du vent, il fallait en comprendre outil permettant de simuler, à travers en Charente-Maritime, le monde sciende la baie de l’Aiguillon, là où Xynthia la raison », confie Eric Chaumillon. des cartes interactives, tous types de tifique tente de comprendre comment a fait le plus de victimes. Dans notre région, l’immense majorité tempêtes et leurs conséquences sur le une tempête finalement assez banale, des tempêtes hivernales se creusent à rivage, en déterminant les différents avec des vents de 160 km/h maximum, l’ouest de nos côtes, frappant le littoral critères. Ils ont alors découvert un autre a pu provoquer autant de dégâts. Urbanisation galopante à la verticale sur une trajectoire ouestphénomène : la submersion, en péné« Le côté exceptionnel est surtout dû Autre particularité : Xynthia a frappé est. Quant à Xynthia, elle s’est formée trant dans les terres, favorise la zone à la représentation qu’on en a. Dans les villages situés sur des côtes habiau large des Canaries, avant de lond’expansion de l’inondation et réduit de l’Histoire récente, nous avons eu des tuellement abritées par les grandes îles ger la péninsule ibérique pour plonger façon considérable les hauteurs d’eau niveaux d’eau comparables sur la côte ouest à de nombreuses reprises, mais les informations dont on dispose sont beaucoup plus rares et parcellaires », analyse Thierry Sauzeau, professeur d’Histoire à l’université de Poitiers spécialisé dans les littoraux et la mémoire du risque (voir encadré). Le 8 janvier 1924, une tempête a entraîné des submersions comparables à Xynthia, tout comme l’hiver 1940-41 où deux phénomènes extrêmes ont eu lieu en moins de trois mois. La France vit alors sous l’Occupation, et les informations sont filtrées par l’administration allemande. « Pourtant, 1941 représente l’aléa de référence au Portugal, où les dégâts furent considérables. Nous avons beaucoup travaillé avec nos collègues portugais pour tenter de le comprendre », confie l’océanographe Xavier Bertin, directeur de recherche au CNRS. Rien qu’au 19ème siècle, les archives révèlent que deux tempêtes, en 1877 et 1838, ont entraîné des surfaces inondées identiques, ce qui tend à relativiser le Dès le matin du 1er mars 2010 les travaux d’urgence commencent, afin de rétablir la continuité territoriale de l’île de Ré, caractère « unique » de Xynthia. coupée en deux : Le Nord de l’île et Loix sont restés plusieurs heures inaccessibles.
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RÉ À LA HUNE | ÉDITION DU 6 FÉVRIER 2020 | N° 203
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