Revue Multiprise #22

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Courants artistiques en Midi-Pyrénées

22 - Janvier 2012 - Gratuit


Vincent

Fortemps 13..31 mars

installation performances

05 62 48 54 77

1 av du Château d’Eau - Toulouse / M° St Cyprien République licences n°1050565-566-567

/ graphisme : t2bis.eu

/ fourmi © Nicole Berger


Le Corbeau et le canard

22 * coin coin Directeurs de publication Paul Ferrer William Gourdin william@revue-multiprise.com Rédacteurs en chef Didier Marinesque, Fabien Cano Coordinatrice éditoriale Mélanie Fauré Rédacteurs intervenants Ramon Tio Belido, Amandine Doche, Manuel Pomar, Emmanuel Guy, Picola Naine Graphisme Thomas Deudé t2d@donoteat.fr Communication Fabien Fromage fabien@revue-multiprise.com contact@revue-multiprise.com www.revue-multiprise.com Remerciements Jean-Marc Lacabe, Ida Jakobs, Alain Mousseigne, Thierry Talard, Pascal Pique, Hélène Maury, Martine Cousin, Guy Debord, Claire Alchié, Jean Louis David et Anaïs Renner pour l’ensemble de son hors-d’oeuvre toulousain.

La revue Multiprise est soutenue par la

Prestataire Audiovisuel 05 61 19 08 68 - www.iecevents.eu

I.S.S.N. : 1778-9451

Vendredi 13 janvier 2012, c’est la date que toute l’équipe a choisie pour le retour de Multiprise. Nous sommes donc encore dans les temps et vous adressons nos vœux pour cette année qui, si l’on ne m’abuse, risque fort d’être placée sous le signe de l’apocalypse… Mais, soyez sans crainte ! Ni les prédicateurs aux crânes de cristal, ni les Nostradamus ufologues auscultant le mont Bugarach ; encore moins les agences de notation lisant dans le marc de café et certainement pas la dizaine de cravatés qui bientôt viendront polluer les murs de nos villes de leurs hypocrites portraits ; aucun de ceux-là ne viendra, par de noirs desseins, brider notre enthousiasme. Bien au contraire, c’est un Multiprise remanié que nous vous proposons. Un nouveau format, une charte graphique repensée, ainsi qu’une augmentation du nombre de pages sont autant de composants de la mue opérée. Nous tenions à faire place à la respiration, à l’aération et à l’éclairci. Nous nous accordons le blanc permettant aux visuels choisis d’occuper leur juste place. La fréquence de parution est également modifiée : vous retrouverez désormais trois numéros par an au lieu de quatre, car le souci d’économie d’énergie nous pousse à l’installation d’un boîtier triphasé. Cette renaissance n’influe pas sur la ligne éditoriale du magazine : elle consacre toutes les ondulations artistiques pertinentes de notre région, avec une ouverture toujours présente vers des horizons plus lointains, mais disposant eux-mêmes d’une énergie semblable. Ici, dans le numéro, une évocation du pirate piraté Guy Debord, ou d’un dandy déambulant dans sa porcherie. Et ce n’est pas donner de la confiture aux cochons que de tirer notre chapeau à Alain Mousseigne pour le travail accompli… Préparez-vous aux Abattoirs version 2.0. Les sages mises en garde du Corbeau du canard viendront conclure ce numéro de fin d’un monde. Ne tremblez pas, Maman est là !

Toute reproduction du titre, des textes et des photos sans autorisation écrite est interdite. Les documents présents dans la revue ont été reproduits avec

MC

l’accord préalable du photographe ou de l’envoyeur. Photos non contractuelles. 3



En couverture : Jules Stromboni, Maman

6 Graphéine

l’actualité du dessin contemporain

11 Festival de BD de Colomiers 14 Entretien avec Martine Michard 18 les Abattoirs, clap one 21 Court-jus

Jules Stromboni. Croquis

25 Une promenade entre ateliers

33 J’ai remis la main sur Tamain,

il m’a proposé de la confiture…

36 Plan de gestion des risques 3 Gndfb

Dominique Ghesquière. Marelle

38 Branchement en série

28 Un tremblement dans les sens 30 Debord plunderphonique Détournement en Ré mineur

Thomas Deudé. Série dne_Corbeau

40 Flash


Graphéine :

l’actualité du dessin contemporain

David Coste, Vue d’exposition Echos, Lieu-Commun, 2011


Retour sur la troisième édition de Graphéine, consacrée aux pratiques contemporaines du dessin. Il faut constater que celui-ci a acquis depuis quelques années maintenant une vitalité et une ampleur qui l’ont durablement installé dans la nébuleuse de l’art contemporain, qu’elle soit artistique ou financière. Toulouse, grâce au réseau Pinkpong, peut désormais témoigner (et participer) de cette présence. Pinkpong est un réseau d’art contemporain de l’agglomération toulousaine créé en 2008. Cette structure fédérative rassemble une vingtaine de lieux à identités diverses : associations, espaces municipaux, galeries privées, instituts… Ils ont proposé cette année autour du dessin une cinquantaine d’artistes, sous forme d’expositions, rencontres, ou conférences. Une « actualité » du dessin contemporain signifie également que celui-ci, par tropismes, a tendance à se décloisonner de plus en plus et à convoquer de nouvelles façons de l’imaginer, tant par les matériaux utilisés, que par la façon de le montrer. Ce qui suit propose une sélection volontairement choisie de productions artistiques le mettant en scène, par des artistes qui souvent intègrent ce dessin dans des démarches plus globales.

ENAC Ronald Curchod

Ronald Curchod a réalisé la série intitulée Chorégraphie du Baiser, composée de dessins à la pierre noire qui décline, à travers une série de métaphores, le thème éternel de la relation entre le masculin et le féminin. Graphiste, affichiste, illustrateur et peintre, il signe aussi des scénographies et des costumes pour le théâtre. Ronald Curchod, série Chorégraphie du baiser, Sans titre, pierre noire, 2004

Lieu-Commun David Coste

« Ma démarche consiste actuellement à chercher quelles sont les utopies contemporaines et quel est leur rapport au réel. Dans ce cadre, j’ai déjà recensé différents lieux témoignant d’une relation aux utopies. Il s’agit d’utopies localisées que Michel Foucault qualifie d’hétérotopies, des espaces autres ou contre-espaces. Ma procédure amène le spectateur à s’interroger autant sur la nature des images et du son que sur l’authenticité, l’existence de ces lieux. » 7


Galerie Sollertis

Alain Josseau

Time surface est une série de grands dessins inspirés du cinéma ou de documents vidéo. Plans, mouvements de caméra, montages sont compilés en une seule image-temps figée. Ici, avec Rear window d’Alfred d’Hitchcock (1954), cette « image surface » traduit plusieurs instants clé du film. L’image ainsi produite échappe à la représentation de l’artiste, qui traduit le langage cinématographique en un seul objet : le dessin.

En-haut : Alain Josseau, Time surface - Fenêtre sur cour, 2009, crayon sur papier, 160x320 cm courtesy galerie Sollertis, Toulouse.

Ci-contre : Alain Josseau Time surface - Fenêtre sur cour, détail, 2009 courtesy galerie Sollertis, Toulouse.

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Pavillon Blanc

Edouard Baribeaud

« Ma démarche artistique s’inscrit dans une recherche de motifs dans des lieux insolites, de rencontres et de dialogues avec des personnes croisées au hasard de mes chemins. Partant de croquis et d’impressions recueillis sur place, les œuvres créées mettent en scène le vécu dans des visions inspirées et réinterprétées par ma sensibilité et mes références personnelles d’artiste franco-allemand. » Edouard Baribeaud, Série Heilige, Ermite, encre, bombe de peinture sur papier, 200 x 190 cm

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Maison Salvan

Yazid Oulab

« De l’Occident, j’ai hérité de la forme, de l’Orient, j’ai hérité du Verbe. Rien ne naît du hasard, le but ultime est d’arriver à l’unité. » Le thème récurrent exploré par Yazid Oulab est celui du lien et de la tension : entre les deux cultures qui le fondent, entre l’oralité et l’écrit, entre la poésie et le matérialisme, entre le sacré et le profane et, au fond, entre l’homme corporel qui « ne fait que passer » et l’homme spirituel fondé par sa pensée, son intériorité. Yazid Oulab, Mektoub (c’était écrit), fil de fer barbelé, 60 x 18 cm, 2011 © Photo : Yohann Gozard

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Festival BD de Colomiers La douce nostalgie de 25 années de bande dessinée à Colomiers nous pousse à jeter un petit coup d’œil dans le rétroviseur et à nous remémorer quelques souvenirs de ce festival : les mannequins de Fabrice Neaud desquels s’échappaient des dessins réalisés par des auteurs des quatre coins de la France à l’aide d’un fax, les auteurs belges accoudés au bar plutôt qu’à leur table de dédicace, la grotte de Marc-Antoine Matthieu où le public pouvait pénétrer uniquement à l’aide d’une lampe frontale, Edmond Baudoin et son accent chantant venu tout droit de la garrigue, les rencontres, les expositions toutes différentes… Ces souvenirs témoignent de la longévité du festival et du fait qu’en quelques années, cette manifestation a su explorer bien des pistes et ouvrir de multiples portes vers des univers très différents. De quoi nourrir l’imaginaire pour un médium qui convoque souvent les domaines de la littérature, du graphisme et de l’art contemporain. La 25ème édition n’a pas dérogé à la règle en proposant de mettre en scène la bande dessinée sous toutes ses coutures et en la mêlant une nouvelle fois aux autres arts, l’occasion de montrer qu’elle n’est pas une fin en soi, qu’elle n’est pas uniquement une histoire racontée en images. La BD s’inscrit dans un processus de recherche, de réflexion, de création qui doit interpeler les autres domaines de l’art, du cinéma, et même de la musique. Pour preuve, coup d’œil sur les expositions, avec tout d’abord CMJN par le Collectif Indélébile. Au confluent de l’installation, de l’exposition et du jeu narratif aux accents « Oubapien », CMJN a proposé au public de découvrir sous un angle unique l’univers de treize auteurs de la scène actuelle de l’édition graphico-narrative. Treize strips de bande dessinée géants se croisant et influant les uns sur les autres ont envahi l’ancien Espace des arts pour engendrer une surface singulière. Parmi eux, des monstres roses vomissant des spaghettis entremêlés à des maisons bleues au bord d’un rivage, des personnages s’écrasant littéralement sur le sol de l’exposition en face de cyclistes grimpant un col imaginaire dans l’espoir d’atteindre le plafond de la pièce. Pour seule consigne : créer une histoire en quatre cases en la faisant se croiser avec le strip d’un autre artiste. Le résultat est celui d’une rencontre éphémère entre les styles graphiques sur le mode du jeu, pour ces grands enfants que sont les auteurs BD, toujours en recherche d’interdits et de contraintes pour mieux pouvoir les enfreindre d’un coup de feutre.

Collectif Indélébile

Dans un tout autre univers, un peu caché dans un recoin du festival, les plus curieux ont pu découvrir Incidents... petites farces russes ! Dans un étonnant dédale de tapis rouges, ils ont été invités à entrer dans une datcha russe où comédiens et musiciens slaves les ont initiés à un spectacle iconoclaste, mettant en « pièces » le vieux système russe absurde et cruel. L’esthétique parfois enfantine, comme pantins et marionnettes, a dénoncé avec inventivité la dictature et la souffrance du peuple russe dans un style décapant. Créé par la Compagnie Paradis Éprouvette, ce cabaret russe est inspiré de l’album BD de Gérald Auclin, jeune auteur édité chez la très créative maison d’édition The Hoochie Coochie. 11


Cie Paradis Eprouvette. Incidents, petites farces russes ! Š Photos : Yann GachÊ

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À l’origine de la démarche, un auteur russe de textes satiriques des années trente : Daniil Harms. Il écrivait alors sous une forme particulière de courtes scènes, des vignettes qui s’adaptent à merveille au langage BD. Entre vêtements et piles de linge, sont apparus tour à tour au fil de l’exposition-théâtrale des hommes-rats, des femmes qui tombent, des militaires à chapka et des bulles de textes tout juste échappées des superbes planches exposées à l’entrée de la datcha. Entre ces expositions, des ramifications, comme autant de parcours urbains, avec les panneaux Road Strip ! qui dessinent un chemin du petit poucet entre les lieux phares du festival : le Hall Comminges et le Pavillon Blanc. Pour la première fois en effet, le Pavillon Blanc a dévoilé ses trésors de BD aux festivaliers. Plus de 12 000 albums mis à la disposition des lecteurs dans une immense bédéthèque aux couleurs du festival. Là, dans le calme des murs blancs, les visiteurs pouvaient tout à loisir s’émerveiller devant l’inventivité graphique des auteurs invités : Zeina Abirached, Jules Stromboni, Alexandre Balcaen et Choi Juhyun… Autant de façon de faire de la bande dessinée que d’auteurs.

Car c’est en cela que le festival prend toute son importance. Lorsqu’il offre à voir, à découvrir, à s’émerveiller. Lorsqu’au cœur du Hall Comminges les publics font la connaissance d’une quarantaine de petites structures éditoriales dont la production est si confidentielle qu’elle est parfois invisible aux yeux des moins avertis, lorsque les éditeurs et les auteurs prennent le temps d’expliquer leur travail et non pas de se cacher derrière une brève dédicace, lorsque le festival flirte avec les limites du genre en présentant une exposition de dessin dans le Centre d’art. C’est en cela. à ceux qui cherchent encore l’intérêt d’un festival de bande dessinée alors « que l’on peut très bien lire les BD chez soi et que les planches exposées ne sont que le reflet de ce que l’on trouve dans un album », nous répondons que l’intérêt se trouve dans l’inventivité folle qu’ont les auteurs pour faire sortir la BD de ses cases et pour le goût qu’ils prennent dans la rencontre avec les curieux. Amandine Doche

Lectures pour les enfants dans l’exposition Fleur de Géant de Nicolas Poupon

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Entretien avec Martine Michard

Martine Michard à la Maison des Arts Georges Pompidou. Vue de l’exposition Donc...

Entre la Maison des Arts Georges Pompidou Centre d’art contemporain Georges Pompidou à Cajarc et les Maisons Daura, résidences internationales d’artistes Région Midi-Pyrénées à Saint-Cirq-Lapopie, Martine Michard nous a accordé cet entretien ou elle revient sur une année 2011 florissante. Elle et son équipe préparent cette nouvelle saison 2012 qui - entre expositions, résidences, éditions et partenariats – œuvrera pour le plus grand plaisir de nos yeux. Quel grande chance de se retrouver sur les bords de la vallée du Lot. André Breton ne s’y était pas trompé...

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William Gourdin pour Multiprise : Arrêtons-nous, pour débuter, sur l’année écoulée. L’alternance entre des restitutions de résidences et des expositions a-t-elle créé un bon rythme selon vous ? Cela fonctionne t-il véritablement comme un moyen de mieux appréhender le champ de la création contemporaine ? Martine Michard : Nous avons en effet la chance de pouvoir articuler des actions entre les Maisons Daura, résidences internationales d’artistes et le centre d’art contemporain à Cajarc, soit entre un lieu de gestation et un lieu de diffusion. Le lien est fort même s’il n’y a pas toujours de relation de cause à effet comme ce fut le cas pour deux projets en 2011, Ecotone en partenariat avec un centre d’art situé dans un quartier populaire à Berlin et Histoires non encore racontées avec trois artistes mexicains. Travailler avec des artistes de tous âges et de toutes les disciplines et d’autres commissaires, est toujours une aventure singulière qui augmente le sens de chaque projet du fait d’une réflexion partagée et argumentée entre les protagonistes. Pour Ecotone, l’échange avec le Kunstverein Tiergarten s’est concrétisé par une résidence et une exposition pour Emmanuelle Castellan, Erik Göngrich, Sylvia Henrich, Stéphane Pichard. Ils ont donc séjourné sur chacun des sites et proposé un regard croisé entre Saint-Cirq-Lapopie/Cajarc et Berlin. Le contraste entre les deux contextes : une mégapole urbaine en chantier et une vallée rurale et touristique, a inspiré la recherche des artistes et le débat avec les commissaires, Ralf F. Hartmann, Claudia Beelitz et moimême. Nous avons ensuite construit ensemble chacune des deux expositions à Berlin, puis à Cajarc, en privilégiant la dynamique de recherche et d’échange jusque dans l’édition d’un journal. Diffusé gratuitement aux visiteurs, il a permis, au-delà de l’événement, de rapprocher le travail de nos deux structures opérant dans ces environnements certes différents mais pour un objectif commun, celui de la promotion de l’art contemporain. Histoires non encore racontées a développé un autre scénario. Avec Cécile Bourne-Farrell, nous avons choisi trois artistes mexicains José Manuel Arnaud Bello, Santiago Borja, Jonathan Hernández dont l’intérêt pour l’architecture, pour l’histoire de l’art et pour la circulation des idées pouvait constitué le socle commun d’une recherche. Leur immersion dans cette vallée patrimoniale pour un séjour de deux à trois mois -ils vivent tous trois à Mexico (18 millions d’habitants)- pointait les questions suivantes : quelles histoires prolonger d’un point à l’autre ? Comment le surréalisme, observé par la présence, au Mexique comme à Saint-Cirq-Lapopie, d’un personnage aussi emblématique qu’André Breton, survit-il à l’histoire ? Pendant leur temps de résidences, chacun a poussé sa propre recherche. Les contraintes assez tendues à


José Arnaud-Bello, Fontaine troglodyte, 2011. Sculpture acier et calcaire. Vue du Parcours d’art contemporain à la Source de Cas, Larnagol. Courtesy de l’artiste. Photo : William Gourdin

cette période -parce que les artistes invités produisent en effet les œuvres présentées pour le Parcours d’art contemporain en vallée du Lot l’été- ont contribué à la réalisation d’un ensemble d’œuvres importantes pour chacun des artistes, lequel a surtout trouvé son articulation dans l’exposition du centre d’art à Cajarc. En suivant, les résidences d’automne aux Maisons Daura ont accueillies Hélène Moreau, Pierre Clément et John Philipp Mäkinen. Pour cette période, le rythme change puisque les artistes développent des projets individuels sans contrainte de production. La mise à disposition d’un vaste atelier et le relatif confort des conditions de résidence, ont favorisé pour chacun une intense période de travail. Ils ont réalisé des pièces nouvelles qui seront présentées à l’occasion leurs prochaines expositions en d’autres lieux et places. Avec les résidences, nous sommes au cœur de la création, dans une intimité rare à la conception d’une œuvre et, pour le public qui y a accès, cela représente un rapport tout à fait privilégié à l’artiste et à l’œuvre. Nous sommes très attentifs à cette spécificité des résidences. Au centre d’art, nous avions démarré l’année avec Pages, une exposition collective rassemblant plusieurs jeunes artistes issus en grande partie de l’École des beaux-arts de Toulouse, autour des nouvelles formes de l’édition. Nous l’achevons avec la seule

exposition monographique en 2011 : Donc… qui fut l’occasion de saluer le travail assidu de Bernard Quesniaux, artiste déjà repéré sur la scène artistique et dont les recherches picturales radicales dévoilent toujours de belles surprises, à l’instar de ses dernières toiles et de ses premières vidéos produites pour Cajarc. Elle était une fois a aussi été très bien accueille par le public et par la presse. Le propos, un ensemble d’oeuvres de femmes, choisies dans les collections du Frac et de l’artothèque, était risqué. Mais la force des œ zuvres et leur dialogue a fonctionné, faisant de cette exposition hors les murs, un rendez-vous pour l’art à Gourdon. Ainsi, notre ambition d’accompagner la réflexion des artistes, de faciliter leurs recherches et d’offrir au public une approche sensible des œuvres, s’est attaché à la présentation de talents prometteurs comme d’artistes confirmés. Nous continuons d’articuler des points de vue sur l’art en train de se faire afin de souligner la dimension prospective, la qualité de laboratoire d’expérimentation de notre structure et la dynamique d’une pensée en mouvement nécessaire à l’exercice ce notre métier. En 2012, nous poursuivrons dans ce sens avec la présentation des photographies de Bernard Dufour, artiste vivant en Aveyron depuis 1962, et qui n’a pas encore bénéficié dans la région d’une exposition à la hauteur

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de son talent largement reconnu par ailleurs. Puis, nous accueillerons pour une carte blanche à l’automne Guillaume Pinard et son univers de tendres et cruel dessins. WG : Vous travailler sans cesse en réseau avec les autres acteurs de Midi-Pyrénées, dans le domaine curatorial et éditorial. Ces collaborations entre différentes structures locales, régionales voire internationales sont devenues indispensables pour pouvoir toucher le plus grand nombre ? Ou tout simplement pour pouvoir diffuser l’art contemporain avec une ouverture sur le monde nécessaire ? MM : Evidemment, il serait ridicule et inefficace de prétendre agir seuls en ce sens. Nous travaillons en réseau parce que c’est d’abord un plaisir en termes d’échanges et une nécessité en termes de budget. Au-delà de la mutualisation des moyens, j’ai toujours pensé que nous étions plus intelligents à plusieurs. Dans le Lot, nous fabriquons à quelques uns, la revue Le Regardeur, avec la complicité du Conseil Général. C’est une aventure exemplaire tant pour la qualité du contenu que pour l’émulation que les recherches suscitent dans nos équipes respectives. Les différentes autres collaborations à chacune des échelles territoriales et internationales multiplient les formes de diffusion de l’art contemporain, les chances de le faire connaître, de mettre en avant le travail des artistes et d’y associer le public. WG : Vous débutez l’année 2012 avec l’exposition Louyétu ? Et si c’était un jeu... Programmée dans le cadre de la quinzaine culturelle Graines de Moutards, elle s’adresse plus spécifiquement au jeune public. Depuis toujours vous avez été attentif au regard des enfants dans l’art et la manière dont ils peuvent appréhender le travail des artistes. Cet intérêt s’illustre également au travers de l’édition POM*POMpidou ! le journal des enfants. Ce public est il une priorité pour vous ? MM : Bien sûr. Les enfants d’aujourd’hui sont le public de demain. Or, chacun sait que tous les enfants sont curieux et très réceptifs à la découverte de nouveaux domaines. Ils ont moins d’inhibition que beaucoup d’adultes. Notre équipe se mobilise activement depuis deux ans en direction du public famille. Il s’agit d’attirer les adultes via l’intérêt premier des enfants. Quant au journal des enfants, il est une émanation de la réflexion de notre équipe. Marie Deborne, chargée des publics et Hélène Maury, chargée de communication, qui en a trouvé le titre, travaillent en duo pour réaliser ce document très apprécié des enfants et des adultes.

Auguste montre le mensonge qu’il a réalisé au cours de l’atelier Pom*Pompidou ! Photo : magp 16

WG : Les résidences 2012 sont parrainées cette année par Pierre Soulages. Une caution nécessaire pour les Maisons Daura ? Pouvez-vous nous parler des artistes sélectionnés et


du regard qu’a pu amener Pierre Soulages sur cette génération d’artistes ? MM : Les résidences accueillent des artistes de tous âges et de toutes disciplines, mais la plupart sont plus jeunes et ne bénéficient pas d’une telle notoriété. L’intérêt de Pierre Soulages pour les résidences, est un point positif pour l’image des Maisons Daura. Son parcours d’artiste originaire de la région et ayant aujourd’hui une reconnaissance internationale peut représenter un horizon d’espoir pour les générations plus jeunes. Le contexte de l’époque est certes différent de celui dans lequel Pierre Soulages a évolué, mais sa curiosité est un signe d’attention à ce qui se produit aujourd’hui. Les six artistes accueillis au printemps travailleront pour la prochaine édition du Parcours d’art contemporain en vallée du Lot, dont l’inauguration est prévue le samedi 7 juillet. Ils ne se connaissent pas et se découvriront prochainement avant de séjourner ensemble entre avril et juin. Renaud Bézy, Suzanne Husky, Frédérique Loutz et Ernesto Castillo, Philippe Poupet, Alexandra Sa, ont toute liberté pour nous surprendre par leur pro

positions. C’est à chaque fois un pari sur la capacité des artistes à fédérer un projet commun à partir de leurs recherches personnelles. Un défi au temps et le pari que l’art contemporain permet de renouveler le regard sur un patrimoine plutôt exceptionnel. WG : Pour terminer, que vous inspirent les dernières nominations d’Yves Robert à l’École des Beaux-arts de Toulouse et d’Olivier Michelon à la tête des Abattoirs ? Un renouveau nécessaire et salutaire pour Toulouse et sa région ? De nouvelles collaborations en perspective ? MM : Le territoire régional est riche d’initiatives en art contemporain. En tant qu’acteurs de ce territoire, nous sommes très concernés par ces deux importants changements. Ils ouvrent une nouvelle période dont nous espérons qu’elle saura dynamiser les partenariats engagés et développer d’autres échanges pour valoriser le réseau régional à l’échelle nationale et internationale. Nous sommes donc impatients d’avancer en ce sens et souhaitons la bienvenue à nos nouveaux collègues !

Ci dessous : Suzanne Husky, WASH. Image extraite du court métrage WASH, 2011. Courtesy de l’artiste.

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les Abattoirs, clap one

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Dans quelques mois, les Abattoirs vont changer de patron et certainement de chefs de sections. Tout a donc une fin et un recommencement, et il n’y a de raison que d’en prendre acte. Alain Mousseigne, dont il est de notoriété publique qu’il est mon ami depuis que nous nous sommes rencontrés sur les bancs de l’Institut d’art de la rue du Taur, voici quelques décennies déjà, va donc prendre sa « retraite » et céder sa place à un(e) nouveau(elle) arrivant(e). Je suis convaincu que la personne qui lui succédera démontrera d’autres options et d’autres ambitions pour gérer cette institution, même si pour l’instant je ne sais pas encore dire si elles m’agréeront ou conviendront. Wait and see, en souhaitant que ce soit pour le mieux. Ce n’est pas pour autant nonobstant qu’il faut se complaire à tirer à boulets rouges sur le partant, comme s’il avait tout faux et qu’il était urgent de le voir déguerpir, tel que le laissent entendre des articles déplacés et les comportements de l’actuelle Présidente du lieu. Je ne pense pas avoir caché mes sentiments vis-à-vis des activités qui se sont déroulées dans ce navire, et c’est non seulement mon obligation de professionnel de l’art, mais aussi le devoir éthique de mes engagements de critique et donc de « commentateur » qui ont toujours primés dans ces cas-là. Je renvoie pour vérification aux articles que j’ai livrés dans ces mêmes colonnes dans quelques numéros antérieurs sur certains Printemps et sur l’exposition Barceló, en vrac, ou sur d’autres que j’avais la chance de voir publier dans le joyau libertaire qu’a été feu Papiers Libres. (Puisque j’évoque ce genre de livraisons, je signalerais en passant, mais vraiment juste en passant, que la dernière fournée printanière est des plus affligeantes, et que si on ajoute celle-ci à la juste antérieure, c’est préoccupant de médiocrité et de fatuité graduelle, mais bon…). Les Abattoirs est un beau projet. Il a cependant été malmené dès son début, à commencer par certaines options architecturales de Stinco et quelques impératifs patrimoniaux qu’il a dû suivre de surcroît, qui font que ses dimensions, ses espaces, ses circulations, sont assez rébarbatifs sinon inadéquats et qu’il est toujours pénible, littéralement, de gravir l’escalier pour arriver au dernier étage, bas de plafond et dont les allures d’HLM sont quasi rédhibitoires. Pourquoi diantre n’a-t-on pas conservé le bijou de béton cubique qui jouxtait le bâtiment initial, pour déployer là un espace d’ « expositions » et favoriser la monstration changeante de la

collection au sein de la nef vénérable ? Je sais que c’est une option qui tenait à cœur à Alain Mousseigne, mais que dans l’indécision urbanistique qui trônait en ces temps dans le giron municipal, elle a été écartée sans trop de raison. Autrement dit, conséquence irréparable, on manque cruellement d’espace pour travailler « convenablement » dans cette usine et pouvoir répondre dès lors en permanence au cahier des charges qui implique quand même de donner une part égalitaire au musée « moderne » et au FRAC « contemporain ». Autre hic moins visible sans doute, mais vérifiable tout au long de la décennie écoulée, le budget de fonctionnement n’a pas connu de soubresauts manifestes et, inflation aidant, il a fait l’objet d’une érosion conséquente qui a obligé le staff à baisser un peu la périodicité de la programmation, ou à aller puiser des solutions « partenariales » qui n’ont pas fourni les meilleures expositions, c’est vrai… Je vais m’abstenir de ripper ici sur des commentaires malheureusement réitératifs sur l’indigence de la plupart des « politiques culturelles » menées par de successives municipalités tant à Toulouse que dans d’autres villes d’ailleurs, comme, plus sérieusement, sur les « déplacements » qui affectent la gestion et le fonctionnement des FRACs et des Centres d’art en général, où on ne sait plus uniquement sur quel pied économique danser, mais plus globalement sur quelle valse vernaculaire / mondialiste le faire… Sans trop insister sur ces généralités hexagonales et pour revenir sur ma chère molasse toulousaine de base, les événements qui se sont déroulés aux Abattoirs sont tout de même remarquables et méritent considération, malgré l’avis de la Présidente en titre qui se plaignait dans les colonnes d’une Dépêche récente de ne pas voir s’y afficher un résultat « à la hauteur de la quatrième ville de France », sic !! Sans jouer à l’agent comptable, bien que je pense être mieux placé que cette dame pour évaluer les prestations des organismes muséographiques dans notre pays et un tantinet ailleurs, je crois néanmoins qu’avoir réussi à obtenir bon nombre d’œuvres de la collection Deney, d’avoir trouvé un gîte favorable à la donation Cordier qui a priori débordait un peu dans les enfers du Big Boburg, comme d’avoir hérité de quelques pièces conséquentes de la Galerie de Rodolphe Stadler après la disparition de ce dernier, place l’affaire

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dans quelques AAAAA indiscutables. Ou alors on passe sous silence – dire que l’on avoue en ce cas serait plus juste – son ignorance en la matière et l’on s’autorise un genre de confusion malheureusement trop pratiquée par quelque bord politique et gestionnaire que ce soit aujourd’hui, en se mélangeant les pinceaux entre une supposée « excellence » et une dévaluée « compétence ». On pourrait en rire si ce n’était pas too much, merci, et si ce critère vaguement énarco-économique ne suffisait à justifier une pratique de politique culturellement absurde et déplorable, s’évertuant à jouer le grand écart démagogique entre, pour brasser large et citadinement consensuel, une absolution aveugle du tag et une fascination inatteignable du bling-bling. Évidemment, à l’aide de telles aunes pour recours, il est peu surprenant de voir se déclencher les gémonies sur les partants et les déclarations hilarantes de béatitude qui affirment que le désir « des gestionnaires (va) vers un nouveau directeur emblématique qui fasse rayonner les Abattoirs » !! Assené comme tel, ça a des allures de mot d’ordre plutôt impératif, mais, je le répète, on fait aussi avec les moyens que l’on a, et si l’on veut que ça « rayonne » à l’avenir, va falloir penser à réamorcer la pompe à fric d’une manière conséquente !! Bien que le poser ainsi soit un vrai/faux problème. Les Abattoirs ont affiché un réel investissement dans la programmation d’événements, tant dans le rayon « moderne » que « contemporain ». Que l’on puisse en discuter et spéculer sur les contenus et les options est heureusement louable, bien qu’il soit désagréable d’avoir à se confronter régulièrement aux jugements déplacés des fameux « gestionnaires » ci-dessus pointés. Que la quatrième ville de France n’ait été capable que de montrer, en vrac, Blast to Freeze, Retours de Chine, L’œuvre collective, les

Saura, Simonds, Gursky, Rouan, Gette, les Kabakov, Wang Du, NeoFutur, Marfaing, Kusama, Hubaut, Hantaï, Soulages, la collection Venet et autres Printemps, n’est quand même pas si mal, et entre inventaire et bilan, on peut faire pire… Ou alors on considère la chose par un bout de lorgnette urticant, qui ne peut cacher une répulsion plus ou moins avouée pour l’art en général et pour le contemporain en particulier, considérés comme des joujoux pour une élite oisive ; ou au contraire, mais c’est tout comme, en trépignant d’envie de prendre la place du calife puisque a priori n’importe qui pourrait « gérer » ce n’importe quoi qu’est soi-disant l’art. Si on en est là, c’est mal parti et on est en droit de s’inquiéter sur les directions que l’on voudra voir adoptées aux Abattoirs, sous couvert de le faire « reluire » ! A l’heure des départs, puisque c’est non seulement Alain Mousseigne mais également Pascal Pique qui quittent la nef, l’intelligence consisterait davantage à les « remercier » objectivement pour leurs engagements et leurs – bons – résultats. Objectivement donc, je ne vais pas insister, le boulot accompli a été remarquable, et je ne pense pas que (ma) distribution de points sur tel ou tel événement soit fondée ici se faisant, d’autant qu’elle fait partie du schmilblick qu’il s’agisse de Toulouse, de Paris, de Barcelona ou de Pékin ! Subjectivement, c’est un peu différent, et je sais que Alain est un peu affecté de quitter le bastringue, dont il a été le concepteur et le promoteur, merci, ce qui lui a valu de gagner une médaille en chocolat, re-merci. À l’heure où les idéologies cèdent la place aux politicailleries, il me plaît de saluer l’action qu’il a entreprise et de vérifier qu’il n’a œuvré que pour un seul parti, celui de l’art, ce qui est déjà considérable et mémorable en soi. Ramon Tio Bellido

N.B. Entre la rédaction de ce court envoi et la parution de cette nouvelle version de Multiprise, les dés ont été jetés et la nomination de Frédéric Michelon comme directeur des Abattoirs prononcée. D’après les échos que j’ai pu glaner, il convient a priori de s’en réjouir, et tant mieux. Reste à voir comment il décidera ensuite de constituer son équipe et d’infléchir les directions et les contenus de son programme d’expositions et de manifestations, ce qui devrait commencer à frémir dans un an, une fois les travaux de réfection de la dalle de la nef centrale plus autres bricoles de rafraîchissement menées à terme. Wait and see donc !! 20


Jules Stromboni. Croquis

09|12|10 + 10|12|10, format A5, stylo bille sur papier, 2010


v


13|12|10 + 14|12|10, format A5, stylo bille sur papier, 2010


03|04|10 + KOPPELO, format A5, stylo bille sur papier, 2010


Une promenade entre ateliers

Lara Almarcegui

Il faut un début à tout pour parfois, un jour, « découvrir » un lieu, un site, un contexte, où depuis pas mal de temps déjà ont lieu des activités et des propositions plutôt estivales, qui, sous forme d’ateliers ou autres, offrent à des artistes l’opportunité de créer dans un cahier des charges un peu inédit, un peu « décalé ». J’avoue n’avoir jamais mis les pieds aux Arques, village quelque peu éloigné de routes et d’itinéraires plus habituels, malgré la présence d’un Musée Zadkine et de belles chapelles romanes, avant qu’Eva Gonzalez Sancho ne m’ait informé qu’elle en était l’été dernier la commissaire des Ateliers qui s’y déroulent. Comme il faut de surcroît donner un thème/titre à ce type d’exercice, Eva avait eu l’idée de nommer l’entreprise « Promenade », avec une nette référence au bouquin éponyme de Walser. Soit, l’occasion était trop belle pour aller flâner en ces terres inédites, en suivant les chemins volontiers déroutants qu’auraient tracés pour nous les artistes invitées.

J’y parvins après avoir décroché de l’autoroute sortie Cahors Nord et suivi des routes un brin sinueuses, croisé des chemins, des champs et des espaces très arborés, vu des troupeaux placides de vaches broutant ou gisant pour se reposer, et perçu à satiété des murets et des clôtures construits de cette belle pierre calcaire qui affleure à tous coups dans cette région énigmatique et généreuse. Le Quercy… Je connais bien ce joyau, j’y vaque depuis longtemps déjà, mais de l’autre versant de la nationale, direction Gramat, Rocamadour, Alvignac, où j’ai des accointances familiales. J’y vois idem trop de faux-neuf/faux-vieux s’égrener à qui mieux mieux, en restaurations/réparations/imitations, mais il faut de tout pour faire un monde et vogue la galère... À la réflexion, je ne vois pas très bien comment on peut s’autoriser à empêcher ou interdire ça, sinon à s’y immiscer de promenade en promenade ety ajouter maints petits grains de sel aussi idoines que perplexes. Se promener, c’est relever des indices et comparer des informations. 25


Rêvées, fantasmées, vérifiées, enregistrées, elles restent changeantes et renouvelées. Un exercice pas très loin d’une sorte de correction réciproque, de souhaits et de désirs, qui nous verrait intervenir par retrait ou ajout, par mise au point ou mise en forme. Un exercice périlleux cependant, qui peut assez tôt sombrer dans la carte postale ou dans le bâillement d’un farniente, et s’abîmer ainsi dans une indifférence productrice qu’on a du mal à classifier dans une activité aussi sudatoire neurologiquement et sensiblement qu’est sensée l’être l’acuité d’un regard artistique. Il y faut une sacrée mise au point optique, qui fait fi de moultes concessions et n’hésite pas à fureter dans le non vu des apparences pourtant déjà proches des richesses d’un merveilleux égal à celui qui dispense cette région. C’est heureusement ce à quoi s’étaient adonnées les cinq artistes invitées par Eva. Au seuil sud du village, dans la logique de son travail de ressourcement et de calibrage, Lara Almarcegui avait su bénéficier de la démolition programmée d’un entrepôt de nature inqualifiable, dont elle avait relevé les compteurs de l’entreprise, annoté au jour le jour dans sa réalisation. Tout près de là, et pour s’évertuer à faire mentir les tourments d’Adorno qui constatait qu’il n’y aurait plus « d’évidence dans l’art », elle avait fait heureusement dégueuler son propre poids de pierres à une grange vénérable qui laissait à peine déborder hors de ses arcatures les bases arrondies des pyramides agencées en son sein.

Indiquant virtuellement l’osmose entre poids et volume, une telle opération induisait un regard complice avec le bâtiment ainsi sursignalé. Quelque chose proche de l’attendrissement, voire de la compassion, tout au moins du respect, face à la vérification de la prouesse technique et de la sueur nécessaire pour ériger une telle bâtisse, qui gagnait ainsi des galons mnémotechniques manifestes à l’heure où le vernaculaire est quelque peu malmené… Sur le chemin de la Chapelle Saint-André – qui recèle soit dit en passant des fresques romanes plutôt intrigantes dans leur maladresse sensible mais fidèlement propres aux programmes de ces temps-là –, on notait tout à coup la présence d’un tracé incongru, de belle dimension, fait de rangées de tuiles, sur une prairie inclinée longeant la route. Il fallait prendre la peine de regarder l’objet ainsi construit depuis plusieurs points de vues, sans jamais réussir à l’appréhender entièrement. Depuis l’orée d’une rangée d’arbres quelque peu en amont, on l’apercevait « de dos », saisissant qu’il s’agissait du dessin du profil d’un félin à la queue incurvée, aux pattes ramassées comme prêtes à bondir, à la tête nous narguant de pleine face. On prenait alors le temps d’en suivre les contours en longeant les sinuosités et les entrelacs des lignes dont les volutes enclenchaient toutes sortes de rêves et d’images. Gitte Schäfer avait utilisé les motifs de deux chats prélevés dans des broderies mexicaines, qu’elle avait combinées ici, en les adaptant et en les déployant de surcroît à la surface du champ où elle avait choisi d’intervenir. En multipliant à escient de tels mélanges,

Dominique Ghesquière Maison de la sorcière

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elle autorisait d’autres connotations, comme celles des gravures rupestres si proches, ou celles des tracés surdimensionnés d’un Nazca devenu tout à coup quercynois. Sans omettre d’y ajouter l’incongruité bienvenue de la tuile romaine, dont la rotondité affable convenait davantage à la lisibilité solaire de l’intervention plutôt que l’utilitaire irrémédiable de la lauze locale, choix propice à la sensibilité un tantinet chamanique de l’artiste… Juste de l’autre côté de la route se trouvait une cabane dont il faut pousser la porte, pour apercevoir, dans une pénombre apaisante, la présence d’une buse quelque peu endormie, juchée sur une caisse assez délabrée, elle-même reposant sur un fût de pneumatiques usagés, le tout s’intercalant dans un amas de détritus et de vieilleries entrelacés d’autant de toiles d’araignées. C’était plutôt inattendu, insolite, et on se demandait ce que pouvait bien faire là ce noble bestiau, sinon à s’interroger s’il n’avait pas été attiré là par la présence d’une grappe palpitante de chauve-souris, mais il était heureusement légitime d’en douter ! S’il n’y suffisait pas, Dominique Ghesquière nous entraînait ensuite dans le sentier d’un bois où s’affichaient soudain deux gouttières inattendues, comme les restes de la présence d’une maison que laisserait accroire la virtualité d’une ruine esquissée par un affleurement rocheux. Ainsi considéré, on se demandait si on n’était pas en train de nous la jouer « trop beau pour être vrai », mais même les contes de fées ont une fin, ce que nous confirmait l’artiste avec sa « marelle-stèle », dont les pavements graciles se terminent par un demi-cercle figé, qui contient à lui seul un « ciel » inatteignable. La proposition de Katrin Sigurdardottir paraissait plus « radicale » dans sa relation à la promenade, laquelle, invariablement, nous conduit à l’interrogation du site, de ses qualités réelles ou supposées, de son identité en quelque sorte. Même si l’on peut virtuellement faire feu de tout bois, on a vérifié depuis longtemps – depuis toujours ? – qu’il y suffit de peu (d’imagination, de conventions, d’utopies) pour que nos voyages s’arrêtent « au bout de notre chambre ». Autrement dit, que la substitution d’un lieu pour un autre s’opère à plein, dès lors qu’elle nous convient, y compris dans la relativité qualitative qu’elle instaure. Ancrée aux Arques le temps d’une proposition, l’artiste n’a pu, comme les autres intervenantes, qu’enregistrer la beauté indiscutable des environs, la potentialité opérationnelle de leur jouissance et de leur transcription. Comme s’il s’agissait d’un travail d’arpentage en quelque sorte, de relevés ou de comptabilisation. Donc de comparaison qui, à l’instar des leitmotivs de maints guides touristiques, ânonneraient les vertus paradisiaques de ce type de contrée. C’est pourquoi elle avait imaginé, comme en un parfait contre-pied, de transplanter un contre-exemple de ce qui peut être rencontré ici, en téléportant, en quelque sorte, l’archétype le plus commun de la maison middle class américaine telle qu’elle a été construite à foison dans l’après-guerre. Et délibérément, une telle chose ne

pouvait éclore que dans la ville de Nowhere, Ohio, soit le pur saintglinglin yankee local. Est-ce qu’une telle chose est plus « laide », incongrue, insolite ? Difficile à dire, n’est-ce pas, tellement l’indifférent s’est singularisé via le pop et la conso à outrance. C’est pourquoi l’artiste, avec perspicacité, n’avait jamais envisagé de déplacer l’ustensile en soi, mais de faire pousser des essences américaines qui viendraient se détacher par leur croissance des essences herbeuses locales. Preuve que la promenade, c’est essentiel. C’est d’autant plus essentiel qu’il fallait quand même que l’une d’entre elles s’attaque à la gloire locale pour en faire un bon tour, pour nous entraîner en quelque sorte dans l’inachevé d’un périple irrésoluble. Susanne Kriemann avait donc frappé à la porte du Musée Zadkine et quémandé la permission de le portraiturer littéralement sous tous les angles. Accordée. Elle avait donc non seulement shooté les sculptures et les tapisseries, mais aussi des cartes postales, des photos prélevées dans des catalogues et autres documents. Elle avait ensuite composé un « livre » d’images, théorie assez fascinante esthétiquement, d’impressions en C-Print, que l’on feuilletait assis sagement, un peu comme un archiviste compulsant un incunable. Résultat, une source inédite de détails forcément toujours révélateurs, dont l’un des moindres est de voir s’arrondir le fessier pourtant décharné d’une sculpture sur bois et de constater qu’elle est dangereusement criblée d’attaques de capricornes, ou encore de voir s’ocrer inexorablement tant la paroi contre laquelle s’appuie une autre œuvre que la pièce elle-même. C’était plutôt déroutant. Peut-être parce que, comme toute manipulation inquisitrice, l’objet est parvenu à me réconcilier un peu avec l’impétrant – une des raisons autant l’avouer pour lesquelles, malgré l’affiche a priori alléchante, je n’avais jamais jusqu’alors bondi aux Arques… –, mais surtout parce que ça nous renvoyait à du salutaire quant à la relativité des choses et à leur perception. Lorsqu’on visite, n’est-ce pas, nous sommes aussi promeneur, mais nous sommes indéniablement également promenés. C’est du corps social qui n’arrête pas de se balader, et ça se joue toujours, au moins, à deux. Action en face à face, car même si on se croit unique c’est toujours un peu beaucoup les autres qui la ramènent comme nous le rappelle le Père Duchamp.La démonstration estivale concoctée par Eva aux Arques nous le confirmait – dévoilait ? – pertinemment, sinon salutairement. C’était tout bénef d’y faire un tour. Dont acte, validement estampillé. Ramon Tio Bellido

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Un tremblement dans les sens

BĂŠatrice Utrilla, DVD Maintenant, 2012. ĂŠditions EDV Distribution

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Un monde large, immense, celui dans lequel nous errons sans cesse. Comme l’éloge de la perte de soi. Même si l’œil est collé au détail, si les cils se frottent tout contre l’objet visé, c’est l’univers entier qui prend ses aises dans les images de Béatrice Utrilla. Images multiples, photographiées, photocopiées, filmées, dialoguées, habitées par la musique. Ici, toutes les formes sont mises en jeu dans une vaste partition plastique reconnaissable entre mille. J’ai rencontré le travail de Béatrice une première fois il y a plus de 10 ans, des sténopés noirs et blancs qui montraient la vie dans ses dimensions les plus nobles et les plus élémentaires, la terre retournée, le feu à la flamme vacillante. De petits formats comme des icônes fragiles et intenses irradiaient de leur présence unique. Depuis, nous avons travaillé ensemble à de nombreuses reprises et j’ai eu le privilège de voir son œuvre se déployer sans limite, habiter les confins des sensations humaines. Chez elle, l’histoire intime est à l’origine de chacune de ses œuvres, mais ce dialogue personnel revêt toujours des dimensions universelles où ondulent doucement les reflets de chacun de nous. Des nuits les plus sombres aux tempêtes meurtrières heureusement ponctuées d’incommensurables instants de joie, Béatrice Utrilla restitue dans son langage propre ses expériences les plus troubles comme pour nous immerger dans un univers aux contours impalpables. Dans le fatras lowcost de ce XXIe siècle en berne, son travail est un diamant brut qui scintille de tous les feux de nos psychés contemporaines. Manuel Pomar

EDV Distribution a rassemblé dans le DVD Maintenant cinq films réalisés par Béatrice Utrilla en collaboration avec les artistes Bertrand Arnaud, Michel Cloup et Sébastien Martinez Barat : Je sais où tu es maintenant, Je te quitte, Emma B. est dans le doute, Work in progress et Quand il s’agit de Kevin. Cet objet co-édité par EDV Distribution, le Musée Calbet et Lieu-Commun, est édité à 500 exemplaires avec un livret de 16 pages qui présente des extraits du dernier travail photographique de Béatrice Utrilla, la série Les adolescents, ainsi que quelques pistes textuelles sur son parcours et son œuvre avec le texte révélé ci-dessus, mais aussi ceux de Yvan Poulain, directeur du Musée Calbet à Grisolles, et Andrea Urlberger, historienne de l’art. Les vidéos sont présentées dans ces pages avec images et synopsis.

Liste des films : Work In Progress, 27’, 2004-2007 Béatrice Utrilla / Michel Cloup Je te quitte, 3’ 54”, 2008 Béatrice Utrilla / Bertrand Arnaud Emma B. est dans l’ombre d’un doute, 4’ 52”, 2009 Béatrice Utrilla / Bertrand Arnaud Quand il s’agit de Kevin, 8’ 59”, 2010 Béatrice Utrilla / Sébastien Barat Martinez / Michel Cloup Je sais où tu es maintenant, 7’ 08”, 2011 Béatrice Utrilla / Michel Cloup

EDV (Evénements & Distribution Vidéo), association créée en 2001 à Toulouse, a pour mission de promouvoir des artistes travaillant la vidéo et sensibiliser le public à l’utilisation de ce médium. EDV a organisé des expositions, des workshops, des ateliers et des résidences d’artistes en collaboration avec divers lieux de diffusion d’art contemporain et propose également la réalisation de programmes d’art vidéo. Depuis 2006, EDV Distribution édite, produit et distribue des œuvres d’art vidéo d’artistes internationaux.

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Debord plunderphonique Détournement en Ré mineur

« Non seulement le détournement conduit à la découverte de nouveaux aspects du talent, mais encore, se heurtant de front à toutes les conventions mondaines et juridiques, il ne peut manquer d’apparaître un puissant instrument culturel au service d’une lutte de classes bien comprise ». (Guy Debord, Gil J Wolman, Mode d’emploi du détournement, 1956)1

En haut : Fragment découpé d’une publicité pour le cinéma utilisée par Guy Debord en ouverture du film In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni, 1978 30

C’est l’histoire du détourneur détourné. D’un côté Guy Debord, théoricien marxiste, stratège révolutionnaire, poète et cinéaste, fondateur de l’Internationale Situationniste (19571972), auteur de La Société du spectacle (1967). De l’autre, cette fichue société du spectacle qui a eu raison de Guy Debord. La révolution situationniste a échoué. Le détournement a le vent en poupe: on a ainsi vu David Bowie vendre des bagnoles allemandes grâce à un jeu concours de mash-up de ses propres chansons (sic). Et Debord, plus récupéré que jamais, fournir un vademecum à tout crétin qui se voudrait subversif : de l’UMP, où on le cite en communiqué de presse contre la primaire socialiste2, aux foires de l’art contemporain qui ne se passent pas sans qu’un fabricant de marchandises artistiques ne se pique de le citer… en passant par moi-même qui vous écrit dans ces pages.


Guy Debord a pratiqué toute sa vie le détournement. De Mémoires (1957), splendide collage littéraire, à In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni (1978)3 où se mêlent critique de la société spectaculaire et apologie autobiographique, il n’a cessé de récolter, organiser et réarranger des fragments de culture. Vers d’Héraclite, pin-up de Playboy, articles du code civil, extraits de Johnny Guitar, la liste est immense. Le détourneur est d’abord un sampleur. Un certain courant du sampling contemporain partage avec Debord, sinon les mêmes intentions, au moins la même sensibilité : une certaine nostalgie dont se nourrit l’impatience de l’avenir, une critique sinon en mots, toujours en acte, du présent; en somme, une certaine façon d’être contemporain : être un romantique révolutionnaire, pour reprendre l’expression forgée par Henri Lefèbvre en 1957. Ce courant, le plunderphonics est né dans les années 60, avec James Tenney4 qui bousillait Blue Suede Shoes d’Elvis en triturant des bandes magnétiques. Le terme est forgé dans les années 80 par John Oswald5, qui mélangeait en 1975 les guitares jugées sataniques de Led Zeppelin avec le discours d’un évangéliste illuminé. Son premier album, Burrows, dit assez ce qu’il considère devoir à William Burroughs et Brion Gysin, grands praticiens du collage, le fameux cut-up. Viennent ensuite Negativland, People Like Us, ou plus récemment Cassetteboy. Ces artistes ont en commun de ne pas se définir comme tels. Ils détournent, samplent, et réarrangent des sons produits par d’autres, et du constat d’une impossible nouveauté, ils élaborent d’étranges objets sonores non identifiés, agrégats sonores, machines à explorer le temps, cinéma sans écran et sans images, ou alors intérieures et de mémoire. Voilà pour le côté romantique de ces révolutionnaires – à une époque où le passé lui-même est réifié en une poignée de clichés et de leçons non tirées et, tous les yeux, rivés vers les avenirs riants de l’éco-marketing et de l’aliénation cybernétique6, il y a déjà une certaine audace à revendiquer un droit à la nostalgie, à l’analogique qu’on collectionne amoureusement et qu’on transforme, digitalement certes, en anti-marchandise. Rien que ça. Je m’explique. Contrairement au mash-up officiel, qui double peut-être le plaisir de danser en mélangeant deux hymnes de la pop musique, mais double d’abord les royalties, le plunderphonique reste impropre à la consommation par l’industrie culturelle légale. En effet, le

droit dit d’auteur, depuis longtemps détourné en protection des intérêts des distributeurs, a produit ses propres monstres délictuels – splendides casses-têtes juridiques dont les mille samples sont autant de litiges potentiels. L’industrie culturelle a ainsi créé son cancer et les conditions technologiques de sa généralisation. Contrairement au « culture jamming », concept inventé comme une boutade par Negativland, mais récupéré et transformé depuis en comble du chic protestataire par le torchon canadien Adbusters, le plunderphonics, comme son nom l’indique, est un pillage, un vol, une mise à sac – et non une manière d’enrayer temporairement la machine par l’achat d’espaces publicitaires pour y critiquer la publicité (sic). Contrairement à la plupart des arts de la subversion, à commencer par le très en vogue « artivisme », le plunderphonics est récalcitrant à toute récupération, fût-elle bienveillante, comme ici. On peine à décrire et partager ces produits, tant ils s’opposent à l’exposé académique ou journalistique. Quand il entre dans le système marchand, comme Christian Marclay7 que représente la galerie new-yorkaise Paula Cooper, le praticien plunderphonique devient « artiste » et ne peut plus proposer que d’inoffensifs ersatz plastiques de sa praxis corrosive. Quoique fascinantes, ces œuvres ont clairement cessé de se heurter « de front à toutes les conventions mondaines et juridiques ». Il ne s’agit donc pas de dire que tous les praticiens plunderphoniques sont lecteurs de Debord, mais ils constituent l’avantgarde d’un nouveau prolétariat unifié de la culture. Enfants ni de Marx, ni de Coca Cola, ou alors de vrais sales gosses, ils participent du bouleversement de la relation consommateur/producteur, mais l’orientent vers un bouleversement qui ébranle jusqu’à la superstructure économique de la culture, et partant, de la société. C’est autre chose que de poster sur facebook des marchandises involontaires qui alimentent de très profitables banques de données. Mais quel est ce nouveau prolétariat unifié « d’une lutte des classes bien comprise » ? Peut-être la classe que définit McKenzie Wark en proposant une conception élargie du hacking à toutes les pratiques qui mettent à mal les dispositifs marchands des distributeurs : des attaques cybernétiques contre le Pentagone au visionnage de votre série préférée en streaming, nous sommes tous des hackers. L’intérêt d’une extension maximaliste de la classe dangereuse des hackers est la prise de conscience que l’action collective, dans et contre la culture, dans ses conditions actuelles de circulation peut amener à un « grand détournement », un autre mot peut-être pour la révolution. 31


La musique plunderphonique a donc tout intérêt à poursuivre la diffusion de ses œuvres illégales, à promouvoir sa pratique, tout en évitant la récupération – pour l’heure, impossible, en l’état du système juridico-économique de la culture. La fenêtre est étroite, certes. Et pourrait vite se refermer tant le spectacle est prompt à récupérer sa propre contestation. Deux issues, donc : 1/ C’est l’histoire du détourneur détourné / C’est toi le détourneur / C’est celui qui dit qui l’est / Miroir / à l’infini / In girum imus nocte et consumimur igni / nous allons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu.

Guy Debord, Message situationniste, bande magnétique, 1959. © 2010 éditions allia 32

2/ C’est l’histoire du détourneur détourné, sans possibilité de retour de flamme / mise à sac de la culture / culture plundering / les révolutions ont besoin de bande son. Et quel son ! Emmanuel Guy 1

www.infokiosques.net/spip.php?article320

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www.u-m-p.org/sites/default/files/fichiers_joints/communiques_presse/

cp_sh_5_octobre_20111.pdf 3

www.ubu.com/film/debord_ingirum.html

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youtu.be/xC7sdH2XvbU

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www.plunderphonics.com

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nyan.cat

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easydreamer.blogspot.com/2007/05/christian-marclay-x-2.html


J’ai remis la main sur Tamain, il m’a proposé de la confiture… La Porcherie (lire page suivante)

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C’est juste après la grande tempête de 99 que j’ai rencontré Rémi Tamain. Nous fréquentions alors tous deux une école d’enseignement artistique dans le sud-est de la France. Je n’étais guère en avance sur l’échelle de l’évolution et ne tenais que difficilement mon nouveau statut de bipède. Et lorsque vint pour moi le temps de parcourir les grandes plaines, Rémi, lui s’affairait à la maîtrise du feu… Accélération : ère de la communication et des réseaux sociaux. Le plus fameux d’entre eux me propose, dès l’ouverture de mon compte, de prendre contact avec l’ancien camarade. Qu’il en soit ainsi… Dès lors, j’apprends qu’il a quitté le rude climat gardois pour aller se faire diplômer du côté de Dijon, se rapprochant ainsi de ses terres natales. Le certificat dans la poche et la moutarde au nez, Rémi était fin prêt.

La porcherie Le choix de sa sédentarisation se porte alors sur Ménétreux-lePitois , en Côte d’Or, où la décision est prise de monter un Lieu d’Art Contemporain. « Porcherie » la bien nommée. Sobriquet s’expliquant soit par l’irrépressible tendance de Rémi à fréquenter le milieu punk rock, soit par la fonction première des bâtiments. En effet, dès la fin des années dix-huit-cent et ce pendant plus d’un demi-siècle, les cochons bourguignons y transitaient avant la transformation en côte de porc. Quelques ovins leur emboitèrent le pas jusque dans les années soixante. Vînt ensuite le temps des grandes constructions, et l’opportunisme poussa le lieu à la reconversion. Entre les murs et le toit, des briques et des tuiles s’exposèrent alors. Mais, au grand bétonnement de tous, Rémi Tamain mit fin au business en 2007. Les parties historiques et géographiques étant établies, je me permets de revenir à nos moutons. Ménétreux dispose désormais de son lieu d’art à initiative personnelle. Vous y trouverez un accueil des plus impeccables. Rémi Tamain, votre hôte et maître Dandy, vous guidera à travers planchers et 34


pavés. Vous le constaterez, l’angle droit y est banni. Parpaings comme Charpente s’y veulent apparentes. Au Diable le lisse ! Si les murs y sont blancs ce n’est que pour mieux courtiser la lumière ; la laissant ainsi révéler leur irrégulière topographie. Charmant et périlleux pour qui vient s’y frotter. Et pourtant, ils sont nombreux à s’être prêter au jeu de la confrontation… Depuis la Réorientation, Rémi Tamain a invité les artistes et leur production à habiter lignes, espaces et volumes de La Porcherie. Les réponses, tantôt géométriques, tantôt naturalistes, tantôt… laissent transpirer le plaisir de chacun pour la mise en danger. C’est donc le cœur rempli d’un doux frisson que les visiteurs se laisseront aller à la déambulation contemplative. D’autant que, hormis l’intramuros, la Porcherie offre aussi un espace de verger dans lequel gambader. En attendant la « transformation » . Sachez, amis lecteurs, futurs intervenants, futurs visiteurs, que La Porcherie envisage la résidence. L’aménagement d’un atelier et d’un espace d’accueil pour des séjours prolongés font partie des projets.

Alors sortez votre tire-bouchon pour sabrer le champagne ! Buvons ensemble à la longue vie de Rémi et de sa porcherie… F.C.R

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Plan de gestion des risques 3 Gndfb Je sais pas Il y a plus rien tout a passé dans un bruit de karcher une aspiration, un trou un jet, le réveil aboie, le laps, puis écrase le bruit haux fenêtres et conduit une symphonie jaunasse qui exalterait le poids hécrasant du silence sceptique. je suizun rideau, une table, une étagère, un mur. Je me suis caché en coulisse, j’attends un signe de l’assistant, pour descendre sous la scène avant de réapparaître. De fois en quand, je fais les cent pas sous les charpentes je me sens faire les cents pas ; attendre en cercle. Quelque chose. Mais quoi ? Ce qui, n’advient pas dans ce jour sans fin. Ce qui, me ressouderait le côté gauche. Ce qui, fleure bon, ce qui se voit. Dans cette partie de la cage les décharges électriques sont plus rares. Mais quand même, hein ? Bon. J’eeeeeeen chiiiiiiiiiiiiiie quooooooooooooiiiiiiiiiiiiiiiiiii mamaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan ! (....) les plainteux sorteux de ma booooooooooooooouuuuuche mamaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan ! (....) je les tire en touffes maman ! (.) des mêcheux de cheveux maman ! (.) Une masse épaisse, un moteur, une locomotive, un convoi exceptionnel de longs poils noirs ! (...............) MAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAMAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN ! Je travaille sur les murs, dans les coins, je suis une araignée, Je sens le chien mais je suis zune chèvre, une tique, une mite,

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un pou, un petit d’homme. Bref. Quatorze heure. De ce lundi là. Celui-ci je veux dire. Je repars travailler au chantier, je laisse mon bras gauche pendre, au porte manteau de la salle de bain. comme je suis un chien, handicapé par un collier electrique, comme je suis une chèvre, sensée décimer les ronces, comme je suis une tique, mon présent est un petit coup de vent, comme je suis une mite, je vieillis les carapaces, comme je suis un pou, j’habite caché sur ma tête, comme je suis un petit d’homme. (...) Je retourne au chantier, mais je me cache dans l’arrière cour, en surveillant les autres, de loin discret quoi en cas qu’ils remarquent mon absence, Le jeu, c’est que si je les vois pas, ils me voient pas non plus. Eheh !! ohoh !! Ahah !! C’est marrant. là, je dégrafer mes pieds, enfoncer la confiture, marteler les plastiques d’emballages, mettre les doigts dans la prise, je préparer une soupe en laissant fondre la poubelle sur les plaques de gaz. tout est exquis, oui ; mais zile me semble havoir comme loupé quelque chose ! Puisque le temps que j’a fait ça, on a déjà cloturé le chantier pour la journée. les employés se disent au revoir en roulant des cigarettes. puis plus Rien. Bref. Picola Naine


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Thomas DeudĂŠ, SĂŠrie dne_corbeau (extraits). Linogravure. Impressions manuelles sur papier, 2011

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Soyez sans crainte


Jean-Pierre Martinet Jérôme, édition Finitudes, 2008

Galerie Martel Paris Depuis sa création en novembre 2008 la galerie Martel s’est fixée un cap : mettre en avant le graphisme à travers des artistes de haut niveau dont le point commun est d’explorer de nouveaux territoires et de décloisonner les frontières séparant divers modes d’expression : illustration, peinture, bande dessinée, animation. Tous les artistes que représente la Galerie Martel sont ou ont été des initiateurs majeurs. Tomi Ungerer, Art Spiegelman, Alberto Breccia, Lorenzo Mattotti, Dave McKea, Milton Glaser, Charles Burns, Robert Crumb, Fred, José Muñoz ou encore Gary Panter ont chacun à leur manière laissé une marque forte sur la scène graphique internationale. Les expositions sont toutes incontournables.

Exposition en cours : Lorenzo Mattotti. Jusqu’au 4 février 2012 www.galeriemartel.com

« Parti de rien, Martinet a accompli une trajectoire exemplaire : il n’est arrivé nulle part ». Voilà comment se présente l’écrivain Jean-Pierre Martinet dans sa biographie. Auteur de romans et de nouvelles, il est mort en 1993, réfugié chez sa mère à Libourne, épuisé par ses excès d’alcool. Son second livre Jérôme, écrit en 1978, a été réédité en 2008. L’occasion de découvrir une écriture d’une noirceur et d’une violence extrême, à travers les dérives du personnage principal Jérôme Bauche. Jérôme est une farce baroque, faite d’errances hallucinées dans un Paris dostoïevskien qui devient le cadre obsessionnel et absurde du personnage principal. Une expérience limite, éprouvante, tant pour le lecteur que pour cet être aux frontières de l’abjection. Jérôme possède une puissance de la langue que l’écrivain maîtrise à la perfection, et fait de ce roman une œuvre majeure qui n’épargne personne. DM

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Lorenzo Mattotti, Venise, encres de couleur et pinceau, 29 x 31 cm, 2008


Incontournable ! since 1972 Une fois de plus, Edition Populaire nous offre une belle monographie d’un artiste toulousain. Après Dran et Océane Moussé, Jif vient proposer l’immersion dans son univers graphique à travers une publication de fort belle facture. Y viennent s’allonger sur papier les traces « onirisées » de quelques folles soirées sousterraines (en français dans le texte). Si vous êtes un acharné des dance-floor toulousains, vous avez plus que sûrement aperçu la crête de cet oiseau de nuit. C’était mieux maintenant nous offre un aperçu des différents aspects du travail de Jif. Muses et musiciens se sont offerts à sa lentille et ont tous subi son traitement si particulier donnant à la saisie de l’instant un fond d’icône de l’étrange sainteté. à avoir dans sa bibliothèque… FCR

www.citizenjif.com www.editionpopulaire.com Dj No Breakfast. Le Bikini, 2010

Le blog d’Elise Costa Fuck You Billy - We are the people your parents warned you about

Elise Costa écrit « hyper » bien. C’est sensible dans ses notes de blog, dans ses chroniques pour la presse, c’est encore plus flagrant dans son livre (Comment je n’ai pas rencontré Britney Spears, 2011, éditions Rue Fromentin). Elle peut écrire une note de bas de page sur les grands mystères de l’humanité ou sur la définition du heavy metal avec autant de style qu’une autre note évoquant son militantisme pour la démocratisation du port du bandeau en éponge. Et ça, c’est la classe ! AD www.elixie.org

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Graphic design : T.Deudé. www.donoteat.fr

CODE-DUBSTEP.COM FACEBOOK.COM/CODE.DUBSTEP


Graphéine www.pinkpong.fr info@pinkpong.fr Festival de BD Colomiers www.bdcolomiers.com

Emmanuel Guy https://sites.google.com/site/emmanuelguy/

La Porcherie www.laporcherie.com laporcherie@gmail.com

Entretien www.magp.fr Picola Naine picolanaine@gmail.com les Abattoirs www.lesabattoirs.org Les Arques www.ateliersdesarques.com

Thomas Deudé (DNE) : www.donoteat.fr t2d@donoteat.fr

Jules Stromboni jules@encephalographe.com

Béatrice Utrilla http://beatriceutrilla.wordpress.com Association EDV www.edvdistribution.fr

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