Trimestriel Regards n° 50 - Printemps 2019

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LE DOSSIER

entre 99 et 99,5 %. Et, pour ce qui est du végétal que nous cultivons, il représente un maillon essentiel de la chaîne alimentaire. VERS UN « PHYLOCENTRISME » ?

On peut donc considérer qu'il faut désormais, comme le dit Quentin Herniaux, penser le végétal non sous l'angle de ce qu'il est, ou de la manière dont il nous apparaît, mais de ce qu'il fait et nous fait (il configure en effet le temps et l'espace du vivant animal et humain). Mais aussi sous l'angle de ce que nous lui faisons. Sans doute ne pouvonsnous dire que, comme l'humain et l'animal, le végétal souffre de nos comportements. Mais, de fait, il ne souffre pas, ou plus, les modifications, voire les destructions que nous imposons à son habitat et son environnement. Et, en effet, un capitalisme exacerbé a fait des végétaux des objets de culture intensive, instrumentalisés à l'extrême, au point où les plantes cultivées ne sont plus capables de se reproduire par elles-mêmes et de se développer sans les engrais et les pesticides qui ont, comme on sait, donné lieu à de multiples scandales sanitaires. Mais aussi conduit à la

ruine les populations indigènes et pauvres qui en dépendent. Les luttes contre la déforestation – notamment celle des indigènes en Amazonie, contre les politiques destructrices et prédatrices de Bolsonaro –, pour la protection des écosystèmes végétaux et des espèces menacées, ou même pour une éthique alimentaire plus respectueuse de la spécificité des organismes végétaux, nous obligent donc à reconsidérer des notions aussi fondamentales que celles de sujet vivant, ainsi que celles de liberté, de mobilité, de souffrance de l'être vivant en général. Ce sont sans doute là, en effet, autant de concepts autrefois centraux, mais inadéquats pour la philosophie comme pour la biologie contemporaines. Faut-il, pour autant, pour conjurer la catastrophe écologique et climatique, élaborer un « phylocentrisme », conçu comme « communisme humain transhumain végétalement réfléchi », comme le suggère Michael Merder, auteur de The Philosopher's Plant cité par Quentin Herniaux ? Il faut du moins, raisonnablement, déplacer, décentrer notre regard, et travailler à « l'intégration de formes de vies non animale dans nos comportements », autant que dans notre pensée. ■ gildas le dem

« Les végétaux sont passés du statut de paysage ou d'environnement objectif et passif à celui de conditions de possibilités absolues de la vie et de l'existence humaine. » Quentin Herniaux et Benoît Timmermans

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