Trimestriel Regards n°49 - Hiver 2019

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II- LE MOMENT POPULISTE ?

« Auto-organisé, ce mouvement exprime une charge destituante contre un État qui ne protège plus. Ses demandes ne sont pas prédéterminées idéologiquement dans un clivage droite / gauche. » jaunes. La deuxième étape remonte aux années 2000, avec les vagues altermondialistes, qui constituaient déjà des formes atypiques de mobilisation, portées par des mouvements comme Attac, qui émergent dans le ventre mou de la décomposition lente de la gauche politique. Depuis le début des années 2010, on est rentré dans une troisième phase caractérisée par l'éclatement de la crise de la mondialisation et ses conséquences économiques et sociales.

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regards. Quelles sont les manifestations de cette troisième phase ? ventura. En résulte aujourd'hui une large remise en cause de la démocratie représentative et libérale, qui n'apporte pas de solutions aux problèmes concrets de la population. En France, cette dernière période s'est accompagnée de l'écrasement de tous les mouvements sociaux (réforme des retraites en 2010, loi Travail en 2016) et de la pratique de la supercherie par le pouvoir politique (« mon ennemie la finance », en 2012 avec François Hollande). Nous voici désormais dans une période où l'élection de Macron, le poids du Rassemblement national, le succès de la France insoumise, la sourde puissance de l'abstention populaire et la révolte des gilets jaunes signalent la radicalisation de ce « moment populiste ».

christophe

regards. Pourquoi le prisme de la lutte des classes ne suffirait-il pas pour comprendre la mobilisation spontanée actuelle ? christophe ventura.

La grille de lecture populiste ne nie pas la lutte des classes ! Simplement, elle précise que la position dans l'appareil de production et dans l'organisation sociale ne définit pas mécaniquement une conscience politique. Les affects, les trajectoires personnelles, l'intégration – ou la déception – des promesses républicaines (l'égalité, le mérite) jouent aussi. La straté-

gie populiste cherche à articuler les conflits de classe et les autres types de conflits sociaux et sociétaux, sans hiérarchie rigide. Surtout, elle ne part pas du principe qu'un groupe social prédéterminé – la classe ouvrière – constitue l'acteur principal de l'émancipation. Les gilets jaunes comptent parmi eux des cadres, des petits patrons et des indépendants, même si la majorité font partie du salariat. Ce qui les lie tous au départ ? Ils n'ont pas accès à la mobilité du capitalisme international qui permet d'échapper à l'impôt. Ils sont ceux qui paient et qui considèrent ne plus rien avoir en face. Ce mouvement populaire rallie des gens qui peuvent avoir, du strict point de vue économique et social, des intérêts contradictoires. Pourtant, il a fédéré à partir d'une demande particulière (le rejet des taxes sur le carburant) tous ces gens jusqu'à leur donner une nouvelle dimension collective, revendicative et démocratique élargie. regards.

Quelle stratégie découle de cette analyse ?

christophe ventura. L'enjeu d'une stratégie populiste de gauche est d'emmener ce mouvement le plus possible vers la gauche. Il ne s'agit évidemment pas de penser un décalque du péronisme ou du chavisme. Dans les sociétés oligarchiques d'Amérique latine, l'hyperconcentration des richesses a abouti à l'existence de secteurs immenses de pauvres qui donnent une dimen-


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