Trimestriel Hiver 2018

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LE DOSSIER

SYNDICATS ET LOBBIES, UNE ALLIANCE CONTRE NATURE

Le “chantage à l'emploi” permet parfois aux lobbyistes de l'industrie de mettre dans leur poche des syndicalistes pour lesquels la défense du travail apparaît plus urgente que la protection de l'environnement. Les lobbyistes le savent bien : rien de tel que les syndicats de salariés pour débouter leurs contradicteurs écologistes. Ils sont souvent, malgré eux, leurs meilleurs alliés. Parole d’ex-lobbyiste. Et il est vrai qu’il y a de quoi : imagine-t-on, encore aujourd’hui, la CGT militer en faveur de la fermeture d’un site industriel représentant plusieurs centaines de travailleurs, même si c’est pour des causes écologiques et / ou environnementales ? Si les lignes sont en train de bouger – l’Accord de Paris est passé par là – le principal syndicat de salariés n’en reste pas moins le défenseur des droits et de la préservation de l’emploi des travailleurs. L’équation est difficile : faut-il privilégier l’emploi au détriment de la santé et de l’environnement. Ou l’inverse ? LA RAISON DE L'EMPLOI

On aura beau nous expliquer, dans les états-majors de beaucoup de centrales syndicales, avec de grands moulinets de bras, que la solution est ailleurs, que la transition énergétique peut être une issue gagnantgagnant car elle crée de l’emploi et qu’il n’y a pas de nécessaire contradiction entre environnement et emploi… les pragmatiques et les lucides répondent que, dans l’urgence de la destruction des postes, les syndicats se rangent souvent du côté des industriels pollueurs. C’est-à-dire qu’ils cèdent à ce que l’on appelle le “chantage à l’emploi”. La pratique est courante. Et bien connue des lobbyistes. Au point même d’en devenir une stratégie pour le patronat. Consultant dans un grand cabinet d’expertises

et de lobbying pro-pesticides, Hervé1, la quarantaine – qui a signé une clause de confidentialité – décrit : « Ce qu’il faut, avec les syndicats, c’est les mettre dans des situations d’arbitrage binaire ». Parce qu’alors, le résultat est toujours le même : ils se rangent derrière la raison de l’emploi. Et ensuite, pas de quartier pour leurs contradicteurs : les lobbyistes dégainent leurs argumentaires tout écrits à destination du gouvernement, des parlementaires de tout bord et des élus locaux, leurs propositions voire leurs projets de loi clef-en-main, leurs amendements avec ces fameux déplacements de virgules qui changent tout. « Un rouleau-compresseur tout prêt pour défendre les entreprises les pires du monde. Et pouvoir citer les syndicats pour appuyer nos demandes, c’est du pain bénit pour nous. » LA CGT COMME ALLIÉE

Pour exemple, il cite l’usine Altéo près de Gardanne, commune des Bouches-du-Rhône. Petit rappel : en 2014, l’entreprise devient un parangon de la lutte contre la pollution industrielle. Les rejets massifs de produits toxiques par l’usine ont suscité à l’époque une vague d’indignation dans l’opinion publique, jusqu’à obtenir l’intervention de la ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, Ségolène Royal, qui la fit fermer. Mais c’était sans compter la réaction immédiate du premier ministre Manuel Valls qui court-circuita sa ministre et fit annuler le décret pour permettre à l’usine de continuer son activité. Et de sauvegarder les emplois. 1. Celui-ci souhaitant préserver son anonymat, le prénom de notre interlocuteur a été changé.

HIVER 2018 REGARDS 83


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